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Exposé 

: Une culture noramanno-arabo-byzantine au XIIe siècle ?


Jules BERNARD

INTRODUCTION :

« A demi musulman », c'est ce qu'aurait dit Bernard de Clairvaux en parlant de Roger II. Le
terme est provocateur et à le mérite d'attirer l'attention. L'abbé de Clairvaux pointe du doigt un
élément qui lui paraît être une absurdité : Roger II, souverain normand de Sicile et de Calabre, duc
d'Apulie et prince de Capoue est entouré d'une aristocratie composée principalement de musulmans.
Il faut ajouter que la phrase est dite dans le contexte du schisme qui s'est opéré entre Innoncent II
(soutenu par Bernard de Clairvaux) et Anaclet II (soutenu par Roger II), l'expression n'est donc pas
seulement un constat mais est issu d'une réalité politique et religieuse extrêmement complexe et
fascinante concernant toute la Méditerranée et qui dans le cas de la Sicile s'incarne dans un État où
se juxtaposent des influences venues des mondes musulmans, de l'empire byzantin, des mondes
normands et au-delà.
Pour comprendre le phénomène qui s'opère en Sicile au XIIe siècle, trois documents
serviront à nous éclairer dans notre analyse. Le premier est un texte extrait du Kitab Nuzhat al
mushtaq fi-khtiraq al-afaq (« L'agrément de celui qui est passionné par la pérégrination à travers le
monde ») plus connu sous le nom de Livre de Roger. La brochure donne une autre traduction moins
répandue (la « Carte de Roger ») tirée du travail d'Aimée Jaubert. L'auteur est un géographe arabe
majeur du Moyen-Age : al-Idrīsī. Né à une date incertaine autour de 1100, ces origines sont
débattues. Jean-Charles Ducène le fait naitre à Ceuta en Al-Andalous, Annliese Nef en Sicile ou au
Maghreb. Néanmoins, il est certain qu'al-Idrīsī a eu une éducation très riche et qu'il a fait un
pèlerinage, traversant l'Ifriqiya, l'Arabie ou encore en l'Égypte. Il se met par la suite sous le
patronage de Roger II alors roi de Sicile. Le Livre de Roger est écrit à la fin du règne du souverain
normand autour de 1154. Son but est de décrire le monde connu de l'Asie à l'Atlantique, de la
Scandinavie au Mali. Sa géographie est l'illustration d'un profond renouvellement : cartes (70 dans
l'ouvrage), descriptions à l'aide de témoins oculaires, première description détaillée de l'Occident
Latin... Pour ce dernier point, l’intérêt du livre pour l'historien ou l'historienne est de montrer la
place croissante que prend l'Occident à partir du XIe siècle. Dans cet extrait, c'est Palerme, la
capitale du royaume de Normand de Roger II qui est mise à l'honneur. Le deuxième document est le
manteau de Roger II fabriqué en 1133-1134 aujourd'hui conservé en Autriche à Viennes. Le dernier
document est la chapelle palatine de Palerme, elle aussi construite sous le règne de Roger II, ce qui
limitera notre analyse étalant la chronologie jusqu'à la fin son règne en 1154.
Revenons maintenant sur l'arrivée des Normands en Italie du Sud et en Sicile. A l'origine des
Normands, il y a une grande partie qui est d'origine viking. Après leur conversion au christianisme
et une période de sédentarisation avec de nouvelles constructions politiques, les maintenant
nommés Normands, reprennent la mer. Ils attaquent les côtes du Royaume de France, pillent par la
suite en Al-Andalous puis arrivent jusqu'en Italie du Sud au IXe siècle. A la suite de pèlerinages, les
Normands s’immiscent dans les affaires locales italiennes et sont enrôlés comme mercenaires. Fils
issu de la nombreuse famille du seigneur Tancrède de Hauteville dans le Cotentin, Robert Guiscard
arrive en Italie et commence à monter une armée. Petit à petit, la puissance du normand s’accroît :
duc des Pouilles, alliance avec le pape, et conquête de Palerme jusqu'à sa mort en 1085. Roger Ier
prend sa succession en Sicile et se marie à Adélaide qui lui donne deux fils Simon et Roger. Ce
dernier accède au titre de comte après la mort de son père, de son frère aîné et de Guillaume son
cousin qui au passage lui cède une partie de ses territoires en Italie du Sud. Le 25 Décembre 1130,
Roger II est fait roi de Sicile, une territoire qui a connu la domination romaine, puis byzantine de
535 à 827, et arabe jusqu'en 1060. L’île est donc une agrégat de peuples variés. Face à ces
documents et la riche histoire des normands et de la Sicile, nous pouvons nous demander en quoi ce
corpus est-il une source sur l'ouverture et la construction du pouvoir royal normand chrétien de
Roger II au sein d'un espace partagé entre des peuples aux cultures différentes dans la Méditerranée
du XIIe siècle.
Pour répondre à ce problème, le développement se découpera en trois parties. La première
s’intéressera à comment les documents témoignent de l’installation des Normands chrétiens dans
une mosaïque de peuples. La seconde partie présentera la façon dont le roi apprend à rassembler les
héritages des peuples siciliens tout en prenant soin de bien les différencier pour imposer son
pouvoir. Enfin la troisième partie montrera la volonté du pouvoir normand de rayonner dans le
monde méditerranéen du XIIe siècle.

(Avant d'aller plus loin, il convient de montrer quelques limites à notre analyse. La première
est spatiale car nous nous limiterons ici à la Sicile bien que le royaume Normand concerne aussi la
Calabre. La seconde limite est temporelle notre développement ne vas pas au-delà du règne de
Roger II en 1154. En effet, le choix est de rester cohérent avec les documents qui sont liées
largement au règne de Roger II alors que la séance porte sur le XIIe siècle de manière générale. Ces
choix sont raisonnés mais néanmoins, il n'y a presque rien à perdre dans un sujet vraiment
passionnant qui parle à la fois d'histoire religieuse, politique, culturelle, d'histoire de l'art,
d'archéologie, de géographie à la croisée des trois grandes aires politico-culturelles de la
Méditerranée médiévale.)

I- L'installation des Normands dans une Sicile multi-culturelle

a) La Sicile, une mosaïque de peuple

«  celui du milieu comprend divers forts, diverses belles et nobles habitations, beaucoup de petites
mosquées, de bazars, de bains et de magasins de gros négociants. » l.12-13

→ Montre, la richesse sicilienne. Le bazar, le bain et les petits mosquées sont des éléments
typiquement arabo-musulmans.
– Le fait qu'il y en ait « beaucoup » montre que les musulmans sont nombreux sur l’île,
notamment autour de Palerme. on compterait 300 000 habitants autour de la ville
– La citation souligne aussi qu'ils sont toujours bien présents (écoles coraniques) Majorité de
la population arabophone mais les gens sont aussi polyglottes,
→ Qui dit magasins et bazars dit commerce, et donc population venue de partout.
– paysans Culture blé, vigne, agrume, huile d'olive, papeterie, coton, soie, minerai ETNA
– on retrouve aussi des Grecs. Présence depuis l'Antiquité tardive car refuge contre les
barbares, 535-837, trois siècles d'hellénisation,
– on retrouve aussi des Albanais, des Lombards (autour de Plazza), des Slaves, des Juifs, des
Berbères (Agrigente), des Perses. Habitants majoritairement dans les quartiers des villes.
→ Comme nous pouvons le voir, la Sicile abrite donc un large nombre de populations. Il faut
souligner que le texte montre bien la majorité démographique des musulmans. Néanmoins même
s'ils sont moins nombreux, les Grecs sont aussi la deuxième force démographique du territoire
insulaire.

«  Siège du gouvernement dès les temps primitifs et les époques les plus anciennes de l’islamisme..»
l.3-4

→ Cette citation souligne la place prépondérante qu'ont occupé les musulmans sur la Sicile.
– -Fatimides en 909, battent les Aghlabides.
– -Après révoltes instauration définitive. Arrivée des émirs kalbites avec Hasan ibn Ali
al'Kalbi, indépendance avec le départ des Fatimides au Caire.
– statut de dhimmi donc cohabitation religieuse déjà instaurée.
– La Sicile sert de refuge aux lettrés comme Tabari (historien) ou Muhammad ibn Khurasan
(commentateur du Coran). Centre intellectuel.
– Après la domination Kalbite, révolte en 1019 , éclatement en taiffas. Favorise la conquète
normande.
→ Malgré ces informations, on en connaît encore peu sur la Sicile musulmane. Le document nous
éclaire sur la forte présence musulmane sur l’île mais peut aussi faire deviner la présence d'autres
populations.

b) L'établissement autour d'une ancienne cité du pouvoir musulman : Palerme

«  La première de ces villes est Palerme, cité des plus remarquables.. » l.1

→ Le texte porte l'attention et donne à voir, une description de la Palerme normande.


Géographiquement le texte nous dit : « Cette ville est située sur le rivage à l’orient de la mer, et
entourée de hautes montagnes. Le rivage offre du côté oriental un coup d’œil ravissant. » l.6-7
– présence dans la Conque d'Or, plaine entourée de Montagne. Zone très fertile.
– Cité très ancienne, vestiges du Ve siècle
– Installation autour de deux fleuves le Kemonia et la Papireto
– Installation sous R.Guiscard et Roger Ier, frotifications
– Arsenal déplacé pour être à la confluence des deux fleuves (centre chantiers navals)
– Certes Palerme, mais intense politique de maillage du territoire par les forteresses

«  Palerme se compose de deux parties, c’est-à-dire du château (Cassaro ou al-Cassar) et des


faubourgs. » l.10-11

→ Le texte fait référence à la division entre le Qsar / cassaro (terme désigné dans le texte en arabe
d'al-Idrisi), la ville haute surélevée et séparée d'une muraille et les quartiers l'entourant en contrebas.
– explication avec carte
– Comme on peut le voir les rues sont rectilignes (contrairement à ce qu'on pu affirmer les
Orientalistes) ce qui montre une organisation éclairée du l'espace urbain. On a pu la
comparer à Cordoue. (montrer ressemblances)
– présence du palais Normand, de la mosquée, cathédrale... C'est là qu'on frappe monnaie
et que les bureaux administratifs se trouvent.
– Dans les faubourgs les populations sont repartis par quartiers (ex : Amalfitains)

«  Le faubourg entoure la ville de tous côtés. Il est bâti sur l’emplacement de la ville antique qui
portait le nom de Khalessa, où résidait le sultan, et où étaient le palais particulier du prince du
temps des musulmans » l.19-21

→ Extrait qui souligne la place de Palerme dans l'ancien pouvoir musulman.


– siège administratif arabe de 831 à 1072
– Occupation dans la ville haute d'abord puis vers 937 déplacement dans la partie al-
Kalisha (sorte d'extension).
– On ne sait rien du palais (ni emplacement, ni forme) mais on sait que les émirs au début
du XIe siècle se trouvaient autour du palais de la Favara au sud de la ville.

CHAPELLE PALATINE

→ la Chapelle Palatine est édifiée sous une ancienne chapelle du temps de Robert Guiscard et qui
est devenue une crypte. Cela souligne l'installation des Normands chrétiens à Palerme.

→ Le texte et la chapelle nous informe donc sur la Palerme de la première moitié du XIIe, une ville
marquée par la présence des émirs, par le commerce et par l'installation normande.
c) La mise en place de l’Église Latine et la coexistence religieuse

«  C’est là qu’on remarque la grande mosquée qui était destinée à cette partie de la ville dans les
temps anciens. Elle subsiste encore, à l’époque actuelle, dans son état primitif, comme elle était
auparavant » l.16-17

→ C'est ce que dit le géographe à propos de la grande mosquée. Le texte étant écrit autour de 1150,
la domination normande est bien installée, ce qui montre que les Normands ont laissés édifices
musulmans en place.
– Ce que ne dit pas le texte c'est que lors de la période byzantine du VIe au IXe siècle,
l'édifice est une basilique chrétienne. A l'arrivée des musulmans elle est transformée en
mosquée puis devient une cathédrale dédiée à la Vierge en 1072 sous l'autorité de
l’évêque Nicomède.
– Le but est de dire que la Grande Mosquée telle qu'elle est est restée sous sa forme
architecturale est identique bien que l'édifice religieux ait changé de nature
– En réalité, très peu de mosquées détruites. Surtout des nouvelles églises.
– Choix qui s'explique par le privilège Apostolica Legazia donné par le Pape. Permet de
contrôler la géographie ecclésiastique et la nomination des évêques en Sicile. Permet
cette politique de proto-tolérance.

CHAPELLE PALATINE

→ L'un des exemples de l'installation de la chrétienté latine dans le paysage sicilien.


– La chapelle n'est pas la seule : San Giovanni degli Eremiti ou Santa Maria Maddalena
avec un mix architecturale de style paléochrétien et oriental
– On remarque qu'il n'y a pas beaucoup de destruction, les Normands chrétiens se
juxtapose.
– Cette acceptation de la présence normande s'explique par la lente conquête de l’île sur
trente ans (à cause des affaires en Italie continentale)

→ Envers les musulmans, il y a donc une politique normande d'acceptation, pas de conversion
forcée.
– statut de dhimmi pour les musulmans = transition en douceur
– pour les Grecs aussi pas de conversion car traces de monastères de rite grecque (ex :
Saint Sauveur près de Messine). Cette présence grecque facilite l'arrivée de textes
antiques en Italie Normande

→ L'installation chrétienne est douce et de nombreux facteurs ont permis cette transition sans
heurts : statut de dhimmi, conservation des mosquées, des églises grecques, droit du Apostolica
Legazia... Grecs, Latins et Musulmans peuvent désormais vivre ensemble.

CONCLUSION : Dans cette première partie, l'analyse s'est attardée à montrer comment les trois
documents nous informaient sur la diversité des peuples siciliens, de la place de Palerme chez les
musulmans et les Normands qui en font leur capitale et de l'instauration « pacifique » de l’Église
Latine. Le pouvoir royal normand s'est donc construit dans l'ouverture à une population très divers.
Mais une fois Roger II, sacré à Palerme en 1130, comment la royauté normande a-t-elle su
s'emparer de ces différences pour renforcer sa légitimité ?
II- Savoir diviser et rassembler, les minorités et leur culture utilisées pour imposer le pouvoir
royal

a) L'entourage grec et musulman de Roger II, acteur clef du pouvoir royal

«  Al-Idrīsī » auteur du texte

→ Comme nous l'avions dit en introduction, al-Idrisi est un géographe qui évolue sous la patronage
de Roger II (Le livre de Roger). Mais en réalité le cas d’Al-Idrisi n'est pas une exception.
– Cas de George d'Antioche, rôle d'émir des émirs. Au service du prince de Madhiyya
jusqu'en 1112 puis Roger II. Remplace Chrisodule.
– Conseillers réuni dans la cuia regis + agent administratifs, notaires (Grecs)
– Entourage de lettrés : Ibn Zafar (sciences religieuses) Muhammad ibn Ali at Tamini
(doctrine malékite) Abd ar-Rahman ibn Muhammad (poète jardins de Roger II)
– organisation de cour plutôt arabe : costumes, titre (ex ;al-Mu'tazz-bi-llah), présence
d'eunuques fityan, ou comme membre du harem pour les femmes (cour très orientalisée)
– organsiation religieuse et administrative grecque MAIS présence d'une élite arabe autour
du qadi (le juge) Durant 10 dernières années de règne arabes > grecs.

MANTEAU

→ De son côté, le manteau montre une autre part de l'entourage royal. Hors des élites, on retrouve
des artisans grecques ou arabes qui évoluent à la cour royale. Pour le manteau il n'y a que se
pencher sur ceux qui l'ont fabriqués.
– Un atelier royal est fondé dans le palais : le tiraz. (atelier royal du textile)
– Peut être fait par des arabo-musulmans mais pas sûr dans une des trois fabriques de
Palerme : celle des oiseaux, celle des dragons et celle de l'arbre de vie
– La soie utilisée pour le manteau est issue sûrement du travail de Thébains (savoir-faire)
venus s'installer à la cour après les attaques de Roger II.
– Cela ne manquera pas d'attirer l'attention, le manteau de Roger porte des inscriptions en
coufique (forme typiquement d'Ifriqya et Sicile) « Fait à la cour du roi sicilien Roger II à
Palerme en 528 du calendrier musulman »= montre l'utilisation de l'arabe dans
l'administration normande
– décrets de cour en trilingue (Latin-Grec-Arabe) mais pas forcement des traductions
littérales (ex autre : plaque de Grisanto)

CHAPELLE PALATINE

→ La chapelle palatine est elle aussi l’œuvre d'artisans issus des minorités siciliennes.
– Avec le plafond et les thèmes qui y sont présentés tirés pour certains de contes de culture
arabe (ex Majnun et Leila des 1001 nuits) = entourage qui fait circuler ces lectures ,
preuve de l'entourage arabe (synchrétisme relatif)
– influence d'al-Idrisi car Roger présenté avec un globe terrestre, géographie arabe
(coptes)
– Artistes arabes pour le plafond : marocains et lybiens pour le plafond, égyptiens pour les
peintures sur bois, Grecs pour les mosaiques

→ Le pouvoir normand est donc ouvert aux non-normands pour gouverner la Sicile. Les Grecs et
Arabes sont choisis pour leur qualité. L'objectif est aussi que chaque sicilien soit représenté. Preuve
que Roger II a parfaitement conscience des réalités politiques de son royaume. Ces réalités vont
également s'incarner dans un langage politique original, dans le but de parler à chacun des sujets.
b) Considérer chaque culture en utilisant leurs traditions politiques pour s'adapter à chacun

MANTEAU

→ L'un des grands éléments les plus identifiables du manteau est qu'il ne ressemble pas à un
costume de roi occidental. En effet, l'inspiration de ce dernier est surtout islamique et emprunte des
codes culturels propres aux cultures musulmanes.
– Thèmes du lion et du chameau : représente Roger (les deux animaux) dominant son
royaume, inspiration mésopotamienne (pas de cela en Sicile)
– Arbre de vie ; symbole chrétien, représente l'église au-dessus de Roger.
– L'utilisation des émaux (matière fondante composée de différents minéraux) est associée
au monde byzantin

CHAPELLE PALATINE

→ Dans le cas de la chapelle palatine, nous constatons la même attribution de codes politiques non-
normands afin de pouvoir être le représentant de tous les sujets quelle que soit leur confession et
même dans un édifice chrétien, des éléments byzantins ou arabes sont perceptibles.

1) les élements byzantins :


– La géométrie byzantine est également bien présente en particulier sur la pavement au
sol.
– Se retrouve dans les mosaïques sur les murs. Programme iconographique avec épisodes
classiques : adoration des mages, fuite en égypte... (en HDA Art byzantin >)
– Le Christ pantocrator, élement typiquement byzantin. Le Christ tient de la main gauche
le livre fermé, les écritures n'ont pas encore été révélées. Il est représenté encore comme
Christ Dieu (pas humain)
– dans la forme, plan centré basilical (comme Byzance) mais aussi longitudinale Latin
– Cette influence se remarque aussi dans Santa Maria dell'Ammiraglio

– 2) élements islamiques
– se remarque surtout sur le plafond de bois fais en caisson de cèdre (mouquarnas)
– présence de lions et de paons, faune et flore (origine Sassanide, voire Achéménide)
– écritures en arabe même dans les images., obj de se rapprocher des élites arabes.

– Dans le cadre du plafond qui reprend des deux univers culturels, l'objectif est d'exalter la
chrétienté. La présence des éléments pourraient paraître hérétiques mais ils ont pour but
de dire que seule la chrétienté peut gouverner cette mosaïque de peuples. En effet,
présence dans une chapelle + place au plafond (voûte céleste).
– Ces utilisations spécifiques des codes politiques des minorités se remarque aussi dans les
pièces (tari) ou titulature différente dans chaque langue

→ Il faut donc noter à la lumière de ces éléments on note une convergence culturelle car les images
sont bien plus efficaces que la langue pour exalter le souverain. Le grand objectif de ces usages est
de se légitimer et de prétendre à l'universalisme en offrant à chaque communauté une place dans le
pouvoir sicilien normand. Roger II veut s'adapter à chacun. Mais le roi se veut aussi universaliste, et
les trois documents montrent également que la royauté normande use d'une politique de l'image
pour se construire auprès du peuple sicilien dans sa globalité avec l'idée que le roi rassemble.
c)Légitimer sa royauté auprès de tous par la politique de l'image

«  Elle réunit en effet tout ce qu’il y a de plus noble en fait de splendeur. » l.2-3


« d’où le voyageur (littéral. Le cavalier) peut contempler la beauté des édifices, ainsi que la
perfection du travail et l’élégance des arts qui présidèrent à la construction. » l.7-8

→ Ces citations permettent au lecteur de visualiser Palerme. Mais bien qu'al-Idrisi exalte
volontairement la capitale normande, son texte est symbtomatique de la politique de l'image mise en
place par Roger II. Le souverain veut impressionner et se légitimer non pas auprès des différents
peuples mais auprès de la foule, des Siciliens dans leur ensemble. Cette politique passe par des
codes qui vont au-delà des différences culturelles et parlent aux sensibilités de codes communs à
tous comme la richesse ou la monumentalité.
– « beauté des édifices » = le palais. Roger II en a fait sa demeure royale. Organisée autour
d'un corps central la Johira et entourée de tours la Pisane (qui contenait la salle
principale), la Grecque aujourd'hui dispaures et la tour Gioaraia qui abrite la chambre de
Roger et en dessous la salle des hommes en arme. Lieu qui centralise le pouvoir
normand : trésor royal, ateliers, bureaux, chambre royale.. Le palais à l'époque normande
est uniquement la demeure royale
– la cathédrale où Roger II a été couronnée.
– Les jardins, parcs et pavillons (les sollazi)
– Plus loin dans le Livre de Roger al-idrisi dit que la ville fait « tourner la tête »

MANTEAU

→ Le manteau par la finesse de ses finitions à sûrement comme objectif premier d'en mettre « plein
la vue » plus que chacun ne s'attarde sur ce qu'il représente.
– les perles présentent sur le manteau = plus riches qu'on puisse trouver, Palerme étant
ville de marchands, les habitants savent leur valeur
– utilisation de la soie samite TRES RARE, souvent utilisée pour les vêtements
cérémoniels donc cher, encore un signe de richesse
– poids du manteau 50kg

CHAPELLE PALATINE

→ Pour la chapelle palatine, c'est la même chose, la première impression doit être l'admiration
-la sculpture du plafond : vingts étoiles à huits pointes, avec des caissons rectangulaires
entre étoiles, et des stalactites avec des représentations humaines
– placement en hauteur « inaténiable « , grandeur, vertige

→ On voit donc par la richesse qu'étale Roger II dans les bâtiments ou dans le vêtement, une
politique de l'image qui veut parler à tous, sans distinction. Bien que Roger II n'innove pas avec
cette méthode, elle à la mérite d'être extrêmement efficace. Là où le roi normand innove c'est dans
son habileté à rassembler ou diviser son peuple pour se légitimer du mieux possible.

CONCLUSION : Grâce au corpus, nous sommes en mesure de prouver l'ouverture immense dont à
fait preuve Roger II pour établir son pouvoir royal en Sicile. Le souverain a lié inventivité et
pragmatisme pour asseoir sa légitimité et son autorité. Les minorités ont joué là-dedans un rôle
fondamental, au cœur de la politique de Roger II. Ce dernier montre qu'il savait aussi bien
considérer chacun de ces sujets que de considérer l'ensemble de la population sicilienne. Il convient
maintenant de se pencher sur un autre point qui se dégage des documents : la volonté de Roger II de
rayonner au-delà de la Sicile, dans l'espace méditerranée.
III- Rayonner pour mieux régner, la Sicile normande dans le monde méditerranéen du XIIe
siècle

a) Affirmer sa royauté et sa puissance auprès des autres acteurs politiques méditerranéens

«  c’est de là que sortaient les flottes et les armées conquérantes, comme elles en sortent encore
aujourd’hui.  » l.4-5
«  l’arsenal pour la construction des vaisseaux [...] Le château dont il vient d’être fait mention (al-
Cassar) peut être rangé au nombre des places les plus fortes ; il est très haut, très susceptible de
défense et (pour ainsi dire) imprenable.... jusqu'à appartements intérieurs l.21 à 26

→ Nous abordons là un nouveau thème, celui du rayonnement de la Sicile en Méditerranée. Comme


ces citations nous l'indiquent, savoir se montrer puissant est l'un des enjeux de la construction
royale de Roger II.
-La mention du château et de l'arsenal ne sont pas anodins et servent à souligner la puissance
militaire de la royauté normande en Sicile.
-écrit en arabe + petit format = destiné à circuler parmi les mondes arabophones voisins
– un besoin de justifier qui date depuis le sacre, légalité de la royauté. A l'origine, Roger II
entretient de très mauvais liens avec la papauté notamment Honorius II. Lorsque ce
dernier meurt, une crise grave éclate. La papauté est divisée entre Innocent II et Anaclet
II. Roger se range derrière le second. Un accord est passsé : Roger est reconnu roi en
échange de sa reconnaissance d'Anaclet en tant que pape. Roger II est le seul derrière
Anaclet II, à sa mort reste Innocent II qui l'excommunie. Roger capture Innocent II
Accords de Mignano le 25 Juillet 1139, reconnaissance du pape et reconnaissance de
Roger II.
– Saint-Empire de Lothaire III qui aide les révoltés amalfitains contre la domination de
Roger II
– Manuel Ier Comnène très anti-byzantins (Sicile à lui)
– Dans la deuxième croisade proposition d'aide à Louis VII pour passer par la Sicile mais
refus à cause des pressions germaniques et byzantines et vénitiennes
– arsenaux servant à piller les côtes byzantines mais aussi aux attaques en Ifriqya menées
par l'amiral emir des emirs, Geogre d'Anticohe
– arrivée des Almoravides et des Almohades = besoin de se protéger contre des raids

MANTEAU

→ Le manteau lui aussi souligne la dimension extraterritoriale de la politique de Roger II


-forme du manteau = même que celle portée par le pape et les évêques, volonté de se
rapprocher de leur puissance et de se montrer comme l'un des leur
-la production de soie samite étant de Constantinople ou Thèbes cela signifie de bonnes
relations diplomatiques pour en avoir (bien qu'il existe une mésentente)

CHAPELLE PALANTINE

→ Quant à elle, la chapelle présente aussi ce besoin de s'affirmer sur la scène méditerranéenne.
– Bonne relations avec les Fatimides, correspondance entre Roger II et Al-Hafiz.
– Bonne relation avec les Hammadides (influence)

→ Roger affirme donc son autorité dans un contexte de tension avec la pape et des souverains
derrière lui. Il conserve néanmoins quelques bonnes relations comme la chapelle palatine le montre.
b) La « royauté impériale », utiliser les codes impériaux pour légitimer son pouvoir sans brusquer
les puissances impériales voisines

«  métropole des plus illustres de l’univers » l.2


«  Le château est un antique édifice renommé dans tout l’univers,...  » l.11

→ L'utilisation du terme « d'univers » est révalatrice de ce à quoi prétend Roger II dans la


construction de son pouvoir. En effet, il va petit à petit, toucher du doigt le statut impérial pour
s'imposer mais juste assez pour ne pas créer de crise diplomatique avec les empereurs
méditerranéens.
– Normalement le roi chrétien selon le sacre promet d'être garant de la justice et de la paix,
de défendre et respecter l'Eglise, protéger les plus faibles mais va au-delà
– Besoin de légitimité fort car non-acquis c'est un titre tout nouveau (Sicile est un comté)
– Crescendo de la royauté : droits successoraux, conquètes, aval du Pape, réunion des
Barons (élections) puis acclamation par le peuple schéma designatio, consensus,
collaudatio
– Mix de rites germaniques (élection) et de rites romains (acclamation)
– « la royauté impériale » de Gilbert Dargon.
– Palerme capitale impériale, « ville monde » al-Idrisi = se mettre au rang de
Constantinople, de Bagdad ou du Caire

MANTEAU

→ La place du manteau est révélatrice de cette ambition de « royauté impériale »


– cape de celui qui se fait appeler le rex (et non imperator ) et le malik (et non le calife ou
l'émir)
– elle reprend aussi le modèle impérial musulman par ses motifs, son rouge renvoi à la
couleur de l'impérialité romaine
– la décoration en perles et joyaux renvoi aux regalias byzantines, décorées pareil
– la procession en ville, où Roger a pu porter le manteau s'est faite à la byzantine
– proskynèse (uniquement chez les empereurs orientaux)

CHAPELLE PALATINE

→ Dans la chapelle palatine, la représentation de Roger II sur les murs est celle d'un roi mais sa
mise en scène dans la chapelle à quelque chose qui tient des codes impériaux.
– au sol, Roger est placé sur la plus grande plaque de porphyre (marbre rare égyptien)
couleur des empereurs byzantins. Début avec Constantin VII qui en tant que bâtard, se
légitime avec le nom de « porphyrogénete » né de la pourpre, outil politique de
légitimation durable. Les autres plaques de porphyres sont pour le placement des
ministres, les plaques vertes sont pour les autres membres importants de la cour.
– au dessus de Roger, se trouve le Christ pantocrator, le dieu créateur
– références à Alexandre le Grand

→ Ces images impériales une parmi d'autres ce qui ne fait pas franchir la limite. Ils permettent à
Roger II d'imposer sa légitimité chez ses sujets mais surtout au delà des frontières siciliennes dans
le monde méditerranéen. Il faut souligner l’extrême finesse dont à fait preuve la royauté normande
de se légitimer en minimisant au maximum les mécontentements extérieurs.
c) Montrer la place centrale de la Sicile dans le commerce méditerranéen

« Il est couvert de quais magnifiques » l.7


« Quant aux deux autres quartiers, il s’y trouve aussi de beaux [...] marchés couverts. » l.13 à 15

→ Ces passages du texte d’Al-Idrisi, nous indique l'ouverture sur la mer de Palerme et l'intense
activité commerciale de la Sicile. Dans une méditerranée où le commerce va de pair avec la
puissance, il va de soi que Roger II n'a pas oublié cette part importante dans la construction du
pouvoir royal.
– Mer principale interface d'échanges commerciaux au Moyen-Age
– cadre insulaire

MANTEAU

→ Le manteau dans les matériaux employé peut nous donner un riche nombre d'informations sur le
commerce sicilien.
– SOIE : est un monopole commercial impérial byzantin, seules les ateliers impériaux ont
le droit d'en produire (bien que cette règle a été plus ou moins respectée). Venise et
Thèbes ont le monopole du transit. = bonnes liaisons commerciales avec puissances
– PERLES : représente un cadeau diplomatique récurrent. La perle est péchée et on en
trouve pas en Sicile. Mer du Nord, Mer Rouge et Océan Indien. (août et septembre)
transit par l’Égypte par les marchands et bijoutiers juifs, puis marchés aux perles à
Bagdad, Naples, Gênes. Enorme travail pour qu'elles soient toutes uniformes.
Nombreuses hypothèses sur la manière dont elles sont arrivées sur le manteau
– FIL d'OR : couture de la soie = savoir faire byzantin (c'est la couture figurée qui est
difficile), à 97% composé d'or, on retrouve le même chez le roi de Hongrie. Liaison avec
le monde commercial byzantin

CHAPELLE PALATINE

→ Dans la chapelle la présence du porphyre d'origine égyptienne est le signe d'une bonne santé
commerciale avec le califat Fatimide.

CONCLUSION : Face à l'analyse, force est de constater à quel point le besoin de légitimité de la
royauté normande s'étend à tout le monde méditerranéen. Affirmation légale et militaire, emprunt de
codes impériaux, symbolisé la bonne santé commerciale du royaume, tout est bon afin s'inscrire
comme un acteur de premier plan. Par voie de conséquence, la légitimité acquise auprès des
puissances étrangères, permet au roi de s'affirmer auprès de ses sujets.
CONCLUSION :

Nous le voyons donc, le document témoigne d'un grand nombre de choses. La première est
celle d'une installation normande en Sicile dans un territoire anciennement sous domination
musulmane mais surtout dans un espace où un grand large d'héritages et de peuples cohabitent.
Cette division du pouvoir musulman a largement facilité la lente conquête des Normands à la fin du
XIe siècle. Partant de cette situation sociale, le pouvoir normand s'est établi à Palerme et en a fait sa
capitale au détriment de Salerne, l'ancienne capitale comtale. Le centre de gravité du pouvoir
normand change alors de localisation. Après l'installation politique, nous avons vu que les
Normands apportaient avec eux l’Église de rite latin comme on peut le voir avec l'édification de la
Chapelle Palatine. Les documents attestent d'une mise en place pacifique. Une fois installé, il faut
que Roger II gouverne sur des populations aux cultures bien différentes. Pour cela il va jouer des
minorités sociales pour légitimer son pouvoir politique. Cela passe par un entourage cosmopolite et
polyglotte qui permet un équilibre des peuples dans le gouvernement de la Sicile et une
représentation symbolique de tous. Al-Idrīsī est l'un de ces membres. Roger II use aussi des codes
politiques typiques des peuples qui habitent la Sicile notamment les Arabes, Grecs et Latins pour
être le roi de chaque communauté, le roi de chacun de ces sujets. Le roi s'offre encore plus de crédit
avec une intense politique de l'image qui touche au delà des différences religieuses et culturelles.
Nous avons vu également à quel point les documents laissaient transparaître une dimension. La
prétention universaliste de Roger II est clairement soulignée, notamment chez al-Idrīsī. Sa volonté
de s'imposer sur la scène méditerranéenne est une réalité confirmée par les documents. Des
symboles de l'impérialité byzantine ou califale et même germanique sont utilisés pour se légitimer
chez ses sujets et chez le reste des acteurs méditerranéen mais sans se prétendre empereur pour
autant pour ne pas créer des oppositions et par pragmatisme. Enfin, nous comprenons la place
primordiale du commerce dans la royauté normande.

Ainsi les documents nous éclairent sur la créativité politique dont à fait preuve la royauté
normande pour gouverner un domaine aussi éclectique. Il n'y a donc pas une culture normanno-
arabo-byzantine comme pouvait le suggérer le titre de la séance mais des utilisations raisonnées par
le pouvoir politique de traditions issus des trois héritages. Nous remarquons aussi l'intelligence avec
laquelle Roger II a hissé la Sicile dans le jeu méditerranéen, place qu'elle va perdre avec l'ascension
de Frédéric II fils de Constance, la propre fille de Roger II, et d'Henri VI, empereur du Saint-Empire
Romain Germanique. En effet, la Sicile se rattache à l'entité immense de l'empire. Dans le cadre du
Moyen-Age, ces documents montrent non pas une tolérance religieuse comme on peut l'entendre de
façon abusive, mais un exemple de cohabitation. Dans tous les cas c'est une belle contradiction à
l'idée qui affirmerait que le Moyen-Age des croisades est significatif d'un affrontement entre
musulmans et chrétiens.

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