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 Quelle lecture faites-vous de la guerre en Ukraine ? Quelles conséquences pour l’Europe ?

Nous avons beaucoup parlé de l’Ukraine au cours de ces six derniers mois. Surtout bien sûr, après le
déclenchement de l’ « Opération militaire spéciale » des Russes. Les médias occidentaux, les seuls
que nous subissons, présentent l’événement sous l’angle d’une dichotomie hyper-simplificatrice. Il
y a d’un côté le camp du Bien, avec un grand B, de l’autre les suppôts du Mal. Côté russe, les rôles
sont inversés, bien entendu. Henry Kissinger, qui fut l’artisan de l’unipolarité américano-centrée, a
pris des positions inattendues, notamment lors du dernier sommet de Davos. Kissinger s’inscrit dans
la tradition « réaliste » (metternichienne) des relations internationales. Il s’oppose à la tradition
« libérale », dite aussi « institutionnelle » : celle qui se revendique des « règles » (fixées une fois pour
toute et posées comme immuables). Kissinger, comme tous ceux qui prennent en compte les faits
historiques, ne peut se satisfaire de cette fixité et de cette immuabilité de « règles », dont
l’application est forcément arbitraire et subjective. Or, quels sont ces faits historiques à retenir dans
le cas du conflit russo-ukrainien actuel ?

Les Wisigoths, parti de Suède, du Gotland, avaient conquis les bassins de la Vistule, du Dniestr, du
Dniepr et avaient atteint la Volga. Leur empire en gestation a été balayé par l’invasion des Huns à
partir de 375. L’idée qu’ils avaient fait germer était d’unir la Baltique à la mer Noire et à la Caspienne
(via la Volga). On parle depuis d’un axe géohistorique Nord-Sud, axe wisigothique ou varègue car
les Varègues suédois ou Rus –ils ont deux noms- le rétabliront pendant plus de deux siècles : la
Russie de Kiev, dont se réclament surtout les Ukrainiens mais aussi les Russes dans le conflit actuel,
s’étend aux 10ème, 11ème et 12ème siècles de la Baltique (avec les villes de Pskov et Novgorod) aux
rives de la mer Noire. C’est une Russie orthodoxe en gestation à l’Est du royaume polonais des rois
Piast. Elle perdra, sous les coups des nomades turcs Coumans puis des Mongols au 13 ème siècle, la
maîtrise du littoral de la mer Noire. Un Khanat de Crimée prend le contrôle du littoral pontique de ce
qui est aujourd’hui l’Ukraine ; il s’y arcboutera avec l’appui des Ottomans jusqu’à la fin du
18ème siècle. L’effondrement de la « Russie de Kiev » favorise l’éclosion d’une série de petites
principautés de la région de Moscou (avant la fondation de la future capitale russe). Dans le
vocabulaire médiéval européen, cette région s’appellera la « Moscovie ». A la fin du 15ème siècle, Ivan
III libère définitivement du joug tatar/mongol les territoires de la Moscovie, qui, au cours des deux
siècles précédents, s’est considérablement étendue vers le Nord-Est. A l’aube du 16 ème siècle, une
formidable puissance en formation se concentre sur le cours moyen de la Volga, ce qui éveille des
souvenirs chez des marchands scandinaves, dont bon nombre sont devenus anglais. Ils créent à
Londres une « English Muscovy Company », qui incite Ivan IV (dit le « Terrible ») à conquérir tout le
cours de la Volga jusqu’à la Caspienne, afin de restaurer le commerce entre l’Europe du Nord, au
départ d’Arkhangelsk et de la Baltique, et l’Empire perse via la Caspienne. Ivan IV réalise ce projet de
conquête. Le Khanat de Crimée est isolé des Tatars et Mongols d’Asie et se place sous la protection
des Ottomans, alors au faîte de leur puissance. Au même moment, à l’Ouest des territoires contrôlés
par la Moscovie se forme une puissance redoutable, la Pologne-Lituanie des Jagellon, maîtresse de
l’actuelle Biélorussie et de l’Ouest de l’Ukraine.
Ivan IV « le terrible »

La dynamique géopolitique et géo-historique de la région éclot à cette époque, à la charnière des


16ème et 17ème siècles : tant la Moscovie que la Pologne-Lituanie vont vouloir atteindre la mer Noire,
restaurer l’axe Nord-Sud des Wisigoths et des Varègues. Ce double projet crée bien entendu un
antagonisme virulent entre les deux protagonistes, hostiles tous deux aux Tatars du Khanat de
Crimée et aux Ottomans. Mais cet ennemi commun, que l’on veut dépouiller de ses possessions sur
la rive septentrionale de la mer Noire, ne crée pas l’unanimité et ne suscite aucune alliance. Les
guerres se succèderont, aussi contre la Suède qui s’allie à une Pologne-Lituanie en déclin. La bataille
de Poltava (1709) entre Russes et Suédois se solde par la défaite de ces derniers. Pierre le Grand
entame aussi des campagnes pour atteindre la mer d’Azov, espace maritime en lequel se jette le Don,
axe fluvial capital pour la Russie car il lie le large (par la mer Noire) à l’intérieur des terres russes. Cet
espace maritime, dont le contrôle garantit la maîtrise de l’axe du Don, lié à la Volga par un canal, est
sans nul doute l’enjeu majeur du conflit actuel, comme l’atteste la volonté de contrôler la Crimée et
l’isthme de Kertch (avec le pont qui relie désormais la Crimée à la partie de la Russie où se trouvent
des villes importantes comme Novorossisk et Krasnodar), le Donbass comme glacis face à la dernière
portion du Don, de même que l’enjeu non négligeable des ports céréaliers et industriels de
Marioupol et Berdiansk.

Pierre le Grand ne réalisera pas ses vœux de parachever la construction territoriale de son empire, de
« rassembler les terres », comme le dit une expression russe : ce parachèvement sera l’œuvre de
Catherine II (et de Potemkine) qui donnera le coup de butoir final et chassera définitivement les
Ottomans de la rive nord de la mer Noire. En prenant la Crimée, Catherine y fit construire
immédiatement une base navale, celle de Sébastopol. Une flotte russe moderne y mouille, capable à
terme de bousculer les Ottomans, de franchir les détroits (le Bosphore, les Dardanelles) et de
pénétrer dans l’Egée donc dans le bassin oriental de la Méditerranée, espace maritime que les
Anglais entendent contrôler à leur seul profit. En 1791, huit ans après l’inclusion de la Crimée dans
l’Empire de Catherine II, un mémorandum anonyme est remis aux Pitt, le père et le fils, qui
gouvernent alors l’Angleterre. Il s’intitule « Russian Armament », soit « De l’armement de la Russie »,
armement au sens d’armer des navires. Ce document préconise de « contenir » la Russie pour qu’elle
ne puisse jeter son dévolu dans le bassin oriental de la Méditerranée, en Syrie et en Egypte et de
menacer ainsi la futur route vers les Indes car, à Londres, on envisage déjà de creuser un Canal vers
la mer Rouge.

Les dés étaient jetés : si les négociants anglo-scandinaves du 16 ème siècle voulaient libérer le cours de
la Volga pour atteindre la Caspienne et la Perse et donnèrent ainsi le coup d’envoi aux reconquêtes
russes de toutes les terres dominées par les khanats tatars, le pouvoir whig de l’Angleterre de la fin
du 18ème veut une politique inverse, celle de contenir la Russie loin de la Méditerranée. La teneur du
mémorandum adressé aux Pitt en 1791 est bel et bien la première mouture du plan anglais, puis
américain, de damer le pion à la Russie. Bon nombre de guerres qui se déclencheront ultérieurement
en portent la marque : l’alliance implicite de l’Angleterre et de l’Empire ottoman en déclin contre les
interventions de Bonaparte en Egypte, parce que le Tsar Paul I entendait s’allier à Napoléon pour
marcher sur les Indes à partir de ce qui est aujourd’hui le Kazakstan (avec les moyens techniques,
hippomobiles, de l’époque, ce n’était pas possible) ; la prise d’Aden à l’extrémité sud de la mer
Rouge en 1821, pour contrôler cet espace maritime de son extrémité nord (Port Saïd) à son extrémité
sud (Aden) ; la guerre de Crimée pour porter secours aux Ottomans aux abois et c’est en cette guerre
qu’il faut voir l’origine de l’anti-occidentalisme russe, bien exprimé dans le « Journal d’un écrivain »
de Dostoïevski, dont il faut sans cesse recommander la lecture ; l’appui anglais aux Ottomans
harcelés par les Russes et les peuples balkaniques en révolte, ce qui permettra à Londres de
s’emparer de Chypre ; l’opération bâclée et meurtrière lancée par Churchill dans les Dardanelles en
1915, pour arriver à Constantinople avant les Russes ; l’appui des Britanniques aux Russes bla ncs
dans l’espoir de scinder la Russie en deux et d’avoir un gouvernement rouge dans l’ancienne
Moscovie médiévale et un gouvernement blanc en Crimée et en Ukraine ; l’appui français et anglais à
la Pologne de Pilsudski qui, en 1920-21, qui ne cachait pas ses intentions de reconstituer la
communauté polono-lituanienne contre la Russie et en englobant au moins une bonne moitié de
l’Ukraine ; les efforts de Lord Curzon de consolider un « cordon sanitaire » entre l’Allemagne et la
Russie qui venaient de signer les accords de Rapallo en 1922 ; le lâchage du gouvernement polonais
de Londres pendant la seconde guerre mondiale pour se servir du sang des soldats de l’armée rouge
pour tuer le « cochon perçu comme le plus dangereux » ; le soutien contradictoire, par après, à des
dissidences visant à restaurer le rêve impérial de Pilsudski ; toutes les manœuvres pro-ukrainiennes
après la chute du Rideau de fer, comme l’activation de la révolution orange en 2004 et de toutes
les autres révolutions de couleur selon les stratégies mises au point par Gene Sharp et, enfin, le
coup de Maïdan de 2014, avec l’appui du bateleur parisien habituel, BHL.
Des acteurs de la fameuse « révolution orange » de 2004, téléguidée depuis Washington.

Le but n’est pas de libérer l’Ukraine, qui mériterait pourtant bien de se relever et de redevenir un
grenier à blé pour le monde, comme l’est aussi la Russie des mêmes terres
noires (tchernozeml), notamment celles du Kouban. Une Ukraine libérée aurait bien mérité de voir
le jour, en accord avec sa propre vision nationale, qui serait une Ukraine paysanne, qui aurait
rendu nulles et non avenues les politiques de « dé-koulakisation » de Staline et les aberrations de
la politique agricole soviétique avec les théories abracadabrantes de Lyssenko. Au lieu de cela, le
gouvernement de Zelenski envisage de vendre les terres riches, les terres à blé et à maïs de
l’Ukraine, à trois entreprises américaines dont on connaît les stratégies calamiteuses ailleurs dans
le monde, notamment en Afrique : Monsanto, Dupont et Cargill. On passera donc d’une
paysannerie « dé-koulakisée » et « kolkhozisée », non libre, à une paysannerie esclave de ces trois
entreprises américaines. L’idéal ukrainien d’une paysannerie libre, débarrassée des horreurs
soviétiques, ne se réalisera pas, ou trop partiellement. Catherine II, en conquérant la
« Novorossiya », quasi contrôlée entièrement aujourd’hui par l’armée russe de Poutine, avait
accordé la liberté à tous les paysans qui s’installaient sur ces terres nouvelles, quelle qu’ait été leur
nationalité, russe orthodoxe, ukrainienne, allemande, bulgare ou grecque (des Grecs d’Anatolie
échangés contre des Tatars souhaitant demeurer fidèles aux Ottomans). Cet idéal paysan était
consubstantiel aux habitants de l’Ukraine et de la Novorossiya. De même, au Kouban, avec leurs
célèbres cosaques. L’idéal de liberté s’était dressé contre les Polonais, qui ne le respectaient pas, et
contre les Soviétiques qui l’avaient détruit provoquant des famines effroyables, l’Holodomor, qui, soit
dit en passant, n’a pas frappé seulement l’Ukraine mais aussi le très vaste espace russe, dont le
Kouban voisin du Donbass, le territoire du cours inférieur de la Volga et le Kazakstan (Arthur Koestler
en fut le témoin et cela contribuera à le détacher du communisme, idéal de sa jeunesse).

Aujourd’hui, les enjeux sont donc, comme je viens de le dire, la Crimée, la mer d’Azov, le cours
inférieur du Don et le Donbass. Mais il y a plus important : la possibilité pour les Européens, les
Russes et les Chinois (et accessoirement les Indiens et les Iraniens) de créer les voies de
communication terrestre entre l’Atlantique et le Pacifique, entre l’océan Indien et l’Arctique. Ce
projet est vieux : il était implicite dans les conseils que donnait le philosophe, diplomate et
mathématicien Leibniz à Pierre le Grand, Tsar russe. L’explorateur danois Vitus Bering avait exploré
l’Arctique pour le compte des tsars. Les Chinois d’aujourd’hui ont réactivé le projet de Leibniz en
lançant le fameux « Belt and Road Project », autrement dit les fameuses « routes de la soie ». Pour
ne pas entièrement dépendre de ce projet chinois, Poutine a scellé plus récemment un accord avec
les Indiens et les Iraniens pour constituer le « Corridor international de Transport Nord-Sud », qui
partirait d’Inde, passerait par l’Iran et l’Azerbaïdjan (projet ferroviaire) puis par la Caspienne et la
Volga (projet maritime et fluvial) et réaliserait les vœux de l’ « English Muscovy Company » du
16ème siècle. Les guerres qui se déroulent aujourd’hui visent à ruiner ces projets de construction de
voies de communication terrestre, telles le choc entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie en septembre-
octobre 2020, les sanctions contre l’Iran (qui relèvent d’une guerre hybride ou d’une guerre de
quatrième dimension), les tentatives de déstabiliser le Kazakstan en janvier 2022 et, enfin, le
déclenchement du cataclysme ukrainien en février de cette année. Les puissances anglo-saxonnes
avaient inscrit leur idéal de liberté dans la nécessité de proclamer la liberté des mers, dès le
17ème siècle (et en dépit des trois guerres anglo-hollandaises). Avec cette liberté des mers, elles se
sont donné la capacité d’intervenir partout dans le monde, de se doter d’une force de frappe
ubiquitaire et de favoriser des blocus afin d’affamer les populations. L’organisation des
communications terrestres par les puissances continentales, qui, ipso facto, en y procédant,
réclament la « liberté des terres » leur permettrait d’échapper à l’arme par excellence des
thalassocraties : la naissance de la géopolitique endiguante, codifiée par McKinder d’abord, par
Spykman ensuite, se justifiait, aux yeux des stratégistes britanniques puis américains, par la mise en
œuvre du chemin de fer transsibérien en 1904 sous le règne du pauvre tsar Nicolas II, qui finira
massacré par les Bolcheviques. Le Transsibérien permettait d’acheminer des troupes rapidement
d’un point de l’empire continental russe à un autre, conférant enfin une rapidité déterminante à ses
armées en cas de guerre, ce qui n’avait pas été le cas lors de la Guerre de Crimée et avait permis la
victoire anglo-française. La donne changeait, ce qui alarmait les stratégistes londoniens comme le
« Corridor de transport international Nord-Sud » alarme aujourd’hui les stratégistes d’Outre-
Atlantique.

La guerre en Ukraine coupe les lignes de communication entre l’Europe et l’Asie. À qui profite le
crime ?
La guerre d’Ukraine sert donc à bloquer le « Corridor de Transport International Nord-Sud » et son
couplage au système du Don et de la Volga. Cette grande voie de communications terrestres,
ferroviaires, maritimes et fluviales raccourcit considérablement le trajet entre la Chine et l’Europe ou
entre l’Inde et l’Europe, réduit le rôle du Canal de Suez (qui, de toutes les façons, est engorgé), relie
l’océan Indien et l’Arctique, et les ports arctiques à Hambourg, Rotterdam et Anvers, ce qui explique
le peu d’enthousiasme des Allemands et des Bénéluxiens pour la guerre par procuration menée par
les Américains, les Britanniques, les Polonais et les Français contre la Russie en pariant sur le sang des
pauvres soldats ukrainiens. L’Occident, c’est bien la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, avec
leurs habituels mercenaires polonais d’obédience géopolitique jagellonnienne et pilsudzkienne, qui
seront la seconde réserve de chair à canon. Ce sont ces trois puissances qui représentent la
« révolution atlantique », autrement dit l’Occident moderne, post-médiéval, post-gothique,
comme aimait à le dire mon professeur d’histoire, Jean-Philippe Peemans, par ailleurs critique incisif
des menées néolibérales. Ces trois puissances sont en marge de l’Europe et face à elle : elles
veulent sa mort, son insignifiance politique. Elles ont pour ADN théologico-idéologique
l’iconoclasme des calvinismes anglo-hollandais du 16 ème siècle, la violence politique de Cromwell, la
sublimation hypocrite et cauteleuse de cette violence dans l’idéologie whig et la violence des
jacobins et des sans-culottes de la révolution française : autant d’ingrédients destructeurs,
volontairement et méchamment destructeurs, qui ont été recyclés au cours de ces cinq dernières
décennies par le néolibéralisme détricoteur et déconstructiviste, par la camelote idéologique de la
« nouvelle philosophie » d’un BHL, par l’idéologie woke et gendériste et par une interprétation
déconstructiviste des droits de l’homme amorcée sous Carter et parachevée sous Clinton, poursuivie
par son épouse qui la prolonge de manière de plus en plus hystérique dans le contexte de la politique
intérieure américaine et dans les débats sur la politique extérieure agressive des Etats-Unis dans le
monde.

La guerre en Ukraine a permis également aux Etats-Unis de consolider leur présence, par le biais de
l’OTAN, dans la Baltique et à proximité de la mer Blanche en lisière de l’Arctique par l’adhésion de la
Suède et de la Finlande à l’alliance atlantique. La disparition des deux états neutres est une calamité
en Europe : il ne reste plus aucun espace de neutralité, à part la Suisse, l’Autriche et la Serbie mais
les deux premières voient leur statut de neutre écorné et amoindri dans le contexte actuel. Une
vaste zone neutre au centre de l’Europe, du Cercle polaire arctique à la Grèce, appelée à s’élargir,
aurait pu garantir un processus graduel mais sûr de pacification après la chute du Mur de Berlin. Un
tel processus n’est plus possible, ce qui est une catastrophe pour l’Europe et dont les effets seront
désastreux dans les toutes prochaines décennies.
L’OTAN pousse toujours plus à l’Est

En plus, l’enjeu de la guerre en Ukraine est de réactiver la guerre contre l’Allemagne. Leibniz disait
que les deux espaces de haute civilisation, l’Europe et la Chine, devaient être reliés par un pont et
que ce rôle de « pont » devait logiquement échoir à la Moscovie. L’Allemagne actuelle a pour
premier partenaire commercial la Chine et pour premier fournisseur d’énergie, la Russie. Elle est
donc, et avec elle toute l’Europe, incluse, qu’on le veuille ou non, dans une « triade » germano-
russo-chinoise, vœu des conservateurs-révolutionnaires et des nationaux-révolutionnaires de
l’époque de la République de Weimar, dont Ernst Jünger et surtout, un homme demeuré inconnu
dans l’espace linguistique francophone, Richard Scheringer, avocat de liens consolidés avec la
Chine, tout comme Hergé l’était, avec son ami Tchang en Belgique. Sur la place de Paris, on trouve
aujourd’hui de belles brochettes d’urbains blafards et bavards qui se gargarisent des propos
philosophiques d’Ernst Jünger mais qui ne comprennent rien, strictement rien, à sa volonté bien
arrêtée de construire la « triade », de lire les plans quinquennaux soviétiques et de soutenir les
architectes allemands qui construisaient les villes nouvelles soviétiques loin des littoraux contrôlés
par les puissances thalassocratiques et occidentales. La triade, tacitement, silencieusement, était
devenue une réalité géo-économique bien tangible dans les deux premières décennies du
21ème siècle : l’Occident déconstructiviste, iconoclaste, entend la détruire ; c’est la guerre actuelle
en Ukraine dont le premier perdant est l’Allemagne et tout son hinterland européen (surtout
l’Italie). Plus d’énergie, à la grande joie des bourriques et des cinglés « écologistes » qui la
gouvernent depuis le départ sans gloire de la mère Merkel. Plus de débouchés commerciaux valides :
seule perspective, la ruine. Il y a tout lieu de croire que le premier ennemi réel (et non
nécessairement déclaré) de l’Occident était l’Allemagne donc l’Europe. Mais les vieux bavouilleux
pseudo-jüngeriens et les jeunes perroquets qui les singent n’y voient goutte : ils recourent aux forêts,
prétendent-ils, font un petit tour parmi les chênaies les plus proches (à condition qu’elles soient bien
entretenues par les « Eaux & Forêts »), voient un écureuil batifoler à la recherche de glands et,
hourra, ils se sentent anarques et non conformistes, rebelles impavides, éminemment supérieurs à
leurs contemporains et traitent de beauf votre serviteur qui a le souci bien trivial de songer à l’avenir
économique de l’Europe.

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