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TRACES

n° 14 BELGIQUE - BELGIË
P.P.
Décembre BRUXELLES X
2014 1/9464

DE MÉMOIRE
PÉDAGO GIE ET TR ANSMISSION
CENTRE D’ÉTUDES ET DE DOCUMENTATION
« MÉMOIRE D’AUSCHWITZ » ASBL
| TRIME STRIEL N°14 | O CTOBRE – NOVEMBRE – DÉCEMBRE 2014
| BUREAU DE DÉPÔT : BRUXELLE S X | N° AGRÉGATION P 801056

SOMMAIRE

ACTUALITÉ
La Belgique pendant la
Première Guerre
mondiale : entre fait et
fiction. Entretien avec
Sophie De Schaepdrijver
p. 2

INTERROGATION
En marge de la mémoire :
le monde arabe et
sa participation à la
Première Guerre mondiale
(1910-1922) p. 7
© Ph. M.

Application pédagogique p. 11
c Intérieur du musée
APPROFONDISSEMENT ACTUALITÉ In Flanders Fields à Ypres.
Victimes, ou
« subversifs » ? La
représentation des
disparus dans la presse La Belgique pendant la
argentine au lendemain de
la dictature p. 12 Première Guerre mondiale :
Application pédagogique p. 17

VARIA p. 19
entre fait et fiction
n Sophie De Schaepdrijver parle de l’histoire et de la mémoire de la Première
Guerre mondiale en Belgique.
Éditeur responsable
Henri Goldberg
w Lire page 2
ASBL Mémoire d’Auschwitz
65, rue des Tanneurs – 1000 Bruxelles
ACTUALITÉ

LA BELGIQUE PENDANT
LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE b 

Entre fait et fiction


Nouvelle
scénographie
du musée
de la tour de l’Yser
à Dixmude.
Mai 2014.

nSophie De Schaepdrijver (Penn State University) est spécialiste de l’histoire


sociale et culturelle de la Première Guerre mondiale et de l’occupation et l'auteure de
De Groote Oorlog. Het Koninkrijk België tijdens de Eerste Wereldoorlog [La Grande Guerre.
Le Royaume de Belgique pendant la Première Guerre mondiale] (1997), qui a été republié
l'année dernière par Houtekiet. À l'occasion du centième anniversaire du conflit, Sophie De
Schaepdrijver parle de son travail, de l'écriture de l'histoire de la guerre, des faits et de la fiction,
de la vérité et du mythe et de l'utilité des commémorations1.

© Ph. M.
P
réforme de l’enseignement de l’histoire de la situation linguistique sur l’Yser. Mais, (1) Sophie De Schaepdrijver a également publié
en 2013 Erfzonde van de twintigste eeuw. Notities
ourriez-vous, en guise d’avoir choisi un domaine aussi large. À [Sophie De Schaepdrijver est née en 1961, pour autant, on peut le reconnaître sans bij 14-18 [Le péché originel du XXe siècle. Notes sur
d’introduction, rappeler l’époque, on n’attendait nullement d’un ndlr]. Je n’hésite pas à dire que l’histoire fut faire appel à des mythes. On peut fort 14-18], avec une sélection d’articles traduits. Elle
est aussi co-auteur et présentatrice de Brave little
brièvement votre par- historien actif en Belgique de s’attaquer à alors entièrement refondue, et que pen- bien décrire le régime linguistique, tant sur Belgium, un documentaire en quatre parties diffusé
cours professionnel et indiquer quand un sujet aussi vaste. Si j’étais restée toutes dant mes six ans d’enseignement secon- le front de l’Yser que dans les territoires par la VRT (Canvas) en août 2014. Elle a reçu la
Médaille d’honneur d’or du Parlement flamand en
vos recherches se sont focalisées sur la ces années en Belgique, je n’aurais jamais daire je n’ai strictement rien appris. Tout occupés, d’une façon bien plus complexe 2013 et a été nommée Commandeur de l’Ordre de la
Première Guerre mondiale ? pu écrire ce livre. ce qu’on m’a enseigné, ce sont ces mythes. et intéressante, en s’appuyant sur toute Couronne en 2014.
Sophie De Schaepdrijver : En fait, Par exemple, que sur l’Yser des soldats fla- l’histoire sociale et culturelle4. Je n’ai donc (2) Henri Pirenne, La Belgique et la Guerre mondiale,
Paris & New Haven, 1928.
j’ai une formation d’historienne en socio- Quel était le paysage universitaire mands mouraient parce qu’ils ne compre- pas commencé avec l’idée préconçue de
(3) Flamenpolitik en aktivisme. Vlaanderen tegenover
économie. J’ai commencé mes études à belge quand vous avez commencé vos naient pas les ordres donnés en français. dynamiter la version traditionnelle, mais België in de Eerste Wereldoorlog [Flamenpolitik et
la VUB (Vrije Universiteit Brussel), puis j’ai recherches ? Et quelle était donc la norme J’y croyais dur comme fer, puisque on me qui l’étudie débouche sur une vision plus activisme. La Flandre face à la Belgique durant la
Première Guerre mondiale], Louvain, Davidsfonds,
passé mon doctorat à Florence, à l’Institut concernant la Grande Guerre ? l’avait répété pendant des années. Quelle nuancée, où il n’est pas aisé de distinguer le 1974.
universitaire européen. J’y ai fait une solide S.D.S. : Lorsque j’ai commencé mes ne fut pas ma surprise lorsque je découvris blanc du noir. (4) Dans son ouvrage, Sophie De Schaepdrijver
© Ph. M.

recherche quantitative, comme c’était l’ha- recherches, peu d’historiens s’intéressaient que c’était au fond un mythe – comme il y reconnaît en effet l’unilinguisme de l’armée belge,
tout en avançant que celui-ci n’empêchait pas
bitude dans les années 1980. Au début, je vraiment à la Grande Guerre. Les temps en avait tant d’autres. Revenons au début du XXe siècle. la traduction ou la compréhension des ordres
ne pensais pas me focaliser sur la Première ont heureusement changé. À l’époque, ne Quelle est la position de la Belgique sur la militaires donnés aux soldats. D’après ses analyses,
les revendications linguistiques du Mouvement
Guerre mondiale. Après mon séjour à Flo- Vous avez écrit l’ouvrage de réfé- faisaient vraiment autorité que La Belgique Ces mythes, ces légendes, cette doxa scène internationale entre 1905 et 1914, à Flamand étaient peu présentes dans l’esprit de
rence, je ne pouvais pas revenir en Belgique, rence sur la Grande Guerre en Belgique, et la Guerre mondiale d’Henri Pirenne2 et communément reçue sur la Première la veille du déclenchement de la Première la plupart des soldats flamands. Voir également
son entretien avec Michiel Leen , « Als morgen
ce n’était pas évident ces années-là mais alors que depuis 1983 vous ne vivez plus l’étude du professeur de Louvain Lode Wils Guerre mondiale, vous les infirmez sys- Guerre mondiale ? de salafisten hier binnenvallen, laten we hen dan
heureusement j’ai trouvé du travail aux Pays- en Belgique. Comment vivez-vous cette sur la politique flamande menée par l’occu- tématiquement. S.D.S. : En fait, pas très différente de begaan ? », 2013, www.knack.be/nieuws/boeken/
als-morgen-de-salafisten-hier-binnenvallen-laten-
Bas, d’abord à Amsterdam, puis à Leiden. situation particulière d’observatrice en pant3. Ces deux livres m’ont profondément S.D.S. : Écoutez, je ne songeais nulle- celle des Pays-Bas, en ce sens que les deux we-hen-dan-begaan-sophie-de-schaepdrijver/article-
C’est là que j’ai commencé à préparer mon fait « externe » ? marquée, car ils allaient à contre-courant ment à déconstruire toutes ces représen- États étaient neutres. Que tous deux pos- interview-114834.html [ndlr].

livre sur la Première Guerre mondiale. Ma S.D.S. : Eh bien, cela donne une cer- de la doxa d’alors. Qui, comme moi, allait à tations, à les dynamiter. Mais j’ai constaté, sédaient un grand empire outre-mer, et
vie avait entretemps changé de cours, et je taine liberté. J’ai pu choisir quelles influences l’école en Flandre, subissait inévitablement chemin faisant, que certaines méritaient qu’ils étaient tous deux devenus immensé-
suis partie aux États-Unis. C’est là que j’ai ter- j’écoute, et quelle sera mon approche. l’influence d’un amalgame de mythes et d’être plus nuancées qu’on ne me l’avait ment riches. La Belgique était même la cin-
miné, au cours de la première année de mon Quand j’ai commencé mes recherches sur de représentations de la Grande Guerre. enseigné. Comprenez-moi bien, je ne quième puissance commerciale du monde.
séjour, mon ouvrage sur la Grande Guerre. la Grande Guerre, je me félicitai surtout N’oubliez pas que je suis un produit de la conteste pas l’injustice flagrante, grotesque, Comme de juste, elle n’avait jamais rallié un Suite p.4 w

2 TRACES DE MÉMOIRE N°14 – DÉCEMBRE 2014 3


ACTUALITÉ

w Suite de la p.3 Le vécu de la Belgique des hommes sont au front, en Angleterre


60 %, contre seulement 20 % en Belgique !
des deux camps rivaux. Elle était un petit pendant la guerre est à Les 80 % qui ne servent pas sont réfugiés à
pays guère armé, qui d’ailleurs se voulait l’étranger ou vivent en civils dans les terri-
ainsi, mais qui demeurait pour autant très
l’évidence autre que celui toires occupés. C’est une tout autre situa- b 
Musée de
attaché à son indépendance. Une indépen- des autres belligérants. tion, qui annonce à bien des égards celle la tour de l’Yser
dance garantie par sa neutralité. Un état de que connaîtra une grande partie de l’Eu- à Dixmude.
fait qui perdurait en fait depuis le Moyen- Chez eux, il y a le front rope pendant la Seconde Guerre mondiale. Mai 2014.
Âge : les Pays-Bas, au sens large du terme, et l’arrière, mais On peut en effet y voir une préfiguration
formaient un ensemble de cités n’ayant de l’avenir, mais à l’époque c’est marginal. Et
jamais appartenu à une autre puissance, la Belgique, elle, est c’est pourquoi la Belgique offre un cas inté-
en tout cas pas vraiment. Il en allait encore ressant, plein d’enseignements sur la dyna-
presqu’entièrement
ainsi en 1905-1910. mique de la violence et de l’oppression, sur
occupée. les rapports entre la population civile et
« Poor little Belgium », comme ses élites avec l’occupant, sur les diverses

© Ph. M.
l’appelait volontiers la presse anglaise, formes que peut prendre le modus vivendi
se retrouva dans une certaine mesure tion belge aux négociations de paix n’obtint qui s’établit dans cette période.
marginalisée après la guerre. Que s’était- pas tout ce qu’elle souhaitait. Notre pays La situation au front est également
il donc passé lors des négociations de fut très déçu de voir le peu de compré- différente de celle d’autres pays. L’armée
Versailles ? hension manifesté dans les négociations belge est une des rares à ne plus avoir le œuvré dans l’ombre deviennent les héros trente et, finalement, dans les années qua- violence, à l’image de la guerre comme
S.D.S. : L’idéal d’un ordre juridique internationales pour les problèmes spéci- moindre contact avec l’arrière, car celui-ci de l’après-guerre. rante, il entraînera un grand nombre de une fatalité.
international gagna en force pendant la fiques d’un pays qui, pendant quatre ans, est occupé. C’est une armée qu’on pourrait ces hommes à choisir la collaboration. Se S.D.S. : L’image que nous donnent
guerre. On pensait qu’un État n’avait pas avait été occupé, surexploité et démantelé. qualifier orpheline, qui pendant quatre ans Peut-on placer l’histoire du Mouve- crée ainsi un substrat de ressentiments et aujourd’hui les musées, les bandes des-
le droit de redessiner la carte de l’Europe D’autres pays avaient pu s’adapter à une se bat sans contact avec l’arrière. L’expé- ment Flamand dans le contexte spéci- de rancœurs né des choix de la première sinées, les films, ou même les comédies
pour la seule et unique raison que sa force économie de guerre, qui d’ailleurs – par rience belge pendant la guerre, c’est une fique de l’occupation ? occupation. musicales est, en effet, dans la plupart des
lui en donnait la possibilité. On jugeait une ironie de l’histoire – se révéla bénéfique expérience très différente de celle à laquelle S.D.S. : Le simple fait de l’occupation Il ne faut pas croire pour autant que le cas, celle d’une guerre absurde, de toute
donc comme un crime l’agression perpé- pour l’industrie lourde. Ce n’était pas le cas on songe spontanément quand on évoque a certainement influencé l’histoire de ce sentiment anti-belge est inhérent au Mou- une génération forcée d’y participer. D’une
trée par l’Allemagne impériale. La Belgique pour la Belgique, dont la sidérurgie a été 14-18. mouvement. Et qu’une grande partie des vement Flamand. À cet égard, je partage interminable boucherie. Personne ne peut
jouait dans cette optique un rôle très par- pratiquement démantelée : le pays devait hommes en âge de porter les armes n’a pas entièrement la thèse que le professeur Wils en nier l’horreur, mais on ne peut la com-
ticulier, car elle avait, nation neutre, refusé immédiatement reconstruire, mais on ne Cette expérience a-t-elle influencé le combattu sur le front et qu’elle est restée fut le premier à défendre. Plus on étudie les prendre si on la considère d’un point de
le passage sur son territoire aux armées lui en donnait pas les fonds nécessaires. On culte du héros en Belgique ? dans les territoires occupés a incontestable- sources belges et allemandes, plus cette vue radicalement pacifiste. Une approche
allemandes attaquant la France. Un choix comprend aisément notre amertume en S.D.S. : C’est certain, en Belgique, le ment joué un rôle important. Certains ont thèse se confirme. Je ne crois pas que l’on plutôt stérile pour un historien. Il ne faut
dangereux, mais qui lui assura un certain 1918. héros est un civil. Un espion, par exemple, absolument voulu passer à l’acte, l’occu- puisse parler de l’émergence en Belgique pas oublier que, d’une façon ou d’une autre,
prestige à l’étranger. ou quelqu’un actif dans la presse clandes- pant leur en a fourni des occasions, notam- de deux camps antagonistes chez les histo- une grande partie des soldats souscrivaient
Ce prestige du martyre de la Belgique C’est vrai, l’histoire de la Belgique tine. Il y a là d’ailleurs une exception belge : ment en encourageant puissamment, en riens, mais je reconnais que, implicitement, à cette guerre. Ce n’est pas qu’ils étaient
s’effaça à mesure qu’apparaissait toute pendant la guerre est très particulière. d’autres régions d’Europe – le nord de la pleine guerre, la création d’une université un certain clivage se dessine entre ceux animés par un patriotisme exalté, ni qu’ils
l’étendue de l’hécatombe qui frappait Vous avez choisi de l’appréhender « à France, la Pologne, les territoires baltes, la néerlandophone à Gand. Nombre de pour qui la Belgique est une communauté aimaient la vie dans les tranchées, bien au
toutes les armées en lice, que tombaient partir de la base », en vous concentrant Serbie – ont connu l’occupation, mais ce jeunes gens avaient le sentiment de pou- de destin et ceux qui se focalisent plutôt contraire. C’est bien là le grand mystère de
des centaines, des milliers, des millions de sur le vécu et les problèmes de la popu- n’est qu’en Belgique que se développe une voir enfin agir. Certes, c’était une forme de sur les lignes de rupture au sein de la com- la Première Guerre mondiale : qu’est-ce qui
morts. La Belgique fut relativement épar- lation civile dans les territoires occupés. florissante presse clandestine. Durant une collaboration, mais ils y voyaient, eux, un munauté belge en temps de guerre. Cela motivait tous ces hommes pour conti-
gnée, si l’on peut dire, car elle compta à la Quelles vues offre cette approche ? certaine période, on y compte plus de 70 acte de courage, justement parce que leur entraîne une autre approche de l’histoire. nuer le combat ? Tels des archéologues,
fin de la guerre 40 000 soldats tombés au S.D.S. : Le vécu de la Belgique pendant périodiques différents, qui publient des entourage ne les approuvait pas toujours. nous cherchons les vestiges d’une culture
front, ce qui est beaucoup, mais sans com- la guerre est à l’évidence autre que celui des caricatures et des poèmes. Une activité qui Ayant agi, ayant choisi, il leur fallait se jus- Aujourd’hui nos commémorations ne aujourd’hui disparue, les lettres, les jour-
mune mesure avec les pertes françaises ou autres belligérants. Chez eux, il y a le front et n’est pas sans danger : on n’y risque peut- tifier, et nous voyons se développer une rappellent que rarement qu’à l’époque les naux intimes, les artefacts qui doivent nous
anglaises. Sur les hommes en âge de porter l’arrière, mais la Belgique, elle, est presqu’en- être pas la mort, mais la prison. À cet égard, sorte de contre-patriotisme, un très puis- deux camps ont approuvé la guerre, que permettre de reconstruire ce monde. Et
les armes, la Belgique en perdit un sur cin- tièrement occupée. La majorité des Belges, la Belgique constitue bien un cas unique. sant sentiment anti-belge (on parlera par- des hommes furent volontaires pour aller nous voyons que les soldats pour une part
quante, tandis que la France en perdait un y compris les hommes en âge de porter les Cette presse clandestine engendre un vaste fois d’anti-belgicisme). Il subsistera dans les se battre. Elles s’attachent plutôt à l’idéal
sur six. Cela explique pourquoi la déléga- armes, n’est pas au front. En France, 90 % culte «patriotique» du héros. Ceux qui ont années vingt, se renforcera dans les années de la paix, à la condamnation de toute Suite p.6 w

4 TRACES DE MÉMOIRE N°14 – DÉCEMBRE 2014 5


ACTUALITÉ INTERROGATION

w Suite de la p.5 dans toute son horreur, mais aussi dans


toute sa complexité, comme vous l’avez
convaincre. La fiction ne doit pas chercher
à prescrire ce que nous devons sentir. EN MARGE DE LA MÉMOIRE
Le monde arabe et
acceptaient la guerre, mais pour une part souligné vous-même ? Les grands musées
aussi combattaient sous la contrainte. Ce européens ont élaboré leurs formes de Que dire en conclusion ? La com-
ne fut nullement une génération apathique représentation, ils ont fait des choix scé- mémoration en 2014-2018 va certaine-

sa participation à la Première
et sans volonté ! A mes yeux, une telle nographiques différents, souvent remar- ment nous confronter, une fois de plus,
approche est mille fois plus intéressante, quables. Quelle forme muséale vous à ces mythes et ces idées que vous avez
parce que nuancée. paraît la mieux convenir pour rendre la voulu déconstruire dans vos ouvrages.

Guerre mondiale (1910-1922)


réalité de la guerre ? Pensez-vous que cette commémoration
Vous évoquez volontiers ces lettres, S.D.S. : En Europe de l’Ouest, c’est donnera quand même l’occasion de
ces journaux intimes qui illustrent la incontestablement l’Historial de la Grande rompre avec les schémas traditionnels
vie quotidienne des Belges pendant la Guerre de Péronne qui a mes préférences, de la recherche ?
guerre – et pendant l’occupation. Ces car sa muséographie demeure distanciée. S.D.S. : La commémoration offre, par le
sources furent-elles importantes pour J’en apprécie l’idée sous-jacente : nous ne biais des expositions, des musées, des acti- n Les commémorations du centenaire de la
vos recherches ? savons pas exactement ce qu’était la culture vités, une excellente occasion d’un aggior- Première Guerre mondiale ont officiellement débuté en
S.D.S. : Sans sources, point d’historien ! des tranchées, comment les gens ont vécu namento de la recherche. Nous constatons, juillet 2014. C’est surtout le front occidental (Belgique et nord
Mais on observe une évolution dans le type la guerre, quelle était la mentalité à l’ar- à l’évidence, la formation structurelle d’une de la France) qui a retenu l’attention : les efforts de guerre du
des sources qui sont utilisées. Fort long- rière – nous ne le savons pas. Cela reste un expertise dans notre pays. Des deux côtés
temps l’histoire fut une science qui étudiait mystère, et c’est pourquoi nous adoptons de la frontière linguistique – qui d’ailleurs
monde arabe restent largement absents du débat public. Dans
les « grands documents » : traités, corres- une certaine distance. Historienne, j’essaie dans ce domaine ne l’est plus guère – on cet article de synthèse, l’historien Fabian Van Samang analyse
pondances des grands personnages. Depuis toujours de reconnaître nettement ce que s’intéresse à des thèmes longtemps négli- plus en profondeur l’implication du monde arabe dans la
les années 1960 s’y ajoutent des sources j’ignore. Et c’est bien ainsi que j’ai conçu l’ex- gés, par exemple l’espionnage dans la Bel- Première Guerre mondiale et les conséquences géopolitiques
plus modestes : chroniques villageoises, position à Bruges6. Péronne a opté pour des gique occupée, ou le ravitaillement. C’est qui en ont résulté.
journaux du front, lettres de soldats ou de salles blanches, des présentations sobres. aujourd’hui que se créent les conditions de
leurs femmes, journaux intimes de ceux L’exposition n’affirme pas d’emblée ce qu’il sérieuses recherches historiques dans les
de l’arrière… Les bulletins paroissiaux des convient de penser. L’émotion s’y exprime années à venir, d’autant plus que les sources
années 1914-1918, par exemple, sont riches dans l’ellipse, l’abstrait, la distance. On le sont devenues bien plus accessibles. N’ou-

1.

© DR
d’enseignements, car les curés décrivent le perçoit aussi dans les plus beaux poèmes, blions pas que, dans ce domaine, nous reve- Le « monde arabe » (tels que les chrétiens libanais maronites) ne
quotidien de leurs communautés locales. ceux qui ne vous surchargent pas d’émo- nons de loin. n et l’Empire ottoman sont donc pas nécessairement musulmans c 
Certes, l’image qu’ils en donnent est sou- tions, qui ne vous commandent pas d’être (si on applique le principe de territorialité) The great caliphs, ouvrage d’Amira
vent biaisée, mais l’information demeure immédiatement ému, hic et nunc. Cela Philippe Mesnard, Délimiter avec précision la notion de et bon nombre de musulmans (comme Bennison, décrit l’essor politique,
Directeur de l'ASBL Mémoire d'Auschwitz culturel, social et scientifique sous
très intéressante5. Il fut longtemps difficile vaut autant pour un bon musée. Certes, sa « monde arabe » n’est pas une tâche aisée. les Indonésiens ou les Pakistanais) ne sont le règne des Abbasides (750-1258).
Anneleen Spiessens, UGent
d’accéder à ces sources subalternes, mais didactique doit être solide, il se doit d’expli- Dans la signification la plus stricte du terme, pas des Arabes (si on préfère un critère reli-
Traduction : Jean Raoul Mengarduque
aujourd’hui elles sont de plus en plus sou- quer. Il ne suffit pas d’exposer des objets, « arabe » ne désigne que la péninsule Ara- gieux). Bon nombre de musulmans parlent
vent exploitées, accessibles, et elles s’ins- en laissant au visiteur le soin d’en trouver la bique, dont les habitants – qui ont en com- arabe, mais beaucoup d’autres (comme les
crivent ainsi dans la mémoire collective. signification. Un équilibre difficile à réaliser, La version intégrale de cet entretien a été
mun une langue sémitique (l’arabe) – sont musulmans turcs ou iraniens) pratiquent principalement l’arabe qui a été parlé dans
Une observation toutefois : on ne peut je le reconnais, mais, pour ma part, je pré- publiée dans la revue Témoigner entre appelés « Arabes ». C’est là que l’islam a une autre langue (critère linguistique). les institutions religieuses et politiques et
utilement les comprendre telles quelles, il fère une approche distanciée. histoire et mémoire, n° 118. L’enregistrement vu le jour au septième siècle de l’ère chré- Enfin, un grand nombre de musulmans où la culture a été largement uniformisée1.
vidéo de l’interview est disponible
faut savoir lire entre les lignes, comme un La fiction peut aussi constituer une sur le site de la Fondation Auschwitz : tienne. Au cours des siècles suivants, les dis- (comme ceux d’Égypte ou de Tunisie) Du quinzième au début du vingtième
anthropologue étudie une culture. Que dit forme de représentation. J’aime les romans www.auschwitz.be. ciples du prophète Mahomet ont essaimé vivent loin de la péninsule arabique, mais siècle, l’Empire ottoman (turc) fut un acteur
littéralement le texte ? Et quelle fut la réa- historiques. Mais même la fiction doit loin au-delà de ce qui est aujourd’hui relèvent malgré tout d’une sphère d’in- majeur sur l’échiquier complexe des tribus
lité ? Comment analyser le langage utilisé ? observer une certaine distance. Elle ne l’Arabie saoudite, emmenant avec eux la fluence arabe (critère historique). Même arabes, des dynasties islamiques et des États
Et surtout : quels sont les non-dits dans ces doit surtout pas vouloir se mettre dans la langue arabe, la religion musulmane et tout si les limites du « monde arabe » doivent émergents. À son apogée, il s’étendait de la
documents ? Qu’est-ce qu’ils ne disent pas ? peau d’un soldat vivant dans sa tranchée ; (5) Ces bulletins sont aujourd’hui numérisés et un éventail de coutumes. C’est ainsi que donc être définies avec toute la prudence
disponibles en ligne sur le site des Archives générales
franchement, cela me gêne et ne peut me du Royaume, www.arch.be. s’est peu à peu développée, à partir de la nécessaire, il n’en reste pas moins clair que Suite p.8 w
Mais il reste la question : comment convaincre. Je connais peu de films ou de (6) Sophie De Schaepdrijver est commissaire de fin du septième siècle, une culture arabo- l’on peut parler – comme le fait Amira
l’exposition historique Brugge in Oorlog [Bruges dans (1) Amira K. Bennison, The great caliphs. The golden
peut-on, cent ans après cette guerre, séries télévisées qui présentent la Première la Guerre], qui a ouvert ses portes à Bruges
islamique qui a largement débordé des Bennison – d’une culture arabo-islamique age of the ‘Abbasid empire, Londres & New York,
reconstruire la Première Guerre mondiale Guerre mondiale d’une façon qui peut me le 14 octobre 2014. frontières initiales de l’Arabie. Les Arabes dans cette vaste partie du monde où c’est Editions Tauris, 2011, p. 159.

6 TRACES DE MÉMOIRE N°14 – DÉCEMBRE 2014 7


INTERROGATION

w Suite de la p.7

Turquie actuelle jusqu’à une grande par-


2. La fin des systèmes
d’alliances bismarckiens
et la position du monde arabe
tutelle, il y a un siècle, sur quinze à vingt mil-
lions de sujets musulmans. Le rôle qu’allait
jouer l’Empire ottoman était encore flou,
b 
Poster de Lawrence d’Arabie (1962) –
film d’aventures historique sur la révolte
arabo-britannique contre l’Empire
ses colonies et encore plus de personnel
militaire : 173 000 personnes en Algérie,
80 000 en Tunisie et 40 000 au Maroc. Plus
tie des Balkans (les territoires actuels de la mais à la fin du dix-neuvième siècle, le sul- ottoman au cours de la Première Guerre de 85 pour cent de ces recrues se battirent
Grèce, de la Bulgarie, de la Roumanie, de la Le monde arabe ne tarda pas à se tan Abdülhamid II avait clairement cherché mondiale. dans les tranchées et un combattant sur six
Serbie et du sud de l’Autriche) et recouvrait retrouver empêtré dans la politique des à se rapprocher de l’empereur d’Allemagne. ne survécut pas à la guerre8.
aussi la quasi-totalité de l’Afrique du Nord puissances européennes. Après la guerre Un puissant protecteur européen était en
(actuellement l’Algérie, la Tunisie, la Libye
et l’Égypte) ainsi que, sur son flanc sud-est,
une partie considérable du Moyen-Orient
de 1871, qui avait vu un État allemand en
gestation mettre à genoux l’empire français,
le chancelier allemand Otto von Bismarck
effet de nature à renforcer considérable-
ment sa position affaiblie ; en échange, une
alliance avec le sultan devait permettre
que six mois plus tard que l’infrastructure
britannique allait être suffisamment amé-
4. Projets
de partage

(partagé aujourd’hui entre la Syrie, la Jorda- tenta de réduire le risque de revanchisme à Guillaume II de jouir d’un meilleur sta- liorée pour assurer une suprématie militaire Cela faisait déjà longtemps que les
nie, le Liban, Israël et la Palestine). L’Empire français. Il suivit pour cela une double voie. tut dans le monde arabe et d’aplanir la en Mésopotamie6. En décembre 1914, les grandes puissances européennes son-
ottoman contrôlait en outre les côtes de Il incita tout d’abord la France à acquérir voie vers un empire colonial asiatique. La Ottomans rassemblèrent leurs troupes geaient à démanteler l’Empire ottoman.
la mer Rouge et l’entrée du golfe Arabo- des colonies en Afrique afin de détourner construction d’une ligne ferroviaire reliant dans le Caucase pour ouvrir un deuxième Cette ambition était cependant difficile à
persique. Sur le plan politique, il était dirigé son attention du continent européen. Berlin à Bagdad devait sceller l’amitié entre front. Mais la région était inhospitalière, réaliser dans la mesure où un empire désin-
par un sultan, qui confiait la gestion des D’autre part, il conclut des alliances avec les deux Empires4. Ce projet d’alliance ger- le climat rigoureux et les lignes d’approvi- tégré ne pourrait plus tenir tête aux ambi-
territoires éloignés à des fidèles (gouver- des partenaires potentiels de la Répu- mano-ottomane passait mal à Londres et sionnement longues. L’invasion du Cau- tions russes. C’est la raison pour laquelle

© DR
neurs). En tant que chef religieux (ou calife), blique française : il constitua dans ce but à Paris, où on se demandait quelle attitude case s’arrêta dès janvier 1915. Un troisième « l’homme malade de l’Europe » fut main-
il parlait – du moins en théorie – au nom un réseau d’alliances avec la Russie, l’Au- adopteraient les musulmans des colonies si front se constitua en Égypte. Ce pays était tenu artificiellement en vie. Mais le choix
des musulmans du monde entier. triche-Hongrie et l’Italie (formant avec ces l’Empire ottoman était impliqué dans une deux navires de guerre turcs, le 28 juillet le seul, en novembre 1914, à avoir témoigné stratégique qu’il fit en 1914 donna moins
Mais à l’aube du vingtième siècle, ce deux dernières la Triple Alliance), réduisant guerre : s’ils prenaient les armes contre la 19145, une alliance avec l’Allemagne appa- son soutien à l’Empire ottoman. Les Britan- d’importance à cet exercice d’équilibre et
puissant Empire ottoman semblait sclé- pratiquement à néant la possibilité pour la Grande-Bretagne, la France et la Russie, la rut quasiment inévitable : moins d’une niques ne tardèrent pas à faire de l’Égypte des projets de partage des régions otto-
rosé. Ses frontières s’étaient tellement dis- France de nouer des alliances avec des États position de l’Entente s’en trouverait consi- semaine plus tard, les deux États signaient un protectorat, en y stationnant 70 000 manes furent mis sur la table.
tendues qu’elles étaient devenues difficiles qui avaient des intérêts en Méditerranée. dérablement affaiblie. un traité d’assistance militaire et, la semaine hommes et en fermant le canal de Suez. En La Grande-Bretagne se mit dès lors en
à défendre et que de plus en plus de zones Cependant, l’accession au trône de Guil- suivante, l’Empire ottoman entrait en février 1915, des troupes ottomanes péné- quête d’un allié dans sa lutte contre l’Em-
périphériques échappaient à l’emprise de
« l’homme malade de l’Europe ». La mon-
tée du nationalisme arabe et l’aspiration
laume II (1888), empereur inexpérimenté
mais ambitieux, entraîna rapidement des
conflits avec le chevronné Bismarck, qui
3. La guerre
éclate
guerre contre la Russie et ses alliés. L’appel à
un djihad mondial lancé par le calife Meh-
med V (novembre 1914) ne provoqua pas
trèrent en Égypte par le désert du Sinaï,
mais furent vaincues la même semaine.
Galvanisés par ces victoires et désireux
pire ottoman. Elle le trouva en la personne
du chérif Hussein de La Mecque. En tant
que chérif (noble) et émir (chef) de la ville
à l’autodétermination des peuples ren- préféra demander sa démission. Grâce au L’assassinat de l’archiduc François-Fer- les révoltes anticoloniales tant redoutées d’ouvrir une route d’approvisionnement natale du prophète et héritier de la dynastie
forcèrent encore cette tendance. Après la non-renouvellement des traités existants, dinand, héritier d’Autriche-Hongrie (28 juin – peut-être parce que peu de musulmans vers la Russie, les Britanniques lancèrent respectée des Hachémites, Hussein était un
guerre russo-turque de 1877, les grandes la France réussit à sortir de son isolement 1914), entraîna une cascade de déclarations avaient envie de répondre à un appel lancé (avec l’ANZAC, le corps d’armée australien homme doté d’une grande autorité morale.
puissances européennes décidèrent, lors et signa des traités avec la Grande-Bretagne de guerre, si bien qu’en très peu de temps la par un sultan/calife qui s’était allié avec et néo-zélandais) une attaque sur la pénin- Il prétendait descendre du prophète et
d’une conférence internationale tenue à et la Russie. C’est ainsi qu’à côté de la solide plupart des pays européens se retrouvèrent des pays d’obédience chrétienne. L’Empire sule de Gallipoli, qui était la porte d’entrée contrôlait l’accès aux lieux saints. Comme
Berlin, de détacher la Bulgarie de l’Empire Triple Alliance (Allemagne, Autriche-Hon- en guerre les uns avec les autres. L’Empire ottoman se révéla néanmoins un allié fidèle de la mer Noire. Mais ce fut un échec : mal- il avait cherché dès 1914 à se rapprocher de
ottoman, d’attribuer la Bosnie-Herzégovine grie et Italie), on vit se former une tout aussi ottoman décida dans un premier temps des Puissances centrales et mena la guerre gré l’aménagement de deux têtes de pont, l’Entente, le haut-commissaire britannique
à l’Autriche et d’accorder l’autonomie à la robuste Triple Entente (France, Grande- d’adopter une attitude neutre et attentiste. sur trois fronts différents. Après l’envoi par les Britanniques ne réussirent pas à briser la Henry McMahon fit une tentative pour
Roumanie, à la Serbie et au Monténégro. À Bretagne et Russie)3. Mais lorsque la Grande-Bretagne confisqua la Grande-Bretagne de troupes terrestres défense turque. Du côté des deux belligé- le gagner à la cause britannique. La cor-
la fin du dix-neuvième siècle, après la colo- Les répercussions de la politique des dans le golfe Persique, en novembre 1914, rants, on déplorait plus de 250 000 morts respondance McMahon-Hussein débou-
nisation par les puissances européennes alliances en Europe se firent sentir dans (2) Thomas Pakenham, The scramble for Africa 1876- et leur progression systématique vers le et blessés7.
de larges pans de l’Amérique du Nord et du le monde entier. Au début du vingtième 1912, Londres, Abacus history, 2002, 738 p. nord dans le but de sécuriser les champs Les colonies d’A frique du Nord Suite p.10 w
Sud, du Sud-Est asiatique et de l’Australie, siècle, la nation qui comptait le plus grand (3) Völker Ulrich, Der nervöse Grossmacht 1871-1918. de pétrole, l’Empire ottoman ouvrit non jouèrent également un rôle crucial pen-
Aufstieg und Untergang des deutschen Kaiserreichs,
on assista aussi à une véritable « ruée vers nombre de musulmans n’était pas l’Empire Frankfurt a/d Main, Fischer, 1999, p. 74-123. sans hésitations un front en Mésopota- dant la Première Guerre mondiale. Des (6) Charles Townshend, When God made hell. The
l’Afrique » (« the scramble for Africa»)2 : ottoman, mais bien la Grande-Bretagne, (4) Sean McMeekin, The Berlin-Baghdad Express. The mie. Plusieurs batailles allaient en résulter, rébellions à répétition, contre les Italiens British invasion of Mesopotamia and the creation of
Ottoman Empire and Germany’s Bid for World Power Iraq, 1914-1921, Londres, Faber and Faber, 2010, p.
au moment du déclenchement de la Pre- avec 100 millions de musulmans répartis dont la plus importante fut celle de Qut en Libye, contre les Français en Tunisie et 224-255.
1898-1918, Londres, Penguin, 2011.
mière Guerre mondiale, l’Empire ottoman dans l’ensemble de ses colonies, soit plus (5) Il s’agit de deux bateaux construits en Grande-
al-Amara : plus de 10 000 soldats britan- contre les Britanniques en Égypte, écla- (7) John Keegan, De Eerste Wereldoorlog 1914-1918,
avait perdu la Tunisie au profit de la France, de cinq fois autant que la population de Bretagne (voir BarbaraTuchman, De kanonnen niques furent assiégés de décembre 1915 tèrent pendant la plus grande partie de la Uitgeverij Balans/Van Halewyck, 2000, p. 240-274.
van augustus. De eerste oorlogsmaand van 1914, (8) John Tolan, Gilles Veinstein et Henry Laurens,
l’Égypte au profit des Britanniques et la l’Empire ottoman. Même la République Amsterdam – Anvers, De arbeiderspers, [1962] 2000,
à la fin avril 1916, à la suite de quoi toute la guerre. D’un autre côté, la France recruta Europe and the islamic world. A history, Princeton,
Libye au profit des Italiens. française et l’Empire russe exerçaient leur p. 186-187). division se rendit aux Ottomans. Ce n’est 180 000 collaborateurs administratifs dans University Press, 2013, p. 365.

8 TRACES DE MÉMOIRE N°14 – DÉCEMBRE 2014 9


INTERROGATION

w Suite de la p.9 Selon la formule de l’historien britannique le territoire qui correspond à la Turquie indépendance. Mais la Société des Nations Déclaration de Balfour : “Au cours de la Pre- monta sur le trône d’Égypte. Mais la Libye
Jonathan Schneer, les troupes arabes arri- actuelle) résista relativement bien. Après en décida autrement : la France obtint deux mière Guerre mondiale, les Britanniques allait rester une colonie italienne jusque
cha sur un accord (octobre 1914) en vertu vèrent à temps pour aider les Britanniques, avoir dissous le Parlement, le sultan Meh- territoires sous mandat (le Liban et la Syrie) et leurs alliés ont tué le dragon ottoman bien après la Seconde Guerre mondiale ;
duquel le chérif s’engageait à se révolter mais trop tard pour s’aider elles-mêmes9. med VI forma un nouveau gouvernement. et la Grande-Bretagne un (la Palestine). Des au Moyen-Orient. Mais par leur politique, au Maroc, un soulèvement nationaliste
contre les Ottomans en échange d’un Un nouvel acteur était en effet entré Il chargea Mustafa Kemal de dissoudre révoltes locales contre cette décision furent ils ont semé des dents de dragon. Des dirigé par Abd el-Krim provoqua pendant
vaste territoire arabe et islamique dont il en scène en 1917. L’ingénieur russo-bri- également l’armée, mais ce dernier utilisa écrasées par les Français. Les Britanniques hommes armés ont surgi de la terre. Et ils cinq ans la « Guerre du Rif » avec la France
deviendrait le chef d’État. Les termes utilisés tannique Chaïm Weizmann et d’autres son influence au sein de l’appareil militaire accueillirent à bras ouverts Fayçal, qui s’était continuent à surgir aujourd’hui”.12 (le pays n’obtint son indépendance qu’en
(entre autres à propos des frontières de ce dirigeants sionistes avaient effectué du pour constituer un nouvel État turc. La enfui de Syrie. Celui-ci devint roi d’Irak en Les anciens sujets ottomans d’Afrique 1956) ; et en Algérie, un mouvement des
territoire arabe) étaient cependant vagues lobbying pour convaincre les Britanniques force d’invasion grecque qui devait empê- mars 192111. Huit mois plus tard, le deu- du Nord espéraient également pouvoir droits civiques ne parut pas capable, durant
et les promesses se prêtaient à diverses d’adopter une attitude bienveillante face cher un tel scénario fut repoussée à l’issue xième fils de Hussein, l’émir Abdallah, fut jouir de l’autodétermination prônée par l’entre-deux-guerres, de garantir suffisam-
interprétations. aux revendications nationalistes juives. Sans d’une guerre de deux ans (1920-1922). Les couronné roi de Transjordanie. Quant au le président américain Wilson, qui l’avait ment les droits de la population locale : cela
Un deuxième projet de partition vit doute espéraient-ils que les Juifs seraient en conditions humiliantes du Traité de Sèvres fils aîné, Ali, il succéda à son père en 1923 érigée en principe essentiel du droit inter- allait coûter aux Algériens et aux Français
le jour en 1915, lorsque les Russes firent mesure de provoquer l’entrée en guerre des (1920) furent en grande partie abrogées par comme roi du Hedjaz, mais il fut contraint national. Deux jours après l’armistice, huit atroces années de guerre (1954-1962)
connaître leur intention d’occuper Américains tout en conservant l’alliance le Traité de Lausanne (1923). La République de céder son trône un an plus tard sous la le nationaliste égyptien Saad Zaghloul avant d’entériner la séparation des deux
Constantinople. En échange, ils offraient avec la Russie, qui avait connu une pre- turque fut proclamée le 29 octobre 1923 et pression de l’avancée wahhabite (avec le demanda l’indépendance de l’Égypte – territoires13. n
à la France et à la Grande-Bretagne des mière révolution en février 1917 (calendrier Mustafa Kemal « Atatürk » abolit le califat soutien de la maison des Saoud). Son terri- cela lui coûta deux déportations et valut Fabian Van Samang,
territoires supplémentaires au Moyen- julien)10. Cela déboucha, en novembre de cinq mois plus tard. toire fut absorbé en 1932 dans le nouveau à l’Égypte plus de trois années d’émeutes Docteur en histoire et enseignant
Orient. La Grande-Bretagne, qui menait à la même année, sur un document de 67 La partie orientale de l’ancien Empire royaume d’Arabie saoudite. Comme le dit avant que la Grande-Bretagne ne recon- au Klein Seminarie de Roeselare
ce moment-là des pourparlers avec Hus- mots, la « Déclaration de Balfour », dans ottoman fut profondément réaménagée l’historien britannique Jonathan Schneer, naisse dans une large mesure l’autonomie Traduction : Michel Teller
sein, se rendit compte que le territoire bri- lequel le gouvernement britannique par les vainqueurs de la guerre. Le chérif dans l’ouvrage de référence consacré à la égyptienne. En mars 1922, le roi Fouad Ier
tannique en Orient serait limitrophe de la promettait sous certaines conditions un Hussein fut le grand perdant de cette opé-
Russie et voulut par conséquent mettre en « foyer national pour le peuple juif ». Après ration. Certes, son fils Fayçal fut accueilli
place une zone tampon, en concertation que la terre promise eut été attribuée aux comme un interlocuteur lors des négocia-
avec la France. Le diplomate britannique
Mark Sykes fut chargé par son gouverne-
Arabes du Hedjaz (la partie occidentale de
la péninsule arabe), puis à la communauté
tions de Versailles, mais son influence fut
minime. C’est à contrecœur que l’on donna a
ment d’entamer, à partir de la fin 1915, une
série de négociations avec son homologue
internationale par les Français et les Britan-
niques, les portes de la Palestine s’ouvraient
suite à sa demande de constituer une
commission d’enquête, chargée d’étudier
APPLICATION
PÉDAGOGIQUE Une mémoire en perspective
français, François Picot. Les accords Sykes- désormais aux Juifs sionistes. C’était sans les souhaits précis des Arabes en matière
Picot qui en résultèrent prévoyaient un par- aucun doute une terre promise, mais toute d’autodétermination. La commission
tage de l’Empire ottoman en quatre zones : la question était de savoir qui en serait le King-Crane s’acquitta de cette tâche avec
française, britannique, arabe et internatio- bénéficiaire final. sérieux, mais son rapport final (qui mon- OBJECTIFS : Les sujets à traiter au cours d’histoire en une année le rôle (généralement trop peu connu) du monde arabe dans ce
scolaire sont très divers. À l’occasion du centenaire de la Première conflit. Un exercice de lecture basé sur le présent article et une série
nale (Palestine). Ce projet fut entériné par trait une forte revendication d’autonomie)

5.
Guerre mondiale, l’attention se porte sans aucun doute sur ce conflit de questions ciblées et d’exercices sont destinés à aider l’enseignant
l’Accord tripartite (mai 1916), qui fut conclu Autres temps, ne fut jamais rendu public. En mars 1920, international. Le texte et l’annexe pédagogique doivent permettre à aborder ce thème.
entre la Russie, la France et la Grande-Bre- nouveaux États l’Irak et la Grande Syrie (englobant la Pales- d’éclairer en relativement peu de temps (une à deux heures de cours)
tagne mais qui n’allait jamais être mis en tine et l’actuel Liban) proclamèrent leur
œuvre. L’entrée en guerre effective des États-
Conformément à l’accord McMahon- Unis fut le coup de grâce pour les Puis- ✔ Le terme « Arabe » semble clair, ottoman de l’Empire, le Sud-Est de l’Europe, suivants et, le cas échéant, les placer sur
Hussein, le chérif de La Mecque déclencha sances centrales. À l’été 1918, l’Allemagne (9) Jonathan Schneer, The Balfour Declaration. mais il recouvre en fait des réalités très l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Ils une ligne du temps : le chérif Hussein de
The origins of the Arab-Israeli conflict, Londres,
en mai 1916 une rébellion dans des centres perdit systématiquement du terrain sur Bloomsbury, 2011, 432 p. complexes : en fonction de divers critères, désignent ensuite (en les hachurant ou en La Mecque, les accords Sykes-Picot, Abdul
qui comptaient une forte présence otto- le territoire français. La Bulgarie décida (10) David Vital, A people apart. The Jews in Europe, on peut appartenir ou non à la catégorie les délimitant) les territoires perdus au dix- Hamid II, Chaïm Weizmann, Mehmed V,
1789-1939, Londres – New York, Oxford university
mane (Taïf, La Mecque, Damas). Malgré de déposer les armes fin septembre 1918 press, 1999, p. 684-702; Avi Shlaim, Israel and Palestine.
des « Arabes ». Quels sont les critères qui neuvième siècle et au début du vingtième Gallipoli, la correspondance McMahon-
une avancée plus lente que prévue, il se et l’Autriche-Hongrie en fit autant le 3 Reappraisals, revisions, refutations, Londres – New peuvent être distingués ? siècle. Ils indiquent à l’aide de flèches sur Hussein, la « Déclaration de Balfour », un
York, Verso, 2010, p. 3-24.
proclama en octobre roi (malik) de tous novembre. L’Empire ottoman s’était rendu quels fronts l’Empire ottoman s’est battu califat, l’Accord Tripartite, Mustafa Kemal
(11) Voir à ce sujet: Ali Allawi, Faisal I of Iraq, New
les Arabes. Le nouveau gouvernement bri- quelques jours plus tôt, le 30 octobre 1918. Haven – Londres, Yale University Press, 2014, 634 p. ✔ L’enseignant travaille avec une durant la Première Guerre mondiale et ils Atatürk, la commission King-Crane. n
tannique appuya les efforts du chérif : une À la fin de 1918, on pouvait se deman- (12) Schneer, op. cit., p. 376. Notre traduction. carte aveugle et un atlas. Les élèves encerclent la péninsule de Gallipoli. Fabian Van Samang
nouvelle attaque fut lancée depuis l’Égypte der si l’Entente laisserait la moindre parcelle (13) Peter Mansfield, A history of the Middle East, indiquent par des couleurs les grandes Traduction : Michel Teller
Londres – New York, Penguin books, 2014, 189-247;
sous la direction de Thomas Edward Law- de l’Empire ottoman. Pourtant, la partie E. Rogan, De Arabieren. Een geschiedenis, Amsterdam,
régions du monde arabe à l’époque de ✔ Les élèves peuvent définir les
rence, un espion britannique vêtu à l’arabe. occidentale de celui-ci (autrement dit, De Bezige Bij, 2010, 237-335. l’apogée de l’Empire ottoman – le cœur personnages, concepts et événements

10 TRACES DE MÉMOIRE N°14 – DÉCEMBRE 2014 11


APPROFONDISSEMENT
, 
Images relatives à ce qu’on appelle le
« Show de l’horreur ». Double page de la revue
Gente, 5 janvier 1984, n° 963, p. 68-69.

VICTIMES OU « SUBVERSIFS » ?
La représentation des disparus
dans la presse argentine
au lendemain de la dictature
n De 1976 à 1983, l’Argentine a été gouvernée par tions qui ont circulé dans l’espace public
une dictature militaire exerçant une répression féroce pour nommer les disparus ?
à l’égard des opposants politiques. On estime que près Pour traiter ces questions, nous nous
proposons d’aborder la manière dont
de 10 000 personnes, enlevées et torturées, sont portées cette figure a été présentée dans les revues
disparues1. Claudia Feld examine de quelle façon ces victimes d’actualité et les journaux argentins publiés
de la terreur d’État furent dissimulées ou désignées sous le entre janvier et mai 19843. Il s’agit d’analyser
régime dictatorial et comment elles furent représentées dans la les sens en conflit à un moment précis où
presse argentine de la transition. on ne disposait pas encore des informa-
tions qui, par la suite, – principalement à
travers le rapport de la CONADEP (sep-

A
tembre 1984) et du procès des anciens
(1) Les organisations des droits de l’Homme
u cours des premiers mois commandants (1985) – allaient informer
calculent jusqu’à 30 000 disparus, mais ces calculs de l’année  1984, dans un quelques-uns des discours prédominants
restent en partie des suppositions du fait que les contexte de restauration dans l’espace public4.

© DR
militaires ont effacé les traces de leurs crimes et n’ont
pas laissé de documents. de la démocratie, la question des dispa- Au regard des résultats de cette ana-
(2) Sur la censure en Argentine, voir Andrés rus (desaparecidos) et de la répression lyse, il nous importe de revenir sur l’une des
Avellaneda, Censura, autoritarismo y cultura.
Argentina 1960-1983, tome 1, Buenos Aires, Centro
clandestine a commencé à occuper une hypothèses fortes des travaux universitaires (« terroristes », « subversifs »). Il importe de parition systématique de personnes à relayer ce discours, notamment par des
Editor de América Latina, 1986. place centrale dans les médias argentins. qui ont abordé cette période. On pense souligner que cette couverture médiatique devant les dénonciations effectuées par campagnes de propagande en faveur des
(3) Les journaux analysés sont Clarín, La Nación, La Jusque-là, ces thèmes n’étaient abordés qu’à souvent que la figure de la « victime inno- a inauguré la diffusion auprès d’un large les associations pour la défense des droits Forces armées, des silences complices, des
Razón et Crónica, publiés à Buenos Aires et diffusés
sur l’ensemble du territoire. Les revues traitées sont l’occasion de dénonciations portées par le cente » a été prédominante dans les pre- public d’informations sur le sort subi par les de l’Homme, aussi bien dans le pays qu’à opérations médiatiques dont l’objectif
Gente, La Semana et Siete Días. mouvement des droits de l’Homme ou de miers récits de la transition5, alors qu’une disparus et se situe dans le contexte d’une l’étranger. Parmi celles-ci : la négation pure était de mentir au sujet des disparus, et des
(4) La CONADEP ou Commission nationale sur la rumeurs et de versions peu diffusées dans étude de la presse de cette période avère « lutte de mémoire » marquant cette phase et simple des faits dénoncés ; la disqualifi- informations sur des combats montés de
disparition de personnes, créée sur l’initiative du
président argentin Raúl Alfonsin en décembre 1983, la presse. Néanmoins, la centralité de ces que les notions de « victime » et de « vic- de transition politique. C’est pourquoi cette cation des personnes qui ont pris en charge toutes pièces où des personnes signalées
livra un travail d’enquête sur le sort des disparus. thèmes dans le cadre d’un destape média- time innocente » ont été pratiquement analyse propose quelques hypothèses sur les dénonciations par l’usage de termes disparues étaient présentées comme des
Les résultats de ce travail furent publiés dans le
rapport « Nunca Más » (Jamais plus, 1984). Le procès tique, rendu possible par une presse sans absentes des principaux récits journalis- les « luttes entre mémoires »6 qui ont vu comme « subversifs », « folles de la Place « subversifs abattus lors d’affrontements8».
des juntes, en 1985, visa à juger les responsables censure2, s’est élaborée selon une moda- tiques. La presse a utilisé d’autres termes le jour au début de la transition démocra- de Mai » ou « campagne anti-argentine »,
militaires. Ce procès fut mené par la Chambre
Fédérale Criminelle et Correctionnelle de la capitale. lité spécifique : plutôt que d’expliquer le pour nommer les détenus-disparus. C’est tique. etc. ; la justification de la répression clandes- Suite p.14 w
(5) Pour plus de précisions, cf. Sandra Raggio, « La fonctionnement de la terreur d’État, on a ainsi, nous le verrons, qu’ils ont été présen- tine désignée comme un combat héroïque
Noche de los Lápices. Del testimonio judicial del
relato cinematográfico », in Claudia Feld, Jessica
assisté à la mise en place d’un spectacle tés comme des morts anonymes (cadavres Les « NN » dans le cadre d’une « guerre antisubver- (6) Elizabeth Jelin, Los trabajos de la memoria,
Madrid et Buenos Aires, Siglo XXI, 2002.
Stites Mor, El pasado que miramos. Memoria e macabre et sensationnaliste que certains « NN ») ; comme des sujets déshumanisés, et la recherche des disparus sive » ; et enfin l’excuse selon laquelle les
(7) Valentina Salvi, De vencedores a víctimas.
imagen ante la historia reciente, Buenos Aires, Paidós,
2009, p. 45-76 ; Emilio Crenzel, « La víctima inocente.
observateurs ont appelé le «  show de sans identité, sans histoire, ayant subi des enlèvements et les tortures constituaient Memorias militares sobre el pasado reciente en la
De la lucha antidictatorial al relato del Nunca más », l’horreur ». Comment, dans ce contexte, la tortures ; ou bien, à l’autre extrême, comme De leur côté, les Forces armées ont des erreurs et des excès7. Argentina, Buenos Aires, Biblos, 2012.
in Emilio Crenzel (dir.), Los desaparecidos en la (8) Estela Schindel, La desaparición a diario. Sociedad,
Argentina. Memorias, representaciones e ideas (1983-
figure des victimes de la répression a-t-elle des sujets actifs, responsables, dans une adopté diverses stratégies discursives À quelques exceptions près, durant la prensa y dictadura (1975-1978), Villa María, Eduvim,
2008), Buenos Aires, Biblos, 2010, p. 65-83. été construite ? Quelles sont les appella- certaine mesure, de ce qui leur était arrivé pour tenter d’occulter ou de nier la dis- dictature la presse argentine s’en est tenue 2012.

12 TRACES DE MÉMOIRE N°14 – DÉCEMBRE 2014 13


APPROFONDISSEMENT

© Becquer Casaballe
w Suite de la p.13 ces marques identitaires. Au cours des pre-
miers mois de la transition démocratique,
À cette époque, la plupart des médias uti- les médias n’ont pas semblé capables de
lisaient dès lors, pour désigner ces crimes, situer la représentation des disparus dans
b 
les mêmes mots qu’utilisaient les agents de un ordre différent de celui qui avait été Le Procès des ex-commandants
la répression pour justifier leurs actions : on imposé par le système répressif. en chef en Argentine, 1985.
parlait ainsi de « lutte contre la subversion »
ou de « guerre sale », au lieu de parler de © Daniel Muzio b  La parole des agents de la
répression ou de terrorisme d’État. Le Procès des ex-commandants répression : la torture comme –, se situait à un niveau d’énonciation où sin, s’il éprouve des remords, l’ensemble
en chef en Argentine, 1985.
En 1983, aux dernières heures du gou- Témoignage de l’anthropologue axe des récits le soupçon était de rigueur quel que soit du récit, avec la plupart des questions et la
vernement militaire, certains tribunaux ont légiste Clyde Snow. le type de témoignage (que ce soient des mise en page (photos, titres, chapeaux et
accueilli des demandes d’exhumation de Pendant la période que nous analysons, victimes, des bourreaux, des chefs mili- exergues) ne marquent pas de rupture avec
fosses communes et de tombes anonymes ce sont les bourreaux eux-mêmes qui ont taires, etc.). Ce faisant, aucune déclaration ce point de vue, ils l’accentuent plutôt, pas
dans divers cimetières du pays, ainsi que des chantier. Il est vrai qu’à ce moment-là, on des sacs en plastique contenant des restes fourni une partie des explications à propos ne valait comme vérité indiscutable. Étant plus qu’ils ne désactivent l’effet de violence
requêtes d’identification des corps, dépo- ne disposait ni d’une information systéma- humains. du sort des victimes entre le moment de donné l’ampleur et la complexité des décla- symbolique produit par ces déclarations. Le
sées par des familles dans l’hypothèse qu’il tisée ni de sentences judiciaires permet- Par ailleurs, dans le journal Clarín, l’enlèvement et celui de l’exhumation. Au rations de Vilariño, nous nous limiterons journaliste, l’entretien et tout le récit de ces
puisse s’agir des personnes disparues. Après tant d’établir la vérité, mais il est également les informations sur les exhumations cours de ces mois, quelques revues d’actua- ici à un seul axe lié à la caractérisation des mois nous confrontent à cette probléma-
l’investiture du président Raúl Alfonsín en vrai que la construction journalistique que sont séparées de celles qui concernent lité à grand tirage (Gente, La Semana et Siete victimes, à savoir la question des tortures tique : celle du rôle de la médiation journa-
décembre 1983, les médias ont progressi- nous examinons n’a pas réussi à mettre en les dénonciations des répressions et les Días, principalement) ont publié des entre- dont Vilariño aurait été témoin à l’ESMA. listique face aux récits de la violence, dont
vement donné de plus en plus de visibilité relation les résultats des enquêtes menées requêtes des familles. Les victimes sont tiens avec des militaires impliqués à des La première chose qui frappe, c’est la la torture et la disparition représentent la
à cette question. Entre janvier et mai 1984, par le mouvement des droits de l’homme classées selon deux catégories : « NN » et degrés divers dans la répression clandestine. violence de son récit : les corps des victimes phase extrême.
les journaux font mention d’exhumations –  qui avaient circulé dans des espaces « détenus-disparus12 ». Cette séparation Certains ont tenu des propos clairement sont crûment décrits dans leurs moindres
dans plus de quarante cimetières, situés très restreints – et ceux des exhumations. dans l’espace de la page semble reproduire négationnistes, mais d’autres ont raconté réactions, les méthodes de torture racon- Interprétations de l’histoire
dans de petites comme dans de grandes C’est pourquoi le premier trait caractéris- et reconduire dans le domaine médiatique ce qui était arrivé dans les centres clandes- tées dans un langage quasiment « tech- politique des séquestrés
villes. C’est ainsi qu’au cours des premiers tique de cette présentation médiatique la scission entre des corps et des identités tins de détention. Les déclarations de ces nique », ce qui amplifie l’effet d’horreur.
mois de l’ouverture démocratique, la dis- est qu’elle donne une place centrale au résultant de la méthode de la disparition derniers ont donné lieu à une caractérisa- Celui-ci est renforcé par le ton ironique de La dernière caractéristique que nous
parition de personnes a fait irruption sur « cadavre NN » tout en le dissociant du forcée. Selon les membres de l’équipe tion plus vaste et complexe des victimes, Vilariño et aggravé encore par le langage analyserons n’est pas liée à des articles ou
la scène médiatique. L’on retrouve notam- système répressif qui l’a produit. argentine d’anthropologie légale, cette que nous allons analyser à partir de la série méprisant et injurieux dont il use à l’égard des entretiens particuliers, mais au ton
ment la notion de « cadavres NN » (du latin Quels sont les éléments qui ont été méthode a produit « des identités sans d’entretiens réalisés par la revue La Semana des détenus-disparus : il les appelle « la général de la presse au cours de cette étape.
« nomen nescio », sans nom) d’un bout à le plus souvent utilisés  ? Outre les ini- corps et des corps sans identité »13. D’un avec l’ex-caporal de la Marine Raúl Vilariño, fille » (la piba), « le mec » (el tipo), le gars Cela concerne le fait d’assigner aux victimes
l’autre du spectre informatif – de la presse tiales « NN », les chiffres sont au cœur de côté, les familles pouvaient rendre compte qui avait pris part aux opérations d’enlève- (el pibe). À d’autres moments, il caractérise et aux bourreaux une responsabilité parta-
écrite à la télévision, de la presse à sensation l’information. Les titres des journaux vont des identités de ceux qu’elles cherchaient ment de personnes dans le centre clandes- les torturés comme des « terroristes » et gée par rapport aux crimes commis17.
aux publications plus sérieuses. Une analyse dans le sens d’une accumulation : de plus – elles montraient leurs photos, écrivaient tin de détention qui fonctionnait à l’École des « subversifs » qui auraient mérité ce Suite p.16 w
détaillée des informations publiées par les en plus de corps sont retrouvés et exhumés. leurs noms, racontaient leurs histoires de de Mécanique de la Marine (ESMA)14. traitement.
(14) La Semana a publié quatre entretiens avec
journaux du moment permet d’observer Certains titres présentent des chiffres spec- vie –, mais ne parvenaient pas à retrou- Bien que Vilariño ait mentionné les enlè- La façon dont le bourreau raconte la Vilariño, les 5, 12 et 19 janvier et le 2 février 1984.
que la violence, dans ces récits, est axée taculaires : « 482 cadavres ont été enterrés ver les corps ; de l’autre, les corps enterrés vements et les tortures au sein de l’ESMA, violence extrême exercée dans les centres (15) Le travail de la CONADEP a révélé que ces
sur la description des cadavres (mentions comme NN dans le cimetière de La Plata, dans les cimetières avaient été privés de les assassinats clandestins et l’occultation clandestins de détention prolonge le opérations d’enlèvement, de torture et d’assassinat
relevaient d’un système et étaient commises de
de corps défigurés, de mains coupées, entre 1976 et 1982 »9 ; « 240 corps non iden- des corps, les informations présentées ont point de vue du tortionnaire, reproduisant la même manière dans plus de 300 centres de
d’impacts de balle dans le crâne, etc.), sans tifiés ont été inhumés dans deux cimetières de nouveau constitué une accumulation l’horreur à un niveau symbolique et pour- détention clandestins à travers le pays.
que l’on puisse encore décrire les actions de Mar del Plata, entre 1976 et 1983 »10 ; (9) La Razón, 11 janvier 1984, p. 6. de données isolées qui n’ont pas permis suivant, par des effets de mise en sens, la (16) Pilar Calveiro, Poder y desaparición. Los campos
(10) Ibid., 28 janvier 1984, p. 6. de concentración en Argentina, Buenos Aires, Colihue,
exécutées par les agents de la répression « Des cadavres NN seront exhumés demain de comprendre, en tant que système, les déshumanisation des détenus-disparus16. 1998.
(11) Ibid., 12 février 1984, p. 6.
au préalable. à Grand Bourg, il y aurait 300 tombes »11. atrocités commises15. Or, l’enjeu ici est non seulement le langage (17) Dans un autre contexte, que nous n’aborderons
(12) Cf. Roxana De Candia, Cómo la prensa escrita pas ici, cette interprétation a reçu le nom de
Même si l’existence de « NN » était Les photos publiées pour « illustrer » ces argentina construye la categoría de desaparecido en Par ailleurs, la revue elle-même ne du bourreau, en quelque sorte prévisible, « théorie des deux démons ». Nous souhaitons ici
présentée dans la presse comme une informations donnent à voir des fosses dos momentos posteriores a finalizada la dictadura semblait pas considérer les déclarations mais surtout la difficulté du récit journalis- aborder quelques discours médiatiques qui ont
militar, Université de Buenos Aires/Faculté de contribué au climat dans lequel cette « théorie »
« révélation », le manque d’informations ouvertes, des secteurs de cimetières où la Sciences sociales, Mímeo, 2001. de Vilariño comme totalement crédibles. tique à assumer un rôle de médiation par a pris forme. Nous sommes conscients du fait que
sur la trame des actions préalables reléguait terre a été retournée, des policiers et des (13) Darío Olmo, Maco Somigliana, « La huella del Tout en se proposant d’aborder de front rapport à ce discours. Bien que le journaliste la notion de « terrorisme d’État » a été incorporée
genocidio », Encrucijadas. Revista de la Universidad beaucoup plus tard aussi bien dans le langage
les détails de la disparition dans l’ombre fonctionnaires qui travaillent autour d’une de Buenos Aires, Buenos Aires, n° 15, janvier 2002,
le problème de la « vérité », la revue – dans demande plusieurs fois à Vilariño s’il se sent politique que dans les récits médiatiques sur cette
et en faisait l’objet d’un savoir toujours en tombe ou qui manipulent des ossements, p. 35. la lignée des autres médias du moment coupable, s’il a le sentiment d’être un assas- expérience.

14 TRACES DE MÉMOIRE N°14 – DÉCEMBRE 2014 15


APPROFONDISSEMENT

w Suite de la p.15 vérité sur ce qui se passait dans les centres tionnel. Dans ce contexte, la presse a choisi
a
Comme nous l’avons vu, bien qu’il
clandestins de détention20. Mais dans ce
contexte, et dans l’ensemble des articles de
d’exploiter les logiques du spectacle et du
sensationnalisme afin de « vendre » l’infor-
APPLICATION
PÉDAGOGIQUE Une vision coupable ?
semble qu’il y ait eu, dans des médias, une presse étudiés, l’histoire politique est bien mation présentée comme une révélation.
claire intention de décrire les actions réali- souvent présentée de manière à produire En donnant une légitimité et une cré-
sées par les Forces armées, de les « décou- un effet de sens contraire : celui d’assigner dibilité aux témoignages des familles et
vrir » et de les montrer publiquement, ces aux disparus eux-mêmes et aux survivants des survivants, la CONADEP et le procès
actions n’ont pas toujours été qualifiées un type de responsabilité pour les crimes de 1985 ont permis de qualifier l’expérience
de crimes. Plus encore, dans certains cas, commis à leur encontre. extrême comme une expérience de souf-
la responsabilité et la culpabilité ont été Cet argument n’était pas nouveau. Il france et ont contribué à développer une
inversées, les agents de la répression ayant avait circulé dans le milieu militaire et avait distance et un respect par rapport à cette
été décrits comme les « accusés » (récep- fourni à la société civile un prétexte pour douleur en proposant un nouveau point de
teurs passifs d’une action entreprise à leur apporter son soutien aux actions répres- vue pour articuler ces récits. Dans ces récits
encontre par d’autres) tandis que leurs sives. Une bonne partie de celle-ci s’était institutionnels élaborés quelques mois plus
victimes ou les juges qui enquêtaient sur accommodée du terrorisme d’État grâce à tard, l’appellation de victime, de surcroît
les affaires dans lesquelles ils étaient impli- l’idée que les victimes étaient responsables présentée comme « innocente », a été pré-
qués ont été présentés comme des « plai- de leur propre sort. L’argument a été réfuté pondérante pour désigner les détenus-dis-
gnants » (sujets actifs, qui mènent une de manière substantielle par la CONADEP parus et ce nouveau récit a été repris par
action qui pourrait leur faire du tort)18. et, par la suite, à l’occasion du procès des les médias au cours des années suivantes.
Dans les quelques textes qui donnent ex-commandants, mais il était amplement Ceci n’a pu se faire, il est vrai, qu’au prix de
directement la parole aux survivants des diffusé au cours des mois considérés ici. la dépolitisation du détenu-disparu et la
centres clandestins de détention ou aux En conséquence, dans ces témoignages construction de celui-ci en figure « pas-
familles des disparus, la stratégie pour les de survivants publiés en même temps sive ». Peut-être que dans ce contexte où
désigner est différente : on ne met pas tant que les déclarations de nombreux agents les deux récits semblaient incompatibles, c  c  c 
l’accent sur les horreurs qu’ils ont subies ou de la répression, la revendication de l’acti- le besoin de doter d’humanité la figure du Revue Somos, nº 381, 6 janvier 1984, p. 6. Couverture de la revue Satiricón, nº 30, Couverture de la revue El Porteño, nº 26,
les violations des droits de l’homme com- vité politique semblait plutôt contribuer disparu était plus important et plus urgent février 1984. février 1984.

mises à leur encontre, mais sur l’histoire à justifier les crimes de la dictature. Ainsi, que celui de lui assigner une identité poli- , 
politique antérieure de ces personnes. par l’effet de l’éclairage des médias, le récit tique. n Revue Somos, nº 380, 30 décembre 1983, p. 12.
Parfois, ce sont les survivants eux- du passé militant des séquestrés entre en Claudia Feld, ✔ Pour une bonne compréhension
mêmes qui se présentent en racontant leur conflit avec un discours de victimisation CIS-CONICET / IDES de textes et de sources les élèves ont
activité passée de militants, comme une qui met l’accent sur les violences subies, le besoin de s’approprier le contenu de
manière de rendre intelligible leur histoire non-respect des droits, et surtout la souf- certains concepts. À partir de l’article et
et de revendiquer leur idéologie19. Dans france corporelle et psychologique des à l’aide de dictionnaires, d’encyclopédies
cette autoprésentation, l’histoire politique détenus-disparus. et de ressources en ligne, ils peuvent se
préalable fait partie des données de base familiariser avec la signification précise de
de la transmission et de l’identification La construction de la figure certains concepts comme desaparecidos,
sans pour autant remettre en cause leur de la victime CONADEP, commissions de la vérité et
position de victime. Bien au contraire, pour de la réconciliation, subversif, discours. Les
eux, ce passé militant apparaît comme une Dans la bataille des interprétations à élèves se familiariseront aussi avec certains
donnée nécessaire à la reconstitution de la propos des crimes de la dictature, les récits concepts historiques, tels que la “guerre
journalistiques ici analysés sont restés pri- Une version étendue de cet article a été sale”, Raúl Alfonsín, les mères folles de la
publiée dans la revue Témoigner entre
(18) Parmi beaucoup d’autres exemples, des titres sonniers du paradoxe consistant à vou- histoire et mémoire n° 118, au sein d’un Plaza de Mayo, les « NN ».
comme : « Trois torturées et leurs accusés face à loir montrer la « vérité » de ce passé sans dossier thématique intitulé “Au nom des
face » (Gente, n° 969, 16 février 1984, p. 32-33,). « Le victimes. Dictature et terreur d'État en
juge qui a interrogé Camps prend la parole » (Gente, rompre substantiellement avec le point de Argentine, Chili et Uruguay” (coordination:
✔ Ensuite, les élèves pourront s’in-
n° 963, 5 janvier 1984, p. 79). vue des auteurs de ces crimes. Il y avait une Claudia Feld, Luciana Messina et Nadia terroger sur les acteurs historiques liés à
(19) Cf. Gente, n° 968, 9 février 1984, p. 10-11 ; Gente, confusion au niveau des informations, du Tahir). Le sommaire et les résumés du ces concepts : les journalistes, les activistes
n° 969, 16 février 1984, p. 34-35. numéro sont disponibles sur le site de la
(20) Cf. La Semana 368, An VII, 22/12/83, p. 36,
fait qu’il n’y avait alors pas de consensus Fondation Auschwitz : www.auschwitz.be.
entretien avec Horacio Guillermo Cid de la Paz. sur une vérité factuelle au niveau institu- Suite p.18 w

16 TRACES DE MÉMOIRE N°14 – DÉCEMBRE 2014 17


APPROFONDISSEMENT VARIA

sale », « répression », « terrorisme d’État », presse française à partir de 1945, comme


w Suite de la p.17
inculpés, inculpants, ou encore « mec », suit : « Publiées parfois à contre-emploi ou a Concours
des droits de l’Homme, les chefs de gouver-
nement et les groupes d’intérêt :
« type », « gars » ou « fille ». sans légende, considérées souvent comme
étant interchangeables, les photographies VOTRE CRI
– Quels étaient leurs rôles respectifs ✔ Les élèves pourront enfin analy- finirent par être utilisées essentiellement CONTRE
dans le conflit ?
– Comment ce rôle apparaît-il dans
ser les glissements sémantiques à par-
tir de matériaux iconographiques. Les
comme des icônes emblématiques de la
barbarie nazie et non comme des docu- L’INJUSTICE!
leurs choix discursifs ? photos et les films ne sont pas un médium ments susceptibles d’aider à la connais-

✔  À partir de ces exercices, les


neutre, mais traduisent les visions et opi-
nions (politiques, économiques, religieuses,
sance du système concentrationnaire dans
sa complexité et dans sa double réalité
«I magine-toi… tu te réveilles, tu te
lèves et tu descends dans la rue.

© DR / Daniel Hernández-Salazar
élèves pourront analyser la dimension commerciales) des acteurs. Les exemples – concentration / extermination »1. Les Partout où tu poses ton regard,
idéologique de la langue en examinant ci-dessus illustrent ce propos et pourront analyses pourront prendre en compte la tu le vois… dans les rues, sur les places,
les différences de signification ou d’inter- être complémentés par des photos tirées perspective du photographe, le moment dans les bus et les trams. Qui ça ? L’ange
prétation – parfois évidentes, parfois d’autres contextes, éventuellement propo- de la photo, le lieu et le caractère politique de Hernández-Salazar dont les ailes sont
dissimulées – entre et au sein même des sées par les élèves. En guise de comparaison, de la publication, ses ambitions écono- faites d’omoplates humaines de victimes
concepts utilisés. En travaillant avec des le professeur peut aussi proposer certains miques, sociales ou commerciales. indiennes. Cet ange crie à l’injustice. Il n’est
grilles à plusieurs colonnes, ils décrivent la documents iconographiques illustrant la pas affiché là par hasard, il t’appelle : “Ne
signification généralement « convenue » découverte des camps nazis afin d’analy- (1) Marie-Anne Mattard-Bonnucci, « Le difficile reste pas à l’écart ! Laisse entendre ta voix
témoignage par l’image », Marie-Anne Mattard-
de certains concepts, ensuite les réappro- ser leur usage dans des contextes précis. Bonnucci et Edouard Lynch, La libération des camps
pour que tout le monde le sache et ne
priations spécifiques de ces termes et enfin
le rapport aux acteurs historiques qui uti-
En opposant l’usage emblématique des
images à leur usage informatif, Marie-Anne
et le retour des déportés, Paris, Editions Complexe,
1995, p. 87. Voir aussi Claudia Feld, « Quand
la télévision argentine convoque les disparus.
reste pas indifférent ! ” Et toi ? Quelle injus-
tice veux-tu dénoncer ? Mobilise ta classe a Livre
lisent ces concepts dans un sens spécifique.
L’exercice peut comprendre des termes his-
Matard-Bonnucci analyse notamment
les premières photographies des camps
Modalités et enjeux de la représentation médiatique
d'une expérience extrême », Le temps des médias,
ou tes amis et exprime-toi par l’art urbain
(street art) dans ta ville. »
HANNS
toriques et/ou génériques comme « guerre de concentration nazis, apparues dans la
n° 6, 2006/1, http://www.cairn.info/zen.php?ID_
ARTICLE=TDM_006_0188. ET RUDOLPH
Votre cri contre l’injustice!

Extension : La représentation des victimes aujourd’hui


Appel à projets ! Kazerne Dossin recherche
de jeunes talents créatifs et engagés. Votre
défi : créer une œuvre « street art » dans
votre ville ! Qu’est-ce qui vous indigne ?
Quelle injustice avez-vous envie de crier
E n 2006, à la mort de son grand-oncle
Hanns, un juif allemand qui vivait
en Angleterre, Thomas Harding
découvre à sa grande stupéfaction que
celui-ci a été un chasseur de nazis : c'est
haut et fort ? En groupe, représentez votre lui qui a retrouvé Rudolf Höss, l'ancien
✔ Les élèves sont invités à regarder qui sont mentionnées ? Renvoient-elles à k À CONSULTER indignation sous forme de « street art ». commandant du camp de concentra-
deux types de représentation : les pho- une situation personnelle et/ou à une acti- Vous exposerez votre œuvre dans votre tion d'Auschwitz. Happé par cet épisode
_ www.memoriaabierta.org.ar
tos d’individus et les silhouettes « vides » vité politique ? Quel est le rapport avec ville, dans un espace public, pour réveiller méconnu du passé familial, il entreprend
_ www.comisionporlamemoria.org
représentant les victimes. Voici quelques la représentation actuelle des victimes ? la société ! une vaste enquête pour comprendre com-
_ www.espaciomemoria.ar
liens utiles : Donne-t-elle une impression active ou pas- Faites une photo de votre réalisation ment les destins de ces deux hommes, que
sive des victimes ? _ www.museodelamemoria.cl et placez-la sur le site internet de Kazerne tout opposait, se sont croisés à un moment
www.desaparecidos.org/arg/victimas/eng.
html – Où retrouve-t-on les silhouettes vides _ http://revista.historiayjusticia.org Dossin. À partir du 1er décembre, les meil- crucial de l'Histoire.
www.du.edu/korbel/hrhw/volumes/2009/ des victimes ? Quelle en est la force repré- _ http://memoria.ides.org.ar/ leurs projets seront exposés au musée Le résultat en est un extraordinaire
druliolle-2009.pdf
sentative ? Quel est le but de cette repré- _ www.riehr.com.ar/index.php Kazerne Dossin ! n double récit. Au premier plan, deux Un récit tour à tour profond, parce
www.afterall.org/journal/issue.25/
photographs-and-silhouettes-visual-politics- sentation ? Qu’est-ce qu’elle signifie pour la hommes, deux vies, que l'on suit pas à qu'il ouvre sur les grandes questions de la
in-the-human-rights-movement-of-argentina qualification de la victime aujourd’hui au pas. D'abord parallèles, sans autre point banalité du mal, de la balance entre jus-
sein de la société argentine ? n k PLUS D'INFOS commun que de commencer dans le tice et vengeance, de la frontière entre le
✔ Les élèves peuvent aborder le but Fransiska Louwagie, Lecturer in French Studies, _ www.kazernedossin.eu même pays, elles finiront par converger : bien et le mal, et haletant, émaillé de scènes
et l’impact de ces représentations à par- Stanley Burton Centre for Holocaust and par une froide nuit d'hiver 1946, à l'issue poignantes, dignes des meilleurs romans
tir des questions suivantes : Genocide Studies, University of Leicester d'une traque haletante, Hanns débusquera noirs. n
– Quel est l’effet de l’individualisation Fabian Van Samang, Docteur en histoire et Rudolf dans la ferme où il se cache et le Thomas Harding, Hanns et Rudolf, Paris,
des victimes ? Quelles sont les informations enseignant au Klein Seminarie de Roeselare livrera à la justice. Flammarion, 2014.

18 TRACES DE MÉMOIRE N°14 – DÉCEMBRE 2014 19


VARIA

© Georges Boschloos
Soirée philantropique sous le Haut
Patronage de Sa Majesté le Roi
UN TRAIN VERS LA MÉMOIRE

a Événement
38e VOYAGE
D'ÉTUDES À
AUSCHWITZ

E n 2015, la Fondation Auschwitz


et la Mémoire d'Auschwitz
ASBL organisent leur 38e voyage
d'études annuel durant les vacances
de Pâques. D'une durée de cinq jours,
il se déroulera du lundi 6 au vendredi

© DR
10 avril.
L'accompagnement que nous
k EN PRATIQUE
_ 12 janvier 2015 – 20 h
_ Théâtre de Liège – Place du Vingt-
Août 16 – 4000 Liège
S oirée philanthropique qui permettra
à 1 000 jeunes de Belgique et d’autres
pays d’Europe de participer au projet
du Train des 1 000, un train qui partira de
Bruxelles vers Auschwitz pour y commé-
proposons a pour souci de ne jamais
dissocier l'explication de l'implication
subjective, de maintenir l'équilibre
entre émotion et rationalité. Plus de
2 000 enseignants et responsables
_ Prix : 30 € / 19 € pour les -18 ans
morer le 70e anniversaire de la libération pédagogiques ont déjà participé à ces
_ billetterie@theatredeliege.be
des camps. voyages d’études. n
_ Avec le soutien de Martha Argerich
_L
 e Train des 1 000 est une Trio Maisky & Nathan Braude k PLUS D'INFOS
organisation conjointe de l’IV-INIG,
de la Fondation Auschwitz, de l’ASBL
avec la collaboration de Annie Dutoit
_ nathalie.peeters@auschwitz.be
Mémoire d’Auschwitz et de la FIR.
Un concert exceptionnel organisé par Main
dans la Main Concerts et l'asbl Mémoire
d’Auschwitz au Théâtre de Liège. n

POUR UNE PRISE ASBL Mémoire d’Auschwitz – Tél. : 02/5127998 info@auschwitz.be


DE CONTACT Fondation Auschwitz. Fax : 02/5125884 www.auschwitz.be
Rue des Tanneurs 65, 1000 Bruxelles

Directeurs de la publication : Henri Goldberg,


Philippe Mesnard Publication réalisée grâce au soutien de
Rédacteurs en chef : Fransiska Louwagie, Fabian Van Samang
Secrétaire de rédaction : Frédéric Crahay
SPF Sécurité Sociale
Comité de rédaction : Eric Lauwers, Frédéric Crahay,
Service des
Sylvain Keuleers, Marjan Verplancke, Marie-Pierre Labrique Victimes de la Guerre
Graphiste : Yann Collin (http://yanncollin.prosite.com)
Imprimeur: Hayez (www.hayez.be) Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles

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