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Les Nuées est une comédie grecque classique d'Aristophane, du 5ème siècle avant J.-C.

Le
thème de la pièce s'articule autour du conflit générationnel qui éclate entre le vieil Athénien
Strepsiadès, et son fils Phidippidès. Strepsiadès est un vieux paysan qui, ruiné par les goûts luxueux
de son épouse et par les courses de chevaux de leur fils Phidippidès, se tourmente à cause de ses
dettes. Il lui vient alors l'idée d'envoyer son fils au « Pensoir », l'école de Sokratès (Socrate) pour y
apprendre les deux types de raisonnement : le Supérieur et l'Inférieur. Ce dernier raisonnement,
l'Inférieur, permet de gagner les causes injustes, et ainsi le père pourra échapper à ses créanciers.
En quoi, dans Les Nuées, Aristophane condamne-t-il l'enseignement dispensé par les
sophistes et participe au procès de Socrate ?
D'abord, nous étudierons l'enseignement dispensé par les sophistes et en quoi c'est une arme
redoutable dans le contexte de la démocratie athénienne. Enfin, nous verrons comment le portrait
controversé de Socrate dans la pièce a été un facteur favorisant son exécution.

Dans l'Antiquité, la rhétorique s'intéressait à la persuasion dans des contextes publics et


politiques, comme les assemblées et les tribunaux. A ce titre, elle s'est développée dans les sociétés
ouvertes et démocratiques avec des droits de libre expression, de libre réunion, et des droits
politiques pour une partie de la population, c'est-à-dire dans les sociétés tenant de la démocratie
athénienne. Aristophane, dans Les Nuées s'inspire de Protagoras. C'est un penseur présocratique et
professeur du 5ème siècle avant J.-C. Il serait, selon Platon, le premier penseur à s'être revendiqué
« sophiste » et à avoir demandé une rétribution financière pour son enseignement. Ainsi,
Aristophane s'inspire de ses idées sur la rhétorique et le droit qui ont mené le « système adverse »,
ou rhétorique, dans lequel on amène un étudiant à débattre pour les deux parties en guise
d'entraînement en droit. Ces deux parties dans la pièce sont appelées le raisonnement juste et le
raisonnement injuste. Ils sont propres à la rhétorique rendue populaire par les sophistes au 5ème
siècle avant J.-C. Les sophistes sont des orateurs et des professeurs d'éloquence de la Grèce
Antique, dont la culture et la maîtrise du discours en font des personnages prestigieux, et contre
lesquels la philosophie va en partie se développer. La rhétorique utilise, dès son fondement, trois
notions centrales : l'Ethos, le Pathos et le Logos. Cependant, l'objet central de leur occupation était
l’Ethos et le Pathos, ils laissaient de côté le Logos, qui relève de la démonstration et de la raison, car
pour eux, la fonction du langage est de persuader et non pas d'expliquer. L'Ethos est l'image que le
locuteur donne de lui-même à travers son discours. Il s'agit essentiellement pour lui de capter
l'attention et la confiance de l'auditoire, pour se rendre crédible et sympathique. D'ailleurs, Aristote
définit le bon sens, la vertu et la bienveillance comme étant les éléments favorisant la confiance de
l'orateur. Le Pathos est également une méthode de persuasion par l'appel à l'émotion du public. C'est
souvent par les passions que triomphe l'éloquence, et pour les maîtriser, l'orateur doit connaître les
ressorts et les moyens qui servent à les exciter ou à les calmer. De plus, les sophistes définissent les
parties du discours, analysent la poésie, distinguent les synonymes et inventent des stratégies
d'argumentation. Leur but est en effet avant tout pratique : permettre de comprendre les types de
discours et les modes d'expression les plus à même de convaincre leur auditoire et d'accéder aux
plus hautes places de la cité. D'après Henri-Irénée Marrou, dans Histoire de l'éducation dans
l'Antiquité : « Les Sophistes s'adressent à quiconque veut acquérir la supériorité requise pour
triompher dans l'arène politique ».

Ultérieurement, la pièce doit une grande partie de sa notoriété au portrait particulier et


controversé qu'elle offre du philosophe Socrate. Tel que le dépeignent les dialogues de Platon,
Socrate, qui avouait ne rien savoir et qui s'entretenait avec les Athéniens dans la rue et au hasard des
rencontres, se montrait l'ennemi des sophistes, qui professaient eux un savoir et faisaient payer leurs
enseignements. Au contraire, Aristophane semble avoir fait du philosophe le type même des
sophistes dans Les Nuées : pédant et athée, Socrate y tient sa propre école où il enseigne l'art de
parler, et particulièrement le moyen de faire valoir n'importe quelle cause, dans les termes de la
pièce, faire triompher le Raisonnement injuste sur le Raisonnement juste.
Or, cet enseignement correspond davantage à la formation rhétorique que les sophistes, tels que
Protagoras ou Gorgias, dispensaient aux jeunes Athéniens, qui se voyaient par là dotés d'un pouvoir
de persuasion redoutable dans le contexte de la démocratie athénienne. Cette confusion apparente
de Socrate avec ses ennemis a longtemps suscité des interrogations. Selon certains traducteurs,
Socrate avait cela de commun avec les sophistes qu'il remettait en question les idées reçues de la
morale et de la religion grecque traditionnelles au moyen du raisonnement, ce qui, eut une influence
considérable sur la jeunesse athénienne. A travers Socrate, Aristophane vise donc ce qui a pu en
général être perçu à Athènes comme un courant novateur de scepticisme, et le danger que ce courant
représentait d'après lui pour les valeurs traditionnelles constitue le conflit principal des Nuées. Le
scepticisme est une doctrine selon laquelle l'esprit humain ne peut atteindre aucune vérité générale,
elle s'oppose au dogmatisme. De plus, au début de l'Apologie de Socrate de Platon, dans laquelle
Platon rapporte la défense de Socrate lors de son procès, Socrate fait explicitement référence à
l’œuvre d'Aristophane. Il affirme que ses plus dangereux accusateurs sont ceux qui, depuis
longtemps, ont convaincu l'opinion publique « qu'il existe un certain Socrate, docte personnage,
songeur quant aux choses d'en haut, fouilleur au contraire de tout ce qu'il y a sous terre, et qui de la
cause la plus faible fait la cause la plus forte », ce qui comme le révèle Léon Robin, professeur
d'histoire de la philosophie antique à la Sorbonne, correspond au portrait qui est fait de Socrate dans
Les Nuées. Poursuivant son discours, Socrate affirme qu'il ne peut identifier avec certitude aucun
des ses redoutables accusateurs, « à l'exception d'un seul, un faiseur de comédies ». Ce faiseur de
comédies est nommé un peu plus loin : « C'est en effet ce que vous avez vu par vous même dans la
comédie d'Aristophane ». Enfin, Les Nuées contiennent en germe les trois chefs d'accusation
retenus contre Socrate lors de son procès. D'abord, on y voit effectivement Phidippidès,
nouvellement sorti du Pensoir, l'école de Socrate , battre son père en utilisant maints et maints
arguments pour justifier qu'il est en droit de la faire. Ensuite, lors de ses entretiens avec Strepsiadès,
le personnage répudie à de nombreuses reprises les dieux traditionnels, affirmant entre autres la
chose suivante : « Par quels dieux jureras-tu ? Car, pour commencer, les dieux, c'est une monnaie
qui n'a pas cours chez nous. ». Non seulement Socrate répudie les divinités grecques courantes,
mais il insiste sur l'introduction des siennes : il demande à Strepsiadès de ne reconnaître nulles
autres divinités que « le Vide que voici, les Nuées et la Langue, rien que ces trois ».
A cette même période Athènes perd la guerre du Péloponnèse face à Sparte, et beaucoup attribuèrent
cette défaite dévastatrice à une prétendue perte des valeurs traditionnelles. Dans cette perspective,
on trouva rapidement des boucs émissaires : les sophistes. Socrate, à cause des Nuées pâtit au
moment de son procès d'une mauvaise réputation. Son procès est un des procès les plus célèbres de
l'Antiquité. Socrate est donc accusé de corrompre la jeunesse, de nier les dieux de la cité et
d'introduire de nouvelles divinités. Il est donc condamné à mort par le tribunal de l'Héliée, à
Athènes, en 399 avant J.-C. Il accepte la sentence, bien qu'il se défend de l'accusation d'impiété qui
est un manque de considération pour les obligations dues au culte. Socrate boit alors volontairement
la ciguë, une plante très toxique qui est à l''époque le poison officiel des Athéniens.

Ainsi, Les Nuées d'Aristophane contiennent une critique de l'enseignement dispensé par les
sophistes aux jeunes athéniens dans l'Antiquité. En effet, ils développent des raisonnements dont le
but est uniquement l'efficacité persuasive, et non la vérité, et qui à ce titre contiennent souvent des
vices logiques, bien qu'ils paraissent à première vue cohérents : des sophismes (argumentations à la
logique fondée sur un mensonge). De plus, aux dires de Platon et d'auteurs plus contemporains, Les
Nuées incitèrent donc en partie au procès et à l'exécution de Socrate, de part le portrait controversé
qu'elles offrent du philosophe.

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