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Les Processus de patrimonialisation

Note de synthèse

(Notes organisées après compilation de documents+bibliographie)

I – Définition et évolution

1-1- Définition

Patrimoine : définition du petit Larousse : "latin : patrimonium : de


pater, père : bien qui vient du père et de la mère. Par extension : bien
commun d'une collectivité, d'un groupe humain, considéré comme un
héritage transmis par les ancêtres.
On peut le définir par son contenu : on fait l'inventaire des biens
patrimoniaux, des éléments qui entrent dans ce que l'on estime devoir
être transmis (induit une sélection, une classification).
Rapporté au patrimoine rural on peut ainsi classer :

- les éléments bâtis : formant ce que l'on nomme l'architecture


rurale elle-même constituée de monuments historiques
(châteaux, édifices religieux) et du petit patrimoine rural
(maisons, fontaine, lavoir, four banal…) ;
- le patrimoine culturel, constitué des techniques, outils, savoir-
faire mais aussi des éléments non liés à l'acte de production tels
que les patois ou langues locales, les fêtes, les légendes, les
croyances;
- les produits de terroir entrés dans le patrimoine avec l'ère de la
grande distribution et le développement des attentes urbaines à
l'égard de la campagne, comme lieu d'authenticité et de
naturalité ;
- le paysage dernier né du patrimoine, où s’articule la recherche
de conservation environnementaliste et le processus de
publicisation de la campagne.

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Ce processus de patrimonialisation : est-ce un passage de ces éléments
: de la culture (mémoire vivante) vers l'histoire (folklore,
muséification) ou une reconstruction, une réinterprétation d'élément
du passé pour le présent et l'avenir dans un ensemble constitué et
cohérent que l'on nomme culture (patrimoine : levier de
développement local) ?

Avant de répondre à cette question, ou d'en aborder plus précisément


les tenants et aboutissants, il faut revenir à l'évolution de la notion de
patrimoine.

1-2- Evolution et élargissement de la notion de patrimoine

Evolution au cours de laquelle :

- élargissement de la notion de patrimoine,


- intégration des éléments ruraux à ceux du patrimoine national.

a) Au premier temps du patrimoine : les grandes œuvres et


monuments historiques :

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Avant la révolution française, cette notion désignait des biens privés
et transmissibles, ceux de l’église et de la cour. On y trouve
principalement, des œuvres d’arts, des édifices religieux, des
propriétés foncières et monuments.
La révolution française, en confisquant ces biens, fait entrer ces
derniers dans la sphère publique. Au lieu de détruire les traces d’un
passé rimant avec malheurs et servitudes, nombreux sont ceux qui
n’ont cessé de prôner leur conservation. Cette lutte était motivée par
une instrumentalisation d’ordre identitaire, idéologique et politique :
faire du patrimoine l’instrument d’une nouvelle identité : une identité
nationale.

En effet le patrimoine (monumental et muséographique) constituant


désormais la propriété collective des citoyens, devient le ciment
symbolique de l’identité nationale.

Jusqu’au 19°siècle ce sont des critères esthétiques, artistiques et


historiques qui définissent objets et monuments en tant que patrimoine
national.

C'est tout d'abord la réaction romantique (1830) qui porte la prise


de conscience d'un patrimoine à la fois précieux et fragilisé par le
mouvement général d'urbanisation et d'industrialisation que
connaît alors la société.

C'est à cette époque que Victor Hugo écrit dans la Revue de Paris
en 1829 un article intitulé "guerre aux démolisseurs": véritable
manifeste contre le vandalisme que représente à ces yeux
l'urbanisation sans frein d'alors et plaidoyer en faveur du patrimoine.

Il faut selon lui : "arrêter le marteau qui mutile la face du pays". Il en


appelle également à la création d'une "loi pour le passé", le passé
étant à ses yeux – je cite – "ce qu'une nation a de plus sacré après
l'avenir".

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Il contribue également à l'idée d'une propriété non pas individuelle,
mais collective de tout bien patrimonial : "il y a deux choses dans un
édifice, son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa
beauté est à tout le monde; c'est donc dépasser son droit que de le
détruire".
Ce mouvement littéraire et artistique n'est pas isolé dans le reste du
pays. Pour la première fois en France, on assiste à la mise en place
d'une politique patrimoniale de l'Etat. Celle–ci est alors
exclusivement tournée vers les monuments historiques, mais ce qui
change c'est qu'il s'agit non plus seulement de connaître mais aussi de
protéger et de restaurer les monuments historiques:

- Guizot, ministre de l'intérieur et par ailleurs auteur des Essais sur


l'histoire de France, crée en 1830 la charge d'inspecteur des
Monuments historiques, qui sera occupée en 1834 par Prosper
Mérimée.

- Ce dernier va livrer bataille, pendant 20 ans, contre la démolition et


la dégradation des monuments. Il va parcourir la France, recensée
les monuments et contribuer à leurs conservation.

- loi sur les Monuments Historiques. (Création de l'inventaire des


monuments historiques).
En 1837, la Commission des Monuments Historiques se met en place.

Ainsi, cet investissement de l’Etat marque une préoccupation


majeure, celle de conserver les édifices symbolisant une histoire
commune. C’est au travers du postulat de l’intérêt national que l’Etat
légitime cette prise en charge, et il en va de même pour les musées et
puis pour l’enseignement artistique public sous la Troisième
République.

Mais, le patrimoine est au départ avant tout celui des grands


monuments, celui de la grande histoire : c'est le "patrimoine majeur"
opposé à tout le reste du bâti.

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Patrimoine « mineur » ou petit patrimoine rural, que l'on se soucie peu
alors de préserver des assauts de la "modernisation" et de
l'urbanisation alors dominante.
Avec le temps la notion de patrimoine va s'étendre à d'autres
domaines (le patrimoine non bâti, culturel, et savoir-faire) et à
d'autres lieux que ceux de « La culture » (le petit patrimoine rural, le
patrimoine naturel).

b) Extension du patrimoine et intégration de la ruralité

Architecture rurale : une intégration difficile au patrimoine


monumental

Entré officiellement dans le domaine du patrimoine lors de la création


de l'inventaire des MH, mais les critères utilisés alors sont très mal
adapté pour ce type de patrimoine : archi évolutive, série et variantes
(et non unicité).

Pourtant connaissances accumulées : Historiens, géographes (Vidal de


la Blache, 1908 : travaux sur habitats rural, paysages, économie
agraires).

Mais il faut attendre l'après -guerre, pour qu'une véritable politique


soit mise en œuvre à l'égard de ce patrimoine :

- Issu du chantier (enquêtes ethno) conduit par Georges Henri


Rivière, au musée des Arts et tradition populaires, et qui va
déboucher sur les "Journées de l'habitat rural" en juin 44 sous le
patronage, au départ d'une association pétainiste : Corporation
nationale paysanne.

Ce chantier fait apparaître pour la première fois une volonté de


protection et de conservation, avec une interrogation forte : comment
protéger le patrimoine architectural rural tout en organisant sa
reconstruction et sa modernisation ?

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GH Rivière propose 2 formes de protection applicables à l'archi
rurale :
- protection restreinte et radicale : type muséographique ;
- protection diffuse et étendue : éducation des acteurs ruraux au
patrimoine ;

Ces recherches et effort de sensibilisation aboutissent à:

- 1981 : la création d'une ligne budgétaire supplémentaire (dans le


cadre de l'inventaire général du patrimoine), PNRP: pat rural non
protégé : petit patrimoine rural : fontaine, four, puits, moulin,
lavoir, chapelle, croix …

Des sites exceptionnels au paysage :


Même type d'évolution, un peu décalée dans le temps, en ce qui
concerne le paysage :

Au départ : une loi sur les sites datant de 1930 : que les paysages
exceptionnels et surtout naturels (pointe du raz, Mont St Michel).

A partir des années 60 : préoccupation lié à la modernisation des


campagnes et à leur développement économiques. Dans ce cadre : le
patrimoine paysager a été pris en charge par le ministère de
l'Equipement et du logement, par la Datar : dans une visée de
développement, d'aménagement du territoire, rééquilibrage ville –
campagne.

Ex : Réglementation sur les zones sensibles 1960 pour


l'aménagement de la région Languedoc Roussillon (Datar 1960)
étendue à toutes les zones littorales, maritimes ou lacustres : objectif :
tourisme
Ex : Création des parcs naturels régionaux : (Datar 1963) : Objectif
er
1 : défense du patrimoine naturel dans zone habitée mais fragiles
(désertification ou urbanisation) / puis valorisation du patrimoine dans
son ensemble (naturel et culturels) pour développement local

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L'entrée du patrimoine ethnologique au Ministère de la Culture
= patrimoine symbolique : savoir-faire, techniques, traditions
Pendant longtemps en France tout particulièrement, ce patrimoine a
été laissé aux amateurs, "les folkloristes" (érudits locaux) avec une
orientation conservatrice, et a été dévalorisé par les universitaires et
les politiques.

Il faut attendre 1936 pour que soit créée son institution fondatrice,
musée et laboratoire de recherche, le Musée des Arts et Traditions
populaires.

Multiplication de grandes enquêtes monographiques et


pluridisciplinaires (ethno, histo, géo,) : Plovézet (Bretagne) ; Aubrac,
Baronnies (Pyrénées).

Enquêtes faisant apparaître toutes la dimension des particularismes


locaux : mode de construction, de culture agraire, structures
familiales, modes de vie, de pensée…

On s'aperçoit alors que ces particularismes, loin d'être fondus dans


l'uniformité urbaine, se reproduisent: c'est ce qui intéresse les
chercheurs : façon dont le patrimoine est transmis, sélectionné,
recomposé.

Le patrimoine ethnologique est consacré avec l’année du


Patrimoine en 1980.
La notion de patrimoine s’étend alors à ce qui constitue le fondement
et la manifestation des identités collectives :

" Le patrimoine ethnologique d’un pays comprend les modes


spécifiques d’existence matérielle et d’organisation sociale des
groupes qui le composent, avec leurs savoirs, leur représentation du
monde, et, de façon générale, tous les éléments qui fondent l’identité
de chaque groupe social et le différencient des autres. " (Isaac CHIVA
Cf Rapport)

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Des labels aux produits de terroir
Domaine déjà ancien mais qui n'a cessé de prendre de l'importance.
Dès l'entre deux-guerres, un texte législatif définit les Labels AOC :
sur la base d'"usages locaux, loyaux et constants".
Mais à côté de ces produits bien protégés, d'autres subissent la
concurrence du marché et les politiques agricoles productivistes.
D'où une réaction d'un mouvement associatif : associant défense du
patrimoine régionale (terroirs) et de la diversité biologique.

Crises agricoles : vaches folles, etc.…. Méfiance grandissantes des


consommateurs et succès des AOIC qui se sont multipliés.
Actuellement en France : 420 AOC vin, 210 AOC fromage.

L'intérêt d'une telle politique, surtout dans les régions rurales en


difficulté a d'ailleurs été souligné par un règlement européen en 1992 :

" La promotion des produits présentant certaines caractéristiques peut


devenir un atout important pour le monde rural, notamment dans les
zones défavorisées ou éloignées, en assurant, d'une part, l'amélioration
du revenu des agriculteurs, et, d'autre part, la fixation de la population
rurale de ces zones."

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1-3 – Le patrimoine aujourd'hui : entre éthique et conservatisme
Deux interprétations de cette extension de la notion de patrimoine

- Le patrimoine, nouvelle éthique d'un lien entre générations :

Notamment à travers l'intégration de la nature dans le patrimoine


commun
Yvon Lamy montre la relation entre environnement et patrimoine de
la façon suivante : « L'environnement (qui n'est pas un objet de
transmission au sens propre) fait figure de patrimoine, comme objet de
responsabilité collective à l’égard de l'avenir. Ici c'est la responsabilité
qui crée un nouveau concept de transmission en l'appuyant sur la
conscience d'une solidarité à l'égard des générations futures auxquelles
nous devons rendre un environnement dont nous sommes
dépositaires».

On en vient d'ailleurs à parler d'une éthique du patrimoine :


Contrairement à la mémoire, associée à l'idée de possession, et qui
témoigne d'un rapport non problématisé au passé, le patrimoine est
associé à l'idée que nous ne sommes pas propriétaires mais
dépositaires du passé.

-Le patrimoine : symptôme d'une crise de la Modernité


Pour, Alain Bourdin, l'idéologie du patrimoine, qui s'est développée,
revêt trois dimensions :
- une peur de l’oubli du passé ;
- la volonté d'y puiser des modèles pour demain
- une certaine philosophie humaniste qui nous inscrit comme "maillon
d’une chaîne qui nous dépasse", le patrimoine qui relie le fil des
générations : ce que l'on emprunte à ses enfants

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Le patrimoine, dans l'extension actuelle qui le caractérise, révèle une
inversion de sens, c'est-à-dire le reflet d’une perte de sécurité, d’une
relativisation de toute valeur, rendant plus difficile la gestion de notre
héritage.
Pour A. Bourdin (1984, p. 23), l'engouement pour le patrimoine
découle d'une crise de la Modernité : "Les idéologies du progrès
nous ont menés, elles vacillent. Le monde se désenchante, se
sécularise […], aucune valeur ne s’impose comme assurément
supérieure aux autres, la rationalité domine".
L’accélération de l’histoire, pour reprendre P. Nora (1997, tome 1, p.
25), rend le passé obsolète avant d’avoir pu le déchiffrer. Il fait alors
le diagnostic d’une substitution de la mémoire par l’Histoire :
"La mémoire est la vie, toujours portée par des groupes vivants et à ce
titre elle est en évolution permanente, ouverte à la dialectique du
souvenir et de l’amnésie […]. L’histoire est la reconstruction toujours
problématique et incomplète de ce qui n’est plus".
Cette manière de vivre le passé à distance engendre trois
mouvements.
Le passé n'est plus vécu (ou reconstruit comme guide d'action au
présent) mais évalué.
Le présent est lui-même mis en archive pour en garder l’exacte trace,
avant qu'il ne devienne déjà du passé.
La mise en patrimoine doit, quant à elle, prémunir contre les
incertitudes de l'avenir.
La mémoire devient refuge, et les lieux de mémoire, des bastions à
défendre, pour les groupes qui se sentent menacés par cette
accélération de l'histoire.

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"C’est pourquoi la défense par les minorités d’une mémoire réfugiée
sur des foyers privilégiés et jalousement gardés ne fait que porter à
l’incandescence la vérité de tous les lieux de mémoire. Sans vigilance
commémorative, l’histoire les balaierait vite" (Nora, 1997, p. 29).

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II – Effets de cette extension de la notion de patrimoine :
multiplication des acteurs et des politiques du patrimoine.

Cette extension est allée de pair avec une multiplication des acteurs, et
des politiques du patrimoine.
Tout ceci bien entendu sur fond de nouveaux usages et conceptions de
la campagne.

Une idée générale à retenir :


C'est bien avec l'extension du patrimoine rural aux paysages et aux
produits de terroirs que l'on a modifié considérablement, voire
radicalement, la définition du patrimoine rural et par là –même les
acteurs et les politiques du patrimoine. Ce passage a été consacré par
le rapport d'Isaac Chiva (1994) : Une politique pour le patrimoine
culturel rural.
Cette extension a plusieurs conséquences tant la redéfinition des
compétences des différentes institutions publiques que sur la
multiplication des acteurs du patrimoine sans oublier la définition de
nouvelles compétences professionnelles.

2-1- Redéfinition des compétences des différents ministères

Avec cette extension le patrimoine rural s'étend au-delà du pré-carré


qu'il constituait jusqu'alors pour le Ministère de la culture.
Le changement c'est qu'il ne s'agit plus de conserver des reliques du
passé, mais d'intégrer des objets vivants, indissociables des activités
présentes des hommes qui vivent ou utilisent l'espace rural.

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La politique du patrimoine rural intéresse dès lors :
- la DATAR et le ministère de l'Equipement (en matière
d'aménagement du territoire, en matière de développement local :
PEP)
- le Ministère de l'environnement (mise en place des parcs naturels
régionaux, et des parcs nationaux)
- le ministère de l'agriculture (mise en place des AOC,
multifonctionnalité de l'agriculture : CTE, promotion de la
diversification en matière de tourisme rural)
Pour autant le ministère de la Culture garde une certaine
prédominance en matière de politique patrimoniale notamment avec le
développement du patrimoine ethnologique (savoir-faire)

2-2- Le patrimoine ethnologique : une institution puissante du


ministère de la Culture

En 1980 le nouveau "Conseil du Patrimoine ethnologique" est placé


auprès de la direction du Patrimoine au ministère de la Culture
(actuellement direction de l’Architecture et du Patrimoine), où
existaient déjà d’importantes activités de recherche (archéologues et
historiens d’art de l’Inventaire général).
C'est à cette même époque qu'a été créée aussi la mission du
Patrimoine ethnologique, secrétariat et organe exécutif du Conseil,
mais aussi cheville ouvrière du développement de l’ethnologie de la
France, avec ses relais que sont les conseillers à l’ethnologie placés
auprès des directeurs régionaux des Affaires culturelles.
L’article 2 du décret fondateur du 15 avril 1980 attribue au conseil
et à la mission du Patrimoine ethnologique la prise en charge de :

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"Toutes les questions relatives à ce patrimoine, et notamment à sa
connaissance, à sa préservation et à sa mise en valeur ",
Ainsi que la proposition "d’une politique de la recherche ethnologique
sur la France, de plans et programmes d’intervention..." de la Culture
et des " mesures... (de) coopération permanente entre les départements
ministériels et instances scientifiques concernés ".
La recherche en ethnologie est et reste donc au cœur des travaux et
de l’action du Conseil et de la Mission qui définissent les thèmes de
recherche et choisissent les modalités (appels nationaux d’offres de
recherche, programmes d’action incitative...), en dressent le bilan, en
font connaître les résultats.
Pour les valoriser et favoriser la connaissance du patrimoine
ethnologique, la Mission publie une revue, Terrain, et des collections
d’ouvrages. Elle soutient une production audiovisuelle d’une grande
diversité, participe à des colloques et des manifestations, directement
ou grâce à ses correspondants en région, accorde une grande
attention à la formation et à la professionnalisation, développe des
outils de documentation et d’information, tel le Répertoire de
l’ethnologie de la France : création en 1979 du répertoire de
l'ethnologie de la France – regroupant les activités de 700 chercheurs,
950 organismes
La mission du Patrimoine ethnologique : action et organisation
Les actions définies par le Conseil sont mises en œuvre par la mission
du Patrimoine ethnologique et menées, le cas échéant, en
collaboration avec d'autres services du ministère de la Culture ou
d'autres ministères. La Mission comprend :
- une équipe centrale d'une quinzaine de personnes à Paris
- quatorze correspondants dans les régions (conseillers à
l'ethnologie ou ethnologues régionaux).

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Le rôle du conseiller à l'ethnologie au sein de la direction régionale
des Affaires culturelles est :
- d’impulser et de coordonner la recherche et la formation sur le
patrimoine ethnologique au niveau local en soutenant et en reliant les
actions des équipes de recherche et des différents partenaires
régionaux ;
- de contribuer à la connaissance, à la sauvegarde et à la mise en
valeur de ce patrimoine ethnologique par différents moyens : films,
expositions, publications, actions de protection, circuits culturels, etc.;
- d’apporter des compétences de connaissance et d'expertise en
ethnologie et dans les sciences sociales à la DRAC.
L'ethnologue régional a un rôle similaire à celui des conseillers pour
l'ethnologie en DRAC, dans la politique culturelle définie par le
conseil régional dont il relève. Grâce à une liaison étroite, ce sont des
interlocuteurs privilégiés de la Mission.
Mais ces professionnels ne sont pas seuls à intervenir au niveau
local: de plus en plus leurs actions doivent s'articuler à de
multiples autres acteurs locaux
On a eu deux mouvements :
- d'une part une décentralisation de la politique du patrimoine, avec un
rôle croissant des collectivités territoriales
- d'autre part une multiplication des zonages où différents
professionnels, institutions et niveaux d'intervention s'entrecroisent.

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2-3- Décentralisation et appropriation locale de la politique du
patrimoine
ère
1 étape : décentralisation, avènement des pouvoirs locaux, rôle
phare dans la mise en valeur du « petit patrimoine rural ». Avec une
définition parfois corporatiste (à chaque patrimoine correspond une
communauté de spécialistes qui en font à chaque fois l’étude, en
définissent le champ et en font la promotion)
ème
2 étape : loi sur la démocratie de proximité 5 février 2002 :
Article publié le 9 Février 2002, in : Le monde : "Une loi surprise
décentralise la protection du patrimoine" par EMMANUEL DE
ROUX
Les collectivités locales s'emparent du classement des Monuments
historiques.
Le 5 février, au détour d'une loi sur la « démocratie de proximité »,
les députés et les sénateurs se sont mis d'accord pour transférer la
responsabilité de l'Inventaire et du classement des Monuments
historiques aux collectivités locales. Un texte que personne n'avait vu
venir au ministère de la culture et qui fait l'effet d'un séisme dans le
petit milieu du patrimoine culturel.

2-4- Multiplication des zonages et des niveaux d'intervention


C'est notamment très visible en ce qui concerne la politique lié au
paysage :
A partir des années 1970 face à l'urbanisation des campagnes et pour
lutter contre le "mitage" pavillonnaire lié notamment au
développement des résidences secondaires : mise en place de
l'Assistance architecturale sous patronage du
RAUTENBERG Michel (Conseiller à l’ethnologie- Drac Rhône
Alpes), Evaluation et mise ne valeur des patrimoines de l’agriculture
dans les projets de développement : Quels patrimoines pour quel
développement ?, in A propos du patrimoine agriculturel rhônalpin,
Actes des rencontres régionales des 13 et 14 Novembre 1997Texte
réunis, CRIPT RA DRAF et DRAC, 1997, p 21.

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Ministère de l'équipement et du logement (aide à la préservation de
l'habitat ancien)
1977 : ces objectifs seront élargis avec la mise en place à l'échelon
départemental des Conseils d'architecture, d'urbanisme et de
l'environnement (financés par les Conseillers généraux) : CAUE qui
sont chargés de préserver la qualité de l'architecture et des paysages
par leurs actions de conseil et d'information auprès des collectivités
locales et du public.
Un corps professionnel s'est montré particulièrement actif dans la
"protection diffuse" du patrimoine au sens où l'entend GH Rivière: ce
sont les architectes. Mais ceux-ci ne constituent pas une profession
homogène, ils exercent leur compétence sous divers statuts, dans des
positions différentes vis-à-vis des élus et responsables locaux :
Fonctionnaires de l'Etat (architectes des Bâtiments de France:
ministère de la culture) praticiens libéraux, consultants ou titulaires de
postes publics dans les DDE, DDA, DIREN, CAUE.
Tous ont été confrontés au problème de la conservation et de la
restauration du bâti ancien dans un espace rural en pleine mutation:
souvent opposition entre conservation et développement local.
Préservation patrimoniale et dvpt démographique, économique.
Les architectes des Bâtiments de France notamment sont les
principaux responsables de la mise en place des ZPPAUP : zone de
protection du patrimoine architectural, urbain, et paysager : dispositif
fondé en 1984 pour protéger un ensemble bâti (urbain ou rural) et en
liant fortement à son espace paysager. Avec pour objectif : de
rapprocher la politique de classement des monuments historiques de la
population et d'apporter des solutions aux questions d'articulation
entre préservation et mise en valeur du patrimoine. Mais c'est une
procédure lourde, difficile à appliquer : d'où le faible nombre de site
créés.

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En plus de cela d'autre zonages sont venus s'ajouter, sous la
tutelle du ministère de l'environnement : parc régionaux, ZNIEFF
(zones naturelles d'intérêt écologiques, floristique et faunistique),
conservatoire du littoral (cf. loi sur le littoral)
Dans ce cadre, il s'agit toujours selon la tradition régalienne, de
territoire d'exception où donc les mesures de sauvegarde s'applique à
des enclaves au sein de région qui elles sont en pleine mutation.
Pour articuler cette mesure de sauvegarde à la procédure ordinaire
d'urbanisme et d'aménagement, de nouvelles réglementations ont été
mise en place en direction des élus locaux :
- Plans de paysages, (communaux ou intercommunaux) ; charte
paysagères (intercommunale, dans le cadre des pays) ;
- "volant paysager" ajouté aux plans d'occupation des sols par la loi
paysage de 1993;

Les outils ne manquent pas, mais leur mise en œuvre dépend


largement des volontés politiques locales ou régionales. Et ces
volontés sont elles-mêmes à resituer dans la dimension
multifonctionnelle des campagnes, qui alimente les conflits autour du
patrimoine ;
2-5- Nouveaux acteurs, nouveaux usages et enjeux conflictuels du
patrimoine.
On assiste depuis les années 1970, et surtout 80 à une véritable fièvre
patrimoniale : à travers notamment la multiplication des associations
de préservation du patrimoine :

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On ne peut analyser cette fièvre du patrimoine sans s'interroger
sur la "demande sociale" que gestionnaires et responsables politiques
se voient aujourd'hui obligés ou incités à prendre en compte : cette
demande sociale de "préservation du patrimoine" est hétérogène et
contradictoire :
- préservation de la qualité du cadre de vie quotidien, renforcer ou
reconstituer une identité locale (surtout pour les habitants
permanents)
- mise en valeur et à disposition d'une campagne préservée des
maux de la ville (pour les citadins)

Divergences d'opinion entre citadins et ruraux, anciens et nouveaux


installés, agriculteurs et promeneurs, mais aussi, catégories aisées et
démunies.
Ex : de nouveaux installés qui sont souvent des "intégristes du
paysages" : qui voudraient que rien ne bouge après les changements
qu'ils ont eux-mêmes engendrés.
Ex : des associations de sauvegarde du patrimoine architectural qui
sous-couvert de respect du passé, impose aussi aux milieux populaires
les normes du bon goût.

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III – Patrimonialisation des campagnes : développement local ou
muséification ?
3-1- Il y a autant de patrimoine que d’enjeux.

Ce survol historique montre bien que l’émergence et l’évolution de la


notion de patrimoine s’inscrit dans un contexte sociopolitique donné,
que ce soit au travers de l’affirmation d’une identité nationale, de la
crainte du modernisme, de l’affirmation des identités régionales, d’une
logique de développement économique, ou de la crainte de
catastrophes écologiques.
C’est pourquoi la notion de patrimoine qu’elle concerne une pratique,
un objet ou un lieu, n’est saisissable qu’à travers «l’appropriation et la
désignation par un groupe social […] en fonction d’enjeux
.
économiques, territoriaux, symboliques, politiques, ou sociaux »
Ainsi, le patrimoine n’existe pas a priori : il devient un objet
d’étude à partir du moment où l'on s'intéresse aux discours de ceux qui
le font exister.
Comme le note Alain Bourdin (BOURDIN Alain, Patrimoine et
demande sociale in Le patrimoine, atout du développement, NEYRET
Régis (Dir), Lyon, PUL, 1992, 156 p.), le patrimoine devient « un
marché, un jeu de l’offre et la demande, où l’on assiste à une
prolifération des patrimoines, et donc de processus de
patrimonialisation ».
Selon Michel Rautenberg, c'est ce processus de patrimonialisation,
plutôt l’objet déjà transformé en patrimoine » qu'il faut analyser.

Plus largement, les enjeux du patrimoine, rapportés à la


problématique du développement local, rejoignent ceux de la
légitimation et de la valorisation des "territoires" qui naissent ou se
reconstruisent à la croisée de plusieurs mouvements :
- mouvement de réaffirmation des identités régionales et locale – et
d'affaiblissement de l'Etat-Nation
- mouvement de compétition territoriale lié à l'intégration européenne
(redistribution des aides) et à la plus forte mobilité qui affectent les
territoires (des hommes, des entreprises)

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- développement de nouveaux usages de la campagne (touristiques,
résidentiels) et de nouvelles attentes (qualités des produits, terroirs) :
le patrimoine produit d'appel dans une campagne publicisée ?

Cette question peut en outre doit être appréhendée à travers deux


volets:
- le lien entre la construction des territoires ruraux et l'utilisation du
patrimoine comme outils de développement local (Parc régionaux,
pays)
- la place de l'agriculture dans ce processus de patrimonialisation de la
campagne (AOC)

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3-3 - Le patrimoine, outil de la construction des territoires ruraux
Cet objectif de développement local assigné au patrimoine
implique une définition large de cette notion, telle que la décrit
Pierre LAMAISON :
"Le patrimoine est constitué par tous les éléments qui fondent
l'identité de chacun des groupes humains et contribuent à les
différencier les uns des autres. C'est un ensemble d'agents sociaux, de
biens matériels ou immatériels, de savoirs organisés, qui se sont
élaborés, transmis, transformés sur un territoire donné. Faire
l'inventaire de tous ces éléments impose de prendre en considération
les traits les plus variés, allant des formes d'organisation économique
et sociale aux savoirs techniques ou symboliques, des moyens de
communication (tel la langue ou le dialecte) aux biens matériels, traits
considérés dans chaque cas comme éléments d'un tout, de ce qu'on
appelle une culture"
(LAMAISON P. 1982 – Ethnologie et protection de la nature – pour
une politique du patrimoine ethnologique dans les Parcs Naturel".
Rapport au Ministère de l'environnement, Paris, Ed. de l'EHESS, 76p.
)
Commentaires
Enjeux importants qui ressorts à chaque fois que l'on parle de
patrimoine : en faire l'inventaire : c'est à dire sélectionner ce qui va
être conservé et ce qui va être oublié.
D'où l'enjeu pour les acteurs qui prennent part à cet inventaire :
qui va participer, et qui va imposer sa définition de ce qui est légitime
(scientifiquement, culturellement, localement) de préserver, de
valoriser, de faire connaître…?

Selon Isaac Chiva (cf Rapport) : trois phases incontournables de ce


travail :

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- désignation, authentification et appropriation (ou restitution/ou
valorisation)

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Et cet enjeu est d'autant plus important que le patrimoine sert
finalement ici à définir les contours d'un territoire : on aboutit en
effet aux termes de cette extension du sens de la notion, à la
définition d'un territoire.
On en vient ainsi à associer étroitement patrimoine et territoire :
Notamment à partir des années 1980 avec la montée en puissance du
parc régional et plus récemment avec la mise en place des pays.
Exemple des Parcs naturels régionaux :

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3-4 – Agriculture et patrimonialisation de la campagne
Importance majeure du patrimoine dans le monde agricole,
préoccupation qui touche en tout cas le ministère de l'Agriculture,
qui a commandé une enquête d'opinion (IPSOS – 2002)
Deux tendances :
- L'une qui tend à évincer ou marginaliser la place des agriculteurs
dans ce processus : dans sa dominante paysagère et environnementale
(la nature comme réservoir vierge)
- L'autre qui tend à instrumentaliser ou intégrer le patrimoine comme
outil de défense et de développement agricole : dans sa dominante
économique, mais pas seulement, avec les produits de terroir, les
"relances" d'activités traditionnelles
Première tendance : plusieurs manifestations, et un contexte
général:
Un contexte général : exprimé par Bertrand Hervieu
- Remise en question de la légitimité de la tradition (chasseurs) et du
productivisme (agriculteurs pollueurs) et des constructions
politiques antérieures (prédominances des agriculteurs dans le
monde rural, co-gestion) et accusation des agriculteurs d'être des
pollueurs
- Recherche par les citadins d'authenticité à travers les campagnes
anciennes (diversité des terroirs) – dans lesquelles le paysan a sa
place mais défini depuis la ville et en fonction des attentes urbaines
(jardiniers de la nature)

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Deuxième tendance : instrumentalisation du patrimoine à des fins
de développement agricole
Capacité des acteurs agricoles à s'approprier les nouvelles attentes
urbaines en matière de produits de terroir, mais aussi à mettre en scène
certaines techniques et pratiques pour sensibiliser le public et
redynamiser certaines filières.

Patrimonialisation : changement de statut des produits agricoles :


de locaux à produits d'excellences reconnus à l'extérieur et notamment
par la ville.
Nouveaux acteurs (commercialisation, certification,
communication)/ Le patrimoine n'est pas seulement revendiqué par les
producteurs mais aussi par les élus locaux, les structure locales de la
culture, les promoteurs de l'agroalimentaire et par la population toute
entière. Production pouvant échapper à leurs producteurs.
Loin de figer les produits, cela suppose souvent une capacité
d'innovation, de réorganisation de la production, et plus
généralement de preuve, qui peut mettre les producteurs en
difficulté:
Par exemple : pour les AOP ou IGP, le cahier des charges :
éléments "prouvant que le produit agricole ou la denrée alimentaire
sont originaire de l'aire géographique" et des éléments justifiant le lien
avec le milieu géographique ou avec « l'origine géographique"

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par contre l'AOC implique bcp plus directement les producteurs
et permet de délimiter un espace de discussion plus novateurs :

la reconnaissance à l'extérieur de produit de terroir suppose


déjà une reconnaissance locale de leur spécificité ;

Souligne l'importance de la lisibilité sociale parfois plus


importante que la lisibilité paysagère.

BIBLIOGRAPHIE

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Calédonie, Paris, Adam Biro, 2000

GEERTZ C., Savoir local, Savoir global, les lieux du savoir, PUF, 2002

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l’Homme, 1990

MOHEN J.-P., Les sciences du patrimoine, Paris, Odile Jacob, 1999

NORA P., Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1984

RAUTENBERG M., Campagnes de tous nos desirs. Patrimoines et nouveaux usages


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RECHT R., Penser le patrimoine, Paris, Hazan, 1999

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et le développement durable, Ajaccio, Albiana, 2010, pp. 279-286.

VERDONI D., « Enjeux et Défis » ouvrage collectif, CRDP, 2010.

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