Vous êtes sur la page 1sur 11

Traces

n° 07 BELGIQUE - BELGIË
P.P.
Mars BRUXELLES X
2013 1/9464

de mémoire
Pédago gie et tr ansmissi on
CENTRE D’ÉTUDES ET DE DOCUMENTATION
« MÉMOIRE D’AUSCHWITZ » ASBL
| trimestriel n°7 | janvier – février – mars 2013
| BUREAU DE DéPÔT : BRUXELLE S X | N° Agrégation P 801056

sommaire

actualité
La mémoire de la Shoah.
À propos de quelques lieux
communs p.2

Interrogation
« Vivre et militer pour
Éditeur responsable : Baron Paul Halter – ASBL Mémoire d’Auschwitz – 65, rue des Tanneurs – 1000 Bruxelles

un idéal, c’est la seule


option valable ! »
Les motivations des
collaborateurs flamands
© Fondation Auschwitz

pendant la Seconde Guerre


mondiale p.4
Application pédagogique p.9

Approfondissement
Le mémorial, actualité c Galerie de photos au Zentralsauna,
Auschwitz II-Birkenau.
le lieu, la mémoire.
La monumentalisation
du camp de Westerbork.
p.12 La mémoire de la Shoah.
Application pédagogique p.19
À propos de quelques lieux
Varias p.20
communs
n Philippe Mesnard nous invite à revisiter quelques idées reçues
concernant la mémoire de la Shoah.
w Lire page 2
actualité

Mais si l’on y regarde


La mémoire de la Shoah
Ce faisant, il s’agissait de se confondre dans 1961, il doit s’expliquer devant les juges.
la masse et de regagner une normalité qui À cette même période, Blanchot, lui-
de plus près, ça circulait,

À propos de quelques lieux


avait été interdite sous le nazisme. même engagé contre la guerre d’Algérie,
Mais si l’on y regarde de plus près, ça non pas seulement écrit « Être-juif » après avoir longuement
circulait, non pas seulement la souffrance commenté L’Espèce humaine de Robert
la souffrance – marque

communs
– marque encore intraçable de l’anéantis- Antelme, tous deux publiés dans la NRF en
sement –, mais aussi la nécessité de s’expri- encore intraçable 1962. En 1961, sort sur les écrans Kapo de
mer pour que la terreur subie ne soit pas Gillo Pontercorvo qui peu après réalise La
banalisée. Pour ceux qui en étaient restés de l’anéantissement –, Bataille d’Alger (1965). Kapo ne laisse aucun
loin ou avaient été épargnés, il y avait le mais aussi la nécessité doute sur la liquidation génocidaire des
Selon des interprétations largement répandues,
n
caricaturent-elles. Et elles ont souvent été pressentiment que ça affleurait la langue
de s’exprimer pour que
Juifs par les nazis6. Chronique d’un été (1961)
le génocide des Juifs a fait l’objet d’une occultation adoptées par défaut faute de meilleures et que, avec le temps ou en passant par les de Jean Rouch et Edgar Morin marque,
mémorielle au cours des deux premières décennies après
explications et compréhension que l’on détours d’autres événements, ça allait se la terreur subie ne soit pas pour Michael Rothberg7, l’émergence de
a pour tâche, aujourd’hui, de délivrer en faire entendre. La grande question de Primo la figure du survivant du génocide des Juifs.
la guerre. Comme le souligne Philippe Mesnard, cette vision soulignant la complexité des décades qui, Levi était « comment transmettre de façon banalisée. Ces exemples, parmi tant d’autres,
mérite d’être nuancée étant donné que le silence était moins de 1945 aux années 1970, ont été le théâtre compréhensible ? » Mais, hormis dans les engagent, d’une part, à nuancer l’idée
général qu’on a tendance à le croire. Dans cet article, l’auteur non seulement des antagonismes Est- rêves qu’il raconte dans Si c’est un homme selon laquelle le génocide des Juifs a été
attire l’attention sur les différents discours émergeant à Ouest, mais aussi des processus extrême- et dans La Trêve, il n’a jamais été véritable- la philosophie et la littérature ont été de radicalement occulté durant les décades
l’époque en question, qui étaient parfois étroitement liés aux ment violents de la décolonisation qui ont ment confronté à un refus d’écoute. Et si puissants vecteurs de ce que les discours d’après-guerre et, d’autre part, à souligner
été ressentis jusque dans les métropoles. l’accueil dans le Piémont ou en Lombardie politiques négligeaient. que la guerre d’Algérie a joué un rôle impor-
voix et aux histoires de la décolonisation. Revoyons donc les données du pro- était radicalement différent de ce qu’Elsa Ces années réputées sourdes ont été tant dans la constitution de la mémoire du
blème à la lumière de quelques percées Morante décrit du triste retour des 15 Juifs animées par de nombreux passeurs de la nazisme et du génocide des Juifs. Dès les
opérées ces dernières années. Et, par là rescapés (sur 1056 déportés) à Rome4, cela mémoire du génocide des Juifs. En 1951, Les années 1950, les mémoires se combinent,
même, tentons d’ouvrir le débat. ne fait que confirmer qu’opérer des géné- Temps Modernes publient le témoignage se répondent et coexistent avec les événe-

O
Face à l’ampleur des crimes et des ralités à l’échelle nationale revient le plus de Miklos Nyiszli, médecin juif hongrois ments liés aux guerres de décolonisation.
n parle beaucoup de violences commis pendant les six ans 1 souvent à procéder à des réductions. interné dans le quartier des chambres à Et s’il y a eu ou s’il y a encore des antago-
mémoires de groupe et qui ont embrasé l’Europe (et le monde), Si, par ailleurs, l’on peut admettre gaz de Birkenau et, en 1961, quelques cha- nismes, ceux-ci correspondent à une phase
communautaires en limi- il faut admettre qu’il y avait un réel pro- qu’après-guerre le passé de la Seconde pitres de Si c’est un homme de Primo Levi. qui participe à l’élaboration mémorielle
tant leur rapport et leur histoire à des blème de rupture cognitive que les crimi- Guerre mondiale a été configuré par des En 1958, La Nuit d’Elie Wiesel paraît chez sans pérenniser pour autant hostilités ou
conflits, des guerres, des concurrences. On nels ont d’ailleurs amplement exploité. Une groupes qui, ayant été engagés dans la résis- Minuit (maison née de la Résistance, scène fractures. n
a, par ailleurs, souvent mis en avant que le partie de la réalité n’était pas intelligible et tance, étaient pris dans les enjeux politiques éditoriale du Nouveau roman et porte-
génocide des Juifs avait été occulté et mis les événements qui avaient eu lieu n’ont de la guerre froide, de là à considérer que parole des atrocités commises par l’armée Philippe Mesnard,
sous silence durant une vingtaine d’années pu, a posteriori, être seulement éclaircis ces mêmes groupes ont su imposer une française en Algérie). Le livre est préfacé Directeur de l'ASBL Mémoire d'Auschwitz
notamment par les mémoires issues de par des explications elles-mêmes restées vision hégémonique sans qu’aucune marge par François Mauriac qui avait déjà fait de
groupes de résistants. incomplètes après-guerre. Ce que, lors ne leur échappe pour d’autres configura- même, en 1951, pour Le Bréviaire de la haine
Ce sont là des interprétations qui ont de la guerre de 1914-1918, l’on appelait le tions et d’autres récits, c’est paradoxale- de Léon Poliakov. Durant ces années, trop
été accueillies par des publics cultivés tout « silence du permissionnaire2» était en par- ment projeter une vision totalitarienne sur nombreuses ont été les publications lit-
autant en quête de savoir que de réponses tie dû à l’incapacité à traduire le réel vécu en des pratiques dont on voudrait dénoncer le téraires témoignant de la destruction des
face non seulement à la violence du XXe mots, situation redoublée par l’inaptitude caractère totalitaire. Il faut penser, d’abord, Juifs d’Europe pour que cette attention soit
siècle – avec le génocide des Juifs comme à écouter que manifestent souvent, quelle que les esprits nourrissent des résistances anodine, souligne judicieusement François
(4) Elsa Morante, La Storia [1974], Paris, Gallimard,
(1) On peut également considérer, notamment avec paroxysme –, mais aussi à la façon dont ces que soit l’époque, les êtres humains face et des manières d’être autonomes (ce que Azouvi5. Certains auteurs sont lauréats de 1977, p. 538-539.
David Roskies, que les violences visant les Juifs ont
commencé, pour ceux d’Europe de l’Est, à prendre événements sont toujours présents dans au désarroi ou à la souffrance d’autrui. Par Michel de Certeau nomme le braconnage) prix éminents comme, entre autres, le Gon- (5) François Azouvi, Le Mythe du grand silence, Paris,
une tournure exterminatrice au moment de la guerre la vie culturelle, éducative et, pour certains, ailleurs, il y avait un principe de réalité qui contre les tentatives d’imposer à la pensée court pour André Schwartz-Bart, en 1959, Fayard, 2012.
de 1914-1918, passant à un niveau supérieur à celui, (6) Philippe Mesnard, Consciences de la Shoah, Paris,
pourtant déjà radical, de celui des pogroms. personnelle. Or, en y regardant de plus près, dictait aux survivants de se raccrocher à la des visions simplifiées et acritiques, ensuite, et Anna Langfus, en 1962. Signataire de la
Kimé, 2000, p. 13, 26-27 et Philippe Mesnard, « La
(2) Jean Paulhan, Les Fleurs de Tarbes ou la Terreur tout laisse à penser que, sans être totale- bouée de sauvetage du travail, de l’occupa- que nombreuses furent les associations qui, « Déclaration sur le droit à l’insoumission tension des identités mémorielles », Rue Descartes,
dans les Lettres [1941], Paris, Gallimard, 1990, ment erronées, ce sont là des interpréta- tion du temps et de la reconstitution, ne accueillant les survivants, ont aussi indirec- dans la guerre d’Algérie » (le Manifeste des n° 66 (n° thématique : Evelyne Grossman et Pierre
p. 35-37. Lauret (éds.), "Changer les identités"), 2010, p. 93-100.
(3) Aharon Appelfeld, L’Héritage nu [1994], Paris,
tions radicales et partisanes. Elles tendent serait-ce que pour soi-même, d’une socia- tement favorisé la prise de conscience de 121), Claude Lanzmann évoque explicite- (7) Michael Rothberg, Multidirectional Memory,
L’Olivier, 2006, p. 9. à réduire les situations, parfois même les lité. « La mémoire devint votre ennemi3. » ce qu’avaient subi les Juifs, enfin, que l’art, ment le « génocide des Juifs » quand, en Stanford, Stanford University Press, 2009, p. 176-198.

2 traces de mémoire n°07 – mars 2013 3


interrogation

« ViVre et militer pour un idéal,


politique, comme la Volksunie, le CVP, …
et furent même élus sénateurs, ministres

c’est la seule option Valable ! »


ou parlementaires européens3. Dès 1947,
la sympathie et le soutien pour les anciens

Les motivations des collaborateurs flamands


collaborateurs étaient largement répandus
sur les scènes sociale et politique. L’image
cultivée par les anciens collaborateurs fut
pendant la Seconde Guerre mondiale reprise en dehors du milieu collaborateur
et s’ancra ainsi rapidement et durablement
dans la mémoire collective.

© ceges - Bruxelles, image n° 74480


n Dans son livre Voor Vlaanderen, Volk en Führer Les années 1980 constituèrent un
(Pour la Flandre, le Volk et le Führer, Manteau 2012), tournant dans l’opinion publique. L’atten-
l’historienne aline sax étudie les motivations et la tion grandissante pour les expériences
vision du monde des collaborateurs flamands pendant des survivants de la Shoah et pour leurs
témoignages changea la conception de
la seconde guerre mondiale1. Elle constate que l’image du
la guerre. Celle-ci ne fut plus vue comme
collaborateur telle qu’elle existe dans la mémoire collective un simple conflit militaire, mais comme
ne correspond pas tout à fait à celle qui émerge de l’analyse le déraillement d’une idéologie répré-
c
des sources primaires. collaboration – Fête ss, 1940-1945. hensible : le national-socialisme. Il devint
alors plus difficile de justifier l’adhérence
à une idéologie qui avait rendu possible
d’indignation contre les poursuites pénales, était une image justificatrice laissant peu mondiale, les soldats flamands, incompris présentent en somme comme des idéa- un événement aussi horrible que la Shoah.
jugées trop lourdes et injustes. Dans l’immé- de place à la diversification, qui mettait par leurs officiers francophones, donnèrent listes qui ont collaboré avec les Allemands La collaboration s’en trouva diabolisée.
diat après-guerre, les nationalistes flamands, l’accent sur les motivations nationalistes leur vie pour un État qui ne leur concéda dans le seul but de réaliser leur projet natio- Néanmoins, l’image justificatrice modelée
qui s’étaient largement engagés dans les de la collaboration flamande. L’on remonta aucun droit et ne reconnut pas leurs sacri- naliste flamand. dans l’après-guerre par les collaborateurs
mouvements de collaboration, considé- à la Première Guerre mondiale et à l’entre- fices2. Selon ce discours, l’attitude discri- ne diminua pas en force et en influence.
raient la répression comme un moyen pour deux-guerres pour expliquer les raisons de minatoire de la part de la Belgique envers En dehors du milieu collaborateur, De nos jours, elle continue à faire office de

c
l’État belge de régler des comptes avec ses la collaboration. Lors de la Première Guerre les néerlandophones ne changea pas dans cette façon de présenter – et d’excuser – vérité incontestable auprès de bon nombre
ertains clichés concernant ennemis politiques. Beaucoup d’entre eux l’entre-deux-guerres. Comme l’État refusa les choses connut un grand succès. Parmi de personnes, dont souvent les enfants des
la motivation des collabo- étaient persuadés qu’ils n’avaient pas com- (1) Cette étude ne couvrant pas la question de la d’écouter les demandes flamandes, les Fla- les anciens collaborateurs, on compta bon collaborateurs.
rateurs flamands ont la vie mis de faute, et estimaient que les peines collaboration en Wallonie, nous renvoyons à ce mands furent obligés de se tourner vers nombre d’écrivains, de journalistes, d’his-
sujet notamment aux études de Martin Conway,
longue. Subsiste jusqu’à nos jours le cliché étaient trop sévères et injustes. Cette ran- Collaboration in Belgium : Léon Degrelle and the Rexist les Allemands. Durant toute la période de toriens et d’autres personnes fort capables Dans le cadre du projet de recherche
du prêtre excitant ses jeunes élèves ou cune à l’endroit de l’État belge, qui trouva Movement, 1940-44, New Haven, Yale University collaboration, les collaborateurs ont en de s’exprimer, qui répandirent leurs idées qui est à la base du livre Pour la Flandre,
Press, 1993 ; Eddie de Bruyne, For Rex and for
paroissiens à s’engager sur le Front de l’Est, son germe dans les milieux collaborateurs, Belgium : Léon Degrelle and Walloon Political and somme agi par amour du peuple flamand auprès d’un public plus large. De nombreux le Volk et le Führer, nous avons analysé les
et celui de l’idéaliste nationaliste flamand se trouva nourrie dans les camps d’interne- Military Collaboration 1940-1945, Solihull, Helion, et le seul reproche qu’on pourrait leur faire, ouvrages (pseudo)historiques sur la guerre facteurs qui ont prédisposé certaines per-
2004 ; Flore Plisnier, Ils ont pris les armes pour Hitler.
dupé par les Allemands. Voilà des images ment où furent rassemblées des milliers de La collaboration armée en Belgique francophone, c’est d’avoir eu la naïveté de compter sur ou la répression virent le jour, écrits par sonnes à collaborer. Les résultats de l’étude
qui reviennent sans cesse dans les discus- personnes soupçonnées de collaboration. Bruxelles, Renaissance du Livre/CEGES, 2008. les Allemands pour défendre leurs intérêts, d’anciens collaborateurs. Après la guerre, nous amènent à réviser l’idée d’une naïveté
Compte-rendu illustré de ce dernier ouvrage dans
sions et les réflexions au sujet la collabo- La situation de disgrâce des anciens colla- O., Rogeau, « Collaboration. Ce que les Wallons ne ou de se laisser séduire par la rhétorique ceux-ci se réintégrèrent relativement vite nationaliste flamande.
ration. D’autre part, la représentation de borateurs donna naissance à une véritable veulent pas savoir », Le Vif-L'Express, 22.2.2008, p. 48- völkisch sans savoir le fin mot de l’affaire. – beaucoup plus vite qu’aux Pays-Bas, par
52 (il est possible de se procurer le texte de l'article
la collaboration en Flandre est marquée subculture : les collaborateurs se retrou- via la Médiathèque des Territoires de la Mémoire : Voilà ce que nous déclarent les anciens exemple – dans la vie sociale. Plusieurs col- Sources
aussi par la mémoire de la répression et de vaient dans des associations, leurs enfants http://mediatheque.territoires-memoire.be/index. collaborateurs dans leurs biographies : rien laborateurs devinrent membres d’un parti
php?lvl=notice_display&id=128708).
la poursuite judiciaire des collaborateurs étaient membres des mêmes mouvements (2) Un mythe démonté entre autres par Sophie De
n’était connu sur les camps à ce moment-là. Trois questions étaient à la base de
après la guerre. Certaines images fortes de jeunesse, ils avaient leurs propres revues Schaepdrijver dans La Belgique et la Première Guerre L’histoire ne se prête pas à une hineininter- l’étude :
mondiale, Berlin – New York, P.I.E.-Peter Lang, 2004. (3) Oswald Van Ooteghem, ancien combattant au
– celles des femmes rasées, des maisons et partis politiques. Ce fut au sein de cette Voir aussi C. Van Everbroeck, « Une conscience dans
pretierung. Les collaborateurs ne savaient Front de l’Est, devint sénateur pour la VU ; Hector
(1) Qui était le collaborateur moyen,
détruites, des collaborateurs enfermés à la subculture qu’on harmonisait les images le feu. Divergence à propos du pourcentage des pas tout ce qu’on sait aujourd’hui. Les nazis de Bruyne, ancien membre de la VNV, fut sénateur dont le pouvoir était généralement limité
victimes flamandes de la Première Guerre mondiale, et ministre du Commerce extérieur (VU) ; Victor
Libération dans les cages aux lions du zoo que chacun se faisait de sa propre période Anne Morelli (éd.), Les grands mythes de l’histoire de
n’avaient pas encore montré leur vrai visage Leemans, aussi de la VNV, fut président du Parlement
d’Anvers – se sont mêlées au sentiment de collaboration. L’image de soi créée ainsi Belgique, Bruxelles, Vie Ouvrière, 1995, p. 233-242. aux collaborateurs intègres. Ces derniers se européen. Suite p.6 w

4 trAceS de MéMoire n°07 – MArS 2013 5


interrogation
,
Dans la propagande, Hitler était souvent
représenté comme une sorte de Messie qui
conduirait son peuple à un avenir meilleur.

w Suite de la p.5 motivation, parfois très divers. Ainsi, cer- « Tout le monde doit cette idéologie et comment définir le sou-
tains ont collaboré parce qu’ils croyaient tien à l’égard du Nouvel Ordre ?
mais qui s’engageait néanmoins en faveur en un Nouvel Ordre, un meilleur monde. prendre sa responsabilité.
de l’occupant ? D’autres espéraient faire de l’argent à tra- Si j’avais été célibataire Idéologie
(2) Pourquoi ces personnes ont- vers la collaboration, avaient peur d’être
elles décidé de collaborer ? Quels étaient convoqués en Allemagne pour le travail et en bonne santé, Pour savoir ce que cela signifiait
leurs motifs, leurs mobiles ? En dans quelle obligatoire, ou ont agi par revanche, par j’aurais déjà rejoint d’être partisan du Nouvel Ordre et afin
mesure ces motifs ont-ils été inspirés ou goût d’aventure ou par rébellion. de connaître l’idéologie sous-tendant les
déterminés par l’entourage ? Afin d’avoir une meilleure idée de les rangs de la Légion actions des collaborateurs, nous avons
(3) Sur quelle base idéologique la col- l’importance de ces motifs dans chaque flamande. Vivre et militer étudié les lettres insérées dans les dossiers
laboration s’est-elle greffée ? Quelles étaient cas individuel, il était nécessaire d’étudier de la première et de la deuxième catégo-
l’image de soi et la vision du monde des les rapports entre les différents motifs mais pour un idéal, c’est la seule rie. Il s’agissait de vérifier, d’un côté, ce que
collaborateurs ? aussi de situer ceux-ci par rapport à la situa- option valable. » les collaborateurs ont écrit (contenu) et,
tion personnelle du collaborateur et par de l’autre, quels mots et discours ils ont
Afin de pouvoir formuler une rapport au contexte social. En général, il employés (forme).
réponse à ces questions, nous avons décidé y avait un ensemble de motifs et de fac- L’analyse des lettres nous a permis de
de ne pas procéder à des entretiens avec teurs décisifs plutôt qu’un seul motif sous- la persécution ou le travail obligatoire). Il formuler quatre conclusions sur la vision
les témoins – étant donné que ces derniers tendant la collaboration. En retraçant la s’agit de personnes qui, étant donné leur du monde des collaborateurs idéologiques.
ont souvent pu subir l’influence de l’image récurrence des motifs et les rapports entre sympathie pour le Nouvel Ordre, ont choisi (1) La collaboration n’était pas uni-
justificatrice vieille de presque septante ans ceux-ci, nous avons établi une typologie de résoudre leurs problèmes dans ce cadre quement une réalité professionnelle ou
maintenant – mais de travailler unique- comprenant plusieurs clusters de motifs, en s’engageant dans la collaboration. économique, mais avait aussi des réper-
ment avec des sources créées pendant ou qui permet de classifier les collaborateurs (3) Le troisième groupe (32 %) com- cussions sur la vie sociale. Les collaborateurs
immédiatement après la guerre, à savoir en trois groupes, dont le dernier comprend prend les collaborateurs qui n’avaient, avaient adapté leur réseau social – leur
les dossiers de procès de la répression. Ces deux sous-catégories : d’après leur dossier, que des motifs person- cercle d’amis et de connaissances – à ce
dossiers ont l’avantage qu’on n’y donne (1) Le premier groupe (40 %) com- nels. Leur engagement au sein de la colla- nouveau contexte. Les liens avec les non-
pas seulement la parole aux collabora- prend les gens qui ont collaboré pour des boration ne relevait pas d’une conviction collaborateurs étaient rompus (des deux

© K. Stauber, circa 1935


teurs, mais aussi à leur entourage. L’audi- raisons idéologiques, en fonction d’un cer- idéologique ou d’une sympathie à l’égard côtés) et les collaborateurs s’intégraient de
teur militaire menant l’enquête et chargé tain intérêt social. Ils croyaient que les Alle- du Nouvel Ordre, ce rapport étant nié plus en plus dans un réseau de collabora-
de produire les preuves interrogeait en mands allaient installer un Nouvel Ordre aussi bien par eux-mêmes que par des tion. Avec l’avancement de la guerre et la
général plusieurs personnes : les membres capable de résoudre les problèmes sociaux témoins. Pour la grande majorité de ce radicalisation du comportement des Alle-
de famille, les amis, les connaissances mais existants. Leurs dossiers ne contiennent groupe (70 %), la raison principale pour mands vis-à-vis de la population, les deux
aussi les collègues, les voisins, l’agent de aucune référence à d’autres mobiles, donc l’engagement dans la collaboration était réseaux se renfermaient progressivement
quartier… et d’autres personnes que le col- Flamands. Notre analyse a porté sur un que la majorité d’entre eux appartenaient à on peut conclure que leur conviction idéo- d’ordre financier. Les personnes concernées sur eux-mêmes et il devenait difficile d’en
laborateur avait connues. Ceci permet de échantillon de 326 dossiers. des classes sociales défavorisées : ils étaient logique a inspiré et modelé leur action. Ils étaient au chômage, ne gagnaient pas assez sortir. D’une part, les collaborateurs étaient
construire une image plus complexe de ouvriers, domestiques, artisans ou petits se sont effectivement engagés au nom d’un pour joindre les deux bouts, ou souhai- exclus et stigmatisés par la société non-col-
l’homme ou de la femme en question. Bon Tableau de groupe paysans. Des données sur leur situation idéal. On place la collaboration par convic- taient avoir leur part du gâteau pendant laboratrice. « Une fois un noir, toujours un
nombre des dossiers contiennent en outre financière et le degré d’alphabétisme cor- tion idéologique sous le dénominateur l’Occupation. Un certain nombre de col- noir », était la devise. Les non-collabora-
des documents personnels : des perqui- L’étude de notre première question roborent cette conclusion. « sympathie pour le Nouvel Ordre ». laborateurs (30 %) avaient d’autres motifs teurs avaient peur des collaborateurs ou
sitions avaient été faites dans le cadre de montre que la grande majorité des colla- (2) Le deuxième groupe (28 %) com- personnels, très divers, qui n’avaient rien à prenaient leur distance. D’autre part, les
l’enquête judiciaire où l’on avait confisqué borateurs condamnés – 88 % – étaient Motivation prend les collaborateurs qui avaient des voir avec des questions d’argent. Du point groupes de collaborateurs avaient construit
des lettres, des journaux etc., qui conte- des hommes. La plupart des collabora- motivations tant idéologiques que person- de vue social, ces individus appartenant des rapports de solidarité si forts qu’il était
naient plus d’informations sur la collabo- teurs étaient très jeunes : parmi ceux que La deuxième question guidant notre nelles. Si ces « solutionneurs idéologiques » à cette catégorie relevaient des classes très difficile de se retirer du réseau. L’écart
ration du suspect. Ces documents étaient nous avons étudiés, 42 % avaient 25 ans ou recherche concerne les motifs des collabo- étaient sympathisants du Nouvel Ordre, sociales moins favorisées. entre collaborateurs et non-collaborateurs
ajoutés au dossier. moins à la fin de la guerre, alors que cette rateurs. Pourquoi ont-ils choisi de collabo- leur engagement servait en même temps Cette classification montre que les était creusé davantage par une pensée
tranche d’âge ne représentait que 14 % de rer ? Les dossiers révèlent tout un éventail à éliminer un problème personnel. Ce deux tiers des collaborateurs examinés dualiste très polarisée chez les premiers :
Durant la répression, plus de 53 000 la population belge à l’époque. On a enfin de motifs ayant pu jouer un rôle dans cette problème pouvait être d’ordre écono- étaient sympathisants du Nouvel Ordre. « Tous ceux qui ne sont pas pour nous, sont
Belges ont été condamnés pour colla- pu constater que les collaborateurs étaient décision. Dans un premier temps, nous mique (p. ex. sortir du chômage, gagner Leur idéologie les a guidés dans leur déci-
boration. 32 800 d’entre eux étaient des issus de toutes les couches sociales, mais avons établi une liste de seize types de de l’argent) ou autre (p. ex. se venger, éviter sion de collaborer. Mais comment décrire Suite p.8 w

6 traces de mémoire n°07 – mars 2013 7


interrogation

« L’idée c’était avant


w Suite de la p.7 tout de gagner nettement commandement allemand, impitoyable sujet. À cela s’ajoute le fait que les chasseurs sur base de leurs motivations. Les deux tiers leur idéologie comprenait beaucoup d’élé-
jusqu’à la fin. D’autres étaient déçus parce de Juifs constituaient un groupe relative- des collaborateurs ont agi par conviction ments nationaux-socialistes, comme les
contre ». « L’autre » (les Alliés, les Russes, les plus d’argent, parce que que leurs leaders flamands ne tenaient pas ment restreint, n’ayant pas fait l’objet de idéologique. Ils croyaient en un Nouvel principes de fidélité et d’obéissance à Hitler.
non-collaborateurs) était par définition un je gagnais comme menuisier leurs promesses. Hitler, par contre, se tenait cette étude. Ordre et voulaient le réaliser à travers la col- Ces éléments étaient mêlés à des éléments
danger et une menace. à une certaine distance, n’avait jamais fait laboration. La motivation idéologique était flamands : le lien avec les Allemands était
(2) L’idéologie était un mélange d’élé- avec quatre enfants de promesses concrètes et était dès lors Conclusion dans certains cas associée à des motifs per- fort, mais leur Heimat était bien la Flandre. n
ments allemands / nationaux-socialistes et 240 francs la semaine. intouchable. sonnels (notamment financiers). Les lettres Aline Sax,
flamands / nationalistes flamands. L’image L’étude a révélé qu’il existe trois caté- écrites par les collaborateurs idéologiques Docteur en histoire, auteur de romans de jeunesse
de soi des collaborateurs était construite À la Vlaamse Wacht Une absence remarquable ? gories de collaborateurs, qui se distinguent montrent qu’ils étaient des nazis flamands : Traduction : Anneleen Spiessens
sur deux identités qui se combinaient [Garde flamande]
sans aucun problème. Les collaborateurs Ce qui frappe dans les lettres et dans L'auteur a tenté de retrouver et d'informer tous les ayants droits des photos. Si malgré
se sentaient flamands et germaniques à la je recevais 350 francs et les dossiers de procès, c’est qu’il est rare- ces efforts vous estimez que la mention d'un propriétaire ou détenteur du copyright est
erronée ou incomplète, veuillez le communiquer à Mémoire d'Auschwitz ASBL.
fois et voyaient dans le national-socialisme j’étais nourri en plus et vêtu, ment question de motivations antisémites.
l’avenir de la Flandre. Le nazisme ne servait
pas à réaliser un agenda caché, comme il a et ma femme ne devait pas
Cela ne signifie pas que ces dernières étaient
nécessairement absentes. Les recherches de
a
Application
souvent été souligné, mais constituait un dépenser un centime. Et tous Lieven Saerens et de Robby Van Eetvelde pédagogique Une mémoire (re)construite
but en soi. Ces idéalistes voulaient faire le ont en effet montré que les convictions
maximum pour réaliser le rêve national- mes déplacements étaient antisémites des chasseurs de Juifs de la SS
socialiste, qu’on avait « domestiqué » en y remboursés. Je prenais flamande ou des membres flamands de la
insérant des éléments flamands. Sicherheitspolizei/Sicherheitsdienst ont joué Objectifs : Apprendre à distinguer entre l’image des collaborateurs Cours concernés : histoire, cours philosophiques,
(3) L’engagement des collaborateurs le tram, je ne devais pas un rôle dans leur comportement souvent divulguée après la guerre et celle qui émerge des sources rédigées sciences humaines.
idéologiques était tout sauf facultatif. Les très brutal envers les Juifs. Pourquoi alors pendant la guerre. Les textes suscitent une réflexion sur la
payer. Je prenais le train, construction de la mémoire collective et démontrent que celle-ci ne
Matériau : article ci-dessus ; lettre de Gilbert à sa sœur cadette
collaborateurs étaient très exigeants envers cette question est-elle absente des lettres correspond pas toujours à la réalité.
(Auditorat général, dossier n° 117/44, Gilbert B., lettre à sa sœur,
eux-mêmes et avec les autres et s’appli- je ne devais pas payer. » et des dossiers ? Il y a deux raisons à cela: dd. 26/1/1943) ; extrait de J. Van Dingenen,
Durée : 1 heure « Waarom wij collaboreerden » [Pourquoi nous avons collaboré],
quaient profondément. Le sens du devoir D’une part, il n’existait dans l’après- dans Broederband, n° 11-12, nov.-déc. 1970.
n’était pas seulement un important moteur guerre aucun intérêt pour la persécution
de leurs actions, il les légitimait aussi. Les tant qui luttait à leurs côtés pour un avenir des Juifs, ni pour les motivations qui y
modalités précises de cet engagement meilleur. La relation qui unissait les colla- auraient contribué. L’auditeur militaire ne
étaient néanmoins floues. On avait sou- borateurs à Hitler était remarquablement prêta nullement attention à ces éléments Question Vous retrouverez aussi un article paru dans et du souvenir (Comment se constitue une
vent recours à la métaphore du combat, forte et très personnelle. Les collaborateurs au cours du procès et ne posa donc pas Broederband, une revue qui publiait des mémoire collective ? Comment naissent
mais celle-ci pouvait référer tant au combat associaient leur propre destin à celui de de questions permettant d’évaluer les sen- ✔ Comme le montre l’article ci-des- textes d’anciens collaborateurs. L’auteur de les images faussées ? Puisque l’intériorisa-
littéral (armé) qu’au combat figuré (l’achar- Hitler. « Ce qui arrive au Führer, arrive au timents antisémites de l’inculpé. Dans la sus, l’image que créent les anciens colla- cet article daté de 1970 explique pourquoi tion d’une image peut affecter des souve-
nement). On n’évaluait donc pas la forme Volk » [Zoo de Führer vergaat, vergaat zijn plupart des dossiers, la participation à la borateurs après la guerre ne correspond il a collaboré. Comparez les deux textes. nirs personnels, les anciens collaborateurs
de l’engagement, seulement son intensité. Volk], écrit Bertrand L. en juillet 1944. Il se persécution des Juifs ne fit d’ailleurs pas pas à l’image qui ressort des lettres écrites Quels sont les motifs évoqués par Gilbert croient à leur tour en cette image simpliste),
L’engagement « jusqu’au bout » allait pour comptait clairement parmi ce peuple. l’objet d’une inculpation séparée et elle pendant la guerre. Quelles sont les diffé- et par l’auteur du texte dans Broederband ? et sur la difficulté à (ne pas) juger l’histoire
certains collaborateurs « jusqu’à la mort »  : La confiance en Hitler n’avait pas faibli passa parfois tout à fait inaperçue, même rences ? Quels sont les éléments mis en Votre analyse confirme-t-elle les conclu- (Devrions-nous condamner la collabora-
ils avaient fait un choix et s’y tenaient. Ils chez de nombreux collaborateurs, même lorsqu’il existait des documents attestant vedette après la guerre ? Quels sont les sions d’Aline Sax ? tion ? En quoi est-il dangereux de (ne pas)
avaient juré fidélité et ne voulaient pas pas à la fin de la guerre. La loyauté envers le rôle joué par l’inculpé dans ce processus. aspects passés sous silence ? Quels sont le faire ? Même de nos jours, le débat sur
rompre leur serment. les mouvements collaborateurs belges avait D’autre part, seule une partie de les motifs évoqués dans la lettre ? Quels Discussion en classe l’amnistie déclenche des discussions ani-
(4) La figure d’Hitler était cruciale toutefois pris un bon coup. Après quelques la population flamande se trouvait en motifs reviennent dans les autres citations ? mées au parlement, qu’en pensez-vous ?
pour les collaborateurs idéologiques. Ces années de guerre, la position des leaders contact avec des Juifs. La population juive Expliquez. ✔ La différence entre les deux textes Comment la collaboration en Flandre et en
derniers vouaient leur fidélité, leur destin et flamands était remise en cause. Certains était principalement concentrée à Anvers peut former le point de départ d’une dis- Wallonie est-elle présentée dans ces débats
souvent aussi leur vie personnelle au Führer, collaborateurs estimaient que ces groupe- et à Bruxelles, de sorte que bon nombre de Exercice sur les sources cussion à propos des images simplistes et dans quelle mesure cette représentation
qui représentait pour eux la solution à tous ments n’étaient pas assez radicaux ou ne Flamands ne connaissaient aucun Juif. Dans entourant la collaboration (Pourquoi les est-elle considérée comme historiquement
les problèmes. Hitler leur apporterait la vic- suivaient pas suffisamment l’exemple alle- leurs lettres, ils parlaient notamment de ✔ En annexe vous trouverez une anciens collaborateurs mettent-ils l’accent correcte ?).
toire et mettrait fin au chaos, à l’injustice mand. Ils considéraient les disputes entre leur vécu quotidien, de leur environnement lettre de Gilbert. Il était engagé sur le surtout sur les motifs nationalistes fla-
et à la servilité d’avant-guerre. Il était non les partis collaborateurs flamands comme immédiat. Et n’étant pas confrontés à la Front de l’Est, d’où il envoya cette lettre mands et non pas sur leur conviction natio-
seulement un leader, mais aussi un combat- un signe de faiblesse absent au sein du persécution des Juifs, ils n’abordaient pas ce à sa sœur cadette Marie-Louise en 1943. nal-socialiste ?), sur la fiabilité de la mémoire Suite p.10 w

8 traces de mémoire n°07 – mars 2013 9


interrogation

w Suite de la p.9

document document
Extraits de J. Van Dingenen, « Waarom wij collaboreerden » [Pourquoi nous avons collaboré] Auditorat général, dossier n° 117/44,
Gilbert B., lettre à sa sœur, dd. 26/1/1943

LA VOIE VERS LA COLLABORATION Une trahison envers la Flandre ? La seulement les vaincus mais, de par leur passait beaucoup de choses que nous avons Front de l’Est, le 26.1.1943
coopération avec la Belgique, qui prouvait fuite, aussi les coupables, qui se trouvaient désavouées sur le moment et que nous
Tout le monde sait qu’il y a eu beaucoup de depuis 110 ans qu’elle était l’ennemie de la face à leur juge potentiel. désavouons aujourd’hui encore. Ma chère petite sœur,
formes de collaboration et que les Flandre, n’était-elle pas une trahison bien
motivations pour lesquelles quelqu’un a Ce « quelqu’un » ne pouvait pas non plus Mais fiers du fait que tant de nationalistes Cela m’a fait un grand plaisir de recevoir ton petit mot du 10.1.
plus grande qu’une coopération
collaboré peuvent diverger. Dans ce travail être l’un ou l’autre collaborateur occasionnel, flamands se sont engagés sans réserve, en
occasionnelle avec l’Allemagne, dont il
nous nous limitons à la collaboration qui serait bien trop tenté de tirer un profit tant que véritables idéalistes, pour servir Oui bon la poste arrive un peu tard ces jours-ci mais c’est à cause de l’Hiver.
restait à voir si elle serait une amie ou une
flamande-nationale, c’est-à-dire la personnel de cette collaboration. leur peuple en souffrance, même au risque
ennemie ? La façon dont les dirigeants Oui, ma petite Marie-Louise, je peux bien croire que les kerlinnekes [mouvement
collaboration des nationalistes flamands belges avaient abandonné leur peuple, tout d’y rester. Grâce à cet engagement, grâce à
Ça devait être quelqu’un qui de par son de jeunesse flamingante pour les filles] y perdent aussi, cela ne m’étonne pas. Et
qui ont collaboré en raison de leur ce qui s’était passé au cours de ces fameux notre « collaboration », on a sauvé bien des
passé ne pouvait pas être considéré c’est partout pareil, ma petite Louise. Et tu sais pourquoi ? Parce que la croyance et
conviction nationaliste, parce qu’ils ont jours de mai et par la suite, montrait choses pour notre peuple.
comme un ennemi de l’Allemagne et qui la confiance en le Führer, Adolf Hitler, manque. Et c’est ça que tu dois avoir, ma
estimé à un moment donné qu’une certaine clairement que notre régime politique était pourrait donc parler librement et Même si notre but politique de réaliser un petite Marie-Louise, de la confiance et de la croyance en le Führer parce que sinon,
forme de coopération avec les dirigeants on ne peut plus corrompu. Et que notre franchement, mais ça devait aussi être « Dietse volksstaat » a échoué – cet espoir il est impossible d’obéir inconditionnellement à ses supérieurs.
en place était la meilleure façon de critique de ce régime était entièrement quelqu’un qui était suffisamment idéaliste ayant viré en effet dans la désillusion totale
défendre les intérêts de la Flandre. […] justifiée et qu’il était urgent de construire un pour défendre les intérêts réels de ses – nous avons néanmoins la consolation Mais si les choses tournent mal chez vous là-bas, c’est parce que le VNV [Vlaamsch
(p. 25-26) ordre nouveau et meilleur chez nous aussi. concitoyens et qui serait au besoin prêt importante d’avoir réellement servi notre Nationaal Verbond, Ligue nationale flamande] veut être national-socialiste mais ne
La volonté de collaborer pour cela à prendre pas mal de risques peuple et d’avoir agi de façon à ce que la l’est pas vraiment parce qu’on a ses propres méthodes et cela fait maintenant
À cela s’ajoutait que l’attitude et le
personnels. Flandre soit l’une des régions les moins presque trois ans qu’on patauge et il n’y a presque rien qui ait été accompli et qui
L’idée d’une collaboration au sens de comportement de la Wehrmacht
allemande nous donnait une toute autre affectées par cette guerre. Si, en ressemble à quelque chose. Pourquoi ne prend-on pas exemple sur l’Allemagne?
coopération avec les dirigeants en place Il apparut donc que ce « quelqu’un » ne
image du peuple allemand que celle qui comparaison avec nos pays voisins, cette Parce que beaucoup de gens, je t’assure, beaucoup de gens ont peur que, s’ils vont
pour mieux servir la Flandre a toujours été pouvait être qu’un VNV, renouvelé ou non.
nous était parvenue à partir des histoires « pauvre » Flandre d’avant mai 1940 devint suivre la méthode d’Adolf Hitler, ils n’aient plus rien à dire parce qu’on se
présente au sein du nationalisme flamand. (p. 35-36)
de la guerre de 1914-1918 et à travers la après 1945 l’un des pays les plus prospères débarrasserait d’eux en raison de leur incapacité.
À chaque fois que le nationalisme flamand de l’Europe occidentale, ce fut aussi grâce à
propagande belge. Un échec sans que l’effort fut vain
en arrivait à un stade où il possédait un notre travail ! Tu vois petite Louise, je suis très sérieux avec toi. Dieu créa le monde et tout ce qu’il
certain pouvoir politique, cette idée de Pour nous, cette différence constituait un Ce fut un échec et le dénouement fut en contient. Dieu fit aussi en sorte que les gens soient de différentes espèces, de
coopération s’imposait avec force. indice très clair que le nouvel ordre en effet très amer, mais nous ne devons pas Que la Belgique ait ensuite gaspillé cette différentes races (noire, jaune, rouge, blanche). Voilà les distinctions principales.
Allemagne était non seulement nouveau avoir honte de notre lutte et de notre richesse n’est pas de notre « faute », car Mais il y a plus, ces différentes races ont toutes reçu de Dieu des qualités
Mai 1940 nous étions alors emprisonnés en tant que
mais aussi meilleur. Quelques jours plus engagement. Lorsque le cours de l’histoire différentes, tant intellectuelles que physiques.
[…] Alors que des dizaines de milliers de tard, la libération des prisonniers de arriva à un stade où le moment fut venu « traîtres », pour payer notre « faute » envers
nationalistes flamands ont risqué leur vie guerre, aux Pays-Bas aussi bien qu’en pour le VNV de tenter sa chance, de la Belgique. Nous appartenons à la race germanique, celle qui depuis des milliers d’années
pour défendre la Belgique, leurs leaders Flandre, viendrait enlever les derniers s’engager, d’essayer de défendre les engendre de loin les hommes les plus beaux et les meilleurs parce que Dieu l’a
C’est ainsi que s’est terminée « notre »
ont été arrêtés, amenés comme des doutes. (p. 31-32) intérêts de la Flandre, le VNV a hésité à voulu.
collaboration et qu’a commencé la répression
criminels et livrés aux services de sécurité procéder à de plus amples consultations,
belge. Une fois de plus, nous avons été Et Dieu plaça ces différentes qualités dans le sang des hommes. Et les gens avec
français. Nous avons ressenti ceci comme LA COLLABORATION mais il n’a pas hésité à prendre ses
confrontés à la Belgique réelle et une fois de les mêmes capacités appartiennent ensemble et tentent de se réunir. En moi, en
une déclaration de guerre de la part des responsabilités, à prendre des risques
Une collaboration nécessaire ? plus, le sentiment de loyauté, renouvelé par toi, il y a le même sang, que nous avons eu de notre mère et père, c’est ce qui nous
autorités envers le mouvement flamand, considérables afin de sauver la Flandre et
la grande désillusion qu’avait été la fait frère et sœur. Et nous, les Flamands, avons les mêmes ancêtres que les
de telle sorte que tout sentiment de Durant cette « période d’attente », nous de servir notre peuple.
collaboration, se trouvait étouffé au départ. Allemands. Voilà pourquoi nous avons le même sang et les mêmes qualités et
solidarité envers la Belgique qui germait avons progressivement pris conscience Ceux qui détestent aveuglément les Flamands
De toutes nos forces nous avons lutté, non nous sommes destinés à vivre ensemble. Tel était le cas autrefois. Mais au cours
en nous, fut étouffé au départ. d’une raison très importante pour laquelle ne comprendront sans doute jamais que la
pour nous-mêmes mais pour notre peuple de l’histoire cela a changé ; la Flandre a été arrachée à l’Allemagne. Maintenant il y
le VNV [Vlaamsch Nationaal Verbond – Ligue et notre idéal. Pour la Belgique, nous Belgique a alors raté une opportunité unique
Objections morales contre la a Adolf Hitler, et la Flandre a de nouveau l’occasion de s’engager dans la voie
nationale flamande] devrait effectivement étions peut-être des traîtres et nous avons de réconcilier la Flandre avec la Belgique.
collaboration ? voulue par Dieu. Et si beaucoup de Flamands ne comprennent pas, c’est parce
collaborer et dont nous n’avions pas tenu été punis en tant que tels. Pour la Flandre,
Cette répression a prouvé que nous ne nous qu’ils ont peur. Peur de quoi ? Qu’ils aient plus de devoirs et en particulier le devoir
Ayant survécu à la guerre active, nous compte précédemment. Il était nous pouvons attester avec notre dirigeant
étions pas trompés en tentant notre chance d’être soldats. Ils souhaitent bien profiter de la victoire allemande mais sans faire
attendions avec impatience de voir quelles parfaitement clair que quelqu’un devrait Staf de Clerq : « Nous avons fait tout ce que
en dehors et même à l’encontre de la trop d’efforts. Il y a pourtant assez de gens qui en savent long et qui ne reculent pas
seraient les possibilités que cette guerre négocier les intérêts de la population nous avons pu pour notre peuple ».
Belgique. Cette Belgique de 1945 ne pouvait devant leur devoir et l’accomplissent dans la Waffen-SS ou ailleurs en Allemagne.
pourrait apporter à la Flandre. Du 28 mai auprès de l’occupant.
jusque mi-juin, nous avions en tant que En tant que nationalistes flamands, nous en effet pas constituer une patrie pour la
Ce « quelqu’un » pouvait difficilement être Ton frère te salue amicalement du Front de l’Est.
prisonniers de guerre le temps de réfléchir pouvons être fiers de notre lutte et nous en Flandre. (p. 37-38)
l’un des anciens dirigeants, car ces sommes fiers !
et de méditer sur ces questions. J. Van Dingenen, « Waarom wij Heil Hitler
derniers avaient perdu pratiquement tout
L’argument de la trahison envers la crédit de par leur fuite. En plus, tout ce Fiers, non pas de la collaboration, et collaboreerden », Broederband, n° 11-12,
novembre-décembre 1970, p. 3-48. Gilbert
Belgique n’avait pour nous aucune valeur, qu’ils pourraient faire auprès de l’occupant, certainement pas de tout ce qui s’est passé
pour les raisons déjà citées. ce serait acquiescer, car ils étaient non pendant la collaboration. Parce qu’il se Traduction: Fransiska Louwagie Traduction : Anneleen Spiessens

10 traces de mémoire n°07 – mars 2013 11


approfondissement

Le mémorial,
le lieu, la mémoire
La monumentalisation

© Roel Hijink, 2011

© Roel Hijink, 2011


du camp de Westerbork c c
Monument des fusillés dans le camp de Vught, créé par Joh. F. van Herwerden, inauguré Monument National Westerbork, créé
en 1947. Pierre de Lens, 26 panneaux faisant environ 16 mètres en longueur et 2,3 mètres par Ralph Prins, inauguré en 1970.
Bon nombre d’anciens camps nazis sont devenus des lieux de
n
en hauteur. La croix mesure environ 10 mètres.
mémoire investis de fonctions commémoratives, muséales et didactiques.
Selon le contexte, ces sites historiques peuvent faire l'objet de stratégies et le camp fut alors détruit complètement. les grands récits du nationalisme et des de Vught qui moururent des suites de mal-
de conservation mais aussi de reconfigurations et de transformations, Seule une plaine vide subsista, avec du côté idéologies religieuses traditionnelles qui nutrition, de maladies ou de tortures ne
parfois dans un but mémoriel ou politique. Dans cet article, Roel Hijink se sud une série d’antennes de radiotéléscope, constituèrent le cadre à travers lequel la furent pas commémorés. Comme ailleurs
penche sur le cas de Westerbork aux Pays-Bas. L’article est basé sur son livre dont la première fut installée en 1967. guerre fut commémorée aux Pays-Bas dans en Europe – pensons par exemple au camp
Voormalige concenratiekampen. De monumentaliseringsgeschiedenis van de l’après-guerre. C’est ce qu’illustre notam- de Breendonk (Belgique), Mauthausen
L’unique chose qui rappela le camp ment le monument de Vught, qui com- (Autriche), Natzweiler-Strutthof (France) et
Duitse kampen in Nederland (Verloren, 2011). de transit fut le monument national de mémore explicitement les fusillés comme même à Auschwitz-Birkenau (Pologne) –
Westerbork : un monument commémo- citoyens néerlandais. Les noms inscrits sur les premiers monuments commémoratifs
ratif érigé en 1970 à l’endroit où s’arrêtaient le mur mémorial sont classés par région, aux Pays-Bas sont dès lors des symboles qui

S
les trains de déportation, consistant en un reflétant la subordination des victimes aux ne sont pas représentatifs de la population
ous l’occupation alle- l’occupation allemande, le site servit de Cette fonction prit fin en 1948 et on prévit butoir et nonante mètres de rails, dont intérêts de la nation. La croix positionnée des camps et de leur expérience.
mande, différents camps de camp de transit, constituant dès lors l’anti- ensuite d’en faire une porcherie – une sug- les extrémités vrillent dans les airs4. Ce derrière le monument et la citation du
concentration furent établis chambre des camps d’extermination basés gestion provenant du ministère de la Jus- monument s’inscrit dans une historicité Wilhelmus, l’hymne national, sous la liste Monument national
aux Pays-Bas. Notamment les camps de en Pologne. Les camps aux Pays-Bas firent tice – ou de démolir le camp. Cependant, mémorielle dont on exposera brièvement des noms, donnent l’impression que les Westerbork
Schoorl, Amersfoort, Ommen et Vught – partie d’un réseau de plus de 10 000 camps, sous la tutelle du ministère de la Défense, le contexte. défunts se sont battus pour la trinité natio-
par ordre chronologique de leur édification mis en place par la terreur nazie, qui com- le site fut utilisé comme camp d’entraîne- nale : avec l’aide de Dieu, pour le bien de la Le premier monument renvoyant aux
– sont communément désignés comme prit au moins 17 types différents de camps. ment militaire. En 1950, le nom du camp Les premiers mémoriaux nation et de la monarchie. victimes juives de Westerbork fut un vitrail
des « camps de concentration ». Pour les de Westerbork fut changé en Schatten- commémoratif inauguré le 23 février 1949
Juifs, on construisit des camps « spéciaux» Bon nombre d’anciens camps de berg et le ministère de la Défense mit le Les premiers monuments érigés aux Si ces monuments ne commémorent dans la mairie du village de Westerbork,
dont Westerbork fut le plus connu et le concentration sont de nos jours des lieux site à disposition du ministère de l’Intérieur, Pays-Bas pour les victimes des camps furent pas des victoires, ils sont tout de même situé à une dizaine de kilomètres du camp.
plus important. Le camp fut érigé en 1939 de mémoire. C’est surtout depuis la chute dans le cadre du rapatriement de familles des monuments dédiés aux fusillés. Ainsi, à bien ancrés dans une tradition de sacri- Le vitrail fut offert par la Croix Rouge néer-
sous les ordres de l’État, une opération cofi- du mur de Berlin en 1989, La Déclaration hollandaises d’Indonésie. Ensuite, le camp Vught on édifia un mur commémoratif fice et de culte des héros, où la souffrance landaise en signe de gratitude à la com-
nancée par les autorités juives, pour assurer de Stockholm (2000) et La Déclaration de offrit refuge à des militaires moluquois du sur l’ancien champ de tir en 1947, à Wes- et la mort sont interprétées comme des mune de Westerbork pour son aide aux
la prise en charge des réfugiés juifs. Sous Prague sur la conscience européenne et le KNIL3 et à leurs familles. Les baraques qui terbork on érigea un monument en 1949 offrandes pour la patrie. Les camps furent Juifs déportés. Les Juifs furent invités à faire
communisme (2008) que ces sites se sont n’étaient plus utilisables furent vendues et et à Amersfoort on construisit en 1953 une ainsi représentés comme des endroits où
(1) Cf. Rob van der Laarse, De oorlog als beleving. ancrés vivement dans la mémoire collective servirent entre autres comme grange agri- statue située au bout de l’ancien champ la captivité fut la suite logique d’une union Suite p.14 w
Over de musealisering en enscenering van Holocaust- européenne1. Pour les camps d’Amersfoort, cole, entrepôt, église ou lieu de rencontre, de tir. Le monument commémoratif de nationale contre l’Occupation. La place
erfgoed [La guerre comme expérience. Sur la
muséification et la mise en scène du patrimoine de Vught et de Westerbork ce processus dans différents endroits du pays. En 1965, Westerbork, appelé aussi monument de centrale étant accordée à la résistance, il (4) Le créateur du monument est Ralph Prins. Sous
l’Occupation, Prins fut interné à Barneveld et fut
Holocauste], Reinnwardt Académie 2010/2011, p. fut cependant loin d’être évident, car dans l’État décida que les résidents moluquois l’Insurrection et de la Résistance, fut dédié n’y avait dans ces monuments pas de place plus tard, en passant par Westerbork, déporté à
26, 64.
l’après-guerre les camps furent réutilisés à installés dans les baraques devaient s’inté- aux 10 résistants fusillés à Assen en sep- pour les victimes ou pour les événements Theresienstadt. Il a survécu à la guerre, la plupart
(2) Harold Marcuse, « The afterlife of the camps des membres de sa famille furent gazés. Prins devait
», Jane Caplan/Nikolaus Wachsmann (dir.), diverses fins, comme ailleurs en Europe2. grer dans la société néerlandaise. À cet effet, tembre 1943. qui ne concordaient pas avec les mythes transmettre des messages au sein du camp et fut dès
Concentration camps in Nazi Germany, London – Après la Libération, Westerbork fut d’abord on procéda à la démolition progressive du d’héroïsme et de résistance nationale. La lors témoin des transports hebdomadaires. L’essence
New York, Routledge, 2010, p. 186-211. même de Westerbork était selon Prins la question
(3) Koninklijk Nederlandsch-Indisch Leger (Armée
transformé en camp d’internement pour camp de Westerbork. Les derniers rési- Ces monuments érigés en mémoire commémoration ne porta en effet que sur suivante : si oui ou non l’on partait avec le prochain
royale indo-néerlandaise). des Néerlandais accusés de collaboration. dents moluquois déménagèrent en 1971 de fusillés s’accordaient parfaitement avec des prisonniers morts exécutés : les captifs train ?

12 traces de mémoire n°07 – mars 2013 13


approfondissement

w Suite de la p.13

preuve de reconnaissance envers la popu- bb


Talus sur le site de Westerbork avec une
lation des Pays-Bas, de façon plus ou moins piramide explicative. À l’arrière-plan,
volontaire5. l’ancienne place d’appel et les antennes de
radiotéléscopage.

Le deuxième monument en corréla-


tion avec les martyrs juifs de Westerbork b
Reconstitution photographique de la baraque
fut dévoilé au cimetière d’Assen. Ce monu- où avait travaillé Anne Frank, installée en 2009
ment commémoratif était dédié aux déte- le long de l’ancien Boulevard de Misère.
nus de Westerbork morts en déportation
et fut inauguré le dimanche 7 juin 1951. Ce
mémorial n’est pas non plus une réalisa-
tion isolée puisque dans le Nieuw Israelitisch
Weekblad [nouvel hebdomadaire israélite6]
© Roel Hijink, 2011

© Roel Hijink, 2011


de la fin des années quarante et du début
des années cinquante, l’on trouve d’innom-
(8) La Commission nationale des Monuments fut
brables comptes-rendus d’inaugurations créée par le gouvernement à la fin de 1946. Elle
de monuments commémoratifs dans les émana des idées de l’Institut national qui, soutenu
par la résistance, avait essayé de canaliser la solidarité
cimetières juifs. et de contrecarrer la discorde, entre autres par
le biais de la création de monuments nationaux.
La composition de la commission était censée
Ces monuments concernant le dans l’après-guerre. Pendant les premières prévoyait une quinzaine de monuments ration, le projet d’ériger un mémorial pour la Commission Permanente de la Commis- représenter l’ensemble des couches de la population,
camp de Westerbork sont parfaitement années après la Libération, la mémoire de la nationaux, dont des monuments pour les le camp de Westerbork sembla surtout sion Centrale de la NIK donna son accord mais on y retrouvait surtout l’élite nationale, les
« figures de proue de l’ensemble des Pays-Bas, vivant
indicatifs de la place qu’occupait la Shoah persécution des Juifs n’était pas une histoire camps d’Amersfoort, de Vught et de Wes- éveiller des sentiments d’amertume et de pour la construction d’un monument à la et travaillant ensemble de façon organique ». Cf.
dans la mémoire collective aux Pays-Bas refoulée, mais elle ne constituait pas non terbork. Il fallut édifier des monuments uni- rancune auprès de la NIK. Ces sentiments mémoire de Westerbork. Ce revirement est ibid., p. 175, note 50. Sur les monuments nationaux,
cf. Roel Hijink, Voormalige concentratiekampen, op.
plus un thème de premier plan, ni, comme formes avec une valeur nationale identique, remontaient loin : ils étaient liés à l’attitude sans doute largement lié à la publication du cit. p. 44-66.
par la suite, un événement paradigmatique. axée sur la souffrance et la résistance. Mais jugée passive de la plupart des Néerlan- livre Ondergang (« destruction ») de l’his- (9) Il semble qu’un autre comité pour le Monument
(5) La création de la forêt (Joop) Westerweel en du Camp de Westerbork ait existé, mais ce comité
Palestine, ainsi que le monument « Commémoration La persécution des Juifs fut assimilée à une ce projet resta à l’état d’intention. Pour des dais pendant la guerre et à la collaboration torien Jacques Presser en 1965, qui fut à eut à son tour un succès limité. Cf. Rob van der
du sens civique de la population d’Amsterdam histoire nationale axée sur la souffrance raisons indéterminées, les plans du Plaat- active d’une grande partie de l’appareil l’origine d’une nouvelle attention pour les Laarse, Nooit meer Auschwitz? Erfgoed van de oorlog
vis-à-vis de la population juive » sont révélateurs na Europa’s eeuw van de kampen [Plus jamais
à cet égard. Ce sont des signes de gratitude et de et la résistance et souvent dotée de réso- selijke Comité te Westerbork der Nationale d’État à la persécution des Juifs, mais aussi questions de culpabilité passive, de collabo- Auschwitz ? Le patrimoine de la guerre après le siècle
mémoire à l’endroit de Néerlandais courageux. nances chrétiennes7. Commissie voor Oorlogsgedenktekens ne aux conditions de retour et d’accueil au ration et de résistance. Pour la première fois, européen des camps], discours prononcé lors de
L’initiative pour le dernier monument émana d’un l’inaugration de la chaire Westerbork Patrimoine de
groupe de Juifs d’Amsterdam, vraisemblablement furent jamais exécutés et on n’entendit plus Pays-Bas après la guerre. L’historien Isaac on prit la mesure de la catastrophe que fut la guerre, à la faculté des Lettres de l’Université libre
après que les autorités aient laissé entendre qu’un À part le monument pour les fusillés parler de ce comité par la suite9. Lipschits a caractérisé l’accueil des Juifs la persécution des Juifs aux Pays-Bas. Si la d’Amsterdam le 24 janvier 2012, p. 1.
geste de gratitude serait apprécié par la population,
pour honorer la solidarité envers les Juifs dont les ou Verzetsgraf, le vitrail commémoratif de dans les Pays-Bas de l’après-guerre comme publication du livre de Presser joua un rôle (10) Organisation faîtière qui regroupe toutes les
communautés juives aux Pays-Bas.
habitants d’Amsterdam avaient fait preuve pendant la mairie de Westerbork et le monument Le premier plan concret qui allait « la petite Shoah »11. Beaucoup de Juifs décisif dans l’ancrage de la Endlösung dans
la guerre. (11) Isaac Lipschits, De kleine Sjoa. Joden in naoorlogs
au cimetière d’Assen, il n’y avait pas encore finalement aboutir à la construction d’un n’avaient pas non plus oublié l’attitude des l’esprit collectif13, le succès du livre ne devait Nederland [La petite Shoah. Les Juifs aux Pays-
(6) Le Nieuw Israëlietisch Weekblad était l’organe juif
le plus important aux Pays-Bas après la Libération. de monument spécifique commémorant monument pour le camp de Westerbork autorités lors de la construction du camp et rien au hasard. En effet, le début des années Bas dans l’après-guerre], Groningen, Historische
Il était d’orientation sioniste et revendiquait Uitgeverij, 2001, p. 15 et p. 73. Cf. aussi Ido de
l’histoire du camp de Westerbork. Pourtant, fut présenté le 31 octobre 1957 au siège la façon dont celles-ci s’étaient approprié le 1960 est généralement considéré, aux Pays- Haan, Na de ondergang. De herinnering aan de
résolument une identité juive. Cf. Evelien Gans,
“Vandaag hebben ze niets – maar morgen bezitten dès 1947, le Comité local de Westerbork de administratif de la province d’Assen. L’ini- camp après la Libération12. En outre, le sou- Bas comme ailleurs, comme un moment Jodenvervolging in Nederland 1945-1995 [Après
ze weer tien gulden”. Antisemitsche stereotypen in l’anéantissement. La mémoire de la persécution
la Commission nationale pour les Mémo- tiative émana d’anciens résistants et reçut venir de Westerbork et de la persécution charnière de la mémoire du génocide juif. juive aux Pays-Bas], Den Haag, SDU, 1997, et Dienke
bevrijd Nederland’, [‘Aujourd’hui ils ne possèdent
rien mais demain ils auront de nouveau 10 florins’. riaux de Guerre (Plaatselijke Comité te Wes- un accueil favorable, y compris du côté juif. des Juifs était encore trop présent dans les Notamment le procès Eichman en 1961, Hondius, Terugkeer. Antisemitisme in Nederland rond
Les stérétypes antisémites aux Pays-Bas après la de bevrijding [Le retour. L’antisémitisme aux Pays-Bas
tenbork der Nationale Comissie voor Oor- LA NIK (Nederlands-Israëlitisch Kerkgenoot- esprits. Pour la communauté juive, Wes- avec les multiples publications dont il fut à l’époque de la Libératio], Den Haag, SDU, 1998.
Libération], Conny Kristel (dir.), Terugkeer en opvang
na de Tweede Wereldoorlog. Regionale verschillen logsgedenkteken) lança l’initiative d’ériger schap10) s’opposa néanmoins à la réalisation terbork n’était pas l’endroit idéal pour un l’objet, ainsi que la série télévisée De Bezet- (12) Sur les aspects financiers du camp, cf. Gerard
[Retour et accueil après la Seconde Guerre mondiale. un mémorial national pour le camp. Cette du projet, émettant des réserves sur le fait monument, si peu de temps après la guerre. ting (« L’occupation » – 1960-1965) furent Aalders, Berooid. De beroofde joden en het Nederlands
Différences régionales], Amsterdam, Bert Bakker, restitutiebeleid sinds 1945 [Démunis. Les Juifs
2002, p. 330. initiative fit suite à l’inventorisation par la que Westerbork puisse avoir une signifi- à l’origine de cette évolution. dépossédés et la politique de restitution des biens
(7) Cf. Frank van Vree, In de schaduw van Auschwitz. Commission nationale des Monuments8 cation quelconque pour la postérité. Par L’initiative fut ressuscitée au milieu aux Pays-Bas depuis 1945], Amsterdam, Boon, 2001,
Herinneringen, beelden, geschiedenis [À l’ombre p. 120-123.
d’Auschwitz. Souvenirs, images, histoire], Groningen,
des événements de guerre à commémorer respect de ce point de vue, on renonça au des années soixante lors de la disparition (13) Frank Van Vree, In de schaduw van Auschwitz,
Historische Uitgeverij, 1995. par un monument national. L’inventaire monument. Quinze années après la Libé- définitive du camp des Moluques. En 1966, Suite p.16 w op. cit., p. 102.

14 traces de mémoire n°07 – mars 2013 15


approfondissement

w Suite de la p.15 une reconstruction étant perçue comme gré le béton gris des ruines reconstruites, une reconstitution photographique de la
irréelle ou kitsch. On opta plutôt pour l’ins- il manque au site la grisaille de certains baraque sur le site ; les restes originaux sau-
Le soir du lundi 4 mai 1970, le Monu- cription de « traces » au sein du paysage, camps, comme à Buchenwald. L’aména- vés de l’incendie sont maintenant exposés
ment National de Westerbork fut inauguré notamment en plaçant certaines construc- gement de Westerbork, avec ses talus au musée du centre mémoriel.
par la reine Juliana et le prince Bernard. Le tions en béton évoquant des ruines (fol- couverts d’herbe, rappelle plutôt la façon
monument consiste en un butoir avec à lies). Pour rendre visible la structure du dont les tombes de masse à Bergen-Belsen Outre la remise en place d’une partie
l’avant nonante mètres de rails dont les camp, des talus furent mis en place sur le ont été conçues : comme un parc naturel, des baraques, il est prévu de restituer aussi
extrémités pointent vers le ciel. L’artiste site, indiquant l’emplacement original et la couvert de plantes que l’on a tendance à les miradors du camp et les barbelés. Pour
Ralph Prins en était le créateur. Prins avait taille des baraques. Auprès de chaque talus trouver dans les cimetières allemands – rétablir le Boulevard des Misères, la route
créé un monument exceptionnel pour se trouve une petite pyramide en béton en conséquence, le parc mémoriel actuel asphaltée du camp sera remplacée par un
l’époque. Les rails abîmés, les poutres déla- avec un numéro et un texte explicatif : laisse à peine entrevoir la réalité historique chemin empierré. L’ancienne maison du
brées, fragments d’une histoire tragique, pour exemples, l’administration était située de Bergen-Belsen. Il en va de même pour commandant du camp sera aussi intégrée

© Roel Hijink, 2011


montrent que la Shoah ne se laisse plus près du numéro 34 ; le numéro 41 indique Westerbork, qui, en particulier pendant au projet mémoriel et on rendra visible le
représenter au sein de l’idéal de beauté qui l’endroit où logeaient les filles – le texte les mois d’été, ressemble plutôt à un parc tracé du chemin de fer entre Hooghalen
avait inspiré la plupart des monuments indique qu’Etty Hillesum y a séjourné aussi ; de récréation. L’histoire du camp de Wes- et le terrain du camp. Ces projets d’amé-
jusque là. Auschwitz nous montre que le le numéro 67 montre où était la baraque terbork a disparu derrière la façade d’un nagement s’imbriquent dans une certaine
monde est fait de boue, comme Adorno c de punition dans laquelle Anne Frank et paysage accommodant. Ce qui reste est un tendance mémorielle qui consiste à mettre
le formula, et c’est ce que reflète le monu- Folly sur le site réaménagé du camp de Westerbork. Inaugurée en 1992, béton. sa famille ont été brièvement détenues. Ce vide mémoriel19. en scène l’authenticité, créant ainsi la sug-
ment de Westerbork, dans la lignée d’autres ne fut pas tout : on rétablit aussi les anciens gestion d’un passé objectif, comme dans les
monuments, tel le champ de ruines conçu sement pour que de tels événements ne se comme lieu de mémoire, de commémo- chemins, pour restituer l’espace du camp La mise en scene parcs à thème, les films de compilation, les
(quoique jamais réalisé) pour Auschwitz- reproduisent plus jamais. ration et de méditation. Malgré l’oppo- pour le visiteur, et une partie des barbelés. de l’authenticité jeux digitaux, ou les installations muséales
Birkenau14, tels aussi les milliers de pierres sition des autorités locales, les efforts du L’un des miradors fut reconstruit et une animées22. Les changements prévus sus-
constituant un monument dans les Le réamenagement symbolique groupe de travail ne restèrent pas sans partie de la fosse excavée. Les traces étaient Westerbork, avec son herbe verte, ses citent cependant de nombreuses ques-
champs autour de Treblinka (1964) et la du camp de Westerbork résultat16. expliquées au moyen de panneaux infor- arbres somptueux, son cadre ombragé, et tions pour le centre mémoriel, telles que :
sculpture Der Deportierte (« Le déporté ») matifs et d’une maquette. Sur la place d’ap- ses constructions en béton, se prête dif- « que peut-on faire pour rendre l’histoire
à Neuengamme (1965). En dépit de sa force évocatrice, le Le 12 avril 1983, un Centre mémo- pel, on déposa 102 000 pierres retraçant la ficilement à son rôle de zone de contact
Suite p.18 w
monument ne semblait pas suffire à la riel fut inauguré par la reine Béatrix, à trois forme des Pays-Bas. Les pierres symbolisent avec le passé, en dépit des traces instaurées
Le monument ne montre ni glorifi- nouvelle génération pour représenter l’his- kilomètres de l’ancien camp. L’ouverture les détenus non revenus, honorant ceux dans le paysage. Les visiteurs plus jeunes qui (17) Jaarverslag 1992, Herinneringscentrum Kamp
cation, ni culte de héros. Initié par d’an- toire complexe du camp. Manja Pach, une du centre entraîna une hausse du nombre qui n'ont pas de tombe. En 1992, le terrain connaissent peu l’histoire de Westerbork Westerbork [Rapport annuel 1192, Centre mémorial
du camp de Westerbork], Hooghalen, 1993, 12-13.
ciens résistants, le monument est couché étudiante originaire de Groningen et fille de visiteurs et un regain d’intérêt pour le réaménagé fut inauguré par la princesse sont souvent déçus par la visite du site. Ils (18) Le monument a été conçu par Victor Levie et
par terre comme une tombe. Seules les de Werner Stertzenberg, un communiste camp. Le problème était qu’il y avait peu Margriet. En 2001, le monument Tekens in s’attendent à voir un camp aux bâtiments est une initiative de la Fondation Sobibor.
extrémités se vrillent dans les airs comme juif et ex-prisonnier du camp de Wester- à voir sur l’ancien site. Hormis une vitrine Westerbork (« Signes à Westerbork ») fut réels, mais retrouvent «une grande pelouse (19) Sur les différentes façons de concevoir les
anciens camps, cf. Roel Hijink, « De musealisering
une interrogation. Le monument est un bork, s’opposa en 1971 à la destruction contenant des informations sur le camp érigé à la mémoire des transports vers les avec beaucoup d’arbres. (…) C’était nul »20. van de kampen. Tussen werkelijkheid en
signe de honte et de prise de conscience, des baraques de l’ancien camp, dont elle de Westerbork et une maquette, on y trou- camps d’extermination18. verbeelding » [La muséalisation des camps. Entre
réalité et imagination], Frank van Vree et Rob van der
rappelant l’absence de soutien pour la fut témoin lors de la commémoration du vait notamment des sportifs en action et Pour la nouvelle génération, Wester- Laarse, De dynamiek van de herinnering. Nederland en
population juive. La poutre transversale 4 mai. Pour Pach, qui avait visité le camp des pique-niqueurs. Les visiteurs étaient Malgré les tentatives de rendre le bork projeta déjà en 2009 la reconstruction de Tweede Wereldoorlog in een internationale context
[Dynamique mémorielle. Les Pays-Bas et la Seconde
sur le butoir, peinte en rouge, sert d’avertis- quelques mois auparavant avec son père, demandeurs d’un aménagement plus élo- passé visible et tangible, l’aménagement de l’une des baraques sur l’ancien terrain Guerre mondiale dans un contexte international],
le camp avait plus de signification que le quent, doté d’une force émotive, instituant du camp en dit plus sur l’histoire d’après- du camp. Le choix fut porté sur la baraque Amsterdam, Bert Bakker, 2009, p. 128-147.
(14) Sur ce projet voir Robert Jan van Pelt et monument officiel, puisque c’étaient pré- l’ancien camp comme lieu de mémoire. guerre – le traitement du camp de Wes- dans laquelle Anne Frank et sa sœur Mar- (20) http://suzanjlo.web-log.nl/suzanjlo/2006/05/
Debórah Dwork, Auschwitz van 1270 tot heden westerbork.html.
[Auschwitz de 1270 à aujourd’hui], Amsterdam, cisément les vestiges du camp qui étaient terbork – que sur les événements qui s’y got avaient travaillé à démonter des bat-
(21) Il n’est pas certain que la baraque au numéro
Boom, 1997, p. 376-378. susceptibles de raconter l’histoire de ce L’« Action Camp de Westerbork » fut sont déroulés. Le site révèle notamment teries. Cette baraque avait été démolie en 57 fut réellement démolie en 1958. En effet, sur un
(15) Voir entre autres sa lettre du 5 mai 1971, citée qui s’y était passé. Malgré de nombreuses lancée en vue d’un réaménagement du site, la démolition totale du camp, à tel point 1958 pour servir ensuite de porcherie à dessin fait en 1960, la baraque est encore là, pour
dans Dirk Mulder, « Een vormgegeven verwerking. autant que la numérotation de la baraque sur ce
De geschiedenis van de herinnering aan kamp lettres de protestation15, elle ne put empê- axée sur la commémoration de l’histoire du qu’il ne reste même pas de ruines pour Veendam21. Le projet était de la remettre dessin soit correcte. Cf. : « Herinneringscentrum
Westerbork », [La mise en forme du deuil. Histoire cher la démolition du camp. Cependant, camp pendant la Seconde Guerre mon- témoigner des événements passés. Pour en place en automne 2009, mais elle fut Kamp Westerbork Jaarverslag » [rapport annuel du
de la mémoire du camp de Westerbork], Bronnen centre mémoriel de Westerbork], 2009, p. 30.
van herinnering, Westerbork Cahiers 1, Stichting elle obtint la création d’un groupe d’ac- diale. À travers la création de symboles, on évoquer l’histoire du camp, on ne trouve détruite par un incendie pendant l’été de la (22) Cf. : Frank van Vree, « Beleef het verleden!
Herinneringscentrum Kamp Westerbork Hooghalen, tion, et plus tard celle du Groupe de travail voulait donner « une certaine intuition de que des ruines artificielles et des tumuli même année. La destruction de la baraque De enscenering van de historische ervaring in de
1993, p. 36. populaire cultuur » [Revivre le passé! La mise en
(16) Sur la réalisation pénible du Centre mémoriel du
de Westerbork. L’organisme se consacra au ce qui s’était passé en ce lieu »17. Le camp symboliques, des follies qui se présentent dite « Anne Frank » fit la une dans tout scène de l’expérience historique dans la culture
camp de Westerbork, cf. ibid., p. 20-50. maintien de l’ancien camp de Westerbork ne fut pas reconstruit dans sa forme initiale, comme des prothèses mémorielles. Et mal- le pays. En guise d’alternative, on installa populaire], Groniek, 41/180, 2008, p. 276-277.

16 traces de mémoire n°07 – mars 2013 17


approfondissement

w Suite de la p.17 le site. À leur tour, ils souhaitent y retrou- Ce qui est sûr, c’est que le terrain changera
ver leur histoire. C’est dans cette perspec- encore souvent de face, mais aussi qu’il Une version étendue de cet article a été
qui s’est déroulée ici mieux lisible, visible, tive que Rob van der Laarse se demande : n’échappera pas à l’ombre d’Auschwitz. n publiée en néerlandais dans la revue
Témoigner, entre histoire et mémoire (n° 114,
tangible ? Et si on le peut, jusqu’où peut-on « qui s’appropriera ce patrimoine à l’ave- p. 59-75), au sein d’un dossier thématique
Roel Hijink,
aller ? Faut-il justement faire preuve d’une nir ? Combien d’héritiers souhaitons-nous intitulé “Sites mémoriels” (coordination:
Docteur en Histoire de l'art, Université d’Amsterdam Frediano Sessi, avec la collaboration de
grande réticence, et laisser l’aspect du camp admettre dans “notre” paysage mémoriel, Traduction : Alessandro Vlerick et Stijn Verleyen Carlo Saletti et de Frédéric Crahay). Pour
tel qu’il est, le fruit contingent des sept et qui décidera qui en sera responsable à Remerciements à Guido Abuys, conservateur du la traduction française de l’article intégral,

© Gert Stein, 2009


ainsi que le sommaire et les résumés du
décennies passées ? Met-on l’accent sur l’in- l’avenir ?26 ». Le temps nous l’apprendra. Centre mémoriel du camp de Westerbork.
numéro, voir http://www.auschwitz.be/index.
formation et le transfert de connaissance, php?option=com_content&view=article&id=7
ou plutôt sur le vécu et l’expérience ? Et 96:sommaire-du-nd-114&catid=36

comment éviter que la visualisation popu-


larisée ne devienne une banalisation ? ».
Cela implique des dilemmes concernant le
c
Représentation théâtrale « De nacht van Herodes » [La Nuit de Hérode],
a
Application
choix entre la restauration des lieux et l’ani-
mation, entre une approche contemplative
par De Blauwe Tulp, le 15 août 2009, Nationaal Monument Kamp Amersfoort.
pédagogique Les lieux de mémoire revisités
et la construction d’un « Zaanse Schans23 – aujourd’hui vide, avec la sérénité d’un venirs, un lieu que l’on veut revoir ; pour les
de la destruction », entre l’historisation et la cimetière symbolique – se transformera en proches des victimes le site s’inscrit dans un
mystification24. Westerbork est sujet à évo- un lieu évocateur où la mémoire rejoint le processus de deuil, comme un cimetière ; ✔ De nos jours, les lieux de mémoire Arménie). Les élèves décrivent brièvement événements, orientation politique, …) ?
lution, à l’instar de la culture mémorielle. vécu historique. les chercheurs le considèrent comme un suscitent un intérêt grandissant auprès d’un les associations ou les émotions qu’évoque > Quel est le sujet de l’œuvre, ou
Ce processus implique un « changement site archéologique permettant de collecter public de plus en plus large. Il revient aux pour eux le monument ou le site en ques- quel est le message que l’on vise à trans-
continuel au niveau de l’interprétation et Conclusion des preuves, alors que le public a besoin conservateurs, aux directeurs et aux autori- tion (quels sont les objectifs du site/de mettre au visiteur du site ? Y a-t-il une
de la construction de sens, déplaçant à d’informations sur ce lieu de mémoire. Pour tés impliquées de gérer les sites historiques l’artiste ? Dans quelle mesure ces objectifs dimension religieuse, politique, idéolo-
chaque fois l’attention vers des aspects et Étant donné les développements qui les autorités, le site peut être la scène d’une de façon judicieuse. Leur mission est de ont-ils été atteints ou non ?). À l’aide de gique, économique au projet ?
vers des événements différents, remodelant ont pris place à Westerbork, le site se trouve pénitence publique ou d’un projet péda- conserver les lieux, de les rénover, de les sources électroniques fiables ou de sources > Par quels moyens le projet a-t-il
sans cesse la vision de l’histoire à travers les de plus en plus utilisé pour des activités en gogique. La fonction muséale devient alors ouvrir au public, de les reconfigurer. bibliothécaires, ils explorent ensuite la été financé (autorités locales, entreprises,
musées, la littérature, le cinéma, l’enseigne- tous genres, visant à attirer les visiteurs et plus importante que celle de mémorial ou chronologie du monument ou du site. Au fonds privés) ?
ment, les rites de commémoration et les à susciter une certaine émotion, rendant de lieu de mémoire. Les centres mémoriels ✔ S’il est nécessaire que les élèves départ de cette recherche, ils proposeront > Y a-t-il eu des projets alternatifs
sites patrimoniaux »25. le passé vivant. On y récite des histoires et oscillent entre ces différentes dimensions ; développent un esprit critique face aux des réponses écrites à quelques questions qui ont été écartés ? Pour quelles raisons
le lieu sert aussi à des représentations de tout comme dans les musées «ordinaires », sources écrites, il est aussi important qu’ils concrètes telles que : ont-ils été écartés ?
Le projet de reconstruire une baraque, pièces de théâtre et des concerts. La ques- leur personnel salarié et leurs volontaires soient conscients des transformations (par- > À quel moment le monument > Dans le cas d’un site historique,
ou des parties de baraques, sur l’ancien site tion se pose alors de savoir dans quelle cherchent à assurer le droit à l’existence, fois profondes) que subissent les sites et a-t-il été érigé ou le site (re)construit ? Y quels éléments ont été préservés et quels
du camp aura un impact considérable. mesure l’histoire du camp peut être mise en attirant des subsides et des visiteurs. Le les monument historiques – parfois en se a-t-il une raison particulière pour laquelle la sont les changements qui ont été effec-
En s’assimilant davantage à la fonction en scène, et à quel point le théâtre de la problème de cette mise en scène est que la conformant à certains programmes idéo- construction eut lieu à ce moment précis tués ?
muséale du centre de mémoire, la plaine mémoire devient un simple décor qui n’a réalité historique risque de s’amenuiser. La logiques. L’exercice suivant s’inscrit dans la (mise en rapport avec le contexte local, > Dans quelle mesure le projet
plus grand chose à voir avec l’histoire du priorité est donnée à la force symbolique réalisation de cet objectif. national ou international) ? – Les annuaires vise-t-il à produire un effet émotionnel
camp. Jusqu’à quel point la construction et à l’identification avec l’histoire du camp politiques pourraient être un outil utile et/ou invite-t-il aussi à la compréhension, à
(23) Le « Zaanse Schans » est un musée en plein air
célèbre aux Pays-Bas. de sens symbolique peut-elle être étendue et celle des victimes, en vue d’un message ✔ Les élèves approfondissent un pour cette partie de l’exercice. la commémoration, au changement ?
(24) Cf. « Kamp Westerbork in ensemble. Het ou transformée sans porter atteinte à l’inté- idéologique actuel. thème par petits groupes. Il peut s’agir > Où se situe le monument sur le > Enfin : cette enquête a-t-elle
historisch landschap van Kamp Westerbork als grité des victimes, sans profaner le lieu ? Ce de l’histoire d’un camp de concentration site ? Pour quelle raison l’a-t-on situé à cet modifié la vision originelle des élèves
blijvende en sprekende getuige van de oorlog »
[Le paysage historique du camp de Westerbork sont des questions auxquelles il est difficile Un autre problème qui se pose ou d’extermination (Breendonk, Dachau, endroit ? par rapport au sujet étudié ? Quel est leur
comme témoignage durable et parlant de la guerre], de répondre, parce qu’un ancien camp de est celui de la complexité du site. En ce Mauthausen, Auschwitz I et II, Treblinka,…), > Quelles en sont les dimensions ? avis sur les choix d’aménagement qui ont
Herinneringscentrum Kamp Westerbork oktober
2011. concentration se voit attribuer beaucoup moment, l’attention porte notamment sur mais aussi de l’un des monuments dédiés à Quel effet cela produit-il ? été faits ? Quels seraient les aspects qui leur
(25) Frank van Vree et Rob van der Laarse, « Ter de fonctions – il n’en va pas autrement l’expérience des réfugiés juifs et des déte- la Shoah (le mémorial de Berlin ou de Paris, > Qui a créé le monument ou fut paraissent susceptibles d’amélioration et
inleiding » [En guise d’introduction], Frank van pour Westerbork. L’aménagement des lieux nus du camp de transit. Mais il y a d’autres ou encore les monuments de Dachau ou à l’origine du site ? Y a-t-il une raison pourquoi ? n
Vree et Rob van der Laarse, De dynamiek van de
herinnering, op. cit., p. 8. est une tâche pratiquement impossible. communautés mémorielles, comme les de Majdanek) ou d’un site commémorant particulière pour laquelle on s’adressa à
Fabian Van Samang,
(26) Rob van der Laarse, « Kunst, kampen en résidents moluquois, les Néerlandais d’In- la violence de masse (le musée de la Shoah cette personne ou à cet organisme ? Que Docteur en histoire et enseignant au Klein
landschappen. De blinde vlek van het dadererfgoed »
[L’art, les camps et les paysages. Le point aveugle du
Pour les anciens détenus, un camp est donésie, les militaires ou les collaborateurs, à Washington DC, le Parc Mémorial Cana- savons-nous du profil de cet individu ou Seminarie Roeselare
patrimoine des bourreaux], ibid., p. 193. un lieu d’expériences concrètes et de sou- qui cherchent à faire valoir leurs droits sur dien de Vimy, Tsitsernakaberd à Yerevan en de cette instance (implication dans les Traduction : Fransiska Louwagie

18 traces de mémoire n°07 – mars 2013 19


varias

a Éducation
« Start to
remember »

L e Bijzonder Comité voor Herinne-


ringseducatie (Comité spécial pour
l’Éducation à la Mémoire) a déve-
loppé une pierre de touche pour une édu-
cation à la Mémoire de qualité. Il s’agit de
proposer des tuyaux et des suggestions
concernant le développement de projets
d’éducation à la Mémoire sous forme d’un
programme intitulé «Start to Remember».
Cet outil, accessible en ligne depuis le
17 janvier 2013, est disponible sur le site du
BCH. Le programme «Start to Remember »
est établi sous la forme d’un test à choix
multiple. À la fin du test, on reçoit un rap-
port avec des suggestions pour la mise au
point du projet pédagogique. Si vous avez
lancé un projet concernant l’éducation à la
Mémoire, ou si vous avez des idées dans ce
sens, laissez-vous inspirer par ce test (qui
est, pour l’instant, disponible en néerlandais
uniquement). n
a cahiers
Parution
de misères
k En pratique
_ La page d’accueil du site :
www.herinneringseducatie.be
ou le lien direct :
L e 21 janvier 1942, un avocat
bruxellois, Abraham Fogelbaum,
est fusillé au Tir national pour
« tentative d'évasion en Angleterre ». Le
journal qu'il a tenu durant son année
l'expérience d'un jeune homme d'une
intelligence et d'une sensibilité peu ordi-
naire. n
Abraham Fogelbaum, Cahiers de misères –
www.herinneringseducatie.be/ Journal d'un condamné à mort (février 1941-
toetssteen/starttoremember.html de détention à la prison de Saint-Gilles, janvier 1942), Fondation de la Mémoire
à Bruxelles, nous donne à découvrir contemporaine, 2012.

pour une prise ASBL Mémoire d’Auschwitz – Tél. : 02/5127998 info@auschwitz.be


de contact Fondation Auschwitz. Fax : 02/5125884 www.auschwitz.be
Rue des Tanneurs 65, 1000 Bruxelles

Directeurs de la publication : Henri Goldberg,


Philippe Mesnard Rédacteurs en chef : Publication réalisée grâce au soutien de
Fransiska Louwagie, Fabian Van Samang
Secrétaire de rédaction : Frédéric Crahay SPF Sécurité Sociale
Comité de rédaction : Eric Lauwers, Service des
Frédéric Crahay, Sylvain Keuleers, Victimes de la Guerre
Marjan Verplancke, Marie-Pierre Labrique
Graphiste: Yann Collin (www.wakeupdesign.fr) Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Imprimeur: Hayez (www.hayez.be)

20 traces de mémoire – n°07 – mars 2013

Vous aimerez peut-être aussi