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TRACES 44 PB-PP B 19464

BELGIE(N) - BELGIQUE

DE MÉMOIRE
PÉDAGOGIE ET TRANSMISSION
AVRIL - MAI - JUIN 2022
Éditeur responsable: Henri Goldberg - ASBL Mémoire d’Auschwitz - Rue aux Laines 17/Boîte 50 - 1000 Bruxelles - Bureau de dépôt BRUXELLES X - Numéro d’agrégation P801056

UNE PUBLICATION TRIMESTRIELLE DE


L’ASBL MÉMOIRE D’AUSCHWITZ

LA RÉSISTANCE
COMMÉMORER LA RÉSISTANCE
Actualité
75 ans après la Libération,
la télévision commémore
les résistants
p. 2

Auschwitz
La mémoire de la Résistance
représentée à Auschwitz
p. 4

Approfondissement
La mémoire de la
Résistance belge
p. 6

No Comment
p. 11

Interrogation
Le Monument aux
Résistants juifs
p. 12
+ fiche pédagogique p. 17

Le saviez-vous ?
La plaque murale
du « faux » Soir
p. 18

Réflexion
Le cinéma et les histoires
de résistants
p. 21

Postface
p. 23

APRÈS LECTURE,
MERCI DE ME DÉPOSER
DANS LA SALLE DES PROFS.
actualité

75 ANS APRÈS LA LIBÉRATION :


LA COMMÉMORATION DE LA
RÉSISTANCE TROUVE ENFIN LE
CHEMIN VERS LA PETITE LUCARNE
Alors que le cinéma était au rendez-vous depuis longtemps, du côté du petit écran, la Résistance n’a été
mise à l’honneur que 75 ans après la Libération avec la série documentaire Kinderen van het verzet (Les
enfants de la résistance) lancée en 2019 par la chaîne flamande Canvas, qui avait déjà produit une autre
série intitulée Kinderen van de collaboratie (Les enfants de la collaboration) deux ans plus tôt. Au fil des
épisodes, treize témoins parlent de l’impact qu’a eu – et qu’a parfois encore – la Seconde Guerre mondiale
sur leur existence. Ils racontent les actes héroïques de leurs parents, reviennent sur leur propre implica-
tion dans la Résistance, dévoilent leurs cicatrices, et tentent de mettre des mots sur la peur des camps
nazis et les traumatismes parfois ineffaçables de la guerre. Quel impact la guerre a-t-elle eu sur cette « se-
conde génération » de victimes ? Quel regard ces témoins portent-ils sur le monde d’aujourd’hui ? Face à
une société qui ne cesse de se fragmenter et de s’extrémiser, certains ont peur pour notre avenir et insis-
tent sur l’importance de la mémoire. Nous avons invité les créateurs de ce programme à nous parler de
leur vision de la Résistance et de la mémoire.

Olivier Goris, netmanager chez Une fois encore, Koen Aerts, histo- Avec cette série, Canvas corrige
Canvas : « Avec Kinderen van het rien à l’UGent, a contribué à la di- le tir et donne à cette facette de
verzet, Canvas propose une nou- mension scientique du projet : l’histoire une voix, un visage, et
velle série sur le rapport des Fla- « Kinderen van het verzet est une surtout, un sens. »
mands avec les moments les plus suite à la fois logique et néces-
sombres de leur histoire. La résis- saire à Kinderen van de collabo- Nico Wouters est le directeur du
tance et la collaboration sont des ratie. Logique, car cette série se Centre d’Étude Guerre et Société
sujets qui touchent toujours notre concentre sur les enfants qui se (CegeSoma). Il reconnaît le
société de près. Kinderen van het sont construits dans l’ombre de la manque de reconnaissance de la
verzet donne une voix à treize per- guerre. Nécessaire, car elle met part des médias radio et télévi-
sonnes qui ont vécu la guerre en avant ces enfants qui ont subi, sions amands que subissent les
comme une expérience trauma- à leur manière, les coups durs de résistants depuis des décennies :
tique à laquelle ils n’ont encore la guerre – un groupe qui a sou- « La Flandre a tant de mal à ac-
trouvé aucun exutoire. Cette série vent été oublié, voire ridiculisé, cepter son passé qu’elle a passé
montre que 75 ans plus tard, la Se- après la Libération. La Résistance tout un pan d’histoire sous silence.
conde Guerre mondiale a tou- est sortie victorieuse de la guerre, Alors que la collaboration et la ré-
jours un impact sur la Flandre et les mais en Flandre, elle a largement pression font l’objet d’un intérêt
Flamands. » perdu la course à la mémoire. excessif, la mémoire de la Résis-

2 TRACES DE MÉMOIRE
Dès le moment de l'invasion allemande en mai 1940, la résistance à l'occupation a com-
mencé. Il s'agissait souvent de citoyens ordinaires qui, par conviction ou patriotisme, résis-
taient activement ou passivement aux soldats allemands, à la machine de guerre allemande
et aux collaborateurs belges. Au cours de la guerre, la Résistance s'est organisée et est de-
venue plus violente vu que l'occupant était sans pitié. Le profond contraste entre « blancs »
et « noirs », entre résistants et collaborateurs, a fortement marqué la société d'après-guerre.
C'est en partie pour cette raison, et certainement en Flandre, que l'histoire de la Résistance
est moins bien connue. Injustement, comme le montrent les témoignages saisissants des
Enfants de la Résistance. Le livre, compilé par l'historien et archéologue Piet Boncquet, a été
publié en coopération avec Canvas. La série peut toujours être regardée via ce lien :
https://www.vrt.be/vrtnu/a-z/kinderen-van-het-verzet/
© CANVAS

tance s’est progressivement effa- avaient des attributions variées : dans des foyers au sein desquels
cée après 1945. Pourtant, la Résis- certains distribuaient des journaux la guerre était toujours bien pré-
tance était bien présente en clandestins ou cachaient des per- sente, mais où ce triste passé était
Flandre, et y jouit d’une riche his- sonnes recherchées, tandis que tabou, et toute question à ce sujet
toire. C’est pourquoi cette série d’autres prenaient part à des at- interdite. Ces enfants ont été con-
est encore plus importante que tentats ou à des actes de sabo- frontés à des évènements et à des
celle sur la collaboration. 75 ans tage. débordements émotionnels qu’ils
après la Libération, elle ajoute Certains témoins ont vécu la étaient dans l’incapacité de
une dimension essentielle à la mé- guerre pendant leur enfance ou comprendre, et ont bien souvent
moire de la guerre en Flandre. » leur adolescence ; d’autres ne ni par chercher, eux aussi, à
sont nés que des années plus tard. échapper à cette fameuse
Treize témoins Le benjamin a 53 ans, le doyen en guerre. La plupart ont d’ailleurs
Les treize enfants de la Résistance a 92. Les plus âgés ont bien sou- mis des décennies à (re)trouver
qui prennent la parole dans cette vent été traumatisés par les l’envie et le courage de creuser
série sont loin de former un groupe épreuves qu’ils ont traversées dans le passé de leurs parents. La
homogène. Chacun a une vie, un pendant la guerre. Plusieurs guerre fait donc également par-
parcours et des convictions qui lui d’entre eux ont vu leur père et/ou tie intégrante de leur parcours de
sont propres. En revanche, tous leur mère se faire arrêter par les Al- vie.
partagent l’héritage d’un passé lemands, dans certains cas pour
marqué par la guerre. ne jamais revenir. Les témoins se Des experts pour le dernier épi-
Ces treize individus voient ce rappellent avoir vécu la peur au sode
passé d’un œil différent, mais ont ventre, angoissés à l’idée d’une La série se termine par un épisode
toutefois une chose en commun : descente de la Gestapo. Ils se où interviennent uniquement des
ils sont tous ers de leurs parents et souviennent du poids que faisait historiens. Ces derniers reviennent
de leur choix de résister au lieu peser sur leurs petites épaules cet sur la manière dont la Flandre
d’abdiquer devant l’occupant énorme secret qu’ils ne pouvaient gère la mémoire de la Résistance
nazi. Un choix qui a pourtant en- révéler à personne. Toutes ces ex- depuis la n de la Seconde
traîné des conséquences drama- périences ont laissé sur leur histoire Guerre mondiale.
tiques pour certains. des traces indélébiles.
Ces témoins évoquent les risques Les plus jeunes racontent d’autres Source : Kinderen van het verzet.
que leurs parents ont pris pendant sortes d’expériences. Ils appar- Dossier de presse – octobre 2019
la guerre. Ces derniers faisaient tiennent à une génération Kinderen van het verzet est une
tous partie de la Résistance, mais d’après la Libération qui a grandi production signée Canvas.

N° 44 - JUIN 2022 3
auschwitz

LA MÉMOIRE DE LA RÉSISTANCE REPRÉSENTÉE AU


MUSÉE D’ÉTAT D'AUSCHWITZ-BIRKENAU AUJOURD’HUI

Le musée d’Auschwitz-Birkenau rappelle au monde la souffrance juive et polonaise, qui a atteint son point
culminant dans l’enceinte du camp éponyme entre 1940 et 1945. L’aspect « résistance » semble quant à
lui quasi absent des photographies, mémoriaux et autres panneaux explicatifs du musée. Ce dernier ho-
nore avant tout la mémoire des victimes, et la Résistance n’est traitée que comme un thème secondaire
de l’exposition principale. Dans ce dernier numéro dédié à la Résistance, nous reviendrons sur le dévelop-
pement de ce mouvement au sein du KL Auschwitz.

Historiquement parlant, la résis- celui du « b » inversé dans le slo- qué ce type de résistance dans
tance est l’accomplissement gan « Arbeit macht frei » à l’entrée notre numéro 42, avec l’histoire
d’actes dont le but est d’empê- du Stammlager Auschwitz I, le de Witold Pilecki ;
cher l’ennemi de parvenir à ses camp de concentration principal – les révoltes spontanées ou orga-
ns. Cette dénition couvre bien du complexe. Certains cher- nisées, les évasions ;
entendu les actions de type mili- cheurs estiment toutefois qu’il – les efforts pour que des mem-
taire, mais la résistance ne se li- pourrait s’agir d’une police d’écri- bres de l’organisation clandestine
mite pas pour autant aux conits ture dans laquelle les boucles du interne ou des détenus politiques
armés. Pendant la Seconde « b » sont naturellement inversées, soient nommés Kapo ;
Guerre mondiale, d’autres formes et non d’un acte de résistance ; – les actes de résistance armée,
se sont développées, y compris – les manifestations de solidarité comme la révolte du Sonderkom-
au sein des camps. Le « com- et d’altruisme, souvent accomplis mando, le 7 octobre 1944 à Birke-
plexe » d’Auschwitz-Birkenau – par les détenus au péril de leur nau.
tous types de camps confondus – vie. Il s’agit généralement d’actes Les prisonniers envoyés dans les
fut notamment le théâtre de nom- visant l’amélioration des condi- zones d’extermination n’y res-
breux faits de résistance, que nous tions de vie de certains prison- taient jamais sufsamment long-
classerons, par commodité, en niers : distribution de nourriture ou temps pour nouer des liens de so-
huit grandes catégories : de médicaments aux plus faibles, lidarité. Les actes de résistance in-
– les formes de résistance spiri- protection des malades… Dans dividuels tels que ceux que nous
tuelle, par lesquelles les victimes ce numéro, nous vous parlerons avons cités survenaient donc prin-
luttaient pour conserver leur di- par exemple du sacrice du frère cipalement dans les camps de
gnité. Nous citerons ici l’exemple polonais Maximilian Kolbe ; concentration, les camps de tra-
de Mala Zimetbaum, qui s’est bat- – les activités de documentation, vail et les sous-camps. D’après les
tue jusqu’au bout et a gardé la sur papier ou par le biais de pho- documents d’époque, des formes
tête haute jusqu’au moment de tographies, dans le but de laisser de résistance organisée se sont
son exécution. Son histoire a déjà une trace de l’horreur des camps, également développées à
été relatée dans le numéro 42 de d’assurer la mémoire des dépor- Auschwitz. Dans les deux pre-
Traces de mémoire ; tés et de dénoncer les tortion- mières années, elles ont été or-
– l’organisation clandestine d’ac- naires ; chestrées par des nationalistes et
tions culturelles et politiques, ainsi – les sabotages internes, quels des ofciers militaires polonais,
que de rites religieux. L’un des qu’en soient la durée et le résul- auxquels se sont rapidement ral-
exemples les plus célèbres est tat. Nous avons notamment évo- liés des prisonniers communistes.

4 TRACES DE MÉMOIRE
© Musée d’état Auschwitz-Birkenau

Photo prise depuis le Krematorium V de Birkenau pour


illustrer l'incinération des corps à la fin de l'Aktion Höß,
au cours de laquelle 312 000 Juifs d'origine hongroise
ont été assassinés entre mi-mai et début août 1944

Pour des raisons de sécurité, la mais d’autres se sont laissé cor- L’exposition permanente et les ex-
première tâche des organisations rompre par le confort qu’offraient positions installées dans les pavil-
clandestines était d’identier les leur proximité avec la SS et leur lons dédiés aux différents pays
militants potentiels an d’éviter position privilégiée dans la struc- évoluent constamment, et l’im-
toute inltration d’espions. L’amé- ture du camp. L’un des objectifs portance de la Résistance y trans-
lioration des conditions de vie des du comité clandestin de résis- paraît à maintes reprises. L’une
détenus passait, entre autres, par tance – surtout dans les camps de des photographies les plus utili-
le remplacement de prisonniers travail – était de tenir informés les sées pour illustrer l’extermination
ordinaires par des détenus poli- détenus politiques du déroule- opérée à Auschwitz a par exem-
tiques qui s’étaient vu coner le ment de la guerre. Les contacts ple été prise par les membres du
rôle de Kapo ou occupaient avec la résistance en dehors du Sonderkommando à l’été1944. Le
d’autres fonctions importantes. Le camp étaient toutefois périlleux et simple fait de réaliser ce cliché
titre de Kapo ou de Prominent très risqués. Au l du temps, les depuis le Krematorium V est un
(détenu privilégié) donnait bien communistes et les militaires de la acte de résistance, dans la me-
souvent à un prisonnier un droit de résistance ont été rejoints par des sure où ces hommes ont risqué
vie ou de mort sur ses co-captifs. sociaux-démocrates, des catho- leur vie pour montrer au monde
Les pouvoirs accordés aux Kapos liques, des protestants, des Juifs, ce que les nazis cherchaient à
politiques leur permettaient de li- et bon nombre d’hommes et cacher à tout prix. Pourtant,
miter les passages à tabac, de femmes sans conviction politique le Musée d’Auschwitz-Birkenau ne
veiller à l’équité du partage de ou religieuse, mais tout aussi dé- compte ni statue ni monument
vêtements et de nourriture, de re- terminés à se dresser contre les célébrant la résistance, un peu
pérer les espions, de saboter la nazis. Les révoltes, les sabotages comme si un lieu tel qu’Auschwitz
production du camp, de protéger et les démonstrations de résis- ne pouvait évoquer que l’extermi-
le travail du comité clandestin, tance se sont ainsi succédé au nation et qu’un autre (par
etc. Parfois, ces Prominenten réus- sein du camp de concentration exemple Buchenwald) devait
sissaient, avec l’aide des prison- d’Auschwitz… sans pour autant être entièrement dédié à la Résis-
niers-médecins, à empêcher des réussir à enrayer cette machine tance (politique). Or, l’histoire est
détenus trop fragiles ou trop im- d’extermination bien huilée. Les loin d’être aussi compartimentée.
portants pour le réseau clandestin tentatives d’évasion – fructueuses
d’être envoyés au travail forcé. ou non – peuvent également être Frédéric Crahay
Beaucoup d’entre eux ont risqué considérées comme une forme Directeur
leur vie pour leurs camarades, de résistance. ASBL Mémoire d’Auschwitz

N° 44 - JUIN 2022 5
approfondissement

LA MÉMOIRE DE LA RÉSISTANCE BELGE


À L'ÉPREUVE DU TEMPS…

La Seconde Guerre mondiale en Belgique a produit des mémoires multiples et concurrentes. Si la mémoire
résistante et patriotique a, dans un premier temps, monopolisé l’espace commémoratif, la figure du ré-
sistant a plutôt mal supporté l’épreuve du temps.

LA BELGIQUE DE L’IMMÉDIAT commémorent les leurs en autorités envers les combattants


APRÈS-GUERRE CÉLÈBRE SES HÉROS s’appuyant sur le modèle des de l’armée de l’ombre se limite
Bien que le bilan des actions de la anciens combattants. aux commémorations et à l’octroi
Résistance belge soit loin d’être Parallèlement, le Gouvernement d’un statut. En réalité, elles se mé-
négligeable, au moment de la élabore une politique de ent des mouvements issus de la
Libération, la reconnaissance de reconnaissance prévoyant des Résistance, en particulier des
la population s’exprime surtout indemnisations morales et communistes et des royalistes. Dès
envers les soldats alliés. matérielles envers les citoyens lors, la Résistance ne sera aucune-
Contrairement à ce qu’il s’est méritants. La notion de résistance ment associée au pouvoir
passé en France, la rapidité avec perd sa dimension strictement comme elle l’espérait et la rupture
laquelle ils ont libéré le territoire militaire et les résistants civils, les avec un monde politique qui
prive la Résistance belge de réfractaires au travail obligatoire et cherche surtout à rétablir l’ordre
mérites militaires. Malgré tout, au les travailleurs déportés obtiennent d’avant-guerre est rapidement
sortir de la guerre, les résistants un statut légal. Cependant cette consommée.
vont jouir d’un certain crédit et les politique de reconnaissance révèle Par ailleurs, le monde politique va
pouvoirs publics vont mettre en les divisions qui existent au sein des progressivement abandonner le
place des initiatives pour honorer différentes composantes de la terrain mémoriel. Dans la partie
leur courage et les souffrances Résistance et installe une francophone du pays, les trois
qu’ils ont endurées. Le fort de concurrence durable entre les partis traditionnels (catholique, li-
Breendonk est décrété Mémorial victimes de la répression nazie. Les béral et socialiste), même s’ils ont
national en 1947 et devient dans victimes juives en sont exclues tout compté des résistants dans leurs
la mémoire collective le symbole comme elles sont exclues de la rangs, ne se sont pas investis signi-
de la répression nazie en mémoire de la guerre durant cativement dans la Résistance ;
Belgique. Les communautés plusieurs décennies. ils n’ont donc aucun intérêt à en-
mémorielles patriotiques prennent tretenir cette mémoire. Les com-
la main sur la Colonne du Congrès UNE ARMÉE QUI RETOURNE DANS munistes sont les seuls à avoir véri-
ainsi que sur les lieux de mémoire L’OMBRE tablement lutté contre l’occu-
de la Première Guerre réinvestis et Cependant, la bienveillance des pant, mais dans le contexte de la

6 TRACES DE MÉMOIRE
guerre froide, le parti communiste 1950. L’aile gauche où l’on trouve inexorablement appartenir au
s’efface dès les élections de 1949 les opposants les plus virulents à passé. L’État belge quant à lui
et, avec lui, la mémoire de ses ré- Léopold III s’oppose radicalement n’entretient plus aucune politique
sistants. Au nord du pays, le à la mouvance léopoldiste. Au active en souvenir de la Seconde
monde catholique dominant et le même moment, commence la Guerre mondiale ; le fort de
mouvement amand en reconsti- guerre froide et le gouffre qui sé- Breendonk, symbole du combat
tution se mobilisent dès 1945 en pare le courant communiste de la des prisonniers politiques belges,
faveur de l’amnistie des collabo- droite de la Résistance va devenir est, à partir des années 1970,
rateurs amands qui sont considé- abyssal. complètement désinvesti par les
rés comme des nationalistes qui Divisée et sans levier politique, la pouvoirs publics et n’attire plus
se sont juste égarés. Les résistants, Résistance ne parvient plus à faire grand monde. Ce sont les asso-
fervents opposants de l’amnistie, entendre sa voix. Qui plus est, au ciations patriotiques, les amicales
sont marginalisés et parfois même début des années 1960, les reven- d’anciens qui organisent elles-
qualiés d’anti-Flamands par une dications d’autonomie amandes mêmes des commémorations et
opinion qui estime majoritaire- s’accentuent et la vie politique se préoccupent d’ériger des lieux
ment que la répression de la col- belge se structure désormais au- de mémoire comme à Ander-
laboration est un instrument de ré- tour du clivage communautaire. lecht où, en 1972, s’ouvre un mu-
pression anti amande. Le récit national et la commémo- sée national de la Résistance
À cette absence de relai politique ration de la guerre deviennent dans une ancienne imprimerie
s’ajoutent de profondes divisions également une source de conit clandestine1. Initiative privée
qui existent au sein d’un mouve- entre les deux communautés du émanant de différents mouve-
ment, dont les diverses compo- pays. Dans un état fédéral en de- ments de la Résistance belge
santes vont de l’extrême gauche venir, le message patriotique des (dont principalement le Front de
à l’extrême droite. L’unité de la résistants devient totalement ob- l’Indépendance), ce modeste,
Résistance qui existait en appa- solète. Focalisé sur la lutte contre mais foisonnant musée aux riches
rence va se briser sur la Question l’amnistie et la défense de la na- collections dispose cependant de
royale et son dénouement en tion, le résistant apparaît comme moyens très limités.

Commémoration à la Colonne du Congrès, lieu


emblématique du patriotisme belge. Les prisonniers
© Carcob

politiques reprennent les codes des anciens combattants


comme le déploiement de drapeaux et le dépôt de
gerbes de fleurs. (Bruxelles, 1948)

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© Mundaneum
Les amicales défendent les intérêts matériels et moraux
des anciens résistants et entretiennent le souvenir
(Affiche de l'amicale de l'Armée belge des partisans,
Bruxelles, 1947)

LA MÉMOIRE DE LA RÉSISTANCE, le monde politique à manifester tiques qui se sentent exclus et s’in-
OUTIL D’ÉDUCATION À LA CI- un intérêt croissant pour cette pé- surgent contre un « déni de mé-
TOYENNETÉ riode et à ériger le « devoir de mé- moire »3. Même évolution au mu-
Dans les années 1980, le procès moire » en rempart de la démo- sée de la déportation à Malines
de Kiel contre les responsables de cratie. La mémoire de la guerre devenu le musée-mémorial
la déportation en Belgique2 et les est placée sous le signe des droits Kazerne Dossin, qui allie l'éduca-
travaux publiés par Maxime Stein- de l'Homme dans lequel le géno- tion à la Shoah à celle des droits
berg vont mettre le judéocide au- cide des Juifs est central. Désor- de l'Homme. Cette orientation se
devant de la scène. La commu- mais, on commémore toutes les fait également dans le sud du
nauté juive revendique désormais persécutions, toutes les formes pays où les Territoires de la Mé-
sa place et prend conscience de d’oppressions et de violences. La moire voient le jour en 1993 à l’ini-
l'importance mémorielle de la ca- Résistance quant à elle passe à tiative d’anciens prisonniers poli-
serne Dossin qui deviendra en l’arrière-plan voire disparaît com- tiques. Le centre se dénit comme
1995 le Musée juif de la Déporta- plètement de la mémoire collec- un centre d'éducation à la résis-
tion et de la Résistance. L’émer- tive surtout en Flandre. tance et à la citoyenneté et cible
gence de la mémoire de la Shoah Les pouvoirs publics vont investir avant tout un public scolaire. En-
achève ainsi le processus de déli- les lieux de mémoire et nancer n, à Bruxelles, le musée de la Ré-
tement de la mémoire de la Résis- de nouveaux musées. Le ministère sistance, fermé depuis des an-
tance. L’attention se porte désor- de la Défense nationale reprend nées, rouvrira ses portes dans le
mais sur les victimes juives de la en main le fort de Breendonk qu’il courant de l’année 2023 sous la
guerre, demeurées invisibles pen- rénove et transforme en Human forme d’une Maison des Résis-
dant des décennies et les persé- Rights Memorial abandonnant le tances dont le projet est de
cutions raciales vont dominer la message combattant et patrio- « transmettre la mémoire civique
mémoire collective de la guerre. tique. Le mémorial national passe et l'esprit de résistance, la lutte
Dans les années 1990, celle-ci va de « l'exaltation patriotique aux contre les totalitarismes, la dé-
profondément changer. La résur- droits de l'Homme » au grand fense de la paix, de la démocratie
gence de l’extrême droite amène dam des anciens prisonniers poli- et des droits humains. »4

8 TRACES DE MÉMOIRE
© WHI/VANdenSTEEN

L'éducation à la citoyenneté passe par le


souvenir de la Seconde Guerre mondiale.
Commémoration annuelle au Fort de
Breendonk, le 23 septembre 2020
© DR

Pose d'un Pavé de mémoire devant


le dernier domicile de Hersz Dobrzinski,
résistant fusillé le 14 juillet 1943 au
Tir national (Charleroi, 8 octobre 2019)
© DR

N° 44 - JUIN 2022 9
Si aujourd’hui, ce sont encore sur- sitaires de Rennes, 2016, p. 93-111. (1) C’est dans cet ancien atelier de
tout les victimes juives qui retien- photogravure (Lauwers) que fut con-
nent l’attention, une évolution Bruno Benvindo et Evert Peeters, fectionné « Le Faux Soir » clandestin.
(2) Actions menées contre le chef de
semble timidement s’opérer de- Les décombres de la guerre. Mé-
la Sipo-SD à Bruxelles, Ernst Ehlers et
puis peu avec l’apparition d’initia- moires belges en conit. 1945- son subalterne Kurt Asche, Judenrefe-
tives visant à sortir les résistants de 2010, Waterloo, Renaissance du rent ayant en charge la déportation
l’anonymat. Parmi celles-ci, la Livre, 2012. des Juifs et des Tsiganes. Ernst Ehlers se
pose de Pavés de mémoire de- suicidera un mois et demi avant l'ou-
vant les derniers domiciles des ré- Bruno Benvindo, « Les autorités du verture du procès à Kiel en 1980.
sistants reposant ou ayant reposé passé. Mémoires (in)disciplinées (3) Bruno Benvindo, « Les autorités du
à l’Enclos des Fusillés au Tir natio- du camp de Breendonk, 1944- passé. Mémoires (in)disciplinées du
nal à Schaerbeek5. 2010 » in Revue belge d’histoire camp de Breendonk 1944-2010 »,
p. 71.
Depuis 2018, à l’initiative de l’ASBL contemporaine, XLII, 2-3p. 48-77.
(4) Commune d’Anderlecht, commu-
Mémoire d’Auschwitz, 85 pavés niqué de presse Maison des Résis-
ont été placés en région bruxel- Fabrice Maerten (dir.), Papy était- tances, 25 novembre 2019.
loise et 10 à Charleroi6. Par ailleurs, il un héros ? Sur les traces des (5) Le Tir national a été occupé durant
l’Enclos des Fusillés est devenu Né- hommes et des femmes dans la les deux Guerres mondiales par l’ar-
cropole nationale le 31 mai 2021. Résistance pendant la Seconde mée allemande. De nombreux résis-
La ministre de la Défense a oc- Guerre mondiale, Bruxelles, Ra- tants y ont été fusillés, puis enterrés à
troyé le même titre quelques mois cine, 2019. l’« Enclos des Fusillés », cimetière situé
à l’arrière du bâtiment.
plus tard à celui de la citadelle de
(6) Voir la liste des pavés sur notre site
Liège où se trouvent 415 tombes Une rue sans mémoire, des résis- internet : https://auschwitz.be/fr/acti-
de personnes fusillées ou abattues tants sans histoire ? par Chantal vites/paves-de-memoire
pendant la Seconde Guerre mon- Kesteloot (CegeSoma) :
diale. https://www.belgiumwwii.be/de-
bats/une-rue-sans-memoire-des-
Sarah Timperman resistants-sans-histoire.html
ASBL Mémoire d’Auschwitz
Daniel Weyssow, Projet de pose
Pour approfondir : de pavés de mémoire pour les ré-
Bruno Benvindo et Chantal Kes- sistants fusillés au Tir national et à
teloot, « Témoins, historiens, États : Breendonk durant la Seconde
mémoires de la Seconde Guerre Guerre mondiale, inhumés à
mondiale en Belgique (1945- l’« Enclos des fusillés » (Bruxelles).
2015) », in Jacqueline Sainclivier, Texte en ligne sur le site de la Fon-
Pierre Laborie, Jean-Marie Guillon dation Auschwitz :
(dir.), Images des comportements https://auschwitz.be/images/pav
sous l'Occupation, Presses univer- es-projet-tir-national.pdf

10 TRACES DE MÉMOIRE
Dans cette rubrique : des images, des textes, des liens Internet, sans
commentaire. Que sais-tu du contenu de cette page ? Quel est le lien
avec le thème et quelle est ton opinion critique ? Envoie ta réponse à
ces trois questions par mail via georges.boschloos@auschwitz et no comment
gagne une de nos publications au choix.

The Partisan
Leonard Cohen

When they poured across the border


I was cautioned to surrender
This I could not do
I took my gun and vanished.

I have changed my name so often


I've lost my wife and children
But I have many friends
And some of them are with me

An old woman gave us shelter


Kept us hidden in the garret
Then the soldiers came
She died without a whisper

There were three of us this morning


I'm the only one this evening
But I must go on
The frontiers are my prison

Oh, the wind, the wind is blowing


Through the graves the wind is blowing
Freedom soon will come
Then we'll come from the shadows

Les Allemands étaient chez moi


Ils me dirent, « résigne-toi »
Mais je n'ai pas peur
J'ai repris mon arme

J'ai changé cent fois de nom


J'ai perdu femme et enfants
Mais j'ai tant d'amis
J'ai la France entière

Un vieil homme dans un grenier


Pour la nuit nous a caché
Les Allemands l'ont pris
Il est mort sans surprise

Oh, the wind, the wind is blowing


Through the graves the wind is blowing
Freedom soon will come
Then we'll come from the shadows

https://www.youtube.com/watch?v=GCYKM7MQYmg

N° 44 - JUIN 2022 11
interrogation

LE MONUMENT AUX
RÉSISTANTS JUIFS
DU MÉMORIAL NATIONAL AUX
MARTYRS JUIFS D'ANDERLECHT

Le Monument aux Résistants juifs projets furent présentés, dont ce- les noms des martyrs déportés
ayant été accolé au Mémorial lui d’André Godart qui fut retenu. d’autres pays. L’esplanade cen-
national aux Martyrs Juifs de Bel- Son projet consistait en un espace trale serait constituée de briques
gique bien après son inaugura- sacré de 500 m2 rappelant l’étoile brunes et les gradins périphé-
tion, nous développerons ici le de David et pouvant être utilisé riques de plaques préfabriquées
cadre de leur élaboration respec- comme synagogue, entouré en béton. De fortes grilles seraient
tive et de l’intégration du Monu- d’une enceinte d’une hauteur placées aux différentes entrées.
ment au Mémorial. Ce dernier a de 3 mètres recouverte de La première pierre fut posée le di-
vu le jour consécutivement à une 108 plaques de granit noir sur manche 28 mars 1965 (photo 1).
visite, organisée par l’Union des lesquelles tiendraient, gravés en Elle intégrait un cylindre conte-
Déportés Juifs que présidait alors lettres de trois centimètres, les nant, comme à Paris, des cendres
Maurice Pioro, au « Mémorial au noms des 24 036 martyrs juifs dé- de martyrs provenant d’Auschwitz
Martyr Juif inconnu »1 à Paris en portés de Belgique. L’espace sa- (photo 2).
1961. N’ayant pu trouver place, cré devait être pourvu d’un po- Six mois après l’inauguration de la
comme d’abord imaginé, à la dium-autel dirigé vers l’Est, avec première pierre, un memento de
Caserne Dossin à Malines, un ter- au fond une Menorah symbolisée trois pages, daté du 18 août 1966,
rain fut proposé par la Commune par des chaînes, le tout coiffé rédigé par le secrétaire du
d’Anderlecht, à l’initiative du d’une structure métallique rappe- Comité national, Marc Goldberg,
bourgmestre et ancien déporté lant les rails menant aux baraques comprenant un cahier des
politique à Auschwitz et Ebensee, des camps. Un sanctuaire était charges qui avait été préalable-
Joseph Bracops2. Un concours fut prévu en sous-sol, sous le podium, ment adressé au président
lancé le 13 mars 1964 par le Co- où seraient conservés le registre Bernard Tarnowski, était distribué
mité organisateur du Mémorial et des visites, des témoignages sous aux membres via une lettre datée
la Fédération royale des archi- formes de livres et de lettres, ainsi du 2 février 1967. Il y rappelait la
tectes de Belgique. Vingt-quatre que des parchemins contenant « philosophie du Monument », sti-

12 TRACES DE MÉMOIRE
pulant qu’outre un lieu de recueil- tenue au Consistoire Central Israé- vie, soit en les hébergeant, soit en
lement et de prière, le « mémorial lite de Belgique, pour concevoir les cachant, soit en leur faisant
[devait] aussi rendre hommage à un « ajout » au Mémorial dans le prendre le maquis ». Poursuivant
tous ceux qui ont combattu le na- cadre d’un Comité appelé qu’à cet égard s’était tenue en
zisme dans notre pays et sauvé « Hommage des Juifs de Belgique 1946 « au Palais des Beaux-Arts à
presque 20 000 juifs de la déporta- à leurs héros et sauveurs (1940- Bruxelles une grande manifesta-
tion et de la mort »3. Le Mémorial 1945) ». tion d’Hommage à ces Belges, en
sera inauguré quatre ans plus présence de feu Sa Majesté la
tard, le dimanche 19 avril 1970. La Commission d’ « Hommage Reine Elisabeth, des ministres et
(photo 3 et 4) aux Sauveurs » des personnalités de toutes les
Sous l’égide de la Fondation Mé- Présidée par Rik Szyffer, la pre- tendances politiques »7. « Une liste
morial National aux Martyrs Juifs mière Commission, appelée avait alors été élaborée par So-
de Belgique, créée le 9 août 1972 « Hommage aux Sauveurs »6, fut phie Schneebalg, membre du
pour assurer la gestion du monu- chargée de préparer une Mani- “Comité d’Hommage”, compre-
ment4, co-présidée par Maurice festation de reconnaissance. Dov nant les noms d’environ 1 600
Pioro et Joseph Komkommer, dia- Lieberman, le rapporteur des réu- Belges qui avaient aidé les Juifs
mantaire, qui représentait la com- nions de la Commission, y rappe- durant l’occupation allemande. »
munauté juive d’Anvers (qui lait que pendant la guerre de De cette liste, on comprendra
sera remplacé à son décès par 1940-1945 « bon nombre de qu’il fallait non seulement la com-
Claude Marinower), deux com- Belges, de confession non-juive, pléter, mais aussi documenter et
missions sont constituées, le ont aidé beaucoup de nos coreli- établir, pour chaque Sauveur, un
22 mars 19785, lors d’une réunion gionnaires dans leur lutte de sur- dossier consignant les faits. Un ap-

Photo 1 : Carton d'invitation à la


cérémonie solennelle de pose de
la première pierre du Mémorial
© Kazerne Dossin

© Kazerne Dossin

Photo 2 : Détail de la première


pierre avec son évidement

N° 44 - JUIN 2022 13
© Fondation Auschwitz
Photo 4 : Le Mémorial avec,
en son centre, la première pierre
© Fondation Auschwitz

Photo 3 : Discours de Maurice Pioro lors de l'inauguration du Mémorial le 19 avril 1970,


en présence de Sam Topor, Victor Jacobowic et Perel, en tenues de déportés

pel à communication fut alors dure adoptée par le Musée Mé- mune où leurs noms seront gravés
lancé an d’arriver à recenser les morial de Yad Vashem, qui et où la communauté juive de Bel-
noms des Sauveurs des quelque honore de cette manière, par une gique et les générations futures
18 000 Juifs qui avaient été ca- médaille et un diplôme d’hon- viendront s’incliner avec respect
chés et protégés de la déporta- neur, les personnes reconnues lors des cérémonies commémora-
tion par la population, an de les « Justes parmi les nations », en plus tives. »8 « Le Monument dédié aux
honorer par une brochure et une de graver leurs noms, à Jérusa- 242 Héros Juifs de Belgique tom-
grande manifestation prévue en lem, sur le « Mur des Justes ». bés dans la résistance à l’occu-
1980 pour le 150e anniversaire de pant nazi inauguré le 6 mai 1979
l’Indépendance. La publica- La Commission d’ « Hommage […] est surmonté de six ammes,
tion intitulée Hommage des Juifs aux héros » symbole des six millions de vic-
de Belgique à leurs héros et sau- Présidée par le professeur Chaïm times juives de l’Holocauste. »9 Il a
veurs 1940-1945. Extermination, Perelman, la seconde Commis- été apposé près de l’entrée,
Sauvetage et Résistance des Juifs sion, appelée « Hommage à nos contre le mur extérieur du Mémo-
de Belgique, principalement rédi- héros » élabora la liste des noms rial. (photo 5)
gée par Maxime Steinberg, parut des résistants juifs de Belgique as- En 1980, Maurice Pioro exposa le
en avril 1979. Quant à la grande sassinés durant la Seconde résumé du travail fourni par les
manifestation, elle se déroula le Guerre mondiale. Maurice Pioro deux commissions et celui qu’il
12 octobre 1980 à Forest-National évoqua l’extension souhaitée du restait encore à mener, d’une
où 1 500 médailles en bronze fu- Mémorial national d’Anderlecht part dans les écoles, et d’autre
rent remises aux Sauveurs ou à en énonçant que « les Résistants part en termes d’accompagne-
leurs familles, rappelant la procé- auront nalement une stèle com- ment des procédures mises en

14 TRACES DE MÉMOIRE
place avec Béate Klarsfeld pour Foundation (New York). de Serge Klarsfeld et Maxime
retrouver en Allemagne les res- À l’heure où nous écrivons ces Steinberg évoqué ci-avant : « Si les
ponsables de la déportation des lignes, un plan de réaménage- crimes d’il y a 40 ans ont été ceux
Juifs de Belgique, Ernst Ehlers et ment du quartier « Canal-Midi » pi- de l’intolérance, il faut combattre
Kurt Asche. loté par Beliris, et accompagné toute intolérance. S’ils ont été
Le Mémorial d’Anderlecht et le entre autres par la Commission ceux du mépris de la liberté, il faut
Monument aux héros seront de Royale des Monuments et Sites et combattre toute atteinte à la li-
plus dotés, en 1982, à l’image de la Commune d’Anderlecht, a été berté. S’ils ont été ceux de la dic-
ce que Serge Klarsfeld avait réa- avalisé, le permis d’urbanisme tature, il faut combattre tout abus
lisé pour la France en 1978, d’un ayant été délivré le 14 septembre de l’autorité. Et s’ils ont été ceux
ouvrage, Le Mémorial de la dé- 2021. L’îlot Albert, dans lequel de la violence, il faut combattre
portation des Juifs de Belgique, re- s’inscrit le Mémorial est concerné. tout ce qui prend les formes de la
prenant la liste des quelque Ses abords seront réaménagés violence. Il faut peu de choses
25 000 personnes déportées à an d’accueillir un Mur des Justes, pour réveiller les monstres, mais il
partir de Malines, auquel est joint dans le prolongement duquel re- faut des euves de larmes et de
le dossier à charge des deux prin- trouvera place, démonté et dé- sang pour les vaincre. »11 Des mots
cipaux responsables cités ci- placé, le Monument aux Héros. justes qui résonnent à l’aune des
avant de la Gestapo de l’avenue (photo 6) Les travaux au sein de actualités qui secouent notre
Louise. Présenté par Serge Klars- l’îlot devraient débuter en 2023 et continent.
feld10 et Maxime Steinberg, il est s’achever en n 2024.
publié conjointement par l’Union Nous souhaiterions conclure cette
des déportés juifs en Belgique, incursion dans l’histoire du mémo-
lles et ls de la déportation rial par ces mots de Maurice Pioro Daniel Weyssow
(Bruxelles) et la Beate Klarsfeld gurant en introduction du dossier ASBL Mémoire d’Auschwitz
© Fondation Auschwitz

Photo 5 : Le Monument,
inauguré le 6 mai 1972, créé en
hommage aux 242 Juifs de
Belgique tombés dans la
Résistance à l'occupant

N° 44 - JUIN 2022 15
Photo 6 : Projet du contrat de
quartier de l'îlot Albert piloté
par la Commission Royale des
© DR

Monuments et Sites et par Beliris

(1) Né lors d’une réunion de membres Maurice Goldstein, M. Gutfreund, Paul Juifs de Belgique à leurs héros et sau-
du Centre de Documentation Juive Halter, M. Heiber, M. Jakubowicz, veurs 1940-1945 », brochure éditée par
Contemporaine (CDJC) créé en Y. Jospa, D. Jurysta, Roger Katz, Willy le Comité d’hommage, p. 5.
avril 1943 par une quarantaine de re- Katz, Ch. Knoblauch, J. Komkommer, (9) Ibid., p. 29. Voir également Michel
présentants de la Communauté juive Ch. Lerner, Dov Liebermann, George Hérode, Marie-Pierre Labrique et Phi-
qui, déjà décidés à accumuler ar- Mahler, S. Makowski, A. Marinower, lippe Plumet, Paroles de pierres. Traces
chives, preuves et témoignages des M. Meyer-Munz, M. Pardes, Chaïm Pe- d’histoire, Démocratie ou Barbarie,
atrocités subies durant la Seconde relman, M. Pioro, M. Poringer, éd. Bruxelles, Racine, 2009, p. 70.
Guerre mondiale, aura donné nais- Z. Podgaetzki, S. Ringer, J. Rottenberg, (10) « Avec l’aide du ministère de la
sance en 1947 au Mémorial au Martyr M. Schamiso, E. Schmidt, S. Schnee- Santé et de la Famille à Bruxelles, j’éta-
Juif inconnu. balg, Léon Spitz, Jacques Springer, blis alphabétiquement, avec le remar-
(2) « Partisans armés juifs. 38 témoi- Maxime Steinberg, J. Sterngold, David quable historien Maxime Steinberg, le
gnages », Bruxelles, les éditions « Les Susskind, R. Szyffer, B. Tarnowski, M. Wi- mémorial de la déportation de
Enfants des Partisans juifs de Bel- slicki, A.D. Zaidman ». Liste mention- 25 124 Juifs de Belgique et de 312 Tzi-
gique », 1991, p. 88. née dans le document distribué à titre ganes », in Beate et Serge Klarsfeld,
(3) Archives du Mémorial, Musée Juif d’appel à la population juive de Bel- Mémoires, Paris, Fayard Flammarion,
de Belgique. gique, Archives de l’Amicale des ex- 2015, p. 451-452.
(4) Domiciliée avenue Ducpétiaux, 68 prisonniers d’Auschwitz-Birkenau et (11) Maurice Pioro, préface au Mémo-
à 1060 Bruxelles. des prisons de Haute-Silésie, farde H, rial de la Déportation des Juifs de Bel-
(5) Archives du Mémorial, Musée Juif Mémoire d’Auschwitz asbl. gique, présenté par Serge Klarsfeld et
de Belgique. (7) Cette manifestation de reconnais- Maxime Steinberg, édité par l’Union
(6) Le Comité d’initiative « Hommage sance au peuple belge organisée par des Déportés juifs en Belgique et Filles
des Juifs de Belgique à leurs Héros et le Conseil des Associations Juives de et Fils de la déportation, 68 avenue
Sauveurs (1940-1945) » est composé Belgique se déroula au Palais des Ducpétiaux, 1060 Bruxelles et par The
de Jean Bloch, Herman Bochner, L. Beaux-Arts, à Bruxelles, le 5 mai 1946. Beate Klarsfeld Foundation, 515, Madi-
Davids, R. De Latouwer, Israël Feld, Un diplôme y fut remis à chaque Juste son Avenue, New York NY 10022, Me-
P.N. Ferstenberg, S. Fuhrer, T. Gliksberg, ou, en son absence, à ses héritiers. chelen, 1982, p. 4. Suit, en page 5, la
Marc Goldberg, Alexis Goldschmidt, (8) Maurice Pioro, in « Hommage des photo du Mémorial d’Anderlecht.

16 TRACES DE MÉMOIRE
application La gare de Boortmeerbeek et l’Atelier Marcel Hastir
pédagogique

Nom et prénom Classe / Cours


Vous trouverez chaque trimestre dans votre TRACES DE MÉMOIRE une application pédagogique avec une fiche didactique à utiliser en classe ou à conserver.

Chaque année, des cérémonies de commémoration sont or-


ganisées à la gare de Boortmeerbeek.
L'Atelier Marcel Hastir à Bruxelles a un lien étroit avec cette
gare ferroviaire, mais les activités commémorant les actes de
résistance de Boortmeerbeek n'y sont jamais organisées.

Tâches :

1. Quel est le lien entre ces deux lieux ?


Ces fiches sont également à télécharger sur notre site internet www.auschwitz.be sous l ’onglet « pédagogie ».

2. Trouve les détails des événements qui se sont dérou-


lés dans ces lieux.

3. Si l'on vous demandait de créer votre propre événe-


ment commémoratif à l'Atelier Marcel Hastir, en quoi consis-
terait-il, compte tenu de la nature du lieu ?

Remarques de l’enseignant/e TRACES DE MÉMOIRE


est une publication trimestrielle de
l’ASBL Mémoire d’Auschwitz

www.auschwitz.be

FICHE PÉDAGOGIQUE N° 23 (TRACES DE MÉMOIRE N° 44)


le saviez-vous ?

LA PLAQUE MURALE DU « FAUX » SOIR,


RUE DE RUYSBROECK, 35

Au 35 rue de Ruysbroeck, à abrite aujourd’hui l’école primaire tion, dont Ferdinand Wellens et
Bruxelles, une plaque murale du Lycée Dachsbeck. Théo Mullier, qui périrent en dé-
mentionne qu’« Ici se trouvait du- [photo 3 et 4] portation.
rant la Seconde Guerre mondiale La plaque murale a été réalisée Mais venons-en au contexte au
le siège de l’imprimerie de Ferdi- par l’Institut Diderot. Elle a été sein duquel le « faux » Soir vit le
nand Wellens où fut imprimé clan- inaugurée le 26 mars 1999, en pré- jour. Immédiatement après l’inva-
destinement, dans la nuit du sence de l’échevin de l’Instruc- sion, qui eut lieu le 10 mai 1940, la
6 au 7 novembre 1943 le « faux » tion de la Ville de Bruxelles, Freddy presse fut placée sous le contrôle
Soir diffusé le 9 novembre. Par ce Thielemans, juste avant une pré- de l’occupant. Des journaux clan-
coup d’éclat, le Front de l’Indé- sentation académique de l’his- destins – quelques 600 titres – ap-
pendance entendait afrmer son toire du « faux » Soir et à la veille parurent ensuite malgré les risques
attachement à cette valeur fon- d’une « Journée de l’enseigne- encourus par ceux qui les réalisè-
damentale qu’est la liberté d’ex- ment ofciel » organisée par le rent et les distribuèrent. Ces publi-
pression et célébrer dignement le Centre d’action laïque, le Conseil cations avaient pour but d’entre-
25e anniversaire de la capitulation de concertation de l’école of- tenir le moral de la population, en
allemande lors de la Première cielle, la Fédération des associa- pourfendant l’occupant et ses
Guerre mondiale. » [photo 1] tions de parents de l’école of- collaborateurs, mais permettaient
Le « faux » Soir a été imprimé à cielle et de la Ligue de l’Enseigne- également d’informer la popula-
50 000 exemplaires par Ferdinand ment, pour rappeler ce haut fait tion des actions de la Résistance.
Wellens [photo 2] sur les rotatives qui s’acheva par l’arrestation, par Le journal Le Soir saisit par l’occu-
de son imprimerie, dans ce bâti- la Gestapo, d’une quinzaine de pant et passé aux mains de colla-
ment qui, transformé en 1985, résistants ayant participé à l’ac- borateurs demeurait le plus lu

Photo 2 : Portrait de Ferdinand Wellens. Photo 1 : Plaque murale réalisée par l'Institut Diderot
Médaillon en bronze conservé au Musée
National de la Résistance de Belgique
© Fondation Auschwitz/Daniel Weyssow

© Fondation Auschwitz/Daniel Weyssow

18 TRACES DE MÉMOIRE
© Fondation Auschwitz/Daniel Weyssow

© Fondation Auschwitz/Daniel Weyssow


Photo 3 : Rue de Ruysbroeck, 35. École primaire Dachsbeck
située à l'emplacement de l'ancienne imprimerie Wellens

Photo 4 : Porche d'entrée de l'école primaire Dachsbeck

étant édité à 300 000 exemplaires. Boland, cette organisation avait étapes du projet : trouver un im-
Marc Aubrion eut l’idée, qu’il par- été créée pour fédérer les mul- primeur, du papier, et des véhi-
tagea avec René Noël, de jouer tiples mouvements de la Résis- cules pour assurer la distribution
un bon tour aux Allemands en tance. En rent partie, notam- du journal, mais aussi des rédac-
remplaçant l’une des éditions par ment, l’Armée belge des Parti- teurs prêts à risquer leur va-tout.
une livraison d’apparence iden- sans, les Milices patriotiques, le Pierre Ansiaux, Fernand Demany
tique, qui serait distribuée dans les Rassemblement National de la et Adrien Van den Branden de
kiosques et librairies au plus près Jeunesse, ainsi que des syndicats Reeth acceptèrent de rédiger les
du 11 novembre 1943, jour du et des partis politiques. L’organisa- articles. La parodie, parfaite, pré-
25e anniversaire de la n de la tion s’avéra des plus efcaces, ins- sentait d’une manière détournée
Première Guerre mondiale, an truisant de nombreuses actions de le style d’écriture lourd et em-
de rappeler la victoire alliée. Les sabotage, réalisant des faux do- prunté, sufsant et ampoulé, men-
deux hommes, qui souhaitaient cuments et assurant des évasions songer et propagandiste qu’af-
de la sorte faire un pied de nez à vers l’Espagne. On lui prête la su- fectionnaient les sbires de l’occu-
l’occupant en le ridiculisant aux pervision, à elle seule, de près de pant. La photogravure fut réalisée
yeux d’une bonne partie de la po- 250 titres de publications clandes- par Pierre Lauwers dans son impri-
pulation, étaient membres du tines. De la prise de décision, le merie située au 14 rue Van Lint à
Front de l’Indépendance, une des 19 octobre 1943, à la livrée de Anderlecht, c’est-à-dire dans l’im-
plus importantes organisations de l’édition, le 9 novembre 1943, il n’y meuble qu’occupe, depuis 1972,
la Résistance. Fondée en 1941 par avait que trois semaines. Il fallait le Musée de la Résistance de Bel-
Fernand Demany, le docteur dès lors régler très rapidement et gique, récemment renommé Mu-
Albert Marteaux et l’Abbé André en toute discrétion toutes les sée des Résistances.

N° 44 - JUIN 2022 19
Photo 5 : Exemplaire du fac-similé du « faux » Soir,
archives de J. Misguich
© Fondation Auschwitz/Daniel Weyssow

© Fondation Auschwitz/Daniel Weyssow


Photo 6 : Plaque photogravée du « faux » Soir conservée
au Musée National de la Résistance de Belgique

Que devinrent ensuite les deux Jacques, physicien et président lle de l’imprimeur, Nancy Le-
plaques photogravées qui servi- de l’association Jean Zay en Pro- franc, et de son mari, Angelo
rent à éditer la page recto-verso vence – Pédagogie, Mémoire et Maira, en présence de nombreux
du « faux » Soir ? Edouard Histoire (Marseille), et sa lle Lydie membres de sa famille et d’élèves
Misguich, qui représentait les édi- Hadermann-Misguich, professeur du lycée Dachsbeck, un pavé de
teurs français en Belgique, avait à l’ULB, en héritèrent. En juin 2014, mémoire fut placé à l’initiative de
ouvert deux librairies à Bruxelles en ils en rent don au Musée de la la famille et avec le soutien de la
1924, aux 36 et 110 avenue Louise. Résistance. C’est ainsi que les Fondation Auschwitz, le jeudi
Usurpées par l’occupant durant la deux plaques photogravées de 10 octobre 2019. Jean Plas fut un
Seconde Guerre mondiale, après Pierre Lauwers retrouvèrent très résistant exemplaire, dans la me-
les avoir récupérées à l’issue de exactement le lieu où elles furent sure où il cacha, avec d’autres
celle-ci, il eut l’idée, avec son ami créées. [photo 6] membres de sa famille, des avia-
Fernand Demany qui présidait Notons encore en guise de con- teurs alliés et des réfractaires. Il fut
aux destinées du Front de l’Indé- clusion que tout juste en face de bien malheureusement arrêté
pendance et qui avait conservé l’imprimerie de Ferdinand Wel- suite à une dénonciation. En-
les plaques, d’éditer un fac-similé lens, rue de Ruysbroeck, s’en trou- fermé dans un premier temps à la
du « faux » Soir au prot du Comité vait une autre appartenant à prison de Saint-Gilles, il fut ensuite
national « Solidarité ». Jean Plas, dit « Petit Jean », qui déporté au camp de Neuen-
La réédition [photo 5] fut distri- participa également à l’aventure gamme où il décéda des sévices
buée le 9 novembre 1944, pour le du « faux » Soir en imprimant les subis, en mars 1945.
premier anniversaire de l’édition bandelettes présentant l’avis
pastiche du Soir volé et pour fêter « Par suite d’une panne… » desti-
la libération de Bruxelles. Au dé- nées à emballer les paquets de Daniel Weyssow
cès d’Edouard Misguich, son ls journaux. À l’initiative de la petite- ASBL Mémoire d’Auschwitz

20 TRACES DE MÉMOIRE
réflexion

L'INDUSTRIE CINÉMATOGRAPHIQUE PUISE DANS LES


HISTOIRES DE RÉSISTANCE SANS MODÉRATION :
COMMÉMORER LES HÉROS, PROPAGANDE OU RELANCER LE MORAL ?

Pendant la Seconde Guerre mon- norvégienne, la résistance da- Des mouvements de résistance
diale, une résistance s’est mise en noise, la résistance tchèque, la ré- ont également été fondés par les
place dans chaque pays envahi sistance albanaise, la résistance forces de l’Axe dans le but de re-
par les nazis. Elle pouvait se pré- néerlandaise (à savoir la LO, l’or- pousser les envahisseurs alliés.
senter sous de nombreuses ganisation nationale clandes- Après la défaite italienne au
formes : non-coopération, propa- tine), et l’opposition menée par terme de la Campagne d’Afrique
gande, cache de pilotes d’avion les persécutés politiques au cœur de l’Est, en 1941, certains soldats
abattus… ou reconquête de villes même de l’Allemagne, avec et colons italiens d’Afrique orien-
occupées par le biais d’actions 16 grands groupes qui ont signé tale italienne ont pris part à une
armées. Dans la constellation des un total de 27 tentatives d’assassi- guérilla contre les Alliés qui s’est
innombrables mouvements de ré- nat sur la personne d’Hitler. De poursuivie jusqu’en 1943. En Alle-
sistance que connut la Seconde nombreux pays ont mis en place magne, le mouvement résistant
Guerre mondiale, deux grands des mouvements de résistance nazi Werwolf n’a jamais réelle-
groupes mus par une vision poli- pour combattre ou saper les en- ment percé, mais le Volkssturm a
tique propre sortent du lot, avec, vahisseurs de l’Axe, et même en revanche joué un rôle de taille
d’une part, la résistance antifas- l’Allemagne nazie comptait un dans la Bataille de Berlin. Les
ciste internationale menée par le mouvement antinazi. De son « Frères de la forêt » estoniens, let-
parti communiste de presque côté, la Grande-Bretagne n’a pas tons et lituaniens ont pour leur part
chaque pays du monde et, été occupée, mais a mis en place lutté contre l’occupation sovié-
d’autre part, les différents groupes les dispositifs nécessaires an de tique des États baltes jusque dans
de résistance fasciste/anticom- pouvoir lancer un mouvement de les années soixante, et une résis-
muniste nationaux mis en place résistance britannique en cas de tance antisoviétique similaire s’est
dans les pays occupés par les na- besoin. L’organisation la plus développée dans des pays
zis et l’Union soviétique, qui s’op- importante fut fondée par le comme la Roumanie, la Pologne,
posaient tant aux fascistes étran- Secret Intelligence Service (SIS, la Bulgarie, l’Ukraine et la Tchét-
gers qu’aux communistes, et qui ou Mi6), et porte aujourd’hui le chénie pendant ou après la
changeaient régulièrement de nom de « Section VII ». Une unité guerre.
camp en fonction du déroule- commando secrète baptisée Contrairement aux dires de cer-
ment de la guerre et des lignes mi- Auxiliary Units a également opéré tains historiens et gouvernements
litaires derrière lesquelles ils se pendant une brève période. Di- qui ont tenté d’exagérer les mé-
trouvaient. verses organisations ont aussi été rites de leurs concitoyens, seuls
Parmi les mouvements les plus no- créées pour mettre en place des 1 à 3 pour cent des Européens de
tables, on retrouve la résistance cellules de résistance ou soutenir l’Ouest ont pris part à la résistance
polonaise, les partisans yougo- des mouvements existants. C’est organisée contre l’occupant nazi.
slaves, les partisans soviétiques, la notamment le cas du Special En Europe de l’Est, où l’oppression
résistance chinoise, la Resistenza Operations Executive britannique nazie s’est fait plus durement res-
italienne (principalement dirigée et de l’Office of Strategic Services sentir, les mouvements de résis-
par le CLN italien), la résistance américain (qui n’est autre que le tance organisée ont rallié davan-
grecque, la résistance française, précurseur de l’actuelle Central tage de partisans, et notamment
la résistance belge, la résistance Intelligence Agency, ou CIA). 10 à 15 pour cent de la population

N° 44 - JUIN 2022 21
© ddp/ullstein bild
Mémorial de la Rose blanche :
des tracts en pierre sur la
Geschwister-Scholl-Platz à Munich

polonaise. La résistance passive – américaine (la guerre froide se du groupe de résistance Die
qui consistait à ne pas collaborer préparait, et il fallait faire savoir Weiße Rose, qui appelait à une ré-
avec l’envahisseur – était par aux communistes que les USA sistance non violente contre le ré-
contre beaucoup plus répandue. étaient les plus forts), avec une gime nazi par la distribution de
Après la Libération, les récits sur la bonne dose d’eau de rose… et pamphlets. Les quatre premiers
Résistance se sont transformés en d’erreurs historiques. Le cinéma pamphlets ont été diffusés à l’été
épopées, les anecdotes sont de- européen a rapidement suivi la 1942, et encourageaient les lec-
venues des légendes portées par tendance, mais sa connaissance teurs à les copier et à les distribuer
des parangons d’héroïsme, et, en plus pointue des faits a été com- à leur tour. Le cinquième pam-
fonction du pays, de sa culture et pensée par toute une série de ta- phlet a été distribué en janvier
de son histoire, les hommes et les bous et de frustrations qui limi- 1943, et annonçait qu’Hitler ne
femmes de la résistance ont été taient les possibilités scénaris- pouvait pas gagner la guerre, et
parfois célébrés pour leurs véri- tiques. Les Français souffraient de que l’Allemagne et le reste de
tables accomplissements, et par- la trahison de Pétain et de la col- l’Europe devaient être rebâties
fois mis en scène dans une version laboration de leur gendarmerie, sous une forme fédéralisée. Le
romantique d’un passé tantôt gris les Italiens tentaient de surmonter 18 février 1943, Sophie Scholl et
et triste, tantôt obscur et dénué le traumatisme de Mussolini, l’Alle- son frère Hans se sont fait attraper
de gloire. magne pansait ses plaies, les alors qu’ils distribuaient le sixième
Après des années de privation, le Pays-Bas étaient accablés par la pamphlet dans les bâtiments de
monde a plongé dans les fties disparition massive de Juifs visés l’université de Munich. Quatre
avec un besoin vital de rêver, de par des dénonciations, et de jours plus tard, ils ont été condam-
rire, de pouvoir à nouveau être nombreux autres pays d’Europe nés à mort au terme d’un procès
er d’une société qui a su renaître orientale avaient tout simplement expéditif, et exécutés sans délai.
de ses cendres. Dans les années troqué l’occupation nazie contre Entre jolie jeune lle et femme
1950, le cinéma était la modernité l’occupation soviétique. Au- forte, Sophie est devenue une
incarnée, et Hollywood la terre jourd’hui encore, de nouveaux martyre et une véritable héroïne.
promise pour tous ceux qui vou- lms reviennent régulièrement sur Elle a fait l’objet de nombreux
laient devenir riches et célèbres. la Résistance dans toutes ses livres, lms et documentaires, dont
Dans ce contexte, les nazis formes. Certains sont de purs outils Die Weiße Rose (1982) de Michael
étaient les méchants tout dési- de propagande, d’autres sont Verhoeven ; Fünf letzte Tage
gnés – il sufsait de leur opposer des récits historiquement dèles (1982) de Percy Adlon et Sophie
des héros au cœur pur. L’industrie d’actes héroïques. Certains héros Scholl - die letzten Tage (2005) de
hollywoodienne s’est donc mise à continuent en effet à inspirer les Marc Rothemund.
enchaîner les lms sur la Résis- scénaristes. Sophie Scholl fait no-
tance en Europe. La plupart du tamment partie de ces person-
temps, ces productions faisaient nages qui passionnent les auteurs Georges Boschloos
la part belle à la propagande pro- comme le public. Elle faisait partie ASBL Mémoire d’Auschwitz

22 TRACES DE MÉMOIRE
postface

Chers lecteurs,

C’est avec une certaine erté


que nous parachevons, avec le
présent numéro, ce premier
thème que nous avons suivi tout
au long de l’année scolaire 2021-
2022. Nous tenons à adresser nos
sincères remerciements aux ensei-
gnants qui nous ont écrit de ma-
nière spontanée pour nous parler
des leçons qu’ils ont préparées en
fonction de l’un ou l’autre des
sous-thèmes que nous avons
abordés. Nous sommes cons-
cients du caractère intemporel
de nos articles, et savoir qu’ils
pourront servir aux classes de de-
main est pour nous particulière-
ment gratiant.
Le thème de l’année scolaire
2022-2023 sera « Les bourreaux ».
Dans nos quatre prochains numé-
ros, nous nous intéresserons aux
bourreaux et à leurs actes, que
nous examinerons sous un angle
historique, psychologique/crimi-
nologique et éthique.
Il est à présent temps de clore le
TRACES DE MÉMOIRE thème de « La Résistance ».
L’équipe de l’ASBL Mémoire

2022 - 2023 d’Auschwitz protera des va-


cances d’été pour préparer ses
prochaines rubriques. Nous avons
également fait appel à plusieurs
experts qui nous aideront à vous
offrir un bulletin pédagogique de
qualité.
LES BOURREAUX Les collaborateurs de l’ASBL Mé-
moire d’Auschwitz vous souhai-
Partie 1 - n° 45 tent d’excellentes vacances, et
vous donnent rendez-vous en sep-

Partie 2 - n° 46 tembre 2022 avec le nouveau


thème.

Partie 3 - n° 47 Johan Puttemans


Coordinateur pédagogique
Partie 4 - n° 48 ASBL Mémoire d’Auschwitz

N° 44 - JUIN 2022 23
varia

FEMMES
EN RÉSISTANCE
Casterman réédite les quatre albums
de la série « Femmes en résistance »,
initialement publiés entre 2013 et 2016.
L'occasion pour nous de découvrir ou
de redécouvrir les destins exemplaires
de quatre femmes engagées.
Pilote, étudiante, résistante ou simple
volontaire, chacune a refusé la fatalité
et décidé de prendre parti - de résister -
durant le conflit de 39-45. Toutes, elles
paieront cet engagement de leur vie.
Amy Johnson, pilote britannique dont
la passion et le talent pour l’aviation
ont constitué un formidable défi face
aux préjugés de son époque.
Sophie Scholl, jeune étudiante muni-
choise, qui dénonce le régime nazi au
travers d'actions non violentes.
La française Berty Albrecht, qui s’est
toujours battue pour l’éducation, l’in-
dépendance et le droit de vote pour
tous, les hommes comme les femmes.
Et enfin Mila Racine, qui à tout juste
22 ans aide des enfants juifs à fuir l'oc-
cupant nazi. Chaque portrait se clôture
par quelques pages biographiques,
nous éclairant de façon encore plus
précise sur les vies de ces femmes.

mémoire d’auschwitz asbl - fondation AuschwitZ www.auschwitz.be


rue aux laines 17/Bte 50 - 1000 Bruxelles - Tél.: +32 (0)2 512 79 98 info@auschwitz.be
Directeur de la publication : Henri Goldberg Avec le soutien de :
Rédacteurs en chef : Frédéric Crahay, Johan Puttemans
Secrétaire de rédaction : Georges Boschloos
Comité de rédaction : Jean Cardoen, Dirk Lagast,
Yves Monin, Thierry De Win, Yannik van Praag
Traductions vers le Français : Ludovic Pierard SPF Sécurité Sociale
Services des
Graphiste : Georges Boschloos Victimes de la Guerre

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