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3,00 € Première édition. No 12017 Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020 www.liberation.fr

Manifs pour
Week-end Images Livres les retraites
«Uncut Gems», la pépite Ian McEwan :
des frères Safdie sur «J’ai pris une voie Ça marche

NETFLIX
Netflix Rencontre, Pages 23-27 imprévisible» Pages 37-39 toujours
pages 12-13

75 ans après la libération


d’Auschwitz

«Si tu
Esther Senot, rescapée d’Auschwitz-Birkenau. Photo Samuel KIRSZENBAUM

t’en sors,
surtout,
raconte…»
Des survivants de moins
en moins nombreux,
des jeunes générations moins
sensibilisées… Jusque
sur les lieux de l’horreur,
la mémoire de la Shoah
cherche de nouvelles façons
de se transmettre.
reportage à auschwitz et rencontre
avec une ancienne déportée, pages 2-5

IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 3,70 €, Andorre 3,70 €, Autriche 4,20 €, Belgique 3,00 €, Canada 6,70 $, Danemark 42 Kr, DOM 3,80 €, Espagne 3,70 €, Etats-Unis 7,50 $, Finlande 4,00 €, Grande-Bretagne 3,00 £,
Grèce 4,00 €, Irlande 3,80 €, Israël 35 ILS, Italie 3,70 €, Luxembourg 3,00 €, Maroc 33 Dh, Norvège 45 Kr, Pays-Bas 3,70 €, Portugal (cont.) 4,00 €, Slovénie 4,10 €, Suède 40 Kr, Suisse 4,70 FS, TOM 600 CFP, Tunisie 8,00 DT, Zone CFA 3 200 CFA.
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Événement Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020

que celle-ci ne s’éteigne, à bout un flambeau, la sœur d’Esther portables brandis tels des tro-

éditorial de forces, un jour d’avril 1944,


dans les camps d’Auschwitz-
Birkenau. Esther Senot a tenu
Senot l’avait bien compris. C’est
pourquoi la commémoration,
lundi, du 75e anniversaire de la
phées, mais l’essentiel est qu’ils
soient là, dans ces bâtiments qui
imposent effroi et respect. Et
Par ­parole : à 91 ans, elle ne cesse de libération du camp d’Auschwitz s’ils sont si nombreux, c’est sans
Alexandra ­raconter encore et encore (lire est un moment fort, important. Il doute, comme le note le respon-
Schwartzbrod page 4), espérant qu’à force de intervient dans une période trou- sable du mémorial, qu’il y a
maintenir ce souvenir intact, blée où l’extrême droite reprend un besoin de comprendre
­vivace, les générations suivantes, de la vigueur en Europe, où l’in- – même si c’est incompréhensi-
puis celles d’après, éprouveront tolérance et les guerres de reli- ble – et à ce titre Auschwitz

Flambeau à leur tour le besoin de raconter


l’indicible afin que le cauchemar
gion font rage, où l’antisémitisme
et le racisme continuent à tuer.
­représente un point de repère,
«terrible mais indéniable».
de l’extermination des Juifs Le reportage que nous publions Lundi, 200 survivants témoigne-
«Surtout raconte ! Qu’on ne soit ne se reproduise jamais. Car la sur Auschwitz montre heureuse- ront ­encore mais qu’en sera-t-il
pas les oubliés de l’Histoire…» ­mémoire est une drôle de fonc- ment que ce lieu de mémoire est dans dix ans quand la mémoire
Ce sont les derniers mots re- tion, elle peut être sélective et loin de laisser indifférents les directe aura disparu ? A nous tous
cueillis par Esther Senot de la surtout s’évaporer si elle n’est jeunes qui s’y pressent en masse, de faire en sorte que l’histoire
bouche de sa sœur Fanny avant pas travaillée puis transmise tel certes à leur façon, avec leurs ­n’oublie jamais. •

Mémoire A Auschwitz,
brassage de témoins
Par
Justine Salvestroni
Envoyée spéciale Le mémorial du camp de concentration, qui s’apprête
à Auschwitz (Pologne)
Photos Michal Luczak à célébrer le 75e anniversaire de sa libération, doit
continuer à transmettre la mémoire de la Shoah
L
a foule sortie des bus, en pro-
venance surtout de Cracovie,
est plutôt détendue – chips,
à l’heure du tourisme de masse, alors que les
clopes et selfies, en attendant le dé- survivants disparaissent peu à peu, et que les jeunes
but de la visite guidée. A l’entrée du
camp de concentration d’Auschwitz- générations sont plus éloignées de la guerre.
Birkenau, les mains se tendent pres- Les visiteurs prennent presque
que mécaniquement pour photogra-
phier l’inscription «Arbeit macht
frei» («le travail rend libre»). Le mé- adolescents, ils parlent le langage des du mémorial au bout d’une se- viennent, cela signifie qu’il y a un be- quand les gens se posent des ques-
morial-musée du camp, qui s’ap- réseaux sociaux, ils prennent simple- maine) ou la commercialisation soin de compréhension ou d’appré- tions, ils ont besoin de points de re-
prête à célébrer le 75e anniversaire ment des photos qui correspondent sauvage d’objets avec des photos du hension d’Auschwitz et de la Shoah, père stables, celui-ci est terrible,
de sa libération par l’Armée rouge, aux codes auxquels ils sont habitués. camp – des décorations de Noël et estime Piotr Cywinski. Nous vivons mais indéniable. Auschwitz consti-
le 27 janvier, n’échappe pas au tou- J’essaie de comprendre la motivation des minijupes, entre autres. dans un monde qui vire dans une di- tue un point de repère dans tout ce
risme de masse. La fréquentation, de l’auteur, donc je lis les légendes, et rection inconnue, avec une accélé­- qui est de l’après-guerre, de tous les
en hausse quasi constante, a été quand il le faut, je laisse un commen- «créer un monde ration des changements de la civili- changements, les évolutions, les ten-
multipliée par quatre en vingt ans, taire ou je demande que la photo soit moins brutal» sation, des changements culturels, tatives de créer un monde moins
pour atteindre 2,32 millions de visi- retirée.» Parfois il publie un rappel L’artiste Pawel Szypulski y voit plus une difficulté à prévoir ce qui sera brutal.»
teurs en 2019, principalement des à l’ordre sur Twitter : en mars, il a que les maux de l’époque ou l’in- dans dix ans ou quinze ans, avec une
adolescents en voyage scolaire. demandé aux visiteurs de se souve- conscience de la jeunesse. Il a col- montée de populisme, de démagogie «empêcher les
Si, d’un point de vue logistique, «le nir que quand ils sont à Auschwitz, lecté pendant des années des cartes dans pratiquement tous les pays, falsifications»
problème a été réglé», estime Piotr ils sont dans un lieu où plus d’un postales, ancêtres d’Instagram, en- une montée des extrêmes aussi, ce C’est ce besoin de savoir qui a
Cywinski, le directeur du mémorial million de personnes ont été tuées. voyées par des touristes d’Ausch- qui pose des questions. Je crois que poussé Yann, pompier de 21 ans
depuis 2006 – les entrées sont limi- «Il y a de meilleurs endroits pour ap- witz (rassemblées dans le livre Gree- français d’origine polonaise, à faire
tées à 1 000 par heure et dans les prendre à marcher sur une poutre» tings from Auschwitz). La plus un détour par Auschwitz pendant
passages étroits les guides s’adap-
tent –, une telle affluence, que
que les rails de Birkenau. Grâce à ces
campagnes sur les réseaux sociaux,
ancienne date de 1946 : «Finale-
ment, je n’ai pas vu Zosia ! Bisous.»
«Auschwitz ses vacances à Cracovie : «C’est im-
portant de le voir par soi-même, de
même l’hiver n’érode pas, pose la où le mémorial est très présent (avec Au recto, les chambres à gaz, au constitue un point se faire sa propre idée, alors qu’on est
question des usages touristiques ap-
pliqués aux lieux de recueillement.
84000 abonnés sur Twitter), il cons-
tate que le nombre de photos indéli-
verso, banalités et météo. Un déca-
lage entre le texte et l’image «qui
de repère dans de plus en plus confrontés au néga-
tionnisme et aux fake news.» Voir,
Les posts Facebook et Instagram, cates diminue. montre la difficulté de gérer ses émo- tout ce qui est pour le croire, les montagnes de
pose enjouée avec les copains, la Plus grave – les dégradations, saluts tions, l’impossibilité de comprendre chaussures et de valises, de lunettes
Porte de la mort de Birkenau en ar- nazis et vols divers. «Une fois ou ce qui s’est passé dans les camps. Ce de l’après-guerre, et de peignes, les vêtements de
rière-plan, #squadgoal, sont-ils des
publications seulement maladroites
deux par an, le mémorial doit appe-
ler la police. Ce qui est marginal, sur
n’est pas qu’une question d’âge ou
d’époque, ces cartes ont été envoyées
de tous bébé, les cheveux coupés pour faire
des matelas et des uniformes, les
ou franchement irrespectueuses ? plus de 2 millions de visiteurs», rela- par des adultes qui ont connu la les changements, boîtes vides de Zyklon B, les cellules
C’est à Pawel Sawicki, en charge des
réseaux sociaux pour le mémorial,
tivise Pawel Sawicki. Les modes de
consommation n’épargnent pas
guerre. Si nous pouvions compren-
dre, nous deviendrions fous».
les évolutions.» de torture, les rails et les wagons à
bestiaux, les chambres à gaz.
qu’il revient de trancher : «Il faut Auschwitz, que ce soit Pokémon Go «S’il y a une hausse d’intérêt sur Piotr Cywinski directeur Alors que l’anniversaire de la libéra-
être tolérant ! prévient-il. Ce sont des (le jeu a été désactivé à la demande place, que de plus en plus de gens du mémorial d’Auschwitz tion du camp se tiendra dans un
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mécaniquement en photo l’inscription «Arbeit macht frei». Depuis 2006 dans le camp d’Auschwitz-Birkenau, les entrées sont limitées à 1 000 par heure.

Moscou s’arroge le droit


contexte de fortes tensions diplomati- par le Parlement européen d’un texte qui, évo-
ques et historiques entre la Pologne quant «les dictatures communistes, nazie et au-
et la Russie, le Kremlin ayant accusé, tres», assignait à l’URSS une part de responsabi-
à plusieurs reprises et à tort, l’Etat lité dans le déclenchement de la Seconde Guerre
polonais d’avoir collaboré avec Hit-
ler, le mémorial poursuit sa mission
d’éducation et d’information. C’est
ainsi que le mémorial a invité le pré-
de réécrire l’Histoire mondiale avec la signature du pacte Molotov-
Ribbentrop d’août 1939. Cette résolution avait
provoqué la fureur de la Russie, qui avait dé-
noncé «un amas d’affirmations révisionnistes».
sident de la Douma (le Parlement Dans la bataille mémorielle qui Avantage Russie, donc, dans cette nouvelle Pour Moscou, rien ne doit venir nuancer le rôle
russe), Viatcheslav Volodine, qui af- oppose la Russie à la Pologne, manche de la bataille mémorielle qui oppose de la Russie dans le conflit : «salauds finis», «leur
firme que la Pologne a facilité l’ins- les historiens peinent à se Moscou à Varsovie au sujet de la Seconde Guerre fermer leur sale bouche», «brûlez en enfer»… le
tallation de centaines de camps mondiale. Ces dernières années, les deux pays vocabulaire réservé par les politiques russes à
faire entendre.
d’extermination, «à consulter nos se sont mis en ordre de bataille, chacun adop- ceux qui contestent les mythes soviétiques rend

A
cours d’histoire en ligne», car «les vantage Russie. Cette semaine, la presse tant des lois interdisant les lectures de l’Histoire impossible toute forme de débat public.
faits peuvent nous aider à nous dé- russe se réjouissait de l’échec annoncé s’éloignant du récit officiel : se campant en «pre- «Les discussions sur la Seconde Guerre sont confi-
fendre et à empêcher les falsifications de la commémoration organisée par la mière victime» du conflit, la Pologne interdit de- nées au milieu académique, déplore Alexandra
et distorsions de l’Histoire». Pologne lundi à Auschwitz : celle-ci n’attirera puis 2018 qu’on lui attribue le moindre fait de Polivanova, historienne et membre de l’associa-
«Toute distorsion, tout relativisme, aucun chef d’Etat en exercice, alors que de son collaboration avec les nazis ou une responsabi- tion Memorial. Dans l’espace public, les débats
toute déformation historique, si elle côté le président polonais a décliné l’invitation lité dans le fonctionnement des camps de la historiques sont d’un niveau catastrophique. Le
est dite clairement, si elle est audi- à se rendre jeudi à Jérusalem, car le programme mort. En Russie, «pays victorieux», une loi adop- pouvoir sacralise l’idée de l’Etat, qui a toujours
ble, doit être corrigée», estime Piotr prévoyait que Vladimir Poutine y prononce un tée en 2014 punit jusqu’à cinq ans de prison qui- raison, quels que soient les crimes qu’il ait pu
Cywinski, des erreurs dans les jour- discours sans qu’Andrzej Duda puisse lui ré- conque «répand volontairement de fausses infor- commettre. Si à l’époque soviétique, beaucoup
naux au négationnisme. Mais le pondre. Le président russe a eu le champ libre mations sur le rôle joué par l’URSS durant la d’éléments restaient secrets et l’Etat pouvait nier
mémorial, financé à 20 % par l’Etat pour mettre en scène sa complicité avec Benya- Seconde Guerre mondiale». les protocoles secrets du pacte Molotov-Ribben-
polonais, n’intervient que sur les min Nétanyahou, le premier évoquant «la pro- Les historiens mis au pas, reste à imposer son trop ou le massacre de Katyn, aujourd’hui ces
faits, jamais en politique. «Mon rôle, fonde blessure et la tragédie» de l’Holocauste, histoire au reste du monde. Mercredi, le FSB faits sont documentés, le pouvoir ne peut plus
c’est d’être un parapluie sur Ausch- affirmant que «40 %» des Juifs assassinés par russe, héritier du KGB soviétique et donc de ses nier leur existence. Alors il est forcé de construire
witz, rappelle Piotr Cywiński. Je les nazis étaient «des citoyens soviétiques». Né- archives, déclassifiait opportunément des docu- une version hybride dans laquelle l’Etat russe est
­demande aux politiciens de ne pas tanyahou lui renvoyant l’ascenseur en inaugu- ments sur le rôle joué par les auxiliaires polonais juste et puissant, dans laquelle ses intérêts justi-
faire de la politique à Auschwitz, rant avec lui un monument aux victimes du dans le fonctionnement des camps de la mort. fient toutes ses actions.»
donc je n’entre pas Suite page 4 siège de Leningrad. En septembre, la Pologne poussait à l’adoption LUCIEN JACQUES (à Moscou)
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«Je m’étais mis en


Suite de la page 2 dans la politi-
que courante. Les guides non plus.
Ils orientent dans une perspective
historique. Sauf cas extraordinaire,

tête que je ne pouvais


comme une situation génocidaire.
Mais c’est aux visiteurs de faire le
parallèle.» Car ce sont les guides qui
portent la narration du mémorial,

pas mourir à 15 ans»


qui transmettent le savoir – ils se
définissent parfois plutôt comme
éducateurs.
Antoni Stanczyk, guide franco-
phone, exerce depuis plus d’une
vingtaine d’années. Il conclut tou-
tes ses visites par la même phrase : A 91 ans, Esther Senot, déportée mourir à 15 ans.» Chaque matin, il faut sortir
«A Auschwitz, on voit à quoi peuvent à 15 ans à Birkenau, continue de du châlit, se rendre à l’appel. Un jour
mener la haine et la xénophobie.» d’avril 1944, Fanny, 18 ans, exténuée, refuse de
faire le tour des établissements
Pendant plus de trois heures, il a se lever. «Avec d’autres, nous avons essayé de
­raconté à une vingtaine d’adultes,
scolaires pour perpétuer la porter. Mais affaiblies aussi, nous n’y sommes
rendus presque muets par l’émo- la mémoire des camps, pas arrivées. Je l’ai prise dans mes bras. Elle m’a
tion, la vie des prisonniers du camp, où elle a perdu sa famille. dit : “Si tu t’en sors, surtout, raconte pour que
les convois de la mort, les familles nous ne soyons pas les oubliés de l’Histoire.”» Le

A
séparées, gazées, les corps brûlés, 91 ans, Esther Senot n’a rien oublié. soir, Fanny n’était plus là.
le froid, la faim, l’enfer. Et il conti- Jusqu’au bout, sans doute elle se sou- Le 17 janvier 1945, à l’approche de l’armée
nuera à le faire aussi longtemps viendra. Oublie-t-on l’enfer ? Ce ma- russe, les SS évacuent le camp. Comme des
qu’il le pourra. «Je l’ai promis aux tin-là, à l’Institut national des Invalides, elle milliers d’autres déportés, Esther et Marie se
survivants. Pour faire vivre la mé- sort d’un pas déterminé de l’ascenseur. La voix, mettent en route pour une marche de la mort.
moire de leurs proches, souvent elle aussi, est assurée. Sans coquetterie et sans En plein hiver, c’est l’hécatombe. La tempéra-
toute leur famille, qui sont morts rechigner, elle se prête à la séance photo. ture avoisine les -20°. Au terme de 80 km : une
ici.» Il se souvient des «visites excep- On devine un caractère fort, une personnalité gare, encore un triage, direction Bergen-Bel-
tionnelles guidées par les survivants, bien trempée. sen, en Allemagne. «Des entreprises alleman-
qui accompagnaient souvent les Fin juillet 1943, Esther Senot n’a guère plus des cherchaient toujours de la main-d’œuvre»,
groupes de jeunes, leur racontaient de 15 ans. Dans le XVIIIe arrondissement de explique l’ancienne déportée. Marie et elle sont
ce qu’ils avaient vécu… Mais les ado- ­Paris, elle vit dans un orphelinat de l’Union transférées pour travailler dans une usine d’ar-
lescents aujourd’hui sont plus éloi- ­générale des israélites de France (Ugif), créée mement, à proximité du camp de Flossenbürg,
gnés de l’histoire, souvent ils n’ont en 1941 par le régime de Vichy pour représenter en Bavière. L’Allemagne sombre peu à peu
plus personne dans leur famille qui les Juifs de France. Après la rafle du dans le chaos. «Mais les convois de Juifs
a connu la guerre». Vél d’Hiv, une partie de sa famille, des Récit étaient encore prioritaires», commente-
Juifs communistes récemment émi- t-elle. L’ultime étape, c’est Mauthausen
«La responsabilité grés de Pologne, a déjà disparu. En visite chez au printemps 1945, en Autriche. L’horreur, tou-
des guides» l’une de ses tantes, elle y a échappé. Un an plus jours : «Les Allemands n’enlevaient même plus
C’est l’une des questions à laquelle tard, les choses tournent mal. «A la sortie du les cadavres des baraquements.» Le 5 mai, un
le mémorial est confronté au- métro, il y avait un contrôle d’identité. J’ai été drapeau blanc est hissé. Les portes du camp
jourd’hui : comment continuer à emmenée au commissariat. Ils m’ont retrouvée sont ouvertes. Des prisonniers viennent dans
transmettre l’expérience des survi- dans le fichier où je figurais pour être arrêtée les baraques des femmes pour leur conseiller
vants, sans les survivants? Pour Piotr avec mes parents», raconte-t-elle. A la fin de de fuir. «Nous sommes parties à une dizaine,
Cywinski, c’est l’école qui doit pren- l’après-midi, un car fait la tournée des commis- nous avons longé le Danube, en nous soutenant
dre le relais, en préparant au mieux sariats. Esther est conduite au camp de Drancy. les unes, les autres», raconte Esther. Puis dans
les élèves. Pour les y aider, le site du une clairière, des prisonniers de guerre fran-
mémorial propose des cours, des vi- «L’indifférence» çais les recueillent dans un couvent trans-
déos. «Si le groupe arrive ici alors que Le 2 septembre, le convoi 59 part pour la Polo- formé en hôpital militaire pour SS. L’armée
les élèves voulaient aller à Europa- gne. Entre-temps, Esther a fait la connaissance américaine arrive. Les déportées sont d’abord
Park, ça ne marchera pas», prévient de Marie. «Nous sommes les deux seules femmes désinfectées. «Nous étions dévorées par la ver-
le directeur du mémorial. D’autant de ce convoi à être rentrées vivantes en 1945», mine, des poux, des punaises.» La jeune fille
plus que les enseignants sont mieux explique la vieille dame. A l’arrivée, tout va est aussi soignée pour le typhus. Puis enfin ra-
préparés qu’avant : «Dans les an- vite, des cris, la sélection. Des camions atten- patriée par un avion américain.
nées 90, les profs qui venaient avec dent. Les femmes, les enfants et les vieillards Le retour en France est douloureux. Sans ré-
leur classe, en général, venaient aussi sont invités à y monter. «Même des jeunes, fati- confort. «Le plus difficile a été l’indifférence à
pour la première fois. Ils faisaient gués du voyage, ont grimpé dedans», dit-elle. laquelle nous avons été confrontés.» Comme les
leur propre découverte au moment où Des kapos entourent un groupe de femmes, autres déportés, elle est conduite à l’hôtel Lu-
ils entraient avec la classe, ils étaient les 106 qui échappent ce jour-là à l’extermina- tetia : «Les familles venaient chaque jour voir
donc incapables de préparer réelle- tion. A pied, elles gagnent le camp de Birke- si l’un des leurs était rentré des camps.» Per-
ment les élèves. Les profs d’au- nau : «On nous a emmenées dans une baraque, sonne ne vient chercher Esther Senot. A 17 ans,
jourd’hui ont visité cet endroit en rasées, tatouées. Une heure après notre arrivée, la jeune fille est désormais orpheline et seule
tant qu’élèves… Donc la visite est nous savions ce qui se passait dans le camp.» à Paris. Des siens, il n’y a que son frère Mau-
complètement différente.» Les fumées, à l’odeur douceâtre, avaient attiré rice, engagé dans la fameuse 2e division blin-
Les programmes scolaires ont évo- leur attention. «J’avais d’abord cru qu’il y avait dée de Leclerc, qui a survécu. Son amie Marie
lué, et l’enseignement de la Shoah une boulangerie. Le reste était si difficile à ima- retrouve, elle, l’homme avec qui elle s’est fian- résistants déportés sont, à l’époque, audibles.
s’est développé dans de très nom- giner», se souvient Esther Senot. cée, des années plus tôt. Esther, encore mi- Le génocide des Juifs, non. La dépression la
breux pays, en Europe comme aux Elle est rattachée à un commando qui travaille neure, est accueillie dans un orphelinat de gagne. La jeune femme est hospitalisée quel-
Etats-Unis. C’est l’une des raisons à l’extérieur du camp. Des heures exténuantes l’Œuvre de secours aux enfants (OSE) qu’elle ques mois. Puis elle reprend pied, trouve du
qui explique que les groupes sco­- à brouetter des pierres pour l’extension quitte rapidement. «La nuit, les enfants hur- travail, se marie : «Ma revanche sur la vie, dit-
laires soient si nombreux à venir à d’Auschwitz-Birkenau. Et chaque soir, l’an- laient et réclamaient leurs parents.» elle, ce sont mes trois enfants, mes six petits-en-
Auschwitz. S’ils sont bien préparés, goisse d’une nouvelle sélection : une file à Sur les 76 000 Juifs déportés à partir de la fants et six arrière-petits-enfants.» Il a fallu du
«mais c’est aussi la responsabilité des droite, une file à gauche. «Début janvier 1944, France, seuls 2 500 sont rentrés. Avec son amie temps pour que les cauchemars enfin s’éloi-
guides», ils respecteront aussi mieux il ne restait plus que 50 femmes sur les 106 que Marie, Esther Senot retourne vite sur les lieux gnent : «Je me voyais à l’âge adulte, arriver avec
la mémoire des victimes, veut croire nous étions à l’arrivée», poursuit-elle. Au camp, de son enfance, passage Ronce, dans le quar- mes enfants à Auschwitz-Birkenau et je me de-
Pawel Sawicki. Comme tous les Esther Senot a retrouvé sa sœur Fanny et sa tier de Belleville. La désillusion est immense. mandais comment j’allais m’en sortir.»
cinq ans, fréquence à laquelle l’anni- tante, déportées en février 1943. Grâce à leur «Nos cheveux n’avaient pas encore repoussé. On
versaire de la libération du camp est aide, elle est affectée à l’atelier de tissage : «Si- nous a demandé ce qui nous était arrivé», ra- «Immense et désertique»
célébré, la parole sera principale- non, je n’aurais pas survécu. C’était impossible conte-t-elle. Leur récit ne suscite que l’incré- Au milieu des années 80, lors d’un voyage
ment donnée aux survivants lors des de passer l’hiver en travaillant à l’extérieur.» dulité. Pire, même, la suspicion. Pourquoi ­touristique à Cracovie, elle retourne, pour
cérémonies. Ils seront 200, venus Il faut tenir : «On s’installe dans l’horreur du avaient-elles survécu et pas les autres ? «Des la première fois, au camp. En appréhendant.
d’Israël, des Etats-Unis ou de Polo- camp. Cela devient le quotidien. Ce n’était pas camps, nous étions rentrées avec une histoire «C’était immense et désertique. On n’entendait
gne pour raconter leurs souvenirs. de l’indifférence, mais une sorte de fatalité. Je que personne n’a voulu croire», note Esther aucun bruit. Dans le camp que j’avais connu,
Peut-être pour la dernière fois. • m’étais mis dans la tête que je ne pouvais pas ­Senot. Alors, elle s’est tue. Seuls les récits des cela hurlait tout le temps, des cris, des pleurs,
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Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 5

Paulette Sarcey,
une voie qui
porte
Déportée à 19 ans, dans ce camp où il n’y a rien à
manger, des épluchures, des ra-
celle qui en a 95 cines. La guerre est bientôt finie,
aujourd’hui a disent les hommes, les bombes
raconté face caméra tombent, c’est la joie, dit-elle, ce
ne seront pas les chambres à gaz.
une histoire Le 1er mai, à Ravensbrück, ra-
de combats, conte-t-elle de sa petite voix lan-
de sabotages et de cinante, «on crève de faim, mais
on chante des chants révolution-
résistance, même à naires» : Paula, c’est cette petite
l’intérieur des camps. voix du combat, de l’obstination,
l’engagement politique, la lutte
armée aussi, surtout cette vo-

J
anvier 1945 n’aura pas été le lonté de rester avec son groupe
mois de la Libération pour d’une cinquantaine de jeunes
elle. C’est celui de la pendai- militants, et de tenter des éva-
son de quatre jeunes filles, qui sions (du train de Drancy vers
ont volé de la poudre dans les Auschwitz, qui ne s’est finale-
usines de munitions, ramené les ment pas faite).
explosifs malgré les risques et Dès le début de la guerre, Pau-
fait exploser un bout du camp : lette (Martine dans la clandesti-
les hommes du Sonderkom- nité) est en couple avec Henri
mando, les déportés chargés de Krasucki, qui sera leader de la
participer à la «solution finale», CGT dans les années 80 : elle vit
avaient décidé de faire sauter les dans leur planque, une petite
fours qui brûlaient les Hongrois chambre de bonne du XXe arron-
arrivés au printemps 1944, jour dissement, milite, sabote, jus-
et nuit. De sa voix coupante, pré- qu’à son arrestation en mars 1943
cise, Paulette Sarcey, née Paula sur délation, quelques mois
Szlifke (1), juive, communiste, avant ceux de l’Affiche rouge,
résistante PCF-MOI (Main et ses interrogatoires, puis à
d’œuvre immigrée), raconte Drancy où dans la joie, dit-elle,
dans cet entretien (2) de trois elle retrouve ses camarades.
heures tourné en 1983 par Jean-
Patrick Lebel (avec Dominique Fourrures. Ce sens de la cama-
Chapuis, qui est aussi le chef raderie, elle le tient de son père
opérateur de Lanzmann pour qui, très tôt, l’avait inscrite dans
Shoah) qu’avec ses camarades, les patronages laïcs, juifs et com-
ils ne pouvaient pas les regarder munistes qu’il avait contribué à
partir à la mort. «On leur disait : créer : «L’avenir a été déterminé
“Révoltez-vous, on essaiera de par mon éducation», souffle-t-
vous aider.”» Il y a eu, dit la résis- elle, en hommage à ses parents
tante – née en 1924 en France de qu’elle a retrouvés après la guerre,
parents juifs polonais très enga- comme son petit frère.
gés politiquement –, «quelques Dès le début, elle a refusé de por-
cas de révolte [à Sobibor aussi, en ter l’étoile jaune, pour tracter
octobre 1943, ndlr] mais ça ne dans les cinémas, aux sorties
s’est pas généralisé». Celui des d’usine ou du métro. Elle se livre
hommes du Sonderkommando au sabotage dans l’usine de four-
en octobre 1944 qui ont tous été rures où elle s’est fait embaucher
rattrapés. Et, ce mois de jan- parce qu’on y fabrique des cana-
vier 1945, pour Paulette Sarcey, diennes pour l’armée allemande.
le souvenir de ces jeunes fem- Elle fera partie du convoi 55,
mes mortes en criant que les Al- à 19 ans, elle en a 95 aujourd’hui.
lemands seraient battus, que De Drancy, de Pithiviers, de
l’Armée rouge allait vaincre et Compiègne, de Beaune-la-Ro-
la déportation des Juifs, le 16 juillet 1995. Esther Senot, que des gens raconteraient. lande, 76 000 Juifs sont partis et
«Nos cheveux n’avaient La société est devenue réceptive et les resca- rescapée 2 500 sont revenus. Paulette fait
pas encore repoussé. On pés des camps disparaissent un à un. L’an
passé, elle s’est rendue dans 47 collèges et
d’Auschwitz-
Birkenau,
Ensemble. Raconter, c’est ça
que Paulette et ses camarades
entendre une autre voix que
celle, déchirante, des survivants
nous a demandé ce qui ­lycées. Elle ­accompagne aussi des groupes à Paris, ont dans la tête, de manière obs- de ces familles assassinées : celle
nous était arrivé. Nous d’élèves à Auschwitz-Birkenau. La veille de
notre rencontre, elle a fait, à 91 ans, un aller-
vendredi. tinée. Lutter, saboter, au sein
d’un comité clandestin interna-
de gens politisés, déterminés à
survivre et à raconter. De son
étions rentrées avec une retour dans la journée pour témoigner tional (entre autres on y trouve groupe, seuls sept sont revenus.
dans un lycée d’Angers. Pour tenir encore la Marie-Claude Vaillant-Coutu- Emmanuèle Peyret
histoire que personne promesse faite à Fanny. La résurgence de l’an- rier) composé de communistes
n’a voulu croire.» tisémitisme l’inquiète. «J’entends des discours
qui me rappellent ceux des années 30 et 40»,
mais pas seulement. Rester en-
semble, pendant la longue mar-
(1) Lire aussi son récit, Paula, survivre
obstinément (éditions Taillandier,
Esther Senot s’alarme Esther Senot. Elle redoute que, che de la mort en ce mois de jan- 2015).
­finalement, les émotions collectives suscitées vier vers Ravensbrück, un camp (2) Cité de la Muette, de Jean-Patrick
par les attentats et les assassinats de Sarah de femmes. Parcourir la Haute- Lebel, premier documentaire consa-
des coups de fusils…» Puis Esther Senot com- Halimi et Mireille Knoll ne soient que passa- Silésie avec de la neige jusqu’aux cré à Drancy en 1986. Interview de
mence à ­témoigner. De plus en plus à partir gères. genoux, des squelettes se traî- Paulette Sarcey. Edité par Ciné-Archi-
des années 90, au moment où Jacques Chirac Bernadette Sauvaget nant entre SS à vélo et chiens, ves et Périphéries, ressorti en DVD
reconnaît la responsabilité de la France dans Photo Samuel Kirszenbaum survivre coûte que coûte, même le 21 janvier. 19 euros.
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6 u
monde Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020

ITALIE A «Bologne
la Rouge»,
la gauche craint
pour son cœur REportage
Dans la capitale de l’Emilie-Romagne,
la peur de voir la Ligue de Matteo Salvini
l’emporter dimanche au scrutin régional
réveille la mobilisation contre l’extrême droite.

Par éric Jozsef s’agit aussi de fragiliser l’actuelle A Bologne, comme dans toute Emilie-Romagne depuis près de soi- tre les latifundiaires, ces grands
Envoyé spécial à Bologne majorité entre les Cinq Etoiles et la l’Emilie-Romagne, cette région xante-quinze ans, avec des adminis- propriétaires terriens, qui en réac-
gauche, formée principalement de 4,4 millions d’habitants d’où trateurs honnêtes et compétents, a tion faciliteront après la Première

L
a nuit est déjà tombée sur le pour lui faire barrage. était aussi originaire Benito Musso- sous-estimé la menace que représen- Guerre mondiale l’émergence du
quartier populaire de Pilastro, lini, le souvenir des atrocités de la tait la Ligue», explique le politolo- fascisme. «L’Emilie-Romagne a été
dans le nord-est de Bologne. «Ce serait L’apocalypse» dernière guerre reste très présent et gue Gianfranco Pasquino, profes- la région où la résistance, principa-
Devant une nuée de caméras, au mi- Sur la piazza Maggiore, la grande il est à la base de l’enracinement de seur émérite à l’université de lement communiste, a été la plus
lieu des HLM des années 60, Matteo place centrale de Bologne, les mili- la gauche qui a gouverné la région Bologne. forte, rappelle Gianfranco Pasquino.
Salvini s’approche de l’entrée d’un tants démocrates qui distribuent depuis 1945. «C’est un match décisif C’est tout naturellement qu’au sortir
immeuble. Accompagné d’une ha- dans le froid les tracts pour la liste pour tous. Nous avons face à nous Laboratoire de gauche de la guerre, le premier maire de Bo-
bitante qui lui désigne le nom d’un du président sortant, Stefano Bo- une droite dangereuse, incompé- Il y a dix ans, la Ligue dépassait à logne est issu du PCI.»
résident tunisien, le leader de la naccini, ne veulent même pas envi- tente et démagogique capable de peine les 3 %, confinée qu’elle était Avec la Toscane voisine, l’Emilie-
­Ligue (extrême droite) appuie sur sager la perspective d’une défaite. conditionner les choix de la région dans les régions situées plus au Romagne devient le laboratoire et
l’interphone, comme on le voit sur «Si cela devait arriver, ce serait sur le social et l’écologie», insiste nord, en Lombardie et en Vénétie. le modèle de gouvernement de la
une vidéo sur Facebook : «Bonjour, l’apocalypse, notamment pour le l’ex-eurodéputée Elly Schlein, de- Aux élections européennes de mai, gauche. Dans certaines municipa-
vous habitez au premier étage ? Vous parti. Si nous perdons ici, nous per- vant une cinquantaine de militants elle est devenue la première force lités, le Parti communiste dirigé
nous ouvrez, s’il vous plaît ? On nous dons tout», lâche Andrea, un de tous âges réunis au bar De’ Mar- d’Emilie-Romagne avec près par Peppone obtient 70 % voire
a dit qu’une bonne partie du trafic de ­conseiller juridique de 35 ans. «J’ai chi, l’un des lieux de rendez-vous de 34 % des voix, deux points de 80 % des suffrages. Et le commu-
drogue vient de chez vous.» toujours voté à gauche, mais je me traditionnel de la gauche bolonaise. plus que le Parti démocrate (PD). nisme italien s’articulera très sou-
A la veille d’un vote crucial aux suis inscrit au Parti démocrate il y «La gauche qui a bien gouverné en «Jusqu’à très récemment, les respon- vent à partir de la région notam-
­régionales d’Emilie-Romagne (on a trois mois pour défendre ma ré- sables démocrates, qui sont aussi ment de la bouillante «Bologna la
vote aussi ce dimanche en Calabre), gion. Il faut se mobiliser. On ne peut très présents sur le territoire à tra- Rossa» (Bologne la rouge) et sa plus
Matteo Salvini redouble ainsi de pas laisser passer la Ligue», enchérit «En termes vers les coopératives et les associa- ancienne université d’Europe. Ce
provocations autant que de photos
au milieu des jambons de Parme et
Giulio, étudiant en économie qui
veut croire que la petite avance de
de performances tions proches du parti, jugeaient im-
pensable que la région puisse être
sera le cas dans les années 70 avec
la contestation étudiante jusqu’au
des meules de parmesan. Depuis Stefano Bonaccini sur Lucia Bor- économiques, disputée électoralement», ajoute sabordage en 1989 du PCI par le se-
plusieurs semaines déjà, l’ancien gonzoni, sa rivale de la Ligue, dans l’universitaire. crétaire général Achille Occhetto,
ministre de l’Intérieur a planté son les derniers sondages sera confir- d’innovation, De fait, comme le chromatisme des au lendemain de la chute du mur
quartier général dans ce bastion his- mée. «Nous n’avons pas besoin d’être d’exportations, murs de Bologne, l’Emilie-Roma- de Berlin. Quoi qu’il en soit, sur le
torique de la gauche, transformant libérés comme l’affirme le slogan de gne s’est presque toujours confon- terrain, les administrateurs locaux
une élection locale en test national. Salvini», reprend Andrea. «Ce sont c’est difficile due avec le rouge. Au XIXe siècle, la du parti réalisent avec pragma-
Il s’agit de faire oublier sa pitoyable
manœuvre politique de l’été lors-
eux qui nous ont libérés», martèle-
t-il en indiquant les centaines de
de faire mieux que région est marquée par une forte
présence des Garibaldiens contre le
tisme une alliance entre l’initiative
privée (en particulier les districts
qu’il était sorti du gouvernement et photos d’identité en noir et blanc de l’Emilie-Romagne.» pouvoir de l’Eglise et dans une cer- industriels) et le soutien public qui
de son alliance avec les Cinq Etoiles résistants tués par les nazis ou les taine mesure de la monarchie. Puis, va permettre de faire de cette ré-
en espérant, en vain, obtenir des fascistes, sur un mur de la piazza Lucio Poma chef des études c’est le lieu des premières organisa- gion l’une des plus dynamiques
élections législatives anticipées. Il Maggiore. à l’institut Nomisma tions de travailleurs agricoles con- d’Europe.
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Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 7

Carnet

SOUVENIRS

Emmanuel
DARLEY
30/12/1963-26/01/2016

A Bologne le 14 novembre,
plus de 100 000 «sardines»
manifestent contre Salvini. Photo
Brancolini. Fotogramma. ROPI-REA

Vous organisez
«En termes de performances écono- été le cas au début des années 2000 été lancé à Bologne par les Cinq invitant les gens à s’engager à tous un colloque,
miques, d’innovation, d’exporta- quand les institutions ont fait le Etoiles lorsqu’en 2009 leur leader les niveaux. Il y a cinq ans, seule- un séminaire,
tions, c’est difficile de faire mieux choix de miser sur les entreprises les Beppe Grillo avait hurlé depuis la ment 37 % des électeurs d’Emilie- une conférence...
que l’Emilie-Romagne, souligne Lu- plus dynamiques, en investissant piazza Maggiore, noire de monde, Romagne se sont rendus aux urnes.
cio Poma, chef des études à l’insti- massivement sur l’innovation.» son premier Vaffanculo. Au- Il faut que chacun prenne ses res- Contactez-nous
tut de recherches économiques No- jourd’hui, le Mouvement Cinq Etoi- ponsabilités.»
misma. «Sur le social, que ce soit la Le réveil des sardines les est en déclin. Son candidat est Elly Schlein reprend : «Les sardines
santé ou l’accueil des étrangers, la Mais dans le contexte de crise géné- crédité d’environ 7 %. Des voix qui ont modifié le climat général en ra- Réservations
région est à l’avant-garde, même si rale en Italie, l’Emilie-Romagne pourraient manquer dimanche à baissant le discours jusqu’alors do- et insertions
tout n’est pas parfait. Depuis les an- n’assure plus les mêmes perfor- Stefano Bonaccini. Dans le camp du minant de Salvini.» Reste qu’au Pi- la veille de 9h à 11h
nées 80, les responsables poli- mances exception- président sortant, on mise toutefois lastro, dans le quartier populaire
tiques ont investi sur les nelles qu’autre- sur le réveil de la société civile qui autrefois votait massivement pour une parution
E
services aux sociétés,
ALL.
AU TR
IC H
fois. «C’est une sonné il y a deux mois avec les sar- pour la gauche, les slogans de Sal- le lendemain
pour les aider à for- Bologne région qui fonc- dines. Après le premier rendez-vous vini sur la sécurité, l’immigration,
mer des jeunes, CR BO tionne bien, mais du 14 novembre où 15 000 person- les impôts commencent à faire Tarifs : 16,30 e TTC la ligne
OA
FRANCE

SN
créer des infras- Me IE
T IE les inégalités ont nes ont répondu à l’appel de quatre mouche. Devant le bar de la via Forfait 10 lignes :
rA
tructures en obli- EMILIE- dr
iat augmenté, et si le jeunes de se retrouver «serrés D’Annunzio, Enzo, un Napolitain 153 e TTC pour une parution
ROMAGNE iqu
geant par exemple Rome e chômage est comme des sardines» piazza Mag- qui vit depuis trente ans à Bologne 15,30 e TTC la ligne suppl.

ITALIE ALB.
dite

abonnée et associations : - 10 %
Me anée

les universités à tombé de 9 % à giore pour répondre au rassemble- explique : «Le quartier est plutôt
rr
r

Mer
collaborer avec les CALABRE 5 % en cinq ans, il y ment public organisé le même jour tranquille mais beaucoup de vieux
Tyrrhénienne
ne
ni er

Tél. 01 87 39 84 00
Io M

entreprises sous peine a beaucoup de petits par Matteo Salvini, le mouvement qui avaient la carte du parti disent
en

de ne pas les financer. jobs. Salvini est habile a pris corps dans toute l’Italie et, que cette fois ils vont voter pour la
100 km
Résultat : le territoire a à instrumentaliser le le 19 janvier, 100 000 personnes se Ligue car leurs retraites sont trop
plus de dix technopoles et est moindre point critique», consi- sont retrouvées à Bologne pour un faibles, que l’on donne la priorité Vous pouvez nous faire
leader européen dans toute une série dère Elly Schlein qui conduit «Co- mega-concert. aux étrangers pour les logements so-
parvenir vos textes
par e-mail :
d’activités, du packaging à l’agroali- raggiosa» une liste de gauche euro- «Nous sentions l’urgence de réagir et ciaux et aussi juste pour changer
mentaire ou la céramique, sans par- péenne et écologiste, en appui à la de répondre à Salvini en changeant un peu.»
ler du district de Ferrari, Lambor- candidature de Stefano Bonaccini. la narration, explique calmement Une carte que joue à fond Matteo carnet-libe@teamedia.fr
ghini et Maserati concentré sur «Une partie de la population, les Andrea Garreffa, guide de tourisme Salvini qui, à l’entrée d’une disco-
20 kilomètres.» 30-55 ans, commence à exprimer environnemental et l’un des quatre thèque dans la banlieue de Bologne
Selon Lucio Poma, la stabilité politi- son ras-le-bol, poursuit Gianfranco initiateurs des sardines. Salvini uti- où il réunit ses supporteurs, calcule
que a eu un grand rôle dans ce «mi- Pasquino. Ils disent aux responsa- lise très bien la communication sur qu’une victoire dimanche en Emi-
racle émilien» : «Quand on n’a pas à bles de la gauche : “Vous êtes compé- les réseaux sociaux et ses messages lie-Romagne pourrait lui dégager la
se préoccuper de construire un tents, mais vous contrôlez tout. Nous sont constamment relancés par les voie vers le pouvoir à Rome : «Le ré- 01 87 39 84 00
­consensus électoral, on peut plus fa- pensons que cela irait encore mieux algorithmes. Il fallait saper cet ap- sultat aura sans aucun doute une carnet-libe@teamedia.fr
La reproduction de nos petites
cilement prendre des risques d’in- sans politique et sans parti”.» Le pareil médiatique en inventant une répercussion nationale contre un annonces est interdite
vestissement sur le long terme. Ça a premier avertissement a d’ailleurs nouvelle forme de mobilisation et en gouvernement abusif.» •
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8 u
monde Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020

Recueilli par
Emmanuelle Steels
le Mexique affronte une crise con­- à quel point car les données sont
tinue. Recenser les disparus, selon en cours de révision dans près
«L’hypothèse
Correspondante à Mexico Karla Quintana, c’est reconnaître de 20 Etats (sur les 31 que compte le privilégiée est
l’ampleur de cette crise. Mexique), notamment dans cer­-
la traite d’être
D
iriger la recherche des dis- Début janvier vous avez révélé le taines régions où la problématique
parus est l’une des missions
les plus ingrates du gouver-
chiffre de 60 053 disparitions au des disparitions est vive.
Mexique depuis fin 2006. Or, il y Qui sont ces disparus ? Aux
humains,
nement mexicain : impossible, en a un an, le registre mains de qui dispa- qu’il s’agisse
effet, d’apporter une solution à un
drame en perpétuelle aggravation.
officiel faisait état
de 40 180 disparus.
raissent-ils ?
Environ 75 % sont
de trafic sexuel
Nommée par le président Andrés Comment expliquer des hommes, et la ou d’esclavage.»
Manuel López Obrador il y a un an, un tel écart ? plupart sont jeunes.
Karla Quintana, avocate spécialiste Il n’y avait pas de Parmi les femmes, il y
des droits de l’homme, tente de re- ­méthode homogène a davantage de dispa- soixante ans se concentrent sur les
lever le défi. Elle décrit les petits pas et systématique de rues dans la tranche treize dernières années.

DR
franchis pour «commencer à appor- ­recensement pour d’âge des 15-19 ans. Quelles actions peut accomplir
ter un début de réponse» à un pro- toutes les régions Interview Les ­mineurs repré- la commission que vous ­dirigez
blème qui s’éternise. Depuis 2007, du pays. Le chiffre sentent près de 20 % dans un contexte aussi défavo-
avec la guerre déclarée par l’ex-pré- de 40 000 n’était déjà plus actuel des victimes. C’est la jeunesse qu’on rable ?
sident Felipe Calderón au narco­- lorsqu’il a été divulgué. Chaque Etat fait dispa­raître. L’hypothèse privi- Les familles de disparus ont long-
trafic, suivie d’une explosion de doit réviser ses données. Nous légiée est la traite d’être humains, temps réclamé une institution qui
­rivalités sanglantes entre cartels, le avons mis en place un système qu’il s’agisse de trafic sexuel ou fasse le pont avec des autorités qui
nombre de disparitions augmente de dénonciation des disparitions d’esclavage. ­Plusieurs cas valident leur fermaient les portes. La com-
à un rythme exponentiel dans le en temps réel. N’importe qui peut cette hypothèse. C’est très inquié- mission a été créée par la loi géné-
pays. Aujourd’hui, l’ampleur de la ­dénoncer une disparition en ligne. tant. rale sur les disparitions de 2018.
tragédie est incommensurable : la Nous croisons ces données avec les Ces disparitions forcées sont en gé- Au Mexique, ce sont les proches
commission dirigée par Quintana enquêtes judiciaires existantes pour néral le fait des autorités ou du de disparus qui mènent les enquê-
dénombre plus de 60 000 dispa­- obtenir un tableau complet des dis- crime organisé ; parfois les deux tes parce que l’Etat fédéral les a
ritions entre 2007 et 2019, dont plus paritions d’origine criminelle, donc sont comp­lices. Le contexte de vio- abandonnés.
de 5 000 survenues sous le nouveau toutes les disparitions forcées et les lence des dernières années, et en Le premier pas a été d’admettre
gouvernement, selon des chiffres enlèvements. particulier l’augmentation des ho- l’existence de la crise, qui est pire
provisoires. Contrairement à d’au- Le chiffre pourrait-il encore micides, concorde avec la courbe que titanesque, abyssale. Nous de-
tres pays d’Amérique latine, qui ­augmenter ? des dis­paritions : 97 % des dispari- vons rompre l’inertie totale du sys-
cherchent leurs disparus du passé, Oui mais nous ne savons pas encore tions ­survenues au Mexique depuis tème. Auparavant, beaucoup de
­disparus n’étaient même pas recon-

«C’est la
nus comme officiellement dispa-
rus. Il y a un problème au niveau
des enquêtes. La commission ne
peut pas enquêter directement sur
une disparition mais elle peut im-
pulser les enquêtes judiciaires et
travailler en coordination avec les
enquêteurs qui dépendent des pro-
cureurs locaux ou fédéraux. Mal-

jeunesse
heureusement, il y a un manque
d’effectifs et de moyens. Dans une
région que je ne citerai pas, il y a
trois enquêteurs pour près
de 1 000 dossiers de disparition. Le
taux d’impunité reste très élevé :
il n’y a eu qu’une cinquantaine de
­jugements pour disparitions dans
toute l’histoire. La loi est insuffi-
sante : il y a des mesures, comme

mexicaine qu’on
l’octroi de bénéfices aux personnes
qui apportent des informations
­utiles aux enquêtes, qui devraient
être envisagées. Dans le quartier de la Colonia
Vous accompagnez régulière-
ment les familles dans leurs re-
cherches de fosses clandestines corps des victimes d’homicides
sur le terrain. C’est l’autre ver- étaient conservés dans des ca-
sant de la crise des disparus : mions réfrigérants, et à Culia-

fait disparaître»
3 600 fosses ont été mises à jour cán, ils étaient entreposés sur un
et près de 37 000 corps ne sont parking, en plein soleil…
pas identifiés, qui correspon- A Tijuana aussi il y a des problèmes
dent probablement à des person- de saturation. Et, dans certaines
nes déclarées disparues. ­régions, à cause du manque de
Nous privilégions toujours la re- ­légistes, ce sont des entreprises
cherche des disparus en vie. Ceci ­funéraires qui exhument les restes
dit, nous reconnaissons aussi cette des fosses clandestines. Les preuves
crise : le rythme d’identification ne sont pas préservées. C’est une
des corps est trop lent. Nous avons crise absolue. La résoudre ramène-
mis en place un mécanisme rait la paix dans un très grand nom-
extraor­dinaire dans le domaine bre de familles.
médi­co-légal, qui permet l’inter- L’incertitude reste la pire des
Depuis 2006, le Mexique a enregistré plus vention ­d’experts légistes étran- ­situations pour les proches des

de 60 000 disparitions forcées, un chiffre qui ne gers. Mais nous devons aussi ren-
forcer nos propres capacités : un
disparus ?
Oui, c’est pourquoi la disparition

cesse de croître. A la tête d’une commission centre d’identification va ouvrir ses


portes dans le nord du pays, des
d’une personne est la pire violation
des droits humains qui puisse
dédiée, Karla Quintana déplore le manque de unités spécialisées sont en cours
d’installation.
être commise. Jusqu’à ce que
nous les retrouvions tous, jusqu’à
moyens pour y remédier et le climat d’impunité. Plusieurs scandales ont révélé
le manque d’infrastructures
ce que leurs mères sachent où
ils sont, aucun résultat ne sera
mortuaires : à Guadalajara, les suffisant. •
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Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 9

Alamos, à Mexico, en 2016 et dans un funérarium de la capitale. Photos Sébastien Van Malleghem

Une marche pour dénoncer l’initiative d’un groupe d’étudiantes de


Mexico, le collectif Hasta Encontrarles («Jus-
qu’à les retrouver») peint des fresques de dis-
parus sur les murs de la capitale. Le projet veut

une «catastrophe humanitaire» rendre visibles les visages de ceux qui sont re-
cherchés. «Ma fille n’a pas disparu d’elle-
même, quelqu’un l’a fait disparaître», dit Aide
Hernández, mère de Natali, dont la fresque
Face à l’incurie de l’Etat, du palais présidentiel occupé par Andrés Ma- Ses paroles font écho aux mots de José Miguel sera réalisée lundi, près de l’endroit où sa fille
des proches de disparus nuel López Obrador, qui s’était engagé à lutter Vivanco, directeur de Human Rights Watch a disparu il y a un an.
contre la violence et les disparitions. en Amérique latine, qui dénonce l’aggrava- Les jeunes mettent aussi les réseaux sociaux
s’organisent pour rechercher «Le Président minimise la gravité de la crise», tion de la «catastrophe humanitaire» au au service de la recherche des disparus, à
des fosses clandestines. déplore Guadalupe Aguilar, dont le fils José Mexique et le «désintérêt» du gouvernement l’instar de Luis Yerik Arámbula, étudiant en
Dimanche, ils vont interpeller Luis a disparu en 2011 dans l’Etat du Jalisco pour les disparus. «Si des initiatives excep- informatique de Monterrey (nord), créateur
la classe politique à Mexico. (nord), l’un des plus violents du pays. Con- tionnelles ne sont pas adoptées, il n’y aura pas d’un bot, un programme qui génère des mes-
frontée à la passivité des autorités, cette mère de résultats», a-t-il affirmé, proposant la for- sages automatiques, qui diffuse massivement

C
e dimanche, les proches des disparus a pris les rênes de l’enquête sur le cas de son mation d’une équipe de magistrats enquê- les publications des proches de disparus.
marcheront aux côtés du poète Javier fils et, avec d’autres proches de disparus, a teurs dédiée aux disparitions. «Toutes les demi-heures, le bot cherche auto-
Sicilia lors d’une manifestation pour mis au jour la corruption des forces de police Plusieurs fois par semaine, les mères de dis- matiquement des messages alertant de dispa-
la paix qui parviendra jusqu’au Zócalo, la locales. Son collectif Familles unies pour nos parus organisent des recherches de fosses ritions et les retweete», explique Arámbula.
place centrale de Mexico. Figure charisma­- disparus Jalisco (Fundej) remplira deux auto- clandestines. En février, la cinquième brigade Mobilisée depuis la disparition en 2014
tique, Sicilia relance les mobilisations qu’il bus pour rejoindre la manifestation. «C’est nationale de recherche de disparus se tiendra de 43 étudiants, jamais retrouvés, dans le sud
avait lancées en 2011 après le meurtre de son une excellente occasion pour interpeller le gou- dans l’Etat de Veracruz (est), avec la participa- du pays, la jeunesse est touchée de plein fouet
fils. Au terme d’une année 2019 très sanglante, vernement : la situation est extraordinaire, tion de 300 personnes issues des collectifs. par ce phénomène. Plus de la moitié des
avec plus de 34 000 homicides volontaires, les alors il faut des efforts extraordinaires, mais Si les autorités peinent à réagir, la jeunesse 60 000 disparus ont moins de 30 ans.
manifestants se feront entendre à l’extérieur il traîne !» mexicaine, elle, s’émeut des disparitions. A E.S. (à Mexico)
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10 u
Monde Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020

LIBÉ.FR
Quatre collaborateurs de l’ONG française
SOS Chrétiens d’Orient disparus à Bagdad
Trois Français et un Irakien, collaborateurs de l’ONG
SOS Chrétiens d’Orient, sont portés disparus depuis lundi à Bagdad,
­a annoncé vendredi l’organisation française, précisant qu’«aucune
­demande de rançon» n’a été faite. Depuis plusieurs mois, Bagdad est le
théâtre de manifestations : une foule immense s’est de nouveau rassem-
blée vendredi dans les rues de la capitale irakienne, avec pour mot d’ordre
le ­rejet de toute intervention étrangère.

Particules fines : Bangkok en pleine


«crise de la brume»
Chan-o-cha, qui avoue son
impuissance.
Même les activistes ne
croient pas à la possibilité
d’une réduction du nombre
de véhicules en centre-ville :
«Il n’y a pour l’instant aucun
mécanisme de soutien à une
telle mesure, explique Tara
Buakamsri, directeur de
Greenpeace Thaïlande. Les
transports en commun, no-
tamment le métro aérien,
coûtent très cher. Il faudrait
pouvoir compenser ce surcoût
pour les plus fragiles.»

Aveu. Les plus pauvres sont


les plus affectés par cette
«crise de la brume», car ils ha-
bitent dans des petites mai-
sons de ville qui donnent sur
la rue, dont le rez-de-chaus-
sée grillagé ne ferme pas
complètement, au contraire
des classes moyennes à l’abri
dans des condominiums,
tours géantes du centre-ville,
bien isolés et équipés de
­purificateurs d’air. «De nom-
breuses études ont montré
l’importance cruciale du
temps d’exposition aux parti-
cules, rappellent le profes-
A Bangkok, seur Kraichat Tantrakarnapa,
le 17 janvier. Photo de l’université Mahidol, donc
Romeo GACAD. AFP de l’importance de la qualité
de l’air intérieur.»
Mercredi, 437 écoles gouver-
La capitale dans différents quartiers de à c e l u i d e P é k i n o u chercheur à l’université font valoir que leur revenu de nementales ont été fermées.
thaïlandaise la ville, elles renseignent sur de New Delhi. de Kyoto. toute l’année se joue pendant Mais plutôt que de protéger
et plusieurs villes les taux d’ozone, de dioxyde En temps normal, le trafic in- ces quelques semaines de les enfants, qui ne respirent
du nord du pays d’azote mais surtout de parti- Affrontement. Si la capi- fernal et les gigantesques brûlage intensif. Quant à une pas forcément un meilleur
connaissent cules PM2,5, si fines qu’elles tale occupe tout l’espace mé- chantiers de construction qui diminution du nombre de vé- air chez eux, l’idée était plu-
un épisode de forte peuvent entrer profondé- diatique, les villes du nord, entourent la capitale thaïlan- hicules autorisés à rouler en tôt, de l’aveu même des offi-
pollution ment dans les poumons et comme Chiang Mai, sont daise endommagent déjà sé- ville, la décision semble poli- ciels, de faire diminuer le tra-
passer dans le sang. aussi affectées. Dans la rue, rieusement la qualité de l’air. tiquement trop sensible : «On fic routier en imposant aux
atmosphérique.
Depuis un peu plus de deux beaucoup ne sortent plus Mais à cela s’ajoutent des fac- ne peut qu’en appeler à la parents de rester chez eux
Les autorités peinent semaines, une épaisse cou- qu’avec des masques : à filtre teurs saisonniers : la (rela- bonne volonté et à la coopéra- pour s’en occuper.
à trouver une issue verture grise, composée de pour ceux qui en ont les tive) saison froide et la com- tion du public», a déclaré le Pour les spécialistes, les plus
au problème. ces gaz et particules, visible moyens, simples masques bustion de déchets agricoles Premier ministre, Prayuth grands changements doivent
à l’œil nu, recouvre la ville. chirurgicaux, parfois empi- par les paysans de la région. venir du monde du travail.
Par Les taux mesurés selon l’AQI, lés, pour les autres. Les principales récoltes incri- «Pourquoi, alors que nous
Carol Isoux le standard international de Les hôpitaux voient affluer minées sont le riz, le maïs et 437 écoles sommes à l’ère du tout-con-
Correspondante à Bangkok mesure de la qualité de l’air, des enfants et des personnes
avoisinent les 200, un chiffre âgées pour des affections res-
surtout la canne à sucre, dont
la Thaïlande est devenue ré-
ont été fermées. necté, est-ce que tout le monde
doit encore faire deux heures
Plutôt que
C’
est devenu le pre- dix fois supé- piratoires, des cemment le deuxième expor- de voiture pour se rendre au
mier geste du matin rieur aux recom- L'histoire allergies, mais tateur mondial derrière le
de protéger les bureau ?» interroge le profes-
pour des millions mandations de du jour aussi des acci- Brésil, qui génère beaucoup seur Siwatt Pongpiachan, di-
d’habitants de Bangkok : con- l’Organisation dents cardio- de résidus à brûler. enfants, l’idée recteur du Centre de préven-
sulter sur son téléphone les mondiale de la santé (OMS). vasculaires. «Le lien entre Sur les réseaux, le débat tion des catastrophes. En
applications qui indiquent la Le niveau de pollution l’exposition prolongée aux tourne à l’affrontement ville- était d’abord de attendant, la traditionnelle
qualité de l’air. Fondées sur
les données accessibles au
à Bangkok, pourtant mo- particules fines et les attaques
deste puissance industrielle, cérébrales est désormais
campagne. Les urbains récla-
ment une interdiction de brû-
faire diminuer saison des brûlis en Thaï-
lande et dans les pays voisins
public de capteurs situés est aujourd’hui comparable avéré», affirme Arthit Phosri, ler pour les agriculteurs, qui le trafic routier. s’étend jusqu’à la fin mars. •
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La sortante sortie Williams prise en fautes A qui Paire gagne


La liste «On ne veut pas perdre contre
une joueuse de 15 ans.» D’au-
Surprise encore plus sismique
que la défaite d’Osaka, celle de
La paire française Mahut-Hum-
bert, tenante du titre, gicle dès
tant moins quand on est te- Serena Williams battue par la le premier tour face au duo
Jour de surprises nante du titre à l’Open d’Aus-
tralie. C’est pourtant ce qui est
Chinoise Qiang Wang. L’Améri-
caine a commis le total stratos-
franco-italien Paire-Bolelli.
Grosse surprise aussi, la dé-
à l’Open arrivé à la Japonaise Naomi
Osaka, battue par l’ado améri-
phérique de 56 fautes directes.
Son commentaire : «Ce n’est
faite du Grec Tsitsipás, demi-fi-
naliste en 2019, battu par le Ca-
d’Australie caine Coco Gauff. pas professionnel.» nadien Raonic.

Autriche : l’hypothèse d’un come-back


de Strache agite l’extrême droite
C’est un retour sur la pointe dans la tourmente depuis le occupaient des fonctions les affaires se succèdent.
des pieds qui témoigne d’un mois de mai et le scandale de ministérielles et son chef de Jusqu’à celle dite «des notes
climat délétère au sein l’«Ibizagate» qui a causé la ligne, «HC» Strache, était de frais», qui a le plus cho-
de l’extrême droite autri- fin de sa participation gou- ­vice-chancelier. Mais le qué l’électorat : six jours
chienne. Leader déchu vernementale aux côtés des 17 mai, deux médias alle- avant les législatives du
du FPÖ, une des formations conservateurs du chancelier mands publient des extraits 29 septembre, les Autri-
­extrémistes les mieux enra- Sebastian Kurz. Aux d’une vidéo tournée chiens apprennent qu’une
Allemagne Six personnes tuées cinées en Europe, Heinz- législatives antici- Vu de en 2017 sur l’île enquête a été ouverte sur
dans une fusillade Christian Strache a fait état, pées de septembre, Vienne d’Ibiza, montrant des soupçons de détourne-
jeudi soir à Vienne, de ses l’extrême droite, re- Strache et un pro- ment de fonds. Le jour du
Six personnes d’une même famille ont été tuées vendredi envies de come-back. Il s’est présentée par Norbert Hofer, che, élu FPÖ, proposer des scrutin, le FPÖ obtient son
par arme à feu à Rot am See, petite ville proche de Stuttgart, déclaré prêt à se présenter a recueilli 16 % des suffrages, marchés publics à une pire score depuis 2006.
dans le sud-ouest de l’Allemagne. Plusieurs personnes ont à la tête d’un nouveau parti, près de 10 points de moins fausse oligarque russe en Après des semaines de tergi-
également été blessées, dont deux grièvement. La mère et pour les élections municipa- qu’en 2017. Les sondages lui échange de fonds occultes. versation, Strache est ex-
le père du tueur présumé figurent parmi les victimes. Le sus- les qui doivent se tenir dans prédisent un mauvais résul- Strache démissionne alors pulsé du parti à la mi-dé-
pect, un Allemand de 26 ans, avait un permis de port d’armes la capitale autrichienne au tat lors d’un scrutin régional de la vice-chancellerie, le cembre. En mettant à l’écart
et ­pratique le tir sportif, ont indiqué les enquêteurs. Il a lui- plus tard à l’automne. dans la région du Burgen- gouvernement chute. son ex-compagnon de route,
même appelé la police pour se dénoncer, avant d’attendre La perspective de ce retour land dimanche. Dans la parenthèse qui s’ou- Nobert Hofer espérait effa-
les agents devant le lieu du crime. Le mobile de la fusillade à la tête d’un groupe de dis- Pourtant, au printemps, le vre avant que de nouvelles cer définitivement le souve-
n’est pas encore établi, la police appelant à éviter toute ­«spé- sidents est un nouveau coup parti était au sommet de sa élections ne puissent être nir de l’Ibizagate.
culation». Photo AFP dur pour le FPÖ. Le parti est gloire. Quatre de ses cadres organisées, en septembre, Céline Béal (à Vienne)

Coronavirus : «On sait que la


quarantaine est inefficace»
Le nouveau coronavirus a peut se soigner avec des anti- petites villes américaines au
déjà fait 26 morts en Chine et biotiques, mais cette mesure nord de New York après une
contaminé près de 900 per- reste appliquée dans cer- épi­démie de poliomyélite.
sonnes dans le monde, quel- tains pays où elle n’est La ­mesure a duré plusieurs
ques cas ayant aussi été dé- pas encore bien prise en ­semaines, et ce qui devait
tectés en ­Corée, au Japon charge. arriver arriva : il y a eu des
ou aux Etats-Unis et en Est-ce efficace ? troubles.
France, où la ministre de la On sait depuis cent cin- Une telle décision a-t-elle
Santé, Agnès Buzyn, a con- quante ans que la mesure déjà été prise en France ?
firmé deux cas (lire page 15). n’est pas efficace, car il y a Il n’y a jamais eu de mesure
En Chine, ce sont 13 villes et toujours des personnes similaire prise dans l’Hexa-
40 millions d’habitants qui qui cherchent à quitter le ter- gone. Cela a failli être le cas
sont placés en quarantaine ritoire. C’est une décision en 1955 après des cas de
pour éviter la propagation ­impraticable, faite pour être ­variole dans le Morbihan,
du virus. Utilisée depuis enfreinte. Ce qui peut fonc- mais les autorités ont re-
le XIVe siècle, la quarantaine tionner, c’est le confinement noncé. Les préfets ont, de-
a été mise en place au Liberia à domicile. Ce fut le cas puis 2003, la capacité de dé-
pour lutter contre la ­pro­- en 2003 dans un secteur de cider d’une zone d’exclusion
pagation du ­virus Ebola Singapour, une ville très hy- si un nombre significatif de
en 2014, mais aussi en Sierra giéniste, pour lutter contre cas est détecté.
Leone. une épidémie de syndrome Et en Chine ?
L’historien de la santé Pa- respiratoire aiguë sévère [ou Une telle mesure avait déjà
trick Zylberman, également syndrome respiratoire aigu été prise en 2003, égale-
professeur émérite à l’Ecole sévère lié au coronavirus, ment pour des cas de syn-
des hautes études en santé ndlr]. On a menacé les ­ha­- drome respiratoire aigu sé-
publique à Rennes, revient bitants de leur mettre un bra- vère. Les autorités chinoises
sur une ­décision qui reste celet électronique s’ils sor- aiment cette solution. Il
exceptionnelle. taient de chez eux. Des existe d’ailleurs une thèse,
De quand datent les pre- équipes distribuaient chaque qui date de 1848 et qui est
mières mesures de mise jour de la nourriture aux ha- discutée, qui dresse un lien
en quarantaine à l’échelle bitants confinés. La mesure entre les régimes autoritaires
d’une ville ? a duré quelques semaines. et la mise en quarantaine.
La mesure était déjà expéri- Avez-vous d’autres exem- C’est une mesure qui permet
mentée aux XIVe et XVe siè- ples de mise en quaran- de rassurer les gouverne-
cles en Italie, dans les villes taine dans l’histoire ? ments.
où se propageait la peste. En 1916, il y a eu une mise en Recueilli par
Aujourd’hui, cette maladie quarantaine dans plusieurs Éloïse Bussy
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12 u
france Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020

39 000 personnes ont défilé dans les rues de Paris, vendredi 24 janvier, selon le cabinet indépendant Occurrence. Photo Cyril ZANNETACCI. Vu

RETRAITES L’exécutif signe,


les manifestants persistent Par
Jonathan Bouchet-
rence ; 31 000 selon le ministère de
l’Intérieur ; 350 000 selon la CGT) ont

En dépit du choix de la CFDT, de l’Unsa et de Petersen


Photos Cyril Zannettacci.
manifesté dans le calme à Paris
lors de cette septième journée de
la CFE-CGC de bouder la rue, la mobilisation n’a VU et Christophe Halais ­mobilisation interprofessionnelle. Ils
étaient près de 220 000 dans le reste
pas faibli vendredi, alors que le projet de réforme
I
ls sont encore là. Contre le projet de la France selon l’Intérieur, plus
de réforme des retraites adopté de 900 000 selon la CGT. Des chiffres
était adopté en Conseil des ministres. Trois vendredi en Conseil des ministres, moins impressionnants qu’au climax
et pour beaucoup contre la politique du mouvement mais significatifs,
nouvelles journées d’action sont déjà prévues. menée plus largement par Emmanuel alors que la lutte s’inscrit dans la du-
Macron, environ 39 000 personnes rée. Et de s’élargir, avec de nouveaux
(selon le cabinet indépendant Occur- secteurs sur le devant de la scène so-
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Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 13

Travailler plus :
le credo social
douteux du
gouvernement
Selon l’exécutif, taire d’Etat aux Retraites, Lau-
rent Pietraszewski, a indiqué
les plus modestes
qu’il faudra attendre «quelques
verront leur pension semaines après l’adoption de la
augmenter. Mais loi» pour avoir un «simulateur
pour être gagnant, individuel» qui tienne compte
il faudra cotiser des «paramètres définitifs»…
jusqu’à 65 ans.
Borne. Pour être «gagnants»

L
e gouvernement a enfin – donc toucher une meilleure
des chiffres à opposer. pension – il faudra souvent tra-
Avec l’adoption en Con- vailler un peu plus longtemps
seil des ministres des deux pro- qu’aujourd’hui. «Le système
jets de loi «instituant un sys- vise à inciter à l’activité, assu-
tème universel de retraite», me-t-on à Matignon. On peut
Au Havre, des cheminots sont venus en bus depuis Caen pour soutenir les dockers. Christophe Halais l’exécutif a dévoilé vendredi avoir de meilleures pensions
son imposante étude d’impact avec une augmentation de la
(1 024 pages !). Après la sé- durée du travail.» Les «ga-
L’occasion de glisser le terme «sédi- quence «sérieux budgétaire», gnants» le seront donc s’ils at-
tieux», comme au plus fort de la crise incarnée par Edouard Philippe teignent (et surtout s’ils le dé-
des gilets jaunes… ces derniers mois, l’exécutif es- passent pour profiter d’un
père convaincre que cette re- meilleur «bonus») le futur «âge
Alternatives fonte des 42 régimes actuels en d’équilibre» qui, comme l’a
Mais alors que Philippe Martinez un système universel à points confirmé vendredi la ministre
(CGT) comme Jean-Luc Mélenchon est une «réforme massivement des Solidarités, Agnès Buzyn,
(LFI) ou même Marine Le Pen (RN) redistributive, de très grande «reste dans la loi». «Nous avions
ont dénoncé toute forme de violence, justice sociale», comme l’a mar- dit attention, ce sera un âge pi-
le leader insoumis martelant qu’elle telé vendredi la porte-parole du vot permanent et bien c’est
ne peut être que contre-productive gouvernement, Sibeth Ndiaye. exactement [ça]», a dénoncé le
pour le mouvement social, on se de- secrétaire général FO, Yves
mande qui le Président vise parmi les Ecart. Très en retard dans la Veyrier.
responsables syndicaux ou politiques bataille de l’opinion, la majorité Pour ses calculs, l’exécutif fixe
demandant le retrait de sa réforme. pourra désormais tenter de dé- dans son étude d’impact cette
Vendredi sur Twitter, l’insoumis a montrer que les 25 % des retrai- nouvelle borne à 65 ans mais
renvoyé la responsabilité de la tension tés les plus modestes verront, laisse la main aux partenaires
au locataire de l’Elysée, l’accusant de en moyenne, leur pension sociaux pour en définir le ni-
faire «le choix de la violence politique mensuelle brute augmenter veau en 2037, date où les pre-
Des avocats étaient parmi les manifestants, à Paris. C. Zannetacci. VU et sociale contre la société» : «Deux de 30 % par rapport au système miers concernés par le système
mois de lutte et le régime ne change pas actuel. Selon les chiffres des universel (ceux nés en 1975)
un mot d’un projet massivement rejeté administrations sociales et de partiront à la retraite. Selon le
ciale : égoutiers, avocats, profs ou musi- en effet peu de place au suspense parle- par les Français, de tous les secteurs la direction du Budget, l’écart gouvernement, cet âge d’équi-
ciens de l’Opéra de Paris. Télégéni- mentaire, a fortiori avec un Palais- et de toutes opinions politiques», a entre les 10 % de retraités les libre permettra à 30 % des ac-
ques en diable, les marches aux flam- Bourbon où les oppositions sont tweeté le député de Marseille. plus riches et les 10 % les plus tifs de cette génération de ne
beaux qui se multiplient offrent aussi ­réduites à la portion congrue. Avec le passage du texte en Conseil des pauvres passerait de 7 à 5 sous pas attendre 66 ou 67 ans pour
de nouvelles images au mouvement, Pour l’exécutif, il y a urgence à vanter ministres, le gouvernement a passé l’effet, notamment, de l’aug- obtenir une pension à taux
alors que trois journées d’actions sont la dimension «redistributive» de sa une étape et même un cap. Mais la mentation de la pension mini- plein (ce qu’ils auraient dû faire
déjà fixées, notamment une mobilisa- ­réforme (lire ci-contre) alors que son suite ne s’annonce pas pour autant male. Pour une carrière pleine avec 43 ans de cotisations). En
tion nationale mercredi. Sur le front travail de pédagogie n’a pour l’instant comme un chemin parsemé de roses. à temps complet, elle sera por- revanche, 20 % d’entre eux au-
syndical, après la CFDT et l’Unsa, qui pas convaincu une opinion hyperpo- Dès vendredi soir, le Conseil d’Etat a tée dès 2022 à 1 000 euros, puis raient pu partir à 63 ou 64 ans :
ont rapidement préféré la négociation larisée : selon un sondage Ifop réalisé estimé ne pas avoir eu le temps de «ga- en 2025 à 85% du smic. A l’hori- ceux qui ont commencé à tra-
à la rue, la CFE-CGC (cadres) a choisi, il y a quelques jours, 45 % des Français rantir au mieux la sécurité juridique» zon 2040, les temps partiels en vailler à 20 ans. Ils bénéficie-
sans sortir de l’intersyndicale, de faire se disent tout simplement «révoltés», de la réforme. La conférence de finan- bénéficieront également. Elle ront peut-être d’une meilleure
une «pause symbolique pour signifier avec la radicalité sociale qui va avec. cement qui a permis de décrocher la sera indexée sur les salaires et pension mais, pour atteindre le
[sa volonté de] laisser une chance à la Ce sentiment est particulièrement CFDT et qui doit s’ouvrir le 31 janvier non plus sur l’inflation. «taux plein», devront bosser
démocratie». marqué chez les sympathisants du reste aussi un enjeu important. Ses Comme le défendent certains deux ans de plus qu’un autre
RN, suivis par ceux de LFI, tandis conclusions, attendues fin avril et cen- économistes pro-régime uni- actif de la même génération
Portion congrue qu’au PS comme à LR les sentiments sées trouver une ou des alternatives à versel : à enveloppe constante qui, lui, aura commencé plus
Si le gouvernement continue d’avan- sont sans surprise plus partagés. l’âge pivot pour assurer l’équilibre du de dépenses consacrées aux tard. Fin août sur France 2, Em-
cer à marche forcée sur fond de quasi- Dans l’avion le ramenant de Jérusa- système entre 2022 et 2027, seront retraites (13 à 14 % du PIB) et manuel Macron pointait juste-
retour à la normale dans les trans- lem, Emmanuel Macron s’en est pris, scrutées avec exigences par les forma- avec un point indexé non plus ment ce problème en cas d’in-
ports, l’opinion reste très inquiète à devant quelques journalistes et alors tions dites modérées. Les braquer de sur l’inflation mais sur l’évolu- troduction d’un âge d’équilibre
l’évocation de cette réforme soutenue que des actions coups de poing se nouveau serait plus qu’un risque, un tion des salaires (avec donc un sans durée individuelle de coti-
en premier lieu par ceux qui sont déjà multiplient, à ceux qui justifient la choix irresponsable. • rendement plus dynamique), sation. Le chef de l’Etat trou-
à la retraite. Mais dans ce qui s’appa- «violence» en décrivant la France les nouvelles règles devraient vait «plus juste» qu’une per-
rente à une forme de fatalisme, les comme une «dictature». Le chef de profiter aux carrières sans ré- sonne qui a commencé «tôt»,
Français sont depuis longtemps majo- l’Etat a même affirmé que ceux qui ne LIBÉ.FR elle progression, donc aux plus parte «plus tôt». Cinq mois plus
ritaires à tenir pour acquis qu’in fine, dénonçaient pas cette violence se ren- modestes. Impossible pour au- tard, ce n’est pas ce que va dé-
le texte du pouvoir sera bien adopté daient «complices, aujourd’hui et pour Retrouvez nos reportages tant de le vérifier : si le gouver- fendre son Premier ministre au
par la majorité LREM-Modem à demain, de l’affaiblissement de notre au cœur de la mobilisation nement a diffusé vendredi de Parlement.
­l’Assemblée. La Ve République laisse démocratie et de notre République». ­parisienne. nouveau «cas-types», le secré- Lilian Alemagna
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14 u
France www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020

LIBÉ.FR
Les vœux marseillais
de Mélenchon Au soir d’une
nouvelle journée de mobilisation
contre la réforme des retraites et à deux mois des
élections municipales, c’est depuis un McDo mar-
seillais «en lutte» que le leader de La France insou-
mise, Jean-Luc Mélenchon, a fait ses vœux ven-
dredi soir. Récit à retrouver samedi en ligne sur
Libé Marseille. Photo Patrick Gherdoussi

Isabelle Saporta, confusion chez les Verts


La journaliste, qui n’a osé fermer la porte par duire en erreur sur l’analyse.»
formait un duo avec crainte de sembler sectaire, La journaliste se lance avec le
Gaspard Gantzer ce transfuge de dernière mi- sourire et cogne sur tout ce
pour les municipales nute n’enchante pas tout le qui bouge : Benjamin Gri-
à Paris, devrait monde. Logique : Isabelle Sa- veaux, Anne Hidalgo et…
porta a toujours eu des rap- ­David Belliard.
finalement figurer
ports compliqués avec EE-LV. Certaines archives sur les ré-
sur une liste EE-LV. La journaliste est longtemps seaux sociaux remontent à la
Un choix qui fait restée dans l’ombre de Yan- surface aujourd’hui. Après
débat au sein des nick Jadot, dont elle partage une interview du candidat
écologistes et relance la vie. Une sorte de con- écologiste à Paris, elle tapote
la question épineuse seillère cachée, notamment sur Twitter : «Whaaaa ! An-
d’une alliance lors des dernières européen- ti-JO, anti-architecture, anti-
avec Cédric Villani. nes. En mai, le couple a offi- construction de logements !
cialisé sa liaison le soir du Vive le monde merveilleux et
Par scrutin, sous les flashs de passéiste de David Belliard.
Charlotte ­Paris Match. Une tête pen- Et bonjour l’arrogance.» Ha-
Belaich sante du parti explique : «Le sard ou pas, quelque temps
et Rachid Laïreche couple pense vraiment que no- après cette sortie, Jadot voit
tre beau score leur appartient, Belliard et se permet un petit

C’
est un nom qui pèse que si l’écologie devient de plus conseil : «Il faut arrêter d’être
peu mais qui sus- en plus centrale c’est grâce contre tout.» Une figure
cite un grand débat. à leur vision et leur stratégie d’EE-LV ne tient pas rigueur
Isabelle Saporta, qui s’était alors que c’est un combat plus à Saporta d’avoir la dent
lancée à l’assaut de la mairie profond qui rassemble tous les dure : «On ne va pas rendre les
de Paris en duo avec Gaspard militants et les adhérents.» coups et elle a le droit de ne
Gantzer (alliance créditée Le nom de Saporta s’est mis à pas nous aimer. On souhaite
de 1 % des intentions de vote) circuler cet été. Fraîchement rassembler tous les écolos
devrait finalement rejoindre désigné chef de file à Paris, et Isabelle, qui a une vision
une liste EE-LV. Son rallie- David Belliard est prêt à lui ­libérale, est une écolo. Elle
ment devait être offrir une place sait de quoi elle parle. C’est le
discuté ­vendredi La femme de choix dans la plus important.»
avec toutes les campagne. Elle Le cas Saporta ravive aussi,
têtes de liste et
du jour esquive. Isabelle une fois de plus, le débat sur
son ­atterrissage en deuxième Saporta n’a jamais été fan des les alliances. «On ne va pas
position dans le XIVe arron- membres de EE-LV, qu’elle détruire la dynamique pour
dissement ce samedi. «Ça décrit souvent comme des une personne qui pose plus
suscite des remous, c’est hu- «gauchistes» de l’ancien problème qu’autre chose»,
main, mais c’est compris», as- monde. Tous les dirigeants s’agace Jérôme Gleizes. «La
sure Anne Souyris, tête de en prennent pour leur grade. question, ce n’est pas “pour ou
liste EE-LV dans le XIIIe. Elle explique ­à Jadot que la contre Saporta” mais est-ce
prise de pouvoir se joue qu’on veut vraiment une coa-
«Centrale». La principale ailleurs. Que l’écologie politi- lition», résume Anne Souyris.
intéressée promet de son que ne pourra pas réaliser ses Les écolos, forts de leur per-
côté que rien n’est acté. Cer- rêves avec EE-LV. «Il faut ras- cée aux européennes, veulent
tes, David Belliard, le chef de sembler large, l’écologie ne être le centre de gravité de la
file vert, la voudrait, Cédric doit pas être de gauche mais prochaine majorité. Sur ce
Villani aussi, mais pour elle, centrale», explique-t-elle à point, ils sont tous d’accord.
c’est l’union ou rien. «Met- l’envi. Dans la bouche de Reste à choisir ses alliés.
tons fin à la guerre des egos», Yannick Jadot, cela donne un
a-t-elle tweeté cette semaine mouvement qui irait de Fran- «Minoritaire». C’est là que Isabelle Saporta à Paris, le 10 septembre. Photo Fred Kihn
pour expliquer son revire- çois Ruffin à Jean-Louis Bor- les choses se compliquent.
ment. Elle liste ceux qu’elle loo. Depuis 2001, les Verts pari- et immigration de Gérard 12 % aux 25 % de la maire sor- «Ce projet de coalition est une
aimerait voir faire campagne Fin août, Isabelle Saporta siens se lancent seuls mais re- ­Collomb, s’abstient sur le tante dans les sondages. Mais faute politique. C’est une
ensemble : «Villani, Belliard, ­annonce finalement son al- joignent le PS au second tour. traité de libre-échange Ceta d’autres considèrent que les ­majorité de façade pour pro-
du Simonnet, des hidalguistes liance avec Gaspard Gantzer, L’hypothèse d’une alliance et approuve la réforme des sujets de désaccord avec la pulser Belliard au premier
déçus…» Soit la «grande coa- l’ancien conseiller de Fran- avec Villani, avancée par ­retraites. Pas sûr, donc, que socialiste sont aussi impor- plan mais finalement, il
lition pour le climat» propo- çois Hollande, fondateur du ­Belliard, a donc fait l’effet «la position stratégique de Sa- tants qu’avec Villani. Hidalgo donne juste un brevet écolo
sée par Belliard en décembre. mouvement «Parisiennes, d’un petit tremblement de porta soit collectivement ac- représente pour eux la vieille à Villani», analyse l’insou-
«Je vais là où je peux œuvrer. Parisiens». Belliard tire la terre. Les écolos lui décernent ceptée», selon Gleizes : «Cela social-démocratie, quoique mise Danielle Simonnet, qui
Je suis allée voir les uns et les tronche. Jérôme Gleizes, quelques bons points – il a re- reflète un débat interne mais reverdie, alors qu’ils veulent a décliné l’invitation de David
autres pour qu’ils se parlent. conseiller de Paris EE-LV : «Je fusé l’alliance avec Griveaux sa ligne est assez minoritaire. s’extraire du clivage gauche- Belliard. Jérôme Gleizes
S’ils n’arrivent pas à s’enten- pense qu’elle a sincèrement et Bournazel et poursuit sa Il ne faut pas faire gagner droite pour placer l’écologie abonde : «Cédric Villani fait
dre, je retourne à mes bou- cru que Gantzer pouvait mue écolo – mais le compte ­Griveaux ou Dati. Normale- au centre. Dans le sens cen- un coup tactique en disant
quins», explique Isabelle Sa- émerger. Ce sont des gens qui n’y est pas. Car il y a le candi- ment, l’alliance gagnante, triste mais surtout central. qu’une alliance avec David
porta à Libération. sont un peu dans leur bulle dat Villani, qui disserte sur c’est avec Hidalgo.» Une alliance avec Villani au- Belliard est possible pour
Certains n’en seraient pas médiatico-politique, un peu l’environnement, et le député Une partie des écolos penche rait l’avantage de les faire sor- ­capter un électorat. On est
mécontents. Car si personne coupés du monde. Ça peut in- Villani, qui vote la loi asile donc pour additionner leurs tir de l’orbite du PS. leur roue de secours.» •
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Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020 u 15

CLUB ABONNÉS
LIBÉ.FR
RétroSports : Cartonnet,
des bassins aux eaux fan-
geuses de la collaboration
On l’a soupçonné d’avoir dénoncé son rival Alfred
­Nakache, déporté à Auschwitz. Rien n’est établi.
Ce qui est sûr, c’est que Jacques Cartonnet, record- Chaque semaine, participez
man du monde du 200 m brasse dans les années 30 au tirage au sort pour
s’est engagé dans la milice et faisait partie du der- bénéficier de nombreux
nier carré de collabos, à Sigmaringen. privilèges et invitations.

Festival : Sons d’hiver à Paris


deaux. La ministre a précisé et dans le Val-de-Marne
«La personne hospitalisée que le malade avait été placé La 29e édition de Sons d’hiver se tient
à Bordeaux est bien infectée dans une chambre isolée et jusqu’au 8 février. Découvrez le festi-
elle a ajouté : «Il va bien.» val qui fait la part belle aux croise-
par le coronavirus. […] Nous Buzyn a poursuivi avec une ments entre les genres. Le Brésil est à
l’honneur pour la clôture avec le duo
venons d’avoir la confirmation autre annonce : «Nous ve-
nons d’avoir une informa- du maître frappeur brésilien Cyro
d’un nouveau cas à Paris.» tion supplémentaire sur un Baptista et le pianiste Brian Marsella.
Letieres Leite, accompagné d’Orke-
autre cas à Paris.» Les résul-
tats des prélèvements, tom- stra Rumpilezz, orchestre redoutable
bés depuis «quelques minu- de 25 cuivres, enflammera la salle.
tes», étaient positifs. Le 5 × 2 places à gagner pour
Agnès patient est hospitalisé à ­le 8 février à 20 heures à la Maison
Buzyn l’hôpital Bichat. des arts de Créteil
ministre Ces deux cas marquent-ils le
de la Santé, début d’une propagation ?
AFP

vendredi soir Pour Buzyn, il est «probable»


que d’autres cas soient dé-
Lors d’un point presse au qui l’avait amené à passer tectés dans les jours à venir. Festival : Hors Pistes au centre
ministère à 20 heures, dans la ville de Wuhan. Dès Elle conseille aux voyageurs Pompidou
Agnès Buzyn a d’abord con- le lendemain, il avait res- revenant de Chine et présen-
firmé que le patient hospi- senti de premiers symptô- tant des symptômes d’appe- Pour sa 15e édition, du 24 janvier
talisé à Bordeaux depuis mes et avait alors consulté ler le 15 et de ne pas se rendre au 9 février, le festival Hors Pistes
jeudi était bien infecté par le SOS Médecins. Le praticien aux urgences. ­explore les images en mouvement
coronavirus. Agé de 48 ans, de ville l’avait orienté vers le
et rencontre celles et ceux qui en font
la matière de leur création, de leur
cet homme était revenu service des maladies infec- Lire les dernières informations
­pensée ou de leur écriture. Invités :
mardi d’un voyage en Chine tieuses du CHU de Bor- sur Libération.fr
David Simon, Paul B. Preciado…

10 × 2 places à gagner
Emprisonné, un ex-allié d’Ali
Bongo porte plainte en France Théâtre : «Massacre» à la Comédie-
La justice française vient goût de Noureddine Bongo, dans une cellule de 9m² avec Française
d’hériter d’un dossier sen­- fils d’Ali, autoproclamé ­«co- trois ­codétenus, mais sur- Massacre met en scène deux ­femmes,
sible, sur fond de «Françafri- ordinateur des ­affaires pré­- tout l’absence d’accès au D et H, contraintes de cohabiter dans
que» : une plainte contre X sidentielles». Fin 2019, Ali dossier fomenté par l’accu- un hôtel pendant une semaine. Ces
«pour détention arbitraire, Bongo, lors d’un aller-retour sation. Sur le papier, le droit deux femmes, que tout oppose, sont
violences volontaires et entre Londres et Libreville, gabonais est en avance sur le M SSACRE à une étape cruciale de leur vie : l’une
­menaces de mort» déposée décide qu’il serait temps droit français, les ­avocats de hésite à vendre l’affaire familiale pour
mercredi devant le doyen «d’intensifier la lutte contre la défense ayant théorique- Lluïsa Cunillé se construire un avenir ailleurs et l’au-
des ­juges d’instruction la corruption». Et de pro- ment le droit de le ­consulter 23 janv > Mise en scène Traduction Avec
tre doit apprendre à faire face à la
© Comédie-Française -Licences n°1-1081145 / n°2-1081140 / n°3-1081141 - Conception graphique c-album

Scénographie Laurent Gallardo Sylvia Bergé


8 mars Tommy Lumières Clotilde de Bayser

­solitude après son divorce…


Sarah Marcotte Nâzim Boudjenah

­parisiens par Brice Laccru- noncer dans la foulée une dès le placement en garde à Milliot Son
Adrien Kanter
Réservations
Dramaturgie
01 44 58 15 15
Sarah Cillaire
comedie-francaise.fr

che Alihanga, ex-directeur rafale de mutations et de vue. Trois mois et une mise
99 rue de Rivoli
Paris 1er

de cabinet du potentat ga- ­nominations au sein de la en examen plus tard, ils 5 × 2 places à gagner pour
bonais Ali Bongo. S’estimant justice locale. n’ont toujours rien. Entre le 7 février à 18 h 30
­maltraité à Libreville, il ap- Dix jours plus tard, Brice autres violations du code de
pelle la justice hexagonale Laccruche était embastillé, procédure pénal gabonais, la
au secours, au nom de sa mais aussi son frère Gré- plainte souligne l’explosion
double nationalité. gory, maire d’Akanda, ainsi du délai légal de garde à vue
Nommé en 2018 auprès qu’une vingtaine de compa- (dix jours au lieu de six). Elle
d’Ali Bongo, Brice Laccruche gnons de route affiliés à l’As- mentionne aussi des «mena- Cinéma : «Un jour si blanc»
a vu ses compétentes vite sociation des jeunes émer- ces de mort lors d’interroga- UN en salles mercredi
élargies après l’accident vas- gents volontaires créée par toires de nuit menés de ma- JOUR
En Islande, un commissaire de police
culaire cérébral, trois mois
plus tard, du président gabo-
Laccruche, poursuivis pour
­détournement de fonds
nière extrajudiciaire dans la
maison d’arrêt».
SI en congé soupçonne un homme du
nais. «Après cet AVC, Lac- ­p ublics – à hauteur de Le tandem d’avocats, si leur BLANC coin d’avoir eu une aventure avec sa
cruche a imposé ses ­hommes 30 milliards de francs CFA, plainte est acceptée, se pro- femme récemment morte dans un
aux ministères et adminis- soit 45 millions d’euros. met de formuler une pre- accident de voiture. Sa recherche de
trations stratégiques. Sur- Dont un ancien porte-parole mière demande d’acte en la vérité tourne à l’obsession. Celle-ci
tout, il a effectué une “tour- de la présidence gabonaise ­urgence : l’audition des plai-
s’intensifie et le mène inévitablement
à se mettre en danger, lui et ses
CRÉDITS NON CONTRACTUELS

née républicaine” au nom du sans la moindre compé- gnants par la justice fran-
­proches…
président malade, qui a mo- tence budgétaire. Ange Nzi- çaise, du fond de leur cel-
bilisé tout le gouvernement, gou, avocat du directeur de lule. Puis celle de quelques 5 × 2 places à gagner
l’administration et les entre- cabinet déchu, résume l’em- hiérarques de la magistra-
prises publiques. Ses détrac- brouille politique : «Brice a ture gabonaise, éventuelle-
teurs ont estimé qu’il prépa- proclamé la fin des Bongo. ment suivie d’un mandat
rait l’opinion publique à une Ce n’est pas passé…» d’arrêt international en cas
prise de pouvoir», raconte un Sur le plan pénal, sa plainte de refus de coopérer. Bar- Pour en profiter, rendez-vous sur : www.liberation.fr/club/
connaisseur de la poli­tique vise les conditions de déten- num «françafricain» garanti.
gabonaise. Ce ne fut pas du tion à la prison de Libreville, Renaud Lecadre

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16 u
france Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020

MARIAGE
Le swag
au doigt
Les tendances 2020 s’exposent ce week-end
lors d’un salon à Paris. Meringues, banquets
et châteaux sont passés de mode. Les futurs
mariés privilégient plutôt des noces
sans chichi, plus écolos et faites maison.

Par cost étudiées poste par poste, célébrités qui brisent les tra-
EMMANUèLE avec suppression du traiteur ditions et le partagent sur les
PEYRET et du lieu de réception, en réseaux».
faisant tout faire par les invi- Sachant que le mariage

L
e mariage, ce sacre- tés reçus princièrement dans se porte bien : «Plus de
ment, ce féerique jour le jardin. 227 000 noces ont été célébrées
de ta vie de jeune fille, Alors, à l’occasion du Salon en 2019, dont 15 % pour des
les festivités, la cérémonie, du mariage (1), qui existe de- raisons religieuses. Un nom-
les invités, tout ça… Du puis vingt ans et regroupe bre très stable sur les dix
moins, à en croire les blogs tous les acteurs de la profes- ­dernières années. Mais on se
qui pullulent sur la question sion, et en tant que spécia- marie plus tard, les femmes
et recommandent de s’y met- liste incontestée de la ques- sont en moyenne âgées de
tre un an, voire deux, à tion, on s’est penchée sur les 35 ans contre 38 ans pour
l’avance, histoire de ne pas se tendances mariage 2020. les hommes», poursuit le
louper. Une affaire sérieuse, L’événement est «hautement ­fondateur du salon (2). Revue
avec un budget moyen influencé par les réseaux so- de la hype mariage 2020,
de 11 000 euros (trois à quatre ciaux et en particulier Insta- poste par poste, avec ce cons-
fois moins que dans les pays gram depuis une dizaine tat indubitable : on était
anglo-saxons), sachant que le d’années», explique Sté- ultrapré­curseurs dans le low-
traiteur et le lieu de réception phane Seban, organisateur et cost ­bohémo-champêtro-Do Exit le repas interminable comme celui de Gervaise narré magnifiquement par Zola.
représentent les postes de créateur du salon. Les futurs It Yourself (DIY).
dépenses les plus impor- mariés, pointe-t-il, suivent
tants, soit 50 %. les tendances de mariage La Tenue ressert à chaque cérémonie Us Part» (jusqu’à ce que la la première rencontre. On
Nous avions décortiqué les people et «deviennent de Triste nouvelle, la robe me- de changement de Lune. Car mort nous sépare) : on inscrit note aussi une percée de la
sites et blogs mariages cette manière des clients ringue de féerique princesse la grande tendance au- un petit mot pour son futur robe sur mesure, de la tenue
en 2018 – faut-il le rappeler, beaucoup plus avertis et ar- court à sa perte. Notre épo- jourd’hui tient non pas tant époux, c’est trop petit cœur deux en un (jupon amovible
l’auteure de ses lignes a enfin rêtés dans la sélection des que instagramée réclame des à la robe en soi, mais se niche avec les doigts, une citation qui fera sensation au coque-
réussi à se faire épouser le services qu’ils attendent pour robes en apparence plus dans les détails, comme le qui nous touche (genre «je tèle mais qu’on ne met pas
jour de l’anniversaire de leur grand jour. Nombreux simples qui pourront être re- voile d’Hailey Baldwin, man- voudrais être une larme pour pour la mairie), du bohème
Johnny par son fiancé martyr sont ceux qui ont, par exem- portées plus tard : ainsi la nequin et jeune épouse du naître dans tes yeux, vivre chic, de la robe avec des per-
depuis vingt-deux ans, lors ple, opté pour un mariage à robe de fée druidique de vo- chanteur Justin Bieber, qui y sur tes joues, mourir sur tes les sur un tissu près du corps,
de noces parfaitement low- l’étranger, en s’inspirant des tre servante à 30 boules qui a fait coudre «Till Death Do lèvres»), ou encore la date de ou même de la robe de loca-
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Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 17

avec une coupe slim fit et


nœud papillon accordé aux
«Nombreux dépendent évidemment du-
dit budget : dragées, bougies,
mations : danseuses, humo-
ristes (seigneur !), magicien,
parce qu’après, c’est fi-ni de
rigoler). Pour autant, avec
couleurs des accessoires de sont les futurs bonbons ou joli sac décoré que sais-je encore, un cheva- l’âge moyen des mariés
la mariée. Et des matériaux de l’inscription «HM, lier des templiers pour croi- qui avance, la demande pour
comme le velours ou le jac-
époux qui ont 19 May, St George’s Chapel, ser le fer avec les invités en un nouveau type d’enterre-
quard. Non, mais le jac- opté pour Windsor Castle», rempli de tenue d’époque ? Oui, on l’a ment de vie de célibataires
quard, tu le crois, ça ? jolies choses pour les noces fait. Très bien vu aussi, est née. Et, nous apprennent
un mariage de Meghan et Harry, magnet, les petits ateliers : couronne les ­tendanceurs du Salon,
Les Bagues
Ah, le sketch à la bijouterie,
à l’étranger, badge, carte du château,
grande pièce en chocolat,
de fleurs, bar à tatouages
éphémères, peinture sur soie,
cette consternante nouvelle
de l’EVJC : l’enterrement
les heures passées à étudier en s’inspirant bon de réduction à la bouti- n’importe quoi pour les oc- de vie de jeune couple. Au-
les catalogues d’or blanc, de que du château de Windsor. cuper, quoi. trement dit, une fête géante
platine, d’or jaune – la ten-
des célébrités Revendus à prix royal sur ou un voyage regroupant
dance de cette année. qui brisent eBay dès le lendemain, pa- L’Enterrement tous les amis proches et bien
Comme l’offre n’a jamais été raît-il. de vie de jeune sûr les futurs mariés. Mais
aussi variée et personnalisa- les traditions fille et de jeune ça ne s’appelle pas un ma-
ble, l’une des orientations
nettes des mariages actuels
et partagent ça La Durée
des festivités Cette belle tradition du
garçon riage, ça ? •

est d’aller ensemble choisir sur les On peut partir sur un simple XVIIIe siècle rencontre tou- (1) Les 25 et 26 janvier à la Porte de
les alliances ou l’anneau de déjeuner entre intimes ou jours un franc succès en
fiançailles, histoire de ne pas
réseaux.» ­aller fêter ça à Saint-Barth, au France. Rappel des faits : en-
Versailles. 300 exposants et
40 000 visiteurs attendus. Info
être déçus. Ça casse un peu le Stéphane Seban hasard, pour une semaine : tourés de leurs témoins, les plus : il suffit de télécharger son
côté genou à terre avec l’écrin créateur du Salon l’idée, c’est le mariage le plus futurs mariés célèbrent leurs entrée gratuitement en allant sur
en velours tenu par Hugh perso possible. On compte derniers jours en tant que lesitedumariage.com.
Grant mais on vit une époque 2 % du budget total pour ­célibataires en allant se bour-
pragmatique, alors il vaut est délaissé. Fini le foutu châ- égayer les gens et, les festivi- rer la gueule ou dans un bar (2) En 2018, 235 000 mariages
mieux faire les essayages en teau en banlieue ou en Nor- tés, ce n’est plus du tout Ro- à strip-teaseuses ou dans ont été célébrés (contre 228 000
couple. «Une nouvelle expé- mandie où tu restes coincé ger et son orchestre avec le un bar à strip-teaseurs (il y en 2017). Parmi eux, 6 000 con-
rience symbolique que de con- tout le week-end, les futurs bal sous la boule à facettes a des variantes mais c’est cernaient des couples de même
cevoir ces anneaux ensemble mariés cherchent des lieux mais des spectacles, des ani- l’idée, chacun de son côté sexe. Source : Insee.
à l’image du couple», selon uniques qu’ils pourront dé-
l’organisateur du salon… 5 % corer à leur image : lieux «ori-
du budget quand même, c’est ginaux», belles vues, ton pro-
énorme pour deux bagouses. pre jardin, voire, assez hype

jeudi 30 janvier
aussi, le chalet vosgien – il
Le repas semblerait que les mariages
Exit le repas interminable d’hiver avec ambiance ra-
comme celui de Gervaise clette et feu de bois séduisent

LIBÉ TOUT EN
narré magnifiquement par de plus en plus. En robe de
Zola. On garde l’idée de la dentelle et petits escarpins,
grande tablée ultrachaleu- on le sent moyen dans la
reuse, avec priorités écologi- neige par -5 °C mais les créa-
ques de saison comme les teurs proposent de plus en
produits locaux, et on gas- plus aux mariées gilets, cara-
pille moins, et on évite le cos, blazers, en jean, en cuir
plastique pour réduire l’im- ou en maille. Côté déco, où
pact environnemental du que ça se passe, on veut du
mariage. Avec ça, on constate sobre et du simple, avec ac-
évidemment une augmenta- cent sur les compositions flo-
tion des menus végétariens, rales, mais attention, de la
vegan, sans produits laitiers, fleur de saison, de la fleur
particulièrement depuis ces cultivée locale ou sauvage,
deux dernières années. Ten- que les invités remporteront
dance aussi, le «viens avec ton avec eux en souvenir et pour
plat» (c’est très décroissant et pas gâcher. Du bois, de l’au-
on n’a rien à faire, surtout), thentique, fini les paillettes
les foodtrucks de location, les et le bling. Sauf si on veut
bars à (fromages, crustacés, faire soirée déca­lée Travolta.
donuts, etc.). On l’a dit, la ré-
ception, c’est près de 50 % du Les cadeaux
budget, c’est dire que le DIY De plus en plus tendance, les
réduit sensiblement la fac- futurs mariés ajouteraient à
ture. On n’a pas d’infos sur la leur liste de cadeaux de ma-
Photo Maud Chalard tendance cubi nuptial, mais riage classique (pinces à es- V1

on peut avancer que les vins cargots, friteuse, etc.) la pos- • 1,60 EURO. PREMIÈRE ÉDITION NO9866

POSTER COLLECTOR:
RUPPERT ET MULOT
JEUDI 31 JANVIER 2013 WWW.LIBERATION.FR 2,00 € Première édition. No 11404

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Chris Ware, Ludovic Debeurme, Lisa Mandel, Hugues Micol, JC Menu, Jeremy Perrodeau,
Bastien Vivès, Marcos Martin, Atsushi Kaneko… s’emparent de l’actu du jour
JEUDI 25 JANVIER 2018 www.liberation.fr

J E U D I 2 6 J A N V I E R

Aujourd’hui Libé tout en BD


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à l’occasion
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Aujourd’hui Libé tout en BD


E D I T I O N N ° 7 0 5 9 • W W W . L I B E R A T I O N . F R

bios, naturels, les «petipro- sibilité pour leurs invités


du 35e Festival
d’Angoulême.
Lorenzo Mattotti. Né en 1954. Dernier album paru : Le signor Spartaco­Doctor Nefasto­Labyrinthe (Casterman).

Social
Fonctionnaires
en grève
PAGE 14

tion so décroissante so écolo. ducteurloco» vont faire une de faire des dons aux asso­-
À L’OCCASION Gaza Service minimum
Chris Ware. Dernier livre paru : Monography (Rizzoli) REMERCIEMENTS À LA GALERIE MARTEL

Livres
DU FESTIVAL La fuite
D’ANGOULÊME en
Egypte
Adieu les
planches
La droite
LIBÉ
PAGE 9 CAHIER CENTRAL

à fond
MINETARÔ MOCHIZUKI POUR «LIBÉRATION» (LIRE AUSSI PAGE 31)

Avec 11 % du budget, il faut grosse percée dans le ton- ciations caritatives de leur TOUT
Fiction :
ce que sera la France
de train
Pétillon. Né en 1945. Dernier album paru: Super catho avec Florence Cestac (Dargaud).

dans dix ans

EN BD
Page 2

Si on
Charles Burns. Né en 1955. Dernier album paru, Black Hole (Pantheon).

Un ministre
saute en marche
applique
que ça se voie et que ça soit neau. choix. Jamais vu personnel-
Page 16
V1
n LES NOUVEAUX

COW-BOYS
DE L’ESPACE
n JEREMSTARGATE :
FIL
ENSABLON

4 PAGE
le rapport
3:HIKKLD=ZUVWUW:?k@b@m@e@a;

Attali…
S

original parce que ça va être lement mais pourquoi pas ?


DES ADOS PRIS
3:HIKKLD=ZUVWUW:?a@b@m@g@k;

DANS LA TOILE ?
M 00135 - 124 - F: 1,20 E
M 00135 - 126 - F: 1,20 E

n FLEURY-MÉROGIS José Muñoz.

À L’ARRÊT PAGE 2 Né en 1942.


Dernier album paru :
«Carlos Gardel»
(Futuropolis).

IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,00 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,60 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,00 £,
Grèce 2,90 €, Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 2,00 €, Maroc 20 Dh, Norvège 30 Kr, Pays-Bas 2,50 €, Portugal (cont.) 2,70 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 3,00 DT, Zone CFA 2 300 CFA. Spécial Angoulême : les petits éditeurs sont devenus grands cahier central IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,00 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,60 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,00 £,
Grèce 2,90 €, Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 2,00 €, Maroc 20 Dh, Norvège 30 Kr, Pays-Bas 2,50 €, Portugal (cont.) 2,70 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 3,00 DT, Zone CFA 2 300 CFA.
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EN PAGES CENTRALES, LE MINI-RÉCIT DE AU CINÉMA LE 13 FÉVRIER

Le lieu
IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,30 €, Andorre 1,60 €, Autriche 2,80 €, Belgique 1,70 €, Canada 4,50 $, Danemark 27 Kr, DOM 2,40 €, Espagne 2,30 €, Etats­Unis 5 $, Finlande 2,70 €, Grande­Bretagne 1,80 £, Grèce 2,70 €,
Irlande 2,40 €, Israël 20 ILS, Italie 2,30 €, Luxembourg 1,70 €, Maroc 17 Dh, Norvège 27 Kr, Pays­Bas 2,30 €, Portugal (cont.) 2,40 €, Slovénie 2,70 €, Suède 24 Kr, Suisse 3,20 FS, TOM 420 CFP, Tunisie 2,40 DT, Zone CFA 2 000CFA. IMPRIMÉ EN FRANCE /PRINTED IN FRANCE Antilles, Réunion, Guyane 1,80 ¤, Allemagne 1,80 ¤, Autriche 2,30 ¤, Belgique 1,20 ¤, Cameroun 1200 CFA, Canada $ 3,25, Côte-d’Ivoire 1200 CFA, Danemark 17 Kr, Espagne 1,80 ¤, Etats-Unis 3 $, Finlande 2,40 ¤,
Gabon 1200 CFA, Grande-Bretagne 1,20 £, Grèce 1,80 ¤, Irlande 2 ¤, Israël 13 NIS, Italie 1,80 ¤, Luxembourg 1,20 ¤, Maroc 12 Dh, Norvège 22 Kr, Pays-Bas 1,80 ¤, Portugal continental 1,80 ¤, Sénégal 1200 CFA, Suède 22 Kr, Suisse 2,5 F, Tunisie 1,6 DT. IMPRIMÉ EN FRANCE /PRINTED IN FRANCE Antilles, Réunion, Guyane 1,60 ¤, Allemagne 1,80 ¤, Autriche 2,30 ¤, Belgique 1,20 ¤, Cameroun 1100 CFA, Canada $ 3,25, Côte-d’Ivoire 1100 CFA, Danemark 16 Kr, Espagne 1,70 ¤, Etats-Unis $ 3 (New York $ 2,50),
IMPRIMÉ EN FRANCE /PRINTED IN FRANCE Allemagne 2 €, Autriche 2,30 €, Belgique 1,40 €, Canada 3,50 $, Danemark 17 Kr, DOM 2 €, Espagne 2 €, Etats-Unis 4 $, Finlande 2,40 €, Grande-Bretagne 1,30 £, Grèce 2,10 €,

vu : 38 % des futures mariées 7 % du budget sont consacrés


Finlande 2,30 ¤, Gabon 1100 CFA, Grande-Bretagne 1,20 £, Grèce 1,70 ¤, Irlande 2 ¤, Israël 12 NIS, Italie 1,70 ¤, Luxembourg 1,20 ¤, Maroc 12 Dh, Norvège 22 Kr, Pays-Bas 1,80 ¤, Portugal continental 1,70 ¤, Sénégal 1100 CFA, Suède 22 Kr, Suisse 2,5 F.
Irlande 2,25 €, Israël 18 ILS, Italie 2 €, Luxembourg 1,40 €, Maroc 15 Dh, Norvège 22 Kr, Pays-Bas 2 €, Portugal (cont.) 2,10 €, Slovénie 2,50 €, Suède 22 Kr, Suisse 2,70 FS, TOM 390 CFP, Tunisie 1700 DT, Zone CFA 1 500 CFA.

posteront les photos de leurs Pareil que pour la meringue à la lune de miel, donc sui-

NumérO SPéCIAL
noces sur les réseaux so- formatée accompagnée de vant le budget c’est le Cam-
ciaux. Le hic, c’est le marié, son pingouin en noir : pour panile d’Arpajon ou un petit
qui opte de plus en plus pour avoir le mariage le plus insta- mois à Aspen. Rayon ca-
des costumes sur mesure gramable possible, le tradi deaux, ceux faits aux invités
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18 u Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020

Idées/
Robin des bois
«Le trafic d’espèces
menacées génère
des profits énormes
sans les risques
du trafic de drogue»
Eléphants, girafes, vigognes, ânes… plus les
espèces sont menacées plus la violence, la
spéculation – certains trafiquants stockent
des cornes de rhinocéros dans l’attente de leur
extinction totale – et le trafic sont importants,
explique Charlotte Nithart, dont l’association
de lutte contre les pollutions publie un atlas
répertoriant l’ampleur de ce «business».
Un outil pédagogique et citoyen pour
comprendre ce capitalisme de l’extinction.
DR

Recueilli par les Robin des bois organisent tendent la disparition totale de cet ver ou d’été, afin d’en extraire une coup de matières animales trafi-
Catherine Calvet en 1991, une conférence de presse animal pour les vendre le plus cher gélatine, l’ejiao, réputée pour ses quées, est censée augmenter la viri-
Illustration avec le philosophe Peter Singer, qui possible. Le prix actuel évolue en- propriétés en médecine tradition- lité, la beauté des femmes, l’ardeur
Maïté Grandjouan n’était pas aussi connu qu’au- tre 25 000 et 50 000 dollars le kilo. nelle chinoise. Cette pratique très au travail… Beaucoup de pays afri-
jourd’hui. Leurs principaux objec- Ces businessmen utilisent tous les ancienne était tombée en désué- cains connaissent aujourd’hui une

B
ien avant que l’Australie ne se tifs sont de mener des investiga- outils possibles du capitalisme, de tude quand des businessmen l’ont pénurie d’ânes. Ils veulent protéger
consume en un interminable tions, des actions de protestation et, la publicité ou de la promotion sur relancée avec des campagnes de pu- ces animaux du commerce interna-
incendie, le koala, véritable quand c’est possible, de proposer les marchés ou les réseaux sociaux blicité massives. Il y a d’abord eu un tional, comme les rhinocéros, car la
peluche qui a tout pour faire la une des solutions alternatives. Une pour vendre les pouvoirs «de guéri- rush sur les ânes asiatiques à tel disparition des ânes déstabilise tout
des médias, était déjà une figure ­autre partie de leur action est leur son du sida» de la moelle des os de point que les industriels se sont le tissu social.
emblématique de la protection des participation à titre consultatif à girafe par exemple. plaints d’un risque de pénurie Est-ce que paradoxalement les
animaux en voie de disparition. des instances internationales ou Plus les prix sont élevés, plus ce d’ânes ! Les trafiquants se sont donc mesures de protection ne finis-
D’autres animaux menacés n’ont gouvernementales. Ainsi, Robin des capitalisme devient sauvage ? tournés vers l’Afrique. Certains pays sent pas par aggraver la condi-
pas la chance de mobiliser une bois collabore depuis 1989 aux dif- Par le passé, la laine de vigogne était y ont vu une perspective économi- tion de ces animaux, en les dési-
sympathie si mondiale. Et surtout, férentes réunions de la Convention prélevée de façon traditionnelle que intéressante et ont lancé une gnant comme objets d’un trafic
comme si le changement climati- sur le commerce international des dans certaines communautés andi- exportation de peaux d’ânes. Le juteux ?
que ne suffisait pas à leur perte, ils espèces de faune et de flore sauva- nes lors de captures réalisées tous Burkina Faso exportait 1 000 peaux Ce serait bien pire sans ces mesures,
sont aussi l’objet de trafics qui génè- ges menacées d’extinction (Cites). les quatre ans (les animaux étaient au premier trimestre 2015 puis ce qui fait leur prix n’est pas l’inter-
rent des milliards de dollars tous Pourquoi évoquez-vous dans relâchés après la tonte). Au- 65 000 au premier semestre 2016 ! diction de les chasser, mais leur
les ans. Un Atlas du business des es- cet atlas un «capitalisme de jourd’hui, le rythme des captures Le pays a par la suite décidé d’inter- ­disparition progressive et leur ra-
pèces menacées (Arthaud) permet ­l’extinction» ? s’est intensifié et la tonte excessive dire les exportations de peaux reté effective. Sans la convention
de comprendre ce capitalisme de Car c’est un vrai système économi- expose les vigognes au froid de l’hi- d’ânes. Comme les paysans afri- Cites, beaucoup d’espèces auraient
l’extinction. Plus les animaux sont que. Plus les animaux sont mena- ver et à la mort. Les braconniers cains ont un grand besoin de leur disparu depuis longtemps. Le vrai
menacés plus la spéculation sur cés, plus leur trafic rapporte des profitent du business légal pour âne et que certains ne voulaient pas problème réside dans le manque de
leur trafic est importante. Les au- sommes hallucinantes, nous par- écouler sur le marché de la laine les vendre, il y a eu des vols d’ânes moyens réels pour assurer la pro-
teurs de l’ouvrage sont les membres lons de milliards de dollars par an. ­obtenue après abattage et écor- dans les villages, quand ce n’était tection de ces animaux. Il faut pou-
de Robin des bois, une association Plus les animaux sont rares, plus ils chage des vigognes. pas des razzias. voir surveiller le territoire mais
créée en 1985. Sa particularité est sont chassés. Une véritable spécula- On en parle beaucoup moins mais Les Chinois, qui ont établi en Afri- aussi les ports, les aéroports… Les
d’être généraliste, elle ne porte pas tion s’organise, comme sur n’im- il existe aussi un trafic d’ânes. Une que tout un maillage commercial, mesures de protection ne peuvent
que sur la protection des animaux, porte quel autre produit, par exem- fois de plus le cycle est le même : au aspirent ce trafic, les peaux sont rien contre la cruauté qui est mise
mais plus globalement sur celle de ple des cornes de rhinocéros sont début, il s’agissait d’une pratique ainsi envoyées en Chine où on les en œuvre lors de ces trafics. Il existe
l’humanité et de son environne- stockées dans des coffres-forts en ancestrale, on faisait bouillir des fera bouillir pour en extraire cette aussi des inégalités, un parc naturel
ment. Antispécistes avant l’heure, Afrique du Sud, les propriétaires at- peaux d’ânes lors des solstices d’hi- fameuse gélatine qui, comme beau- en Afrique n’a pas les ­mêmes
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sommes douze personnes à tra-


vailler sur cette publication. Nous
disposons de près de 700 sources
d’information, les douanes, les mi-
nistères, les rangers, les mouve-
ments écologiques, des ouvrages
scientifiques… On recoupe toutes
les informations. Chaque trimestre
nous découvrons de nouvelles ruses
de la part des trafiquants. Ils imagi-
nent toujours de nouvelles plan-
ques, comme cacher des cornes de
rhinocéros dans des têtes de ho-
mard ou, en Chine il y a quelques
jours, les douanes ont saisi un pa-
quet de ­sucettes dont certaines
n’étaient pas en sucre mais en ivoire.
En plus des filières traditionnelles
comme la «filière tailleurs» – tout est
caché dans des doublures de vête-
ments coupés sur mesure –, ils font
preuve d’une créativité toujours re-
nouvelée, des écailles de pangolins
dans de faux réservoirs de voitures,
ou même dans des cercueils.
La criminalisation du trafic
rend-elle la protection sur le
­terrain plus dangereuse ?
C’est l’un des aspects de cette vérita-
ble guerre. C’est d’ailleurs reconnu
par les Nations unies depuis une di-
zaine d’années. Ce trafic favorise la
circulation des armes, la pénétra-
tion de certains territoires jusque-là
épargnés par des réseaux criminels
internationaux. De simples gardes
forestiers ne seront pas équipés
pour faire face à cette violence. C’est
aussi une manière de se financer
pour certains groupes terroristes ou
pour certaines guérillas. On parlait
déjà «d’ivoire kaki» en Angola dans
moyens qu’un parc naturel aux Ce trafic utilise-t-il souvent les des sanctions entre les pays est porte-conteneurs pour trafic d’espèces les années 70. La lutte contre le tra-
Etats-Unis. mêmes réseaux que celui de la ­impressionnante. Il n’y a pas long- menacées, il n’existe pas de caution fic d’espèces menacées doit être pri-
La Cites a quand même donné drogue ? temps une saisie d’ivoire et ou de sanctions financières dissua- oritaire, car elle permet également
des résultats ? Il faut distinguer le braconnage de d’écailles de pangolins de plus sives, seulement quelques engage- de lutter contre une extension de la
Oui, mais c’est une instance inter- la contrebande. Le braconnage est de 2 millions et demi d’euros a été ments où les transporteurs promet- violence qui peut faire basculer une
nationale. Tout dépend des accords souvent opéré par ceux qui sont sur faite en Ouganda, les deux trafi- tent de ne pas recommencer en région dans une pauvreté et une ins-
obtenus entre les différents gouver- le terrain et le connaissent bien. quants vietnamiens, qui n’étaient signant une charte… tabilité difficilement réversibles. •
nements. Ce sont des négociations Ils sont recrutés sur place, ce sont que des intermédiaires, ont été relâ- Cet atlas est une démarche péda-
politiques. Il existe aussi une diplo- des personnalités bien installées chés après le versement d’une cau- gogique, tout comme la publica- (1) Robindesbois.org
matie de la protection animale. Cer- comme des maires de village, ou des tion de 3 500 euros ! tion de votre bulletin trimes-
taines espèces sont d’ailleurs sacri- gens qui ont déjà un emploi et pour Quel est le moyen de trafic le triel ?
fiées à cette diplomatie car elles qui c’est un revenu supplémentaire. plus utilisé ? En 1989, Robin des bois est entré
engendrent des profits économi- Des opportunistes vont aussi consti- C’est le conteneur incontestable- dans un réseau international d’ONG
ques immédiats auxquels un pays tuer une «start-up» de contrebande ment, par voie aérienne mais luttant contre le trafic des espèces
ne veut ou ne peut parfois pas re- et de revente. On trouve aussi la par- ­surtout maritime. C’est aussi la plus menacées : le Species Survival Net-
noncer. Il ne s’agit pas forcément de ticipation de grands réseaux crimi- grande faille dans les contrôles. Plus work (SSN) qui regroupe plus
pays en voie de développement. Par nels, qui possèdent déjà une logisti- de 200 millions de conteneurs tran- de 90 ONG à travers le monde. Nous
exemple l’Afrique du Sud, qui est un que internationale et n’ont rien sitent dans le monde chaque année. sommes en contact avec eux en per-
des pays les plus riches d’Afrique, contre la diversification. Dans de Dans les grands ports, notamment manence, d’où une documentation
parvient à obtenir des accords avec plus en plus de saisies, on va tomber chinois, le contrôle de chaque con- et une capacité d’enquête considé-
l’Union européenne, on l’a vu à la fois sur de la cocaïne et des aile- teneur est impossible ! Ce sont un rable. Dès 2013, au retour de la Cites,
quand le commerce international rons de requin ou des amphétami- peu les nouvelles mégavalises di- nous avons ressenti le besoin de pu-
de l’ivoire a été de nouveau autorisé nes et des écailles de pangolins. Ces plomatiques : il est très ­difficile blier des synthèses périodiques. Le
au Zimbabwe en 1997. La voix d’un réseaux ont bien compris qu’avec les d’obtenir des informations sur ce goutte-à-goutte de 15 ou 30 mails
pays riche est toujours plus écoutée espèces menacées on pouvait faire qu’ils transportent. Il faut disposer d’alerte par jour ne suffisait plus
internationalement, même par des profits très importants, mais en de moyens d’investigation impor- et était même contre-productif.
l’Union européenne qui, lors de la prenant beaucoup moins de risques tants en amont pour savoir lesquels Comme si ces exactions et autres Atlas du business des
dernière Cites, s’est opposée à la ré- financiers et pénaux qu’avec la dro- seront ciblés. Il faut également que mauvaises nouvelles étaient banali- espèces menacées,
inscription de tous les éléphants gue. Ces trafics sont également les différentes autorités échangent sées. Nous avons donc commencé à braconnage, cruauté,
d’Afrique à l’annexe 1 (c’est l’éche- beaucoup moins ciblés par les doua- leurs informations, ce qui n’est pas publier A la trace (On the Trail, en contrebande…
lon de protection maximale) qui nes. Quand un trafiquant se fait toujours le cas. Contrairement à ce anglais) un bulletin qui paraît tous par l’association
était pourtant soutenue par 32 pays prendre, il n’aura parfois que la qui se passe pour le trafic de drogue, les trois mois (1). C’est une veille Robin des Bois,
africains et la Chine. perte sèche de la saisie. La disparité il n’y a pas encore eu de ­saisie des mondiale et quotidienne. Nous 152 pp., 19,50 €.
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20 u Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020

Idées/ attentionnées et délicates ? Notre Street tombera un jour à terre, em-


Résidence sur la terre appréhension du pays diffère tant On arrive dans portant avec elle la chambre de
de la sienne que cela en deviendra
vite comique. Tout exaspère Bou-
un patio intérieur. Bouvier et ses maléfices. L’enfer
s’est définitivement refermé sur
vier, mais peut-être est-ce surtout Je lui demande lui-même.
la dépression et la maladie qui par-
lent. La plongée qu’il décrit est in-
si nous pouvons Alors que je pense l’occasion défi-
nitivement passée, une petite
térieure, si épaisse et profonde voir la chambre où porte s’ouvre quelques mètres plus
Par qu’elle bouleversera son existence, loin, dans Pedlar Street, qui fut «la
Pierre ducrozet jusqu’au jour où il parviendra en- dormait Bouvier. plus belle et la plus folle [rue] de [sa]
fin à l’écrire et ainsi s’en défaire
comme d’un sortilège. Il ne se
Elle me montre futile existence». Une vieille
femme en sort. Je m’approche, elle
­sortira du piège que de justesse, l’escalier sur le côté. m’invite à rentrer. Et brusquement
Je ne retrouve rien comme par un ultime sursaut, par-
venant à monter à bord d’un pa-
On ne peut pas l’odeur du temps m’envahit – en
l’occurrence de chien humide et de

Suite des chroniques sri-lankaises sur les traces


quebot vers le Japon, où il renaîtra. monter à l’étage, la mort qui rôde. Les murs antédi-
Seule l’auberge du 22, Hospital luviens s’effritent. Son mari est as-
d’un voyageur au long cours qui y vécut l’enfer : Street est toujours là. La large bâ- il tombe en ruine. sis là, immobile. Il est tout au bout
Nicolas Bouvier. tisse, au toit en tuiles, est tenue par de la vie. Je m’assois en face de lui.
trois colonnes qui flanchent sous le fait signe de rentrer. On arrive dans Il parvient à peine à chevroter
poids des jours. Fazal, la mémoire un patio modeste avec une table, quelques mots. Il n’a pas connu le

C’
est dans cette même ville ­ ujourd’hui un fort propret ar-
a de Galle, me dissuade de frapper à des chaises, quelques plantes. Je voyageur dont je lui parle, me
de Galle, dont j’essayais la penté par les pas lourds des touris- la porte : l’homme qui y vit a à moi- lui demande si nous pouvons voir dit-il, mais il a traversé l’autre moi-
dernière fois d’effeuiller tes russes et chinois baguenaudant tié perdu la tête, il nous la fermera la chambre où dormait Bouvier. tié du siècle. Il était le bibliothé-
les couches d’histoire, que débar- de joailleries en terrasse dans des au nez. Il avait 3 ans lorsque son Elle me montre l’escalier sur le caire de la ville, celui que Bouvier
que un jour de mars 1955 un mys- soupirs d’aise. Les bâtisses colo- père accueillit le mystérieux voya- côté, qui s’effondre. On ne peut pas eût tant aimé avoir à ses côtés.
térieux voyageur au visage émacié, niales ont été rénovées, elles geur helvète, il en a 67 aujourd’hui. monter à l’étage, dit-elle, il tombe J’écoute cet homme aux longues
au regard las. Il est suisse et il vient brillent dorénavant dans la lu- Mais je voudrais voir la chambre en ruine. Le toit vous tomberait sur jambes décharnées me parler du
de traverser l’Europe, la Turquie, mière orangée du soir. Le monde des apparitions, alors je tourne au- la tête. Et on ne peut pas faire de monde englouti. Je ferme les yeux
l’Iran, l’Afghanistan, le Pakistan et de Bouvier a disparu, mais a-t-il tour. Une jeune femme en sort. Fa- travaux, dit-elle, c’est trop cher. et inspire. Le temps s’est ouvert
l’Inde à bord d’une Fiat Topolino, seulement existé ? A relire le zal attrape l’édition Folio du Pois- Quand, triste ironie, des milliers de brusquement, et je suis dedans. •
qu’il a dû, à son grand regret, ven- ­tableau si dur qu’il peint des Sri- son-scorpion, insecte jaune en capitaux internationaux sont in-
dre pour prendre le bateau jusqu’à Lankais, on peine à le croire. couverture, et s’approche. Après vestis chaque mois dans les rues Cette chronique paraît en alternance avec
Ceylan. Il retrouve à Galle son ami A-t-on jamais vu personnes aussi quelques échanges, la femme nous adjacentes. L’auberge d’Hospital celle de Paul B. Preciado, «Interzone».
Thierry Vernet, avec qui il a entre-
pris ce grand voyage (jusqu’au
­Pakistan), et sa femme Floristella.
Il s’installe dans leur auberge du manent ? En profite-t-on pour ­ uelconques roupies ? On ima-
q
22, Hospital Street, qu’eux-mêmes
quitteront bientôt pour rentrer en
Si j’ai bien compris… régler des comptes ? Y a-t-il des
batailles de polochon dans les
gine un dessin montrant un
­intellectuel quittant Davos sans
Europe. Nicolas Bouvier, lui, y res- couloirs ou des lits en porte- s’être enrichi du moindre délit
tera neuf mois. Ce qu’il imaginait feuille bien garni ? Certains dé- d’initié, avec une valise ne
comme une pause enchantée pour barquent-ils incognito, avec des ­contenant que des vêtements, et
se ramasser et commencer à masques ? Y a-t-il des faux ri- redevenant une citrouille un peu
­raconter son périple s’avère une ches, des infiltrés, des riches de amère à minuit, à la fin du bal,
descente aux enfers. Sous les vents Par paille ? Doit-on planquer les cou- incapable de faire ruisseler le
conjoints des tropiques et d’une Mathieu Lindon verts ? Des actions changent-el- ­savoir devenir riche. Et un intel-
ville maudite, des maladies, de la les de main ? Y a-t-il des tables de lectuel de gauche sortant la
fatigue et des hallucinations, il en ­poker ou de roulette, des partici- ­conscience tranquille du som-
perdra presque la raison. Devenu pants étant des experts dans leur met suisse, devoir accompli, et
écrivain (sans doute ici même,
dans cet arrachement à soi qu’il y
Davos, un bain domaine ? Certains quittent-ils
la station une main devant une
disant à la planète attendant la
bonne parole experte : «Ça y est.
expérimenta), Bouvier tirera du
voyage au bout de sa nuit, vingt- de riches main derrière ? Parie-t-on sur
ceux qui ne seront pas là l’année
Cette fois c’est bon, je crois qu’ils
ont compris.»
sept ans plus tard, un livre démo- prochaine ? Joue-t-on à la Invite-t-on le gagnant du
niaque et sublime : le Poisson-scor- Ah, l’air pur du billet vert, le doux parfum ­roulette russe avec le gaz de ­super-loto pour qu’il explique les
pion. Ce court récit, l’un des plus de ce qui n’a pas d’odeur, le moelleux l’Ukraine ? raisons de son succès ? «Voilà,
fulgurants de la littérature en lan- C’est compliqué de faire un dis- j’ai choisi le 3 parce que mon
gue française, je l’ai tellement lu et
de l’oseille, le beurre qui ruisselle bien cours à Davos, on est toujours ­studio est au troisième étage.
relu que me voici ici, en 2020, guet- au-delà des épinards. entre deux eaux. Il est difficile, Le 21 parce que c’est là où habite
tant les ombres projetées par le en tant que principal décideur, l’assassin. Le 33 à cause de ma

S
voyageur au long cours sur les i j’ai bien compris, le fa- centime dans la rue et ceux qui de dire : «C’est une catastrophe, ­visite chez le docteur. Le 39,
murs de Galle. Or – mais il fallait meux forum de Davos, ont été élevés dans la perspec- on n’y arrive pas du tout, on est parce que les 39 coups de minuit.
s’y attendre – je ne retrouve rien. c’est, comme on nous tive de l’héritage ? Est-ce qu’il y de plus en plus riches, ils sont de Quant aux autres chiffres, je pré-
Ni l’horreur poisseuse, ni les visa- ­explique tous les ans, un club a des prostitués de tous sexes, plus en plus pauvres.» Et c’est fère garder pour moi les mobiles,
ges effrayants, ni l’enfermement, d’ultra-riches et d’ultra-patrons, tous âges et toutes origines à dis- délicat aussi de prétendre : «Ça un magicien ne révèle pas ses se-
tout ce qui, à chaque lecture, vous des riches au carré. Mais position, car tous les goûts sont va aller mieux l’an prochain, on crets, surtout quand ils touchent
serre la gorge et vous emplit. J’ai c’est quoi, un club de riches ? dans la nature des riches ? Circu- va faire péter les dividendes.» à sa vie privée.» Si j’ai bien com-
beau arpenter la ville en tous sens, Qu’est-ce qu’on y fait, dans ces le-t-il des médicaments particu- Quant à ceux qui ne sont pas pris, à Davos, c’est un peu comme
je ne sens que la douceur des Alpes suisses, à part se gaver de liers ? Tire-t-on les rois ? Y a-t-il ­invités en tant qu’ultra-riches en prison : c’est une question
­palmes sur ma tête. Certes, soixan- coucous et de chocolats ? Est-ce des gages ? Est-ce qu’on s’amuse ? mais en tant que penseurs ou as- d’étiquette, on ne demande à
te-cinq ans ont passé, un monde qu’on s’échange de bons tuyaux ? On mange bien ou tout le monde similés, repartent-ils rassurés, personne ce qui lui vaut d’être là
en a remplacé un autre, et en lieu Est-ce qu’on se raconte des bla- est au régime ? Certains ont-ils avec le sentiment d’avoir été – ça pourrait être gênant. •
et place de l’étriquée bourgade du gues de pauvres ? Y a-t-il des des goûteurs ? Est-on en uni- ­entendus, ou en tout cas celui de
bout du monde, rongée par la clans : ceux qui ont commencé forme – peignoir pour tout le ne pas avoir perdu son temps qui Prochain «Si j’ai bien compris…»
­chaleur et l’oisiveté, Galle est en ramassant une pièce d’un monde vu que c’est sauna per- en l’occurrence n’est pas de le 8 février.
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choses étaient simples et évidentes : traire ce deuil à tous, pour en faire Toutes ces phrases offrent non
«J’entends évidemment l’émotion de celui de certains, c’était nous inter- seulement une vue plongeante sur
la communauté juive…» La se- dire d’exercer pleinement notre ci- l’impensé raciste des unes et des
conde, c’est le trouble qui surgit dès toyenneté, nous empêcher d’être autres, mais elles créent aussi
l’instant où la journaliste suggère humain donc d’être au monde. Par ­l’illusion que vivre en société, c’est
que cette affaire concerne les Fran- ces mots, nous nous trouvions tous cohabiter dans un espace peuplé
çais dans leur ensemble, quelle que amputés de nous-mêmes. de petites cellules hyperspéciali-
soit leur religion ou leur absence de J’ai aussi pensé à cette phrase lan- sées. Un peu comme lorsque les al-
religion. Les mots deviennent alors cée, voilà presque deux ans, par gorithmes nous indiquent genti-
heurtés, donnant l’impression qu’il Emmanuel Macron à propos du ment le périmètre qui est le nôtre
écritures y a pour la ministre une impossibi-
lité à remplacer «communauté
rapport sur les banlieues françai-
ses que lui remettait Jean-Louis
à coups de notifications : «Vous
avez aimé ça, vous aimerez donc
juive» par «Français». Ça bugge. Borloo. Le Président s’apprêtait à ça.» Le monde du plus petit déno-
Comme si penser que le sujet dont enterrer le dossier et, pour justifier minateur commun où ce qui n’est
elle parlait concernait la France en ce choix, il a dit : «Quelque part, ça pas exactement vous n’a pas lieu
général et non quelques personnes n’aurait aucun sens que deux ­mâles d’être. Dans le monde algorithmi-
en particulier, était inédit. blancs ne vivant pas dans ces quar- que, comme dans celui du com-
Par Ce matin-là, une ministre de la Ré- tiers s’échangent, l’un un ­rapport, munautarisme, on classe et on
Tania de Montaigne publique, la garde des Sceaux en et l’autre disant : “On m’a remis un range en veillant bien à ce que tout
l’occurrence, a donc dit que lors- plan, je l’ai découvert.” C’est pas soit basique, uniforme et identi-
qu’une personne française juive vrai, ça ne marche plus comme ça.» que. Si vous avez aimé Edith Piaf,
est tuée en France, ça ne concerne Un homme élu au suffrage univer- alors vous aimerez toutes les

Communauté française pas les Français mais uniquement


les juifs. Sous-entendant que la re-
sel se glorifiait donc de n’avoir pour
champ de compétences que son
­femmes françaises d’1,47 m qui
chantent en roulant les «r». Si vous
ligion annulait la nationalité, ren- sexe, sa couleur et son lieu de rési- avez aimé Joker alors vous aimerez
dant l’un et l’autre antinomiques. dence. Le président de tous les sûrement tous les films dont le

I
l y a peu, j’ai entendu notre Français en général.» Ce dialogue matinal m’a rappelé un Français disait, avec décontraction, ­héros a des cheveux verts et se
­ministre de la Justice répondre La ministre : «Oui… et même de la autre jour, pas si lointain, où, fai- que son action s’arrête aux portes ­maquille outrancièrement. «Vous
à une journaliste qui l’intervie- communauté… de la…» sant suite au meurtre raciste d’un de son corps, et qu’il ne peut parler avez aimé ça, vous aimerez donc
wait. Elle revenait sur le meurtre La journaliste : «De la communauté Français musulman, Nicolas Sar- que pour sa «communauté». Celle ça», dit l’algorithme. «Rien de
de Sarah Halimi et la décision de la française.» kozy avait tenu à adresser ses sincè- des présidents quadragé­naires qui ce qui est humain ne m’est étran-
cour d’appel de déclarer l’auteur de La ministre : «Voilà, exactement.» res condoléances à la ­ «commu- s’appellent Emmanuel, j’imagine. ger», dit l’homme. Voilà toute la
cet acte pénalement irrespon­- Deux choses m’ont frappée dans nauté musulmane», ne songeant Ou celle des hommes blancs à che- différence. •
sable. La ministre a dit : «J’entends ce dialogue. La première, c’est pas un seul instant que si on tue un veux châtains vivant à ­l’Elysée. Ou
­évidemment l’émotion de la com- ­l’aisance avec laquelle la ministre a Français pour ce qu’il est, c’est toute celle des hommes blancs de moins Cette chronique est assurée en alternance
munauté juive, en l’occurrence…» entamé sa première phrase. On sen- la France qui est à la peine. Ne d’1,80 m nés à Amiens mais domi- par Jakuta Alikavazovic, Thomas Clerc,
La journaliste l’a reprise : «Des tait qu’à ce moment-là, pour elle, les voyant visiblement pas que sous- ciliés dans le VIIIe arrondissement. Tania de Montaigne, Sylvain Prudhomme.

Ces gens-là Par Terreur Graphique


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7ЄZMoL]ZuMTQJZM[IV[MVOIOMUMV\
SAMEDI 25 DIMANCHE 26
Les brouillards sont bien présents en Les grisailles matinales sont nombreuses au
matinée avec parfois quelques phénomènes Nord et le temps reste humide au Sud avec ABONNEZ-VOUS À LIBÉRATION
glissants près du Bénélux. quelques averses. On observe encore des ²LuKW]XMZM\ZMV^WaMZ[W][MV^MTWXXMIЄZIVKPQMo4QJuZI\QWV [MZ^QKMIJWVVMUMV\
L’APRÈS-MIDI Le soleil peinera à s'imposer au gelées sous les stratus au Nord. 2 rue du Général Alain de Boissieu 75015 PARIS7ЄZMZu[MZ^uMI]`XIZ\QK]TQMZ[
Nord alors que de l'humidité remontera du
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«Uncut Gems» maboule à facettes


Uncut Gems des frères Safdie avec Adam Sandler. Photo NETFLIX
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24 u Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020

«On a voulu faire


un thriller total»
Le chef-d’œuvre abrasif «Uncut Gems» des frères Safdie débarque
vendredi prochain sur Netflix. Le duo de surdoués new-yorkais raconte
à «Libé» l’envers frénétique du «Diamond District» à Manhattan, décor
du film, l’apport capital du comédien Adam Sandler et la quantité
démente de fétiches clinquants nécessaires à sa réalisation.
Recueilli par celui-là, le film se ferait», etc. Et nous, on ne fictions «pulp» : haletantes, mais aussi superco-
Élisabeth Franck-Dumas voulait pas. miques, et absurdes. Donc l’ambition initiale
Photo J.S. : Ça nous arrivait tout le temps ! Je me sou- du film était de raconter ces histoires. Bizarre-
édouard Caupeil viens, au début, l’entourage d’Albert Brooks ment, il n’en reste aucune dans le produit fini,
nous a fait signe, ils avaient lu le scénario, mais elles ont été notre point d’entrée. Une fois

I
ls sont affalés, l’un sur le ­canapé, l’autre c’était juste après Drive, ils ont promis de trou- qu’on s’est mis à fréquenter la 47e rue pour faire
sur son ­fauteuil, dans la suite d’un pa- ver le financement. Mais Brooks l’aurait joué des recherches, on a été aspirés par l’énergie
lace parisien, une froide après-midi de trop gros-dur, il n’était pas assez aimable. du lieu. C’est un univers tendu, hyperrapide,
décembre, épuisés par leur nuit de fête B.S. : Enfin, j’adore Albert Brooks. hyperdrôle, tout le monde y joue un rôle.
à Londres la veille, par le tunnel d’interviews, J.S. : Oui, je sais, moi aussi, mais ce que son en- B.S. : Tout le monde vend les meilleurs pro-
par la perspective de ce qui les ­attend, par les tourage a vu dans le rôle, c’était le côté dur de duits.
avant-premières, deux à New York le lende- Howard, et ça, ça n’allait pas le faire. Nous, on J.S. : Tout le monde possède sa voiture de luxe
main, puis Boston, Atlanta, Los Angeles, San adorait Howard, on ne voulait pas que les gens – non, ça, ce n’est pas vrai ! [rires]. Mais ils les
Francisco… L’on redoute de ramer, mais Josh le détestent. C’est pour ça qu’Adam Sandler louent pour la journée… Cette énergie de din-
et Benny Safdie sont charmants, bavards, et était si important. Dans tous ses films, il arrive gue me portait à chaque fois que j’y ­retournais,
s’électrisent jusqu’à bondir sur leur siège, et à donner un sens à des situations totalement après avoir terminé un film ou n’importe quel
se couper abondamment la parole, dès lors absurdes, parce qu’il sait créer de l’empathie. autre projet. Ça me rappelait pourquoi je tenais
qu’il s’agit de parler d’Uncut Gems, leur cin- Quoi qu’il arrive, on l’aime. En dépit des trucs à faire ce film-ci : la galerie de ­personnages, les
quième long métrage, en projet depuis dix ans, grotesques qu’il peut faire, même quand on se ventes, il se passait toujours un truc. Un jour
qui sort le 31 janvier sur la plateforme Netflix. dit «oh là là mais c’est pas possible !», comme que je ­passais par là, le rappeur Lil Yachty était
Un thriller tachychardique (lire page 31) au dans The Wedding Singer ou Punch-Drunk sur Facetime en train de se plaindre que des
cœur du «Diamond District» de Manhattan, Love, on l’aime. Il fallait que Howard suscite ça diamants étaient tombés d’une de ses petites
quartier des diamantaires, où Adam Sandler aussi, sinon le film n’aurait pas fonctionné. figurines. Ça ne s’invente pas, des trucs comme
incarne un de ces personnages crispants dont Et puis Adam Sandler est l’emblème du ça…
les deux frères ont le secret, joaillier endetté «nice jewish boy», le gentil garçon juif, une En plus des visites, vous êtes-vous docu-
et parieur invétéré, courant à sa perte dans un icône juive de la pop culture américaine, mentés pour le film ?
surrégime aussi grisant qu’épuisant. Se dou- ça a dû jouer ? J.S. : On a énormément lu pour ce film. L’Ap-
blant d’une étude déjantée du capitalisme J.S. : Ah oui, ça, il fallait que le personnage soit prentissage de Duddy Kravitz de Mordecai Ri-
contemporain, le film n’a reçu aucune nomi- juif ! [Rires] Tout le propos du film, c’est de par- chler, What Makes Sammy Run de Budd Schul-
nation aux oscars, d’autant plus consternant ler de ces juifs américains qui, au XXe siècle, berg, Confessions of an Ivy League Bookie
qu’Adam Sandler y livre, de loin, la meilleure ont voulu prouver quelque chose, se faire ac- [Confessions d’un bookmaker de l’Yvy League,
performance de sa carrière, et que le film est cepter. Le personnage de Howard sait bien ndlr] de Peter Alson…
un chef-d’œuvre. qu’il est un ­outsider, mais il va forcer les portes, B.S. : C’était le neveu de Norman Mailer…
Cela fait si longtemps qu’on ­entend parler nager à contre-courant, et c’est de là que vient J.S. : Money Players : Inside the NBA, sur des
de ce projet, pourquoi a-t-il mis tant de son énergie. De là aussi que viennent toutes les joueurs de basket, où quelques chapitres décri-
temps à voir le jour ? frictions de sa vie. vent ce qui est arrivé à Isaiah Thomas lorsqu’il
Josh Safdie : Parce qu’il avait besoin de tout B.S. : Il a une forme de fierté très particulière, a fricoté avec des types à qui il ­devait de l’ar-
ce temps ! il utilise son judaïsme à son avantage. Howard gent, et qui nous a vraiment beaucoup inspirés
Benny Safdie : L’univers nous disait : «Vous ne ne laisserait jamais personne faire du mot pour le film, Tales of Times Square…
pouvez pas, non, pas encore…» «juif» une insulte, et c’est là, une fois encore, B.S. : I, Goldstein : My Screwed Life.
J.S. : «Vous n’êtes pas prêts !» Et c’est vrai, on que ce que véhicule Adam Sandler était cru- J.S. : L’autobiographie du porno­graphe Al
ne méritait pas de le faire. Lorsqu’on a com- cial. Goldstein, et l’autobiographie de Ranger Dan-
mencé à y réfléchir, en 2010, on n’avait ni la Votre père a travaillé dans le «Diamond gerfield ­[comédien de stand-up], No Respect !,
maîtrise du genre, ni la patience, ni la bou- District». C’est ce qui vous a donné envie et aussi un livre qui s’appelle Super Bookie, sur
teille, ni la densité de vie, ni fait assez de re- de montrer ce lieu au cinéma ? la scène des paris à Las Vegas, qui est daté mais
cherches… Bref, il nous manquait plein de J.S. : Il y avait quelque chose d’incroyablement qu’on a suivi comme un manuel scolaire ; et Les cinéastes
choses. Et il nous manquait Adam Sandler, ça, divertissant dans les histoires qu’il nous racon- plein d’articles écrits par un journaliste de ta- Josh et Benny Safdie,
c’est majeur. tait. Aujourd’hui, on parlerait d’histoires «vira- bloïd, Michael Kaplan, qui fait des portraits le 6 décembre
B.S. : Plein de gens nous disaient : «Pourquoi les», car on avait tout de suite envie de les ra- d’accros au jeu. Il a lui-même été interdit de ca- à Paris.
ne pas faire le film avec untel ou untel», «Avec conter à quelqu’un d’autre. De vraies petites sino parce qu’il comptait les cartes au lll
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lll blackjack… On l’a rencontré lorsqu’il


devait faire notre portrait pour le New York
Post, et qu’il a passé tout son temps à nous pit-
cher un projet ! [Rires]. Mais c’était un projet
dément, et on est restés en contact. Un de ses
articles en particulier, sur un type qui emprun-
tait de l’argent compulsivement, nous a beau-
coup servi.
Vous êtes joueurs ?
J.S. : Moi, oui.
B.S. : On est joueurs tous les deux, d’avoir fait
les films qu’on a faits, et de les avoir empilés les
uns sur les autres pour finir par faire celui-ci.
Mais je ne joue pas comme Josh, je le fais par
procuration, en le regardant, et j’essaie de le
protéger de ses démons.
J.S. : Bon, j’essaie de ne pas jouer trop souvent
non plus. Lorsqu’on a tourné au casino, je suis
allé jouer au craps à 2 heures du matin. A la ta-
ble, à côté de moi, il y avait un type que j’ai
trouvé génial : à chaque fois que les dés étaient
lancés, il disait «Shooooot up !». Je lui ai de-
mandé s’il acceptait d’être dans une scène
qu’on tournait le lendemain, il était ivre, je l’ai
supplié et, le matin venu, il s’est pointé. C’est
lui qui explique les règles des paris à Julia [Ju-
lia Fox] dans le film, il est parfait.
Le film a un côté marxiste, dans son évo­-
cation du fétichisme de la marchandise.
C’est voulu ?
J.S. : Je ne vais pas prétendre que Benny,
Ronny [Ronald Bronstein, leur coscénariste] et
moi, on a consciemment décidé d’en faire un
angle, mais le thème est revenu souvent dans
nos conversations – la spiritualité du monde
matériel et du capitalisme, la consommation.
Le petit Furby est une concentration de tous
les aspects et pièges du ­consumérisme : pensez
donc, cette petite créature prisonnière d’un
truc qu’elle ne sait même pas être de valeur, et
qui a peur ! Qui se retrouve piégée par l’argent !
Mais c’est précisément le matérialisme à ou-
trance qui rend ce secteur fascinant, même si
ça a aussi compliqué les choses pour nous. Il
a fallu que j’aille là-bas avec des articles mon-
trant que ­Martin Scorsese allait produire le
film, ou que je me pointe avec des rappeurs
connus, pour qu’on me prenne au sérieux. Et
puis une fois que le film était lancé, on nous a
facturé les yeux de la tête pour tourner là-bas !
[Rires]. Mais c’était inestimable de filmer dans
ces passages-là, ces showrooms, cette rue pré-
cisément.
B.S. : Tout le monde connaît tout le monde,
une fois qu’une personne donnait son accord,
les autres suivaient.
J.S. : Je me demande si le film va changer
quelque chose… Pour ­Halloween, alors que le
film n’était même pas encore sorti, juste la
bande-annonce, il y a des gamins qui se sont
déguisés en Howard et qui sont allés sur la
47e rue. Est-ce que les touristes vont se mettre
à débouler ? Mais un touriste de base ne
pourra jamais se payer ce qu’on y vend…
Pourquoi avoir fait jouer ­beaucoup de ces
bijoutiers dans le film ?
B.S. : Parce qu’ils sont l’âme du lieu, et qu’il fal-
lait absolument capter leur manière de parler,
de bouger, de faire les bateleurs. Le type qui
joue le vendeur démissionnaire ­s’appelle Mak-
sud, avec sa marque TraxNYC, il est très connu
sur les réseaux sociaux, et le speech qu’il fait
à Howard, c’est tellement lui ! Le ton, les
­inflexions, sa manière de retenir son souffle
tout en criant…
J.S. : Le garçon qui joue l’un des fils de Howard
est le fils d’un bijoutier réputé être le meilleur
du game, Avianne, et il apporte une authenti-
cité dingue au film.
B.S. : C’est Avianne qui a fait la bague de Ho-
ward ! Et sa montre. Il porte 400 000 dollars de
bijoux quand il se balade dans la rue ! On n’au-
rait pas pu utiliser du toc, ça n’aurait pas eu le
même effet, ­visuellement, psychologique-
ment. Il en avait besoin pour Suite page 30
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26 u Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020

Suite de la page 29 entrer dans son person-


nage, comme il avait besoin de lunettes à
«Adam Sandler porte
­montures en or… 400 000 dollars
J.S. : On a vite appris que ces lunettes étaient
essentielles. Si on travaille dans un restaurant, de bijoux quand il
il faut un tablier, et si on travaille sur la 47e rue, se balade dans la rue !
il faut des lunettes en or ­siglées Cartier qui va-
lent 6 000 dollars pièce. On n’aurait pas pu utiliser
La quantité d’objets, de marchandise, de du toc, ça n’aurait pas
machins dont regorge le film est étourdis-
sante… eu le même effet,
B.S. : On a fait tellement de visites sur place
pour répertorier tout ça ! Mais le traduire aux
visuellement,
décorateurs, c’était une autre affaire. Le bureau psychologiquement.»
de Howard est un décor, mais on ­tenait à re- Benny Safdie
trouver ce côté vécu.
J.S. : J’ai été atroce avec les décorateurs ! Une
fois que le bureau de ­Howard a été comme je ment un obsessionnel de la lumière du jour –
le voulais, je m’en suis pris à Kendall Ander- que tout prend forme. Et puis, il nous a aidés
son, notre chef déco, qui a été extraordinaire, à choisir notre matériel, car il savait comment
parce que je trouvais les bureaux adjacents on voulait tourner, sans marquage au sol. Il
complètement lambda. Il n’y avait aucune dif- nous a conseillé des objectifs anamorphiques,
férence entre eux, alors que moi, j’avais envoyé nous a assuré que c’était idéal pour les visages.
à tout le monde des biographies des personna- Mais comme on voulait pousser et tourner avec
ges ! Si je fais ça, ce n’est pas pour montrer peu de lumière, et des objectifs longs, il a trouvé
que je sais écrire une biographie, mais pour des objectifs de fou un peu partout dans le
qu’on sache à quoi devrait ­ressembler leur monde, pour pouvoir faire des gros plans et
­bureau… Elle me disait : «Tu ne vas même pas zoomer. Grâce à lui, on pouvait se balader n’im-
les filmer en gros plans !» Mais on s’en fiche ! porte où sur le plateau et faire exactement ce
On ne fait pas ça pour les gros plans, on fait ça qu’on voulait, sans se poser de questions. In-
pour les comédiens et parce qu’on le sent dans croyable. Il n’avait jamais fait de travelling avec
le film. un téléobjectif ; il nous a dit : «Vous êtes fous,
B.S. : Oh oui on le sent ! Comme ­l’orchidée sur mais on va essayer.» Et ça a marché. Dès le dé-
le bureau de Julia… but, il a voulu faire notre film, pas le sien.
J.S. : On parle d’un monde totalement consu- Uncut Gems montre, de manière oblique,
mériste, alors c’est d’autant plus important ! un aspect des relations entre les juifs et les
Comme ce lit délirant en forme de voiture de Noirs aux ­Etats-Unis. Qu’est-ce qui vous
­Formule 1 qui appartient au fils de Howard. Là, ­intéressait ?
les décorateurs se sont bien amusés… Mais ce J.S. : C’est un aspect très important du film. En
lit dit bien quel genre de personne est Howard, faisant mes recherches, je me suis rendu
qu’il a envie du meilleur pour ses enfants. compte qu’une grande partie de la clientèle de
B.S. : On voulait montrer la chambre de sa fille la 47e rue était composée de Noirs américains
aussi, mais on n’a pas eu le temps. qui avaient réussi et qui voyaient ces bijoux
Comment vous est venue l’idée de la colos- comme une récompense, le symbole qu’enfin,
copie ? ils en étaient. Je crois qu’il y a une relation
J.S. : De Ronny, notre coscénariste, qui a eu particulière entre les Noirs et les juifs aux
des problèmes de colon à la trentaine, et à qui Etats-Unis, je ne suis pas sûr de savoir d’où elle
son médecin avait expliqué qu’il y avait une vient, mais sans doute d’une expérience parta-
corrélation étrange entre les juifs et les pro- gée de l’oppression. Les juifs ont été un grand
blèmes de colon. Ça l’avait fasciné. Donc il soutien de la communauté noire pendant le
nous a semblé approprié que Howard en fasse mouvement des droits civiques, peut-être
une aussi, et que cela forme un lien avec l’ou- parce qu’ils savaient ce qu’était ­l’exclusion.
verture… Même si certains, dont Malcolm X, ont trouvé
Pourquoi avoir eu envie de travailler avec que c’était une attitude opportuniste.
le chef opérateur Darius Khondji? Qu’est-ce B.S. : Ce qui est intéressant, avec Howard, c’est
que cela a changé pour vous ? qu’il traite tout le monde de la même manière.
B.S. : Après avoir vu Good Time, Darius Khon- Il parle aux autres comme il se parle à lui-
dji a dit à sa fille, qui avait produit Mad Love même, de manière totalement égalitaire. Ça
in New York, que si jamais l’envie de nous lan- aussi, ça le rend sympathique.
cer dans un projet costaud nous prenait, il se- Vos films s’apparentent, pour les specta-
rait ravi de le faire avec nous. Cela nous a sem- teurs, à des expériences assez angoissan-
blé fou, parce que ses images sont tellement tes, l’on s’attache à vos personnages et on
extraordinaires. passe notre temps à trembler pour eux.
J.S. : Mais surtout, il a tout de suite semblé Pourquoi nous faire subir ça ?
faire partie de la famille J.S. : Avec ce film-ci, c’est un peu différent, car
B.S. : Oui, après on s’est demandé pourquoi on Adam est quelqu’un d’incroyablement aima-
ne s’était jamais rencontrés. On a décidé de se ble. Il a un manque, un désir qui brille au fond
tester mutuellement en travaillant sur le clip des yeux, mais il reste très drôle, ce qui permet
de Jay Z, Marcy Me, qui était un tournage un de relâcher la pression par endroits. On a voulu
peu dingue, de nuit, avec un hélicoptère, on faire un «thriller» qui soit galvanisant à tous les
voulait voir s’il était capable de travailler aussi sens du terme, un thriller total, qui ne joue pas
vite qu’on voulait. Et bien sûr qu’il en était ca- uniquement sur une seule émotion.
pable, mais c’était surtout une présence in- B.S. : Peut-être est-ce aussi une manière de
croyablement calme, au milieu de toute cette faire vivre aux spectateurs ce que l’on vit, nous,
folie… Il y a dans le clip un couloir qui ne nous depuis qu’on fait des films ? J’y pense pas mal
plaisait pas, donc on s’est dit «bon, on termine en ce moment, à cette idée que tout ce qu’on
la prise et on en reste là, on coupera au mon- a dû affronter, et accepter, dans nos interac-
tage». Darius nous a demandé une heure, et il tions avec le monde se retrouve dans le maté-
a éclairé ce couloir d’une manière telle que cela riau même de nos films.
l’a rendu si beau, ça changeait tout. Et là on s’est J.S. : On s’échine à faire des films depuis
dit «ah, d’accord, ce genre de truc est possi- dix ans, il y a forcément un moment où ce
ble…» C’est ce qu’il a fait pour Uncut Gems, il a qu’on fait va en être affecté. Mais on arrive à
insufflé de la vie partout. Ce qu’on voit entrer percevoir la beauté de ce genre d’entreprise ;
par la fenêtre du bureau de Howard, alors qu’on peut-être que d’autres, qui ne s’y ­seraient pas
est en studio, est si naturel, si réel – il est vrai- frottés comme nous, l’auraient balayée. • Howard Ratner, un bijoutier endetté et survolté du «Diamond District» à Manhattan,
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«Uncut Gems»,
tout ce qui vrille
Thriller épileptique joutier est à peine bousculé surplomber la situation qui est nous ont accordé (lire pages
envoyant tout bouler par leurs menaces, il vient de de toute façon le sac de nœuds précédentes), beaucoup lu,
recevoir, depuis l’Ethiopie, qu’ils ont eux-mêmes répan- scruté ce biotope marchand à
sur son passage, le une opale non taillée (d’où le dus par terre. Ils jouent des la loupe, rencontré ses figures
film des frères Safdie titre) négociée en secret pen- coudes dans la fournaise avec si singulières non pour les dé-
est magistral dans dant des mois et dont il est leur personnage, synchrone peindre et les condamner au
ce qu’il décrit de persuadé qu’il pourra tirer au avec son idiotie extralucide, nom d’une prévisible fable édi-
l’argent-roi sans moins un ­million de dollars quelque chose qui, dans le fiante sur l’argent roi, l’argent
le juger. dans une vente aux enchères. phrasé épileptique du mon- sale. De même que l’opale est
Parmi ses clients arc-boutés tage, semble tout droit des- le résultat des ravinements in-
au-dessus des vitrines rem- cendu de ­Dostoïevski, et qui visibles de la terre et qui tran-

E
ndetté à hauteur plies d’un luxe tapageur, des prolifère dans un indescripti- site de main en main comme
de 12,5 milliards rappeurs raffolant de brelo- ble désordre personnel auquel un talisman, le film amalgame
de dollars, brûlant ques hors de prix et une star son entourage, tout aussi dis- un limon de peur et d’excita-
le cash à coups de du basket, Kevin Garnett joncté, tête en l’air, hypocrite tion, brassé par la géothermie
chèques souvent mirobolants (champion de NBA dans son ou naïf, ne peut de toute façon des caractères incompatibles
pour acquérir des films ou les propre rôle), qui se sent immé- opposer une voix de la raison, et complémentaires.
produire (les 160 millions de diatement «connecté» à la fût-elle enrouée et bègue. Et c’est bientôt la matière de
dollars de The Irishman de pierre mal dégrossie qu’il voit l’image, l’intérieur des orga-
Scorsese), affolant tous les comme un porte-bonheur Biotope. Ce qui est vraiment nes, la ville implosive, les re-
compteurs (stratégie marke- pour le match du soir. fascinant ici, c’est à quel point vers du destin, la balle dans le
ting, diffusion, etc.) d’une pro- Garnett et ses sbires empor- ce portrait d’un homme en panier, les liasses de billets, le
fession cinéma internationale tent la pierre pour rien en crise qui ne peut plus faire la coup de marteau et le coude
plus que jamais sur les dents, ­jurant de la ramener le lende- part entre le gain et la perte ne sur la vitrine, la limaille sur la
mais où chacun espère encore main, le sportif laissant quand s’accompagne d’aucune sévé- porte sécurisée, le tatouage sur
dans son coin que selon le bon même, en garantie de sa rité morale sur son monde vé- la fesse, l’os à nu de la jambe et
ou le mauvais coup, le cash bonne foi, une bague que Rat- nal galvanisé par d’incessantes le trou dans la joue, qui s’amal-
peut couler à flots, Netflix est ner place chez le prêteur sur transactions. Uncut Gems est gament jusqu’à ce que l’in-
finalement l’endroit idéal pour gage. Inutile de raconter la stressant, mais il nous abstrait forme devienne cet excès aussi
accueillir Uncut Gems, le nou- suite car, évidemment, rien ne aussi, dans sa parenthèse de dangereux que désirable, le
veau film des frères Josh et se passe comme prévu et le frénésie – accentuée par la luxe et la ruine écrasés l’un
Benny Safdie. pouvoir matériel et abstrait de bande originale tout en syn- dans l’autre, un simple film et
Car si l’on s’en tient aux faits, l’opale, comme les promesses thés désaccordés de Daniel Lo- plus qu’un film.
les tribulations aberrantes du multifacettes des édifices patin –, de la nécessité de ju- Didier Péron
héros, Howard Ratner, inter- grandioses entrevus dans ses ger, injonction quotidienne et
prété avec une maestria hu- parois de silice, traversent l’es- contemporaine s’il en est. L’os- Uncut Gems de Josh et
maniste par la star Adam pace aggloméré du récit à la vi- mose de la forme du film et du Benny Safdie avec Adam
Sandler (absent scandaleux tesse d’un boulet de canon po- personnage est parfaite, et les Sandler, Eric Bogosian, Idina
des nominations aux oscars, lychrome, déchiquetant sur Safdie ont, comme on le com- Menzel… 2h15, sur Netflix le
comme le film d’ailleurs), ex- son passage ce qui pouvait en- prend dans l’entretien qu’ils 31 janvier.
posent ce que l’on nomme core tenir debout ou paraître
communément un «business logique.
plan». Ratner est un faiseur
d’or et une usine à emmerdes, Sac de nœuds. Inutile de se
tout ce qu’il touche brille et convaincre que tout peut mal
perd instantanément de sa va- tourner, ce qui relève du sim-
leur, il agit et parle selon les ple bon sens, il faut encore
codes attendus de l’entrepre- avoir la folie d’inverser ce des-
neur âpre au gain, le téléphone tin, de croire à sa chance en
perpétuellement vissé à étant plus rapide, plus roué
l’oreille, toujours une longueur dans la convoitise et l’antici-
d’avance avec un deal juteux pation des histoires possibles
dans les tuyaux. Mais la fièvre projetées dans le hasard des
maximaliste qui le tient au ­combinaisons de jeu. Il faut
ventre, et lui a permis de me- croire à la pierre brute, au luxe
ner une double vie entre sa fa- invraisemblable arraché à
mille installée dans une villa mains nues sur une paroi mi-
­cossue des faubourgs de la teuse de boue préhistorique,
ville et d’entretenir sa maî- comme il faut anticiper les
tresse dans un appartement chances que présente un
downtown, est aussi celle, plus match, deux minutes avant
tenaillante encore, du liquida- qu’il ne démarre, d’accorder
teur zélé, emporté dans la pas- au parieur insolent la vérité
sion exclusive de la banque- contre-intuitive qui donne tort
route et l’extase de la à l’algèbre compliquée des
dépossession. pronostics.
Quand le film commence, Rat- Ratner craint le confort,
ner est déjà aux abois, quoique ­cultive le malentendu, per-
inflexible dans sa conviction sonne ne peut le comprendre
qu’il peut tenir le choc et se né- et encore moins le suivre,
gocier un sursis. Une dette su- même si à plusieurs reprises il
périeure à 100000 dollars jette s’agit surtout de le retrouver
à ses trousses des hommes de (quand, par exemple, il est en-
main à trogne de mafieux rus- fermé à poil dans le coffre de
ses qui viennent le houspiller sa propre voiture…). Les ciné-
interprété avec maestria par Adam Sandler. Netflix dans sa boutique. Mais le bi- astes ne cherchent jamais à
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28 u Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020

Série /
«Our Boys»,
en terre ceinte
Coréalisée à trois, ­ habak (service de sécurité
S Tous les épisodes sont écrits
dont un scénariste intérieure israélien), puis au à trois, et signés de leurs trois
procès des trois assassins noms. Une variation inédite,
palestinien, la série alors que dans les rues gron- politique, sur la conception
israélienne évite dent les affrontements. par essence collégiale d’une
une vision partiale ­L’histoire est en partie portée série.
des événements par un ­enquêteur inoublia- Quand les deux parties
dramatiques qui ble, à la tristesse ­abyssale, in- étaient réunies dans des scè-
ont mené au conflit terprété par un «amateur», le nes, relativement souvent
de 2014, se révélant réalisateur Shlomi Elkabetz dans le cours de l’histoire, les
(lire ci-dessous). deux équipes seraient pré-
passionnante sentes sur le plateau… ce qui
et méticuleuse. Attente. Radicale, Our Boys n’allait pas se passer sans
l’est dans son récit, mais sur- frottements, évidemment.
tout dans sa fabrication : Levi Un exemple : à la disparition

D
ifficile de se ­décide d’intégrer le point de du jeune arabe, on fait venir
dire, durant les vue des parents de la victime son père au commissariat.
­premières mi- à l’histoire, et de faire pour Une longue attente com-
nutes d’Our cela ­a ppel à Tawfik Abu mence pour lui. Peu à peu, cet
Boys, série âpre et complexe Wael, réalisateur palestinien. homme désespéré sent la sus-
qui s’entortille douloureuse- Il s’adjoint aussi les services picion peser sur lui alors qu’il Shlomi Elkabetz (à droite) joue le rôle de l’enquêteur chargé de traquer des terroristes
ment autour de la situation en de ­Joseph Cedar, avec qui ne sait même pas ce qui est
Israël, qu’elle émane du Levi partage une jeunesse re- arrivé à son fils. Au moment
même cerveau qu’In Treat- ligieuse, abandonnée depuis de tourner, Levi et Cedar Wael ­proteste : ils ne savent n’était pas ­facile pour les ac- quasi insoutenables, et l’épi-
ment ou The Affair : Hagai par l’un comme l’autre, mais ­considèrent que la situation pas ce que c’est que de se faire teurs d’avoir des directives sode est parmi les plus forts
Levi, scénariste israélien, «dé- qui les aidera à ­«profiler» les est déjà tellement absurde, arrêter à l’aéroport à chaque contra­dictoires.» Finalement, de la série.
bauché» en 2008 par HBO assassins. Cedar réaliserait cruelle, qu’il n’est pas néces- ­déplacement, les flics israé- au ­montage, Levi opte pour Lorsque le public israélien a
pour adapter BeTipul, sa pe- la partie juive de l’histoire, saire de charger les personna- liens ne sont pas «sympas». une indifférence neutre, ad- découvert, lors de sa diffu-
tite série fauchée qui allait de- tandis qu’Abu Wael se char- ges de flics israéliens en les «Alors on a fait des prises dif- ministrative, vis-à-vis du père sion, que le titre Our Boys
venir In Treatment, soit la sé- gerait de la ­partie arabe. rendant méchants. Mais Abu férentes, raconte Levi. Ce meurtri, qui rend les scènes (Nos Garçons) ne désignait
rie la plus adaptée au monde
(20 adaptations ­«nationales»,
la version française est actuel-
lement en tournage).
Lorsque HBO lui propose, il
Shlomi Elkabetz, dissident perpétuel
y a quatre ans, de réfléchir à
une série en hébreu s’inspi- Très investi durant français habitué des salles art et essai Se situant plutôt à l’extrême gauche, une tristesse opaque sur ses épaules,
rant des événements de la réalisation d’«Our connaît Shlomi Elkabetz car il a co­- Elkabetz produit certains films pa- demandant aux costumiers des vête-
l’été 2014 qui ont abouti à la Boys», l’acteur israélien, écrit et coréalisé une trilogie avec sa lestiniens. Mais ce qui emporte sa ments un peu trop grands, des chaus-
guerre de Gaza (trois adoles- non professionnel, sœur Ronit, grande actrice israé- décision finalement, c’est justement sures trop lourdes. Lui, juif qui a
cents israéliens enlevés et lienne à la présence incandescente l’opportunité d’orienter les choses choisi de traquer les juifs, traître pour
tués, un jeune arabe assas-
donne à son personnage (disparue prématurément, en 2016) : par sa seule présence : «Ça valait le certains des siens, insondable, capa-
siné en représailles par trois pétri par le doute d’autant Prendre femme, les Sept Jours et le coup de surpasser ma peur, parce que ble d’empathie pour un jeune tueur
jeunes juifs ultraorthodoxes), plus de profondeur Procès de Viviane Amsalem, chro­- ma voix compterait de l’intérieur, je avant de lui tourner le dos irrémédia-
Levi est d’abord pétri de dou- et de justesse. niques intenses sur la place des pourrais discuter avec les créateurs blement. Il y a une sorte de vertige
tes : «Ce n’est pas mon do- ­femmes dans la société israélienne, pendant tout le processus.» Effective- qui l’entoure, alors qu’il pressent sou-

«C’
maine, moi, je fais des séries est la première fois de qui ont fait le tour des festivals de ment, Hagai Levi ­insiste sur l’apport vent la triste vérité (contre ses collè-
sur des gens qui parlent entre sa vie qu’il joue vous ­cinéma. continu d’Elkabetz, qu’il décrit gues), on le sent constamment en
eux, des relations amoureu- savez, commente Ha- Evidemment, il refuse le rôle au dé- même comme une sorte de qua- train de douter, de son identité, de
ses… Mais j’avais aussi le sen- gai Levi, admiratif. Il n’est pas ac- part. Puis, après avoir lu le projet, il trième auteur un peu occulte, réglant son pays, de son métier… et cette per-
timent que j’avais évité de me teur !» Une photo de Shlomi Elkabetz est séduit, mais dit non quand les scènes avec eux. Et ajoutant une sonnification du doute par Elkabetz
confronter à ce qui se passe était épinglée au-dessus du bureau même, par peur. «Et puis aussi, je ne ligne de force qui complexifie ­encore est l’une des grandes réussites d’Our
dans mon propre pays depuis du réalisateur depuis le début de connais que trop bien le pouvoir des l’antagonisme classique juifs /arabes Boys. Il ne regrette d’ailleurs pas l’ex-
trop longtemps.» l’écriture d’Our Boys, à titre d’inspi- images, explique-t-il. Même si je suis par l’équation Ashkénazes /Séfara- périence, loin de là : «J’ai fini par ado-
Est née de cette réflexion une ration. Pour son personnage d’en- en accord avec le script, il suffit au des, au sein des juifs. Une sorte de rer tout ça : j’ai adoré venir sur le pla-
série passionnante et radi- quêteur taciturne et opiniâtre, dont montage de choisir tel gros plan pour dissident perpétuel, dynamitant de teau, adoré m’engueuler avec eux
cale, qui retrace l’affaire avec le boulot est de traquer des terroris- changer le regard sur un person- l’intérieur la série des deux Ashké­- [rires], adoré explorer ma profession
une méticulosité fiévreuse tes au sein de sa propre commu- nage. Est-ce qu’ensuite je pourrai re- nazes, tout à fait consentants. depuis un autre point de vue. Bien sûr
aux accents documentaires, nauté, Levi savait qu’il cherchait ce garder en face mes amis séfarades, Elkabetz fait de l’enquêteur taciturne j’étais stressé, inquiet ; je ne dirais pas
de l’enlèvement du jeune pa- genre de présence-là… que mon personnage, entouré d’Ash- une figure hantée par une tradition que ça m’a rendu heureux, mais je me
lestinien à l’enquête et à la Il n’est peut-être pas acteur, mais kénazes, représente dans la série ? de la tragédie, lui trouve une posture suis senti vivant.»
traque des coupables par le sans connaître son visage, le public Mes amis palestiniens ?» particulière, toujours voûtée, portant C.C.
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Crazy Theory Jeu de Christian Rubiella et Fabrice Andrivon


Illustration Fabcaro Editions le Droit de perdre, 19,90 €.

Si toi aussi, dans la famille du complotisme, tu préfères le satiriste Fab-


caro au pamphlétaire Juan Branco, ce jeu d’ambiance spécial «pousse-
café» te met au défi d’inventer les complots les plus magiques selon
des associations d’idées aussi techniques que celles tirées de la BD
Zaï zaï zaï zaï – où figurait le désormais célèbre jeu de jambes : «Fidélité-
Adultère-Terre-Râteau-Torah-Juifs.»

Art / Walter Van Beirendonck,


mots pour maux
Le créateur de mode mousse. Au milieu d’aliens, de fleurs,
anversois revient à la de monstres, de squelettes aux cou-
leurs pop, on lit des maximes en fa-
galerie Polaris à Paris veur des libertés individuelles, de
avec ses installations à l’écologie, du respect et de la création
messages, militant pour débridée, tels des mantras naïfs et né-
les libertés individuelles cessaires : «Ban banality now» («Ban-
et plus de créativité. nir la banalité, maintenant»), «Stop
violation of our privacy» («Non à la

A
peine quinze jours après violation de notre vie privée»), «Save
les attentats du Bata- the planet» («Sauvez la planète»).
clan en 2015, Walter Van
Beirendonck arborait Pendu par les pieds. Avec ses ar-
un tee-shirt avec un slogan brodé : mes déconcertantes de bonne foi,
«Stop terrorizing our world». Fabriqué d’énergie et d’enthousiasme, Van Bei-
à la dernière minute, le vêtement ré- rendonck déclare la guerre au pessi-
pondait au terrorisme et affichait le cri misme, à la violence, au repli sur soi, à
du cœur du couturier flamand, adepte la haine, au manque d’imagination.
d’un style flamboyant et porteur de «C’est le moment de réagir, cette année
messages. «C’est cette rapidité que encore plus que d’habitude. Le nom de
j’aime dans la mode. L’art est lent, la la collection, WAR, est venu il y a quatre Walter Van Beirendonck.
mode est rapide», confiait-il en instal- ou cinq mois et pourtant je n’avais pas photo Willy Vanderperre
lant son expo chez Polaris. prévu les tensions entre les Etats-Unis
Pour son retour dans la galerie pari- et l’Iran. J’ai l’impression qu’il n’y a tégés ou est pendu par les pieds, délica-
au sein de sa communauté. Photo Ran Mendelson sienne, Walter Van Beirendonck n’a plus d’équilibre», s’inquiète le styliste tement sadomaso. On le voit aussi
pourtant pas perdu de temps. Son dé- qui milite pour l’imbrication de l’art et ­allongé devant un cheval au galop
filé de la collection hiver 2020-2021 de la vie («on a le droit à la beauté»). A («c’est un rêve puissant que je faisais pe-
pas les trois adolescents juifs d’Our Boys… les récits mis en tout juste terminé à Belleville, le voilà côté des yétis en peluche, des figurines tit»), face à un serpent tentateur, ou à
assassinés, mais les trois jeu- place par Hagai Levi échap- qui essaime ses messages dans le Ma- en perles – des walterman – reposent califourchon sur un ours («le bear est
nes assassins juifs, la récep- pent tous à une vision liné- rais, et glisse allègrement du podium sur des socles blancs, au milieu de dé- un archétype gay. Je suis moi-même un
tion fut mouvementée. aire du réel, et pourtant épou- à l’espace d’art contemporain. Au cen- cors en broderie. «Chaque sculpture ours, un costaud avec une barbe»).
­Nétanyahou a même qualifié sent souvent la vérité des tre de la galerie, de grandes silhouettes raconte une histoire et le personnage
la série d’antisémite, et a
­ ppelé êtres, et en l’occurrence pour noires à longs poils portent des sur- barbu au centre, c’est moi, toujours dé- L’éclair Bowie. Dans son théâtre de
le pays à la boycotter ; l’ex- Our Boys, la vérité inextrica- cots en paillettes, plus tôt présentés nudé avec un zizi», explique Van Bei- poupées miniatures, Van Beirendonck
trême gauche a au ­contraire ble d’un pays. «Ce n’est pas par les mannequins durant le défilé. rendonck qui se représente tout rose rend hommage à ses influences, David
reproché le regard trop hu- comme si je cherchais à créer Dociles, ces grands yétis-doudou sont et nu, debout sur un nuage, tel un dieu Bowie notamment, dont il reprend
main posé sur les tueurs… à tout prix un “concept” à les porte-parole du styliste anversois, dans son nirvana. Ailleurs, son alter l’œil maquillé de Life on Mars. Car,
«Nos trois photos étaient dif- chaque série, mais quand je dont les cris de guerre pacifiques or- ego miniature brandit une pancarte, avant d’être punk, Van Beirendonck,
fusées sur des pages Facebook commence à réfléchir à une nent les brillantes cottes d’armes en recommande les rapports sexuels pro- né en 1957, a d’abord été glam, guidé
d’extrême droite avec des ap- histoire, je suis convaincu par l’éclair Bowie. Elevé par des pa-
pels à la violence nous concer- qu’il existe, pour chacune, LA rents qui tenaient un ­garage, le styliste
nant. J’ai passé un drôle d’au- meilleure manière de la ra- s’est ­renfermé à l’internat puis s’est ou-
tomne, mais je m’y attendais, conter, et mon job est de la vert au monde à l’Académie des beaux-
explique Levi. Je voulais que trouver. C’est ennuyeux de arts d’Anvers pour devenir l’un des
la série fasse débat, au sens faire ce qui a déjà été fait, et «Six d’Anvers», génération de stylistes
premier. Les gens ont énormé- c’est ce que j’aime dans la télé : ­belges qui ont chamboulé la mode
ment discuté : et même si ces on peut inventer. C’est aussi ce dans les années 80. Aujourd’hui indé-
dialogues ­furent extrêmes, ils qui me prend le plus de temps, pendant, l’artiste, tel un chaman plein
ont existé, et c’était beaucoup d’énergie et, il faut bien d’humour, puise là où cela lui chante,
plus ­important pour moi que l’avouer, d’angoisse : trouver décloisonne les arts, crée des costumes
les audiences.» chaque fois ce chemin à l’inté- de scènes pour l’opéra ou pour des
rieur des histoires.» stars de la chanson (Stromae, Bono),
Perceptions. Finalement, Clélia Cohen apparaît en galeries et supervise des
le lien entre les différentes expositions où il mixe ses dadas : l’art
créations de Levi tient en un Our Boys de HAGAI LEVI, brut, l’outsider art, le folklore, aussi
dispositif narratif toujours JOSEPH CEDAR et TAWFIK bien fan de l’artiste américain Paul
conceptuel et fort : le cabinet ABU-WAEL sur Canal + et McCarthy que de la Française Coco
du psy comme décor unique Canal Séries à partir du Fronsac. Un guerrier à la barbe de sage
d’In Treatment avec son dé- 30 janvier dans le cadre de dont les cris de ralliement font bizarre-
filé de patients à heures fixes, Séries made in Israël. Suivi ment penser à des messages d’amour.
les deux perceptions d’une à 23 heures, du docu inédit Clémentine Mercier
histoire d’amour de The Af- Israël, terre de séries
fair, la division des points de d’Olivier Joyard. W : A.R. = Walter About Rights
vue, mais cette fois relayée A 0 h 10, série Nehama. de Walter Van Beirendonck
par la division de la réalisa- Ainsi qu’une sélection Galerie Polaris (75003), jusqu’au
tion en fonction des identités de séries israéliennes. Demand Beauty. Photo courtesy Galerie Polaris s 22 février.
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30 u Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020

populaires que celles traditionnelle-


ment diffusées à l’antenne. Les plate-
formes l’ont rendu sexy.» L’écriture
feuilletonnante, notamment, l’abon-
dant recours au cliffhanger ont mas-
sivement dépoussiéré les académis-
mes d’un format de moins en moins
assigné au ton docte et vertical. Da-
vantage que le documentaire im-
mersif en VR – par lequel les parti-
sans de la technologie galopante
aspirent «à faire vivre le réel plutôt
que se contenter de le montrer» –, l’air
du temps est donc à la web-série.
«On ne fait plus des web docs, on fait
juste des docs», a-t-on pu entendre à
la table de France TV Slash, média
vidéo à destination des jeunes
­adultes sur Internet. Au Fipadoc,
c’est d’ailleurs un projet de série qui
a ­triomphé à l’issue de l’incubateur
d’expériences numériques lancé en
partenariat avec l’INA, décrochant
la bourse promise. Le tandem à l’ini-
tiative du docu intitulé Psychedelic
Therapy (exposant en plusieurs épi-
sodes les enjeux de l’usage médical
des psychotropes) ne s’était encore
jamais aventuré dans ce format,
comme en témoignait la produc-
trice, Alice Mansion. «On pensait
[avec la réalisatrice Natalia Gallois,
ndlr] d’abord développer un docu-
mentaire traditionnel, voué à l’an-
Psychedelic Therapy, de Sébastien Dupouey et Natalia Gallois, expose les enjeux de l’usage médical des psychotropes. Brother Films tenne. Sortir de ce carcan et choisir
le format digital a libéré le processus
d’écriture. Tout prenait forme.»

Docu /Festival de plateformes «Showrunner». Vu de la côte


­ asque et de son «grand bal des his-
b

et talents hauts à Biarritz


toires vraies», les formes et les forces
de la création documentaire em-
pruntent autant qu’elles visent à se
différencier des méthodes des nou-
veaux acteurs du numérique. Ainsi
Le Fipadoc, qui s’achève combatives et vigilantes, à l’heure où de faire encore mieux.» Netflix, im- «sou­veraineté» intellectuelle sur France Télé­visions d’embrasser le
ce week-end, a permis les baisses de dotations accordées au manquablement, aura néanmoins leurs œuvres. vocable de «showrunner» au sujet
de prendre le pouls documentaire par le Centre national valu pour méto­nymie de ce qui Constat flagrant : le documentaire d’une prochaine série en développe-
du cinéma (CNC) depuis 2015 ont pu continue de préoccuper la profes- ne subit effectivement plus l’aura ment, prélevé dans le lexique de la
des «écritures du réel», affecter la santé de fer du genre, éga- sion, à l’aube de la grande réforme austère qui a pu être la sienne, à fiction américaine. Par ailleurs, la si-
auxquelles les créateurs lement éprouvé par la diète budgé- audiovisuelle censée aligner les l’heure où il triomphe dans les cata- gnature de deux accords consolidant
de formats interactifs taire qui vise aujourd’hui l’audio­- ­géants du streaming dans les rangs logues de streaming – notamment les bonnes pratiques entre auteurs
et venus du Web offrent visuel public. de l’exception culturelle. «Les plate- de Netflix, qui compte parmi ses et producteurs vendredi a réaffirmé
de nouveaux débouchés. De petites montagnes à gravir les formes se sont rendu compte qu’il y succès récents le docu vert Notre des engagements de transparence
unes après les autres. C’est ce a un public pour le documentaire, Planète, ou encore les séries de tra- cruellement absents des relations

«L
e documentaire a qu’évoquait gaillardement la rhéto- ce qui en fait un enjeu commercial dition true crime, comme How to naissantes avec les plateformes.
de beaux jours de- rique du «même pas peur» portée pour elles, a rappelé Olivier Zegna Make a Murderer et Grégory. «Comment connaître le chiffre d’af-
vant lui», s’est ré- par France Télévisions au cours du Rata, à la tête du Syndicat des «Les écritures du réel» (formule faires des plateformes et l’audience
jouie Régine Hat- festival. Lors de son allocution, la ­producteurs indépendants (SPI). ­vasouillarde qui dit bien l’acception des contenus qu’elles financent? Nous
chondo, directrice d’Arte France, patronne, Delphine Ernotte, a eu à Et c’est pourquoi les engagements riche et protéiforme du genre mis en sommes tributaires des chiffres
face à un parterre de professionnels cœur de rappeler les engagements de financement qui leur seront de- avant au Fipadoc, du docu d’auteur ­qu’elles voudront bien nous donner»,
réunis à l’occasion d’une conférence du groupe public envers le genre mandés ne devraient pas se conten- engagé aux pastilles éducatives sur avait rappelé le SPI la veille. Inquiet
au titre optimiste : «La télé­vision pu- dont il est l’argentier fidèle – ter d’être fléchés vers les films ou sé- Internet) n’ont pas manqué leur ren- de l’inanité des curseurs retenus par
blique et le basculement ­numérique: 101 millions investis dans le docu- ries, mais aussi spécifiquement vers dez-vous avec le numérique. Elles le projet de loi audiovisuelle pour
un avenir radieux pour le documen- mentaire par an jusqu’en 2022 – et le documentaire.» ont même su rajeunir considérable- fixer les participations de Netflix
taire ?» C’est une photographie sou- réaffirmer fort que «France Télévi- ment leur audience selon Margaux et consorts au financement de la
riante du secteur qu’a offert le Fipa- sions demeure la maison du docu- «Sexy». Dans une salle comble où Missika, productrice spécialisée création, le syndicat avait ainsi ap-
doc de Biarritz qui s’achève ce week- mentaire». La résilience et l’opti- il aurait fallu pousser les murs, dans la production documentaire pelé de ses vœux la création d’une
end – anciennement le Festival misme dominaient également le le syndicat s’est également montré digitale et interactive. «Le Web a autorité indépendante qui veillerait
international de programmes audio- discours de France 3, bras armé du prêt à engager le fer contre les mo­- donné au documentaire une notion à expertiser les divulgations des
visuels, repositionné l’an dernier sur docu régional. «On connaît la règle dèles de contrats léonins imposés d’inclusion, de participation, et une comptes.
le seul volet documentaire. Sans se de l’audiovisuel public : d’abord on aux producteurs par les plateformes nouvelle grammaire avec laquelle ont Sandra Onana
départir de certaines inflexions fait, et après on obtient les moyens mondialisées, au détriment d’une émergé des écritures narratives plus Envoyée spéciale à Biarritz
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Page 38 : Cinq sur cinq / Cherry bomb


Page 39 : On y croit / Nicolas Godin
Page 40 : Casque t’écoutes ? / Claire Denis
Dans les bureaux, à Paris mercredi, de Samantha Gil et Garlone Jadoul, stylistes pour Angèle et Damso. Photo Romain Bernardie-James

Travail de sapes
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32 u Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020

Looké pour être écouté


Par
Brice Bossavie
Photos Romain
Bernardie-James
Instagram, clips, concerts… Sur un marché
de la musique saturé, les stylistes sont devenus
Avec la démocratisation de l’accès
aux outils pour réaliser simple-
ment sa propre musique, le nombre
d’artistes a décuplé en France et
omniprésents pour affirmer l’image dans le monde, causant une plus

S
ur son compte Insta- grande concurrence dans le milieu.
gram, il affiche un
look différent chaque
des artistes et installer leurs carrières. Dorénavant, au-delà même de la
seule musique, c’est tout un uni-
jour. Streetwear de vers qu’il faut travailler pour attirer
luxe, vêtements de collection, costu- tance à leur image et leur musique. où il va être pris en photo. En fonc- ciaux, encore plus exposés que leurs l’attention des fans potentiels.
mes cintrés lors de cérémonies… Vu Photos promo, clips, concerts, céré- tion de sa demande, on va contacter prédécesseurs, les chanteurs et mu- «Parmi ces innombrables sorties
de loin, on pourrait croire que DJ monies… pour chaque occasion, les des marques pour obtenir certaines siciens actuels font face à un vérita- qui arrivent chaque semaine, il
Snake a l’une des garde-robes les stylistes choisissent différentes te- pièces, qu’il validera ensuite durant ble enjeu visuel tout au long de leur faut pouvoir se démarquer, faire la
plus fournies de la place. En réalité, nues, empruntées et /ou proposées des ­séances d’essayage.» Elle ré- carrière. «L’image et le stylisme ont différence, explique Henri Jamet,
tout est savamment étudié : pour par des marques, afin de coller le sume : «Aujourd’hui, tout artiste si- toujours été essentiels dans le déve- directeur de labels chez Believe
chaque photographie que publie le plus possible à l’image de l’artiste en gné sur un label avec un minimum loppement de la carrière d’un ar- (PNL, Jul, The Blaze…). C’est la rai-
DJ superstar français, une tierce question. Un métier de l’industrie de moyen va faire appel à un styliste. tiste, c’est ce qui permet qu’il soit fa- son pour laquelle on travaille avec
personne, rémunérée par sa maison musicale devenu essentiel à l’heure C’est quelque chose qui s’est large- cilement identifiable par le public, des stylistes, notamment pour les
de disques (ou l’artiste lui-même des réseaux sociaux, même s’il reste ment ­démocratisé dans le monde de avancent Samantha Gil et Garlone jeunes artistes qui ont besoin de
­selon les cas), choisit à sa demande largement méconnu par le public. la musique parce que la question de Jadoul, stylistes pour Angèle et s’affirmer. Pour renforcer leur iden-
et avec son accord chaque vêtement, Coline Bach, styliste de DJ Snake, l’image et des vêtements est devenue Damso. Françoise Hardy était ha- tité visuelle, sans pour autant qu’ils
dans le but de renforcer la cohérence décrit ainsi son rôle : «DJ Snake peut essentielle à notre époque.» billée par des grands créateurs dans aient l’air déguisé. C’est d’autant
visuelle de son univers musical. me demander de l’habiller pour tou- les années 70, ce n’est pas nouveau. plus important à l’ère d’Insta-
Telle est la mission des stylistes dans tes ses apparitions publiques, que ce «Il faut se démarquer» Mais les réseaux sociaux et le numé- gram.» Réseau social le plus plé­-
l’industrie musicale : habiller les ar- soit une interview, un concert, un ta- Suivis par des centaines de milliers rique ont considérablement accéléré biscité par les jeunes, Instagram a
tistes, pour donner plus de consis- pis rouge, n’importe quelle occasion de personnes sur les réseaux so- les choses ces dernières années.» largement dépassé Facebook dans
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Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 33

Dans les bureaux,


à Paris mercredi,
La découverte
de Samantha Gil
et Garlone Jadoul,
stylistes pour
Angèle et Damso.

lieve Digital compte dans ses rangs


une personne chargée à plein
temps des partenariats entre les ar-

dr
tistes et les marques. Henri Jamet :
«Les marques de mode sont presque
des médias maintenant, l’intérêt de
travailler avec elles est réel. En de-
venant égérie d’une campagne, l’ar-
Kousto dans
tiste va profiter de davantage de vi-
sibilité, avoir un affichage dans la
rue et sur les réseaux sociaux, et re-
le grand bain
H
cevoir des financements pour des ouse Music d’Ed- titres, qui s’étalent tous sur plus
clips ou des opérations spéciales… die Amador, The de six minutes, sont marqués
C’est l’un des meilleurs moyens de Bomb de Bucket­- par l’effervescence d’une tona-
faire découvrir la musique d’un ar- heads, Disco’s Re- lité très organique, justement
tiste à un public bien plus large en venge de Gusto… Les années 90 éloignée de toutes les manipula-
quelque sorte.» ont été marquées par ces tubes tions cliniques de studio.
house aux motifs répétitifs, cer- On entend la vibration du New
Grandes exigences, tes un peu bébêtes railleront les York de la fin des seventies, à la
petits budgets rabat-joie, mais tellement addic- manière du mythique label Sal-
Rouages essentiels dans la cons- tifs qu’ils sont encore gravés soul, jaillir dans Angry Sun et ses
truction de l’univers visuel d’un ar- dans bien des cerveaux et pas envolées de cuivres transcen-
tiste, les stylistes font pourtant face forcément les plus lents. Mieux, dées par un gros pied qui tue.
à une difficulté de poids : leur mé- on peut même toujours les pas- The Bush démarre, lui, façon
tier n’est pas encore réellement ser dans une party 3.0 et ces new age avant de s’épanouir
considéré dans l’industrie du dis- chers millennials se mettront dans une furibarde sarabande de
que qui, tout en comprenant son immédiatement à frétiller des percussions. Mountain Top et sa
­intérêt, rechigne à débloquer de gambettes. guitare «santanesque» dévoile
­véritables budgets. Ils doivent se On a trouvé un peu des vertus si- un producteur également très à
débrouiller avec des montants par- milaires de simplicité et d’effica- l’aise quand le tempo se ralentit.
fois trop bas malgré des demandes cité aux productions électroni- Mais on avouera une grande fai-
toujours plus exigeantes. S’il est ques de Kousto, un jeune blesse pour la house addictive et
­naturel pour une maison de disques Français basé à Londres et signé relativement minimale de Wil-
de débloquer des moyens pour sur un label installé à Lisbonne. din’Out. Une certitude : le
­réaliser des clips, payer des gra­- Une affaire internationale. Paru monde du silence n’est sûre-
phistes réalisant des pochettes ou en fin d’année dernière, son ment pas celui de Kousto.
des attachés de presse, elles sont deuxième EP, s’impose comme Patrice Bardot
la stratégie de promotion des musi- album, Shay avait envie d’avoir une parfois encore réticentes quand il une formidable machine à dan-
ciens actuels. Une plateforme qui image plus proche de la mode. On a s’agit de rémunérer un styliste entre ser. A la frontière entre rare The Kombolo
demande aux artistes de publier donc décidé de refléter ça dans sa 1 000 et 1 500 euros l’intervention groove et deep house, ces quatre (Kombava Music)
davantage de photos d’eux qu’au- manière de s’habiller», raconte-t-il sur un clip, même si cela implique
paravant. Et donc un plus grand aujourd’hui. La jeune femme se met parfois plusieurs semaines de
nombre de looks différents. «Avec alors à porter des marques de créa- ­travail pour gérer les différentes
Instagram, on peut toucher par teurs, réalise des shoots mode-mu- ­demandes de prêts de vêtements, La réédition
l’image des millions de gens dans le sique sous la direction de Dossou, les essayages, les changements
monde entier, analysent les sty­-
listes Samantha Gil et Garlone Ja-
soigne ses looks dans chacun de ses
clips… «Riccardo Tisci, directeur de
de tenues le jour du tournage,
sans oublier les costumes des Pale Saints
doul. Ça peut aider une carrière. La
chanteuse espagnole Rosalia a, par
Burberry, est tombé sur un de nos
éditos [une session photo, ndlr] où
­figurants.
Pour Edem Dossou, «la musique est «The Comforts
exemple, énormément travaillé ses
looks et son image sur ce réseau. Des
elle portait ses vêtements, et il a di-
rectement contacté Shay pour colla-
peut-être le milieu où il y a le moins
d’argent pour les stylistes» : «Les of Madness»
tas de gens ont commencé à la sui- borer avec elle. Depuis, elle est deve- gens qui bossent dans cet univers le
vre pour ça, parfois avant même de nue égérie de la marque, notamment font souvent par passion et accep- Après avoir réédité les premiers de cordée de
découvrir sa musique ! Ça montre la pour la dernière campagne publici- tent peut-être plus facilement qu’on son plantureux catalogue (Pixies, Bauhaus,
puissance d’un stylisme réellement taire de Noël.» leur dise qu’il n’y a pas trop de Cocteau Twins, Dead Can Dance), 4AD, l’un
travaillé.» En travaillant leur style, les artistes moyens.» C’est notamment le cas des labels majeurs de la scène indie rock bri-
peuvent ainsi se rapprocher du des plus ­petits artistes, qui deman- tannique, s’intéresse désormais aux pépites
Une passerelle vers ­milieu lucratif de la mode. C’est le dent pourtant encore plus de tra- cachées publiées pendant son âge d’or, en-
la mode cas de Shay avec Burberry donc, vail pour ancrer leurs univers. tre 1984 et 1992. Dans une maison où la moin-
S’il est bien réalisé, ce métier peut mais aussi d’Angèle avec Chanel Comme ils sont méconnus des dre sortie avait un impact considérable (en
également amener les artistes à dé- ou de DJ Snake avec Puma. «Regar- marques, il est encore plus compli- The Comforts partie grâce aux pochettes du graphiste de gé-
crocher de nouvelles opportunités. dez Rihanna, commente Edem qué pour les stylistes de leur obte- Of Madness nie Vaughan Oliver, mort le 29 décembre),
En 2018, la rappeuse belge Shay dé- Dossou. Elle n’a plus besoin de faire nir des pièces. «Avec les jeunes ar- (4AD/Beggars) The Comforts of Madness, le premier album
cide de travailler avec le styliste de musique : elle n’a pas sorti d’al- tistes, il n’y a pratiquement pas de de Pale Saints, a surpris à son arrivée en 1990.
Edem Dossou pour qu’il l’habille bum depuis trois ans et travaille sur budget alors que c’est là qu’il devrait Plus proche de House of Love que de ses aînés cold wave ou de ses
sur toute la promotion (clips, pho- sa marque Fenti. C’est tout aussi in- y avoir presque le plus, regrette Co- cousins shoegaze qui regardaient le monde (et leurs pieds) à travers
tos, interviews, shoots photo) de téressant pour elle financièrement line Bach. Pour 150 demandes de la broussaille de leurs mèches, le trio de Leeds se montrait à la fois
son second album, Antidote. Déjà et créativement que de sortir un al- prêt faites à des marques de mode, naïf et nerveux, dans des titres parfois épileptiques, traversés de gui-
bien en vue dans le milieu (il a tra- bum.» on va recevoir seulement dix ou tares tranchantes et guidés par une basse tendue.
vaillé avec Christine & The Queens Cette logique de communication quinze réponses positives. On est Trente ans après, le bassiste Ian Masters s’est replongé dans ses ar-
et Eddy de Pretto), ce styliste trente- entre mode et musique, les maisons donc toujours un peu dans la dé- chives pour y retrouver les bandes démos des morceaux de l’album
naire va alors entièrement repenser de disques l’ont comprise depuis brouille.» Enfin, jusqu’à ce que et l’unique Peel Session du groupe, enregistrée en 1989. Quatorze
son image à travers des looks étu- longtemps. Au moins depuis que les artistes aient obtenu assez de titres nus et crus qui apportent un éclairage bienvenu sur la gestation
diés, et lui donner un coup de pro- les rappeurs de Run DMC ont followers pour que les marques de ce très réussi premier album et nous renvoient aux temps révolus
jecteur international. «Au moment chanté My Adidas en 1985. Mais se pressent afin de leur offrir des où un disque 4AD s’achetait sur la seule foi de sa pochette.
de lancer la promotion de son nouvel ­aujourd’hui, un label comme Be- vêtements… • Benoît Carretier
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34 u Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020

Petit Prince Joey le Soldat


Chien chinois J’ai mal au Congo
On suit de près l’évolution de ce Une alliance passionnante entre
jeune pilier de l’excellent label Pain cette pointure du rap burkinabé,
Surprises. Cet extrait d’un futur découverte il y a quelques années
premier album porte haut les aux Transmusicales, et une valeur
playlist couleurs d’une psyché-pop chantée
en français, truffée de gimmicks
sûre de la nouvelle house française
à la production, Mad Rey. Sombre et
ludiques. Et sans trop cabotiner. poisseux, ça prend aux (bad) tripes.

2 Yazz à se produire au Royaume-


Un tube et puis s’en Uni devant des quinquagé-
va. Mais en 1988 The Only naires nostalgiques.
Way Is Up a contribué à
écrire une nouvelle page de 4 Monie Love
la pop en la teintant d’acid Si la pop anglaise a
house. Signé Yazz, alias de été contaminée par la house
Yasmin Evans, ex-membre music à l’orée des an-
de l’équipe d’Angleterre de nées 90, les frontières stylis-
volley-ball des moins de tiques étaient si poreuses
19 ans et chanteuse de The que même le hip-hop s’est
Biz, un éphémère groupe emparé des rythmes 4/4.
d’électro-funk, cette métisse Fille du jazzman Basil Goo-
aux cheveux blonds a connu den et sœur du producteur
une carrière météorique. techno Dave Angel, pilier de
Produit et composé par le la scène londonienne des
duo Coldcut, futur fonda- années 90, Monie Love pra-
teur du label Ninja Tune, tiquait un rap si ­léger qu’elle
The Only Way Is Up a trusté a fini par devenir la protégée
la première place des charts de Queen ­Latifah, la pa-
pendant cinq semaines et pesse américaine du hip-
donné naissance à l’album hop cool, et intégrer les Na-
Wanted, écoulé en 1989 à tive Tongues, collectif
plus de 600 000 exemplai- réunissant De La Soul, Jun-
res. Las, la suite a tourné au gle Brothers, ou A Tribe Cal-
cauchemar. Un deuxième al- led Quest, qui n’avait pas
bum, annoncé pour 1990, est peur de rapper sur des beats
annulé et il faut atten- house. Si la carrière de Mo-
dre 1994 pour que One On nie Love fut courte, Dawn to
One ne sorte. Flop retentis- Earth, son premier album
sant, séparation avec son la- «hip-house», porté par le
bel, divorce avec son mari- tube It’s a Shame (My Sis-
manager, dépendance à ter), reste l’exemple parfait
l’alcool… La chute est rude, de la fusion des genres. Ins-
jusqu’au jour où son an- tallée aux Etats-Unis, Monie
cienne styliste capillaire lui Love est désormais une ani-
indique le chemin de matrice radio reconnue qui
l’église. Yazz a trouvé Dieu et exerce depuis Atlanta, nou-
chante depuis ses louanges. velle Mecque du hip-hop
hybride.
3 Lisa Stansfield
Si elle aussi doit son 5 Wee Papa Girl
succès à Coldcut, Lisa Rappers
Stansfield a mieux négocié Tout se tentait en 1988,
sa carrière que Yazz. Révélée même sortir un hymne acid-
Le premier album de Neney Cherry, 24 ans à l’époque, est réédité en version grand luxe. Jean-Baptiste Mondino lors d’un concours de jeunes house rappé à la vitesse de la
talents en 1980, bercée par lumière (Heat It Up) et partir
la soul américaine, elle ne à l’assaut des charts avec un

Cinq sur Cinq


Stance. Belle-fille du jazz- brillera pas avant 1989. Alors exercice de pop-raggamuf-
man Don Cherry, elle a signé qu’elle végète au sein du trio fin électronique (Wee Rule).
à 18 ans un 45 tours contre la Blue Zone, fondé avec deux Tel fut le destin des jumelles
guerre aux Malouines, tout amis de lycée, elle collabore Sandra (alias Total S) et Sa-

Brassage
en menant le groupe de avec Coldcut pour deux sin- mantha Lawrence (alias TY
post-punk Rip Rig + Panic. gles : My Telephone, au suc- Tim), dont la seule gloire
Entre electro et hip-hop, le cès mitigé, et People Hold jusque-là avait été d’accom-
tube Buffalo Stance fait On, carton interplanétaire pagner sur scène l’ex-punk

à l’anglaise
souffler un vent nouveau sur qui se hissera à la première irlandais de The Underto-
la pop anglaise et remporte place des charts «club» nes, Feargal Sharkey. Origi-
un succès phénoménal (plus américains. Puis son label naires de Sainte-Lucie, dans
de 800 000 exemplaires transforme Blue Zone en les Caraïbes, les Wee Papa
vendus dans le monde). projet solo de Stansfield, re- Girl Rappers (pour «oui
Menée par Neney
R
aw Like Sushi raines n’ont malheureuse- Mais ce n’est rien par rap- léguant ses compères dans papa») ont réussi sur leur
demeure, plus ment souvent connu qu’un port à l’album Raw Like l’ombre. Pari réussi, puisque premier album, The Beat,
Cherry, une scène de trente ans tube avant de disparaître Sushi, qui déboule en son premier album, Affec- the Rhyme, the Noise, à faire
éphémère après sa sortie
en 1989, un témoignage sai-
des radars. juin 1989. Reflet des obses-
sions de l’époque et du
tion, sage exercice de pop-
soul-house, s’écoule à plus
cohabiter house, ragga, rap
et pop. Le succès ne fut pas
a révolutionné sissant de la transforma- 1 Neneh Cherry grand brassage musical à ve- de 5 millions d’exemplaires à la hauteur de la teneur ex-
la pop anglaise tiàon de la pop anglaise sous
la double influence du hip-
Du haut de ses
24 ans, la Suédoise Neneh
nir, ce premier album, au-
jourd’hui réédité en version
dans le monde et finit à la
2e place des charts britanni-
plosive du mélange et, après
un deuxième album paru
il y a trente ans hop et de la house music Mariann Karlsson, alias grand luxe, mélange sans ques. Trente ans après, la dans une indifférence polie,
en y injectant naissante. Si ce premier al-
bum a fait de Neneh Cherry
Neneh Cherry, a déjà vécu
plusieurs vies quand paraît,
gêne house music, hip-hop
et trip-hop sans qu’une seule
Mancunienne a vendu plus
de 20 millions de copies de
les sœurs Lawrence disparu-
rent de la surface de la Terre.
house et hip-hop. une star, ses contempo­- en 1988, le single Buffalo seconde l’édifice ne vacille. ses sept albums et continue Benoît Carretier
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Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 35

Yoshinori Hayashi La Rue Kétanou Of Montreal


Geckos (Bjørn Torske Version) Vive la divorcée Don’t let me die in America
Quand un musicien électronique Fleuron depuis vingt ans de la Toujours aussi productif et difficile à
japonais inclassable se fait retoucher chanson alternative française, suivre ce groupe américain (et non
par le doux dingue norvégien Bjørn ce trio, proche de Tryo justement, canadien) caracolant entre glam, rock
Torske, ça sonne comme une sorte de nous offre la version années 20 progressif et emprunts électroniques Retrouvez cette playlist et
reggae électronique improbable cousin du fameux Femme libérée de revient avec un nouvel album azimuté un titre de la découverte
du The Robots de Kraftwerk passé Cookie Dingler. L’accordéon d’où se distingue ce pamphlet que sur Libération.fr en parte-
au ralenti. Collant et hypnotique. en plus, le Top 50 en moins. Bowie aurait certainement adoré. nariat avec Tsugi radio

La pochette on y croit

Jessica93 «On était


dans un sale état»
La pochette de «Guilty Species», le quatrième album
de Jessica93, sorti en 2017, rend hommage à une amie
disparue, comme le raconte Geoffroy Laporte,
l’âme de ce projet rock sans concession.
L’esthétique «Je suis influencé par
les pochettes des groupes lo-fi comme
Sebadoh que j’écoutais adolescent dans La bouche «La pochette de Guilty
les années 90, notamment celle de Ba- Species intrigue beaucoup de gens.

CAMILLE VIVIER
kesale avec un bébé perdu dans une Quand on la regarde de trop près, on a
salle de bains sur laquelle j’avais scot- du mal à distinguer ce qu’elle montre.
ché. Je reste fidèle à cette esthétique Certains y voient des jambes, d’autres
DIY, en évitant les illustrations léchées des fesses. En fait, il s’agit d’un gros
ou les photos posées, pour privilégier plan de la bouche de ma meilleure
les photos brutes de décoffrage, prises amie, Julia Judet, qui avait un piercing
avec l’énergie de l’instant et du grain.
J’attend qu’une photo s’impose à moi,
sur la lèvre. J’ai pris cette photo à 5 heu-
res du matin lors d’une fête très arrosée Nicolas Godin
Le grand architecte
souvent au dernier moment. J’aime chez un pote. Je l’ai prise avec mon télé-
que ce soit une image qui ne se prenne phone portable pour me foutre de sa
pas au sérieux, qui possède un second gueule et lui montrer à quel point ses
degré. Je fais de la musique sérieuse- dents étaient en mauvais état. Elle ne
ment mais avec beaucoup de recul sur voulait pas me croire quand je le lui di- Le producteur quinquagénaire dans ce disque joliment construit comme un re-
mon travail. Tellement de musiciens se sais. En voyant l’image, elle a explosé s’offre une deuxième escapade tour aux sources – le premier morceau de Air,
prennent trop au sérieux.» de rire et dit : “Tiens, voilà, tu as la po- voluptueuse en solitaire. Modulor Mix, étant inspiré par Le Corbusier.
chette de ton prochain album.”» On retrouve d’ailleurs en filigrane sur plusieurs
compositions la présence du bâtisseur de la Cité

J
amais évident d’exister en solo quand radieuse. Par exemple, dans le titre du même
on a marqué l’histoire musicale en duo. nom qui clôt en beauté un disque voluptueux,
Demandez à Art Garfunkel ou à Meg électronique et organique, tout en courbes élé-
White. On prendra donc comme une gantes plutôt qu’en lignes brisées. Une œuvre
rare exception le parcours de Jean-Benoît Dun- brillante, qui rivalise aisément avec le meilleur
ckel et Nicolas Godin aujourd’hui entre paren- de Air, mais nullement égoïste puisque le pro-
thèses (définitive ?) de Air, groupe ducteur de 50 ans a ­accueilli un in-
phare des années french touch. vité de choix venu l’épauler à la
Moins présent que son camarade composition et aux arrangements :
premier cité, qui a toujours multi- Pierre Rousseau, moitié d’un autre
plié les escapades solitaires avec duo, Paradis, qui avait lancé une
plus ou moins de bonheur, Godin passionnante passerelle entre
a d’abord séduit il y a quatre ans house et chanson française.
avec le secoué et secouant Contre- Pourtant, on entend très peu de
point, sorte de digression électroni- mots en français, hormis ceux
que autour de l’œuvre de Bach. Ris- Nicolas Godin ­prononcés, enfin plutôt déformés
qué, mais réussi. Plus récemment, Concrete and Glass sous effet vocoder («Je cherche une
on l’a entendu aux commandes de (Because Music) maison de verre et de béton») sur
la bande-son ludique de la série l’ouverture Concrete and Glass,
d’Arte Au service de la France. les nombreux invités vocaux étant tous anglo-
Concrete And Glass, son second album, trouve saxons. A l’image d’Alexis Taylor échappé de
sa racine dans une collaboration avec l’artiste Hot Chip qui enchante Catch Yourself Falling,
plasticien Xavier Veilhan qui lui avait proposé très pop californienne seventies, ou le néo-funky
de participer à son projet Architectones, hom- Cola Boyy venu donner des ailes dansantes
mage musical aux grands maîtres de l’architec- à The Foundation. Parce que naturellement,
Jessica93 Guilty Species (Teenage ture. Un domaine que Godin connaît bien : son la musique comme l’architecture n’ont pas
Menopause/Music Fear Satan.) père avait embrassé la profession et lui-même de frontières.
a suivi des études d’architecture. On interprétera Patrice Bardot
Julia Judet «Je connais Julia depuis chette comme elle me l’avait suggéré elle-
l’enfance. On a été amis, amants, compa- même, tout le processus était enclenché, Vous aimerez aussi
gnons de groupe, on formait aussi en- mais, après sa disparition, c’est devenu
semble le duo MissFit. Elle est morte très important d’aller jusqu’au bout de ce Brian Eno NZCA Lines Kankyō Ongaku
deux mois après cette photo. Julia était projet et de lui dédier l’album. L’image n’a Another Green World (1975) Infinite Summer (2016) Japanese Ambient
une artiste plasticienne bourrée de talent pas été recadrée, elle est telle que je l’ai Un album fou entre pop, Nos mots d’alors : «Une mer- Environmental New Age
mais d’un naturel très angoissé, elle réali- prise. Eric Bricka, qui était mon guitariste ­ambient et psychédélisme, veille de pop électronique Music 1980-1990 (2019)
sait des peintures, des poupées ou des à l’époque et a maquetté la pochette, a qui annonce les collabora- dansante comme Metro- Tout est dans l’intitulé.
sculptures (que l’on peut encore décou- simplement mis un filtre pour renforcer tions futuristes de Brian nomy ou Hot Chip savent en Une compilation qui impose
vrir sur juliajudet.free.fr). J’avais déjà fait la dimension rougeoyante de l’image.» Eno à venir avec les Talking composer quand ils sont au le lâcher-prise et la dérive
le choix d’utiliser cette image pour la po- Recueilli par Alexis Bernier Heads. meilleur de leur forme.» des sens. Pour le meilleur.
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36 u Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020

Casque t’écoutes ?
Claire Denis cinéaste

«Le drone m’enfonce dans l’abîme»


REUTERS

O
n connaît la passion Le dernier disque que vous avez Votre musique de film préférée ? Votre plus beau souvenir de C’est une musique qu’on ne peut
de la réalisatrice de acheté ? The Master de Paul Thomas Ander- ­concert ? pas écouter avec quelqu’un qu’on ne
Chocolat, J’ai pas Le dernier Rachid Taha, Je suis afri- son et, plus récemment, celle d’Un- Il y en a plein : Bashung avec Chloé connaît pas.
sommeil ou plus ré- cain, que j’écoute en boucle. Il me cut Gems par Daniel Lopatin. Mons, les Tindersticks au Casino de Le morceau qui vous rend folle
cemment High Life, pour le song- manque. Le disque que tout le monde Paris… de rage ?
writing mélancolique du groupe Où préférez-vous écouter de la aime et que vous détestez ? Allez-vous en club pour danser, Je ne l’écouterais pas.
britannique Tindersticks. Mais musique ? En général, quand tout le monde draguer, écouter de la musique Le dernier disque que vous avez
Claire Denis écoute aussi bien du Autoradio, quand je suis seule en aime, j’aime aussi. sur un bon soundsystem ou écouté en boucle ?
drone que Johnny Cash. voiture. Le disque pour survivre sur une ­n’allez-vous jamais en club ? L’album solo de Kim Gordon.
Quel est le premier disque que Un disque fétiche pour bien île déserte ? Je n’ose plus y aller, mais je trouve Le groupe dont vous auriez aimé
vous avez acheté adolescente ­débuter la journée ? Un Johnny Cash. que c’est une manière exception- faire partie ?
avec votre propre argent ? Stepping Razor de Peter Tosh, Quelle pochette de disque avez- nelle d’entrer dans la musique. Aller The Animals.
Un 45 tours de The Animals. Eric ­imparable. vous envie d’encadrer chez vous dans un club, danser, bouger sur de La chanson qui vous fait tou-
Burdon, sa voix, sa manière de pro- Avez-vous besoin de musique comme une œuvre d’art ? la rumba congolaise… Et puis, je fais jours pleurer ?
noncer les mots, ont marqué ma pour travailler ? Celles de la peintre Suzanne partie d’une génération pour qui les Nightshift par les Commodores.
vie. J’ai fait tout un film, US Go Oui, j’ai découvert et écouté en bou- ­Osborne qui fait les pochettes des slows ont vraiment compté parce Recueilli par Alexis Bernier
Home, avec ses chansons. Et un soir cle le deuxième album des Tinder- Tindersticks. qu’ils permettaient tout simple-
à Berlin, il y a quatre ou cinq ans, je sticks en écrivant un scénario qui Un disque que vous aimeriez ment de tomber dans les bras de
l’ai rencontré après un concert. Un s’en est trouvé nourri. Quand on ­entendre à vos funérailles ? quelqu’un. Ses chansons fétiches
drôle de moment, j’avais tellement écrit avec Jean Pol [Fargeau, son Il faudrait qu’il y ait les Commo­- Quel est le disque que vous par- The Beach Boys
rêvé d’être face à lui. complice scénariste, ndlr], nous dores. tagez avec la personne qui vous In My Room (1963)
Votre moyen préféré pour écou- écoutons souvent l’opéra Billy Budd Savez-vous ce qu’est le drone accompagne dans la vie ? Alain Souchon
ter de la musique ? de Benjamin Britten. Sinon, j’ai une metal ? Les trop rares albums du musicien C’est déjà ça (1993)
CD ou vinyle. Je n’aime pas beau- recette pour entrer dans le travail : Oui, j’en écoute. Cela me permet de martiniquais Eugène Mona, que j’ai Tindersticks
coup écouter avec un ordinateur. j’écoute le début d’Ondine de Ravel. m’enfoncer dans l’abîme. eu la chance de rencontrer chez lui. Tiny Tears (1995)

le bureau des écoutes Par


kiki picasso
dr

L’agenda

25 – 31 janvier
n Comme si le coin n’avait de monde au fil des ­dates.
pas eu déjà assez de problè- Celle du quintette énervé
mes avec l’incendie de Rendez-Vous (photo), sorte
l’usine Lubrizol, v’là-t’y pas de chaînon manquant entre
que pour remonter le moral Nine Inch Nails et Jessica93.
de la population débarque Un groupe porté par un bas-
un show de Génération siste dément qui n’a rien à
Abba sous titré Abborn envier à Peter Hook (New ­
World Tour. Waterloo morne Order). Il faut le dire.
plaine. (Ce mardi à Rouen, (Mercredi à Paris, la Cigale.)
Zénith.) n Dans la série des petits
n On a vanté ici même festivals où l’on découvre
­Intrusion, le dernier EP de beaucoup plus de choses
la technoïde Mila Dietrich, que dans les gros, Closer
la DJ-productrice à suivre Music (clin d’œil à un fa-
sur la scène française. On meux duo électronique des
mettra donc le réveil à mi- années 00) tient depuis
nuit pour descendre dans le deux ans une place de choix.
célèbre club du boulevard Si vous connaissez un artiste
Poissonnière et assister à sa de cette soirée d’ouverture
release party. Avec égale- avec Lavascar, Mhysa,
ment ­Djedjotronic et Sara Teto Preto, félicitations
Zinger. (Mercredi à Paris, vous avez gagné (au mini-
Rex Club.) mum) notre respect.
n Clap de fin d’une tournée (Vendredi à Paris, Lafayette
qui a rameuté de plus en plus Anticipations.)
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Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 37

Pages 44-45 : Elif Shafak / «Istanbul n’a pas de mémoire»


Page 45 : Pierre Chopinaud / Territoire de perdition
Page 48 : Rune Christiansen / «Comment ça s’écrit»

Recueilli par
Frédérique Roussel

L
a rencontre a lieu dans le dit
«salon bleu» de son éditeur,
parquet et miroir d’un autre
siècle avec vue sur le jardin et le pa-
villon La Pléiade où l’on entend
s’affairer un heureux jardinier. As-
sis dans un canapé, Ian McEwan
parle à bâtons rompus d’intelli-
gence artificielle façon XXIe, avec
parfois un geste vers un téléphone
portable à écran 6 pouces, assez
grand autrement dit, retourné côté
tissu du siège. Non qu’il veuille sur-
veiller l’arrivée de messages, l’écri-
vain britannique fait partie de ces
interlocuteurs polis et disponibles
au moment présent, mais plutôt
pour appuyer parfois un argument
et assumer la puissance tyrannique
Ian McEwan le 15 janvier à Paris. Photo Ludovic Carème

de l’objet auquel il a fini par suc-


comber une dizaine d’années plus
tôt. Son dernier roman, Une ma-
chine comme moi, se situe en 1982,
et le fameux mathématicien Alan

«J’ai abandonné
Turing, acteur majeur du décryp-
tage du code nazi Enigma et dis-
paru en 1954, vit encore. Liquidant
son héritage, le narrateur Charlie a
acheté un androïde beau et sensible

toute loyauté aux


prénommé Adam, produit d’une
première série. Tous deux tombent
amoureux de la belle Miranda, qui
a dénoncé autrefois un homme
pour viol, endossant le rôle de la

lois de la physique»
victime à la place de son amie. Dé-
battre des reliefs du monde et de ce
qui nous pend au nez passionne
Ian McEwan.
Pourquoi avoir écrit cette
­histoire alternative ?
En situant un roman dans le passé,

Entretien avec
on change le passé, tout en restant
dans un univers de pure fiction.
Mais ce n’est que le background.
Mon livre se présente comme une
exploration de ce que pourraient

Ian McEwan
être des relations intimes avec une
intelligence artificielle qui aurait at-
teint le niveau de complexité que
nous avons entre Suite page 42
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38 u Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020

Livres / à la une

Entretien avec
Ian McEwan
Suite de la page 41 nous. Ma pre- prison parce que c’est un violeur
mière idée, c’était que Turing, qui même si ce n’est pas elle qui a été
s’est suicidé en 1954, devait vivre abusée comme elle l’a prétendu ;
pour être une sorte de sentence mo- d’autres qu’elle a menti sur les faits
rale parlant de l’intelligence artifi- et doit l’assumer légalement. Pour
cielle. Il ne devait pas être trop qui penchez-vous ? Miranda a rai-
vieux, 70 ans, à peu près comme son ou Adam a raison ?
moi, et il les aurait eus en 1982. Je suis d’avis qu’un violeur doit
Pourquoi Alan Turing ? être condamné. Avez-vous choisi
Je le considère comme un héros in- cette situation en écho au
tellectuel depuis très longtemps. ­contexte actuel ?
En 1978, j’ai écrit une pièce sur lui Pas tant que ça, non. J’ai seulement
pour la télévision, The Imitation utilisé cet exemple comme une
Game. J’ai lu ses essais datant des scène centrale pour montrer que
années 30, qui spéculaient sur la nous pourrions avoir une créature
manière dont une machine pouvait moralement supérieure à nous.
être aussi intelligente qu’un hu- Adam dit à Miranda, tu te mets toi-
main. C’était un très bon mathéma- même en position de t’acquitter du
ticien, qui s’intéressait aussi à la prix pour avoir envoyé cet homme en
biologie ; c’était un des derniers prison. Tu dois pouvoir payer cela de
­esprits universels. On estime qu’il ta liberté pendant un an. C’est une
a réduit la durée de la guerre de position parfaitement cohérente.
deux ans, et il a pourtant été persé- Il demeure que c’est un huma­-
cuté par les autorités pour son noïde…
­homosexualité. Sa vie est une Ce n’est pas un problème abstrait !
énorme ironie et c’était un plaisir Si nous considérons par exemple
de le ressusciter dans la peau d’un que les rues de Paris seront bientôt
personnage. pleines de voitures autonomes :
Pourquoi Turing reproche-t-il à doivent-elles protéger le chauffeur
Charlie d’avoir démoli à coups ou le piéton ? C’est une vraie ques-
de marteau son androïde ? tion. Il peut y avoir de très bonnes
Il réprimande Charlie parce que, raisons à laisser l’ordinateur déci-
comme il dit, ce que vous avez es- der de sauver l’humain. Nous avons
sayé de tuer c’est une conscience. atteint un moment critique où nous
Nous arrivons à un moment où nous en remettons aux machines
nous acceptons finalement que pour une décision morale. C’est ici
nous ayons conçu une machine et maintenant. L’intelligence arti­-
avec une conscience, des senti- ficielle entre dans la plupart des
ments, qui ressent de la peine, de la ­recherches militaires. Ce sont des
joie, et nous n’en sommes plus les machines qui décideront qui tuer.
propriétaires. Nous devrions avoir Dans moins de quinze ans, nous
appris ça de l’esclavage. Je voulais ­devrions avoir des robots plus intel-
que Turing dise : vous devez accep- ligents que nous, pas seulement
ter que cette machine ait des droits. avec la capacité à se souvenir ou
La détruire, c’est un meurtre. Et à calculer, mais avec même un
c’est davantage qu’une abstraction. ­esprit moral.
Cela sera un problème existentiel Même si la machine se retourne
pour l’humanité. contre l’homme ? Adam casse le
Le lecteur ne peut-il pas penser bras de Charlie pour ne pas être
aussi qu’Adam mérite ce coup de débranché…
marteau ? Nous sommes dans un âge où nous
Mais mérite-t-il d’être anéanti sim- allons nous priver de notre pouvoir
plement parce qu’il affirme qu’une et devenir des objets pour des gou-
société ne doit pas être basée sur la vernements puissants. La face som-
vengeance ? Il mérite un argument, bre de ce monde est un futur orwel-
pas le marteau. Adam aurait été un lien. Nous le voyons déjà en Chine
humain, Charlie n’aurait pas fait ça. où le contrôle s’est accru sur la vie
Un androïde peut-il être plus des citoyens. L’IA y est utilisée pour
moral que son créateur ? la reconnaissance faciale, expéri-
Nous savons comment être bons, mentée sur 4 millions de person-
nous, les humains. Nous avons la nes. En Occident, nous subissons
religion, la philosophie, le sens l’intrusion de puissantes entrepri-
commun, mais nous avons du mal ses qui achètent nos habitudes.
à être bons tout le temps. Imaginez N’est-ce pas une époque dérai-
ce défi de fabriquer un humanoïde sonnable ?
qui va bénéficier de toutes ces qua- Le coût de notre confort, c’est sa fra-
lités. Cette créature sera cohérente, gilité. Ces technologies sont magi-
elle disposera de toutes nos défen- ques. Je ne sais même pas comment
ses morales et cognitives. J’ai ainsi marche un interrupteur. J’appuie
tenté de construire une situation sur un bouton chez moi en haut des
dans laquelle je pouvais diviser mes marches, et la lumière se fait en bas.
lecteurs. Certains penseront que Mais le présent n’a jamais aussi été
c’est parfaitement raisonnable pour intéressant. C’est une excellente
Miranda d’envoyer un homme en époque pour un romancier. lll
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Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 39

Ian McEwan
Une machine comme moi
Traduit de l’anglais
par France Camus-Pichon.
Gallimard «Du monde entier»,
400 pp., 22 €..

La cote d’Adam
lll Pourquoi ? J’ai pris une voie imprévisible, mais
Nous sommes au bord de bascule- c’est une libération pour moi. Je
ments avec des décisions à prendre, peux désormais parler de toutes les

«Une machine
le changement climatique se si- choses qui m’intéressent, la politi-
tuant clairement en tête. Il n’y aura que, la philosophie, la technologie,
pas de futur pour l’IA si nous avons la science. J’ai soudainement aban-
rendu la planète inhabitable dans
150 ans. Le sujet suivant, c’est la
manière dont nous allons mener la
donné toute loyauté aux lois de la
physique.
Pourquoi ?
comme moi» et toi
révolution numérique. Nous avons L’âge, peut-être. C’est comme mon
conçu ces écrans et nous n’avons troisième acte.

A
aucune idée de là où ils vont nous Ce roman-ci ne relève-t-il pas de dam, 77 kilos, est Benn, «socialiste bien né» à fond
mener. Nous avons plutôt vécu l’ar- la science-fiction ? bien bâti, le dos pour le Brexit, qui passera la
rivée d’Internet comme positive. Je Quand j’ai donné ma première in- musclé, la peau grille du 10, Downing Street. Au
peux retrouver un poème oublié terview liée à Une machine comme brune, des che- passage, l’auteur gâte la France
avec un fragment, sans titre et sans moi, quelqu’un m’a demandé : veux noirs coiffés en arrière. Sa qui hérite de Georges Marchais
auteur, c’est accessible et c’est «Etes- vous désormais un écrivain de peau plus vraie que nature est à l’Elysée. Malicieux, l’écrivain
beau. Mais nous n’imaginions pas science-fiction ?» J’ai répondu : tiède au toucher. Tout nu, ses défend lui-même son échafau-
qu’un tel média mènerait à des in- «Non, je ne m’intéresse pas aux vais- batteries pas encore chargées, il dage page 90, avec une belle ti-
terférences russes dans la présiden- seaux spatiaux qui vont à la vitesse est assis dans la cuisine miteuse rade sur la définition de l’uchro-
tielle américaine, ni à tous les dis- de la lumière.» Je regarde simple- de l’appartement de Charlie au nie : «Le présent est la plus fragile
cours de haine, aux fake news et à ment le monde. Ce qui m’intéresse sud de Londres face à son acqué- des constructions improbables. Il
l’ébranlement de la ­confiance dans n’est pas l’apocalyptique, mais l’im- reur et Miranda, la jolie voisine aurait pu être différent. En par-
les institutions. Nous sommes au pact de la technologie sur la vie per- du dessus. «Devant nous trônait tie ou en totalité, il pourrait être
bord d’un changement de civilisa- sonnelle, politique et sociale. le jouet ultime, un rêve séculaire, tout autre. C’est vrai des problè-
tion avec l’IA. Est-ce une tendance dans la le triomphe de l’humanisme – ou mes mineurs comme des plus vas-
Cela change-t-il votre manière ­fiction d’aujourd’hui ? son ange exterminateur.» Charlie, tes. Il est si facile d’imaginer un
d’écrire ? Pendant trop longtemps la fiction a lui, est un trentenaire de chair et monde où je n’aurais pas d’ongle
Quand j’ai commencé à écrire dans joué seulement sur le superficiel et d’os, qui boursicote à domicile et incarné, où je serais riche, où je
les années 70, je pensais que la le frivole en prétendant être expéri- a englouti l’héritage familial vivrais au nord de la Tamise
grande chance de notre civilisation mentale, mais les expérimentations dans cet androïde rêvé. Il aurait après avoir réussi une opération
était la solitude. Etre seul de votre avaient déjà été faites par Proust, par préféré une Eve, mais les spéci- boursière […] un monde où la fa-
propre chef, même plusieurs heures Joyce. Elle n’avait pas assez d’enga- mens féminins de la première sé- brication d’Adam appartien-
par jour, sans aucune connexion gement dans le monde. Il y avait une rie limitée de 25 ont été raflés dès drait à un avenir lointain.»
avec le monde. C’est devenu beau- sorte de dissociation, comme si cela la première semaine.
coup plus difficile. Ou alors il faut ne devait être traité que par les jour- On se frotte les yeux pendant Raseur. Tout cela paraît fantai-
le faire consciemment, en éteignant nalistes. Nous avons besoin de saisir qu’Adam recharge ses batteries siste, mais l’histoire est en réa-
sa machine. Celle sur laquelle j’écris certaines des particularités du sur la prise Kitchen… Ian McE- lité incroyablement bien bâtie,
est aussi un portail avec toute la XXIe siècle. Pas seulement dans une wan a dû redécouvrir Isaac Asi- et finement. Le roman mêle les
connaissance humaine et un réseau élaboration soignée des personna- mov et Blade Runner, et veut re- préoccupations les plus sérieu-
de communication. Je suis une per- ges comme chez Tolstoï ou Flaubert, nouveler le scénario du ménage ses, la révolution de l’intelli-
sonne prédigitale dans un âge digi- mais aussi sur ce sentiment d’être au à trois en y ajoutant l’amant en gence artificielle et ses consé-
tal. Je suis un dinosaure, survivant monde, de ce à quoi cela ressemble silicone. Car c’est toujours avec quences, avec la satire sociale et
à une époque de mammouths. de vivre à Paris en 1850, à Moscou ce talent de l’écrivain britan­- politique. Les sciences et les
Quand je m’assois à mon bureau, j’ai en 1880 ou dans un village de cam- nique pour la comédie sociale, scientifiques ont toujours inté-
toutes les conditions propices à la pagne en 1801 dans un roman de que démarre Une machine ressé McEwan (Samedi, 2006 ;
solitude, mais j’ai aussi cet écran Jane Austen. De trop nombreux écri- comme moi. Le béguin qu’a Char- Solaire, 2011), l’histoire et la po-
haute définition qui peut me don- vains pendant les dernières trente lie pour Miranda lui inspire un litique aussi (l’Innocent, 1990 ;
ner tous les films, tous les journaux ou quarante années après la Se- cycle de pensées variées, que l’ir- Opération Sweet Tooth, 2014). Et
de la planète, tous les potins, tous conde Guerre mondiale – Albert Ca- ruption de son gadget de luxe va il a une prédilection pour les
les articles scientifiques. Y résister mus étant la grande exception – ont corser davantage. casse-tête et situations impossi-
est un combat pour moi qui m’inté- eu des dissociations existentielles. bles. Ainsi la délicieuse et insai-
resse passionnément à ce qui se Ils jugeaient vulgaire d’écrire sur la «Tout autre». Mais on est loin sissable Miranda finit-elle par
passe dans le monde. technologie, la politique ou la crise. du compte. L’écrivain britanni- confesser avoir faussement ac-
Avez-vous pris du plaisir à écrire Le retour de ces thèmes est une libé- que, joyeusement inspiré par le cusé l’homme de l’avoir violée
ce roman ? ration. Un des inconvénients de ce champ qu’ouvre de faire voler en pour venger son amie. Ce qui
Beaucoup. Je n’ai pas eu besoin de long moment existentiel dans la fic- éclats la logique temporelle, a rappelle d’ailleurs que dans Ex-
faire des recherches, d’aller où que tion européenne est d’avoir perdu décidé de poser notre robot mi- piation (2001), Briony, petite
ce soit ou parler à qui que ce soit. des lecteurs, parce qu’ils n’ont pas roir en 1982. Pourquoi 1982 ? fille de 13 ans, faisait un faux té-
J’ai pensé à l’intelligence artificielle trouvé le reflet de la société dans ces Parce qu’il y projette aussi la fi- moignage qui expédiait Robbie
toute ma vie. Mais je n’avais jamais écrits. Vendre des romans à plus de gure d’Alan Turing, icône pro- sous les verrous. Pour Adam,
pensé que j’écrirais un livre là-des- 300 exemplaires était considéré phétique de l’intelligence artifi- l’androïde pourtant amoureux
sus. comme un échec, en oubliant que cielle (voir ci-contre). Turing de Miranda, elle doit l’avouer au
Depuis Dans une coque de noix, les grands romanciers du XIXe siècle ressuscité d’entre les morts, il juge et payer pour ça. Car le ro-
Getty Images . iStockphoto

ne vous êtes-vous pas engagé étaient lus. Le roman devrait fonda- n’y a pas de raison de ne pas bot sensible qui compose des
dans une certaine direction ? mentalement être une forme popu- bouger quelques autres pièces haïkus et ouvre les bouteilles de
Pendant longtemps, j’ai écrit des ro- laire. Il a besoin d’être une figure ac- de l’échiquier du passé. Tiens, vin, se révèle aussi une sorte de
mans réalistes. A l’approche de mes tive dans la culture, pas seulement prenez la fameuse guerre des raseur moral. Qui dit ainsi :
70 ans, j’ai écrit cette histoire narrée l’apanage d’un clergé. Nous voulons Malouines qui permit à Thatcher «Comme le disait Schopenhauer
par un fœtus, et l’été dernier, un pe- avoir une discussion, au moins sur de se faire réélire l’année sui- à propos du libre arbitre, on
tit roman sur le Brexit, The Cockro- ce à quoi nous sommes confrontés. vante, eh bien le Royaume-Uni peut choisir selon ses désirs,
ach [à paraître en français au prin- Y voir l’intelligence artificielle est l’a perdue et avec elle près de mais on n’est pas libre de choisir
temps, ndlr], dans lequel un insecte comme tenir un miroir et nous dé- 3 000 soldats. Exit la «Dame de ses désirs.»
se transforme en Premier ministre. couvrir, avec nos limites. • fer», et c’est un certain Tony F.Rl
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40 u Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020

«Le jour délavé


Poches s’émerveille/ d’être égal à
la nuit crémeuse/ où de
Frédéric Jacques Temple frénétiques oiseaux/
La Chasse infinie entre les hautes vagues
et autres poèmes d’opalines/ déclament
Préface de Claude Leroy, contre la houle pesante/
«Poésie» Gallimard, de pervenche et de
367 pp., 9,50 €. tourmaline.»

Saint grand-père «L’essence d’Istanbul


«Le Petit-Fils»,
drame en sourdine est féminine» Entretien
de Nickolas Butler avec Elif Shafak
Par Virginie Bloch-Lainé Recueilli par Alexandra Schwartzbrod

D E
es collines, les marais du Mississippi, de lif Shafak a pris le La romancière turque vit à
grands frênes, des faucons, des aigles et risque de nous Londres et écrit en anglais
un grand-père de la classe moyenne at- plonger, dès la mais voyage énormément
tentif et serein qui parcourt la campagne deuxième page de pour assurer la promotion de
du Wisconsin pour rendre visite à ses amis vieillissants : son nouveau roman, «quelque ses romans traduits dans de
a priori, on s’approche du paradis. Mais patiemment Ni- part dans les faubourgs d’Is- nombreuses langues. En dé-
ckolas Butler fait apparaître les obstacles qui ont fait tanbul, en face d’un terrain de cembre, elle était à ­Paris.
trébucher ses personnages dans le passé, et en rallonge football sombre et humide, au Vous êtes-vous inspirée
la liste. Les poids qui lestent leurs cœurs depuis long- fond d’une benne à ordures en des Mille et Une Nuits pour
temps émergent les uns après les autres, jusqu’à ce que métal aux poignées rouillées et écrire ce roman ?
les conditions d’un drame soient réunies, mais toujours à la peinture écaillée». Une Non, mais je me suis toujours
en silence. Nickolas Butler, l’auteur quadragénaire du benne à ordures, ce n’est pas sentie proche du Moyen-
Petit-Fils, écrit en sourdine. La catastrophe s’épanouit banal. Ce qui l’est encore Orient, qui reste une source
dans la douceur et les nuances, sans précipitation. Dé- moins, c’est ce qu’elle con- d’inspiration. J’aime l’idée
duisez qu’elle aurait pu être évitée. Le Petit-Fils est au- tient, une femme «d’un mètre d’être un pont entre les deux
tant l’histoire d’un enfant qui a un problème que celle soixante-dix plus les vingt cultures, occidentale et orien-
d’adultes qui lui mettent des bâtons dans les roues, car centimètres de talon des san- tale. Peut-être parce que j’ai
vivre simplement n’est pas chose facile. dales violettes qu’elle avait en- été élevée par deux femmes,
Lyle et Peg ont dépassé la soixantaine. La petite ville du core aux pieds». Et l’on n’a pas ma mère et ma grand-mère,
Wisconsin où ils habitent se dépeuple et offre moins encore tout vu : cette femme qui me racontaient des tas
d’emplois. Lyle fait contre mauvaise fortune bon cœur : vient juste de mourir, assassi- d’histoires venant d’Orient.
après avoir travaillé avec bonheur dans un magasin née par des malfrats, mais son Comment vous est venue
­familial d’électroménager qui a fermé, faute de clients, cerveau est toujours actif. Il va cette idée de ces quelques
il livre des fruits et des légumes à de petites enseignes, fonctionner 10 Minutes et 38 minutes de vie qui subsis-
dans tout le comté. Ce n’est pas une activité sans danger. secondes dans ce monde tent après la mort ?
Shiloh, la fille de Lyle et de Peg, habite avec eux, à un âge étrange, comme le dit le titre, Je m’intéresse depuis tou-
où elle devrait s’être émancipée. Ils l’ont adoptée après cet entre-deux qui sépare la jours à la médecine, et no-
la mort de leur enfant biologique. Shiloh est devenue à vie de la mort et qui va per- tamment à ce qui se passe
son tour la mère d’un jeune garçon qu’elle élève seule : mettre à la victime, dans un après la mort. Au Canada, des
«Lyle et Peg ignoraient tout du père d’Isaac.» Le ciel s’obs- très original compte à re- études ont démontré que l’ac-
curcit, mais Nickolas Butler continue d’accorder de la bours, de retracer son exis- tivité cérébrale se poursuit
place aux gestes minutieux de chacun, à la préparation tence et les différents drames dix minutes après notre dé-
soignée d’un repas, à l’observation du vol des oiseaux qui l’ont menée d’une petite cès. J’ai voulu comprendre ce
migrateurs. La tension monte : Shiloh apprend à ses pa- ville d’Anatolie à ces fau- qui se passait dans le cerveau
rents qu’elle a la foi qu’eux-mêmes ont perdue. Elle fré- bourgs d’Istanbul, dans cette quand le corps est en train de
quente une église singulière, l’Assemblée indépendante benne à ordures. En ce sens, s’éteindre. Pour un roman-
des Coulee Lands, qui s’est implantée dans un cinéma ce roman peut être comparé cier, c’est extraordinaire ! Et la
désaffecté. A sa demande, Lyle et Peg assistent avec elle aux contes des Mille et Une structure même du roman,
à un office et rencontrent le pasteur: leur fille «rayonnait Nuits : comment raconter sa avec son compte à rebours personnes LGBT, de nom- qui l’ont perdue sous la
devant cet homme». Steven est un gourou, et cette église vie pour mieux retarder le jusqu’à l’extinction définitive breux morts du sida, des ­contrainte. Pour les prosti-
une secte qui proclame le jeune Isaac doué de talents de moment de la mort. du cerveau permet de com- prostituées, des réfugiés, des tuées, ce n’était pas facile car
guérisseur. Il doit les mettre au service de la commu- Cette femme, une prostituée prendre comment on peut bébés morts à la naissance, elles sont totalement passées
nauté. Le cauchemar monte d’un cran lorsqu’il s’avère dénommée Tequila Leila, fil faire défiler une vie entière en tout ce qui est considéré en sous silence dans ce pays. Je
qu’Isaac est gravement diabétique, mais que le pasteur rouge du roman, est son héro- seulement dix minutes. Turquie comme le rebut de la voulais aussi montrer à quel
préconise de ne pas le confier aux médecins. ïne. Mais Istanbul en est une Vous consacrez de nom- société. C’est un endroit très point il est facile d’être exclu
Le Petit-Fils est en partie inspiré de faits réels qui se autre et aussi toutes celles que breuses ­pages à cet endroit triste où ne figurent que des dans un pays où la démo­-
sont produits dans le Wisconsin en 2008. Si la mise en la société turque rejette et qui étonnant ­d’Istanbul, le Ci- numéros. Je voulais renver- cratie n’existe pas. A la
danger de la vie d’Isaac est le thème le plus sonore du se retrouveront un jour au metière des abandonnés, ser le processus, transformer ­seconde où vous devenez
roman, le livre vaut pour l’ensemble de ses motifs : fond d’une tombe anonyme à Kylios… de simples chiffres en êtres ­différent des autres, votre vie
l’amour d’un couple qui résiste aux années, le portrait du cimetière des oubliés. Re- Il y a plusieurs années, je m’y humains, raconter que les va changer.
d’une famille qui fuit la confrontation, la vaillance d’un fermant ce formidable roman, suis retrouvée par hasard et gens enterrés là sont peut- Vous avez aussi des propos
homme qui prend de l’âge et ne peut plus se défendre aussi triste que joyeux, vi- j’ai voulu savoir qui était en- être bannis mais en aucun cas très ­critiques de la religion.
s’il est attaqué par un plus jeune et plus nerveux que brant de poésie et fourmillant terré là. A priori, personne ne abandonnés. Oui, quand elle est organisée,
lui. Le héros du Petit-Fils est le grand-père, Lyle, qui de légendes, on ne peut s’em- peut le savoir car aucun nom Votre roman se passe dans structurée, patriarcale, quand
pèse ses mots et ses actes, et que l’on verrait bien in- pêcher de penser à un autre li- n’est indiqué sur les tombes. le milieu des prostituées à elle manque d’humanité.
carné à l’écran par Clint Eastwood. • vre, le Ministère du Bonheur Et j’ai découvert que se trou- Istanbul, vous avez en- Dans un environnement reli-
suprême, de l’Indienne Arun- vaient là tous les exclus, les quêté aussi sur ce milieu ? gieux oppressif, il n’y a pas de
Nickolas Butler Le Petit-fils Traduit de dhati Roy, où le cimetière de- proscrits, celles et ceux qui En tant que romancière, place pour la liberté d’une
l’anglais (Etats-Unis) par Mireille Vignol. Stock, vient lieu de vie et les parias avaient été répudiés par leur j’ai toujours essayé de donner femme. La Turquie a terrible-
350 pp., 22 €. des héros du quotidien. famille et donc beaucoup de une voix à celles et ceux ment régressé à ce ­niveau-là.
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Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 41

«Quand il eut fini d’écrire, il reposa «A nouveau, levant la tête, je croise


son stylo et relut attentivement ce le regard scrutateur de l’homme.
qu’il avait fait, il se cala dans son fau- Je commence à lui expliquer que je
Paul Auster teuil, fit une pause pour fumer, se suis écrivain et psychologue, que je
4321 gratter la tête et réfléchir, puis il reprit suis ici pour faire plusieurs reporta-
Traduit de l’anglais son stylo et entreprit de réécrire le ges, dont un sur la prise en charge
(Etats-Unis) chapitre. Six versions et neuf jours Sarah Chiche des réfugiés, et que, de ce fait, j’ai
par Gérard Meudal. plus tard, il ne restait que quatre Les enténébrés passé toute la nuit dans la gare
Babel, 1 214 pp, 13,50 €. phrases de la première version.» Points, 404 pp., 8 €. de Hauptbahnhof, et pas dormi.»

Langue de terres
Un parcours initiatique
dans «Enfant de perdition»,
de Pierre Chopinaud
Par Frédérique Fanchette

C
ertaines langues occu- et toutes les digressions ne sont que
pent plus de signes que prétextes à y revenir, à y faire rentrer
d’autres, on s’en rend tout le fracas du monde dans un rétro-
compte quand des ou- pédalage de boîte de Pandore à l’en-
vrages sont traduits, il faut plus de pa- vers. Et c’est dans l’ancrage à ce petit
ges pour une même œuvre. Celle, ar- pays natal, mal dessiné comme une
due, de Pierre Chopinaud est de celles- carte au trésor au début du livre, que
là, elle aime les détours, charrier au réside le charme du roman. Le narra-
passage tout ce que d’autres laisseraient teur est un enfant de Romilly, soit un
sur le bas-côté. Ses phrases sont très petit bourg fictif pas loin de Lyon et de
longues, bourrées d’incises, de conju- Givors, planté de vignes et de vergers,
gaisons à l’imparfait du subjonctif et les au-dessus de la vallée où du fait de mi-
tournures pleines d’étrangeté. On y dé- grations anciennes ou récentes, vit une
cèle des mots en sommeil, comme «ice- population bigarrée, «l’universelle bâ-
lui», et des rejets du sujet après le verbe, tardise agglomérée». Des «Arabes» sont
façon troubadour. Le mot «débarouler» établis dans le voisinage. Ils fascinent
qui veut dire surgir soudainement, un et suscitent la répulsion du narrateur
régionalisme, débaroule justement à enfant, plus tard il s’en fera des amis.
plusieurs reprises. Mais le primo-ro- Leur langue, déjà, est autre. Et là où un
mancier s’il puise dans des formes an- auteur soucieux de réel utiliserait le de-
ciennes du français s’attaque à une réa- venu commun «nique ta mère», Pierre
lité bien contemporaine. Soit celle d’un Chopinaud écrit : «Au centre de cet ar-
narrateur établi avec sa famille sur des got était l’inceste, c’est-à-dire la des-
collines de la vallée du Rhône et qui truction du langage et du monde comme
grandit de la petite enfance jusqu’à la li- l’injonction faite parfois à son propre
sière de l’âge adulte, la tête pleine de frère, de réunir en acte le suc de sa chair
fantasmagories et de peurs. au corps de sa mère abolissait la sépa-
Son père est biologiste, il l’appelle «le ration originaire et l’interdit de leur
fabricant de crânes», allusion à sa pra- union qui avait fait la parole exister et
tique de la vivisection. Ce n’est que la avec elle une place pour le monde.»
première mention d’une souffrance
animale qui n’a rien à envier à celle des Insurrection. Cette langue à la ryth-
hommes. Il y aura dans ce roman ambi- mique très travaillée, est parfois drôle,
tieux des adolescents qui sacrifient un éventuellement hermétique, quand
faon et déroulent les intestins de chats elle sert à des épanchements sur la dé-
tués de leurs mains, mais aussi le bruit mocratie par exemple, mais à force de
des batailles humaines, plus précisé- se laisser porter par elle, elle s’avère
ment celle du conflit en Bosnie dans les souvent simplement poétique. Ainsi
Elif Vous avez une relation am- metières. Istanbul a toujours poursuivie pour obscénité. années 90, racontée par un voisin, lo- dans la partie «Nativité», chapitre II du
Shafak biguë avec Istanbul, une eu une énergie très féminine, Au printemps dernier, la po- gisticien parmi les Casques bleus. La livre I, où apparaît l’enfantelet narra-
en 2017. ville que vous semblez c’est pourquoi ce serait bien lice a fait irruption chez mon mère du narrateur, elle, vient du sud de teur : «Ma mère me fit la parole enfanter
Pako Mera. adorer et détester à la fois… que les femmes reprennent éditeur pour récupérer mes l’Italie, et sa langue natale n’est pas en français et envelopper dans cette
Opale. C’est une ville difficile pour leur place dans l’espace pu- livres. Le plus triste, c’est que celle de son enfant, qui se retrouve avec langue son corps, comme le vêtement
Leemage les écrivains, et aussi pour les blic. Mais la société turque est cela vient d’un pays où l’on a «une guerre raciale» à l’intérieur de lui. qui sa peau voilant me la faisait aimer.»
femmes car il n’y a pas de li- très sexiste, très homophobe. un vrai problème avec la Quand il rend visite à sa famille mater- De même «le rêve de l’insurrection
berté de pensée. Les rues, Je vis à Londres depuis ­violence contre les enfants et nelle, il se sent traître, rejeté par les d’animaux exotiques au milieu de la fo-
l’espace public appartiennent onze ans et j’ai de plus en plus les femmes. Au lieu d’aider mots qu’il ne comprend pas, la crasse rêt», raconté par le narrateur devant un
aux hommes, mais l’essence de difficulté à retourner à Is- les victimes, les autorités et la pauvreté. Lui est du côté de la li- auditoire d’enfants perdus repliés dans
de la ville est féminine. C’est tanbul. Londres est devenue harcèlent celles et ceux gnée paternelle, dirigée par le patriar- une ruine de cabanon en pleine nature.
un lieu complexe, plein de ci- ma maison. Je crois aux ap- qui tirent la sonnette che Abraham qui, défunt, a le même Sur le site de son éditeur, l’âge de Pierre
catrices, de blessures, de si- partenances multiculturelles d’alarme. La vie devient de masque mortuaire que le ­président de Chopinaud n’est pas mentionné, mais
lences et d’histoires. Elle a même si l’on reste attaché à plus en plus difficile là-bas la République, François ­Mitterrand. on indique qu’il a été humanitaire dans
une très longue histoire der- sa propre culture. Je suis eu- pour les écrivains. • le sud de l’ex-Yougoslavie «auprès de
rière elle et pourtant elle n’a ropéenne par choix et par «Bâtardise». Pierre Chopinaud crée populations minoritaires déplacées par
pas de mémoire. En tant mes valeurs. Mais je me sens Elif Shafak 10 minutes une matière romanesque torrentielle les guerres» dans les années 2000 et
qu’écrivaine, j’ai voulu res- surtout citoyenne du monde. et 38 secondes dans et il faut bien s’accrocher aux mots, qu’il a codirigé une association de dé-
susciter cette mémoire. Ra- Vous pouvez retourner en ce monde étrange pauvres lecteurs naufragés que nous fense de la culture rom. •
conter les drames qui se sont Turquie ? Comment y êtes- Traduit de l’anglais par sommes, avant de découvrir que le sol
passés dans ses rues, les gens vous traitée ? Dominique Goy-Blanquet. n’est pas si meuble que ça. Enfant de Pierre Chopinaud Enfant de
qui sont enterrés dans ses ci- Par les autorités, mal. Je suis Flammarion, 400 pp., 22 €. perdition est une histoire de territoire, perdition P.O.L, 576 pp., 24,90 €.
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42 u Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020

Sur Libération.fr
La semaine littéraire Lisez un peu de poésie le lundi, par exemple
un extrait de Rrose Selavy et autres péripatéties de Patrice Peyrot (Hortus,
«Inflexus») ; vivez science-fiction le mardi avec Terre errante de Liu Cixin
(traduit du chinois par Gwennaël Gaffric, Actes Sud «Exofictions») ;
feuilletez les pages jeunes le mercredi : Météore d’Antoine Dole (Actes Sud
junior «D’une seule voix») ; le jeudi, c’est polar : le Suspect de Fiona Barton
(traduit de l’anglais par Séverine Quelet, Fleuve noir) ; vendredi, choix du
service Livres et coups de cœur des libraires sur le site Onlalu.

Librairie éphémère Idées


de jurées
Agnès Desarthe, Didier Decoin prend la

campus et coutumes présidence du Goncourt,


deux femmes pour huit
hommes au jury. Qui suc-
cédera à Virginie Despen-
Par Alya Aglan Historienne tes et Bernard Pivot ?
L’idéal serait des roman-

I
maginez un monde où la distance révèle, sous le caractère lisse cières qui ont déjà eu le
des apparences, une réalité qui se craquèle et se fissure pour prix, mais, depuis 1966,
laisser entrevoir des aspérités inattendues voire des cristaux date où Edmonde Charles-
de folie nichés dans le quotidien. Le roman d’Agnès Desarthe Roux a été lauréate, elles
se charge de rendre palpable, par la littérature, ce qui prend un tour ne sont que sept. Duras est
insolite dès qu’une famille se met en mouvement pour réaliser ce morte, Antonine Maillet a
qui se présente comme la chance de leur vie. 90 ans et Paule Constant
Hector, universitaire, philosophe et poète, accepte l’invitation d’une fait déjà partie du jury.
université américaine de Caroline du Nord que l’on devine presti- Restent Marie NDiaye,
gieuse. Quitter la France bientôt endeuillée par les attentats pour Pascale Roze, Lydie Sal-
découvrir l’Amérique prête à s’offrir à Donald Trump dans l’année vayre et Leïla Slimani.
2015, ou plutôt s’acclimater aux us et coutumes des campus d’outre-
Atlantique – dont Hector devient rapidement la coqueluche – n’au-

Prix
rait rien d’exaltant si la métamorphose opérée n’influençait pas radi-
calement le comportement des personnages qui oscille entre
l’étrange et le surnaturel.
La voix de la narratrice suit le cours des réflexions intimes de
l’épouse, Sylvie, dont l’effacement revendiqué et l’omniprésence
d’assaut
presque animale se font concurrence. Elle observe, avec minutie, L’écrivain hongrois Endre
la manière dont le nouveau décor transforme son mari et son fils Kukorelly vient de ressus-
adolescent Lester, qui a choisi de s’appeler désormais «Absalon Ab- citer le prix Baumgarten,
salon» comme le titre du roman de Faulkner, avant de se mettre à qui a distingué naguère
psalmodier d’étranges prières. De découverte en découverte, elle des auteurs comme Gyula
assiste au frôlement de catastrophe familiale que constitue cette Krudy ou Frigyes Karinthy
aventure américaine sans se départir du regard ultra-lucide, presque et avait été suspendu par
distant, subtilement teintée d’humour, qui la distingue. le gouvernement commu-
La langue ciselée et sensible saisit le quotidien d’une famille française niste, apprend-on d’Ibolya
installée aux Etats-Unis en captant les harmonies et les dissonances Virag, éditrice en France
que porte l’intrigue en perpétuel mouvement. Et c’est un bonheur de littérature hongroise.
de suivre le flux de pensées qui accompagne le surgissement du fan- Cette initiative intervient
tastique dans la normalité perturbée d’un couple où, si la gloire est alors que les prix littérai-
réservée à l’homme, la conscience revient à sa femme. A lire avec res de l’Etat ces dernières
gourmandise pour la finesse de la pensée et de l’écriture, tellement années ont récompensé
intelligemment sensible. presque uniquement des
créateurs proches du pou-
Agnès Desarthe La chance de leur vie L’Olivier, 304 pp., 19 €. A l’université de Caroline du Nord. Christian Science Monitor. Getty Images voir, ou médiocres.

Ventes
Évolution
1 (2)
Titre
Miroir de nos peines
Auteur
Pierre Lemaitre
Éditeur
Albin Michel
Sortie
02/01/2020
Ventes
100 Prix de
saison
2 (1) Le Consentement Vanessa Springora Grasset 02/01/2020 100
3 (3) Vie de Gérard Fulmard Jean Echenoz Minuit 03/01/2020 40
Classement datalib des 4 (6) La Panthère des neiges Sylvain Tesson Gallimard 10/10/2019 39
meilleures ventes de 5 (9) Le Siècle vert Régis Debray Gallimard 09/01/2020 25 Nastassja Martin remporte
livres (semaine du 6 (12) Libres d’obéir Johann Chapoutot Gallimard 09/01/2020 22 le prix François-Sommer
17 au 23/01/2020) 7 (7) Tous les hommes n’habitent pas… Jean-Paul Dubois L’Olivier 14/08/2019 21 pour Croire aux fauves
8 (0) Les Voraces : les élites et l’argent… Vincent Jauvert Robert Laffont 16/01/2020 20 (Verticales). Doté de
9 (10) L’Homme qui pleure de rire Frédéric Beigbeder Grasset 02/01/2020 18 15 000 euros, ce prix ré-
10 (166) Apocalypse now… Lhomme et Davet Fayard 15/01/2020 17 compense un ouvrage «qui
explore d’une façon origi-
nale et sensible la question
des relations de l’homme à
Un séisme serait-il en train de faire bouger les plaques tec- Pendant ce temps, on aborde des questions sérieuses : «les Source : Datalib et l’Adelc, d’après un la nature». Sibylle Berg,
panel de 260 librairies indépendantes
toniques de cette pesante rentrée de janvier ? Miroir de nos élites et l’argent», vaste sujet ; Apocalypse now en impose de premier niveau. Classement des nou- romancière allemande ré-
peines a pris la tête du classement devant le Consentement. aussi. A y regarder de plus près, les bémols s’affichent. veautés relevé (hors poche) sur un total sidant à Zurich, traduite
Et ce sera peut-être l’inverse la semaine prochaine ? Voilà L’ouvrage de Vincent Jauvert, les Voraces, ausculte «Les de 92 645 titres différents. Entre paren- en France chez Jacqueline
thèses, le rang tenu par le livre la se-
qui est palpitant. élites et l’argent sous Macron». Quant aux duettistes du maine précédente. En gras : les ventes Chambon, Actes Sud et
Mais on plaisante. Pierre Lemaitre et Vanessa Springora Monde, le titre apocalyptique est suivi d’une précision en du livre rapportées, en base 100, à celles l’Arche, remporte le grand
du ou des leaders. Exemple : les ventes
sont au coude à coude en librairie. Le premier a séduit qua- petits caractères : «Les années Fillon». C’est tout de suite prix suisse de littérature ;
de Vie de Gérard Fulmard représentent
tre acheteurs de plus que la seconde cette semaine, d’où moins impressionnant. Même si Fayard ajoute sur la 40 % de celles du Consentement et de le prix spécial de la traduc-
son brassard n°1. bande : «L’histoire secrète de la droite française.» Cl.D. Miroir de nos peines. tion est allé à Marion Graf.
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Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 43

«La Genèse raconte l’histoire du petit-fils «Mais, comme de nombreux men-


d’Abraham, nommé Jacob, qui en chemin diants, Diogène a recours à d’autres
passe la nuit au bord d’une rivière qu’il circuits alimentaires. Les offrandes
doit traverser. Dans l’obscurité, l’homme posées près des autels et adressées
delphine horvilleur va se battre avec un envoyé mystérieux, aux dieux constituent des expédients
réflexions sur la ange ou humain, qui le blesse à la hanche Jean-manuel alimentaires prisés, si l’on parvient à
question antisémite mais lui offre au petit matin une étrange roubineau déjouer la surveillance des prêtres et
Le Livre de poche, bénédiction : “Ton nom ne sera plus doré- diogène à les dérober avant qu’elles ne soient
168 pp., 7,20 €. navant Jacob mais Israël”.» Puf, 240 pp., 15 €. frappées de péremption.»

cela suffit pour le jeu cham- tellectuelles et sociales» de peut-être parce qu’il se pré-
Romans boule tout. Trubert le «fol» l’obsession métrique, dont il sente encore comme un big-
Gerbrand Bakker agit dans une liberté totale, se demande si, à long terme, bang dont on ignore en fait à
Parce que les fleurs gratuitement et avec achar- elle ne risque pas de découra- quel univers il va donner
sont blanches nement, et toujours contre ger tant l’innovation que la naissance. L’ouvrage collectif
Traduit du néerlandais les puissants. Parodie du Per- coopération, et donc d’entra- présenté par Fabien Ollier a
par Françoise Antoine. ceval de Chrétien de Troyes ver le développement socio- l’avantage de proposer une
Grasset, 216 pp., 18 €. autant que version humaine économique. R.M. approche pluridisciplinaire,
du Roman de Renart, Trubert puisque parmi les contribu-
est signé par un trouvère teurs, à côté de philosophes
dont on ne connaît que le Collectif (sous (Michel Bel, Jean-François
nom : Douin de Lavesne. Il la direction Braunstein, Denis Collin,
tonomie et la personnalité est ici traduit en décasyllabes du chiffre». Autrement dit, de Fabien Hollier) Christian Godin, Pierre-An-
d’un individu. Face au désas- rimés. La version en ancien quand règne la métrique, nul La transmutation dré Taguieff, Isabelle de
tre, vous êtes «aidant fami- français, proposée en regard, ne se soucie plus de la qualité posthumaniste. Montmollin) apparaissent
lial». «En réalité, rien n’est est en octosyllabes. G.Le. (d’un chanteur, d’un com- critique des psychanalystes (Anne-
prévu pour vous dans la so- mercial, d’un vidéaste, d’un du mercantilisme Lise Diet, Emmanuel Diet,
ciété. Un ou deux jours de enseignant, d’un médecin…), anthropotechnique Thierry Vincent), une juriste
congé pour les obsèques, et Essais mais se focalise sur la quan- QS ? Editions, 382 pp., 20 €. (Aude Mirkovic), un historien
vous devez reprendre le tra- tité : le nombre d’entrées, le des sciences (Patrick Tort),
Maman est partie en voyage, vail, brisé par ce que vous avez Jerry Z. Muller nombre de vues, le nombre un linguiste (François Ras-
et ce n’est pas pour les affai- vécu.» Mais ce roman n’est pas La tyrannie des d’étudiants, d’amis, de cli- tier), une spécialiste de litté-
res. C’est pour un autre un témoignage de victime, il métriques ents, de patients…), de sorte, rature (Isabelle Barbéris) et
homme. Restent quatre gar- est au contraire le chœur des Traduit de l’anglais par exemple, qu’on n’opère un gynécologue (Paul Ces-
çons : des jumeaux, Klaas et malades, des familles, du per- par Patrick Hersant. plus dans certains hôpitaux bron) – tous étudiant l’«an-
Kees ; leur petit frère, Gerson ; sonnel hospitalier, des spé- Markus Haller, 238 pp., 22 €. des patients à risque afin de thropotechnique appliquée à
un chien, et un père bougon, cialistes, le carrousel de mo- «garder le taux de mortalité la naissance, à la sexualité,
vaillant et très aimant. Ils nologues inventifs. De Les «métriques», ce sont les bas». Professeur d’histoire au développement des capaci-
partent souvent en prome- chambre en chambre surgis- «mesures de performances à l’université catholique tés physiques et intellectuel-
nade à bord de leur vieille sent des bribes de récits. A chiffrées», censées traduire la d’Amérique de Washington, les, et enfin à la mort». L’es-
guimbarde. L’atmosphère est chacun son combat, sa fantai- «redevabilité des résultats». Jerry Z. Muller analyse cette pèce humaine serait-elle
mélancolique, cet adjectif sie, sa douleur, sa victoire et Termes sans doute barbares réalité diffuse – pouvant Le transhumanisme – appe- devenue «périmée», au regard
désignant selon le père «le sa perte. cl.d. qu’on rendrait par l’expres- aboutir à la distorsion même lant à «augmenter», «dépas- des «enjeux de rendement, de
bon côté de la tristesse». Un sion plus courante : la valeur de la notion de travail, et pas- ser», «transcender» l’hu- performance, de productivité,
jour de sortie, une automo- d’un individu, d’un groupe ou sant aussi par la tricherie – main – devient une véritable de compétitivité et d’adapta-
bile s’encastre dans la leur : Douin de Lavesne d’une institution est évaluée avec beaucoup de sérieux, et obsession de la philosophie bilité» promus par le capita-
«Gerson n’était pas dans la Trubert Traduit de à partir de la capacité à «faire explore jusqu’aux «sources in- et des sciences humaines, lisme ultralibéral ? R.M.
voiture, a dit Klaas plus tard, l’ancien français par
c’est la voiture qui était dans Bertrand Rouziès-Léonardi.
Gerson.» A 13 ans, Gerson Lurlure, 224 pp., 19 €
illustration Walter Glassof

perd la vue. Ce qu’il imagine


alors du monde est indiqué
en italique. La vie reprend,
ses frères l’entraînent dans
leurs jeux : «Nous avons dé-
couvert qu’il était sacrément
difficile de dire quoi que ce
soit sans faire allusion à la
vue.» D’autant plus que Ger-
son les prévient : «Les images
dans ma tête commencent à
dater.» Gerbrand Bakker, né
en 1962, à qui nous devons ce Comment un péquenaud
beau roman sur la paternité commence par aller vendre
et la fraternité est l’auteur de sa vache en ville et finit par
Là-haut, tout est calme (Gal- épouser un roi. Trubert, gros
limard, 2009). V. B.-L. fabliau ou court roman en
vers du XIIIe siècle, est un
ovni médiéval à l’humour ra-
Claire Fercak vageur. Son héros est un be-
Ce qui est nommé nêt aussi méchant que rusé,
reste en vie qui n’arrête pas de s’en pren-
Verticales, 154 pp., 16 €. dre au duc du coin : il l’arna-
que, le rosse (plusieurs fois),
Vient le jour où «votre père» couche avec sa femme, sa
ou «votre mère» devient «votre fille, le couvre de merde de
enfant», parce que la maladie chien (l’humour scato mé-
en a décidé ainsi, en l’occur- diéval est au rendez-vous),
rence le glioblastome, dont sabote le pacte d’alliance
les tentacules se développent avec son ennemi. Le duc ne
irrémédiablement dans le lui a pourtant jamais rien fait
folio-lesite.fr
cerveau, détruisant sur son de mal : mais il est au som-
passage tout ce qui a fait l’au- met de la pyramide sociale et
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44 u Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020

Comment ça s’écrit
Rune Christiansen,
en un coup deuil
Par Mathieu Lindon

L
e deuil est merveilleux. Ça chose.» Plus loin : «Se faire des idées,
ne le rend pas plus joyeux c’était relativement innocent. Ça
et ça pose cependant des n’avait rien de très compliqué d’imagi-
jalons pour y parvenir. Et, ner des choses, même grandiloquentes
surtout, ça justifie cet étrange titre et pleines d’espoir, on devait tout de
Fanny et la forêt en deuil, du Norvé- même pouvoir se le permettre.» Plus
gien Rune Christiansen né en 1963 et loin encore : «L’homme se taisait, mais
d’abord connu comme poète – ce qui son expression disait qu’il ne pouvait
n’étonnera pas les lecteurs de ce ro- vraiment croire à ses promesses,
man à l’atmosphère quotidienne et comme si elle essayait de lui cacher
fantastique découpé en brefs chapi- qu’elle avait été exposée à des choses
tres dont voici certains des titres : «De affreuses.» Car Fanny fait des rencon- Constance Debré en 2017. Photo Mathieu ZAZZO
l’eau qui coule toute la nuit», «Etait-ce tres, cet homme, un camarade de
le jour de la dernière allumette ?», «la classe, un blaireau dans son terrier, et
Joie des retrouvailles avec un clou»,
«C’est joli ici, non ?», «Il s’était à peine
écoulé un jour qu’elle se retrouva dans
surtout une jeune femme. Dans le
chapitre «Ce qui voulait se donner
pour le système solaire», elle vit son
Pourquoi ça marche
La dépossession
l’avenir». inadéquation au moins temporaire
«Elle», c’est Fanny dont la situation avec l’existence («C’était si ténu, ce qui
est énoncée dès la première page. la reliait à la terre») d’une manière a

selon Constance Debré


«Permettez-moi de vous raconter une priori on ne peut plus banale et pour-
histoire : une femme et son mari eurent tant si personnelle : «Elle resta à at-
un accident de voi- tendre le sommeil, les
«S’angoissait-on
Vues sur la mère
ture.» Ils n’y survivent yeux ouverts, désespé-
pas et leur fille se re- rée, presque, et cette
trouve «dernière sur- à l’idée que sensation l’effrayait,
vivante d’une lignée la transition habi-
sans autre descen- la mort puisse tuellement impercep-
dant». «Malgré son baver, déteindre tible entre l’état Par Claire Devarrieux
jeune âge, Fanny ob- d’éveil et le rêve pati-
sur la vie ?

C
tint le droit de rester nait et Fanny était onstance Debré, mes, Constance Debré n’a pas toute la colère.» Le portrait est
dans sa maison d’en-
fance. Les mois passè-
Et Fanny projetée de l’un à l’au-
tre par petits à-coups
dans Love Me
Tender, perd la
arrangé ses relations avec son
ex-mari, mais elle a gagné un
sans illusion et tendre. L’auteure
fait coexister hauteur et déché-
rent, mais le deuil elle-même, craintifs.» garde de son fils. peu d’argent, à un moment où ance, la distinction de sa lignée
l’accompagnait, il fai- Où trouver sa place Son ex y va fort. «Il m’accuse elle n’en avait plus du tout, ex- et le vocabulaire d’aujourd’hui.
sait partie d’elle, avait-elle peur dans ce mouvement d’inceste, de pédophilie sur mon plique-t-elle dans Love Me Ten- Elle met dans le même paragra-
comme la couleur de de mourir ?» perpétuel, qui est fils de huit ans, directement ou der. Sa sexualité, dans le présent phe un sandwich Sodebo et le
ses yeux, son nez de aussi bien celui de par tiers interposés. […] Il cite livre, est de plus en plus compul- château normand qui apparte-
travers, la forme de ses doigts.» La l’insomnie que celui de la vie même des passages de certains livres de sive et suit la ligne générale : nait à sa grand-mère maternelle.
maison est dans la forêt, alors le deuil ou des saisons ? Car ce n’est plus «la ma bibliothèque, Bataille, Du- «Mon programme, c’est le moins «J’ai grandi dans des familles où
contamine tout. Un cerf entre dans la chaleur de juillet». «Là, maintenant, vert, Guibert. Il fait des monta- de propriété possible.» Elle écrit : les femmes étaient viriles, où elles
maison, monte au premier étage dès l’hiver était bien avancé. C’était le ges, il crée l’accusation, le doute.» «Moi c’est pédé que j’aurais voulu chassaient, elles conduisaient,
le premier chapitre, intitulé «la Mort». froid affûté, crépitant, qui gouver- Elle fait appel, et gagne, elle être.» On sent que littérairement ­elles fumaient, où les hommes
Fanny n’aura d’autre solution que le nait. Les jours étaient si courts, ils se pourra voir l’enfant un week-end aussi, elle aimerait que ce soit pouvaient préférer dessiner, lire
tuer. «Certaines fleurs, certaines fleurs déplaçaient en mouvements furtifs, ir- sur deux, et les vacances, au lieu vrai. Mais la drague homo- Rimbaud et ne pas aimer la
suaves, si on les respire longtemps, jus- réguliers, comme un chien blessé.» d’«une heure tous les quinze sexuelle chez les filles, même in- chasse. C’était gender fluid, la
qu’à ce que le premier ravissement Mais chaque chose a ses saisons, la jours à l’espace rencontre». Mais tensive, n’est pas la même que noblesse de maman et la bour-
cède, évoquent la dégénérescence et la forêt aussi, et celle du deuil ne durera ça ne sert à rien. Le père a en- chez les garçons. «Les filles que geoisie de papa.» Sa mère lui a
mort.» Et, vite, dans son quotidien dé- pas toujours. «Promets-moi de m’at- gagé une lutte féroce pour em- je croise veulent un apparte- offert une carabine, elle avait
calé, elle se pose de malheureuses tendre», dit Fanny à son amie. «Parce pêcher la mère et le fils de se ment, un chien, des gosses, je suis 15 ans : «A ton âge il serait temps
questions. «S’angoissait-on à l’idée que là, elle devait retourner dans la voir. Il y parviendra. Que faire ? leur mauvaise pioche.» Constat que tu apprennes à tirer.»
que la mort puisse baver, déteindre sur forêt, se rendre une dernière fois dans Au lieu de plier sous le joug d’un un peu accablé : «Elles parlent
la vie ? Et Fanny elle-même, avait-elle l’autre réel, celui qui serrait les poi- chagrin si lourd, Constance De- beaucoup de leurs parents, par- 3 «Quand est-ce qu’on
peur de mourir ? Non, Fanny n’avait gnets, celui qui était incertain et relâ- bré raconte comment elle s’al- fois même avant le sexe ou le pe- arrête avec l’amour ?»
pas peur de mourir. Elle avait plutôt ché.» En épigraphe du roman, Rune lège. Elle déménage, s’installe tit-déjeuner.» Jamais. •
peur de ne pas mourir. D’être empê- Christiansen a placé une phrase de dans 9 mètres carrés après avoir
chée de disparaître un jour, de fuir, Pierre Michon : «Le réel, ou ce qui veut descendu sur le trottoir ses li- 2 Et les femmes
d’être décomposée – ça, ça lui faisait se donner pour tel, reparut.» La cul- vres, ses affaires, puis elle quitte de la famille ?
peur.» Mais elle n’a pas de raison ture française irrigue le texte, Mou- ce studio pour une chambre, Constance Debré le rappelle, ce
de s’inquiéter. chette, de Bresson, et donc aussi Ber- puis elle squatte. Elle a maigri, n’est pas parce qu’on porte un
Donc tout va mal, au début, et il s’agit nanos. Et puis ce souvenir quand elle a deux jeans, trois tee-shirts, nom célèbre et qu’on vient d’une
de changer les choses. «Les choses», Fanny avait demandé à sa mère d’où un blouson, sa carte de piscine, famille ultrachic que la tragédie
elles sont en tant que telles et au fil lui venait ce prénom et avait obtenu un ordinateur, et cette montre se tient à distance. Sa mère, qui
des pages, dans leur vague à la fois une réponse incompréhensible pour Rolex sans laquelle, disait-on au était mannequin, est morte
abstrait et concret, un élément cen- elle : «Ardant. Ardant.» A chaque ins- début du siècle, on a raté sa vie d’une overdose à 46 ans. Son
tral du roman. Que faire de ces tant, le feu couve sous le froid. si on n’en a pas à 50 ans. Elle en père, un des quatre fils de Michel
«vieilleries» que sont les souvenirs – a 47. C’est une vieille montre. Debré, le frère de Bernard et de
sachant en outre que «les souvenirs Rune Christiansen Jean-Louis Debré, donc, est un
d’enfance lui donnaient froid» ? «Un Fanny et le mystère de 1 Comment survivant de la drogue. «Une
épisode surgissait et elle le troublait en la forêt en deuil sont les filles ? sorte d’antimatière, mon père,
pensant à autre chose. Ça voulait dire Traduit du norvégien Grâce à Play Boy (Stock, 2018), sa une puissance négative qui ab- Constance Debré
quoi, “penser à autre chose” ? Quel que par Céline Romand-Monnier. première autofiction, où elle sorbe tout, tout élan vital, tout Love me tender
soit ce à quoi on pensait, c’était autre Notabilia, 234 pp., 19 €. s’orientait vers l’amour des fem- désir même négatif, toute la joie, Flammarion, 188 pp., 18 €.
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Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 45

À LA TÉLÉ CE SAMEDI carnet d’échecs Par pierre


gravagna
www.liberation.fr
TF1 FRANCE 4 TFX 2, rue du Général Alain Lors de la 12e et dernière ronde du championnat du
de Boissieu, 75015 Paris
21h05. Le monde de Jamy. 21h05. Chroniques tél. : 01 87 25 95 00 monde féminin, entre la Chinoise Ju Wenjun, tenante du
21h05. The Voice, la plus
Documentaire. Présenté criminelles. Magazine. titre, et la Russe Aleksandra Goryachkina, le suspense
belel voix. Divertissement. Edité par la SARL
par Jamy Gourmaud. 23h00. L’affaire Sébastien Duplessier : était à son comble. Alors que Ju Wenjun avait perdu la
Présenté par Nikos Aliagas. Libération
Iditarod, la dernière course un ami qui vous veut du mal. SARL au capital
23h30. The Voice - La suite.
de Nicolas Vanier. 22h50. Chroniques
8e ronde pour être menée 3,5 à 4,5, elle avait l’obligation
Divertissement. Présenté de 15 560 250 €
criminelles. Magazine. 2, rue du Général Alain de marquer au moins un point lors des quatre dernières
par Nikos Aliagas. FRANCE 5 de Boissieu CS 41717 rondes pour s’ouvrir les portes d’un match de départage :
CSTAR 75741 Paris Cedex 15
FRANCE 2 20h50. Échappées belles.
RCS Paris : 382.028.199 4 parties rapides, 4 blitz et 1 armageddon si nécessaire.
Magazine. Auvergne, terre 21h00. The Gifted. Série.
21h05. Les Grosses Têtes.
de volcans. 22h25. Les justes. No mercy. The dream. 22h40.
A la surprise générale, en grande championne, elle ne
Divertissement. Présenté Principal actionnaire
Spectacle. Supergirl. Série. 3 épisodes. SFR Presse marqua pas un mais deux points ! Les rôles furent donc
par Laurent Ruquier.
23h25. On n’est pas couché.
inversés. Et la Russe se devait de remporter l’ultime par-
PARIS PREMIÈRE TF1 SÉRIES FILMS
Divertissement. Avec Emma- Cogérants tie du match. Un challenge qu’elle réussit grâce à une
20h50. Julien Courbet : 21h00. Joséphine, ange Laurent Joffrin,
nuel Todd, Richard Anconina, arme secrète : une ouverture passée de mode et quasi-
The Avener…. Jeune & joli à 50 ans.... gardien. Téléfilm. Le compteur Clément Delpirou
Spectacle. 22h35. Le sexe à zéro. 22h50. Joséphine, ment jamais jouée au niveau grand maître, le début du
FRANCE 3 qui rit. Documentaire. ange gardien. Téléfilm. Directeur de la publication pion dame (d4, d5 ; Cç3 !). L’idée étant de jouer un début
et de la rédaction
21h05. Maddy Etcheban. Laurent Joffrin jugé inférieur mais dont l’ad-
TMC 6TER
Téléfilm. Avec Cristiana Reali, versaire maîtrise mal les fi-
Arnaud Binard. 22h35. 21h05. Columbo. Téléfilm. 21h05. Aquamen : les as Directeur délégué
La femme oubliée. Avec Peter des aquariums. Documen- de la rédaction nesses. Cela remettait donc
La disparue du Pyla. Téléfilm. Paul Quinio
Avec Véronique Genest, Falk. 22h55. 90’ Enquêtes. taire. L’aquarium de DJ Ashba. les joueuses à égalité : six
Dounia Coesens. Magazine. L’aquarium de Bill Engvall. Directeurs adjoints points chacune. Parité qui
22h50. Aquamen : les as des de la rédaction cachait mal l’âpreté du com-
CANAL+ W9 aquariums. Documentaire. Stéphanie Aubert,
21h05. Les Simpson. Christophe Israël, bat. Le départage, gagné
21h05. Sang froid. Action. Alexandra Schwartzbrod
Dessins animés. Fland canyon. CHÉRIE 25 par Ju Wenjun, fut à l’image
Avec Liam Neeson, Emmy
Rossum. 23h00. Hostiles. Souvenirs de Paris. Simpro- 21h05. Poldark. Série. Rédacteurs en chef du match : la Chinoise eut
Western. Avec Christian Bale, vise. 22h20. Les Simpson. Épisodes 1 & 2. 23h25. Michel Becquembois moins d’opportunités mais
Dessins animés. 9 épisodes. Médium. Série. 2 épisodes. (édition), Christophe
Rosamund Pike. elle sut mieux les exploiter.
Boulard (technique),
ARTE NRJ12 RMC STORY Sabrina Champenois Hou/Vachier-Lagrave, 2018. Les Noirs jouent et gagnent.
(société), Guillaume
20h55. Ngogo : la guerre 21h05. The Big Bang Theory. 20h55. Premiers pas dans la Launay (web) Solution de la semaine dernière : si les Blancs prennent la tour, les Noirs
des singes. Documentaire. Série. Il faut sauver la science. gendarmerie. Documentaire. disposent du fameux mat à l’étouffée ou celui en f2.
Les frères ennemis. Un mariage Initiation à la police judiciaire. Directeur artistique
22h20. Aurores boréales. Nicolas Valoteau
Documentaire. Des lumières trop lent. La dissociation 22h00. Premiers pas dans la

ON
S’EN GRILLEUNE?
des locataires. 22h45. gendarmerie. Documentaire.
1BS GAËTAN
fascinantes mais menaçantes. Rédacteurs en chef adjoints Par
M6
21h05. Hawaii 5-0. Série.
The Big Bang Theory. Série.
C8
LCP
21h00. Martine Aubry, la
Jonathan Bouchet-
Petersen (France),
Lionel Charrier (photo),
Cécile Daumas (idées),
ĥ
  Ģ ("²5"/
GORON
(030/
Ho’opio ‘ia e ka noho ali’i a ka 21h15. La teuf des Chevaliers dame de Lille. Documentaire. Vittorio De Filippis 1 2 3 4 5 6 7 8 9 HORIZONTALEMENT
ua. Hapai ke kuko, hanau ka du Fiel 2019. Spectacle. 22h00. Un monde en docs. (monde), Gilles Dhers I. Mis au vert et mis en garde
hewa. 22h50. Hawaii 5-0. 23h20. De quoi j’me mêle !. 22h30. De Gérard à Monsieur (web), Fabrice Drouzy I II. Entourées de lumière
Série. Kanaka Hahai. Malama Magazine. Présenté par Collomb, itinéraire d’un (spéciaux), Matthieu
Ecoiffier (web), Christian II III. Les hurlements de préau #
ka Po’e. Ha’i’ole. Ua lawe wale. Éric Naulleau. baron. Documentaire. Losson (enquêtes), Républicain lorrain IV. Com-
Catherine Mallaval III munique entre les arbres #
(société), Didier Péron Moins rapide qu’adagio V. En

À LA TÉLÉ DIMANCHE IV bout de cours # Chef amérin-


(culture), Sibylle
Vincendon (société) dien VI. Qui a oublié la
V retenue # Fut fidèle au poste
Abonnements VI de surveillance VII. Cette
TF1 FRANCE 4 TFX abonnements.liberation.fr note sonne comme un autre
sceabo@liberation.fr VII horizontal # Alternative au
21h05. San Andreas. 21h05. Les Milles, le train 21h05. Babysitting. Comédie. tarif abonnement 1 an pétrole VIII. L’aunée en est
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Matt Damon, Sharlto Copley. La Bavure. Film. Jessy Travaglini : Trio mortel / Publicité humains tuent désormais #
X
Un crime presque parfait. Altice Media Publicité - Mercredi après-midi du
FRANCE 2 FRANCE 5 Libération cancre X. Pomme de terre
XI
21h05. La fille du train. 20h50. Fromages de mon- CSTAR 2, rue du Général Alain XI. Créateurs de désirs
Thriller. Avec Emily Blunt, tagne, au sommet du goût ?. 21h10. Pawn Stars : Royaume- de Boissieu, 75015 Paris Grille n°1428
tél. : 01 87 25 85 00
Rebecca Ferguson. 23h00. Documentaire. 21h40. Uni. Série. 3 épisodes. 22h00.
La taularde. Drame. Avec VERTICALEMENT
Cornichon : l’agité du bocal. Pawn stars : Royaume-Uni. 1. Qui cultive davantage ses réseaux que son jardin 2. Mal accueillie # Le
Sophie Marceau, Suzanne Documentaire. 22h35. Chili Série. 2 épisodes. Petites annonces
Carnet
moins grand de grands sportifs 3. Là où marquent les sportifs précédents #
Clément. 1973 - Une ambassade face Partie bombée d’un bouclier 4. Tranquillité lointaine # Elle est au Panthéon #
TF1 SÉRIES FILMS Team Media
au coup d’État. Documentaire. 10, bd de Grenelle CS 10817 Chef d’état 5. Mit au chaud # Annonce de la dépréciation d’une monnaie
FRANCE 3 21h00. Killing Eve. Série. 75738 Paris Cedex 15 6. Dieu sémite # Cité grecque # Bouquet de chaînes télé 7. Ado venu d’An-
PARIS PREMIÈRE
21h05. Harry Bosch. Série. Invité surprise. Derrière les tél. : 01 87 39 84 00 gleterre # Troie ou 300 8. Fus immobile # Palindrome féminin 9. Stupéfaites
Brut de décoffrage. La vie des 20h50. Holocauste - La murs. 22h40. Killing Eve. hpiat@teamedia.fr
secrets. 22h30. Harry Bosch. montée des ténèbres (1/4). Série. 2 épisodes. Solutions de la grille d’hier
Série. Victime de la nuit. Téléfilm. Avec Marius Goring. Impression Horizontalement I. VALHALLAS. II. ÉLEUTHÈRE. III. NÈGRE. ORR.
Le gros lot ?. 23h20. Holocauste - La route 6TER IV. ÉPI. MANIP. V. OVIN. VÉ. VI. UGNI. AMEN. VII. EH. OGRE.
Midi Print (Gallargues),
de Babi-Yar (2/4). Téléfilm. 21h05. Le jour d’après. POP (La Courneuve), VIII. LEICA. NBA. IX. ITT. FRÉON. X. ÉTOUFFANT. XI. NOUVEAU-NÉ.
CANAL+ Film catastrophe. Avec Nancy Print (Jarville), Verticalement 1. VÉNÉZUÉLIEN. 2. ALEP. GHETTO. 3. LÉGION. ITOU.
21h05. Football : Lille / PSG. TMC Dennis Quaid, Jake Gyllen-
CILA (Nantes) 4. HUR. VIOC. UV. 5. ATÉMI. GAFFE. 6. LH. ANAR. RFA. 7. LÉON. MENEAU.
Imprimé en France 8. ARRIVÉ. BONN. 9. SERPENTANTE. libemots@gmail.com
Sport. Ligue 1 Conforama - 21h05. Cold Case : Affaires haal. 23h25. Super Danger : Membre de OJD-Diffusion
21e journée. 23h00. Canal classées. Série. Les écoles Quand les éléments se Contrôle. CPPAP : 1120 C
football club le débrief. de la liberté. Pour l’équipe. déchaînent. Documentaire. 80064. ISSN 0335-1793. ◗ SUDOKU 4187 MOYEN ◗ SUDOKU 4187 DIFFICILE
Magazine. 22h45. Cold Case : Affaires Origine du papier : France
CHÉRIE 25 6 8 9 3 4 4 9
classées. Série. 2 épisodes.
ARTE 21h05. Une femme d’honneur. 2 3 1 5 6 7 9 2 3
20h55. Exodus. Drame. W9 Téléfilm. Mémoire perdue. 9 3 1 6 3 4 7
Avec Paul Newman, 21h05. NCIS : Los Angeles. Avec Corinne Touzet, Franck
Eva Marie Saint. 00h05. Série. La voix de la rébellion. Capillery. 23h10. Crimes. 6 3 1 8 9 2 1
La Babel des enfants perdus. Sacrifice. 22h35. NCIS : Magazine. Taux de fibres recyclées : 1 3 6 1 2 3 5 7
Documentaire. Los Angeles. Série. 100 % Papier détenteur de
RMC STORY l’Eco-label européen 9 6 3 1 6 4 3 2
M6 NRJ12 N° FI/37/01 4 2 9 4 3 6
20h55. Faites entrer l’accusé. Indicateur
21h05. Capital. 21h05. Centurion. Aventures. Documentaire. Roland Moog, d’eutrophisation : 2 9 1 5 7 8 5 6 4
Magazine. Consommer autre- Avec Michael Fassbender. meurtre au cinéma. 22h30. PTot 0.009 kg/t de papier
5 7 9 2 3 8 1 5 8
ment : oui mais à quel prix ? - 23h10. Joker. Film. Faites entrer l’accusé.
Invité exceptionnel :
Nicolas Hulot. Présenté par C8 LCP SUDOKU 4186 MOYEN SUDOKU 4186 DIFFICILE
La responsabilité du 4 5 3 6 1 7 8 2 9 5 7 9 2 3 8 6 4 1
Julien Courbet. 23h10. 21h05. Le maître d’école. 21h00. Rembob’ina. journal ne saurait être 6 7 8 9 5 2 1 3 4 3 2 4 9 6 1 5 7 8
Enquête exclusive. Magazine. Comédie. Avec Coluche, Magazine. Médecins de nuit. engagée en cas de non- 9 1 2 8 3 4 5 6 7 6 8 1 5 4 7 2 9 3

Alerte au crack au cœur Josiane Balasko. 23h00. 23h00. Les grands entretiens. restitution de documents. 7 4 9 1 2 8 3 5 6 9 3 5 6 7 2 8 1 4
8 3 5 4 7 6 2 9 1 8 4 2 3 1 5 7 6 9
de Paris. Enquête sous haute tension. Magazine. 2 6 1 3 9 5 7 4 8 1 6 7 8 9 4 3 2 5
Pour joindre un journaliste 5 2 4 7 6 1 9 8 3 4 1 6 7 8 3 9 5 2
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46 u Libération Samedi 25 et Dimanche 26 Janvier 2020

Maison
avec un organisme en phase de
­réveil. «Le Puits du dragon est
­c ultivé à Hangzhou, dans la
­province de Zhejiang. Ses feuilles
sont séchées au wok afin de stopper
leur fermentation», complète Yu

de la Chine
Zhou, professeur de chinois, spécia-
liste de la cuisine et de la civilisa-
tion chinoises. Cet amoureux de la
France et de sa gastronomie (3) coa-
nime avec Marie-Hélène Truong

L’abécédé du thé
différents ­ateliers au programme de
la Maison de thé.

Châtaigne. Un peu plus tard dans


la matinée, vers quelles spécialités
se tourner ? «Des thés que nous ap-
Combien de temps infuser ? Et dans quelle tasse ? pelons “bleu vert”, qui ne sont ni
verts ni noirs et qui présentent de
Avec quoi le goûter ? En feuilles ou en fleurs ? nombreuses nuances, par exemple
un thé oolong», conseille Marie-Hé-
La Maison de la Chine, à Paris, propose lène Truong. En complément des
d’initier à la dégustation du thé chinois. incontournables de la palette des
thés ­traditionnels, le lieu propose à
L’occasion de découvrir un panel de saveurs la vente et à la ­dégustation des mé-
langes spécialement imaginés pour
et un rituel qui nécessite de prendre son temps. des palais occidentaux, fournis par
la maison Damman ­frères. Un
­Esprit de Noël, relevé d’épices et
agrémenté d’écorces d’orange ou
encore un Thé d’automne parfumé
à la châtaigne et à la vanille, qui est
ici la référence la plus vendue. «Ce
sont deux thés que l’on ne boirait pas
en Chine, où nous ne consommons
pas et n’apprécions pas les thés aro-
matisés, souligne Yu Zhou. Pour un
moment d’exception, un Chinois
choisira plutôt un pu-erh, que l’on
achète conditionné sous forme com-
pressée, en galet, seul thé à se boni-
fier avec le temps.» Autre différence :
«Un Chinois qui aime le thé n’a pas
d’heure pour en consommer, il en
boit toute la journée, ­considérant
que sa consommation est la garantie
d’une bonne santé.»
A l’heure du déjeuner, la maison
propose une courte carte qui mêle
plats chinois, comme des dim sum
(bouchées ­vapeur fournies par le
traiteur Yoom), et d’inspiration
asiatique (une soupe tom kha pour
la note thaïlandaise, un veggie bowl
garni de dim sum aux légumes…),
Variétés de thés verts à la Maison de la Chine, à Paris, le 14 janvier. à accompagner, selon la tradition
cantonaise, d’une théière. A ne pas
manquer : le panier de bao, des
Par Sophie Morgan plement, parce qu’elles vivent ou des étagères, des ­livres attendent ­petites brioches cuites à la vapeur
Photos Rémy Artiges ­travaillent dans le quartier, respec- les curieux. Il y a quelques jours, et garnies d’une farce à la viande ou
tent cette atmosphère, même à Chines (éd. de la Martinière), livre aux légumes. Trois coussinets d’un

U
n salon de thé au fond l’heure du déjeuner», explique du photographe Marc Riboud, dé- régal absolu. «Dans une ­maison de
d’une agence de ­Marie-Hélène Truong, respon­- cédé en 2016, était présenté ici. Le thé en Chine, on ­consomme de la
voyage de la place sable de la Maison de thé. lieu se veut à la fois salon de thé et nourriture sous forme de bouchées»,
Saint-Sulpice, à ­Paris? Passé les comptoirs de l’agence de espace ­culturel. précise Yu Zhou. A l’heure du goû-
Peu banal comme endroit et pour- voyage, on découvre donc un En ce tout début de matinée, ter, on peut croquer dans différents
tant, le voyage ne commence-t-il pas ­espace au sol carrelé et à la belle ­Marie-Hélène Truong nous a servi gâteaux parfumés au thé ­matcha.
à table ? Patricia Tartour, la fonda- hauteur de plafond, meublé de ta- un Puits du dragon, célèbre thé vert La carte ne se serait-elle pas perdue
trice, en 1991, de la Maison de la bles en bois noir et de tabourets tra- chinois. «Il est riche en vitamine C du côté du Japon ? «La méthode de
Chine (1), voulait créer un lieu ditionnels de couleur vive. Un mo- et en antioxydants, parfait pour production du matcha a été inventée
­intimiste, à l’écart du bruit de la bilier «importé de Chine, comme nos faire glisser le plus ­copieux des en Chine, puis ­oubliée tandis qu’elle
ville. Et ça fonctionne. «Les person- boîtes à thé», indique Marie-Hélène ­petits déjeuners», explique-t-elle. devenait populaire au ­Japon», recti-
nes qui viennent ici grâce au Truong. Aux murs, une exposi- ­Effectivement, en plus de sa cou- fie de suite Yu Zhou.
­bouche-à-oreille, après s’être rensei- tion dédiée aux ­«Pionniers de l’art leur tendre, la boisson dégage Si la maison fait un pas de côté par
gnées pour un voyage ou, tout sim- contemporain en Chine» (2). Sur un goût délicat qui s’accorde bien rapport à la tradition pour lll Yu Zhou, professeur de chinois,
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Food/
lll proposer des boissons et des
plats susceptibles de plaire à toute
spectacle d’une fleur de thé
­s’ouvrant dans l’eau.
sa clientèle, elle replonge à 100 % De dégustation en dégustation, un
dans la Chine traditionnelle lors de palais occidental peut-il parvenir à
ses ­ateliers (4) consacrés à la céré- percer le mystère du thé ? A s’appro-
monie de l’art du thé (très différente prier ce pilier de la culture chi-
de la cérémonie à la ­japonaise), se- noise ? «C’est un peu comme si un
lon la technique du gongfucha, qui Chinois voulait comprendre le vin
peut se traduire par «infuser avec aussi intimement qu’un Français»,
méthode et application». Yu Zhou­­ répond dans un sourire Yu Zhou.
officie alors en veste de soie noire, Ainsi, difficile pour lui d’admettre
avec tous les ustensiles nécessaires : que l’on puisse l’apprécier avec du
plateau en bois, théière, pot à eau de sucre ou un nuage de lait. Comme
réserve, tasse pour humer, tasse il nous est difficile d’imaginer que
pour déguster… Les gestes s’enchaî- l’on coupe un vin de Bordeaux, ou
nent, précis, dans le but de permet- plutôt qu’on le sucre, avec du soda.
tre au thé d’exprimer tout son Mais si Yu Zhou ne comprend pas
­potentiel. Au fil des infusions, on notre goût pour le thé sucré ou aro-
apprend à observer la «liqueur» matisé, il «relativise» : en des temps
d’un oolong Tie Guan Yin. anciens, les Chinois y ajoutaient des
épices et du sel. Pour initier, la Mai-
Epices. Au final, on ­retient qu’il son de thé se place à ce point
est préférable d’ébouillanter sa d’équilibre : s’adapter mais sans re-
­théière afin de garder sa boisson noncer à de grands principes. Ainsi,
chaude, de vérifier le temps d’infu- on ne peut y acheter qu’une dizaine
sion recommandé (qui varie beau- de références car «nul besoin de
coup d’un thé à l’autre), d’utiliser s’aventurer dans les arômes les plus
une eau filtrée au PH neutre, et extravagants pour faire aimer
d’opter pour une petite tasse plutôt le thé», argumente Marie-Hélène
que pour un grand bol. Sans ou- ­Truong. Et si le lieu est ouvert jus-
blier la bonne proportion : 2 gram- qu’à 18 heures, il est difficile de se
mes de thé pour 10 cl d’eau. Et faire servir après 17 h 30 : «Nous
pourquoi ne pas investir dans une ­préparons le thé à la température
tasse traditionnelle avec soucoupe idéale et il faut compter le temps
et couvercle : «La soucoupe permet d’infusion. Nous considérons qu’il se
de ne pas se brûler avec la tasse et le ­déguste. Ce n’est définitivement
couvercle de retenir les feuilles pas une boisson pour personnes
quand on boit, les feuilles étant di- pressées !» •
rectement infusées dans l’eau, dé-
taille Yu Zhou. La soucoupe, la (1) Maison de thé de la Maison de la Chine,
tasse et son couvercle ne sont pas 76, rue Bonaparte (75006). Du lundi au sa-
qu’utilitaires, elles représentent medi, 10 heures à 18 heures.
trois symboles : la terre (la (2) Jusqu’à fin mars.
­soucoupe), l’homme (la tasse) et le (3) Auteur de la Baguette et la Fourchette,
ciel (le ­couvercle).» Peut-être même tribulations d’un gastronome chinois
faire l’acquisition d’une théière en France, éd. Fayard (2018), 14 €.
­transparente afin d’assister au lent (4) Prochain atelier, le samedi 1er février.

Vu dans la newsletter
«Tu mitonnes»
Les péchés mignons de…
Anne Hidalgo, maire de Paris

– Tomates du jardin
– Paella
– Avant de devenir végétarienne : blanquette de veau
et agneau de lait rôti au feu de bois comme dans son enfance
– Fromages : bleu des Causses, Saint-Nectaire, brie,
tomme de brebis du Pays basque
– Condiments : huile d’olive, fleur d’oranger, noix de muscade
– Cake au citron
– Champagne rosé
Source : Paris Match du 16 mars 2014.

A retrouver également dans la newsletter «Tu mitonnes»,


envoyée chaque vendredi aux abonnés de Libération :
le menu VIP, la quille de la semaine, le tour de main,
des adresses, la recette du week-end…

spécialiste de la cuisine et de la civilisation chinoises à la Maison de la Chine, le 14 janvier.


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Silence, elle écrit


bras du journaliste vedette de TF1. Pourquoi est-elle allée cher-
cher un homme de tant d’années son aîné, de surcroît vedette
de télévision ? Qui sait ? Avec l’âge, on change d’avis et de be-
soins : Claire Castillon a publié des nouvelles sarcastiques, les
Messieurs, qui ne font pas de cadeau aux vieux dragueurs inté-
Claire Castillon L’écrivaine, farouche et mystérieuse, ressés par plus jeunes qu’eux. Le mystère PPDA est d’autant
plus grand que Claire Castillon insiste sur sa timidité et raconte
préfère désormais la vie douce en forêt de Fontainebleau les mois difficiles qu’elle a traversés à partir de ses 18 ans, en
à la foule parisienne qui l’angoisse. arrivant à l’université : «Je suis sortie de mon cocon pour rejoin-
dre la fac, et j’ai eu un problème à côtoyer le monde extérieur.
Je suis devenue terriblement agoraphobe. Je me dédoublais. Il
m’était impossible de sortir. Souvent je disais : “Ça m’attaque
n’importe où.” Je ne pouvais pas raconter ça à des amis de
18 ans.» Elle arrête ses études de droit au bout de trois mois,
et se calme en comprenant ce qui lui arrive grâce à une psy. Elle
gagne un peu de sous en étant hôtesse et commence des études
de lettres. «Et puis j’ai pris un chien, pour me réconcilier avec
le monde extérieur.» Plus tard, elle a rencontré PPDA.
La façon dont Vanessa Springora parle de ce qui lui est arrivé
avec Gabriel Matzneff lui a plu : «Ce n’est pas un règlement de
compte supplémentaire. Elle a dit qu’elle l’avait enfermé dans
un livre, je trouve ça bien.»
Elle juge #MeToo salvateur,
mais pas au point d’approu- 25 mai 1975 Naissance
ver la dénonciation publique à Paris.
et médiatique des «porcs»: «Je 2000 Premier roman,
ne saurais pas être aussi pro- le Grenier (Anne
che des autres que ça. Ce serait Carrière).
pour moi une double agres- 2006 Insecte (Fayard),
sion.» Le pouvoir judiciaire 50 000 exemplaires
bénéficie de toute sa con- vendus.
fiance. Que pense-t-elle du Janvier 2020 Marche
climat actuel ? De la réforme blanche (Gallimard).
des retraites, des grèves,
d’Emmanuel Macron ? «Je
ne suis vraiment pas qualifiée pour parler de politique.»
PPDA n’était pas là pour combler l’absence d’un père. Celui
de Claire Castillon est polytechnicien, ingénieur et directeur
de recherches chez Elf. «C’est sûr que je n’ai manqué de rien.»
Mais ce père n’est pas non plus un grand et riche industriel.
Son grand-père était chef de gare. «Mon père était très gentil
et me maintenait dans un pays de rêves, dans un univers très
poétique, si bien que je n’ai pas forcément les pieds sur terre.»
Sa mère était prof d’italien mais elle a cessé de travailler assez
vite pour s’occuper de ses trois enfants.
Elle a 25 ans quand elle est éditée pour la première fois. Ses
histoires sont noires, voire sordides : l’amour d’une femme
pour un homme marié, la haine qui ronge les couples, le can-
cer qui envahit le cerveau, le féminicide : «Mes livres parlent
du dedans. J’ai une fragilité et une sensibilité excessives que
je détecte chez les autres. Je me mets facilement dans la peau
de mes personnages et je les comprends. Je ne me dis pas qu’ils
sont fous.» Son dernier livre est l’histoire d’une mère qui délire
après la disparition de sa fille. A ses débuts, un éditeur avait
reçu Claire Castillon bien qu’il ait refusé son roman. Il lui avait
dit : «Vous avez la sauce, mais pas encore la viande. Ça a peut-
être travaillé dans ma tête.»
La philosophe Elisabeth Badinter ne tarit pas d’éloges sur les

P
arler avec un écrivain n’est pas toujours ce qu’il y a de traits de Libé. J’avais peur de m’en prendre plein la gueule livres de Claire Castillon, qu’elle rencontre de temps en temps :
mieux. Vivre à ses côtés non plus, sans doute. Le lire, là, parce que j’avais posé tel vase sur telle table.» Elle explique «C’est un écrivain formidable. Cette femme n’est pas dans un
oui, on y est davantage. Deux heures d’entretien avec ­néanmoins que la décoration de la maison est jolie, «en tout carcan, elle n’est pas bien-pensante. Je ne sais pas bien qui elle
Claire Castillon ne donnent pas grand-chose tant elle est sur cas à mon goût», mais qu’elle n’y consacre pas beaucoup de est car elle est mystérieuse.»
ses ­gardes. Heureusement, le portrait est sauvé le lendemain son temps : «Faut que ça aille vite.» La littérature contemporaine l’attire peu. La dernière lecture
par quelques SMS providentiels. Ils listent des livres lus et ap- Elle est chic, belle, sophistiquée. Elle est manifestement qui l’a marquée est celle du Mur invisible, de Marlen Hausho-
préciés récemment, tandis que la veille, à la question de savoir ­attentive à la façon dont elle se présente mais elle est sauvage, fer : «C’est l’histoire d’une femme qui, un matin, se réveille em-
quelles lectures ont marqué l’écrivaine, nous n’avions eu droit ne supporte ni le bruit ni la foule : «Je viens rarement à Paris. murée.» L’écrivain de romans crus et secs, Régis Jauffret, fut
qu’à un laconique : «Marguerite Duras.» L’auteur, qui n’est pas Rien ne me manque.» Elle porte une robe longue couleur son compagnon. Une de ses amies proches est la réalisatrice
du genre à se cramponner à l’usage d’«au- taupe, mi-kimono mi-vêtement de moine. Marion Vernoux, qui apprécie son ironie et son sens de
teure», nous écrit aussi : «Hier, l’intimida-
tion ou plutôt la timidité a fait que je vous Le Portrait Claire Castillon n’est pas une fille de l’air,
toujours à l’aise. La maison qu’elle habite
l’écoute. L’ancienne éditrice et désormais agent d’édition Eli-
sabeth Samama loue elle aussi son audace, son écriture et son
ai répondu assez peu précisément sur les avec son mari, directeur artistique chez penchant pour la moquerie : «Claire est en même temps la per-
voyages. C’est comme si mon cerveau avait tout oublié. Alors Grasset, se situe à la lisière de la forêt. Les sangliers passent sonne la plus courtoise qui soit. Elle est d’une politesse d’un
voilà, quand même, je rêve d’aller marcher dans le Wyoming sous leurs fenêtres. Tous les jours elle part marcher. Ensemble, ­autre temps.» Est-elle aussi moqueuse en dehors de ses ­livres ?
et au Kamchatka (ce qui pourrait m’arriver sous peu). Ça me ils ont une fille de 7 ans. «Elle est pire.» A la fin, Claire Castillon nous dit : «Je suis déso-
semblait soudain plus important que tout.» Plus important que En l’an 2000, elle entame une relation avec Patrick Poivre d’Ar- lée pour vous, je n’ai pas dit grand-chose. Mais je pense que ceux
tout, il ne faut pas charrier. Mais c’est bon à savoir. vor alors qu’elle a 25 ans et lui 53. A ce sujet, elle ne lâche rien qui lisent vraiment mes livres savent qui je suis. Ils peuvent
De la façon dont sa maison de Fontainebleau est aménagée ou presque : «Il y a des âges où l’on est en pâte à modeler, où l’on écrire mon portrait à partir de mes romans.» •
nous ne saurons rien, car l’entretien se déroule à Paris dans est fragile, et ce n’est pas grave. Ça m’est arrivé… Peu importe
un bureau de sa maison d’édition, Gallimard. Ça l’arrangeait ce qu’on a pensé de moi.» Elle était alors une écrivaine débu- Par Virginie Bloch-Lainé
que nous ne venions pas chez elle : «J’ai lu beaucoup de por- tante et ravissante, photographiée dans quelques journaux au Photo Samuel Kirszenbaum

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