MADAME FIGARO SUPPLÉMENT - FIGARO NOS 24616 ET 24617 DES 13 ET 14 OCTOBRE 2023 - COMMISSION PARITAIRE N° 0426 C 83022

Madame Figaro - n°2042 lefig

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Charlotte
Abramow
Portfolio signé

ESPRIT
DU TEMPS
LE NOUVEL
f

rama
chrono
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D I O R . C O M - 01 4 0 7 3 7 3 7 3
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s OMMAIRE
19. « Mick Jagger est un cornichon »,
en couverture
De gauche à droite.
Debout, Lyesse Tetaya
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Face) : robe Chloé. Ashley
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veste Ba&sh, tenue Balmain.
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Lemaire, baskets Veja.
Photo Charlotte Abramow.
Réalisation Sylvie Clemente.
Coiffure Vincent de Moro.
PHOTO CHARLOTTE ABRAMOW
Maquillage Ophélie Secq.
pleins feux sur une fabrique d’éternité.
M
f
par Élisabeth Quin.
21. La photo :
Emma Le Doyen.
23. La question : « Avec le temps,
va, tout s’en va… » Vraiment ?
25. Talents.
Ils ont participé à ce numéro.
du réalisateur est consacré à l’artiste
26. Marina Abramovic,
l’art suspendu.
32. Rythme intérieur.
Les mouvements secrets
des montres d’exception.
44. La mécanique du temps.
Avec les maîtres-horlogers,
50. Six philosophes explorent
le temps, par Frédéric Worms.
Sommaire
86.
56. Vite ! Je suis en retard.
Pourquoi courons-nous
éperdument après le temps ?
60. Tempos intimes.
Sept personnalités déroulent
pour nous leur fil du temps.
69. Wim Wenders.
Œuvre à part, le nouveau film
plasticien Anselm Kiefer.
72. Culture : expositions,
cinéma, art contemporain…
76. Patrick Modiano,
souvenirs éveillés.
Rencontre exclusive
avec l’écrivain, chez lui.
82. Livres.
●15
 Sur le court comme dans nos ateliers,
une fierté commune : Savoir Faire Rêver.

    
   
 Sommaire

M
f

106 .
32.
122. La main, notre deuxième
cerveau ?

114.
Pourquoi les métiers de la main
séduisent plus que jamais.
128. Andie MacDowell,
la superbe.
L’actrice américaine nous livre
sa conception optimiste du féminisme.
132. Le bon timing.
Notre sélection top chrono de soins
86. Chronorama. express ou de rituels longue durée.
Devant l’objectif de Charlotte Abramow, 142. La voie libre.
la mode abolit les frontières La dernière tendance du voyage ?
du genre et de l’âge. Le « train-bragging ».

106. Christopher Nolan, 149. Trois femmes, trois époques.

PHOTOS GAVIN BOND/AUGUST,

le vertige de l’infini. L’écrivaine Colombe Schneck a imaginé

LAURE SÉE ET IRINA WERNING

110. L’IA, en bonne intelligence ? le quotidien de trois working girls,

Entretien avec Laurence Devillers, spécialiste en 1983, 2023 et 2063.
des interactions humain-machine.
114. Un saut dans le passé. 156. Mots croisés.
La photographe Irina Werning 159. Horoscope. 164. Carré VIP.
illustre le temps qui passe. 166. L’autopromo : Martin Fourcade.

L’édition de ce numéro comporte une carte YSL Libre avec scentseal, collée page 43, pour les abonnés portés du territoire national,
un échantillon Weleda, collé page 83, pour tous les abonnés du territoire national,
et un encart rédactionnel La santé des femmes de 12 pages, mis sous film, sur tout le territoire national.
●17
 L'édito

L’ÉDITO
MICK JAGGER
EST UN
CORNICHON
TIME IS ON MY SIDE ? LE TEMPS EST MON ALLIÉ ? Vraiment ? Après
autoévaluation dans un miroir au réveil, nous l’affirmons haut et fort : le lutin magnétique
et lippu qui brame Time Is On My Side * depuis 1964 est un menteur. Un étourdi, voire un
conspirateur contre les lois de la biologie, l’entropie, l’eschatologie, et la paix de l’âme.
À part l’horloger aveugle dans L’Étrange Histoire de Benjamin Button, qui peut croire
que le temps est notre allié, notre meilleur ami ? Demandez donc à Sisyphe…
Notre brièveté nous tue. Notre fugacité nous afflige. Insignifiants et magiques agrégats
de particules et de chromosomes, « gloire et rebut de l’univers », comme l’écrivait
Blaise Pascal dans ses Pensées, nous sommes projetés dans le temps sans l’avoir demandé
et nous avançons tous sans exception à la queue leu leu sur un tapis roulant inexorable
et prodigieux que personne, jamais, ne remontera en marche arrière.
Mais si cette condition provisoire nous tourmente, elle nous fait chérir le temps qui reste
(le visage enduit de sérum antivieillissement et l’organisme gorgé de vitamines A, B5, B12,
D et E, car « notre vrai visage nous attend » **).
Le temps qui bonifie, arrondit, assagit, attendrit, rend plus tolérant, philosophe,
distancié, amusé, indifférent à l’écume du dérisoire, concentré sur l’amour de
l’essentiel et l’essentiel de l’amour, le temps se transforme en allié (Mick Jagger
avait donc raison, le bougre), en révélateur, en partenaire avec
lequel l’on peut se résoudre à avancer, étroitement enlacés, sur
le tapis roulant de l’existence. Notre meilleur ennemi, en somme,
paradoxal et mystérieux, qui suscite en nous désirs infinis
et mélancolie de la perte.
« Enfin cette idée du Temps avait un dernier prix pour moi, elle
était un aiguillon, elle me disait qu’il était temps de commencer, si
je voulais atteindre ce que j’avais quelquefois senti au cours de ma vie,
dans de brefs éclairs […], et qui m’avait fait considérer la vie comme
PHOTO MATIAS INDJIC

digne d’être vécue. » Le temps, l’aiguillon fatal et salutaire, comme

l’avait si bien compris le « proustidigitateur » du Temps retrouvé. ●
* Qu’un certain Jerry Ragovoy soit l’auteur des paroles ne change rien à l’affaire : c’est bien
Mick Jagger et les Rolling Stones qui nous ont fait danser, mais aussi, hélas, incrusté cette infox dans
le cerveau. ** Extrait de « Sourates », de Jacques Lacarrière.

PAR ÉLISABETH QUIN, JOURNALISTE ET ÉCRIVAINE

Elle présente le magazine d’actualité « 28 Minutes » sur Arte, du lundi au vendredi, à 20 h 05.

●19
*Vivre avec joie

L I V E T H E J OY*

C O L L E C T I O N F O R C E 10
 “ Je puise beaucoup de références
dans mon enfance…”
« POUR CETTE PHOTO, ÉDITH,
MON JEUNE MODÈLE, A EU UNE IDÉE : faire un
essayage de toutes ses robes de princesse et déguisements !
Puis, elle a décidé de prendre son sifflet, et cet air assez sérieux
d’elle-même. Édith a beaucoup d’objets, elle a déjà des petites
collections. Cette photo est issue de ma série en cours, Territoires
d’enfants. Ce sont des portraits que je réalise dans leur chambre,
pour parler d’eux à travers la relation à leurs objets et leur
PHOTO EMMA LE DOYEN
espace. Ici, mon rapport à la photographie est documentaire.
J’utilise un appareil à visée assez large, ce qui permet aux
enfants de viser l’objectif plus facilement. On discute ensemble
puis on choisit les objets qui nous semblent importants
à photographier. Ils peuvent même cadrer certaines natures
PROPOS RECUEILLIS PAR CHARLOTTE LARROCHE
Emma Le Doyen
mortes avec moi. Ensuite, je fais quelques portraits, toujours
en discutant avec eux et ces images sont construites avec
leur impulsion. Dans mon travail, je suis toujours dans une
narration autour du souvenir, du temps qui passe, et de la
nostalgie. Je puise beaucoup de références dans mon enfance.
C’est un territoire qui m’intéresse beaucoup. Un grand nombre
de mes films préférés, comme My Girl, Stand by Me…, mettent
en scène des enfants. J’ai ainsi eu envie de créer un projet
qui me mette en relation avec eux. Je m’intéresse à la manière
dont on forge notre personnalité à travers nos goûts et nos
choix. C’est presque une manière de sortir du souvenir et de me
confronter au présent. Je crois que c’est aussi un dialogue avec
ma propre nostalgie, mais ça, je le découvrirai plus tard. » ●
●21
22●

LE SENS
DU PASSÉ●
“Avec
le temps, va,
tout s’en va...”
Vraiment ?
DANS UNE ÉPOQUE PRESSÉE
VIVANT À TOUTE ALLURE, le temps semble être
devenu une valeur cardinale. Mais de quel temps parle-
t-on ? Celui de la chanson de Ferré, qui ronge, emporte
tout ? Celui saccadé, de l’instantané, de la seconde, stimulé
par les réseaux sociaux ? Le temps retrouvé proustien
L’INSTANT
PRÉSENT●
de la mémoire, des souvenirs qui se sédimentent ?
MATIÈRE Dans certaines civilisations,
DU RÊVE ●
les directions du vecteur du temps
sont inversées : plutôt que de diriger
son doigt vers l’arrière pour signifier le passé et vers
l’avant pour pointer le futur, on considère que l’avenir,
en ce qu’il a d’incertain, est encore derrière nous et
qu’au contraire le passé, déjà vécu et connu, est là devant
nos yeux. Que font les écrivains du temps qui passe ?
Partagent-ils avec Ferré cette perception pessimiste de
la durée qui balaie tout, de ce temps qui va et puis s’en va ?
Agnès Desarthe, dans son dernier ouvrage Le Château
des Rentiers, est partie de ce possible retournement de la
représentation du temps, matière à rêverie. Elle considère
« le passé comme un bien », de là ce point de vue optimiste
qu’elle qualifie de presque « enfantin ». Ce travail
littéraire sur les souvenirs est pour elle une expérience
esthétique pure, loin de toute recherche utilitariste
ou thérapeutique : « Autant les livres des autres m’aident
à cheminer, autant ce qui me pousse à écrire n’a rien
à voir avec la recherche d’un but. L’écriture est pour moi
une expérience artistique pure, le goût de l’inconnu,
la curiosité quasi pulsionnelle de vivre une expérience. »
PAR CÉLINE CABOURG
La question
« Le passé a toujours été présent, poursuit
Agnès Desarthe. Il y a des choses qui s’en
vont, mais là où elles vont, nous pouvons
aller les voir, à travers une photo, un morceau de gâteau.
Les souvenirs sont dans un ailleurs à portée de pensée.
Ils continuent à nous appartenir. » Jérôme Garcin est pour
sa part journaliste et écrivain. Deux activités
correspondant selon lui à deux conceptions du
temps. « Je suis un bon exemple de la schizophrénie
temporelle, confie-t-il. Depuis quarante ans,
je vis dans un présent perpétuel mon métier de
journaliste que le Web a rendu plus instantané,
tandis que comme romancier, je vais dans le temps
contraire. » La littérature pour lui a été salvatrice,
alors que de 18 à 30 ans, il ne vivait qu’au temps
présent : « Je gardais pour moi tout ce qui était
de l’ordre du personnel, de l’intime, les drames
que j’avais pu connaître, la mort accidentelle
d’un jumeau, la perte du père alors qu’on est un
adolescent… Si je n’avais pas écrit Olivier, je n’aurais
pas à ce point compris notre relation gémellaire :
travailler beaucoup, c’était travailler pour deux ;
aimer le cheval, c’était aimer un animal stable, sur ses quatre
pattes. Et puis la littérature rend présents les absents. Voir le
nom de mon frère, Olivier, écrit sur la couverture, permet de
faire vivre un enfant de 6 ans disparu, dont personne d’autre
que moi ne pouvait avoir le souvenir. C’est ma maîtrise
du temps passé qui m’a permis de vivre normalement. Cette
recherche d’équilibre est devenue une raison d’être. »
De nos jours, le rapport que nous
entretenons avec le passé est malmené
par la survalorisation de l’immédiateté,
notamment via les réseaux sociaux. « On a même inventé
un sigle, le Fomo (Fear Of Missing Out, NDLR), déplore Agnès
Desarthe. À force de considérer le présent comme fascinant,
on est pris par la peur de rater quelque chose. Moi, j’ai grandi
avec le sentiment qu’il ne se passait rien, et j’ai développé
une attention à ce rien. » Selon l’écrivaine, nos
contemporains ont perdu la curiosité de regarder en arrière
et l’ultralibéralisme entretient cette amnésie. « Il n’y
a rien à vendre dans la contemplation du passé », dit-elle.
L’auteure pointe un autre mal du siècle qui fait écran
à la mémoire des choses et qu’elle appelle une crise de la
narration, une méfiance envers ce que l’on raconte. Or, elle
insiste : « Le passé passe par la narration. » À une conception
linéaire du temps, elle oppose l’image de « la bobine » :
« Il y a un centre et des couches de fil enroulé, métaphore
du temps qui passe. À certains moments, on se rapproche du
centre, on revit des choses qui se superposent à un état plus
ancien. » Recherche d’équilibre, temps qui s’enroule sur
lui-même : à l’image des écrivains, chacun explore ses voies
pour ne pas subir le temps saccadé de nos vies actuelles. ●
« Le Château des Rentiers », d’Agnès Desarthe, Éditions de l’Olivier.
« Olivier », de Jérôme Garcin, collection Folio.
●23
 CLASSIC FUSION
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Boîtier en or jaune 18K.

Mouvement automatique.

24●
 Talents
CHARLOTTE ABRAMOW
Née en Belgique, installée à Paris
dès l’âge de 19 ans pour ses études
aux Gobelins, cette photographe

TALENTS a été exposée plusieurs fois

déjà à Arles, Paris, Bruxelles
ou New York. Elle a aussi réalisé
des clips pour la chanteuse Angèle
et un des épisodes de la série H24.
PHILIPPE AZOURY Elle est l’auteure de la série mode qui
Critique et journaliste, avec fait la couverture de ce numéro (p. 86).
un penchant littéraire plus
que certain, il a travaillé à
Libération, Les Inrocks, et dirigé
les pages Culture de Grazia et
de Vanity Fair. Cette année, IRINA WERNING
il a été l’auteur d’un essai très Basée à Buenos Aires,
remarqué et remarquable cette photographe
sur le cinéaste Jean Eustache développe un travail
(Éditions Capricci). Pour très personnel, souvent
ce numéro, il s’est penché remarqué et primé,
sur le cinéma de Christopher notamment par une bourse
Nolan et son rapport Pulitzer en 2021. En 2022,
complexe au temps (p. 106). elle a remporté le South
America World Press Photo
Award, dans la catégorie
Story. Dans ce numéro,
nous publions un portfolio
avec ses photos sur le
LAURA SÉE
temps qui passe (p. 114).
Née à Paris, Laure Sée est
diplômée de Penninghen.
Ses études d’arts appliqués lui
PHOTOS ARTHUR CATTON, LAURE SÉE, MATIAS INDJIC, ©ASSOULINE//OPALE.PHOTO, DOCUMENT PERSONNEL ET S. P.

apportent une vision globale

et développent son sens
de la couleur et de la forme
dans l’espace. Ses images,
tantôt texturées, tantôt
FRÉDÉRIC WORMS
minimalistes, témoignent
Professeur de philosophie
d’un équilibre poétique
à l’École normale supérieure,
au cœur d’une apparente
dont il est actuellement
simplicité. Dans ce numéro,
le directeur, Frédéric Worms
elle a photographié la série
est notamment un spécialiste
de natures mortes (p. 32).
de Bergson et l’auteur, entre
autres, de Penser à quelqu’un,
Revivre (les deux chez
Flammarion) et Vivre en temps
réel (Éditions Bayard).
Pour nous, il trace un
COLOMBE SCHNECK
itinéraire précis et subtil
Romancière et chroniqueuse dans
entre les grands penseurs
nos pages, mais aussi présidente du jury
de la philosophie qui se sont
de notre prix littéraire, le Grand Prix
frottés à l’abyssale question
de l’Héroïne, Colombe Schneck manie
du temps (p. 50).
comme personne l’art du portrait et des
détails. Pour ce numéro, elle a imaginé
la vie de trois femmes dans trois époques
différentes : entre le réel et la science-
fiction, un exercice qui lui va bien (p. 149).

●25
Madamenews
MARINA
ABRAMOVIC
L’art suspendu
Artiste hors cadre,
elle défie le temps dans ses
performances extrêmes
depuis un demi-siècle. Nous
l’avons rencontrée pour
sa rétrospective à Londres.
Marina abraMović a fait
de l’art un sport d’endurance. Pour sa
performance participative The Artist Is Present, au MoMA
de New York, en 2010, elle est restée assise sur une chaise
six jours par semaine, sept heures par jour – au total pendant
plus de 700 heures –, sans manger ni boire, attendant
qu’un spectateur prenne place et entre en contact avec elle.
Au fil de ses performances diverses et extrêmes, elle a bravé
le feu et le froid, jonglé avec des couteaux et des serpents
venimeux, parcouru plus de 2 500 kilomètres à pied sur la
Grande Muraille de Chine et crié à en perdre la voix. Au cours
d’une carrière qui s’est étendue sur un demi-siècle, cette
pionnière de l’art de la performance, née à Belgrade en 1946
et diplômée des Beaux-Arts, a cherché les moyens les plus
extrêmes pour repousser ses limites. Sa célébrité a dépassé
les cercles avant-gardistes et, après le MoMa, la Royal
Academy of Arts de Londres lui consacre aujourd’hui une
grande rétrospective intitulée After Life. L’exposition mettra
en lumière l’étendue de son œuvre – de la photographie
à la vidéo, en passant par les objets, les installations et, bien
évidemment, les performances. À New York, où elle vit
depuis des années, Marina Abramović nous montre un petit
livre rose sur lequel elle a noté des citations qui l’inspirent.
Parmi celles-ci, un aphorisme d’Andy Warhol : « Personne
26● PAR PAOLA GENONE
ne regarde rien, c’est trop dur », et le titre d’une exposition
de Georgia O’Keeffe, To See Takes Time (« voir prend du
temps »). « Le temps, l’effort et l’attention sont au centre
de mon travail », dit-elle. Ses œuvres en sont les témoins.
MADAME FIGARO. – QUEL EST LE LIEN ENTRE L’ART
DE LA PERFORMANCE ET LA DIMENSION DU TEMPS ?
MARINA ABRAMOVIC. – C’est le même qui relie l’art
et la vie. Ces deux réalités se révèlent à travers des actions
qui sont situées aux deux extrémités d’un même axe.
L’action de l’art dans la vie peut se manifester dans un mode
interventionniste. Le geste artistique interrompt alors
une série d’événements, comme Nam June Paik qui coupe
une cravate, un graffitiste qui transforme un paysage urbain
en une nuit, Gianni Motti perturbant un match de tennis
depuis une tribune de Roland-Garros. Ce type de geste
produit un court-circuit dans une dimension temporelle
donnée. C’est donc un événement interrompu par un autre,
qui brise un continuum. Autrement, l’action produite par
l’artiste se positionne sur un plan autonome, c’est-à-dire
qu’elle ne se superpose à aucun autre événement extérieur
et se suffit à elle-même. Elle se réalise, par exemple,
dans un espace fermé – un musée ou un théâtre –, qui peut
revêtir les contours d’un monde avec ses propres temps.
TOUTES VOS ŒUVRES SONT TRAVERSÉES PAR UNE
SCANSION DU TEMPS TRÈS PARTICULIÈRE. VOUS SEMBLEZ
VOULOIR CAPTURER CHAQUE INSTANT AFIN DE LE RENDRE
ESSENTIEL. COMMENT Y ÊTES-VOUS PARVENUE ?
Chacune de mes performances est un éloge
au moindre détail de l’existence. Je célèbre la gloire
des petites choses. Ma personnalité, pourtant, est tout sauf
minimaliste. Je suis très baroque. Mon travail consiste alors
à ôter des éléments, à réduire. Je suis inspirée par le travail
PHOTO MARINA ABRAMOVIC
de peintres comme Nicolas de Staël ou Josef Albers, qui ont
œuvré toute leur vie pour alléger leurs toiles, en renonçant
à l’épaisseur au profit de la fluidité. Dans leurs dessins,
ils recherchent l’épure, donnant toujours plus de présence
au blanc du papier. Quand on est jeune, on a tendance
à accumuler, parce qu’on cache notre insécurité derrière
 Madamenews

Marina Abramovic dans la vidéo The Hero, en 2001.

●27
Madamenews
Marina Abramovic dans la vidéo The Current, en 2017.
l’abondance. En avançant, on apprend à visualiser
l’énergie, à la doser et à la canaliser. Je suis devenue douée
dans cet exercice. Je veux m’approcher d’un art minimal,
jusqu’à la disparition de l’objet. Quand je suis face au public,
tout se joue sur le temps. Je dois les empêcher de regarder
la montre. Le temps est cette dimension que les gens
perçoivent lorsqu’ils s’ennuient. Il faut faire en sorte qu’ils
l’oublient et qu’ils se perdent dans l’instant que je crée
et dans lequel le temps n’existe plus.
VOUS AVEZ CRÉÉ UN INSTITUT MARINA ABRAMOVIC
QUI PROPOSE DES ATELIERS DE CINQ JOURS PROMETTANT
UNE « RÉINITIALISATION INTÉRIEURE ». LES MONTRES
ET LES TÉLÉPHONES SONT INTERDITS… LES PARTICIPANTS
NE SONT PAS AUTORISÉS À PARLER, LIRE OU MANGER PENDANT
CINQ JOURS. RACONTEZ-NOUS !
Ma méthode enseigne la pleine conscience sous
une forme artistique. J’impartis des exercices de respiration
et de mouvement qui apprennent à « être dans l’ici et
le maintenant ». Ils aident à augmenter la concentration,
l’attention et l’endurance. Par exemple, je leur donne
l’instruction de marcher à reculons pendant quatre heures
en tenant un miroir, afin de réaliser que la réalité n’est
qu’un reflet. Un autre exercice consiste à exécuter des
tâches au ralenti pendant une journée entière : boire
de l’eau, marcher, prendre une douche… même uriner. Les
exercices suivants sont eux plus tournés sur la créativité.
QU’AVEZ-VOUS EXPÉRIMENTÉ VOUS-MÊME SUR SCÈNE
EN ÉTANT DANS DES ÉTATS DE CONCENTRATION EXTRÊME ?
Que le temps n’est qu’illusion. Je vous confie quelque
chose que je n’ai jamais raconté : durant ma performance
The Artist Is Present, dans laquelle je suis restée assise sur une
chaise, au MoMA, six jours par semaine, sept heures par
28●
jour, j’ai eu des hallucinations, accompagnées d’une
énergie extraordinaire. J’ai fait un rêve très sexuel, d’un
serpent et d’une tortue qui faisaient l’amour. C’était une
sorte de danse cosmique. À un moment, le serpent a ouvert
la bouche et a dévoré la tortue. Je me suis réveillée en sueur.
Ensuite, j’ai réalisé la signification évidente de ce rêve.
C’EST-À-DIRE ?
Le serpent représentait l’énergie cosmique qui avale la
perception humaine du temps, incarnée par la tortue. Dans
un essai intitulé Le Temps aboli, le physicien David Bohm
et le penseur indien Jiddu Krishnamurti expliquent que
les hommes doivent apprendre à élargir leur horizon, en
partant de petites tâches exécutées minutieusement pour
accéder à un sens du bien global et retrouver la compassion
et l’amour. On ne peut se libérer de l’activité égocentrique
humaine qu’à travers un certain type de vision pénétrante,
qui permet de percevoir qu’au-delà de la pensée il n’y
a qu’énergie et forme. Pas de « moi », pas de temps.
COMMENT AVEZ-VOUS APPRIS VOUS-MÊME À ENTRER
DANS CETTE DIMENSION DU TEMPS OÙ « L‘ESPRIT EST SILENCIEUX
ET VIDE DE PENSÉES », COMME VOUS L’AVEZ DÉCLARÉ ?
On parle de cinquante-cinq ans de carrière. J’ai fait
beaucoup de voyages spirituels. Je suis restée cinq ans avec les
aborigènes dans le désert de Sibérie centrale ; j’ai participé
à de nombreuses retraites dans la jungle avec les moines
tibétains. Je suis allée au Brésil, à la recherche de minéraux
et de cristaux. Au cours de ce voyage, j’ai rencontré des
guérisseurs spirituels, dont le médium João de Deus et Rudá
PHOTO MARINA ABRAMOVIC
Iandê, un chaman qui utilise des plantes et des traditions
indigènes pour purifier le corps et l’esprit. Je suis comme
un cobaye. J’explore les limites du corps et de l’esprit.
Pour moi, tout est question de curiosité et de vision.
Je me consacre au bouddhisme tibétain depuis près
de trente ans, et il est toujours intéressant pour moi
Madamenews
de découvrir d’autres façons de travailler
dans le domaine de la spiritualité.
“Ma
COMMENT AVEZ-VOUS CONÇU VOTRE
RÉTROSPECTIVE À LA ROYAL ACADEMY ?
personnalité,
Le premier projet, né en 2020, est tout sauf
prévoyait une exposition chronologique,
mais j’ai décidé de reprendre le concept minimaliste.
à partir de zéro juste après le Covid. Nous
avons décidé de mélanger les époques,
Je suis
de créer des corrélations d’idées et de
mettre en miroir des pièces de toutes les
très baroque”
Marina Abramovic
décennies. Chaque pièce de l’exposition
– douze en tout – exprime une
thématique. Plusieurs thèmes, dont
Absence du corps et Limites du corps mettent
en scène un travail sur l’endurance physique que j’effectue
depuis mes débuts. The Communist Body (« le corps
communiste »), par exemple, soulignera l’impact qu’ont
eu sur mon travail la vie en ex-Yougoslavie et les idéaux
communistes. Visiting the Source of Nature parle de différentes
cultures – tibétaine, aborigène, chamane, au Brésil –
et décrit ma quête vers la transcendance. L’exposition
est un voyage. Des performances auront lieu tous les jours,
plusieurs fois par jour.
PARMI LES VISITEURS DE VOTRE PERFORMANCE THE ARTIST
IS PRESENT SE CACHAIT VOTRE EX-COMPAGNON, L’ARTISTE
ALLEMAND ULAY QUE VOUS N’AVIEZ PAS VU DEPUIS VINGT ANS.
LES SPECTATEURS SE SOUVIENNENT DE L’INTENSITÉ DE VOS
REGARDS LORSQU’IL S’EST ASSIS EN FACE DE VOUS…
J’avais donné des instructions différentes : les
spectateurs ne pouvaient ni me toucher ni me parler.
Chacun se mettait assis en face de moi et la communication
passait par le regard, les vibrations. La dernière fois
qu’Ulay et moi nous étions vus, c’était sur la Muraille
de Chine. En 1988, pour notre dernière performance
ensemble, nous étions partis marcher chacun d’un bout
opposé de la Muraille pour nous rejoindre au milieu. Nous
avons parcouru des milliers de kilomètres et, après trois
mois de marche, nous nous sommes retrouvés… pour
nous séparer définitivement. On s’est enlacés et on s’est
dit au revoir. Quand il s’est assis devant moi au MoMA,
j’ai été submergée par l’émotion. Le but initial de cette
performance était de créer une immobilité, de ralentir
le temps et les hommes. C’est ce qui s’est passé.
LORSQUE VOUS ALLEZ VISITER UNE EXPOSITION,
QUEL RYTHME SUIVEZ-VOUS ?
Je ne passe jamais d’un tableau à l’autre, en capturant
des photos. À quoi servent toutes ces images perdues dans
un smartphone si elles sont prises de façon compulsive,
alors qu’on n’a même pas pris le temps d’analyser nos
émotions devant une œuvre ? Je m’oblige à rester pendant
au moins six minutes devant une œuvre. J’attends. Parfois,
je tente d’en redessiner les traits essentiels sur un carnet,
ce qui m’aide à entrer en communication avec l’artiste.
Il m’arrive alors de trouver une porte d’entrée et de passer
30●
dans une autre dimension, un univers.
C’est un temps magique et réel, une
source d’inspiration.
QUI SONT LES ARTISTES FACE
AUXQUELS VOUS AVEZ ÉPROUVÉ
LES ÉMOTIONS LES PLUS FORTES ?
J’ai eu une expérience très forte
devant des œuvres de civilisations
sumériennes vues au Louvre. Une image
représentant des poissons remontant
une rivière à contre-courant a eu une
résonance particulière en moi. Je me suis
reconnue dans ce mouvement illogique.
Une autre fois, je me suis retrouvée
dans une chapelle, au Texas : un espace
de méditation orné de peintures de Mark Rothko. J’y suis
restée pendant sept heures d’affilée. J’ai du mal à décrire
ce qui s’est passé en moi. J’étais traversée par ses nuances
et dégradés de couleurs. Cela m’a rappelé une retraite que
j’avais faite chez des maîtres soufis pendant l’automne.
Ils me réveillaient à quatre heures du matin, et je devais
passer sept heures à cueillir des feuilles tombées de
branches d’arbres. C’était absurde, mais justement, parce
qu’il n’y avait aucune logique, cela devenait intéressant.
À travers ces exercices, on accède à un état de conscience
que la partie rationnelle du cerveau ne peut pas comprendre.
Le violoniste Yehudi Menuhin disait : « La musique,
ce n’est pas les notes mais ce qui est entre les notes. »
Je me demande toujours ce qui se joue dans cet « entre ».
Je recherche cet espace durant mes performances.
VOUS N’AVEZ JAMAIS PEUR AVANT UNE PERFORMANCE ?
Bien sûr ! Je me souviens d’une performance dans
une galerie autrichienne, en 1975, au cours de laquelle
je me suis taillée une étoile à cinq branches sur l’estomac
à l’aide d’une lame de rasoir. La douleur était comme
un mur qu’il fallait traverser pour trouver une sortie de
l’autre côté. Dans mon autobiographie Walk Through Walls
(« marcher à travers les murs »), je parle de ma quête
d’artiste à surmonter les limites, qu’elles soient physiques
ou psychologiques.
VOUS AVEZ ÉGALEMENT ÉCRIT DEUX OUVRAGES…
Le premier est un beau livre dans lequel je raconte
à travers des textes, des dessins et des photos, ma passion
pour les hôtels du monde entier, où je passe beaucoup de
temps car je suis toujours en voyage. Le second est une
autobiographie visuelle qui revient sur toutes les périodes
de ma vie. J’ai envoyé 25 000 photos à l’éditeur, et puis on a
fait un choix. Je viens de fêter mes 76 ans, et je me dis encore
que je n’en suis qu’au début. Beaucoup de personnes se
disent plutôt : « Oh mon Dieu, c’est la fin du voyage », mais
je ne vois pas les choses de cette façon. J’ai l’impression que
je ne sais toujours rien, ou pas assez, et je regarde encore
le monde à travers les yeux des enfants. ●
« After Life », jusqu’au 1er janvier 2024, à la Royal Academy of Arts,
à Londres. royalacademy.org.uk
 RC Paris - B 722 003 464 - Paris.

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Madamenews

RYTHME intérieur

SET DESIGNER NATALIE TURNBULL

En haut : montre 5224 R-Complications, mouvement mécanique à remontage

automatique, boîtier en or rose, Patek Philippe. En bas : montre Patrimony,
mouvement automatique, en or rose, Vacheron Constantin.

Et si on voyageait dans le temps ? Comme un tableau poétique,

les montres d’exception nous dévoilent leurs mouvements secrets.
Des battements profonds au plus près de la vie.

32● PHOTOS LAURE SÉE / RÉALISATION MARIE PASQUIER

Madamenews

RYTHME intérieur

PHOTO LAURE SÉE. SET DESIGNER NATALIE TURNBULL

En haut : montre Tank Normale, squelette, mouvement mécanique à remontage manuel,

boîtier en platine, Cartier. En bas : montre Octo Roma Tourbillon, mouvement squelette mécanique
à remontage manuel, boîtier en carbone, Bulgari.

34●
Madamenews

RYTHME intérieur

PHOTO LAURE SÉE. SET DESIGNER NATALIE TURNBULL

En haut : montre Seamaster Co-Axial Master Chronometer, mouvement à remontage automatique,

antimagnétique, boîtier en acier, Omega. En bas : montre Tambour Moon Tourbillon Volant, mouvement
mécanique à remontage manuel, boîtier en or blanc serti de diamants, Louis Vuitton Horlogerie.

36●
Vu par Dominique Issermann
Madamenews

RYTHME intérieur

PHOTO LAURE SÉE. SET DESIGNER NATALIE TURNBULL

En haut : montre Alpine Eagle Flying Tourbillon, mouvement automatique,

boîtier en acier Lucent Steel A223, Chopard. En bas : montre Code 11.59 by Audemars Piguet
Tourbillon Squelette, boîtier en or gris et céramique bleue, Audemars Piguet.

38●
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RYTHME intérieur

PHOTO LAURE SÉE. SET DESIGNER NATALIE TURNBULL

En haut : montre Lady Arpels Papillon Automate, mouvement mécanique à remontage automatique,
boîtier en or blanc, diamants, collection Complications Poétiques, Van Cleef & Arpels.
En bas : montre Perpetual 1908, mouvement mécanique à remontage automatique, en or jaune, Rolex.

40●
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L’EAU DE PARFUM ORIGINALE
& LE NOUVEL ABSOLU PLATINE
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La MÉCANIQUE
du TEMPS
À l’heure de l’immédiateté,
les montres nous mettent
en phase avec la vie. Et les
maîtres-horlogers relèvent
le défi de conjuguer charme
et ultraprécision. Pleins feux
sur Une fabrique d’éternité.
44●
À QUOI SERVENT LES MONTRES
PHOTO GILLES BENSIMON/TRUNK ARCHIVES/PHOTOSENSO
EN 2023 ? Accessoirement à donner l’heure. Mais
la philosophie est ailleurs… car le temps est multiple,
aujourd’hui plus qu’autrefois. « Le “temps” n’est qu’un tout
petit mot de cinq lettres, écrit l’auteure et critique littéraire
Brigit Bontour dans la préface du Goût du temps, petit ouvrage
publié en cette rentrée par les Éditions Mercure de France
et l’horloger March LA.B. Il est indéfinissable, immatériel,
et pourtant si réel. » De la littérature au cinéma, de la
philosophie à l’horlogerie, le temps est un vaste sujet
qui interroge, fascine, divise parfois. Il est surtout, dans
notre société dominée par l’immédiateté, une denrée rare
après laquelle on court, désespéré de ne pas avoir le temps,
ou de le voir passer trop vite.
PAR MARGAUX KREHL
●45
Madamenews

Ce temps, l’homme cherche à le capturer

et à le mesurer depuis que le monde est
“Notre temps « Chez Hermès, le temps est
un ami, qui nous accompagne dans
monde, perfectionnant sa technique au fil
des millénaires. « Toutes les grandes
est joyeux, la réalisation de nos créations et
participe à la genèse de nos projets.
innovations que l’on a eues sont liées à la inattendu, On va l’utiliser de la meilleure des
mesure du temps, rappelle Antoine de
Macedo, horloger sis rue Madame, à Paris.
différent, nous manières en se donnant le temps
de bien faire les choses », avance
Sans cette dernière, il n’y a rien. » Notons
ainsi les cadrans solaires et la clepsydre
transporte dans de son côté Philippe Delhotal,
directeur création d’Hermès
(horloge hydraulique) ; puis les premières un imaginaire...” Horloger. Pour se démarquer
horloges, nées à la toute fin du XIIe siècle, de ses consœurs, la maison a décidé
Philippe Delhotal,
et qui, dépourvues de cadran et d’aiguilles, directeur création d’Hermès Horloger de fabriquer « son propre temps,
ne donnaient l’heure que par un son en s’autorisant suffisamment de
de cloche. Avant que n’apparaissent fantaisie pour pouvoir l’aborder
les montres, dans le courant de la d’une autre manière ». Et de décliner
Renaissance, préfigurant l’explosion de l’industrie horlogère tout un champ lexical autour de ce dernier :
au XVIIIe siècle. Dernière invention en date, les smartwatches il y a Le Temps Suspendu, où une complication
et autres montres connectées, dont les performances et imaginée par l’horloger-star Jean-Marc
l’ultraprécision rendraient presque obsolètes les garde-temps Wiederrecht permet de stopper le mouvement
mécaniques. Pour autant, mesurer le temps – voire le fabriquer – des aiguilles grâce à un petit bouton pressoir,
reste pour les grands horlogers une quête sans fin. qui, lorsqu’il est activé de nouveau, replace
ces dernières à la bonne heure et à la bonne date
Chacun cherche SON TEMPS – comme si le temps ne s’était jamais arrêté.
De la place Vendôme aux verdoyants pâturages suisses, Ou Le Temps Voyageur, incarné par une montre
« chaque manufacture fabrique son temps, et s’adresse qui vagabonde d’Athènes à Rio en passant
à des clients, ou en tout cas des amateurs sensibles à une vision par Bangkok et Santiago, et ce sans quitter
du temps assez différente, explique Nicolas Bos, directeur le poignet de celui ou celle qui la porte. « Notre
général de Van Cleef & Arpels. On peut apprécier un système de temps est joyeux, inattendu, différent, nous
chronométrie extrêmement travaillé, ou au contraire transporte dans un imaginaire et est destiné
être attiré par un monde imaginaire qui va changer à susciter des émotions. Nous sommes là pour
imperceptiblement au gré des saisons ». Il y a donc un temps émerveiller les gens », ajoute Philippe Delhotal.
pour tout le monde, ce qu’établissait d’ailleurs Kant dans
sa Critique de la raison pure, dans laquelle le philosophe allemand Avec le temps,
avançait que chacun possède sa propre représentation ÇA SE COMPLIQUE
du temps. « Le temps chez Van Cleef & Arpels est un temps Pour autant, émotion ne veut pas dire
poétique, représenté à travers les signes de la nature, manque de précision, cette dernière étant
les contes de fées…, poursuit Nicolas Bos. L’idée est d’utiliser les – évidemment – l’une des règles immuables
mécanismes horlogers et la mesure du temps pour raconter des de l’horlogerie. Dans cette course du temps,
histoires et prolonger l’imaginaire de la maison, qui s’exprime certains s’embarquent donc dans une quête
en général dans des objets par définition immobiles. » d’exactitude et de performance, où l’heure
C’est que Van Cleef & Arpels est avant tout une maison de haute se mesure au centième de seconde près. Avec
joaillerie, dont la première tradition a été de créer des montres ses Complications et Grandes Complications,
bijoux pensées comme des objets d’art, dans lesquels était le Suisse Patek Philippe pousse encore plus loin
intégrée par la suite la fonction de mesure du temps – les la mesure du temps. Ses quantièmes annuels
fameuses montres à secret. Pendant quelques décennies, le temps – une complication qui permet de tenir compte
Van Cleef s’est donc fait discret, incarné par un petit cadran caché du fait que les douze mois de l’année n’ont pas
sous une pierre précieuse, dissimulé au cœur d’une broche florale tous le même nombre de jours, et permet
ou intégré sur le côté d’un sac précieux. « Nous sommes vraiment par exemple de passer du 30 avril au 1er mai
à la croisée des chemins entre la narration et le développement sans avoir besoin de changer manuellement
technique », rappelle le directeur général de la maison. Les la date –, ses doubles fuseaux horaires ou
Complications Poétiques imaginées par Van Cleef & Arpels, encore ses montres à Heure Universelle, qui
dont les mécanismes sophistiqués permettent de faire battre permet de lire d’un seul regard l’heure dans les
les ailes d’un papillon, d’animer une fée dont la baguette indique 24 fuseaux horaires, font de la manufacture l’un
les heures, ou de faire se rejoindre deux amoureux à midi des symboles de la grande précision horlogère,
et minuit, en sont le meilleur exemple. ainsi qu’elle le revendique.

46●
PARIS BORDEAUX BRUXELLES DEAUVILLE LILLE LYO N STRASBOURG TOULOUSE
Madamenews

Autre grand nom de l’horlogerie d’objets usuels,

helvète, Jaeger-LeCoultre mise en dehors de la voiture
elle aussi sur l’ultraprécision éventuellement, qui vous
et se targue de réaliser au sein de procurent un plaisir aussi
sa manufacture quelques-unes important que celui de
des complications horlogères porter une belle montre
les plus complexes – à ce jour, à son poignet. Ce concept
la maison a ainsi déposé plus d’objet est primordial.
de 430 brevets d’invention. On achète une montre
« L’horloger fabrique un temps parce qu’elle nous plaît,
précis, confie Lionel Favre, parce qu’elle est belle. »
directeur produit et design de Et si porter une montre,
Jaeger-LeCoultre. Nos montres c’était finalement un rituel
nécessitent des savoir-faire permettant de s’ancrer
qui se transmettent sur des dans le temps présent ?
générations. Leur fabrication Voire un moyen de s’offrir
ne se fait pas sous la pression un délai, quelques heures
du temps ; peu importe le temps supplémentaires dans
passé pourvu qu’elles soient une vie de plus en plus
parfaites. Notre vision est celle minutée ? Comme cet
du temps long. » Répétition amateur, qui, suite à de
minutes, tourbillon multi-axe, graves problèmes de santé,
complications célestes… Des s’est mis à en acheter de
termes techniques, déroutants manière frénétique, comme
pour certains, mais qui séduisent les amateurs du genre. pour contrer la course inexorable du temps qui
« J’ai des clients qui sont extrêmement exigeants sur passe. « Il ne faut pas oublier que le temps est
la précision », abonde Antoine de Macedo. Ce dernier note un luxe, rappelle Philippe Delhotal. Et je pense
par ailleurs un intérêt renouvelé pour les modèles emblématiques que l’humain a besoin de prendre son temps,
de l’histoire de l’horlogerie mécanique. « Nous avons une de sortir un peu du quotidien et d’ouvrir une
clientèle très jeune qui s’intéresse aujourd’hui aux années 1980, parenthèse qui va vous offrir un peu de sérénité,
l’une des périodes les plus glorieuses de l’industrie horlogère, de calme et, finalement, de réflexion. »
incarnée entre autres par la Santos de Cartier (symbole de Si possible armé d’un beau garde-temps… ●
richesse autant que d’ascension sociale, arborée par Michael
Douglas dans Wall Street, d’Oliver Stone, sorti en 1987, NDLR). »
CES HORLOGERS QUI NE
SUPPLÉMENT d’éternité DONNENT PAS L’HEURE
Annoncée morte lors de la naissance, à l’aube des années VOILÀ DES ANNÉES QUE CERTAINS
1970, du quartz et des montres à pile, « tuée » une seconde fois HORLOGERS ne s’embarrassent même plus de donner
avec l’arrivée sur le marché horloger des modèles connectés, l’heure. Ainsi du Suisse Beat Haldimann, couronné
la montre mécanique fait donc de la résistance, jouant désormais du prix Gaïa (l’équivalent horloger du Nobel) en 2009,
sur son esthétique plus que son utilité. « La question ne se pose inventeur d’un surprenant garde-temps dont le cadran ne PHOTO LANDON NORDEMAN TRUNK ARCHIVES/PHOTOSENSO
plus : utiliser la mécanique, c’est vraiment se compliquer la vie comporte qu’un tourbillon – une complication horlogère
pour quelque chose qui peut être fait avec une puce électronique, habituellement partiellement dissimulée – et rien d’autre.
admet Nicolas Bos. Mais la beauté des montres mécaniques, Ou de Hautlence, société neuchâteloise qui a, elle, poussé
c’est qu’à la façon d’un automate, on pourra toujours les réparer. le curseur encore plus loin avec la Playground Labyrinth.
Il y a donc une forme d’éternité associée à ça. Éternité que l’on Plus d’aiguilles des heures et des minutes ni de trotteuse,
ne trouve pas dans un objet électronique, qui sera par principe mais un labyrinthe et deux petites billes, à faire tomber
obsolète un jour. » Même son de cloche chez Hermès : « Si l’on dans un trou avant de les remonter à la surface grâce à un
est très honnête, aujourd’hui, on n’a pas besoin de montre. Mais ingénieux mécanisme. Des sculptures horlogères plus que
il faut l’imaginer comme un objet qui vit, qui nous accompagne des montres à proprement parler, qui rendent le temps
dans notre quotidien », renchérit Philippe Delhotal. « La montre presque accessoire et nous rappellent que ce dernier étant
est aussi un accessoire qui reflète la personnalité de celui ou celle insaisissable par nature, mieux vaut parfois le laisser filer.
qui la porte, ajoute de son côté Antoine de Macedo. Elle procure
une émotion : lorsque vous la portez contre vous, ses battements
entrent en résonance avec vous-même. Il n’y a plus beaucoup

48●
saint-james.com
Madamenews
6 PHILOSOPHES
explorent le temps
Vous regardez votre montre. Combien de minutes
pour lire ce texte ? Par ce geste, vous êtes au cœur
de la puissante réalité du temps. D’un côté, l’heure,
l’angoisse, de l’autre, parfois, l’inverse, l’oubli
de l’horloge et la joie ! Avec le philosophe Frédéric
Worms, directeur de l’École normale supérieure,
on s’accorde une pause pour comprendre.
1. ARISTOTE
“Être dans le temps, c’est avoir son existence mesurée par le temps”
Commençons l’exploration de cette question avec
un premier guide faussement simple mais si profond.
Il vient après les premiers étonnements philosophiques,
de ceux qu’on appelle les présocratiques et, par exemple,
celui, célèbre, d’Héraclite (« On ne se baigne jamais deux
fois dans le même fleuve »), auquel
on va revenir. Mais Aristote donne une
définition du temps qui dit tout, même
si elle ne résout pas tout (on la trouvera
dans La Physique, d’Aristote, livre IV).
Voici cette définition : « Le temps est
le nombre du changement » (ou « du
mouvement », car l’on entend par là
tous les changements chez lui). Que dit-
elle donc ? Eh bien, c’est une définition
simple : le temps, ce ne serait pas le
changement lui-même, mais la manière
de le mesurer, de le décompter.
Ce ne serait pas le fait de vieillir, mais
la mesure de l’âge ; et pas le fait de
se déplacer, mais « le temps » que cela
prend, sur une horloge ou dans un
calendrier. C’est bien l’idée que l’on a du
50● PAR FRÉDÉRIC WORMS / ILLUSTRATIONS HÉLÈNE CAYRE
temps quand on dit : « combien de temps ? » Et c’est essentiel
à l’idée de temps. Génie d’Aristote. Oui mais voilà : cette
décision a un coût. Elle distingue le temps et le changement.
Or, quand je me lamente sur le vieillissement ou la mort,
mais me réjouis d’une naissance ou d’une rencontre, peu
m’importe l’heure ou la mesure. C’est
sur « le temps » que je m’extasie ou
m’inquiète, qui me rapproche de la fin ou
me relance en avant. Ainsi, finalement,
Aristote n’a pas tout résolu. Il a, comme
tout le monde, distingué deux aspects
du temps, mais a réservé ce mot pour un
seul des deux. Le vrai problème est plutôt
dans la relation entre les deux aspects !
C’est ce que disait déjà Héraclite : on
croit pouvoir compter deux baignades
successives, comme si le fleuve n’avait
pas changé entre-temps, alors qu’il s’est
écoulé. Génie d’Aristote, oui, non pas
pour une réponse, mais pour une
question qu’il faut continuer à creuser !
Pour prolonger : « Histoire de l’idée de temps. Cours
au Collège de France », d’Henri Bergson, Éd. Puf, 2016.
Madamenews
2. SAINT AUGUSTIN
“Le temps, qui pourra le saisir
même par la pensée ?”
La deuxième étape est celle des Confessions, de saint
Augustin, dont on pourrait dire qu’elles inaugurent
la dimension subjective, ou personnelle, de la réflexion
philosophique sur le temps. C’est comme si la subjectivité
humaine prenait conscience non seulement de sa
dimension temporelle, mais d’une forme de déchirement
qui va conduire, d’ailleurs, chez saint Augustin, à une
profonde méditation non seulement sur le temps humain
mais sur l’éternité. Tout commence avec une exclamation,
une « surprise », restée célèbre dans l’histoire de
la philosophie : « Qu’est-ce donc que le temps ? Quand
personne ne me le demande, je le sais ; dès qu’il s’agit
de l’expliquer, je ne le sais plus » (Confessions, livre XI).
Tout se passe comme si saint Augustin se plaçait d’emblée
au point exact de déchirure ! Il y a une vie implicite
dans le temps ; et il y a un rapport explicite au temps,
une réflexion sur le temps. Mais le passage de l’un à l’autre
n’est pas aussi simple que chez Aristote. Au contraire,
c’est d’abord un étonnement, suivi par une réflexion,
mais qui restera un déchirement.
L’être humain vit dans le temps, et dès qu’il y pense celui-
ci devient un mystère. C’est que, pour saint Augustin,
le temps n’est pas réductible à sa mesure par une horloge,
et pas même seulement mystérieux par la transformation
des choses (le passage de la vie à la mort, ou les grands
événements de nos vies). Il devient mystérieux en lui-
même. « L’avenir n’est pas encore, le passé n’est plus,
le présent ne cesse de passer » : le temps lui-même est
insaisissable. Soit je le vis sans le penser, soit j’y pense,
mais sans le comprendre. Ce mystère, tous les philosophes
devront y revenir ! Mais, chez saint Augustin, la déchirure
temporelle est l’indice de notre condition, l’indice de
la finitude humaine. Elle indique en creux un autre mode
d’être, l’éternité divine, qui n’est pas du tout un temps
interminable et sans fin, mais un mode d’être immuable
et entièrement libéré du temps. Telle est la réponse de
saint Augustin à sa question, ou plutôt à son exclamation
déchirée. Mais celle-ci n’a pas fini de traverser l’histoire.
Pour prolonger : « Chronos. L’Occident aux prises avec le temps »,
de François Hartog, Éditions Gallimard, 2020.
52●
3. HEIDEGGER
“Y a-t-il un chemin, du temps
originaire au sens de l’être ? ”
C’est en apparence un saut immense que l’on fait
en passant de saint Augustin, au XXe siècle, et d’abord
à Heidegger, auquel on peut (même s’il le refusait) associer
tout ce qui s’est appelé « existentialisme ». Ce pas s’impose
pour une raison simple : pour Heidegger, dès son livre
Être et Temps (1927), le rapport subjectif au temps n’est pas
un aspect secondaire qu’on pourrait dépasser (par exemple,
dans l’éternité), mais c’est la vérité profonde du temps.
Une de ses expressions a marqué le XXe siècle, c’est « l’être
pour la mort ». Oui, la force de ce livre est de dire ceci : la
mort n’est pas seulement une de nos angoisses temporelles
parmi d’autres. C’est notre rapport à la mort qui définit
notre rapport au temps et notre être tout entier : dans
sa finitude absolue, dans sa critique du temps de la vie
(et des gens qui y vivent) que représentent les horloges
et la science, et sans aucun dépassement, même religieux.
La voilà, l’existence au cœur tragique du XXe siècle !
En assumant cette place de la mort dans notre rapport au
temps, Heidegger a donc un rôle essentiel. On peut dire
aussi l’inverse. Ce qui comptait pour lui, ce n’était
étonnamment pas la mort concrète et la nécessité vitale
de l’éviter. C’était son anticipation, ce sentiment pur et
angoissé du temps que nous donne l’anticipation de la mort.
Certains de ses grands lecteurs ont cherché à garder ce
sentiment pur du temps en lui trouvant d’autres sources que
la mort. Ainsi, chez Sartre, ce sera la liberté et le « projet »
qui nous arrachent au monde, ou, chez Hannah Arendt,
la naissance, qui ouvre un avenir nouveau. Paul Ricœur se
demandait s’il ne faudrait pas remplacer l’être pour la mort
par un être contre la mort. Mais, pour eux aussi, il faut garder
un sentiment pur du temps, irréductible aux urgences
concrètes, aux horloges, et renoncer à une vie qui serait
heureuse « dans » le temps, sans y penser, mais par son
contenu même ! N’en avons-nous pas besoin, pourtant,
et n’en faisons-nous pas dans notre vie l’expérience ?
Pour prolonger : « Heidegger et la question du temps », de Françoise Dastur,
Éditions Puf, 2011.
ILLUSTRATIONS HÉLÈNE CAYRE
Madamenews
4. BERGSON
“Le temps est invention
ou il n’est rien du tout”
Une autre tradition avait commencé au tournant
du XXe siècle qui garde la question du temps au centre
de tout, et conduit jusqu’aux urgences du présent. C’est celle
du philosophe Bergson, alors célèbre dans le monde entier,
qui résumait sa pensée par une seule phrase : « J’ai dit que
le temps n’était pas de l’espace. » Elle propose une autre
solution à l’étonnement, au déchirement, aux aspirations
des êtres humains devant le temps. En quoi consiste-t-elle ?
C’est simple. Elle consiste à assumer non pas un seul mais
les deux rapports humains au temps comme incompatibles
et contradictoires, mais comme également importants
et surtout également liés à une expérience qui est redevenue
première aujourd’hui : la vie. Les deux rapports au temps
sont bien différents. Il y a celui de la science, des horloges, qui
remplace le temps qui passe par une quantité qu’on mesure,
un cadre extérieur à son contenu, ce n’est plus du temps, en
effet, c’est de l’espace ! Et il y a, en dessous, le temps « réel »,
qui ne fait pas que « passer » mais qui change, transforme,
agit, crée (ou détruit), et que Bergson appelle la durée. Ainsi,
on a tous les éléments du problème. D’un côté, la mesure du
temps : quand survient une urgence, il y a la sirène ou le tic-
tac, et toute peine est aussi temporelle, de l’ennui à l’angoisse
devant la mort. De l’autre côté, un temps auquel on ne pense
pas, qu’on ne mesure pas, mais qui est une expérience
concrète d’un changement réel, où l’on est absorbé : une
œuvre, une discussion, un événement qui, s’il est heureux,
le sera complètement tant qu’on ne pensera pas au temps
qui peut l’abolir ! Et cela va, dans l’œuvre de Bergson, jusqu’à
une morale et une politique : car l’urgence vitale conduit,
selon lui, à la guerre et aux sociétés « closes », alors que le
grand sage ou le saint ouvre une nouvelle histoire en mettant
la morale « ouverte » par-dessus les besoins clos de chaque
vivant. Gardons au moins cette boussole qui consiste
à n’oublier jamais aucun aspect du temps ! Deux grands
continuateurs (et parfois critiques) de Bergson ont poursuivi
à partir d’un phénomène qui prouve, selon eux, la réalité du
temps insaisissable et parfois tragiquement réel : l’instant.
Pour prolonger : « La Pensée et le mouvant », d’Henri Bergson, édition
crtitique, Éd. Puf, coll. « Quadrige ».
54●
5 et 6. BACHELARD
et JANKÉLÉVITCH
“Le temps est une réalité,
resserrée sur l’instant, suspendue
entre deux néants” (Bachelard)
Gaston Bachelard et Vladimir Jankélévitch, voilà deux
des plus grands penseurs de la réalité du temps au XXe siècle,
sous le signe heureux ou déchiré d’une expérience radicale,
celle de l’instant. C’est la surprise, tout à coup, qui nous
prouve la réalité du temps et de ses deux facettes. L’un et
l’autre voient ainsi la mort, l’instant fatal, comme la preuve
concrète de cette réalité. Lisez La Mort, de Jankélévitch,
mais pensez aussi à cette phrase admirable de Bachelard,
dans L’Intuition de l’instant : « Le deuil le plus cruel, c’est
la conscience de l’avenir trahi, et quand survient l’instant
déchirant où un être cher ferme les yeux, immédiatement on
sent avec quelle nouveauté hostile l’instant suivant assaille
notre cœur. » Mais pour l’un comme pour l’autre, l’instant
qui change tout est aussi un devoir et une résistance.
Un devoir qui, chez Jankélévitch, résume toute la morale
qui consiste non pas à projeter ou regretter, mais à agir
maintenant, séance tenante, car cela change tout ! Une
résistance, car, pour Bachelard, la science pense l’instant,
la poésie aussi, qui condense les instants contradictoires
en un éclair de beauté. Tout cela nous reconduit au moment
présent, où le temps est redevenu si réel, exigeant, créateur
et précieux. Tout est devant nous aujourd’hui entre le temps
des urgences, plus nombreuses que jamais, et les expériences
heureuses qu’il faut y préserver même quand la fin de vie
est annoncée (et presque insupportable dès qu’elle l’est),
même quand la fin du monde est proclamée (par certains)
et que l’on doit agir pour l’empêcher ! Tout recommence
donc, des deux côtés du temps, mais on sait désormais qu’il
faut tenir les deux bouts. Vivre, aujourd’hui, c’est supporter
l’urgence temporelle, et malgré tout lui résister, non pas
ILLUSTRATIONS HÉLÈNE CAYRE
dans un vide angoissant, mais pour contempler, penser, agir,
partager, et donc, finalement, répondre à tous les dangers
du temps, par toutes les forces du temps. ●
Pour prolonger : « Cahier Vladimir Jankélévitch », Éd. de L’Herne, 2022.
Frédéric Worms, professeur de philosophie à l’École normale supérieure,
dont il est directeur, publiera prochainement un recueil de ses chroniques sur
France Culture.
Naissance
de Théo
Naissance
d’Elsa
Naissance
d’Abel
Madamenews
Vite ! Je suis
en RETARD
Dès le matin, cette impression nous
gagne. Comme le Lapin d’Alice, victime
d’une hyperactivité permanente,
nous courons éperdument après
le temps. Et après nous-mêmes ?
ÉTIENNE KLEIN PORTE UNE MONTRE
À CHAQUE POIGNET, s’apprête à aller donner une
conférence en Suisse et nous a donné rendez-vous dans une gare,
sous l’horloge. Autant dire que le temps (dont il est le spécialiste)
l’habite et l’entoure. Jusqu’à l’oppresser ? « Le temps, tranche
d’emblée le philosophe, c’est ce qui nous empêche d’être présents
au présent. » Sa définition, volontairement sévère et restrictive,
semble condenser l’époque. Elle décrit en une phrase ce sentiment
d’urgence et de course permanente qui étreint nos journées.
En 2023, notre façon de l’aborder ou de le traverser est rarement
positive. On en manque, on aimerait en avoir plus, il nous file
entre les doigts… Les to-do lists s’allongent sans fin, l’exigence
d’immédiateté est partout, nos tâches comme nos pensées se
superposent et s’entrecoupent, d’où ce sentiment de faire mille
choses en même temps, et d’être, donc, toujours « en retard ».
SURCHARGE et dispersion
Aurions-nous toutes et tous beaucoup trop lu (ou entendu)
le lapin blanc imaginé par Lewis Carroll dans Alice au pays des
Merveilles déclamer « Je n’ai pas le temps de dire au revoir, je suis
en retard, en retard », jusqu’à trouver « normale » ou acceptable
sa course folle et absurde ? L’intrusion du numérique dans nos
vies nous a conduits à ce que Klein appelle la « superposition
56● PAR LISA VIGNOLI
des présents multiples ». Il s’explique : « Je suis
là avec vous, mais je pourrais faire tout un tas
d’autres choses dans le même temps, qui
viendraient parasiter le moment. » Lire cet
article qui vient d’apparaître sur l’écran de
son téléphone, envoyer un mail au laboratoire
de recherche qu’il dirige, chercher sur Google
Maps à combien de mètres se trouve son
hôtel de la gare de Neuchâtel, où il descend…
« La dispersion est l’élément majeur de
surcharge de notre emploi du temps, et souvent
la source de nos retards », avance-t-il.
La promesse de pouvoir gérer beaucoup plus
de tâches depuis nos téléphones ou nos
ordinateurs est en fait chronophage. Et il n’est
pas question là de mauvaise organisation.
« La vitesse avec laquelle grossit le flux de
données qu’on reçoit chaque jour est
considérable, poursuit-il. Notre cerveau n’est
pas capable de gérer cela. » C’est d’ailleurs ce
qui a poussé l’auteur Jonathan Curiel à écrire
Vite ! Les Nouvelles Tyrannies de l’immédiat ou l’urgence
de ralentir (Éditions Plon, 2020). Au-delà du
constat personnel, qui l’amène à regretter de
ne même plus prendre le temps d’écouter ses
messages, celui qui est aussi directeur général
PHOTO OLENA RUBAN/GETTY IMAGES
adjoint des programmes de M6 ne s’est pas
habitué, malgré des années d’expérience des
médias, à ce que ce secteur soit devenu un lieu
de vitesse et d’accélération, un « flux continu,
quasi-épileptique » d’information, où une
actualité chasse l’autre. Le temps irait-il
aujourd’hui plus vite que nous ? « C’est surtout,
regrette-t-il, que la vitesse affecte désormais
 &
SIMONE PÉRÈLE,
75 ANS D’UNE

MAISON ICONIQUE
MAISON ICONIQUE DE LA LINGERIE FRANÇAISE,
SIMONE PÉRÈLE SUBLIME LES FEMMES DEPUIS
TROIS GÉNÉRATIONS. RETOUR SUR LES DESSOUS
D’UNE MARQUE CRÉATIVE ET AVANT - GARDISTE À
L’IMAGE DE SON AUDACIEUSE CRÉATRICE.

Rares sont les Maisons de lingerie françaises à être restées

dans le giron familial. C’est le cas de Simone Pérèle, dont l’ADN
porte encore aujourd’hui l’empreinte d’une grande pionnière.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Simone Pérèle
est une jeune corsetière quand, en 1948, elle monte sa Maison de
lingerie avec son mari. Visionnaire et passionnée par son métier,
elle décide de mettre son savoir-faire au service de la libération
du corps des femmes, leur offrant tout à la fois confort et élégance.
Dans les années 1960, elle révolutionne l’univers de la lingerie
avec le modèle Soleil, le premier soutien-gorge aux bonnets en
pointe, qui répond à l’envie des jeunes femmes d’une féminité
libre et émancipée.
C’est le début d’une aventure, dont les créations vont tour à
tour marquer l’histoire de la lingerie. Le soutien-gorge Pétale,
absolument invisible et sans armature, apparaît en pleine
vague seventies. À l’aube des années 1990, la collection
« Les Essentiels » propose aux femmes une lingerie seconde
peau devenue incontournable. Toujours en avance sur son temps,
Simone Pérèle porte l’innovation durant les années 2000 avec
la technologie Spacer, en créant le premier « Spacer 3D », un fil
tricoté en trois dimensions. Une alternative aux coques, à la fois
douce, invisible et respirante, offrant un galbe et un confort uniques.
Depuis soixante-quinze ans,
Simone Pérèle lit dans le cœur et
le corps des femmes, et l’histoire
continue aujourd’hui.
DÉFENDRE LA LIBERTÉ
ET LA FÉMINITÉ
Portée par les petits-enfants du couple
fondateur, la marque reste fidèle à son héritage,
cultivant avec dextérité son savoir-faire, sa
vision résolument moderne et son raffinement.
En 2023, Simone Pérèle s’adresse à toutes les
femmes d’aujourd’hui, quelles que soient leur
silhouette, leur morphologie et leur envie.
Triangle, brassière, corbeille, push-up, avec ou
sans armature… la nouvelle collection révèle
la beauté de tous les corps à travers des pièces
raffinées directement inspirées des codes du
prêt-à-porter. Sensuels, discrets, exubérants,
affirmés, ces dessous – auxquels s’ajoutent des
pièces loungewear, sportswear et des maillots de
bain – se plient à toutes les envies et séduisent
une nouvelle génération de personnalités libres,
inspirantes, ambitieuses, indépendantes et bien
dans leurs corps. Parmi elles, la chanteuse pop
Dua Lipa et l’actrice engagée Zendaya. Preuve s’il
en fallait qu’à 75 ans, dans son atelier parisien,
la maison Simone Pérèle s’impose comme un
emblème de féminité et de liberté.

PUBLI-COMMUNIQUÉ RÉALISÉ PAR 14H

●57
Madamenews
tous les pans de la société. » De la sphère politique en passant
par la vie personnelle, et bien sûr et avant tout, le monde du travail,
partout, le rythme s’accélère. Et l’hyperactivité guette. « Il suffit
de regarder à quel point celle-ci a complètement investi les codes
langagiers de l’entreprise », souligne-t-il. « Je suis sous l’eau »,
« complètement charrette », « full tout le mois qui vient », ou
encore « en apnée »… « Combien de formules existe-t-il pour
montrer qu’on a trop de travail ? », interroge-t-il. Être débordé
est-il devenu la norme ? Un statut social ? Un signe de distinction ?
UNE VERTU gratifiante
C’est en tout cas un « super booster », auquel deviennent
vite addicts les bons élèves… « Quand on a une grande capacité
de travail, ce sentiment de trop-plein a un côté extraordinaire : on
adore ça, dans le fond, et on fait rapidement deux pleins-temps… »,
ironise presque Chine Lanzmann, fondatrice du cabinet de
coaching Woman Impact. « Toucher au sentiment d’être efficace,
“inarrêtable”, quand on fait vite et bien, il n’y a rien de plus
gratifiant ! », poursuit la coach. Ce serait même une façon d’aller
chercher la reconnaissance… « Or, sans reconnaissance, on meurt.
On va donc peu à peu se mettre à structurer notre temps en fonction
de la reconnaissance que nos actions peuvent nous apporter. »
Dans un monde économique où chacun est jugé sur sa réactivité,
accumuler les tâches urgentes, les missions de dernière minute,
en plus de sa charge habituelle, serait même devenu le moyen
le plus sûr de l’obtenir. Les femmes de 30 à 45 ans, qui mènent
leur carrière tout en ayant des enfants dont il faut s’occuper,
et souffrent souvent d’un manque de confiance en elles au travail,
sont la cible idéale de cette tendance à l’accumulation. Pauline
est l’une d’elles. « Quand je me réveille, je suis déjà en retard,
parce que je fais trop de choses et que je n’ai jamais eu assez des
vingt-quatre heures de la veille pour en venir à bout, explique
cette productrice de cinéma. Il m’arrive d’être nostalgique du
temps du confinement où, malgré un climat tendu, je n’avais plus
de sollicitations sociales et bien plus de temps pour travailler
mes projets sur le fond, sur le long terme. J’en suis parfaitement
consciente, et pourtant, quand ces sollicitations sont là, je suis
la première à ne pas y résister. »
(RE)DONNER du temps au temps
« C’est la griserie existentielle !, éclaire Étienne Klein.
Quand vous êtes débordé, vous vous sentez exister. » Certaines
fois pourtant, l’explosion du calendrier conduit en zone rouge.
« Quand tout va bien, on est efficace, on tient les délais, mais
quand cet état de fait dure et s’installe, qu’on est déjà stressé, il
devient contre-productif, poursuit le philosophe. Et en général,
on ne s’en rend pas compte… » Passée l’adrénaline de la surcharge,
« on n’a pas le temps de mûrir les situations, on prend les
mauvaises décisions et on peut aller droit dans le mur », constate
Chine Lanzmann. Pour éviter le pire et retrouver du temps,
voire le plaisir d’être en avance, elle recommande à ses clientes
de dire non et de déléguer les tâches sans valeur ajoutée
et « c’est très facile », jure-t-elle (lire l’encadré ci-contre).
Serait-ce si simple ? Pour ne plus subir le retard, il faut d’abord…
accepter le retard, nous glisse la psychanalyste et maître de
58●
conférences en philosophie Hélène L’Heuillet.
Dans son ouvrage Éloge du retard (Éditions Albin
Michel, 2020), elle souligne même un paradoxe,
dans la lignée de Blaise Pascal : « Alors qu’on
pense manquer de temps, et qu’on s’en plaint,
notre plus grande crainte est en fait d’en
avoir trop », explique-t-elle. Il faut donc en
réapprendre le goût. Lutter contre l’injonction
à répondre dans l’immédiat en se donnant un
petit délai avant le retour de mail. Retrouver
l’ennui, l’imprévu et remettre la lecture au cœur
de ce processus de réappropriation seraient
des pistes. « C’est dans la contemplation
que jaillissent la créativité, la joie…, souligne-
t-elle. Je dirais même que l’acceptation de
la perte de temps est la condition de la vraie
joie. » En partant (légèrement en retard)
prendre son train, Étienne Klein tente une
conclusion positive : « En fait, le manque
de temps crée une frustration en nous. On est
frustré car on croit au bonheur et on ne
veut rien gâcher. On se dit : “Comme je serais
heureux, si je pouvais faire tout ce que je
veux faire”. » Renoncer à cette illusion, c’est
en soi remettre les pendules à l’heure…●
CINQ CONSEILS POUR
SE “DONNER DE L’AIR”
● Déléguer tout ce qui n’est pas dans sa zone de génie.
Il existe quatre zones : la zone d’incompétence et la zone
de compétence, qui elle-même est divisée en zone d’excellence
et zone de génie – là où l’on est vraiment le meilleur. L’idée
est de passer 0 % de son temps dans sa zone d’incompétence,
20 à 30 % dans sa zone d’excellence et le plus possible dans
sa zone de génie. Là, on travaille hyper bien et facilement,
presque sans effort.
● Comprendre qu’on n’est pas meilleur quand on fait vite.
● Conserver dans son emploi du temps des plages
de travail concentré, pour rentrer à fond dans un sujet.
On se coupe du téléphone, on ferme sa porte, on fait
savoir qu’on est occupé. Idéalement deux fois trois heures
ou bien une journée par semaine.
● Garder du temps pour les urgences et l’imprévu.
Par exemple, bloquer une heure par jour après le déjeuner,
toute l’année ou deux fois deux heures par semaine.
Cela évite de devoir les traiter dans le magic time, comme
l’appellent les Anglo-Saxons : ce temps qui n’existe pas…
● Profiter du temps gagné pour réapprendre à être
en avance. Arriver dix minutes avant un rendez-vous
pour prendre un café ou respirer, ou à une réunion,
pour introduire le moment de manière décontractée.
 &

LE TANNEUR,
125 ANS
DE SAVOIR-FAIRE
MAROQUINIER
FONDÉE EN 1898, LA MAISON
DE MAROQUINERIE FRANÇAISE
CÉLÈBRE CETTE NOUVELLE ÉTAPE DE
SON HISTOIRE ET LANCE LES FESTIVITÉS
AVEC UNE COLLECTION D’EXCEPTION
ET UNE CAPSULE « LE BUREAU ».

C’est sans nul doute l’un des plus anciens maîtres
maroquiniers de France. Et pour cause, depuis plus de cent vingt-cinq
ans, Le Tanneur ne cesse d’exprimer son savoir-faire à la faveur de
créations en cuir aussi élégantes que contemporaines. Une longévité
remarquable, que la marque a voulu célébrer avec une nouvelle
manifestation de son identité stylistique.
LE MADELEINE
Baptisé en toute sobriété « Madeleine », ce
nouveau sac, qui prend les formes d’un sac
baguette, doit sa singularité non seulement
à sa silhouette, mais aussi à son cuir de
taurillon, une matière noble provenant
d’une tannerie du Sud-Ouest de la France.
Ce sac baguette brille par le savoir-faire
et les matières qui le composent, dont
une bijouterie asymétrique en palladium,
signature de la ligne. Décliné en trois teintes, il se veut l’expression
d’une élégance intemporelle, à l’image de la marque. Mais ce n’est
pas tout. Pour son anniversaire, Le Tanneur s’offre une collaboration
sensationnelle en s’associant à l’icône parisienne Inès de la Fressange.
Placée sous le signe de la créativité et de l’élégance, cette collection se
veut une nouvelle incarnation du style à la française.
Les Personnels, une série de pièces élégantes du
quotidien destinées à des vocations particulières.
Cette saison, c’est une capsule Bureau 2.0 qui est à
l'honneur, avec une collection composée de pièces
vouées aux journées studieuses. Plus d’un demi-siècle
après avoir orné le bureau du président Charles de
Gaulle à l’Élysée, Le Tanneur investit les espaces
de travail à domicile avec un couvre-carnet, un
couvre-agenda, un repose-main ou encore un tapis
de souris. Des objets réalisés en cuir lisse au tannage
végétal avec des surpiqûres blanc craie qui revisitent
sur une note contemporaine les codes stylistiques
d’hier pour mieux les inscrire dans l’air du temps.
Une nouvelle façon de s’approprier le savoir-faire de
la Maison, et d’écrire sa propre histoire.

LE BUREAU À LA MAISON
Et parce que Le Tanneur ne se limite pas à la confection de sacs à main
ou de portefeuilles, la Maison spécialisée dans l'élaboration d’objets en
cuir pour le quotidien renoue également cette saison avec sa catégorie

PUBLI-COMMUNIQUÉ RÉALISÉ PAR 14H

●59
Madamenews

Tempos
INTIMES
vivre intensément le présent, se recentrer sur l’essentiel,
apprivoiser les années, Laisser une empreinte…
Sept personnalités déroulent pour nous leur fil du temps.

CAROLE BOUQUET
actrice
“Vieillir, c’est aussi vivre de grands bonheurs”
LE TEMPS QUI PASSE. « Si j’avais pu rester à l’autre en devient parfois plus fade, moins naturel.
“bloquée” à 50 ans, je l’aurais fait, mais la vie n’est pas ainsi Mais je comprends les excès, sans doute nécessaires, pour
faite. J’ai 66 ans et je les assume car je n’ai pas le choix. J’ai changer les codes en profondeur, du moins dans certains
même prévu de célébrer mes 70 ans en grande pompe, y pays. Car, dans d’autres, les droits des femmes régressent
compris en une des journaux si on veut bien de moi ! Quand à mesure que la démocratie recule. Quand j’avais 20 ans,
on me dit que je fais plus jeune, ça m’énerve : je revendique je pensais que nos enfants et nous pourrions vivre dans
mon droit à la fatigue, notamment sur les tournages où un monde meilleur, mais les guerres sont partout. On ne
parfois ils oublient que je n’ai plus retient rien de l’Histoire. C’est désolant. »
40 ans. Je veux jouer des rôles de S’ENDURCIR OU
mon âge et ne pas me ridiculiser S’ADOUCIR AVEC LE TEMPS.
en tentant de retrouver celle que « S’endurcir ? Sûrement pas.
je ne serai jamais plus… Sur un C’en est consternant d’ailleurs.
plan plus personnel, vieillir, c’est Jeune, j’avais une cotte de mailles
souffrir quand la maladie ou la très épaisse. Aujourd’hui, c’est de
mort des proches surviennent. la dentelle. Je me sens plus fragile,
Mais c’est aussi vivre de grands peut-être parce que l’insouciance
bonheurs, à travers de nouvelles s’envole avec la jeunesse. »
rencontres ou l’arrivée de petits- PARTAGER SON TEMPS.
enfants par exemple. » « Je donne du temps à la peinture,
AUTRES TEMPS, la sculpture, la marche, et à mes
AUTRES MŒURS. petits-enfants avec qui je passe un
« Le cinéma - et la société mois par an, en Italie… J’aimerais
en général - écoute, représente les voir davantage, mais mon
et valorise mieux les femmes. temps est moins organisé
C’est une révolution positive aujourd’hui qu’il ne l’était quand
même si, aujourd’hui, le monde mes enfants étaient jeunes.
marche sur des œufs. Les Prendre de l’âge, c’est aussi ça :
PHOTO CHANEL

débordements sont intolérables moins de contraintes “extérieures”

mais la parole se censure et plus de liberté pour ne penser
parfois sans raison. Le rapport parfois qu’à soi. »

60●
PAR MARILYNE LETERTRE
 &
HARI NEF,
ICÔNE « EXTRAORDINAIRE »
POUR DESIGUAL
INVITATION À CÉLÉBRER SA PROPRE
SINGULARITÉ AVEC PANACHE, LA NOUVELLE
CAMPAGNE DE LA MARQUE CATALANE MET
EN SCÈNE L’ICÔNE LGBTQIA+ À LA FAVEUR DE
CLICHÉS AUSSI CRÉATIFS QUE RÉJOUISSANTS.

Plus qu’une égérie, une icône. Premier modèle

ouvertement transgenre à être représenté par une agence de
mannequin, elle a aussi conquis le monde du cinéma et du petit
écran avec son rôle dans Barbie de Greta Gerwig et dans la série
de HBO he Idol. Son nom ? Hari Nef.

LIBERTÉ, ÉGALITÉ, DIVERSITÉ

Symbole ultime de la diversité dans la mode, l’Américaine
s’associe aujourd’hui à Desigual pour incarner sa nouvelle
collection automne-hiver. Au programme ? Des clichés haut en
couleur placés sous le signe de la liberté et de l’extraordinaire, qui
invitent les inconditionnels de la marque à embrasser avec fierté
leur propre singularité. Une ode à la diversité, capturée par la
photographe Txema Yeste, aux côtés de la styliste Helena Tejedor.
Plus qu’une rencontre entre la mode et une énième
ambassadrice de style, cette campagne Desigual
se veut surtout l’union de deux forces créatives,
dont l’authenticité contagieuse permet de clamer
haut et fort un message d’acceptation de soi.

UNE MODE JOYEUSE

ET LIBÉRÉE
Et pour s’extirper des carcans imposés par la société,
rien de tel qu’un vestiaire à la croisée des influences.
C’est du moins tout le parti pris stylistique de
Desigual, qui avec cette nouvelle collection s’est
appliqué à réinventer son propre héritage à la faveur
d’inspirations plurielles. Catalysant l’air du temps,
les pièces repoussent sur un mode ludique les
frontières du genre entre féminin et masculin, tout
en s’autorisant une certaine anti-saisonnalité. Motifs
floraux, coupes fluides, matières légères mais aussi
imprimés tartans et tissus bien chauds, Desigual
s’accommode d’une météo parfois imprévisible pour
mieux exacerber sa créativité. La seule règle ? Qu’il
n’y en ait aucune !

PUBLI-COMMUNIQUÉ RÉALISÉ PAR 14H

●61
Madamenews

AGNÈS DESARTHE
écrivaine
“L’écriture permet de vivre
mille vies en une”
DONNER DU TEMPS AU TEMPS. « J’ai un
rapport plus organique qu’organisé à l’écriture. La vie
passe en premier, dans ce qu’elle a de plus joyeux ou
de plus fastidieux, jusqu’au moment où l’écriture prend
le pouvoir, quand le projet avance et se met à exiger
du temps. Mais c’est un des rares métiers où l’on peut
ne rien produire pendant plusieurs jours. Imaginez un
banquier ou un boulanger qui dirait des journées entières :
“Je ne vais pas au travail aujourd’hui”… »
ÊTRE DANS L’AIR DU TEMPS. « Ce qui paraît
nouveau l’est rarement. L’Histoire est faite de cycles :
les mêmes idées, les mêmes combats, les mêmes débats
reviennent. En littérature, j’ai constaté que les auteurs
les plus modernes étaient souvent nos prédécesseurs.
J’ai donc tendance à être tournée vers le passé, non par
nostalgie mais par curiosité. »
RATTRAPER LE TEMPS PERDU. « La lecture
GUILLAUME NÉRY injecte du temps à l’intérieur du temps et apporte un répit
équivalent à celui que procurent parfois plusieurs jours de
apnéiste repos. Comme l’écriture, elle permet aussi de vivre mille
“À 41 ans, je plonge dans vies en une, de voyager via des personnages qui évoluent

une quête de perfection” dans des époques différentes de la nôtre. Déjà très présent
dans mon précédent livre L’Éternel Fiancé, le temps est au
cœur du Château des Rentiers puisqu’il y est question de passé,
LE TEMPS APPRIVOISÉ. « Sous l’eau, le temps d’avenir, de vieillissement… Si ce thème est central, sans
est la valeur absolue puisque notre vie en dépend. Chaque doute est-ce lié à l’âge : je suis à un point de bascule où
heure, chaque seconde est pleinement vécue : il n’y a plus je me mets à penser en années qui restent, où je commence
de place pour le réel, le doute, les pensées parasites… à me représenter le monde sans moi. »
On prend physiquement conscience que le temps est limité. « Le Château des Rentiers », d’Agnès Desarthe, Éditions de L’Olivier.
Notre temps sur terre en devient d’autant plus précieux. »
DATE DE PÉREMPTION. « Dans ma discipline,
on peut garder un excellent niveau avec l’âge, voire
se bonifier. L’apnée ne requiert pas juste de la force et de
la rapidité mais du calme, un métabolisme lent, économe
en énergie… Pendant plus de vingt ans, la performance
PHOTOS FRANCK SEGUIN ET PASCAL BARIL, CELINE NIESZAWER
a été ma colonne vertébrale, mais à présent, à 41 ans,
je suis plutôt dans une quête de perfection du mouvement,
de méditation. Je pratique aussi l’ascension en montagne,
une autre quête de verticalité, sur une autre temporalité. »
RALENTIR LE TEMPS. « Dès l’adolescence,
j’ai perçu le tourbillon de l’âge adulte. L’apnée a été mon
contrat avec une vie sur un autre tempo et je décélère
encore le plus possible. Par exemple, j’ai abandonné
le smartphone pour un téléphone à touches : un petit acte
de résistance pour ne pas morceler mon temps, mieux
me concentrer sur l’écriture ou mon école d’apnée. »
« Nature aquatique », de Guillaume Néry, Éditions Arthaud.
Bluenery Academy, école d’apnée à Villefrancehe-sur-Mer. blueneryacademy.com/fr

62●
 S’échanger des mots
La Poste – SA au capital de 5 857 785 892 € – 356 000 000 RCS Paris – Siège social : 9, rue du Colonel Pierre Avia 75015 Paris – WINGS

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La Poste. Ça crée des liens entre nous.

●63
Madamenews

HUGO SÉLIGNAC
producteur de cinéma
“Au cinéma, il faut viser
l’universel, l’intemporel”
SE DONNER LE TEMPS. « Le temps est selon
moi la force des bons producteurs : développer un projet
de cinéma est souvent très long, en moyenne deux à
quatre ans. Mais si l’envie résiste, si l’excitation ne faillit
pas, il faut avoir la prétention de se dire que peut-être
le film rencontrera aussi le public. Il faut se donner
le temps d’éprouver son désir dans ce métier. »
ÊTRE DANS L’AIR DU TEMPS. « Exception
faite de Yannick, de Quentin Dupieux, on ne lance pas
le tournage d’un film en un mois. Notre temporalité est
telle que nous ne pouvons pas totalement coller aux
changements de la société qui, en trois ans, peut évoluer

HÉLÈNE DARROZE
très vite. Si je faisais un film sur l’intelligence artificielle
aujourd’hui, peut-être serais-je à côté de la plaque lors de
cheffe la sortie… S’il est une chose à viser, c’est plutôt l’universel,
l’intemporel, grâce à des cinéastes qui, à travers des
“Ce métier est un perpétuel personnages aux trajectoires fortes, sondent notre
apprentissage” humanité. Un bon film, un grand film, c’est celui qui
traverse les époques. »
LAISSER UNE EMPREINTE. « Dans ce métier,
LE TEMPS, ENNEMI OU ALLIÉ. « Il peut nous avons tous un ego surdimensionné et espérons
parfois être difficile de trouver le juste tempo dans
laisser une empreinte. Mais je ne me lève pas le matin
nos cuisines : c’est en tout cas une préoccupation et
en me disant que c’est là mon objectif. J’ignore si mes
une pression au quotidien. A contrario, sur le long
films seront à la Cinémathèque dans vingt ans, mais si
terme, le temps est un allié : ce métier est un perpétuel
déjà, aujourd’hui, ils procurent une émotion au public,
apprentissage, et l’expérience permet d’affiner
c’est une fierté dont je me satisfais. »
sa cuisine, de se renouveler… Par ailleurs, même si Producteur notamment de « Yannick », de Quentin Dupieux,
je n’ai jamais souffert d’avoir été une femme dans et de « Toni en famille », de Nathan Ambrosioni.
une cuisine, je sens avec le temps une bienveillance
et une considération accrue à notre égard chez nos
confrères, plus conscients des inégalités. L’image
du métier a elle aussi globalement changé : la cuisine
est passée de la voie de garage à la voie royale. »
ÊTRE DANS L’AIR DU TEMPS. « Il faut
surtout être soi-même ! Je n’ai jamais suivi les modes,
la cuisine moléculaire par exemple. En revanche,
notre métier évolue avec les valeurs de son époque :
la protection de l’environnement a pris une place
prépondérante dans nos cuisines, ou plutôt repris. Nous
revenons aux valeurs paysannes de nos grands-parents
PHOTOS CORENTIN FOHLEN ET GUIREC

après avoir vécu une ère d’hyperindustrialisation. »

COURIR APRÈS LE TEMPS. « C’est un métier
chronophage, et le temps que je m’octroie avec ma famille
et mes filles est précieux. J’essaie aussi de m’aménager
des moments pour aller au théâtre et lire, et je m’autorise
un grand voyage par an pour me nourrir d’autres cultures,
au sens propre comme au figuré. »
Cheffe de deux restaurants à Paris. marsanhelenedarroze.com
et joiahelenedarroze.com

64●
 &
ALULA,
UNE DESTINATION ENTRE
BIEN-ÊTRE
ET CULTURE
NICHÉE DANS LES DUNES DORÉES DU DÉSERT
SAOUDIEN, CETTE OASIS DE CULTURE
PRÉISLAMIQUE, OÙ LA RICHESSE DE L’HISTOIRE
RENCONTRE L’ART DE VIVRE LOCAL, S’IMPOSE
COMME UNE DESTINATION À DÉCOUVRIR.
UN TRÉSOR CULTUREL PRÉISLAMIQUE
Bien plus qu’un simple désert au ciel généreusement étoilé, AlUla
reste avant tout un site historique de l’ère préislamique de l’Arabie
saoudite. Riche de deux cent mille ans d’histoire humaine, cet
authentique musée à ciel ouvert niché aux confins des anciennes
routes de l’encens est un carrefour civilisationnel d’exception.
Héritage, entre autres, du passage des Nabatéens, ses vestiges
archéologiques sont le prétexte à de fascinantes excursions. Par
exemple, la cité de Hégra, premier site saoudien classé au patrimoine
de l’Unesco, était autrefois la principale ville méridionale du royaume
nabatéen, réputée pour ses impressionnantes tombes monumentales
sculptées dans la roche. Encore aujourd’hui, il est possible de se faire
accompagner par un conteur local, connu sous le nom de Rawis, pour
un véritable voyage à travers le temps.
PUBLI-COMMUNIQUÉ RÉALISÉ PAR 14H
LE TEMPLE DU BIEN-ÊTRE
Du 19 octobre au 4 novembre, AlUla se transforme
en sanctuaire du bien-être lors de son festival annuel
consacré à la santé physique et mentale. Les visiteurs
peuvent participer à des séances de méditation dans
le désert, des cours de yoga au coucher du soleil ou
encore s’éveiller à de nouvelles méthodes de bien-
être, avant de rejoindre l’un des prestigieux hôtels
de la cité. Oasis de luxe nichée au cœur du désert,
le Banyan Tree propose une expérience de retraite
paisible à la faveur de ses villas élégantes et de ses
vues à couper le souffle sur les formations rocheuses.
Au Shaden Resort, on est d’emblée plongé dans une
atmosphère envoûtante, entre jardins luxuriants,
montagnes volcaniques et architecture harmonieuse.
Quant à l’hôtel Habitas, il séduit par son design
contemporain et ses principes écoresponsables,
offrant aux voyageurs soucieux de l’environnement
une expérience de luxe engagée. Pour un dîner avec
vue sur l’inimitable coucher de soleil d’AlUla, on
prendra enfin soin de réserver une table au restaurant
Okto au sommet du Harrat Viewpoint.
AUX ORIGINES DE LA CULTURE
SAOUDIENNE
Épicentre culturel à part entière, AlUla se veut aussi
une terre de festivités avec une série d’événements
renommés. Du 16 novembre au 2 décembre, le
Ancient Kingdoms Festival célébrera ainsi l’héritage
culturel de la région avec des spectacles, tandis que
de fin décembre à fin janvier 2024, Winter at Tantora
prendra le relais avec des concerts organisés dans
un somptueux amphithéâtre sculpté dans la roche.
De février à mars 2024, c’est l’AlUla Arts Festival
qui mettra en lumière la créativité locale, avec
des expositions artistiques et des performances.
Quant à la vieille ville d’AlUla, elle est une étape
incontournable pour des souvenirs saoudiens
●65
Madamenews
REBECCA MANZONI
journaliste
et productrice radio
“Chaque année vécue
est une année gagnée”
TEMPS DE PAROLE. « Chaque jour, j’ai dans
mon champ de vision une énorme horloge qui égrène
les secondes. Tout l’enjeu est de jouer avec pour qu’un
contenu, une parole, s’intègre dans un laps de temps
plus ou moins précis, sans donner l’impression à
l’auditeur qu’on est pressé. Pour moi, il est d’ailleurs quasi
politique de prendre le temps de raconter. Dans Totémic,
sur France Inter, la parole d’un artiste se déploie une
demi-heure durant, tous les vendredis. C’est un choix
délibéré : dans cette époque qui va à 100 à l’heure, j’ai
la conviction qu’il est possible de décélérer. Nécessaire
même si l’on en croit les signaux, y compris écologiques. »
ÊTRE DE SON TEMPS. « Mon époque m’intéresse,
et j’ai la chance d’exercer un métier qui m’oblige à me
connecter à elle. Savoir ce qui se chante, c’est comprendre
les codes et les valeurs d’une époque. C’est ce que je
racontais dans Tubes N’Co à la radio. Être connecté à son
temps, c’est aussi être connecté au monde. Quand je reçois
des correspondants étrangers dans Totémic, c’est aussi pour
rendre compte d’une époque qui n’est pas que française. »
LE TEMPS DE VIVRE. « Les années qui passent
ont marqué la fin de mon impatience chronique. J’ai
récemment perdu mon père brutalement : ça a adouci ma
perception du temps. Ça n’a pas transformé le temps qui
reste en urgence ou en déclin possible. Désormais, je me dis
plutôt que chaque année vécue est une année gagnée. »
« Totémic », de 9 heures à 10 heures, le vendredi sur France Inter.
Et dès janvier, elle sera aux commandes du « Masque et la Plume ».
66●
TODD HAYNES
réalisateur
“Interroger le passé pour
questionner le présent”
LA RELATIVITÉ DU TEMPS. « Faire
du cinéma, c’est manipuler et contrôler le temps.
L’écriture est le seul endroit où on a la main sur le temps.
On le réduit ou on l’étire de façon totalement irréaliste,
en s’accordant des ellipses de dix ans par exemple,
mais paradoxalement, on cherche à rendre l’expérience
crédible pour le spectateur. »
MACHINE À EXPLORER LE TEMPS.
« Le cinéma tel que je l’envisage permet d’interroger
notre passé pour mieux questionner notre présent, ou met
en perspective notre présent pour imaginer le futur. Dans
Carol, par exemple, montrer les interdits d’une romance
lesbienne dans les années 1950 permettait de questionner
le spectateur sur son regard sur l’homosexualité
aujourd’hui, sur les préjugés persistants… Je ne peux
concevoir mon métier sans essayer de rendre compte
de mon époque d’une façon ou d’une autre, sans tenter,
à mon petit niveau, de déconstruire des schémas ancrés. »
LE TEMPS DE L’AUTRE. « Quand on réalise,
il est important de se souvenir qu’on ne s’inscrit dans
le temps qu’avec l’aide de celui qui regarde : l’imagination
du spectateur est sans limite et son regard sur une histoire,
un sujet de société ou un personnage peut évoluer
à mesure que l’intrigue progresse. C’est précisément
ce qui rend le cinéma vivant et passionnant. Quand
un film offre toutes les réponses scène après scène,
c’est, à mon sens, une expérience gâchée. » ●
« May December », de Todd Haynes. Sortie le 24 janvier.
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WIM WENDERS
Les années Anselm
Œuvre à part, le nouveau film du réalisateur allemand est
un documentaire en 3D sur le peintre Anselm Kiefer. RENCONTRE.
PHOTO MANUEL BRAUN/CONTOUR BY GETTY IMAGES
LE CINÉASTE ALLEMAND
SIGNE UN FILM ÉPOUSTOUFLANT,
Anselm (Le Bruit du temps), sur son compatriote
Anselm Kiefer, plasticien de la mémoire allemande.
Deux géants réunis par la 3D dans un documentaire
atypique, comme une expérience immersive autour
du processus créatif, réalisé dans les différents lieux
habités par l’artiste, que ce soit dans les montagnes
de l’Odenwald au sud de l’Allemagne, son ancien
atelier-chantier de Barjac, son atelier gigantesque
de Croissy-Beaubourg et sa région natale de Rastatt,
en Forêt-Noire. Un film comme une expérience.
PAR VALERY DE BUCHET
Madameculture
MADAME FIGARO. – QUE PARTAGEZ-VOUS AVEC
ANSELM KIEFER, QUE L’ON RETROUVE DANS CE FILM ?
WIM WENDERS. – Une enfance dans l’Allemagne
d’après-guerre (nous sommes tous les deux nés en 1945),
et ce rêve de faire un film ensemble depuis trente ans. Nous
nous sommes connus en 1991, à un moment très important
dans la vie d’Anselm, quand il préparait sa grande exposition
à Berlin après son triomphe aux États-Unis. Par hasard, un
soir, il est arrivé à ma cantine à Kreuzberg, L’Exil, où il n’y
avait plus qu’une seule place à ma table, il m’a reconnu et
nous avons commencé à parler. C’est devenu une habitude
pour quelques semaines. Il m’a montré l’exposition qu’il
●69
Madameculture
était en train d’installer, je n’avais jamais rien vu de tel !
Et en conversant, nous avons compris que j’étais un metteur
en scène qui rêvait d’être peintre, et lui un peintre dont le
grand rêve était de faire des films ; on s’est alors dit que nous
devions faire quelque chose ensemble. Cela a pris du temps.
Anselm s’est installé en France, et pendant des années,
nous nous sommes vus régulièrement en nous rappelant
notre plan commun, qui s’est finalement concrétisé en
2019 quand Anselm m’a appelé pour me montrer Barjac,
ce grand terrain au sud (dans le Gard, NDLR), qui est
maintenant ouvert au public.
COMMENT S’EST PASSÉ LE TOURNAGE ?
Nous avons tourné sept fois une dizaine de jours, sur deux
ans et demi. J’ai toujours monté entre les tournages, et chaque
fois je comprenais ce qu’il fallait ajouter ou ce qui manquait.
Au début, je ne savais pas comment rendre justice
à l’immensité de cette œuvre. J’ai fait un premier tournage
à Barjac, en hiver, et j’ai compris qu’il fallait revenir en été.
J’ai tourné à Croissy-Beaubourg, en Seine-et-Marne, dans son
studio, puis j’ai compris qu’il me fallait revenir,
puis aller aussi au fin fond de l’Allemagne,
où il a travaillé quinze ans. Son fils Daniel
m’a beaucoup parlé de cette période où, petit, “Anselm est le seul artiste
il accompagnait souvent son père, et finalement
je lui ai demandé s’il ne pouvait pas venir avec qui arrive à faire VIVRE le
moi et jouer son propre père.
IL Y A AUSSI ANTON WENDERS DANS LE FILM… temps dans ses peintures”
Mon petit-neveu de 10 ans, qui joue le
jeune Anselm. Il est le petit-fils de mon jeune
frère mort très jeune, en laissant deux enfants que j’ai aidé
à élever. Pendant des semaines, j’avais cherché sans trouver
un garçon avec l’accent du sud de l’Allemagne et une certaine
vitalité et intelligence dans les yeux. Et dans la famille,
il y avait ce garçon, qui rêve de devenir scientifique et qui
n’était pas très impressionné par le cinéma – sauf par la 3D.
POURQUOI AVOIR CHOISI DE TOURNER EN 3D ?
Pour emmener le public dans cette expérience de
découverte du travail d’Anselm. La 3D montre beaucoup
plus qu’un film, elle élève la vision au carré. L’information
qu’elle ajoute fait que le cerveau travaille d’une autre
manière, il est beaucoup plus actif que pour un film normal.
La reconnaissance de l’espace apporte énormément
de sensations émotionnelles et de présence. Pour vous
transporter dans un monde, il n’y a rien de plus beau.
LE CHOIX DE FAIRE UN DOCUMENTAIRE S’EST VITE
IMPOSÉ ENTRE VOUS ?
Oui, dès 1991, nous avons toujours eu ce désir. Je suis
content de ne pas l’avoir fait plus tôt, je n’aurais pas eu les
moyens cinématographiques et l’expérience pour cela.
Anselm est le seul artiste qui arrive à faire vivre le temps
dans ses peintures et ses constructions. Il l’incorpore comme
personne. Et moi aussi, j’ai appris lentement comment le temps
peut être présent dans un film, comment le film devient lui-
même son propre temps. Cela a aussi beaucoup à voir avec la
3D – je n’aurais pas osé le faire avec des moyens traditionnels.
70●
IL Y A UNE DIMENSION DU TEMPS DANS LA CRÉATION
QUI AURAIT MANQUÉ SINON ?
Il y a beaucoup de peintres qu’on peut étudier dans
un catalogue. Avec Anselm, c’est pratiquement impossible.
Je possède la cinquantaine de livres parus sur lui, mais pour
comprendre son art, qui relève plutôt d’une expérience,
il faut être devant ses œuvres. D’ailleurs, le film est plus une
expérience qu’un film.
CE N’EST PAS ÉVIDENT DE FAIRE UN FILM SUR UN PEINTRE…
Non, mais avec cette richesse qu’Anselm m’a montrée
et que j’ai vue dans son studio et à Barjac, il y avait une
incroyable profondeur d’exploration. Sa bibliothèque
pourrait être celle d’une petite ville. On pourrait croire qu’il
n’a pas tout lu, mais quand on en tire un ouvrage, on s’aperçoit
qu’il a été annoté, travaillé ! Sur l’astronomie, les sciences,
les mythes… Il aurait pu devenir savant, il est devenu peintre.
COMMENT AVEZ-VOUS PRÉPARÉ LE TOURNAGE DU FILM ?
On a fait une chose. J’ai visité les lieux et pendant une
semaine, on s’est parlé tous les après-midi pendant quatre
ou cinq heures, autour d’un thème différent à chaque fois :
l’enfance, la poésie, les femmes, les sciences, les mythes,
les différentes époques de sa peinture, ses méthodes…
Finalement, j’ai eu un manuscrit de mille pages, que j’ai fait
retranscrire par mon équipe, pendant des semaines. C’était
un peu ma bible. Il a répondu à toutes mes questions. Ça m’a
donné une bonne base pour ensuite ne plus lui en poser.
LE 20 OCTOBRE, VOUS RECEVEZ LE PRIX LUMIÈRE, À LYON…
C’est un grand honneur. Le prix vient de l’Institut
Lumière, qui se consacre au cinéma et à son histoire. J’en suis
très fier. Au Festival Lumière, il y aura aussi une rétrospective
de mes films et trois expositions de mes photos.
OÙ EN EST VOTRE PROJET DE FILM SUR L’ARCHITECTURE ?
J’ai débuté il y a cinq ans, j’ai seulement tourné le teaser, et
depuis j’essaie de convaincre les financiers de faire ce film en
3D. Mais tout le monde me dit :« L’architecture est une niche
au cinéma… » Ce sera sur le Suisse Peter Zumthor, l’architecte
favori de tous les architectes (Prix Pritzker 2009, NDLR). Tous
les plus grands disent : « Dans une autre vie, je serai Zumthor. »
Il a un tout petit bureau et a réalisé une vingtaine d’édifices,
quand les autres en font des centaines. Les architectes
travaillent avec le même sens que moi : le sens du lieu.
Je dépends complètement de mon sens du lieu. Si je n’aime
pas un lieu, je ne sais pas où mettre ma caméra. On va faire
cette exploration du sens du lieu ensemble, Zumthor et moi. ●
« Anselm (Le Bruit du temps) », de Wim Wenders. Sortie le 18 octobre.
VOUS RÉVÈLE LES DESSOUS DE LA CULTURE

VAN GOGH AU-DELÀ DU MYTHE

« L’histoire des grands hommes ressemble à un
drame », écrivait un jour Vincent Van Gogh à son
frère Theo. Tragiquement interrompue par son
suicide à l’âge de trente-sept ans, la sienne semble
illustrer point par point le destin d’un artiste
maudit. Sa peinture intense et brutale, éclatante
de couleurs, traversée de convulsions, est souvent
vue comme celle d’un fou. A l’occasion de la
splendide exposition du musée d’Orsay consacrée
aux derniers mois de sa vie à Auvers-sur-Oise, Le
Figaro Hors-Série revient sur la vie et l’œuvre de
ce peintre mythique, et tente de démêler la vérité
de la légende. Récit de sa vie en dix journées, des
plaines hollandaises aux bords de l’Oise, en passant
par la Belgique, Paris et Arles, où il tenta tour à
tour d’être marchand d’art puis pasteur, avant
de se livrer corps et âme à la peinture ; analyse
de son œuvre, de ses influences et camaraderies
artistiques, enquête sur le cas médical de Van Gogh,
interné pour mélancolie profonde, entretien avec
Emmanuel Coquery, commissaire de l’exposition
d’Orsay… Un hommage somptueusement illustré
au forçat de la peinture.

13 € 164 pages, actuellement disponible

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●71
Madameculture

L’IMMANQUABLE●

MARK ROTHKO,
la rétrospective
ASSERTION DE MARK ROTHKO
(1903-1970) : « La peinture doit être pour l’artiste, comme
pour quiconque s’y confronte, une révélation, la résolution
inattendue et sans précédent d’un besoin éternellement
familier. » Au menu de cette exposition majeure de l’automne,
la plus grande rétrospective de l’artiste en France depuis celle
du Musée d’art moderne (1999), 115 toiles. Venues des plus
grandes collections publiques et privées, telles la National Gallery
of Art de Washington ou la Tate de Londres, et de la famille
de l’artiste. Au sein de la Fondation Louis Vuitton, l’accrochage
chronologique s’ouvre sur les scènes de métro new-yorkais,
quand Rothko n’avait pas renoncé à la figuration. Suivent les
Multiformes, soit son tournant vers l’abstraction en 1946, la Rothko
Room (1960), et toutes ces peintures plus sombres aux contrastes
sourds, la série Black and Grey, chefs-d’œuvre de lumière noire.
Pour autant, le peintre, préoccupé de métaphysique, se refusait
à être considéré comme un coloriste et n’a jamais abandonné sa
palette vive. La preuve, son dernier tableau rouge resté inachevé.
« Je suis devenu peintre car je voulais élever la peinture pour
qu’elle soit aussi poignante que la musique et la poésie. » ● L. C.
No. 9/No. 5/No. 18, une toile de 1952. « Mark Rothko », du 18 octobre au 2 avril 2024,
à la Fondation Louis Vuitton, à Paris. fondationlouisvuitton.fr

ET © 1998 KATE ROTHKO PRIZEL & CHRISTOPHER ROTHKO/ADAGP, PARIS, 2023 (”NO. 90/NO. 5/NO. 18“)
AKAA,
FOIRE● Les sens
ZOOM●

l’Afrique de L’ART
aux cimaises
PHOTOS COURTESY DE GHIZLANE SAHLI, APRIL BEY/COURTESY 193 GALLERY
Guerlain, partenaire
de Paris+ par Art
C’EST LA HUITIÈME ÉDITION Basel, intitule sa
de la foire Akaa (Also Known as Africa),
16e exposition d’art
dédiée aux scènes artistiques d’Afrique et de
ses diasporas. Au fil des années, ce continent contemporain
Colonial Swag : I Know All a pris une place plus importante sur le marché Les Fleurs du mal.
About What You Want to de l’art, et la foire a évolué avec une grande titre sulfureux qui Sed non satiata, une
Know All About, d’April Bey. œuvre de Ghizlane Sahli.
pluralité de médias qui vont de la peinture regroupe vingt-six
à la tapisserie, en passant par la sculpture ou la photographie. artistes, sous le commissariat
Cette année, elle met en lumière la pratique curatoriale dans les
perspectives d’une foire et de son marché. Le clou ? Interlocutor,
d’Hervé Mikaeloff, dont
une installation monumentale, sous forme de rideau perlé, Laurent Grasso, Yan Pei-Ming,
de l’artiste Cosmo Whyte, qui interroge les histoires et Mimosa Echard ou Not Vital…
les identités fragmentées au cœur de 193 galeries. ● L. C. Sous le signe des cinq sens. ● L. C.
Akaa-Art & Design Fair, du 20 au 22 octobre, au Carreau du Temple, « Les Fleurs du mal », du 18 octobre au 13 novembre,
à Paris. akaafair.com 68, avenue des Champs-Élysées, à Paris. artbasel.com et guerlain.com

72●
 Madameculture

Dans l’esprit
ART●

de Mike Kelley
MYTHOLOGIES AMÉRICAINES.
C’est le nom, emprunté à l’écrivain haïtien Dany
Laferrière, de la nouvelle saison d’expositions
de la Bourse de commerce, dont la rétrospective
consacrée à Mike Kelley, qui, s’étayant sur les
contre-cultures, déconstruisent… ces mythologies
américaines. Ghost and Spirit occupe le Salon, la
Rotonde et les galeries du deuxième étage, alors que le film
Day is Done (2006) est projeté en continu dans l’Auditorium.
Mike Kelley (1954-2012), artiste influent et provocateur,
pour ne pas dire le punk de l’art contemporain, a une
pratique qui embrasse performance, musique, dessin,
sculpture, installation, photo et vidéo. L’exposition, qui
propose un nouveau regard sur ce Californien d’adoption né
dans le Michigan, présente des corpus d’œuvres immersifs,
parmi lesquels les spectaculaires Kandors, soit des villes du
/COURTESY OF THE ARTIST AND GAGOSIAN GALLERY, REINER LAUTWEIN, BOCHUM/COURTESY OF THE ARTIST ET MIKE KELLEY FOUNDATION FOR
THE ARTS TOUS, DROITS RÉSERVÉS/ADAGP, PARIS, 2023 (”EXTRACURRICULAR ACTIVITY PROJECTIVE RECONSTRUCTIONS #27, GOSPEL ROCKET,“)
Extracurricular Activity
Projective Reconstructions
#27 (Gospel Rocket),
détail, 2004-2005.
futur sous cloches de verre, série inspirée par la cité natale
de Superman. Celui qui s’est intéressé en pionnier à la
mémoire collective et individuelle, aux rapports de genres
et de classes sociales, se questionnait sur la différence
entre un fantôme et un esprit… L’un disparaît, l’autre
demeure, pensait-il. Fantôme ou esprit, l’ombre
de Mike Kelley flotte dans la Bourse de commerce. ● L. C.
« Mike Kelley. Ghost and Spirit » , jusqu’au 19 février 2024,
à La Bourse de commerce, à Paris. pinaultcollection.com

TROIS EXPOSITIONS À VOIR

PHOTOS COURTESY OF THE ARTIST AND GALLERIA CONTINUA/LORENZO FIASCHI/DB/ADAGP PARIS, URS FISCHER/ROB MCKEEVER

Antony Gormley, Urs Fischer, Daniel Buren et

Critical Mass
Il faut avoir vu les sculptures d’Antony Gormley
dans l’île grecque de Délos, seul artiste
contemporain à avoir dialogué avec les ruines.
Depuis plus de quarante ans, le sculpteur anglais
explore le corps humain (Insider V, 1998, ci-
dessus), ses relations à l’espace qui l’entoure.
Cette fois, il a pour terrain de jeu le Musée
Rodin, une source d’inspiration renouvelée
avec la confrontation au père de la sculpture
moderne. Intitulée Critical Mass, l’exposition
s’y déploie. À noter, Critical Mass II, installation
avec une soixantaine de sculptures dans
une douzaine de positions du corps humain.
Du 17 octobre au 3 mars 2024,
au Musée Rodin, à Paris. musee-rodin.fr
Wave
Sur la place Vendôme, octogonale selon
Gabrielle Chanel qui s’en inspira pour créer
le bouchon du flacon du N° 5, une sculpture
trône pendant Paris+ par Art Basel. Wave
(ci-dessus, Model for Wave, 2017), œuvre de
l’artiste suisse Urs Fischer (présentée par la
Galerie Gagosian) culmine à 5 mètres de haut.
Ressemblant à une immense vague, réalisée
sur la base d’un modèle en argile pétri par
l’artiste puis agrandi, elle est en aluminium.
Miroitante et monumentale, elle interroge
l’échelle, la brillance et la place de l’œuvre
d’art, thèmes au cœur du travail d’Urs Fischer.
Du 18 octobre au 1er décembre,
place Vendôme, à Paris. artbasel.com
Michelangelo Pistoletto
Duo d’artistes (photo) au Palais d’Iéna.
Le projet, encore secret, a été initié par
l’historien d’art Matthieu Poirier, qui déclare :
« J’aime cette idée que l’architecture puisse
être chahutée dans sa solennité sous le coup
des interventions combinées de Pistoletto et
de Buren, que les œuvres invitent les visiteurs
à expérimenter ensemble, à se voir et même
à entamer le dialogue. » D’un côté Pistoletto
et ses peintures miroitantes, chantre de l’Arte
povera, de l’autre Buren et son vocabulaire
visuel, tenant du degré zéro de la peinture.
Le deux à deux promet une surprise. ● L. C.
Du 18 au 31 octobre, au Palais d’Iéna,
à Paris. artbasel.com

●73
Madameculture
ASIA
À NE PAS RATER●
ON POURRAIT
NOW, éloge
NE PLUS PRÉSENTER cette
petite foire devenue grande, pilotée
de la diversité
par sa fondatrice, Alexandra Fain.
Pour sa 9e édition, Asia Now revient s’installer à la Monnaie
de Paris, toujours dédiée aux scènes artistiques de l’Asie
et de ses diasporas, avec cette année plus de 60 galeries
internationales et quelque 220 artistes. À la direction
artistique, l’œil perçant de Kathy Alliou, directrice du
département des Œuvres de l’École des beaux-arts de
Paris. Au menu du millésime : des projets curatoriaux, des
rencontres, des performances, un nouveau programme
(Cooking Is Caring) ainsi qu’un focus sur les pratiques textiles
et artistiques. Le collectif d’artistes Slavs and Tatars,
commissaire invité, mettra l’accent sur les tissus dans l’art
74●
Snake Catcher,
une toile signée
Tang Shuo.
PHOTOS MELINDA SUE GORDON ET TANG SHUO/COURTESY HDM GALLERY
contemporain d’Asie Centrale à travers
un entrelacs d’expériences autour
des trames et du tissage, notamment
celui des ikats (textile souvent nommé
abr-bandi, terme d’origine perse qui signifie « nouer des
nuages »), allégorie tournée vers le XXIe siècle… Dans la cour
d’honneur, un chaikhaneh, ou salon de thé, établi dans une
yourte conçue par les artistes, donnera comme un parfum
des grandes steppes aux pavés parisiens. Les œuvres aussi
nous font voyager, comme ce tableau (ci-dessus) du Chinois
Tang Shuo, installé depuis à Liverpoool, et qui illustre de
mémoire dans ses toiles son enfance à la campagne à travers
son propre personnage. De quoi prendre le pouls d’un
marché mutliple avec une sélection qui vaut le détour ! ● V. B.
Asia Now, du 20 au 22 octobre, à la Monnaie de Paris. asianowparis.com
 Madameculture

Lily Gladstone et
Leonardo DiCaprio
dans Killers of
the Flower Moon.

CINÉMA●

SCORSESE
magistral
DES AFFRANCHIS AU LOUP DE
WALL STREET, l’amour (ou l’amitié), l’appât du gain
et la violence cohabitent souvent dans l’œuvre de
Martin Scorsese. Killers of the Flower Moon s’inscrit dans
cette droite lignée. Le réalisateur américain s’appuie
sur l’histoire vraie du peuple Osage, devenu très
riche après que du pétrole a été découvert sur
les terres que lui avait attribuées le gouvernement.
Dirigé pour la sixième fois par le maestro new-
yorkais, Leonardo DiCaprio campe un survivant de
14-18 que son oncle, un riche fermier d’Oklahoma,
persuade d’épouser une Osage. Très peu de temps
après, les Amérindiennes mariées à des Blancs sont
retrouvées mortes dans d’étranges circonstances…
Se déployant sur près de trois heures et demie,
ce western crépusculaire est aussi profond

CALLE
que complexe. Incroyablement contemporain
tant ses thèmes résonnent avec notre époque, Killers
of the Flower Moon raconte le racisme et la cruauté de
l’Amérique qui broient les plus faibles. Cette fresque
criminelle fourmille d’idées narratives et formelles
(la fin est anthologique), allie l’épique et le politique
avec brio et offre un terrain de jeu passionnant à EXPOSITION
3.10.2023 — 7.01.2024
son trio de tête. Leonardo DiCaprio épate en pantin
pleutre et renfrogné, Robert De Niro glace le sang
en mafieux impitoyable, et Lily Gladstone porte
avec dignité et nuance le poids des souffrances

MuséePicassoParis
d’un peuple exterminé. ● M. L.
« Killers of the Flower Moon », de Martin Scorsese,
avec Leonardo DiCaprio, Robert De Niro, Lily Gladstone…

En partenariat avec

●75
PARTENAIRE DE
PAR VALERY DE BUCHET AVEC LÆTITIA CÉNAC LA CÉLÉBRATION PICASSO

ET MARILYNE LETERTRE
Madameculture

Patrick Modiano
SOUVENIRS
ÉVEILLÉS Avec son nouveau roman,
La Danseuse, l’écrivain poursuit
sa recherche du temps passé.
L’occasion rêvée de le rencontrer
chez lui, dans son univers en
résonance, sur le fil de la mémoire.

SOUVENT, LA LÉGENDE DES ARTISTES Chez lui, donc, tout semble convoquer
NE RÉSISTE PAS À LA RENCONTRE : les fréquenter, cela, à commencer par une immense
ne serait-ce que furtivement, c’est souvent se cogner, bibliothèque garnie d’ouvrages jusqu’au
comme disait Jacques Lacan, au réel, à leur réel, qui diminue plafond, haut, de l’appartement. Cette
sensiblement l’aura érigée autour d’eux. Le groupe de rock bibliothèque est connue : l’auteur a souvent,
new-yorkais Sonic Youth l’avait bien compris, en titrant l’un et depuis longtemps, posé devant elle. Ses
de ses morceaux phares Kill Yr Idols (« Tuez vos idoles »), de peur rayonnages remplis d’annuaires, bottins, livres
d’être déçus par elles. En se rendant chez Patrick Modiano, d’adresses, sont, eux aussi, légendaires et
cette peur était grande. Couronnée du prix Nobel en 2014, l’on dit que la manne de ses écrits se trouve
son œuvre, commencée il y a plus de cinquante ans et riche là, que les noms de ses personnages, si
de quarante romans, est si singulière dans sa recherche sensible importants pour ses récits, y sont dissimulés.
de la mémoire et du souvenir, de l’oubli et de la disparition En observant ces livres, on note que ce
progressive du temps, des époques et des êtres, qu’il semblait qui est accumulé relève d’un geste implicite
impossible que son auteur soit du même acabit. Or, au bout et extrêmement beau : celui de la tentative
de deux ou trois heures passées en sa compagnie, chez lui, d’épuiser un sujet, en accumulant tout ce qui
PHOTO LEA CRESPI/PASCO&CO

au milieu de son univers personnel, pour évoquer son nouveau
roman, le splendide La Danseuse, Patrick Modiano apparaît
exactement comme la matière même de ses écrits, et plus encore.
En répondant aux questions, il remue ses souvenirs, passe
d’un événement à l’autre, cherche avec vous ce qui pourrait
être la phrase juste, le mot exact, la forme la plus adéquate
pour rendre compte tout à la fois de la pensée et du souvenir.
a été écrit à son propos. Un exemple flagrant :
en regardant de près, on peut se perdre
dans une quantité impressionnante de livres
consacrés à la période de l’Occupation, dans
tous ses infimes détails. Au hasard, il y a, posés
les uns sur les autres, les uns contre les autres,
des livres comme L’Exil des collabos, 1944-1989,

76● PAR JOSEPH GHOSN ET MINH TRAN HUY

Madameculture

●77
Madameculture
En 1972, le jeune écrivain
obtient le Grand Prix
du roman de l’Académie
française pour Les
Boulevards de ceinture.
d’Yves Pourcher ; Vichy, la pègre et les nazis, d’Isaac Lewendel
et Bernard Weisz ; Tortionnaires, truands et collabos. La Bande de la rue
de la Pompe 1944, de Marie-Josèphe Bonnet ; Les Belles Années du
« milieu » 1940-1944, de Grégory Auda… Est-ce de la documentation
pure ou la façon dont son cerveau est rangé ? Dans cet univers
si particulier, en résonance totale avec ses écrits, Patrick Modiano
se tient en tout cas à merveille face à ses invités, grand, élancé,
élégant, le regard émerveillé et curieux, le sourire constamment
présent, la pensée comme en mouvement permanent. Le plus
étonnant, surtout, c’est sa faculté à reconnaître un visage :
« On s’est déjà croisés », dit-il en nous accueillant. Et, en effet,
nous nous sommes croisés, mais c’était l’espace de quelques
minutes, il y a sans doute dix ans. Rien que cette incise, au seuil
de sa porte, vous fait entrer dans l’espace même de sa littérature,
qui se confond dès lors avec la vie elle-même.
Et cette impression est plus précise encore lorsque, à la fin
de l’entretien, on lui tend la première édition de son livre
Memory Lane. Ce texte, récemment réédité (chez Stock), est
78●
accompagné des dessins de Pierre Le-Tan,
qui captent eux aussi quelque chose du temps
qui passe. L’exemplaire que nous montrons
à Patrick Modiano a été trouvé dans une librairie
d’occasion et il contient une dédicace faite par
lui à une certaine Hélène. À la vue de la page,
de l’annotation signée par lui, son esprit s’active
instantanément, se demande qui pouvait bien
PHOTO LOUIS MONIER-BRIDGEMAN IMAGES
être cette Hélène, nous interroge sur le moment
où ce livre a été acheté, l’année, le quartier,
la provenance… Et comme s’il réalisait un
palimpseste, il nous le signe à nouveau, plaçant
cette Hélène du passé dans une quête du
présent, une recherche désormais active des
propres méandres et trous de sa mémoire. Sur
la nouvelle dédicace, il inscrit ces mots : « Mais
qui était cette Hélène ? » Et il rajoute, en rendant
le livre : « Si seulement j’avais vu cette page et

ce nom avant la fin de l’écriture de mon dernier roman,
j’aurais pu en faire un chapitre supplémentaire… » “LE TEMPS AGIT
COMME UN MIROIR
De cette mémoire qui n’en finit pas de jouer des tours,
Patrick Modiano joue à son tour, opérant à partir
DÉFORMANT,
de l’oubli la matière de récits qui se lisent à la lisière
de ses souvenirs et à la frontière de nos rêves éveillés.
MADAME FIGARO. – ON DIT BEAUCOUP QUE VOUS
ÉCRIVEZ SUR UN ESPACE GÉOGRAPHIQUE (PARIS), MAIS
VOUS ÉCRIVEZ TOUT AUTANT SUR UN ESPACE TEMPOREL…
PATRICK MODIANO. – Le désir d’écrire participe
IL RECONFIGURE”
d’un désir de retrouver des bribes d’un passé disparu.
Des bribes puisque le reste a été mangé par l’oubli.
Dans La Danseuse, j’évoque aussi le Paris actuel, qui n’a
plus grand-chose à voir avec celui d’autrefois. Cela paraît presque
inimaginable mais quand on vieillit, on se rend compte que vingt
ans, trente ans, quarante ans se sont écoulés, que les années se
sont agrégées en blocs de plusieurs décennies, et que les lieux sont
à la fois restés les mêmes et devenus différents, étranges, un peu
comme si on se trouvait dans un rêve ou qu’on avait pris une
substance quelconque. Dans ce livre, je décris les allées et venues
dans la capitale aujourd’hui, et une autre manière de circuler
dans la ville. Il y a énormément de touristes de nos jours, on
marche davantage en groupe, en bande. On ne peut plus traverser
la capitale en solitaire comme on le pouvait jadis, sauf peut-être
dans les quartiers périphériques. Aux lieux vient se greffer
la question du temps. Un ami me faisait remarquer que j’utilisais
le terme d’« illustré ». Le personnage de l’enfant en lit mais
aujourd’hui on ne lit plus des « illustrés », mais des bandes
dessinées et des romans graphiques…
DANS VOTRE LIVRE PRÉCÉDENT, VOUS AVEZ CETTE PHRASE :
« MÊME TRAJET, MÊME VOITURE. » QUEL EST LE TRAJET QUI A MENÉ
À LA DANSEUSE ?
J’ai croisé quelqu’un boulevard Raspail qui appartenait
à mon passé. Je n’avais pas de sympathie particulière pour lui,
ce n’était pas quelqu’un de proche, mais je l’ai connu quand j’avais
12 ou 13 ans et j’ai eu le sentiment de me retrouver dans un roman
de science-fiction. Il avait l’air en forme, très fringant, et cela
m’a fait un peu peur car il est peut-être la seule personne que j’ai
pu connaître quand j’étais enfant qui soit encore vivante. Il n’avait
rien à voir, par ailleurs, avec le personnage de Serge Verzini,
mais je pense qu’il a pu jouer le rôle de déclencheur, d’autant que
je l’ai croisé à deux reprises : je l’ai revu deux jours après dans
une autre rue et cela m’a laissé une drôle d’impression, comme
s’il réapparaissait après soixante ans à la manière d’un fantôme…
VOUS ÉVOQUEZ SOUVENT LES « PIÈGES » DE LA MÉMOIRE.
PEUT-ÊTRE CELA VIENT-IL DU FAIT QU’ELLE EST DÉTERMINÉE PAR SOI,
MAIS AUSSI PAR L’AUTRE ?
J’ai pensé en effet que si je l’avais abordé, cet homme
m’aurait dit que non, il ne se souvenait pas de moi, que j’aurais
répondu que si, nous nous étions croisés quand j’avais 12 ans…
Je travaille beaucoup sur cet interstice de doute, sur les identités
floues. En fait, j’ai une bonne mémoire, je suis capable de
me souvenir de gens croisés de manière furtive alors que ces
personnes ne s’en rappellent pas. Il faut dire que je les ai aussi
rencontrées, parfois, à une période de leur vie dont elles n’ont pas
Madameculture
forcément envie de se souvenir, ce qui crée
des situations ambiguës. Dans une vie, on
est plusieurs personnes et il arrive qu’il existe
des parties de nous qu’on souhaite oublier.
Certaines des personnes que j’ai revues étaient
désormais en totale contradiction avec
l’image que j’en avais eue. Le temps agit
comme un miroir déformant, il efface,
reconfigure… Et l’écriture, c’est un peu comme
de l’archéologie ou de la géologie, une carotte
qui permet d’extraire un moment enfoui.
La Danseuse plonge dans un passé lointain,
la « nuit des temps » où se sont rencontrés
le narrateur et Serge Verzini, pour aller
vers l’intemporalité du « présent éternel ».
ON RETROUVE ICI MADELEINE PERREAU,
QUI APPARAISSAIT DÉJÀ DANS UN LIVRE PRÉCÉDENT.
C’EST UN PEU COMME SI VOUS SOLLICITIEZ
AUSSI LA MÉMOIRE DE VOTRE LECTEUR ?
C’est toujours cette impression d’écrire
le même livre. Madeleine Perreau qui apparaît
ici était également présente dans Souvenirs
dormants, en effet, ainsi que dans Des inconnues,
mais sous le nom de Geneviève Perreau.
Souvent, j’oublie que j’ai déjà utilisé des noms,
ce qui me met un peu dans la même situation
que le lecteur… Souvent le même nom renvoie
au même type de personnages. Madeleine
Perreau comme Geneviève Perreau pratiquent
l’occultisme, elles font des séances… J’utilise
les noms et prénoms de personnes réelles
un peu comme des épingles qu’on piquerait sur
une robe pour lui donner forme en attendant
de la coudre ; tout se désagrégerait sinon.
ET D’OÙ VIENT LE PERSONNAGE
DE LA DANSEUSE ?
C’est lié aux hasards de la vie. J’ai un
peu côtoyé, par des amis, le monde de la
danse entre 17 et 20 ans. On écrit à la fois pour
ressusciter les choses et s’en délivrer. Là,
il m’est revenu l’ambiance des studios où l’on
répète encore et encore une chorégraphie,
●79
Madameculture

avec la microsociété qui va avec. Puis j’avais

côtoyé d’autres univers du spectacle, comme “ÉCRIRE, C’EST
le théâtre ou des studios de cinéma, mais j’ai
été beaucoup plus frappé par celui de la danse. COMME CONDUIRE
AU MILIEU D’ UNE
POUR QUELLES RAISONS ?
Petit, j’ai eu un choc en assistant à un ballet

TEMPÊTE DE NEIGE”
adapté par Balanchine d’un opéra, La Somnambule.
On voyait une danseuse – qui était l’épouse
de Balanchine, Maria Tallchief, mi-irlandaise,
mi-amérindienne – marcher comme une
somnambule pendant un temps assez long.
Elle évoluait en silence, portait à un moment un
personnage amoureux d’elle dans le spectacle… C’est ce silence
qui m’avait frappé. Au cirque, dans les numéros de trapézistes, de supprimer de façon presque chirurgicale.
on a le même type de moment quand les acrobates passent d’un La dernière phrase d’un livre, par exemple.
trapèze à l’autre, sauf que précisément, c’est toujours précédé Souvent, ce n’est pas la dernière phrase initiale,
d’un roulement de tambour. La danse m’apparaissait comme il y avait encore quelques pages ou paragraphes,
un art silencieux. Le corps exprime et s’exprime avec limpidité mais il suffit de remonter et de couper. C’est
sans utiliser les mots. Et il faut un tel effort, une telle douleur, ce qu’a fait Hemingway pour L’Adieu aux armes :
une telle rigueur pour parvenir à cet indicible… Tout ce travail pour il a coupé les deux dernières pages qu’il avait
en arriver à cette fluidité, ce sentiment de naturel. Je me souviens écrites pour aboutir à la dernière phrase finale.
d’expressions comme « casser le coude », que je ne comprenais DE QUOI SE RAPPROCHE L’ÉCRITURE,
pas au début. Mais le coude est en effet un obstacle quand on veut POUR VOUS ?
un mouvement du bras absolument sans heurts… Écrire, c’est un peu comme monter
AVIEZ-VOUS LE DÉSIR DE METTRE EN PARALLÈLE L’ART dans une voiture et conduire au milieu d’une
DE LA DANSE ET CELUI DU ROMAN ? tempête de neige. Il faut continuer alors
J’ai eu envie de ressusciter une époque où je devais avoir que le premier instinct est de laisser tomber.
18 ans et où j’avais une immense admiration pour les danseurs On poursuit malgré tout, on passe par des
et les danseuses. J’ignorais alors qui j’étais, j’étais un peu perdu, moments pénibles, et l’hésitation initiale finit
et j’étais fasciné par leur discipline et leur endurance… Comme par traverser tout le livre et communique
la danse, l’écriture vise à la fluidité, mais c’est plus facile, il suffit au lecteur ce sentiment d’incertitude et de flou…

MODIANO EN 10 LIVRES ESSENTIELS

CHACUN SA FAÇON DE
PÉNÉTRER DANS L’ŒUVRE
de Patrick Modiano, qui a lui-même
dit un jour que l’ensemble de ses livres
pourraient être réuni dans un seul
volume, et chaque roman serait alors
comme le chapitre d’un très large
récit. Voici dix romans qui sont autant
de portes d’entrée.
● Rue des Boutiques obscures,
Éd. Gallimard, 1978.
Sans doute son livre le plus facile
d’accès : une enquête policière quasi
classique, à ceci près que l’on comprend
vite qu’il n’y a rien à trouver, rien
à chercher non plus. Prix Goncourt,
Ne serait-ce que pour l’écho génial
fait au texte par les dessins de
Pierre Le-Tan, ce livre est un précis
indispensable de la façon dont l’auteur
parcourt les méandres de sa mémoire.
● Quartier perdu, Éd. Gallimard, 1985.
Autour du parc Monceau et de la
rue de Courcelles, un écrivain revient
à Paris sur les traces de ce qu’il a été.
Mais retrouve-t-on jamais le passé
tel qu’il a été ? Ou le revit-on tel
qu’on l’imagine ?
● Dimanches d’août,
Éd. Gallimard, 1986.
Entre Paris et Nice, des personnages,
un couple, en fuite – de la vie, de
PHOTOS S. P.

mérité et toujours recommandé. leurs problèmes et d’eux-mêmes. Une

● Memory Lane, Éd. POL/Hachette, déambulation dans cette ville de
1981 (réédition chez Stock). la Côte d’Azur, devenue, sous la plume

80●
 Madameculture

PEUT-ÊTRE POURSUIVEZ-VOUS INDÉFINIMENT VOS PERSONNAGES ATTENDENT. LEUR TEMPS

LE « MÊME LIVRE » COMME CERTAINS MUSICIENS REPRENNENT EST AINSI SOUVENT CONSACRÉ À ATTENDRE UN
ET VARIENT ENCORE ET ENCORE LA MÊME CHANSON ? AUTRE PERSONNAGE. ON SE CROIRAIT DANS CETTE
C’est tout à fait ça. Mais le musicien sait qu’il reprend PROPOSITION DE ROLAND BARTHES : ON ATTEND,
les mêmes accords, le même type de tonalités. Ce qui me fait peur, DONC ON EST AMOUREUX.
c’est de réécrire sans toujours m’en rendre compte les mêmes Oui, c’est vrai, mais je ne m’en rends pas compte.
scènes, en réutilisant les mêmes éléments. Un peu comme si on C’est vrai que c’est une sorte d’attente, c’est
reprenait des refrains ou des ritournelles, ou qu’on se retrouvait toujours quelqu’un qui attend, qui ne sait pas
dans un rêve récurrent… Mes livres sont comme des reprises très bien ce que fait l’autre. Alors évidemment
inconscientes pour parvenir à dire quelque chose qu’on ne c’est compliqué, alors on attend, parfois jusqu’à
parvient pas à dire ; il me faut donc recommencer. Cela vient 2 heures du matin, sans trop savoir ce que
aussi de mes débuts… l’autre fait vraiment. Et dans ce nouveau livre,
QU’ENTENDEZ-VOUS PAR LÀ ? c’est d’autant plus particulier que le personnage
J’ai écrit un roman vers 15-16 ans qui n’avait rien à voir avec féminin est quelqu’un d’insaisissable. Cette
le premier livre que j’ai publié. Il était assez osé, inspiré du Diable attente, je ne l’avais pas vraiment perçue, mais
au corps. J’étais alors en pension dans un établissement assez strict c’est vrai que dans tous les autres livres, c’est
– on n’avait pas le droit d’y lire Madame Bovary, pour vous donner toujours comme ça aussi, cette attente est
une idée – et j’avais laissé le manuscrit chez toujours là. Il faudrait que je retrouve tout ça,
des correspondants, dans une armoire où des tas que je relise, mais on ne peut pas vraiment
de paperasses traînaient. Et un jour où je suis être son propre lecteur.
revenu, il est apparu qu’ils s’étaient débarrassés « ÉCRIRE, C’EST SE SOUVENIR DE CE
de tout le contenu… Il devait être rempli de QUI N’A JAMAIS EXISTÉ », A DIT SIRI HUSTVEDT.
défauts mais si je l’avais retravaillé, on aurait pu EST-CE AUSSI LE CAS POUR VOUS ?
le publier, peut-être, et mes débuts d’écrivain C’est une phrase formidable. Si j’en
auraient été différents car il s’agissait d’un avais eu connaissance, je l’aurais mise en
roman, avec une intrigue, quand ce n’était pas exergue du roman. ●
le cas de mon premier livre publié. Je me suis
toujours beaucoup interrogé à ce propos, sur La Danseuse, de Patrick Modiano,
ce qui serait advenu si je n’avais pas perdu Éditions Gallimard, 112 p., 16 €.
Son précédent roman, Chevreuse,
ce manuscrit. En tout cas, on n’en sort pas : vient d’être réédité en poche chez
tout commence par un blanc, une disparition. Folio, 176 p., 7,50 €.

de Patrick Modiano, le reflet d’une
mélancolie assassine, qui hésite entre
le polar et la cristallisation amoureuse.
● Du plus loin de l’oubli,
Éd. Gallimard, 1996.
Tout se cristallise ici : les thèmes et les
figures de Modiano sont à leur comble,
ses phrases atteignent une forme de
limpidité lapidaire, frôlant la perfection
tandis que ses personnages parcourent
les rues à la façon de fantômes rêveurs.
● Dora Bruder, Éd. Gallimard, 1997.
Pour beaucoup, c’est son chef-d’œuvre :
la quête d’une jeune femme disparue
durant la guerre et dont il ne subsiste
presque pas de trace. Sans doute
l’un des livres les plus poignants sur
la guerre, la mémoire, la disparition
et ce qu’elle fait de nos vies.
● Un pedigree, Éd. Gallimard, 2005.
C’est clairement le livre le plus
autobiographique, même s’ils le sont
tous. Mais celui-ci marque un avant
et un après dans l’écriture de Patrick
Modiano, sans doute plus libre ensuite,
comme déliée de tout.
● Dans le café de la jeunesse
perdue, Éd. Gallimard, 2007.
Une variation étonnante autour
d’une histoire amoureuse dans un
cadre emprunté à la vie et au Paris
des situationnistes de Guy Debord.
● Souvenirs dormants,
Éd. Gallimard, 2017.
Exercice d’équilibriste mais très
réussi, ce récit est une poursuite de six
personnages, rencontrés dans les
années 1960, et les souvenirs qu’ils
ont laissé dans l’esprit du narrateur.
Une dérive dans ce que devient
la mémoire, cinquante ans plus tard.
● La Danseuse, Éd. Gallimard, 2023.
Ce récit court, un peu plus de 100 pages,
pourrait être l’équivalent, pour le reste
de l’œuvre de Modiano, d’un haïku
qui aurait atteint à l’essence même
de son art, de son écriture, de ses
thèmes. Tout est là, convoquant figures
du passé (l’éditeur Maurice Girodias),
quartiers traversés dans l’espace
et dans le temps (de Raspail à
Malesherbes), histoire amoureuse
autour de personnages elliptiques…
Ici, tout est à la fois précision
et oubli, récit intime et flou rêveur.
Une forme de perfection,
un concentré de son art. ●

●81
Madameculture
ROMAN ● ÉTRANGE
et bouleversant
ACCROCHEZ VOS CEINTURES !
Ici, l’espace-temps recombine les existences et les
sentiments jusqu’au vertige : Isaac Bahir, astronome en
quête d’une éventuelle matière cachée dans les espaces
infinis, se retrouve, au cœur d’un bunker militaire devenu
laboratoire de physique, embarqué dans un méli-mélo
temporel qui lui soumet un kaléidoscope de sa vie, sous
forme de réalités divergentes. Tout commence lorsque,
bouleversés par l’éclipse solaire de 1999, Isaac et ses amis
Walter et Miranda font le serment de se retrouver lors du
retour du phénomène céleste dix-huit ans plus tard et des
poussières. Ce qui semble ensuite déclencher une épopée
quantique décoiffante, ce sont les sentiments passionnés que
nourrit Isaac à l’égard de Miranda, laquelle est la petite amie
du charismatique Walter… Timidité, désir, jalousie, rivalité,
détresse, ces personnages sont des condensés des passions
de la jeunesse, qui naviguent entre insouciance et tourment.
Isaac sera tour à tour radioastronome, gourou d’une secte
de néo-hippies allergiques aux ondes électromagnétiques,
astrophysicien basé au Japon… Walter sera modeste
professeur ou astronome revenu brisé de Mars, Miranda
travaillera pour Médecins sans frontières ou fondera une
famille… Il y a aussi Éric, malmené enfant par ses camarades
de classe - dont Isaac -, et qui devient écrivain, journaliste,
témoin en tout cas. Tant de possibilités sont en nous qui,
en fonction de nos choix, fomentent nos destins.
Tout en évoquant Archimède, Newton, Einstein,
la conquête de l’espace…, ce roman dense et intriguant,
assez insaisissable et d’une belle étrangeté, est avant tout
un puissant mélodrame sentimental et un traité sur
la persistance de certains amours, pourtant enfouis dans
le passé depuis bien longtemps. ● I. P.
Les Corps flottants,
de Mikaël Hirsch, Éditions
Le Dilettante, 256 p., 21 €.
82●
Leçons, de Ian McEwan,
Éditions Gallimard, 650 p.,
26 €. Traduit par France
Camus-Pichon.
UNE
ROMAN ●
ÉTOURDISSANTE
vie d’écrivain
IAN McEWAN A GLISSÉ DES ÉPISODES
AUTOBIOGRAPHIQUES dans son nouveau roman :
enfance en Libye où son père officia comme membre
de l’armée britannique, adolescence dans un internat
réservé aux garçons, découverte d’un secret de famille…
Contrairement à lui, toutefois, le héros de Leçons ne devient
pas écrivain. C’est à sa femme Alissa qu’est réservé
ce privilège – ou cette malédiction, puisqu’elle décide pour
ce faire de quitter non seulement son époux, mais leur bébé,
avec le lot afférent de complications dramatiques,
de soupçons de la police en retrouvailles, lors de la chute
du mur de Berlin. Le chef-d’œuvre qu’est Leçons restitue
l’épaisseur d’une vie et d’un siècle, s’ouvrant sur la menace
de Tchernobyl pour remonter à la Seconde Guerre mondiale
– le père d’Alissa a appartenu au mouvement de résistants
allemands de la Rose blanche. L’auteur d’Expiation va et vient
entre le passé et le présent avec une virtuosité dont il avait
déjà fait l’éclatante démonstration dans Samedi, Sur la plage
de Chesil ou encore Opération Sweet Tooth. Il sait parfaitement
PHOTOS LE DILETTANTE, FRANCESCA MANTOVANI ET S. P.
jouer des points de vue et des genres, de la texture du
temps et de l’agencement des péripéties, mais toute la
beauté de Leçons tient davantage à la puissance du sentiment
d’intimité qu’il parvient à transmettre tandis qu’il conte
l’existence d’un homme pris, comme des millions d’autres,
dans le cours de l’Histoire, jusqu’à nous mener au cœur
d’une réflexion sur la vocation artistique. Roland, qui
échoue à devenir poète, concertiste, champion de tennis,
qui échoue à sortir de l’ordinaire, aurait-il pour autant
troqué sa vie contre l’extra-ordinaire œuvre pour laquelle
Alissa a sacrifié mariage et enfant ? Ian McEwan nous
donne une réponse, émouvante et forte… dont lui-même
constitue a priori un parfait contre-exemple. ● M. T. H.
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Madameculture

Au fin fond de décembre,

Kill The Rich ! de Patrick Conrad
Anonyme Sale temps pour l’ex-inspecteur Wolf…
Dixième aventure Il sort de prison après avoir tué le présumé
de Bourbon Kid et du très coupable du meurtre de sa fille. Petit boulot oblige,
méchant duo des Dead il est devenu dératiseur. Mais c’est bien le cadavre
Hunters, et ça chauffe pour d’une femme qu’il découvre et il n’est pas au bout
les riches. Le président de ses surprises. Nous non plus. Un roman comme
des États-Unis est assassiné découpé au scalpel. Frissons garantis. ● B. B.
Éditions Actes Sud, 288 p., 22,50 €. Traduit par Noëlle Michel.
et il n’est que le premier
d’une longue liste… Humour
noir, situations cocasses et L’argent, tout le temps,
ultrachaudes pour ce roman de Stéphanie Artarit
ambiance Tarantino. ● B. B. La nouvelle cryptomonnaie, le Care, fait
Éditions Sonatine, 552 p., 23,90 €.
un tabac et aussi beaucoup de fumée
Traduit par Cindy Colin-Kapen.
qui met le feu aux poudres dans
les hautes sphères. Ivo Butorac, gros
joueur, un peu mafieux et sans limites
est chargé de faire place nette. Un
excitant sujet contemporain qui nous
entraîne dans les bas-fonds du monde
financier et politique. Exaltant. ● B. B.

Le plein de
Éditions Belfond, 304 p., 20 €.

POLARS
Thriller dystopique, drame
familial, enquête choc…
toutes les nuances du noir.

Le Silence
des noyées,
de Gabriel Katz Upgrade,
Que s’est-il passé vingt- de Blake Crouch
cinq ans auparavant ? Sur Un page turner sur les
la route qui le conduit au manipulations génétiques,
manoir familial pour les fêtes interdites dans tous les pays
de Noël, Scott embarque du monde. Le flic Logan
une autostoppeuse… Entre Ramsey débusque les labos
Festen et Downton Abbey, clandestins et se retrouve
ce polar à l’atmosphère infecté par un virus qui
PHOTOS MATIAS INDJIC ET S. P.

vintage livre un portrait de reprogramme son ADN pour

femme subissant la violence en faire un surhomme. Il va
du patriarcat. Féroce. ● I. P. déjouer un complot visant
Éditions du Masque, à « upgrader » l’humanité !
250 p., 20 €. Un régal de suspense. ● I. P.
Éditions Gallmeister, 448 p.,
24,90 €. Traduit par Jacques Mailhos.

84● PAR BERNARD BABKINE AVEC ISABELLE POTEL, COLOMBE SCHNECK ET MINH TRAN HUY

LA CHRONIQUE DE ●
DEPUIS CET ÉTÉ,
JE SUIS OBSÉDÉE PAR PROUST.
Je n’en ai pas terminé, et dans cette
chronique non plus. Tous les jours,
j’applique ce que j’ai lu la veille ; tous
les jours, j’observe ce qu’il a décrit,
je déniche un geste, un regard et je me
dis, mais oui, c’est comme…
Son essai, Contre Sainte-Beuve,
débute ainsi : « Chaque jour j’attache
moins de prix à l’intelligence. Chaque
jour je me rends mieux compte que
c’est qu’en dehors d’elle que l’écrivain
peut ressaisir quelque chose de nos
impressions, c’est-à-dire atteindre
quelque chose de lui-même et la seule
matière de l’art. » Je ne vais pas
ici comparer David Le Bailly à Proust,
sa mère serait une Odette ratée,
sa grand-mère, une grand-mère
désespérée, mais son projet de saisir ce
illustration Walter Glassof
www.folio-lesite.fr
Madameculture
COLOMBE SCHNECK
qui s’est passé, pour lui, le 8 décembre le Triangle d’or, à Paris, où ils habitaient.
1987, quand son aïeule adorée, Il cherche dans les sourires, ce qui est
s’est suicidée, est de cet ordre. « Ce que vrai et faux. La vérité se cache dans
l’intelligence nous rend du passé des sensations, nous dit Proust. En lisant
n’est pas lui », poursuit Proust. David Le Bailly, on ressent la détresse de
Le Bailly se souvient de la salopette l’enfant à qui on retire un jouet vénéré, à
qu’il détestait porter, que sa grand-mère qui on ne tient pas sa promesse. Il y a dans
lui avait promis qu’elle viendrait ce livre de précieux éclats de vérité. ●
lui apporter un pantalon à la sortie de
l’école, et elle ne l’a pas fait. Il se souvient
de cette voiture télécommandée offerte
par un amant de sa mère et qu’il a été
heureux comme rarement, et que le
lendemain, celle-ci a rendu la voiture
et l’a échangée contre une lunette
astronomique et dit : « Au moins ça, ce
sera un cadeau utile ! » David Le Bailly
regarde des photos de celui qu’on Hôtel de la Folie,
de David
appelait Pyrrhus, il était le riche amant
Le Bailly, Éditions
marié de sa grand-mère, celui qui du Seuil, 208 p.,
lui a acheté l’appartement situé dans 18,50 €.
●85
Madamemag

●CHR
Face à l’objectif de la photographe
nous avons donné carte blan

RA
du temps et des générations, et
Un exercice de style

PHOTOS CHARLOTTE ABRAMOW / RÉALISATION SYLVIE CLEMENTE / MODÈLES MINO SASSY @ COVER, DEVI SOK, ELFIE ET EMMA BERNARD @ PREMIUM MODELS, SYLVANA

86●
ONO
Charlotte Abramow, à qui
che, la mode abolit les frontières

MA
explore tous les horizons.
inclusif à l’énergie jubilatoire.

@ SILVER, EMMANUELLE PERRAULT ET SHEILA @ THE FACE, ASHLEY @ MARILYN AGENCY, LYESSE TETAYA @ NOUVELLE ÈRE, DIANE CANOBY ET LYNN CANOBY COIFFIER

●87
 MINO ET ELFIE :
ROBES LOEWE.

À DROITE.
LYNN : COSTUME ET
CHEMISE, COMPTOIR
DES COTONNIERS.

88●
 PHOTOS CHARLOTTE ABRAMOW

●89
 PHOTOS CHARLOTTE ABRAMOW

DEBOUT, DE GAUCHE À DROITE. SYLVANA : ROBE IMPRIMÉE, H & M STUDIO.

MINO : ENSEMBLE HIGHLIGHT STUDIO. EMMA : TOP PUCCI, JEAN GAUCHÈRE, AVEC NAYA : ENSEMBLE BONPOINT.
ASSISES, DE GAUCHE À DROITE. DEVI : ENSEMBLE MARNI, BOOTS PIERRE HARDY. NAMI : ROBE MARINA RINALDI,
DERBYS CHURCH’S. ELFIE : TOP GIVENCHY, JUPE RATATAM, BASKETS NEW BALANCE.

90●
 SHEILA : ROBE ET
CRAVATE, VALENTINO.

●91
 EMMA : ROBE
FENDI, DERBYS
PIERRE HARDY.
NAYA : ENSEMBLE
BONPOINT.

À DROITE.
MINO ET ELFIE :
ROBES LOEWE.

92●
 PHOTOS CHARLOTTE ABRAMOW

●93
 PHOTOS CHARLOTTE ABRAMOW

DE GAUCHE À DROITE.
ASHLEY : ROBE ERDEM.
LYNN : ROBE CECILIE
BAHNSEN. SHEILA : ROBE
BALENCIAGA. DIANE :
ROBE GIAMBATTISTA VALLI.

94●
●95
 EN HAUT, DE
GAUCHE À DROITE.
LYESSE : CHEMISE
MAX MARA.
PHOTOS CHARLOTTE ABRAMOW

LYNN : CHEMISE
SAISON 1865
AU PRINTEMPS.
ASHLEY :
CHEMISE CAROLL.

À GAUCHE.
MINO : BLOUSE
JUANA MARTIN.

96●
NAMI : ROBE MARINE SERRE.
ELFIE : ROBE PASKAL.

●97
 DIANE : TENUE HERMÈS.
LYNN : CHEMISE DENZIL PATRICK,
JUPE POLO RALPH LAUREN.

98●
PHOTOS CHARLOTTE ABRAMOW

NAMI : PULL UNIQLO : C, JUPE COS.

DANS LE MIROIR, MINO : TENUE EMPORIO ARMANI.
DEVI : TENUE MANGO.

●99
 PHOTOS CHARLOTTE ABRAMOW

DE GAUCHE À DROITE, ET DE HAUT EN BAS.

NAMI : BLOUSE ROUGE, PATOU CHEZ MYTHERESA.
DEVI : BLOUSE FLEURIE, PRUNE GOLDSCHMIDT.
EMMA : ROBE À POIS, JACQUEMUS.
SYLVANA : ROBE VERTE, JIL SANDER.

100●
ASHLEY : PLAID UNTITLED19.

●101
 NAMI : ROBE MARINE SERRE.
DEBOUT, MINO : ENSEMBLE ISSEY MIYAKE.
ELFIE : ROBE PASKAL. DEVI : ROBE RABANNE.

102●
PHOTOS CHARLOTTE ABRAMOW

SHEILA : TENUE LEVI’S.

LYESSE : VESTE DRIES VAN NOTEN.
DIANE : TENUE GUESS.

●103
 DE GAUCHE
À DROITE. DIANE :
ROBE GIAMBATTISTA
VALLI. LYNN : ROBE
CECILIE BAHNSEN.
SHEILA : ROBE
BALENCIAGA.
ASHLEY : ROBE
ERDEM.

104●
 EN HAUT, LYESSE : TENUE SPORTMAX,
BOUCLES D’OREILLES, BALENCIAGA.
EN BAS, À GAUCHE, DIANE : TENUE POLO RALPH LAUREN.
PHOTOS CHARLOTTE ABRAMOW

À DROITE, SHEILA : TENUE GIULIVA HERITAGE.

Coiffure Vincent De Moro. Maquillage Ophélie Secq.

Casting Maud Cosials. Set design Lucie Tescaro.

●105
Madamemag

NOLAN,
le vertige de

106●
L’INFINI
PAR PHILIPPE AZOURY

De Batman à Oppenheimer,
Christopher Nolan, réalisateur
titanesque, navigue du passé au
futur, entre héros messianiques
et enjeux universels. La spirale
d’un explorateur du temps.
IL EXISTE AUJOURD’HUI, DANS
LE CINÉMA CONTEMPORAIN, si contemporain qu’il
lui arrive même d’être visionnaire, un homme que le public
et la critique prennent non seulement pour un cinéaste surdoué,
ambitieux, prométhéen (grandes entreprises, grands
déploiements), mais avant tout pour le Grand Architecte du temps.
Cet homme, c’est Christopher Nolan. Homme discret (c’est peu
de dire que sa présence n’envahit pas l’espace médiatique), mais
dont les films habitent de façon omniprésente notre imaginaire :
Memento, Insomnia, Batman Begins, Inception, The Dark Knight Rises,
Interstellar, Tenet et, cet été, Oppenheimer sont quelques-uns des tubes
planétaires que cet Anglais, né il y a seulement cinquante-trois
ans, aura produits depuis 1998. Nolan, tel qu’on l’imagine, est tout à
sa tâche. Quand dort-il ? Est-il jamais fatigué ? Ne tremble-t-il pas
devant autant de démesure ? Dans quelle course contre la montre
est-il pris ? Car ce n’est pas tout d’écrire, de réaliser et de produire
un blockbuster coûteux tous les trois ans, Nolan a aussi réussi à
en faire une œuvre globale. C’est même là sa folie : ce passionné de
physique quantique ne se voit pas comme un homme de spectacle.
Non, il se fantasme en scientifique. Les studios seraient son
laboratoire depuis lequel il ferait ce que font tous les chercheurs :
il déplierait des hypothèses. Il tirerait des plans sur la comète.
Il épuiserait des possibilités. Il calculerait des conséquences.
JEAN-LUC GODARD RÊVAIT QUE SES FILMS
soient financés par les programmes du CNRS, George Lucas
ou Steven Spielberg par la NASA, James Cameron donnerait tout
pour faire un stage de troisième à l’Ifremer. Nolan, comme eux,
n’a pas de rêve hollywoodien (Hollywood lui mange dans la main).
Il se voit un parmi les chercheurs du Cern, à Genève. Comme eux,
il fabrique une machine à comprendre le temps et ses ondes.
Comme eux, il essaye de débarrasser le noyau d’un atome de
ses électrons, et voudrait l’accélérer, ce noyau, sous l’effet d’un
champ électrique. Nolan voit ses films les plus théoriques, les plus
PHOTO GAVIN BOND/AUGUST
fous (Inception, Tenet), comme des accélérateurs de particules.
Pas de chercheur sans sujet de recherche. Et on l’a dit, Nolan
a rapidement trouvé le sien : le temps, donc. Mais que ses films
raconteraient comme des problèmes mathématiques. Sans
sacrifier au spectacle. Des films pris dans la spirale du temps.
Il en va ainsi depuis Memento, son deuxième long-métrage,
en 2000. Un polar qui suivait jusqu’à épuisement la quête d’un
Madamemag
homme atteint d’amnésie antérograde,
survivant à son syndrome en notant sur des
Post-it le but de chacune de ses actions. Le film
montrait le drame d’une existence qui, privée
de sa réserve mémorielle, était engluée dans
un éternel surplace. Une boucle de quelques
minutes qu’il fallait sans cesse réinterroger.
LE PROBLÈME ÉTAIT POSÉ :
le temps est un mystère, une énigme à creuser
encore et encore. Et ça ne sera jamais fini :
du moins tant que nous n’aurons pas atteint
l’instant dans son secret le plus infinitésimal.
C’est en ramenant le temps à sa plus petite
unité, l’instant, que l’on pourra comprendre
comment une vie bascule ou comment
un monde peut s’éteindre ou trouver une voie
de sortie. Mais l’instant est une notion floue,
toujours à explorer, toujours à découper en
micro-unités de plus en plus minuscules,
millefeuille framboise ou tranches de jambon
de plus en plus fines, jusqu’à aboutir au vertige
de l’infini : plus vous explorez les plis les plus
serrés de l’instant, plus vous vous approchez de
la faille qui vous fera passer dans une dimension
autre du temps. Nolan ne cherche pas à en finir
avec le temps en l’écrasant sous la découpe.
Il veut au contraire ouvrir notre perception
du temps, la dépasser. Il est là le spectacle qu’il
voudrait pouvoir arriver à filmer.
AUSSI NOUS VOILÀ, NOUS,
SPECTATEURS, DEVANT LES FILMS
de Christopher Nolan comme Joseph Cooper
(Matthew McConaughey), le fermier
d’Interstellar : en regardant de près les lignes
que forme une poussière, on pourra y entendre
un message venu d’une intelligence inconnue
communiquant avec nous par ondes
gravitationnelles. Ce message désignerait
un lieu. Un point à partir duquel nous, humains
et spectateurs, nous pourrions entrer dans un
autre espace-temps. Ce lieu a un nom. Il est ce
que les astrophysiciens appellent un wormhole :
un trou de ver. Soit un objet hypothétique qui
relierait deux feuillets distincts ou deux régions
distinctes de l’espace-temps et se manifesterait
d’un côté comme un trou noir, et de l’autre côté
comme un trou blanc. Le fermier qui prendra
ce trou de ver pour une porte voyagera dans
le temps. Et rencontrera peut-être le futur
de l’humanité. Auquel cas, il en sera le sauveur.
Ou le destructeur. Repensez à Robert
Oppenheimer, cet homme à jamais divisé
par les conséquences de son intelligence…
Sauver l’univers en repensant le temps : voilà
le programme. Vaste programme, difficile
●107
Madamemag
et hypnotisant. Ses enjeux demandent
des récits dont les héros seraient en même
Le cinéma
temps des astrophysiciens, des médiums
et des James Bond surentraînés.
a inventé un
LES OBSESSIONS DE NOLAN sont monde où plus
tellement scientifiques que l’on se demande
encore comment il arrive à lever des centaines
rien n’est
de millions de dollars pour produire des films
qui feraient passer 2001, l’Odyssée de l’espace pour
jamais tout
La Reine des neiges. Pourtant, Nolan produit des à fait mort
films que des millions de gens vont voir à leur
sortie – bien que personne ne les comprenne
entièrement. Ses pères spirituels sont plus
à chercher du coté d’Orson Welles, de Resnais
(ils travaillent la mémoire de façon assez similaire, comme un
diamantaire qui scruterait un cristal en décomposition), ou encore
de Kubrick (le grand cinéaste de l’image-cerveau), que du côté
de Spielberg (trop sentimental). Nolan est un cinéaste dont on sent
bien qu’il se force à être chaleureux, humain, ça n’est pas sa nature
immédiate, mais il a besoin des acteurs (et il les choisit bien, son
cinéma est un all star de tout ce qui a compté dans le glamour et
dans la technique de jeu ces deux dernières décennies), besoin de
chair pour incarner ses idées. Il a aussi besoin d’eux pour mener
à bien son programme, pour que les studios suivent et financent sa
bourse de recherche. Mais les sentiments, Nolan rechigne souvent
à les montrer. Et pourtant, quand il veut, qu’est-ce qu’il les montre
bien ! Qui ne s’est pas projeté dans l’utopie romantique et tragique
du couple Marion Cotillard-Leonardo DiCaprio dans Inception et
leur question dans le temps : existe-t-il un endroit du rêve où nous
pourrions continuer à nous aimer, un lieu qui serait celui d’une
éternité de l’amour, un lieu protégé des désastres du temps ?
NOLAN AIME LES PERSONNAGES (on ne réactive
pas pour rien la légende de Batman en trois films somptueux),
mais quand il les oublie au profit de trop de science, il prend
le risque de nous perdre (pas étonnant après l’échec commercial
de Tenet qu’il ait enchaîné sur le biopic d’Oppenheimer : une façon
pour lui de continuer à explorer le champ savant, de se poser des
questions sans perdre la colonne vertébrale qui le relie au public).
Mais son truc reste et restera toujours la speculative fiction, comme
disent les Anglo-Saxons. L’écriture d’un récit dans lequel
se verrait s’essayer, s’épuiser, chacune des conséquences
que provoquerait la réalisation d’une idée. Souvenez-vous dans
Oppenheimer du mouvement qui porte le film (mouvement cerné
par une peur : que la réaction en chaîne finisse par embrasser
l’univers et par le détruire en une seconde) : il s’écrit en trois
étapes, qui vont de la théorie de la relativité à la réalisation de la
bombe atomique, et de la bombe H à la destruction d’Hiroshima et
de sa population. Les films de Nolan s’écrivent sur ces trois étapes
distinctes, l’idée, sa réalisation, ses conséquences. Elles en fondent
le drame. Mais la thèse à chaque fois reste la même : déplier
le temps, de façon infinitésimale. Ce temps que Nolan embrasse
comme vertige, comme piège. Qu’il regarde comme architecture,
bâtisse, construction, pont. Ce temps qui est pour lui tout sauf
une évidence, et qu’il regarde toujours comme une hypothèse.
Le temps dont il voudrait découvrir la faille, à partir de laquelle
108●
notre monde serait peut-être
sauvé (Nolan est un cinéaste
climatiquement inquiet
et pessimiste), sauvé des
détournements de la science
au service du pouvoir, qu’il soit
politique ou économique.
MAIS UN
SCIENTIFIQUE NE
DÉSESPÈRE PAS : il cherche.
Et comme Nolan est aussi un
artiste, il est aussi comme Picasso :
il ne cherche pas, il trouve. Tous
les trois ans, il trouve un film.
Et il arrive, avec Inception en 2010, avec Tenet
en 2020, que ses films inventent une
circulation. Une autre façon de se déplacer dans
le temps. Un passage entre le trou noir et le trou
blanc. En bon cinéaste futuriste, Nolan est hanté
par le passé. c’est d’abord là, dans ce coffre-fort
insondable et trompeur que l’on appelle la
mémoire, que se joue le futur de l’humanité.
Qu’ils aient l’allure de Leonardo DiCaprio
(dans Inception) ou de Robert Pattinson et de John
David Washington (dans Tenet), les agents
secrets des films de Nolan braquent d’abord
la banque de nos souvenirs. Ils voyagent dedans
en s’inquiétant de la façon dont ils s’effacent,
s’intéressent à comment on les fabrique, ou
plutôt comment d’autres pourraient fabriquer
du souvenir à notre place, et les avantages
politiques qu’ils pourraient en tirer.
LA GRANDE JOIE DU
SPECTATEUR DEVANT INCEPTION,
film proprement délirant (ce ne sera pas
le dernier, loin de là), n’était-elle pas de voir
des nations et des multinationales se livrer
une guerre sans merci, une guerre
d’information, du data, dans un avion, sur
une rangée de sièges de la classe affaires,
où durant douze heures une poignée de
personnages-clés piqueront un roupillon (mais
PHOTOS EVERETT/AURIMAGES ET COLLECTION CHRISTOPHEL
quelle est cette compagnie aérienne de rêve
où on vous fout la paix et où on ne vient pas
vous réveiller toutes les dix minutes pour
un jus de tomate ou une promo parfum ?) qui
ressemble, à l’intérieur de leur subconscient,
à une guerre des mondes ou chaque dormeur
va chercher à entrer dans le rêve de l’autre.
Il est plus naturel pour un cinéaste que pour un
savant d’explorer la mémoire (le cinéma est un
art de momie, il conserve). Mais un savant sait
que dans les abysses du subconscient, dans le
tréfonds de nos rêves, les heures se traduisent
en années, et que le temps ne passe plus pareil.
 Madamemag

Et un psychanalyste pourrait ajouter également ceci, d’une inquiétude : si on touche

qui est une autre menace ou un autre enjeu pour un au temps, au temps comme donnée
cinéaste : à trop voyager dans le rêve d’un autre, ou physique, doit-on s’attendre
à ne vouloir vivre que dans un rêve à deux, on prend à une réaction en chaîne
le risque de s’y retrouver coincé à jamais. Et puis, comparable à celle dont le risque
l’inconscient est l’incontrôlable même, il vous trahit hantait Oppenheimer lorsqu’il
toujours. Inception est donc un film qui apprend qu’à s’est mis à manipuler l’atome ?
jouer avec le temps on se brûle, et que la solution Doit-on s’attendre à une riposte
n’est donc pas dans le passé bitemporelle ? À un effacement
mais dans une rencontre du temps tout entier ?
possible avec l’avenir. Qu’on ne se trompe pas,
Images de
CETTE Memento, 2000, c’est une question de
RENCONTRE, d’Interstellar, 2014, cinéaste plus encore que
INTERSTELLAR l’a d’abord et deTenet, 2020. de savant. La question
Une incessante
située dans l’espace, de confrontation de quelqu’un qui n’a pas
l’autre côté de la faille. Et si d’espaces-temps oublié que le cinéma est
nous allions frapper à sa qui renvoie déjà cet instrument qui
à l’essence même
porte ? Le projet de Tenet a troublé le temps, défié
du cinéma.
sera le même mais en sens la mort en lui ajoutant
inverse : et si c’était le futur l’illusion, pénétré notre
qui venait à notre réalité par une dimension virtuelle
rencontre ? Et si on lui complètement folle. Je regarde
ouvrait la porte, juste une seconde ? Mais alors un film avec Marilyn Monroe, et
comment, pour un cinéaste qui fabrique une Marilyn bouge devant moi, me parle,
image au présent, faire coexister un mouvement prisonnière d’un perpétuel présent.
qui vient du futur, c’est-à-dire qui s’exécute Le cinéma a inventé un monde où
devant nous à reculons, par propulsion inversée, plus rien n’est jamais tout à fait mort.
et le faire cohabiter avec nos mouvements On a cassé la chronologie passé,
à nous ? Quelle circulation (au sens autoroutier présent. On fait tous semblant que
du terme) inventer pour réussir à filmer cela soit sans conséquence. Mais si
en permanence et ensemble deux bolides nous avons trouvé une illusion pour
qui ne roulent jamais dans la même direction. tromper la mort, que la chronologie
Notre stupéfaction théorique est à peu près la alors se renverse à son tour, et que
même que celle que trahit le regard ahuri de John ceux du trou noir viennent à nous,
David Washington (dans Tenet) lorsque ceux du vite, s’ils ne l’ont pas déjà fait.
futur le renvoient modifier le présent : ce sera sa Sinon quoi ? Sinon il se pourrait que
mission, sauver le monde en revenant sur les lieux du crime. Mais le temps en vienne à disparaître à son tour.
pour sauver le monde dans une seconde chance, il ne lui faudra IL ARRIVE DE CROIRE QUE
pas seulement réussir là où il avait échoué, il devra savoir le faire NOLAN EST LUI-MÊME UN AGENT
à reculons : « Vous êtes inversé, le monde non. » Ah… ! OK. du futur, un type qui en sait trop long pour
Parce qu’il tient sur un impensable, Tenet, film à double hélice qui être honnête. Après tout, dans Interstellar,
jamais ne tourbillonnent dans le même sens, est un casse-tête en 2014, il racontait le monde en 2067 en proie
pour tout le monde, à commencer par le spectateur. C’est pourtant à une crise alimentaire sans précédent,
un film passionnant si on accepte cette injustice : il se saisit des où la question du blé a tout ruiné. Et Tenet,
choses que nous ne savons pas représenter, du moins pas encore. film de 2020, commence par une prise d’otage
Le futur, et plus encore comment il vient à nous, ne peut être par les Russes dans un opéra de Kiev ! Mais
qu’une énigme. Tenet était une énigme à 250 millions de dollars. cette hypothèse même, trop messianique pour
QUE VEUT LE FUTUR ? Arracher le présent (notre satisfaire Nolan en personne, est déjouée par le
condition) à sa lente condamnation. Car si nous périssons (par film. Tenet a beau convoquer des espaces-temps
notre faute), notre futur périra avec nous. CQFD. C’est notre alternatifs, des feuilles dans le millefeuille,
devenir qui nous sauvera, parce que c’est son seul moyen pour se des trous dans la serrure, il nous laisse face
sauver lui-même : il en va de son avenir. il sera bien forcé un jour au vertige du temps avec notre seule et unique
de sortir de sa position chronologique pour venir corriger cette responsabilité : et si le Grand Horloger du temps
microseconde où tout avait failli s’atomiser. Alors, tout va bien, n’était autre que nous-même ? Et si c’était nous,
on sera sauvé ? Disons que la solution de Nolan s’accompagne chacun de nous, le Protagoniste ? ●

●109
Madamemag

Face à nos rythmes de vie

accélérés, ChatGPT va-t-il
vraiment apporter des
solutions ? Laurence Devillers
n’en démord pas : il faut chercher
l’éthique dans la technique.

L’IA,
en bonne
intelligence ?
EN DÉCOUVRANT CES DERNIERS
MOIS LES CAPACITÉS DE CHATGPT, le grand public
a mesuré combien l’intelligence artificielle (IA) permet d’accélérer
un grand nombre de tâches de la vie quotidienne. Mais derrière
ce gain de temps apparent, Laurence Devillers, professeure
à Sorbonne Université, spécialiste des interactions humain-
machine et de l’informatique émotionnelle au CNRS, invite
à réfléchir aux limites de cet agent moins intelligent qu’on ne
le prétend. En parler à l’école, comprendre comment fonctionnent est fondé sur un système d’IA générative.
concrètement les outils : la pédagogie, le débat public et la Mais pour le grand public, c’est, il est vrai, une
régulation juridique sont selon elle indispensables pour conjurer véritable disruption. Tout simplement parce
la dévoration de notre temps par les machines. que chacun a pu tester un outil incroyablement
MADAME FIGARO. – LE GRAND PUBLIC A DÉCOUVERT CES rapide, capable de discuter dans notre langue.
DERNIERS MOIS LA PUISSANCE DE CHATGPT, CET AGENT CONVERSATIONNEL Jusqu’alors, les chatbots n’étaient pas si
DÉVELOPPÉ PAR OPENAI, GRÂCE AUQUEL ON GAGNE SOUVENT performants, on ne les appelait pas des « agents
BEAUCOUP DE TEMPS EN CHERCHANT DES INFORMATIONS. EST-CE POUR intelligents ». Or, le fait que cette nouvelle
PHOTO GETTY IMAGES

VOUS UN MOMENT CRUCIAL DU DÉVELOPPEMENT DE L’INTELLIGENCE
ARTIFICIELLE SUR LAQUELLE VOUS TRAVAILLEZ DEPUIS DES ANNÉES ?
LAURENCE DEVILLERS. – Pour les chercheurs, le lancement
de ChatGPT n’est qu’une étape dans une longue histoire de
recherches sur l’IA. Le modèle de langue interne de ChatGPT
machine puisse répondre à plusieurs fonctions,
qu’elle puisse générer de l’audio, du récit, de
l’image, de la vidéo, et qu’elle soit également
capable de produire du code informatique,
oblige à reconnaître la puissance de l’IA.

110● PAR JEAN-MARIE DURAND


Mais si des systèmes comme ChatGPT deviennent omniprésents,
il faudra apprendre à en faire bon usage et à remettre en question
les réponses qu’il produit. Face à ChatGPT, nous sommes soit
très enthousiastes, soit très inquiets pour le futur des métiers ou
pour l’éducation des enfants à l’école, par exemple. Cette prise
de conscience généralisée reste au fond assez binaire.
MAIS CHATGPT A-T-IL SELON VOUS DES VERTUS DANS SA CAPACITÉ
À NOUS ACCOMPAGNER AU CŒUR DE NOTRE VIE QUOTIDIENNE ?
L’IA générative pourrait rendre un grand nombre de services
dans de nombreux métiers, à condition de savoir s’en servir. Si je
pose des questions sur un sujet précis à ChatGPT, il va trouver des
solutions précises, mais attention, le système répond sans donner
aucune de ses sources. Il est même capable d’en générer des
Madamemag
fausses. Il n’a pas été créé pour répondre ce
qui est vrai, mais pour générer ce qui est
probable. Sur les tâches administratives un
peu pénibles, il peut être très utile, faire gagner
du temps. Mais le diable est dans les détails ;
il peut vous donner des informations fausses
sur quelqu’un ou produire un texte absurde.
Si j’aborde un sujet vaste, le système relatera
des lieux communs. Je ne cesse de dire
à mes étudiants de ne pas faire de lettre
de motivation avec ChatGPT ou en tout
cas de l’améliorer nettement, car tout le
monde aura la même.
●111
Madamemag
PENSEZ-VOUS QUE L’ON NE POURRA PLUS S’EN PASSER ?
C’est une question que beaucoup de gens se posent en effet.
Jusque-là, on avait des outils qui corrigeaient l’orthographe ;
désormais, on a sous la main un outil beaucoup plus puissant,
qui peut proposer des réponses à notre place. Certains disent qu’il
possède une intelligence supérieure, quand d’autres estiment
qu’il reste assez ordinaire. Entre ces positions extrêmes, j’estime
pour ma part qu’il faut mieux expliquer les capacités de l’IA ;
ce ne sont pas des objets magiques, ils ont été façonnés par des
mathématiques et des statistiques à partir de nos données ;
il y a de l’humain derrière. ChatGPT est une
machine incapable de raisonner dans la
temporalité, comme elle est incapable de
raisonner dans notre espace 3D, d’ailleurs
elle ne raisonne pas au sens humain.
Ses performances informationnelles ne
doivent pas occulter la réalité de ses
impasses et des capacités réelles de ses
systèmes. C’est un outil qui imite, mais ne
crée pas tant de choses nouvelles. Et nous
avons tendance à anthropomorphiser
ces machines parce qu’elles parlent notre
langue en fantasmant sur leurs savoirs,
leurs affects, voire sur leurs valeurs morales.
MAIS LA VITESSE DU TRAITEMENT
ALGORITHMIQUE DES MASSES
Laurence Devillers,
D’INFORMATIONS NUMÉRISÉES NE FAIT-ELLE
PAS DE CHATGPT UN OUTIL VERTIGINEUX
POUR DES CITOYENS DE PLUS EN PLUS LIVRÉS
À LA PRESSION DU TEMPS ?
Sa fulgurance de vitesse est précieuse. ChatGPT utilise un
modèle de langue (le Transformer) qui a été entraîné sur des
milliards de données, ce qui a pris un temps considérable et a été
très coûteux en énergie. Or, on peut l’adapter à d’autres domaines
et gagner en performance. Le principe du modèle de langue
repose sur le fait qu’un mot est proche du sens d’un autre s’il est
vu dans les mêmes contextes. Le système d’IA générative calcule
le sens d’un mot par ses voisins. Il n’a pas d’arguments étayés
pour répondre et fait parfois des confusions très amusantes si
on lui pose des questions absurdes comme « comment ramasse-
t-on les œufs de vache ? » Il n’a pas d’abstraction ni de sens
commun. Il faut donc démythifier ChatGPT. Mais je ne dis pas
non plus qu’il ne faut pas l’utiliser. Ces systèmes d’IA ont une
forme d’intelligence qui peut nous être utile ; ils peuvent
nous aider à voir plus d’informations.
MAIS ALORS, QUE SAVONS-NOUS DE SA MANIÈRE
DE FONCTIONNER ?
On comprend comment marchent les algorithmes
d’apprentissage de ChatGPT ; mais on ne maîtrise pas le résultat
sur des milliards de textes, c’est le hasard des mots. Ce que la
machine apprend est encodé dans des milliards de paramètres,
mais cela n’a rien à voir avec notre abstraction sémantique.
La machine est performante parce qu’elle manipule beaucoup de
données ; plus on a de données, plus on a l’impression qu’elle
répond de manière intelligente. Mais ce sont des systèmes peu
112●
fiables, car on ne peut pas les reproduire,
et peu stables. Ils génèrent des résultats
probables avec une certaine incertitude.
Nos boucles d’apprentissage sont très
différentes ; on apprend dans notre
environnement en touchant, en regardant,
très loin de ces machines.
BEAUCOUP VOIENT DANS LES PROGRÈS
DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE LE SIGNE D’UNE
SORTE DE TRIOMPHE DE LA SCIENCE-FICTION
DANS NOS VIES RÉELLES. L’IA, EST-CE
DE LA SCIENCE-FICTION ?
Beaucoup y croient. Comme si
la machine HAL de 2001 : l’odyssée de
l’espace, de Kubrick, avait gagné la
partie. Or, depuis Turing qui voulait
créer des machines pensantes,
depuis les sciences cognitives ou la
cybernétique… on a évolué et affiné nos
connaissances. On sait que tout n’est
pas résolvable par un algorithme. Tout
n’est pas quantifiable ou numérisable
dans notre monde. Non, l’IA, ce n’est
pas de la science-fiction ; c’est votre
imagination qui la raccroche à la
science-fiction, à cette idée que la
spécialiste de l’IA. machine nous parle au même niveau
qu’un humain. Comme les machines
parlent aujourd’hui de mieux en mieux,
beaucoup pensent qu’elles ont une conscience,
voire des affects, à l’image des robots qui se
substituent aux amoureux absents. C’est très
dangereux pour les personnes vulnérables.
Beaucoup de gens sont dépassés, « lost in
translation » ; c’est pourquoi il faut arrêter
avec les fantasmes ; il faut aborder l’IA de
manière plus scientifique, il faut en parler
à l’école, faire des expériences, s’approprier
les outils, les questionner, apprendre à
comprendre comment ils fonctionnent.
L’ÉCOLE A-T-ELLE UN RÔLE EN LA MATIÈRE ?
Un rôle essentiel à mon avis. Car l’IA doit
stimuler notre libre arbitre, nous pousser à être
un peu moins mouton. À l’école, on peut inciter
les enfants à dépasser la tentation du plagiat
en les invitant à réfléchir aux concepts, à
déconstruire des idées. Les profs sont inquiets
car cela remet en cause leurs habitudes. Comme
d’autres professions, tels les scénaristes ou les
PHOTO ADRIEN THIBAULT
traducteurs, alors que la machine n’a pas
beaucoup d’imagination et qu’elle ne traduit pas
bien. Si on confie trop de tâches à ces systèmes
d’IA, on va perdre en intelligence collective,
car la machine standardise plein de choses
dont on ne se rend pas forcément compte.

VOUS DÉFENDEZ DEPUIS LONGTEMPS LA NÉCESSITÉ DE
POSER ET DE DISCUTER PUBLIQUEMENT LES ENJEUX ÉTHIQUES
DE L’IA. POURQUOI ?
L’éthique est selon moi un outil permettant de réfléchir à
ce que l’on fait. Car comment faire pour contrôler ce que les IA
génératives nous apportent ? L’ambition d’OpenAI en lançant
ChatGPT s’inscrit dans une vision fiction de créer une « intelligence
artificielle générale » (AGI) comparable, ou même supérieure,
à l’intelligence humaine. L’autre ambition, plus terre à terre,
était d’améliorer l’apprentissage du système en capturant nos
données. ChatGPT ne répond pas toujours
à nos questions, en expliquant que le
sujet n’est pas éthique. Sans contrôle
indépendant de ce type de propos « non
“Il faut enseigner
politiquement corrects », l’entreprise
pourrait être soupçonnée de censure.
à tous l’éthique
Il faut prendre conscience de ce danger de du numérique,
censure également. Potentiellement, l’IA
est un outil discriminant, manipulateur apprendre
de l’information et de nos décisions.
Je travaille aujourd’hui sur le nudge,
à manipuler
c’est-à-dire tout ce qui peut modifier
nos comportements sous la forme
ses concepts”
d’incitations discrètes. Et je mesure en
quoi les émotions sont facilement
manipulables. C’est pourquoi le rôle de
l’école républicaine est essentiel pour apprendre à comprendre.
Il faut enseigner à tous l’éthique du numérique, apprendre à
manipuler ses concepts. Il ne s’agit pas de dire que l’IA est bien
ou mal, mais de se demander si cela peut avoir des incidences
négatives. On a pour cela besoin d’une méthodologie scientifique.
LA LOI PEUT-ELLE INTERVENIR DANS CE PROCESSUS DE VEILLE
ET DE COMPRÉHENSION DE LA PLACE DE L’IA DANS NOS VIES ?
De manière essentielle. Trois garde-fous sont
indispensables : la loi, l’éthique et les normes. Au niveau
européen, l’AI Act (Artificial Intelligence Act), mis en place par
la Commission européenne le 21 avril 2021, voté au Parlement
européen en juin 2023, se concentre sur l’identification des
applications qui présentent un risque et nécessitent une
réglementation. Trois niveaux différents de risque (inacceptable,
haut, modéré) ont été identifiés. L’AI Act propose donc d’offrir
une protection, en imposant « des obligations à certains systèmes
d’IA en raison des risques spécifiques qu’ils présentent » pour
les algorithmes qui interagissent avec des humains. Par exemple
les « techniques subliminales » manipulatrices, exploitant des
groupes vulnérables spécifiques, ou qui sont utilisées par les
pouvoirs publics à des fins d’évaluation sociale, comme en Chine.
La possibilité de détecter les émotions des salariés au travail
pourrait exister, via des logiciels de surveillance. L’enjeu de
la reconnaissance faciale dans les manifestations est aussi fort.
Il faut donc élaborer un écosystème pour rendre ces systèmes
plus transparents via des normes et des guides éthiques de
design, regarder sous le capot de la machine et ouvrir la boîte
de Pandore afin de conjurer les risques d’atteinte aux libertés
et aux droits des individus.
Madamemag
SURVEILLER CES OUTILS QUI NOUS SURVEILLENT
OU NOUS MANIPULENT, C’EST DONC UNE VOIE
OBLIGÉE POUR CONJURER LES DÉRIVES DE L’IA ?
Tout système d’IA est produit par de
multiples agents, ce n’est pas un système
« autonome » ; les données annotées viennent
des humains, les ingénieurs optimisent les
hyperparamètres des systèmes. En faisant
la cartographie morale de tout un ensemble
de systèmes d’IA, de ChatGPT à la voiture
autonome, on peut observer de
près là où les humains interviennent
pour comprendre comment cela
fonctionne. Tout ce qui passe
dans les machines est lié à un agent,
une information transmise, et
l’infosphère autour. Cela nous permet
de voir les points faibles, les failles,
de questionner l’outil ; il faut
obliger les industriels à rendre
transparente la manière
dont fonctionnent les machines.
MAIS VOTRE SOUCI DE LA
RÉGULATION NE VIENT-IL PAS TROP
TARD, LORSQU’ON OBSERVE LES
PROGRÈS RAPIDES DES MACHINES ?
C’est le moment de le faire. Il y a une
guerre autour de la mainmise sur l’information.
Une guerre idéologique, pas qu’économique.
Entre le modèle chinois d’hypercontrôle,
le modèle américain aspiré par le modèle
transhumaniste, le modèle européen doit
s’affirmer. En entremêlant la recherche,
l’innovation et la régulation. L’Union
européenne a beaucoup à gagner en élaborant
un cadre pour l’utilisation de l’IA, qui soit associé
à la confiance et au respect des droits humains
et de l’État de droit. Et au-delà même de
l’Europe, il faut imaginer un Giec de l’IA,
un outil de régulation et d’information
mondial ; en Europe, on est les premiers
à défendre cette voie. Il faut y aller, on
ne peut plus se permettre d’attendre.
QUEL EST L’ENJEU PRINCIPAL POSÉ PAR
L’ACCÉLÉRATION DE L’IA DANS LES ANNÉES À VENIR ?
Les émotions. La manière dont les
machines peuvent nous manipuler ou nous
isoler par leur présence pseudo-affective. ●
Professeure à Sorbonne Université, spécialiste des
interactions humain-machine et de l’informatique émotionnelle
au CNRS, Laurence Devillers est aussi membre du Comité national
pilote d’éthique du numérique et a notamment publié : « Les Robots
“émotionnels”. Santé, surveillance, sexualité... : et l’éthique
dans tout ça ? » (Éditions de l’Observatoire) et « Des Robots et
des hommes. Mythes, fantasmes et réalité » (Éditions Plon).
●113
Madameculture
Un SAUT
À travers ses diptyques aux
allures d’avant/après tirés
de sa série Back to the Future,
la photographe Irina
Werning illustre plus que
jamais le temps qui passe.
LES PHOTOS ONT LE POUVOIR
DE LAISSER UNE TRACE. Et la photographe Irina
Werning celui de leur donner une seconde vie. Back to the
Future, le titre de sa série, éditée chez teNeues, propose un
saut dans le passé. L’idée : photographier à l’identique des
protagonistes rejouant la même pose que celle d’une vieille
photo. « En marchant dans les rues de Buenos Aires, un ami
m’a montré l’endroit où sa mère avait été photographiée
pour son mariage. J’adorais cette photo ! Et aussitôt, j’ai
voulu ramener sa mère pour la refaire », raconte l’artiste
argentine. Diplômée d’un master en journalisme à Londres
après des études d’histoire et d’économie, elle a initié cette
série en 2010 avec, comme elle le définit, « l’obsession
du temps qui passe ».
Si Irina Werning n’a jamais refait cette photo qui fut le point
de départ de son projet, elle a en revanche réalisé, en six
ans, 500 images dans 47 pays différents. Pour chaque
reproduction, sa manière de procéder était simple : fouiller
dans les albums de famille jusqu’à trouver la photo idéale.
En publiant les premiers diptyques sur son site, elle reçut
beaucoup de propositions, signala alors ses voyages à venir
et organisa ses visites dans le monde entier. « Je passais
des heures avec les gens dans leur maison à regarder leurs
vieilles photos. Il fallait en choisir une qui soit importante
pour eux et qui devait aussi représenter l’histoire, la culture
ou la sociologie du pays. » Chaque photo nécessitait ensuite
un travail d’orfèvre pour obtenir un résultat aux allures
de copier-coller déroutant. « J’essayais de trouver
un maximum de choses similaires ou je les fabriquais
moi-même : la lumière, les habits, les postures, le fond…
PAR CHARLOTTE LARROCHE / PHOTOS IRINA WERNING
114●
La seule chose qui changeait, c’était le temps qui était passé
par là », reconnaît-elle avec un doux sourire suivi d’un
silence. Au final, les gens, changent-ils ? « Pas vraiment,
reprend-elle. De même qu’aujourd’hui, je pense avoir,
à 47 ans, la même fantaisie qu’à 20 ans. C’est la même chose
pour ceux que je photographie. Il y a quelque chose
d’éternel en eux, comme une essence d’eux-mêmes. »
Parmi les nombreuses personnes photographiées, elle
garde un souvenir ému de deux sœurs jumelles dont l’une
avait, entre les deux images, perdu un bras et une jambe.
« Sur la photo qu’on a choisi ensemble de refaire, elle
sautait avec sa sœur. La recréer fut un moment très fort. »
À sa façon, Irina assure une transmission entre nostalgie
et réalité avec l’objectif d’éviter la disparition des souvenirs
imprimés. « Quand les gens viennent chez vous, vous
ressortez les albums… Mais avec l’ère du digital, que va-t-il
en advenir ? Combien de générations vont les garder ? Peut-
être une, et ensuite, que va-t-il se passer ? J’ai peur qu’ils
disparaissent ! » Depuis quelques années, la photographe
travaille sur le projet Dear Long Hair, dédié aux femmes
aux cheveux très longs en Amérique du Sud. « Après de
nombreuses recherches anthropologiques et après avoir
échangé avec des générations de femmes plus âgées,
ces dernières m’ont expliqué que leurs cheveux étaient
l’extension de leurs idées et une connexion à leurs terres. »
Pour cette série, la photographe aborde des Argentines
anonymes et leur demande de poser dos à la caméra, dans
leur environnement naturel. « Hélas, chaque fois que j’y
retourne, il y a de moins en moins de filles avec les cheveux
longs à cause de la mondialisation et de l’urbanisation,
de l’uniformisation…, regrette Irina Werning. C’est pour
cela que je continue à les photographier. » ●
irinawerning.com
dans
 Madameculture

Gareth, 1990-2012,
New York.

LE PASSÉ ●115
Madameculture

Damian et Athis,
1992-2012,
Disneyland Paris.

Ran, 1988-2012,
Tel Aviv.

PHOTOS IRINA WERNING

116●
 Madameculture

Clément,
1994-2012,
Disneyland
Paris.

Chris, 1986-2012,
Lima.

Caye et Fran,
1965-2013,
Séville.

●117
Madameculture

Violeta, 1981-2011,
Buenos Aires.
PHOTOS IRINA WERNING

118●
 Madameculture

Adrien,
1983-2011, Paris.

Domenica,
1985-2012,
pyramides de
Teotihuacán,
Mexico.

●119
Madameculture

Tyson, 1985-2011,
Texas.

Rosana Marcela
et Rodrigo, 1993-2012,
Santos (Brésil).

120●
 Madameculture

Leanne, 1982-2011,
New York.
PHOTOS IRINA WERNING

●121
Madamemag

LA MAIN,

PHOTO LAURENT EDELINE, COURTESY DE L’ARTISTE

Ligne de vie (Aïcha),

2023, une œuvre
de Prune Nourry.

122●

notre deuxième
CERVEAU
À l’heure où
l’intelligence artificielle
menace certaines
professions, les métiers
de la main séduisent plus
que jamais. Entre savoir-
faire et savoir être, ils disent
l’élan vers un autre modèle
de vie et un autre rapport
au temps. Plein, juste.
IL Y A DES ENDROITS QUI
RALLUMENT LA LUMIÈRE. Font briller les yeux du public
qui ne s’y trompe pas et se presse, de plus en plus nombreux
et issu de tous les milieux, tous les horizons, pour venir voir,
toucher, comprendre quelque chose de la magie qui se joue là.
Ce n’est pas un hasard si le 19M, lieu pluridisciplinaire et au
carrefour des cultures pensé par la maison Chanel autour des
métiers de la main – comme le symbolise l’initiale de son nom –,
s’érige comme une cathédrale de verre gansée d’un maillage
métallique (les mailles du fameux tweed), conçu par l’architecte
Rudy Ricciotti, à l’entrée d’Aubervilliers et la frontière du Grand
Paris. L’endroit a été pensé pour rassembler onze maisons
appartenant au groupe (de Lesage à Goossens en passant par
Maison Michel ou Massaro), soit six cents artisans. Mais aussi,
pour faire découvrir la culture du geste, en faire valoir l’étendue,
la maîtrise, l’excellence ou la précision, aux yeux de tous.
Ce jour-là, le grand hall baigné de lumière est en ébullition.
Des ateliers s’organisent sur de grandes tables en bois, autour
PAR MORGANE MIEL
Madamemag
du travail de la créatrice de mode
mexicaine Carla Fernández, présente
en personne. Ceux qui le souhaitent
peuvent également apprendre à sculpter
un masque en bois avec Felipe Orta, artisan
issu d’une tribu mexicaine au savoir-faire
séculaire, et qui se décrit lui-même comme un
« tailleur d’ébène ». Un peu plus loin, le public,
médusé et varié – tous les âges, tous les styles
sont là –, découvre les tissages végétaux de la
créatrice, ses habits de pluie en écorce d’arbre
ou en feuilles de palmier déperlantes, coiffées
de chapeaux en grappes de poivre.
Appréhender la matière. L’expression prend
ici tout son sens. Elle explose même aux yeux
des collégiens, lycéens, venus de tout le
territoire, y compris des zones les moins
favorisées, et qui selon les semaines
apprennent à fabriquer des pampilles, ou se
laissent happer par une bande-son inédite
– le bruit métallique des crochets et des
ciseaux qui rompent le silence de l’atelier dans
un temps suspendu. Brodeur ? « Je ne savais
pas que c’était un métier », tranche l’un d’eux,
qui déposera sûrement sur place, comme
nombre de ses camarades, une demande de
stage avant de repartir. « En deux saisons, et
40 000 visiteurs, ces ateliers sont devenus une
vraie programmatique », explique Camille
Hutin, directrice générale de la galerie. Leur
objectif : susciter des vocations. À quelques
mètres, se prépare un autre atelier pensé cette
fois avec le photographe JR : chacun pourra
venir ici imprimer sa main sur tissu, puis
apprendre à en broder l’empreinte de perles et
de pierres, avec l’aide de brodeurs locaux aux
spécialités différentes – point de Fès, crochet…
●123
Madamemag
Chaque œuvre ainsi travaillée sera digitalisée puis appliquée
sur une immense bâche caverne, renouant ainsi avec la tradition
préhistorique, pour recouvrir, dès novembre, la façade
de l’Opéra Garnier, à Paris, actuellement en travaux.
Un autre MODÈLE
Laisser sa trace pour s’inscrire dans le temps. Dire la place
dans l’art de celui qui fait. Rappeler que toute création passe
aussi par le geste… Longtemps méprisés, dans un monde obsédé
par la course au tertiaire, les métiers de la main retrouvent,
depuis deux ou trois ans, leurs couleurs et leur noblesse…
à une époque où, pourtant, explosent l’intelligence artificielle (IA)
et les métiers de la tech, de la robotique, censés les remplacer
un jour. Une sorte de mouvement en ciseaux, en quelque sorte,
que les maisons de luxe sont les premières à constater, et qui
s’explique par la conjonction de plusieurs facteurs. Les résultats
du secteur, d’abord, en forte croissance, qui coïncident avec
le départ à la retraite d’une génération entière d’artisans. Face
au défi de renforcer ces métiers en tension, au risque de voir
disparaître avec eux des savoir-faire ancestraux, le secteur du
luxe a dû réagir, anticiper, imaginer comment redorer l’image
de ces grands corps oubliés du public, et qui, dans les milieux
favorisés comme dans les plus populaires, ne représentaient
plus pour personne un vecteur d’ascension sociale.
Le Covid – son coup d’arrêt brutal, son miroir tendu sur notre
fragilité… – a joué le rôle de caisse de résonance. D’un coup,
a émergé l’envie, jusqu’ici tue ou enfouie, d’un autre modèle
de travail, de vie. « La pandémie a clairement révélé dans toutes
les couches de la population un besoin de sens et d’une
temporalité différente, face à un monde de plus en plus digital,
ultraconnecté et trop rapide, confirme Loïc Turpin, directeur
du développement du Mobilier national. Chez nous, rien n’est
compatible avec le “vite fait” : le “temps juste”, celui de la
réalisation, s’oppose à la précipitation générale actuelle. »
Selon lui, ce n’est pas un hasard si les filières des métiers d’art
attirent plus que jamais les reconversions – elles représentent
aujourd’hui en moyenne 80 % des apprentissages. « Il y a une
recherche de savoir-faire authentique, concret, à forte
implantation locale, comme en réponse au virage de l’abstraction
et de la globalisation, poussées à outrance », poursuit Loïc Turpin.
L’ORIGINE des choses
« Reprendre pied », « ancrer son existence »… Les
métaphores qui lient la main au sol disent bien ce besoin d’une
nouvelle boussole, face à la folie du monde. Avec pour axes
cardinaux, l’ici et maintenant. Il suffit de regarder la carte
qu’exhibe, ce matin-là dans son bureau, Bénédicte Epinay,
déléguée générale du Comité Colbert, pour le comprendre :
« On a oublié que les savoir-faire s’inscrivent profondément dans
les régions, souligne-t-elle. Autour de Nantes, Angers et Cholet,
s’étend le grand bassin de la mode. Autour de Lyon, celui de la
joaillerie et des soieries. De l’Eure jusqu’au nord de la France,
se trouve la fameuse glass valley, d’où sort 70 % de la production
mondiale de flacons de parfums. » Cette implantation dans
les territoires, berceaux d’emplois à protéger, explique aussi la
124●
récente directive gouvernementale de mai 2023,
portée par Rima Abdul-Malak, ministre de la
Culture, et Olivia Grégoire, ministre déléguée
chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du
Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme. Un
plan stratégique et national doté d’une aide de
340 millions d’euros sur deux ans pour
revaloriser les métiers d’art. Ces derniers
représentent en effet, rappelle le texte, 60 000
entreprises (dont 80 % individuelles) et un
chiffre d’affaires annuel de 19 milliards d’euros…
« Au-delà de leur importance économique,
les métiers de la main, par leur implantation
locale et le rôle qu’y joue la transmission,
nous permettent de nous réinscrire dans un fil
narratif, un cycle, une proximité, ajoute Marc
Bayard, historien d’art et essayiste, auteur de
Slow Time (Éditions Les Influences, 2022). Ils nous
disent d’où viennent les choses, nous replacent
en maillon de la chaîne, par le retour au récit, et
ce retour est profondément civilisationnel. »
Olivier Fournier, directeur général en charge de
la gouvernance et du développement des
organisations d’Hermès et président de sa
fondation d’entreprise, le résume avec ses mots :
« Leur attrait actuel est le reflet d’une forte
recherche d’humanité, dans un monde qui se
déshumanise. Ils permettent une forme de
“réenchantement” à travers l’objet, sa beauté.
Nourrissent en nous la fierté d’avoir réalisé
quelque chose par nous-même, mais aussi avec
les autres. Quand nous visitons un atelier, nous
nous rendons compte tout de suite, de par la
disposition en ilot de quatre établis – un artisan
aguerri accompagne trois plus débutants –, que
nous avons besoin de nous entraider pour
avancer. Or être aidé, c’est être humain. »
JE DOUTE donc je suis
Est-ce précisément là ce que l’IA ne
réussit pas (encore) à répliquer, cette capacité
de résoudre des équations uniques, toujours
à plusieurs ? « Je peux juste vous dire que chez
Hermès, nous n’avons jamais réussi à
automatiser, par exemple, la vision pour le
contrôle qualité du twill de soie, poursuit
Olivier Fournier. La machine passe à côté de ce
que nos artisans voient, sentent avec leurs
mains. Souvent quand l’homme se trompe, cela
donne des résultats incroyables. C’est même
parfois le début d’un chef-d’œuvre. La
machine, elle, ne se trompe pas, et c’est peut-
être là sa plus grande limite. »
« L’intelligence de la main, c’est le doute,
fondement cartésien de notre pensée, tranche
 Madamemag

Alexandre Boquel, directeur des métiers d’excellence chez De son côté, la marque spécialiste du cuir forme
LVMH. C’est la capacité d’un artisan à remettre en question la ses artisans au sein de son propre CFA, l’École
tonalité d’une couleur, le choix de coupe d’une peau. Il y a une Hermès des savoir-faire, habilitée à délivrer un
chose que ChatGPT n’aura jamais, c’est cette intuition, ce CAP de maroquinerie reconnu par l’Éducation
ressenti, ce sens esthétique qui est de l’ordre du sentiment et qui nationale. « Nous sommes en train d’élargir
passe par l’innervation. L’artisan, lui, est face à une recette qui ne ces formations diplômantes aux métiers de
doit pas forcément être répétée : il vient répondre à une demande coupeurs et de piquage, avec l’ambition d’aller
unique, anticipe ce qui va plaire demain, les questions qui ne se jusqu’au bac pro. » Formés, évalués par plus de
posent pas encore. » Il est aussi celui qui transmet un savoir- cent artisans Hermès, les apprentis (à 80 % des
faire, des objets durables, qui auront une vie longue. Par lui femmes) sont regroupés sur des sites locaux,
passera une nouvelle façon de faire, plus économe des ressources, eux-mêmes orchestrés en pôles régionaux.
une écologie de fondation et de « Quand un site de formation
réparation. « Nous allons avoir besoin s’implante dans un village, souligne
de lui, de tout son talent, pour faire Olivier Fournier, ce sont des classes
accepter, comme l’avance Bénédicte “L’intelligence qui rouvrent, des commerces
Epinay, que le beau n’est pas forcément
neuf, ni sans aspérités. » de la main, qui se développent, l’immobilier
qui repart. Ces projets sont

PENSER demain c’est le doute, profondément transformateurs. »

Susciter des vocations, proposer un
autre modèle de réussite, ouvrir l’horizon
fondement
de ceux qui se sentaient bloqués est une cartésien de
démarche qui peut changer des vies. Et
qui nous tend en miroir cette question : notre pensée”
qui veut-on devenir, individuellement
directeur des métiers d’excellence chez LVMH
et collectivement ? Comment faire société
autrement ? C’est ce qui ressort des
incroyables programmes conçus par les
grandes maisons de luxe, qui travaillent
d’arrache-pied à la revalorisation des métiers de la main. Chez
LVMH, plusieurs grandes initiatives permettent ainsi aux jeunes
de les découvrir, dont Excellent !, un programme de
sensibilisation et d’orientation organisé à l’origine dans des
collèges de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil, en Seine-Saint-
Denis, et qui s’étend désormais à toute la France. Le groupe
organise aussi des tournées annuelles en France et en Italie, c’est
le programme You and ME, une sorte de salon d’orientation et
de recrutement qui vient exposer les métiers d’excellence dans
les villes stratégiques proches des bassins d’emploi du groupe.
Depuis 2014, I’Institut des métiers d’excellence a formé plus de
2 000 apprentis, à raison de plus de quatre cents par an à l’heure
actuelle, à travers sept pays. Le programme Virtuoses, enfin,
met en avant des rôles modèles,maroquiniers, sertisseurs,
vignerons, modélistes..., qui jusque-là restaient dans l’ombre.
Le magnifique programme Manufacto, initié par la Fondation
d’entreprise Hermès il y a six ans à Paris avec l’aide du rectorat,
propose à des élèves du primaire au lycée de réaliser un objet
au long de douze leçons, encadrés par un artisan de la maison
ou Compagnon du devoir, et dotés d’un kit d’outils spécialisés.
« Cela révèle les capacités de certains, jusqu’ici jugés uniquement
sur des matières abstraites et parfois en difficulté scolaire, insiste
Olivier Fournier. Un élève de 3e du collège Rouault, dans le XIXe
arrondissement de Paris, classé ZEP, m’a ainsi expliqué que son
rêve désormais était d’intégrer l’école Boulle. » Aujourd’hui, le
programme s’étend à cent treize classes, sur dix-huit académies.
Au Mobilier national, en plus
du Petit Mob, atelier d’initiation
à destination des scolaires, le pass
culture donne la possibilité aux
jeunes de visiter les ateliers
spécialisés. Et l’établissement
Alexandre Boquel, public a développé lui aussi son
propre CFA, dédié aux métiers
orphelins de la décoration,
c’est-à-dire menacés de disparition.
Le Comité Colbert, lui, a tenu à
implanter son Salon, Les de(ux)mains du luxe,
inauguré l’an dernier, au cœur de Station F, le
temple de l’innovation. « Une façon, explique
Bénédicte Epinay, de montrer à quel point
ces deux secteurs cohabitent aujourd’hui. Deux
exemples : il faut 25 % de plomb pour fabriquer
le cristal. La commission européenne
envisageant d’interdire son usage, les artisans
chimistes des grandes maisons sont en pleine
réflexion pour inventer un cristal sans plomb.
Dans un autre domaine, pour éviter la
disparition des orfèvres de table – on n’en
forme plus ou presque aujourd’hui en France –,
nous avons imaginé avec Christofle et l’École
des Mines une bibliothèque digitale où sont
enregistrés par capteurs puis reproduits en 3D
les gestes de l’artisan. » Logiciels de simulation
3D, outils de découpe au laser… C’est dans
le dialogue avec les nouvelles technologies
que s’invente l’artisanat de demain. Toute
l’intelligence de la main consiste à intégrer
et à croiser ces approches sans pour autant
perdre la qualité ni la sensibilité de la
réalisation. La preuve, s’il en fallait une,
que la plasticité neuronale n’est pas qu’une
affaire d’algorithme… ●

●125
Madamemag

Jean-Philippe Pierron
“Le geste, antidote à la folie du monde”
Dans son dernier essai, le philosophe Jean-Philippe Pierron
nous explique comment la main nous ancre dans le monde, nous relie
à nous-même, à l’autre et à la nature. Un art de l’expérience.

MADAME FIGARO. – LES MÉTIERS QUE RECOUVRE SELON VOUS

DE LA MAIN N’ONT JAMAIS AUTANT ATTIRÉ, L’EXPRESSION « INTELLIGENCE DE LA MAIN » ?
ALORS QUE SE DÉVELOPPE PARTOUT LE RECOURS La main n’est pas un cerveau. Mais
À L’IA ET À LA TECH. COMMENT ANALYSEZ-VOUS l’intelligence artificielle, via des capteurs,
CE PARADOXE ? traite et nous renvoie des informations. Elle
JEAN-PHILIPPE PIERRON. – J’observe repère ce qui est repérable, là où la main se
clairement une concomitance des deux souvient du singulier et nous renvoie à une
mouvements. Est-elle le signe d’une expérience. Elle nous dit que l’on n’est pas
compensation ? D’un besoin de toucher, un process. Que l’on est aussi construit par
lié au fait que nous vivons dans un monde l’autre, qui peut être une matière.
de plus en plus dématérialisé ? Je ne sais pas. LES ARTISANS REVENDIQUENT LE LIEN
Mais ce qui est sûr, c’est qu’avec le « tout ENTRE LE GESTE ET LE TEMPS JUSTE, NÉCESSAIRE
Jean-Philippe Pierron.
digital », toutes les expériences du monde À L’EXÉCUTION ET GARANT DE L’EXCELLENCE.
ne passent plus que par une seule : l’appui LA MAIN EST-ELLE DEVENUE UNE FAÇON
d’un doigt sur un écran. Ce qui nous amène à l’idée que DE RALENTIR LE TEMPS ?
le digital, c’est la main en plus pauvre. Un système uniforme Bergson distinguait bien le temps
rendu possible par la technique, qui a poussé le plus loin et la durée, dans le sens où l’expérience
possible la partition que nous jouons depuis Platon peut-être, de la durée est continue. Or, le travail du geste
et qui consiste à opposer les intellectuels et les manuels, est précisément d’investir cette continuité.
les cols blancs et les cols bleus, ceux qui auraient le corps Le travail de la main est devenu un antidote
penché sur la terre par opposition à ceux qui lèvent la tête à l’interruption permanente et à la folie
vers les idées. Ce système a abouti à une hypertrophie de la du monde parce qu’il nous aide à sortir de la
perception du monde par le regard, qui a mille vertus mais aussi cadence, du temps compté. Ce qui est en jeu
le défaut de mettre à distance le réel. Or, en phénoménologie, dans le travail manuel, c’est une expérience
on insiste beaucoup sur la double expérience de la main, du rythme, collectif ou individuel. Quand
ce double mouvement qui consiste, quand on touche, ce qui nous fait souffrir au travail notamment
à réduire la distance qui nous sépare du monde, et à être à notre est qu’on est sans cesse rattrapé par l’obsession
tour touchés par lui. On sort du panorama cérébral pour entrer du compteur, du métronome.
dans l’événement sensoriel, tactile. RETROUVER CE SENS DU TEMPS LONG, C’EST
EST-CE CE QUE VOUS VOULEZ DIRE QUAND VOUS ÉCRIVEZ : AUSSI, ÉCRIVEZ-VOUS, PRENDRE SOIN DE LA TERRE.
« LA MAIN NOUS RAPPROCHE DU VIVANT » ? REPENSER NOTRE MANIÈRE DE L’HABITER ?
Absolument. Depuis que les hommes existent, Ce qu’on appelle crise écologique,
ils s’étonnent d’avoir des mains et des bras. je l’appelle moi, crise de la sensibilité.
Les premières phrases sont des empreintes de On ne sent plus, mais on fait quand même.
mains… De l’Homo habilis jusqu’à l’homme Sans vraiment mesurer les conséquences
moderne, on insiste sur la condition première de nos actes, puisqu’ils ne sont pas palpables
de cette extrémité à toute activité technique. – et dans palpable, on retrouve la pulpe de la
PHOTOS JULIEN CLAUDEL ET S. P.

Mais elle est d’abord une expérience de main. La main nous proportionne au monde.
la relation. Avant d’exercer son emprise, Elle nous ramène à la grande question de
elle est une prise – avec une forte dimension l’écologie, et peut-être de l’homme moderne :
sensorielle, largement explorée par où retrouver de la proportion ? ●
les neurosciences. Elle dit notre capacité
à aller au monde en s’y risquant. C’est cette Éloge de la main, de Jean-Philippe Pierron,
dimension-là qui nous rend vivants. Éditions Arkhê Sursauts, mai 2023.

126●
 Amélie du Chalard Asmaa Chakir Alaoui Aude Guo Audrey Laure Bergenthal Aurélie Boutboul Camille Le Gal

Coline Bertrand
Carole Juge-Llewellyn Julie Davico-Pahin Charlotte Cadé Charlotte de Fayet Clothilde Chalot et Mahault de Guibert

Géraldine Le Duc Isabelle Dubern Julie Chapon Caroline Ramade

DÉJÀ PLUS DE
1 000 FEMMES
Lucie Basch Lucile Battail Maëlle Chassard Marie Blaise

ENTREPRENEURES
ONT CANDIDATÉ
ET SI
Marine
Van Schoonbeek Maryne Cotty-Eslous

C’ÉTAIT VOUS ?
Marie Eloy Pauline d’Orgeval

Candidatez
Crédits Portraits : ©Jean Picon−Say Who - ©Gregory Chris - ©Michael Huard -
jusqu’au
©Sébastien Soriano ©La Rosée ©The Invisible Collection ©Michael Huard−Say Who -
©Jean-Christophe Marmara ©Stephane Grangier - ©Alexandre Isard−Say Who 20 octobre 2023

●127
Madamemag

128●

Andie
MacDowell
L’actrice, égérie L’Oréal Paris
depuis près de quarante ans,
choisit d’assumer son âge.
Chevelure poivre et sel
et grâce inaltérée, elle
nous livre sa conception
optimiste du féminisme.
LE TEMPS N’A PAS DE PRISE
SUR ELLE. Elle en a décidé ainsi, envers et contre tous.
Il y a trois ans, pendant le Covid, Andie MacDowell fait un
choix a priori anodin : elle abandonne les colorations et
laisse sa chevelure retrouver son gris naturel. Elle y pensait
depuis longtemps mais son agent le lui avait déconseillé.
À Hollywood, l’âgisme domine, les conséquences
potentielles sur sa carrière sont réelles. Un « poivre et sel »
peut cristalliser une intolérance rampante. Harrison Ford
est applaudi quand il assume ses rides et ses rhumatismes
pour jouer un aventurier à lasso octogénaire, mais pour ses
consœurs, même plus jeunes, le gris conduit souvent au
placard. L’actrice culte de Quatre Mariages et un enterrement
ne supporte plus cette inégalité et l’hypocrisie dans
laquelle on la contraint : elle a plus de 60 ans et compte
PHOTO CHARLOTTE NAVIO POUR L’ORÉAL PARIS
embrasser cette réalité. Quand nous la rencontrons
au Festival de Cannes pour évoquer ses années L’Oréal
Paris, c’est une femme bien dans sa vie, son corps
La superbe PAR MARILYNE LETERTRE
Madamemag
et son âge qui s’avance. Son éclat est incomparable,
enviable, assorti à son énergie, son intelligence, sa liberté.
« J’ai été jeune, je ne veux plus l’être ! Être une personne
plus âgée qui essaie d’être jeune, c’est trop d’efforts.
Je travaille déjà assez dur pour garder la ligne, prendre soin
de mon corps, nourrir ma peau, faire travailler mon cerveau.
Que puis-je faire d’autre ? Je ne peux pas continuer
la mascarade », déclare-t-elle ainsi, en mars dernier, au
micro de la célèbre journaliste américaine Katie Couric.
Quand, en 2021, elle dévoile son nouveau look sur le tapis
rouge de Cannes, il est commenté partout. L’actrice
américaine craint de s’être trompée mais tient bon. Elle est
déterminée, résiliente (le fruit d’une enfance avec une
mère dépendante), et ses trois enfants, Justin, Rainey et
Margaret Qualley, admirent son côté « badass », affranchie.
L’Oréal Paris, dont elle est ambassadrice depuis près
de quatre décennies, la soutient aussi sans réserve.
Mais quid des rôles ? Sa carrière pourrait-elle souffrir ?
Incontournable dans les années 1980 et 1990 grâce à des
comédies mythiques (Green Card, Un jour sans fin…), des
collaborations avec de grands auteurs (Wim Wenders,
Robert Altman…) et une Palme d’or iconique (Sexe, mensonges
et vidéo, de Steven Soderbergh), la comédienne passe
en effet au second plan à l’orée de la quarantaine.
Elle ne perd rien de son talent ni de sa superbe, mais
la révolution MeToo n’a pas encore eu lieu et les histoires
de quadra n’intéressent pas les décideurs. Ses films tournés
dans les années 2000 et 2010 ne marquent pas les esprits.
Après la pandémie, en s’affranchissant des codes
esthétiques en vigueur à Hollywood, elle joue son va-
tout et gagne son pari. Son audace la distingue, la rend
à nouveau désirable. À 63 ans, elle joue ainsi la mère
excentrique de l’héroïne dans la série Netflix, Maid,
portée par sa fille Margaret. Deux ans plus tard, c’est
●129
Madamemag
dans The Way Home, inédite en France mais renouvelée
pour une saison 2 par Hallmark, qu’elle s’épanouit.
Grâce à un voyage dans le temps qui pimente cette histoire
de femmes et de famille, elle incarne son personnage
à 60 ans et à 40 ans, perruque à l’appui.
MADAME FIGARO. – VOUS REPRÉSENTEZ L’ORÉAL
PARIS DEPUIS PRÈS DE QUARANTE ANS. QUE SIGNIFIE
CETTE LONGÉVITÉ POUR VOUS ?
ANDIE MACDOWELL. – Une chance. Je suis entrée dans
cette belle maison quand j’avais 27 ans, et je suis leur
ambassadrice la plus ancienne. J’ai été le visage de L’Oréal
Paris pendant plus de la moitié de ma vie et, en trente-
huit ans, ils m’ont vue devenir maman de trois enfants et ils
ont vu mes cheveux blanchir. À ce propos, nous avons vécu
ensemble l’évolution des mentalités. Je me souviens de ma
première publicité pour un produit servant à couvrir les
cheveux blancs. J’avais alors 40 ans et je me trouvais trop
jeune pour incarner cette idée. J’en plaisantais beaucoup
d’ailleurs et j’ai fini par leur demander de modifier l’approche
pour qu’elle soit plus légère, en phase avec le sujet et mon
état d’esprit. Aujourd’hui, j’ai 65 ans, mes cheveux sont
presque blancs, et je suis fière de représenter des femmes
qui assument les changements liés au temps qui passe.
IL PEUT POURTANT ÊTRE DIFFICILE POUR LES FEMMES
DE S’AUTORISER À ACCEPTER LEUR ÂGE…
J’ai deux sœurs aînées qui se colorent les cheveux
et le feront jusqu’à leur mort. Mais d’autres femmes, moi
y compris, veulent pouvoir être considérées comme jolies
et sexy en restant naturelles. Je suis reconnaissante envers
L’Oréal Paris qui me suit dans cette démarche. Peut-être
ce choix semble-t-il anecdotique, voire superficiel, mais
il raconte quelque chose de plus profond. Il faut s’autoriser
à être la femme que l’on a envie d’être, avoir le droit
d’assumer son âge, au même titre que les hommes.
POURQUOI VOTRE CHEVELURE NATURELLE A-T-ELLE
SUSCITÉ UNE TELLE ATTENTION ?
Je ne sais pas mais j’en suis ravie ! Je ne l’avais
évidemment pas anticipé, j’ignorais ce que penseraient ou
diraient les gens, et j’ai été soulagée de constater qu’on ne
se moquait pas de moi, que les commentaires n’étaient ni
cruels ni négatifs, que la plupart des gens me remerciaient
d’assumer. Cependant, cela fait maintenant deux ans
que j’ai abandonné les colorations et je constate que c’est
encore un sujet, quelque chose que l’on relève. J’aimerais
que cela se banalise et ne prête aux commentaires
d’aucune sorte, pour moi comme pour les autres.
UN CHOIX ESTHÉTIQUE PEUT-IL ÊTRE POLITIQUE ?
Oui. On ne remet pas en question le poivre et sel
de Hugh Grant ou George Clooney. Il est important de
se demander pourquoi. Pourquoi attendons-nous des
femmes qu’elles ne vieillissent pas ? Pourquoi a contrario
l’âge est-il glorifié pour les hommes ? C’est le fruit d’une
construction sociale et psychologique. C’est d’ailleurs
tellement ancré en nous que les femmes ne sont parfois
pas tendres entre elles, alors qu’elles trouvent que les
130●
hommes gagnent en charme avec l’âge. Nous avons
été nourries d’images de jeunesse éternelle que nous
avons fini par accepter sans nous révolter. Mais les choses
sont heureusement en train d’évoluer.
EST-CE UN SOULAGEMENT ?
Bien sûr. Aujourd’hui, je me sens plus puissante.
Je suis soulagée de ne pas avoir à faire semblant d’être
une autre. La force, la dignité, la beauté ne doivent
pas être l’apanage des hommes. Moi aussi je me sens
confiante, bien dans ma peau.
PEUT-ON VRAIMENT ACCEPTER LE TEMPS
QUI PASSE QUAND ON ÉVOLUE DANS UN MÉTIER OÙ L’IMAGE
ET LA JEUNESSE DOMINENT ?
Pour répondre aux standards, certains ont
évidemment essayé de me faire entendre que ce n’était
quand même pas compliqué de colorer mes cheveux…
Mais savez-vous combien de temps cela me prend cette
crinière ? Et, si le rôle le nécessite, je peux très bien porter
une perruque. Nicole Kidman le fait tout le temps.
Enchaîner les couleurs m’a bousillé les cheveux : ils ont
mis trois ans à repousser. Et puis, j’ai le sentiment qu’on
m’apprécie plus aujourd’hui. À une certaine époque,
ils ne savaient pas quoi faire de moi, à cause de cette idée
préconçue des femmes qui flétrissent en vieillissant.
Quand un homme atteint la quarantaine, on lui adjoint une
comédienne plus jeune et on perpétue de fait cette idée de
superbe qui s’accroîtrait avec la maturité. Pour les actrices,
à Hollywood, c’est une tout autre affaire. Si vous êtes très
puissante, tout passe, mais pour la grande majorité dont je
fais partie, c’est une lutte. Il a fallu que j’attende mes 60 ans
pour avoir à nouveau accès à des personnages intéressants.
COMMENT L’AVEZ-VOUS VÉCU ?
Difficilement à 40 et 50 ans. Mais pas seulement d’un
point de vue professionnel. Il était difficile de m’accepter
car la société ne cessait de me dire que j’étais périmée, que
je ne valais plus rien, que mon pouvoir de séduction était
un lointain souvenir. Un jour, une journaliste m’a demandé
ce que cela faisait de ne plus être belle… Elle était plus jeune
et s’était construite avec des stéréotypes qu’elle véhiculait
à son tour, sans même s’en rendre compte. Le cinéma
a notamment beaucoup contribué à transmettre ces images
dévalorisantes, à mal nous éduquer.
PENSEZ-VOUS QUE CE PLAFOND DE VERRE PERSISTE ?
Il se fissure, assez largement à certains endroits,
PAR VAL GARLAND, COIFFURE STÉPHANE LANCIEN
PHOTO BOBY/GETTY. MAQUILLAGE L’ORÉAL PARIS
mais il n’est pas encore brisé. Je reste optimiste, mais
les femmes doivent rester soudées. Elles doivent
comprendre, échanger, se soutenir et ne surtout pas
se juger les unes les autres, quels que soient leurs choix.
VOTRE FILLE MARGARET QUALLEY EST ACTRICE.
EN RAISON DE TOUTES CES INJONCTIONS, AVEZ-VOUS
D’ABORD CRAINT QU’ELLE EMBRASSE CE MÉTIER ?
Je ne m’inquiète ni pour elle ni pour sa sœur Rainey,
qui est aussi actrice. Margaret est très intelligente, très
ancrée et fait des choix de films bien plus courageux que
ceux que j’ai pu faire. J’ai essayé de bien faire les choses
 Madamemag

avec mes filles : je les ai encouragées

à assumer qui elles sont, je leur ai appris
qu’elles pouvaient tout faire, que personne ne
devait choisir à leur place, et qu’elles devaient
identifier les cinéastes dont l’univers leur
correspondrait. Peut-être n’auront-elles
jamais l’opportunité de travailler avec eux,
mais connaître leur travail est un atout,
une façon de savoir quelle direction prendre.
Et, aujourd’hui, Margaret connaît bien plus
de choses que moi sur le cinéma.
QUEL CONSEIL DONNERIEZ-VOUS
À UNE ACTRICE DÉBUTANTE ?
Celui que j’ai donné à mes filles.
Si vous voulez faire du cinéma, imprégnez-
vous, regardez des films, construisez votre
pensée critique. Être actrice, ce n’est pas
uniquement savoir jouer devant une caméra.
C’est aussi être capable d’échanger avec
les autres, d’analyser, de trouver sa propre
voie.Il ne faut surtout pas chercher à imiter.
IL EST QUESTION DE VOYAGE DANS LE TEMPS
DANS VOTRE SÉRIE THE WAY HOME. QUELLE PARTIE
DE VOTRE CARRIÈRE AIMEREZ-VOUS REVISITER ?
Je ne revisiterais pas ma vie d’actrice
mais de mère. J’aimerais revivre ces moments
précieux où je tenais mes filles dans mes bras.
Ma carrière a été une richesse, mais mes enfants
sont ma vie. Je ne me retourne pas souvent sur
mes choix d’actrice, même s’il m’arrive de me
dire que j’aurais aimé être plus courageuse,
moins réservée. J’ai donné à mes enfants une
éducation plus libérale et ouverte sur le monde
que celle que j’ai reçue. À 20 ans, alors que je
venais d’emménager à Paris, Helmut Newton
a voulu me photographier, mais il fallait poser
nue. Pour moi, alors, le nu n’était associé qu’à
Playboy. C’était vulgaire. Je ne connaissais
rien à l’art, manquais de culture, et j’ai refusé.
Il a essayé de me persuader, m’a dit que je

“Aujourd’hui, regretterai… et il avait raison. Grandir dans

une maison où l’art n’avait pas sa place m’a
je me sens fait passer à côté d’une grande opportunité.
C’est aussi pour ça que je pousse mes filles à être curieuses.
plus puissante. QUI ÉTAIENT VOS MODÈLES À VOS DÉBUTS ?
Je n’en avais pas. J’ai grandi dans une petite ville de
La force, la dignité, Caroline du Sud, dans un milieu qui n’avait rien à voir avec
l’univers qui est le mien aujourd’hui. Je suis partie de zéro
la beauté ne doivent mais, peu à peu, j’ai pris la situation en main, tracé ma
route. Quand j’ai commencé à travailler, j’ai été assez
pas être l’apanage maligne pour être attentive. Je m’imprégnais de chaque

des hommes” cinéaste et partenaire avec qui je collaborais. Ils ont été
d’excellents professeurs et je continue d’apprendre à leur
contact. Si vous saviez d’où je viens, vous comprendriez
le chemin parcouru. Je suis vraiment une miraculée ! ●

●131
Madamebeauté

LE
BON
Pas toujours facile de trouver
du temps pour s’occuper de soi.
Des soins express qui
ne demandent que quelques
secondes aux rituels qui offrent
de vraies parenthèses,
notre sélection top chrono.
à chacune son rythme.

TIMING
132● PAR JEANNE DRÉAN / PHOTOMONTAGES THEODORA RICHTER
Madamebeauté
7 secondes Une couleur vibrante
Dans ce soin express à masser puis à rincer,
l’extrait de cranberry antioxydant agit illico pour
préserver la couleur du ternissement et des faux
reflets. L’éclat reste au rendez-vous !
Soin Réparation Express 7sec Gliss Color Perfector, Schwarzkopf.
30 secondes Un sourire à la carte
Rouge 2.55, Rouge Beige ou Rouge Roman ?
Plus besoin de choisir car une demi-minute est suffisante
pour glisser une nouvelle couleur de bâton de rouge
à lèvres à l’intérieur de cet écrin de verre métal chic
et technologique.
Le Rouge, Chanel (370 € le coffret incluant 1 rouge à lèvres,
2 recharges, 1 gaine en cuir et 1 gaine en jersey).
134●
2 minutes L’hair de pointe
Ce sérum fluide à masser sur les longueurs des
cheveux apporte toute sa puissance réparatrice en
120 secondes, au plus profond de la fibre. Une armée
de peptides et d’acides aminés vient reconstruire
la structure moléculaire du cheveu endommagé.
PHOTOMONTAGES THEODORA RICHTER
Sérum à rincer Absolut Repair Molecular, L’Oréal Professionnel.
3 minutes La pause clean
Une peau mal nettoyée ? Elle se venge.
Trop décapée ? Elle souffre. Utiliser des cotons à gogo ?
Pas idéal pour la planète et l’épiderme. Célia Guevara,
responsable des ateliers beauté au centre thermal
Avène a sa technique pour la purifier tout en douceur :
se démaquiller chaque soir avec un gel, un lait ou une
huile, en massant du bout des doigts, sans frotter, par
mouvements circulaires. On rince à l’eau tiède ou fraîche
avec un pad lavable, et toujours terminer par une longue
pulvérisation d’eau thermale que l’on masse également du
bout des doigts. Eh oui, l’eau d’Avène se masse.
3 minutes
Une séance de LED chez soi
Ce roll-on maniable se passe sur le visage selon une
gestuelle rapide indiquée dans un tuto en ligne. Le but :
cumuler l’action des lumières bleues et rouges avec
celles de capsules de sérum blindées d’actifs tels que la
niacinamide et l’hexapeptide. À raison de trois minutes
par jour, on observe des résultats sur le teint ainsi
que sur la fermeté globale au bout d’un mois.
Programme Repair Lightinderm, 430 € (pour l’appareil et 4 semaines
de traitement).
7 minutes Un shoot d’optimisme
La nouvelle appli Bubble Wellness créée par
Floriane Bongard, enseignante de méditation et yoga,
affiche des programmes bien pensés pour accompagner
les femmes au quotidien. « Se charger de
bonnes énergies » ne prend que sept minutes,
via une visualisation relaxante.
Appli Bubble Wellness sur iOS et Android.
cutané en se concentrant sur la fermeté. En dix minutes,
l’IA scanne votre épiderme, mesure les scores des points-
clés (fermeté, rides et pattes d’oie) pour mettre à jour
vos points forts et besoins, et proposer une prescription.
Diagnostics Skin Lift Index Lancôme, gratuit, dans tous les points de vente
Lancôme équipés d’un Skin Screen. Liste sur lancome.fr
15 minutes Haut la main
Vous pouvez réaliser une pose de vernis semi-
permanent complète en moins d’un quart d’heure, sans
bouger de chez vous. Avec le kit Green Flash de Manucurist,
il vous suffit de catalyser chaque couche de base, vernis
et top-coat sous une lampe LED pour afficher une couleur
brillante jusqu’à dix jours. Mieux : la formule clean se
retire sous papillotes de dissolvant sans altérer vos ongles.
Trousse Pro Green Flash (lampe pro + 2 couleurs), Manucurist, 188 €.
30 minutes Le glow sport
Contre les premiers signes de l’âge, le soin Le Sculpt
(Gym) de Seasonly offre une séance de stretching
à votre peau pour la détendre, la lisser et décrisper
les traits fatigués. Le glow monte illico. Sur le long terme,
Eau Dynamisante,
Clarins. Rouge Dior.

10 minutes
L’effet fraîcheur
Ce masque bleu à la texture gel est capable
de faire baisser de 4 °C la température de la
peau. Le temps d’envoyer une vague de calcium
au cœur des cellules pour relancer leurs
activités fondamentales, et de bénéficier d’un
effet immédiatement rafraîchissant et liftant.
Cryo-Flash Masque-Crème, Clarins.

10 minutes
Un diagnostic pro
L’outil d’analyse de peau high-tech
de Lancôme propose un nouveau diagnostic
pour mieux comprendre votre vieillissement

IL EST TEMPS
QUE ÇA CHANGE
SI 50 % DES FRANÇAIS affirment être attentifs
à leur bien-être mental, l’autre moitié ne le fait pas
parce qu’ils pensent avoir quelque chose de plus
important à faire (32 %), qu’ils manquent de temps
(31 %), ou encore qu’ils n’ont pas le réflexe (24 %).
Étude Ifop avec la Fondation Aésio – Les Français
et leur bien-être mental.
Madamebeauté
ces manœuvres profondes et dynamiques viennent
booster la production de collagène et d’élastine.
65 € chez Seasonly. Adresses sur seasonly.fr
45 minutes
Une séance de fitness total
Courir, c’est bien. Le faire sous des lampes infrarouges,
c’est mieux ! C’est le concept de l’infrafitness qui arrive
en France : un tapis de course dans une capsule fermée
sous vide d’air, avec infrarouges. Le but : maximiser les
résultats de votre séance en accélérant la combustion des
calories (jusqu’à 2 500 en 45 minutes). À la clé ? Une prise
de masse musculaire et une perte de cellulite, et aussi une
sensation de détente grâce à la chaleur et l’effet d’apesanteur.
Infrarun, 50 € la séance de 45 minutes chez Maison Combray,
219, rue du Faubourg-Saint-Honoré, 75008 Paris. combray.com
136●
Poudre Terracotta,
Guerlain. Émulsion
Écologique, Sisley.
Crème Nivea. Savon
Roger & Gallet.
45 minutes
Une session bondissante
Morgane Miller, cofondatrice de Jymp (contraction de
gym et de jump), l’assure : 15 minutes de corde à sauter
PHOTOMONTAGES THEODORA RICHTER. PHOTOS S. P.
équivalent à 30 minutes de running. Alors 45 ! « Offrant
une belle capacité de progression et des résultats rapides,
ce training full body travaille le cardio et sculpte la silhouette
rapidement, tout en vous donnant une grande bouffée
de bonne humeur. » Let’s jump !
Liste des salles Jymp sur jymp-rope.com
50 minutes
Un avis de chaud-froid
Toute dernière thalasso sortie de terre sur la Côte de
Granit rose, Roz Marine a imaginé un protocole qui éveille
les sens et ravive l’énergie : le Parcours Celtique. Passez
 Madamebeauté

5 minutes dans une grotte de sel rose à 40 °C, 10 minutes 1 jour Une mise en beauté de star
dans un sauna à 60 °C, puis 5 minutes dans un sauna à 80 °C. Écrin de luxe, la Maison de Beauté Carita propose une
Pour compléter l’effet détox, passez dans un hammam immersion totale dans son univers noir et blanc le temps
à 45 °C pendant 5 à 10 minutes, avant de procéder à une d’une journée de rêve. Décliné en 11 étapes, votre emploi
douche fraîche ou une friction de glace. Ensuite ? du temps est réalisé selon les besoins de votre peau et de vos
Immergez-vous 5 minutes dans « le four » puis « le cheveux, mais aussi au gré de vos envies. Le tout ponctué
gourohaut », et 2 minutes (si possible) dans « le fût », de pauses gourmandes au restaurant cosy Rosy & Maria.
les trois bains respectivement à 36 °C, 29 °C et 17 °C. Carita Day, à partir de 900 € à la Maison de Beauté Carita,
« Cette montée en température progressive du corps 11, rue du Faubourg-Saint-Honoré, 75008 Paris.
suivie d’une redescente progressive dans les bassins d’eau
de mer active le processus de vasoconstriction et optimise
la récupération sportive, le bien-être et la relaxation
de manière générale », explique Virginie Le Gargasson,
la responsable du pôle thalasso & spa. Vivifiant.
À partir de 39 € l’entrée pour l’Espace Zen, Thalasso Roz Marine,
58, boulevard Thalassa, 22700 Perros-Guirec. roz-marine-thalasso.com

1 heure Un champ
électro-magnétique régénérant
Spécialiste des hormones féminines, Charlotte
Muller a créé son propre protocole de massage potentialisé
par un tapis PEMF infrarouge qui vous relie au champ
magnétique de la terre. La promesse : la puissance de
Les légendes
son modelage profond sur la bonne fréquence vibratoire, du siècle
la chaleur des infrarouges et les ions négatifs émis par ● 1879 Savon Roger & Gallet : tout rond
les cristaux stratifiés dans le tapis assurent une relaxation et encore fabriqué au chaudron.
maximale du corps et de l’esprit. ● 1881 Poudre T.LeClerc : le teint de velours.
Massage régénérant Charlotte Muller × Higherdose, 200 € les 60 minutes. Studio ● 1911 Crème Nivea : la « mère de toutes les crèmes ».
Charlotte Muller Method, 9, rue Chaptal, 75009 Paris. charlottemulleryoga.com ● 1921 N°5, Chanel : le plus charnel des parfums abstraits.
● 1933 Crème de Huit Heures, Elizabeth Arden :
l’onguent pansement.
Parfum
N° 5, Chanel.
● 1936 Ambre Solaire : le solaire des congés payés.
Mascara ● 1947 Pâte Grise, Payot : l’adieu aux boutons.
Hypnôse, ● 1953 Rouge Dior : le premier fard haute couture.
Lancôme. ● 1956 Rénovateur Exfoliant Noir, Carita :
un gommage mythique.
● 1960 Laque Elnett, L’Oréal Paris : le coiffant red carpet.
● 1961 Beauty Cake, Shiseido :
le premier fond de teint compact.
● 1966 Shampooing à la camomille, Klorane :
l’ami des têtes blondes.
● 1972 Aromatics Elixir, Clinique : une bombe sexy.
● 1980 Émulsion Écologique, Sisley :
une formule visionnaire.
● 1982 Advanced Night Repair, Estée Lauder,
le premier sérum de l’histoire.
● 1984 Poudre Terracotta, Guerlain : l’icône bonne mine.
● 1987 Eau Dynamisante Clarins : un flot de bien-être.
● 1992 Stylo Touche Éclat, Yves Saint Laurent :
l’anti-grise mine.
● 1995 Eau Micellaire H20, Bioderma :
la star des backstages.
● 1997 Eau de Beauté, Caudalie : le pschitt peau nette.
● 1998 Huile Prodigieuse, Nuxe : la soie sur soi.
● 2004 Mascara Hypnôse, Lancôme :
le tuteur des cils. ● M. L.

●137
Madamebeauté

30 ans, 40 ans, 50 ans…

Les étapes de la vie
nous questionnent,
nous bousculent,
nous changent.
Conseils de pros
pour faire de ces
transitions un élan.

Le cap
des dizaines
D’après Laurent Huz,
thérapeute, la vie est faite
de petits et grands cycles qui
nous confrontent à des défis
pour passer à la prochaine
étape. La crise existentielle
EST-CE LE POUVOIR DES peut éclater suivant notre développement psychique.
NOMBRES ? DANS LA PSYCHÉ COLLECTIVE, « À chaque transition de vie, nous faisons face à nos peurs,
les anniversaires en chiffres ronds nous mettent âge nos limites. Selon notre maturité émotionnelle, on prendra
et image de soi sens dessus dessous. « C’est comme ouvrir des décisions qui nourriront l’énergie de la nouveauté,
PHOTOMONTAGE THEODORA RICHTER

un nouveau chapitre de vie », évoque la psychologue
clinicienne Johanna Rozenblum. Selon l’auteure de
Déconditionnez-vous ! (Éd. Le Courrier du Livre), certains
profils abordent ces grands passages avec curiosité,
confiance et optimisme. D’autres butent sur ce qui,
selon eux, aurait dû être accompli et ne l’est pas encore.
« Ce facteur de souffrance les empêche d’avancer.
Pour surmonter la tendance à se renfermer, à ruminer,
il leur faut donner du sens, trouver des réponses. »
ou qui nous maintiendront dans une forme de stagnation.
Travailler la confiance et l’estime de soi est un excellent
levier pour rester dans une dynamique de croissance. »
Autre cause de mal-être possible : les injonctions collectives,
auxquelles on est tous sensibles, et les héritages éducatifs.
Travail, mariage, maternité… « La société cultive des
normes sur ce qu’il est bien de faire ou d’être à 30, 40, 50 ans.
Et celles-ci bougent tout le temps », note aussi l’auteur
de L’Art du questionnement. En thérapie et en accompagnement

138●
PAR NADIA HAMAN-MARTY
Madamebeauté
(Éd. Interéditions). Ainsi, dans les années 1970, on avait
un enfant en moyenne vers 25 ans ; aujourd’hui, plutôt
vers 29 ans. « Certaines patientes se sentent en échec
car célibataires et sans enfant à 30 ans », pose Johanna
Rozenblum. Il est salutaire d’interroger les dogmes qui
nous enferment, nous font croire qu’on n’est pas à la
hauteur alors qu’ils ne répondent qu’au rêve d’un parent,
de la famille. Pour aborder le temps du passage autrement
que par la crise, la psychologue conseille d’oser en parler.
Et si la communication avec l’entourage est compliquée,
il ne faut pas hésiter à se tourner vers un professionnel .
« Prendre des décisions aidera certaines personnes à
passer outre les ruminations et l’accablement, les pensées
stériles qui nous acculent », complète la spécialiste.
On peut ainsi engager des projets pour avancer sur un
versant de notre vie, le temps qu’un autre se décante.
D’après la coach et formatrice Pascale de Lomas, auteure
d’Oser transformer sa vie à 30, 40 ou 50 ans ! (Éd. Eyrolles),
dans ces moments lancinants, mieux vaut plutôt…
prendre son temps ! « Le cap de la décennie déclenche
une forme d’accélération intérieure. Les questions se
bousculent. Face au sentiment d’urgence, rappelez-vous
que le temps du changement est en fait toujours plus long
qu’on ne l’imagine. » Le processus débute un, voire deux
ans avant le pic de la dizaine, et se poursuit après. Il est
mû par l’envie de s’essayer à autre chose : on se sent
différente car les expériences qu’on vit nous façonnent,
année après année. Aussi, la coach recommande de laisser
œuvrer en nous les moments de flou sans se mettre de
pression, pour laisser les choses maturer. Muer peut
s’avérer inconfortable. « Il est naturel d’avoir des coups
de blues, sans pour autant sombrer dans la dépression.
La vie n’est pas une épiphanie permanente. »
L’ÉVOLUTION permanente
En bref, il s’agit de cultiver un certain lâcher-prise,
auquel on serait malheureusement mal préparés. En
Occident, on préfère se concentrer sur le pilotage (parfois
illusoire) de nos vies plutôt que d’apprendre à accueillir
l’impermanence des choses. « Attention à certains livres
de développement personnel qui donnent l’impression que
nous pouvons tout contrôler. Le poids de la responsabilité
des choix à faire devient un stress supplémentaire, en
plus de celui d’accepter de laisser partir ce qui n’a plus
lieu d’être », souligne Pascale de Lomas. Les femmes qui
ressentent le besoin de faire le point pour faire émerger
de nouveaux rêves (ou un nouveau moi) pourront
s’engager dans une thérapie brève ou un coaching.
« L’accompagnement aide au changement mais n’est pas
indispensable pour toutes ; il peut être un cadeau pour soi-
même ; une attention que l’on se donne », relativise la
coach. Mais on peut aussi s’offrir une expérience en rupture
avec son quotidien. Faire un long voyage seul, un jeûne,
une grande randonnée… La formatrice suggère également
de méditer sur notre rapport au risque, que la société
140●
ne valorise pas. « On le trouve formidable quand on fait
du deltaplane, mais pas quand on change de métier, de
couple », remarque-t-elle. Son mantra pour neutraliser la
peur de se tromper : il n’y a pas de mauvais choix. Bonnes
ou mauvaises décisions seraient une illusion d’optique
puisque leur effet se révèle seulement après. « Rien
ne pourra jamais prouver qu’une autre option aurait été
meilleure ou pire. Les choix nous façonnent et on peut en
faire sans cesse des nouveaux », rassure-t-elle. Enfin, nul
n’est obligé de changer à 30, 40, 50 ans ; la mue peut très
bien se dérouler en filigrane. Pour oser embrasser ce qui
se présente à nous, encore faut-il sentir les choses venir.
À CHAQUE PALIER,
ses enjeux !
Selon l’Américain Frederic Hudson, l’un des pères
du coaching, notre vie est divisée en plusieurs phases liées
à l’âge. Chacune porte ses défis et ses clés.
30 ans : j’assume ma voie
Enjeux : cursus, niveau social… « À cet âge, on est déjà
mis dans une case. Certaines portes deviennent difficiles
à rouvrir », note le thérapeute Laurent Huz. Des personnes
réalisent avoir fait un mauvais choix d’orientation
professionnelle ou sont sur leur voie mais se heurtent
aux exigences du travail, du couple (ou son impossibilité),
d’un enfant en bas âge. Des limites d’un nouveau genre.
Clés pour bien passer le cap : poursuivre la construction
identitaire en clarifiant valeurs et projet de vie. Renforcer
estime de soi et confiance. Développer les performances.
40 ans : maintenant ou jamais !
Enjeux : divorces, aspirations professionnelles autres…,
c’est la crise du milieu de vie ! Suis-je heureux ? Ai-je bien
choisi la place qui me convient ? « Après 35 ans, les
patients se posent des questions fondamentales », observe
Laurent Huz. On se sent plus soi-même ; on a moins besoin
du regard des autres. Avec la maturité émotionnelle, on se
demande si les choix faits jusque-là étaient bien les nôtres.
Clés pour bien passer le cap : un bilan complet remettra
à plat les priorités pour retrouver du sens à sa vie.
50 ans : récolter les fruits
Enjeux : les enfants sont partis ou presque, ce qui laisse
plus de temps pour soi. Côté travail, on est facilement mis
au placard ou licencié. C’est l’occasion de rebondir avec
un nouveau chapitre de carrière plus en phase avec soi.
Clés pour bien passer le cap : travailler l’affirmation de soi,
assumer notre expertise, s’autoriser ce qui nous fait plaisir.
60 ans : vive le renouveau !
Enjeux : certaines personnes s’estiment trop vieilles. Gare
au confort des habitudes, au risque de vivre la période en
mode stagnation au lieu d’en faire un vecteur de croissance.
Les clés pour adoucir le cap : positivez, célébrez les
réalisations de votre vie ! Oubliez aussi l’idée de la retraite
pour imaginer comment bâtir quelque chose de différent
pour vous, des projets qui vous ressemblent davantage. ●
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EN CE MOMENT EN KIOSQUE

●141
Madamelifestyle

Dans les voitures

panoramiques du train
Le Canadien, la vue
est imprenable sur les
plaines de la province
de la Saskatchewan.

142●
 Madamelifestyle

La derniÈre tendance du voyage ?

Le “train-bragging”, ou la fierté
d’opter pour ce mode de transport.
soucieux de leur empreinte carbone,
ses adeptes redécouvrent
le temps long. Le luxe ultime.

LA VOIE
LIBRE
PAR JEAN-MARC DE JAEGER

●143
Madamelifestyle
LORSQUE SISSI ET VIREAK
EMBARQUENT FIN JUIN DANS LE TRAIN DE NUIT
PARIS-VIENNE, ils ont en tête une destination bien plus
lointaine que la capitale autrichienne. Les deux trentenaires
ont mis entre parenthèses leur carrière dans l’informatique
pour s’offrir un an de voyage en Asie (1). « Il y a encore deux
ans, nous y serions allés en avion, mais la prise de conscience
écologique est passée par là », reconnaît le couple. Après
avoir suivi l’itinéraire historique de l’Orient-Express jusqu’à
Istanbul puis traversé le Caucase, ils s’engagent sur l’ancienne
Route de la soie à travers l’Asie centrale. L’arrivée à leur
destination finale, Bali, est prévue au printemps 2024.
Un périple de 15 000 kilomètres qui sera ponctué d’étapes
plus ou moins longues dans les pays traversés, comme
l’Ouzbékistan, la Chine ou le Vietnam. À l’image de Sissi
et Vireak, de plus en plus de voyageurs privilégient le train
pour se déplacer en France, en Europe, voire au-delà. S’il y a
bien un marqueur de son succès, c’est le nombre de billets
vendus. Malgré les critiques sur ses prix perçus comme trop
élevés, la SNCF bat de nouveaux records de fréquentation
à chaque été. En juillet-août, la compagnie a vendu quelque
24 millions de billets de TGV, soit 10 % de plus qu’en 2022.
Si le souci de prendre soin de la planète motive en grande partie
ce choix, la quête d’un tourisme plus contemplatif entre
aussi en jeu. Le cheminement compte alors autant, sinon plus,
que la destination elle-même. « Cette conjonction de facteurs
explique que le train dépasse le cercle des ferroviphiles et
des jeunes écolos pour séduire désormais un public plus large,
plus conscient, observe Laure Jacquet, directrice de Discovery
Trains, agence entièrement dédiée aux séjours ferroviaires.
Prendre le train est devenu l’un de ces petits gestes que l’on fait
tous pour l’environnement, comme l’est devenu le tri des
déchets ou la réduction de l’usage du plastique. »
LE RETOUR DU RAIL
Pourtant, le train revient de loin, concurrencé par une offre
aérienne qui nous a habitués à voyager toujours moins cher.
Qui n’a jamais succombé à la facilité d’un vol pour Lisbonne,
Budapest ou Rome à quelques dizaines d’euros sans la moindre
culpabilité avant que Greta Thunberg ne tire la sonnette
d’alarme en 2018 et lance le mouvement flygskam, la honte de
prendre l’avion. « Jusqu’à l’aube des années 1990, le chemin
de fer était encore le moyen privilégié pour faire du tourisme
en Europe. Les liaisons étaient fréquentes, nombreuses et bon
marché, autant de points forts mis à mal par la démocratisation
de l’avion, analyse Jean-Jacques Marchi, économiste spécialisé
dans le transport ferroviaire. Celles et ceux qui ont connu cet
âge d’or sont aujourd’hui plus enclins à revenir au train, un peu
par nostalgie, tandis que les jeunes générations le perçoivent
comme quelque chose de nouveau et de vertueux, parfaitement
en phase avec les préoccupations actuelles. » Pour
accompagner ce retour en force, de nombreuses plateformes
spécialisées dans les voyages bas carbone ont vu le jour
144●
ces derniers mois, à l’image de Hourrail! ou
Once Upon a Train. Chiara Pellas, 26 ans, a
fondé Mollow avec deux associés : « Beaucoup
ignorent que l’on peut se rendre en Grèce,
en Scandinavie, voire au Maroc, sans avion
depuis la France. Mollow leur montre que c’est
possible et pas si compliqué en proposant
des itinéraires clés en main combinant le
train et le ferry », détaille l’entrepreneure
qui s’appuie en grande partie sur la force des
réseaux sociaux. Instagram et autres ont leur
rôle à jouer dans ce nouvel engouement.
« Relater son tour d’Europe en compartiment
couchettes, se montrer en plein télétravail
depuis son siège… Cela en devient presque un
mode de vie de nature à inspirer et convaincre
d’autres voyageurs », ajoute Laure Jacquet.
VOYAGES D’EXCEPTION
Dans le segment du luxe aussi, le train
est à l’aube d’une renaissance. Si le groupe
Belmond (LVMH) propose déjà depuis
quelques années des croisières ferroviaires
entre Paris et l’Italie à bord du Venice Simplon-
Orient-Express, il sera bientôt challengé par
Accor. Le groupe hôtelier, désormais détenteur
de la marque Orient-Express, proposera des
voyages d’exception (2) sur les traces du train
mythique à partir de 2025 à bord de voitures
Pullman originales, dont certaines ont près
d’un siècle. D’ici là, Accor prépare également
l’arrivée de La Dolce Vita, un train qui plongera
les voyageurs dans l’Italie des années 1960 et
sillonnera la Botte à partir de 2024. En France,
le célèbre parc vendéen du Puy du Fou
s’apprête à lancer un Grand Tour de l’Hexagone
à bord de son train-spectacle. Les places sont
chères au sens propre – les billets se chiffrent
en milliers d’euros – comme au figuré.
« La croisière ferroviaire est loin d’être
aussi développée que la croisière maritime.
Les trains de luxe ne pouvant accueillir que
quelques dizaines de passagers à chaque départ
PHOTOS ÉRIC MARTIN, DAMIANO PIOVANELLI ET S. P.
et la demande est telle que certains affichent
complet un an à l’avance », souligne Laure
Jacquet. Pour la clientèle, qui comptait jadis
surtout des boomers, mais aujourd’hui un
nombre grandissant de millennials, embarquer
à bord du Rovos Rail (Afrique australe), du
Royal Scotsman (Écosse) ou de l’Indian Pacific
(Australie) se conçoit comme le rêve d’une vie,
« une expérience unique, hors du temps, qui
ne doit ressembler à aucun autre voyage ». ●
(1) Sissi & Vireak, @voyageons_slow sur Instagram.
(2) orient-express.com

1. et 2. Le salon rotonde du Canadien
reliant Toronto à Vancouver. Le train
traverse le Canada d’est en ouest
en passant par les Rocheuses.
GRAND TRAIN
Voitures panoramiques et service palace : de l’Asie à l’Afrique
en passant par l’europe, tour d’horizon des plus beaux circuits.
LE CANADIEN
L’immensité à portée de rails
Quatre jours de voyage et 4 466 km pour traverser
le deuxième plus grand pays au monde d’est en ouest :
c’est ce que propose deux fois par semaine Le Canadien,
reliant Toronto à Vancouver. Ses voitures panoramiques,
dotées de sièges surélevés par rapport au reste du train,
offrent une vue unique sur des paysages majestueux,
quelle que soit la saison. Un trajet qui peut s’effectuer
d’une seule traite ou par étapes, dans les plaines de la
Saskatchewan ou les montagnes Rocheuses de l’Alberta.
Le plus : lit double, salle d’eau privée avec douche,
repas inclus… En voiture Prestige, le confort et le niveau
de service égalent ceux des premières classes de certaines
compagnies aériennes.
Aller simple Toronto-Vancouver, à partir de 1 800 € par personne
en voiture-lits ou 4 500 € en voiture Prestige. viarail.ca
EASTERN & ORIENTAL EXPRESS
Le luxe de la jungle
L’éblouissant train du groupe Belmond sillonnera
à nouveau l’Asie du Sud-Est à partir de février 2024.
Les 15 voitures crème et vert sapin, tout juste rénovées,
réaliseront deux circuits saisonniers à travers la Malaisie
au départ de Singapour. Si Essence of Malaysia mettra à
l’honneur la culture et les traditions, Wild Malaysia invitera
Madamelifestyle
3. et 4. Les trains
du groupe Belmond
réaliseront deux
circuits saisonniers
à travers la Malaisie.
5. Chaque soir,
l’Intercity Notte quitte
Milan pour la Sicile.
à la découverte de la jungle luxuriante, le tout avec
l’excellence d’un service digne d’un palace. Destination
emblématique de ce train lancé en 1993, la Thaïlande
devrait à nouveau être desservie dans un second temps.
Le plus : la plateforme d’observation à ciel ouvert
de la voiture piano-bar en queue du train. Rencontres
et émerveillement garantis au coucher du soleil !
Itinéraires de 3 nuits, à partir de 3 100 € par personne en cabine Pullman.
belmond.com
INTERCITY NOTTE
Échappée le long de la Botte
La compagnie nationale Trenitalia a su préserver un
réseau de trains de nuit parmi les plus développés en Europe.
L’Intercity Notte quitte chaque soir Milan pour la Sicile
et traverse ainsi l’Italie sur un millier de kilomètres du nord
au sud. Le lendemain après-midi, on s’arrête au choix
à Palerme, Syracuse, Taormine ou Cefalù. Pour franchir les
quelques kilomètres qui séparent le continent de la Sicile,
le train n’emprunte ni un pont ni un tunnel… mais un ferry.
Ou comment prendre la mer sans quitter les rails.
Le plus : les passagers des cabines Excelsior ont pour
privilèges une petite bouteille de prosecco servie après
le départ, le petit déjeuner inclus et une douche privative.
Aller simple Milan-Palerme ou Syracuse, à partir de 100 € par personne
en cabine Excelsior. trenitalia.com
●145
Madamelifestyle

3. et 4. Le Caledonian
Sleeper relie tous
les jours la capitale
britannique aux grandes
villes écossaises en
traversant la réserve
naturelle de Glen Affric.

1. et 2. Au Sri Lanka, 5. Le Rovos Rail est

l’Ella Odyssey part composé de voitures
d’Anuradhapura, avec centenaires. Ce palace
une étape à Rambukkana, sur rails propose un
où sont recueillis et large choix de séjours
soignés les éléphants. à travers l’Afrique australe.

ELLA ODYSSEY cuivre et d’acajou évoquant l’époque victorienne.

Un condensé du Sri Lanka
Plantations de thé, forêts tropicales, chutes d’eau…
Le voyage a beau durer entre sept et dix heures (selon
le train emprunté), on reste émerveillé de bout en bout
par la diversité des paysages traversés. Construite dans les
années 1860 par les Britanniques, la ligne reliant Badulla
à la capitale Colombo servait à transporter le café et le thé
du centre du pays vers le littoral. La section entre Kandy
et Ella est connue pour être la plus pittoresque. La troisième
classe est à privilégier pour ses fenêtres qui s’abaissent.
Le plus : devant le succès de cet itinéraire, Sri
Lanka Railways a lancé en 2022 un train d’excursion,
l’Ella Odyssey qui, contrairement à ceux empruntés
par les locaux, effectue des arrêts prolongés près des lieux
touristiques comme le célèbre Nine Arches Bridge.
Aller simple, entre 6 et 12 € selon la classe. seatreservation.railway.gov.lk
ROVOS RAIL
L’Afrique australe plein la vue
Les spécialistes du rail le décrivent comme
le train le plus prestigieux au monde. Fondée en 1989,
la compagnie Rovos Rail propose une multitude
Le circuit le plus emprunté relie Pretoria au Cap, en
Afrique du Sud, en quatre jours et trois nuits.
Le plus : Rovos Rail propose de noimbreux circuits
de deux à quinze jours dans une demi-douzaine de pays,
dont le Zimbabwe et le Botswana à la frontière desquels
le train roule au-dessus des chutes Victoria.
De Pretoria au Cap, 4 jours/3 nuits, entre 1 700 et 3 200 € par personne
selon la cabine. rovos.com
CALEDONIAN SLEEPER
L’Écosse au bout de la ligne
S’endormir dans l’effervescence de Londres
et se réveiller en Ecosse, c’est possible en empruntant
l’un des deux trains de nuit encore en circulation
au Royaume-Uni. Le Caledonian Sleeper relie tous
les jours la capitale britannique aux grandes villes
écossaises (Édimbourg, Inverness, Aberdeen…), mais
aussi aux coins reculés des Highlands. Mises en service
il y a quelques années, les rames arborent un design
mêlant motifs écossais et touches contemporaines.
Le plus : les cabines les plus prestigieuses (Caledonian
Double) disposent d’une douche, d’un grand lit double (plutôt
PHOTOS S. P.

de croisières sur les voies ferrées de l’Afrique australe. rare sur les rails européens) et incluent le petit déjeuner. ●
Composé de voitures centenaires, ce palace mobile Aller simple Londres-Édimbourg, entre 200 et 480 € selon la cabine
accueille au maximum 72 passagers dans un décor de et l’occupation (deux personnes maximum). sleeper.scot

146●
●147
 workshops . talks . consultations . sport

LA PAUSE BEAUTÉ ET BIEN-ÊTRE

QUI VA BOOSTER VOTRE HIVER !

17 ET 18 NOVEMBRE
Réservez votre place

148●
 News

Hier, aujourd’hui, demain…

À quoi ressemble la journée
d’une femme en 1983,
2023 et 2063 ? L’écrivaine

3
Colombe Schneck s’est
amusée à imaginer le
quotidien de trois working
girls fictives, ancrées
dans leur temps. Des récits
et des portraits hauts en
couleur qui disent à la fois
l’intime et la société.

PAR COLOMBE SCHNECK / ILLUSTRATIONS LOUISON

FEMMES
3 ÉPOQUES
●149
Madamemag

“L’ÉLÉGANCE
CETTE FIN D’APRÈS-MIDI DU
27 MAI 1983, Christine, qui ne rate jamais Apostrophes, EST POUR ELLE
UNE FAÇON
l’émission littéraire d’Antenne 2 diffusée le vendredi soir,
est excitée, le thème annoncé dans Le Quotidien de Paris

D’AFFICHER
l’intéresse particulièrement. « Les intellectuels face
à l’histoire du communisme. » Cela s’annonce sanglant.
Quand les socialistes de François Mitterrand ont déclaré
qu’ils s’associaient aux communistes de Georges Marchais,
elle n’a pas hésité, a milité et voté pour VGE à l’élection L’AUTORITÉ”
présidentielle de 1981. Ces communistes, qui ont adoubé
l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques en 1979,
risquaient d’entrer au gouvernement, ce qui est advenu
deux ans après, elle était furax, très inquiète. Elle n’arrive
pas à se ranger à l’idée qu’ils sont inoffensifs, même si ce
« socialisme » en France n’a duré que deux ans. Le « tournant Elle vit rive gauche, à Paris, est une cliente
de la rigueur » ayant mis fin à certaines élucubrations, d’Yves Saint Laurent, deux fois par an, elle se rend dans
et elle apprécie la culture de Mitterrand, le charme et l’action la boutique de la rue de Tournon, s’offre des chemises
de Jack Lang, son jeune ministre de la Culture. en soie à col officier, des jupes boutonnées, l’élégance est
Elle est historienne, professeure à Sciences Po, elle est pour elle une façon d’afficher une autorité qu’elle a tant
la seule femme à avoir été titularisée, elle en est à la fois fière, de mal à affirmer. Elle est féministe et se sent parfois seule,
d’une certaine manière, elle est assez heureuse d’être la ne se reconnaît pas dans certains excès, aimerait
seule. Les professeurs sont très, très aimables avec elle, lisent davantage de dialogue et rumine la manière dont elle
tous Libération, le posent en évidence devant eux comme si arrivera un jour à répondre que non, elle ne va pas servir le

son logo rouge était un accessoire de mode, mais au début de
chaque réunion hebdomadaire, c’est à elle que le président
de séance demande de verser le café et de prendre les notes
qui seront utiles à la secrétaire du service qui tapera le compte
rendu sur sa machine à écrire et le photocopiera pour chacun.
ILLUSTRATION LOUISON
café ni écrire sous leur dictée, car elle est une femme avant
tout, elle est professeur, a été deuxième à l’agrégation
et a reçu son doctorat avec les félicitations du jury.
Elle était le matin à Avignon pour une conférence, elle a pu
rentrer le jour même en TGV, c’est la première fois qu’elle

CHRISTINE,

198
150●

prenait ce train ultrarapide depuis son inauguration.
Elle a apprécié les trois heures et demie
de voyage, le confort des fauteuils à rembourrage orange
dessinés par le designer Roger Tallon, a englouti sa tartine
TGV au bar du train, une tranche de pain Poilâne coupée
en fine tranche, recouverte alternativement de St Môret
et de jambon de Bayonne, elle a écouté de la musique
pendant une partie du voyage grâce à son walkman Sony,
une cassette de Thriller, de Michael Jackson, conseillé par
le disquaire de chez Vidal, place Saint-Germain-des-Prés.
Elle s’est aussi offert une BD à la Fnac. C’est une première,
elle ne lit jamais de BD, mais une amie, en souriant, lui a
recommandé Le Déclic, de Manara. « Cela te fera du bien. »
Elle n’a pas compris pourquoi en lisant. Une bourgeoise
italienne, mariée à un ennuyeux, a des orgasmes
à distance grâce à un boîtier électronique.
Ce qui l’excite plus que cette histoire d’orgasmes sur
déclic, ce vendredi, c’est sa soirée télé, Apostrophes, puis le
3
Madamemag
Ciné-club de Claude-Jean Philippe. Une des invitées est
l’italienne Maria Antonietta Macciocchi, une pasionaria
de la Révolution culturelle chinoise, une amoureuse
de Mao, l’auteure d’un best-seller, De la Chine. Cette
soi-disant féministe professe depuis plus de vingt ans
des âneries qui ont le don de l’exaspérer. L’autre invité
est Simon Leys, ce grand historien exclu de l’université
française depuis qu’il a dénoncé la politique de
surenchère et de destruction du président chinois.
Dehors, il fait froid et humide, elle porte son pyjama
d’intérieur en velours violet de chez Sonia Rykiel,
elle connaît l’humour de Leys, son côté pince-sans-rire,
elle ne va pas être déçue. L’Italienne commence, Christine
reconnaît la marque de sa chemise et de sa veste, du Saint
Laurent, comme elle. Elle comprend maintenant pourquoi
la Macciocchi est persuadée que les ouvriers chinois ne
réclament pas d’augmentation de salaire et refusent l’aide
des syndicats. C’est pour offrir des chemises en soie à leur
« protectrice ». Christine assiste à son auto-effondrement,
elle s’empêtre dans des liasses de papier, puis vient le tour
de l’animateur Bernard Pivot, son sourire bonhomme,
s’adressant à Leys : « Alors, qu’en pensez-vous ? »
Il y va, calmement : « Il est normal que les imbéciles
profèrent des imbécillités comme les pommiers
produisent des pommes, mais moi qui ai vu chaque jour,
depuis ma fenêtre, le fleuve Jaune charrier des cadavres,
je ne peux accepter cette présentation idyllique par
madame de la Révolution culturelle. » Christine entend
les ricanements du public à travers l’écran.
Dès le lendemain de l’émission, les ventes du livre
de Maria Antonietta Macciocchi s’effondrent. Ce soir-là,
ce qui restait du prestige du communisme chez les
collègues de Christine est quasi anéanti. Pour fêter cela,
elle rate le Ciné-club, se rend au Drugstore Saint-Germain
et s’offre une de ces nouvelles montres en plastique,
plates, au mécanisme suisse et pas chères, une Swatch,
et un croque hawaïen, un croque-monsieur surmonté
d’une tranche d’ananas. La victoire du capitalisme lui
a donné faim. ●
●151
Madamemag

SOLENN,

202 SOLENN EST

ANTHROPOLOGUE, spécialiste des groupes
indiens mexicains, elle enseigne toujours, mais depuis
que les figures et les broderies ethniques sont à la
mode, elle est devenue une « experte en appropriation
culturelle » souvent interrogée par des avocats,
des journalistes. Telle créatrice, sous couvert du mot
« inspiration » après un séjour d’une semaine dans
ILLUSTRATION LOUISON

un palace de la côte pacifique, a copié des motifs colorés

des chapas du Pérou, des broderies de la communauté
de Tenango, sans même les citer. Un travail historique,
sociologique, artistique de fond a été fait pour
reconnaître la richesse de ces cultures, et Solenn prépare

152●
 Madamemag

un colloque sur cette question. Depuis, les créateurs
sont attentifs à éviter un shitstorm, s’adresser à Solenn
est devenu essentiel.
Mais Solenn sait combien sa position est fragile.
À l’université de Bordeaux, où elle enseigne, certains
collègues lui reprochent de passer trop de temps à écrire
des articles ou à travailler pour des entreprises, et pas
assez en cours (la jalousie est une des plaies de
l’université). Les étudiants l’interrogent, de manière
tout aussi brutale, sur sa légitimité à travailler sur
les cultures d’Oaxaca. Solenn est blonde, les yeux clairs,
la peau blanche.
Cette question de l’identité la passionne, elle
refuse de se laisser enfermer dans des cases. Elle accepte
le dialogue, la conversation avec eux, cela est difficile,
mais elle ne lâche pas.
Elle a arrêté d’acheter de l’eau en bouteille en
plastique, possède une gourde qu’elle remplit tous les
matins au robinet, ne rentre plus, pour éviter d’être
Quand elle a reçu une invitation pour une émission
du 28 Minutes d’Arte, elle était à la fois heureuse, signe que
d’une certaine façon son travail d’anthropologie est
reconnu, mais aussi gênée. Elle voit les sourires narquois
de ses collègues et entend leurs commentaires, leurs
mauvaises questions et leurs réponses adéquates :
« Sait-elle combien de dépense carbone représente
un Paris-Bordeaux aller-retour ? » « Et sa nuit à l’hôtel,
et qui va payer ? Un argent qui pourrait mieux servir
à héberger des étudiants sans logis. »
Solenn se sent déjà coupable, coupable de vérifier
toutes les heures si elle a des likes et des MP sur son
compte Instagram, sur WhatsApp. Elle n’est pas la seule.
Face à elle, dans l’amphi, elle observe les mains qui
se glissent dans une poche, un sac, à la recherche de
l’appareil, le visage qui se baisse rapidement, le regard
rassuré, excité même, ou déçu, pas de message, pas
de nouveau like. Ceux concentrés sur leur ordinateur,
il lui suffirait de descendre de sa chaire, de remonter

3
“ELLE A DÉCIDÉ
DE RÉDUIRE
SES VOYAGES
EN AVION
À UN PAR AN”

tentée, dans un magasin de fast fashion, et choisit moins
de vêtements mais de meilleure qualité. Elle a aussi
décidé de réduire ses voyages en avion à un par an. Mais,
comme tous les grands principes, les désirs de mieux
faire, d’être plus attentive, elle a du mal à les respecter,
et ses étudiants ne sont pas plus droits qu’elle. Elle a
croisé les plus contestataires faisant la queue devant
un pop-up offrant des vêtements produits dans des
conditions sociales et sanitaires catastrophiques, en
Chine. Ils se sont justifiés par un « On le sait, mais cela
ne coûte pas cher et on n’a pas d’argent. » Elle leur a fait
remarquer que cette marque vole, elle aussi, un travail
et une culture ancestrale pour les reproduire sur des
tee-shirts. Solenn est indulgente mais elle est déçue.
vers eux, elle aurait le temps d’apercevoir le geste
brusque, le clic, qui permet de fermer la page Facebook.
Nos cerveaux seraient-ils en train de lentement pourrir
à cause de quelques ingénieurs californiens ?
Pour l’émission, elle a trouvé une robe sur une
application spécialisée dans la sélection de vêtements de
seconde main. Elle devait dater du début des années 2000,
une soie émeraude ceinturée par une cordelette. Solenn
connaît davantage l’histoire du costume au Mexique que
celle de son pays, mais elle a reconnu une robe dessinée
par Alber Elbaz pour Lanvin. Elle s’est rendue à Paris,
assurée de son choix, et n’a pas pu s’empêcher de poster
une photo d’elle sur le plateau télé. Le lendemain matin,
elle s’est réveillée avec un record de likes. ●

●153
Madamemag

“ELLE A DEUX
SUZANNE EST OFFICIÈRE DANS
L’ARMÉE FRANÇAISE, son front est la guerre
de l’information. Elle détecte les images fabriquées par
PASSIONS, SES
des puissances étrangères pour nuire, les cible, organise
leur destruction, espérant qu’elles n’ont pas eu le temps
ARBRES ET LES
de causer trop d’angoisses, de peurs parmi les civils. C’est
un travail éprouvant car sans fin. Face à eux, la Russie,
VOYAGES EN
la Chine, leurs alliés, la Corée du Nord, le Venezuela et
d’autres pays à la position instable, qui se rallient contre, TRAIN DE NUIT”
puis avec, selon des critères difficiles à évaluer. En France,
ils sont une armée d’une centaine de milliers de soldates,
une majorité de femmes pour les contrer. Les attaques
numériques sont l’enjeu premier de la stratégie de
défense. Avant de se rendre sur le front, elle se lave bien
les mains, il y a toujours un virus qui traîne, avec un savon Son arme, développée par un consortium européen,
à l’huile d’olive, une marque créée au XIXe siècle et est une lentille de contact qu’elle va placer sur l’œil,
retrouvée par des anciens d’HEC qui ont lâché le monde les images repérées lui sont directement envoyées
des grandes entreprises pour relancer une petite usine par son équipe. Sa veste en coton molletonné
familiale. Ce moment, elle le prolonge, il est sa manière à boutons-pression Agnès b, dessinée par la petite-fille
à elle de se préparer. Elle utilise des produits de toilette qui de la créatrice, est connectée à un bataillon de tirailleurs
ont fait leurs preuves, une crème au beurre de karité dont en ligne. Elle mime les gestes, ils la suivent. Un implant
l’amande est sourcée, il vient d’une plantation certifiée auditif, qui l’a toujours gênée, mais elle n’a pas eu
au Sénégal. Certaines de ses amies croient à ces injections le choix. Elle est militaire de carrière, cela allait avec

qui ralentissent le vieillissement des cellules, ce n’est pas
son truc. Suzanne masse la peau de son visage, étire ses
rides, pratique un yoga facial, prend le temps de tapoter
ses paupières pour faire affluer le sang, car c’est là, sur
ses yeux que tout va se jouer, qu’elle devra se concentrer.
ILLUSTRATION LOUISON
son engagement à vie, la lentille de contact, la veste
connectée. Elle a pu en choisir la couleur, un rouge
flamboyant, en raison de son rang, et aussi parce
que son bataillon, « le numérique » comme on le nomme
à côté de l’infanterie ou l’aviation, n’a pas un uniforme

SUZANNE,

206
154●

à proprement dit. L’entraînement est difficile, intensif,
mais il se fait davantage en classe, dans des laboratoires,
que dans des tranchées ou sur un terrain naturel.
D’ailleurs, on se moque d’eux en les appelant
« les propres ».
Cela énerve Suzanne, ils ne voient pas la violence
à laquelle elle doit résister, l’horreur conjuguée
à la bêtise, telle qu’elle est conçue dans les usines
à trolls de l’Est. Les années de thérapie qu’il faut pour
convaincre ceux qui ont subi un déferlement de fake
news, que ce à quoi ils ont cru, consacré leur âme,
leur conscience, est faux, qu’il n’y a pas de complot mené
par des puissances souterraines pour les détruire, mais
que c’est le travail de chacun de faire des efforts, de
moins consommer, de faire attention à l’eau, de planter
son arbre et de s’en occuper. Comme chaque citoyen,
elle respecte cette loi, l’obligation de planter un arbre
par an. La loi s’appelle la Loi Jean Giono, du nom
de cet écrivain du siècle dernier qui racontait l’histoire
3
Madamemag
de cet homme qui plantait des arbres sur une colline
et qui a laissé, après sa mort, une forêt.
Suzanne a deux passions, ses arbres, une dizaine
d’acacias aux petites fleurs blanches et sucrées, et les
voyages en train de nuit. Elle sait que c’est la mode, mais
cela fait longtemps qu’elle a adopté la joie du train de
nuit. Choisir une ville presque au hasard, Naples,
Édimbourg, Vienne, Trieste, douze heures de train dans
un wagon-lit. Selon les destinations, la cabine est plus
ou moins luxueuse, elle avoue aimer un certain confort.
Pour Vienne, les draps sont dans un coton gratté, tissé en
Pologne et brodé à la main d’un fil bleu, et vous avez le
droit à un chocolat chaud avant de vous endormir. Pour
l’Italie, et selon la compagnie choisie, le lit est recouvert
d’une percale légère, d’une soie miraculeuse, et, bien
sûr, il vous est servi un expresso avant l’arrivée. Elle
ne se souvient pas de quand elle a pris l’avion pour la
dernière fois. De toute manière, ces voyages par les airs
sont très réglementés, la paperasse à remplir pour se
justifier est lourde, et avec les outils numériques, ils sont
rarement nécessaires. Suzanne est devenue « une
madone des sleepings ». Dans le Paris-Naples, le bar est
toujours animé. Elle commande un cocktail, un Bellini,
admire les gestes du barman, les gros cubes de glace,
la danse de ses mains sur le shaker, regarde, écoute des
conversations légères, assiste à des disputes feutrées. Sa
lentille de contact, sa veste connectée sont bien rangées
dans sa valise. Elle peut être entièrement là, dans ce bar
étroit, sans que rien ne la retienne d’une vie extérieure et
immatérielle. C’est dans le restaurant du Vienne-Paris,
où les banquettes sont recouvertes d’une tapisserie en
laine d’un bleu nuit et les tables dressées d’argent, qu’elle
a rencontré Vincent. Il est berger, vit dans les montagnes
du Jura où il s’occupe d’une centaine de moutons. Une
fois par an, il s’offre un voyage en train de nuit. Ils ont
passé la nuit à se parler, il lui a décrit les montagnes
du Jura, petites, douces et rondes comme des seins
de femme, mimant le geste, et c’est au moment où il
arrondissait sa paume afin qu’elle comprenne bien où il
avait choisi de vivre, qu’elle s’est emparée de sa main. ●
●155
Motscroisés

A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T SOLUTION
1 1 DES MOTS CROISÉS
DU 6 OCTOBRE 2023
2 2 Horizontalement : 1. Surcharges
pondérales. 2. Proie. Œta. Loupe-
3 3
rait. 3. Anet. Pus. Vitesse. Ode.
4 4 4. Réservation. Ors. Er. 5. Astre.
Gê. Nef. Hm. Paré. 6. Innée. As-
5 5 saut. Yin. 7. R.P. Évasés. Pis. Sé-
nart. 8. Ale. Ou. Véhéments. Puy.
6 6 9. Paroi. Tarer. Sou. Me. 10. Sien.
VAL. Lev. Accusée. 11. Coulure.
7 7
Ath. Arts. 12. Pipés. Ceará. MM.
Euh. 13. Uri. Sb. Ri. Soupape. S.A.
8 8
14. Isoloir. Déceptions. 15. Na-
9 9 beul. Mède. RN. Arc. 16. Ac. Curio-
sité. Ciselée. 17. Tic. Cent. Lémure.
10 10 Ciel. 18. Idaho. Aire. Ers. Frêle.
19. Erra. Piou. Ise. Pairle. 20. Rési-
11 11 da. Nain. Éventées.
Verticalement : A. Sparadraps.
12 12
Puisatier. B. Urnes. Plaisirs. Cidre.
13 13 C. Roesti. Ère. Pion. Cars. D. Ci-
terne. Once. Lac. Haï. E. Hé. Ren-
14 14 voi. Osso-buco. F. P.V. Eau. Vu.
Bière. Pa. G. Rouages. Talc. Ruinai.
15 15 H. Geste. Évaluer. Lotion. I. Et.
Aser. Raid. Rua. J. Savons. Héler.
16 16
Émile. K. Inespéré. Ascète. In.
17 17 L. Olt. Faim. Va. Œdèmes. M. Noël.
Uses. Taupe. Urée. N. Dus. Ht.
18 18 Noah. Pt. C.R.S. O. Epsom. Stuc.
Mairie. Pe. P. Réer. Yes. Campons.
19 19 Fan. Q. Ar. Spin. Mûr. En. Écrit.
R. Lao. Anapeste. Salière. S. Eider.
20 20
Ru. Ésus. Réelle. T. Stéréotype.
A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T Harcelées.

HORIZONTALEMENT
1. À la portée du chef, pas loin du
piano (trois mots). 2. Mer vers Oues-
sant. Provenir. Assujettit. 3. Pandicu-
lations sportives. Illusoire. Esperluette.
4. Il fait pleurer la mousmé. Partie
de campagne. Ils se suivent et ne se
ressemblent pas. Proches des ses-
terces. Diplôme. 5. Exécutas. Bout de
conduite. Serge de laine. Vendre de
la blanche au noir. 6. Col pyrénéen.
Perdus dans une salle. Montrera les
fers. Enseigne en ville. 7. Fit perdre de
sa vigueur. Tout pareil. Cerbère entre
la France et l’Espagne. 8. Mieux que
jamais. Canal des Pouilles. Rendu
plus civilisé. Opposé à. 9. Se mon-
trer brillant. Père du roman policier.
Porté sous le cagnard. Virage sur
neige. 10. Plus elle est ixe, plus
elle trotte. Déchiffrage de nouvelle.
Petite lumière. 11. Chef de cabinet.
Lit de Moïse. Il avance ventre à terre.
Chose plaisante. Qui aime gars ou
ille. 12. Plume d’Alessandria. Punch
américain. Nouvelle pousse. Pub pour
le parti. 13. Point acquis. Moitié de
l’Élysée. Entrain. Avéré. 14. Souvenir
d’un règlement de compte. Il rejoint
la Koura. Palindrome kazakh. Article
voisin. Pan de jupe. 15. Siflera. Note.
Lapine. Embarcations à fond plat.
16. Qui n’est plus. Brusques. Recon-
naissance de dette. Qui aime souffrir.
17. Piquas au vif. Chevilles spor-
tives. Bons pour le service. 18. Cité
gardoise. En vue, au barreau. Roi ou
marine. Voile. 19. Mis au point. M’as-
tu-vu. Changer de registre. Ligne pour
le merlan. 20. Hareng nouvellement
séché. Écrire très vite.
VERTICALEMENT
A. Dame de cœur. Bordiers d’un
leuve. B. Terre chère à Robespierre.
La chance leur sourit. Massari ou Sa-
lamé. C. Personnel. Rivale d’Athènes.
Félin d’Asie. En effets. D. Se servit d’un
rigolo. D’Amérique ou d’Asie. Bonnes
pour les enfants. E. Elle contracte les
pupilles. Peut inir en terrasse. Article.
Des chiffres et une lettre. F. Fixe à plus
tard. On l’a dans l’os. Rouge en Loui-
siane. G. Message de Paul aux Corin-
thiens. Autorisées par le code. H. Coule
en Irlande. Cours et massif. Aide à
l’emploi. Est descendu par minou.
De bonne famille. I. Ardoises à effa-
cer. Un autre nom pour le kiwi. Brune
anglaise alcoolisée. J. Elles traversent
les beaux quartiers. Qui ne peut se
mordre la queue. Interjection. Allure
de vedette. K. Chef de cuisine. Sonder
la conscience. Moitié d’une Lady chan-
teuse. Bonnes sœurs. L. Baba cool. Elle
passe à Bedford. Fais du plat. Ville de
Norvège. M. Bonnes couches. Piquer
une tête. Souci informatique. N. Mets
en jeu. Soignai mon image. Bloquer le
va-et-vient des marchandises. O. Divi-
sion des temps. Renfort d’afirmation.
Un service pour le défunt. Truquera
les dés. P. Cité de Gueldre. Capacité
réduite. Il a les oreilles tombantes.
Non révélé. Q. Telle Emmanuelle Boi-
dron. Fine en escrime. Facteur sanguin.
R. Mesure de Grande Muraille. Ville
martyre en Syrie. Dans les cuivres. En
vins aux mains. S. Poulette à la pomme.
Opposés sur la carte. De quoi se faire
de la bile. Elle peut voler dans les deux
sens. T. Maladie due au plomb. Un
gars qui compte pour son entourage.

PAR PIERRE OLLIVIER

156●
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chefs-d’œuvre emblématiques :
• 5 octobre La Jeune Fille à la perle
• 12 octobre Rembrandt à la National
Gallery et au Rijksmuseum
• 19 octobre Le curieux monde de
Hieronymus Bosch
• 26 octobre Vermeer et le plaisir
de la musique

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parties intitulée au cœur du Metropolitan

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grand musée d’art des Amériques, alors
que les conservateurs se préparent à
célébrer le 150e anniversaire de l’institution
emblématique en 2020 par le biais
d’expositions ambitieuses et marquantes.

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La peinture et la musique peuvent-elles DISPONIBLE
se croiser pour ne faire qu’un ? Tout au EN REPLAY
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L’HOROSCOPE
de Nadine de Liedekerke
Bélier
DU 20 MARS AU 20 AVRIL
Bravo pour votre patience le 13 ! Pendant
six mois, vous avez pu vous développer
sur le plan personnel et vous réaliser.
La nouvelle lune vous invite maintenant
à vous confronter à d’autres pour mieux
évoluer. Dès le 14, vous pourrez vous
engager plus sérieusement dans un
partenariat, vous associer et coopérer.
Votre indépendance vous étant chère,
rien ne sera facile les 15 et 17, mais
en acceptant des compromis, vous y
arriverez. En amour, restez souple le 15,
vous trouverez la paix et l’harmonie le 19.
aureau
DU 20 AVRIL AU 21 MAI
Avec Uranus, qui balaie de votre vie
tout ce qui n’a plus sa raison d’être, et
Jupiter, qui élargit votre horizon, vous
serez très affairée le 13. Profitez du tonus
de la nouvelle lune du 14 pour prendre de
nouvelles initiatives dans votre vie, tant
professionnelle que privée (réaménager
votre agenda professionnel, améliorer
vos relations avec vos coéquipiers,
veiller davantage sur votre bien-être
et sur votre santé…). Vos amours ?
Nuages gris le 14, surprises stimulantes
le 17, romantisme et tendresse le 19.
SEMAINE
DU 13 AU
19 OCTOBRE
Gémeaux
DU 21 MAI AU 21 JUIN
Le 13, vous pourrez consolider les projets
professionnels que vous avez mis sur
pied. Le 14, fêtez joyeusement l’éclipse
qui mettra en lumière ces prochains
mois votre sensibilité et votre créativité.
Votre confiance en vous s’affirmera,
votre joie de vivre s’épanouira. Vous
analyserez mieux la situation dans
laquelle vous vivez avec l’être aimé,
direz au revoir à ce qui ne vous convient
plus, ou partirez dans une nouvelle
relation. Un bébé pourrait s’annoncer,
de nouveaux talents se développer.
ancer
DU 21 JUIN AU 23 JUILLET
Vous avez besoin de bases solides,
d’un endroit joli et paisible où vous
ressourcer pour oublier le stress
de la vie extérieure. Profitez de l’élan
que vous donnera l’éclipse de Soleil
du 14 pour vous aménager un petit nid
douillet, l’embellir avec une nouvelle
déco, ou déménager. Vous pourriez faire
la paix avec vos parents si vous vous
en étiez éloignée, les 17 et 19, et partager
avec vos amis des moments privilégiés.
Vos amours ? Tout sauf tièdes avec Mars,
éveilleur de passion les 14, 15 et 17.
Madameastro
ALANCE
DU 23 SEPTEMBRE
AU 23 OCTOBRE
C’EST VOTRE ANNIVERSAIRE
(FIN DU 2E DÉCAN, DÉBUT DU 3E) :
oubliez, avec Jupiter, le stress
de ces derniers mois, et vivez sans
crainte les changements de vie
qu’il vous imposera jusqu’en mai.
Ils se révéleront très positifs et vous
permettront, dès juin, d’élargir
vos perspectives de vie à travers
des voyages, des lectures ou
des rencontres enrichissantes.
AVEC SATURNE, vous
pourrez réorganiser vos activités
pour les alléger de tout ce qui
vous encombre et, avec Uranus,
dire au revoir à tout un passé
qui n’a plus sa raison d’être.
POUR TOUTES : vous
êtes au départ d’un cycle annuel.
C’est le moment de penser
à vous, celle que vous étiez, celle
que vous êtes devenue et celle
que vous auriez aimé être. Il y a
peut-être de nouvelles orientations
à prendre, des changements
de conduite à opérer. Dès le 14,
vous en aurez l’opportunité.
Pas le moment de lambiner !
L’être aimé ? Dans ses bras,
vous vous sentirez transformée.
Écoutez-le, il pourrait être
d’excellent conseil les 13, 15 et 17.
●159
Madameastro
Lion
DU 23 JUILLET AU 23 AOÛT
Vous pourrez accomplir de grandes
choses dans votre maison le 13, et
n’arrêterez que quand tout sera achevé.
Dès le 14, votre tempo s’accélérera. Que
d’excitation les 15 et 17 ! Évitez toutefois
de vous disperser dans trop d’activités
car ce que vous chercherez cette
semaine, c’est que tout soit plus fluide
et harmonieux dans votre vie de tous les
jours . N’hésitez pas pour cela à prendre
des initiatives pour vous réconcilier
avec ceux avec qui vous étiez fâchée. En
amour, émotions contradictoires les 14
et 16, mais moments enivrants les 18 et 19.
ierge
DU 23 AOÛT AU 23 SEPTEMBRE
Prenez le temps, de réfléchir aux valeurs
qui vous tiennent à cœur, de regarder
si ce que vous possédez suffit à votre
bonheur, votre sécurité. Si ce n’est
pas le cas, dès le 14 vous pourrez prendre
des dispositions pour améliorer votre
situation et retrouver l’harmonie
à laquelle vous aspirez. Les intuitions
d’Uranus vous guideront les 15 et 17, mais
n’attendez pas des autres une solution
miracle le 19. Vos amours ? Tonifiées
par Mars le 13, elles pourront s’épanouir
dans un dialogue ouvert le 15, mais risque
de nuages gris perturbateurs le 17.
corpion
DU 23 OCTOBRE AU 22 NOVEMBRE
Mars, de retour dans votre signe après
deux ans d’absence, vous permettra
dès le 13 de montrer au monde ce que
vous êtes capable de faire, de mieux
défendre vos droits et de ne pas vous
laisser marcher sur les pieds, mais
aussi (un mois durant) de travailler dur
et de réaliser de grandes choses. Usez
au mieux de ce moment très positif
160●
dans votre vie ! Gardez-vous toutefois
les 15, 17 et 19 des moments de détente,
de réflexion intérieure, de rêve, pour
équilibrer ce surplus de dynamisme.
Avec l’être aimé, grande tendresse
et romantisme les 15, 16 et 17.
Sagittaire
DU 22 NOVEMBRE AU 22 DÉCEMBRE
Profitez du renouveau que vous
apportera la nouvelle lune du 14
pour vous fixer des objectifs, créer
de nouveaux liens d’amitié ou accepter
plus de responsabilités dans les groupes
où vous aimez évoluer. Fuyez la
routine et lancez-vous, guidée par les
intuitions d’Uranus les 15 et 17, dans des
projets excitants. Imaginez aussi avec
Neptune la maison de vos rêves. Ce sera
source d’évasion et de joie le 19. Vos
amours ? Mars les stimule. Des passions
s’éveillent, des envies se réveillent…
Désir d’engagement sérieux le 13.
Capricorne
DU 22 DÉCEMBRE AU 20 JANVIER
Avec Mars, vous travaillerez dur pour
atteindre les objectifs que vous vous
êtes fixés et ne lâcherez rien avant
que tout soit terminé. Sous l’influence
de l’éclipse du 14, vos ambitions
pourraient se réveiller et votre carrière
prendre, ces six prochains mois,
une nouvelle envolée. Sous celle
d’Uranus, les 15 et 17, votre créativité
s’intensifiera, enrichie de talents
jusqu’alors inexploités. Sous celle
de Neptune, le 19, votre intuition
se développera. Amours en pleine
croissance, riches de projets excitants
les 15, 16 et 17.
Verseau
DU 20 JANVIER AU 18 FÉVRIER
Vous retrouver au milieu d’un troupeau
de petits moutons ? Que nenni ! Vous
n’aimez faire que ce que vous voulez
et quand vous voulez. La nouvelle lune
vous invite à voyager au propre comme
au figuré. C’est le moment de découvrir
des lieux où personne ne va, de prendre
des vacances à la période où personne
ne les prend, et d’étudier aussi des sujets
sur les nouvelles technologies qui
vous passionnent. Votre planète vous
donnera pour cela plein d’idées les 15
et 17. Amours grisonnantes le 14, très
pétillantes le 17, et romantiques le 19.
Poissons
DU 18 FÉVRIER AU 20 MARS
Avec Saturne, vous sentez davantage
le poids des responsabilités qui vous
incombent mais, avec Neptune, vous
laissez votre imaginaire vagabonder.
En bon signe double, vous arriverez
à composer. Pour cela, dès le 14,
la nouvelle lune vous invitera à être
plus à l’écoute de votre intériorité,
à mieux comprendre vos comportements.
Cela vous permettra de vous transformer
intérieurement et de voir les choses
sous un angle différent les 15 et 17.
Avec l’être aimé, des ajustements seront
à faire les 14, 15 et 16, mais vos amours
gagneront en intensité le 17.
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162●
 M f
Ours

Président : Charles Edelstenne

Directeur général : Marc Feuillée
Directeur général adjoint : Jean-Luc Breysse
Directrice de la rédaction : Anne-Florence Schmitt

Directeurs adjoints de la rédaction : Joseph Ghosn, Richard Gianorio

Rédactrices en chef : Viviane Chocas (société, culture), Océane Ciuni (digital),

Clara Dufour (mode magazine et célébrités), Alexandra Guerre (production et photo),
Morgane Miel (business), Delphine Perroy (mode)

Assistante de la direction de la rédaction : Marie Lima

Assistante mode magazine, célébrités et beauté : Amicie de La Taille (55 96)

Rédactrices en chef adjointes : Valery de Buchet (culture), Emmanuelle Eymery (lifestyle,

tourisme), Marion Louis (beauté, bien-être), Ségolène Wacrenier (news, self services, Paris)
Magazine : Marion Dupuis (cheffe de service mode), Lætitia Cénac (grand reporter),
Marion Géliot, Sofiane Zaizoune (société et business),
Anne Anthonioz (assistante, 57 71)
Mode : Carole Matray (cheffe de service mode), Marie Pasquier (cheffe de service
joaillerie-horlogerie), Julie Gillet (rédactrice mode et beauté), Marie Spiessert (58 69).
Service shopping : Christian Briand (chef de service), avec Olia Klikovac et Sylvie Neff
Beauté : Justine Feutry (cheffe de rubrique), Laurence Negroni-Nikitine (santé-forme)
Self services : Alyette Debray-Mauduy (golf)
Art de vivre : Vanessa Zocchetti (cheffe de service), Nathalie Pétré (coordinatrice, 58 43)

Directrice de la création : Gwenola Couëdel

Directrice artistique adjointe : Virginie Leduc
Production mode, beauté & célébrités : Juliette Durand (directrice),
Maud Cohen (responsable casting et production),
Thibault Braun (5588) et Delphine Couderc (2155) (chargés de production)
Maquette : Stéphanie-Jeanne Arnaud (cheffe de studio), Laurence Averlant, Patrick Kaiser
Photo : Nathalie Bonhomme (cheffe de service), avec Catherine Fornieles

Rédacteur en chef technique : Stéphane Moran

Secrétaire générale de la rédaction : Marie-Laure Phélippeau
Éditing : Isabelle Mériot, Fabienne Meyer
Secrétariat de rédaction : Frédéric Anneix, Frédéric Asselineau, Fabrice Millot, Claudine Rattier
Éditrice du pôle Madame : Anne Pican
Éditrice adjointe : Laura Pelouard
Éditrice numérique : Marie Loulier
Chargée de communication : Solenne Bidaud

Madame Figaro International :

Directrice : Eileen Le Muet
Assistante : Catherine Louvier (56 09)
Responsable droits de reproduction : Anne Flageul-Créhan

Gestion des abonnements : Tél. : 01 70 37 31 70. Fax : 01 55 56 70 11.

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9, rue Pillet-Will, 75430 Paris Cedex 09. Tél. : 01 56 52 20 00
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UNE PUBLICATION DU GROUPE FIGARO

Société éditrice : Société du Figaro FR
Siège social : 14, boulevard Haussmann, 75009 Paris.
Tél. : 01 57 08 50 00.
Président : Charles Edelstenne.
Rejoignez-nous Directeur général, directeur de la publication : Marc Feuillée. Réagissez
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est imprimé dans le respect
de l’environnement

Les polices FELL sont reproduites numériquement par Igino Marini.

iginomarini.com
●163
CarréVIP

PHOTOS JÉRÔME DOMINE/ABACAPRESS.COM ET S. P.

PARIS EN MODE CAPITALE

FASHION WEEK PRINTEMPS-ÉTÉ 2024. Le défilé Chanel s’est tenu au Grand Palais éphémère. Au premier rang,
Charlotte Casiraghi (1), Penélope Cruz et Riley Keough (2), Marine Vacth (3) et la chanteuse coréenne Kim Jennie des Blackpink (4).
Le défilé Balenciaga, signé Demna Gvasalia, s’est déroulé en présence d’Isabelle Huppert (5), des sœurs Nicky et Paris Hilton (6)
et de Naomi Campbell (9). Hailey Bieber (7) était au show Saint Laurent. Léa Drucker (8) est venue admirer la dernière collection de
Gabriela Hearst chez Chloé. Virginie Efira et Demi Moore (10), au front row Saint Laurent. Kim Kardashian et sa mère, Kris Jenner (11),
ainsi que la famille Beckham, presque au complet (12), ont provoqué l’émeute au défilé Victoria Beckham à l’Observatoire de Paris.

164● PAR AMICIE DE LA TAILLE

 CarréVIP

ODE À L’ÉPURE ET À LA POÉSIE, LE SHOW COURRÈGES, signé du designer belge Nicolas Di Felice, a enchanté
Charlotte Rampling (1). Nicolas Ghesquière, pour la maison Louis Vuitton, a choisi une adresse à l’abri des regards, son futur grand
paquebot, au 103, avenue des Champs-Élysées. Parmi les invités : Léa Seydoux (2), Zendaya (3) et Pharrell Williams (4). Givenchy
a défilé dans la cour de l’École militaire. Les plus grandes stars étaient au premier rang. Parmi elles : Cher et son compagnon,
Alexander Edwards (5). Dior a ouvert le bal de la Fashion Week parisienne avec Jenna Ortega (6), Charlize Theron (7) et Jennifer
Lawrence (8). Daniel Roseberry a présenté le défilé, tout en excentricité et en féminité, de la maison Schiaparelli en présence
d’Adèle Exarchopoulos (9), Géraldine Nakache et Philippine Leroy-Beaulieu (10). Eva Green (11) et Cate Blanchett (12) ont assisté
au grand final de Sarah Burton chez Alexander McQueen. ●

●165
L'autopromo
L’AUTOPROMO
F o u r c a d e
Martin
LE BIATHLÈTE FRANÇAIS
QUINTUPLE CHAMPION OLYMPIQUE
a mis fin à sa carrière sportive en 2020, au début
de la pandémie. Pour dire au revoir à son public
en bonne et due forme et remercier ceux qui l’ont
soutenu, Martin Fourcade a écrit Hors-piste, un
seul-en-scène dans lequel il revient sur ses années
de compétition. Parallèlement à ce spectacle,
le jeune retraité de 35 ans prépare les Jeux
olympiques et paralympiques de Paris 2024 en
tant que président de la Commission des athlètes.
L’occasion de le questionner sur son (nouveau)
rapport au temps.
MON MOOD DU MOMENT ?
Un entre-deux. Après un été sportif et apaisé
en famille, la rentrée se révèle extrêmement
chargée professionnellement. Je manque d’un peu
de temps pour moi.
CE QUE JE FAIS QUAND J’AI DU TEMPS, JUSTEMENT ?
Du sport ! J’ai un besoin et une envie de
m’exprimer à travers une activité physique.
J’ai grandi et je m’épanouis de cette façon.
COMMENT SAVOIR SI J’AI FAIT MON TEMPS ?
Le jour où j’ai décidé d’arrêter ma carrière
de sportif en février 2020, j’ai le souvenir de m’être
dit qu’un jour avant aurait été trop tôt et un jour
après, trop tard. Je l’ai vécu comme une sensation
de timing parfait en réalisant que j’avais fait le tour
de ce que je voulais voir et de ce que j’étais capable
de donner. Il fallait que je passe à autre chose.
LE TEMPS EST-IL MON ALLIÉ OU MON ENNEMI ?
Je le vois aujourd’hui beaucoup plus comme
un ennemi. Contrairement à ce qu’on peut penser,
un athlète de haut niveau a du temps de repos
imposé dans sa journée pour récupérer.
Aujourd’hui, ma saisonnalité est moins marquée,
et j’ai du mal à tout faire en vingt-quatre heures.
UN TEMPS D’AVANCE OU UN TEMPS DE RETARD ?
Peut-être de retard quand je vois des sketchs
qui font rire les jeunes et que je ne comprends pas !
AVEC QUI MON TEMPS PASSE-T-IL VITE ?
Avec mes enfants de 8 ans, 6 ans et demi
et 10 mois. Ce sont eux qui me font prendre
conscience que je vieillis.
LE TEMPS PERDU ?
La visio ! Je déteste cette mode, qui manque
d’efficacité, d’humain. Autant se téléphoner !
166● PAR MARION GÉLIOT
POUR PASSER LE TEMPS ?
Instagram. Je regarde principalement les comptes
de mes proches et poste essentiellement le côté
évasion de ma vie avec le sport, la montagne…
CE QUE JE PENSE EN ME REGARDANT
DANS LE MIROIR LE MATIN ?
Qu’est-ce qu’on fait de ces cheveux ?
CE QUE J’AIME QU’ON DISE DE MOI ?
Que je me comporte bien avec les gens,
que je suis attentif aux autres.
MON ACTU ?
J’ai écrit Hors-piste, un seul-en-scène que je
vais jouer en tournée. Il s’agit d’un récit de vie, de
carrière, durant lequel je reviens sur les moments
joyeux, tristes, drôles et inspirants de mes
quinze ans de compétitions. C’est un projet un peu
hybride avec lequel je veux continuer à faire
connaître mon sport, le biathlon, mais qui va aussi
me permettre de dire au revoir et merci à ceux qui
m’ont accompagné et soutenu pendant ces années.
MON RÔLE PENDANT LES JO DE PARIS 2024 ?
En tant que président de la Commission des
athlètes et membre du conseil d’administration,
je dois m’assurer que les besoins des athlètes sont
remplis pour les Jeux olympiques et paralympiques.
Je m’assure que les sites d’entraînement sont
conformes aux exigences des sportifs, mais je veille
aussi à la restauration au village olympique…
SI JE DEVAIS REMONTER LE TEMPS ?
N’ayant aucun regret, je ne revivrais pas
d’événements de ma vie, même mes erreurs
qui m’ont permis de progresser. En revanche, ça
m’aurait plu d’assister aux JO de Lillehammer en
Norvège en 1994, les jeux d’hiver rêvés selon moi .
LE TEMPS S’ARRÊTE…
Chez moi. La notoriété fait qu’on est vite observé
dehors et on se doit d’avoir une certaine image
PHOTO PASCALE CHOLETTE
publique. Dans ma maison près du lac d’Annecy,
j’ai l’impression d’être vraiment moi-même
et qu’ainsi le temps s’arrête un peu. ●
« Hors-piste », de Martin Fourcade, mise en scène de Matthieu
Cruciani, en tournée en France à partir du 18 octobre, notamment
au Théâtre du Rond-Point, à Paris, les 9 et 10 novembre.
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votre personnalité avec élégance et distinction.