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n° 26 BELGIQUE - BELGIË
PP
Décembre BRUXELLES X
2017 1/9464
DE MÉMOIRE
PÉDAGOGIE ET TRANSMISSION
CENTRE D’ÉTUDES ET DE DOCUMENTATION
MÉMOIRE D’AUSCHWITZ ASBL
| TRIMESTRIEL N° 26 | OCTOBRE - NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2017
| BUREAU DE DÉPÔT : BRUXELLES X | N° AGRÉGATION P 801056
SOMMAIRE
ACTUALITÉ
L’image de l’enfant dans
le roman dystopique
p. 2
AUSCHWITZ
Le sort des enfants à
Auschwitz-Birkenau
p. 4
APPROFONDISSEMENT
Des enfants et des hommes
p. 6
SAVIEZ-VOUS QUE...
...les enfants peuvent devenir
victimes d’images ?
p. 10
INTERROGATION
Le cas de Lidice
(troisième partie)
p. 13 + che pédagogique
RÉFLEXION
La vérité nue
p. 15
© DR
VARIA
p. 18
actualité
La victime
devient le sauveur
Le roman dystopique connaît un immense succès
Éditeur responsable
Henri Goldberg depuis quelques années. On y découvre une toute autre
Mémoire d’Auschwitz ASBL
Rue aux Laines, 17 bte 50 - 1000 Bruxelles image de « l’enfant dans les zones de conflit ».
actualité
Doit-on voter des lois ? Doit-on pu- jeunes adultes amoureux qui sou-
2 TRACES DE MÉMOIRE
haitent échapper à la société nesse, où la nouvelle dystopie en-
froide et injuste où ils vivent, voire registre triomphe sur triomphe : Ar-
la faire tomber : dans Le meilleur mageddon's Children de Terry
des mondes (1932) d'Aldous Hux- Brooks, La Cité de l'Ombre de
ley, La Ferme des animaux (1945) Jeanne DuPrau, la trilogie des
et 1984 (1949) de George Orwell Hunger Games de Suzanne Col-
et Fahrenheit 451 (1953) de Ray lins, la trilogie L'épreuve de James
Bradbury, on ne retrouve pas en- Dashner et la trilogie Divergente
core l'image de l'enfant. de Veronica Roth sont des his-
En 1969, Stephen King écrit toires dont tous les adolescents
Marche ou crève, un roman qui d'Europe et d'Amérique ont lu le
ne paraîtra que 10 ans plus tard livre ou vu le lm. Ils dressent le
sous le pseudonyme de Richard portrait de l'enfant en temps de
Bachman. L'histoire se passe dans guerre, de troubles et de confu-
une Amérique alternative, où l'Al- sion absolue, pratiquement tou-
lemagne a gagné la Seconde jours en l'absence totale de toute
Guerre mondiale et où des en- protection parentale. L'enfant
fants sont obligés de courir un ma- reste une victime, mais il prend
rathon, dont le prix est leur propre également les choses en mains, il
vie. Le roman regorge de réfé- devient le héros et sauve d'autres
rences aux jeunes élites de Hitler enfants, parfois même les parents.
et trahit le dilemme absolu entre La conance dans les adultes dis-
solidarité et rébellion d'une part, paraît ou est trahie, si tant est
sage docilité d'autre part, lorsque qu'elle ait jamais existé. Au
sa propre vie est en danger. 21e siècle, la représentation de
Dans les années 1970, 1980 et l'enfant pendant un conit est à
1990, on ne publie que peu des années-lumière des images
d'œuvres littéraires dont le rôle du bambin enfermé dans le
principal est tenu par des enfants, ghetto, de l'enfant en pyjama
mais depuis le nouveau millé- rayé ou de la petite lle au na-
naire, on assiste à une véritable palm.
explosion du genre : enfants et
adolescents apparaissent dans Georges Boschloos
chaque histoire à succès, et no- ASBL Mémoire d’Auschwitz
© DR
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auschwitz
O
deux sous camps furent nale- nol dans le cœur et ce, sans dis-
utre les adultes, de- ment liquidés et les enfants qui tinction d'origine. Passé cette
puis 1940, les nazis dé- étaient encore en vie à ce mo- date, les enfants non-juifs sont lais-
portèrent aussi des ment ont été assassinés. D'autres sés en vie. D'un point de vue ad-
enfants polonais vers Auschwitz. (venant essentiellement de Biélo- ministratif ils étaient considérés
En 1942-1943 des enfants de la ré- russie) ont été déportés vers comme de nouveaux arrivés et
gion de Zamość (dont la plupart
furent rapidement assassinés) ont
été déportés avec des adultes
vers Birkenau. En 1944, des enfants
de Varsovie ayant survécu à la ré-
volte de la ville en août de la
Intérieur de la baraque 13 du
même année arrivèrent égale-
ment. Les enfants juifs eux, furent
camp des femmes (B1a) à Birkenau
déportés dès 1942, en compa-
gnie de leurs parents. La grande
majorité fut expédiée à la
chambre à gaz. Il arrivait cepen-
dant que des garçons et des lles
soient maintenus en vie et en-
voyés au travail. En général il
s'agissait de ceux âgés de plus
de 14 ans, mais des exceptions
d'enfants plus jeunes sont con-
nues. Les enfants du ghetto de
Theresienstadt ont été envoyés
dans le Theresienstadt Familienla-
© Frediano Sessi / Carlo Saletti
4 TRACES DE MÉMOIRE
À la libération du camp
d’Auschwitz, les enfants
montrent leurs bras tatoués
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APPROFONDISSEMENT
Des enfants
et des hommes
15 juillet 1937. Weimar. 149 prisonniers du camp de concentration de Sachsenhausen arrivent
en camion. Bientôt, la forêt de la colline de l'Ettersberg tombe sous les coups de haches des opposants
au régime nazi. Démunis de tout, sans chevaux, sans wagons, les hommes ont pour mission de
déboiser le terrain, de poser des canalisations, des lignes électriques et de construire des routes. Le
rythme et les conditions de travail sont infernaux. Ils commencent à l'aube et ne s'arrêtent qu'à la
tombée d'une longue journée d'été. Les esclaves œuvrent à l'édification d'un nouveau camp de
concentration, le camp de Buchenwald. D'autres détenus arriveront en renfort, les indésirables, les
parasites de l'industrieuse société allemande. La Gestapo a mené une vaste opération d'arrestation de
mendiants, de vagabonds, de chômeurs, de tziganes et d'alcooliques et les a acheminés à Weimar.
Leur nombre s'élève à 4 000, soit 59 % de la population du camp en construction. Les antifascistes
allemands et autrichiens, représentent quant à eux 21 % et les Juifs, allemands et autrichiens, 16 % ; on
compte également des témoins de Jehova et des criminels de droit commun.
A u cours de l'évolution
de la guerre, la popu-
lation de Buchenwald
s'internationalise, se diversie mais
kopf, augmente. Vu les conditions
de recrutement strictes, à savoir,
entre autres, « être jeune, en
bonne santé », la majorité des
tout effectués sous la surveillance
constante des SS. Le sort de toute
cette jeunesse, qui augmente en
nombre, éprouvée tant physique-
aussi, elle rajeunit. Les statistiques hommes eux avaient, à l'ouver- ment que psychologiquement, li-
démographiques montrent une ture du camp, moins de 21 ans et vrée à elle-même et vouée à une
augmentation quasi constante les plus jeunes, 16 ans. Plus tard, mort inéluctable ne laisse pas cer-
entre l'été 1940 et l'hiver 1944. En ces derniers seront appelés à re- tains détenus indifférents. Des ini-
décembre 1944, les moins de 20 joindre les rangs de la Waffen-SS tiatives personnelles, ponctuelles
ans, et parmi eux des enfants, en action sur le front où ils seront ou organisées se multiplient. Elles
constituent un tiers du nombre de plus utiles. Des hommes de 30 à 40 ont pour but, dans la mesure du
détenus. Fin septembre 1944, la si- ans, voire même des invalides de possible, de mettre à l'abri les en-
tuation est telle que le chef du guerre, les remplaceront au fants et les adolescents, de les
camp, Hermann Pister, donne camp. préserver de l'épuisement phy-
l'ordre d'envoyer à Auschwitz un Les enfants et les jeunes internés à sique, de la violence des gardes,
transport composé exclusivement Buchenwald sont originaires des de la détresse, et aussi des pédo-
d'enfants et d'adolescents tsi- pays tombés sous le joug nazi. Lors philes déclarés ou occasionnels.
ganes, qui seront assassinés dans de l'invasion de la Pologne, la SS Sur la carte du camp de 340 hec-
les chambres à gaz. enrôle de force des jeunes Polo- tares, plusieurs emplacements se
Paradoxalement, l'âge moyen nais, Juifs et Roms condamnés distinguent par la présence d'en-
des SS chargés de la surveillance aux travaux de construction qui fants et de très jeunes adoles-
du camp, les escadrons SS Toten- par nature sont exténuants et sur- cents. Tandis que leurs aînés âgés
6 TRACES DE MÉMOIRE
© www.ushmm.org
de 17 à 20 ans, et donc jugés gnés aux travaux forcés de cons- Le Kleine Lager et le Kinderblock
aptes au travail, sont affectés aux truction, est le résultat de tracta- 66
Kommandos de travail avec les tions entre les SS et des détenus
adultes, les plus jeunes, eux, se re- communistes. En 1943, le doyen En 1942, Buchenwald se dote
trouvent dans une situation très du camp, le communiste Erich d'une zone connue sous le nom
précaire puisque pour les SS, ils Eschke, propose aux SS d'ouvrir de « Petit Camp ». Cette zone de
sont totalement « inutilisables » et une école destinée à ces adoles- quarantaine sépare les hommes
donc courent le risque d'être en- cents pour leur inculquer la disci- du camp des nouveaux arrivants
voyés dans les chambres à gaz à pline du camp, leur enseigner l'al- qui se retrouvent parqués dans
Auschwitz. Cependant, seuls trois lemand et même les former au d'anciennes écuries.
lieux, le Block 8, le Kleine Lager (le métier de maçon. Cet exploit fut Les premiers enfants du Kleine La-
« Petit Camp ») et le Kinderblock rendu possible grâce à la déter- ger sont juifs, sinti et roms. Ils vien-
66, sont indiqués à l'attention des mination de Wilhelm Hammann, nent d'Auschwitz pour augmenter
visiteurs. homme politique et pédagogue la main - d'œuvre nécessaire aux
allemand, Franz Leitner, commu- besoins croissants de l'industrie al-
Block 8 niste autrichien et Fyodor Mi- lemande. Trois ans plus tard, le
kailichenko, un jeune Russe de 16 Petit Camp surpeuplé se méta-
L'hébergement dans ce block de ans. Tous trois reçurent le titre de morphose en un mouroir indes-
jeunes Polonais, Juifs et Tziganes, « Juste parmi les Nations » après criptible : les SS évacuent les
envoyés à Buchenwald et assi- la guerre. camps de l'Est vers l'Allemagne et
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APPROFONDISSEMENT
les nombreux prisonniers des d'aide spontanés envers les 200 enfants destinés à Auschwitz.
« marches de la mort » afuent à jeunes viennent s'ajouter, comme Le numéro du jeune garçon gure
Buchenwald. En janvier 1945, le celui d'Ernst Klimt, un jeune Sinti. sur ladite liste. En dernière minute,
Comité International Communiste Ernst a 14 ans lorsqu'il se retrouve douze matricules sont changés
du camp et le réseau de résis- seul à Buchenwald après avoir dont celui d'Ernst reconnu par les
tance juive parviennent à rassem- été interné à Auschwitz et y avoir prisonniers responsables du choix
bler, au sein même du Petit perdu sa famille. Ernst fait preuve des personnes destinées au trans-
Camp, des centaines d'enfants d'un tel courage, de détermina- port. Le lendemain, Ernst se re-
dans un Block qu'ils placent sous tion et d'audace qu'il se forge trouve dans un Kommando exté-
la responsabilité d'Antonin Kalina, sans le savoir une réputation rieur loin des SS.
un communiste tchécoslovaque. parmi les prisonniers. Déclaré inu- Avec l'aide de camarades du Bu-
Les conditions de vie atroces, les tile car à bout de forces, on le re- reau des Statistiques, de l'inrme-
maladies qui infestent cette partie tire des usines Gustloff situées en rie et du doyen du camp, Baptist
du camp protègent en quelque bordure du camp pour l'envoyer Feilen, communiste allemand,
sorte les jeunes des SS qui ne s'y dans une carrière où il se blesse. sauve des jeunes Soviétiques et
rendent que très rarement par Après quelques jours de repos, il Polonais en les intégrant dans le
crainte d'être infectés. Un fait demande à un SS de le transférer Kommando de la lessive. Cette
unique et exceptionnel, les en- ailleurs. Il se fait passer pour un tail- affectation leur évite de travailler
fants sont dispensés des appels à leur et se retrouve à l'atelier de à la construction des routes, poste
l'extérieur. On les compte à l'abri couture. Pour prouver au SS qu'il très éprouvant physiquement et
du froid dans le Block 66. Les pri- ne lui a pas menti, il doit lui con- soumis à la violence des SS.
sonniers font leur possible pour les fectionner un pantalon en deux Ce ne sont que quelques exem-
occuper, leur apporter de la nour- jours, mission vouée à l'échec. ples parmi d'autres.
riture, du réconfort et un senti- Deux tailleurs s'acquittent de la Parmi les milliers d'enfants et
ment de protection. tâche à sa place et Ernst devient jeunes déportés à Buchenwald,
En plus de ces initiatives organi- leur apprenti. Son histoire fait le seuls 904 sont encore en vie lors-
sées par les divers réseaux de ré- tour du camp. Quelques se- que la Third US Army libère le
sistance de Buchenwald, des té- maines plus tard, les SS ordonnent camp. Les médecins américains
moignages individuels d'actes d'établir une liste de transport de s'occupent d'eux immédiatement
8 TRACES DE MÉMOIRE
Un petit cheval,
sculpté dans un bout de
bois par des détenus
adultes pour essayer de
distraire les enfants
© Caroline Heine
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saviez-vous que...
La « Hitlerjugend »,
une jeunesse « malléable »
Lorsque le NSDAP, le parti nazi Reichsjugendführer von Schirach réalité des arrière-pensées plus si-
d'Hitler, voit le jour au début des nistres : l'éducation morale de la
années 1920, ses idéologues jet- jeunesse par les idéologues nazis.
tent leur dévolu sur la jeunesse al- En 1931, Hitler place le jeune aris- Bien qu'aucun jeune ne soit forcé
lemande qui, dès ce moment, tocrate Baldur von Schirach à la de faire partie de la Hitlerjugend,
sera endoctrinée1 et immergée tête de la Hitlerjugend. Sa mission ceux qui refusent seront victimes
dans l'idéologie nazie. Hitler et les est d'homogénéiser les nombreux d'intimidations et d'exclusion de la
siens doivent rééduquer une gé- mouvements de jeunesse éparpil- communauté.
nération d'adultes, mais ils pour- lés du Reich. Ce qui, à première La première formation donnée
ront entièrement modeler les vue, ressemble à du simple scou- aux jeunes, et la plus importante,
jeunes selon les idéaux du natio- tisme (vivre des aventures sous le est de tendre vers la perfection
nal-socialisme. signe de la fraternité) dissimule en physique, suivie bien entendu par
En 1938, Hitler résume donc l'édu- Le jour de son dernier anniversaire, Hitler
cation de la jeunesse allemande félicite la jeunesse engagée dans la bataille
comme suit : « Cette jeunesse
de Berlin, perdue d avance
n'apprend rien d'autre que pen-
ser et agir en Allemand. Si un gar-
çon ou une lle âgée de 10 à 14
ans devient membre de nos orga-
nisations, il ou elle commence par
la Jungvolk, puis la Hitlerjugend.
Ensuite, nous les intégrons dans le
parti, l'Arbeitsfront, la SA ou la SS.
S'ils ne sont toujours pas de vrais
nationaux-socialistes, ils sont trans-
férés au Service du Travail. Si tout
sentiment de classe ou de rang
n'a pas disparu, la Wehrmacht les
prendra en charge pendant deux
ans pour l'annihiler dénitivement.
Et ils ne s'en détacheront plus de
© DR
10 TRACES DE MÉMOIRE
Une affiche du film Quex. Le sous-tittre
interpelle le lecteur : « Un film sur l’esprit de
sacrifice de la jeunesse allemande »
© DR
d'autres vertus, comme en té- âge. Ses camarades le surnom- Le roman Hitlerjunge Quex paraît
moigne Klaus Mauelshagen ment Quex, ce qui signie mer- dès la n de l'année de son dé-
(jeune hitlérien) : « Les garçons de cure en allemand, en raison de la cès. À l'automne 1933 sort, sur
la Jungvolk sont forts, silencieux et diligence avec laquelle il exécute l'insistance de Joseph Goebbels,
loyaux. Les garçons de la Jung- les ordres. En 1932, âgé de 15 ans, ministre de la Propagande, le lm
volk sont des camarades. Leur alors qu'il distribue de la propa- Hitlerjunge Quex - Ein Film vom
plus grand bien est l'honneur. »3 gande nazie à l'approche des Opfergeist der deutschen Ju-
L'éducation paramilitaire de la élections, son équipe croise le gend, basé sur le livre. Herbert
jeunesse allemande sert une Rote Jungfront, un groupe de Norkus est interprété par le jeune
cause « supérieure » : fournir des jeunes communistes, et une ba- acteur allemand Jürgen Ohlsen,
soldats à la SS, l'ordre noir de garre éclate dans la rue. Herbert dans un récit adapté pour coller à
Himmler. Norkus est poignardé et décède l'idéologie défendue. À la n du
de ses blessures. lm, Quex connaît une mort des
Les idéologues nazis vont veiller à plus héroïques. Affalé dans les
Quex, le jeune héros nazi alle- ce que la mort d'Herbert Norkus bras de ses camarades, il regarde
mand sur grand écran ne passe pas inaperçue. Le droit devant lui, gravement
meurtre de Quex doit servir une blessé, et marmonne vaillamment
cause supérieure et inspirer un ces dernières paroles avant de
Né en 1916, Herbert Norkus est un culte des martyres au sein de la rendre l'âme : « Notre drapeau
nazi engagé dès son plus jeune jeunesse. otte devant nous... » S'ensuit
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saviez-vous que...
© DR
12 TRACES DE MÉMOIRE
interrogation
Le cas de Lidice
(3e partie)
© www.lidice-memorial.cz
Comment peut-on visualiser
l’inqualifiable dans un mémorial ?
L’artiste Marie Uchytilova
N° 26 - DÉCEMBRE 2017 13
APPLICATION
Comment les images d’enfants t’inspirent-elles ?
PÉDAGOGIQUE
N o M
cLASse
Devoir :
Écris un poème autour des émotions que ces images provoquent ou
évoquent chez toi.
Par exemple
J’ai choisi pour la forme poétique Haiku
« Forgé en bronze,
nous fixant les yeux,
jamais nous n’oublierons. »
Johan Puttemans
Remarques de l’enseignant/e
TRACES DE MÉMOIRE
est une publication
trimestrielle de
l’ASBL Mémoire d’Auschwitz
www.auschwitz.be
La vérité nue
Deux fillettes...
Un pavé de mémoire, ai-je pensé combats de la guerre du Viêt et soignée, elle pourra entamer
immédiatement en découvrant, Nam. Les troupes d'invasion amé- une nouvelle vie aux États-Unis,
dans un journal, la photo d'un pe- ricaines soutiennent l'armée sud- après les souffrances inimagi-
tit garçon irakien de deux ans, nu, vietnamienne dans ses tentatives nables qu'elle a subies à l'âge de
dorloté dans les bras robustes et de faire barrage au régime com- l'insouciance. Enfant, elle s'est
rassurants d'un militaire, où il avait muniste du Nord-Viêt Nam et aux trouvée au mauvais endroit, un vil-
atterri après la reddition du com- rebelles du Viêt-Cong, mais sans lage où les rebelles du Viêt-Cong
battant de Daesh qui l'utilisait succès. Les combats s'intensient se terraient parmi les habitants.
comme bouclier humain. D'un sol- et la violence sauvage, omnipré- Elle devenait donc une ennemie.
dat à l'autre, l'enfant dévêtu, sans sente, devient incontrôlable. La Un dommage « collatéral ». Une
défense et vulnérable a connu la région s'enamme, un feu qui enfant.
violence de la guerre à Mossoul. s'étend hors de tout contrôle, La lle de Kalevi-Liiva est devenue
J'ai « trébuché » sur cette photo avec l'utilisation entre autres de la victime anonyme des brutalités
dans le journal. Je n'arrivais pas à pilonnages massifs, de l'agent dégradantes fomentées par les
en détacher les yeux, seul, dévoré orange toxique et du napalm. nazis et les SS, mais imaginées et
par l'envie de serrer ce petit gar- Kim Phuc deviendra le symbole exécutées par des êtres humains.
çon dans mes bras comme s'il eût de l'horreur des bombardements Lors de la Judenaktion menée
été mon propre petit-ls. Mossoul au napalm et de la violence de la dans les dunes d’Estonie, elle mar-
devenait soudain si proche. La vé- guerre en général. Cette photo cha au-devant de sa mort, vic-
rité, nue, devenait soudain si montre crûment comment une time sans défense d'Einsatzgrup-
proche. De tout temps, les enfants petite lle et les autres enfants qui pen impitoyables. Elle devait être
ont été les victimes d'une violence l'entourent sont transformés en détruite. Parce qu'elle était juive,
insensée, comme l'illustrent à ja- simples marionnettes, acteurs et donc une ennemie. Elle ne fut
mais deux photos de lles nues et d'un spectacle cruel. Grâce à la pas un « dommage collatéral ».
désemparées, prises lors de télévision, ces images apocalyp- Elle a été assassinée intentionnel-
scènes de guerre à Kalevi-Liiva tiques rent irruption sans crier lement.
(Estonie) en 1942-1943 et au Sud- gare dans nos foyers au début Qui est cette lle ? Il ne reste plus
Viêt Nam en 1972. Une même des années 1970. Sans la moindre rien d'elle, si ce n'est cette photo
souffrance atroce, à trente ans pudeur. Pour la première fois, la prise par un des bourreaux du
d'intervalle. guerre et la violation des droits de Kommando, qui eut envie d'im-
l'Homme se retrouvaient au cœur mortaliser l'instant en souvenir de
d'un traitement médiatique con- l'Aktion. On ne lui a pas laissé la
Innocentes tinu. moindre chance. Elle n'a pas été
Qui eut toutefois le mérite de ré- recueillie. Elle n'a pas été conso-
veiller les consciences dans le lée. Pour elle, pas d'échappa-
Gravée dans notre mémoire col- monde entier : ce n'est pas pos- toire. Que du contraire : son droit
lective, la photo de Kim Phuc, La sible, c'est inacceptable. La fondamental à la vie lui a été ar-
petite lle au napalm (1972), nous photo de La petite lle au napalm raché brutalement. Pas par un ins-
montre une gamine fuyant son vil- t très forte impression au sein de trument anonyme, mais par un
lage qui vient d'être détruit par un l'opinion publique, d'autant plus être humain proche, qui l'a mise
bombardement au napalm. Nous qu'elle a une histoire : la petite lle en joue, l'a visée délibérément, ne
sommes plongés au plus fort des porte un nom, elle sera accueillie voulait ou ne pouvait gaspiller une
N° 26 - DÉCEMBRE 2017 15
réflexion
balle um sonst et a abattu la lle blées dans des albums photo of- est déjà presque une femme, ac-
nue. Dans le dos. ferts aux supérieurs. cepte son destin inéluctable et
Pourquoi devait-elle être élimi- La lle de Kalevi-Liiva n'est pas croise les mains comme pour
née ? Parce qu'elle était juive. Elle gravée dans notre mémoire col- prier. Comme si elle tentait ainsi
se trouvait au mauvais endroit et lective. Pas encore. de supporter l'inacceptable,
elle appartenait à un groupe l'insupportable. Où est Dieu ? Où
d'individus de « race inférieure ». est le soleil ? N'y a-t-il personne ?
L'ennemi donc. Pour eux, elle Seules Malgré son désespoir, une force
n'était pas un être humain. Pour intérieure émane d'elle, pourtant
les nazis et les SS, la lle de Kalevi- abandonnée de tous, unique-
Liiva était un Stück, Balastexistenz Elles sont toutes les deux sans dé- ment entourée de bourreaux lour-
zum vernichten. Telle est la vérité fense, victimes d'une violence et dement armés. C'est comme si la
nue, dont ne doit pas détourner le d'une sauvagerie inimaginables. lle chuchotait ne m'oubliez pas,
regard. Et les images à l'époque ? Je suis pris d'un sentiment d'im- ne m'abandonnez pas, racontez
Le monde ignorait, ne voulait pas puissance incommensurable face mon histoire au monde, priez
savoir. Le monde ne le voyait pas, à la destruction intolérable de la avec moi, priez pour moi. On ne
il ne regardait pas ce qui se pas- jeunesse innocente. On ne s'y ha- s'y habitue jamais.
sait im Osten. Ceux qui les con- bitue jamais. Elles sont toutes les deux dans
templait avec satisfaction étaient La petite lle au napalm hurle l'ombre de la silhouette d'un sol-
les dirigeants nazis et les SS. Ces pour exprimer la douleur qui la dat : un militaire sur la photo de La
photos et ces images rendaient brûle et l'angoisse qui l'envahit. petite lle au napalm, un membre
compte de l'évolution des Aktio- Elle est entourée d'autres enfants, du groupe d'intervention sur celle
nen des Einsatzgruppen. Elles seuls eux aussi avec leur souf- de la lle de Kalevi-Liiva. Le mili-
étaient même souvent rassem- france. La lle de Kalevi-Liiva, qui taire l'éloigne de l'incendie, le
16 TRACES DE MÉMOIRE
Les exécutions massives à
RÉFLEXIONS ÉTHIQUES
Kalevi-Liiva ont fait des
milliers de victimes parmi Que penses-tu des réexions
des Juifs venus d’Allemagne suivantes ?
et de Theresienstadt - Mieux vaut commémorer un
enfant connu que cent-mille
enfants inconnus.
- Commémorer un enfant c’est
commémorer un symbole.
- Mieux vaut commémorer un
symbole inventé qu’une foule qui
risque d’être oubliée.
N° 26 - DÉCEMBRE 2017 17
VARIA
Exposition
itinérante
VICTIMES
DE L’IMAGE
Demandez les modalités d’em-
prunt de cette exposition (gratuit).
georges.boschloos@auschwitz.be
18 TRACES DE MÉMOIRE
En pratique :
N° 26 - DÉCEMBRE 2017 19
varia
La visite d'Auschwitz-Birkenau est une ville, nous évoquons la cul- français. Le 3 février 2018, nous or-
l'une des principales activités de ture juive, nous passons par l'Um- ganisons une séance d'informa-
la Fondation Auschwitz / Mémoire schlagplatz lieu de départ des dé- tion où vous pourrez découvrir
d'Auschwitz ASBL depuis 40 ans. portations, et nous nous rendons à (gratuitement et sans engage-
Ce voyage d'études durant le- l'endroit où l'histoire s'est arrêtée ment) les détails de ce voyage
quel chaque année des rescapés pour les déportés : le centre de d'études exceptionnel.
partagent leur vécu avec les par- mise à mort.
ticipants est un véritable concept Le 26 mai 2018, nous organiserons
pour les enseignants et les histo- Les lieux que nous visitons sont une journée de formation pour
riens. Mais ce qui est trop souvent Varsovie, Łódz, Radom, Lublin, vous familiariser avec le contexte
oublié : Auschwitz représente l’é- Zamość, Włodawa et Siedlce. historique du voyage. Le prix est
pisode nal du processus de l’ex- Nous visitons les monuments, les de 650 € par personne (calculé sur
termination nazi. mémoriaux et les musées de base de chambres doubles). Sont
Chełmno nad Nerem, de Majda- inclus : les vols aller et retour
C'est pourquoi nous avons créé il nek, de Bełżec, de Sobibór et de (Bruxelles / Varsovie), bus privé
y a quatre ans, un nouveau Treblinka. avec chauffeur pendant 8 jours, 7
voyage d'études : Sur les Traces nuits dans des hôtels confortables
de la Shoah en Pologne. Chaque visite est soutenue de avec un petit déjeuner complet,
Ce voyage de 8 jours guide un manière didactique par des des- deux repas chauds par jour, tous
groupe d'environ 20 personnes à sins et des plans, des photogra- les billets d'entrée des visites de
travers les anciens ghettos, les phies et des documents d'ar- groupe. Un paiement en trois ver-
lieux de déportation et les centres chives, ainsi que des témoignages sements vous est offert.
d'extermination. de survivants et de bourreaux.
Renseignements et inscriptions :
À chaque fois que nous visitons Nos propres historiens guident en georges.boschloos@auschwitz.be