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BELGIQUE - BELGIË

PP

TRACES 32 BRUXELLES X
1/9464

DE MÉMOIRE
PÉDAGOGIE ET TRANSMISSION
UNE PUBLICATION TRIMESTRIELLE DE N° 32 | AVRIL - MAI - JUIN 2019

L’ASBL MÉMOIRE D’AUSCHWITZ

ACTUALITÉ
Arthur Langerman, grand collectionneur
de propagande antisémite depuis
le procès Eichmann.
page 2

AUSCHWITZ
Comment la propagande nazie a
trompé et abusé la Croix-Rouge.
page 4

APPROFONDISSEMENT
Joseph Goebbels, maître de la propagande,
un allié de taille pour Hitler.
page 6

NO COMMENT
Der Ewige Jude de Fritz Hippler.
page 12

SAVIEZ-VOUS...
...que le nazisme avait de nombreuses
communautés dans le viseur ?
page 17

INTERROGATION
Le film Triumph des Willens
de Leni Riefenstahl.
page 20
+ fiche pédagogique page 23

RÉFLEXION
La radio, média de propagande
de masse des nazis.
page 24

VARIA
page 26

ACTUALITÉ La propagande
Éditeur responsable nazie
Henri Goldberg
ASBL Mémoire d’Auschwitz Entretien avec Arthur Langerman, rescapé de la Shoah,
Rue aux Laines 17/Boîte 50 - 1000 Bruxelles qui détient l’une des plus grandes collections privées au
Bureau de dépôt BRUXELLES X
monde d'images antisémites.
Numéro d’agrégation P801056
actualité
Arthur Langerman
grand
collectionneur
de propagande
antisémite depuis
le procès Eichmann
« La race élue », un tableau de Jules Alfred Duquenne, peint en 1944,
montre les Juifs dans leur misère totale durant la guerre.
Comment vous est venue l'idée
de collectionner du matériel
propagandiste ?
Mes parents ont été arrêtés le
28 mars 1944, donc vers la n de
la guerre. Le transfert se faisait à
la Caserne Dossin. Comme j'étais
un nourrisson, j'ai été séparé de
ma famille ; on m'a amené à la
pouponnière de la rue Baron de
Castro (à Etterbeek, Bruxelles).
Mes parents, quant à eux, ont
été déportés avec le vingt-
cinquième convoi de Malines.
Mon père n'est pas revenu. Ma
mère, elle est revenue, mais n'a
jamais voulu parler d'Auschwitz.
Les rescapés ne parlaient pas.
En 1961, j'avais 19 ans, j'ai suivi
avec beaucoup d'intérêt le pro-
cès d'Eichmann. Je lisais tout ce
que je pouvais trouver à ce sujet.
C'est à ce moment que j'ai com-
pris ce qui s'était passé avec ma
famille. J'ai compris que j'avais eu
de la chance, car si j'avais été
déporté, je n'aurais pas été ici
aujourd'hui. Je fus sauvé parce
© Arthur Langerman

que c'était la n de la guerre et


les Allemands avaient compris
qu'ils allaient la perdre.
Moi, je suis un collectionneur fou.
Comme tout collectionneur,

2 TRACES DE MÉMOIRE
Biographie
Arthur Langerman est né en août 1942 à Borgerhout (Anvers), lorsque les dépor-
tations des Juifs débutent, de la Caserne Dossin vers Auschwitz. Ses parents d'ori-
gine polonaise se sont installés en Belgique durant les années 1920. Ils sont arrê-
© www.bitlanders.com

tés en mars 1944 et déportés, à partir de Malines, à Auschwitz par le XXV e Convoi
(mai 1944). Le nourrisson est confié à l'AJB (sous le contrôle de la Sipo-SD) qui le
place dans une pouponnière à Bruxelles. Son père ne survivra pas à la Seconde
Guerre mondiale. Après la guerre, Arthur retrouve sa mère.
Il fait carrière dans le monde diamantaire et détient l’une des plus grandes collec-
tions privées d'images antisémites.

j'allais dans les foires où je trouvais remplie d'argent. Ensuite, cela Duquenne datant de 1944. Le
des objets antisémites, j'ai l'œil évolue encore. On représente un tableau s'intitule « la race élue »...
pour cela. Je savais ce que Juif en tant qu'animal, comme un On voit à quoi les Juifs ressem-
c'était et ce que cela représen- chien ou un cochon. Et puis blent : on remarque la misère
tait. Je me posais la question : comme une araignée, un rat ou totale.
« qu'ont fait les Juifs pour mériter un parasite. Le danger réel se L’autre image qui me reste est
ça ? » Voilà comment est née trouve dans le fait que les gens celle du petit Simon de Trente.
l'idée de ma collection. les ont tellement vus, qu'ils de- Comment est-il possible que
viennent persuadés qu'il faut les cette fake news ne soit pas sortie
Selon vous, où se trouve le dan- tuer. C'est pour cela que les nazis de l'esprit des gens depuis plus
ger dans la perversion caricatu- ont pu tuer les enfants et les vieil- de 550 ans. Les Juifs auraient
rale ? lards : ils étaient convaincus par donc eu besoin de sang pour
Le danger se trouve tout simple- la propagande. Stangl (le com- fabriquer des pains azymes.
ment dans la perversion d'esprit mandant du centre d'extermina- Toute personne qui connaît un
de gens qui ne connaissent rien tion de Treblinka) annonçait à la tant soit peu le judaïsme sait qu'il
des Juifs. Dans toutes les grandes n d'une journée qu'il avait traité est strictement interdit d'utiliser du
villes, on trouve des Juifs et les 10 000 Stück (pièces), car les Juifs sang dans la cuisine juive...
gens pensent qu'il y a beaucoup n'étaient plus des êtres humains. Voilà les deux pièces qui m'ont le
plus de Juifs qu'il y en a réelle- La propagande a beaucoup plus frappé.
ment. De plus, ils pensent que les contribué à cette diffusion de
Juifs ont tout en mains, qu'ils con- haine : la carte postale était à ce
trôlent tout, comme la presse, les but très utile, car des messages
nances, le cinéma, etc. Et voilà parlant de choses tout à fait
le problème : les gens ne suppor- usuelles diffusaient également
tent pas qu'il y en ait qui « possè- une image de haine, comme
dent tout » et eux rien. cette représentation du Juif en
La première étape est l'humour : araignée. Cette carte était une
on prend un Juif et on s'en carte hautement antisémite très
moque. Il mendie, il se casse la appréciée et utilisée.
gure... Après, on prône le Juif
riche : ça frappe la conscience Quel dessin ou carte postale vous Entretien : Johan Puttemans
et cela ne fait plus rire. Le Juif est a le plus choqué ? Coordinateur pédagogique
représenté avec une bourse J'ai un dessin ici du peintre ASBL Mémoire d’Auschwitz

N° 32 - JUIN 2019 3
auschwitz

Capture d'image de Maurice Rossel en 1979, dans


le film Un vivant qui passe de Claude Lanzmann.

Comment la
propagande
nazie
a trompé et
abusé la
Croix-Rouge

© DR
Attendant désespérément toute forme d’aide ou tout signe de
préoccupation de l’extérieur, nombreux sont les détenus
d’Auschwitz qui considéraient pratiquement chaque groupe de
visiteurs du camp comme de possibles représentants de la Croix-
Rouge internationale. En réalité, il s’agissait généralement de
personnes issues de différents bureaux nazis ou d’entreprises
allemandes qui collaboraient avec les SS et à qui étaient présentées
les installations et les différentes parties du camp.

C e n’est que
septembre 1944 que le
Dr Maurice Rossel (1916-
1997), du bureau de la
Croix-Rouge à Berlin, se rendit à
Auschwitz I. Toutefois, son séjour
fut limité à des entretiens avec, se-
n baraquements et des détenus au
travail. Rossel fut cependant sur-
tout connu du grand public pour
sa visite de Theresienstadt plus tôt
dans l’année, soit le 23 juin 1944. Il
annonça à tort que ce camp de
concentration était la destination
En 1979, il fut interviewé par
Claude Lanzmann. Les images de
leur entretien servirent de base à
la production en 1997 du lm Un
vivant qui passe.
À l’automne 1944, alors que des
articles de presse décrivaient les
lon ses dires, des SS « polis, mais si- nale pour les déportés juifs et conditions de vie à Auschwitz, le
lencieux » dans les bureaux de la que leur vie était « pratiquement quartier général de la Croix-
Kommandantur. Sur la base de normale ». En réalité, après sa vi- Rouge internationale de Genève
ces échanges, Rossel conclut que site, les Juifs de Theresienstadt fu- fut le théâtre de discussions sur les
les paquets alimentaires envoyés rent envoyés à la mort à moyens d’intervenir. Finalement,
aux détenus leur parvenaient Auschwitz. Son rapport, considéré on estima que le mieux serait de
bien et qu’un « conseil » de déte- comme « emblématique de ne rien faire pour éviter d’éveiller
nus juifs en surveillait la distribution. l’échec du Comité international au sein du public le faux espoir
Après la guerre, il afrma qu’il de la Croix-Rouge (CICR) » pen- que la Croix-Rouge disposait ef-
n’avait aucune idée des condi- dant la Shoah, a sapé la crédibi- fectivement d’outils pour soulager
tions de vie dans le camp et que, lité du rapport Vrba-Wetzler1, le sort des détenus. Plus encore
lors de sa visite, il n’avait pu obser- pourtant plus précis, et a trompé que le rapport de Rossel sur
ver de loin que des rangées de le CICR sur la Solution nale. Auschwitz, les informations qu’il

4 TRACES DE MÉMOIRE
diffusa sur Theresienstadt sont de- cours, pour tromper également suite le produit mortel dans les ou-
venues le symbole de la façon leurs victimes. Le pesticide Zy- vertures de la chambre à gaz. La
dont la propagande nazie parvint klon B était amené jusqu’aux fours présence de ce véhicule pouvait
à duper des instances neutres qui crématoires dans un véhicule ap- avoir un effet apaisant sur les gens
font autorité, comme la Croix- pelé « Sanka » (pour Sa- qui entraient dans le bâtiment.
Rouge. nitätskraftwagen) dans le jargon Dans le centre d’extermination de
Dans le prolongement de leur pro- du camp, affublé d’un panneau Treblinka, un coin avait été amé-
pagande, les nazis abusèrent du représentant une croix rouge sur nagé en Lazarett, c’est-à-dire un
nom et du symbole de la Croix- fond blanc et conduit par un mé- hôpital de campagne censé ac-
Rouge, signe d’espoir et de se- decin SS. Ce dernier versait en- cueillir les personnes qui avaient
besoin d’une aide médicale
après leur arrivée en train. En fait,
il s’agissait d’une fosse commune
entourée d’une enceinte et sur-
montée d’un drapeau de la
Croix-Rouge pour tromper les vic-
times. Ceux qui étaient envoyés
au Lazarett, généralement des
personnes âgées, des malades ou
des orphelins susceptibles de ra-
lentir le processus d’extermina-
tion, étaient immédiatement tués
© Ghetto Fighters' House Museum

d’une balle dans la tête et jetés


dans la fosse commune. Ici aussi,
la présence du symbole de la
Croix-Rouge avait pour objectif
qu’ils restent calmes jusqu’au mo-
ment fatal.

Frédéric Crahay
Dessin de David Olère (1902-1985), un ancien membre des Sonderkommandos
Directeur
qui survécut à la Shoah. À droite du Krematorium III, le Sanka. ASBL Mémoire d’Auschwitz
Traduit du Néerlandais
par Ludovic Pierard

Le Lazarett de Treblinka avec le drapeau


de la Croix-Rouge.
Dessin de Samuel Willenberg (1923-2016),
qui survécut à la révolte
du 2 août 1943 à Treblinka.

(1) Ce rapport, établi par Rudolf Vrba


et Alfred Wetzler qui s’évadèrent
d’Auschwitz en avril 1944, exposait la
situation dans le camp de concentra-
© DR

tion et le centre d’extermination.

N° 32 - JUIN 2019 5
approfondissement

Joseph Goebbels
Maître de la propagande, un allié de
taille pour Hitler

« Le secret de la propagande, c’est d’imprégner totalement quelqu’un


de ses idées sans qu’il s’en aperçoive. Bien entendu, la propagande a
un but, mais ce but doit être dissimulé avec tant de ruse et de virtuo-
sité que celui qui est influencé ne le remarquera pas. »

Ces propos terrifiants ne peuvent provenir que d’une seule personne : Joseph Goeb-
bels, le ministre de la Propagande qui mènera la guerre en sophiste démagogique et
impitoyable. Pas avec des armes, mais avec des mots destructeurs. Car comme le
dit le proverbe : « La plume est plus forte que l’épée. » Il mettra tout son talent au
service du nazisme et de Hitler pour proclamer leurs idées. Pour le Führer, le soutien
d’un propagandiste de cette trempe fut un don du ciel.

Goebbels, l'inventeur du là, bien entendu : Goebbels sait Parallèlement, Joseph Goebbels
mieux que quiconque comment n’hésite pas à employer la vio-
parfait martyr.
laver le cerveau des Berlinois et les lence physique. Pas qu’il soit un
galvaniser. Pour ce faire, il publie homme d’action directe ; ce sont
En 1926, Adolf Hitler jette un de ses entre autres Der Angriff, un quoti- les membres des SA qui s’en char-
meilleurs propagandistes dans la dien nazi. Le titre est éloquent : gent. Bien entendu, ces affronte-
fosse aux lions : Berlin. La capitale lancer une attaque immédiate ments font des victimes dans les
est en effet profondément domi- contre la présence rouge à Berlin. deux camps, qui comptent des
née par les communistes. La pre- Grâce à son sophisme rhétorique, blessés et même des morts, qui re-
mière action entreprise par le il parvient peu à peu à gagner le présentent à nouveau une excel-
nouveau Gauleiter de Berlin à son peuple à sa cause, même si son lente opportunité pour le respon-
arrivée est de déclencher, avec journal est truffé de mensonges. sable de la propagande. Lorsque
des SA (les chemises brunes bru- Ce qui, pour Goebbels, n’est pas le jeune SA Horst Wessel, un type
tales des nazis), une bagarre vio- un problème. Au contraire jusqu’alors totalement inconnu,
lente lors d’une réunion commu- même : tant que le peuple croit tombe en janvier 1930 lors de
niste. Lorsque l’information paraît ce qu’il écrit... Il concentre cons- combats de rue contre les com-
le jour suivant dans la presse, il ré- ciemment ses efforts sur la petite munistes, Goebbels y voit une oc-
plique avec cynisme : « Au moins, bourgeoisie, mais aussi et surtout, casion d’en faire un martyr. Le
Berlin sait maintenant que nous sur le prolétariat ; le « socialisme » Gauleiter crée le mythe Horst-
sommes là ! » Mais il n’en reste pas nazi doit se mettre en marche ! Wessel. Dans le discours qu’il pro-

6 TRACES DE MÉMOIRE
Le 10 mai 1933 : Goebbels ordonne la destruction massive des livres
qui vont à l’encontre de la Weltanschauung du nazisme.
nonce lors des funérailles, Goeb-
bels proclame à pleins poumons :
« Nous, Allemands, ne compre-
nons peut-être pas la vie. Mais
nous savons comment mourir tout
en splendeur. » L’enterrement est
pleinement exploité à des ns de
propagande : le « Horst-Wessel-
Lied » est écrit et sera chanté lors
des futures réunions nazies, à côté
de l’hymne national allemand.
Goebbels a réussi sa première mis-
sion : créer un mythe basé sur
l’idéalisme nazi, mourir pour la pa-
trie an d’entrer en martyr dans
© DR

l’éternité.

Goebbels, le barbare
culturel pyromane. scènes moyenâgeuses. Néan- Goebbels, antisémite
moins, plusieurs livres (dont les au-
En tant que responsable de l’ave- teurs) sont tellement connus au
dans l'âme.
nir culturel de l’Allemagne nazie, sein de la population qu’ils ne Dans son entourage proche, Jo-
le ministre de la Propagande et peuvent plus être chassés de la seph Goebbels est surtout connu
président des Affaires culturelles culture allemande. Un bon pour être un misanthrope. Il mé-
ne peut continuer à laisser circuler exemple est l’écrivain allemand prise pratiquement tout le monde,
une quelconque littérature « dé- (juif) Heinrich Heine, que l’on re- mais, comme on peut s’y at-
générée ». Le 10 mai 1933, il lance trouve à partir de ce moment tendre, il est capable de sauver
la destruction des livres interdits, dans les bibliothèques alle- les apparences. Sauf lorsqu’il
autrement dit ceux qui vont à mandes sous le nom : Dichter un- s’agit du judaïsme. Sa haine est si
l’encontre de la Weltanschauung bekannt (« poète inconnu »). Ci- profonde qu’après sa nomination
(« la vision du monde ») du nazisme. tons ce vers célèbre et bien à pro- comme ministre de la Propa-
Les Berlinois, mais aussi des habi- pos de ce poète romantique de gande, siégeant à Berlin, il prend
tants d’autres villes, sont « invités » 1820 : Wo man Bücher verbrennt, un malin plaisir à donner à la po-
à jeter publiquement des livres verbrennt man auch am Ende pulation juive un avant-goût de
« dégénérés » (principalement Menschen. (« Là où l’on brûle des ce qui l’attend. Les Juifs sont les
écrits par des auteurs juifs) dans livres, on nit par brûler des êtres boucs émissaires par excellence,
de grands brasiers, rappelant des humains »). la cause de tout le mal sur terre et,

N° 32 - JUIN 2019 7
Joseph Goebbels, constituait avec Hermann Göring et
Heinrich Himmler, le sommet le plus puissant du régime nazi.

principalement, de la honte subie


par l’Allemagne après la défaite
de 1918. Lorsque le Juif Herschel
Grynszpan assassine à Paris le di-
plomate allemand Ernst vom Rath
le 9 novembre 1938 (l’attentat
coïncide avec les commémora-
tions du 15e anniversaire du
putsch manqué de Hitler), Goeb-
bels y voit une occasion unique
de revenir dans les bonnes grâces
de son Führer après son aventure
avec Lida Baarova.
Goebbels écrit dans son journal le
10 novembre 1938 : « Je me rends

© DR
à la réception du parti, dans l’an-
cien hôtel de ville. C’est un peu la
cohue. J’expose l’affaire au
Führer. Il dit que les manifestations Nous laissons le reste brûler. Lors- bels est au courant, dès le début,
doivent se poursuivre et que la que je retourne à l’hôtel, les vitres du génocide qui s’annonce. Il le
police doit se retirer. Les Juifs doi- éclatent. Bravo ! » Ces heures conrme dans un texte datant de
vent maintenant sentir dans leur passeront à la postérité sous l’ap- mars 1942. Pour lui, les Juifs n’ont
chair la colère populaire. Je pellation de « Nuit de cristal ». tout simplement que ce qu’ils mé-
donne immédiatement les instruc- Bien entendu, Joseph Goebbels ritent...
tions requises à la police et au ne peut en rester là. Il déclare sans Goebbels déclare plus tard : « Il
parti. Puis je tiens un bref discours scrupules sous les ovations de la aurait été stupide d’annoncer nos
devant la direction du parti. Un foule : « Ils [la presse juive, c’est plans précis aux Juifs avant notre
tonnerre d’applaudissements. contradictoire, puisque Goebbels prise de pouvoir. C’est très bien…
Tout le monde se met à télépho- contrôle la totalité de la presse en [silence à cause d’applaudisse-
ner sur-le-champ. Le peuple va Allemagne ! J.P.] feraient mieux ments spontanés, J.P.]. Bien et
maintenant agir. Je veux retour- de se tenir sur leurs gardes. Un jour, utile qu’au moins une partie des
ner à mon hôtel et voir le ciel virer notre patience aura atteint ses li- Juifs ait pensé que ça n’irait pas
au rouge sang. La synagogue mites et nous ferons taire ces ef- aussi loin. Ils parlent beaucoup,
brûle. Nous ne permettons aux fés menteurs juifs. » mais nous attendons le bon mo-
pompiers d’intervenir que pour Proche collaborateur et compa- ment. » Goebbels ne peut être
préserver les habitations voisines. gnon d’Adolf Hitler, Joseph Goeb- plus clair !

8 TRACES DE MÉMOIRE
Joseph Goebbels, l'impitoyable propagandiste
démagogique, en plein discours.

sente aux spectateurs l’ordre pro-


mis par Hitler dans une vision du
monde chaotique. Il utilise à nou-
veau le cinéma pour répandre le
culte nazi, dans l’unique but de
conrmer la solidarité et l’unité du
peuple allemand pur.
On attend des réalisateurs qu’ils
réalisent des lms uniquement
pour montrer au public une
image parfaite de Hitler et de sa
vision du monde. Un excellent
© Bundesarchiv

exemple est celui de la réalisa-


trice allemande Leni Riefenstahl
(voir la rubrique « Interrogation »).

Goebbels, le bureaucrate
qui rêve de guerre.
Goebbels, le manipulateur tration.
parfait des médias. Joseph Goebbels connaît mieux Le 1er septembre 1939, l’Alle-
que quiconque l’importance des magne nazie envahit la Pologne.
Dès le moment où Goebbels de- médias pour toucher les masses et La Blitzkrieg s’avère rapidement
vient ministre de la Propagande, il l’endoctriner avec l’idéalisme implacable pour les Polonais, im-
contrôle le milieu journalistique. nazi. Les journaux, la radio, la télé- puissants, attaqués par l’URSS sur
Désormais, plus aucun journaliste vision... sont minutieusement con- leur anc oriental quelques se-
ne peut prendre la plume libre- trôlés et manipulés par son cabi- maines plus tard. Goebbels, qui
ment. La censure est la règle, im- net. Dans ce cadre, l’image est n’a jamais combattu, fait ici parler
posée par Goebbels. Tous les jour- une des armes les plus puissantes une nouvelle arme puissante et
nalistes doivent obéir au doigt et pour atteindre ses objectifs de dévastatrice : les devises guer-
à l’œil. Tout est minutieusement propagande. Au cinéma, les gens rières. Jadis au service de la
contrôlé et ceux qui ne se soumet- sont imbibés de propagande na- haine, la propagande change
tent pas perdent leur job, dans le zie. Impossible d’y échapper. pour devenir une propagande de
meilleur des cas. En réalité, L’image doit convaincre le guerre. Après la conquête de la
nombre d’entre eux, accusés peuple du bien-fondé du na- Pologne, Joseph Goebbels se
d’être des agitateurs, disparais- zisme : la Volksgemeinschaft (« la rend personnellement à Varsovie
sent dans des camps de concen- communauté populaire ») pré- pour y étudier ce « judaïsme orien-

N° 32 - JUIN 2019 9
tal ». Le 2 novembre 1939, il écrit démagogue vend ce qui sera aussi à saisir la gravité de la situa-
dans son journal personnel : « Tour une guerre de destruction tion, continue à suivre son Führer
dans le ghetto. Nous descendons comme une « guerre de libéra- et à lui obéir aveuglément. Des
du véhicule et procédons à une tion », le tout rehaussé d’une salles pleines à craquer sont subju-
inspection approfondie. C’est in- campagne de dénigrement guées par les rugissements de
descriptible : ce ne sont pas des écœurante à l’égard des Slaves, Goebbels. Un de ses discours les
êtres humains, mais des bêtes. Par présentés comme des Untermen- plus célèbres est celui qu’il pro-
conséquent, ce n’est pas une in- schen. Le discours de Goebbels nonce au moment où il demande
tervention humanitaire, mais bien est on ne peut plus clair : « Le na- l’impensable au peuple alle-
chirurgicale. Nous devons couper, tional-socialisme prépare une mand : la guerre totale. « Le ju-
très profondément. » Bien en- nouvelle culture européenne. Le daïsme est une infection conta-
tendu, le ministre de la Propa- bolchévisme est la déclaration de gieuse. L’Allemagne n’a pas l’in-
gande xe ces « bêtes » sur la pel- guerre de l’Untermenschentum tention de plier face à cette me-
licule pour convaincre le peuple juif contre la culture elle-même. » nace juive. Au contraire, elle ex-
allemand de la nécessité de Naturellement, les nazis ne font termin... mettra hors d’état de
cette guerre. pas la guerre aux communistes, nuire le moment venu et, si néces-
En juin 1941, à la veille de l’opéra- mais bien au véritable ennemi in- saire, totalement et radicalement
tion Barbarossa (la guerre contre térieur : le Juif. le judaïsme. [Il est sur le point de
l’URSS par laquelle l’Allemagne se trahir en révélant ce qui se
nazie rompt le pacte Ribbentrop- Goebbels, le stratège passe réellement, J.P.]. Les Anglais
Molotov conclu en août 1939), Jo- afrment que le peuple s’oppose
seph Goebbels vit un moment im-
avide de meurtres. aux mesures de guerre. Le peuple
portant : mandaté par Hitler, il Un revers décisif pour l’Allemagne allemand ne voudrait pas la
peut annoncer personnellement nazie est la défaite à Stalingrad guerre totale, mais la capitulation.
à la radio la déclaration de au début de l’année 1943. Goeb- (…) Voulez-vous la guerre to-
guerre au peuple allemand. Le bels, qui commence pourtant tale ? » – Le peuple : « Oui ! » [Sous
© Bundesarchiv

« Voulez-vous la guerre totale ? »


Goebbels dans le Sportpalast de Berlin
plein à craquer, en 1943.

10 TRACES DE MÉMOIRE
des vivats et des cris étourdissants, augmenter l’industrie de guerre et montera de leurs gorges et fera
J.P.] – Goebbels : « Voulez-vous pour que le combat (désespéré) blêmir l’ennemi. » Ces chimères
qu’elle soit plus totale et radicale puisse ainsi se poursuivre plus long- deviennent moins crédibles. Il n’y
que ce que nous pouvons imagi- temps. a plus d’armes. Goebbels tente
ner ? » – Le peuple : « Oui ! » – Lorsque l’industrie de guerre sou- de compenser ce problème par
Goebbels : « Allons, peuple, lève- tenue par les femmes et les en- son énergie et sa force de persua-
toi, précipite-toi et déchaîne-toi. » fants ne suft plus, Goebbels va sion. Le propagandiste devient
Avec tout le cynisme qui le carac- encore un cran plus loin : les vieux plus prudent dans son choix des
térise, il déclare encore le même et les enfants sont lancés physi- mots : le terme Endsiege (« vic-
soir : « Si je leur avais ordonné de quement dans une guerre perdue toire nale ») a disparu de son vo-
sauter du toit d’un immeuble, ils d’avance. Des enfants sans for- cabulaire.
l’auraient fait... » Toutefois, après mation militaire, qui devraient en- Johan Puttemans
ce discours suicidaire pour le core vivre des années d’insou- Coordinateur pédagogique
peuple, on est en droit de se de- ciance, sont fanatisés sans la ASBL Mémoire d’Auschwitz
mander ce qu’il entend précisé- moindre compassion, pour qu’ils Traduit du Néerlandais
ment par une guerre « plus to- se battent et, si nécessaire, meu- par Ludovic Pierard
tale » ! L’armée perd sur tous les rent pour le Führer et la Patrie. Ici
fronts et l’Allemagne est constam- aussi, Joseph Goebbels fait en- Sources :
ment bombardée par les Alliés. tendre sa voix : « Les divisions qui * Reimann, V. Joseph Goebbels – Hit-
Goebbels ne serait pas Goebbels se sont déjà regroupées pour de lers geniale propagandamachine
s’il n’avait pas une idée derrière la petites offensives et qui, dans les Éditions Elsevier, Amsterdam-Brussel,
1979
tête. En tant que « plénipoten- prochains mois et semaines, se
* Documentaire DVD « Les complices
tiaire de la guerre totale », il ourdit rassembleront pour de grandes d’Hitler », partie 3 :
désormais le plan de jeter tout le offensives... entreront dans la lutte « Joseph Goebbels – Le pyromane »
peuple allemand dans la bataille. comme s’ils se rendaient à la Documentaire de G. Knopp & P. Adler
Les femmes sont utilisées pour messe. Un appel à la vengeance ZDF Production, 2002

Le texte complet peut être consulté


sur notre site web.

© Rare Historical Photos

Goebbels félicitant un jeune garçon


de son Volkssturm et l'envoyant
ainsi vers une mort probable.

N° 32 - JUIN 2019 11
no comment

Dans cette nouvelle rubrique,


nous vous présentons une image,
un texte, un lien internet, sans
commentaire. Remplissez vous-
même cet espace de vos propres
réexions et commentaires. Soyez
critique avec les informations re-
çues.

Georges Boschloos
ASBL Mémoire d’Auschwitz

Der Ewige Jude


(Le Juif éternel)
Fritz Hippler - 1940

12 TRACES DE MÉMOIRE
Une exposition itinérante
gratuitement dans votre école

FABRIQUE, REPRISE & CRITIQUE


DES CLICHÉS
Les camps
Le portail d’Auschwitz
Les corps faméliques L’humanitaire Les photographes
L’innocence de l’enfant La femme Les artistes
L’iconographie religieuse Les lieux communs Les humanitaires
La publicité
L’humanitaire publicitaire
La presse
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Victimes de guerre, de catas-
1 catalogue
trophes naturelles, d’épidémies…
Les victimes civiles ont envahi de-
1 carnet pédagogique)
puis un demi-siècle notre quoti-
dien. Nous les voyons dans les
journaux, à la télévision, sur des af-
ches dans la rue, dans le métro.
Elles sont devenues en quelque
sorte banales, provoquant parfois
l’effet inverse souhaité… Pourquoi sommes-nous émus de- 24 panneaux
Ces images sont conçues pour vant telle ou telle image ? Panneaux en Forex (75 x 100 cm),
nous émouvoir, pour nous faire ré- faciles à placer.
agir rapidement, l’espace de ces Parce que nous y reconnaissons
quelques secondes où notre re- une souffrance à laquelle notre
gard se porte sur elles. Elles em- éducation, au sens large, et notre Catalogue
pruntent des codes et des stéréo- culture – notre éducation cultu- 24 pages d’information qui
types déjà enregistrés dans notre relle – ont déjà donné une signi- complètent les panneaux de
mémoire culturelle pour représen- cation. Parce que nous ne l’exposition
ter la violence radicale, la terreur, sommes pas indifférents aux vic- + bibliographie en sitographie
l’horreur, le Mal. times que l’on nous montre (com-
Mais ces images dont on sature ment ne pas l’être quand il s’agit
maintenant notre champ visuel de femmes et d’enfants : d’êtres Carnet pédagogique
représentent-elles vraiment les vulnérables). Le but de ce carnet :
victimes ? Un simple cliché surli- Permettre aux élèves de
gné d’un slogan, comme toute Mais ne nous trompons pas, visiter l’exposition de façon
publicité, ne masque-t-il pas une l’émotion n’est pas négative en plus active : regarder un
réalité différente ? Les moyens soi. Elle est même fondamentale panneau et en lire le texte
journalistique, publicitaire et/ou pour l’équilibre de nos relations en diagonal ne suft pas.
humanitaire ont-ils le pouvoir avec nos semblables, notre socia- Les élèves se réunissent en
d’expliquer ces situations et ces bilité, notre humanité. Elle est un classe après la visite de
événements extrêmement vio- vecteur qui nous permet de nous l’exposition, discutent en
lents auxquels ils font référence ? rapprocher de nos pensées, de petits groupes, analysent le
Cette exposition a pour but nos idéaux. Les problèmes com- contenu et traduisent les
d’amener à rééchir sur le pouvoir mencent quand elle devient une données vers l’actualité.
et le sens des représentations con- nalité : se sentir débordée par les Apprendre à l’élève à
temporaines. Ce qu’elles permet- pleurs qui viennent peut obscurcir penser de manière critique
tent de comprendre ou font voir tout jugement. Ou bien lorsqu’elle et à donner sa propre
sans nous faire comprendre, mais tente de nous manipuler, moyen interprétation au contenu
aussi ce qu’elles cachent. classique de la publicité. des panneaux.
Catalogue

Comment utiliser ce carnet :


On forme trois groupes.
Chaque groupe recevra un
carnet qui comporte
chacun 12 ches à remplir.
Les questions ont été
formulées de telle façon
que les réponses se
complètes et forment un
ensemble enveloppant la
problématique totale. Le
but nal pour chaque élève
consiste à trouver des
images existantes et d’en
détourner la signication.

Chaque carnet est prévu pour


être utilisé par six élèves.

Renseignements et réservations :
georges.boschloos@auschwitz.be

La fabrique La reprise La critique


des clichés des clichés des clichés
saviez-vous...

...que le nazisme avait de nombreuses


communautés dans le viseur ?
Dans Mein Kampf, Hitler écrit que le judaïsme est une « Gegenrasse » (antirace). Une race qui constitue une
menace immédiate pour toute l’humanité. Sa haine des Juifs, qu’on peut décrire comme une véritable déviance
psychiatrique et pathologique, est ancrée très profondément en lui. Sa répulsion schizophrénique s’exprime par
le mépris, la persécution et l’exclusion des autres « groupes raciaux » qui, en fin de compte, peuvent tous être
réduits à l’ennemi éternel de « son » humanité : le judaïsme.
Cet article vous donnera, à l’aide de matériel de propagande, un aperçu partiel des groupes qui étaient visés par
l’idéologie haineuse des nazis et de leur Führer.

et mentaux, souillent cette nation. se libérer de cette « vie sans ave-


Contre la fragilité Hitler prote délibérément du dé- nir ».
biologique allemande. clenchement de la Seconde
Hitler aspire à une « biocratie » Guerre mondiale et de l’invasion Contre les « pollueurs de la race »,
aryenne pure et considère avec de la Pologne pour se défaire de les asociaux, les homosexuels
mépris les Allemands inférieurs. Les cette partie de la population alle- et les « nègres ».
Aryens sont présentés comme mande.
étant de grande taille, forts, sains, Les êtres inférieurs (appelés en Pour maintenir la supériorité de
courageux et héroïques, avec 1920 par Binding et Hoche les cette race germanique pure,
pour caractéristiques phénoty- « vies qui ne méritent pas d’être chaque Allemand pur (critère
piques des cheveux blonds et des vécues ») sont massacrés en conrmé par une « carte de re-
yeux bleus. Le peuple sain doit en- masse dès le début de l’année production raciale ») doit offrir des
gendrer un peuple germain pur. 1940. enfants au Führer et à l’Alle-
Les Allemands qui, d’un point de La famille de ces Allemands « infé- magne nazie. Le pays doit avoir
vue « racial », font partie de ce rieurs » est convaincue, par du un sang pur, d’autant plus après
groupe « ethnique » sans pour au- matériel de propagande et d’en- la perte d’autant d’hommes cou-
tant répondre à ces critères, doctrinement, de la nécessité de rageux lors de la défaite de la Pre-
comme les handicapés physiques créer une Allemagne pure et de mière Guerre mondiale.

Cette illustration met le peuple allemand en Chaque Allemand comprend Cet homme, accusé d'être un
garde contre les « vies sans espoir ». immédiatement l'inquiétude suscitée par « Rasseschänder » (un « profanateur de
l'énorme problème de la reproduction. la race »), est humilié publiquement.

© Pinterest © Exposition 'Wunder des Lebens', Berlin, 1935 © USHMM

N° 32 - JUIN 2019 17
© Bundesarchiv
© 4plebs
Toutes les races inférieures, comme les Population rom arrêtée en 1940
« nègres », ne sont que des produits bâtards pour être déportée.
issus de l'ennemi éternel : le Juif.
Cette affiche veut démontrer les
caractéristiques physiques de l'être
inférieur, l'Untermensch.
Les responsabilités de la femme
allemande : « Tu portes en toi l'héritage
des générations futures. »

Le franc-maçon, identifiable en un
coup d'œil comme étant un « Juif déguisé »,
domine le monde entier.
© University of Minesota
© www.dhm.de

© Filmhauer

Le peuple allemand est bom- Le matériel de propagande ne se « liberté, égalité et fraternité », le


bardé de statistiques montrant concentre pas que sur le négatif. pôle opposé des valeurs portées
que les êtres inférieurs se reprodui- La femme aryenne allemande y par le nazisme. De par leur univer-
sent plus vite. Ces messages expli- apparaît aussi. Elle doit veiller à salisme, ils ne sont rien d’autre
quent aux Allemands pourquoi ce préserver la pureté de son sang pour les nazis que les sbires de leur
serait une catastrophe pour leur allemand prestigieux. ennemi juré : le Juif.
propre avenir.
Dès 1935, les Allemands raciaux Contre les Tsiganes. Contre les Untermenschen.
ne peuvent plus, sous peine de
sanction, entamer une relation Les nazis considèrent les « Tsi- Le fait qu’Hitler considère le
avec des Untermenschen. Celui ganes » (Roms et Sinti) comme un peuple germanique (au-delà des
ou celle qui, malgré tout, ose en- peuple inférieur, à l’instar des Juifs. frontières traditionnelles) comme
freindre cette règle est humilié pu- Il faudra un certain temps avant supérieur est conrmé par le dé-
bliquement pour servir d’avertisse- qu’ils ne se retrouvent dans leur vi- tournement du concept d’Über-
ment au reste du Reich allemand. seur mortel, mais le sursis sera de mensch (être supérieur) déni par
Le mal absolu est la reproduction courte durée. Durant l’été 1944, Friedrich Nietzsche.
d’un Aryen ou d’une Aryenne les Roms et les Sinti sont assassinés Les personnes inférieures (qui,
avec un Juif ou une Juive, qui, se- en masse à Auschwitz. contrairement aux Juifs, font bien
lon la propagande nazie, ne peut partie de l’humanité) sont dési-
engendrer que des bâtards. Contre la franc-maçonnerie. gnées par le terme Untermen-
Après le vote des lois de Nurem- schen. Il vise ici les peuples slaves,
berg (septembre 1935), tout ma- Hitler méprise la franc-maçonne- comme les Tchèques, les Polonais
riage entre Aryens et Juifs est of- rie, une société secrète qu’il voit et les Russes. Ils étaient destinés à
ciellement interdit. (Consultez la comme un grand danger. Pour lui, devenir les esclaves des Ger-
déclaration de Hermann Göring !) ils représentent, avec leur devise mains.

18 TRACES DE MÉMOIRE
Le soldat soviétique est guidé par
le commissaire du peuple qui, à son tour,
est guidé par la faucille de Staline.
© DR

Mais le véritable meneur est en réalité... le Juif.

Le livre antisémite par excellence,


décrivant la conquête du monde par
Dans le journal antisémite Kladderadatsch, les Juifs, est Les Protocoles des Sages de Sion.
le président américain découvre son vrai Les caractéristiques physiques typiques Le Juif n'est plus un être humain,
visage dans un miroir... du Juif éternel, l'image même du mal. mais la menace ultime pour l'humanité.

© Holocaust Education & Archive Research Team


© Calvin College

© USHMM

Contre les capitalistes pation, ce qui contraste forte- race. Une « antirace » qui, tel un
ploutocratiques. ment avec l’opération Barbarossa parasite, sous quelque forme que
(la guerre contre l’URSS), qui est ce soit, et donc un peu à l’instar
Goebbels a un jour qualié les une guerre d’anéantissement. Se- d’un caméléon, se cache der-
cercles entourant le président lon les nazis, derrière le commu- rière tout le mal fait au national-
américain Franklin Roosevelt de nisme se cachent en effet le ju- socialisme et à l’humanité. Pour
« clique ploutocratique ». Il voulait daïsme et la menace qu’il fait pla- dépeindre le phénotype juif, il uti-
ainsi dire que ce pays nancière- ner sur le monde. En prônant l’uni- lise des stéréotypes qu’il n’invente
ment riche était dirigé par le versalisme communiste, pôle op- pas, mais qui habitent depuis des
monde nancier. En partant de posé du nationalisme nazi, Staline siècles l’antisémitisme (euro-
ce constat, il n’y a qu’un pas à voudrait en fait conquérir le péen) : une petite silhouette cour-
franchir pour considérer l’Amé- monde au prot du judaïsme... bée, affublée de petits yeux sour-
rique capitaliste comme un pays nois et d’un nez crochu. Tel est le
dominé par le monde nancier Juif selon Hitler, le mal absolu, le
Contre l'ennemi juré par
juif. Juif éternel...
excellence : le Juif éternel.
Contre le communisme. Dès 1919, Hitler dénonce dans ses Johan Puttemans
écrits la menace que représente Coordinateur pédagogique
Lorsque Hitler déclenche les hosti- le judaïsme. Il ne décrit pas le Juif ASBL Mémoire d’Auschwitz
lités à l’ouest, il s’agit surtout d’une comme un être inférieur, ou Unter- Traduit du Néerlandais
guerre de conquête et d’occu- mensch, mais comme une anti- par Ludovic Pierard

N° 32 - JUIN 2019 19
interrogation

LE FILM
‘TRIUMPH DES WILLENS’
DE LENI RIEFENSTAHL
À 101 ans, Leni Riefenstahl déclare : « Triumph des Willens ist ein Doku-
mentarfilm von einem Parteitag, mehr nicht. Das hat nichts zu tun mit
Politik. » (Le triomphe de la volonté n’est rien de plus qu’un film docu-
mentaire qui retrace la journée d’un parti. Ça n’a rien à voir avec la poli-
tique. ») Pour cette vieille femme robuste, qui a encore toute sa raison,
son œuvre probablement la plus célèbre est apolitique. La vérité factuelle
peut pourtant remettre en cause cette affirmation. Dans cet article, nous
nous pencherons sur le film documentaire de propagande nazie par excel-
lence : Triumph des Willens et sur sa réalisatrice, Leni Riefenstahl.

E n mars 1935, c’est la pre-


mière du documentaire
intitulé Triumph des Wil-
lens. Le sous-titre est :
Reichsparteitaglm der NSDAP
(Le lm d’une journée du parti du
Reich, le NSDAP). Étonnamment,
l’époque, un des lms les plus re-
gardés. On ne ménage ni les ef-
forts ni les moyens nanciers. Sur
ordre du Führer, le lm se voit oc-
troyer un énorme budget, ce qui
autorise des prises splendides,
avec des décors mégalomanes,
utilise des techniques de réalisa-
tion très innovantes, dont des
perspectives manipulées, diffé-
rentes lentilles et même des vues
aériennes illustrant l’immensité de
l’Empire allemand. Bien entendu,
la musique est incontournable.
ce n’est pas le ministre de la Pro- dessinés par Albert Speers, l’archi- Richard Wagner, le compositeur
pagande, Joseph Goebbels (voir tecte de Hitler. Hitler cone la mis- de prédilection d’Hitler, est omni-
la rubrique « Approfondisse- sion à la jeune Leni Riefenstahl en présent, avec un paroxysme musi-
ment ») qui en est le commandi- personne, qui avait déjà réalisé cal déchaîné lorsqu’il prend la
taire, mais rien moins que le plusieurs lms, avec un succès parole devant des milliers de
Führer, Adolf Hitler lui-même, moindre, dans un but clair : le lm membres du parti réunis.
d’ailleurs mentionné en qualité de doit devenir un véritable docu-
producteur dans le générique. Le mentaire de propagande, où il Le lm présente la réunion de
lm connaît un immense succès, apparait comme le vrai Führer al- masse de quatre jours organisée
aussi bien en Allemagne nazie lemand, pratiquement un messie. lors des journées du parti nazi à
qu’à l’étranger (dont les États- Ce culte de la personne doit s’in- Nuremberg, en septembre 1934,
Unis). Soit dit en passant, sa ltrer dans chaque citoyen alle- dans un décor grandiose. Tout est
projection devient obligatoire mand. Seul Hitler peut relever articulé autour des mots clés sui-
dans toutes les écoles alle- l’Allemagne (nazie) après la dé- vants : camaraderie, fraternité et
mandes, avec un impact inévi- faite scandaleuse de la Première sentiment de groupe. C’est un lm
table sur le jeune public. En outre, Guerre mondiale et les consé- « par des nazis, pour les nazis et sur
il remporte plusieurs prix, aussi bien quences humiliantes du Traité de les nazis »1. Dans le lm, cette ca-
en Allemagne qu’à l’étranger. Versailles. Pour atteindre cette maraderie apparaît dans prati-
Le lm et la technique (innovante) grandeur et attiser le sentiment quement toutes les couches de la
de la réalisation sont loués. Il rem- pangermanique au sein de la po- société : la discipline et l’ordre
porte un vrai succès et devient, à pulation allemande, Riefenstahl (para)militaire allemand des

20 TRACES DE MÉMOIRE
Leni Riefenstahl qui, en tant que
réalisatrice, propage l'idéologie nazie
en utilisant l'arme de propagande
la plus puissante : le cinéma.

© Bundesarchiv
jeunes (les jeunesses hitlériennes) tresse, voire un véritable messie. ramener l’Allemagne au sommet
et des adultes (les SA2 alors entiè- Le documentaire irte ainsi avec du monde. Hitler est on ne peut
rement soumis à Hitler et les dé- le religieux : le culte du nazi et du plus clair pendant son discours :
voués SS). Seules apparaissent à NSDAP sont présentés comme « Notre volonté est que cet em-
l’écran des scènes de rire et de une nouvelle religion pour le pire dure mille ans. »
camaraderie, pour illustrer l’idéal peuple allemand, avec Hitler en • L’unité (nationale-socialiste). Le
auquel doit aspirer tout le peuple. héros élu. but ultime du lm est de créer
Il commence par des images • La position de force du NSDAP / l’unité entre le NSDAP (le seul parti
spectaculairement esthétiques d’Adolf Hitler. Quelques mois politique encore autorisé), l’État
du décor écrasant de Nuremberg avant la réunion, Hitler s’est dé- allemand et le peuple alle-
et emmène les spectateurs, dès le barrassé d’Ernst Röhm et de ses mand/germanique (Hitler ne li-
début, dans de lointaines SA, devenus trop dangereux. mite pas l’identité allemande aux
époques moyenâgeuses de erté Comme il le démontrera aussi, Hit- frontières xées par le Traité de
et d’orgueil. Les drapeaux à croix ler n’hésite pas à s’arroger tous les Versailles). Le national-socialisme
gammée omniprésents montrent pouvoirs. Lorsque, un mois avant est immortalisé à l’écran sans la
toutefois clairement que le lm ne le Reichsparteitag, le président moindre distinction de rang ou de
se concentre pas sur le passé, Paul von Hindenburg décède, situation. Tous les Allemands sont
mais bien sur le présent et l’avenir. Goebbels annonce la fusion de la égaux, du moins en théorie (idéo-
Une analyse critique du lm met fonction de chancelier avec celle logique). Le pangermanisme
en évidence trois thèmes princi- de président. Dès lors, Hitler dé- triomphera, tout simplement ! Tel
paux illustrant cette réunion de tient tout le pouvoir exécutif, est le message ostensible que Rie-
quatre jours : signant ainsi la n de la séparation fenstahl veut adresser à l’Alle-
• Le culte de la personne. Pas sim- des pouvoirs. La dictature est dé- magne et au monde.
plement d’un Führer, mais d’Adolf sormais un fait, que Hitler conrme Ces trois thèmes formaient depuis
Hitler, l’unique solution pour l’Alle- en organisant cette réunion et en déjà longtemps le slogan alle-
magne après la Première Guerre commanditant le lm de propa- mand que chaque nazi con-
mondiale. Présenté comme le gande grandiose qui l’accom- vaincu clamait à tue-tête : « Ein
sauveur dans une situation de dé- pagne. Il est l’unique espoir pour Volk, ein Reich, ein Führer » (« Un

N° 32 - JUIN 2019 21
Hitler à côté de Leni Riefenstahl. Le Führer,
concepteur démagogique du Triumph des Willens,
d'un côté et sa réalisatrice parfaite de l'autre.

© HBvL
© The Times of Israël

Rudolf Heß (à droite) est un des


plus fidèles alliés d'Hitler,
mais aussi son dauphin.

peuple, un empire, un guide »). l’Allemagne, comme l’Allemagne


Lors du dernier jour, le culte nazi est Hitler. ») La réunion se clôture Qui est Rudolf Heß ?
atteint son apogée avec une pa- par le Horst-Wessel-Lied, entonné
rade (para)militaire presque ma- à tue-tête... Né en 1894, Rudolf Heß est blessé plusieurs
fois au combat pendant la Première Guerre
jestueuse, où le Reichsführer SS Il n’y a plus d’échappatoire : Hitler mondiale. Au cours de ses études, après la
Heinrich Himmler (le chef des re- tient l’Allemagne et le peuple en guerre, il est attiré par la vision géopolitique
doutés SS) déle aux côtés de Hit- son pouvoir, avec toutes les con- du professeur Haushofer : la création d’un
ler. Adolf Hitler, lui, tel un grand séquences qui en découlent, Lebensraum (« espace vital ») pour l’Alle-
magne.
prêtre, va procéder à la consé- aussi grâce aux talents de réalisa- En 1920 déjà, il rencontre Adolf Hitler après
cration pratiquement religieuse trice de Leni Riefenstahl ! un de ses discours. Il tombe immédiate-
de nouveaux drapeaux nazis en ment sous le charme de la rhétorique d’Hit-
ler. Tous deux croient dur comme fer que
les mettant en contact physique Johan Puttemans l’Allemagne a perdu la guerre à cause du
avec le Blutfahne (le drapeau du Coordinateur pédagogique bolchévisme (et donc du judaïsme). Lors-
sang), le drapeau à la croix gam- ASBL Mémoire d’Auschwitz que Heß, à l’instar de Hitler, est arrêté après
le coup d’État raté de novembre 1923, ils
mée maculé du sang des martyrs Traduit du Néerlandais comparaissent ensemble devant le tribunal
lors du putsch de 1923. par Ludovic Pierard et sont condamnés à une peine de prison lé-
Dans son discours de clôture, Hitler gère. Pendant son incarcération, Heß sert
résume une dernière fois le mes- de secrétaire à Hitler. Il dactylographie les
idées de ce dernier, qui donneront Mein
sage central des quatre derniers Kampf, mais il participe aussi activement à
jours : il est le Führer incontestable la création de l’idéologie nazie ultérieure.
de la nouvelle Allemagne que les Après la prise de pouvoir, Hitler désigne Ru-
dolf Heß comme son dauphin : il devient
nazis doivent peupler dans l’unité. alors le numéro deux du Troisième Reich.
En sa qualité de suppléant d’Hit- Lorsqu’éclate la Seconde Guerre mondiale,
ler, et donc de véritable numéro Heß veut participer aux combats comme pi-
deux de l’Allemagne nazie, Ru- lote, mais Hitler le lui interdit.
En 1941, il prend seul l’initiative de s’envoler
dolf Heß est le dernier à s’expri- pour l’Écosse afin de conclure la paix avec le
mer. Lui, et à sa suite toute la na- (1) Source : Internet Movie Database. Royaume-Uni. Mais son plan échoue, et il
tion allemande, jurent une délité (2) Il ne faut pas perdre de vue qu’Ernst passera tout le reste de la guerre en prison.
Röhm, le chef militaire charismatique En 1946, il est condamné, en sa qualité de
éternelle et inconditionnelle à Hit-
de « ses » chemises brunes (SA) avait dauphin officiel de Hitler, à la prison à per-
ler. Il vocifère : « Die Partei ist Hitler. été tué sur ordre de Hitler quelques pétuité lors du procès de Nuremberg.
Hitler aber ist Deutschland wie mois avant cette réunion de masse. Le En 1987, il se suicide dans sa cellule. Il est
Deutschland Hitler ist. Hitler, sieg alors âgé de 93 ans.
Führer voyant en lui une trop grande
Heil! » (Le parti est Hitler. Hitler est menace, il l’avait fait disparaître.

22 TRACES DE MÉMOIRE
application Rudolf Heß s’adresse au peuple allemand.
pédagogique

Nom et prénom Classe / Cours


Vous trouverez chaque trimestre dans votre TRACES DE MÉMOIRE une application pédagogique avec une fiche didactique à utiliser en classe ou à conserver.

Le documentaire intitulé Triumph des Willens peut être visionné dans sa totalité, sous-
titré en anglais, sur YouTube : Triumph of the Will, Triumph des Willens (1935).
Deux brefs passages du lm sont assez intéressants à montrer aux élèves, à condition
de bien les y préparer (!). Rudolf Heß s’y adresse au peuple et au Führer.

Mission de la classe :
Discutez ensemble des deux discours de Rudolf Heß, où il fait de Hitler un mythe et où
le nazisme hitlérien prend la forme d’un véritable culte religieux.
Premier fragment : de 23:31 à 25:59.
Notez vos remarques :
Ces fiches sont également à télécharger sur notre site internet www.auschwitz.be sous l ’onglet « pédagogie ».

Deuxième fragment : de 1:42:29 à 1:43:29 (éventuellement prolongez jusqu’à la n du


lm [1:44:28]).
Notez vos remarques :

Remarques de l’enseignant/e TRACES DE MÉMOIRE


est une publication trimestrielle de
l’ASBL Mémoire d’Auschwitz

www.auschwitz.be

FICHE PÉDAGOGIQUE N° 13 - TRACES DE MÉMOIRE N° 32


réflexion

la radio,

media de propagande de masse
des nazis
Les émissions de radio ont occupé une place importante dans l’appareil de
propagande nazi. Lors de cette période précédant l’émergence de la télévision
de masse, la radio, les journaux et le cinéma jouaient tous un rôle important
dans la diffusion des messages d’Hitler. La propagande fut confiée à Joseph
Goebbels (voir la rubrique « Approfondissement »), qui a suggéré de fournir des
radios bon marché au public allemand.

G oebbels pensait que la


radio était le moyen le
plus efcace pour trans-
mettre un message. Pour
se rendre au cinéma, le public
devait sortir de chez lui et certains
Hadamowsky fut chargé de veiller
à ce que les programmes radio
allemands soient conformes au
cadre national-socialiste. Toute
personne qui s’y opposait devait
être écartée de ses fonctions. Le
2 marks par mois pour couvrir le
coût des émissions. Pour s’assurer
que tous puissent en posséder
une, Goebbels organisa la
production de deux modèles bon
marché connus sous l’appellation
ne lisaient pas le moindre journal. 16 août 1933, Hadamowsky Volksempfänger. Le VE301 était
Goebbels doutait donc de la transmit à Goebbels un rapport disponible à un prix abordable de
portée de la presse. C’est sur les progrès qu’il avait 76 reichsmarks allemands (ce qui
pourquoi il afrmait que la radio enregistrés : équivalait à deux semaines de
serait au vingtième siècle ce que « Nous, les nationaux-socialistes, salaire moyen), et un modèle
la presse fut au dix-neuvième. Au devrons faire preuve d’un moins cher était proposé à
temps de la république de dynamisme et d’un enthousiasme 35 reichsmarks.
Weimar, les émissions de radio sufsants, combinés à une action Goebbels utilisait aussi les
étaient contrôlées par la fulgurante pour impressionner émissions de radio pour diffuser le
Deutsche Reichspost. l’Allemagne et le monde entier. message du nazisme à l’étranger.
En mars 1933, Goebbels transféra Le 13 juillet, le Dr Goebbels m’a Il voulait convaincre le monde
cette compétence au Reichs- coné la mission d’épurer la radio entier que le nazisme était une
ministerium für Volksaufklärung allemande des inuences qui idée politique acceptable. Les
und Propaganda, qu’il dirigeait s’opposaient à nous. Je peux premières émissions diffusèrent
personnellement. Cette situation aujourd’hui vous annoncer que des prestations d’orchestres et
perdurera jusqu’à la n de la ce travail a été réalisé en chanteurs d’opéra allemands de
Seconde Guerre mondiale. Bien profondeur. »1 haut vol. Dès que cette approche
que Goebbels conservât le Les émissions de radio faisaient la fut intégrée, il introduisit un
pouvoir d’avoir le dernier mot sur promotion des idéaux nazis, système où de courts messages
les émissions radio, il en cona la comme l’orgueil national, le étaient envoyés l’un après l’autre
gestion quotidienne à Eugen patriotisme, la erté d’Hitler, la et où, dans un premier temps, les
Hadamowsky (1904-1945), qui gloire aryenne, etc. Chaque paroles de Hitler étaient diffusées
devint le chef de la Reichs- ménage qui possédait une radio de façon minimaliste. Les
Rundfunk-Gesellschaft. devait payer une redevance de émissions couvraient toute

24 TRACES DE MÉMOIRE
© www.tuttomondonews.it
© www.vulture-bookz.de

1936 : affiche de propagande nazie encourageant Joseph Goebbels lors de la présentation au public de
l'utilisation du Volksempfänger. Traduction du slogan : l'appareil VE301 le 18 août 1939, salon international de la radio
« Toute l'Allemagne entend le Führer grâce au de Berlin (Internationale Funkausstellung Berlin).
récepteur populaire. »

l’Europe de l’Ouest et un énorme Pendant la guerre, les experts


émetteur à Seesen, près de Berlin, soviétiques trouvèrent un moyen
Réflexion éthique veillait à ce qu’elles puissent être de s’inltrer dans le système nazi
Aujourd’hui, la radio est perçue entendues dans le monde entier. ofciel de transmission (le
comme un instrument banal, En 1938, des émissions à ondes Deutschlandsender) et d’inter-
complètement intégré dans notre courtes étaient transmises dans rompre les émissions. L’URSS
quotidien. Dans les années 1930, douze langues différentes, 24h/24. émettait aussi sur les ondes
disposer directement à la maison Toutefois, l’Allemagne elle-même courtes un programme, qui
d’une telle source d’information n’était pas à l’abri d’émissions n’était en fait qu’une liste de
représentait une petite révolu- radio provenant de l’étranger, ce noms allemands, des hommes
tion. Il n’y avait pas de télévision qui semblait poser un réel capturés par les Russes et détenus
(on devait se rendre au cinéma), problème à Goebbels pendant la comme prisonniers de guerre. Il
et les journaux n’étaient en vente Seconde Guerre mondiale. Les était interdit d’écouter ces
que dans les kiosques. Grâce à la émetteurs d’Europe de l’Est et de programmes, mais ils étaient très
radio, Hitler entrait littéralement l’Ouest étaient détruits, mais ce populaires. Malgré les risques.
dans les foyers allemands. n’était pas le cas de ceux de
Londres. Goebbels savait qu’il
f Quels sont aujourd’hui les mé- était impossible de contrôler ce
dias de masse ? Frédéric Crahay
que chaque ménage écoutait à Directeur
la radio. C’est pourquoi les nazis ASBL Mémoire d’Auschwitz
fÀ l’heure actuelle, d’où tirez-
décrétèrent que suivre les Traduit du Néerlandais
vous généralement vos informa-
émissions qu’ils ne géraient pas par Ludovic Pierard
tions ou vos nouvelles ? Réfléchis-
serait une infraction. Tous ceux qui
sez également à cette source.
étaient pris sur le fait risquaient
d’être envoyés dans un camp de
f Pouvez-vous citer d’autres
concentration et, rien qu’au cours
exemples d’utilisation de la mo-
de la première année de guerre,
dernité pour diffuser un message
1 500 Allemands furent empri- (1) C. N. Trueman, Radio in Nazi Ger-
politique ?
sonnés pour avoir écouté des many. Voir : historylearningsite.co.uk.
émissions de Londres. The History Learning Site, 9 March 2015.

N° 32 - JUIN 2019 25
varia

EXPRIME-TOI !
Concours annuel
L’ASBL Mémoire d’Auschwitz et la
Fondation Auschwitz organisent d'expression citoyenne
chaque année un concours des- Lauréats du Collège provincial du
tiné aux élèves des deux der- Brabant wallon :
nières années de l'enseignement Amandine EVRARD, Victoria DEPI-
secondaire supérieur de tous les REUX-ANTONIOU, Hugo NEYT, Alex
réseaux d’enseignement. SIMONIS, Nicolas VANDERMEULEN,
Victoria FUSILIER, Marion COUNE
Le thème abordé ne devra pas Six prix composés d'un diplôme, du Collège Da Vinci de Perwez
nécessairement être en relation d'un chèque de 125,00 € et d'une
avec le passé des camps ou de la invitation à participer gratuite- Lauréate pour la Région de
Shoah, mais pourra également ment à notre prochain voyage Bruxelles-Capitale :
aborder des thèmes actuels tels d'études à Auschwitz-Birkenau, Adryelle ARAUJO MARTINS de
que l'intolérance, le racisme, les seront offerts conjointement par l'Athénée Royal Serge Creuz
valeurs démocratiques ou la ci- la Fondation Auschwitz et cer-
toyenneté. taines provinces francophones du
Lauréate pour la Province de Hai-
pays.
naut :
Chaque année, la Commission
Sarah VERRART de l'Athénée Royal
pédagogique de notre associa-
de Lessines
tion déterminera le thème.
Lauréats de la Députation perma-
Il va de soi que différentes ma- Le sujet pour 2018-2019 était :
nente de la Province de Liège :
tières enseignées peuvent être
Hugo DÉSIRONT, Marylène FON-
mises en œuvre pour ce con- « L’extrémisme est de retour ! Le
TAINE, Jimmy SMEERS, Amélie
cours. Il peut s'agir d'un texte (dis- travail de mémoire : un moyen de
WAUTRICHE du Centre scolaire
sertation, poème, etc.) ou d'un résister. »
Saint-Joseph/Saint-Raphaël de
travail plus créatif (photo, lm,
Les thèmes des années précé- Sougné-Remouchamps
maquette, peinture, théâtre, mu-
sique, animation de rue, etc.) dentes :
Lauréate de la Députation perma-
L’épreuve sera, de préférence, 2017-2018 : nente de la Province de Luxem-
organisée à une date proche du Les limites de la vérité bourg :
27 janvier, journée de commémo- 2016-2017 : Lucie FRANÇOIS de l'Athénée Royal
ration de la libération d’Ausch- On peut tout accepter au nom d'Arlon
witz. de la démocratie !
2015-2016 : Lauréat de la Députation perma-
Un jury, composé de personnes Valeur humaine, valeur mar- nente de la Province de Namur :
actives pour la plupart dans le do- chande ? Nils CLAES de l'Institut Notre-Dame
maine de l’enseignement, délibé- 2014-2015 : de Beauraing
reront pour retenir six lauréat(e)s. Peut-on rire de tout ?

26 TRACES DE MÉMOIRE
Vous pouvez voir ci-dessous le tra-
vail de classe envoyé par le Col-
lège Da Vinci de Perwez, ainsi que
le texte explicatif.

Pour lire les textes des autres lau-


réats, suivez le lien vers notre site
web : https://auschwitz.be/fr/
activites/concours-exprime-toi

Vous y trouverez également le rè-


glement et les modalités pra-
tiques pour participer à ce con-
cours.

N° 32 - JUIN 2019 27
VARIA

des tsiganes vers


auschwitz
l’automne 1943 plus de

À 350 Tsiganes, hommes,


femmes, enfants, sont
arrêtés dans le Nord-
Pas-de-Calais et en Belgique.
Ils forment un unique convoi, ap-
Monique Heddebaut, Des Tsiganes vers Auschwitz.
Le convoi Z du 15 janvier 1944, Paris, Tirésias,
pelé « Convoi Z » à destination « Ces oubliés de l'histoire », 2018, 200 p.
d’Auschwitz. Après la déportation
des Juifs, Himmler a décidé en
mars 1943 leur transfert dans le nazis ne les déportent et ne les ex- tionnaire, lors de plusieurs entre-
camp des familles à Auschwitz- terminent. Ce travail aux abon- tiens, éminemment émouvants
Birkenau. Voyage sans retour pour dantes références bibliogra- avec l’auteure. Leurs récits inédits
plus de 90 % d’entre eux. Pour la phiques est étayé par des sources apportent des éléments indispen-
première fois, l’histoire de ce cas nouvelles ou inexploitées, par des sables pour comprendre com-
spécique de déportation fait documents et pièces d’archives ment les Tsiganes furent stérilisés
l’objet d’une étude approfondie allemandes, belges et françaises. dans le Block 10 de Josef Men-
et globale. Cet ouvrage apporte Il s’appuie sur nombre de témoins gele, exterminés à Auschwitz, as-
des précisions rares et essentielles directs et, surtout sur deux survi- sassinés à Buchenwald, Ra-
sur le sort des Tsiganes et leur his- vants du centre d’extermination, vensbrück et leurs Kommandos.
toire tragique. Ils se sont retrouvés récemment retrouvés et qui n’in-
pris au piège des politiques natio- téressaient absolument personne.
nales et de l’idéologie nazie en Antoine et Joséphine Lagrené, Laurence Schram
Europe, car vivant sous un régime adolescents en 1943, racontent Senior Researcher
d’exception avant même que les leur vie dans l’univers concentra- Kazerne Dossin

POUR UNE PRISE ASBL Mémoire d’Auschwitz - Tél. : 02 512 79 98 info@auschwitz.be


DE CONTACT Fondation Auschwitz
Rue aux Laines, 17 bte 50 - 1000 Bruxelles
Fax : 02 512 58 84 www.auschwitz.be

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Directeur de la publication : Henri Goldberg
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Secrétaire de rédaction : Georges Boschloos
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