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Henry Dunant

colon affairiste en Algérie


pionnier du sionisme Jacques Pous

Jacques Pous
Alors que la jeunesse commence à déboulonner les statues
de tous ceux qui ont participé à l’aventure criminelle du
colonialisme, il est temps d’en finir avec les tabous qui falsifient
les histoires nationales.
Les titres de fondateur de la Croix-Rouge, de promoteur de
la Convention de Genève et de pionnier du Droit humanitaire
suffisent à la gloire d’Henry Dunant. Il n’est pas nécessaire
pour augmenter sa renommée de faire de lui ce qu’il n’a jamais
Henry Dunant
vraiment été, féministe ou pacifiste, si ce n’est comme disciple
de Bertha Von Suttner, et encore moins anticolonialiste, colon affairiste en Algérie

colon affairiste en Algérie, pionnier du sionisme


arabisant ou favorable aux fellahs algériens, comme l’affirment
ses panégyristes.
Colon affairiste en Algérie, pionnier du colonialisme sioniste
pionnier du sionisme
dans l’espoir, après une faillite frauduleuse, de « se refaire »,
Henry Dunant a été victime de la frénésie d’enrichissement
engendrée par l’exploitation coloniale du monde et de la
fascination pour l’argent, qui était pour lui manifestation d’un
statut social, symbole de la réussite dans la cité et preuve
vivante du salut.

Henry Dunant
L’existence de la Croix-Rouge – la création pérenne d’Henry
Dunant – lui assure seule l’estime due à celui qui a créé une
œuvre impérissable aussi longtemps qu’il y aura des guerres et
aussi longtemps que n’aura pas lieu cette révolution des esprits
en faveur de l’abolition de la guerre que souhaitait Frédéric
Passy, l’autre lauréat du premier prix Nobel de la Paix qui, lui, a
consacré toute sa vie à un idéal pacifiste auquel on peut encore
rêver et en faveur duquel on peut toujours œuvrer.

Né à Toulouse, réfractaire à la guerre d’Algérie, enseignant au service


du GPRA au centre Aïssat Idir en Tunisie qui recueillait de nombreux
orphelins ou déplacés de la guerre coloniale, Jacques Pous a enseigné
par la suite dans différents pays arabes : Algérie, Soudan et Palestine.
Il peut donc témoigner des conséquences tragiques du colonialisme
et des sentiments de révolte que suscitent les crimes du colonialisme
contre les humanités que nous avons rencontrées. Professeur d’histoire
et de philosophie dans son pays d’accueil, la Suisse, il a consacré Préface de Jean Ziegler
l’essentiel de son activité académique à l’histoire du colonialisme en
Algérie et en Palestine.

En couverture : timbre (1954) dessiné et gravé par Jules Piel, représentant Henry Dunant
et le site de Djémila en Algérie.

ISBN : 978-2-343-21684-3
33 €
Histoire et Perspectives Méditerranéennes Histoire et Perspectives Méditerranéennes
Henry Dunant
colon affairiste en Algérie
pionnier du sionisme
Histoire et Perspectives méditerranéennes
Collection dirigée par Jean-Paul Chagnollaud

Dans le cadre de cette collection, créée en 1985, les Éditions L’Harmattan se


proposent de publier un ensemble de travaux concernant le monde méditerranéen
des origines à nos jours.

Dernières parutions

Fouad KEMACHE, La nouvelle Algérie au défi de se transformer, 2020.


Mohamed HARAKAT (dir.), Etudes d’impact et politiques publiques au Maroc,
2020.
Sofiane BOUHDIBA, De Carthage à Lampedusa, La migration en Tunisie, 2020.
Mohand AÏT AHMED, La Grande Kabylie, Arabisation coloniale et histoire
fragmentaire, 2019.
Mehenni AKBAL, Archives algériennes de la France coloniale, Réflexion sur la
valeur de l’administration communale, 2019.
Tahar KHALFOUNE (dir.), Mélanges en l’honneur de l’historien Gilbert
Meynier, 2019.
Sofiane BOUHDIBA, Jeunes de Tunisie, 2019.
Chérifa SIDER, Traumatisme psychologique et suicide en Algérie, 2018.
Hassan BANHAKEIA, La littérature de voyage en Afrique du Nord, 2018.
Gibson NCUBE, La sexualité queer au Maghreb à travers la littérature, 2018.
Jacques BINOCHE, L’Algérie et sa représentation parlementaire, 1848-1962,
2018.
Saâdia AGOURAY, Mobilités spatiales à Casablanca. Caractéristiques,
mécanismes et impacts, 2018.
Sofiane BOUHDIBA, Six millions de femmes, 2018.
Hosni KITOUNI, Le désordre colonial, L’Algérie à l’épreuve de la colonisation
de peuplement, 2018.
Houria ALAMI MCHICHI, Un autre regard sur les migrations, Expériences du
Maroc, 2018.
Antoinette CHAUVENET avec Faïza CHERFI et Marie-Claire MICHAUD, La
promotion des droits humains en Algérie, 2017.
Catherine GUILLAUMOND, Cuisine et diététique dans l’occident arabe
médiéval. D’après un traité anonyme du XIIIe siècle, Étude et traduction
française, 2017.
Driss ABBASSI, La Tunisie depuis l’indépendance, Politique, histoire, identité,
2017.
Işil ZEYNEP TURKAN-IPEK, Chroniqueurs politiques en Turquie (1980-
2014), 2016.
Imane BENNANI, L’habitat menaçant ruine au Maroc, Les procédures
administratives à l’épreuve des effondrements, 2016.
Jacques Pous

Henry Dunant
colon affairiste en Algérie
pionnier du sionisme

Préface de Jean Ziegler


Du même auteur

Henry Dunant l’Algérien ou le mirage colonial.


Préface d’Henri Guillemin,
Editions Grounauer, Genève, 1979.

La tentation totalitaire.
Essai sur les totalitarismes de la transcendance,
L’Harmattan, Paris, 2009.

Conversions.
De Gandhi à Fanon. Un religieux face à la guerre d’Algérie,
Editions Golias, Villeurbanne, 2012.

L’invention chrétienne du sionisme


De Calvin à Balfour.
Postface de Michel Warschawski.
L’Harmattan, Paris, 2018.

© L’Harmattan, 2020
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.editions-harmattan.fr
ISBN : 978-2-343-21684-3
EAN : 9782343216843
Aux femmes et aux hommes de terrain
de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.

Au Groupe Pour une Suisse sans Armée.


Remerciements

Mes remerciements vont d’abord à Gilbert Elia dont la contribution


amicale et soutenue a été pour moi irremplaçable. Ils vont ensuite à Jean-
Paul Gay qui a bien voulu lire mon manuscrit et me faire part de ses
corrections et de ses conseils. Ils vont enfin à tous ceux qui m’ont entouré,
camarades, amis et membres de ma famille, militants qui m’ont encouragé à
poursuivre une œuvre dont l’objectif a toujours été de dénoncer les crimes
du colonialisme contre les humanités que nous avons rencontrées.
Je ne peux également pas oublier toutes les équipes de la BPU puis de la
BGE qui se sont succédé depuis 1962. Ici, je les remercie pour leur
professionnalisme et leur disponibilité efficace et souvent cordiale.
Enfin, je dois beaucoup aux responsables du département des manuscrits
qui, il y a 45 ans, m’ont ouvert certains dossiers, alors exclus du prêt, et aux
collaborateurs de la salle Sénebier qui, plus récemment, m’ont permis de
terminer ce livre alors que j’avais pratiquement perdu la vue et que je devais
vérifier quelques textes dans des manuscrits que je n’avais pas relus depuis
plusieurs années. Leur soutien m’a été précieux ainsi que celui de mon
épouse sans laquelle rien n’aurait pu se faire.
Préface
Au printemps 2020, le gouvernement israélien a fixé sans vergogne au 1er
juillet la date à laquelle il prévoyait d’initier la procédure d’annexion des
colonies juives situées en Cisjordanie, soit un territoire palestinien que l’État
hébreu occupe depuis 1967 en violation complète des résolutions des
Nations unies. Cette annexion est prévue par le plan pour le Moyen-Orient
du président américain Trump. Il est évidemment rejeté en bloc par les
Palestiniens. La situation du peuple palestinien n’a jamais été aussi mauvaise
qu’en cet été 2020 face à une colonisation qui ne connaît pas de limite.
Rappelons brièvement l’histoire récente. Après la Deuxième Guerre
mondiale et l’extermination de 6 millions de Juifs d’Europe par les nazis,
l’ONU a voté en 1947, sans l’accord des États arabes, un plan de partage de
la Palestine, alors sous mandat britannique, en vue d’y fonder un État juif et
un État arabe, Jérusalem et les Lieux saints étant destinés à devenir une zone
sous contrôle international. S’ensuivirent en 1948 la création de l’État juif, la
fin du mandat britannique, la première guerre israélo-arabe et un nettoyage
ethnique : l’exode massif des Arabes palestiniens de leur terre. Victorieux, le
nouvel État israélien contrôlait dès lors un territoire supérieur de 50 % à
celui prévu par le plan de partage de l’ONU. En 1967, en déclenchant la
« Guerre des six jours », l’État hébreux s’est emparé de nouveaux territoires.
La colonisation était en marche, elle ne s’arrêtera plus.
J’ai entre les mains le magnifique manuscrit de Jacques Pous, Henry
Dunant. Colon affairiste en Algérie. Pionnier du sionisme ». Jacques Pous
est mon contemporain. Nous vivons l’un et l’autre à Genève où nous nous
sommes installés à l’âge adulte. Notre vie durant, le colonialisme et ses
méfaits, ses conséquences durables, un crime infâme contre les peuples ont
été notre obsession. Ma Suisse au-dessus de tout soupçon (Éditions du Seuil,
1977) et son Henry Dunant l’Algérien ou le mirage colonial (Editions
Grounauer, 1979) ont suscité à leur parution, surtout à Genève et en Suisse,
la même stupeur indignée. Jacques m’avait alors amicalement dédicacé son
livre : « ou les aventures coloniales d’un Genevois au-dessus de tout
soupçon ». Nous nous attaquions l’un et l’autre à des mythes : la Suisse
neutre et pacifique, recelant les capitaux en fuite du tiers monde, plaque
tournante de l’activité financière du crime et de la corruption internationale
grâce au secret bancaire ; Henry Dunant, philanthrope, fondateur de la
Croix-Rouge, héros de la Genève humanitaire, participant dès 1853, avec la
Compagnie genevoise des colonies suisses de Sétif, au plan de « colonisation
capitaliste » des banquiers Lullin et Sautter. Bientôt colon pour son propre
compte, cherchant à obtenir une concession de chute d’eau pour
l’exploitation d’un moulin, il avait songé à s’adresser directement à
Napoléon III qui était alors engagé avec son armée en Lombardie aux côtés
des Piémontais en lutte contre l’occupant autrichien. Dunant s’était ainsi

11
retrouvé au soir du 24 juin 1859 sur le champ de bataille de Solférino où
gisaient quelque 40 000 soldats, morts, agonisants et blessés en détresse. Du
choc de ce spectacle insoutenable allaient naître sur les lieux mêmes du
désastre et immédiatement : mobilisation de soignants, ouverture d’un
hôpital, négociations avec l’ennemi et, plus tard, l’idée, déjà dans l’air du
temps, d’une Société Internationale de Secours aux Blessés militaires et
enfin un livre, Un souvenir de Solférino, qui feront naître à Genève, à
l’initiative de quelques citoyens, le comité international de la Croix-Rouge
(CICR).
Les circonstances de sa vie ont amené Jacques Pous à explorer les aspects
les moins connus et les plus surprenants de l’auteur d’Un souvenir de
Solférino. Après des études de philosophie scholastique et de théologie,
suivie d’une période de vie monastique, il est mobilisé en Algérie, au plus
fort de la guerre d’indépendance, et déserte. C’est dans la ville-refuge de
Genève qu’il obtient ses titres universitaires et y devient professeur de
philosophie et d’histoire, avec un intermède d’enseignant en Algérie
indépendante. Retraité, il réalise des missions au sein du Groupement des
retraités éducateurs sans frontières, donnant des cours à travers le monde,
notamment en Palestine.
Jacques Pous est un chercheur infatigable, redoutable, qui ne néglige
aucune source lui permettant de comprendre le présent qu’il affronte,
d’instruire les crimes contre l’humanité qu’il observe, d’en témoigner
obstinément. En s’attachant aux pas d’Henry Dunant, il a dès son premier
livre plongé dans le climat politique et religieux de la Genève de la
Restauration. Car le jeune Dunant est un adepte du Réveil, un mouvement
religieux venu d’Angleterre et adopté avec ferveur par les milieux patriciens
conservateurs de la cité de Calvin. Le Réveil constitue une réaction violente
contre le rationalisme des Lumières et les idées nouvelles répandues par le
Révolution ; un retour à la Réforme du XVIe siècle, qui adopte une dose
d’œcuménisme, de paternalisme social et, face aux classes pauvres, de
philanthropie. C’est à ce titre que Dunant présidera, en 1852, avec Max
Perrot, à la fondation en Suisse des Unions chrétiennes de jeunes gens, une
association internationale née en 1844 à Londres dans le but de mobiliser les
jeunes travailleurs vivant dans des conditions difficiles et de leur proposer
un accès à une vie spirituelle. Dunant s’est ensuite rendu à Paris pour
participer à la création de l’Alliance Universelle des Unions Chrétiennes de
Jeunes Gens (Young Men’s Christian Association – YMCA) dont le siège est
encore aujourd’hui à Genève.
Jacques Pous suit Dunant, le pieux, le généreux, dans le monde dur et
cynique des affaires des familles oligarchiques genevoises. Celles-ci
participent activement à l’essor capitaliste du Second Empire ̶ compagnies
de chemins de fer, banques de crédit, sociétés immobilières, colonisation de
l’Algérie, de la Tunisie… sans oublier les missions d’évangélisation

12
protestante. La suite est connue et fait partie de la légende du héros
humanitaire. Avant même d’écrire son livre et de fonder la Croix-Rouge,
Dunant est retourné en Algérie pour tenter d’améliorer la situation financière
de ses entreprises, sans pouvoir éviter des pertes. À Genève, en 1867, la
société qui le finance est dissoute alors que les investisseurs l’accusent
d’avoir négligé leurs intérêts. Sa société est mise en faillite, sa famille est
ruinée, il est condamné pour faillite frauduleuse par le Tribunal de
commerce de Genève et, finalement, contraint de démissionner de son poste
de secrétaire du comité international de la Croix-Rouge avant d’en être
complètement exclu. Rejeté par sa communauté, il quitte Genève qu’il ne
reverra plus. Pauvre et oublié, il poursuivra une vie d’errance solitaire qu’il
terminera dans sa longue retraite de Heiden (canton d’Appenzell Rhodes
Extérieures), grâce à la petite aide financière d’un cercle de ses partisans. En
1901, il reçoit – réhabilitation tardive – le premier prix Nobel de la paix
(conjointement avec le député pacifiste français Frédéric Passy) et meurt à
Heiden en 1910.
Parmi les ouvrages que Jacques Pous a publiés, il en est un, paru en 2018,
L’invention chrétienne du sionisme. De Calvin à Balfour (Paris,
L’Harmattan) qui situe le sionisme chrétien d’Henry Dunant dans la grande
famille des restaurationnistes évangéliques. En effet, pendant ses années
hors de Suisse, l’ancien fidèle du pasteur genevois Louis Gaussen, animateur
prolixe du Réveil, inscrit son action militante dans le vaste mouvement
protestant qui, du XVIIe au XXe siècle, cultive le mythe biblique de Peuple
élu, de son retour sur la Terre Promise et du Retour du Messie à Jérusalem,
quand tous les Juifs évangélisés y seront à nouveau réunis. Au lieu de
diaboliser les Juifs comme la chrétienté l’a fait pendant tout le Moyen Âge,
les protestants les rétablissent en effet comme Peuple élu. Reprenant à leur
compte la totalité de la mythologie biblique, lisant la Bible comme un livre
d’histoire, vécue et à vivre, les Églises évangéliques vont donner un but aux
Juifs : le Retour – l’an prochain à Jérusalem. D’ailleurs, pour assurer la
diffusion de ce message, avait été créée, en 1808, à Londres, la London
Society for Promoting Christianity amongst the Jews, société missionnaire
qui développera des liens étroits avec des sociétés sœurs en Allemagne et en
Suisse. Il ne s’agissait pas ici d’une activité missionnaire préparant le terrain
à une intervention coloniale traditionnelle, mais il s’agissait de préparer la
voie à la réunion des Juifs dispersés dans leur patrie mythique et de satisfaire
les attentes eschatologiques d’une partie des chrétiens attendant le second
avènement du Christ. L’étude fascinante de Jacques Pous ouvre alors sur une
question, pas moins impressionnante, celle du passage d’un Henry Dunant,
colon affairiste en Algérie, à un Henry Dunant, pionnier du sionisme en
Palestine.
Pendant sa période vagabonde, qui va de 1867 à 1887 et le conduit à
Paris, Stuttgart, Rome. Corfou, Bâle, Karlsruhe, Londres, le martyr genevois

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ne reste pas inactif. À Paris, pendant la guerre franco-allemande et la
Commune, il reprend ses activités charitables. Il crée une Alliance
universelle de l’ordre et de la civilisation, devient secrétaire de la Peace
Society, exige des négociations sur le désarmement et l’installation d’une
cour de justice internationale, chargée de gérer les conflits interétatiques.
C’est du moins ce que retient la biographie officielle. Or, les archives
explorées par l’historien, obsédé par le destin des peuples colonisés,
notamment par celui du peuple palestinien, nous révèlent le rôle que Dunant
a joué jusqu’à la fin de sa vie en faveur de la colonisation de la Palestine. Le
rêve évangélique du philanthrope genevois évoque évidemment aujourd’hui
celui de l’administration Trump et de sa base électorale, les quelque 100
millions d’évangéliques américains qui soutiennent l’annexion de la
Palestine à l’État hébreux.
Dunant croyait au déroulement de l’histoire humaine selon les promesses
faites à Israël par Dieu et ses prophètes. Le rêve colonial des puissances
occidentales de bouter les Turcs hors de la région et celui de Napoléon III de
créer un royaume arabe au Moyen-Orient qui aurait à sa tête Abd el-Kader
ne pouvaient que l’inciter à se lancer dans une série de grands projets
coloniaux : Société Internationale Universelle pour la Rénovation de
l’Orient et Société Internationale de Palestine conçues dès 1865. Il s’associe
ensuite au projet wurtembergeois de la Tempelgesellschaft (Société du
Temple) et à celui britannique de la Syrian and Palestinian Colonization
Society, autant d’entreprises auxquelles cet homme de réseau consacrera
toute sa force de conviction et une correspondance foisonnante, dûment
conservée à la Bibliothèque de Genève. Même si Henry Dunant n’a jamais
mis les pieds en Palestine, il a donc bien participé à l’invention chrétienne
d’Eretz Israël. L’État hébreu lui en sera d’ailleurs reconnaissant !
Il fallait toute l’opiniâtreté et le talent de Jacques Pous, anticolonialiste,
pacifiste, solidaire des peuples en lutte pour leur indépendance, pour
apporter cet éclairage éblouissant à tout un pan de l’histoire du Proche-
Orient, peu connu ou ignoré jusqu’aujourd’hui, qui a conduit la région dans
l’impasse dramatique que nul n’ignore et où elle se trouve aujourd’hui.
Jacque Pous nous donne ici un livre essentiel, admirable et profondément
novateur. Pour cette recherche, nous lui devons admiration et
reconnaissance.

Jean Ziegler
Octobre 2020

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Avant-propos
La première biographie d’Henry Dunant, Rudolph Müller n’étant qu’un
prête-nom, a été une autobiographie, écrite et plusieurs fois ré-écrite avec
des notes qu’inlassablement le fondateur de la Croix-Rouge rédigera à
Heiden pour en faire le monument littéraire qui devait laver son honneur et
confirmer son rôle d’auteur d’Un Souvenir de Solferino et de promoteur de
la première Convention de Genève.1 Pendant des dizaines d’années, avant
qu’Alexis François commence à se référer à d’autres sources que la
biographie officielle et surtout avant que Roger Durand et la Société Henry
Dunant se fixent comme but de s’en tenir à un « Henry Dunant sans tabou »,
la plupart des biographies du fondateur de la Croix-Rouge, rédigées par des
romanciers plus que par des historiens, n’étaient qu’une page du roman
national que la Suisse comme la quasi-totalité des États-nations essayait de
transformer en récit historique. Pour notre part, nous avons tenté de ne pas
évacuer – ce qui est la tentation de tout biographe – les contradictions et les
défauts qui sont le lot de tout être humain, surtout lorsqu’il adopte même
partiellement ou temporairement les préjugés de son temps (ceux du
colonialisme, de l’affairisme ou de l’arrogance sociale). Il ne faut en effet
jamais oublier qu’ont existé alors quelques individus qui ont su les
condamner. C’est à eux qu’en priorité il faut rendre hommage.
Avec Henry Dunant l’Algérien, nous avions voulu restituer à l’histoire
les quatorze années de l’aventure algérienne (1853-1867) du promoteur de la
Convention de Genève qui sont aussi celles de l’affairisme colonial et de la
débâcle financière. Pour un Henry Dunant obligé de quitter Genève afin
d’échapper à la fois à ses créanciers et aux rigueurs de la justice genevoise,
les dix années qui vont suivre seront parmi les plus difficiles de sa vie et
concerneront, entre autres, un grand projet, à la fois religieux,
philanthropique et affairiste de colonisation de la Palestine (1866-1876). Un
mirage palestinien qui n’a été jusqu’alors qu’abordé superficiellement
d’autant plus qu’il faudra attendre le premier Congrès sioniste de Bâle (29-

1
Alexis François, dans une courte lettre à la Revue de la Croix-Rouge au sujet d’une énième
biographie de Dunant intitulée, Le roman de la Croix-Rouge, se présente lui-même, et à juste
titre, comme « le premier historien critique de la vie et de l’œuvre d’Henri Dunant ». À
propos d’Henri Dunant, 1939.
La première étape de la réappropriation de son rôle par Dunant avait déjà commencé avec la
publication de l’ouvrage de son ami, le Dr Jules Chéron, Victimes de la guerre et les progrès
de la civilisation, à la rédaction duquel il avait probablement participé. À partir de cette date,
Dunant tentera de rétablir sa vérité devant l’histoire. « Il suscite, nous dit André Durand, la
publication de livres, de brochures et d’articles par ses partisans, leur fournissant les textes et
la documentation dont ils ont besoin, écrivant lui-même, reprenant d’anciens textes en vue de
la réimpression ou de la traduction, il tisse tout un réseau de témoignages qui se soutiennent
l’un l’autre et qui tirent leur force de leur diversité ». Un livre d’Henry Dunant écrit en
collaboration avec le Docteur Chéron, Bulletin de la Société Henry Dunant, N° 6, 1981.

15
31 août 1897) pour que le philanthrope genevois revendique auprès de Max
Nordau1 le rôle précurseur qu’il avait, pensait-il, joué dans le projet du retour
et de la restauration du peuple juif. Nouveau paradoxe, Henry Dunant
assumait ainsi un projet colonial, la même année où il écrivait l’un des
premiers grands textes anticolonialistes : Adresse aux nations de l’Extrême-
Orient que Bertha von Suttner enthousiaste fera publier dans Die Zeit avant
de le signer, elle aussi, aux côtés de l’auteur, à l’occasion du Congrès de
Hambourg d’août 1897 !
Au regard rétrospectif que Dunant porte sur sa vie surtout lorsqu’il s’agit
de documents comme la fameuse confession à Rodolf Müller du 3 juin 1892,
qu’il demande de brûler après lecture,2 qui est surtout instructive par ce
qu’elle ne dit pas, nous avons préféré nous référer aux lettres et aux
documents contemporains des événements. Face à ce que l’on a appelé les
Mémoires, l’historien se doit ainsi de relever les faits – le dit et aussi le non-
dit – tout en devant le plus souvent ignorer partiellement l’interprétation que
Dunant en donne. Pour combler oublis et silences chez un homme aussi
représentatif d’une époque et d’un milieu social, il nous reste heureusement
l’Histoire. Le mirage palestinien d’Henry Dunant s’inscrit en effet dans un
univers religieux, affairiste et colonial où, avec le mouvement du Réveil très
présent à Genève et l’éveil des appétits coloniaux de ses comtemporains, se
manifeste l’aspiration au retour et à la restauration du peuple juif dans sa
Terre promise.
Peu d’études ont, à notre connaissance, abordé cet aspect de l’œuvre du
philanthrope genevois.3 Aussi, une herméneutique de l’univers théologique
du fondateur de la Croix-Rouge nous paraît-elle indispensable si nous
voulons mieux appréhender l’unité d’une pensée qui s’est, certes, beaucoup
exprimée, mais l’a fait dans des textes disparates ou difficiles à interpréter et
qui s’inscrit dans un contexte politique, idéologique, économique et
religieux où interfèrent les influences subies et les confrontations fécondes
entre les rêves, les illusions et la réalité. Nous apparaît alors un Dunant
1
Cette lettre dont il n’existe qu’une copie a été publiée par Alexis François (Aspects d’Henri
Dunant..., op. cit., pp. 139-141). Les pages I à 4 et 9 à 11 sont actuellement cotées Ms.fr.
2115/B, fol., 67-70, alors que les pages 5 à 8 se trouvent dans le dossier Ms.fr. 2116/G, fol.,
89-90. Selon Alexis François, elle aurait été adressée au Docteur Altherr à Heiden ; le
véritable destinataire en serait plutôt le docteur Max Nordau ; la lettre de Dunant, d’ailleurs
incomplète, et celle (Bâle, le 31 août 1897. 34, avenue de Villers, Paris) que lui écrivit, une
semaine plus tard, le docteur Nordau, ont été recopiées, l’une et l’autre, par le philanthrope
genevois, et probablement à la même époque, d’une même encre verte. Le premier Congrès
sioniste à Bâle reconnaîtra d’ailleurs le rôle du fondateur de la Croix-Rouge ; ainsi, Herzl
l’invitera et le remerciera en tant que sioniste chrétien » et Nahum Sokolow, le mentionne
dans son History of Zionism (Tome I, p. 270) pour en faire un pionnier du sionisme et suggère
qu’il aurait été présent à Bâle – ce qui est, comme nous le verrons, inexact.
2
Ms.fr. 2115/K/2.
3
Une première approche. In : R. H. Durant, Henry Dunant : le rôle du grand homme. Recueil
d’études offert à Bernard Gagnebin.

16
authentique dans ce qu’il a de plus profond, même dans son étonnante
capacité à se mentir naïvement à lui-même lorsqu’il est tiraillé entre des
élans remarquables de générosité et un besoin intense et inconciliable de
respectabilité et de reconnaissance. Sa posture d’aristocrate à l’ambition
sociale démesurée et d’affairiste qui, après la faillite de 1867, tentera tout
pour ‘se refaire’ 1 étonne, mais en même temps nous éclaire sur un
personnage qui est passé brusquement de l’obscurité à la lumière et de la
lumière à l’obscurité.
Un personnage qui, finalement, même s’il s’est voulu propriétaire, rentier
ou homme d’affaires, n’a pu échapper à ce que réellement il était : un
momier2 genevois, élitiste comme l’était alors la bonne société à laquelle il
appartenait par sa mère, née Colladon, ouvert au monde du Savoir, de la
Philanthropie et de l’Argent. Lorsque sa tribu conservatrice sera écartée du
pouvoir par la révolution fazyste, Dunant, un peu par hasard, mais aussi
parce que les profits tirés de l’exploitation coloniale commençaient à devenir
une part de plus en plus importante des bénéfices financiers que l’on pouvait
tirer de l’exploitation des hommes, s’est trouvé impliqué dans la réalité de
l’impérialisme européen. Il est d’ailleurs remarquable que les années
professionnelles les plus actives de la vie du fondateur de la Croix-Rouge
entre son arrivée en Algérie en tant qu’employé de la Compagnie genevoise
des colonies suisses de Sétif (1853) et son départ de Londres (1876) après
l’échec de la Syrian and Palestine Colonization Society, si on met entre
parenthèses les années créatrices (1859-1864), se réduisent pour l’essentiel à
des affaires coloniales.

1
Dans le Registre du secrétaire où figurent les professions, d’ailleurs variées (entre autre 4
rentiers et 2 commis) des 26 fondateurs de l’Union chrétienne de Genève, Dunant alors
commis chez Lullin et Sautter s’est inscrit comme rentier. Dans ce que l’on appelle ses
Mémoires où certains paragraphes sont repris plusieurs fois, il se présente ainsi : « Jean-Henry
Dunant, né à Genève le 8 mai 1828, appartient à une famille de l’aristocratie genevoise
ancienne et fort considérée ». Ms.fr. 2093/A, fol., 202.
2
Terme péjoratif, issu du patois local, utilisé en Cévennes pour qualifier les revivalistes, puis
plus précisément les darbystes et parfois même les partisans du Réveil. À la fin de sa vie, pour
désigner ses ennemis – Gustave Moynier et consorts – Dunant parlera « d’orthodoxes
huguenots, tous ces bigots, ces protestants fanatiques, ces momiers genevois, comme Max
Perrot et bien d’autres qui se sont ligués contre moi ». Ms.fr. 2115/C, fol., 119-120. À son
frère Pierre, 25 avril, 1901. Il affirmait également qu’il n’avait jamais été membre d’une secte
pas même de celle des évangéliques. Ms. Fr 2116/G, fol., 34 et 54.

17
Chapitre I. Le Réveil à Genève
« Réjouis-toi, Sion, une époque nouvelle
Va ramener pour toi le siècle tant promis ;
Pour ne plus te laisser le Seigneur te rappelle
Son bras te vengera de tous tes ennemis.
Des enfants d’Albion la milice flottante
Ramènera tes fils de cent climats divers ;
Et les accents vainqueurs d’une bouche éloquente
Des mains de l’opprimé feront tomber les fers ».
Abram-François Pétavel (La fille de Sion, 1868)1.
Le Réveil, apparu en Angleterre, deviendra, avec la fin des guerres
napoléoniennes en 1815 et la réouverture du continent aux Britanniques, un
mouvement européen qui connaîtra ses succès les plus importants certes
dans le pays où il est né, mais aussi en Écosse sous sa forme piétiste et dans
les pays germanophones sous une forme plus intellectuelle et, enfin, en
Suisse romande, en particulier dans la ville de Calvin où Henry Dunant a vu
le jour.
Les divers mouvements du Réveil du XIXe siècle en Europe s’inscrivent
en effet dans le cadre d’une Réformation plurielle et trouvent leur origine
d’abord dans une version radicale de la Réforme du XVIe siècle, puis dans le
piétisme qui, en mettant au centre de la vie religieuse la piété individuelle et
la conversion du cœur, marquera profondément le XVIIIe siècle. Dans des
sociétés qui se sentiront menacées par le surgissement de la modernité et
parfois même, comme ce sera le cas à Genève, par des pouvoirs plus
démocratiques et plus populaires, il s’agira non pas de transformer
prioritairement la doctrine, mais la pratique et la vie du croyant en tant
qu’individu et d’encourager un élan œcuménique et missionnaire tourné vers
l’Autre. Ainsi prend forme un individualisme paradoxal ouvert au monde et
aux activités philanthropiques, très présent chez le jeune Dunant.
Les historiens mentionnent un certain nombre de personnalités
charismatiques qui, issues de l’internationale piétiste, joueront à Genève un
rôle essentiel dans la naissance et le développement du mouvement du
Réveil. Le premier, le comte de Zinzendorf, leader des frères moraves,
accompagné d’une cinquantaine de frères et de sœurs, s’était installé à
Genève en 1741 pour y « vivifier l’Église en développant la spiritualité des
fidèles ». Il connaîtra un succès certain. Lors de son départ de la cité de

1
Abram-François Pétavel, Ancien Recteur de l’Académie de Neuchâtel, La fille de Sion ou le
rétablissement d’Israël, p. 321.

19
Calvin, sa communauté1 comptera entre 600 et 700 membres et jouera un
rôle important dans la naissance du premier Réveil genevois. Par la suite, la
baronne Barbara-Juliana Krüdener, de passage dans la cité de Calvin en
1813, ainsi que trois membres des Églises du Royaume-Uni (le méthodiste
Richard Wilcox, l’Écossais et ancien officier de marine Robert Haldane,
initiateur du Réveil en Suisse et Henry Drummond) tenteront, dans les
années1816 et 1817, de « réveiller » les étudiants. D’autres influences se
feront également sentir comme un certain mysticisme illuministe qui, si l’on
en croit Gabriel Mützenberg, 2 aurait eu, par l’intermédiaire du Tsar
Alexandre auquel Mme de Krüdener aurait expliqué la Bible, un impact sur
le Congrès de Vienne.3 C’est cependant avec le second Réveil (1836-1849),
avec des hommes tels que Louis Gaussen, que s’enracinera à Genève et au-
delà une théologie aux accents fondamentalistes obscurantistes, présente
chez Dunant jusqu’à la fin de sa vie. On en retrouve des traces dans
L’Empire de Charlemagne rétabli ou le Saint-Empire romain reconstitué et
dans les fameux Diagrammes Symboliques chronologiques de quelques
prophéties des Saintes Ecritures par un chrétien suisse.
Toutefois, à moins d’exagérer l’ampleur des divergences doctrinales
entre le premier et le second Réveil, on peut affirmer avec Léon Maury que
« le trait d’union ineffable entre les deux périodes du Réveil était le fonds
même de la prédication. À la rue des Chanoines (La Société évangélique),
comme au Bourg-de-Four (L’Église indépendante), comme au Témoignage
(L’Église de César Malan), ce qui était annoncé, c’étaient ces vérités
fondamentales de l’Évangile remises en lumière quinze ans auparavant : le
péché, le pardon, la grâce de Dieu par le sacrifice de Jésus-Christ, la
nécessité d’une conversion individuelle, la régénération par le Saint-
Esprit ».4 La communauté de pensée qui existe sur l’essentiel (centralité de
la conversion, de l’inerrance de la Parole de Dieu telle qu’elle s’exprime
dans la Bible, du mystère de la Croix et de l’engagement missionnaire)
permettra d’ailleurs, en 1849, que presque tous se retrouveront dans l’Église
évangélique libre de Genève.
Témoin du combat que se livraient alors sur les plans politique et
religieux le besoin de liberté et le principe d’autorité, le Réveil constituera
au XIXe siècle une protestation passionnée contre un rationalisme qui
voulait évacuer les dogmes fondamentaux de la foi. Il reprendra ainsi pour

1
Emile Guers écrira : « L’Église des Frères a été notre berceau spirituel ». Le premier réveil
et la première Église indépendante à Genève, p. 42.
2
Mützenberg Gabriel, A l’écoute du Réveil, pp. 50-59.
3
Le Tsar annoncera, à la pieuse baronne et à son entourage aussi pieux qu’elle, qu’il « veut,
par un acte public, rendre à Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit, l’hommage que nous lui
devons pour la protection qu’il nous a accordée, et inviter les peuples à se ranger sous
l’obéissance de l’Évangile ». La Sainte-Alliance ne le décevra pas.
4
Léon Maury, Le Réveil religieux dans l’église réformée à Genève et en France, pp. 175-176.

20
leur redonner vie (on parlera de revivalisme) les thèmes issus de la Réforme
du XVIe siècle et de l’héritage piétiste : corruption de l’être humain, retour
aux Écritures expression de la Parole de Dieu, conversion du cœur et
nouvelle naissance nécessaire pour chaque être humain et pour chaque
Église comme assemblée des croyants. Malheureusement, commenceront
alors à être diffusées des doctrines puériles et irrationnelles dont, avec le
développement du mouvement évangélique, on constate aujourd’hui les
ravages.

La redécouverte de la Bible et du Peuple élu


Avec la Réforme, le monde chrétien avait connu un phénomène
d’inculturation biblique qui allait radicalement changer le regard que la
plupart des chrétiens portaient sur le peuple juif. En redécouvrant leurs
racines juives, ces chrétiens découvrent une histoire biblique, une Histoire
sainte, dont ils vont faire le fondement et le cadre de l’histoire universelle.
Ils réalisent, en particulier avec Calvin, même si ce dernier n’échappe pas
aux stéréotypes et aux préjugés anti-judaïques des chrétiens de son temps,1
que le peuple juif n’est pas perdu à tout jamais : les juifs sont corrompus non
pas parce qu’ils sont juifs mais parce que, comme tous les êtres humains, ils
sont marqués irrémédiablement par le péché originel et peuvent donc,
comme tous, revenir un jour sur le droit chemin ; mais pour cela – et Calvin
revient souvent sur ces reproches – il faut qu’ils se corrigent de leurs plus
grands défauts : l’aveuglement, l’arrogance et surtout l’entêtement.
Quant à Théodore de Bèze, il ira encore plus loin en affirmant que ce ne
sont pas les juifs qui ont tué Jésus, mais que c’est toute l’humanité qui l’a
crucifié. Si nous sommes tous coupables, la culpabilité des juifs est donc
relative. Il devient alors évident que l’on ne peut s’en tenir à l’antijudaïsme
traditionnel : il faut à la fois valoriser le judaïsme dans lequel le
christianisme qui se réfère à la même Révélation biblique s’enracine et le
dévaloriser puisqu’il ne détient pas la Vérité à laquelle on veut le convertir.
Se développera alors un conversionnisme nourri, à la fois, d’une
judéophobie qui reprend parfois les poncifs traditionnels (peuple déicide,
crimes rituels, etc.) et d’un philosémitisme ambigu qui ne loue les vertus du
peuple juif que dans la mesure où il est appelé à se convertir – ce qui ne
pouvait que susciter un malaise compréhensible chez des juifs, auxquels les
judophobes les plus convaincus reprochaient d’appartenir à un peuple
obstiné qui refusait de reconnaître sa culpabilité et de se convertir.
Désormais, la tolérance envers les juifs les vise non pas en tant que juifs
mais en tant que chrétiens potentiels promis à une conversion collective. Le
mouvement missionnaire des réformés œuvrera ainsi, plus que celui des
1
Sur le sujet : Myriam Yardeni, Huguenots et Juifs, Ch. 2 (Calvin, les juifs et le judaïsme) et
ch. 3 (Contemporains et continuateurs de Calvin).

21
catholiques, à leur conversion car, comme le proclame Philippe de Mornay
(1549-1623), il suffirait que le peuple juif reconnaisse en Jésus le Messie,
pour qu’il « participe à l’Alliance bienheureuse de son Messie ».1 Ainsi,
certains de ces « philosémites » souhaitaient avant tout la disparition des
juifs en tant que juifs ; ce que des siècles d’antijudaïsme chrétien n’avaient
pu réaliser, les restaurationnistes chrétiens le réaliseraient grâce à la
restauration des Juifs dans leur Terre promise et à leur conversion.
Avec la Réforme, dans les pays anglo-saxons en particulier et en Grande-
Bretagne en premier lieu, la redécouverte de la Bible promeut la
redécouverte de la Terre promise, la redécouverte d’un Peuple qui n’est plus
seulement perçu comme le « peuple déicide » mais aussi comme le peuple
des Patriarches, le peuple que Moïse a fait sortir victorieusement d’Égypte et
le peuple de la conquête de Canaan. La Bible, souvent le seul livre que l’on
pût y trouver, était dans chaque foyer anglais livre de chevet, recueil de
méditations et histoire du monde. Dans un univers sans médias de masse,
presque sans livres, une seule référence existe, celle de la Bible ; ainsi, en
Grande-Bretagne, alors que les traductions en anglais se multiplient,2 l’on
assiste à un retour en force de l’Ancien Testament. On découvre la Parole de
Dieu si longtemps méconnue et désormais à la portée de tous. En découvrant
la Bible ou plutôt la lecture qu’en font les prédicateurs réformés, les
chrétiens découvrent dans le Peuple élu un peuple miraculé : « Tout est
miracle chez ce peuple incomparable qu’aucune puissance humaine n’a pu,
depuis tant de siècles, ni détruire, ni rassembler, ni rétablir, ni convertir, ni
séparer de sa Bible, ni soumettre à sa Bible, ni séparer de Moïse, ni donner à
Jésus Christ », s’extasiera, comme tant d’autres avant lui, Louis Gaussen.3
Le nouvel intérêt pour la Bible et pour l’histoire des Hébreux est ainsi en
contradiction avec la diabolisation des juifs qui avait prévalu durant tout le
Moyen Âge. Les juifs du Nouveau Testament étaient le peuple déicide, ceux
de l’Ancien Testament sont les Hébreux dont l’histoire nationale est
l’Histoire sainte de tout le peuple chrétien et dont l’hébreu, la langue parlée
par Adam, est la langue par laquelle Dieu s’est adressé à l’humanité et dans

1
« À ceste possession, à ceste Canaan, aujourd’hui nous vous appelons ». Philippe de
Mornay, L’advertissement aux Juifs sur la venue du Messie, p. 219.
2
The Great English Bible, The Geneva Bible, œuvre d'émigrés réfugiés à Genève, The Bishop
Bible (1538) avant que The King James Bible ou The Authorized Version ne devienne en
1611, après la Conférence de Hampton Court (1604), la traduction unique et officielle.
Comme l’indiquent Les Amis d’Israël (T.V, N° 2, août 1851, p. 58), de nombreux
missionnaires envisagent d’entreprendre une traduction plus littérale de la Bible luthérienne à
l’usage des juifs, mais face à la complexité du projet (il n’était pas suffisant de se satisfaire de
modifications mineures), ils préfèreront renoncer.
3
Louis Gaussen, Les Juifs évangélisés enfin, et bientôt rétablis, p. 34. Dunant, dans La
Palestine et les Juifs au XXe siècle (Ms.fr. 4508, fol., 25), développe le même thème en
employant les mêmes mots.

22
laquelle certains, avec la perte de prestige du latin – la langue des papistes –
voient la future langue universelle.1
L’Ancien Testament, en particulier le Décalogue, est d’ailleurs tellement
pris au sérieux que certains, comme John Traske (1585-1636), le principal
représentant du sabbatarianisme anglais – ce qui le conduisit en prison – qui
s’était convaincu que la Loi mosaïque n’avait pas été abrogée par la venue
du Christ, revendiquent pour le samedi (repos du septième jour) un statut qui
n’est pas loin d’évoquer celui que les juifs accordent au sabbat : arrêt de
toute activité et proscription des divertissements et plaisirs permis les autres
jours, tels que chasse, escrime, boules, etc.
Avec ce nouveau regard sur le peuple juif, l’Occident chrétien réformé,
non seulement reprend à son compte la totalité de la mythologie biblique,
mais il fait entrer dans l’histoire non pas un peuple ordinaire mais le Peuple
élu, « la nation la plus privilégiée du monde », nous dit Henry Jessey (1603-
1663). Les juifs sont les enfants de Dieu, ses premiers-nés : c’est avec leurs
ancêtres que le Seigneur a conclu une alliance ; c’est Israël qui a reçu la
Torah. Comme Calvin, il affirme la continuité de la nouvelle et de l’ancienne
alliance ainsi que l’unité des deux Testaments et, comme Théodore de Bèze
(1519-1605), il suggère que la distinction voulue par Dieu n’est pas entre
nouvelle et ancienne alliance, entre chrétiens et juifs, mais entre élus et
réprouvés, puisque l’on peut trouver des réprouvés parmi les chrétiens et des
élus parmi les juifs. Pour Henry Jessey et ses amis, le Peuple élu a péché, il a
été puni et dispersé (une curieuse doctrine affirme même que les Juifs ont été
dispersés pour propager le monothéisme parmi les gentils), il sera pardonné,
et le Messie annoncé 2 rassemblera son peuple, le délivrera de ses
oppresseurs, favorisera sa conversion et le restaurera dans son ancienne
patrie. Ainsi, avec le second avènement du Christ, les prophéties seront
totalement réalisées et, dorénavant, au bénéfice à la fois des juifs et des
gentils ; quant au royaume de David, il sera entièrement restauré.

1 David Katz parle de « Babel reversed ». David S. Katz, Philo-sémitism and the readmission
of the Jews to England 1603-1655, ch. II. L’admiration que l’on porte désormais aux Hébreux
devait un jour concerner les Juifs qui se présenteraient comme leurs descendants et
transformer, dans les milieux évangéliques, l’antijudaïsme en judéophilie ; ainsi, les baptistes
prôneront un esprit de tolérance qui devrait s'étendre aux juifs ; ils préconiseront l'abrogation
de l'Édit d'expulsion de 1290, d'autant plus que, à leurs yeux, le bannissement des juifs
apparaissait comme un obstacle majeur à leur conversion.
2
L'originalité d'Henry Jessey est de se référer, dans sa lecture de l'histoire du salut, non pas
aux seules sources chrétiennes mais aux sources rabbiniques, talmudiques et kabbalistiques
que cet hébraïsant avait lues. Il retient l'interprétation messianique de nombreux versets de
l'Ancien Testament (Ex XV 3 ; Ps 72, 89 et 100 ; Is. VII 14, VIII 1, IX 6 et XI 2 ; Jer. XXIII 5
et 6) que donnent les commentateurs juifs, mais il n'en affirme pas moins en s'appuyant sur
leurs interprétations que Jésus est le Messie attendu. Pour tout ce qui concerne Henry Jessey,
voir Katz David S. & Israël Jonathan I., Sceptics, Millenarians and Jews, pp., 164-184.

23
Dans certains cercles de la société britannique, l’on assiste même à la
naissance d’une judéophilie nouvelle1 et à un engouement pour le judaïsme
qui conduit quelques individualités, même si elles furent très peu
nombreuses, à se convertir au judaïsme. Cecil Roth2 mentionne ces hommes
que l’on appelait Saints qui, tels Everard le Niveleur ou Robert Rich le
philanthrope quaker, se revendiquent juifs alors que d’autres, qui constituent
déjà le peuple juif en nation, s’auto-désignent pour ramener vers la Terre
promise un peuple juif qui, auparavant, aurait été providentiellement
converti au christianisme.
Comme le confirmera Pierre Jurieu, quelques années plus tard (1686), le
retour et la restauration des juifs, qui auront lieu à la fin des temps,
deviennent l’un des dogmes du vrai christianisme. Et de poursuivre son
argumentation en expliquant que, puisque le messie promis aux Juifs ne leur
a apporté jusqu’ici que du malheur, il faut donc pour accomplir les
prophéties « qu’il vienne un tems qui sera ce regne du Messie & des Juifs,
dans lequel cette nation soit élevée, comme il a été promis, au dessus de
toutes les Nations ».3 Puis de conclure que, même si les Juifs se sont trompés
en ne reconnaissant pas le Messie et en attendant un royaume plus temporel
que spirituel, il n’en reste pas moins que les juifs à qui nous devons le
Messie, « doivent être la partie la plus éminente de la cinquième
monarchie ».
Malgré les réticences de tous ceux qui restaient opposés à toute
réintégration des juifs en Grande-Bretagne et qui faisaient courir les plus
folles rumeurs, telles celles qui voulaient qu’ils auraient fait une offre d’un
demi-million de Livres pour acheter la Cambridge University Library ou
pire encore qu’ils voulaient transformer St Paul’s Cathedral en synagogue,
c’est un sentiment de culpabilité qui commence à naître. Ainsi, au XVIIe
siècle, à l’occasion de la guerre civile, le bruit court que les malheurs de la
Grande-Bretagne sont la punition reçue pour les mauvais traitements infligés
aux juifs dans le passé, et qu’Albion a donc une dette envers le Peuple élu.
Au milieu du XVIIIe siècle, au plus fort du débat sur l’éventuelle
naturalisation des juifs étrangers, un certain nombre d’amis d’Israël
suggérèrent même qu’il fallait favoriser leur naturalisation car elle rendrait
plus aisée leur conversion, étape nécessaire à leur restauration en Palestine ;

1
L’antijudaïsme restait toutefois très présent comme le révèle le pamphlet haineux de
William Prynne (1600- 1669), A short Demurrer to the Jewes long discontinued Remitter into
England qu’il publia à l’occasion de la Conférence de Whitehall (novembre-décembre 1655),
réunie pour débattre de la réadmission des juifs en Angleterre. Sur le philosémitisme et la
condition des juifs en Angleterre, voir les ouvrages de David S. Katz, Philo-Semitism and the
Readmission of the Jews to England, 1603-1655, University Press. Oxford, 1982 et The Jews
in History of England (1485-1850), Clarendom Press, Oxford, 1994.
2
Cecil Roth, A History of the Jews in England, p. 150.
3
Pierre Jurieu, L'accomplissement des Prophéties (1686), présenté par Jean Delumeau, p.
199.

24
et cela d’autant plus que, pour les Églises évangéliques, la restauration
d’Israël annonçait la restauration de la véritable Église de Dieu.1
Par ailleurs, l’Occident chrétien apportait par son retour à la Bible une
théologie de l’histoire et une théologie de l’identification d’un peuple avec
une terre que peu remettaient en question d’autant plus que, pour les
hommes du Réveil, la Bible est la Parole de Dieu qui nous offre un récit
véridique de l’Histoire du Peuple élu et nous en impose le sens. Comme
l’avait préconisé César Malan, l’un des piliers du Réveil avec Louis Gaussen
et Merle d’Aubigné, la Bible devait être introduite non seulement dans les
écoles du dimanche2 mais aussi, comme il le fit dans son école, dans le
cursus scolaire de chaque enfant.3 Il suffit d’ailleurs de lire les consignes que
Louis Gaussen donnait aux enfants qui suivaient ses leçons sur le Livre de
Daniel pour constater qu’il n’était pas possible de douter de l’inerrance des
Ecritures puisque l’erreur est incompatible avec la paternité divine du texte.
Chaque leçon donnée par le pasteur genevois dans le cadre des écoles du
dimanche était ainsi précédée d’un cantique et d’une prière. Garçons et filles
devaient se présenter munis de leur Bible et avoir appris par cœur les versets
qui allaient être commentés (pas plus d’une dizaine de lignes) et qu’ils
devaient réciter ; puis Gaussen prenait la parole : « Je commence aujourd’hui
le Saint Livre de Daniel. Je m’attends à toute votre attention. Il faut que j’en
lise l’expression sur vos visages ; il faut que je voie tous vos regards arrêtés
avec révérence sur celui qui vous parle, car il vous apporte les oracles du
Dieu vivant ».4
Même si le discours du maître pouvait être interrompu par des questions
posées aux enfants ou par la lecture de quelques passages que ces derniers
pouvaient suivre dans leur Bible, il s’agissait avant tout de la mise en
condition d’un groupe de jeunes auxquels on annonçait qu’ils « portaient les
iniquités de leur père » et qu’ils ne pouvaient être sauvés que par la grâce de
Dieu : « Lorsque nous vous voyons arriver dans le temple avec la Bible dans
vos mains, proclamait-il dès la deuxième leçon, il est difficile alors de ne pas

1
« La vocation des Gentils fut, il y a dix-huit siècles, le signal de la ruine trop méritée des
juifs, et d'un châtiment dès longtemps dénoncé contre leur incrédulité. Le relèvement des juifs
sera le signal, à son tour, de la ruine trop méritée des nations et des sévérités inouïes
dénoncées contre leur mépris des Écritures, leurs persécutions de l'Église, leurs résistances à
l'Évangile et leurs adorations de la créature ». Louis Gaussen, Les Juifs évangélisés enfin, et
bientôt rétablis, p. 135.
2
Paul Cook fondera en 1852 la Société des écoles du dimanche (enseignement de catéchèse
réservé aux enfants) et dirigera, jusqu’en 1857, la revue : Le Magasin des écoles du
dimanche.
3
« Chaque enfant eut la sienne. La mienne était toujours sur ma table ; et ce livre de sagesse
et de bénédiction éternelle devint pour nous tous ensemble le trésor chaque jour ouvert où
nous puisions la solide science ». Mützenberg Gabriel, A l’écoute du Réveil, p. 88.
4
Louis Gaussen, Daniel le prophète, T. I, p. 4. Première leçon qui portait sur la lecture de
Daniel, ch.I, V, 1-8.

25
se demander : Que sera-ce de cet enfant ? Deviendra-t-il un chrétien ? Ira-t-il
au ciel ? Est-ce un élu de Dieu ? »1 Pouvaient alors être inculquées par des
leçons qui allaient se succéder durant des semaines des vérités historiques et
théologiques fondées sur une lecture littérale d’un Livre de Daniel, supposé
avoir été « dicté par Dieu ».2
Et durant des mois, le pasteur genevois déroulait une histoire du monde
qui n’était autre que l’histoire biblique depuis la création du monde et de
l’homme, 4 000 ans avant Jésus-Christ (il nous en donne d’ailleurs, à la page
16, la chronologie). Pour lui l’enseignement de l’histoire est nécessaire pour
rendre compréhensibles les prophéties3 qui concernent l’avenir d’Israël. Et
l’auteur de la petite brochure – Les Juifs évangélisés enfin, et bientôt rétablis
(1851) – en arrive alors à l’un de ses sujets préférés pour proclamer la fin
prochaine du pouvoir turc, alors que le retour des juifs en Palestine permettra
le relèvement d’Israël.
De cette lecture des Saintes Écritures commentées par une myriade de
théologiens, la plupart appartenant aux mouvements piétistes, les chrétiens
restaurationnistes allaient hériter d’une théologie de la Promesse, de l’Exil,
du Retour et de la Restauration qui, avant de s’installer au cœur d’un projet
colonial, sera la matrice du messianisme avant de devenir le projet
théologico-politique d’une partie de la chrétienté. C’est d’ailleurs ce que le
chrétien restaurationniste Abram-François Pétavel (1791-1870) proclamera,
en 1868, après beaucoup d’autres, dans La fille de Sion ou le rétablissement
d’Israël.
De plus, la Réforme, en ranimant le désir de sonder l’Écriture sainte,
remettait en vigueur l’étude des langues sacrées et créait un intérêt nouveau
pour les mœurs et coutumes de l’Orient, des Hébreux en particulier. En
outre, elle préparait les esprits à penser un projet religieux fondé sur
l’Histoire sainte et à le considérer comme allant de soi lorsqu’il deviendra
colonial, avec pour conséquence que la confusion originelle entre
l’historique et le théologique perdurera au point qu’un des tout premiers
sionistes, Moses Hess, parlera de « religion de l’histoire et d’un peuple juif,
porteur de la religion de l’histoire ».4

1
Louis Gaussen, Daniel le prophète, T. I, p. 35.
2
« Notre but est d’établir par la Parole de Dieu que l’Écriture est de Dieu, que l’Écriture est
partout de Dieu et que partout l’Écriture est entièrement de Dieu ». Louis Gaussen,
Théopneustie, pp. 35ss.
3
« Il faut apprendre l’histoire pour leur expliquer la prophétie ». Louis Gaussen, Daniel le
prophète, T. II, p. XIII.
4
Moses Hess, Rome et Jérusalem, p. 71.

26
L’espérance messianique et millénariste
Dès le XVIIe siècle, le christianisme réformé, en redécouvrant la Bible,
s’est approprié la lecture messianique et millénariste des Saintes Écritures et
a renouvelé une théologie de l’histoire commune aux deux traditions
chrétiennes. Les fidèles des Églises évangéliques ne vont donc pas inventer
le messianisme mais lui donner un contenu politique. Le renouvellement de
la pensée chrétienne messianique et eschatologique allait ainsi, à l’approche
attendue du Millénium, initier une réévaluation de la place du peuple juif
dans l’histoire du salut. Les vicissitudes subies par le Peuple élu avaient, en
effet, conduit très tôt les Prophètes à annoncer la venue d’un roi issu de la
lignée de David qui se distinguerait par ses vertus1 et par la gloire de son
règne. Il s’agissait alors d’annoncer non seulement la restauration d’un
royaume juif en faveur de la lignée de David, mais aussi d’esquisser les
contours d’une utopie où l’on verrait une société parfaite n’adorer qu’un seul
Dieu et vivre dans l’harmonie, la justice et la paix.2 Cette lecture des visions
eschatologiques d’Isaïe, de Daniel et de Jean introduisait ainsi, avec la
promesse du plérôme, de la réconciliation, de la plénitude et du bonheur
éternel, non seulement l’idée de fin des temps, mais aussi la conviction
qu’une ère messianique était désormais imminente.
Le concept de messianisme, déjà essentiel pour le judaïsme, s’imposera
donc dans les esprits d’un public réformé beaucoup plus nombreux par le
canal du christianisme. Métissé d’une eschatologie présente dans les deux
monothéismes, il va y ancrer l’idée d’une inéluctable fin des temps marquée
par le combat apocalyptique entre les forces du Bien et celles du Mal et y
conforter la conviction que le triomphe des forces du Bien permettra
finalement l’avènement d’un millénium au cours duquel la nature et la
société connaîtront des changements fondamentaux. Mais, alors que pour le
judaïsme la venue du Messie se situait dans le futur et que l’espoir était celui
d’un peuple persécuté et dispersé, pour le christianisme évangélique, au
contraire, l’axe et le cœur du temps sont suspendus à l’Incarnation, à la
Passion et à la Résurrection du Christ ; même pour ceux qui attendaient la
deuxième venue du Christ, l’avènement du Messie était donc déjà advenu.
De plus, il existait un malentendu sur la conception du royaume à venir :
pour le messianisme chrétien, c’était le retour à un royaume qui n’est pas de
ce monde ; pour le messianisme juif, c’était le retour à un royaume qui doit
être de ce monde ; pour les restaurationnistes chrétiens, ce serait à la fois un
projet révolutionnaire et le retour imminent à un royaume qui sera de ce
monde pour préparer l’avènement d’un royaume qui ne sera pas de ce

1
Isaïe (IX 5-6 et XI, 1-5) esquisse un portrait du nouveau David que le christianisme
s'appropriera pour dessiner celui d'un Jésus qui sera assimilé au Messie annoncé par les
Prophètes.
2
Is. XI, 6-9.

27
monde. D’ailleurs, lorsque l’aventure du faux messie Sabbataï Tsevi
commença à être connue en Europe, les pré-millénaristes chrétiens, anglais
et hollandais, la suivirent avec intérêt, en espérant qu’elle ouvrirait la voie au
retour des juifs en Palestine à un moment (milieu du XVIIe siècle) où les
gouvernements européens n’étaient pas vraiment intéressés par la question.
Finalement, c’est en Angleterre, après l’exécution de Charles Ier (30
janvier 1649), que le thème de la restauration d’un nouveau royaume sous la
forme d’une cinquième monarchie connaîtra son plus grand succès,
lorsqu’un groupe radical s’y référera pour réclamer la fondation en
Angleterre d’une nouvelle Sion et un gouvernement des « Saints ». N’est-il
pas temps d’instituer de nouveaux cieux, une nouvelle terre, de créer autour
du nouveau Moïse, Cromwell, proclamé le 16 décembre 1653 Lord
Protecteur de l’Angleterre, un nouvel État, une administration de l’Évangile
pour laquelle la Bible serait la référence ? Ainsi, l’un des thèmes
traditionnels du millénarisme appartenant à l’eschatologie mystique est
désormais associé à des visées politiques et s’accompagne de thèses
restaurationnistes qui prendront de plus en plus de place chez les chrétiens
évangéliques. La réinterprétation constante des Écritures, puisque l’Esprit
souffle où il veut, permet à certains d’affirmer pour la première fois que la
lutte menée par les Puritains pour l’instauration d’un gouvernement des
« Saints » pourra l’être, le jour venu, par le Peuple élu dans la perspective de
restaurer l’ancien royaume de David. Après l’Espagne, la France,
l’Angleterre, la Papauté et même l’ordre des Jésuites, un nouveau candidat à
la domination du monde – le royaume restauré de David – faisait ainsi son
apparition ; or, ce n’était pas lui qui s’auto-désignait mais des chrétiens qui
l’intronisaient ! L’avènement d’un millénium devenant crédible lorsque des
communautés – qu’elles soient juives ou chrétiennes – sont confrontées à
une réalité douloureuse et oppressive dont elles aspirent à être libérées, la
promesse religieuse du salut se confond alors avec celle d’une émancipation
sociale et politique et, en raison des revendications sociales qui sont
formulées, l’objectif temporel prend définitivement le pas sur les visées
religieuses.
Par ailleurs, une lecture calviniste, due moins à Calvin qu’à
l’interprétation que Théodore de Bèze fait de l’Épître aux Romains (XI, 25
et suiv.), transformera le schème augustinien, dans la mesure où il affirme
qu’à la fin des temps une grande partie du peuple juif, si ce n’est la totalité,
se convertira au christianisme. Cette lecture, favorisée par le renouveau des
études hébraïques dans les universités protestantes et par le fait que ces
nouveaux spécialistes de l’Ancien Testament liront certains textes de la
littérature rabbinique qui prédisaient au peuple juif un avenir glorieux sur
terre, deviendra un phénomène européen. Elle met fin à une lecture
seulement allégorique de l’Épître aux Romains qui mettait derrière le mot
« Israël » soit le second Israël, l’Église du Christ, soit, chez Calvin et Luther,

28
l’Église des juifs et des gentils ; dorénavant, « Israël » désignera le peuple
juif, un peuple non chrétien dont la religion est le judaïsme et auquel on
promet une restauration prochaine, au sens littéral et non au sens spirituel ou
symbolique du terme utilisé par ceux qui attendaient la restauration du
second Israël, l’Église du Christ.
De plus en plus, la conversion des Juifs au christianisme que les
Réformés croyaient lire dans le ch. XI de l’Épître aux Romains, dans
l’Apocalypse XVI, 12, ainsi que chez tous les grands prophètes d’Israël,
Isaïe et Ézéchiel en particulier, apparaît comme une première étape
nécessaire au second avènement du Christ. C’est en tous cas ce qu’affirment
de très nombreux prédicateurs tels John Owen, doyen de Christ Church ou
James Durham qui, tout en attendant, lui aussi, l’assèchement de l’Euphrate
qui rendrait possible le retour vers la Palestine des juifs d’Orient, était
persuadé que tous sans exception se convertiraient tant en Europe qu’en
Orient lorsque l’Empire turc s’écroulerait.
Cette exégèse pro-judaïque, importée d’Angleterre, que Robert Haldane
implantera dans la cité de Calvin, transformera la vision antijuive
traditionnelle en la reconnaissance qu’il existe une continuité et une
persistance de l’élection du peuple juif. Investi d’une mission dans le passé
(celle de révéler la vérité monothéiste), contrairement à ce que pensaient de
nombreux chrétiens, le peuple juif n’a pas perdu son élection au profit d’un
Vrai Israël qui serait l’Église chrétienne, il continue d’avoir une mission
pour l’avenir. Quant à Joseph Mede, dont le Clavis Apocalyptica (1627) fit
du millénarisme une doctrine respectable, il soutient, lui, que non seulement
la conversion des juifs sera aussi miraculeuse que celle de saint Paul mais
qu’elle portera des fruits aussi considérables. Paul n’a-t-il pas été l’ennemi le
plus zélé du christianisme avant d’en devenir, après sa conversion
miraculeuse, son meilleur champion ? 1
Les Prophéties et l’Apocalypse étant par nature obscures, même pour
ceux qui, en ces Temps de l’Esprit annoncés par Joachim de Flore, sont
inspirés par l’Esprit, les commentaires vont se multiplier pour éclairer les
croyants sur leur véritable signification ; ce seront Apocalypsis Apocalypseos
(1609) de Thomas Brightman,2 Diatribe de mille annis (1627) de Johann

1
C’est en tout cas le thème que Pierre Jurieu, en se référant à Joseph Mede dont il reconnaît
le caractère précurseur, développe dans le chapitre XIV de son ouvrage, L’accomplissement
des prophéties (1686) : « Paul converti est l’Apôtre & l’instrument de la conversion des
Gentils. Les Juifs convertis achèveront la conversion des Nations Payennes éloignées, & qui
sont au bout du monde ». L’Ami d’Israël, T. VII, N° 2, p. 46 (août 1859).
De même, après sa conversion, la nation juive, qui témoignera mieux que d'autres de la vérité
du christianisme, deviendra la plus zélée des nations pour favoriser son expansion. Pour de
nombreux millénaristes chrétiens, Israël était ainsi destiné à devenir le peuple missionnaire
des derniers Temps.
2
Thomas Brightman, dans son Apocalypsis Apocalypseos, écrit en latin et publié en Suisse en
1609, avant de paraître, en 1615, en traduction anglaise à Amsterdam, affirme que le

29
Heinrich Alsted, Clavis Apocalyptica (1627) ou The Key of the Revelation
(1642) de Joseph Mede et surtout les pamphlets de Thomas Goodwin, The
Personall Raigne of Christ upon Earth et d’un anonyme, A Glimpse of Sions
Glory, publiés l’un et l’autre en 1641, qui, en une époque prérévolutionnaire,
répondaient à l’attente et à l’engouement d’une population qui, à l’approche
de l’année 1666 devant marquer l’avènement de la Cinquième monarchie,
pensait que les Temps du second avènement du Christ étaient proches et
aspirait à une démocratie des « Saints ». Ils appréhendaient ainsi le
millénium en termes politiques et sociaux plus qu’en termes spirituels : ils
estimaient que l’avènement du millénium, si nécessaire par la force,
dépendait des « Saints » et non de Dieu. Les plus pauvres et les plus humbles
voyaient dans le millénium qui s’annonçait, mille ans de bonheur à vivre
dans le Royaume du Christ.1
Les millénaristes chrétiens seront souvent les mêmes que ceux qui, pour
retrouver l’âge d’or apostolique, voulaient réformer l’Église ; dissidents dans
l’âme, ils voulaient créer une véritable Église de Dieu et mettre entre
parenthèses des siècles de vie ecclésiale pour en revenir à l’âge d’or de la
chrétienté. Pour eux, la fin des temps ne serait que la répétition des temps
apostoliques où l’Église était juive, un temps où l’assemblée des chrétiens
était celle des juifs. Quant au retour des juifs au pays où le christianisme est
né, il permettrait de reprendre le travail de conversion du peuple déicide là
où Paul de Tarse l’avait laissé.
Un ouvrage, paru en 1828, Evidence of the Truth of the Christian
Religion : Derived from the Litteral Fulfilment of Prophecy. Particularly as
Illustrated by the History of the Jews and by the Discovery of Recent
Travellers d’Alexander Keith,2 qui connaîtra de nombreuses traductions et
plus de 40 rééditions dans le seul XIXe siècle, aura un impact décisif sur la
conviction d’un retour et d’une restauration imminente du peuple juif ; une
conviction que l’on retrouvera tant auprès des hommes d’Église, des
écrivains, des politiques qu’auprès du grand public. Ainsi, en plus de 400
pages, Alexander Keith s’emploie à démontrer que toutes les prophéties –
qu’elles concernent la religion chrétienne, la destruction de Jérusalem, les
juifs, la Judée, Ammon, Moab, Edom, les Philistins, Ninive, Babylone, Tyr,
l’Égypte, les Arabes, les Africains ou les sept Églises de l’Asie – se sont

millenium a déjà commencé avec ces précurseurs de la Réforme qu'ont été Marsile de Padoue
(~1275-~1342) et John Wyclif (1320-1384) et s'est fortifié avec l'Église presbytérienne. Des
vues similaires seront soutenues sur le continent ; ainsi pour le pasteur protestant, professeur à
Stettin, Daniel Cramer, le millénium a commencé avec Luther. Quant au calviniste français,
Matthieu Cottière, il pense, avec beaucoup d'autres calvinistes hollandais, que le millénium a
commencé en 1560.
1
A Glimpse of Sions Glory, cit. in, William Haller, The Rise of Puritanism, p. 272.
2
Nous le retrouverons en tant que membre de la Commission d'enquête envoyée en 1839 en
Palestine par le Comité permanent pour l'évangélisation du Peuple élu de la London Jews
Society.

30
accomplies. Il est donc évident que se réaliseront également les prophéties
qui concernent le retour et la restauration des juifs.1 Pour Alexander Keith
qui ne craint pas d’utiliser les stéréotypes de l’antijudaïsme (il parle de leur
influence politique en Europe et en Amérique, ainsi que de leur puissance
financière dans de nombreux pays européens), les temps sont proches
d’autant plus que les convulsions actuelles de l’Empire ottoman et
l’émancipation des Juifs créent les conditions favorables à leur restauration.
Les Églises évangéliques n’auront plus qu’à transformer une aspiration à
la fois vague et essentielle par sa valeur mystique – L’an prochain à
Jérusalem – qui à la longue était devenue une formule creuse, en un retour
nécessaire, seul apte à permettre l’accomplissement du plan de Dieu pour
l’humanité. Pour ces visionnaires, férus d’exégèse biblique, il ne sera même
plus nécessaire d’avoir fait le voyage à Jérusalem, une ville qui n’est pour
eux ni la Cité des Lieux saints hantée par des pèlerins illuminés, ni
l’épicentre des fanatismes monothéistes mais l’espace mythique et mystique
où se retrouveront, enfin rassemblés, dans l’attente du second avènement du
Christ, juifs convertis et véritables croyants.2 Ces Églises vont donner au
peuple juif un but : le retour et, alors que la Turquie avait été le pays au
monde le plus hospitalier et le plus tolérant envers les juifs, un ennemi : le
Turc.
Reprise par les Églises évangéliques, l’attente du Messie et du millénium
se transforme ainsi en espérance du Retour. Les deux espérances se
confortent : celle du messianisme traditionnel des communautés juives de la
diaspora et celle des communautés chrétiennes évangéliques qui, elles aussi,
sont persuadées que les Prophéties vont bientôt s’accomplir et que le second
avènement du Christ est dépendant du destin du peuple juif et surtout de son
retour annoncé depuis toujours par les Prophètes.

1
« Ces prophéties montrent, aussi clairement que le langage peut l’être, que les Juifs
retourneront en Judée et seront enfin rétablis de façon permanente, sur la terre de leurs
ancêtres. L’expérience uniformément renouvelée de la vérité littérale de chacune des
prédictions qui concernent leur histoire passée suffit pour nous donner l’assurance de leur
restauration, telle qu’elle a été prédite ». Alexander Keith, Evidence of the Truth of the
Christian Religion, Annexe IV, pp. 446-450, Prophecies Concerning the Final Restoration of
the Jews, and their Return to the Land of Judea.
2
À la fin du XVIIe siècle, The Pilgrim’s Progress (1684) de John Bunyan, un best-seller
mondial de la littérature religieuse – pour certains observateurs, le plus répandu dans le
monde après la Bible et L’Imitation de Jésus-Christ de Thomas a Kempis – dépeint le chemin
de la conversion d’un personnage du nom de Chrétien, à travers les combats, les difficultés et
les victoires, qui le mène de la Cité de Destruction à la terre de Mont-Plaisir-en-Elle où les
pèlerins séjournent jusqu’à ce que le Messager de la Mort vienne les avertir et qu’ils
traversent les uns après les autres – comme l’ont fait les prêtres portant l’arche de l’alliance
quand Israël traversa le Jourdain – le fleuve qui les sépare de la Sion Céleste.

31
Dunant, lui-même, a d’ailleurs été profondément influencé par la
personnalité de Louis Gaussen 1 qui, en 1834, avait été révoqué par la
Vénérable Compagnie des pasteurs2 ; comme son illustre maître, il s’est
complu, toute sa vie, dans un prophétisme étrange et déconcertant qui l’a
conduit, lui le voisin de Voltaire et le contemporain de Marx, à privilégier
une vision théologique du monde à une époque où pourtant nombre de ses
contemporains redécouvraient l’histoire et commençaient à la sacraliser. Il
adoptera ainsi des idées qui, durant des siècles, avaient nourri
l’historiographie médiévale (la chronologie biblique3 et le schème des quatre
monarchies4) ainsi qu’une thématique – celle de l’Histoire du salut – tombée
depuis longtemps en désuétude. Lors des premières années 1880 durant
lesquelles il rédige un opuscule intitulé La Palestine et les Juifs au XXe
siècle par un chrétien suisse,5 il s’exprime d’ailleurs souvent sur le sujet.
Pour tenter d’expliquer ce que sera la Jérusalem du peuple juif restauré dans
son pays et dans sa ville, une Jérusalem terrestre qui jouerait un rôle central
lors d’un millénium qu’il croit tout proche,6 il décrit « le règne personnel du
Messie sur la terre comme une théocratie directe, bien différente en cela de
ce qu’on appelle en général théocratie ou gouvernement par les prêtres ». Il
anticipe ainsi le caractère totalitaire que prend le discours de certains
groupes évangéliques lorsqu’ils sont proches du Pouvoir, en précisant que,
lors de ce règne messianique, « il n’y aura ni Sénat, ni Parlement, ni suffrage
universel. Tous les royaumes du monde, tous les États de la terre
deviendront le partage de notre Dieu et de son Christ. Tous les rois
tomberont devant lui et toutes les nations le serviront ».7

1
L’influence de Louis Gaussen est évidente. Théopneustie ou Daniel le prophète, T. II, p. 258
et Daniel le prophète T. I, pp. 124 et 131 et T. II, p. XXI : Carte des 4 monarchies avec
l’Afrique du Nord en tant que « terre prophétique ». Dunant reprend plusieurs fois à son
compte un schème qui, avec le thème de la cinquième monarchie, accorde une place
privilégiée à la restauration du peuple juif. Ms. fr. 4504, fol., 19.
2
Sur le sujet, l’ouvrage remarquable de Gabriel Mützenberg, Henry Dunant, le prédestiné, En
particulier, ch. V, L’école du Réveil. Lettre de Louis Gaussen à Dunant du 27 novembre
1862.
3
« C’était en l’an 604 avant Jésus-Christ : trente-quatre siècles s’étaient écoulés depuis la
création du monde ». J.H. Dunant, op. cit., Empire de Charlemagne rétabli, p. 21.
4
Sven Stelling-Michaud fait remarquer que la tradition des quatre monarchies s’est
longtemps maintenue chez les Réformateurs allemands de souche gibeline, en particulier chez
Sleidan, historien du temps de Charles-Quint qui avait intitulé sa grande histoire universelle
De Quatuor monarchiis. Sven Stelling-Michaud, Quelques aspects du problème du temps au
Moyen- Age, in : Etudes suisses d’histoire générale, Vol. 17, 1959.
5
Ms.fr. 4508, Henry Dunant, La Palestine et les Juifs au XXe siècle par un chrétien suisse,
non imprimé, précise-t-il, faute d’argent et de concours : au folio 57, il souligne qu’il a été
rédigé en 1883.
6
Ms.fr. 4501, fol., 45 et suiv. Ms.fr. 4508, fol., 41-44.
7
Ms. fr. 4504, fol., 16.

32
Henry Dunant
colon affairiste en Algérie
pionnier du sionisme Jacques Pous

Jacques Pous
Alors que la jeunesse commence à déboulonner les statues
de tous ceux qui ont participé à l’aventure criminelle du
colonialisme, il est temps d’en finir avec les tabous qui falsifient
les histoires nationales.
Les titres de fondateur de la Croix-Rouge, de promoteur de
la Convention de Genève et de pionnier du Droit humanitaire
suffisent à la gloire d’Henry Dunant. Il n’est pas nécessaire
pour augmenter sa renommée de faire de lui ce qu’il n’a jamais
Henry Dunant
vraiment été, féministe ou pacifiste, si ce n’est comme disciple
de Bertha Von Suttner, et encore moins anticolonialiste, colon affairiste en Algérie

colon affairiste en Algérie, pionnier du sionisme


arabisant ou favorable aux fellahs algériens, comme l’affirment
ses panégyristes.
Colon affairiste en Algérie, pionnier du colonialisme sioniste
pionnier du sionisme
dans l’espoir, après une faillite frauduleuse, de « se refaire »,
Henry Dunant a été victime de la frénésie d’enrichissement
engendrée par l’exploitation coloniale du monde et de la
fascination pour l’argent, qui était pour lui manifestation d’un
statut social, symbole de la réussite dans la cité et preuve
vivante du salut.

Henry Dunant
L’existence de la Croix-Rouge – la création pérenne d’Henry
Dunant – lui assure seule l’estime due à celui qui a créé une
œuvre impérissable aussi longtemps qu’il y aura des guerres et
aussi longtemps que n’aura pas lieu cette révolution des esprits
en faveur de l’abolition de la guerre que souhaitait Frédéric
Passy, l’autre lauréat du premier prix Nobel de la Paix qui, lui, a
consacré toute sa vie à un idéal pacifiste auquel on peut encore
rêver et en faveur duquel on peut toujours œuvrer.

Né à Toulouse, réfractaire à la guerre d’Algérie, enseignant au service


du GPRA au centre Aïssat Idir en Tunisie qui recueillait de nombreux
orphelins ou déplacés de la guerre coloniale, Jacques Pous a enseigné
par la suite dans différents pays arabes : Algérie, Soudan et Palestine.
Il peut donc témoigner des conséquences tragiques du colonialisme
et des sentiments de révolte que suscitent les crimes du colonialisme
contre les humanités que nous avons rencontrées. Professeur d’histoire
et de philosophie dans son pays d’accueil, la Suisse, il a consacré Préface de Jean Ziegler
l’essentiel de son activité académique à l’histoire du colonialisme en
Algérie et en Palestine.

En couverture : timbre (1954) dessiné et gravé par Jules Piel, représentant Henry Dunant
et le site de Djémila en Algérie.

ISBN : 978-2-343-21684-3
33 €
Histoire et Perspectives Méditerranéennes Histoire et Perspectives Méditerranéennes

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