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Njoya
De l’extrême
littératures française, francophone et comparée. Ses recherches actuelles
des Suds
concilient les approches épistémo- et géocentrées de la fiction, en général, et de
la littérature, en particulier. Il est l’auteur de nombreux articles et d’ouvrages dans
ses domaines de spécialisation. Poète, il a publié, chez L’Harmattan, La Parole
tendue (2010) et Les Machinations du sable (2012).
Yaya Mountapmbémé Pemi Njoya, qualifié MCF CNU 9, est Senior Lecturer
à l’École normale supérieure de l’université de Maroua. Lauréat AMOPA-France
de la meilleure thèse en littératures francophones de l’université Paris-Est, il a été
chercheur post-doctoral à l’université de Fribourg (Suisse) et occupe le même
poste actuellement à l’université du Kwazulu Natal en Afrique du Sud. Auteur de
publications scientifiques sur la théorie littéraire, ses recherches actuelles portent
sur les poétiques du marronnage dans la lyrique francophone des Suds.
Ont également contribué à cet ouvrage : Sana M’selmi, Carole Njiomouo Langa, Jean-Marcel
Essiene, Moukara Aïssatou, Tite Lattro, Adakoui Baba Amine, Arsène Magnima Kakassa,
Guerras Merchebet Anissa, Aboubakar Gounougo, François Nlandu Diamena, Ernest
Akpangni, Laurent Kignilman Touré, Wilfrid Tchoumpaing.
ISBN : 978-2-343-23849-4
27 €
Yaya Mountapmbémé P. Njoya
et Jean Claude Abada Medjo (dir.)
De l’extrême
dans les littératures francophones
des Suds
***
© L’Harmattan, 2021
5-7, rue de l’École-Polytechnique ‒ 75005 Paris
www.editions-harmattan.fr
ISBN : 978-2-343-23849-4
EAN : 9782343238494
Comité scientifique
Comité de lecture
Dr Adam Mahamat
Dr Awezaye Philip
Dr Bana Barka
Dr Fonkoua Paul
Dr Fopa Kuete Roger
Dr Jiatsa Jiokeng Albert
Dr Mountapmbeme P. Njoya Yaya
Dr Nankeu Bernard Bienvenu
Dr Ngadi Maïssa Laude
Dr Njimeni Njiotang Clébert,
Dr Njiomouo Langa Carole
Dr Oumar Guedalla
Dr Se Ngue Daniel
Dr Vokeng Ngnintedem Merlain +
Faire face au trauma : écriture et thérapie de la mémoire
génocidaire : une lecture de l’Ombre d’imana. Voyages
jusqu’au bout du Rwanda de Véronique Tadjo
Introduction
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peuple rwandais ? Grâce aux travaux de Mircea Eliade sur le mythe
(1971b), il est possible de prouver que le parcours initiatique débouche
sur la mythification de l’héroïne dont l’initiation vient expliquer,
légitimer et ériger en exemple des voies de reconstruction sociale. Ce
déploiement permet de transcender le pessimisme du chaos et de
configurer un imaginaire libérateur. En tant que procédé systématisé, le
parcours initiatique se plie à un cheminement précis qui comprend la
préparation, l’immersion et la renaissance mystique du néophyte.
La préparation
En ce qui concerne la quête, elle prend son essor dans l’âme. De là,
part le désir profond de l’homme de dépasser son état premier pour un
nouveau, meilleur. Ceci explique pourquoi l’initiation est étroitement
liée à la quête identitaire. Cependant, il apparaît clairement que la quête
de la narratrice n’est pas celle d’un renouvellement complet. Sans faire
mention dans la fiction de la résidence d’écriture à Kigali, l’héroïne de
L’Ombre d’Imana apparaît uniquement comme une victime de la
diffusion d’images télévisuelles violentes, désormais obsédée par
celles-ci. Seule une descente sur le champ des massacres peut avoir
raison de cette hantise. Cela se ressent dans l’emphase utilisée pour
indiquer son intention, de même que les indices de temps en
l’occurrence « longtemps », « éternel » sont significatifs quant à la
12
Abrégé OI dans la suite du texte.
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durée de ce « cauchemar ». Le but visé est donc l’affranchissement
d’une chose précise, retrouver son état de personne libre.
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le Rwanda là-bas » (OI : 14). L’on peut donc dire à ce niveau que
l’ignorance du contenu de l’apprentissage peut jouer sur le niveau
d’angoisse du sujet de l’initiation. La rencontre avec l’exilé rwandais
en Afrique du Sud semble intensifier la vague d’appréhension par
rapport à ce qui l’attend au Rwanda. En effet, la description à travers le
procédé de synecdoque de l’homme est suffisante pour deviner le
tourment par lequel il est passé : « Je n’ai vu que ses yeux […] c’était
énorme, une noyade. Il semblait incapable de capter la vie avec ces
yeux-là […] Pendant une fraction de seconde, un vertige m’a traversé
la tête » (OI : 15).
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avant la renaissance. Cette façon abstraite d’évoquer la violence sans
nom qui s’est déroulée au Rwanda témoigne d’un souci d’atténuation.
En effet : « les étoiles retiennent leurs secrets douloureux […] Il faut
remonter à la nuit de tous les temps, revenir à la grande frayeur,
l’époque où les êtres face à leur destin n’avaient pas encore découvert
leur humanité. Des terreurs obscures guidaient leurs pas. Il faut se
rappeler la peur physique de l’autre » (OI : 20).
J’ai sommeil.
Je n’arrive pas à dormir. Mon esprit tourne à cent à l’heure. Je mets les
écouteurs et tente de regarder le film. Mais je ne peux me résoudre à
suivre cette histoire d’amour hollywoodienne. Je lis un peu (OI : 18).
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endroits. À New York, Johannesburg, Durban, Nairobi ou Abidjan »
(OI : 18). Presque simultanément elle pense : « Je me demande soudain
si ma nationalité Ivoirienne serait un atout ou une condamnation. » (OI :
18)
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loin, la ville semble avoir tout oublié, tout digéré, tout ingurgité […]
Quand Kigali est en paix, Kigali est calme » (OI : 19). Cette apparence
de sérénité dissimule cependant des existences brisées, fait somme toute
normal par cette période d’après-guerre. La raison en est que les gens
ont le désir de recommencer une nouvelle vie, de refaire le quotidien :
[Ils] reviennent s’installer au pied des volcans éteints pour cultiver les
terres fertiles, Kigali se dépouille de son passé et endosse les habits
d’une nouvelle existence […] Les montres ont été remises à l’heure, les
calendriers raccrochés aux murs, les livres ramassés dans la poussière,
les photos retrouvées et recollées, sorties du passé et l’oubli. Des gestes
sans importance mais qui ont une valeur si grande qu’ils imposent le
respect à toutes les générations (OI : 21).
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Ce ne sont que des ossements. Les crânes de couleur noire sont ceux
trouvés dans les latrines ou enfouis dans le sol. Ceux qui sont blancs ont
été trouvés dans la nature, entre les hautes herbes […] L’horreur de la
terre souillée et du temps qui passe en déposant des couches de
poussière, les os des squelettes, les carcasses se désintègrent sous nos
yeux. La puanteur infecte les racines et s’installe dans les poumons,
contamine les chairs, infiltre le cerveau. Même plus tard, plus loin, cette
odeur restera dans le corps et dans l’esprit (OI : 22-23).
Comme signalé plus haut, L’Ombre d’Imana est aussi une traversée
de vies, notamment celles qui ont vu de près ou de loin le génocide.
C’est la rencontre avec des corps sans vies, les réalités par lesquelles
sont passés et passent encore les survivants du fléau. Les souffrances
physiques et psychologiques sont le partage de tous mais quelques –
uns refusent l’anéantissement et reprennent progressivement le train de
l’existence. Au milieu de ces images chaotiques surgit un personnage :
Nkuranya. Celui-ci a tout perdu pendant les massacres mais c’est
pourtant lui qui portera le flambeau de l’espoir.
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le souffle de vie, bien avant la présence des dieux sur terre […] Le Bien
était là aussi, son frère inséparable, son alter ego vulnérable, menacé
par le temps et l’indifférence » (OI : 132) C’est ce qui ressort alors que
par ce mythe du commencement, – autre référence au chaos primordial
– et de longs monologues, elle laisse le Rwanda s’exprimer, témoigner
de lui-même.
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C’est pourquoi la néophyte revient du premier voyage la tête pleine
de leçons existentielles. C’est ce qui impulsera la renaissance
mystique : « Le génocide est le Mal absolu. Sa réalité dépasse la fiction.
Comment écrire sans parler du génocide ? L’émotion peut aider à faire
comprendre ce qu’a été le génocide. Le silence est pire que tout.
Détruire l’indifférence. Comprendre le sens réel du génocide,
l’accumulation de la violence au fil des années » (OI : 38). Son trouble
va grandissant parce qu’elle est de plus en plus consciente de la
présence des réfugiés autour d’elle. Ces mêmes Rwandais qui,
coupables ou non, ont recommencé une existence à l’étranger. Mais
parce que les causes de la division n’ont pas été détruites, la conscience
raciale risque d’être à nouveau tissée au point même d’influencer le
style de vie de leur entourage dans ces terres d’exil. La conscience d’un
danger proche trouble la narratrice au plus haut point :
Oui je suis allé au Rwanda mais le Rwanda est aussi chez moi. Les
réfugiés sont répartis dans le monde entier, portant en eux le sang et la
colère des morts abandonnés. Et j’ai peur quand j’entends parler chez
moi d’appartenance, de non appartenance. Diviser. Façonner des
étrangers. Inventer l’idée du rejet. […] Le Rwanda est sous notre peau,
dans notre sang, dans nos tripes. Au fond de notre sommeil dans notre
esprit en éveil. Il est le désespoir et l’envie de revivre. La mort qui hante
notre vie. La vie qui surmonte la mort (OI : 49-50).
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En définitive, certes l’héroïne renaîtra à une meilleure connaissance
de l’humanité mais sa renaissance mystique sera incomplète. Toutefois,
il est important de rappeler que l’une des motivations principales des
déplacements entrepris pour le Rwanda visait la guérison interne après le
traumatisme de la situation rwandaise. Cependant, la réparation totale est
plus qu’improbable. Le seul espoir, c’est la capacité qu’a la vie de
prévaloir sur la mort. En guise de preuve, partie perturbée, elle revient le
cœur quelque peu allégé par l’attente d’un futur meilleur pour le Rwanda
et le reste de l’humanité.
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plus réaliste que fictive. Ce personnage prophétique, sauveur de la dérive
du peuple rwandais, subit au fil du récit une construction schématique
mythique en devenant héroïne, icône, puis figure mythique, figure
d’exemplarité, celle à qui il faut ressembler au terme de sa transfiguration
positive : « Que la légende revête une signification plus universelle […]
et nous entrons dans le domaine des archétypes, où la légende se
transforme en mythe » (Albouy : 28). Dès lors, l’écriture symbolique se
porte au plus près du Surréalisme. Histoire qui permet de raconter une
autre, le texte littéraire devient fondateur des mythes pour résoudre le
problème posé par le génocide car les mythes « attendent que nous les
incarnions. Qu’un seul homme au monde réponde à leur appel, et ils nous
offrent leur sève intacte » (Camus, 1953).
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dieux, puis les Ancêtres mythiques, ont établi ce processus de mort
mystique et de renaissance, réitère aussi la naissance de la vie du monde
qui, pour les primitifs, est absolument coexistant – et même
coexistentiel » (Pettiti : 2004). La narratrice acquiert ainsi le statut de
Déesse-mère.
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Bibliographie
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TABLE DES MATIÈRES
Surinvestissement et spectacularisation
du corps féminin chez Ken Bugul
Tite Lattro ....................................................................................... 103
261
Figures démentielles et représentation de l’espace-temps
dans le roman féminin insulaire. Une analyse à partir
de Le dernier frère de Nathacha Appanah et Pagli d’Ananda Devi
Baba Amine Adakoui ..................................................................... 123
262