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Angèle Christine Ondo

MVETT EKANG : FORME ET SENS


L’épique dévoile le sens

Préface de Bonaventure Mve-Ondo


MVETT EKANG : FORME ET SENS

































© L’Harmattan, 2014
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.harmattan.fr
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-343-01970-3
EAN : 9782343019703
Angèle Christine ONDO

MVETT EKANG : FORME ET SENS

L’épique dévoile le sens

Préface de Bonaventure Mvé-Ondo

L’Harmattan
Études africaines
Collection dirigée par Denis Pryen

Dernières parutions

Didier AMELA, Place et problématique de la nouvelle en


Afrique noire francophone, 2014.
Clotaire MESSI ME NANG, Les chantiers forestiers au Gabon.
Une histoire sociale des ouvriers africains, 2014.
Bruno KOFFI EHUI, Qu’est-ce qu’une O.N.G ?, 2014.
Roger Mawuto AFAN, Éléments de psychologie politique
africaine, Rite initiatique et socialisation politique, 2014.
Romaric Franck QUENTIN DE MONGARYAS (dir.), L’école
gabonaise en débat, 2014.
Patrice MOUNDZA, Le chemin de fer Congo Océan et le
département de la Bouenza, 2014.
Yassine KERVELLA-MANSARE, Pulaaku, Le code d’honneur
chez les Peuls, 2014.
Hamadou ADAMA (dir.), De l’Adamawa à l’Adamaoua,
Histoire, enjeux et perspectives, 2014.
Mahamadé SAVADOGO, Philosophie de l’action collective,
2013.
Abou KANATE, Radiographie du droit foncier en Côte
d’Ivoire, 2013.
Abou KANATE, Le droit de la promotion immobilière en Côte
d’Ivoire, 2013.
François LAGARDE, Mémorialistes et témoins rwandais, 2013.
Gilchrist Anicet NZENGUET IGUEMBA (dir.), Hommages à
Pierre N’Dombi – Université Omar Bongo (Libreville), 2013.
Nathalie CASANOVAS, Une destination pour un autre
tourisme pour l’Afrique de l’Ouest, 2013.
Georgin MBENG NDEMOZOGO, La protection animale au
Gabon, 2013.
Djibril MAMA DEBOUROU, Biζ Gοra, entre mythe et
réalité : le sens de son combat pour la liberté (1915-1917), La
guerre coloniale au Nord du Dahomey, 2013.
Mahamadou DANDA, Niger, une décentralisation importée.
Une comparaison avec la France, 2013.
Miki KASONGO, Repenser l’école en Afrique entre tradition et
modernité, 2013.
Lucie Zouya MIMBANG, L’Est-Cameroun de 1905 à 1960. De
la « mise en valeur » à la marginalisation, 2013.
PREFACE

S’il est en tout temps et en tout lieu une donnée commune,


c’est que l’homme est un être qui sait faire beaucoup de choses :
il imagine, il rêve, il croit, il espère, il désespère, il désire, il veut,
il refuse, il aime, il hait, il agit, il s’engage et il se désengage.
Mais, en plus de toutes ces activités, il pense. En effet, tout
homme pense, organise ses idées, les projette sur le monde, et
parfois les corrige. La pensée consiste à saisir des rapports
d’identité ou de différence dans les choses ou dans ses propres
idées. Et ce faisant, elle juge, elle affirme ou elle nie. Dans tous
les cas, elle énonce une vision ou une conception du monde.
Le livre que nous donne à lire Mme Angèle Christine Ondo
sur les récits épiques du Mvett s’inscrit dans cette logique. Le
Mvett, récits des aventures imaginaires de ce peuple d’Afrique
équatoriale que sont les Fang, c’est aussi l’aventure même des
hommes, de tous les hommes, quand la pensée veut bien en éclai-
rer le sens. Le spectacle des choses et des êtres qui s’y fixe en
images et en symboles, en héros mythiques et en exemples fami-
liers, en allégories et en métaphores, donne véritablement à voir
et à penser la pensée traditionnelle fang en acte. Ses héros, que
sont par exemple Zong Midzi et Engouang Ondo, Nkoudang
Medza, Nsoure Afane et Ndoutoumou Mfoule, n’ont cessé d’ha-
biter le monde fang et de nourrir sa mémoire. Dans cette éton-
nante épopée de la réflexion, tout se passe comme si c’est le récit
qui explique l’homme et lui donne sa substance et sa raison
d’être.
Le Mvett, c’est donc aussi le grand livre imaginaire du monde
où se raconte la vie de la conscience, scandée par ses décou-
vertes.
D’Oyono Ada, son génial inventeur, aux rappeurs d’au-
jourd’hui, de Zwè Nguéma à Etougou Ndong, de Tsira Ndong
Ndoutoume à Okot Essila, il s’est agi de donner à une telle inspi-
ration sa force et son sens en recueillant le meilleur de la tradition
fang, mais aussi en inventant, littéralement, les épisodes les plus
suggestifs. C’est cela « dire » le Mvett. A l’instar d’Homère pour

7
les Grecs, ces maîtres du Mvett peuvent, si l’on veut bien conti-
nuer à en assurer la diffusion, devenir, eux aussi les « instituteurs
de l’humanité ».
Le livre de Mme Angèle Christine Ondo a pour ambition de
nous aider à lire ces récits épiques et plus particulièrement le
texte majeur que nous laissa à la postérité Zwé Nguéma. Un Mvet
de Zwè Nguéma, voilà un texte difficile, un texte fort auquel
Mme Angèle Christine Ondo nous invite non simplement à com-
prendre, mais plus fondamentalement à décortiquer et à savourer.
Il s’agit, pour elle, de rendre hommage à ce grand poète, mais
aussi à tous ceux qui nous ont permis d’en conserver la trace.
Mais plus que cela, Mme Ondo montre avec pertinence, à l’aide
des outils de l’ethnolinguistique, la richesse de l’imaginaire et de
la pensée fang où l’épique croise non seulement les mythes, mais
encore le vécu, l’histoire, le religieux et le philosophique.

Mais cet ouvrage nous interpelle aussi sur comment lire et


comprendre aujourd’hui le Mvett. Deux tentations existent : celle
d’une relativisation historique, prompte à réduire le Mvett à de
vulgaires légendes dépassées et qui doivent désormais être mis
entre parenthèses ; et celle d’une vénération idéologique, aveugle
aux contextes qui les a vus naître. Aucune de ces voies ne semble
recevable, car dans un cas comme dans l’autre, c’est une ap-
proche unilatérale, et finalement qui prend le texte pour prétexte
qui prévaut.
Les récits du Mvett sont là. D’hier à aujourd’hui, ils racontent
tous la même histoire, celle des combats incessants et inouïs qui
opposent les peuples Mortels d’Okü aux peuples Immortels
d’Engong. Mais au-delà de récits guerriers, ils tentent plutôt
d’expliquer tout à la fois ce qu’est la vraie vie, ce qu’est l’homme
et ce qu’il y a d’immortel ou de divin en lui.
Dans ces récits, le monde se vit à la lumière de ses repères
quotidiens (la famille, le groupe, le village, mais aussi ses senti-
ments.
L’art en figure les formes et la généalogie y joue un rôle fonda-
mental en ce qu’elle contient en elle l’explication première. Etre,
ce n’est pas être seul, c’est faire partie d’un monde, d’une famille,
d’un clan, c’est accepter ce qui distingue, c’est être avec, c’est
reconnaître que l’on fait partie d’une chaine qui va du monde des

8
morts à celui des vivants. Ce qui compte ici, c’est le souci du
divin ou plutôt de ce qui fait la grandeur de l’homme et qui lui
permet de mesurer la portée de toute vie et son sens.
Mais ce que Mme Angèle Christine Ondo montre le mieux,
c’est que, dans le Mvett, l’esprit s’élève et s’ouvre à des visites
indéfinies. D’ailleurs, le joueur du Mvett, à l’instar d’Oyono
Ada, se tient « quelque part » comme en dehors du monde. C’est
dire que les récits du Mvett sont toujours à relire et à réécouter
car, au-delà des histoires qu’ils racontent, ils expriment une vi-
sion de l’homme qui l’élève. Car, ce que nous disent ces récits,
c’est que l’homme a beau être un être précaire, mortel, il ne pos-
sède pas moins une force inédite, presque surnaturelle. Il y a de
la noblesse dans ce genre d’être. Et cette noblesse tient à la fonc-
tion remplie, au rôle assumé, plus qu’à l’origine supposée. Aris-
tote disait : « l’homme est né pour deux choses : pour penser et
pour agir en dieu mortel qu’il est ». On ne peut comprendre l’am-
bition de Zong Midzi sans la relier à la sérénité d’Engwang Ondo.
Pas de compréhension donc de ce qu’est un Mortel sans prendre
en compte de ce qu’est l’Immortel.
Ainsi évoquer le contexte, le langage, mais aussi les
croyances et les usages qui entourent l’univers du Mvett, ce n’est
pas seulement décrire la forme et la couleur d’un monde oublié,
c’est revivre, comme tout joueur de Mvett, le geste d’Oyono Ada,
non en l’habitant des mêmes sentiments, mais en éprouvant de
l’intérieur cette présence à soi de l’humanité qui souffre, qui
pense et qui jouit, et dont les créations spirituelles disent à tout
jamais la condition vécue devenue désormais consciente d’elle-
même. Ce qui compte finalement, ce n’est pas le simple récit, sa
performance, mais ce à quoi il fait sens.
Angèle Christine Ondo nous invite à savoir distinguer dans
ces récits ce qui mérite de l’être en ce que son analyse va de pair
avec l’esprit critique. Ni vénération aveugle, ni dénigrement sys-
tématique, sa lecture est culture.

Elle porte en elle l’exigence de comprendre le sens des récits


épiques du Mvett, comme d’en éprouver la portée, voire la gran-
deur. De cette manière, elle nous invite à les relire, à faire retour
à l’histoire, aux conditions qui virent naître et vivre ces œuvres,
leurs auteurs et leur peuple. Mais ce geste de la redécouverte, de

9
la remontée à la source vive de ce qu’est le Mvett atteste déjà que
ces récits peuvent continuer leur existence au-delà d’eux-mêmes,
en ce regard que les hommes leur portent et dont ils nourrissent
leur façon de voir et d’être aujourd’hui. En un mot, dans le Mvett,
la pensée ne revit ses aventures que pour se réinventer toujours.
Oyono Ada, Zwé Nguéma et Tsira Ndong, ces désormais im-
mortels, n’ont pas fait de nous des orphelins, ils ont su nous
mettre en chemin de la vérité. Certes, et nous le savons depuis
bien longtemps, l’homme est mortel, mais ce qui importe, ce
n’est pas cela, c’est la culture, c’est-à-dire ce qui reste toujours,
sa conscience de soi en tant qu’être. Récit chanté essentiellement
à l’occasion d’un deuil ou d’un retrait de deuil, le Mvett, on le
voit, a une portée éthique et philosophique. Il nous invite à dé-
couvrir le sens ultime des choses et de la vie.
Cette exigence voudrait peut-être inviter à la modestie, à la
réflexion, à l’interrogation qui est inscrite au cœur de toute exis-
tence.
Oui, la leçon du Mvett est philosophique. Et c’est parce que
l’homme a toujours besoin d’un horizon qui le fonde et lui donne
sens qu’il est un Immortel ou plutôt un être pensant.

Bonaventure Mvé-Ondo
Recteur honoraire de l’Université Omar Bongo

10
AVANT-PROPOS

La dénomination des peuples ayant le mvett en héritage mé-


rite que l’on s’y attarde quelque peu. Inconnu des dialectes fang-
bulu-beti, le mot Panhouin1 qui a longtemps désigné ces groupes
ethniques a été imposé par les premiers explorateurs occidentaux.
Ils préfèrent cette dénomination jugée plus générique à celui de
fang pourtant plus connu des milieux scientifiques2. Les natifs du
groupe proposent une extension du mot fang, jugée plus con-
forme à la tradition. D’ailleurs, la généalogie de ce groupe est
connue et Fang est un fils d’Afiri Kara.
En effet, le nom Afiri Kara, est composé de : Afiri qui dérive
de firi le charbon, l’une des couleurs symboliques, et de Kara
nom abrégé de la divinité Kara Mebaghe, dieu ascendant des Im-
mortels. Selon la Tradition3, Afiri Kara, l’Ancêtre fondateur, eut
plusieurs fils dont l’ainé fut Fang Afiri Kara. Ses autres fils se-
raient nés dans l’ordre ci-après : Tondo Afiri, l’ancêtre des Etôn ;
Owono Afiri, l’Ancêtre des Ewondo ; Mbulu Afiri, l’Ancêtre des
Bulu; Kak Afiri, l’Ancêtre des Okak et le benjamin Ntumu Afiri,
l’Ancêtre des Ntumu. Ce noyau initial s’est agrandi en intégrant
d’autres groupes. Les descendant d’Afiri Kara vivent : en Cen-
trafrique, au Cameroun, en Guinée Equatoriale, au Gabon, au
Congo et à Sao Tomé et Principe.
Les descendants de ces Ancêtres fondateurs entendent perpé-
tuer leurs noms, ce qui est légitime et fortement conseillé.

1
Apparu en 1819, le mot « Pahouin est tiré de « Pangwe » la langue des Pongwé
de l’estuaire de Libreville. Il signifie « je ne sais pas ». Il désignait donc les
populations de l’intérieur du pays. Les « Pamouay » Les Espagnols le transfor-
ment en Pamoue et les Allemands en Pangwe. Les Français nasalisent le pho-
nème final et optent pour Pahouin.
2
Dictionnaire de l’Ethnologie panna. p. 106.
3
Voir Ondoua Engutu, Dulu Bon Be Afiri Kara, 1948 et la traduction de Marie-
Rose Abomo Les pérégrinations des descendants d’Afri Kara, L’Harmattan,
2012.

11
Chaque groupe garde sa dénomination, mais ils savent qu’ils for-
ment tous une seule et même famille.
Leur culture est homogène en dépit des petites variations dia-
lectales4. Leur système de parenté et leurs structures politiques
sont presque identiques. Pour ces multiples raisons, et pour rester
fidèle à la tradition qui fait de l’aîné le gardien des Traditions, la
dénomination de Fang est retenue. Le mot Fang désigne alors
tous les descendants de l’Ancêtre Afiri Kara.
Y aurait-il une sorte d’énigme sur l’origine du peuple fang ?
En réalité, il s’agit seulement d’une absence d’études historiques
et archéologiques remontant jusqu’à l’Antiquité. Des pistes de
recherches existent pourtant notamment : la métallurgie du
cuivre, la quête d’éternité contenue dans le Mvett et la philologie
des mots anciens. D’après les Anciens et les érudits, les Fang
possédaient l’écriture. Mais celle-ci s’est perdue au cours des mi-
grations caractérisées par un climat permanent de conflits et de
guerres. Lorsque les premiers Occidentaux rencontrent les Fang
au milieu du XIXe siècle, ils sont encore en pleine migration. Les
premiers contacts des Fang avec les Occidentaux ont lieu au Ca-
meroun, en Guinée Espagnole et au Gabon. Les explorateurs sont
frappés par les caractéristiques physiques des Fang qui tranchent
avec celles des autres populations. Ce n’est pas l’objet de cet ou-
vrage.
Cependant, les Fang se disent originaires d’Egypte. Ils en se-
raient partis à la recherche d’une terre plus accueillante dans la
direction où le soleil se couche. Ils viennent d’Okü, du nord-est.
Et ils désignent ces temps anciens par le mot Okua ou ptolo. Les
normes sociales édictées à cette époque servent toujours de réfé-
rence actuellement.
Le sentiment général d’appartenance qui en découle n’est pas
le fait d’érudits modernes. C’est la conscience réelle d’un peuple
guidé par ses textes anciens dont fait partie le Mvett. Les textes
anciens des Fang ne désignent pourtant pas nommément l’Egypte
comme leur pays d’origine.

4
CHAMBERLIN, Christopher, The migration of the Fang into Central Gabon
during the Nineteenth Century: a niew interpretation, 1978.

12
La légende Ngura Ngurane le fils du Crocodile5 décrit le pays
d’origine et les différentes étapes des migrations ayant conduit
les Fang jusqu’à la grande forêt6.
Une étude minutieuse de cette chronique permettra de poser
des jalons dans la connaissance de l’histoire fang. En effet, il est
prouvé aujourd’hui que des textes anciens tels que la Bible con-
tiennent des faits qui ont eu réellement lieu et qui peuvent aider
à mieux comprendre certains épisodes de l’histoire de l’huma-
nité. L’histoire des origines et des migrations fang est encore à
écrire. Le peuple fang, quant à lui, continue à se rattacher à ses
origines par des mots simples de la vie quotidienne7, par exemple
une insulte faisant état de la forme du menton rappelant celle des
Egyptiens [óbòƾ bígíp] ; un prêtre en fang se dit [fár‫]ۑ‬. En égyp-
tien, le pharaon s’appelait Phari. De nombreux mots présentent
des similitudes avec l’ancien égyptien. Seuls les intellectuels ac-
cordent de l’importance à ces faits. Pour le peuple, il importe seu-
lement de connaître d’où l’on vient afin de préserver ses racines.

1. L’origine mythique du Mvett


Les musiciens-poètes en fang [b‫ۑ‬bòm mv‫ۑ‬t], situent l’origine
de leur art chez les Ekang, les Immortels d’Engong. Daniel As-
soumou Ndoutoume, dans son ouvrage Du Mvett : Essai sur la
dynastie Ekang Nna8, abonde dans ce sens. Selon lui, Nna Otsé,
le père d’Ekang Nna, fut le premier à jouer de cette harpe9 qui est
l’instrument de musique de tout musicien poète.

5
Ngura Ngurane le Fils du Crocodile, recueilli par Nguéma Obam Paulin, Mé-
douneu, 1976.
6
BIYOGO, Grégoire, Encyclopédie du Mvett. T1.Odzamboga, p. 79-87, 2002.
7
OBENGA, Théophile, Les Bantu: langues-Peuples, Civilisations, « Et le mot
bœuf, notons-le encore une fois, ne se dit pas autrement dans la langue pharao-
nique : ng, nag, nak. Bulu : nyak, fang : (e) nyak », p. 283, 1985.
-PFOUMA, Oscar, L’Harmonie du monde, « La linguistique ». Comparaison
des noms des couleurs entre les langues négro-africaines et l’ancien égyptien,
p. 46 - 68.
8
ASSOUMOU NDOUTOUME, Daniel, Du Mvett : Essai sur la dynastie
Ekang Nna, 1986.
9
Idem. p. 43.

13
Son petit-fils Oyono Ada s’illustra dans l’art de jouer de cet ins-
trument. Il cumulait les talents : harpiste de génie, prêtre et guer-
rier redoutable sa devise était le typhon Okos.
Oyono Ada est reconnu par tous les musiciens-poètes bebom
mvett comme le créateur du genre littéraire Mvett. Il ne possède
aucune descendance hormis l’Ecole de Mvett qu’il fonda et qui
allait perpétuer son nom et celui des Ekang. Dans les généalogies,
nulle part il n’est mentionné qu’Oyono Ada aurait eu une épouse
ou un fils.
L’histoire a retenu que c’est dans un profond coma10 qu’il est
entré en contact avec la divinité dénommée Eyô. Celle-ci lui ré-
vèla de nombreuses choses dont l’origine de la vie, de l’homme,
la voie à suivre pour trouver et fonder un nouveau pays. C’est la
raison pour laquelle tous les musiciens-poètes passent par l’ini-
tiation traditionnelle instituée par Oyono Ada.
Il s’agit, pour reprendre l’expression d’André Mary, d’une
sorte de « naissance à l’envers » qui permet d’accéder à l’invi-
sible et de mieux comprendre le sens de ce monde-ci.

Ainsi l’initiation n’est pas seulement une technique où l’on


acquiert l’art de réciter le Mvett, c’est elle qui assure et certifie
l’authenticité du diplôme et du grade de musicien poète mbom
mvett. Il n’existe pas d’autre Ecole de Mvett Ekang en dehors de
celle d’Oyono Ada. La propagation du Mvett dans le pays fang
se fit grâce à ses différents disciples et à leurs successeurs, étant
donné l’importance de l’aire géographique.
Au Gabon, le musicien poète Zwé Nguéma rapporte que c’est
Bitome Bi Zogo de la tribu Yengü qui vulgarisa l’enseignement
du Mvett. En Guinée Equatoriale, Essono Obiang Engone11 pos-
tule que c’est Ngôm de la tribu Olèè12 qui apporta au monde fang
le message d’Oyono Ada.

10
TOWO-ATANGANA, Gaspard, Mvet, genre majeur de la littérature orale
des populations Pahouines (Bulu, Beti, Fang-Ntumu), p. 164, 1965. Introduc-
tion du Mvett 1 ; Préambule du Mvett III.
11
ASSOUMOU NDOUTOUME, Daniel, Du Mvett, essai sur la dynastie
Ekang Nna, p. 96-97, 1986.
12
Idem. p. 47. « Ngôm était un illuminé, un homme mystérieux, un célèbre
joueur de Mvett ».

14
En recoupant les versions des ces grands maîtres gabonais et
équato-guinéen, on remarque qu’elles présentent des similitudes
troublantes qui amènent à penser qu’il s’agirait d’une seule et
même personne, à cause de l’identité du modus operandi. Les
grands maîtres du Mvett Ekang du Cameroun appartiennent éga-
lement à la même Ecole. C’est la raison pour laquelle la forme,
le contenu et la performance du Mvett Ekang présentent une
grande unité, quel que soit le pays ou le dialecte fang-bulu-beti
dans lequel il est déclamé.

2. L’origine historique
L’origine historique du Mvett est difficile à déterminer en rai-
son de l’absence d’études qui retracent l’histoire et la civilisation
fang. Cependant, le Père Marfurt, dans son ouvrage intitulé Mu-
sik in Afrika, affirme qu’il a été trouvé dans des tombeaux égyp-
tiens le dessein d’un instrument ressemblant au mvett et qui da-
terait de 2 6OO avant notre ère13. Si l’on fait abstraction de la
part du mythe qui entoure la naissance du Mvett chez les Immor-
tels d’Engong, les chercheurs n’ont pas encore déterminé com-
ment est apparu le Mvett chez les Fang.

3. Les trois topoï du Mvett


Le phénomène Mvett se décompose en trois entités : la harpe-
cithare [mv‫ۑ‬t óy‫ۑ‬ƾ] ; le musicien poète [mbòm mv‫ۑ‬t] et le texte
[nlàƾ mv‫ۑ‬t].
L’instrument mvett oyeng est fabriqué à partir d’une tige sé-
chée de palmier-raphia appelé [dzàƾ]. Ce palmier est lié à l’his-
toire de la fondation de la nation Fang dans Ngura Ngurane le
Fils du Crocodile. Il s’agit d’une sorte de harpe-cithare avec des
cordes soit en fibres de raphia, soit en fils de fer. Leur réglage est
obtenu au moyen d’anneaux coulissants. La caisse de résonance
est constituée d’une ou de plusieurs calebasses. Au milieu de
l’instrument, les cordes passent sur un chevalet en bois découpé
en forme d’escalier.

13
TOWO-ATANGANA, Gaspard, Op. Cit., p. 164, 1965.

15
L’instrument dispose de huit sons. Il est joué en solo. Pour en
jouer, le musicien pince les cordes avec les doigts des deux côtés
du chevalet.
S’agissant de la forme actuelle de l’instrument qui diverge de
celle de la harpe classique, il est plausible que pendant les migra-
tions, celle-ci était devenue trop lourd à porter. Les harpistes l’ont
remodelée dans une matière plus légère. Il s’agit véritablement
d’un instrument anthropomorphe :
La tige qui sert d’arc représente le corps. Le chevalet et les
cordes représentent la tête alors que les calebasses évidées qui
servent de caisses de résonance14, renvoient au ventre.
Le musicien poète : mbom mvett
Cette dénomination nous paraît plus conforme que celles de
joueur, frappeur ou diseur utilisées par certains chercheurs. À la
limite, le mbom Mvett peut être appelé harpiste-poète comme on
dirait flûtiste ou guitariste. Mais le terme musicien poète con-
vient en ce sens que cet homme est à la fois : auteur compositeur,
interprète et instrumentiste. Il compose des poèmes, des inter-
ludes et des soliloques. Il les interprète ensuite au son de sa
harpe-cithare devant un auditoire. Parfois même, il esquisse
quelques pas de danse pendant les interludes.

Le mbom mvett porte un costume de scène se composant d’un


panache de plumes d’oiseaux multicolores sur la tête ; des grands
colliers passés en diagonale sur le torse ; des brassards faits de
bandelettes de peaux de bêtes tâchetées qui servent à accentuer
les mouvements des bras ; d’un grand pagne noué avec recherche
qui enserre la taille et descend jusqu’aux chevilles. Le balance-
ment du corps fait virevolter toutes ces parures. Le moindre pas
fait crépiter les sonnailles attachées aux chevilles. C’est donc un
artiste total : conteur, chanteur, musicien, danseur, poète, metteur
en scène.
La Parole : nlang mvett
Le récit traditionnel nlang mvett est un long poème déclamé
par le mbom mvett.
14
TOWO-ATANGANA, Gaspard, Mvet, genre majeur de la littérature orale
des populations Pahouines (Bulu, Beti, Fang-Ntumu), p. 164, 1965.

16
Le récit est accompagné de la musique de la harpe-cithare, du
soutien rythmique des instruments de percussion que sont les gre-
lots métalliques [m‫ۑ‬ƾòƾ] et des baguettes de bois [bȓkwárà] bat-
tus par l’assistance.

4. Le Mvett Ekang
Plusieurs genres littéraires accompagnés par la harpe-cithare
appelés mved au Cameroun s’inspirent du Mvett Ekang. Ces ré-
cits chantés par un non initié abordent des thèmes amoureux ou
légendaires. Ils peuvent induirent en erreur l’auditeur/lecteur non
natif en créant la confusion avec le genre majeur appelé Mvett
Ekang. Le mvett bibone, littéralement le Mvett des amours, est
profane et se joue à l’occasion de toutes les festivités. Le mvett
légendaire Ndong Makoda et Ngubi évoquent l’histoire récente
des chefs bulu et beti.
Le Mvett Ekang, comme son nom l’indique, évoque exclusi-
vement les gestes des Immortels Ekang. Il représente l’apogée de
la culture fang-bulu-beti. En conséquence, il est admis que le mot
Mvett ne désigne dans cet ouvrage que le Mvett Ekang.
Les textes du Mvett Ekang ont pour thème principal la quête
de l’immortalité. Les Mortels occupent les trois quarts de la pla-
nète du Mvett. Le nom générique d’Okü désigne leurs différentes
nations. La multitude d’hommes puissants de ces Nations ne rê-
vent que d’en découdre avec les Immortels d’Engong pour leur
ravir l’immortalité et devenir comme eux. Il s’ensuit de sanglants
combats. Rares sont pourtant les Mortels qui accèdent à l’immor-
talité par cette voie.
La profération des poèmes du Mvett Ekang est faite par un
professionnel, à l’occasion des rites du retrait de deuil d’un
homme. Cette cérémonie représente le sommet des manifesta-
tions en raison de son caractère sacré.

Le Mvett Ekang a subi de légers aménagements au fil des


siècles. Il continue d’exercer sur ceux qui l’écoutent un pouvoir
d’attraction étonnant. Sa fonction cultuelle et sa performance
participent probablement de ce phénomène.

17
Le corps de garde [àbà] est l’espace public où se produit l’ar-
tiste.
L’atmosphère qui y règne est faite d’écoute attentive, parfois
coupée de rires et d’acclamations lors des grandes scènes de com-
bat. Le recueillement laisse alors place à l’exaltation. La musique
suave de la harpe porte le verbe et achève de séduire l’auditeur.
Le nouvel auditeur, intuitivement, sent une forte présence dont il
ignore l’origine. Même l’auditeur non natif subit cette fascina-
tion. Il faut dire que la rareté des séances de Mvett explique en
partie cet engouement, le Mvett n’étant proféré qu’à des occa-
sions exceptionnelles.
Les grands auditeurs n’hésitent pas à parcourir des centaines
de kilomètres pour écouter un maître réputé. Les chercheurs sont
également touchés par ce phénomène attractif. Tous les étudiants
fang et même des non-fang rêvent un jour d’étudier le Mvett.
Pour cela, il faut s’astreindre à aller à la source auprès des musi-
ciens-poètes qui en sont les gardiens. Ils vous jaugent et accep-
tent ou non de vous instruire. En 1948, l’ethnologue français Her-
bert Pepper, en mission au Gabon, entend parler du Mvett.
Intrigué, en 1960, il revient au Gabon et réussit la prouesse d’en-
registrer le grand maître Zwé Nguéma, aidé par son jeune dis-
ciple Philippe Ndong Ndoutoume. En fixant l’œuvre de ce philo-
sophe poète, Pepper a sauvé une pensée authentiquement
africaine. Le Mvett véritable, comme tout ce qui est essentiel, est
aujourd’hui rare. Avec la mort de Tsira Ndong Ndoutoume en
août 2005, le pays fang a perdu tous ces grands maîtres.

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INTRODUCTION

Le poème de Zwé Nguéma, objet de cet ouvrage, relève de la


vaste production artistique traditionnelle fang. Les arts fang les
plus connus sont : la sculpture (surtout les célèbres reliquaires et
masques que l’on peut admirer dans les musées occidentaux), les
danses sacrées et profanes, anciennes ou modernes, la musique
et la poésie. Les moins connus sont : la peinture, les gravures, les
tatouages et l’artisanat d’art. La littérature commence à être re-
connue, elle comprend : les récits initiatiques, les légendes et les
contes, les proverbes, les dictons et les joutes oratoires.

1. Le Mvett de Zwé Nguéma


Le poème de Zwé Ngéma, objet de la présente étude, bien que
transcrit, relève de l’art de la langue et de la voix. Les spécialistes
l’ont classé dans la littérature orale en raison de sa facture esthé-
tique et de sa fonction dans la société. Le texte du Mvett se su-
perpose à la musique qui organise le matériau verbal sous forme
de mètres, selon un rythme assez régulier. Le Mvett oral se pare
des qualités de la poésie. Les accessoires rhétoriques ou ryth-
miques ne constituent pas ses seuls éléments poétiques. Le texte
est également poétique par l’universalité de ses thèmes comme
la quête de l’essence et la volonté de puissance de l’homme.
À l’origine, le poème appartient à l’oralité première sans au-
cune interférence avec l’écriture. Il a été enregistré in situ la nuit
dans le corps de garde du village Anguia, au nord du Gabon, avec
son auditoire auquel il fait référence pendant la représentation.
La version qui sert de corpus majeur à cette étude relève de l’ora-
lité seconde.

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La transmission directe de la performance étant médiatisée
par trois procédés, à savoir l’enregistrement, la transcription et la
traduction. Le premier a été fait sur bande magnétique, puis la
transcription a été réalisée du fang en alphabet phonétique, enfin
la traduction du fang en français a été établie. Le passage de
l’oralité première à l’oralité seconde a nécessité onze années de
travail.
Selon la classification de M. Guthrie, le fang est une langue
bantu appartenant au groupe A 70 appelé yaoundé-fang. Il se
compose de plusieurs variations dialectales que d’autres spécia-
listes ont classées en trois sous-groupes : fang-béti-bulu. Les
sigles des principaux dialectes sont : A 71 : étone ; A 72 éwondo
mvele ; A 74 bulu bënë ; A 75 fang. Le fang générique se parle
dans une aire géographique de près de 200 000 kilomètres carrés.
C’est une langue à tons : un ton bas ( ') ; un ton haut (´) ; un ton
moyen ( ¯ ) qui ne se marque pas.
Cette langue se compose de : onze classes nominales, de neuf
phonèmes vocaliques multipliés par deux en raison de la perti-
nence de la longueur, et de vingt-cinq consonnes15. Les nom-
breux idéophones se construisent soit par redoublement
[mȑmȑmȑ] : brillant, soit par harmonie vocalique : [búrùk] : si-
lence total.
Toutes ces caractéristiques attestent de la richesse de cette
langue que le Mvett exploite en l’érigeant en musique. Une telle
langue ne peut que séduire l’analyste, pour peu qu’il dispose de
quelques outils. La ligne générale d’interprétation adoptée prend
en compte la facture esthétique de la langue fang. Mais des diffi-
cultés importantes se font jour, au regard de l’écart existant entre
le français et le fang. En effet, cette langue est aux antipodes du
français. L’absence de la musicalité dans cette dernière langue
constitue la également un handicap sérieux.
Une autre difficulté est liée au lexique et à la construction ar-
chaïque de la langue utilisée dans le texte.
Certes, les écueils ne sont pas négligeables, mais l’enjeu est
essentiel. Les chercheurs n’ont pas encore osé affronter la poésie
orale fang, ils se cantonnent dans la thématique. La forme du
Mvett oral est jugée hermétique et complexe.

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Voir le tableau des consonnes et des voyelles.

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Cette langue-forteresse consentira-t-elle à s’entrebâiller, pour
laisser entrevoir quelques-uns de ses trésors ? Paul Zumthor,
dans son ouvrage : Introduction à la poésie orale, affirme que les
cultures du verbe « possèdent des traditions orales d’une incom-
parable richesse »16.

2. La langue de Zwé Nguéma


Dans les présupposés théoriques, il est important de rappeler
la conception qu’ont du langage les cultures du verbe. On entend
par « cultures du verbe » les civilisations qui attribuent au lan-
gage une fonction symbolique extra-linguistique. Cette fonction
étant présente dans l’art en général, l’appellation n’est plus dis-
criminante, elle devient non représentative.
Il faut le concéder, la langue est le matériau de prédilection de
certaines civilisations. La maîtrise de la langue est essentielle
pour les africains traditionnels. Elle l’est encore plus pour les
professionnels de la communication et les hommes de pouvoir.
L’éloquence est un critère important de socialisation. Ne pas sa-
voir s’exprimer est un handicap majeur, une expression fang di-
sant de celui qui en est affecté que : mendzime mene gne anou,
c’est-à-dire « il a la bouche pleine d’eau ». L’image parle d’elle-
même. Dans un tel contexte, l’expression est aussi importante
que le sens.
Ces présuppositions théoriques sur le langage orientent la
ligne d’interprétation du texte oral de Zwé Nguéma.
L’intérêt pour l’approche formelle est conforté par la défini-
tion que son discipline Tsira Ndong Ndoutoume donne du Mvett.
Celui-ci serait un « Art total » où la langue et la musique fusion-
nent. L’occasion sera donnée d’approfondir cette définition. La
langue du Mvett est si riche que sur un corpus de cinq mille17
vers, le poète n’emprunte qu’un seul mot étranger : famia18.

16
ZUMTHOR, Paul, Introduction à la poésie orale, p. 63, 1983.
17
ZWE NGUEMA, Un mvet, Armand Colin, Coll. « Classiques Africains »,
1972. p. 442, Notes sur la langue.
18
Idem. p. 24 v. 29.

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