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Module : LLE
Enseignant : Mahieddine Islam Belaïd
Durée : 1h30
-Sommaire-
Prélude
1. Le langage
2. La langue
3. La littérature
Applications
Bibliographie
Mots-clés : forme, écart, critère, langage, littérarité.
De la littérature, nous dit le Pr Saïd Saïdi, une reconnaissance
spontanée nait, une admiration sincère éclot, une satisfaction
intellectuelle s’éploie, et surtout, une conviction de productions
mûrement réfléchies, s’imposent et persistent 1. Dès le début,
dès la première phrase, on est pris ! « Ça a débuté comme ça. »,
« Longtemps, je me suis couché de bonne heure… », « C’était
à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins
d’Hamilcar… », « Pour l’enfant amoureux de cartes et
d’estampes… ». Comment cette succession ordinaire de mots
arrive à nous prendre, à nous surprendre ? C’est ce que nous
allons tenter d’élucider dans ce cours préliminaire à la
littérature et aux textes littéraires.
1. Langage :
1
Extrait de l’appel à contribution du webinaire international intitulé : « Théoriser l’indicible : l’apanage des
apprentis génies ». En ligne sur : http://staff.univ-batna2.dz/belaid-mahieddine-
islam/publications/th%C3%A9oriser-l%E2%80%99indicible-l%E2%80%99apanage-des-apprentis-g%C3%A9nies
ont bien étudié le sujet, ils nous ont appris que la fourmi
communiquait par un système complexe d’émission et de
réception d’ensembles de phéromones ; on sait que l’abeille
indique sa position par la danse2 ; les chiens généralement par
un système olfactif contrasté, et les dauphins, avec une
précision qu’on a peine à croire, par des signatures vocales, par
les sons tout simplement.
2
Ce sont de véritables coordonnées géographiques.
3
Soit ce système organisé de signes vocaux qui permettent l’échange entre les individus.
2. La langue :
4
On le voit clairement de nos jours avec les nouvelles technologies.
5
D’où l’importance capitale de l’instituteur, de l’éducateur, de l’enseignant, de la mère qui élève…
Prométhée nous a offert ce don. Lequel ? L’imitation.
Aristote disait que l’homme est l’animal qui imite le mieux.
Quel meilleur moyen pour imiter parfaitement que l’écrit ? La
reproduction graphique de signes conventionnels est
manifestement ce qui fera et continue6 de faire la supériorité de
l’Homme et sa pérennité. De manière quasi-arbitraire, les
hommes regroupés en communautés instaurent un système oral,
puis écrivent afin de pérenniser leurs différentes productions :
croyances extra-terrestres (célestes), techniques pour faire du
feu ou pour séduire une femme7, poèmes pour se rappeler leurs
aïeux et avoir la force de résister aux ténèbres, etc.
6
Difficilement, c’est entendu, on ne lit plus de nos jours…
7
Les deux concourent également à la perpétuation de l’espèce.
mondialiser ses dires. L’homme prétend désormais diffuser ses
pensées sur tout le globe terrestre.
3. La littérature :
8
S’entend au sens général, l’expérience issue du travail d’un agriculteur est une lecture de son environnement.
anthropologique, nous l’avons dit, c’est ce qui a permis à
l’homme d’acquérir abruptement et de conquérir difficilement
la pensée à travers ce formidable outil d’abstraction qu’est la
langue. Pensée et langue sont intimement imbriquées et l’on ne
peut bénéficier d’un esprit cartésien sans avoir un savoir
linguistique pour en faire l’abstraction. Ceci est démontré dans
le roman 19849, de George Orwell, dans lequel on use de mots-
clés, de slogans, de formules, de mots génériques et vagues pour
appauvrir et ainsi contrôler les esprits. Effectivement, appauvrir
la langue, c’est, appauvrir la pensée. Par conséquent, de facto,
lire, goûter et étudier la littérature, c’est, incontestablement,
permettre la pensée. L’esprit humain trouve d’abord refuge
dans la langue pour pouvoir cultiver ses potentialités et
exprimer sa singularité. Encore faudrait-il posséder une somme
large, variée et précise de mots, de phrases et d’agencements
savants pour le faire.
9
ORWELL, George, 1984, éd. Folio, Paris, 1972.
intéresser autrui. Le tout avec la précision dans la composition,
la beauté dans l’expression et la probité essentielle qui doit
traverser toute la création.
10
PRÉVOST, Charles, Littérature, politique, idéologie, éd. Sociales, Paris, 1973, pp., 64, 65.
usage esthétique de la langue11. La littérature est donc cet usage
esthétique plus le témoignage de la personne qui écrit.
#
Applications :
Astuce mnémotechnique pour retenir les auteurs incontournables du Grand
Siècle : « Sur une racine de la bruyère, une corneille boit l’eau de la
fontaine Molière. »
11
CONIO, FOREST, Gérard, Philippe, Dictionnaire fondamental du français littéraire, éd. la Seine, Paris, 2005, p.
250.
Une Sultane de renom,
Son Chien, son Chat, et sa Guenon,
Son Perroquet, sa vieille, et toute sa maison,
S’en allait en pèlerinage.
Le Rat s’étonnait que les gens
Fussent touchés de voir cette pesante masse :
Comme si d’occuper ou plus ou moins de place
Nous rendait, disait-il, plus ou moins importants.
Mais qu’admirez-vous tant en lui vous autres hommes ?
Serait-ce ce grand corps, qui fait peur aux enfants ?
Nous ne nous prisons pas, tout petits que nous sommes,
D’un grain moins que les Eléphants.
Il en aurait dit davantage ;
Mais le Chat sortant de sa cage
Lui fit voir en moins d’un instant
Qu’un Rat n’est pas un Eléphant.
Le loup et le chien
Un Loup n’avait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s’était fourvoyé par mégarde.
L’attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l’eût fait volontiers ;
Mais il fallait livrer bataille,
Et le mâtin12 était de taille
À se défendre hardiment.
Le Loup donc, l’aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu’il admire.
« Il ne tiendra qu’à vous, beau sire,
D’être aussi gras que moi, lui répartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, hères13, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car, quoi ? rien d’assuré ; point de franche lippée14 ;
Tout à la pointe de l’épée.
Suivez-moi, vous aurez un bien meilleur destin. »
Le Loup reprit : « Que me faudra-t-il faire ?
– Presque rien, dit le Chien : donner la chasse aux gens
Portant bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son maître complaire :
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons :
Os de poulets, os de pigeons, Sans parler de mainte caresse. »
12
Gros chien de garde.
13
Homme déconsidéré, sans fortune, sans réputation.
14
Bouchée.
Le Loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le cou du Chien pelé.
« Qu’est-ce là ? lui dit-il. – Rien. – Quoi ? rien ?
– Peu de chose.
– Mais encore ? – Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
– Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? – Pas toujours ; mais qu’importe ?
– Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. »
…
Molière, Sganarelle et Dom Juan.
SGANARELLE : En ce cas, Monsieur, je vous dirai franchement que je
n'approuve point votre méthode, et que je trouve fort vilain d'aimer de tous
côtés comme vous faites.
DOM JUAN : Quoi ? Tu veux qu'on se lie à demeurer au premier objet qui
nous prend, qu'on renonce au monde pour lui, et qu'on n'ait plus d'yeux pour
personne ? La belle chose de vouloir se piquer d'un faux honneur d'être fidèle,
de s'ensevelir pour toujours dans une passion, et d'être mort dès sa jeunesse, à
toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux: non, non, la
constance n'est bonne que pour des ridicules […] On goûte une douceur
extrême à réduire par cent hommages le cœur d'une jeune beauté, à voir de jour
en jour les petits progrès qu'on y fait; à combattre par des transports, par des
larmes, et des soupirs, l'innocente pudeur d'une âme, qui a peine à rendre les
armes, à forcer pied à pied toutes les petites résistances qu'elle nous oppose, à
vaincre les scrupules, dont elle se fait un honneur, et la mener doucement, où
nous avons envie de la faire venir.
La Bruyère, Ménippe.
Ménippe est l’oiseau paré de divers plumages qui ne sont pas à lui : il ne
parle pas, il ne sent pas, il répète des sentiments et des discours, se sert même
si naturellement de l’esprit des autres qu’il y est le premier trompé, et qu’il
croit souvent dire son goût ou expliquer sa pensée lorsqu’il n’est que l’écho
de quelqu’un qu’il vient de quitter ; c’est un homme qui est de mise un quart
d’heure de suite, qui le moment d’après baisse, dégénère, perd le peu de
lustre qu’un peu de mémoire lui donnait et montre la corde. Lui seul ignore
combien il est au-dessous du sublime et de l’héroïque ; et, incapable de
savoir jusqu’où l’on peut avoir de l’esprit, il croit naïvement que ce qu’il en
a est tout ce que les hommes en sauraient avoir : aussi a-t-il l’air et le
maintien de celui qui n’a rien à désirer sur ce chapitre15 et qui ne porte
envie à personne. Il se parle souvent à soi-même et il ne s’en cache pas, ceux
qui passent le voient, et qu’il semble toujours prendre un parti ou décider
qu’une telle chose est sans réplique. Si vous le saluez quelquefois, c’est le
jeter dans l’embarras de savoir s’il doit rendre le salut ou non, et pendant
qu’il délibère vous êtes déjà hors de portée. Sa vanité l’a fait honnête
homme, l’a mis au-dessus de lui-même, l’a fait devenir ce qu’il n’était pas :
l’on juge en le voyant qu’il n’est occupé que de sa personne, qu’il sait que
tout lui sied bien et que sa parure est assortie ; qu’il croit que tous les yeux
sont ouverts sur lui et que les hommes se relayent pour le contempler.
Boileau-Despréaux, chant premier de l’Art Poétique.
15
Ménippe est dénué de vergogne…
Surtout, qu’en vos écrits la langue révérée
Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée.
En vain vous me frappez d’un son mélodieux,
Si le terme est impropre, ou le tour vicieux ;
Mon esprit n’admet pour un pompeux barbarisme,
Ni d’un vers ampoulé l’orgueilleux solécisme.
Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain.
Cette clémence dont on fait une vertu se pratique tantôt par vanité,
quelquefois par paresse, souvent par crainte et presque toujours par tous les
trois ensemble16.
16
Manque un « s » ?
C'est en cherchant à instruire les hommes, que l'on peut pratiquer cette vertu
générale qui comprend l'amour de tous. L'homme, cet être flexible, se pliant
dans la société aux pensées et aux impressions des autres, est également
capable de connaître sa propre nature lorsqu'on la lui montre, et d'en perdre
jusqu'au sentiment lorsqu'on la lui dérobe. »
LUI. Vanité. Il n'y a plus de patrie. Je ne vois d'un pôle à l'autre que des
tyrans et des esclaves.
LUI. Vanité. Qu'importe qu'on ait un état, ou non ; pourvu qu'on soit
riche ; puisqu'on ne prend un état que pour le devenir. Remplir ses devoirs,
à quoi cela mène-t-il ? A la jalousie, au trouble, à la persécution. Est-ce
ainsi qu'on s'avance ? Faire sa cour, morbleu ; faire sa cour ; voir les
grands ; étudier leurs goûts ; se prêter à leurs fantaisies ; servir leurs vices ;
approuver leurs injustices. Voilà le secret.
Vallès, L’Insurgé :
« Nous sommes payés de vingt ans de défaites et d’angoisses. Clairons !
sonnez dans le vent ! Tambours ! battez aux champs ! Embrasse-moi,
camarade, qui a comme toi les cheveux gris ! Et toi, marmot, qui joue aux
billes derrière la barricade, viens que je t’embrasse aussi ! Le 17 mars te l’a
sauvé belle, gamin ! Tu pouvais, comme nous, grandir dans le brouillard,
patauger dans la boue, rouler dans le sang, crever de honte, d’avoir
l’indicible douleur des déshonorés ! C’est fini ! Nous avons saigné et pleuré
pour toi. Tu recueilleras notre héritage. Fils des désespérés, tu seras un
homme libre ! »
Tête-à-tête, en pantoufle,
Portes closes, chez vous, sans un témoin qui souffle,
Vous dites à l'oreille au plus mystérieux
De vos amis de coeur, ou, si vous l'aimez mieux,
Vous murmurez tout seul, croyant presque vous taire,
Dans le fond d'une cave à trente pieds sous terre,
Un mot désagréable à quelque individu ;
Ce mot que vous croyez que l'on n'a pas entendu,
Que vous disiez si bas dans un lieu sourd et sombre,
Court à peine lâché, part, bondit, sort de l'ombre !
Tenez, il est dehors ! Il connaît son chemin.
Il marche, il a deux pieds, un bâton à la main,
De bons souliers ferrés, un passeport en règle ;
- Au besoin, il prendrait des ailes, comme l'aigle ! -
Il vous échappe, il fuit, rien ne l'arrêtera.
Il suit le quai, franchit la place, et caetera,
Passe l'eau sans bateau dans la saison des crues,
Et va, tout à travers un dédale de rues,
Droit chez l'individu dont vous avez parlé.
Il sait le numéro, l'étage ; il a la clé,
Il monte l'escalier, ouvre la porte, passe,
Entre, arrive, et, railleur, regardant l'homme en face,
Dit : - Me voilà ! je sors de la bouche d'un tel. -
Didi : Oh ! Pardon. J’aurais juré une carotte. (Fouillant encore) Tout ça,
c’est des navets, tu as dû manger (continuant de fouiller) la dernière…
Attends, ça y est (sortant la carotte doucement de sa poche en l’exhibant) !
Voilà mon cher ! Rend-moi le navet. (Prenant le navet de la main
d’Estragon). Fais-la durer. Y en a plus.
Gogo : Je t’ai posé une question.
Didi : Hein ? (l’air distrait, continuant de fouiller ses poches)
Gogo : Est-ce que tu m’as répondu ?
Didi : Elle est bonne ta carotte ?
Gogo : Elle est sucrée.
Didi : Tant mieux, tant mieux. (Poursuivant la fouille et sortant des navets
pour les replacer dans ses poches), qu’est-ce que tu voulais savoir ?
Gogo : Je sais pas, c’est ça qui me gêne le plus. (Croquant la carotte à
nouveau) Délicieuse cette carotte ! Attends ça me revient.
Didi : Alors ?
Gogo : On n’est pas lié hein ?
Didi : Je n’entends rien.
Gogo : (Se redressant et parlant clairement) Je demande si on est lié.
Didi : Lié ?
Gogo : Li-é ?
Didi : Comment lié ?
Gogo : Pieds et poings.
Didi : Mais à qui ? Par qui ?
Gogo : À ton bonhomme.
Didi : À Godot ? Lié à Godot ? Quelle idée ! Jamais de la vie !... Pas
encore.
Gogo : Il s’appelle Godot ?
Didi : Je crois.
Gogo : (Regardant la carotte, s’interrompant de manger) Tiens, c’est
curieux. Plus ça va, moins c’est bon.
Didi : Pour moi, c’est le contraire.
Gogo : C’est-à-dire ?
Didi : Je me fais au goût au fur et à mesure.
Gogo : C’est ça le contraire ?
Didi : Question de tempérament.
Gogo : De caractère.
Didi : On y peut rien.
Gogo : On a beau de démener.
Didi : On reste ce qu’on est.
Gogo : On a beau se tortiller.
Didi : Le fond ne change pas.
Gogo : Rien à faire ! Et tendant la carotte, Veux-tu la finir ?
Péguy, l’Argent :
« Nos vieux maîtres n’étaient pas seulement des hommes de l’ancienne
France. Ils nous enseignaient, au fond, la morale même et l’être de
l’ancienne France. Je vais bien les étonner : ils nous enseignaient la même
chose que les curés. Et les curés nous enseignaient la même chose qu’eux.
Toutes leurs contrariétés métaphysiques n’étaient rien en comparaison de
cette communauté profonde qu’ils étaient de la même race, du même temps,
de la même France, du même régime. De la même discipline. Du même
monde. Ce que les curés disaient, au fond les instituteurs le disaient aussi.
Ce que les instituteurs disaient, au fond les curés le disaient aussi. Car les
uns et les autres ensemble ils disaient.
Les uns et les autres et avec eux nos parents et dès avant eux nos parents
ils nous disaient, ils nous enseignaient cette stupide morale, qui a fait la
France, qui aujourd’hui encore l’empêche de se défaire. Cette stupide morale
à laquelle nous avons tant cru. À laquelle, sots que nous sommes, et peu
scientifiques, malgré tous les démentis du fait, à laquelle nous nous
raccrochons désespérément dans le secret de nos cœurs. Cette pensée fixe de
notre solitude, c’est d’eux tous que nous la tenons. Tous les trois ils nous
enseignaient cette morale, ils nous disaient que un homme qui travaille bien
et qui a de la conduite est toujours sûr de ne manquer de rien. Ce qu’il y a
de plus fort c’est qu’ils le croyaient. Et ce qu’il y a de plus fort, c’est que
c’était vrai. […]où la population est coupée en deux classes si parfaitement
séparées que jamais on n’avait vu tant d’argent rouler pour le plaisir, et
l’argent se refuser à ce point au travail.
Et tant d’argent rouler pour le luxe et l’argent se refuser à ce point à la
pauvreté… »
Barbusse, L’Enfer :
« Je n’ai pas de génie, de mission à remplir, de grand cœur à donner. Je n’ai
rien et je ne mérite rien. Mais je voudrais, malgré tout, une sorte de
récompense...
De l’amour ; je rêve une idylle inouïe, unique, avec une femme loin de
laquelle j’ai jusqu’ici perdu tout mon temps, dont je ne vois pas les traits,
mais dont je me figure l’ombre, à côté de la mienne, sur la route.
De l’infini, du nouveau ! Un voyage, un voyage extraordinaire où me jeter,
où me multiplier. Des départs luxueux et affairés au milieu de
l’empressement des humbles, des poses lentes dans des wagons roulant de
toute leur force comme le tonnerre, parmi les paysages échevelés et les cités
brusquement grandissantes comme du vent.
Des bateaux, des mâts, des manœuvres commandées en langues barbares,
des débarquements sur des quais d’or, puis des faces exotiques et curieuses
au soleil, et, vertigineusement ressemblants, des monuments dont on
connaissait les images et qui, à ce qu’il semble dans l’orgueil du voyage,
sont venus près de vous.
Mon cerveau est vide ; mon cœur est tari ; je n’ai personne qui m’entoure,
je n’ai jamais rien trouvé, pas même un ami ; je suis un pauvre homme
échoué pour un jour sur le plancher d’une chambre d’hôtel où tout le monde
vient, d’où tout le monde s’en va, et pourtant, je voudrais de la gloire ! De
la gloire mêlée à moi comme une étonnante et merveilleuse blessure que je
sentirais et dont tous parleraient ; je voudrais une foule où je serais le
premier, acclamé par mon nom comme par un cri nouveau sous la face du
ciel. Mais je sens retomber ma grandeur. Mon imagination puérile joue en
vain avec ces images démesurées. Il n’y a rien pour moi : il n’y a que moi,
qui, dépouillé par le soir, monte comme un cri.
L’heure m’a rendu presque aveugle. Je me devine dans la glace plus que je
ne me vois. Je vois ma faiblesse et ma captivité. Je tends en avant, du côté
de la fenêtre, mes mains aux doigts tendus, mes mains, avec leur aspect de
choses déchirées. De mon coin d’ombre, je lève ma figure jusqu’au ciel. Je
m’affaisse en arrière et m’appuie sur le lit, ce grand objet qui a une vague
forme vivante, comme un mort. Mon Dieu, je suis perdu. Ayez pitié de moi
! Je me croyais sage et content de mon sort ; je disais que j’étais exempt de
l’instinct du vol ; hélas, hélas, ce n’est pas vrai, puisque je voudrais prendre
tout ce qui n’est pas à moi. »
Bloy, Le Désespéré :
« Quand vous recevrez cette lettre, mon cher ami, j'aurai achevé de tuer mon
père. Le pauvre homme agonise, et mourra, dit−on, avant le jour. Il est deux
heures du matin. Je suis seul dans une chambre voisine, la vieille femme qui
le garde m'ayant fait entendre qu'il valait mieux que les yeux du moribond
ne me rencontrassent pas et qu'on m'avertirait quand il en serait temps. Je ne
sens actuellement aucune douleur ni aucune impression morale nettement
distincte d'une confuse mélancolie, d'une indécise peur de ce qui va venir.
J'ai déjà vu mourir et je sais que, demain, ce sera terrible. Mais, en ce
moment, rien ; les vagues de mon cœur sont immobiles. J'ai l'anesthésie d'un
assommé. Impossible de prier, impossible de pleurer, impossible de lire. Je
vous écris donc, puisqu'une âme livrée à son propre néant n'a d'autre
ressource que l'imbécile gymnastique littéraire de le formuler.
Céline, Mort à Crédit :
« Gustin Sabayot, sans lui faire de tort, je peux bien répéter quand même
qu'il s'arrachait pas les cheveux à propos des diagnostics. C'est sur les nuages
qu'il s'orientait.
En quittant de chez lui il regardait d'abord tout en haut : « Ferdinand, qu'il
me faisait, aujourd'hui ça sera sûrement des rhumatismes ! Cent sous ! »…
Il lisait tout ça dans le ciel. Il se trompait jamais de beaucoup puisqu'il
connaissait à fond la température et les tempéraments divers.
— Ah ! voilà un coup de canicule après les fraîcheurs ! Retiens ! C'est du
calomel tu peux le dire déjà ! La jaunisse est au fond de l'air ! Le vent a
tourné… Nord sur l'Ouest ! Froid sur Averse !… C'est de la bronchite
pendant quinze jours ! C'est même pas la peine qu'ils se dépiautent !… Si
c'est moi qui commandais, je ferais les ordonnances dans mon lit !… Au
fond Ferdinand dès qu'ils viennent c'est des bavardages !… Pour ceux qui
en font commerce encore ça s'explique… mais nous autres ?… au Mois ?…
À quoi ça rime ?… je les soignerais moi sans les voir tiens les pilons ! D'ici
même ! Ils en étoufferont ni plus ni moins ! Ils vomiront pas davantage, ils
seront pas moins jaunes, ni moins rouges, ni moins pâles, ni moins cons…
C'est la vie !… Pour avoir raison Gustin, il avait vraiment raison.
— Tu les crois malades ?… Ça gémit… ça rote… ça titube… ça pustule…
Tu veux vider ta salle d'attente ? Instantanément ? même de ceux qui s'en
étranglent à se ramoner les glaviots ?… Propose un coup de cinéma !… un
apéro gratuit en face !… tu vas voir combien qu'il t'en reste… S'ils viennent
te relancer c'est d'abord parce qu'ils s'emmerdent. T'en vois pas un la veille
des fêtes… Aux malheureux, retiens mon avis, c’est l’occupation qui
manque, c’est pas la santé... Ce qu’ils veulent c’est que tu les distrayes, les
émoustilles, les intrigues avec leurs renvois... leurs gaz... leurs
craquements... que tu leur découvres des rapports... des fièvres... des
gargouillages... des inédits !... Que tu t’étendes... que tu te passionnes... C’est
pour ça que t’as des diplômes. »
Josef Bor, Le Requiem de Terezin (Traduit du tchèque au français) :
« Versez donc ma part dans la gamelle de ce vieux grand-père qui meurt
de faim. »
Pères et mères, Grand Corps Malade :
Depuis la nuit des temps l'histoire des pères et des mères prospère
Sans sommaire et sans faire d'impairs, j'énumère pêle-mêle, pères, mères
Il y a des pères détestables et des mères héroïques
Il a des pères exemplaires et des merdiques
Il y a les mères un peu pères et les pères mamans
Il y a les pères intérimaires et les permanents
Il y a les pères imaginaires et les pères-fiction
17
En français, perdu.
Pour dire à ma mère et à mon père "Merci !"
18
Brassens paraphrase ici Rastignac, personnage Balzacien qui, surplombant Paris, lance à la ville la formule
suivante : "A nous deux maintenant !"
On n's'étonn'ra pas
Si mes premiers pas
Tout droit me menèrent
Au pont Mirabeau19
Pour un coup d' chapeau
À l'Apollinaire,
À l'Apollinaire.
Bec enfariné
Pouvais-je deviner
Le remue-ménage
Que dans mon destin
Causerait soudain
Ce pélerinage ?
Que circonvenu
Mon coeur ingénu
Allait faire des siennes
Tomber amoureux
De sa toute pre-
Mière parisienne,
Mière parisienne.
N'anticipons pas,
Sur la berge en bas
Tout contre une pile,
La belle tâchait
D' fair' des ricochets
D'un’ main malhabile.
Moi, dans ce temps-là
Je n' dis pas cela
En bombant le torse,
L'air avantageux —
J'étais à ce jeu
De première force,
De première force.
Et durant un temps
— Les journaux d'antan
D'ailleurs le relatent —
Fallait se lever
Matin pour trouver
Une pierre plate.
On redessina
Du pont d'Iéna
Au pont Alexandre
Jusqu'à Saint-Michel20,
Mais à notre échelle,
La Carte du Tendre21,
La Carte du Tendre.
27
URL :https://books.google.dz/books?id=D_wZAAAAYAAJ&pg=PA267&lpg=PA267&dq=lettre+%C3%A0+Fran%
C3%A7ois+Maucrois+du+29+avril+1695+boileau&source=bl&ots=SCKHeTVsD8&sig=ACfU3U0sOG2gnIBALpoo2
ErUSQIROTzvpw&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwictcSIoqnoAhXFDGMBHXc1CPsQ6AEwAHoECAMQAQ#v=onepage
&q=lettre%20%C3%A0%20Fran%C3%A7ois%20Maucrois%20du%2029%20avril%201695%20boileau&f=false
28
URL : https://epub.ub.uni-muenchen.de/41202/1/8P.gall.2269.pdf
29
URL : http://aaargh.vho.org/fran/livres7/LFCeY.pdf
30
Sur : http://obvil.sorbonne-universite.site/corpus/critique/cousin_du-vrai
31
Disponible sur : http://collections.banq.qc.ca/bitstream/52327/1990392/1/0000177808.pdf
32
Disponible sur : https://bibliothequenumerique.tv5monde.com/livre/46/L-Education-sentimentale
13. HORACE, L’Art poétique ou Épître aux Pisons (s.d.), Trad. Leconte de Lisle
(1873).33
14. HOUELLEBECQ, Michel, Soumission, Paris, éd. Flammarion, 2010.
15. PÉGUY, Charles, Pensées, Paris, éd. Gallimard, 1998.
16. QUENEAU, Raymond, Exercices de style, Paris, éd. Gallimard, 2002.
17. QUENEAU, Raymond, Le chien à la mandoline (1958), Paris, éd. Gallimard,
2014.
18. SARTRE, Jean-Paul, Qu’est-ce que la littérature ? (1948), Paris, éd. Gallimard,
Coll. « Folio Essais », 2008.
19. SCHOPENHAUER, Arthur, Écrivains et style, Parerga et paralipomena34 (1851),
édition numérique. 35
20. SCHOPENHAUER, Arthur, L’art d’avoir toujours raison, 1864, édition
numérique. 36
21. TOLSTOÏ, Léon, Qu’est-ce que l’art ? (1898), Trad. Teodor de Wyzewa, Paris,
éd. Perrin, 1918.37
33
Disponible sur : https://fr.wikisource.org/wiki/Art_po%C3%A9tique_(Horace,_Leconte_de_Lisle)
34
Suppléments et omissions. La partie sur les écrivains et le style se trouve dans « Parerga ».
35
Disponible sur : https://www.schopenhauer.fr/oeuvres/parerga-et-paralipomena.html
36
Disponible sur : https://www.schopenhauer.fr/oeuvres/fichier/l-art-d-avoir-toujours-raison.pdf
37
Disponible sur : https://bibliotheque-russe-et-slave.com/Livres/Tolstoi%20-%20Qu'est-
ce%20que%20l'art.pdf