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11ESSOR DE
,. LA COMMUNICATION
Colporteurs, graphistes, locuteurs dans la préhistoire
Lieu C()J11mun
L'ESSOR
DE LA COMMUNICATION
Louis-René Nougier
L'ESSOR
DE LA
COMMUNICATION
Colporteurs, graphistes et locuteurs
dans la préhistoire
Lieu Commun
© Lieu Commun, 1988.
Au recto : d'après des peintures rupestres du Drakensberg
(district de Natal , Afrique du Sud ).
Au professeur Paolo Graziosi,
directeur de l'Institut italien
de préhistoire et protohistoire,
docteur honoris causa
de l'université de Toulouse.
ÉLOGE
DE LA COMMUNICATION
L 'homme est « communication ))
Dès son apparition dans l'histoire de notre planète
l'homme est communication. Usant des formes d'expres-
sion les plus diverses - gestes, graph ies, verbe, enfin - il
se révèle essentiellement et profondément « communi-
cant» ... C'est par cette voie-là qu'il s'intègr e pleinement
au grand mystère de la vie, qui elle-mêm e est communi-
cation. Communiquer est le propre de tous les êtres vivants,
de la plus infime cellule j usqu'à l'homme, le fleuron ter-
minal.
L'amibe qui se sépare et se partage pour donner nais-
sance à une nouvelle amibe, n'est-elle, entre autres exemples,
symbole de la communication? Certains végétaux, eux non
plus, ne sont pas dépourvus de « gestes ». Le volubilis qui
s'enroule, le dr.océra carnivore qui s'ouvre et guette sa proie
nous offrent le spectacle de formes simples de la vie et de
la communication. Aujourd'hui, une nouvelle appréhen-
sion .de la connaissance, le «gestuel», permet d'étudier
certains signes du comportement animal, particulièrement
chez les espèces dites «supérieures », les singes ... puis les
anthropomorphes. Cette science relativement récente et
originale, à laquelle ne dédaigne pas de recourir Richard
E. Leakey, par-delà ses prospections et découvertes en
Afrique orientale, se révèle fertile en potentialités qui, n'en
14 L' ESSOR DE LA COMMUNICATION
La paléontologie du langage
« Il n'y a guère d'espoir de retrouver jamais la chair des
langages fossiles)) pensait Leroi-Gourhan dans Le Geste et
la parole. Par ailleurs, André Cherpillod, entamant son
Dictionnaire étymologique des noms géographiques, regrette
«l'impossibilité où nous sommes de savoir jamais comment
le chasseur néandertalien, l'artiste magdalénien nom-
maient leurs objets familiers)), L'impossible gageure mérite
cependant d'être tentée, et si le langage du néandertalien
nous échappera sans doute à jamais, peut-être que le mag-
dalénien pourra nous livrer quelques bribes de son lan-
gage? Cette humanité de Cro-Magnon est si proche de
nous! Quelque 20, 15, 10 millénaires seulement. Mais,
malgré cette proximité, nous ne saurons sans doute jamais
comment il nommait ses objets familiers ... De la masse
considérable d'outils fort divers qui nous est parvenue, de
cette gamme étonnante de lames devenues des burins, des
ÉLOGE DE LA COMMUNICATION 17
Le choix
Dans nombre de sites archéologiques archaïques, le choix
et la prédilection pour un type de matériau s'expliquent
par une osmose et par une recherche systématique sug-
gérant une vraie communication. Les pierres les plus
banales, les matériaux les plus durs, les plus aisés à éclater,
à tailler, ne sont pas fatalement prélevés sur les lieux
mêmes de vie ni sur les lieux de besoin. L'artisan doit les
rechercher autour de lui, dans un rayon de plus en plus
étendu, permettant les progrès de la prospection et de la
communication. Il se produit alors une communication
11 physique » avec le matériau recherché. Mais si le site
La mémoire et la communication
A la différence de l'homme, l'être vivant, plante ou
animal, ne progresse pas par osmose. Les événements qui
prolifèrent autour de lui n'ont pas grande influence sur
son évolution. L'homme, lui, finit par comprendre qu'un
geste, une attitude, une modification sont susceptible d'être
adoptés et d'améliorer son existence traditionnelle. La force
de l'exemple est surtout sensible chez l'homme. Il est capable
d'({ apprendre» en quelque sorte. Une mémoire naissante
lui permet de mieux appréhender ce qui est progrès en lui
et autour de lui. L'animal, fût-il un animal supérieur dans
la hiérarchie des êtres, ne peut transmettre ses acquisitions
à sa descendance, faute de mémoire, ni les communiquer
autour de lui, parmi la foule de ses congénères. L'animal
est en mesure d'éprouver et de rechercher la chaleur bien-
faisante de la coulée volcanique. Pourra-t-il communiquer
cette heureuse sensation à ses congénères? Les inciter à
venir, eux aussi, se réchauffer à cette agréable chaleur?
Si, trop proche de la lave brûlante, il en éprouve les
cuisantes brûlures, il n'est peut-être pas assuré d'en garder
suffisamment le souvenir pour se tenir à bonne distance,
quelques jours ou quelques semaines plus tard. Si une
certaine mémoire immédiate est possible et même vrai-
semblable, est-elle suffisamment pérenne pour se con er-
ver?
LES COL PORTE URS 33
Un dynamisme vital
L \1 extraordinaire » découverte du crâne féminin du Mas-
d 'Azil, sur un tas de détritus culinaires de la grotte épo-
nyme, daté des environs du XII• millénaire, fait problème
et provoque de profondes réflexions. Ce crâne, vu lors des
premières prospections de la longue galerie où il gisait
(galerie Breuil, portant peintures et gravures, essentielle-
ment des détails naturels dont l'artisan a précisé, par
quelques traits gravés ou peints, la vision animalière), fut
plus récemment dégagé. Son étude exhaustive permit de
trouver, en place, sur une orbite du crâne, une 11 rondelle »
d'os, travaillée sur son bord, soigneusement aménagée, au
format de l'orbite. Au terme d'une fouille minutieuse de
ces débris, on découvrit une seconde plaquette osseuse,
identique, détachée de la seconde orbite, où normalement
elle devait prendre position. Ce crâne paléolithique supé-
rieur de Cro-Magnon, que l'on a parfois qualifié de<< crâne
de jeune fille » (Pourquoi «jeune fille » ?) est donc excep-
tionnel. Ses yeux sont obturés par ces rondelles osseuses
qui les aveuglent. La raison de cette coutume, de ce rite,
diront certains, ne nous occupe pas ici. Mais nous ferons
le rapprochement avec un crâne des Tahouniens de Pales-
tine, de la «ville» de Jéricho. Ce crâne a, dans un niveau
archéologique précéramique, antérieur à 6000 avant l'ère
chrétienne, ses orbites également aveuglées, mais par des
54 L'ESSOR DE LA COMMUNICATION
De la piste au chemin
Le piéton est aussi vieux que le monde. C'est par la
marche que nos lointains an cêtres ont pris les premiers
contacts, au sein des groupes élémentaires, puis de groupe
à groupe, de tribu à tribu. L'animal connaît aussi les
contacts mais ils demeurent bruts, sans enrichissements
ni accroissements. La satisfaction d'un besoin élémentaire
provoque les mêmes réactions à l'égard de l'environne-
ment. Ainsi, le besoin d 'eau est universel. L'animal marche
vers le point d'eau, attiré par quelques effluves physiques.
L'homme fait de même. Par le passage répété, vers la source
ou vers le fleuve, l'animal trace une piste, à partir de son
gîte. L' homme agit de même, de multiples fois. Mais, à la
différence de l'animal, il sait << où il va »... L'instinct se
double d'une connaissance inédite. Un obstacle naturel -
rocher, arbre, étendue caillou tique difficile - la recherche
du chemin le plus commode, le plus rapide entraînent un
<<choix». Un bloc gênant, un passage marécageux, un arbre
abattu seront surmontés, puis évités. Une prospection de
fruits ou de racines déviera la piste. Avec le temps, la mémoire
restituera à l'esprit les obstacles contournés, les attraits de
la collecte, quelques quartz déjà utilisables, faciles à tenir
en main, aisés à tailler ... La quête de l'eau ne sera plus
l'unique objectif. La piste devient chemin. Après un lent et
millénaire piétinement, le chemin deviendra route. Les pre-
miers moyens de communication seront ces routes natu-
relles qui, pendant des millénaires, des millions d'ann ées,
constitueront les seuls moyens de circulation.
LES COLPORTEURS 57
L'importance du levier
et les documents fugaces
La dalle mégalithique du coffre d'Altenburg est liss
sous sa face inférieure, alors que sa face supérieure e t
accidentée, toute bossuée. La face lisse inférieure repo
sur des rondins, des madriers formant chemin de roul -
ment, une technique déjà élaborée de circulation et qu
l'on retrouve en tout lieu, à toutes les époques, lorsqu'il
s'agit de déplacer de lourdes dalles. Certes, ce procédé
implique la connaissance préalable du rondin. (Les mag-
daléniens possèdent sur certains sites de gros et énormes
racloirs de silex capables de préparer et régulariser les
troncs bruts.) La mise sur rouleau de la dalle requiert la
coordination des efforts physiques des artisans à l'œuvre .. .
Plus encore, elle suggère l'effort intellectuel qui débouche
sur l'utilisation de l'un de ces rondins comme levier et
engin de soulèvement et de poussée. Jamais on ne trouvera,
en place ou en action, un levier de bois. Jamais on n 'en
trouvera un qui soit correctement daté. Mais la dalle d'Al -
tenburg montre que le levier était certainement connu et
obligatoirement utilisé, voilà 15 000 ans. De même , aucune
outre, aucun sac de cuir ne nous est parvenu de ces loin-
tains millénaires. Mais les multiples découvertes d'innom-
brables aiguilles parfaitement datées de ces périodes obligent
LE COLPO RTEU RS 63
Problème de la navigation
La rivière est-elle un obstacle, pour l'homme primitif
magdalénien? Plus qu'une entrave à la communication ne
serait-elle pas, au contraire, une incitation à aller de l'avant,
à connaître l'autre rive, où se sont réfugiés la harde de
rennes ou le troupeau de bisons? L'attrait de l'inconnu ne
serait-il pas le prol?re de l'homme? Ce ne sont pas les
exemples actuels qui infirmeront cette idée. Arrivé devant
la rivière, le bison poursuivi se met à l'eau, et l'homme
fait de même. Il ne paraît pas saugrenu de créditer le
chasseur magdalénien d'un don plus ou moins inné de la
nage, que l'homme moderne a perdu!
Surmonter la nature va engendrer une autre forme de
puissance, pour ces collecteurs-chasseurs que l'obligation
de survivre lie étroitement. Ainsi, se raccrocher à quelque
tronc d'arbre coulant à la dérive, c'est inventer le premier
esquif naturel. A partir d'expériences, d 'essais plus ou moins
heureux, plus ou moins transmis gestuellement ou orale-
ment, de ces tentatives "sur l'eau •, qui trouvent nombre
d'échos, surgissent obligatoirement des améliorations. Le
tronc d'arbre isolé sera recherché, car il est facile à enjam-
ber et favorise la dérive pour peu que les jambes le dirigent.
Casser, couper les branches secondaires qui font obstacles
sur les fonds ou sur les rives, voilà aussi un facteur de
progrès. Si l'expédition de passage doit être collective, s'il
faut traverser avec quelque lourd gibier abattu , il sera
naturel de grouper plusieurs troncs. Deux ou trois troncs
d'arbre amarrés ensemble ... et c'est déjà un prototype de
radeau. L'utilisation de lanières de cuir, de ligaments végé-
taux tressés, rend parfaitement crédible l'existence de
radeaux, dès ces périodes. Sans doute sera-t-elle insigne,
la chance de l'archéologue découvrant, sur quelque rive de
la Vézère, trois troncs soigneusement ficelés, attendant le
LES COLPORTEURS 67
La pirogue
Plus évoluée de forme et de technicité, la pirogue creusée
dans un tronc d'arbre est un engin rudimentaire et fort
simple de communication fluviale ou maritime ... La plus
ancien ne pirogue connue de nos jours, creusée dans un
tronc d'arbre, est celle qui fut découverte à Pesse, dans la
province de Groningue, et qui est datée de 6315. Des ves-
tiges d'embarcations de bois et de pagaies ont été mis au
jour, plus au nord, dans les îles danoises. Des pagaies de
bois, découvertes à Ulkestrupp (Stone Amore) et à Olby
Lyng, deux sites de l'île de Seeland, et conservées au musée
de Copenhague, sont respectivement datées du VII• et du
VI·· millénaire av. J. -C. Les restes d'un filet, des flotteurs
constitués d'écorce de pin, et des poids faits de galets, tous
recueillis dans un marécage près d'Antrea, en Carélie,
attestent l'usage d'une embarcation pour lancer le filet et
sont datés de la fin du VIII• millénaire. Pour creuser une
pirogue, des outils de silex sont nécessaires. Mieux même
que la hache de silex, le tranchet s'impose. Or le tranchet
est connu avant le x·· millénaire, dans la vaste frange fores-
tière de l'Eurasie. Vraisemblablement vers cet horizon du
X" millénaire, vers le grand virage de la civilisation se
placerait l' invention de la pirogue. A cette époque, les
piroguiers du Pacifique, naviguant à vue, d'île en île, par
le chapelet des Aléoutiennes, contribuèrent au peuplement
de l'Amérique que les chasseurs de mammouths avaient
amorcé quelques millénaires auparavant, vers 15000 ou
davantage. Le peuplement de la Nouvelle-Guinée et de
l'Australie fut peut-être plus ancien encore. Même en tenant
compte de la baisse notable du niveau des océans à ces
périodes lointaines, des détroits d'au moins 100 kilomètres
devaient être franchis ... Mais la pirogue n'était pas le seul
engin de navigation.
LES COLPORTEURS 69
L 'esquif de roseau
Au début de ce siècle, les enfants du Gâtinais apprenaient
volontiers à barboter et à nager dans les flots calmes du
Loing, en s'aidant simplement d'une botte de roseaux (un
vieux pneumatique remplace le roseau, aujourd' hui!) La
technique est fort primitive et la connaissance, au moins
vers 15000, des attaches végétales permet d 'envisager l'uti-
lisation de hottes de roseaux assemblées comme embar-
cations. L'idée est ubiquiste, ô combien! dans les chro-
nologies les plus diverses. Mais l'embarcation de roseau ne
possédera jamais son bulletin de naissance ...
Elle est encore pratiquée, actuellement, dans le petit port
de pêche de Cabras, sur la côte orientale de Sardaigne. Des
formes apparentées se retrouvent en Camargue, d~ns le
delta du Rhône, pays du roseau par excellence. L'Egypte
et le delta du Nil , la Dobroudja et le delta du Danube
présentent des formes analogues. Certaines peintures de
tombes égyptiennes illustrent ces longs esquifs légers, aux
extrémités relevées pour leur donner le look << naviforme »
par excellence, et aménager pratiquement la partie centrale
pour les passasers et les marchandises.
Les populat10ns ouroues, du lac Titicaca, restent atta-
chées à ces embarcations de roseau, les totoras des Andes,
qui croissent sur le lac, à plus de 4 000 mètres d'altitude.
Le totora, variété de jonc, crée à lui seul toute une civi-
lisation. Les bottes soigneusement ficelées, assemblées côte
à côte, donnent les embarcations ... Elles fournissent aussi
les parois des huttes, les grands filets qui fouillent les
herbes aquatiques et facilitent la pêche. Les auvents, les
vêtements de pluie sont fabriqués à l'aide de ces totoras
miraculeux. Leurs racines sont également consommées, de
vraies friandises pour les enfants. Les récentes sécheresses
les ont anéantis et, avec eux, détruit la civilisation des
Ourous. Pour les touristes du lac Titicaca, avides de contacts
« ethnographiques », les agences de voyages déplacent, tous
70 L' ESSOR DE LA COMM UNICATION
les matins, des Indiens sur ces îles de roseaux pour faire
de la figuration ... Ils seront rapatriés le soir, après le départ
des <<explorateurs» d'un jour!
De semblables embarcations de roseaux existent au nord
de l'Argentine, sur de hautes terres criblées de lacs. Quant
aux roseaux du fleuve Niger, ils servent à confectionner
des nattes, conservées en rouleaux. Ces nattes sont mises
à contribution des manières les plus diverses et les plus
astucieuses : ainsi, pour ensacher le poisson fumé ou séché
comme, jadis, elles ensachaient les corps des défunts qu'on
mettait dans une fosse creusée dans le sol, ou qu'on atta-
chait aux branches des arbres lorsque le sol était trop dur.
Si des centaines de corps de pharaons nous sont parvenus,
grâce aux mastabas, aux grottes sépulcrales et aux tombes
des Pyramides, combien de millions de fellahs ont connu
leur ultime sommeil roulés dans une natte de roseau! Celle-
ci ne serait-elle pas l'ultime moyen de communication
entre le monde terrestre et l'au-delà?
Les faits les plus variés, les objets les plus étranges
peuvent avoir des significations multiples, parfois pro-
fondes et inattendues. Le roseau, moyen de communication
sur le fleuve ou sur l'océan, l'est aussi avec le monde des
esprits. Quant au roseau, le calame des anciens, stylet natu-
rel permettant d'écrire sur l'argile ou sur la peau du par-
chemin, il a pu être utilisé très tôt... C'est par le roseau
soufflé à la bouche que l'artisan du paléolithique supérieur
projette l'ocre rouge sur la main, apposée sur la paroi de
la grotte, à Gargas comme à Cabrerets. Il soigne sa main,
qu'attaquent des engelures profondes, en l'enduisant d'ocre
cicatrisante. Pour réaliser des esquisses au pochoir, par la
technique qui sera plus tard appelée << au pistolet », il
décalque les empreintes des mains, symboles de présence
ou de possession? Dans le strict domaine de la prospection
archéologique, quel serait donc le · premier fragment de
roseau utilisé, jamais recueilli dans une fouille? Sans doute
quelque vestige découvert dans une tombe égyptienne du
Vieil Empire. Alors que sa très vraisemblable utilisation
remonterait << au moins >> au XXX<millénaire. A moins -
LES COLPORTEURS 71
traditi o nn els remplacés par des matér ia ux mod ern es. L'ar-
mature est désormai s en duralumin, bientôt en métaux
ultralégers et rares. Son enveloppe, faite en caoutchouc ou
en plastique, a eu ses éléments cou su s, puis collés, puis
maintenant d'une seule pièce ... Qu'importe, le kayak
modern e co n serve la form e rituell e et séculaire du kayak
esquimau .
Gibraltar et le problème
de la navigation maritime
Lorsqu'on parle de navigation préhistorique, c'est le nom
de la Méditerranée qui vient en premier sur les lèvres. En
effet, c'est sur les rives, sur les bords de « Mare nostrum ))'
depuis les vieilles industries majoritaires de bifaces dits
acheuléens, que se pose la question de la circulation mari-
time. C'est autour de la Méditerranée, sur l'étendue du
<<continent méditerranéen» que les recherches préhisto-
riques sont les plus anciennes, les plus denses. Un tissu
archéologique particulièrement serré peut, plus qu'un autre,
apporter des documents, positifs ou négatifs. A l'archéo-
logie résonante d'apporter ses choix et ses jugements.
De nombreux préhistoriens parmi les plus éminents ont
voulu expliquer les nombreuses et fortes ressemblances des
outillages lithiques de l'Europe et de l'Afrique par des
contacts très anciens entre les deux continents, le détroit
de Gibraltar étant franchi par la voie occidentale, par les
colonnes d'Hercule.
François Bordes et Ph. Smith ont mis en parallèle
82 L' ESSOR DE LA COMMUNICATION
La visibilité en mer
Chaque navigateur - magdalénien ou touriste moderne
voguant sur son petit voiher de 6 mètres - est rassuré
lorsqu'il voit encore la terre. Imaginons la joie du matelot
de la Pinta lorsque, en 1492, il cria : << Terre », en aper-
cevant le nouveau continent ... La terre est la sécurité, la
mer, l'aventure. Et l'homme se lance plus hardiment dans
l'aventure, s'il sait, s'il sent la terre proche.
Très intéressante fut l'idée de G. Schûle d'établir une
carte de la Méditerranée en calculant la visibilité de la
terre, au large, au niveau de la mer. Si vous naviguez au
large de l'île plate de Djerba, dans le golfe de Gabès, à
bord de quelque esquif - pirogue ou radeau - cette visibilité
sera très réduite, quelques centaines de mètres seulement,
puisque l'île ne surplombe la mer que de 2 mètres. A
Page de droite : esquisse des terres émergées,
vers 15000-10000 avant l'ère chrétienne
Importance des "ponts » de Béring, de Malaisie et de Timor.
Développement des zones arctiques.
En page de gauche : carton de la visibilité
des côtes méditerranéennes
En hachures horizontales, les zones marines d'où rivages et
montagnes bordières restent invisibles, car trop éloignés pour le
piroguier ou le navigateur.
Les ,, ponts visuels " restent nombreux, grâ.ce aux détroits, aux
îles et aux montagnes littorales. Ils sont matérialisés par des
flèches à double sens, car il n'est guère prudent de les orienter.
92 L'ESSOR DE LA COMMUNICATION
La céramique cardiale
et sa di.Ifusion méditerranéenne
A partir du IV•· millénaire, les preuves d'une intense
circulation maritime se précisent et se multiplient. Plu-
sieurs catégories de documents préhistoriques, caractéris-
tiques par leur matériau, leur forme, leur décor, leur tech-
nique, jalonnent, au vu de leur distribution géographique,
des itinéraires possibles, parfois indiscutables.
Aux débuts du néolithique, une céramique très parti-
culière se développe. Sur la pâte crue, avant toute cuisson,
! 'artisan travaille la panse encore fraîche du vase qu'il
vient de modeler: empreintes de doigts, coups d'ongle,
coups de spatule de bois, de tige de roseau ... En bref, il
imprime un décor systématique. Il découvre alors un excel-
lent " marqueur >> : le Cardium edule, une coquille marine,
dont il applique le bord dentelé sur la pâte fraîche. D'où
le nom donné à cette céramique ainsi décorée de « céra-
mique cardiale». Après l'argile des grottes, porteuse de
multiples empreintes de mains et de doigts qui subsiste-
ront, l'argile des vases conserve, elle aussi, les traces de
ses artisans. Peut-être doit-on voir, dans ces réalisations,
une imitation plus ou moins servile des céramiques de
Tasa, au Fayoum, vers les VII• et VI• millénaires? Les vases
de Tasa copient les outres de cuir traditionnelles, portant
sur la pâte les coups de poinçon des anciennes coutures,
exemple de cette substitution de matériau, de ce passage
du réservoir de cuir au réservoir de céramique. Est-ce
d'ailleurs un progrès? Lorsque la femme - car c'est à elle
98 L' ESSOR DE LA COM MUN ICATION
Le « commerce )) de l'obsidienne
en Méditerranée occidentale
Certaines roches volcaniques, roches d'épanchement
souvent récentes, dans des régions où le volcanisme est
encore actif, se présentent sous la forme d'une matière
sombre, non cristallisée, vitreuse, le verre volcanique ou
104 L' ESSOR DE LA COMM UNICATION
Lipari n 'en possède que fort peu, assez espacés, avec des
vacuoles rondes. Les éléments de feldspath et de horn-
blende brune donnent à la roche grecque un aspect original
qui la différencie nettement de l'obsidienne des Lipari.
Les gisements d'obsidienne des îles Lipari sont impor-
tants. Ils atteignent parfois le rivage et supposent une
exploitation à partir de ces affleurements. L'utilisation de
canots ou, plus vraisemblablement, d'embarcations en
roseau, comme la côte sarde les a conservées jusqu'à nos
jours, devait faciliter la prospection , l'enlèvement et le
transport du matériau.
Les gisements sardes du Monte Arci, à l'est d'Oristano,
au centre-ouest de l'île, sont, eux aussi , considérables. L'ar-
chéologue sarde G. Lilliu cite 72 ateliers de taille et plus
de 150 gisements où l'on travaillait cet <<or noir», ainsi
appelé durant l 'Antiquité. Les récentes analyses par acti-
vation neutronique des échantillons de roches provenant
de Corse et de Sardaigne, effectuées, en 1978, par B. Hallam,
S. Warren et Fr. de Lanfranchi, ont établi la présence de
quatre sites naturels du Monte Arci, dont celui de Santa
Maria Zuarbara. Peu après, Fr. de Lanfranchi constate un
fait curieux... et révélateur de la pérennité des voies
commerciales de l'obsidienne. En joignant tous les points
archéologiques ayant utilisé l'obsidienne de ce site de Santa
Maria Zuarbara, on préfigure, en quelque sorte, la route
actuelle reliant Monte Arci à la Gallura, la région la plus
proche de la côte corse! Cette voie existe donc depuis le
VI'" millénaire! Au siècle dernier, des archéologues danois
avaient retrouvé le tracé de grandes voies contemporaines
et l'avaient reculé de trois à quatre millénaires en unissant
de nombreux tumuli de l'âge du bronze découverts. Là ou
passa le père passera bien l'enfant, disait le poète! Cette
persistance de certaines routes, de cheminements, de drailles
(car ces routes ne sont pas encore « construites ») pourrait
réserver des surprises à l'archéologue de demain. Elle
confirme la survivance étonnante des paléotoponymes.
On est fondé à se poser de judicieuses questions sur
l'importance de ce commerce de l'obsidienne. Comme le
En page de gauche : un fait économique méditerranéen :
troc et commerce de l'obsidienne
• Gisements d'obsidienne.
• Outils d'obsidienne, généralement lames et lamelles.
108 L' ESSOR DE LA COMM UNICATION
Un exemple caractéristique :
l'expansion du maïs!
L'origine de la culture du maïs, le développement de la
masse et du poids de ses épis, son extension géographique
à partir du Mexique central et sa conquête de l'ensemble
de l'espace américain, puis de la totalité du globe, sont un
magnifique exemple d'osmose appliqué à une céréale: une
circulation originale de graminée.
Les plus anciens grains de maïs sont datés de 7000 avant
Jésus-Christ environ, par le C 14. Les recherches effectuées
dan s la vallée de Tehuacan, par l'équipe du Pr Richard
Mac Neilh, du Peabody Museum, en suivent le progrès et
l'extension spatiale sans la moindre interruption. Vers 6800,
le premier maïs apparaît, cultivé par de micro-bandes
d'humains (de 4 à 8 personnes), errant sur trois types
d'habitat différents. Elles occupent des aires de station-
nement à la saison des pluies, s'installent sur de nouveaux
camps à l'automne, avant de changer encore d'emplace-
ment à la saison sèche. Trois climats différents suggèrent
trois habitats adaptés.
Sur les onze sites rencontrés, l'outillage comprend des
<< métates » (des meules) pour pilonner le grain, et une
véritable hache biface que l'on pourrait croire originaire
des techniques forestières d'Eurasie. Bel exemple de
convergence, les mêmes exigences de culture et de défri-
chement déterminant le même type d'outil agricole!
La phase suivante, dite phase B, se situe entre 6800 et
5000. Les humains se groupent en macro-bandes, plus
étoffées. Les 40 sites reconnus se distribuent toujours en
trois types d'habitat, selon le cycle saison sèche, printemps
et automne.
La phase C, de 5300 à 3000, se caractérise par une orga-
nisation sociale et économique plus complexe. Certaines
Page de droite : monuments de type "cyclopéen»
et hypogées du •continent méditerranéen »
(torre de Corse, talayot des Baléares,
nuraghe de Sardaigne, navetat,
tholos et haouanet .. .)
En page de gauche : expans10n mondiale du maïs
1 Aire d'origine, vallée de Tehuacan.
2 Avant la conquête espagnole.
3 Extension au Vieux Monde, après la conquête.
4 Aire actuelle.
D'après le Musée archéologique de Tehuacan.
118 L'ESSOR DE LA COMMUNICATION
Pluralité commerciale
Le trafic des outils en ardoise verte d'Olonetz en Fin-
lande, dont Clark emprunte l'exemple aux travaux de Luho,
retiendra notre attention. La matière utilisée est l'ardoise
verte, dont le gisement d 'origine se situe aux environs de
Suoju, près de Petrosavodsk, en Carélie soviétique. Les
ateliers sont en place, abandonnant force éclats et rebuts
de taille. Les objets finis , grosses lames épaisses, de section
volontiers quadrangulaire, aux faces polies plus ou moins
complètement - outils spécifiques des activités forestières
hyperboréennes - se retrouvent isolés, en Carélie et dans
l'immense Finlande, jusqu'au-delà du cercle polaire arc-
tique, au nord du golfe de Finlande. Une seconde zone de
découvertes, toujours isolées, se situe au sud du golfe, en
Estonie, entre le lac de Tchoud, à l'est, et le golfe de Riga,
à l'ouest. Quelques rares découvertes se situent encore sur
la petite île de Sarema, qui ferme le golfe de Riga. Ce
dernier, comme le golfe .de Finlande ou le lac Ladoga, est
très peu profond : quelque 5 mètres... Les rivages, au
132 L' ESSOR DE LA COMM UNICATION
1
• 1i4
• +5
Les « macaroni ))
Les premiers éléments graphiques connus de nos grottes
occidentales - l'accord des spécialistes est à peu près total
- seraient des tracés digités sur les parois des cavernes. Ces
LES GRAPHISTES 151
La racme
· CR
160 L'ESSOR DE LA COMMUNICATION
La création du rythme
Si l'empreinte du doigt, de la main, du pied, reste trace
naturelle, le premier outil, si simple soit-il, provoque par
quelque choc une trace « artificielle », << humaine »... Ces
premiers chocs, créateurs de traces, de graphies, sont aussi
créateurs de rythmes. Il est impossible d'évoquer ces traces
en les dissociant des chocs et des bruits qu'elles repré-
sentent.
Parmi les documents fugaces qu'auraient ·p u laisser ces
LES GRAPHISTES 163
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En page de gauche : la genèse des hachures
Les traits parallèles, ordonnés, ont certainement pour origine,
dès l'homme de Neandertal, les traits désordonnés résultant du
dépouillement des ossements de gibier. Certains adoptent un
rythme, une répétition devenant systématique.
Fig. 1 et 2 Grande sagaie, avec biseau portant à sa base des
traits parallèles dont la fonction utilitaire est évidente : ce sont
des traits antidérapants pour faciliter la .fixation à une hampe
en biseau. Un mastic végétal accroche la sagaie et sa hampe,
comme les stries des pneus, des chenilles des chars d'assaut
s'agrippent au sol! La figure suivante porte 18 hachures parallèles
au rôle de "décor » vraisemblable! (origine : grotte de Maszycka,
près de Cracovie, datée 18000-17000) .
Fig. 3 Lissoir du même site portant 12 stries très fines sur
un bord et 8 chevrons sur l'autre.
Fig. 4 Galet peint en rouge du Sanctuaire de la Madone, en
Calabre. Une face présente JO hachures, l'autre, 12 motifs rec-
tangulaires hachurés.
Fig. 5 Même site. Double jeu de 6 et de 4 hachures.
Fig. 6 Grotte de Levanzo, au large de la Sicile. Deux groupes
de 4 hachures. ·
Fig. 7 à 11 Pétroglyphes gravés du bassin de la Lena (d'après
A. P. Okladnikov). Ces exemples montrent l'extrême diversité des
valeurs " chiffrées » des divers ensembles : 9 hachures, 7 hachures,
7 et 6 hachures sur deux rangées. Il serait aisé de les multiplier.
Ce ne sont que des repères très variables. L'unité de compte serait
sans doute à rechercher dans les gravures voisines, étroitement
associées à ces bâtonnets ou à ces bûchettes comptables. Ainsi Le
groupe de 7 et 6 hachures, fig. 9, accompagne-t-il des gravures
tr~s schématiques et très caractéristiques de l'école arctique,
représentant des navires, Longues embarcations de peaux, sans
doute, occupées par de nombreux pagayeurs. La figure 8 accom-
pagne des demi-cercles concentriques : représentation très sché-
matique de cabanes ou d'igloos? Les hachures .figureraient ici 7
et 6 navires; là, 7 igloos! La .figure 11, où les hachures sont nom-
breuses et complexes, reste énigmatique. Le signe inférieur serait-
il une représentation anthropomorphe?
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En page de gauche: la magie des hachures et des quadrillages
Que pense un néophyte devant la page d'un manuscrit médiéval,
devant les hiéroglyphes d'un papyrus ou devant une carapace de
tortue couverte d'idéogrammes? Sans doute est-ce l'impressiqn
que nous ressentons devant ces graphies occidentales des environs
du X• millénaire! Aussi convient-il de les considérer avec le même
respect. Comme des témoignages dont nous ne lisons pas (encore)
le sens.
Hachures et quadrillages garnissent cette lame osseuse, net-
tement pisciforme, du magdalénien final de la riche grotte d'El
Pendo, dans les Cantabres (collection du Musée provincial de
Santander), fig. 1, comme ces os gravés du même musée, fig. 2 et
9. D'après J. Carvallo.
Sur des plaquettes de calcaire ou de schiste, sur de petits galets,
nous retrouvons les mêmes graphies, les mêmes symboles, sans
doute les mêmes langages. Des niveaux tardifs de la grotte du
Parpallo, région de Valence (fig. 3, 4, 6, 8, JO et 12) , d'après
L. Pericot, de caractère magdalénien; de Rochedane, gisement azi-
lien (fig. 5), d'après Thévenin ; de La Madeleine (fig. 7) ou de la
Cocina (fig. 11). ·
174 L'ESSOR DE LA COMMUNICATION
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En page de gauche : les guirlandes de points
Isolés, groupés, parfois en nuage, les points peuvent avoir quelque
valeur numéri9ue. Mais les longues guirlandes ponctuées que l'on
rencontre parfois dépassent cette simple fonction, même si leur sens
nous reste encore caché. Symbolisent-elles quelque harde de gibier
ou des animaux cheminant à la queue leu leu? Figurent-elles des
Joules assemblées? Nous en sommes réduits à conjecturer.
Fig. 1 Guirlande de trois files, grotte de la Pasiega, dans le
massif du Castillo (Puente Viesgo.)
Fig. 2 Petite guirlande à Niaux, sur une paroi proche du
grand croisement de la caverne : deux éléments de 6 points.
Fig. 3 Dans le même secteur, motif semblable, avec deux élé-
ments de 7 points, cette fois.
Fig. 4 Dans la grotte supérieure de Gargas, la grotte des
Mains (salle inférieure), quatre rangées curvilignes possédant
certainement un sens plus élaboré.
Fig.5 De la Pasiega, devant la partie supérieure d'un museau
de cerf. Un rapport avec le cerf est possible mais non évident...
En dessous, une autre guirlande à 3 brins, concave et beaucoup
plus fournie, comme la.figure 1. D'après Maria Pilar Casado Lopez.
Fig. 6 Au Castillo, une guirlande très longue à 5 brins; dans
un diverticule riche en tectiformes, on trouve des dessins en forme
de toits.
Fig. 7 Au centre de Marsoulas, paroi de gauche. Certaines .
graphies, des bisons notamment, sont curieusement pastillées de
nombreux points rouges, un essai de 1r pointillisme » avant la
lettre.
Fig. 8 et 9 Dans le réduit appelé « Camarin »,grotte du Portel.
Les courbures sembleraient annoncer une forme animale, comme
une croupe!
Fig. JO A Pindal, biche rouge ponctuée sous le ventre.
Fig. 11 Graphie exceptionnelle de Pech-Merle de Cabrerets.
Je pense y voir un premier état d'une biche ou d'un cerf, une
préparation picturale pour l'animal complet et définitif. L'artisan
esquisse l'allure générale par quelques points judicieusement dis-
posés. Ultérieurement, il doublera ces points, les triplera, les
joindra pour obtenir un 1r ponctué baveux», selon l'expression
imagée de H. Breuil. En début d'année, mes étudiants toulousains
ne voyaient pas la biche. A la fin de l'année, ils la reconnaissaient
sans la moindre difficulté. Amis lecteurs, tentez l'expérience!
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En page de gauche : les associations ~ points tirets "
et graphies animales
Un thème graphique isolé ne possède guère de signification. Mais
il en va tout autrement dès lors qu'il se trouve associé à un autre
thème ou à une graphie animale. La grotte de Mamutova, dont les
dépôts majeurs sont datés de 21000, s'ouvre largement sur le flanc
d'une cuesta du plateau calcaire de Cracovie. Son matériel osseux,
exceptionnellement conservé, est représentatif des grandes civili-
sations chasseresses de mammouths, étendues de la Moravie à
l'Ukraine (avec le site de Mézine).
Fig. 1 Élément de sagaie avec une très nette rangée de
« marques » intentionnelles, à valeur numérique évidente.
Fig. 2 Cet os d'oiseau, nettement émoussé à chaque extrémité,
porte lui aussi des marques, pour leur part, à peu près dénuées
de signification.
Fig. 3 Os d'oiseau nettement émoussé aux extrémités, donc
document complet (les os d'oiseaux, très fins, se polissent par-
faitement à l'usage et leur graphie est souvent de qualité). A
droite, on compte 24 stries bien marquées, la 9' et la lÜ' étant
très rapprochées. Sur le côté opposé, 29 stries. Que de supputa-
tions hasardeuses viennent titiller notre imagination!
Fig. 4 Esquisse de bison gravé de Pindal. Sous son ventre,
deux rangées de 8 et 6 points. Ont-elles une valeur similaire à
celle des do_cuments précédents?
Fig. 5 Equidé de Pindal, encore. Trois points sous le museau,
Quatre traits sous le ventre. Une blessure très naturaliste.
Fig. 6 Jeune renne gravé portant 8 points. Est-ce décompte ou
figuration imagée du pelage?
Fig. 7 Sur ce bison de Pindal, mi-peint, mi-gravé, se retrouvent
les trois points et la blessure réaliste du bison.
Deux jàis trois points flanquent l'arrière-train du rhinocéros du
puits de Lascaux! Des exemples d'associations de points et de
graphies animalières se trouvent au Mas-d'Azil et à la Pasiega,
ain~i qu'à Pindal (fig. 9), mais avec 4 points. Sur un cheval et un
cervidé de Lascaux, mais avec 8 points ... Trois, quatre, huit points
donneraient-ils à comprendre la même chose: signeraient-ils le
nom du propriétaire-chasseur (chasseur Trois, Quatre ou Huit)?
L'homme gravé du secteur de la Lena (fig. 8) est-il multiplié par
six? En revanche, les menus points de la girafe de Tin Kani (fig. 10)
[d'après photo de H.-J. Hugot] ont valeur de traitement « pointil-
liste», comme à Marsoulas et dans nos galeries d'art du x1x• siècle.
3
En page de gauche : féminités et décor en "grecque»
Les silhouettes gravées .finement sur schiste de Gonnersdorf,
pro.fil féminin sans tête mais avec bras et poitrine (fig. 2) (d'après
G. Bosinski], expliquent les silhouettes plus schématiques à droite
et _les signes colorés des parois de grottes (fig. 1).
Fig. 3 Même forme en ronde-bosse d'ivoire, hauteur 9 cen-
timètres avec décor «en grecque». (D'après Golomshtok.) Vers
10000 avant l'ère chrétienne.
Fig. 4 Décor de grecque quadrillée, du porche de Rouffignac.
Fouilles Cl. Barrière (seconde tranche chronologique) .
Fig. 5 Bracelet en ivoire avec décor en grecque, de Mézine
(20000). Largeur 19 centimètres. (D'après Golomshtok.)
En page de gauche : quelques exemples d'un décor complexe
ubiquiste,"
le décor en grecque
Exemple Le plus ancien : Le site de Mézine (Ukraine) M
(- 20000).
188 L'ESSOR DE LA COMMUNICATION
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196 L'ESSOR DE LA COMMUNICATION
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En page de gauche : les alignements de points :
prolégomènes du calcul 1
Le doigt, un gros pinceau de fibres animales ou végétales, un
tampon de même nature, permettent la très simple graphie du
point. Le doigt enfoncé dans le sable ou l'argile le préfigure. Et,
souvent, le support suggère naturellement l'alignement des points.
Les galets de petites dimensions du Mas-d'Azil ne permettent
guère l'organisation d'autres graphies plus simples. Ceux-ci (fig. 1)
proviennent de la grotte de La Mouthe, proche des Eyzies, qui
contient les premières gravures animalières authentifiées par des
dépôts archéologiques. Elle a livré ces galets ponctués : un point
à chaque extrémité pour le plus petit, trois pour le plus grand
(d'après J.S. King). Le galet du Mas-d'Azil, le site éponyme (fig. 2),
nettement plus allongé, comporte cinq ponctuations. Une vraie loi
du cadre se marque donc et s'impose. Sur une surface rocheuse
plus vaste et plus libre, la contrainte de limitation des points ne
joue plus. Seule subsiste celle que s'impose le graphiste. Les
.figures 3, 4 et 5 appartiennent à des roches lissées par les glaciers
de la région de l'A ngara, issu du lac Baïkal et alimentant /'Ienisseï
et l'océan Arctique. Sur ces vastes surfaces, les points s'alignent
selon la fantaisie (ou les besoins précis et comptés!) du graphiste ...
8, 7, 5 ... La figure 6 montre l'importance du cadre support. Les
registres naturels portent 6 et 8 points, pour le supérieur; 5 et
3, pour le moyen; 4 et 8 pour l'inférieur. Ces repères comptables
restent susceptibles de très diverses interprétations. C'est la , table
à calcul» de l'époque, mais l'unité qu'il convient de recenser reste
et restera inconnue.
Dans le groupe des graphies rupestres du bassin de la Lena,
d'après les très importants relevés d'Okladnikov et de son équipe,
les exemples de même nature abondent. Parfois, ces points alignés
adoptent des formes plus complexes. La figure 7, du vaste secteur
de la Lena, offre une graphie très «opérationnelle». Cinq points
vert~caux; deux rangées horizontales de 5 et 6 points; un trait
d'opération (pourquoi pas?}, et en.fin trois bâtonnets verticaux.
Ces graphies ont un caractère universel... La grotte du Castillo
(fig. 9) et la grotte de Lascaux (fig. 10) en apportent témoignage
pour la phase chronologique plus ancienne, antérieure à 10000.
Un imaginatif trouverait aisément dans ces chiffres, 5, 6, 16, 13,
matière à échafauder de merveilleuses hypothèses, comme celles
qui fleurissent autour des dimensions de la pyramide de Kheops.
200 L'ESSOR DE LA COMMUNICATION
Enrichissement et chronologie
Dans le cadre chronologique qui doit ordonner, classer
ces innombrables documents grap~iques, des structures
essentielles s'imposent. Toute grande tranche chronolo-
gique possède un lexique qui lui est propre. La tranche
suivante en utilise un plus riche encore, approfondit en
quelque sorte son langage. De même, autour de nous, des
individus se contentent de 10 000 mots, alors que leurs
voisins en possèdent 20 000. Et les techniciens de la pensée
disposent couramment de quelque 30 000 ou 40 000 mots.
La première tranche chronologique englobera les pre-
mières graphies expressives (les débuts du paléolithique
supérieur) jusque vers 10000, période des ultimes expres-
sions de la pensée du lexique magdalénien, presque uni-
quement animalier. Les scènes où l'homme intervient sont
exceptionnelles, la scène du puits, à Lascaux, étant la plus
étrange et la plus classique.
La seconde tranche chronologique envisagera les gra-
phies datées entre 10000 et 5000. Celles-ci bénéficient d'une
bien plus large distribution géographique et sont l'objet .
d'études régionales particulières, de véritables spécialisa-
tions archéologiques. Telles seront les graphies du Levant
espagnol, de l'Arctique, de la Sibérie ~t de l'Asirope, celles
du Maghreb, de la Tripolitaine, de l'Egypte et du Néguev,
des Indes, du Sahara, de l'Afrique australe, les graphies
peintes ou gravées des Rocheuses, de l'Amérique du Sud
et de la Patagonie. L'Australie figure sur la liste depuis les
récentes découvertes. Dans cette seconde tranche chrono-
logique, les graphies animalières s'accompagnent de figures
humaines. De vraies scènes s'organisent. La grotte est
abandonnée pour les roches de plein air, qui offrent plus
qu'un lexique, des pages entières, des récits clairs et arti-
culés. Une vie plus complexe, une économie plus variée
traduisent les transformations qu'apportent les premiers
élevages, les premières cultures.
208 L'ESSOR DE LA COMMUNICATION
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En page de gauche: de l'animal "passant»
à l'animal • tombant» ou "surgissant»
Les parois de nos grottes suggèrent naturellement une attitude
horizontale pour les graphies animalières. Les figures verticales
peuvent être descendantes. «L'hypothèse de l'animal tombant dans
une fosse n'est probablement pas suffisante », déclarait A. Leroi-
Gourhan. Le cadre, l'environnement, la présence d'une fosse, d'une
diaclase peuvent expliquer l'animal qui tombe.
Fig. 1 Grotte de Santimamine. D'après Aranzadi, Barandia-
ran et Eguren, repris par E. Ripoll.
Fig. 7 Grotte d'Altxerri, Pays basque espagnol. D'après
J.-M. de Barandiaran.
Les figures verticales peuvent aussi être ascendantes. Elles sont
plus nombreuses que les précédentes. L'exemple le plus suggestif
est celui du cheval du fond du diverticule axial de Lascaux. Son
arrière-train disparaît derrière le bloc rocheux qui termine la
galerie. L'avant-train se développe en plein regard, tête et pattes
avant projetées vers le plafond du diverticule. Certains commen-
tateurs, trompés par la partie seulement visible, parlent encore
du cheval « tombant». Or les relevés des peintres artistes contem-
porains, pour la confection de Lascaux Ill, ont mis en évidence
que ce cheval était magnifiquement complet, de parfaites propor-
tions, comme « replié » derrière le bloc rocheux terminal. Leur
calque très précis en faisait foi. N'est-ce pas le cheval bondissant,
surgissant des profondeurs de la Terre mère, se dépliant en quelque
sorte comme il se libère du ventre maternel lors de sa naissance?
Fig. 2 Graphie animalière, blessée de trois cupules, d'Altxerri.
Fig. 3 Bison blessé de Niaux, sur vasque naturelle, associé à
un jeu de points complexe.
Fig.~ Bison montant, également de Niaux. D'après photo-
graphie.
Fig. 5 Graphie de lama, Patagonie. D'après Susana Monzon.
Fig. 6 Petit cheval ascendant de la galerie des bisons du Por-
tel. D'après H. Breuil.
Fig. 8 Bison gravé de la grotte de La Mouthe. D'après H. Breuil.
Fig. 9 Animal tombant, peint sur auvent de Patagonie. D'après
Susana Monzon.
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En page de gauche: la gent ailée
Les oiseaux sont représentés sur tous les supports, selon toutes
les techniques, dans la première tranche chronologique, des ori-
gines de la graphie animalière jusque vers 10000. Le lagopède
en ronde-bosse est la suggestive figure de proue de l'admirable
sceptre de pouvoir, du magdalénien final pyrénéen de La Vache,
à Alliat. Elle provient de la couche profonde, datée 10000. Ces
mêmes lagopèdes se retrouvent finement gravés sur des schistes
du gisement rhénan de Gonnersdorf (fig. 2, 3 et 5). Le lagopède,
facile sans doute à piéger, représente parfois plus de 90 p. 100
de la Jaune aviaire consommée, dans les sites de l'Europe occi-
dentale et centrale. Les outils ou instruments les plus usités,
comme les bâtons en bois de renne perforés, vraisemblablement
redresseurs de sagaies et de flèches, portent volontiers, en relief,
des figures d'oiseaux (fig. 1) [longueur 34 cm]. Les parois des
cavernes portent souvent des graphies d'oiseaux, comme c'est le
cas à l'entrée de la grotte ariégeoise du Portel (fig. 4), sur la
paroi de droite, où un hibou des neiges est la première figure
accueillant le visiteur. La «grotte au hibou » ? Serait-ce le vocable
archaïque de la cavité? La fine et sardonique gravure sur schiste
de Gonnersdorf ne manque ni de vie ni de caractère (fig. 5) .
L'Arctique, placée dans la deuxième tranche chronologique, est
riche en figures d'oiseaux, souvent des palmipèdes au long cBu
(fig. 9). On les rencontre sur les rochers usés par les glaciers
quaternaires, sur les rives du lac Onega, secteur de Besow Noss
ou de Peri Noss; sur les confins de la mer Blanche, vers Zala-
vrouga. Ce sont des gravures de cygnes au corps flottant, décorés
de demi-cercles concentriques. On peut y voir volontiers des repré-
sentations à valeur solaire. .. des signes et cygnes solaires! Ils
perdureront dans les civilisations métalliques du bronze.
Plus originales sont les figures d'oiseaux aux ailes déployées.
Ce_s.!Jraphies possèdent une vie intense, avec un thème plus déco-
ratif que naturaliste. On le,s trouve peintes sur les parois de la
Fileta, dans le sud de l'Espagne. Presque identiques, elles ornent
les parois des auvents rocheux de la basse Californie, comme dans
la Boca de San Julio, dans la sierra de San Francisco, entre la
mer de Cortes et le Pacifique. Figures apparentées, des oiseaux
peints sur les parois du Drakensberg, dans la province de Natal
(fig. 8), comme les oiseaux aux ailes déployées de Patagonie (fig. 7).
En page de gauche : graphies de la gent ailée
dans le monde
La répartition œcuménique, au cours de la deuxième phase
chronologique (10000-.5000) apporte un argument précieux en
faveur du caractère spontané et ubiquiste de ces graphies.
Une "trilogie» de la gent ailée
Gravures de la caverne des Trois-Frères (les trois frères Begouën,
de Montesquieu-Avantes, en Ariège) . D'après H. Breuil. Deux
représentations de chouettes, affrontées, ou "face à face», entou-
rant une troisième figure, plus esquissée et plus petite. Est-on en
présence d'une nouvelle image de trilogie familiale, comme la frise
des rhinocéros de Rouffignac, par exemple?
En page de droite : les têtes animalières isolées
Depuis des millénaires, le pay san ou, mieux, l'éleveur
dénombrent l'effectif de leur troupeau en en comptant les « têtes ».
Ils avoueront volontiers être possesseurs d'un troupeau de 300 têtes,
et, selon leur richesse, il s'agira de 300 moutons ou de 300 bœufs.
La civilisation pastorale du mont Bégo, dans le secteur des Mer-
veilles, à la fin du néolithique et au début de l'âge du bronze,
dans la troisième tranche chronologique des figures animales, ren-
ferme presque uniquement des têtes, les innombrables « cornus ))
du Bégo ! La tête flanquée de ses cornes représente /'animal tout
entier. La complexité de gravure des cornes permet de déceler
non seulement des bovidés, élevés et utilisés comme animaux de
labour, pour tirer l'araire, mais aussi de nombreuses variétés
d'animaux chassés ou élevés - chèvres, cerfs, bouquetins de mon-
tagne ... Ainsi sont offerts des tableaux de chasse. Vingt têtes de
bouquetins pour l'extermination d'une harde!
Cette représentation de la tête pour l'animal tout entier puise
son origine dans la première tranche chronologique des graphies
animalières, vers 15000-10000.
Fig. 1 Équidés affrontés sur la paroi droite de la galerie prin-
cipale de la longiligne caverne des Combarelles. Celui de droite
est complet. Celui de gauche se résume à la seule tête. Signification
précise certainement.
Fig. 2. Biches gravées sur la paroi gauche de la grande salle
de la grotte du Castillo, à Puente Viesgo, dans les Cantabres. Les
têtes de biche s'opposent, sur un plan légèrement différent. Celle
de droite marque un repentir dans son tracé, la présence de deux
yeux semblant amorcer deux pro.fils ... Les biches seraient trois!
Fig. 3 Tête de taureau, de la grotte de Gourdan, dans la
Haute-Garonne.
Fig. 4 Très beau pro.fil d'une tête caractéristique d'élan, gra-
vure plus tardive de la civilisation arctique de la deuxième tranche
chronologique. Bassin de la Lena. D'après Okladnikov.
Fig. 5 Tête de canidé gravé, peut-être un loup, du Mas d'Azil,
Ariège. D'après H.-G. Bandi.
Fig. 6 Une remarquable tête de biche (largeur 10 cm), gravée
sur une omoplate de renne, recueillie dans la couche archéologique
du magdalénien.final d'Altamira. D'après H. Breuil. Cette gravure
mobilière, portative donc, aurait pu servir de modèle pour une
gravure quasi identique, trait rour trait, gravée dans la grotte
du Castillo (hauteur 35 cm). D après H. Breuil.
4 6
En page de droite : les figurations animales sans tête!
Si les graphies animalières sans corps, réduites à leur seule
tête, n'étonnent pas nos esprits modernes - et éveillent de pro-
fondes survivances dans le monde rural, pastoral et paysan - il
en va différemment pour les corps sans tête! La magie chasseresse,
qui sévit fort longtemps parmi nos justifications forcenées, avait,
en ce domaine, un champ explicatif facile. Le chasseur devait
coûte que coûte abattre son gibier dans les meilleures conditions.
D'où ces animaux blessés, percés de flèches, crachant du sang ...
Un animal sans tête, donc sans réflexe défensif, est une proie
facile à poursuivre et à abattre. CQFD. Néanmoins, le sens de
ces graphies tronquées est peut-être plus complexe et plus profond.
D'abord, elles sont générales et largement répandues sur toute
l'aire asiropéenne, du bassin de la Lena aux marges atlantiques.
Elles semblent absentes des continents africain et américain, sauf
cas patents de graphies véritablement inachevées, donc sans grande
signification! Elles se cantonnent au vaste secteur des grandes
chasses paléolithiques de l'âge du renne et du mammouth.
Le bison sans tête d'Altamira (fig. 1, d'après photo, par
E. Ri poli) me posa problème. Chaque fois que je visitais la grotte
et son merveilleux plafond, où ce bison acéphale détonne, pendant
plusieurs décennies, je l'examinais ... sous tous les éclairages, sous
tous les climats, souvent très variables, de la grotte. Par certaines
journées humides, les peintures polychromes prennent une vivacité
toute nouvelle ... La tête a existé! Elle a disparu, la couleur s'est
délavée, a coulé sous les très minces ridules de la voûte, quelque
diaclase invisible apportant une humidité supplémentaire et des-
tructrice! Ce qui ne veut pas dire qu'on ne connaisse pas des cas
de graphies animalières sans tête. La figure 2 du Castillo, la
figure 3 de Las Monedas, la figure 4 des Combarelles sont des
exemples probants. La femme sans tête de Pech-Merle de Cabre-
rets, tracée au doigt, sur l'argile du plafond de la caverne (fig. 5)
a manifestement été exécutée sans tête ... sans qu'il soit besoin de
voir là une perfide manifestation de machisme.
Les esquisses médiocres, peintes très sommairement sur la paroi
du " camarin » du Portel, en Ariège, ne sont guère démonstratives
(fig. 9) . En revanche, le corps d'élan acéphale (fig. 8) [d 'après
Okladnikov], provenant du bassin de la Lena, est fort net, mais
la patte semble "mutilée». L'animal ne le serait-il pas aussi?
Ces animaux sans tête sont des graphies à mystère!
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En page de droite : représentations animales
volontairement incomplètes
Le graphiste avait toute la place nécessaire. Il s'est contenté
de dessiner la partie pour le tout.
Fig. 1 Renne de la caverne asturienne de Tito Bustillo. D'après
E. Ripoll.
Fig. 2 et fig. 3 Cervidés d'abris levantins. D'après L. Dams.
Fig. 4 Graphie très simple d'un cervidé, bassin de la Lena.
D'après Okladnikov.
Fig. 5 Cervidé d'un abri levantin. D'après L. Dams.
En page de droite: attitudes accroupies,
animaux à pattes repliées
La graphie la plus célèbre de ce typ e est le grand bovidé de
Lascaux, sur la paroi droite du diverticule axial. Il bondit vers
un signe grillagé. Ses pattes antérieures sont repliées, l'une
comp lètement sur le flanc. Cette attitude a été adop tée sans doute
pour resp ecter deux p oneys p eints au-dessous de lui, vraisembla-
blement antérieurs. Mais l'attitude marque parfois un bondisse-
ment purement gestuel.
Fig. 1 Gravure dite du Cerf effondré, de l'abside de Lascaux.
D'après Annette Laming.
Fig. 2 Gravure de Limeuil. D'après H. Breuil.
Fig. 3 Un des bisons poly chromes d'Altamira, « roulé» sur la
bosse du plafond. D'après H. Breuil.
Fig. 4 Abri de Cabra Feixet, province de Tarragone. D'après
L. Dams.
Fig. 5 Élan aux pattes antérieures et postérieures repliées,
région de /'Angara. D'après Okladnikov.
Fig. 6 et fig. 7 Cervidés de Puente del Sapo, province d'Al-
bacete. D'après L. Dams.
Ces animaux accroupis - attitude ex ceptionnelle - possèdent
un sens, une signification bien différente de celle de l'animal pas-
sant ou tombant. Nou vel élément de langage, avec sa notation
originale de jeunesse, de faiblesse ou de soumission, de volonté
aussi, d'élan, de force de vaincre ... Un geste matériel richement
imprégné de résonances spirituelles ou morales, un vrai langage.
En page de droite : les compositions élaborées
Fig. 1 Les rennes dits « affrontés » de Font-de-Gaume, ou « la
tendresse des rennes», le grand tournant de l'humanisation, vers
12000. D'après H. Breuil.
Fig. 2 Bisons affrontés (ou face à face) de la galerie des Bisons
du Pr Jeannet, au Portel (Ariège). D'après H. Breuil.
Fig. 3 Le panneau des Cinq Mammouths, Voie sacrée de Rouf-
fignac : le thème éleusinien, le couple entre à l'automne; il sort
au printemps, précédé du bébé mammouth. Transcrit dans le
domaine végétal, ce sera le mythe de Déméter! D'après C.-
F. Nougier.
Fig. 4 La triade familiale des rhinocéros de Rouffignac. Sor-
tant de la grotte, le père suivant la mère, qui guide le jeune
rhinocéros. C'est encore le thème de Déméter, le symbole de la
caverne, mère et créatrice. D'après C.-F. Nougier.
En page de droite : la mère et son petit,
la poursuite du mythe éleusinien
Le thème associant l'animal adulte et un jeune, peint ou gravé
en son corps, est fréquent, du cheval et son poulain surgissant
d'une fente matricielle de la Pasiega (première tranche chrono-
logique) à l'élan et son petit (fig. 1), secteur de /'Angara, à l'anti-
lope abritant son jeune sous son ventre (fig. 2), gravure de Tagh-
tania (Atlas) . D'après Frobenius. L'élan et son petit, du secteur
de la Lena (fig. 3) . D'après Okladnikov.
.~
' '
3
En page de droite : un langage hermétique,
la caricature humaine
Les graphies humaines restent très inférieures, en qualité esthé-
tique, aux graphies animales. Ces dernières atteignent une moyenne
de 15 p. 100 et permettent très valablement de parler de chefs-
d'œuvre (23 %, chiffre e~ceptionnel pour les représentations du
rhinocéros. Cf. Premiers Eveils de l'homme, p. 139 et suivantes.)
En revanche, la valeur esthétique des figures humaines préhis-
toriques aurait beaucoup de mal à atteindre le 1 p. 100. A vrai
dire, je ne connais aucun visage humain de bonne facture. Il y a
là quelque interdit - rituel ou religieux - qui rend incapable de
réaliser sa propre image. Les graphies humanoïdes - on peut très
valablement hésiter à utiliser le terme plus noble d' « humain » -
tirent couramment leur importance de leur emplacement précis
dans la grotte. Ce sont souvent des croquis de visiteurs jùrtifs,
voulant utiliser la magie bénéfique de la paroi et qui y gravent
leurs proches, en respectant des graphies animalières souvent de
qualité, comme l'a parfaitement suggéré Alet/!_ Plénier, dans sa
thèse sur la grotte de Marsoulas. Le Grand Etre de Rouffignac
bénéficie d'un environnement exceptionnel. Il s'impose par sa mise
en valeur, par sa situation à bonne hauteur de vision, par la
compagnie prestigieuse d'animaux de qualité, surmontant une
diaclase menant aux profondeurs de la Terre mère. Dois-je avouer
que sa facture est l'une des meilleures graphies humanoïdes!
Fig. 1 Las Monedas. Fig. 2 Les Combarelles. Fig. 3 Id. Fig. 4 le
A
&'~
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14
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) 15
PETIT LEXIQUE DES TERMES GRAPHIQUES USUELS
DE LA DEUXIÈME TRANCHE ARCHÉOLOGIQUE
10000-ENVIRON 5000
1 ~- .....
1 1
\)
En page de gauche : quelques silhouettes guerrières!
Les portraits de guerriers sont innombrables, de même que nos
buffets de salle commune s'ornaient volontiers de la photo souvenir
de l'ancêtre combattant! Celui de la Cueva Remigia (fig. 1) est
en attente; mais celui du riche abri de la Saltadora, niche XII du
site, part en expédition (fig. 2, d'après L. Dams). De l'autre côté
de la Méditerranée, les ethnies comme les costumes diffèrent par-
fois, mais les attitudes restent humaines et ubiquistes. L'archer
décidé (fig. 3) de type négroïde part-il vers son Niger natal? Il
commémore son périple sur le rocher de Sefar, dans le Tassili
des Ajjers, au cœur du désert saharien. Les graphies de Tin
Teferiest, de la même région, inspireraient volontiers un album
de mode (fig. 4) . Quant aux personnages masqués, brandissant
de curieux fouets longilignes, ils s'apprêtent à quelque office
inconnu ... , disons donc 11 magique» (fig. 5) . Ils sont également de
Sefar. (Documents . de Séfar d'après photo et relevés de
H.-J. Hugot.)
En page de gauche : les cervidés victimes des flèches des archers
Dans la deuxième phase chronologique, essentiellement sous les
abris du Levant espagnol, les graphies chasseresses sont nom-
breuses, volontiers dynamiques, aérodynamiques, même.
Fig. 1 à 9 Scènes de chasse, des abris du Levant, comme la
Saltadora, Ulldecona, la Solana de las Covachas, de Remigia, etc.
Fig. 10 Thème identique, gravures du Néguev. Le premier
animal est blessé de trois flèches, le deuxième perd son sang par
la gueule, le troisième est atteint par une lance et perd également
son sang. D'après E. Anati.
1
~l
1
En page de gauche : les expéditions des chasseurs à l'arc
Que ces graphies rappellent des exploits personnels ou content
de grandes aventures cynégétiques, leurs expressions sont éton-
nantes et variées. La palme revient incontestablement aux scènes
commémoratives des auvents rocheux du Levant espagnol (ainsi
les murs de ·certains pays offrent-ils leur espace aux panneaux
publicitaires ou aux slogans politiques!).
Le dynamisme de la cueva Remigia (fig. 1); la chasse du cerf
que le chien immobilise, de la cueva de Vieja Alpera (fig. 2)
[d'après J. Cabré]; le duel de l'homme et de l'animal dressé (fig. 4);
l'hécatombe des cerfs franchissant la rivière et tombant sur la file
décidée des archers de la cueva de Los Caballos (fig. 6) [d'après
Obermaier] en sont de vivants exemples.
Plus raides d'attitude, de phase chronologique plus tardive (le
moins bon est souvent le moins ancien dans l'art préhistorique)
sont les chasseurs aidés de leurs chiens de Nahel Odem (fig. 3),
sur les rochers du Néguev désertique (il ne le fut pas toujours)
[relevés par E. Anati]. De même, la Scène de saignée de Har
Oded, encore dans le Néguev, où un personnage armé, porteur
d'une longue arme, maintient un capridé pour le saigner (fig. 7).
Son acolyte, archer menaçant, est prêt à intervenir [d'après
E. Anati]. Cette graphie évoque les rites actuels des Masaï du
Kenya, se nourrissant de lait et du sang de leurs bœufs, qu'ils
saignent à la veine jugulaire.
Encore plus tardive, plus fruste en quelque sorte, la scène gravée
sur rocher de la région· de Ponte Vedra, en Galice espagnole, sur
le site de Campo Laneiro (fig. 5) [d'après photo].
En page de gauche : persistance des grandes chasses collectives
La grandé chasse collective est éteinte depuis dix mille ans en
Asirope, mais elle se maintient, avec ses rites et ses dangers, sur
le continent africain, ce qui pourrait expliquer ces scènes de la
p~ase chronologique tardive. Une chasse de l'éléphant à Bundoran
(Etat de Natal) [d'après Patricia Winnicombe]. Et cette chasse
du fauve, fresque jaune et rouge, également de Natal [d'après
C. van Riet Lowe].
En page de gauche: modes et féminité, entre 10000 et 5000 ans
Voilà quelques années, une directrice de la télévision me demanda
d'animer, _par quelques «vues d'époque», une émission sur la
mode magdalénienne. Je ne pus guère que. lui offrir la Femme à
l'anorak, de la grotte du Gabillou, à Mussidan, et la Dame à la
capuche, de la gracieuse tête de Brassempouy, dans les Landes,
orgueil de la collection Ed. Piette, au Musée national de Saint-
Germain-en-Laye. Des modes parfaitement adaptées aux rigueurs
climatiques magdaléniennes que nos sportives fonctionnelles ont
su adopter. Mais s'il avait été possible d'avancer dans la chro-
nologie? De retrouver les modes que nous présentent les abris
rocheux du Levant espafJ...nol? Les graphies de mode, relevées par
H. Breuil à Minateda (fig. 1), ou par Lya Dams, dans sa thèse
consacrée à cet art, les modes et les féminités de la cueva Remigia
(fig. 2); celles du Cingle de la Eremita del Barranco Fondo (fig. 3);
de la Fuente del Saluco (fig. 4); les couples de la mère et [•ènfant
de l'abri del Ciervo, plus récent, et surtout, et encore, de la
Minateda (fig. 6 et 7, d'après L. Dams et H. Breuil); la dame
« enveloppée » de Minateda (fig. 8, d'après H. Breuil); l'élégante
à la taille fine de Los Grajos (fig. 9), la «Méditerranéenne» de
l'abri de la Pareja (fig. 10); la «courtisane,, se dévêtant devant
son archer (fig. 11), toutes graphies d'après L. Dams. Quant au
«sac à main», il semble, en ces époques lointaines, remplacé par
le petit bagage porté sur le dos, du moins pour les silhouettes
féminine! du Drakensberg, site W 8 (fig. 12, d'après Patricia
Winnicombe). Sans doute, ainsi chargées, s'acheminent-elles vers
le travail des champs, portant le long bâton alourdi en son centre
d'une pierre perforée (le fameux « casse-tête » des anciens auteurs
européens), bâton à fouir ou à planter. Dans la même région de
Natal, le couple (fig. 5) . semble s'abriter sous quelque abri. Que
fait-il?
------lr~~ - -- ---
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11' '~~
En page de gauche : les cohortes humaines
Dans la première phase, de 15000 à 10000, les graphies met-
tant en scène des groupes - chasseurs, guerriers ou procession-
naires - apparaissent rarement. Leur parenté est évidente et
normale, avec des cohortes de la deuxième tranche.
Fig. 1 Gravure sur os, gisement du château des Eyzies.
Fig. 2 Le lissoir aux Ours, gisement de La Vache, à Alliat.
D'après L.R. Nougier et R. Robert.
Fig. J Procession de femmes, Cueva Lucio, à Bicorp, province
de Valence. D'après L. Dams.
Fig. 4 Défilé d'archers, abri du Cingle de Mo/a Remigia, pro-
vince de Castel/on de la Plana. D'après L. Dams.
Fig. 5 Abri de Los Grajos, province de Murcie. D'après
L. Dams.
Fig. 6 Sur rocher, complexe du secteur de la Lena. D'après
Okladnikov.
En page de gauche : les grandes hardes animales
Très divers sont les procédés graphiques utilisés pour repré-
senter les hardes animales.
Fig. 1 File de rennes, gravée sur un os d'aigle de Teyjat. Une
des meilleures représentations. Les animaux de queue et de tête,
nettement figurés, entourent une forêt de bois de rennes. Longueur :
20 centimètres. D'après H. Breuil. (Vers 10000: première tranche
chronologique.)
Fig. 2 Gravures sur rocher de la mer blanche, région de Zala-
vrouga. Formation en triangle caractéristique. D'après
A.M. Linevski.
Fig. 3 Région de Rio Pinturas, Argentine du Centre. D'après
A.R. Gonzalez.
Fig. 4 Groupe de flétans, gravures de Kvernavika, Norvège
septentrionale.
Fig. 6 Peintures de Chaclarragra, région de Lauricocha
(Pérou). D'après L.G. Lumbreras.
4
En page de gauche : scènes de pêche
La faune aquatique est assez peu représentée dans la première
tranche chronologique des graphies, mais ses manifestations sont
variées : salmonidés .finement gravés sur le Bâton perforé de Tey-
jat, truites gravées sur argile, peu avant le Salon noir de la grande
caverne de Niaux; magnifique saumon gravé sur le petit abri de
Gorge d'Enfer, proche des Eyzies; grand poisson gravé de la grotte
de Pindal l'Atlantique; large poisson plat peint au-dessus d'une
vasque d'eau souterraine de la grotte de la Pileta /'Andalouse,
autant d'exemples caractéristiques, aux techniques d'exécution les
plus variées. Mais c'est dans la deuxième tranche chronologique
qu'il nous est donné d'admirer des parties de pêche, avec parfois
l'entrée en scène du pêcheur lui-même!
Ces gravures de pêche se localisent sur les roches gravées de
l'extrême nord du globe, dans l'école arctique, sur les con.fins de
la mer Blanche, dans le secteur de Zalavrouga. On trouve des
scènes de pêche peintes sur rocher en Afrique du Sud, à des dates
vraisemblablement assez tardives : dans les montagnes du Sud,
sur les flancs méridionaux du Drakensberg.
Ces scènes s'intégrent dans l'art rupestre du "peuple de /'Eland»
magistralement étudié par Patricia Winnicombe.
Fig. 1 Scène présentant une capture de poissons, grâce à une
fosse, creusée par l'homme, une espèce de poissons très particu-
lière, les barbus. Ce type de fosse aurait été utilisé lors de la
remontée de l'espèce, au moment du frai (montagnes de Bamboo).
Fig. 2 Dans le district de Mount Fletcher, le site de Kenegha
Poort livre une scène peinte dynamique. Les pêcheurs harponnent
les poissons, armés de longues lances, en équilibre sur de frêles
esquifs individuels. L'un d'eux est ancré à l'aide d'une grosse
pierre reliée.par une corde à l'embarcation. D'après Patricia Win-
nicombe.
Fig. 3 Gravure schématique pisciforme du bassin de la Lena.
Fig. 4 Gravure plus réaliste du bassin de /'Angara. D'après
Okladnikov.
Fig. 5 Peinture rouge, sur rocher, d'un abri de Patagonie.
D'après Susana Monzon. ·
En page de gauche : la communication dans l'Arctique
Fig. 1 Skieur s'accrochant à une boucle (Zalavrouga).
Fig. 2 Skieur du bassin de /'Angara (URSS). D'après Oklad-
nikov.
Fig. 3 "École de skieurs" avec leurs bâtons (Zalavrouga) .
D'après A.M. Linevski.
Fig. 4 · Grandes embarcations pré- Vikings, proue ornée d'une
tête d'élan, avec une longue équipe de rameurs. Gravures de la
mer Blanche, secteur de Zalavrouga. D'après A.M. Linevski.
Fig. 5 Embarcations de même type; gravures du bassin de la
Lena.
Fig. 6 Embarcations "pontées " du nord de la Norvège. Tou-
jours la proue en tête d'élan. D'après H.G. Bandi.
En page de gauche: l'asservissement animal...
Vers la fin de la deuxième phase chronologique, alors que s'an-
nonce la nouvelle économie, dont les racines plongeaient au mag-
dalénien, de nombreuses et diverses graphies, de toutes parts dans
le monde, expriment les formes diverses de l'asservissement ani-
mal devant l'habileté humaine.
Fig. 1 Scène vivante d'Afrique du Sud. Des chasseurs armés
de l'arc, comme en Europe, aidés de chiens, parfois tenus en laisse
(la domestication du chien serait-elle tardive en ces régions
extrêmes?) attaquent des babouins. Site 0 1 du Drakensberg.
D'après Patricia Winnicombe.
Fig. 2 Gravures du Sahara. Hommes masqués ay ant attaqué
et ligoté un rhinocéros, preuve d'un climat beaucoup plus humide,
site d'In Habeter. D'après Frobénius.
Fig. 3 L'homme en difficulté avec son renne. Gravure de la
mer Blanche, région de Zalavrouga. D'après A.M. Linevski.
Fig. 4 Site « W » du Drakensberg. Un cheval, lourdement
chargé de lambeaux de viande, suit son maître, armé d'une lance
massue ... Un peu comme les Masaï. D'après P. Winnicombe.
Fig, 5 Très belle graphie de sloughi, élégante variété africaine
de lévrier. Origine: Séfar, dans le Tassili des A1jers. D'après
H.-J. Hugot. Un sloughi non moins remarquable est connu dans
les peintures de l'abri de Bou Sfer, extrémité de la dorsale tuni-
sienne. Une voie de passage d'influences entre l'Europe et l'Afrique!
Fig. 6 Personnage portant un arc, tenant en laisse un bou-
quetin! Fresques de Jabbaren, Tassili des Ajjers. D'après photo,
H.-J. Hugot.
PETIT LEXIQUE
DES TERMES GRAPHIQUES USUELS
DE LA TRANCHE ULTIME
DE 5000 À NOS JOURS
Premiers indices
Le passionnant problème posé: comment parlait Cro-
Mag:Qon, mérite d'être précisé. Cro-Magnon s'exprimait par
des mots, par des associations de mots, par une organi-
sation de ces mots constituant un langage. Je laisserai
volontiers de côté la constatation inquiète de Cherpillod,
encore que la question ne manque pas d'intérêt, car le
Néandertalien avait, lui aussi, son langage, comme son
très lointain prédécesseur, Homo erectus, comme tous ceux
286 L'ESSOR DE LA COMMUNICATION
Et s'ouvre la linguistique!
Telle était l'aventure linguistique qui s'offrait à m oi,
après avoir épuisé les plaisirs de l'aventure arch éologique
pendant plus d'un demi-siècle. Dès 1959, dans la Géogra-
phie humaine préhistorique, j 'évoquai timidement ces pro-
blèmes. Et cela me conduisit à me pench er sur les travaux
linguistiques de Meillet, Fouché, Albert Dauzat, Georges
Dumézil. L'« ultra-Histoire » de ce dernier me semblait
LES LOCUTEU RS 289
1. Paris, Ma on , 1986.
294 L'ESSOR DE LA COMMUNICATION
Le paléotoponyme Cra
(XVe-Xe millénaire)
et les rapports toponymie-archéologie
Racine apparentée à Cro
Crabillat, commune de Tursac, près des Eyzies : site
important du magdalénien final, proche du site éponyme
de La Madeleine.
Certaines étapes de civilisations s'inscrivent dans les
paléotoponymes. Jean Brunhes considérait les toponymes
comme '' les fossiles de la géographie humaine ». Ils sont,
plus précisément, les ''fossiles de !'oralité», et la strati-
graphie des toponymes exprime, aussi bien et aussi clai-
rement que l'archéologie, les successions des civilisations.
Les confins du Loiret, au cœur du Gâtinais, en apportent
un exemple séduisant. La petite commune de Montbouy
possède un toponyme d'origine latine, clair et significatif,
le mont Bovis.
Sur la commune, des fouilles ont mis au jour des arènes
gallo-romaines sur le site de Chennevières. Ce toponyme
récent, du II" siècle, signifie, en accord avec le site maré-
cageux et sa végétation caractéristique, la '' chan vrière )> ...
En pays d'oc, à Marseille, le même site est connu sous le
célèbre vocable de la Canebière. Sur ce site de Montbouy,
les préhistoriens découvrent, en surface, des silex de la
période magdalénienne, attestant une occupation ponc-
tuelle, pour le moins, des chasseurs de l'âge du renne. Or
ces terres aux richesses archéologiques datées de la phase
12000-10000 se répartissent sur les terroirs agricoles d'une
grosse ferme gâtinaise, portant le paléotoponyme carac-
téristique (et bien daté!) de CRAon!
Les rapports étroits que doivent entretenir archéologie
et toponymie sont délicats. Selon les sites, une discipline
peut et doit prévaloir sur l'autre, mais toutes deux doivent
rester solidaires et être conduites, si possible, par le même
LES LOCUTEURS 311
Et l'Australie aussi!
Le problème du _peuplement du continent australien,
aussi vaste que les Etats-Unis, est en phase évolutive. Les
archéologues australiens étudient des sites archéologiques
datés de plus de 30 000 ans par le carbone 14. Certains
archéologues supputent, assez logiquement, des dates plus
anciennes, pour les premières vagues de peuplement du
continent: de l'ordre de 50 000 ou même de 60 000 ans.
Tasmanie et Nouvelle-Guinée furent rattachées à l'Austra-
lie, constituant un vaste ensemble continental, le<< Sahul ».
Des bras de mer, de l'ordre de la cinquantaine de kilo-
mètres, séparaient le Sahul du monde mélanésien et de
l'Indonésie, et le peuplement est d'origine asiatique. Des
bateaux d'écorce, encore utilisés de nos jours, autorisèrent
ces communications intercontinentales fractionnées. Des
radeaux, faits de troncs d'arbre reliés ensemble ou même
cousus, subsistent encore, tels les « catamarans » du golfe
du Bengale. Les anthropologues considèrent volontiers ces
322 L'ESSOR DE LA COMMUN ICATION
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