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Le scandale Pegasus met en

lumière le secteur
controversé de la
technologie militaire
israélienne
Israël est heureux de laisser les anciens de ses services de
renseignement vendre des outils intrusifs à des gouvernements
problématiques. Une stratégie diplomatique
Le PDG de la société israélienne NSO Group Shalev Hulio dans un stade de Tel Aviv en 2020. Son
expérience dans une unité des renseignements a ouvert la voie au développement du logiciel espion
Pegasus par NSO (Reuters)
Par 

Yossi Melman
 – 
TEL AVIV, Israël
Published date: Vendredi 23 juillet 2021 - 07:07 | Last update: 4 days 21 hours ago
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Le logiciel espion Pegasus de NSO Group est responsable de violations répétées


des droits de l’homme et d’abus de pouvoir à l’échelle mondiale. Les dernières
révélations en date embarrassent énormément le nouveau gouvernement israélien.

À la suite de la découverte d’une liste de 50 000 numéros de téléphone appartenant


à des journalistes, des activistes ainsi que des hauts fonctionnaires visés par le
logiciel espion, une équipe de gestion de crise interdisciplinaire composée de
l’agence d’espionnage du Mossad et des ministères de la Défense et des Affaires
étrangères a été mise en place pour réagir au scandale.
Comment la technologie d’espionnage israélienne pénètre
au plus profond de nos vies
Lire

Mais il semble que cette initiative soit bien trop modeste et tardive. Des actions
plus radicales sont nécessaires pour se débarrasser de l’atmosphère empoisonnée
qui a amené des dirigeants européens à exprimer leur inquiétude à propos de ces
outils israéliens intrusifs.

Une enquête conjointe internationale de grands médias à travers le monde, dont


le Washington Post, Le Monde et Haaretz, a révélé comment, pendant des années,
Pegasus a été vendu à des gouvernements répressifs et dictatoriaux tels que
l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Azerbaïdjan, ou alors à des pays
semi-démocratiques qui ont une mauvaise réputation concernant l’oppression des
dissidents politiques, des activistes sociaux et des journalistes tels que le Mexique,
l’Inde, le Rwanda et la Hongrie.

Dans certains cas, Pegasus est soupçonné d’avoir piraté les smartphones
appartenant à des présidents et des Premiers ministres, parmi lesquels le président
français Emmanuel Macron. NSO dément ces allégations.

L’unité 8 200
NSO est un produit typique du secteur de la haute technologie de l’armée
israélienne.
Israël est leader dans le monde en ce qui concerne la recherche et le développement
d’outils et de moyens de guerre informatiques. Comme pour les ventes d’armes,
pour lesquelles Israël figure également dans le top 10 mondial, l’industrie high-tech
est liée à l’armée et sa réputée communauté des renseignements.

En tant que petit pays avec une mentalité de siège, Israël a développé ce secteur par
nécessité, pour maintenir une avance technologique sur ses ennemis.

À cette fin, Israël a établi des unités de renseignement et de technologie très


qualifiées au Mossad, dans les services de sécurité intérieure du Shin Bet, dans
l’armée et au sein de l’unité de développement et de recherche du ministère de la
Défense.

Les capacités et méthodes de l’unité 8 200


contre les Palestiniens ont été jugées si
problématiques et intrusives par 43 des
anciens soldats de l’unité qu’ils l’ont accusée
de « persécution politique »
La plus célèbre d’entre elles est l’unité 8 200, qui est la plus grande et la plus
importante instance au sein des renseignements militaires israéliens.

L’unité 8 200 est chargée de collecter des données et renseignements, de


rechercher, analyser, déchiffrer et traiter les informations, ainsi que de fournir un
soutien aux opérations spéciales derrière les lignes ennemies.

À l’origine, ses tactiques étaient conçues pour améliorer la prise de décision du


gouvernement. Mais au cours des vingt dernières années, 8 200 a également
développé des mesures cyber offensives, « éprouvées au combat » lors d’opérations
conjointes avec les renseignements américains pour infiltrer les ordinateurs iraniens
et endommager les centrifugeuses nucléaires de Natanz.
Les capacités et méthodes de l’unité 8 200 contre les Palestiniens ont été jugées si
problématiques et intrusives par 43 des anciens soldats de l’unité qu’ils l’ont
accusée de « persécution politique ».

Mais l’unité 8 200 n’est pas un cas à part. Israël dispose également de certaines
cyberunités telles que la branche technologique des renseignements militaires
(connue sous le nom d’unité 81) et les cyberorganismes défensifs du corps des
communications, chargés de protéger les réseaux militaires de toute intrusion, amie
ou ennemie.

Comment le logiciel Pegasus infecte votre téléphone


Lire

Les fondateurs de NSO, Shalev Hulio et Omri Lavie, ont émergé des rangs d’une
unité de ce type. Ce qu’ils ont en commun avec de nombreux anciens de ces unités
telles que la 8 200, c’est la volonté d’utiliser leur expérience technologique et
savoir-faire militaire et de l’appliquer au marché civil.

Ce désir personnel est soutenu par la politique du ministère de la Défense


consistant à promouvoir et à exporter les produits militaires – qu’il s’agisse de
missiles, d’obus, d’avions, d’artillerie ou de chars ou encore de technologie et de
logiciels – vers des marchés étrangers.

L’objectif est non seulement d’améliorer l’économie israélienne mais c’est aussi un


outil diplomatique. En vendant des armes ou des outils informatiques, Israël déblaie
le chemin dans des territoires encore vierges, en particulier les pays qui n’ont pas
de relations diplomatiques avec Israël ou dont les gouvernements sont des parias
aux yeux du monde.

Un temps d’avance sur ses ennemis et ses alliés


Israël n’a aucune inhibition à vendre ses produits à des gouvernements qui feraient
frémir les États-Unis et l’Union européenne, tant que ces liens et ces ventes servent
ses intérêts diplomatiques et militaires.

Ainsi, Israël (plus particulièrement via le Mossad) a ouvert la voie à la formation de


liens d’abord clandestins puis plus ouverts avec certaines parties du monde arabe,
qu’il s’agisse des Émirats arabes unis, de Bahreïn ou de l’Arabie saoudite.

L’échange pour Israël est très simple : le ministère de la Défense approuve, autorise
et même encourage les sociétés telles que NSO ou Cellebrite à vendre leurs outils
létaux à des dictateurs, des forces de police et des services de sécurité sans
scrupules. En retour, ces gouvernements sont prêts à nouer des relations avec Israël
ou à coopérer avec lui en fournissant des renseignements.

On peut en conclure que le Shin Bet, le Mossad


et les renseignements militaires disposent
aujourd’hui de logiciels espions bien plus
sophistiqués que Pegasus
L’Azerbaïdjan est un bon exemple illustrant cette alliance contre nature.

Israël a vendu des armes et des outils informatiques à l’Azerbaïdjan. Le


gouvernement de Bakou l’a utilisé pour espionner et pour harceler ses opposants
politiques et des journalistes, et en guise de réciprocité, permet à Israël d’utiliser
son territoire comme base de lancement pour des opérations de renseignement
contre l’Iran.

Cependant, il y a une réserve à la volonté israélienne de vendre ses produits dans le


monde. Il ne vend jamais sa technologie de pointe, laquelle est exclusivement
réservée à ses propres agences de renseignement, ce qui permet à Israël d’avoir un
temps d’avance sur ses ennemis et même ses alliés.

Par exemple, le Shin Bet utilisera toujours les capacités informatiques les plus
sophistiquées pour espionner les Palestiniens dans les territoires occupés.

Comment Israël teste sa technologie de pointe sur les


manifestants palestiniens
Lire

C’est seulement quand une nouvelle génération d’outils est développée que le
ministère de la Défense autorise la vente de technologies avancées sur les marchés
étrangers.

On peut en conclure que le Shin Bet, le Mossad et les renseignements militaires


disposent aujourd’hui de logiciels espions bien plus sophistiqués que Pegasus.

Maintenant qu’Israël est dans l’œil du cyclone, il est temps pour son armée et ses
diplomates de changer de cap et de politique. Il doit doter de vertus éthiques et
morales ses considérations sécuritaires et de politique étrangère.

En premier lieu, la vente d’outils tels que Pegasus doit être suspendue, au moins
aux régimes douteux.

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