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Introduction :
Le terme de cyberespace apparaît dans la littérature des années 80 et est popularisé par William Gibson qui imagine
une sorte de métavers qu’il nomme « The Matrix ». Le cyberespace se définit comme un espace virtuel rassemblant
les données numériques disponibles sur Internet et les infrastructures matérielles (câbles, ordinateurs, serveurs…) et
logicielles permettant l’accès à ces données. Comme le rappelle le géographe Frédéric Lasserre, « Le développement
exponentiel de l’internet a engendré autant de défis que de promesses ». Le cyberespace, en tant qu’espace global a
obligé les états à s’adapter et s’impose comme un nouvel espace d’affirmation de la puissance. Le cyberespace est
aussi un espace dans lequel s’exercent des enjeux de coopération. Affrontements, conflictualité, exercice de la
puissance, coopération et gouvernance, le cyberespace, outil de diffusion et de construction de la connaissance, est
bien un objet géopolitique.
Problématique : Pourquoi le cyberespace est-il un enjeu géopolitique, entre coopération et conflictualité ?
A. Définir le cyberespace.
Des infrastructures toujours plus nombreuses : L’un des éléments majeurs du cyberespace est le réseau physique. Il
se compose des câbles sous-marins déposés en fond des océans et qui permettent la circulation des données. 450
câbles parcourent plus de 1,3 millions de km et concentrent 99 % des flux internet. Ils connectent les 4800 centres de
données (data center), bâtiments qui hébergent les données informatiques et permettent un accès à distance des
informations. Les câbles terrestres permettent l’accès au cyberespace pour les terminaux, les ordinateurs. Dans les
espaces les plus éloignés, la connexion au cyberespace se fait par le réseau satellital. Encore marginal, ce réseau est
considéré comme très prometteur pour de nombreux acteurs qui espèrent connecter particuliers et entreprises au
haut débit dans des espaces faiblement peuplés ou manquant d’infrastructures. Responsables du développement des
infrastructures, les états sont des acteurs centraux du cyberespace, même si cet espace dépasse largement les
frontières et donc les limites d’un état. Les États-Unis dominent largement le cyberespace : ils hébergent 40 % des
data center.
Les acteurs non étatiques du cyberespace : Les états ne sont pas les seuls acteurs du cyberespace :
• Les organisations internationales du cyberespace : L’ICANN (Internet cooperation for assigned and numbers)
est une organisation internationale basée en Californie qui exerce un rôle central dans la coordination du
cyberespace. Composé de nombreuses commissions, qui gèrent des problématiques structurelles, l'ICANN
encadre les noms de domaine ou le fonctionnement des adresses IP.
• Les FTN : le développement du cyberespace a permis la naissance de FTN américaines, des géants du
numérique, les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft). Ils sont la partie émergée des
entreprises du cyberespace, connus pour leur puissance financière et technologique. De nombreuses
entreprises du cyber sont regroupées en Californie, dans la Silicon Valley, devenue le symbole de cette
économie. Face aux GAFAM, la Chine oppose ses géants du numérique, les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent,
Xiaomi).
• LES FAI (fournisseurs d’accès à Internet) : Ces entreprises sont chargées de fournir l’accès au cyberespace.
Elles peuvent limiter le débit, bloquer certains trafics. Les FAI doivent respecter la règle implicite de la
neutralité du net : toutes les données doivent circuler à la même vitesse, quelque soit l’utilisateur.
Au total, les actes de malveillance liés au cyberespace coûtent entre 400 et 600 milliards de dollars par an dans le
monde. Les forces de l’ordre sont aussi confrontées aux difficultés d’enquête liées au Dark web sur lequel les trafics
d’armes et de drogues florissent, sans compter la pédopornographie.
Un espace d’expression de la puissance : Le cyberespace est aussi l’occasion pour les états d’exercer leur puissance.
Certains états utilisent le cyberespace dans le cadre des relations géopolitiques : renseignement et espionnage,
déstabilisation politique et économique. Ainsi la Russie a mis en place une politique active et offensive dans le domaine
du cyberespace. La diffusion des mails d’Hilary Clinton pendant la campagne de 2016, les fuites sur Emmanuel Macron
en 2017 ou encore les nombreuses attaques cyber sur les infrastructures ukrainiennes depuis 2014, et plus encore
depuis 2022, montrent que le cyberespace est perçu comme un lieu d’expression de la puissance russe. La Chine, les
États-Unis, le Royaume Uni, Israël, l’Iran ou encore la France mènent aussi des actions offensives dans le cyberespace.
En 2006, alors que l’Iran développe un programme nucléaire d’enrichissement de l’uranium pour accéder à l’arme
atomique, les États-Unis et Israël mettent au point un virus informatique appelé Stuxnet dont l’objectif est de fausser
les calculs des centrifugeuses et de ralentir le programme iranien. L’attribution de marchés d’équipement en
infrastructures numériques devient stratégique. Ainsi, D. Trump a fait inscrire sur la liste noire des entreprises nuisant
à la sécurité des États-Unis les groupes chinois Huawei et ZTE, leur interdisant l’accès au marché 5G.
Des dangers croissants : Avec la croissance et le développement du cyberespace, sa protection est devenue un enjeu
majeur pour la France. En 2021, la plateforme cybermalveillance.gouv.fr a enregistré plus de 176 000 demandes d’aide
aux victimes de cybercriminalité (+76 % par rapport à 2020). Les attaques sont nombreuses, venant d’acteurs variés.
Les états et les organisations terroristes occupent une part importante des cyberattaques menées contre les
administrations et les infrastructures sensibles françaises. Il s’agit aussi de multiplier les sources de désinformation.
En 2021, la Russie a mené contre une trentaine de journaux de pays occidentaux dont le Figaro, une attaque depuis
des fermes à trolls dans lesquelles des commentaires et des profils d’internautes sont générés en grande quantité
pour saturer le cyberespace de fausses informations et de polémiques.
Les acteurs de la cyberdéfense : Face à ces dangers, l’état a mis en place une véritable stratégie de défense. Dans le
domaine de la lutte informatique offensive (LIO), la cyberdéfense dépend du Commandement de cyberdéfense, en
lien avec les services de renseignement, la DGSE et sous la direction du Ministère des armées. Concernant la
cyberdéfense défensive (LID), la lutte repose principalement sur l’ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes
d’information) et le ministère de l’Intérieur (DGSIS). La France compte en 2020 plus de 3400 cybercombattants et près
de 300 réservistes regroupés à Paris et dans le pôle d’excellence cyber de Bretagne. La loi de programmation militaire
de 2024-2029 a défini la cyberdéfense comme un élément majeur de la nouvelle politique militaire française et le
cyberespace comme un espace à défendre, au même titre que la mer, les airs et le territoire. En cas d’attaque, la
France se réserve le droit de riposter et d’utiliser le cyber pour contrattaquer en visant les infrastructures
gouvernementales et militaires de l’ennemi. En 2021, la France a mis en place Viginum, une structure pour identifier
les ingérences étrangères sur les plateformes numériques.
Une gouvernance mondiale embryonnaire : Le cyberespace mondial n’est pas loin d’être un Far West, un espace sans
règle. Au sein de l’ONU, des groupes d’experts et de pays membres tentent de faire progresser la mise en place d’une
régulation internationale sur le cyberespace : application du droit international, charte de comportement. En 2018,
Emmanuel Macron et le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres ont lancé l’appel de Paris pour mettre en place
une gouvernance de l’internet pacifier les relations internationales dans le cyberespace. Cet appel a été signé par 80
états et par les principales FTN du numérique. Mais les négociations et les tentatives de régulation sont au point mort
et le cyberespace reste encore majoritairement une zone de non-droit international : aucun accord multilatéral n’a
été trouvé pour réguler les relations internationales dans le cyberespace.
La politique de protection européenne : L’Union Européenne cherche à mettre en place une politique d’échanges
pour lutter contre les dangers du cyberespace. En 2004, l’agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de
l’information (ENISA) est créée pour développer la coopération en matière de cybersécurité. En 2019, le Cybersecurity
Act établit un cadre européen de cybersécurité et renforce la sécurité des infrastructures du cyber dans l’espace
européen. Dans le cadre de la protection des données personnelles, l’Union Européenne est à la pointe de la législation
internationale avec le RGPD (règlement général sur la protection des données) qui protège la vie privée des citoyens
européens en encadrant l’utilisation des données personnelles.
L’autonomie stratégique numérique européenne : En 2013, les documents transmis par Edward Snowden révèlent
l’ampleur de la surveillance opérée par la NSA, l’agence nationale de sécurité américaine, et notamment la mise sur
écoute des téléphones des principaux dirigeants européens (A Merkel, F Hollande). C’est le point de départ de la
réflexion sur l’autonomie stratégique numérique européenne menée par la France qui vise à renforcer la coopération
entre les états membres de l’Union Européenne et à renforcer l’autonomie de l’Europe face au recul des États-Unis.
La guerre entre la Russie et l’Ukraine a mise en évidence les dangers cyber. Mais ce projet reste peu abouti. Certains
pays membres considèrent la question du cyberespace comme relevant de la seule compétence nationale et freinent
la volonté de développer une coopération efficace. L’OTAN développe aussi des exercices coordonnés entre les états
membres sur le même modèle que les exercices terrestres ou maritimes.
Conclusion :
Développé avec l’essor d’Internet, le cyberespace est donc, comme les autres espaces de la planète, marqué par des
tensions entre les différents acteurs, au premier rang desquels on trouve les états qui y exercent leur puissance. Espace
de diffusion de la connaissance, il est toujours plus surveillé, notamment dans les dictatures comme en Chine, en
Russie ou en Iran. Face aux cybermenaces, la France a développé une politique de cyberdéfense à la fois défensive et
offensive. Elle a aussi été le principal moteur de la mise en place d’une stratégie numérique européenne. Voulu comme
un espace de liberté, le cyberespace est aujourd’hui un lieu toujours plus surveillé et contrôlé comme en témoigne la
condamnation à six ans d’emprisonnement de la journaliste russe Maria Ponomarenko pour avoir évoqué sur Telegram
le bombardement du théâtre de Marioupol.