Vous êtes sur la page 1sur 3

Compte rendu podcast France culture : Les politiques de l’ombre

Ce podcast intitulé « les services secrets : la politique de l’ombre » est une émission France Culture
animée par Jean-Noël Jeanneney.

Il s’agit de s’intéresser aux services secrets en France au cours des deux derniers siècles. En effet, les
démocraties ne peuvent pas se passer d’une politique de l’ombre, de services secrets ou de
renseignements car la concurrence qu’elles entretiennent avec d’autres régimes ou pays nécessite ce
service. Il vient s’inscrire dans une dimension sécuritaire : le renseignement permet de lutter et
d’avoir un coup d’avance dans toutes les luttes dans lesquelles nous sommes engagés. Le
renseignement constitue cette branche de la sécurité intérieure qui, par définition, exclue de
travailler au grand-jour. Mais la dimension éthique et morale posée par le renseignement interroge
les libertés publiques à travers l’espionnage qui, inévitablement, se fait sans l’accord de la personne
visée. Le principe du renseignement entre états repose sur le fait d’espionner l’autre pour acquérir
du renseignement, ou bien de détecter l’espionnage que l’autre pays exerce sur notre sol.

Sébastien Laurent, politiste et historien, intervient dans l’émission comme spécialiste des questions
de sécurité. Il reconnait une ambivalence dans le fait même que le travail de l’historien est de lutter
contre le secret. Or le secret est à prendre au sérieux puisque c’est la condition sine qua none à
l’existence des services secrets et qu’il explique la fantasmagorie qui règne dans ce milieu.

Les intervenants se concentrent ensuite sur la chronologie en France de cette politique de l’ombre.

• Elle tiendrait son origine du XVIIIème siècle, où Louis XV entretenait des réseaux en plus de ses
représentants officiels. Ainsi, certains diplomates tenaient ce rôle d’espion secret au service du roi : «
Le service du Roi n’a pas de prix ». « Les seuls espions avoués sont les ambassadeurs », et
l’ambassadeur est un honorable espion puisque son rôle est avéré. L’espionnage est ainsi
condamnable à la vue de la morale et du droit : c’est un métier de voyou qui doit être pratiqué par
des gens respectables.

• A partir de 1789, une transformation se met en place basée sur une lutte des militaires qui
revendiquent ce droit, qui serait de leur ressort et non pas de celui des diplomates. A cette époque le
renseignement est important en France, exercé par des acteurs policiers qui se sont développés avec
la terreur : le renseignement policier et la police politique sont à leur paroxysme. Dans cette
réflexion, la presse vient aussi tenir un rôle majeur. Originellement son rôle est de « lever le voile » et
d’informer. Mais elle devient une véritable arme dans la mesure où les informations qu’elles
transmet peuvent être dictées par l’état. L’état tente d’infléchir ces infos. C’est dans ce contexte
qu’on se rend véritablement compte de l’influence que peut exercer la presse et des possibilités de
jeu avec les informations.

• Durant la Restauration on assiste à une conservation des structures de police politique : l’ombre de
Fouché est toujours omniprésente. C’est à cette époque que naissent les fonds spéciaux, fonds ayant
une finalité secrète, qui existent toujours aujourd’hui. Ces fonds sont utilisés pour l'achat de journaux
destinés, encore une fois à influencer, électoralement par exemple. C'est un procédé qui a été
largement utilisé par la section statistique, rendue célèbre par l'affaire Dreyfus.

Le rôle des ambassadeurs est ainsi un rôle de proximité, ce sont des espions de choix au contact des
puissances étrangères. Ils voient en temps réel ce qui se passe dans le pays duquel ils résident. Mais
encore une fois, il existe des limites : on peut citer l'exemple du baron Stoffel, dont les rapports
alarmant sur le réarmement de la Prusse ont été émis et lu par le souverain. Mais ce renseignement
n'a pas été assez exploité ni utilisé.
Cela pose la question de la relation de la République, et non plus de l’Empire ou de la monarchie,
avec le secret qu’ils dénoncent, avant d’accéder au pouvoir. La découverte par les républicains des
« contraintes de l’Etat » métamorphose cette relation, ces derniers augmenteront même les moyens
de la police politique. L’exemple le plus parlant est celui du rôle joué par le service des Statistiques
pendant l’affaire Dreyfus. Les militaires qui la composent cherche à contrer l’espionnage prussien et
italien mais échoue dans leurs enquêtes, débouchant sur l’une des crises majeures de la vie politique
française. Les descendants actuels (et officiels) de cette section sont au nombre de six, le plus fameux
étant le rejeton du SDECE, la DGSE. Mais la volonté républicaine de définir des domaines clairs et
délimités dans l’activité de ces officines se heurte à la nécessité toujours plus forte d’échanges entre
elles.

Ces flous relèvent donc parfois d’une façon d’échapper à la volonté politique. C’est le cas dans
l’affaire du Rainbow Warrior, navire de Greenpeace coulé en 1985 par la DGSE, dont l’explosion a tué
un journaliste. Le Premier Ministre Laurent Fabius désavoue cette opération apparemment
indépendante de la volonté du gouvernement, et impose des mesures pour réorganiser ces services,
comme la création d’une commission d’enquête parlementaire pour contrôler au plus près l’action
coercitive de la DGSE, notamment le Service Action.

Les techniques de ce service sont héritières des méthodes britanniques de lutte clandestine, qui
formaient des résistants comme le colonel Passy, directeur du BCRA gaulliste, pendant la guerre.
Dans la fondation en 1946 du SDECE, l’accent est mis officiellement sur le renseignement à
l’étranger, mais aujourd’hui le site de la DGSE fondée en 1982 fait mention assumée de sa « capacité
d’entrave et d’action clandestine ». Son attachement au pouvoir politique est en outre marqué
significativement : la direction de ces services est donc un enjeu de taille tant en termes d’influence
que de responsabilité politique, comme le montre la décision du général de Gaulle de confier à l’un
de ses hommes de confiance, Pierre Messmer, la direction du SCEDE, après l’affaire Ben Barka en
1966.

Si la concurrence intestine des services est souvent évoquée, elle n’apparait plus d’actualité, tant à
l’international pour lutter contre les réseaux terroristes qu’à l’intérieur. Dès 1890 existe une
collaboration entre polices nationales pour lutter contre les réseaux anarchistes. Mais l’affaire
Snowden en 2013 et les révélations sur la surveillance de masse exercée par les Etats-Unis éloigne
résolument le terme d’ « alliés » entre pays, vide de son sens face au « friendly spying » de tous par
tous. Le caractère erratique du renseignement, à l’activité instable et sans frontières aucunes, se
révèle par exemple dans la collaboration d’un traître au KGB et du gouvernement français dans
l’affaire Farewell en 1981. La collaboration, toujours plus forte de nos jours, des services entre eux
n’empêche en rien ces mouvements latents d’informations sensibles, comme les documents
classifiés en proie aux « fuites ». En effet, le secret des documents est une nouvelle preuve de la
passion administrative française continue du fichage, depuis la Régence avec ses gazettins, aux
carnets B de la IIIème République listant notamment les instituteurs communistes, jusqu’aux fiches S
actuelles.

Les nouvelles technologies offrent des moyens illimités de surveillance, néanmoins encadrés par des
bases légales, comme une commission parlementaire créée en 2007, ou les lois sur le renseignement
de 1991 et 2015. Mais la déontologie des services varie d’un Etat à l’autre : le régime juridique
français entrave fortement ses services à la différence notable des Etats-Unis. Le hiatus de ces
pratiques avec les libertés publiques, notamment au nom d’intérêts politiques est heureusement
empêché par une puissante coercition, qui limite les montages politiques, le recours aux écoutes… Et
assure le secret d’Etat.

Vous aimerez peut-être aussi