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Artikelen Frans presentatie:

Gele hesjes:
https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/02/10/deux-policiers-mis-en-examen-pour-
violences-envers-des-gilets-jaunes-don't-jerome-rodrigues_6069500_3224.html
https://www.lejdd.fr/Societe/un-non-lieu-pour-des-gilets-jaunes-qui-avaient-brule-un-
mannequin-demmanuel-macron-3941617
https://www.lexpress.fr/actualite/societe/naissance-grandeur-et-decadence-retour-sur-un-
an-de-combat-des-gilets-jaunes_2105473.html
https://institut-thomas-more.org/2019/03/05/les-origines-economiques-du-mouvement-
des-gilets-jaunes/
https://www.voaafrique.com/a/france-a-paris-manifestation-de-gilets-jaunes-malgré-le-
coronavirus/5328868.html

Demonstraties over veiligheidswet:


https://fr.euronews.com/2021/01/30/france-mobilisation-en-baisse-contre-la-loi-securite-
globale
https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/02/08/loi-securite-globale-amnesty-denonce-
des-detentions-arbitraires-lors-d-une-manifestation_6069120_3224.html
https://www.lefigaro.fr/actualite-france/ce-que-contient-le-projet-de-loi-securite-globale-
20201130
https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/violences-policieres/a-t-on-le-droit-de-
filmer-et-de-diffuser-des-images-des-forces-de-l-ordre-pendant-une-
manifestation_3787331.html
https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/le-plus-important-n-est-pas-
de-filmer-mais-de-diffuser-comment-les-videastes-ont-reussi-a-documenter-les-violences-
policieres_3802779.html
Deux policiers mis en examen pour
violences envers des « gilets jaunes », dont
Jérôme Rodrigues, qui a perdu son œil
Le policier accusé d’avoir lancé la grenade a été mis en examen pour des
« violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente »
aggravées. 

Le Monde avec AFP

Publié le 10 février 2021 à 20h14 - Mis à jour le 10 février 2021 à 20h41 

ZAKARIA ABDELKAFI / AFP

Deux policiers ont été mis en examen le 14 janvier dans l’enquête sur l’éborgnement de
Jérôme Rodrigues, une des figures des « gilets jaunes », et sur la blessure d’un autre
manifestant en 2019, a assuré mercredi 10 février une source judiciaire à l’Agence France-
presse (AFP), confirmant une annonce de M. Rodrigues.

Le policier accusé d’avoir lancé la grenade qui a causé à M. Rodrigues la perte de son œil
droit, lors du rassemblement parisien du 26 janvier 2019, a été mis en examen pour
des « violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité
permanente  » aggravées. L’autre policier est poursuivi pour des « violences volontaires
aggravées » sur un autre manifestant, Mickaël, participant au même rassemblement.

La qualification criminelle retenue contre le premier policier est passible de la cour d’assises.
Les deux fonctionnaires ont été placés sous contrôle judiciaire par les juges d’instruction,
chargés des investigations depuis le 13 février 2019.

LBD et grenade de désencerclement


M. Rodrigues, casquette noire et barbe fournie, a dévoilé l’information dans une vidéo en
direct sur son compte Facebookmercredi, devant 1 500 personnes : « Je tenais à vous le dire,
à dire à l’ensemble des gens qui me soutiennent depuis deux ans aujourd’hui : je me suis fait
crever un œil par la police de Macron.  » Joint par l’AFP, son avocat, Arié Alimi, n’a pas
souhaité faire de commentaires.

A l’époque des faits, le tir d’un lanceur de balles de défense (LBD) et le lancer concomitant
d’une grenade de désencerclement avaient touché le groupe dans lequel évoluait
M. Rodrigues et Mickaël, sans qu’il soit immédiatement possible de déterminer quelle arme
avait blessé les deux hommes.

La blessure de M. Rodrigues, un ancien commerçant de 41 ans, compagnon de route d’Eric


Drouet, une autre figure du mouvement de contestation des « gilets jaunes », avait relancé le
débat sur l’usage du LBD, arme controversée et accusée d’avoir causé la perte d’un œil chez
plusieurs manifestants. Les autorités avaient d’abord contesté tout usage d’une telle arme à
l’heure des faits place de la Bastille.

Depuis les manifestations des « gilets jaunes » de l’hiver 2018-2019, au moins 30


manifestants ont été éborgnés et cinq ont eu la main arrachée, selon un décompte effectué par
le journaliste David Dufresne. L’utilisation de LBD mais aussi de certaines grenades par les
forces de l’ordre était principalement mise en cause.

Un autre policier a été mis en examen à Rennes récemment pour « blessures involontaires »,


dans l’enquête sur l’éborgnement de Gwendal Leroy, « gilet jaune » touché par un éclat de
grenade.
Un non-lieu pour des Gilets jaunes
qui avaient brûlé un mannequin
d'Emmanuel Macron
 16h55 , le 7 janvier 2020, modifié à 08h49 , le 8 janvier 2020
 Par
 Pascal Ceaux
INFO JDD. Un juge d'instruction a rendu une ordonnance de non-lieu en faveur
de trois Gilets jaunes qui avaient brûlé en effigie Emmanuel Macron au terme
d'un procès fictif le 21 décembre 2018 à Angoulême (Charente), a-t-on appris
mardi.

Manifestation de Gilets jaunes à Paris le 7 décembre 2019. (Sipa)

L'incident avait fait grand bruit. Il s'est conclu dans la discrétion par une décision de
justice rendue le 27 décembre 2019 à Angoulême (Charente). Un juge d'instruction a
délivré une ordonnance de non-lieu en faveur de trois Gilets jaunespoursuivis pour
"outrage à une personne dépositaire  de l'autorité publique" et "provocation non
suivie d'effet au crime". Ils appartenaient à un groupe qui avait, le 21 décembre 2018,
organisé un simulacre de procès du président de la République, Emmanuel Macron,
le jour de son anniversaire. Un épouvantail à l'effigie du chef de l'Etat avait été
condamné à mort, puis finalement brûlé. La scène avait été filmée et partagée en
direct sur la page Facebook du quotidien local, la Charente Libre. Plusieurs ministres
du gouvernement avaient aussitôt condamné la macabre parodie et réclamé des
sanctions pénales. Le préfet de Charente, qui avait pourtant autorisé la
manifestation, avait alors saisi le parquet d'Angoulême.
Lors de l'enquête, trois personnes qui avaient enregistré la déclaration de
manifestation, étaient mises en examen. Le faux procès avait été émaillé de cris du
public tels "pendez-le haut et court", "on le pendra avec ses tripes", "qu'on lui coupe
la tête", etc. Après la condamnation à mort, un bourreau fictif avait tranché la tête à la
hache du mannequin, avant de le brûler. Puis, la foule avait dansé autour du bûcher.

Les raisons du non-lieu


L'ordonnance de non-lieu du juge considère que le "procès fictif ne révèle pas chez
ses concepteurs, acteurs ou spectateurs une réelle volonté d'appeler à tuer le
président de la République". Les propos "ont pour but de faire rire ou sourire […]
quelle que soit la valeur humoristique qu'on peut leur accorder". La décision du
magistrat précise que "ce procès fictif constituait une parodie grossière de tribunal
visant à critiquer l'action du chef de l'Etat, n'ayant pas vocation à être prise au
sérieux". Elle ajoute en outre à propos des trois mis en examen que "ces derniers
n'ont à aucun moment lors du procès fictif proféré des paroles ou des menaces ou
effectué  des gestes de nature à porter atteinte à la dignité ou au respect dû à la
fonction d'Emmanuel Macron". Elle indique enfin la nécessité de prendre en compte
"le contexte particulier de provocation outrancière et de satire moqueuse de ce
procès fictif".

Sollicité par le JDD, Pierre-Henri Bovis, l'un des avocats des trois personnes mises
en cause, s'est félicité de "cette manifestation d'indépendance de la justice".
"Plusieurs ministres avaient réclamé des sanctions, rappelle-t-il, l'exécutif doit
s'incliner devant la liberté d'expression". "L'impertinence et la satire n'entrent pas
dans les prévisions du code pénal, fussent-elles à l'endroit du chef de l'Etat", ajoute
son confrère Robin Binsard, lui aussi défenseur des trois mis en examen. Le parquet
peut cependant faire appel de l'ordonnance du juge d'instruction.
Naissance, grandeur et
décadence... Retour sur un
an de combat des gilets
jaunes
Le 17 novembre marque les un an du mouvement. Une
crise sociale née d'un ras-le-bol de ceux qui se considèrent
comme des "oubliés", et qui a bousculé le pays.
Leur révolte a jailli au coeur de l'automne 2018 et ébranlé le pouvoir durant des mois.
À l'origine, elle est le fruit de Français qui ne se revendiquent d'aucun parti politique,
d'aucun syndicat, mais se retrouvent autour d'une même grogne : la hausse des taxes
sur le carburant qui doit être mise en application dès janvier 2019. De groupes
Facebook en réunions organisées en petits comités, ces Français imaginent alors un
symbole commun à placer sur leur tableau de bord ou à enfiler tous les samedis : le
gilet jaune fluo. 

Le mot d'ordre est simple, placer le veston sur son tableau de bord pour signifier son
mécontentement. Sur internet, une pétition à l'initiative de Priscillia Ludosky - qui
deviendra une des figures emblématiques du mouvement - lancée en mai 2018
contre la hausse du prix du carburant, passe de 10 000 signatures à 200 000 en
quelques jours seulement. 

Parallèlement, la vidéo d'une anonyme, hypnothérapeute bretonne, mise en ligne sur


Facebook le 18 octobre 2018 devient virale. Dans une séquence de 5 minutes, Jacline
Mouraud, mère de trois enfants, dénonce une "traque aux automobilistes" et
interpelle le chef de l'Etat : "Ça va durer jusqu'à quand ? Mais qu'est-ce que vous
faites du pognon ? (...) Où va la France ? On est traqué", fustige la sexagénaire. La
vidéo est partagée plus de 251 000 fois en deux semaines, vue par six millions
d'internautes, et avec elle les appels à manifester s'amplifient. La machine est lancée,
une date est fixée. Le premier acte de la révolte aura lieu le 17 novembre. 

Symbole de la France périurbaine au pouvoir d'achat en berne 


Difficile à quantifier, difficile à anticiper. Combien de Français participent aux
manifestations prévues le troisième week-end de novembre dont le premier initiateur
est un chauffeur routier originaire de Seine-et-Marne, Eric Drouet ? Trois jours avant le
Jour J, le site non-officiel de cette journée recense 711 rassemblements, pour la
plupart non déclarés en préfecture, donc considérés comme illégaux aux yeux de la
loi. 
Dans des dizaines de villes de France, de Toulouse à Bordeaux en passant par
Montpellier, Poitiers ou Nantes, il est 6 heures du matin quand les premières
initiatives locales commencent. Ce premier samedi, 285 000 personnes - selon les
autorités - répondent, chasuble fluo sur le dos, à l'appel national lancé sur les réseaux
sociaux. Il est 6 heures du matin quand les gilets jaunes de la première heure investissent
des centaines de ronds-points, symbole de la France périurbaine au pouvoir d'achat
en berne, pour une journée aux allures d'acte 1. 

Rassemblement de "gilets jaunes" sur la place du Capitole, à Toulouse, le 24 novembre 2018


afp.com/Pascal PAVANI

À l'instar des villes de province, des rassemblements sont également prévus dans la
capitale. Ce jour-là, une partie des Champs-Élysées est bloquée. Mais très vite
apparaissent les premières tensions et incompréhensions. Bloqués par des barrages
filtrants pendant de longues minutes, certains automobilistes perdent patience et les
esprits s'échauffent. Au total ce jour-là, deux morts (dans des accidents de la route) et
plus de 500 blessés sont recensés. 

Un nouveau rassemblement se dessine le samedi suivant. Certains tiennent même


leur position sur des ronds-points ou autres lieux stratégiques toute la semaine
durant. Le 24 novembre, 166 000 gilets jaunes sont mobilisés. C'est moins que
précédemment mais l'ampleur de la mobilisation interpelle jusque dans ses propres
rangs. Il faut s'organiser et se structurer en restant sans étiquette. Huit porte-parole
sont nommés. 

Le 27 novembre, Eric Drouet et Priscillia Ludosky sont reçus au ministère de la


Transition écologique par François de Rugy. Lors de cette réunion, ils remettent au
ministre la liste de leurs revendications: baisse générale des taxes, création d'une
assemblée citoyenne, suppression de la taxe carbone et de la TICPE. 
Scènes de chaos
Nous sommes au mois de décembre. C'est à ce moment-là qu'un premier pic de
fièvre est atteint. Une image restera dans les mémoires, l'Arc de Triomphe plongé sous
un nuage de gaz lacrymogène et de jets de projectiles lors de l'acte 3 du mouvement, le
1er décembre 2018. 

L'Arc de Triomphe avait été fortement dégradé lors de la manifestation des gilets jaunes du
1er décembre 2018.
REUTERS/Stéphane Mahé
Casseurs déterminés, forces de l'ordre dépassées, l'avenue qui devient le lieu de
rendez-vous emblématique des manifestations du samedi devient aussi le théâtre de
scènes de chaos. Les forces de l'ordre font face aux gilets jaunes, mais aussi aux
casseurs ou aux pillards, sans réelle accointance avec le mouvement sur le fond.  
Au Puy-en-Velay, en Haute-Loire, certains jettent des pavés sur les forces de l'ordre et
forcent les grilles de la préfecture. Une partie du bâtiment est incendiée à l'aide de
cocktails Molotov. Ce samedi-là, 412 personnes sont interpellées dans le pays, dont
378 sont placées en garde à vue. 263 blessés sont dénombrés dans le pays. C'est ce
moment que choisit l'exécutif pour annoncer l'enterrement de la hausse de la fiscalité
sur les carburants. 
Au sein des gilets jaunes, les premières dissensions apparaissent.Priscillia Ludosky et
Éric Drouet signent leur divorce et annoncent qu'ils ne "travaillent" désormais "plus
ensemble". Un début de polémique naît aussi sur les violences et potentiels abus des
forces de l'ordre à l'encontre des manifestants. La mort à Marseille d'une octogénaire,
Zineb Redouane, touchée dans son appartement après avoir reçu des éclats d'une
grenade alors qu'elle fermait les volets fait office d'étincelle. Le feu s'embrase une
semaine plus tard, lors de l'acte 9 du 12 janvier. 
Flambée de violences de toute part
LBD. Ces trois lettres, désignant l'utilisation des lanceurs de balle de défense par les
forces de l'ordre, sont désormais indissociables du mouvement. Le 15 janvier 94
blessés graves sont recensés parmi les gilets jaunes et les journalistes, dont 69 par des
tirs de ces armes. Dans le lot, au moins quatorze victimes ont perdu un oeil, à l'image
de Jérôme Rodriguez, l'une des figures des gilets jaunes. Dans le courant du mois, le
Défenseur des droits, Jacques Toubon, demande la suspension des LBD. 
Des semaines plus tard, le 6 mars 2019, l'ONU demande à la France une "enquête
approfondie sur tous les cas rapportés d'usage excessif de la force". Le ministre de
l'Intérieur Christophe Castaner fait état de 174 enquêtes en cours auprès de l'IGPN
concernant l'usage de ces armes, assurant que "s'il y a eu des fautes, elles seront
sanctionnées". Un chiffre qui a grimpé depuis à 313 enquêtes judiciaires ouvertes en
France par la police des polices pour des violences présumées, selon les dernières
informations du ministère de l'Intérieur. Le parquet de Paris a lui-même confié 212
enquêtes à l'IGPN. 18 ont donné lieu à l'ouverture d'une information judiciaire et été
confiées à des juges d'instruction. 54 ont été classées sans suite, faute de preuves
suffisantes. 

Kiosque à journaux en flammes sur l'avenue des Champs-Élysées lors de la manifestation des
gilets jaunes le 16 mars à Paris.
afp.com/Geoffroy VAN DER HASSELT
Nous sommes le 16 mars lorsque l'acte 18 marque une nouvelle flambée de
violences. Encore une fois, les Champs-Élysées sont saccagés. Les images de vitrines
fracassées - surtout des banques - tournent en boucle sur les chaînes d'info et
l'agacement des commerçants s'exprime partout en France. C'est également ce jour-
là que le célèbre restaurant le Fouquet's est saccagé et pillé. Certains gilets jaunes de la
première heure regrettent la tournure des événements et remisent leur gilet. 
La semaine suivante, le 23 mars, lors de l'acte 19, autre incident marquant se déroule
à Nice. Geneviève Legay, une militante d'Attac âgée de 73 ans chute après une charge
policière qui vise à disperser une manifestation interdite place Garibaldi. Elle est
grièvement blessée à la tête. Sur des photos et vidéos de la sommation, on la voit qui
gît au sol dans une flaque de sang, tandis que les policiers poursuivent leur charge et
l'enjambent. Sa famille porte plainte deux jours plus tard pour "violence en réunion
avec arme par personne dépositaire de l'autorité publique contre personne
vulnérable". 
Repartira ? Repartira pas ?

Pour le gouvernement, il est temps de resserrer la vis. En première ligne, le Premier


ministre Édouard Philippe annonce toute une série de mesures en direct du journal
de 20 heures, sur France 2 : contraventions alourdies, interdictions de manifester dans
les quartiers les "plus touchés" en cas de présence d'"ultras", limogeage du préfet de
Paris Michel Delpuech, régulièrement mis en cause sur sa gestion de l'ordre public...  

Le 25 avril, c'est Emmanuel Macron qui prend la parole lors d'une intervention de
deux heures et demie au cours de laquelle il multiplie les annonces: baisse de l'impôt
sur le revenu, retraites de moins de 2000 euros réindexées sur l'inflation, etc. Le chef
de l'Etat défend ses réformes mais ne convainc pas. "Il n'a pas écouté ce qu'on a dit
dans la rue depuis cinq mois", tranche Maxime Nicolle, lui aussi un des porte-parole
des "GJ".  
Mais de samedi en samedi la mobilisation se fait plus faible. L'acte 28 signe un
nouveau record à la baisse avec 12 500 manifestants sur la journée, selon des chiffres du
ministère de l'Intérieur. Avec l'approche de l'été les cortèges deviennent plus
parsemés. Le mois d'août approche et les gilets jaunes espèrent un "septembre noir"
pour leur retour.  

Manifestation de gilets jaunes, le 22 septembre 2019 à Bordeaux, contre les violences


policières
afp.com/GEORGES GOBET
Nous sommes le 22 septembre quand le mouvement tente de rebondir en convergeant
avec la mobilisation écologiste et anti violences policières. Alors repartira ? Repartira
pas ?  

Le 1er novembre dernier, ils sont 600 à s'être réunis à Montpellier depuis toute la
France, dont 200 délégations de ronds-points représentés pour une assemblée sur
l'avenir du mouvement. Toujours vêtus de leur gilet fluo, les avis divergent: "monter à
Paris", "trouver quelque chose de marquant", "miser sur le travail plus long avec des
bases solides". Finalement, en un an, la question initiale reste la même. Sans trop de
réponses : "comment allons nous gagner du pouvoir d'achat rapidement ?" Pas sûr
qu'ils y voient plus clair après l'acte 53. 
Les origines économiques du
mouvement des « gilets jaunes »
Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut
Thomas More
Mars 2019 • Note d’actualité 56 •

Le « Grand débat » entame sa phase finale. L’exécutif n’en a pour autant pas fini
avec le mouvement des « gilets jaunes ». De toute évidence, il ne veut ou ne sait pas
le comprendre. C’est pourquoi il est utile de revenir sur les origines économiques du
mouvement. Cette note rappelle ce qu’il faut bien appeler l’échec économique
français de ces quarante dernières années et qui en sont les principales victimes.
Elle montre que l’État-Providence jamais réformé et le chômage de masse ont
appauvri les Français. Elle explique qu’une véritable secessio plebis est en cours
avec l’installation d’un clivage frontal entre bloc « élitaire » et bloc « populaire ».

Alors qu’approche la fin du « Grand débat » sans que le mouvement des « gilets
jaunes » ne soit complètement éteint, il nous faut chercher, au-delà des
commentaires et des analyses convenues des responsables politiques et de bien
des médias, à objectiver ce qui se joue d’un point de vue économique dans ce
phénomène. A cet égard, on subodore que ce mouvement ne se réduit pas à sa
seule actualité ou à une interprétation en noir et blanc.

Ce sont les tendances lourdes expliquant sa genèse qui nous intéressent ici : car le
« giletisme » interroge aussi dans sa dimension économique tant dans sa
survenance que dans ses revendications, qui ne sont pas aussi disparates que
d’aucuns l’ont prétendu. Mettre en exergue un fil conducteur économique de ces
évènements, prendre du champ à l’égard des commentaires trop lapidaires sur le
sujet, tel est l’objectif de cette note.

Car force est de constater, derrière le chaos apparent de ce conflit, que les
linéaments économiques d’un affrontement entre bloc « élitaire » et bloc
« populaire » se dessinent. Pour en prendre la pleine mesure, il convient de se poser
les questions des origines économiques du mouvement des « gilets Jaunes », du
contenu évolutif des revendications de ce mouvement et de l’émergence d’un
nouveau clivage politico-économique distinct de la ligne de fracture entre
« progressistes » et « conservateurs ».

Au fondement économique du mouvement des


« gilets jaunes »
La litanie des échecs économiques de la France au cours des vingt dernières
années ne devrait pas ici nous conduire à égrener toutes les contreperformances.
Mais il n’en demeure pas moins que certaines sont à garder à l’esprit pour
comprendre la genèse de la colère actuelle.

Les masses populaires atteintes par l’échec économique français

Les masses populaires qui ont rejoint spontanément le mouvement des « gilets
jaunes » sont d’abord les premières victimes de la désindustrialisation de notre pays.
Culminant à 22% du PIB dans les années 1980, notre part des activités industrielles
et manufacturières dans la richesse nationale s’est effondrée à 11%, alors que la
plupart des autres économies développées, malgré le développement foisonnant de
leurs services et de l’immatériel, ont gardé un tel ratio au-delà de 15%. Cette
désindustrialisation a décimé la classe ouvrière en France mais aussi la classe
moyenne de ce que Christophe Guilluy a appelé la « France périphérique » (1), en la
privant des meilleurs emplois traditionnels sans que l’appareil éducatif français ne
puisse rapidement reconvertir cette classe moyenne pour les besoins de l’industrie
de l’immatériel : une montée en gamme dans le domaine de l’informatique, de la
robotique et désormais de l’intelligence artificielle, entravée par l’absence de
solutions de formation et surtout de financement (capital risque, fonds de
pension, business angels).

Cette insuffisance de la formation brute de capital en France résulte directement d’un


niveau de fiscalisation élevée. Ainsi, nos prélèvements obligatoires, encore à
seulement 40% du PIB en 1981 (pour un système de santé et de protection sociale
qui fonctionnait mieux qu’aujourd’hui) ont crû jusqu’à 47% au cours des dernières
années. Dans le détail, en 2017, les cotisations sociales représentent 37% des
prélèvements obligatoires, soit 384,5 milliards d’euros, et les impôts 63%, soit 653,5
milliards d’euros. Six prélèvements ont représenté à eux seuls deux tiers de la
fiscalité globale recouvrée par l’État : la TVA (152,4 milliards d’euros), la CSG-CRDS
(106,9 milliards d’euros), l’impôt sur le revenu (73 milliards d’euros), l’impôt sur les
sociétés (35,7 milliards d’euros), la taxe foncière (34 milliards d’euros), et la taxe
intérieure de consommation sur les produits énergétiques (17,2 milliards d’euros).La
France présente aussi la particularité d’avoir un fardeau important d’impôts sur la
production, qui bride la création de richesses à divers niveaux.

Une dépense publique considérable

Ces prélèvements obligatoires sont cependant consistants avec une structure


déséquilibrée de nos dépenses publiques, dont le chiffre officiel (56,4% du PIB
contre 52% en 2007, contre une moyenne européenne vers 45%) se décompose
entre 58% de transferts sociaux, un tiers de dépense de fonctionnement (en
augmentation de 2,2%), 6% d’investissements et 3% de charges de la dette. Le
recours à la dette (proche de 100% du PIB) s’explique par le coût faible du capital
(taux d’intérêt historiquement bas depuis dix ans) alors que les recettes ne
parviennent plus à couvrir de manière adéquate les dépenses sociales. Ces
dernières représentent 58% des dépenses publiques (l’équivalent de 31% du PIB),
les dépenses de fonctionnement un tiers, le reste étant couvert par l’investissement
public et les charges de la dette.

384 milliards de cotisations ne suffisent pas à financer les 600 milliards de dépenses
sociales, d’où un recours croissant à l’impôt pour financer notre État-Providence. On
retrouve dans les chiffres le sentiment diffus d’un excès de charges pour les
entrepreneurs mais aussi de fiscalité ubuesque pour la population générale. Le
différentiel de dix points de PIB (soit 210 milliards d’euros) est un prélèvement net
sur la richesse des Français (afin de couvrir une partie de la protection sociale
assumée directement par les agents dans d’autres pays mais aussi les coûts de
fonctionnement de l’État et de ce système, moins efficients que dans les systèmes
libres), dont la société française a payé le prix en termes de croissance atone et de
chômage.

Le programme économique d’Emmanuel Macron a aggravé cette tendance

Le décor économique étant ainsi planté, il convient de rappeler le contexte


économique précis dans lequel émerge le mouvement des « gilets jaunes » en
octobre 2018. Les mois qui précèdent l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron – dès
l’été 2016 même si l’appareil statistique obsolète de l’INSEE ne permettra pas à
François Hollande de correctement jauger la situation sur le terrain – confirment la
reprise d’un cycle normal d’expansion, trop longtemps décalé dans le temps par les
scories de la crise de 2008 et sa seconde branche en 2011 en Europe. Même si le
pic de croissance s’avèrera en 2016-2018 plus bas que lors de la précédente phase
d’expansion (2006-2008) avec un chômage qui ne descendra pas en dessous de 9%
(contre 7,2% au mieux de l’expansion du cycle précédent), Emmanuel Macron arrive
à l’Elysée avec une année faste devant lui en termes de croissance (et le plein effet
du stimulus monétaire européen). Certains de ses conseillers, dans la fabrique de
son programme ou même lors des objectifs pluriannuels contenus dans son premier
budget (le budget 2018 déposé à l’automne 2017), prévoient 2% de croissance par
an durant tout le quinquennat. Cet objectif irréaliste alors que la phase d’expansion –
certes biaisée et atone avant 2016 – dure déjà depuis cinq ans, accrédite l’idée d’un
nouveau régime de croissance sous l’égide d’une nouvelle équipe réformatrice.

Pourtant, le programme économique de la nouvelle équipe reste timidement


réformateur. Malgré cette forte croissance attendue, il ne prévoit de baisser les
prélèvements obligatoires que de trois ou quatre points et la dépense publique de
trois points sur tout le quinquennat : les deux tiers de ces avancées dépendent de la
croissance du PIB elle-même…

Deux séries de réformes vont monopoliser les analyses à l’automne 2017 : en


premier lieu, la simplification de la fiscalité du capital avec la transformation de l’ISF
en IFI (coût : 3-4 milliards d’euros) et la flat tax (qui n’en est pas vraiment une) sur le
capital ou PFU (coût : 1,5 milliard d’euros). Ces réformes, financées par des
ajustements douloureux et parfois injustes sur la politique du logement ou les
collectivités locales, suscitent l’ire de nombreuses associations et des pouvoirs
publics locaux. L’autre série de réformes concerne la question de la CSG, impôt jugé
indolore qui est fortement et unilatéralement augmenté (impôt supporté aussi par les
non actifs) : c’est de cette réforme mal comprise que l’on peut dater la réémergence
de l’arlésienne du pouvoir d’achat dans le débat économique et social.

A la genèse de cette réforme pourtant, il n’y a aucun lien avec le pouvoir d’achat ou
le coût du travail. Emmanuel Macron a simplement l’intention de reprendre la main
sur l’assurance chômage et l’Unedic pour faire des économies et mieux contrôler les
chômeurs. Pour cela, l’État doit s’inviter de manière autoritaire dans la traditionnelle
gestion bipartite entre patronat et syndicats. Il le fait en modifiant les circuits de
financement, en passant partiellement seulement d’une logique de cotisations
(bismarckienne) à une logique d’impôts (beveridgienne) : cela se fait par le
remplacement d’une partie du financement (celle assise sur les cotisations
employeurs) par une augmentation de la CSG. Ce mécano fiscalo-social est aux
antipodes du programme lors de la primaire du nouveau ministre de l’Economie,
Bruno Le Maire… Dès juin 2017, l’ancien défenseur d’une baisse massive de la CSG
justifie cette hausse tantôt par la baisse du coût du travail, tantôt par la défense du
pouvoir d’achat en faisant apparaitre un gain net pour les employés une fois les deux
opérations mises en place.

Malheureusement, si la CSG est augmentée dès janvier 2018, les baisses de


cotisations quant à elles sont étalées sur l’année 2018, ponctionnant ainsi le pouvoir
d’achat des Français. Dès la mi-2018, si la nouvelle politique macroéconomique n’a
pas encore porté ses fruits (chômage quasi stagnant, croissance 2018 inférieure à la
moyenne européenne, aucune vraie réduction des prélèvements obligatoires à court
terme et une dépense publique en légère hausse), deux images vont être attachées
par les citoyens à ce nouveau pouvoir en conséquence de ces deux séries de
réformes : celle du « président des riches » et celle d’une politique qui réduit le
pouvoir d’achat des Français.

Le contenu évolutif des revendications des « gilets


jaunes »
Dès octobre 2017, nous analysions l’impact de ces mesures sur les classes
moyennes : en reprenant la définition du Pew Center, on peut catégoriser dans la
classe moyenne les Français gagnant à l’heure actuelle entre 1 700 euros et 3 900
euros par mois. La plupart d’entre eux s’avéraient perdants en termes de revenu net
disponible après ces réformes (2).

La lutte contre la fiscalité trop lourde est à la genèse du mouvement

Le mouvement des « gilets jaunes » prend racine dans le mécontentement qui


s’exprime dès le printemps 2018. Historiquement, les contestations sociales ne
naissent pas pendant les crises économiques ou les récessions mais quand la
situation s’améliore – or, fin 2017 ou début 2018, les médias ont trop rapidement et
trop prématurément annoncé le triomphe de la politique économique de la nouvelle
équipe, la confondant avec le pic mondial de croissance du cycle – alors que
certaines catégories ont le sentiment de ne pas profiter des prébendes de la
croissance : c’est alors qu’elles expriment des revendications, comme lors de l’affaire
de la « cagnotte fiscale » pour Lionel Jospin en 2000.

Cependant, trois nouveautés sont à mettre en exergue dans cette France de 2018
qui sera la matrice des « gilets jaunes ». Premièrement, au lieu de faire quelques
perdants comme toutes les réformes classiques, celles d’Emmanuel Macron coagule
les classes moyennes avec les retraités et fait in fine de plus de la moitié des
Français des perdants du « macronisme ». Comme il avait théorisé le rejet des
extrêmes au profit du « cercle de la raison », il n’hésite pas à multiplier les perdants
de sa politique économique, croyant leur coagulation sociale et politique
impossible… à tort. Deuxièmement, l’exécutif a commis une erreur en communiquant
très tôt sur ce thème piège du pouvoir d’achat. Ce dernier souffre d’un problème de
définition : sa mesure statistique par l’INSEE (qui est une direction générale du
ministère de l’Économie, il faut le rappeler) est sans cesse sujette à questions et
récriminations. Le traitement des biens technologiques tend à augmenter le pouvoir
d’achat de manière indue du fait de la « loi de Moore » (baisse rapide du prix des
composants) et le logement est exclu des coûts des ménages : les chiffres du
pouvoir d’achat publiés par l’INSEE sont donc très éloignés des dépenses courantes
des ménages et le triomphalisme de l’équipe gouvernementale sur ce sujet a sans
doute dressé les premiers manifestants contre lui. Troisièmement, le gouvernement
n’a déjà plus de marges de manœuvre fin 2018 car la croissance a ralenti fortement
au second semestre (la croissance devrait finir vers 1,5% mais avec un acquis de
croissance essentiellement engrangé au premier semestre). Cela rendra la réponse
aux « gilets jaunes » des plus ardues et son poids de dix milliards dangereux pour
les dépenses publiques, là ou un an auparavant l’ajustement aurait été plus aisé.

Le prix du carburant cristallise le mécontentement

En parallèle de ces mécanos sociaux fiscaux, le gouvernement avait lancé dès la fin
2017 une fiscalité punitive contre les pollueurs afin de financer la transition
énergétique avec, entre autres, une hausse de la taxe sur les carburants. En 1996,
l’économiste Alain Cotta écrivait dans le magazine L’Histoire : « il est vraisemblable
que la pression fiscale sur l’automobile ne fléchira pas. Nous sommes là dans un
scénario comparable à celui de la gabelle sous l’Ancien Régime ». Il faisait allusion à
un impôt, la gabelle, qui suscitera de véritables révoltes comme celle de 1548 : de
même la taxation du sucre et de la farine, ou celle du thé, joueront un rôle non
négligeable dans les débuts des révolutions françaises ou américaines. Le
dénominateur commun de toutes ces taxes est leur assiette large et donc intégrant
les masses populaires et pauvres (car les biens de première nécessité représentent
une part plus importante du budget des ménages les plus pauvres). La hausse du
prix du carburant affecte moins les habitants des métropoles utilisant les transports
publics que ceux de territoires non métropolisées, dont tous les déplacements
dépendent de leur voiture.

On retrouve ainsi la première vraie illustration des affres des habitants de la « France
périphérique » de Christophe Guilluy ou des gens de somewhere contre ceux
d’anywhere dans la typologie de Goodhart (3). Quels sont les choix offerts par les
pouvoirs publics à ces populations de la France périphérique en termes de transition
de modèle énergétique (des batteries sur tout le territoire comme en Scandinavie) ou
d’infrastructures (les lignes de trains sont d’abord fermées dans cette même
« France périphérique ») ? La voiture va cristalliser l’ire de catégories populaires qui
ne vivent pas dans la France des métropoles, qui n’ont jamais été sensibles au
changement « macroniste » et n’ont pas massivement voté pour lui et qui se
recrutent politiquement à gauche, à droite, et beaucoup dans l’abstention. Emmanuel
Macron a d’abord assumé la hausse des taxes au nom d’une politique écologique
avant de demander aux régions, financièrement exsangues, d’aider les foyers
modestes avec un « chèque carburant » pour ensuite réunir les distributeurs et leur
demander de mieux répercuter les baisses de prix du baril à la pompe, ce que l’État
refuse de faire.
Une jacquerie fiscale et un soulèvement girondin

Priscillia Ludosky, auto-entrepreneuse de 32 ans, lance dès le mois de mai 2018 une
pétition contre la hausse du prix du carburant. La pétition reste longtemps
confidentielle jusqu’à ce qu’un routier de 33 ans, Eric Drouet, la contacte alors qu’il
prépare un rassemblement contre la hausse du prix de l’essence. Les deux initiatives
se conjuguent pour donner naissance à l’Acte 1 des « gilets jaunes » le 17
novembre. C’est donc une montée en puissance graduelle de six mois, sur fonds
d’erreurs de politique économique du gouvernement, qui culmine en ce mouvement
inédit.

Deux types de revendications économiques vont émerger au sein de ces différents


actes de rassemblement et dans la myriade de groupes Facebook et déclarations
officielles de représentants plus ou moins choisis (4). Les premières demandes, dans
la foulée de ces six mois de pré-mobilisation, concernent la remise en cause de la
hausse de la fiscalité environnementale et de la taxe sur les carburants.
Spontanément s’agrège à cette révolte fiscale un mouvement plus général contre les
impôts, les charges et les normes. Nombre de libéraux voient alors le mouvement
comme une jacquerie fiscale ou un soulèvement libéral et girondin, qui exprime son
ressentiment contre une France jacobine, centralisatrice, incarnée par les énarques
parisiens au pouvoir. Les premiers Actes des « gilets jaunes » sont clairement anti-
élites, ancrées dans les territoires et expriment plus généralement un rejet des
normes et de l’État envahissant et tatillon. Comme en 1789 (si ce parallèle nous est
permis), la demande générale est celle de plus de liberté. Les petits patrons,
notamment du secteur routier, les autoentrepreneurs, les retraités mécontents de
cette hausse de la CSG, constituent les piliers du mouvement.

La détresse sociale magnifie et diversifie les


revendications
Cependant, cette révolte révèle aussi la détresse financière et sociale des premiers
manifestants tout comme de ceux qui vont bientôt les rejoindre : les doléances
s’étendent rapidement au simple constat des difficultés du quotidien, dont la fiscalité
et les normes (en ponctionnant de la richesse brute sur les ménages) ne sont qu’un
aspect – l’autre aspect étant la modestie des salaires des pensions, des transferts
sociaux, etc. Ainsi, le double mouvement de révolte contre l’État et le jacobinisme et
de doléance pour plus de protection et d’aides, est caractéristique du mouvement
dès la fin-novembre. Il brouille d’ailleurs son expression publique.

État-Providence et chômage de masse appauvrissent les Français

Les adversaires du mouvement ont beau jeu de montrer l’apparente incohérence


entre des revendications libérales (de « droite » pour simplifier) et des demandes
pour une plus grande justice sociale (de « gauche ») : ce discours caricatural sera
entendu dans les médias. En réalité, du point de vue macroéconomique, les deux
sont intrinsèquement liés. Comme on l’a exposé plus haut en évoquant l’échec
économique français, le maintien (et l’absence de réforme) de l’État-Providence a
exigé une ponction importante et toujours croissante sur la richesse des ménages et
des entreprises. Le chômage de masse en est la première conséquence.
En France, à l’inverse du Royaume-Uni, du Canada ou des États-Unis, un taux de
chômage élevé depuis trois décennies a constitué une armée de réserve (pour
reprendre un terme marxiste) de chômeurs : dès que la croissance économique
reprend, comme en 2016, il ne peut y avoir d’augmentation du salaire des moins
qualifiés (donc, de leur pouvoir d’achat) puisque les entreprises ont la possibilité,
plutôt que de céder à des revendications salariales, de faire appel aux nouveaux
entrants issus des rangs des chômeurs. A titre d’exemple, aux États-Unis, si la
reprise est avérée dès 2011, il faudra que le chômage descende à 5% avant de voir
la moindre tension sur les salaires… Les « gilets jaunes » qui manifestent contre la
fiscalité et déplorent la baisse du pouvoir d’achat ne sont donc pas incohérents.
Inévitablement, du fait d’une certaine tradition politique française (et de l’image
donnée par le gouvernement), les demandes classiques de gauche (ISF, hausse du
SMIC et des salaires) refont surface et s’agrègent aux deux mots d’ordre sur la
fiscalité et le pouvoir d’achat.

Un gouvernement en perpétuel décalage avec les revendications

Le gouvernement lui-même, dans sa réponse à la crise, va osciller entre ces deux


tendances des revendications. Initialement mais trop tardivement, il réagit en
décrétant un moratoire sur la hausse de la fiscalité énergétique, puis son annulation.
Mais quand il acte définitivement cette annulation, il est déjà loin derrière les « gilets
jaunes » qui ont étendu la liste des revendications à la question du pouvoir d’achat.
Encore une fois très tardivement, Emmanuel Macron finit par reconnaitre le problème
et laisse filer les dépenses publiques en promettant un paquet de mesures de dix
milliards : hausse indirecte du SMIC via la prime d’activité, remise en cause de
certaines hausses de CSG, défiscalisation et désocialisation (partielle, la CSG reste
due) des heures supplémentaires, prime exceptionnelle facilitée. Ce faisant, il tente
de répondre aux manifestants tout en reprenant une mesure sarkozyste et une autre
de Xavier Bertrand afin de maintenir son oxymore politique du « et de gauche et de
droite » dans le champ de la politique économique.

L’accueil mitigé réservé aux mesures s’expliquent de deux manières. Premièrement,


dans le détail elles ne sont que marginales ou exceptionnelles et ne compensent pas
l’absence de hausse des salaires en France. Deuxièmement, ce mouvement,
toujours évolutif et mouvant, accorde désormais la priorité aux revendications ayant
trait à la démocratie participative et citoyenne comme le Referendum d’Initiative
Citoyenne. Les « gilets jaunes » sortent clairement du champ économique et
social stricto sensu dès la mi-décembre 2018. L’exécutif ne le voit pas, ou ne veut
pas le voir.

Vers une redéfinition des clivages politico-


économiques ?
On constate aussi dans les rangs des « gilets jaunes » la traduction directe des
travaux de Guilluy ou Goodhart sur les oubliés de la mondialisation : il revient à
l’économiste Dany Rodrik d’avoir développé le premier l’idée que le processus de
mondialisation avait érodé la souveraineté des États-nations, les soumettant à des
considérations économiques et financières parfois à l’encontre des desiderata de la
majorité de la population. Rodrik définit le trilemme politique de l’économie.
Souveraineté nationale, démocratie et mondialisation ne peuvent coexister (on aurait
pu accoler à mondialisation la construction européenne) : l’un doit céder (5). Sans
préjuger de la validité de ce trilemme, il est à l’esprit des manifestants en jaune et
explique que derrière l’incohérence apparente des revendications, le « corpus » de
politique économique issue des « gilets jaunes » est déchiffrable.

Une secessio plebis du vingt-et-unième siècle

Il l’est d’autant plus qu’il propose une grille de lecture plus efficace que le poncif
habituel sur l’opposition ouvert/fermé, progressistes/conservateurs, proposé ces
dernières années et mis en avant par les médias et Emmanuel Macron lui-même, et
qui ne correspond à rien de lisible en matière de politique économique. Le
mouvement des « gilets jaunes » demande fondamentalement une meilleure création
de richesses (moins de fiscalité et de normes, plus de pouvoir d’achat laissé aux
ménages) dans un contexte d’équité où les règles du jeu sont claires : pas de
distorsion en faveur des plus riches, pas de concurrence inacceptable ou de pression
venant de l’étranger. Il combine donc fondamentalement libéralisme économique et
normatif (on le qualifiera de mouvement girondin libéral) et demande de protection
économique (souveraineté nationale, protection des industries, refus des excès de la
mondialisation et de l’imposition de normes venant d’entités internationales).

On retrouve ainsi dans les revendications des « gilets jaunes » des éléments du
trumpisme économique et de certains des nouveaux mouvements dits « populistes »
qui essaiment à travers le monde. On retiendra ici la définition du populisme la plus
intelligente qui a été donnée par Vincent Coussedière : le populisme, c’est la
situation dans laquelle se trouve le peuple à un instant T quand il considère que ses
élites ne le représentent plus (6). Le développement du multilatéralisme, la dernière
vague de la mondialisation (qui, comme l’a montré Fernand Braudel, est en elle-
même un phénomène naturel et inéluctable mais dont certains aspects récents, en
termes de traités internationaux, sont contestables), l’hyper-financiarisation de nos
économies, leur désindustrialisation, sont autant de changements non acceptés par
les masses populaires. Elles s’en départissent en se méfiant de la démocratie
représentative, en une secessio plebis du vingt-et-unième siècle.

Des lors, il y a continuité entre la lutte contre la fiscalité excessive, les revendications
sur le pouvoir d’achat et la demande de référendum d’initiative citoyenne. C’est la
méthode d’action qui doit changer si l’on veut préserver justement le fondement de
nos démocraties libérales capitalistes. Faire fi du capitalisme de connivence, de
l’hyper-financiarisation, des excès de la mondialisation, car les laissés-pour-compte
de ces phénomènes sont trop nombreux : surtout quand les élites françaises ont été
incapables de guider les masses populaires à travers ces transformations.

Un clivage économique entre bloc « élitaire » et bloc « populaire »

L’exécutif semble s’arc-bouter sur le mythe technocratique de l’élite éclairée capable


de guider les masses populaires à marche forcée à travers la mondialisation et la
modernité. Pourtant, ce logiciel semble dépassé : ce demandent les peuples à
travers le monde, c’est bien de reprendre en main le processus de démocratie
représentative, de régénérer une élite capable de prendre en compte les
revendications populaires et le sens du Bien commun. Il serait incongru de faire une
interprétation marxiste au niveau économique de cet affrontement entre le pouvoir
politique et les « gilets jaunes ». La collision se fait plutôt entre un bloc « élitaire »,
imposant de manière technocratique une adaptation aux exigences perçues comme
telles de la mondialisation et de la construction européenne, et un bloc « populaire »,
qui n’est pas anticapitaliste en tant que tel, mais qui veut redéfinir les règles du jeu
du capitalisme entrepreneurial et le rôle de l’État.

« Utopie démesurée », diront certains : « nous ne sommes pas seuls au monde


après tout et la France ne va pas redéfinir à elle seule les règles de la mondialisation
et de la construction européenne, sauf à en sortir et à mourir »… A ceux-là, il faut
répondre que le monde change en effet et que Trump, Bolsonaro, Salvini, le
Royaume Uni du Brexit, l’Europe de l’Est, l’Autriche, sont plus proches de ce
programme de politique économique (protectionnisme économique,
réindustrialisation volontariste, création de richesses, réduction du périmètre de
l’État, baisse des impôts, réduction des normes) que de celui d’Emmanuel Macron.
Pour passionnant que soit le phénomène des « gilets jaunes » pour l’économiste, il
constate qu’il s’inscrit dans ce vaste mouvement de résurgence des peuples dans
l’équation économique…
A Paris, manifestation de "gilets jaunes" malgré le
coronavirus
Plusieurs centaines de "gilets jaunes" défilaient samedi à Paris pour leur acte 70,
malgré les recommandations du gouvernement qui a proscrit les rassemblements de
plus de 100 personnes et appelle à reporter les manifestations pour freiner la
propagation du coronavirus.

En fin de matinée, les forces de l'ordre avaient procédé à 17 interpellations et sont


intervenues après des heurts vers le boulevard Arago dans le sud de la capitale, a
tweeté la préfecture de police de Paris.

Vendredi, deux figures du mouvement, Jérôme Rodrigues et Maxime Nicolle, avaient


pourtant appelé à "la responsabilité" face à la crise sanitaire et invité à renoncer à
cette manifestation, qui a été déclarée en préfecture.

Le gouvernement a, lui, décidé de ne pas interdire les manifestations mais invite à les
"reporter" systématiquement, avait précisé vendredi le ministre de l'Intérieur
Christophe Castaner.

Comme chaque week-end, la préfecture de police a pris un arrêté interdisant aux


personnes se revendiquant des "gilets jaunes" de manifester dans un périmètre
comprenant les institutions, mais aussi notamment les Champs-Elysées et le quartier
des grands magasins.

Le Premier ministre Edouard Philippe a annoncé vendredi que le gouvernement


abaissait à 100 personnes la taille autorisée des rassemblements en France, au lieu de
1.000 précédemment, pour "freiner" la progression du coronavirus.
France : mobilisation en baisse contre la loi
"sécurité globale"
Par euronews avec AFP  •  Mise à jour: 30/01/2021

En France, de nouvelles manifestations ont eu lieu pour


dénoncer la proposition de loi "Sécurité globale"
combattue depuis novembre par les défenseurs des libertés
publiques et les syndicats de journalistes
Les manifestations de ce samedi contre la loi "sécurité globale" n'ont pas fait le plein. Si des
rassemblements se sont tenus dans de nombreuses villes, la mobilisation s'est essoufflée.
Selon le ministère de l'intérieur, quelques 32 000 personnes ont battu le pavé au total, bien
moins que lors des précédentes mobilisations.

"Je pense que c'est une loi liberticide. Je ne vais pas faire de longs commentaires, c'est
liberticide", dit ce manifestant. "L'important c'est d'acter notre présence. On ne sera peut-être
pas très nombreux mais il y a quand même une manifestation le 4 février".
C'est une loi liberticide. Même si on n'est pas beaucoup, il faut montrer
qu'on est là
Frédéric 
Manifestant, membre du parti communiste
"On a bon espoir, parce que si on perd l'espoir on perdra sûrement beaucoup de libertés",
estime Christophe Denizot, secrétaire général du syndicat SUD Solidaires des routiers.

A Paris, les manifestants étaient environ 5 000. Quelques heurts ont éclaté en fin de journée.

Le gouvernement défend un texte destiné à protéger les policiers victimes d'appels à la haine
et au meurtre sur les réseaux sociaux. Mais pour ses détracteurs, la loi va empêcher de filmer
les forces de l'ordre en intervention et de documenter les violences policières. Dans le viseur
notamment figure l'article 24 pénalisant la diffusion "malveillante" d'images de membres des
forces de l'ordre.
"mobilisation jusqu'en mars"

Le collectif "#StopLoiSécuritéGlobale" a été lancé par des syndicats de journalistes et la


Ligue des droits de l'Homme. Il cible également les articles 21 et 22 de la proposition de loi,
sur l'usage des caméras-piétons et des drones par les forces de l'ordre.

Il s'oppose aussi au "nouveau schéma national du maintien de l'ordre" (SNMO), régulièrement


invoqué par les forces de l'ordre pour limiter la couverture médiatique des manifestations.
"C'est un tout, c'est une volonté de contrôler les images", a affirmé Vincent Lanier, secrétaire
général du Syndicat national des journalistes (SNJ). "On est sur un maintien de la
mobilisation jusqu'en mars au moment du passage du texte devant le Sénat", a-t-il ajouté.
Loi « sécurité globale » : Amnesty dénonce
des « détentions arbitraires » lors d’une
manifestation
L’ONG relève que parmi les 142 personnes interpellées lors de la mobilisation
parisienne du 12 décembre 2020, « près de 80 % n’ont finalement fait l’objet
d’aucune poursuite ». 

Le Monde avec AFP

Publié le 08 février 2021 à 01h44 - Mis à jour le 08 février 2021 à 08h53 

CHARLES PLATIAU / REUTERS

Infractions « vagues », « charges  » sans sommation et « atteinte aux droits » : dans une


étude publiée lundi 8 février portant sur 35 interpellations sans poursuite, Amnesty
International dénonce des « détentions arbitraires » lors de la manifestation parisienne du
12 décembre 2020 contre la loi dite «  sécurité globale  ».

Ce jour-là, parmi les 142 personnes interpellées – dont 124 gardes à vue –, « près de 80 %
n’ont finalement fait l’objet d’aucune poursuite », note Amnesty International France en
préambule de son rapport consulté par l’Agence France-Presse (AFP). Cela soulève « des
inquiétudes légitimes sur les risques qu’il y ait eu des arrestations arbitraires et d’autres
violations des droits humains », estime l’ONG, membre de la coordination d’associations et
de syndicats mobilisés contre la loi « sécurité globale ».

Cette proportion est comparable à celle de la période « gilets jaunes », révélée le 25 novembre
par le procureur de la République de Paris, Rémy Heitz : de la fin de 2018 à la fin de 2019,
seuls 27 % des personnes placées en garde à vue avaient été poursuivies en justice.

Le décalage entre le nombre d’interpellations et les poursuites effectivement engagées fait


régulièrement l’objet de critiques de la part des défenseurs des libertés publiques comme des
policiers, mais pour des raisons opposées. «  La judiciarisation des manifestations n’est pas
nouvelle  », concède auprès de l’AFP Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer libertés
pour Amnesty International France et autrice du rapport. Mais le 12 décembre, « il n’y a pas
eu de violences notables de la part des manifestants, de dégradations. Rien ne semble justifier
ce qui s’est passé en termes d’arrestations ou de charges », insiste-t-elle.

« Charges » sans « sommation audible »


Entretiens, certificats médicaux, pièces judiciaires…, Amnesty s’est penché sur le cas de
35 personnes interpellées sans poursuite, « dont 33 gardes à vue et deux privations de liberté
de près de cinq heures ».

La manifestation s’était élancée ce jour-là de Châtelet pour rejoindre la place de la


République, et avait été encadrée sur les côtés et à l’avant par de nombreux policiers et
gendarmes, formant une sorte de « nasse mobile » de laquelle il n’était pas possible de sortir,
avaient constaté des journalistes de l’AFP.

A partir de témoignages et de vidéos, Amnesty souligne que les interpellations ont eu lieu à
l’occasion de «  charges » qui n’ont pas été précédées de « sommation audible » et
sans «  désordres significatifs » dans le cortège.

« J’ai été surpris par la stratégie de maintien de l’ordre : à chaque intersection, les forces de
l’ordre chargeaient sans motif ni sommation sur des manifestants non violents », témoigne à
l’AFP Alexis Baudelin, avocat, interpellé sans être placé en garde à vue.

Tout au long du parcours, les forces de l’ordre avaient en effet multiplié les « bonds
offensifs » pour interpeller et, selon la préfecture de police, « empêcher la constitution d’un
groupe de black blocs violents », après deux week-ends successifs de violences à Paris.

« Délit-obstacle »
Le rapport relève aussi des « détentions sur la base de lois vagues », notamment celle
sanctionnant la « participation à un groupement en vue de la préparation de violences »,
reprochée dans vingt-cinq des cas étudiés. Or, dans l’étude d’Amnesty, seuls deux personnes
sur 35 ont été interpellées en possession d’objets (lunettes de plongée, gants et casque de
moto) pouvant justifier un soupçon de participation à un groupement violent.

« C’est un délit fourre-tout, qu’on appelle en droit un “délit-obstacle”. On sanctionne un fait


avant qu’il ne se produise  », explique Mme Simpere. Cette disposition « manque de
précision  » et « contribue à ce que les autorités l’utilisent d’une façon qui porte indûment
atteinte aux droits humains », écrit Amnesty.

« Ils m’ont dit qu’il faisait partie d’une bande malveillante. C’était
incompréhensible. (…) Mon fils est militant, mais il n’est en aucun cas quelqu’un de
violent  », témoigne à l’AFP Lara Bellini, dont le fils de 16 ans a passé vingt heures en garde à
vue avant d’être libéré sans poursuite.

Enfin, au moins cinq cas étudiés par l’ONG ont vu leur rappel à la loi assorti d’une
interdiction de paraître à Paris pour une durée pouvant aller jusqu’à six mois, une mesure
rendue possible depuis une loi de mars 2019. Cette restriction au droit de circuler est « une
peine sans jugement » qui pose « d’autant plus de problèmes (…)  que les personnes visées
ne peuvent pas faire appel », dénonce Amnesty, appelant le Parlement à abroger cette
disposition du code de procédure pénale.
Ce que contient le projet de loi «Sécurité
globale»
Le projet de loi a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale. Si son article 24
sur les images des policiers cristallise les oppositions, la loi contient de nombreuses autres
mesures.

Par Stanislas Poyet
Publié le 30/11/2020 à 16:17, mis à jour le 30/11/2020 à 17:17
Fout! Bestandsnaam niet opgegeven.L'article 24 est au cœur des oppositions.  ALAIN JOCARD / AFP
L'Assemblée nationale a adopté en première lecture le projet de loi «Sécurité globale» mardi
24 novembre. 388 voix pour, 104 contre. Cette loi déchaîne les oppositions jusque dans la
majorité. Samedi 28 novembre, partout en France, plus de 130.000 personnes se sont
rassemblées pour s'opposer à ce projet de loi.
La loi «Sécurité globale» entend mieux articuler l'action des acteurs de la sécurité, dans une
perspective «globale». Elle renforce donc les prérogatives de la police nationale, des agents de
sécurité privée qui collaborent avec l'État ou encore les agents de la SNCF ou de la RATP.

La plupart des oppositions se cristallisent sur l'article 24, qui entend lutter contre la diffusion
d'images de la police à des fins de menace ou de harcèlement. Seulement, le projet de loin
comporte d'autres mesures susceptibles de transformer le visage de la police et de la sécurité
en France. Voici les principaux articles de cette loi.

 L'article 24 et la diffusion d'images de policiers


Il est l'article le plus controversé du texte. Il entend modifier la loi sur la liberté de la presse de
1881, en ajoutant un article au paragraphe 3 du chapitre IV.

«Est puni d'un an d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende le fait de


diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, dans le but
qu'il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l'image du visage ou
tout autre élément d'identification d'un agent de la police nationale ou de la
gendarmerie nationale autre que son numéro d'identification individuel lorsqu'il
agit dans le cadre d'une opération de police», est-il écrit.
Cette mesure répond à une demande ancienne des syndicats de police qui alertent sur les
menaces à l'encontre de policiers en raison de leur profession. Seulement, s'il revient aux
juges de décider si les images diffusées portent ou non «atteinte à [l']intégrité physique ou
psychique» du fonctionnaire, l'arrestation et la possible garde à vue qui en découlera resteront
à l'appréciation des forces de l'ordre elles-mêmes.

Face aux protestations de la presse qui y voit une atteinte à la liberté d'expression, l'expression
«sans préjudice du droit d'informer», a été ajoutée. Mais devant la persistance des critiques, le
premier ministre Jean Castex a annoncé mardi 24 novembre qu'il saisirait lui-même
le Conseil constitutionnel sur cet article . Deux jours plus tard, le jeudi 26 novembre, le
premier ministre annonce l'installation d'une commission indépendante visant à réécrire cet
article polémique. Mais lundi 30, son avenir en tant que tel était incertain, le patron
des députés LREM Christophe Castaner annonçant sa réécriture.
 Article 1 à 6 : plus de pouvoir à la police municipale
Les articles 1 à 6 de la loi concernent l'extension des prérogatives attribuées à la police
municipale. Pour une durée de trois ans et à titre expérimental, la police municipale (quand
elle est composée de plus de vingt agents et un directeur ou un chef de service) pourra ainsi
être dotée de pouvoir de police judiciaire ou de maintien de l'ordre.

La police municipale pourrait ainsi intervenir pour des délits comme l'ivresse sur la voie
publique, la vente à la sauvette, la conduite sans permis, les squats de halls d'immeubles, les
tags ou encore l'occupation illégale d'un terrain communal. Elle pourrait encore être déployée
pour encadrer des manifestations sportive ou culturelle.

L'armement de la police municipale n'est en revanche pas prévu par ce texte de loi, bien que
cette mesure figure dans le rapport sur lequel elle se fonde.

La Commission nationale consultative des droits de l'homme a émis des


réserves quant à ce « transfert de compétences de police judiciaire aux agents de
police municipale». Elle souligne que la police municipale est placée sous l'autorité du
maire, quand la police nationale «agit sous la direction, le contrôle et la surveillance
de l'autorité judiciaire».
 Article 20, 21, 22 : drones, caméras-piéton et vidéo-surveillance
L'article 20 prévoit un élargissement de l'accès aux images des caméras de
vidéosurveillance. Les agents de la police municipale, ceux de la ville de Paris chargés d'un
service de police, les contrôleurs de la préfecture de police, ou encore des agents de la RATP
et de la SNCF.
Les agents de la police municipale pourront désormais visionner les images filmées aux
abords des commerces ou dans les halls d'immeubles. De même, les agents de la RATP ou de
la SNCF pourront avoir accès à ces images, mais uniquement «lorsqu'ils sont affectés au
sein de salles d'information et de commandement relevant de l'État et sous le
contrôle des agents de la police nationale ou des militaires de la gendarmerie
nationale».
L'article 21 précise que les images des caméras piéton - dont l'utilisation doit être
généralisée en 2021 - pourront en outre être visionnées en direct depuis le poste de
commandement de la police, pour deux raisons. D'abord, « lorsque la sécurité des agents
de la police nationale ou des militaires de la gendarmerie nationale ou la sécurité
des biens et des personnes est menacée». Ensuite, «dans le cadre d'une procédure
judiciaire ou d'une intervention».
L'article 22 entend encadrer l'usage de drone afin d'en élargir son utilisation. Jusqu'à
maintenant, l'emploi de drones, n'était sujet à aucun cadre juridique.

La loi prévoit neuf domaines d'application :

1. la sécurisation de rassemblements de personnes lorsque les circonstances


font craindre des troubles graves à l'ordre public.
2. La prévention d'actes de terrorisme.
3. Le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte de
preuves.
4. La protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords.
5. La sauvegarde des installations utiles à la défense nationale.
6. La régulation des flux de transport.
7. La surveillance des littoraux et des zones frontalières.
8. Le secours aux personnes.
9. La formation et la pédagogie des agents
Le texte de loi prévoit que «le public [doit être] informé par tout moyen approprié de la
mise en œuvre de dispositifs aéroportés de captation d'images et de l'autorité
responsable».
 Article 23 : fin de la réduction des peines pour leurs auteurs de violences
contre la police, les militaires, les pompiers, les élus
L'article 23 retire la possibilité de réduction de peine automatique que prévoit la loi aux
personnes coupable de «préjudice d'une personne investie d'un mandat électif public, d'un
militaire de la gendarmerie nationale, d'un fonctionnaire de la police nationale ou d'un
sapeur-pompier professionnel ou volontaire».

Il s'agit bien de la réduction de peine automatique, prévue par l'article 721 du code de
procédure pénale. Cet article prévoit une réduction automatique de peine en fonction de la
durée de condamnation prononcée. Les réductions de peine pour bonne conduite restent donc
possibles.

En cas de mauvaise conduite, ces réductions automatiques de peine peuvent être réduites.

 Article 25 : l'autorisation de porter son arme de service dans des


établissement recevant du public
L'article 25 entend autoriser les agents de police à se rendre armé dans des établissements
recevant du public. Jusqu'à aujourd'hui, les agents de police sont autorisés à porter leur arme
de fonction en dehors de leur service, mais pas dans l'enceinte d'un établissement recevant du
public.

Cette position a été vigoureusement défendue par l'ancien patron du Raid aujourd'hui député
LREM Jean-Michel Fauvergue, qui a rappelé lors des débats à l'Assemblée nationale que le
soir de l'attentat du Bataclan, trois policiers étaient présents dans la salle. Reste que cet article
de loi fait craindre des dérapages. «Avec une arme qu'on échappe dans une boîte de
nuit, on peut créer la panique», a ainsi argumenté le député LREM Sacha Houlié.
A-t-on le droit de filmer et de diffuser des images des forces
de l'ordre pendant une manifestation ?
Ces derniers mois, les vidéos d'interventions
policières pendant des manifestations se multiplient sur les
réseaux sociaux, pour dénoncer des violences.
Article rédigé par 

franceinfo
France Télévisions
Publié le 16/01/2020 15:26Mis à jour le 16/01/2020 15:26

Coups de matraque, croche-pied, tir de LBD à bout portant… Ces dernières années
et surtout ces derniers mois, les vidéos d'interventions des forces de l'ordre pendant
des manifestations se multiplient sur les réseaux sociaux, donnant parfois matière à
l'ouverture d'enquête. Elles sont notamment relayées par le journaliste David
Dufresne depuis le début du mouvement des "gilets jaunes", pour dénoncer les
violences policières. Certains collectifs militants encouragent même leurs membres
à enregistrer le plus possible les interventions des forces de l'ordre,
remarque L'Obs. Est-il légal de filmer la police ? Franceinfo répond à trois
questions.

A-t-on le droit de filmer les forces de l'ordre ?


Oui. "Un policier ne peut pas s'opposer à être filmé sur la voie publique", écrit sur
son blog l'avocat au barreau de Paris Thierry Vallat. Une circulaire (document en
PDF) du ministère de l'Intérieur datant du 23 décembre 2008 justifie : "Soumis à
des règles de déontologie strictes, un fonctionnaire de police doit s'y conformer
dans chacune de ses missions et ne doit pas craindre l'enregistrement d'images ou
de sons." En mission, un membre des forces de l'ordre – policier comme gendarme
– ne peut donc pas s'opposer à l'enregistrement, "qu'elle soit le fait d'un journaliste
ou d'un simple particulier". Il lui est également interdit "d'interpeller pour cette
raison la personne effectuant l'enregistrement, de lui retirer son matériel ou de
détruire l'enregistrement on son support", précise la circulaire. Le syndicat Unsa
rappelle au Dauphiné : "Il n'y a confiscation que s'il y a interpellation, et il n'y a
interpellation que s'il y a délit."

Seules certaines circonstances particulières empêchent l'enregistrement d'une


intervention. La circulaire de 2008 cite deux cas de figure : une limite "pour la
préservation des traces et indices et pour le respect du secret de l'enquête et de
l'instruction, ce qui permet le maintien des individus hors de vue d'une scène
d'infraction ou de reconstitution d'infraction" et "pour des raisons de sécurité,
dans le cas du maintien d'individus à distance d'une action présentant des risques
pour les personnes se trouvant à proximité".
A-t-on le droit de diffuser ces images ? 
Là encore, c'est oui. Les policiers ne bénéficient pas d'une protection particulière en
matière de droit à l'image. Il existe des exceptions. Les membres des "services
d'intervention, de lutte anti-terroriste et de contre-espionnage" ne peuvent pas être
reconnaissables. L'avocat Thierry Vallat précise : il s'agit des fonctionnaires
du "Raid, [de] la brigade anticommando" (BRI-BAC), des "groupes d'intervention
de la police nationale (GIPN) et ceux de la lutte contre le terrorisme (DGSI, SAT,
SDAT)".
Les images diffusées ne peuvent également pas montrer des"victimes blessées" et
des personnes menottées ou entravées "mises en cause à l'occasion d'une
procédure pénale, mais n'ayant pas fait l'objet d'un jugement de condamnation".

La loi pourrait-elle changer ?


C'était la volonté du sénateur Les Républicains de l'Hérault. En décembre dernier,
Jean-Pierre Grand a proposé trois amendements à la proposition de loi sur la lutte
contre la haine sur internet, qui sera présentée à l'Assemblée le 20 janvier, après
avoir été votée par le Sénat mi-décembre. L'un modifiait l'article 226-1 du code
pénal relatif à l'atteinte à la vie privée en y insérant l'interdiction de filmer les
forces de l'ordre dans les lieux publics, rendant ce type de délit punissable d'un an
de prison et de 45 000 euros d'amende. Un autre amendement proposait de punir de
15 000 euros d'amende toute diffusion d'images de policiers, militaires et
douaniers "lorsqu'elle est réalisée sans l'accord de l'intéressé". Enfin, le dernier
amendement consistait à interdire de révéler l'identité des agents pour tous les corps
des forces de l'ordre.
Ces propositions ont déclenché de vifs débats autour de la liberté de la presse. Elles
ont finalement été jugées irrecevables par le Sénat. Jean-Pierre Grand compte
toutefois présenter à nouveau ces amendements, nécessaires selon lui pour
la "sécurité des forces de l'ordre", dans le cadre de l'élaboration d'un autre texte,
selon France 3 Occitanie.
"Le plus important n'est pas de filmer, mais de diffuser" : comment les vidéastes
ont réussi à documenter les violences policières
Article rédigé par 

Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié le 10/02/2020 07:06Mis à jour le 10/02/2020 17:14

Ils sont de plus en plus nombreux et souvent au plus près des


forces de l'ordre. Qu'ils soient amateurs ou professionnels, ils
n'hésitent pas à plonger au cœur des manifestations, au risque,
souvent, d'être blessés.
"J'entends le 'plop' du tir de Flash-Ball et je vois un homme qui s'écroule.
J'enclenche la vidéo sur mon appareil photo." L'image est gravée dans la mémoire
de Pedro Brito Da Fonseca. Le 8 décembre 2018, ce journaliste de l'agence
audiovisuelle Premières lignes, habitué à couvrir des conflits, de la révolution
tunisienne à la guerre en Syrie, part photographier la quatrième manifestation des
"gilets jaunes" organisée à Paris. "Quand je vois l'utilisation hallucinante du
lanceur de balles de défense (LBD), je décide de filmer", explique-t-il. Toute la
journée, il reste attentif à l'utilisation décriée de cette arme par les forces de l'ordre.
Janvier, février, mars 2019… Pedro Brito Da Fonseca poursuit sa démarche. S'il
s'en éloigne un temps, c'est pour mieux y revenir, pendant la contestation contre la
réforme des retraites. Son objectif : documenter. Jusqu'ici, il a précieusement
conservé ses images. Aujourd'hui, le journaliste, déjà auteur d'un film sur
les violences policières pendant les manifestations contre la loi Travail, mais qui se
défend de "tout sentiment anti-flic", réfléchit à un documentaire produit par
Premières lignes. "Ces images sont des pièces d'archives, elles appartiennent à
l'histoire", souligne-t-il.

"Voir de mes propres yeux ce qui se passe"


Pedro Brito Da Fonseca n'est pas le seul à filmer en manifestation. A ses côtés
se trouvent d'autres vidéastes. Des professionnels, comme des amateurs, aux profils
hybrides, comme Rémy Buisine, Gaspard Glanz et Taha Bouhafs. "J'aime être au
cœur de l'actualité, voir de mes propres yeux ce qui se passe, c'est plus intéressant
que de le voir à la télé", confie Nicolas Mercier, qui a créé sa chaîne
YouTube, Hors-Zone Press, et se présente comme journaliste. Equipé d'un
caméscope, d'un casque et de lunettes balistiques, ce quinquagénaire, commercial la
semaine, passionné des mouvements sociaux le samedi, a suivi toutes les
manifestations des "gilets jaunes".
Il y a une sorte d'excitation à filmer des images que les
grands médias n'ont pas.
Nicolas Mercier 
à franceinfo
C'est ce qui s'est produit le 1er décembre 2018, dans le Burger King proche de la
place de l'Etoile, à Paris, quand des fonctionnaires de police ont matraqué des
manifestants réfugiés dans le fast-food. A l'extérieur, Nicolas Mercier filme, avant
d'être lui-même frappé par un CRS. Aucun journaliste n'a de telles images. Sa vidéo
est largement diffusée sur les réseaux sociaux et dans les médias.
Pour Nicolas Mercier, il y a eu un avant et un après Burger King. Désormais, il
vend régulièrement des vidéos aux médias. Les sommes varient entre 250 et
600 euros pour une séquence. "Pendant un mois, je peux ne rien vendre. Je le vois
comme de l'argent de poche." 

"Cette génération est spontanée"


Lelly Gijabet, elle, transmet gratuitement ses vidéos aux victimes de violences
policières. "Je passe des heures à les identifier", précise cette femme de 43 ans,
originaire du Nord, qui dit "comprendre" les "gilets jaunes" mais n'irait pas
jusqu'à "chanter avec eux". Elle diffuse en direct des manifestations sur une page
Facebook, suivie par près de 17 000 personnes. "Les forces de l'ordre passent à
côté des gens, les défoncent et partent. J'ai vu trop de personnes se faire exploser
la tête gratuitement", s'agace-t-elle.
Une démarche proche de celle de Raphaël : "J'ai commencé à filmer lors du 5e
week-end de mobilisation des 'gilets jaunes', quand j'ai vu que la police ne
respectait pas le protocole d'arrestation." Le jeune homme de 27 ans filme
principalement avec sa GoPro et diffuse ce qu'il considère comme des bavures
sur Street News, une chaîne YouTube. "Je ne fais pas ça pour le buzz, ni pour
l'argent, mais pour aider les manifestants à préparer leur défense", assure ce "gilet
jaune" nantais, "avant tout activiste" et ancien occupant de la ZAD de Notre-Dame-
des-Landes. Car une partie de ces vidéastes est engagée politiquement, à l'instar de
Révolution permanente, site d'information d'extrême gauche, proche du Nouveau
Parti anticapitaliste, qui s'est taillé une place de premier choix dans le monde des
médias militants.
"Ces personnes font un travail de documentation sans demander d'autorisation,
sans appartenir à des rédactions. Cela ne veut pas dire que leur regard est plus ou
moins juste. Cette génération est spontanée, c'est passionnant !" s'enthousiasme le
journaliste David Dufresne. Depuis le début du mouvement des "gilets jaunes", il
interpelle sur Twitter le ministère de l'Intérieur à chaque manifestant blessé par les
forces de l'ordre. La plupart du temps, ses tweets sont accompagnés de vidéos
reçues ou repérées sur la Toile. "Le plus important, ce n'est pas de filmer, mais de
diffuser", pointe-t-il.

"On montre tout ce qui se passe"


Arnaud* l'a bien compris. Street-medic, ce Dijonnais a fixé une GoPro sur son
casque dès les premières manifestations, "pour se protéger" : "Quelqu'un peut
estimer que j'ai prodigué de mauvais soins et se retourner contre moi." Ses images
n'étaient pas destinées à être diffusées. Jusqu'au 16 novembre 2019. Ce samedi-là, il
est à Paris pour l'anniversaire des "gilets jaunes". Place d'Italie, il sympathise avec
des manifestants. Soudain, l'un d'eux, Manuel, est touché au visage par une grenade
lacrymogène. Le projectile lui ouvre le globe oculaire gauche. Arnaud le prend en
charge. Le lendemain soir, avec l'accord de Manuel, il décide de mettre en ligne la
vidéo. "J'ai tout de suite su que ces images étaient importantes. La vidéo vaut de
l'or par rapport au message qu'elle véhicule. Elle ne m'appartient pas : elle fait
partie de l'histoire commune", analyse Arnaud.
Un témoignage de grande valeur pour David Dufresne. "Ces vidéos forcent les
médias à parler des violences policières, les télés ne peuvent plus faire comme si
ça n'existait pas", estime le journaliste.
Des gens munis de leur smartphone racontent ce qui se
passe sur le terrain. Ils sont témoins de leur époque,
physiquement, pas du haut de leur statut social. On est
entre le journalisme et le cinéma brut.
David Dufresne, journaliste 
à franceinfo
Cet espace vacant, délaissé par les journalistes, est investi par ces vidéastes, dont le
succès s'explique aussi par la défiance envers les médias traditionnels. Lelly
Gijabet a eu le déclic pendant le cortège du 5 janvier 2019 : "Je n'ai vu que de la
violence à la télévision. C'était faux. Donc j'ai décidé de filmer les manifestations
de bout en bout." Son "petit média web tourne avec une quinzaine de
bénévoles" et "une petite cagnotte" pour les déplacements. Dès le début, elle a créé
son auto-entreprise de rédaction web, mais poursuit, en parallèle, une activité
professionnelle à temps plein, qu'elle préfère taire. 
Aujourd'hui, elle veut une carte de presse. "On montre tout ce qui se passe, les
gens se font leur opinion. C'est ma vision des médias." Les interventions musclées
de policiers ne lui ont pas échappé. "Je prends des risques", glisse cette femme qui
assure être blessée à chaque manifestation qu'elle couvre. Comme le 28 janvier, où
elle a perdu connaissance après avoir été visée par un canon à eau.
"Les policiers ne peuvent pas s'opposer à être
filmés"
Cette immersion n'est en effet pas sans risques. Coups de matraque, éclats de
grenade, caméscope arraché, téléphone confisqué… Tous les vidéastes interrogés
disent avoir été malmenés au moins une fois par les forces de l'ordre. Nicolas
Mercier en a fait les frais en mars 2019. Des policiers lui ont reproché de gêner une
interpellation. Résultat : ses vidéos ont été effacées et il a été conduit au
commissariat, avant d'être rapidement remis en liberté. Il a porté plainte et
l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) a été saisie. Comme le rappelle
le Service d'information et de communication de la police nationale (Sicop), "les
policiers ne peuvent pas s'opposer à être filmés sur la voie publique", comme c'est
écrit noir sur blanc dans la circulaire du 23 décembre 2008.
"L'uniforme appartient à l'Etat. On n'a pas notre mot à dire, même si ça ne nous
plaît pas, rétorque Marie*, policière dans une brigade anticriminalité. Tous les
jours, quand je réalise des contrôles d'identité, je suis filmée, en manifestation
aussi. Je n'y prête plus attention, ça fait partie de mon quotidien." Mais comme
tous les policiers, elle dénonce les dérives du "CopWatching", quand les visages
des fonctionnaires sont exposés sur internet et qu'ils font l'objet de menaces. Ce qui
dérange aussi, au sein de la police, c'est que l'image ne pointe que les
dysfonctionnements. "Je ne sais pas si beaucoup de gens supporteraient qu'on les
filme en disant : 'Regardez, ils travaillent comme des gorets'", insiste Philippe
Capon, le secrétaire général de l'Unsa Police.  
"La liberté d'informer est absolue, mais dans ce cas, elle confine au harcèlement,
dans le sens où personne n'est soumis à une caméra à hauteur de visage quand il
travaille. Néanmoins, les forces de l'ordre doivent avoir à l'esprit qu'elles sont
filmées en manifestation, comme toute personne dans un magasin, avec les
caméras de vidéosurveillance", tempère Fabien Jobard, chercheur au CNRS
spécialisé sur la police française.
Dans le cadre d'une enquête, les vidéos permettent à la
fois d'identifier des fonctionnaires et de reconstituer le
déroulement des faits. L'image sert à nourrir la
compréhension des situations.
Fabien Jobard, chercheur 
à franceinfo
Selon lui, la prise de conscience s'opère peu à peu, notamment lors de la formation
continue dispensée aux CRS et gendarmes mobiles. Et le résultat est positif : "Il y a
une prise de conscience des effets de l'image." Mais ce n'est pas nouveau, rappelle
le Service d'information et de relations publiques des armées (Sirpa). "Les
gendarmes mobiles sont sensibilsés depuis plus de dix ans à la 'guerre de l'image' :
toutes les situations sensibles sont filmées par des binômes, formés tant à la
tactique (bon positionnement), qu'à la technique (utilisation précise de caméras et
d'appareils photos, etc.), tous les deux ans", précise le Sirpa.

"Ces vidéos donnent un contrechamp"


De fait, quand une vidéo, massivement diffusée dans les médias et sur les réseaux
sociaux, suggère un usage illégitime de la force, l'IGPN est bien souvent saisie. Ces
images ont un rôle prépondérant. Raphaël en sait quelque chose : c'est lui qui a
filmé le policier giflant un "gilet jaune" le 1er mai 2019 à Paris. La séquence, vue
plus de 98 000 fois, est restée dans les esprits. Le brigadier-chef auteur des gifles a
finalement été condamné à quatre mois de prison avec sursis et 2 000 euros
d'amende, le 19 décembre.
"Il n'y aurait pas eu d''affaire Burger King' sans ma vidéo. Elle permet de faire
pression sur l'enquête. Sans images, les violences policières, c'est parole contre
parole et la victime est perdante", appuie Nicolas Mercier. Aujourd'hui, une juge
d'instruction enquête sur cette affaire.
"Ces vidéos donnent un contrechamp", analyse David Dufresne. Elles ont un effet
détonateur : c'est finalement la vidéo du policier qui fait un croche-pied à une jeune
femme, pendant une manifestation, qui a incité le ministre de l'Intérieur à infléchir
son discours sur les violences policières mi-janvier. Le geste de trop. "L'impunité
des policiers est en train de cesser car il y a des images, observe le journaliste. Le
messager est parfois pris à partie, mais pas le message : il y a des violences
policières, il faut les documenter. Aujourd'hui, elles le sont des deux côtés du
périphérique et ça change tout. C'est le sens de l'histoire."

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