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Burkina Faso : Roch Marc

Christian Kaboré, un président


lassé du pouvoir
Benjamin Roger 7 février 2022 à 14:10

Roch Marc Christian Kaboré à Ouagadougou, le 15 décembre 2021 © Sophie Garcia/Hans Lucas

Usé par une situation sécuritaire qui le débordait, l’ancien chef de


l’État a tenté en vain d’inverser la tendance. Avant d’être finalement
emporté, le 24 janvier, par un putsch que beaucoup pressentaient.

Il n’imaginait pas finir ainsi, reclus dans une grande villa de Ouaga
2000. Il n’imaginait pas non plus que l’on oserait un jour mitrailler son
convoi. Lors de cette nuit du 23 janvier durant laquelle tout a
basculé, quatre gendarmes qui assuraient sa protection ont été
grièvement blessés. L’un d’eux a même perdu l’usage de ses jambes.
Que ce serait-il passé s’il avait été à bord de ce convoi ? Et surtout,
qu’a-t-il fait pour que des militaires osent une telle transgression ?
Ces questions, Roch Marc Christian Kaboré continue à se les poser.
:
À Lire Exclusif – Burkina Faso : l’histoire secrète du coup d’État fatal
à Kaboré

Sa chute a été aussi rapide que brutale, mais sans doute l’ancien
président éprouve-t-il une forme de soulagement. Celui, d’abord,
d’avoir évité un bain de sang. Durant les 24 heures qui ont sonné le
glas de son pouvoir, il a tout fait pour l’empêcher. Dans l’après-midi
du 23 janvier, en opposant une fin de non-recevoir aux chefs
militaires qui lui proposaient d’aller mater les putschistes. Puis, le 24
à la mi-journée, en acceptant de démissionner pour prévenir un
affrontement entre ces derniers et sa garde rapprochée.

« Il n’en dormait plus la nuit »


Peut-être, aussi, une forme de soulagement d’en avoir fini avec la
mission quasi-impossible qui lui incombait en tant que chef d’un État
en train de sombrer. Car les membres de son premier cercle sont
unanimes : ces derniers mois, Kaboré était fatigué, lassé, un peu à
bout. « Il donnait parfois l’impression d’être dépité, presque pressé
que tout ça se termine », glisse un de ses confidents. « Il était
affecté par la situation sécuritaire. Il traversait des moments graves,
avec des morts tous les jours et des centaines de milliers de
déplacés. Forcément, tout cela lui pesait énormément », ajoute un
autre. À l’en croire, Kaboré « n’en dormait plus la nuit ».

Tout le monde voyait bien que quelque chose n’allait pas. Cela
sautait aux yeux

Au fil des mois à Kosyam, son imposante carrure avait fondue et son
visage s’était émacié. Il avait certes suivi un régime alimentaire pour
se maintenir en forme, mais beaucoup voyait dans cette importante
perte de poids le signe d’un stress intense. ‘Tout le monde voyait
bien que quelque chose n’allait pas, estime un de ses anciens
:
ministres. Cela sautait aux yeux. » Pudique, l’intéressé encaissait
sans se plaindre.

Pas grand-chose n’allait au Burkina Faso et Kaboré le savait. Ses


innombrables interlocuteurs l’alertaient sans cesse sur tel ou tel
problème. Y compris d’ailleurs sur les rivalités entre l’armée et la
gendarmerie. Beaucoup de militaires estimaient qu’il avait trop
d’égards pour la gendarmerie, laquelle avait la réputation de lui être
fidèle. Depuis qu’il en avait fait l’influent directeur de l’Agence
nationale des renseignements (ANR), son ancien aide de camp, le
colonel de gendarmerie François Ouédraogo, était aussi la cible de
nombreuses critiques au sein de l’armée.

À Lire Coup d’État au Burkina – Smockey : « Il fallait mettre fin au


régime de Kaboré »

Kaboré n’ignorait rien non plus des risques de coup d’État qui le
guettaient. À la fin de l’année dernière, un officier en lequel il avait
pleine confiance l’avait même mis en garde : « M. le Président, si
vous ne limogez pas le général Gilbert Ouédraogo [le chef d’état-
major général des armées] et le colonel François Ouédraogo, vous
serez renversé par un putsch dès le mois de janvier. » Kaboré n’avait
rien fait.

Certains surveillait de près les « boys », ces jeunes officiers qui


avaient fait échouer le putsch du général Diendéré en 2015 et qui,
depuis, ne cachaient pas leur exaspération croissante face au
délitement du pays. Mais le président leur faisait confiance. C’est
pourtant d’une partie d’entre eux, avec à leur tête le lieutenant-
colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, que viendra le coup fatidique
le 23 janvier.
:
Des partisans de la junte brandissent un portrait du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, à
Ouagadougou, le 25 janvier. © AP Photo/Sophie Garcia

Inquiétude cachée

Jusqu’au bout, Roch Marc Christian Kaboré a dissimulé son


inquiétude. L’homme était réputé pour son sang-froid – ses proches
aimaient répéter qu’il était « zen ». Hors de question donc de
changer ses habitudes. Le président continuait à dormir toutes les
nuits chez lui, à son domicile du quartier de la Patte d’Oie. Le matin,
aux environs de 8h, il prenait la direction de Kosyam à bord d’un petit
convoi. Un véhicule de sécurité devant, un derrière, et lui au milieu,
dans son 4X4 Lexus blindé, toujours installé sur le siège passager. La
plupart du temps, avant de rentrer chez lui, il terminait ses journées à
la villa ministérielle, sorte de second bureau proche du palais où il
avait l’habitude de recevoir.

C’est un bon chef de paix, pas un bon chef de guerre


:
Ces derniers mois, il consacrait la quasi-totalité de son temps aux
questions de défense et de sécurité. Il ne faisait plus que ça, ou
presque. Un comble pour ce banquier qui, avant d’arriver au pouvoir,
n’avait que peu d’appétences pour les sujets militaires et
sécuritaires. Il lui a pourtant fallu s’y mettre dès sa prise de fonction,
avec l’attentat du Cappuccino, en janvier 2016. « Il a dû changer de
logiciel et se transformer en chef de guerre », indique un de ses
anciens collaborateurs.

Un défi de taille qu’il n’aura que partiellement réussi. Affable, Kaboré


a toujours préféré le consensus au conflit. Des qualités certaines
pour faire de la politique, peut-être moins pour mener bataille.
« C’est un bon chef de paix, pas un bon chef de guerre », avaient
l’habitude de commenter les diplomates en poste à Ouagadougou.

Coups tordus

Quelqu’un d’autre aurait-il fait mieux ? Peut-être, mais pas sûr non
plus. Vu la situation sécuritaire dont il a hérité – un pays assailli par
les groupes jihadistes, une armée (très) faible, le tout après la chute
d’un régime qui a perduré 27 ans –, beaucoup auraient sans doute
connu les mêmes tourments.

Avec le recul, nombreux sont ceux qui estiment que la perte de Salif
Diallo, dès 2017, a été un vrai coup dur pour Roch Marc Christian
Kaboré. L’ancien président de l’Assemblée nationale, sorte de
« Machiavel » burkinabè capable de monter les coups les plus
tordus, était un pilier du régime. Il n’a jamais été remplacé. « Il a
probablement manqué un barbousard de sa trempe au président,
admet un de ses proches. Quelqu’un qui n’hésitait pas à faire des
coups bas pour atteindre ses objectifs. »

Comment voulez-vous que je prenne des vacances dans cette


:
situation ?

Difficile, en revanche, d’enlever à Kaboré un certain volontarisme,


voire une certaine ardeur à la tâche. Rien à voir avec feu Ibrahim
Boubacar Keïta (IBK), dont la propension au travail était raillée par
beaucoup. L’ancien chef de l’État recevait beaucoup, se couchait
tard et dormait peu. Quatre ou cinq heures par nuit. En six ans à la
présidence, ses jours de congés se comptaient sur les doigts de la
main. Ses proches s’en inquiétaient, l’encourageant à souffler un
peu. « Son épouse [Sika Kaboré] s’inquiétait pour lui. Elle lui disait
qu’il fallait qu’il se repose. Il lui répondait “Oui, je vais le faire” mais il
ne le faisait pas », glisse un proche du couple. Et quand c’était au
tour de ses collaborateurs de lui suggérer une coupure, la réponse
était plus cinglante : « Comment voulez-vous que je prenne des
vacances dans cette situation ? »

Erreurs et retards à l’allumage

Des erreurs, Kaboré en a aussi commises. La plupart de ceux qui


l’ont côtoyé ou qui ont travaillé avec lui sont unanimes : son premier
pêché fut son incapacité à trancher. Coupable d’avoir trop tergiversé
alors que la situation nécessitait de prendre des décisions rapides.
Des retards à l’allumage, qui lui ont valu d’être surnommé le
« président diesel » par ses compatriotes. « Et encore, même quand
il se mettait à rouler, son allure était irrégulière, reconnait un de ses
proches. Quand il découvrait que quelque chose ne tournait pas
rond, il disait souvent à ses collaborateurs : “Réglez-moi cette
question !” Mais sans toujours assurer le suivi derrière. »

Parmi les problèmes récurrents qui pollueront son mandat et lui


attireront une défiance de la population : des affaires de corruption
ou de mal gouvernance qu’il a mis trop de temps à solder – quand il
le faisait. Lesquelles prenaient parfois un tour personnel lorsqu’elles
:
concernaient ses proches, comme son ami d’enfance et ex-ministre
de la Défense, Jean-Claude Bouda, ou son directeur de cabinet,
Seydou Zagré.

À Lire Burkina Faso : après l’attaque d’Inata, une armée en plein


doute

En matière de défense et de sécurité, Kaboré a aussi tâtonné. Trop,


selon ses détracteurs. Plusieurs ministres de la Défense et plusieurs
chefs militaires essayés en six ans. Le tout sans toujours maintenir
de cohérence au sein de la chaîne de commandement. Ainsi, ces
derniers mois, il avait procédé à des remplacements à la tête de
différents états-majors, mais sans toucher aux chefs opérationnels.
Certains questionnaient aussi son refus de faire davantage appel à
des alliés extérieurs, en particulier français.

« Une de ses erreurs a peut-être été d’avoir trop suivi le dogmatisme


de certains haut-gradés, comme le général Oumarou Sadou [chef
d’état-major général des armées entre 2017 et 2019], qui ne
voulaient pas en entendre parler au nom de la souveraineté
nationale. Il aurait dû taper du poing sur la table et leur imposer ses
choix », lâche un de ses intimes.

L’incendie d’Inata

Le recours aux milices d’auto-défense Koglweogo puis la création


des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) ont aussi été
largement décriés, car accusés d’attiser les conflits
intercommunautaires. Le 5 juin 2021, le massacre de Solhan, lors
duquel plus de 160 civils assassinés, traumatisera tout le pays et
marquera le début de la fin. Puis viendra l’attaque d’Inata, le 14
novembre dernier, dans laquelle périront 53 personnes dont 49
gendarmes, soit la pire jamais subie par l’armée burkinabè. Une
:
saignée qui a vite tourné au scandale. Les soldats de la garnison
n’étaient en effet plus approvisionnés en vivres depuis quinze jours
et étaient obligés de chasser pour se nourrir. Le tout à cause de
détournements tout le long de la chaîne de commandement. De quoi
susciter l’indignation générale et braquer, encore un peu plus, les
militaires déployés en première ligne.

Profondément attaché à sa terre, il n’aurait aucune intention de


quitter le Burkina Faso

Selon son entourage, Roch Marc Christian Kaboré aurait découvert la


situation en même temps que tout le monde et en aurait été
« profondément choqué ». « Même s’il n’était peut-être pas informé
du cas précis d’Inata, il ne pouvait ignorer ces problèmes plus larges
de détournements et de ravitaillement au sein de l’armée. Tout le
monde savait », indique un ancien membre de l’exécutif. Sanctions
individuelles contre plusieurs responsables militaires, commande
d’une enquête interne qu’il fera reprendre car jugée insuffisante…
L’ex-président tente d’éteindre l’incendie d’Inata, en vain. Ce drame
précipitera sa chute, deux mois plus tard.

Une fois qu’il aura quitté sa résidence surveillée, comme le réclame


la Cedeao, Kaboré entend rentrer chez lui, à Ouagadougou.
Profondément attaché à sa terre, il n’aurait aucune intention de
quitter le Burkina Faso, qu’il s’efforçait de rejoindre dès que possible
une fois ses obligations remplies à l’étranger. Aura-t-il le choix ?
Comme ses pairs déchus, son sort est désormais lié à la bonne
volonté de ses tombeurs en treillis.
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