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Les quatre visages de l’Intifada

Ce sont quatre histoires de l’Intifada. Quatre parcours, dans quatre villes différentes des territoires
occupés qui témoignent du morcellement de la société palestinienne et de l’éclatement de ses
aspirations alors que le soulèvement entre aujourd’hui dans sa cinquième année.

De notre correspondant dans les Territoires palestiniens

Zakariya, le dernier chef de guerre

Son visage étoilé de fines brûlures causées par l’explosion prématurée d’une bombe est autant
familier des téléspectateurs palestiniens que de leurs voisins israéliens. Aux premiers, il est
présenté comme un militant intrépide qui a échappé déjà trois fois aux tentatives d’assassinats
des soldats israéliens et qui porte haut les couleurs de la résistance palestinienne à Jénine
quand la plupart des autres villes de Cisjordanie ont baissé les armes. Aux seconds, il est
désigné comme l’homme à abattre, le militant le plus recherché des territoires pour son
implication supposée dans une série d’attaques sanglantes. Mais Zakariya Zubeïdi, âgé de 29
ans, le chef des Brigades des martyrs al-Aqsa pour la Cisjordanie ne se réduit pas à ses clichés.

Son parcours raconte l’Intifada, ses raisons, ses ratés et son impasse actuelle. Quand le
soulèvement éclate, il travaille comme ouvrier sur les chantiers de Tel Aviv. Les séjours qu’il a
effectués en prison et à l’hôpital durant la première Intifada ont coupé court à ses études. Privé
d’emploi par le bouclage de la Cisjordanie, déçu par le processus de paix, Zoubeïdi prend les
armes comme des centaines de jeunes palestiniens désœuvrés et frustrés. Très vite, la
répression israélienne fait de ce militant anonyme un chef de bande indomptable. Il y a d’abord la
mort de son frère et de sa mère tués dans l’invasion de Jénine. Puis la destruction de sa maison
et la liquidation un par un de la plupart de ses amis. Propulsés leader des Brigades, Zoubeïdi
refuse la trêve décrété par les factions palestiniennes à l’été 2003. Mais la barrière de séparation
autour de Jénine empêche toute attaque en Israël et l’Autorité palestinienne lui coupe les vivres.

Combattant sans combat, Zoubeïdi impose sa loi à Jénine. Il kidnappe le gouverneur et saccage
les locaux de la police qu’il accuse de collaborer avec Israël. Le fait qu’il accélère la
décomposition de l’Autorité palestinienne ne l’émeut pas. Il y a deux semaines, son adjoint est
mort pulvérisé par un missile israélien. Pris au piège de son aura et traqué par l’armée
israélienne qui refuse le moindre cessez-le-feu, Zakariya Zoubeïdi ne défend plus que sa peau.

La lassitude du général Hussein

Il veut bien parler mais à condition que l’on change son nom. Car ce que dit le général Hussein,
l’un des chefs de la Force 17, la garde présidentielle de Yasser Arafat, n’est pas fréquent dans
l’état-major palestinien. Il reçoit sous une tente dressée dans un terrain vague sablonneux, en
retrait d’une grand-rue de Gaza. Depuis le bombardement de ses locaux au début de l’Intifada,
l’endroit lui sert de quartier général. « Cela fait des mois que nous ne recevons plus le moindre
argent de l’Autorité palestinienne », maugrée-t-il. Il y a dix jours, il a bien cru que son tour était
venu d’être pris en otage par les gangs armés qui sèment le désordre à Gaza depuis six mois.
Une fusillade a éclaté derrière le mur de parpaing qui protège son campement. L’un de ses
hommes a été blessé mais les assaillants sont repartis. La veille, le contrôleur financier de la
Sécurité nationale, un autre service de police palestinien, avait été kidnappé par une bande
armée puis relâché peu après. Le lendemain, un officier des Renseignements militaires était à
son tour capturé pendant quelques heures par un troisième gang. A l’évocation de ces désordres
qui atteste de la débandade de l’Autorité palestinienne à Gaza, le général Hussein soupire :
« Pour moi qui combats depuis quarante ans pour la révolution palestinienne, la situation est
insupportable. Je n’admets pas de me faire dicter ma conduite par une bande de voleurs
illettrés ».
Les auteurs de ces provocations ne se cachent pas. L’un d’eux, Mahmoud Nashabet, un pistolero
en rupture de ban avec le Fatah, a même menacé de tuer Nabil Chaath, le ministre des Affaires
étrangères, à sa prochaine venue à Gaza. « J’ai dit à Yasser Arafat que je pouvais faire taire ces
vauriens en quelques heures. Mais j’ai ajouté que cela ferait du bruit, car il faudra les dénicher
de  leur bastion et car ils ont des soutiens, dans certains services de sécurité. Bref j’ai dit que
j’avais besoin d’ordre clair. Il m’a répondu « fais comme bon te semble ». Le général Hussein se
sert une tasse de café d’une main fébrile puis ajoute : « C’est comme cela depuis le début de
l’Intifada. Aucune  consigne clair. Ni pour faire la paix, ni pour faire la guerre. Vous comprenez
pourquoi je suis à bout ».

Sam Bahour, l’entrepreneur intrépide

A Ramallah, il n’y a plus guère que la Mouqataa qui est encore en ruines. Tout autour des
gravats du quartier général de Yasser Arafat conservés en l’état pour édifier les diplomates et les
journalistes, l’heure est à la rénovation et au renouveau. Depuis un an, à la faveur du calme
relatif dont jouit la ville et de la présence d’une importante bourgeoisie en son sein, les ouvertures
de boutiques chics et de restaurants haut de gamme se succèdent. Mais le clou de la
renaissance de Ramallah, c’est le Plazza. Un supermarché à la mode occidentale qui fait les
joies de la classe moyenne, avec une galerie commerciale clinquante et une aire de jeux pour
enfants truffée de jeux électroniques. Contre toute logique, alors que le niveau de vie n’a jamais
été aussi bas, la grande distribution entre en fanfare dans les Territoires occupés. Le
responsable de ce tour de force s’appelle Sam Bahour.

Américain d’origine palestinienne, il a tempêté quatre ans pour mener à bien son projet. Contre
les couvre-feux qui ralentissaient le chantier, contre la saisie pour « raisons de sécurité » de son
matériel aux frontières, comme la charpente tubulaire « que les douaniers ont pris pour des
missiles », contre les rumeurs en ville aussi qui stigmatisaient une réussite insolente en période
de lutte. « Les diplomates américains s’imaginent toujours que les hommes d’affaires palestiniens
ont moins d’exigences politiques que l’homme de la rue, dit Sam Bahour. C’est faux. Mes
moyens sont différents, certes. J’utilise un ordinateur et non des pierres. Mais je ne suis pas
moins nationaliste que le jeune Mohamed de Naplouse ». A Ramallah, certains entrepreneurs
craignent que le boom économique se fasse au détriment d’autres villes où la persistance des
combats fait fuir les investisseurs. Sam Bahour, lui, veut ignorer la conjoncture. Sa société
travaille déjà sur l’implantation d’un second supermarché à Naplouse.

Jamal, le fermier ruiné

En Cisjordanie la récolte des olives commence dans quelques jours mais Jamal Othman ne sait
toujours pas s’il pourra y participer. Il habite pourtant à un jet de pierre de son champ d’oliviers,
dans le village de Jeroushya, près de Tulkarem. Mais entre sa maison et ses arbres, il y a la
barrière de séparation israélienne. Une clôture électrifiée renforcée par un ravin, un mur de
barbelés et une route de patrouille qu’il voit depuis la fenêtre de sa chambre. « Pour rejoindre
mes oliviers, je dois désormais faire un détour d’une dizaine de kilomètres, jusqu’à une porte
aménagée dans le mur que les soldats ouvrent deux fois par jour. En théorie, je devrais obtenir
des permis pour passer par-là. Mais qu’est ce qui me garantit que les soldats ne décideront pas
de fermer la porte au dernier moment sous le plus petit prétexte de sécurité ? Qu’est ce qui me
dit que les horaires d’ouverture et de fermeture suffiront pour récolter toutes les olives ? Et que
j’obtiendrais suffisamment de permis pour moi et ma famille ? ».

Le clan Othman possède 40 hectares de champs derrière la barrière, soit environ 3 000 oliviers
qui permettaient la production de 10 tonnes d’huile chaque année et faisaient vivre une centaine
de personnes. A la tête de cette propriété, Jamal était un notable respecté. « Aujourd’hui, je n’ai
plus les moyens d’assurer une rentrée scolaire correcte à mes enfants. On menait une bonne vie.
Tout cela est fini. Le travail de deux générations, la mienne et celle de mon père qui a planté les
oliviers, est réduit à néant ». Et le responsable de ce désastre est sous les yeux de Jamal vingt-
quatre heures sur vingt-quatre.

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