ZINIO

n° 3672 semaine du 18 au 24 novembre 2021

En demande-t-on trop à l’école ?

Facebook : les pistes de la régulation

Le blues des démocrates américains

Espace : à l’assaut des astéroïdes

SOIGNANTS, LIENS PUBLIC-PRIVÉ, BUREAUCRATIE

Comment
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sauver l’hôpital ?

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Exclusif - Les propositions de Barnier, Bertrand, Hidalgo,

Jadot, Le Pen, Mélenchon, Pécresse, Zemmour
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SOMMAIRE

Courrier des lecteurs

6 Meta, un avatar liberticide
6 Ne dénigrons pas la French Tech

L’œil de L’Express
8 L’hôpital brûle, et les candidats regardent ailleurs
8 Et si nous arrêtions de manger dans la main de Poutine ?
10 Islam et islamisme : la faute d’Eric Zemmour
12 Nucléaire, la fin de la « cancel culture » ?

Périscope
14 Le tour du monde en 7 infos

Dans la mêlée
16 Faut-il un rappel de vaccination pour tous ?

Dossier
18 Hôpital : l’urgence
Manque de personnel, lits fermés,
Covid, bronchiolites... L’hôpital craque.
Comment en est-on arrivé là ?
19 Les pistes pour s’en sortir
22 A Valenciennes, des médecins patrons
23 Si j’étais président, je ferais...
26 Sonar : la crise de l’hôpital en chiffres
28 Pr Karine Lacombe : « Le Ségur n’a rien changé »

France

Politique
ILLUSTRATION DE COUVERTURE : DENNIS VERNOOIJ

30 Bernard Cazeneuve, l’espoir perdu des socialistes

’

Magma politique
"

32 Une longue décennie de crise de régime en France,

par Gaël Brustier

Retrouvez les journalistes de L’Express

dans Les Informés de Jean-François Achilli,
tous les vendredis de 20 heures à 21 heures
sur franceinfo
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SOMMAIRE

IDÉES
Economie
68 « L’extrême droite française est comme une rivière souterraine »
48 Education, santé, justice... Où sont les hommes ?
49 Matières premières : le grand incendie Réinventer la démocratie
70 Facebook et la panique morale, par Yascha Mounk
Librairie de l’économie
50 Et si les Etats-Unis et la Chine étaient en guerre ? Le meilleur des mondes
50 Le numérique chamboule le droit social 71 Le travail, ce trésor perdu de la gauche, par Sylvain Fort

Soleil levant LIBRAIRIE DE L’EXPRESS

51 S’ouvrir moins pour peser plus : le nouveau paradoxe chinois,
par David Baverez
72 Julien Green, toujours aussi vert
73 Alain Bauer, Julia Pialat, Aro Sainz de la Maza
74 Palmarès : hiérarchie respectée
Entreprises La vie littéraire
76 Le prix Nobel de littérature fait-il vendre ?, par Pierre Assouline
52 Dossier Facebook Frances Haugen : « Le métavers de Facebook
est une bombe à retardement »
Quelles pistes pour réguler les Gafam ? BEAUXARTS
56 Booking sur la piste lucrative du développement durable
77 Le musée des Confluences enterre la hache de guerre

Climat & Transitions VOTRE ARGENT

58 Smartphones : les promesses du recyclage 78 La valeur de demain : Alight

79 L’inflation, un casse-tête pour l’épargnant
La ligne verte
80 Le prêt sur gage, un moyen de se financer à court terme
60 L’implacable décollage de la mobilité électrique,
par Gwénaëlle Avice-Huet
JEUX

81 Mots croisés, sudoku…

Tech & Transformations
ULTIMATUM
61 Publicité en ligne : le Graal de la grande distribution

Nos futurs 82 Un milliard de sneakers, par Christophe Donner

63 Quatre propositions pour muscler notre deep tech,

par Robin Rivaton
Société éditrice : Groupe L’Express
112, avenue Kléber, 75116 Paris.
ISSN n° 0014-5270
Directeur de la publication : Alain Weill. Services diffuseurs n° vert : 0 805 01 4000
Directeur de la rédaction : Eric Chol.

Sciences & Santé Imprimé en France : Maury imprimeur SA

64 Dart, la sonde-missile à l’assaut d’un astéroïde
65 « N’attendez pas pour la troisième dose ! »
Remue-méninges
66 De la définition à l’éducation de l’esprit critique,
par Albert Moukheiber
(45330 Malesherbes)
Ce numéro, toutes éditions confondues,
a été tiré à 190060 exemplaires.
L’Express : cahier n° 1 (édition générale : 84 pages).
CPPAP n° 0323 C 82839 Encart broché en central : cahier thématique,
Dépôt légal : novembre 2021 spécial Placements de 32 pages sur diffusion totale
kiosque et abonnés.
courrierlecteurs@lexpress.fr Encart jeté : encart Abonnement jeté sur diffusion
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L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021

ZINIO

La Fondation
Bouygues Telecom
crée son incubateur
d’associations.

Parce qu’aujourd’hui naissent les associations qui tisseront

le lien social de demain, l’incubateur et les salariés volontaires
de la Fondation Bouygues Telecom les aident à grandir.
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on est fait pour

être ensemble
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COURRIER
– ou plutôt Meta – ouvre
un nouvel espace relationnel,
non régulé car non anticipé,
et encore plus liberticide car
il enfermera l’individu dans
une bulle virtuelle, ce qui
tuera encore davantage les
interactions sociales réelles.
Souhaitons-nous vraiment
cette nouvelle forme de
totalitarisme technologique ?
LAURA ACQUAVIVA
français, dans sa sagesse
profonde, a compris, lui, qu’il
y va de la survie de la nation et
de la civilisation, auxquelles
il est très attaché ! C’est pour
cela qu’il accueille Zemmour
avec intérêt et détermination,
en s’attachant à ce qu’il dit
et non à ce qu’on dit qu’il est.
Vive la cotisation
sociale sur
la diminution du temps de
travail au vu de l’amélioration
de la compétitivité.
Ne dénigrons pas
la French Tech
Claude Joubert, Penvins
(Morbihan)
Frédéric Fillioux dénigre
injustement la French Tech

(« French Tech, bulle ou pas

Zemmour et
la nation française la consommation bulle ? », L’Express du
4 novembre). En France,
Julien Lacaze, Lamayou
Dominique Moracchini, (Pyrénées-Atlantiques)
les jeunes pousses sont
Boulogne-Billancourt financées par un écosystème
Meta, un avatar (Hauts-de-Seine) Dans leur débat« Faut-il qui marche très bien, à partir
liberticide passer à la semaine de de fonds régionaux relayés
René Andron, Marseille On peut trouver tous 32 heures ? » (« Dans la Mêlée, par Bpifrance puis
(Bouches-du-Rhône) les défauts à Zemmour, L’Express du 21 octobre) par des fonds nationaux.
surtout si on les cherche avec Nicolas Bouzou et David Ce mouvement s’est accéléré
La séquence autour un objectif politique (« Eric Cayla ont omis d’explorer ces dernières années grâce
des dérives de Facebook, Zemmour : l’enquête inédite », une solution possible : à un environnement
nous montre, à mon sens, L’Express du 28 octobre). Il a supprimer le prélèvement des politique et réglementaire
la toute-puissance du réseau avant tout le défaut de poser charges sociales en enfin favorable. Une start-up
social (« Meta : l’empire sans détour la question entreprises pour l’effectuer au n’a pas d’autres choix que de
Facebook contre-attaque », de notre capacité à préserver niveau du consommateur. concevoir un développement
L’Express du 10 novembre). ce qui fait que nous sommes Cette « cotisation sociale international, et il lui faut
Ses utilisateurs n’ont cure français et, en creux, quelques sur la consommation » aller chercher les clients là où
des atteintes à leurs libertés questions simples : demain, permettrait de baisser de 50 % ils se trouvent. Or l’économie
individuelles, plaçant notre drapeau sera-t-il encore le coût du travail américaine, dominante,
la liberté apparente bleu, blanc, rouge ? Nos filles en entreprise, tout en rendant s’impose bien souvent.
d’intervenir dans le monde et nos femmes pourront-elles possible une augmentation
virtuel au-delà encore s’habiller, comme des bas salaires.
de toute autre considération. aujourd’hui, cheveux au Le consommateur, lui,
Merci, Béatrice
Or l’utilisation de vent ? Pourrons-nous encore paierait le même prix Mathieu
ces plateformes a un caractère fêter Noël le 25 décembre ? qu’aujourd’hui pour Chantal Bourry, Jonzac
aliénant évident. Pendant longtemps, les produits français. (Charente)
En changeant le nom une certaine élite politique, Cette cotisation permettrait
de la maison mère et médiatique ou intellectuelle, enfin d’assurer Je tiens à remercier votre
en investissant massivement a nié ces interrogations. le financement des régimes journaliste Béatrice Mathieu.
dans les métavers, Facebook Heureusement, le peuple sociaux et, pourquoi pas, La lecture d’entretiens, qui
pourrait être fastidieuse,
devient intéressante grâce
L’Express partenaire du Salon du nucléaire à la pertinence et à la clarté
« Sauver le nucléaire pour sauver le climat ». partenaire du World Nuclear Exhibition (WNE), de ses questions.
Bien avant que le sujet ne se réinvite dans le le Salon du nucléaire civil, qui rassemblera C’est notamment le cas avec
débat public, L’Express avait choisi de lever ce plus de 500 acteurs de la filière du 30 novembre l’interview du gouverneur
tabou, l’an passé, convaincu que l’atome au 2 décembre à Paris-Nord Villepinte. de la Banque de France
demeure un paramètre clef de l’équation Un événement majeur, à l’heure où Emmanuel (« François Villeroy
énergétique et un atout indispensable pour Macron vient d’annoncer la construction de Galhau : “Le risque
réussir la transition vers un monde « décarboné ». de nouveaux réacteurs. Le chef de l’Etat pourrait climatique fait partie
Il nous a semblé naturel de réaffirmer notre d’ailleurs profiter de cette occasion pour préciser du risque financier” »,
engagement sur ce thème, en devenant le l’ampleur et le calendrier de ce plan de relance. L’Express du 4 novembre).

Chaque semaine, L’Express donne la parole à ses lecteurs. Adressez-nous vos contributions (en précisant votre commune de résidence)
par courriel à courrierlecteurs@lexpress.fr ou par courrier à L’Express – Courrier des lecteurs – 112, avenue Kléber – 75116 Paris.
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
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L’ŒIL DE L’EXPRESS

L’hôpital brûle,
et les candidats regardent ailleurs
PAR STÉPHANIE BENZ

Alors que la situation se dégrade, L’Express a poussé les concurrents à la présidentielle à se dévoiler sur ce sujet primordial.

A L’Express, nous avons une conviction : cette présidentielle

doit être l’occasion d’apporter des réponses aux difficultés
des Français, et non pas de les enfermer dans des débats stériles
et de fausses peurs. Alors que la pandémie rebondit, comment
ne pas s’étonner que les candidats aient si peu parlé jusqu’ici de
l’avenir de notre système de santé et de la crise de l’hôpital ? Pour
en savoir plus sur leurs idées et leurs projets sur ce sujet crucial,
nous sommes donc allés frapper à leur porte. n° 3672 semaine du 18 au 24 novembre 2021
public-privé ou la nécessaire remise à plat des modes et des
niveaux de rémunération des différentes catégories de profes-
sionnels, par exemple. Les rentes, dont bénéficient certains.
La désertification médicale et la liberté d’installation si chère aux
médecins. Les gardes et la prise en charge des soins non program-
més. La transparence sur la qualité des traitements, tellement
variable d’un endroit à un autre que cela en est scandaleux.
Pour réparer l’hôpital, il faudra aussi oser
En demande-t-on trop à l’école ?

Si tous ont joué le jeu, leurs réponses aborder ces sujets. Avec toujours un même fil
Facebook : les pistes de la régulation

Le blues des démocrates américains

s’avèrent… très attendues, pour ne pas dire conducteur : comment voulons-nous, demain,
Espace : à l’assaut des astéroïdes

décevantes. La poursuite de la politique enga- SOIGNANTS, LIENS PUBLIC-PRIVÉ, BUREAUCRATIE

gée, souffle-t-on du côté des équipes Macron.
Encore moins de bureaucratie, encore plus
d’autonomie et de soignants, dit-on à droite.
La même chose à gauche, avec, en plus, la fin
sauver l’hôpital ?
de la « tarification à l’activité » et un soupçon
de prévention. En réalité, c’est tout cela qu’il
faudrait. Tout cela à la fois, et plus encore.
Si l’heure n’est visiblement plus aux éco-
nomies, du moins dans les discours, y aura-t-il
un candidat pour mettre sur la table les vraies
être soignés ? Comment souhaitons-nous que
nos enfants ou nos vieux parents soient pris
Comment en charge ? C’est en ayant toujours en tête ces
questions que, collectivement, nous trouve-
rons les bonnes réponses. :
— P. 18. Hôpital : l’urgence
— P. 19. Les pistes pour s’en sortir
— P. 22. A Valenciennes, des médecins patrons
— P. 23. Les propositions de Barnier, Bertrand,
3’:HIKLRC=WUZ^UY:?n@g@h@m@a";

Jadot, Hidalgo, Le Pen, Mélenchon, Pécresse,

M 01722 - 3672 - F: 5,90 €

questions, celles qui sont tellement polé- Zemmour

miques qu’elles finissent toujours balayées Exclusif - Les propositions de Barnier, Bertrand, Hidalgo,
Jadot, Le Pen, Mélenchon, Pécresse, Zemmour
— P. 26. La crise de l’hôpital en chiffres
sous le tapis ? Les écarts de rémunération — P. 27. Pr Lacombe : « Le Ségur n’a rien changé »

Et si nous arrêtions de manger

dans la main de Poutine ?
PAR CHARLES HAQUET

Réduire notre dépendance au gaz russe nous donnerait plus de poids face au Kremlin. Et rendrait l’Europe moins vulnérable.

O n ne joue pas avec le gaz. Lorsque le président biélorusse,

Alexandre Loukachenko, au pire moment de la crise migra-
toire avec la Pologne, menace de fermer un gazoduc, le rappel à
l’ordre est immédiat. « La Russie se porte garante de la sécurité
énergétique de l’Europe », intervient le porte-parole du Kremlin.
Après s’être délecté des tensions provoquées, à Bruxelles, par les
migrants bloqués à la frontière polonaise, Poutine fait rentrer son
allié dans le rang : pas question de toucher aux exportations de gaz
vers l’Europe, l’une des principales sources de revenus du pays.
Et voici le président russe dans son rôle favori : celui du média-
teur, qui se propose de résoudre la crise qu’il a vraisemblablement
lui-même encouragée. Quel qu’en soit le résultat, il aura semé la
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
discorde parmi les Vingt-Sept. C’est bien là son leitmotiv : « Mettre
la pression sur l’Union pour la diviser », précise Tatiana Kastouéva-
Jean, directrice du centre Russie à l’Institut français des relations
internationales. En Biélorussie, mais aussi à l’est de l’Ukraine, où
les troupes russes se rassemblent. Ou en Bosnie, où les Serbes
menacent de faire sécession. L’ombre de Poutine n’est jamais loin.
En face, les Européens s’interrogent. Que faire ? Et si, pour com-
mencer, ils se « sevraient » de gaz russe ? Bloquer l’ouverture du
gazoduc Nord Stream 2, quasi achevé, les rendrait moins dépen-
dants. Reste à en convaincre les Allemands. Impossible ? Pas si sûr.
Les Verts, dans la future coalition, auront leur mot à dire. Et pour-
raient bien remettre sur la table ce sujet, tabou sous Merkel. :
pour que le monde change,
il faut changer les matériaux.

Pour rendre le monde plus durable, il faut aussi changer notre quotidien
et accueillir dans nos intérieurs des matériaux innovants. Chez Arkema, nous développons
des matériaux qui associent confort et performance. Par exemple, des revêtements
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L’ŒIL DE L’EXPRESS
Islam et islamisme :
la faute d’Eric Zemmour
PAR ANNE ROSENCHER
De l’étude de la théologie, il croit pouvoir déduire que tout « vrai musulman » est un islamiste qui s’assume ou qui s’ignore.
L ’un des sujets sur lequel Eric Zemmour revient le plus
souvent, et sur lequel il construit une partie de son succès,
est l’islam. Depuis cinq ans au moins, il martèle l’idée qu’il n’y a
pas de différence entre l’islam (religion) et l’islamisme (projet
politique). Arguant que l’islam est un corpus de prescriptions
auquel il faut se soumettre en privé mais aussi dans la sphère
publique, l’essayiste conclut que ce monothéisme ne saurait
engendrer de modus vivendi laïque. En théorie, le polémiste
accepte parfois d’envisager un jour un « islam français » ; en pra-
tique, il maintient que tout « vrai musulman » est un islamiste
qui s’assume ou qui s’ignore.
Précisons ici une chose : l’étude des spécificités des différents
monothéismes et les conséquences culturelles ou politiques
qui en découlent ne sont pas des sujets
tabous. La critique des religions ainsi
que les débats théologiques peuvent
éclairer la conversation publique – en
cela, les travaux d’intellectuels comme
Pierre Manent ou Rémi Brague sont
d’un intérêt précieux. Mais le passage
au discours politique nécessite autre
chose que des déductions granitiques,
dictées par une pensée « totale » qui ne
supporte pas l’amendement des faits.
Car, dans les faits, il existe un islam
séculier en France. C’est celui vécu ou
pratiqué par les Français musulmans
séculiers. Ils se rencontrent au quoti-
dien, et singulièrement dans les
couches sociales favorisées que fré-
quentent Eric Zemmour et son entou-
rage. « Il faut toujours dire ce que l’on
voit. Surtout, il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que
l’on voit », écrivait Charles Péguy dans Notre Jeunesse. La phrase
célèbre a été maintes fois citée, ces dernières années, pour pour-
fendre l’angélisme qui règne, parfois, dans le récit médiatique.
Mais, cette fois, le déni est bel et bien du côté de Zemmour.
C’est le principe des esprits comme le sien : partir de l’axiome
pour déduire le tout. Puis s’enferrer. Ne pas douter. Assumer
l’insulte, la cruauté, la blessure. Eric Zemmour n’imagine pas
de fermeté possible en dehors de sa martialité binaire. Il pose
en « de Gaulle 1940 », mais son erreur est indéfendable : traiter
en ennemis non pas une nation ou une armée belligérantes,
mais des citoyens français, du fait de leur religion. En prétendant
qu’il ne saurait exister de différence entre islam et islamisme,
le polémiste exclut de facto du champ républicain tous les
Français musulmans, puisque l’islamisme, qui entend faire
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
appliquer sa loi et ses prescriptions dans la sphère commune,
est incompatible avec la République. C’est une faute, en même
temps qu’un abandon en rase campagne de ceux déjà soumis à
un contrôle social intimidant, sous prétexte qu’ils seraient des
traîtres à leur religion.
La bataille culturelle, la bataille de normes qui traverse l’islam
aujourd’hui est un enjeu politique majeur pour notre nation, et
l’avancée de l’islamisme, ces dernières décennies, est effrayante.
Les musulmans laïques le savent bien, même s’ils sont, par nature,
plus silencieux que les bigots, les caïds et les intolérants auxquels
on ne cesse de céder du terrain et des territoires, et auxquels
l’extrême gauche offre une protection idéologique coupable en
hurlant au racisme dès que l’on tente de contrer leur offensive.
Mais enfin, si beaucoup de « séculiers »
se taisent, d’autres offrent aujourd’hui
dans le débat public certaines figures
contemporaines de la République.
« C’est une minorité, rétorquent
Zemmour et son entourage. Et on ne
fait pas une politique en prenant en
compte les minorités. » On comprend
ici que le polémiste soit dans ses écrits
souvent méprisant à l’égard de Voltaire,
lequel écrivait qu’« il vaut mieux hasar-
LAURENT DUVOUX/TALKIE WALKIE
der de sauver un coupable que de
condamner un innocent ». Zemmour
est comme le loup de La Fontaine, qui
croque l’agneau en lui reprochant un
forfait qu’il n’a pas commis : « Si ce n’est
toi, c’est donc ton frère. » Car, pour lui,
l’affaire est entendue : « 99 % des
musulmans rejettent » le fait de faire de
la religion quelque chose de privé, écrit-il en préface d’Un quin-
quennat pour rien (2016). On se demande d’où il tire son
estimation, visiblement pas sérieuse pour un sou…
Mais la justesse n’est pas son affaire, à Eric Zemmour. Pour
pourfendre l’irénisme lénifiant des « mous » qu’il exècre, il
assume les amalgames, dussent-ils heurter, effrayer, exclure ceux
qui ne sont pour rien dans la montée de l’islam radical, et qui
luttent même parfois courageusement contre. Tout cela, bien
sûr, est calculé. Pas certain, hélas, que ce soit une erreur poli-
tique : beaucoup de Français exaspérés par la poussée de l’isla-
misme sont désormais prêts à ces raccourcis – en cela, la respon-
sabilité des gouvernements qui se sont succédé depuis vingt ans
sans la combattre avec assez de vigueur est indélébile. Mais si ça
n’est pas une erreur politique, c’est une faute morale. Et l’on ne
bâtit jamais rien de bon sur une faute morale. W
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Nucléaire,
la fin de la « cancel culture » ?
CÉCILE MAISONNEUVE RÉPOND À EMMANUEL MACRON

Chaque semaine, un membre de notre Think tank expertise des propositions de campagne.
La spécialiste des sujets liés à l’énergie se réjouit de la fin de la « glaciation » de la politique nucléaire française.

L e 15 novembre 2011, Martine Aubry et Cécile Duflot enter-

raient le nucléaire français en scellant un accord électoral
entre le Parti socialiste et EELV, en vue des élections de l’année
politique allemande avant que son échec ne devienne patent, le
nucléaire avait cessé d’intéresser la droite républicaine. Il aura
fallu que Marine Le Pen se saisisse du thème avec opportunisme
suivante, prévoyant la fermeture de 24 réacteurs de 2012 à 2025. et que Fessenheim ferme pour que l’énergie nucléaire retrouve
Dix ans plus tard, le président de la République annonce la sa place à droite. Quant au parti socialiste, sa position est confuse,
construction de nouveaux EPR (sans en préciser la date ni le faute de savoir trancher entre des vues radicalement opposées,
nombre), quelques jours après la prise de position de Xavier qui vont de l’alignement pur et simple sur les positions écologistes
Bertrand en faveur de la construction de dix réacteurs de troi- (Anne Hidalgo) à un soutien raisonné (Patrick Kanner), voire franc
sième génération. C’en est bien fini de la glaciation totale de la et permanent (Bernard Cazeneuve).
politique nucléaire française, que le quinquennat précédent a Les annonces d’Emmanuel Macron portent le sujet sur un autre
fossilisée en se fixant pour objectif de ramener à 50 % la part de terrain, ringardisant de facto l’affrontement stérile entre « anti »
l’atome dans la production d’électricité à l’horizon 2035. et « pro ». Pour que la parole présidentielle se transforme en stra-
Sur ce sujet, le paysage tégie énergético-climatique, il
politique qui se dessine est
clair. Il y a d’abord le camp des Cécile Maisonneuve va falloir parler financement,
clarifier le calendrier et articu-
constants. Constamment ler les éléments du puzzle qui
contre s’agissant d’EELV, permettront d’atteindre l’ob-
contre il y a quarante ans, jectif de neutralité carbone
Ancienne présidente
contre il y a vingt ans, et sans en 2050. Tout cela sans ébor-
de la Fabrique de la cité,
doute contre… éternellement Cécile Maisonneuve gner au passage la sécurité
tant la posture antinucléaire est senior fellow d’approvisionnement et le
fait partie de son ADN : dans de l’Institut Montaigne pouvoir d’achat. Les questions
les années 1960-1970, le mou- et conseillère auprès du sont multiples : quelle part le
S. PICARD POUR L’EXPRESS

vement écologiste, fils spiri-
tuel des théories de la décrois-
sance, s’est construit contre le
nucléaire, symbole d’une éco-
nomie « productiviste ». A ce
jour, seuls les Verts finlandais
ont modifié leur code géné-
tique en soutenant le développement du nucléaire chez eux ;
leurs homologues suédois n’en sont pas loin qui, une fois arrivés
au pouvoir, se sont ralliés à une politique pronucléaire.
« Constamment pour » pourrait être la devise du PCF, qui n’a
pas oublié son histoire, celle d’un soutien sans faille à cette indus-
trie dès ses prémices… ni le poids toujours majeur de la CGT Energie
chez EDF. Fabien Roussel, le candidat communiste, est limpide
sur la question. Il est pour l’heure le seul candidat à demander la
reprise du programme Astrid, ce réacteur de recherche arrêté
(« suspendu », a dit la ministre de la Transition écologique) en cati-
mini en 2019. Ce, alors même qu’inscrit dans la loi de 2006 sur la
gestion des déchets, il vise, notamment, à en minimiser le volume.
Constants également nombre de Républicains, même si, ins-
titutionnellement, le parti, prudent, s’exprimait peu ou mollement
sur le sujet au cours des années passées. Comme si, entre la cancel
culture promue par l’accord de 2011 et la fascination pour la
centre énergie & climat contribuable et/ou le consom-
de l’Institut français des mateur vont-ils financer ?
relations internationales. Comment s’imbriquent exten-
sion de la durée de vie des réac-
teurs existants et connexion au
réseau des futurs réacteurs ?
Quid de la stratégie à l’export
de la filière, qui redevient crédible avec cette annonce ? Quant aux
petits réacteurs, les fameux SMR, faut-il privilégier un design fran-
çais ou acheter un design existant – par exemple, l’américain ?
Mettre en place une gouvernance claire s’impose : puisque la
transition écologique n’est que l’autre nom d’une nouvelle révo-
lution industrielle, la question d’un ministère empreint de cette
culture industrielle devenue rare dans l’appareil d’Etat doit être
posée. Reste un point crucial. EDF doit pouvoir travailler sereine-
ment : avoir un actionnaire qui ait le long terme en ligne de mire
et permette à l’entreprise de réconcilier optimum économique,
optimum opérationnel et optimum social. La filière doit aussi résis-
ter à ses vieux démons : à l’heure du nucléaire pour le climat, la
fierté retrouvée ne saurait se confondre avec l’hubris. L’heure est
à l’ambition et à l’innovation. Voilà un chantier… herculéen. W
Retrouvez sur notre site Internet (Lexpress.fr) les mesures des candidats
décortiquées par nos experts.

L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021

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PÉRISCOPE
ÉTATSUNIS
Sommet Biden-Xi :
le statu quo
La conversation a duré plus de
trois heures par écrans interpo-
sés, le lundi 15 novembre. Pour
leur troisième entretien depuis
l’élection de Joe Biden, le pré-
sident américain et son homo-
logue chinois Xi Jinping – sorti
renforcé d’un plenum du Parti
communiste – n’ont pas trouvé
grand terrain d’entente. Dans un
contexte tendu, en particulier sur
Taïwan, que lorgne la Chine, le
rendez-vous visait à « stabiliser
la relation et gérer la compéti-
tion » entre les deux super puis-
sances, écrit le Financial Times.
Bref, à temporiser, pour éviter
l’escalade.
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ÉQUATEUR
Massacre
dans un pénitencier
La prison de Guayaquil a été le
théâtre de scènes d’une incroyable
violence les 12 et 13 novembre.
Des gangs rivaux se sont affrontés
à coups d’armes blanches, d’armes
à feu et d’explosifs dans le plus
vaste pénitencier du pays. Bilan :
68 détenus tués, 25 blessés. Ce
massacre – diffusé en direct sur
Facebook – est le dernier d’une
série de graves incidents dans les
prisons équatoriennes. L’exécutif
et la Cour constitutionnelle se
tiennent mutuellement pour res-
ponsables. « La crise carcérale
montre non pas un Etat incompé-
tent, mais un Etat effrayé et para-
lysé », déplore La Hora.
ROYAUMEUNI
COP 26 : la douche
écossaise
Tout ça pour ça ! Au terme de la
26e conférence pour le climat, l’ac-
cord conclu le 13 novembre par les
représentants de 200 pays a dou-
ché les espoirs des militants éco-
logistes. Le « Pacte de Glasgow »
ne s’engage pas à contenir le
réchauffement à 1,5 °C. Sous la
pression de la Chine et de l’Inde,
la résolution sur la « sortie » du
charbon a été édulcorée pour ne
promettre qu’une « réduction ».
Emu aux larmes, le président de
la COP Alok Sharma s’est dit « pro-
fondément désolé ». « Les pays
n’ont toujours pas l’ambition radi-
cale d’éviter la catastrophe »,
regrette le Guardian.
AUTRICHE
Les non-vaccinés
confinés
Face à la flambée des cas de
Covid 19, le gouvernement a pris,
le 14 novembre, une décision radi-
cale : assigner à résidence les
réfractaires au vaccin. Avec moins
de 65 % de sa population vaccinée,
l’Autriche est l’un des pires élèves
d’Europe de l’Ouest, derrière la
Suisse et l’Allemagne. Ces trois
pays, germanophones et fédéraux,
ont connu dans les années 1980
un même engouement pour les
médecines alternatives et l’ésoté-
risme, explique le sociologue
Oliver Nachtwey dans Der
Standard. Selon certains, « la
vaccination est perçue comme une
intervention autoritaire de l’Etat ».
ZINIO
15
L’EXPRESS

POLOGNE/
BIÉLORUSSIE

La fabrique d’une
« crise migratoire »
Le piège s’est refermé en quelques
jours sur la Pologne, et, avec elle,
sur l’Union européenne. Entre
3 000 et 4 000 migrants sont
venus de Biélorussie. A l’origine de
cette crise migratoire artificielle,
Alexandre Loukachenko. Le dic-
tateur biélorusse a orchestré ce
trafic d’êtres humains en riposte
aux sanctions européennes. Pour
le Washington Post, l’Europe
porte aussi une responsabilité
dans ce drame : en sous-traitant,
dès 2015, la gestion des réfugiés à
des pays tiers, comme la Turquie,
elle a fait de la migration « un
bâton contre Bruxelles ».

INDE

Un confinement
contre la pollution ?
Les habitants de New Delhi pour-
raient se voir privés de sortie. Non
pas à cause du Covid-19, mais pour
SOUDAN échapper au nuage de pollution
qui menace la mégalopole de
La contestation 20 millions d’âmes. Les autorités
ont ordonné la fermeture des
durement réprimée
écoles pour une semaine dès le
A Khartoum, les forces de l’ordre
15 novembre. Face au risque, la
n’hésitent plus à tirer sur la foule
Cour suprême suggère même
des manifestants, nombreux à
de confiner la population, une
contester le putsch du 25 octobre.
mesure inédite. « La pollution
Au moins huit personnes ont été
hivernale [en raison notamment
tuées le 13 novembre, journée la
des feux agricoles allumés cette
plus meurtrière depuis le coup
saison] est devenue une affaire
d’Etat. Autre source d’inquiétude,
annuelle dont on ne discute que
le retour au premier plan de figures
lorsque la situation s’aggrave »,
des services de renseignement de
déplore India Today.
l’ancien régime d’Omar el-Béchir.
Malgré la répression, la détermi-
nation des protestataires semble
intacte. « Clairement sous pres-
sion, les généraux soudanais sont
isolés et ont peut-être surestimé
leurs chances de succès », note le
site All Africa.

L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021

ZINIO
16
DANS LA MÊLÉE
Faut-il un rappel de vaccination pour tous ?
Ouvert aux personnes de plus de 65 ans, il va être étendu
aux cinquantenaires. Mais, face à un retour de l’épidémie,
certains plaident pour son extension à toute la population.
OUI / « LE RAPPEL VACCINAL PEUT
NOUS ÉVITER UNE CINQUIÈME VAGUE »
PAR RENAUD PIARROUX
C haque personne vaccinée aura besoin d’un rappel pour main-
tenir son immunité à un niveau suffisant pendant tout l’hi-
ver. L’arrivée du variant Delta s’était traduite par une reprise épi-
démique qui n’a été contrôlée qu’à partir de la mi-août, lorsque
environ 60 % de la population française a été totalement vaccinée.
A ce moment-là, le nombre de nouvelles
contaminations s’est mis à décroître, et
la pression sur les hôpitaux a diminué.
L’amélioration s’est poursuivie, facili-
tée par la poursuite de la campagne de
vaccination. Actuellement, 76 % des
Français ont un schéma vaccinal com-
plet, et il ne reste que quelques millions
de réfractaires qu’il sera bien difficile
de convaincre. Mais l’épidémie redé-
marre, en particulier chez les adultes
NON / « CONCENTRONS-NOUS
SUR LES POPULATIONS À RISQUE »
PAR PHILIPPE AMOUYEL
E largir la vaccination à tous ? Oui, certainement, mais avant
il y a des priorités. Cet hiver, les infections virales banales,
étouffées l’an dernier par les confinements et les mesures barrière,
reviennent. Nous risquons d’avoir davantage de cas de grippe,
de bronchiolite, de gastro-entérite, et d’en avoir des formes plus
graves. L’urgence est donc d’éviter que viennent s’ajouter des cas
de Covid-19 chez les non-vaccinés et chez ceux dont la protection
s’est affaiblie avec le temps.
La question est aussi logistique. Revacciner dès à présent des
dizaines de millions de personnes représenterait un défi orga-
nisationnel majeur. Le personnel soignant, qui a été largement
éprouvé par les vagues successives, doit pouvoir récupérer et res-
ter disponible pour prendre en charge les épidémies hivernales
qui arrivent. Nous devons nous concentrer sur les populations à
risque susceptibles de saturer les hôpitaux dans les prochaines
semaines. La vaccination de rappel finira par s’imposer pour
tous, mais elle n’est pas absolument nécessaire dans l’immédiat.
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
jeunes, pourtant vaccinés en nombre. Cela s’explique très bien.
Les études menées notamment en Israël, où la campagne de vacci-
nation a débuté plus tôt qu’en France, montrent qu’au fil du temps
l’effet de la vaccination s’estompe. Heureusement, elles indiquent
aussi qu’une dose de rappel permet aux sujets vaccinés de recou-
vrer une protection d’excellente qualité.
Avec l’arrivée de l’hiver et la lassitude de tous, il faut s’attendre
à ce que le virus se transmette encore plus facilement. Si, en plus,
nous laissons se déliter l’immunité liée au vaccin, la situation rede-
viendra critique. Le nombre de patients hospitalisés en réanima-
tion est reparti à la hausse. La pression s’accentue sur les hôpi-
taux, où le personnel est sorti épuisé des quatre premières vagues.
Si rien n’est fait, cette pression ne peut que s’accentuer. En atten-
dant des traitements efficaces ou des vaccins dont l’effet serait
plus durable, le rappel vaccinal peut nous éviter la cinquième
vague qui se profile. Il faut l’utiliser. Cibler les plus fragiles en
priorité, puis, très vite, élargir le rappel à l’ensemble de la popu-
lation déjà vaccinée. W
Le Pr Renaud Piarroux est épidémiologiste et chef du service de parasitologie
à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris.
Nous devons à tout prix éviter une
remontée des hospitalisations avant
l’arrivée des fêtes. Les jeunes en bonne
santé développent beaucoup moins de
formes graves de Covid-19, et conti-
nuent à être protégés suffisamment par
leur vaccination initiale, qui a été plus
tardive que celle des plus de 50 ans.
Des études israéliennes, où a com-
mencé cet été l’injection d’une troi-
sième dose, montrent un bénéfice cer-
tain de ce rappel de vaccin chez les plus
de 60 ans, tant sur le risque de contami-
nation que sur celui de développer une forme grave. En revanche,
le recul concernant les quarantenaires, notamment, manque à
ce jour. Il n’y a donc pas d’urgence à revacciner une population
qui bénéficie encore d’une bonne protection, et nous devons
concentrer nos efforts à court terme sur les non vaccinés et les
plus de 65 ans. W
GILLES RAPAPORT
Le Pr Philippe Amouyel est épidémiologiste et professeur de santé publique
au CHU de Lille.
ZINIO
ZINIO
18
En couverture

es progrès formidables

D
ont été réalisés ces der-
nières années dans le
traitement des AVC. De
nouvelles technologies
COTE D’ALERTE permettent de sauver
plus de malades, et de leur éviter de lourds

Hôpital : handicaps. « Mais aujourd’hui, à Paris, on

vit un véritable drame, car nous devons

l’urgence souvent refuser des patients », déplore le

Manque de personnel, lits fermés, Covid,
bronchiolites... L’hôpital craque.
Comment en est-on arrivé là ?
PAR STÉPHANIE BENZ
JON BERKELEY
Pr Pierre Amarenco. Chef du service de
neurologie de l’hôpital Bichat, il a vu par-
tir 18 infirmières sur 24 en quelques mois,
et a dû se résoudre à la fermeture de 6 lits
de soins intensifs sur 10, et de ses 18 lits
d’hospitalisation. Dans les autres unités
neuro-vasculaires parisiennes, 30 % des
lits en moyenne sont fermés, selon leurs
responsables. « On peut démarrer les trai-
tements aux urgences, mais ensuite nous
n’arrivons pas à accueillir les malades dans
nos services, alors que les suites immé-
diates d’un AVC demandent des compé-
tences particulières pour limiter les com-
plications », regrette le Pr Amarenco.
Au-delà des polémiques sur le nombre
de lits fermés, à propos duquel le ministre
Olivier Véran promet toute la transparence
d’ici à la fin de novembre, médecins et
responsables hospitaliers sont nombreux
à s’alarmer de voir les soignants quitter le
navire. Selon une enquête réalisée cet été
par la Fédération hospitalière de France,
25 000 postes d’infirmiers et d’aides-
soignants seraient vacants, auxquels il faut
ajouter un tiers des postes de praticiens
hospitaliers. Sans compter l’absentéisme,
« aux alentours de 11,5 % au lieu de 10 %
habituellement », indique le Pr François-
René Pruvot, à la tête de la Conférence
nationale des présidents de commission
médicale d’établissement de CHU.
Toutes les régions sont touchées, à des
degrés divers : urgences qui n’ouvrent plus
la nuit, unités qui ferment, opérations
reportées – et toujours ces mêmes images
de brancards dans les couloirs... Coût de la
vie oblige, les tensions se trouvent encore
plus marquées en Ile-de-France. « Dans
nos établissements, les cellules de gestion
de la pénurie et des déficits de personnel
ont remplacé les cellules de crise Covid »,
confirme à L’Express Martin Hirsch, direc-
teur général de l’Assistance publique –
Hôpitaux de Paris.

Avec l’arrivée des virus hivernaux et

la menace d’une nouvelle vague de Covid,
le spectre de voir les établissements
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ZINIO
19

n° 3672 semaine du 18 au 24 novembre 2021

En demande-t-on trop à l’école ?
est décisionnaire », regrette le Pr André on ne connaît pas les protocoles », décrypte
Facebook : les pistes de la régulation

Le blues des démocrates américains Grimaldi, auteur du Manifeste pour la santé Fabienne Eymard, cadre de santé à l’Assis-
Espace : à l’assaut des astéroïdes

2022 (Odile Jacob). « Au plus fort de la crise, tance publique – Hôpitaux de Marseille. Un
SOIGNANTS, LIENS PUBLIC-PRIVÉ, BUREAUCRATIE

même les soignants les plus aguerris poli-
Comment tiquement ont cru à un nouveau monde.
sauver l’hôpital ? Voir les administratifs revenir avec leurs
demandes d’économies et de hausse
d’activité, c’est encore pire », constate le
Dr Olivier Milleron, du Collectif inter-
hôpitaux (CIH).
3’:HIKLRC=WUZ^UY:?n@g@h@m@a";
sondage de l’ordre des infirmiers indique
que 40 % d’entre eux envisagent de chan-
ger de métier. « Certaines directions vont
même jusqu’à demander à Pôle emploi
d’essayer de retrouver d’anciennes infir-
mières pour les convaincre de revenir »,
assure le Pr Pruvot.

Les conditions de travail, surtout, cris- L’origine de ces maux est connue : une
M 01722 - 3672 - F: 5,90 €

Exclusif - Les propositions de Barnier, Bertrand, Hidalgo, tallisent les rancœurs. Au centre des pré- demande de soins en hausse, du fait du
Jadot, Le Pen, Mélenchon, Pécresse, Zemmour
occupations : absences non remplacées, vieillissement de la population et d’une
rappels sur les congés, travail de nuit payé… réponse insuffisante de la médecine libé-
1 euro supplémentaire de l’heure. « On doit rale, elle-même en difficulté ; un finance-
craquer à quelques mois de la présiden- accueillir toujours plus de patients, avec ment des hôpitaux à l’activité, qui les
tielle met le gouvernement sur le gril. des équipes fatiguées et des collègues arrê- pousse à faire toujours plus d’actes pour
« Nous devons nous mobiliser collective- tés pour burn-out », témoigne Fred, infir- tenter de remplir les caisses, et, en même
ment avec des réponses immédiates, en mier aux urgences de Rennes. Le sentiment temps, des politiques d’économies qui se
capacité de produire des résultats pour les d’être un pion interchangeable d’un service sont traduites par une diminution des tarifs
prochaines semaines », a plaidé Olivier à l’autre pèse aussi sur le moral. « Pour le auxquels ces mêmes actes sont payés.
Véran devant un parterre d’hospitaliers personnel, c’est source d’un grand stress, « Une logique folle, qui devait aboutir à une
le 9 novembre au salon Santexpo à Paris, car le risque d’erreur est plus important crise », regrette le Pr Grimaldi. Beaucoup
leur lâchant au passage une rallonge quand on intervient dans des unités dont reste donc à faire pour sauver l’hôpital… :
budgétaire de plus de 1 milliard d’euros
pour 2021, et la prolongation de mesures
de crise (majoration d’heures supplémen- Traitement de choc
taires, cumul emploi-retraite…). Les repré-
sentants des hôpitaux ont aussi été convo-
qués en urgence par le ministère cette
Les pistes pour s’en sortir
semaine afin de « réfléchir à des actions
pouvant être mises en œuvre rapidement Malgré les avancées et les milliards du Ségur de la santé, divers dossiers
pour faire face aux tensions ». – explosifs pour la plupart – restent à ouvrir. En voici quelques-uns.
Avec le Ségur de la santé, des moyens
importants ont pourtant été débloqués :
9 milliards d’euros de revalorisations sala-
riales, 19 milliards d’investissements,
1 Plus de personnel ?
Des primes ici, des bourses de forma-
tion là… Dans les allées du Salon infirmier
directeur général de l’AP-HP. A cela
s’ajoutent une diversification des horaires
de travail pour une partie des agents, la pos-
7 500 créations nettes de poste à venir, qui se tenait du 8 au 10 novembre porte de sibilité d’accéder à des formations longues,
6 000 nouvelles places dans les écoles d’in- Versailles à Paris, hôpitaux, cliniques et des budgets pour l’amélioration du cadre
firmiers et d’aides-soignants, mais aussi agences d’intérim tentaient désespéré- de travail et bientôt des aides au logement.
plus de concertation dans la gestion des ment de séduire des recrues. « C’est la pre- « Mais on ne changera pas la donne sans
établissements... « Il faut s’interroger sur mière fois que nous venons : nous avons améliorer les conditions de travail », plaide
pourquoi on se sent bien ou non dans un plus de départs que d’habitude, et moins Thierry Amouroux, porte-parole du
métier : un salaire à la juste valeur de son de candidatures. Mais même ici, ce n’est Syndicat national des professionnels infir-
travail, des moyens à la hauteur de sa mis- pas facile », soupire Myriam Simon, cadre miers. La priorité, pour les soignants ?
sion, des collègues en nombre suffisant, à l’hôpital de Niort (Deux-Sèvres). Des ratios de malades par agent, pour
l’impression de participer aux choix de ges- Dans les établissements les plus tou- éviter par exemple qu’une infirmière se
tion. Sur ces quatre points, toutes les déci- chés par les pénuries de personnel, comme retrouve seule pour 15 ou 20 lits. Une
sions qui permettent que demain le sys- ceux de l’Assistance publique-Hôpitaux demande appuyée par le corps médical :
tème de santé aille mieux ont été prises », de Paris (AP-HP), l’heure est aux réorgani- « Avoir un nombre de personnels suffisant
assure-t-on au cabinet d’Olivier Véran. sations pour tenter de pallier les manques. conditionne la qualité et la sécurité des
Sur le terrain, les effets peinent toute- « Nous nous sommes aussi engouffrés soins », insiste le Pr Rémi Salomon, qui
fois à se faire sentir. « Tout cela n’est pas dans les souplesses ouvertes par le Ségur représente les médecins de l’AP-HP.
rien. Mais, sur l’organisation de l’hôpital, pour négocier avec les syndicats et la Trouver les candidats pour combler
par exemple, rien ne change vraiment : on communauté médicale des primes et des les 25 000 postes vacants – et a fortiori aug-
va écouter les médecins et les infirmières, majorations d’heures supplémentaires, menter les effectifs – passera aussi par la
mais le millefeuille bureaucratique reste en plus des augmentations prévues au poursuite de la hausse du nombre de places
en place, et c’est toujours le directeur qui niveau national », souligne Martin Hirsch, dans les écoles d’infirmiers, et par d’autres
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ZINIO
20
En couverture

mesures d’attractivité, à commencer

par la revalorisation du travail de nuit,
ou par le fait de donner aux paramédicaux
des compétences nouvelles et des perspec-
tives de carrière.
Pourvoir les 30 % de postes de pra-
ticiens vacants s’annonce plus ardu
encore. « Les écarts salariaux avec le privé
expliquent beaucoup de nos difficultés.
Nous attendons du gouvernement un rap-
port qui les objective », indique Frédéric
Valletoux, président de la Fédération
hospitalière de France (FHF). Et après ?
Réduire ces différences impliquerait de
coûteuses augmentations dans le public,
ou une délicate remise à plat des rémuné-
rations dans le privé. Le prochain gouver-

E. PIERMONT/AFP
nement s’y attellera-t-il ?

2 Plus d’IA et de robots ?

Prédire l’hospitalisation d’un patient
dès son arrivée aux urgences et lui réserver
Des exosquelettes pourraient, à terme, soulager certains aides-soignants ou infirmiers.

un lit ne relève plus de la science-fiction.
Depuis deux ans, le Dr Emilien Arnaud,
praticien au département de médecine
d’urgence du CHU d’Amiens, développe ce
projet d’intelligence artificielle (IA). « En
théorie, nous pourrions gagner en temps
et en efficacité », affirme-t-il. Mais, dans les
faits, impossible d’en mesurer les résultats.
« S’il n’y a pas assez de lits disponibles,
l’IA a beau afficher de belles performances,
elle ne peut pas être utilisée de manière
optimale », soupire le médecin.
Pleines de promesses quant aux gains
de productivité et à l’amélioration de la
prise en charge des patients, les nouvelles
technologies ne résoudront pas en un cla-
quement de doigts les problèmes des hôpi-
taux. « Mais le potentiel est là : j’ai vu aux
Etats-Unis des expériences de gestion de
flux des patients qui fonctionnent très
bien », nuance Cyrille Politi, ex-conseiller
transition numérique à la FHF. « La tech-
nologie peut intervenir à de nombreuses
étapes du parcours de soins pour épauler
les soignants », abonde Laure Millet, res-
ponsable du programme santé de l’Insti-
tut Montaigne.
Dans certains domaines, les premières
applications de l’IA s’avèrent plutôt encou-
rageantes « pour limiter le temps consacré
à certaines tâches administratives, analy-
ser des images médicales, ou détecter en
amont l’aggravation de l’état de malades
chroniques », énumère le Pr Philippe
Ravaud, responsable scientifique du
projet « @Hoteldieu » à l’AP-HP, qui vise à
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
construire « l’hôpital numérique » de
demain. A condition, au préalable, de
poursuivre la mise à niveau des outils
informatiques. « Dans certains établisse-
ments, on utilise encore le fax et les dos-
siers papier, et il faut jongler avec quatre
logiciels pour gérer les soins d’un seul
patient », se désole un jeune médecin.
Côté robotique, le constat reste pour
l’instant mitigé. L’automatisation des ana-
lyses biologiques ou de certaines pharma-
cies hospitalières a permis d’indéniables
gains d’efficacité. « A terme, les exosque-
lettes pourraient améliorer l’attractivité
des métiers d’aides-soignants ou d’infir-
miers. En revanche, les robots qui viennent
les assister, en livrant les plateaux-repas
par exemple, se développent très peu »,
constate Cyrille Politi. Quant aux robots
chirurgicaux, ils s’avèrent pour l’instant
très coûteux, alors que le bénéfice pour
les malades reste discuté.
3 Plus d’argent ?
« La santé n’a pas de prix », déclarait
Emmanuel Macron lors de l’annonce
du premier confinement. Mais elle a un
coût. En 2022, les dépenses hospitalières
devraient atteindre 95 milliards d’euros.
Un budget dopé par les mesures du Ségur
de la santé (10 milliards par an de hausses
salariales et 19 milliards d’investissement
sur dix ans), qui n’ont pourtant pas suffi
à éteindre les revendications des soi-
gnants. Une demande légitime selon
Brigitte Dormont, professeur d’économie
à l’université Paris-Dauphine – PSL :
« Depuis une dizaine d’années, toute la
maîtrise de l’Ondam [NDLR : objectif natio-
nal des dépenses d’assurance-maladie] a
reposé sur leurs épaules, car il est plus facile
de serrer la vis aux hôpitaux qu’à la méde-
cine de ville. » « Nous souhaiterions que les
budgets suivent une évolution d’au moins
+ 2,4 % par an pour éviter des économies
aveugles, et que l’on nous donne de la visi-
bilité sur plusieurs années », précise
Frédéric Valletoux, de la FHF.
Mais où trouver les milliards néces-
saires ? « La France est déjà l’un des pays
européens où les dépenses hospitalières
sont les plus élevées : plus de 4 % du PIB »,
souligne François Ecalle, ancien rappor-
teur général de la Cour des comptes. Mais
si l’on compare les dépenses par habitant,
l’Hexagone décroche du haut du classe-
ment (voir page 26). « Les mesures du
Ségur ont été financées à crédit ; on peut le
faire pour des dépenses d’investissement,
mais pas pour celles de fonctionnement,
sauf si l’on veut creuser le déficit », rappelle
Frédéric Bizard, économiste de la santé.
Autre levier possible, celui de la hausse
de la CSG et des cotisations sociales. Mais
entre le ras-le-bol fiscal et nos problèmes
de compétitivité, les marges de manœuvre
sont étroites.
Reste, sinon, à faire le ménage dans
les dépenses de santé. « De 20 % à 30 %
d’entre elles pourraient être mieux uti-
lisées si l’on évite les actes inutiles, redon-
dants ou de non-qualité », estime Frédéric
ZINIO
Valletoux. Un chantier qui nécessiterait
de changer bien des habitudes, mais aussi
de s’attaquer aux rentes dont profitent cer-
tains professionnels, du fait de tarifs trop
élevés au regard des gains de productivité
réalisés ces dernières années avec les pro-
grès médicaux. « Nous ne pourrons pas
non plus faire l’économie d’une réforme
de la tarification à l’activité : celle-ci incite
les établissements à multiplier les actes à
budget quasi constant », ajoute Brigitte
Dormont.
L’idée de « Grande Sécu », relancée par
le ministre Olivier Véran, pourrait aussi
redonner des marges aux hôpitaux : « Nous
sommes le dernier pays à avoir un copaie-
ment, assurance-maladie et complémen-
taires, pour les mêmes soins, regrette
Martin Hirsch. Rien qu’à l’AP-HP, cela nous
oblige à employer un millier d’agents pour
la facturation. Sans parler des millions
d’euros d’impayés ! »
4 Un nouveau pacte
public-privé ?
Et si la pandémie avait permis d’enterrer
la hache de guerre ? Au plus fort de la crise
sanitaire, hôpitaux publics et cliniques pri-
vées ont dû affronter ensemble la marée de
patients. « Dans beaucoup d’endroits, on a
réussi à coopérer dans l’urgence, en se
répartissant les malades Covid et les autres,
ou en s’échangeant du personnel », se sou-
vient Thierry Chiche, directeur du groupe
Elsan, un des leaders de l’hospitalisation
privée en France. Si la coopération public-
privé n’est pas la recette magique, elle
Si « la santé n’a pas de prix » selon le président, elle nécessite des moyens certains.
permet parfois de consolider une offre de
soins de qualité... en soulageant au passage
les comptes de l’hôpital. A une condition :
« accepter une vraie division des tâches »,
pour Laure Millet, de l’Institut Montaigne.
Au cas par cas et souvent par pragmatisme,
des rapprochements s’opèrent. Dans le jar-
gon médical, on appelle ces fiançailles des
groupements de coopération sanitaire
(GCS). A Arles, toute l’activité de chirurgie
de la clinique de la ville se fait désormais
sur le plateau technique de l’hôpital.
« On mutualise les équipes, les anesthé-
sistes, les infirmiers », explique Thierry
Chiche. Même montage à Fontainebleau,
où 11 médecins libéraux d’une clinique qui
a fermé ses portes opèrent désormais à
l’hôpital public, dans un bloc flambant
neuf. « Nous leur avons garanti la même
rémunération, et en échange ils ont accepté
certaines contraintes comme la continuité
des soins », explique Benoît Fraslin, direc-
teur du centre hospitalier du Sud Seine-
et-Marne. Les patients, eux, n’ont pas de
dépassement d’honoraires. « C’est toute la
question de l’amortissement des coûts
fixes. Plus le bloc est utilisé, plus les équi-
pements sont rentabilisés », poursuit
Benoît Fraslin, qui a calculé que ce rappro-
chement public-privé a dopé son activité
de l’ordre de 5 à 10 %.
Pour généraliser la pratique, une
barrière devra cependant être levée :
l’exemption, depuis la réforme de 2004,
de l’obligation de permanences de soins
pour les libéraux. Un sujet dont il paraît
difficile de faire l’économie, y compris, de
P. LOPEZ/AFP
21
façon plus large, pour l’amélioration du
fonctionnement des urgences hospita-
lières. « C’est l’un des enjeux majeurs,
insiste le Dr Thierry Godeau, président de
la Conférence nationale des présidents
de commission médicale d’établissement
de centre hospitalier. L’hôpital ne peut pas
continuer à assumer seul la plus large part
de l’accueil des soins non programmés. Des
mesures ont déjà été prises, mais le système
côté généralistes, et libéraux dans leur
ensemble, repose encore trop sur le volon-
tariat. » De rudes batailles en perspective.
5 Moins d’administration ?
La crise sanitaire, qui a vu médecins
et gestionnaires travailler main dans la
main, aurait pu être l’occasion d’une
réforme en profondeur du fonctionne-
ment de l’hôpital. Les praticiens l’espé-
raient, alors que depuis une loi de 2009
le directeur d’établissement est le seul
« patron » à bord. Sur le papier, le gouver-
nement a semblé entendre le corps médi-
cal : la loi Rist consacre le retour du service
comme l’échelon de référence pour l’orga-
nisation du travail, et redonne un peu de
poids aux médecins dans la stratégie de
l’hôpital. « L’esprit qui flotte autour de
nous a évolué, mais, dans la pratique, le
changement est encore loin d’être effectif
partout », constate le Pr François-René
Pruvot, à la tête de la Conférence nationale
des présidents de commission médicale
d’établissement de CHU. « Les chefs de
service n’ont pas la main sur la gestion du
personnel, du petit matériel ou des forma-
tions », confirme le Dr Thierry Godeau.
La gestion très étatique de l’hôpital
fait elle aussi l’objet de critiques récur-
rentes : « Un directeur reçoit chaque année
150 instructions, circulaires ou recomman-
dations de l’administration centrale et des
différentes agences », rapporte Frédéric
Valletoux, de la FHF. Un lourd corset, qui
empêche de s’adapter aux réalités des
territoires. D’un peu partout – médecins,
directeurs, patients… –, une demande d’au-
tonomie se fait de plus en plus entendre.
« L’Etat devrait fixer des objectifs de santé
publique, tout en laissant les acteurs et les
professionnels de terrain s’organiser, en
concertation avec les représentants des
patients et les élus locaux », plaide Claude
Rambaud, vice-présidente de France assos
santé. Tout un programme… :
STÉPHANIE BENZ, BÉATRICE
MATHIEU ET PHILIPPINE ROBERT
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ZINIO
22
En couverture
Remède
A Valenciennes, des médecins patrons
L’un des plus gros établissements de France a mis en place depuis plus
de dix ans une gestion décentralisée. Une solution à la crise de l’hôpital ?
L’organisation en 14 pôles a permis au personnel soignant de gagner en rapidité.
L e Dr Nabil Elbeki entre en coup de
vent dans un bureau, téléphone collé
à l’oreille. « Vous arrivez pendant une
période musclée », lance-t-il. Dans un coin
de la pièce, le Dr Hervé Bisiau hoche la tête.
« Après les retours de vacances, il y a tou-
jours du mouvement », confie-t-il. Un quo-
tidien intense, alors que le centre hospita-
lierde Valenciennes, où ils exercent, doit
gérer l’après-pandémie. Les deux hommes
ont d’autant moins le temps de souffler
qu’ils occupent une fonction qui n’existe
pas ailleurs dans l’Hexagone : celle de chef
de pôle.
Dans cet établissement, ces médecins
recrutent les personnels de leur pôle,
gèrent les investissements et les dépenses
– tant qu’ils sont inférieurs à 70 000 euros
par projet – et doivent veiller à l’équilibre
budgétaire. « On est un peu devenus des
entrepreneurs », s’amuse le Dr Elbeki, à la
tête des départements urgences, réanima-
tion, anesthésie et médecine polyvalente.
Entre deux gorgées de café, le Dr Bisiau
approuve : « On me dit souvent que je gère
le laboratoire de l’hôpital comme si c’était
le mien. Avoir cette gestion entre les mains,
ça responsabilise ! »
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
D. CHARLET/AFP
Depuis 2009 et la mise en place de
sa gestion décentralisée en 14 pôles,
Valenciennes affiche une santé financière
assez rare pour être soulignée : l’hôpital,
chaque année, est soit à l’équilibre, soit
il dégage 1 % à 2 % d’excédent. « Nous avons
eu une diminution des coûts de structure :
notre pôle administratif compte seule-
ment 5 % de personnel non médical,
contre plus de 33 % en moyenne dans les
hôpitaux », glisse Rodolphe Bourret, le
directeur de l’établissement. Le personnel
encadrant de Valenciennes vante son
amour des bilans comptables, tout en
expliquant rester lucide. « C’est au béné-
fice du soin. On essaie de ne pas gaspiller
et d’aller au plus pertinent pour le patient,
assure le Dr Elbeki. C’est ce que j’appelle
de la gestion en bon père de famille. »
Une efficacité reconnue par les habi-
tants de la région. « 30 % de malades qui ne
sont pas de notre bassin viennent parce
qu’ils connaissent la qualité des soins »,
veut croire le Dr Elbeki. L’hôpital a doublé
sa capacité, passant de 175 000 consulta-
tions par an à 350 000, et de 15 000 opéra-
tions à 35 000. « L’exigence de soin est là :
on a été capable de mettre en place un
service de chirurgie de la main en moins de
trois mois, explique Rodolphe Bourret.
Nous sommes plus rapides car les méde-
cins connaissent les besoins de leurs
pôles. » Comme lors des prémices de la pan-
démie du Covid. « On a compris qu’il fallait
se préparer quand les premiers signaux
d’alerte sont arrivés d’Italie, se souvient le
Dr Elbeki. J’ai pu adapter mon service sans
passer par l’administration centrale. »
Ce fonctionnement a toutefois un prix :
l’activité des chefs de pôle est souvent
moins consacrée au médical qu’à l’admi-
nistratif. Bien qu’épaulés par des cadres de
santé devenus les « mini-DRH » de chaque
secteur, les mandarins avouent que « 75 %
à 80 % de leur quotidien » sont dévoués à
la gestion. « Ce que tous les médecins ne
sont pas prêts à faire, admet le Dr Bisiau.
Quand il nous arrive de présenter notre
modèle dans d’autres hôpitaux, certains
nous disent qu’ils ont choisi ce métier pour
soigner, pas pour manager. Mais on peut
faire les deux. » Le Dr Elbeki lève un index :
« Tous ne sont pas voués à devenir admi-
nistrateurs : nous avons une dizaine de
chefs de pôle pour 500 praticiens. Chez cer-
tains, le management est inné, quand
d’autres doivent se former. »
Mais, en dépit de sa bonne santé finan-
cière, le centre hospitalier n’échappe pas à
l’épuisement d’une partie de ses soignants.
Et si les chefs de pôle et les cadres de santé
interrogés ne tarissent pas d’éloges sur le
« modèle valenciennois », des voix disso-
nantes se font entendre. Comme partout
– 10 % des postes d’infirmiers sont vacants
dans l’Hexagone –, Valenciennes assiste à
des départs du côté de son personnel para-
médical. « Ils n’en peuvent plus », nous
assure un représentant du syndicat Sud.
Dans son local, le syndicaliste désigne
une enveloppe sur son bureau. « La lettre
de démission d’une aide-soignante. Elle
part travailler à la chaîne chez Toyota. Elle
ne supporte plus l’ambiance ici », confie-
t-il. La faute, selon lui, à une « cadence
infernale ». « Nous avons à déplorer des
départs de paramédicaux », confirme le
Dr Bisiau, qui avance néanmoins une expli-
cation plus circonstanciée : « Les gens sont
épuisés par la crise sanitaire. » Pour y faire
face, le pôle géré par le Dr Elbeki met en
place une mission qui doit se pencher sur
la qualité de vie au travail du personnel
paramédical. De quoi réagir vite. « C’est
aussi ça, la gestion par pôle », conclut-il. W
ALEXANDRA SAVIANA
ZINIO
23

Programmes

Si j’étais président, je ferais...

L’Express a demandé aux candidats élyséens un état des lieux
et une proposition pour sortir de la crise le système hospitalier.

D es esprits tatillons qualifieraient le phénomène de paradoxal. Moins de deux ans

après le début de la crise sanitaire qui a jeté sur l’hôpital public une lumière crue,
les conditions de travail des médecins, du personnel médical et paramédical, la qualité
de la prise en charge des patients, l’offre de soins, l’état des équipements n’occupent
qu’une place infime dans les discours des candidats à la présidentielle. Que pensent ceux
qui espèrent être demain aux manettes d’un pays encore secoué par une épidémie dont
les rebonds paraissent interminables et surtout imprévisibles ? Comment imaginent-ils

S. DE SAKUTIN/AFP
la situation dans ces hôpitaux en crise ? Quelles améliorations envisagent-ils ? Nous leur
avons demandé leur(s) mesure(s) forte(s) pour sauver l’hôpital public. Certains se pro-
noncent pour la première fois sur le sujet. Emmanuel Macron, pas encore déclaré mais
déjà à l’Elysée, a, lui, juré lors de sa récente allocution que « jamais, depuis la création de Yannick Jadot EELV
la Sécurité sociale, nous n’avions autant investi dans la santé » – rappelant que 19 mil-
liards d’euros vont permettre de financer la rénovation des établissements hospitaliers Nous reviendrons sur
« partout sur le territoire ». Dans son entourage, on assure que le président-s’il-est-can- la tarification à l’acte
didat veut « accentuer le Ségur en investissant plus dans le foncier et dans l’attractivité Il faut inverser la logique de gestion,
des métiers, accroître la numérisation de l’univers médical, renforcer la dimension psy- radicalement. Plutôt que de fixer
chologique dans les formations ». Et reprendre à son compte le projet de « Grande Sécu » un budget national décliné localement
mis sur la table par Olivier Véran. :PROPOS RECUEILLIS PAR ERWAN BRUCKERT, qui met tout le monde sous pression,
PAUL CHAULET, LAURELINE DUPONT, MARYLOU MAGAL ET ÉRIC MANDONNET il faut repenser l’offre de soins
en fonction des territoires, par bassin
de santé, avec tous les acteurs de
Valérie Pécresse LR la santé, les collectivités et les patients,
et adopter un ratio de personnels
Refonder l’hôpital public par population.
au service des malades Dans chaque région, les moyens
Face à la crise l’hôpital a tenu, mais à quel des hôpitaux publics devront être fixés
prix ? Nos soignants ont été durement selon la démographie, les âges,
éprouvés. Conséquences : de nombreuses la situation sanitaire. Dans chaque
démissions, des fermetures de lit et une établissement, comme pendant la crise
pénurie de médecins, qui menacent sanitaire, l’organisation devra être
la qualité des soins. Je veux plus de définie par les médecins et les
soignants pour l’hôpital. Pour recentrer personnels soignants eux-mêmes.
l’Etat autour des trois missions « éduquer, Nous reviendrons sur la tarification
protéger et soigner », je souhaite former à l’acte et renforcerons les salaires
et recruter 25 000 soignants en plus sur et les effectifs.
T. SAMSON/AFP

le mandat, car il faut augmenter le temps Je veux aussi donner à la prévention

médical au lit des malades. Je lancerai un
audit sur les investissements nécessaires
car les besoins sont criants, s’appuyant
aussi sur les évaluations des usagers,
systématiquement collectées et publiées.
Je veux donner plus de liberté
et de responsabilités aux médecins chefs
de service sur les investissements
et les recrutements. Il faudra alléger
drastiquement les contraintes
bureaucratiques, qui génèrent trop
de coûts administratifs au détriment des
dépenses de soins. Les hôpitaux pourront
choisir le statut plus souple de fondation,
comme les centres de lutte contre
le cancer. Je veux que les Régions
président les agences régionales de santé
pour qu’elles organisent une étroite
coopération entre hôpitaux publics
et privés et médecins libéraux.
Les financements hospitaliers seront liés
davantage à des engagements de qualité,
comme les délais maximaux pour obtenir
un rendez-vous. Enfin, je reconnaîtrai
pleinement les missions de service public
des hôpitaux privés afin de mieux
intégrer leurs services d’urgence
au dispositif sanitaire. :
une place centrale dans notre stratégie
sanitaire – alors qu’elle représente
seulement 1,8 % du budget de la santé.
Pour qu’il y ait moins de malades
à l’hôpital, il faut moins de raisons
de tomber malade. Nous subissons
une explosion des maladies chroniques
et des virus liée à la dégradation
de l’environnement. Protéger
l’environnement, c’est protéger
la santé ! :
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ZINIO
24
En couverture
L. VENANCE/AFP
Marine Le Pen RN
La réorganisation des
urgences, une nécessité
pour patients et soignants
Tous nos compatriotes connaissent
l’attente interminable aux urgences ;
de même, tous les soignants qui ont
travaillé dans ces services connaissent
l’engorgement sans solution, et parfois
même la violence.
J’ai trois propositions pour
répondre à l’impérieuse nécessité
de la réorganisation des services
d’urgence de l’hôpital.
Tout d’abord, il faut renforcer
de façon significative le personnel
et le former à cette médecine spécifique.
Il m’apparaît aussi nécessaire
de créer une filière distincte pour
les patients les plus âgés ; une filière
gérée par des spécialistes. Ces urgences
gériatriques permettraient une prise
en charge spécifique et adaptée
aux pathologies qui touchent nos aînés
et qui, très souvent, entraînent
une hospitalisation.
Enfin, je propose également
de systématiser l’adossement aux
urgences de cabinets médicaux libéraux
vers lesquels pourraient être réorientés
les patients relevant de la médecine
de ville et non des urgences. :
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
J. F. MONIER/AFP
Xavier Bertrand LR
Remettre nos soignants
au cœur de nos hôpitaux
Notre système de santé nécessite plus
qu’une énième réforme. Nous devons
rebâtir un système pour les vingt ans
à venir. L’accent doit être mis
sur les soignants. Aujourd’hui, un tiers
des postes à l’hôpital sont des postes
administratifs, contre un quart
en Allemagne. La gouvernance
de l’hôpital doit être davantage
médicale. Je veux remettre nos
soignants au cœur de nos hôpitaux.
Arrêtons de contingenter d’une
façon ou d’une autre le numerus clausus
et augmentons vraiment le nombre
de médecins formés.
Pour les infirmiers, les aides-
soignants, les Ibode (infirmiers de bloc
opératoire), pour ne prendre que
ces exemples, j’engagerai un plan massif
sur l’attractivité des métiers. Cela ne
concerne pas seulement les salaires,
il y a aussi les conditions de travail,
le logement, les perspectives de carrière,
la validation de l’expérience et,
de manière générale, la reconnaissance
que la société leur doit. Bien
évidemment, la bonne solution doit être
globale. La santé doit marcher sur
ses deux jambes : la ville et l’hôpital. :
A. KISBENEDEK/AFP
Eric Zemmour
Débureaucratiser l’hôpital
Outre la dette, qui atteint aujourd’hui
30 milliards d’euros, la bureaucratie
et l’extrême centralisation des moindres
décisions étouffent l’hôpital public, où
près de 34 % des effectifs ne sont pas des
soignants mais des agents administratifs,
techniques ou de services (contre 22 %
en Allemagne). Cette technocratie
ralentit la prise de décision, comme
l’a prouvé la première vague Covid où
les médecins hospitaliers ont repris leur
pouvoir organisationnel pour s’adapter
à l’urgence.
L’hôpital de Valenciennes
expérimente depuis dix ans une gestion
décentralisée et compte seulement 5 %
de personnel non médical, déléguant
80 % du budget aux chefs de pôle,
qui peuvent ainsi recruter des personnels
et acheter des équipements rapidement
en fonction de leurs besoins. Cette
autonomie laissée aux médecins libère
l’esprit d’initiative et les résultats sont
éloquents : taux d’absentéisme inférieur
à 8 %, établissement excédentaire depuis
sept ans, 100 personnes embauchées
chaque année dont 95 % des soignants.
Je propose de décliner ce modèle
ailleurs en France avec une organisation
plus souple, fondée sur des pôles
cliniques, avec de larges délégations
de responsabilité. La priorité est de
redéployer le personnel administratif des
hôpitaux vers les soins (par la formation,
l’accompagnement, le soutien aux
personnels médicaux). Il est urgent de
faire à nouveau confiance aux médecins
et aux personnels soignants. :
ZINIO
E. PIERMONT/AFP
Anne Hidalgo PS
Un plan massif
de recrutement,
de formation
et de revalorisation
Après deux années de crise sanitaire,
le travail des soignants n’a jamais été
aussi difficile qu’aujourd’hui.
L’hôpital public a subi une pression
financière trop forte qu’il faut
impérativement desserrer,
sans quoi il perdra les professionnels
qui le font vivre.
J’engagerai un plan massif
de recrutement, de formation
et de revalorisation de tous les métiers
de l’hôpital : 25 000 infirmiers
et aides-soignants supplémentaires
pour rouvrir les lits fermés, définir
des ratios minimaux de soignants
par patients, former 15 000 médecins
et 1 250 sages-femmes par an, et recruter
dans les services 5 000 logisticiens,
techniciens et agents hospitaliers pour
faire gagner du temps aux soignants
et améliorer les conditions d’accueil
des patients.:
F. NASCIMBENI/AFP
Jean-Luc Mélenchon LFI
L’Etat doit planifier
la reconstruction
dès maintenant
L’austérité et la marchandisation ont
disloqué notre hôpital, longtemps le
meilleur au monde. Il faut le reconstruire,
en changeant de logique. Aujourd’hui,
on lui impose un niveau fixe de dépenses,
et on voit quoi et qui on peut soigner avec.
Alors que les maladies chroniques se
multiplient et que la population vieillit,
c’est insensé, et cela coûte plus cher.
Il faut partir des besoins de soin et
s’organiser pour soigner tout le monde.
L’Etat doit planifier la reconstruction
dès maintenant : tant que les causes des
pandémies n’auront pas été réglées, nous
devons nous tenir prêts à des répliques
de même nature que le Covid-19.
Je propose donc un plan massif de
recrutement de professionnels du soin et
du médico-social. Un tiers des infirmières
déclare souffrir de symptômes dépressifs.
Formons et recrutons 100 000 soignants.
Revalorisons les métiers et les revenus,
titularisons les précaires, augmentons
les places et les moyens de ces
formations. Revenons sur la tarification
à l’activité. Elle étrangle les petits
hôpitaux et défigure le sens de la
médecine. Renonçons à la concentration
des hôpitaux, qui entraîne fermetures
de lits et d’établissements.
En 2020, Macron a supprimé 5 700 lits :
soit 100 000 en vingt-cinq ans !
Nous rouvrirons lits, services d’urgence
et de maternité pour que chaque Français
dispose d’un service de santé public
à moins de trente minutes de chez lui. :
25
A. HOSBAS/ANADOLU AGENCY VIA AFP
Michel Barnier LR
Il faut un choc d’attractivité
La France a une énorme dette à l’égard
de ses soignants et de l’hôpital public,
qui ont fait face avec professionnalisme
et un immense courage à cette terrible
pandémie. Je souhaite engager un grand
plan de recrutement, de formation
et d’investissements pour nos hôpitaux
publics. Pour cesser de décourager les
vocations, il faut ce choc d’attractivité :
améliorer les conditions de travail
et s’attaquer aux pesanteurs
administratives à l’hôpital.
La mission de l’hôpital, c’est soigner,
pas appliquer des normes !
La part des personnels non soignants
en France (34 %) est bien supérieure
à celle de l’Allemagne (25 %), et dans
le même temps les salaires de nos
soignants sont nettement inférieurs.
Nous réduirons ces dépenses en
s’attaquant à cette suradministration,
en investissant dans le numérique, qui
doit simplifier les tâches, et en organisant
de bien meilleures collaborations entre
l’hôpital et la médecine de ville.
Cela nous permettra d’augmenter
effectivement les salaires comme
cela est prévu par le Ségur de la santé,
mais aussi de payer les heures
supplémentaires, de recruter et
d’investir dans les équipements les plus
modernes. Il faudra également prendre
soin de nos internes, dont le rôle est
décisif à l’hôpital. Le Ségur de la santé
a malheureusement été une formidable
occasion manquée, une rustine qui ne
s’est pas attaquée aux problèmes de fond
de l’hôpital et des soignants. :
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ZINIO
26
En couverture

SONAR

La crise de l’hôpital en chiffres

Le Ségur de la Santé est venu compenser des années de sous-investissement
et de contraction des salaires. Mais il reste encore beaucoup à faire.
Sept pays dépensent plus pour l’hôpital Plus de lits par habitant que la moyenne
Dépenses hospitalières par habitant en 2019 en euros, Lits d’hôpital pour 100 000 habitants, en 2019
à parité de pouvoir d’achat
Position
1 au classement
1 609 parmi les pays
1 545 de l’OCDE
1 469
1 317
1 137

882 851 799

Moins d’infirmiers qu’à l’étranger

Personnels hospitaliers pour 1 000 habitants, en 2019

Suisse Etats-Unis Allemagne Belgique France R. U. Italie Espagne

1 3 4 6 8 13 14 17

Plus d’une décennie de baisse des investissements et des rémunérations, jusqu’à ce que le Ségur n’inverse les courbes en 2021
10 110

8
105
Evolution Evolution
de l’effort 6 de la rémunération
d’investissement du personnel infirmier 100
des hôpitaux exerçant en milieu
4
publics hospitalier
depuis 2009, (en valeur réelle) 95 France
en % des recettes 2

0 90
2009 2019 2010 2019

Le manque de moyens pèse sur la qualité des soins Des conditions de travail très dégradées
Taux de mortalité suite à un AVC, Nombre d’événements indésirables à la suite Enquête de la Drees en 2019, pourcentage
sur 100 admissions à l’hôpital d’une opération de la hanche ou du genou* des répondants d’accord avec les affirmation suivantes

9,3 France 1 595

9 Etats-Unis 943
7,9 Allemagne 676
7,7 Suisse 576
7,1 R. U. 570
6,3 OCDE 22 546
6,2 Belgique 403
*Embolie
5,4 Espagne 193 pulmonaire
ou thrombose
4,1 Italie 79 veineuse profonde

Sources : OCDE ; Drees, DGFiP, SAE INFOGRAPHIE : ART PRESSE, DARIO INGIUSTO

L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021

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ZINIO
28
En couverture
Entretien
Pr Karine Lacombe :
« Le Ségur n’a rien changé »
Pour l’experte santé du Think tank de L’Express, l’hôpital a besoin
de recrutements mais aussi de souplesse.
Le Covid-19 avait fait naître l’espoir
d’une amélioration des moyens de
fonctionnement de l’hôpital public,
mais la situation semble pire qu’avant…
Karine Lacombe Nous assistons à de
nombreux départs ou à l’absentéisme
de personnel paramédical, du fait d’un
épuisement physique et moral lié à la crise
sanitaire. A cela s’ajoute le rattrapage des
congés non pris lors des dernières vagues,
qui doivent être soldés d’ici à la fin de l’an-
née. Avant, ils pouvaient être placés sur un
compte épargne-temps ; mais l’hôpital
ayant déjà une dette énorme, cette possibi-
lité a été réduite. En parallèle, le recrute-
ment des intérimaires a été suspendu, car
l’argent dépensé pour le Covid a amputé
les budgets. Nous manquons aussi de per-
sonnels « support » comme les logisticiens
ou les assistantes sociales, qui aident à
faire sortir plus vite les malades vers les
structures post-hospitalières. A défaut, les
patients restent plus longtemps sur place,
ce qui crée une hausse de la durée d’hospi-
talisation, une baisse de la qualité des soins,
des embouteillages aux urgences et du
stress pour les soignants... et les malades !
Les pesanteurs bureaucratiques sont-
elles aussi de retour ?
On connaît mieux nos interlocuteurs ad-
ministratifs depuis le Covid, cela facilite
les échanges. Mais on voit bien que nous
sommes revenus aux contraintes d’avant.
Nous n’avons toujours pas la main sur
les effectifs, et nous souffrons toujours d’un
manque d’investissement dans les struc-
tures. En raison de l’épidémie, beaucoup
de matériel a été acheté, mais les engage-
ments financiers pour les rénovations ont
été suspendus, comme si l’argent dépensé
devait être, d’une certaine façon, rattrapé.
Nous travaillons dans un cadre dégradé
(matériel obsolète, bâtiments vétustes...)
et, pour l’instant, les annonces du Ségur
n’y ont rien changé. Dans mon service, il
y a des trous dans les sols. Quand on pousse
les chariots avec les médicaments, tout est
brinquebalant. Nous avions un plan de
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
rénovation voté il y a trois ans, repoussé
depuis, sans perspective d’accomplisse-
ment. Avoir des locaux sécurisés fait par-
tie de la qualité de vie au travail, mais aussi
de la qualité des soins, pour prévenir par
exemple les infections nosocomiales ou les
accidents liés aux traitements.
Que faudrait-il faire ?
D’abord, rendre l’hôpital à nouveau attrac-
tif. Redonner du sens à l’engagement
des personnes, reconnaître leur inves-
tissement, avec des augmentations et des
perspectives de progression. Le problème
vient aussi de la rigidité de la fonction
publique hospitalière, qui rend difficile
toute évolution salariale adaptée à l’impli-
cation des soignants, les carrières ne pou-
vant pas évoluer indépendamment les
unes des autres. Il faudrait remettre de la
souplesse là-dedans. Et, bien sûr, l’aug-
mentation du nombre de postes est indis-
pensable, d’autant que nous sommes face
à un vieillissement de la population, beau-
coup plus fragile face à la maladie et sou-
vent en perte d’autonomie. L’hôpital public
a des missions d’accompagnement des
personnes en situation de vulnérabilité
S. PICARD POUR L’EXPRESS
La Pr Karine Lacombe dirige le service
d’infectiologie de l’hôpital Saint-Antoine.
médicale et sociale, qui sont incompatibles
avec les objectifs de rentabilité que l’on
attend d’un modèle de soins entrepre-
neurial. Notre cœur de métier, c’est de bien
soigner et cela a un coût.
Mais l’argent public n’est pas infini...
La qualité des soins est aussi source d’éco-
nomies. Prenons l’exemple de la concilia-
tion pharmaceutique : il s’agit de s’assurer
que les traitements habituels du patient
sont compatibles avec ceux qu’il recevra
durant son hospitalisation. L’objectif est
d’éviter les accidents liés à des interactions
médicamenteuses, car ils ont un coût
en termes de nouvelles consommations
de soins ou peuvent conduire au décès
des malades. On ne peut le faire bien que
si on a des moyens humains, mais ce petit
investissement au départ est à même
d’avoir un gros impact à la fin.
Voyez-vous d’autres priorités ?
Pour investir dans la rénovation des struc-
tures, nous pourrions imaginer des modes
de financement alternatifs, partenariats
public-privé ou mécénat. Peut-être, finale-
ment, faudrait-il une grande conférence
de la santé où l’on décide collectivement
des orientations de notre système médico-
social. Je n’ai pas de solution miracle, ce
sont des pistes de réflexion, pour ne pas
tout faire peser sur l’Etat. Le soin est un
bien collectif, chacun est concerné.
Les candidats à l’élection présiden-
tielle accordent-ils assez de place à
l’hôpital ?
Pour l’instant, le débat sur la santé est tota-
lement indigent. La seule thématique qui
a émergé dans les médias, c’est le débat sur
la « Grande Sécu » lancé par Olivier Véran.
Des présidentiables sont allés au-devant
de personnes qui exercent dans la santé
mais sans proposition concrète à ce jour.
Cela m’inquiète énormément. Nous ne
sommes même pas encore sortis de la
pandémie : nous aurions pu penser que le
maintien de la cohésion sociale était une
préoccupation majeure. Mais non, on est
polarisé sur la sécurité. Si nous avions été
moins happés par ces sujets dans le passé
et qu’on avait réfléchi à l’amélioration de
notre système de soins, peut-être aurait-on
été mieux préparé à cette épidémie. Ne
refaisons pas les mêmes erreurs. W
PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANIE
BENZ ET THOMAS MAHLER
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ZINIO
30 France
ÊTRE OU NE PAS ÊTRE
Bernard Cazeneuve, l’espoir
perdu des socialistes
Longtemps, l’ancien Premier ministre
a caressé l’idée de se présenter à l’élection
présidentielle, allant jusqu’à préparer
candidature et programme. Récit d’un abandon.
PAR OLIVIER PÉROU
I
l fallait le voir monter sur scène,
avec sa veste trois-boutons vert
olive, de ces costumes edwardiens
dont, sous la IIIe République,
les dandys raffolaient. Bernard
Cazeneuve a fait le chemin jusqu’à
Lille pour « donner son soutien » à Anne
Hidalgo. Ce 23 octobre, la candidate socia-
liste lance sa campagne présidentielle en
grande pompe devant ce qu’il reste du gra-
tin socialiste. A la tribune, l’ancien Premier
ministre fait mouche en invoquant le sou-
venir grave des attentats de 2015, les gran-
des heures de la gauche depuis 1936 ; il cite
François Mitterrand : « Les fils de l’Histoire
ne se coupent jamais. » On l’ovationne de
longues secondes. Certains scandent son
nom. Au deuxième rang, un militant socia-
liste, bouche bée : « La vache ! Cazeneuve,
c’est quand même un autre niveau. Ça fait
longtemps que je n’avais eu autant les poils
en écoutant un politique. » Et son voisin
d’acquiescer dans un regret : « Ah, si c’était
lui ! » Et si ça avait été lui ?
Retour à 2019. Les élections européen-
nes s’annoncent (très) escarpées pour les
socialistes français. Le premier secrétaire,
Olivier Faure, qui ne souhaite pas être le
candidat d’une si lourde défaite, appelle
Ségolène Royal, Jean-Christophe Cam-
badélis, Christiane Taubira et Bernard
Cazeneuve pour leur rétrocéder la patate
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
POLITIQUE
chaude. Ce dernier dit non, comme il disait
non un an plus tôt à l’idée de prendre les
rênes du PS. Il a une autre date dans sa ligne
de mire : l’élection présidentielle d’avril
2022. Avec un petit groupe de camarades
socialistes, dont certains sont issus du gou-
vernement qu’il dirigeait aux dernières
heures du quinquennat Hollande, il s’y
attelle sérieusement.
« Tout était prêt », confirme Christophe
Sirugue. L’ancien secrétaire d’Etat à l’In-
dustrie a été chargé de trouver un référent
« cazeneuviste » dans chaque départe-
ment du pays. « Très rapi- Quelques
dement, j’ai eu plus d’une dates
centaine de personnes
prêtes à soutenir Bernard.
2 juin 1963
Je leur ai dit : quand on Naissance
vous donnera le top, vous à Senlis.
fédérerez des gens du et 19 mars 2013
hors du PS pour lancer ce Ministre
du Budget en
qui doit ressembler à une remplacement
campagne. » Autour de de Jérôme
Cahuzac.
Cazeneuve, on croise son
suc cesseur à l’Intérieur 2 avril 2014
Ministre
Matthias Fekl, mais aussi de l’Intérieur.
l’ex-secrétaire d’Etat Clo-
6 décembre
tilde Valter, le sénateur 2016
Patrick Kanner et la dépu- Dernier
tée Valérie Rabault. « J’ali- Premier
ministre du
mentais Louis Schweitzer quinquennat
en notes politiques », se Hollande.
souvient Kanner. A l’ancien patron de
Renault – un ami de celui qui fut maire de
Cherbourg –, la construction du pro-
gramme. Les socialistes sont emballés. Un
cadre lui promet : « On te déroule le tapis
rouge à condition que tu saches le
repeindre en vert. »
Bernard Cazeneuve avance à petit pas,
mais a promis aux siens d’en faire un
grand. Ce sera le 9 septembre 2019, à la fête
de la Rose de Maraussan. On n’a jamais vu
autant de ténors socialistes se presser dans
cette petite ville proche de Béziers, dans
l’Hérault. Une foule de parlementaires, de
ministres de François Hollande, de prési-
dents de département, de région, et autres
élus locaux arborant encore fièrement la
rose. « Ce jour-là, il s’est avancé dans les
habits de futur candidat socialiste à l’élec-
tion présidentielle, raconte sans détour
Michel Sapin. Il représentait, à ce moment
précis, un espoir perdu. Il semblait être
prêt pour tracer le chemin vers 2022. »
Plus d’une centaine de responsables
socialistes répondent au « serment de
Maraussan ». Le bruit remonte même aux
ZINIO
France POLITIQUE
oreilles de Montebourg. Celui qui n’est pas
encore candidat raconte : « Je l’invite à
déjeuner et, dès, le début, j’y vais franco en
lui disant : “Il paraît que tu veux t’y coller ?”
Il me répond oui, et je lui dis que s’il y va, je
le soutiendrai. Je n’ai jamais eu de nou-
velles depuis. »Tenu à distance, Olivier
Faure goûte peu aux manœuvres d’ar-
rière-cuisine de Cazeneuve et des siens.
Au téléphone, il menacerait presque l’ex de
Matignon : « C’est quoi ce bordel ? Tu te sou-
viens que seul le Parti peut investir le can-
didat à la présidentielle ? » Faure n’élude
alors pas la possibilité de ranger l’appareil
derrière un candidat d’Europe écologie-Les
Verts tel que Yannick Jadot, et rappelle que
la ligne officielle du PS porte désormais
haut et fort la « social-écologie ». Piqué
dans son orgueil, il commande deux son-
dages jusqu’alors restés dans le fond d’un
tiroir. L’un teste Christiane Taubira, et
l’autre Bernard Cazeneuve. « Aucun ne
dépassait les 7 % d’intentions de vote »,
murmure un cadre du PS dans la confi-
dence. Guère plus qu’Anne Hidalgo, désor-
mais candidate officielle.
31
Philippe a rendu publics les frais engagés
pour les Premiers ministres. C’est à
Bernard Cazeneuve que revient la palme
du locataire de Matignon le plus dispen-
dieux : 143 408 euros. « Ça lui a fait mal,
concède un de ses fidèles. Ça entachait sa
probité – Dieu sait qu’il y est attaché. »
Anecdotique révélation qui remue pour-
tant de douloureux souvenirs à une époque
où la politique est dominée par ses marges.
« Il craignait que les questions éthiques
soient instrumentalisées en pleine cam-
pagne, et en particulier que les écologistes
l’attaquent sur la mort de Rémi Fraisse à
Sivens », croit savoir Cambadélis.
« L’état-major socialiste m’a bien fait
C. ARCHAMBAULT - T. SAMSOM/ P. SUU/GETTY IMAGES/AFP - L’EXPRESS
comprendre qu’il ne voulait pas de moi.
Ils n’étaient pas dans la vision de la
social- démocratie que j’ai, ils me par-
laient dans une novlangue, de social-éco-
logie ou que sais-je. Dont acte », confie
l’ancien Premier ministre à L’Express. « Je
ne cherche pas à plaire ni à me fondre
dans l’époque, car la vie politique est une
affaire de temps long. » Surtout, le fier
Cazeneuve ne veut pas se salir les mains,
rêve d’un chemin royal, renâcle à l’idée de
comploter contre ses amis socialistes . Un
« hollandais » pique : « Il ne veut pas de
primaire, il veut être nommé, couronné.
Il a le sentiment que, parce qu’il est
A mesure que les équipes de Cazeneuve intègre, propre et bosseur, on viendra
se structurent, lui se mure dans un inter- naturellement le chercher. Mais il oublie
minable silence. « Bernard ne l’a jamais que le monde politique est moche, qu’il
dit, mais on a tous compris qu’il n’irait pas. ne fonctionne pas comme ça. »
Il avait tout validé, les correspondants par Bernard Cazeneuve, 58 ans, dit ne rien
départements, les soutiens, les réunions regretter. Il publiera Le Sens de notre
publiques, etc. Tous ces gens m’ont appelé Nation (Stock) le 19 janvier : une manière
pendant des semaines pour en savoir de se rappeler au bon souvenir de sa famille
plus, mais moi-même je n’avais aucune politique, une nouvelle fois. « J’ai une
réponse, se rappelle, amer, Christophe liberté que tous ceux qui ont un agenda
Sirugue. Il y avait une vraie attente, et je politique n’ont pas, affirme-t-il. Ceux qui
regrette profondément qu’il n’ait pas forcé ont un dessein pour la France mettent du
le destin. » Patrick Kanner, maintenant temps pour accéder au pouvoir parce qu’ils
dans l’équipe d’Anne Hidalgo, renchérit : ne font pas de compromis sur les valeurs,
« J’ai été vraiment triste qu’il n’aille pas ni ne tombent dans l’écueil de la séduc-
jusqu’au bout de sa démarche. Avec sa per- tion. » Quand les premiers sondages poin-
sonnalité et son poids dans l’opinion, taient Hidalgo autour des 5 %, il en a de
est-ce que la responsabilité politique nouveau caressé l’idée, réactivé ses
n’imposait pas d’y aller ? » réseaux, en a parlé à Hollande. « C’est trop
« Pourquoi ? » Encore aujourd’hui, et tard, il y a Anne », lui ont-ils tous rétorqué.
surtout à mesure qu’Anne Hidalgo décro- Alors, il s’est rangé derrière elle, sachant
che dans les sondages, la question brûle que cette fidélité-là ne lui sera jamais
les lèvres des socialistes. A vrai dire, les reprochée, même en cas d’échec. Et après ?
envies présidentielles de Cazeneuve se Il y aura 2027. « S’il y a besoin de moi, je
sont transformées en doutes un mois avant viendrai aider. » Un Jacques Delors du
Maraussan. Au cœur de l’été 2019. Edouard XXIe siècle. :
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ZINIO
32 France | Magma politique
Une longue décennie
de crise de régime en France
UNE CHRONIQUE DE GAËL BRUSTIER
L’élection présidentielle à venir aura pour toile de fond une société
fracturée où des groupes sociaux ne reconnaissent plus nos institutions.
L ’actualité politique de cet automne
confirme une crise issue des années
2000, une crise de régime comme jamais
la Ve République n’en avait connu. Pour
en parler, il faut se replonger dans ce que
les étudiants de Sciences po avaient cou-
tume et obligation d’étudier : l’ouvrage de
Maurice Duverger – Les Régimes poli-
tiques – et plus encore l’ouvrage de Bastien
François consacré à la Ve République.
La crise financière de 2008-2009 a
contaminé l’économie réelle ainsi que les
représentations collectives, et elle a donc
atteint ce qui faisait l’essence de chaque
régime politique, à des degrés divers.
La vie du Parlement
est à la fois reléguée
dans l’impuissance et
propulsée vers la haine
L’Italie a vu s’effondrer sa « deuxième
République » avec l’émergence du mouve-
ment de Beppe Grillo et les triomphes
provisoires de la Lega, le parti de Matteo
Salvini. En France, c’est une longue décen-
nie de crise de régime que nous vivons.
Rampante mais implacable, elle ronge
notre système démocratique. Le régime
politique détermine les relations entre gou-
vernants et gouvernés, force est de consta-
ter que ceux-ci ont été affectés pas plus de
dix années d’une crise globale. Un régime
politique ne se résume pas aux seules ins-
titutions, mais également au processus de
sélection de ses élites. Comme le dit très
bien Bastien François, il y a nécessité de
rompre avec « le fétichisme constitution-
nel ». La Ve République, gaullienne à l’ori-
gine, a épousé une décentralisation mal
conçue et une intégration européenne aux
fondations dépolitisées.
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
Pierre Mazeaud, figure historique de
la Ve République, constatait récemment
dans une interview que le Palais-Bourbon
était davantage animé par la haine que par
les clivages, et que les députés n’avaient les
uns pour les autres aucun affectio societa-
tis. Alors que les clivages sont censés être
dépassés sous la présidence Macron, la vie
du Parlement est à la fois reléguée dans
l’impuissance et propulsée vers des som-
mets de haine réciproque entre membres
de la même assemblée.
Maurice Duverger avait défini tout
régime politique comme le choix des
gouvernants, leur structuration et leur
limitation. Un régime politique a des fon-
damentaux qui résonnent dans le champ
démocratique et social, et il bénéficie le
plus souvent d’une vision du monde à
laquelle la société acquiesce.
La crise de régime puise ses sources
dans une modification constitutionnelle
majeure – l’adoption du quinquennat – et
dans la décision d’inverser le calendrier
électoral. De fait, depuis 2002, l’élection
des députés dépend de l’élection présiden-
tielle, qui la précède de quelques semaines.
L’ultime consécration du président de la
République comme clef de voûte de nos
institutions fait de chaque candidat à la
magistrature suprême un faiseur de pluie,
capable en théorie de tout résoudre. Or la
crise de 2008 est venue rappeler la relative
impuissance d’un président désormais
détenteur de tous les pouvoirs mais égale-
ment « maître des horloges », c’est-à-dire
de la temporalité politique.
La bourgeoisie
catholique, les gilets
jaunes, tous ont
marqué leur dissidence
La Constitution de 1958, maintes fois,
et parfois abusivement, modifiée porte
désormais en elle des fondamentaux aux-
quels adhèrent ceux que Charles Wright
Mills définissait comme « les élites du
pouvoir », c’est-à-dire ceux qui ont un accès
direct et presque privilégié aux institu-
tions. Pour sauver provisoirement le
régime politique, il a fallu en passer par la
liquidation du système partisan tel que
nous l’avons connu depuis plusieurs décen-
nies. La révolution macronienne a été l’ins-
trument de cette liquidation. « Révolution
par en haut », révolution passive selon la
terminologie, le macronisme a d’abord
liquidé un système partisan considéré
comme incapable de résoudre les enjeux
auxquels la France est confrontée.
Un régime politique doit faire l’objet du
consentement de l’essentiel des groupes
sociaux de son pays. Or, depuis un peu
moins d’une décennie, certains ont fait
défection. Que l’on songe à la bourgeoisie
catholique ou de droite au moment de la
Manif pour tous, aux jeunes intellectuels
précaires au moment de Nuit debout ou
aux gilets jaunes, tous ont marqué leur dis-
sidence. La participation aux élections chu-
tant, les fondamentaux tels que l’intégra-
tion européenne et la décentralisation ne
faisant plus consensus, c’est le régime qui
est atteint. Cette réalité est la toile de fond
de la prochaine présidentielle. La crise de
M. L’HERMITTE-SDP
régime n’a pas fini de propager ses effets. W
Gaël Brustier, politologue et essayiste.
ZINIO

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ZINIO
34 France
ENQUÊTE
Comment on en demande
toujours plus à l’école
Cours de cuisine, attestation de sécurité routière...
la scolarité semble envahie par les préoccupations
sociétales. Au détriment des fondamentaux ?
PAR AMANDINE HIROU
ais que fait l’école ?
M
« La mort, ce sujet
tabou qui n’est pas
assez abordé dans
l’éducation », titrait
le quotidien Ouest-
France le 31 octobre. L’article, qui se
demande comment éduquer nos enfants à
la mort et leur donner les outils leur per-
mettant d’y faire face, insiste sur l’impor-
tance du rôle… de l’Education nationale !
« Un long travail reste à faire », est-il écrit,
puisqu’un sondage Ifop, réalisé pour la
Maif et la MGEN, révèle que 73 % des ensei-
gnants ont du mal à aborder ce sujet sen-
sible avec leurs élèves. Quelques jours plus
tôt, Stéphane Layani, président du Marché
international de Rungis, déclarait : « Je
voudrais qu’on rende obligatoires les cours
de cuisine à l’école […]. Savoir bien manger,
c’est savoir faire la cuisine. » Sur les réseaux
sociaux, ces deux informations ont soulevé
de vives réactions chez les enseignants.
« Envoyez carrément les formulaires
d’adoption aux profs de vos enfants, ça ira
plus vite ! » s’est agacé l’un d’eux.
Il est vrai que, ces dernières années,
l’école semble avoir largement étendu son
champ d’activités et de compétences : aux
traditionnelles séances de piscine se sont
rajoutés les formations à la sécurité rou-
tière, l’élection d’« éco-délégués » chargés
de sensibiliser leurs camarades aux gestes
du quotidien pour sauver la planète, les
cours d’éducation aux médias… Autant de
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
SOCIÉTÉ
nouvelles thématiques qui viennent
s’additionner aux disciplines dites fonda-
mentales que sont le français, les mathé-
matiques, l’histoire-géographie ou les lan-
gues. A tel point que certains spécialistes
sonnent l’alarme. « Notre pays a toujours
eu énormément d’attentes vis-à-vis de
l’école, mais attention au risque de sur-
charge », prévient François Dubet, profes-
seur de sociologie émérite à l’université
de Bordeaux II et directeur d’études à
l’EHESS. C’est désormais presque devenu
un réflexe national. Dès qu’une enquête
dénonce les problèmes d’obésité chez
les adolescents, d’addiction aux écrans
ou l’augmentation des accidents de la
route, c’est à l’école que l’on demande
des comptes.
« Dans d’autres pays,
on trouve normal
de préparer les élèves
à la vie quotidienne »
Pour le professeur de philosophie
René Chiche, l’institution est bel et bien
en train de perdre de vue sa vocation pre-
mière. « Son boulot, c’est d’instruire, rap-
pelle celui qui est aussi vice-président du
syndicat Action et démocratie CFE-CGC.
Or la place des enseignements discipli-
naires a tendance à disparaître, peu à peu,
au profit d’une foule d’activités aussi
diverses qu’inutiles. » Et l’enseignant de
dénoncer ces « heures de rien », ayant pour
unique fonction d’occuper les élèves, et
qui seraient largement responsables de la
chute du niveau scolaire en France.
Pourtant, historiquement, le rôle de l’école
n’est-il pas de former des citoyens au sens
large, en plus de les instruire ? C’est ce que
rappelle, en effet, le sociologue Pierre
Merle. « Dès la Révolution française, les
écrits de Condorcet évoquent la nécessité
d’allier ces deux fonctions. L’éducation
religieuse, qui a longtemps dominé, a, au
fil du temps, été remplacée par une édu-
cation morale et civique », explique ce pro-
fesseur émérite à l’université de Bretagne
occidentale.
Les préoccupations sociétales – en lien
avec la santé, la sécurité, l’environne-
ment – sont aujourd’hui très présentes
dans les classes des écoles, des collèges et
des lycées. Mais pour quels résultats ?
François Dubet, sans minimiser l’impor-
tance de ces sujets, dénonce le côté parfois
« gadget » de certaines initiatives. En 2019,
Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Edu-
cation nationale qui ne cesse de vanter
l’importance du fameux « lire, écrire,
compter, respecter autrui » et la nécessité
de se recentrer sur les fondamentaux, a
œuvré pour la mise en place d’éco-délé-
gués dans les établissements du secon-
daire. Leur rôle ? Devenir des ambassa-
deurs du développement durable au sein
de leurs classes. « Une simple opération de
communication et d’affichage qui ne
débouche que rarement sur des actes
concrets ! » s’insurge René Chiche.
Pour François Dubet, l’école ne doit
toutefois pas être déconnectée des préoc-
cupations concrètes des élèves. « Nous
gagnerions sans doute à être moins dans la
théorie et plus dans l’action », insiste-t-il.
« Dans d’autres pays, comme la Grande-
Bretagne, on trouve normal de préparer les
élèves à la vie quotidienne. Les enseigne-
ments y sont beaucoup plus pratiques
qu’en France, où l’on privilégie souvent une
approche des savoirs très abstraite et dis-
ciplinaire », poursuit Marie Duru-Bellat,
professeure émérite de sociologie à
Sciences po Paris. Pierre Merle pointe du
doigt la responsabilité des programmes
scolaires. « Si les réformes successives
ZINIO
France SOCIÉTÉ
BOLL
avaient mieux tenu compte de l’intérêt des
jeunes pour les questions de société, nous
ne serions pas confrontés aujourd’hui à la
multiplication de ces nouvelles demandes
qui viennent surcharger les emplois du
temps », regrette-t-il. Et le sociologue de
donner, en guise d’exemple, le nouveau
programme d’enseignement scientifique
de première et de terminale. « Des ques-
tions majeures, comme celle du réchauffe-
ment climatique, y sont abordées, mais on
préfère s’attarder sur les boucles de rétroac-
tion qui favorisent le réchauffement, plu-
tôt que sur les solutions ou les politiques à
mener », développe-t-il. Charge aux élèves
éco-délégués de s’en emparer… ou non.
La limite entre ce qui relève ou non de
l’école est souvent très ténue. « La mise en
place d’une “éducation à la mort”, récem-
ment suggérée, me paraît délicate puisque
vous ne connaissez pas la sensibilité, le
vécu, les orientations religieuses des élèves
que vous avez en face de vous », reconnaît
François Dubet. De son côté, René Chiche
dénonce l’ironie d’une telle proposition :
« Je vous rappelle qu’il y a quelques années
le thème de la mort faisait partie du pro-
gramme de philosophie mais qu’il a été
supprimé sans que personne ne s’en
émeuve. » Le présenter comme un « nou-
vel enseignement possible » trahit, selon
lui, une méconnaissance totale du monde
éducatif puisque le sujet est déjà abordé,
au sein de différentes disciplines, à com-
mencer par la littérature. « Seulement, on
le fait à partir de l’étude de textes », précise
35
— P. 34. Comment on en demande toujours
plus à l’école
— P. 36. Extension du domaine
de la productivité
celui qui estime que tout enseignant doit
rester dans son rôle d’enseignant.
Sophie Mazet, professeure agrégée
d’anglais, trouve également cette proposi-
tion de mieux préparer les élèves à affron-
ter la mort « totalement absurde ». Pour
autant, elle estime qu’il ne doit pas y avoir
de sujets tabous en classe. « Un jour, alors
que nous étudiions le passage d’un texte
qui traitait du cancer, une jeune fille m’a
questionnée sur les chances de survie d’un
malade. Il se trouve que sa mère était
atteinte d’un cancer du sein. J’ai évidem-
ment suspendu mon cours quelques ins-
tants pour lui répondre », raconte-t-elle.
Une autre fois, la jeune femme s’est retrou-
vée à faire un petit cours sur la reproduc-
tion à des élèves de terminale qui sem-
blaient avoir quelques lacunes sur le sujet…
Même si celui-ci est éloigné de sa disci-
pline, Sophie Mazet estime qu’il était de son
devoir d’éducatrice de s’y plier. « Et quand
je vois que certains de mes élèves ne savent
pas ce qu’est un panais, je me dis que des
cours de cuisine ne seraient pas inutiles
non plus ! Après tout, cela existe bien aux
Etats-Unis, poursuit l’enseignante. De
même, j’aurais aimé qu’on m’apprenne,
plus jeune, à remplir une déclaration d’im-
pôt ou à recoudre un bouton. Tout cela ne
me paraît pas idiot. »
Mais, encore une fois, difficile de caser
toutes ces nouvelles activités sans moyens
supplémentaires et, surtout, sans empié-
ter sur les disciplines jugées essentielles.
« D’autant que le temps scolaire a été consi-
dérablement amputé ces dernières décen-
nies », précise Marie Duru-Bellat. Au début
des années 1970, l’année scolaire était
composée de 27 semaines de cours, contre
24 aujourd’hui. Soit 144 jours par an,
contre 182 dans les autres pays de l’OCDE.
Guillaume*, professeur d’histoire-géogra-
phie en Seine-Saint-Denis, a trouvé la
parade pour aborder des sujets de société
sans pour autant prendre trop de retard sur
le programme : « En début d’heure, je
consacre cinq minutes aux questions d’ac-
tualité ou du quotidien qui préoccupent
mes élèves. » Ce petit rituel passé, le cours
peut commencer. :
* Le prénom a été changé.
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ZINIO
36 France SOCIÉTÉ
MATHIEU DE MUIZON
Même en famille
Extension du domaine de la productivité
Avez-vous été productif aujourd’hui ? La notion n’est plus réservée
aux entreprises. Elle s’est infiltrée dans la vie privée.
D ans la vie, j’ai une addiction : ma liste
de choses à faire. Dès mon arrivée au
bureau, le matin, je remplis avec diligence
mon programme de la journée. Il va du plus
important – terminer cet article – au plus
trivial – acheter des mouchoirs. Je ne suis
heureuse que lorsque j’ai fini par rayer cha-
cun des éléments de la liste en question. Il
y a peu, l’une de mes amies m’a d’ailleurs
conseillé de la « digitaliser ». « Ces applica-
tions indiquent le moment de la journée où
tu seras la plus efficace ! » s’est-elle enthou-
siasmée, prononçant la phrase qui l’obsède
autant que moi : « C’est ce qu’il y a de mieux
pour être productive ! » Nous ne sommes
pas les seules. Tapez « être productif » dans
Google, environ 23 400 000 résultats sur-
gissent. Sur le site de la Fnac, les livres pour
« gagner du temps » et « travailler plus effi-
cacement » s’accumulent. Des ouvrages
remplis de conseils pour faire plus en moins
de temps, donnés par des entrepreneurs,
des personnalités « inspirantes », des
coachs de vie – des gens qui assurent avoir
réussi au prix d’un dur labeur.
La productivité a quitté le champ
de l’économie pour s’infiltrer dans
nos existences. « C’est une approche obses-
sionnelle de la mesure des actes humains
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
au nom de l’efficacité, observe Marie-Josée
Bernard, professeure de management et de
développement personnel à l’EM Lyon
Business School. Elle s’est accentuée der-
nièrement. » Des marchands vénitiens du
XIIIe siècle jusqu’au taylorisme, la passion
de la productivité a glissé de l’entreprise à
l’individu. « En 1984, Bernard Tapie s’aven-
ture dans le fitness en participant à l’émis-
sion Gym Tonic, observe Olivier Tirmarche,
consultant en organisation. C’est le début
du marketing de soi : un idéal de perfor-
« Nous vivons
dans un univers
de sursollicitation
permanente »
mance individuelle qui implique une
recherche de rendement sur son temps
personnel. » Relations, famille, loisirs : tout
est examiné sous l’œil du succès.
L’essor du développement personnel
ne fera qu’accentuer la tendance. Le
marché du travail fait face à de multiples
crises, et l’individu est encouragé à s’adap-
ter. A lui de tout faire pour être à 100 %, par-
tout. Mesurer sa productivité devient d’au-
tant plus impératif qu’elle sert de point de
repère à sa performance en tant que travail-
leur, parent, membre d’un club de tennis
de table. « On observe une “professionna-
lisation” des loisirs, remarque Olivier
Tirmarche. Quel intérêt de courir, si vous
ne regardez pas votre temps au marathon ?
Même le plaisir doit être indexé sur la
productivité. » Le temps familial aussi :
« Certains parents organisent les activités
du foyer au millimètre. Il faut que leurs
enfants soient productifs, afin “d’investir
pour leur futur”», observe Thierry Picq,
professeur de management à l’EM Lyon.
Le retour d’une vieille logique. « La vie de
famille est une sorte d’entreprise, rigole
Adam Okulicz-Kozaryn, professeur à l’uni-
versité Rutgers, dans le New Jersey (Etats-
Unis). Certains veulent la gérer ainsi. »
De quoi donner l’impression que le
temps file entre les doigts. Un temps d’au-
tant plus précieux qu’une pléthore d’occu-
pations s’offre désormais à tous. « Les
livres, le sport, les écrans, pointe Olivier
Tirmarche. Nous vivons dans un univers
de sursollicitation permanente. S’ennuyer
est devenu quasi impossible. » Noyé sous
les activités, l’individu n’aurait donc
d’autre choix que de faire le tri. Et de se
tourner vers les différentes techniques et
applications promues par les dizaines
d’influenceurs : Trello, Evernote, ou, plus
récemment, Notion, etc. Les logiciels
promettant de faire gagner du temps ne
manquent pas. Pratiques, ergonomiques,
ils sont aussi addictifs… au détriment par-
fois de la productivité elle-même. « C’est
le productivity porn, s’amuse Rahaf
Harfoush, auteure d’Overbookés (Dunod) :
être tellement obsédé par vos tâches que
vous allez passer plus de temps à chercher
des systèmes qu’à les accomplir. »
Face à cette angoisse existentielle, ni
les levers à 5 heures du matin ni les heures
passées devant votre agenda électronique
ne résoudront vos problèmes. « Il faut
accepter de ne rien faire pour recharger ses
batteries, pointe Abbie Shipp, professeure
de management à la Texas Christian
University. Apprendre à dire non, aussi,
pour bien accomplir ce qu’on a à faire. »
Encore faut-il le pouvoir. W
ALEXANDRA SAVIANA
ZINIO

prendre
sa chance
Aujourd’hui, entreprendre, c’est prendre
le parti de donner des opportunités
à chacune et à chacun. Pour cela, nous
menons une politique volontariste en matière
GȆ«JDOLW«GHVFKDQFHVSRXUDFFXHLOOLU
d’étudiantes et étudiants boursiers d’ici 2025.
Apprendre à faire la différence,
ici et maintenant.

em-lyon.com
ZINIO
38 France | Sans détour
Diabolisation politique : on ne change
pas une stratégie qui perd
UNE CHRONIQUE D’ABNOUSSE SHALMANI
Refuser d’ouvrir un vrai débat sur l’immigration, les quotas, l’intégration,
la nation, par crainte de « faire le jeu de l’extrême droite », on a déjà essayé…
D urant mon adolescence, à chaque
échéance électorale, Jean-Marie le
Pen était le croquemitaine qui s’évadait de
sa caverne pour dévorer le débat politique.
A 10 ans, parisienne depuis deux ans, je
frémissais en famille aux apparitions de
celui qui compromettait nos chances de
retrouver une vie normale en France, après
la révolution et la guerre qui sévissaient en
Iran et que nous avions fuies. On scrutait
le score du Front national, tel le baromètre
de nos espoirs d’avenir français. Le lundi
qui suivait les scrutins, le trottoir de l’école
se transformait en une séance collective
de catharsis où les mères de famille satis-
Le drame du 21 avril
est celui de l’abstention,
devenu, dès lors, l’acteur
principal des élections
faites félicitaient ma mère ou mon père au
son de « nous l’avons échappé belle » en
leur tapotant l’épaule. J’avais alors le sen-
timent que tous ces Français votaient
contre Jean-Marie Le Pen pour nous pro-
téger et nous dire leur amour.
Il y avait bien ces voisins de palier qui
votaient Front national, mais ils nous invi-
taient à dîner, mon frère était ami avec leur
petit garçon, et, sauf leur crainte viscérale
de voir « disparaître » la France sous les
vagues migratoires, je n’ai pas souvenir
d’avoir entendu énoncer une parole raciste
– l’idée d’une supériorité française ou
blanche, ou la volonté de noyer les Noirs,
les Arabes ou les juifs, ou un refus de fré-
quenter les étrangers. Ils voulaient des
« étrangers français », qui aimaient autant
la France qu’eux. C’est chez eux que nous
avons découvert le bœuf bourguignon, la
blanquette de veau et les moules. Plus tard,
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
j’ai donné des cours de français et d’histoire
à leur fils, moi, la métèque qui ne savait pas
parler français à mon arrivée. Plus tard,
cette famille a continué à voter pour l’ex-
trême droite, mais jusqu’à aujourd’hui nous
recevons leur carte de vœux de Noël.
En avril 2002, ma mère était prête à
faire ses bagages, tant l’apparition du
visage de Jean-Marie le Pen sur l’écran de
télévision était un choc entretenu par vingt
ans de diabolisation – le 21 avril étant aussi
le jour de son anniversaire, il y avait là un
affront personnel. Aujourd’hui, qui se sou-
vient encore des manifestations monstres
qui suivirent le premier tour, les dernières
de cette envergure avant le 11 janvier 2015 ?
Comme si des années de lutte contre le
Front national avaient culminé durant ce
joli mois d’avril – où il faisait si doux et qui
avait poussé davantage de citoyens dans
les parcs que vers les isoloirs –, avant de
s’éteindre par lassitude, par ennui, par cer-
titude. Le drame du 21 avril est certaine-
ment celui de l’éparpillement des voix, un
« classico » de la gauche, mais surtout celui
de l’abstention qui est, depuis lors, l’acteur
principal de toutes les élections. Par contre
la diabolisation s’est étendue : fasciste,
celui qui ne pense pas que l’immigration
est une chance et seulement une chance ;
fasciste, celui qui reconnaît dans l’isla-
misme un totalitarisme ; fasciste, celui qui
pense qu’une femme avec un pénis est un
homme ; fasciste, celui qui croit en la jus-
tice et non à la vengeance ; fasciste, celui
qui s’horrifie du racialisme, qui n’est qu’un
racisme ; fasciste, celui qui pense que la
A force de voir
des fascistes partout,
on ne voit plus de
démocrates nulle part
transition de sexe des mineurs sera le pro-
chain scandale sanitaire ; fasciste, celui qui
refuse la réécriture historique au nom de
l’offense faite aux minorités en guimauve ;
fasciste, celui qui voit les fautes impar-
donnables de la gauche et les compromis
opportunistes de la droite dans l’inexorable
montée de l’extrême droite ; fasciste, celui
qui constate Paris saccagé par Anne
Hidalgo ; fasciste, celui qui pense que l’obé-
sité est un danger pour la santé, etc. Ainsi,
à force de voir des fascistes partout, on ne
voit plus de démocrates nulle part.
La diabolisation n’a pas ralenti la
hausse continue du vote Front national
devenu Rassemblement national, au
contraire. Entre-temps, un cousin est
arrivé d’Iran, un cousin brillant, futur
magistrat, qui, sans l’ombre d’un doute,
a vo té Rass emblement national.
Nationaliste en Iran, nationaliste en
France, il n’a jamais hésité. Entre-temps,
la moutarde m’est montée au nez. Tout ça
pour ça ? Tout ça pour recommencer avec
un autre candidat potentiel ? Tout ça pour
refuser d’ouvrir un vrai débat sur l’immi-
gration, les quotas, l’intégration, la drogue,
la nation, la culture, l’amour de la France,
de crainte de faire le jeu de l’extrême
droite ? A force de danser au-dessus du vol-
can en se parant de vertus illusoires, on
SERGE PICARD POUR L’EXPRESS
laisse l’extrême droite s’installer tranquil-
lement à table, sourde aux cris de « A bas
le fascisme ! » Quel fascisme déjà ? W
Abnousse Shalmani, engagée contre l’obsession
identitaire, est écrivain et journaliste.
ZINIO

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ZINIO

40 Europe

s’exacerber entre les deux formations,

toutes deux soucieuses de porter le flam-
beau des avancées sociales et d’attirer à
ESPAGNE elles les classes populaires.
La droite est plus menaçante que chez
Les socialistes attaqués son voisin ibérique, avec un Parti populaire
(PP) en tête des sondages et la formation
sur leur gauche extrémiste Vox, en troisième position,
créditée de 15 % des intentions de vote.
L’émergence de l’extrême droite dans le
paysage politique espagnol, inédite, consti-
Le chef de l’exécutif Pedro Sanchez surveille avec tue à la fois une force et une faiblesse pour
la gauche. « Unidas Podemos jouit actuel-
inquiétude la situation au Portugal, où le Parti lement d’un fort pouvoir de pression sur
communiste a fait tomber le gouvernement. les socialistes, en raison de la menace d’une
possible alliance entre la droite et l’extrême
PAR GUILLAUME DELACROIX (BARCELONE)
droite si des élections anticipées étaient
convoquées. Jamais Vox n’a été aussi haut
dans les sondages, c’est un retour de balan-
cier après la tentative avortée de sécession
de la Catalogne en 2017 », analyse Xavier
Arbos Marin, professeur de sciences poli-
es gauches ibériques vont- Premier ministre socialiste Pedro Sanchez tiques à l’université de Barcelone. Au

L
elles garder encore long- à propos du droit du travail et de la politique Portugal, « ce qui vient de se produire
temps le contrôle du dernier du logement – dans le cadre du débat repose sans doute sur un calcul de la part
camp retranché du socia- budgétaire aux Cortes (la Chambre des de la gauche de la gauche, laquelle pense
lisme en Europe ? Au députés) – que certains s’interrogent sur la pouvoir se refaire une santé en accélérant
Portugal, le Parti commu- pérennité de l’alliance gouvernementale. le calendrier électoral ».
niste (PCP), allié depuis 2015 au Bloc de Cet attelage formé par le parti socialiste Cette crise politique portugaise, par sa
gauche (équivalent local de La France ouvrier espagnol (PSOE) et la gauche radi- soudaineté, inquiète les socialistes espa-
insoumise), a fait tomber le gouvernement cale (regroupée dans un bloc baptisé gnols. « Pedro Sanchez surveille de près
du socialiste Antonio Costa, le 27 octobre, Unidas Podemos) ne tient qu’avec l’appui l’évolution de la situation à Lisbonne. Si la
au motif que le projet de budget pour 2022 des députés nationalistes basques et cata- gauche radicale sort renforcée aux élec-
était trop timide sur l’accès au logement, la lans. Et rien ne dit qu’il pourra garder le tions de janvier 2022, cela pourrait donner
modernisation de la santé publique et la pouvoir jusqu’à la fin de la législature, en l’idée à Podemos de faire chuter le gouver-
protection des salariés au travail. Contre décembre 2023. Car la concurrence devrait nement espagnol, estime l’historien Benoît
toute attente, les Portugais vont devoir
retourner aux urnes le 30 janvier, a annoncé
le président de la République, le conserva-
teur Marcelo Rebelo de Sousa. Les socia-
listes sont certes en tête des intentions de
vote, mais le doute subsiste sur leur capa-
cité à retrouver à eux seuls une majorité
stable au Parlement face à une droite qui
fourbit ses armes. Le PSD de centre droit et
la formation d’extrême droite Chega (« Ça
suffit ») occupent la deuxième et la troi-
sième place dans les intentions de vote.
En Espagne, c’est la ministre du Travail
Yolanda Diaz, communiste et chef de file
F. CALVO/LA MONCLOA/AFP

du regroupement des gauches radicales,

qui est actuellement la personnalité la plus
populaire du gouvernement – depuis que
Pablo Iglesias, ancienne égérie du parti
Podemos, a abandonné la vie politique, en
mai. Cette ancienne syndicaliste, n° 3 de
l’exécutif, exerce une telle pression sur le Pedro Sanchez (à g.) avec le Premier ministre lusitanien Antonio Costa, le 28 octobre.
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ZINIO

Europe 41

Pellistrandi, professeur de chaire supé- Allemagne

rieure au lycée Condorcet, à Paris. Si, au
contraire, la gauche radicale portugaise
sort affaiblie du scrutin, Sanchez sera
conforté dans sa stratégie de coalition. » En
théorie, le gouvernement Sanchez ne peut
pas exploser sur un rejet du budget, « car
contrairement à la Constitution portu-
gaise, son homologue espagnole autorise
l’exécutif à gouverner avec un budget voté
antérieurement, ce qu’avait fait le conser-
vateur Mariano Rajoy en 2017 et 2018 », rap-
pelle cet expert. Mais l’exécutif n’est pas à
l’abri d’une forte secousse. Fin mai 2018, un
nouveau budget avait fini par être voté à
Madrid ; une semaine plus tard, une motion
de censure faisait tomber le gouvernement
Rajoy, du jamais-vu depuis le retour de la
démocratie dans le pays, en 1977.
Le coup de théâtre lusitanien consti-
tue bien un avertissement pour Madrid.
« La récente chute du gouvernement por-
L’ultime come-back de l’anti-Merkel
Favori pour la présidence de la CDU le 21 janvier, Friedrich Merz
entend bien récupérer les voix perdues à l’extrême droite.
A près la défaite historique du 26 sep-
tembre, les conservateurs sont à la
recherche d’un leader. L’heure de « l’anti-
Merkel » Friedrich Merz est sans doute
venue. « L’agent dormant » de la droite
ultralibérale et antiréfugiés, qui, rumi-
nant sa revanche contre la chancelière
depuis vingt ans, vise pour la troisième
fois la présidence de l’Union chrétienne-
démocrate (CDU) le 21 janvier, lors d’un
congrès à Hanovre. Il a toutes les chances
d’y parvenir car, pour la première fois, son
parti a opté pour le vote direct des adhé-
rents. Un avantage pour Merz, plus popu-

tugais a été une surprise pour toute la
population ; pour le président de la
République ; pour la droite, qui accusait la
gauche de mettre en scène ses divisions de
façon artificielle ; et pour les électeurs de
gauche, résume Antonio Costa Pinto, cher-
cheur à l’Institut des sciences sociales de
l’université de Lisbonne.
Le scénario portugais est-il néanmoins
transposable à l’Espagne ? Pas si sûr. « A
Lisbonne, les partis de gauche n’ont jamais
voulu former une coalition en tant que
telle, il y avait des accords parlementaires
au cas par cas mais l’extrême gauche
n’avait aucun ministre au gouvernement »,
souligne Leonete Botelho, journaliste poli-
tique au quotidien Publico. En outre, l’Es-
pagne présidera l’Union européenne au
second semestre 2023. « C’est un motif
sérieux, pour les gauches, d’aller au bout
de la législature en cours », fait remarquer
Eduardo Bayon, consultant en communi-
cation et stratégie politique.
Les tensions entre socialistes et gauche
radicale en Espagne et au Portugal ont
cependant un point commun : elles s’en-
veniment malgré un contexte plutôt favo-
rable. Les deux pays sortent en effet de
la pandémie de Covid-19 avec des taux
de vaccination parmi les plus élevés
d’Europe, et un chômage en forte baisse.
Un bilan qui n’adoucit visiblement en rien
les rivalités politiques et idéologiques.
A méditer, pour la candidate socialiste
française, Anne Hidalgo. W
I. FASSBENDER/AFP
laire parmi la base que chez les dirigeants
de la CDU. Battu de justesse en 2018 par
Annegret Kramp-Karrenbauer, alias
« AKK », qui était la dauphine d’Angela
Merkel, puis en janvier 2021 par Armin
Laschet, qui vient de perdre les élections
générales face aux sociaux-démocrates,
Merz avait mis en cause les intrigues d’une
« partie de l’establishment de la CDU »
visant à lui faire barrage. Un vote de la base
lui aurait permis d’être à la tête du parti en
début d’année et, surtout, d’être candidat
à la place de Laschet.
Débarrassé de la « bande à Merkel »,
le revenant s’y voit déjà. Son parcours ne
plaît cependant pas à tout le monde :
évincé sans ménagement par Angela
Merkel en 2002 de la tête du groupe parle-
mentaire, l’ancien leader de la droite au
Bundestag s’était retiré de la politique pour
faire fortune dans la finance, avant de réap-
paraître en 2018. Ancien président du
conseil de surveillance de BlackRock
Allemagne (leader mondial de gestion
d’actifs), Friedrich Merz veut effacer son
image de « requin ». « Je n’appartiens pas
à l’élite », assure cet avocat qui, avec des
revenus supérieurs à 1 million d’euros par
an, se revendique « de la classe moyenne ».
Afin de s’adapter à une Allemagne qui
a beaucoup changé, Friedrich Merz a dû
adoucir son profil antisocial, ultralibéral,
antiféministe et ses thèses, proches de l’ex-
trême droite. C’est lui qui avait lancé dans
les années 2000 la notion controversée de
Cet avocat passé par la finance a dû
lisser un profil ultralibéral et antiféministe.
deutsche Leitkultur (la culture allemande
comme « culture de référence ») à propos
de la politique d’immigration.
En annonçant à demi-mot sa candi-
dature lors d’une intervention devant les
gays et lesbiennes de la CDU (LSU), le
7 novembre, il a tenté de corriger ses posi-
tions ambiguës sur l’homosexualité, qu’il
avait assimilée à la pédophilie. « Tant qu’il
ne m’approche pas, cela ne pose aucun pro-
blème », avait-il déclaré au sujet de l’ancien
bourgmestre-gouverneur gay de Berlin
Klaus Wowereit. « Et tant que cela ne
concerne pas les enfants… », avait-il ajouté.
En déplaçant le curseur du parti vers la
droite, Merz entend récupérer les déçus du
merkélisme partis à l’AfD (extrême droite).
Mais, à 66 ans, il n’a aucune expérience du
pouvoir, n’a jamais été ministre ni mené de
campagne. Pour ses détracteurs, il ne repré-
sente qu’un mythe, celui du « bon vieux
temps » où la CDU remportait les élections
avec 40 % des voix sans programme élec-
toral. S’il est élu, Merz n’aura que quelques
semaines pour faire ses preuves : trois
élections régionales sont prévues dès le
printemps 2022.W
CHRISTOPHE BOURDOISEAU (BERLIN)
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ZINIO
42 Europe | Ces drôles d’Européens
Macron et Johnson,
la détestation cordiale
UNE CHRONIQUE DE MARION VAN RENTERGHEM
Le conflit entre la France et le Royaume-Uni n’est pas qu’une affaire
de poissons. Il y a un éléphant dans la pièce... Son petit nom ? Le Brexit.
Q uand Boris Johnson vient à la ren-
contre d’Emmanuel Macron lors d’un
sommet international, sous l’œil des pho-
tographes, il prend la pose du cow-boy qui
sort son colt ou se précipite vers lui en
avançant sa mâchoire inférieure, comme
s’il voulait lui casser la figure. Le Premier
ministre britannique a fait de la clowne-
rie permanente une tactique destinée à
détourner l’attention et à relativiser la gra-
vité de tout. Le temps des photos, le pré-
sident français fait mine de trouver ça
drôle. En réalité, les deux hommes se
détestent cordialement et ne peuvent
trouver aucun terrain d’entente.
Le premier est aussi
solennel que le second
est abracadabrant
et sans foi ni loi
Leurs caractères sont aussi incompa-
tibles que leurs pays se ressemblent, et ceci
explique en partie cela. France, Royaume-
Uni : deux anciens empires nostalgiques
de leur hégémonie perdue, deux puis-
sances militaires et nucléaires, deux sièges
au Conseil de sécurité des Nations unies,
deux grandes diplomaties, deux voisins
comparables par leur poids démogra-
phique et leur PIB par habitant, deux
nations non dépourvues d’arrogance et de
sentiment d’exceptionnalité.
Macron, Johnson : le premier est aussi
solennel et sérieux que le second est abra-
cadabrant et sans foi ni loi. Le tout forme
un cocktail inflammable. Jusqu’ici, les
crises de couples entre dirigeants français
et britanniques n’allaient pas sans respect
mutuel. François Mitterrand avait de l’es-
time pour Margaret Thatcher comme
Jacques Chirac pour Tony Blair, et
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
vice-versa, malgré des différends essen-
tiels sur le budget européen ou la guerre en
Irak. Entre Johnson et Macron, la relation
relève du mépris réciproque. Jamais on n’a
vu, dans l’histoire récente, pareille accu-
mulation de contentieux entre la France
et la Grande-Bretagne : conflit sur les
licences de pêche, sur la responsabilité
des migrants qui traversent la Manche, sur
l’alliance Aukus conclue aux dépens de la
France entre l’Australie, les Etats-Unis et
le Royaume-Uni. Comme on dit dans la
Royal Navy, c’est mal barré.
Aucun de ces dossiers ne serait inso-
luble s’il n’y avait pas un éléphant dans la
pièce : le Brexit. Ce gros mot que l’on essaie
de contourner est la raison inavouée de la
nouvelle guerre diplomatique qui se joue,
parce que les deux dirigeants en ont fait,
de manière inversée, le cœur même de leur
stratégie. Johnson a conquis le pouvoir
grâce au Brexit, après avoir juré que la
sortie de l’UE était la clef de la puissance
retrouvée. Il doit donc prouver à tout prix
que le Brexit, l’alpha et l’oméga de sa poli-
tique, a réussi. Macron, lui, s’est fait élire
l’année suivant le référendum britannique,
en tirant parti du choc que celui-ci avait
créé, en dénonçant le nationalisme qui y
avait conduit et en affichant pour la France
une ambition européenne. Il doit donc
prouver à tout prix que le Brexit, l’antithèse
absolue de sa politique, est un échec. L’un
et l’autre ont intérêt à faire valoir leur
intransigeance face au rival d’outre-
Manche. Macron, pour contrer les assauts
eurosceptiques de ses principaux
L’un et l’autre ont
intérêt à faire valoir
leur intransigeance face
au rival d’outre-Manche
adversaires de droite avant la présiden-
tielle – Zemmour en tête. Johnson, pour
faire diversion face à la résurgence
du Covid et aux affaires de corruption qui
minent le parti conservateur, mais surtout
pour faire oublier ce que ses fiascos – pénu-
ries d’essence, de produits alimentaires ou
de main-d’œuvre, tensions réapparues en
Irlande du Nord – doivent à ce Brexit qu’il
avait vendu comme une solution miracle.
Boris Johnson a sur ses adversaires un
avantage de taille : il ne s’encombre pas de
moralité. Le respect de la parole donnée et
d’un traité signé est le cadet de ses soucis.
Qu’il ait négocié, validé et vanté lui-même
comme un triomphe l’accord de commerce
et de coopération entre l’UE et le Royaume-
Uni ne change rien : il veut retirer la partie
qui le dérange – le protocole irlandais,
volet crucial de l’édifice. La tactique :
1) ouvrir tous les fronts et, sur celui de la
pêche, isoler la France qui peine à rallier
les Européens. 2) Mordre l’UE à son talon
d’Achille, en imposant son non-respect du
droit à cette institution rigoureuse et lour-
daude, qui a la naïveté de reposer entière-
ment sur le respect du droit. 3) Laisser
entendre que la bataille avec la France n’est
qu’une affaire de poissons, alors qu’elle est
une attaque du droit en général. A court
terme, les méthodes de voyou ont leur effi-
cacité. L’ennui est que cela finit par se
S. PICARD POUR L’EXPRESS
savoir, même dans le reste du monde. :
Marion Van Renterghem est grand reporter
et lauréate du prix Albert-Londres et biographe
d’Angela Merkel.
ZINIO

Amériques 43

— P. 43. Etats-Unis : Le blues des démocrates

— P. 44. Ce « Russiagate » qui fait pschitt

ÉTATS-UNIS en coulisses entre modérés et progressistes

pour parvenir à voter les « réformes Biden »
Le blues des démocrates ont donné l’impression d’une paralysie du
gouvernement.
Pendant ce temps, les républicains
exploitent le malaise d’une partie des élec-
Popularité en berne, claque électorale teurs inquiets de la hausse de la crimina-
en Virginie : le camp Biden a-t-il déjà perdu lité, du nombre de sans-papiers à la fron-
tière et des dérives, à leurs yeux, de l’aile
les législatives de 2022 ? gauche du Parti démocrate, qui milite pour
réduire les budgets de la police, enlever le
PAR HÉLÈNE VISSIÈRE (WASHINGTON) nom de George Washington de bâtiments
officiels parce qu’il était propriétaire
d’esclaves et mettre la question raciale au
premier plan dans l’enseignement.
Depuis le revers électoral en Virginie,
les démocrates, paniqués, s’interrogent sur
oe Biden peut pavoiser. Un an notamment par la perte des voix des élec- la direction à prendre, sans parvenir à un

J
après son arrivée au pouvoir, il teurs modérés et des indépendants dans consensus. Car leur parti se compose de
est parvenu à faire voter un les faubourgs des grandes villes, qui multiples courants ayant chacun des prio-
programme de 1 000 milliards avaient permis la victoire de Joe Biden. rités différentes. Un peu comme si les Verts,
de dollars d’investissements Ce dernier s’est fait élire en se présen- Lutte ouvrière, le Parti socialiste, le PCF, les
dans les infrastructures pour tant comme l’antidote à Donald Trump et centristes et La France insoumise barbo-
moderniser un réseau de ponts et de a promis de restaurer un brin de stabilité et taient dans la même structure politique.
routes bien décati et développer l’Internet de sérieux à la Maison-Blanche. Mais le Et chacun fait pression sur Joe Biden. La
à haut débit. Cela fait des années que ses retrait d’Afghanistan a été un fiasco. Et la gauche estime qu’il n’a pas été assez ambi-
prédécesseurs essayaient en vain de lan- popularité du président est sapée par l’in- tieux – ce qui aurait découragé les élec-
cer un tel plan. Encore plus notable en ces terminable pandémie et les problèmes de teurs – et le pousse donc à continuer ses
temps de polarisation extrême : le projet production et d’approvisionnement inter- grands projets de réforme. « Les résultats
de loi a été approuvé avec l’appui de 13 élus nationaux, qui font s’envoler l’inflation et montrent les limites d’une campagne à
du Parti républicain à la Chambre des le prix des carburants. En outre, les guerres 100 % modérée qui n’emballe pas, ne parle
représentants. intestines et les interminables tractations pas à la base progressiste et ne la mobilise
Une célébration cependant en demi-
teinte, car cette réforme ne dopera pas
forcément la popularité de Joe Biden.
Selon un sondage effectué avant le vote ,
seuls 38 % des Américains approuvent la
gestion du président. Sur tout, ce plan
pourtant populaire ne suffira sans doute
pas à éviter que les démocrates ne perdent
la majorité au Congrès lors des élections
de novembre 2022.
Traditionnellement, le parti au pouvoir
se fait laminer au scrutin de mi-mandat.
Mais cette fois, les signes avant-coureurs
sont particulièrement inquiétants. Tout
D. ANGERER/GETTY IMAGES VIA AFP

récemment, les démocrates ont reçu une

claque magistrale lors d’élections locales.
Les républicains se sont emparés du siège
de gouverneur de Virginie, Etat que Biden
avait remporté avec 10 points d’avance
en 2020. Et ils ont failli remporter celui du
New Jersey, un fief historique de la gauche.
Ces mauvais résultats s’expliquent Les républicains se sont emparés du siège du gouverneur démocrate en Virginie.
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ZINIO
44 Amériques
La fragile majorité démocrate
Composition du Congrès des Etats-Unis
Chambre des représentants
Démocrates Républicains
221
Sénat
50
34
(14/20)
Sièges remis en jeu lors des élections
de mi-mandat en novembre 2022
SOURCE : CONGRÈS DES ÉTATS-UNIS
pas, » a estimé Alexandria Ocasio-Cortez,
la représentante de New York et égérie de
la gauche, en parlant de la campagne du
candidat démocrate en Virginie.
Il faut « un changement de cap vers le
centre », prône au contraire Mark Penn,
l’ancien stratège de Bill et Hillary Clinton,
avec une politique d’immigration plus
Etats-Unis
Ce « Russiagate » qui fait pschitt
L’enquête du procureur spécial John Durham montre que les accusations
de collusion entre Moscou et l’ex-président Donald étaient bidon.
P endant près de trois ans, au cours du
mandat de Donald Trump, l’enquête a
tenu le monde entier en haleine. Ce que l’on
a appelé « l’affaire russe » ou le « Russia-
gate » était censé démontrer l’existence,
à partir de juillet 2016, d’une « collusion
entre le Kremlin et l’équipe de campagne
de l’ex-président ». Circonstance ag gra-
vante, les services secrets russes étaient,
croyait-on, en mesure de faire chanter
Trump en raison d’« une compromettante
sextape ». Prétendument fabriquée par le
FSB (l’ex-KGB), celle-ci mettait soi-disant
en scène le futur président regardant deux
prostituées en train d’uriner sur le lit de la
suite présidentielle de l’hôtel Ritz-Carlton
de Moscou, où Barack et Michelle Obama
avaient séjourné avant lui.
Trop beau (si l’on ose dire) pour être
vrai ? Hélas, ou heureusement, oui ! En réa-
lité, ces « révélations », et quelques autres,
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ferme, une limitation des dépenses
publiques, et l’accent mis sur les préoccu-
pations des Américains, parmi lesquelles
le contrôle du prix des médicaments, une
213 meilleure couverture santé des seniors…
« Si les démocrates persistent dans cette
voie et continuent à satisfaire les priorités
1 des progressistes, ils risquent de perdre
Vacant
jusqu’à 50 sièges et la majorité de la
Chambre des représentants aux élections
de mi-mandat », poursuit Mark Penn dans
48 une tribune cosignée.
Washington compte sur l’urgence élec-
torale pour que les factions au sein du parti
2 Indép. trouvent un compromis et votent au plus
vite le second volet de la réforme, social et
L’EXPRESS
environnemental, estimé à 1 750 milliards
de dollars, et qui prévoit par exemple des
mesures pour le climat. Selon Ron Klain, le
directeur de cabinet de Joe Biden, les élec-
teurs de Virginie et d’ailleurs ont « envoyé
un message » : « Ils voulaient voir plus d’ac-
tion à Washington. Ils voulaient que les
choses avancent plus vite. » En attendant,
l’espoir d’une victoire en novembre 2022
s’est peut-être déjà évaporé. W
compilées par l’ex-espion britannique
Christopher Steele, étaient parfaitement
bidon, ainsi que le révèle l’enquête de John
Durham. Cinq ans après le début de l’en-
quête du FBI, ce procureur spécial indé-
pendant est aujourd’hui chargé d’établir
les faits et, le cas échéant, de mettre en
lumière les loupés de l’enquête. Et il y par-
vient, comme en témoignent l’arrestation
et la mise en examen, le 4 novembre, d’Igor
Danchenko, qui réduisent à néant les accu-
sations contre Trump. Principal informa-
teur du « dossier Steele », il est aujourd’hui
accusé d’avoir menti de bout en bout.
Danchenko était de fait bien placé pour
donner du crédit à ses récits fantaisistes :
de nationalité russe, résidant à Washington,
il était, de 2005 à 2010, un expert de la
Russie et de l’Eurasie au sein de la Broo-
kings Institution, prestigieux think tank
proche du Parti démocrate. En réalité, Igor
Danchenko tenait ses informations
« explosives » de la bouche d’un proche…
des Clinton : Charles Dolan ! Ce communi-
quant de haut vol fut l’un des cadres des
campagnes électorales de Bill en 1992
et 1996, et l’un des conseillers de Hillary
en 2008, lors des primaires démocrates
contre Barack Obama. « Enfin, en 2016, il
participa activement à la campagne de la
candidate démocrate », observe le procu-
reur Durham.
Qui plus est, Dolan est bien introduit à
Moscou – bien davantage, apparemment,
que ne l’est Trump. Depuis 2006 jusqu’à
2014, il se consacre à amé-
liorer l’image internatio- Quelques
dates
nale de la Russie où il passe
beaucoup de temps, y com-
pris au Ritz-Carlton de la 2016
capitale, dont il visite la 31 juillet, début
suite présidentielle à l’été de l’enquête
du FBI
2016. Ce qui lui permet de
« vendre » avec conviction 2017
Eviction
l’histoire abracadabrante du directeur du
des « prostituées inconti- FBI ; nomination
du procureur
nentes » au FBI, qui avale le Mueller.
bobard naïvement.
2019
Une chose est claire : Publication
tout ce beau monde s’au- du rapport
Mueller.
to-intoxique. Le « commu-
niquant » Dolan souffle des racontars à
l’oreille du Russe Danchenko, qui réper-
cute ces on-dit auprès de l’ex-limier bri-
tannique Steele, lequel communique ses
tuyaux au FBI. Ce qui déclenche la mise
sur écoute de l’équipe de campagne de
Trump. Et justifie, après le renvoi du
patron du FBI James Comey par Trump le
9 mai 2017, une investigation par le procu-
reur spécial Robert Mueller. Qui conclut,
après deux ans, à l’inexistence d’une col-
lusion « russo-trumpienne ».
Dans cet imbroglio, qui est aussi un
fiasco journalistique, le quotidien conser-
vateur TheWall Street Journal est l’un des
rares médias à esquisser une autocritique.
Le 5 novembre, il relève que « tout cela
prouve que toute cette affaire n’est, du
début à la fin, qu’une série de boules puan-
tes lancées par l’équipe de Hillary Clinton,
et dont la presse fut le promoteur crédule ».
Côté démocrate, The Washington Post
admet que l’enquête en cours du procu-
reur Durham « jette un doute sur certains
articles publiés par les journaux, y com-
pris le nôtre ». C’est bien le moins que l’on
puisse dire. W AXEL GYLDÉN
ZINIO
Asie-Pacifique
CHINE
Stratégie « zéro Covid » :
le grand isolement
Le pays est en état d’alerte à la moindre reprise
épidémique. Et s’est coupé du monde depuis dix-
huit mois. Au risque de pénaliser son économie.
PAR SÉBASTIEN LE BELZIC (PÉKIN)
C
e n’était pas une nouvelle
animation... Fin octobre,
à Disneyland Shanghai,
34 000 visiteurs ont été
enfermés dans le parc
d’attractions, puis testés
en pleine nuit après la découverte d’un cas
chez un client qui les avaient précédés.
Ils ont ensuite dû se confiner pendant
quarante-huit heures.
La Chine est le dernier grand pays à
maintenir la stratégie « zéro Covid ». Une
approche faite de mesures drastiques. Dans
le nord-est, à Zhuanghe, tous les feux de
signalisation sont ainsi subitement passés
au rouge, interdisant aux voitures de circu-
ler et confinant de facto la ville. Proche de
la frontière avec la Russie, la municipalité
de Heihe offre, quant à elle, 13 500 euros de
récompense pour toute information
concernant l’origine de l’épidémie locale.
Et à Chengdu, dans le sud-ouest, ce sont
82 000 personnes qui sont « cas contact »
pour avoir côtoyé un malade, parfois
jusqu’à un kilomètre de distance – comme
l’atteste le traçage de leur téléphone por-
table. Dans la même ville, une douzaine
d’habitants ayant fui une zone en confine-
ment risquent jusqu’à sept ans de prison.
Au total, une vingtaine de provinces
sont en état d’alerte, alors que le pays enre-
gistre moins de 100 cas par jour au
11 novembre (contre plus de 70 000 aux
Etats-Unis). Pékin est aussi sur le qui-vive :
interdiction d’entrer dans la ville au retour
Z. LONG/XINHUA/AFP
Une vingtaine de provinces, dont
le Qinghai, sont en état d’alerte.
d’une zone où des cas d’infection ont été
signalés dans les quatorze jours précé-
dents ; et tous les écoliers viennent d’être
dépistés. Les établissements demandent
même aux élèves d’apporter une couver-
ture en cas de confinement sur place une
partie de la nuit si un cas contact est détecté
(dans l’attente du résultat de leurs tests).
« Un de mes voisins s’est rendu dans le
Gansu, dans le nord-ouest, il y a eu
quelques cas là-bas et, dès les résultats, tout
mon immeuble a été testé », raconte une
45
jeune Pékinoise. Anticipant de nouveaux
confinements, le gouvernement a incité à
faire des provisions, provoquant la ruée
dans les supermarchés. Ces mesures ont
fait leurs preuves sur le plan sanitaire, mais
pèsent sur l’économie. Le PIB n’a progressé
que de 4,9 % au troisième trimestre et les
confinements pourraient faire perdre un
point de croissance à la Chine cette année.
Les milieux d’affaires étrangers sont
inquiets. Un sondage de la chambre de
commerce sino-américaine révèle que
70 % des multinationales ont des difficul-
tés à faire revenir et surtout à garder leurs
expatriés dans le pays. La Chine continen-
tale ne compte plus que 856 000 étrangers,
soit 0,06 % de sa population.
Le pays se referme de plus en plus et
entrer en Chine est devenu un parcours
du combattant (trois semaines de quaran-
taine pour ceux qui se rendent à Pékin et
Hongkong, deux semaines pour les autres).
Les autorités construisent d’immenses
centres pour les accueillir : 5 000 chambres
à Canton et 2 000 près de Shenzhen. Dans
ces zones d’isolement high-tech, des robots
servent les repas et désinfectent les cou-
loirs. Drones à l’extérieur et intelligence
artificielle permettent de garder un œil
sur les occupants, de prendre leur tempé-
rature et d’éviter qu’ils ne s’échappent. Le
tout agrémenté d’une douzaine de tests,
sanguins, PCR, et parfois même anaux. « La
Chine poursuivra probablement cette stra-
tégie de tolérance zéro pendant au moins
un an », assure Ernan Cui, analyste au
cabinet Gavekal Dragonomics à Pékin.
Soit possiblement jusqu’au 20e congrès
du Parti communiste, qui devrait confier à
Xi Jinping un troisième mandat, estime
également un diplomate européen.
Quelques rares voix, vite étouffées,
s’élèvent pour demander un assouplisse-
ment. « Adopter une politique zéro tolé-
rance n’a pas de sens, il faut se concentrer
sur la vaccination et s’assurer de son effica-
cité, sinon notre économie va s’effondrer,
a déclaré Guan Yi, un célèbre épidémio-
logiste chinois. Comme la grippe, ce virus
restera longtemps parmi nous. » Avec une
couverture vaccinale proche de 80 %, le
pays devrait envisager plus sereinement
l’avenir, mais la faible efficacité des vaccins
chinois et le spectre agité par le régime
d’une menace virale venant de l’étranger
laissent penser que les contraintes sont là
pour durer. :
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ZINIO
46
KENYA
La guerre sans fin contre
la pollution plastique
Le pays le plus industrialisé d’Afrique de l’Est
tente d’endiguer ce fléau environnemental.
Un travail de Sisyphe qui ne plaît pas à tous.
PAR CHARLOTTE LALANNE (NAIROBI)
our prendre la mesure du
P
désastre, il faut gravir une
montagne d’ordures, s’en-
foncer dans une boue mou-
vante et puante. Sous les
semelles, mêlé aux pou-
belles en putréfaction, un océan de plas-
tique où s’entassent des dizaines de mil-
liers de bouteilles de soda, de bidons de
lessive et d’emballages industriels multi-
colores. Du sommet, apparaît l’immensité
de Dandora, la plus grande décharge à ciel
ouvert du Kenya – 12 hectares, soit l’équi-
valent de 17 terrains de football –, en ban-
lieue est de Nairobi.
Tous les jours, des monceaux de détri-
tus sont déversés ici, faute d’infrastruc-
ture pour les traiter ailleurs. Ici et là, de
frêles silhouettes bottées s’affairent à une
sinistre besogne : ce sont les waste pickers,
littéralement les « cueilleurs de déchets ».
Comme son fils âgé de 14 ans, Jane Nyam-
bura ramasse et trie des sacs et des bou-
teilles en plastique, qu’elle revend pour
une vingtaine de dollars par mois à des
entreprises qui les transforment.
Les waste pickers sont les forçats du
recyclage, filière embryonnaire que l’Etat
kenyan cherche à développer afin d’en-
diguer le fléau de la pollution plastique.
A elle seule, la capitale où vivent 4,5 mil-
lions d’âmes rejette près de 500 tonnes de
ces déchets par jour. Une partie arrive à
Dandora, le reste finit dans les intestins
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
Afrique | Moyen-Orient
du bétail, dans les rivières ou les canalisa-
tions de la ville, occasionnant, à la saison
des pluies, de terribles inondations. Ce
n’est pas tout : la production de ce maté-
riau génère elle-même des millions de
tonnes de CO2.
Longtemps resté spectateur de ce sac-
cage, le Kenya a engagé ces dernières
années une politique volontariste symbo-
lisée, en 2017, par l’interdiction des sacs de
courses à usage unique. « Incité par son
rival rwandais, le Kenya cherche à s’affi-
cher comme un leader sur la défense de
l’environnement », analyse le chercheur
britannique Pritish Behuria, fin connais-
seur de la région.
Les waste pickers s’affairent
pour quelques dollars par mois.
Et dans les faits ? Dans son bureau
cossu d’un building du centre-ville, le
patron de l’Autorité nationale de gestion
de l’environnement (Nema), Mamo Boru,
défend en tout cas son bilan. « En quatre
ans, nous avons réussi à éliminer 90 % des
sacs plastique non réutilisables, se féli-
cite-t-il sous le regard du président Uhuru
Kenyatta, dont le portrait officiel est accro-
ché au mur. Auparavant, quand vous rou-
liez dans la campagne, le spectacle était
effarant. Au bord des routes, les acacias
étaient coiffés de sacs de toutes les cou-
leurs. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. »
Certes, les arbres ont retrouvé leur as-
pect naturel. Mais la bataille est loin d’être
gagnée. En examinant la composition
des sacs alternatifs – dont la matière res-
semble à du tissu – fabriqués à la chaîne
depuis 2017, la Nema est tombée des nues :
ces sacs prétendument écolos contiennent
du polyéthylène, un des principaux com-
posants du plastique.
« Lorsqu’il s’agit de contourner les légis-
lations environnementales, les industriels
se montrent particulièrement innovants,
peste Gerphas Opondo, avocat et directeur
de l’ONG Environmental Compliance Ins-
titute, à Nairobi. Ils s’y opposent ou font
tout leur possible pour retarder leur mise
Les infrastructures
pour trier, collecter
et traiter demeurent
quasi inexistantes
en œuvre. » Plusieurs tentatives d’interdic-
tion des plastiques légers (les plus pol-
luants) ont capoté depuis 2005. « En 2007,
par exemple, les autorités ont imposé aux
fabricants un impôt de 120 % sur la com-
mercialisation des sacs plastique d’une
épaisseur inférieure à 30 microns ; en l’es-
pace de six mois, il est descendu à 50 % »,
regrette le militant.
A la manœuvre, la toute-puissante
association des manufacturiers kényans.
Dans le pays le plus industrialisé d’Afrique
de l’Est, l’argument est tout trouvé. « Dès
qu’un nouveau projet de loi vise la produc-
tion de plastique, le lobby joue la carte
économique en insistant sur le nombre
ZINIO
Afrique | Moyen-Orient
PHOTOS : G. ODHIAMBO POUR L’EXPRESS
Au cœur de Dandora, la plus grande décharge à ciel ouvert du pays, Jane Nyambura ramasse et trie les déchets.
d’usines menacées de fermer », poursuit
Gerphas Opondo. Nul doute que le mes-
sage est entendu au ministère de l’Environ-
nement, intimement lié à celui du Com-
merce. Et pour cause ! L’actuelle ministre
du Commerce et de l’Industrialisation,
Betty Maina, a passé cinq ans à la tête du
ministère de l’Environnement… après
avoir, pendant onze ans, dirigé l’Associa-
tion des manufacturiers kényans.
Toutefois, sous la pression des écolo-
gistes, l’industrie cherche à se montrer ver-
tueuse. Alors, quand le gouvernement
envisage d’interdire les bouteilles en plas-
tique, l’initiative Petco voit le jour en 2018.
La société – qui a annulé trois fois l’entre-
tien prévu avec L’Express – affirme sur son
site « représenter l’effort conjoint de l’in-
dustrie kényane du plastique pour autoré-
guler le recyclage du polytéréphtalate
d’éthylène », autrement appelé PET, com-
posant principal de ces bouteilles.
Sa philosophie ? Responsabiliser les
fabricants. L’ennui, c’est que son premier
contributeur est Coca Cola, plus gros pol-
lueur au plastique du monde. Difficile de
savoir exactement comment Petco œuvre
en faveur du recyclage, si ce n’est via cinq
collecteurs de bouteilles installés dans
la capitale et des actions de sensibilisation
menées auprès des populations. Le bilan
est maigre, selon le président de la Nema.
« Petco ne nous fournit pas de rapports tri-
mestriels sur son activité, s’impatiente
Mamo Boru. Ils ne sont jamais vraiment
concrets, et semblent se contenter de pra-
tiquer le greenwashing pour améliorer
leur image ! »
Le chemin est encore long, d’autant
que les infrastructures pour trier, collecter
et traiter le plastique demeurent quasi
inexistantes. L’Etat et les collectivités
locales se renvoient la balle, tandis que les
quelques rares entreprises de recyclage
implantées au Kenya s’appuient sur le sec-
teur informel et les waste pickers.
C’est le cas de l’un des leaders du mar-
ché, la société Mr. Green Africa, qui trans-
forme jusqu’à 250 tonnes de déchets de
plastique par mois et a vu ses revenus
tripler en 2020. « Cette croissance nous
permet de mieux rémunérer les collec-
teurs, que nous payons déjà de 20 à 30 %
de plus que le marché noir », assure son
47
cofondateur, Keiran Smith. Mr. Green
Africa collabore aussi avec des entreprises
soucieuses de retraiter leur propre plas-
tique, à l’image d’Unilever. « Pour ces
fabricants, l’essor du recyclage constitue
une assurance-vie : elles pourront ainsi
continuer à commercialiser du plastique »,
relativise Betterman Simidi M., fondateur
de l’ONG Clean Up Kenya.
En amont des fabricants, l’industrie
pétrochimique, qui fournit la matière pre-
mière du plastique, a également intérêt à
promouvoir le recyclage. Pour preuve,
le plaidoyer de l’American Chemistry
Council – qui réunit les poids lourds amé-
ricains de la chimie comme ExxonMobil
ou Chevron – en faveur d’un « plastic
deal ». Sur le papier, cet accord constitue
une solution donnant-donnant : les Amé-
ricains exporteraient une partie de leurs
déchets de plastique afin de les recycler au
Kenya ; en échange, le pays d’Afrique de
l’Est bénéficierait d’investissements subs-
tantiels dans la filière du recyclage. Le pro-
jet ne suscite pourtant guère d’enthou-
siasme à Nairobi, qui n’a aucune envie de
devenir la poubelle des Etats-Unis. W
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ZINIO

48 Economie

bambins à la sieste, en attendant… l’heure

des mamans ! Ils représenteraient plus de
10 % des effectifs, contre 1,5 % en France.
Dans l’Hexagone, alors que la question
de l’égalité femmes-hommes est sur la
place publique, le sujet est presque tabou.
« Tant qu’on ne parlera de mixité que sous
l’angle de la présence des femmes dans des
secteurs ou des métiers très masculinisés,
on ne résoudra jamais le problème », tacle
Françoise Vouillot, ancienne professeur
en psychologie de l’orientation au
Conservatoire national des arts et métiers.
Comme si l’enjeu n’était que de féminiser
les conseils d’administration, les écoles
d’ingénieurs, les facultés de maths… En
oubliant, à l’inverse, de masculiniser les
professions de santé ou de justice, le sec-
teur de l’éducation ou les services à la per-
sonne. « Un silence qui aboutit à reproduire
les inégalités de genres au lieu de remettre
en cause l’ensemble de la construction
sociale », ajoute Françoise Milewski,
économiste à l’Observatoire français des

L’EXPRESS
conjonctures économiques.
Le résultat ? Les salariés français évo-
luent dans un marché du travail très genré.
Peut-être plus qu’ailleurs. Sur les 87 grandes
DÉSERTION familles de métiers identifiées par le minis-
tère du Travail, seules 18 seraient mixtes.
Education, santé, justice… De fait, plus des trois quarts des postes de
professeur des écoles, psychologue, infir-

Où sont les hommes ? mier, sage-femme, aide-soignant, vétéri-

naire, juge, greffier, conseiller péniten-
tiaire, etc., sont occupés par des femmes.
Comme si l’ensemble des métiers du soin,
La question de la mixité est toujours abordée de l’écoute, de l’aide, de l’éducation avaient
été désertés par le « sexe fort »… car moins
sous l’angle de la féminisation des métiers rémunérateurs ou moins valorisants. Cette
occupés par les hommes... mais jamais l’inverse. tendance pourrait s’accentuer dans la
décennie qui vient avec les départs à la
retraite des « boomers » et les choix d’orien-
PAR BÉATRICE MATHIEU tation dans certaines filières du supérieur.
Lors de la rentrée universitaire 2020-2021,
72,2 % des étudiants en première année de
droit et de sciences politiques étaient des

A
Oslo, en Norvège, les
jeunes parents ne
confient plus leurs têtes
blondes à des « assis-
tantes maternelles »,
mais à des « nounous ».
Un mot plus neutre qui accompagne la
révolution silencieuse en cours, celle de la
masculinisation du secteur de la petite
enfance. Dans un pays où les écarts de
salaire entre les deux sexes sont parmi les
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
plus faibles au monde, le gouvernement
s’est lancé un nouveau défi : inciter les
hommes à choisir des métiers très fémini-
sés. Une loi a même été votée, permettant
de favoriser le recrutement d’un homme
plutôt que celui d’une femme, à compé-
tence égale, dans les secteurs de la santé,
du social ou de l’éducation. Depuis
quelques années, dans les crèches du pays,
de solides gaillards préparent les biberons,
lisent des comptines et calment les
filles ; 66,6 % dans les filières des sciences
de la vie et de la nature ; 83,8 % en première
année commune aux études de santé
(Paces), ouvrant aux concours de méde-
cine, dentaire ou pharmacie.
« Compte tenu de la pyramide des âges,
cela va poser à terme un sérieux problème
d’organisation de la médecine en France,
car les femmes préfèrent travailler dans de
grosses structures en ville plutôt que dans
des cabinets de campagne », s’inquiète
ZINIO
Economie
Jean-François Gerard-Varet, président de
la commission démographie du conseil
national de l’ordre des médecins. A l’Ecole
nationale de la magistrature (ENM), à
peine 20 % des élèves qui réussissent le
concours sont des hommes. De quoi faire
craindre à certains l’avènement d’une
« justice de femmes ». Un argument balayé
par Nathalie Roret, directrice de l’ENM :
« La justice est rendue au nom du peuple
français, il n’y a pas de sexe sous la robe. »
En attendant, comment parvenir à une
réelle égalité dans le monde du travail ?
Tout se jouerait au moment des premiers
choix d’orientation. Un rapport sur la
mixité au lycée a été rendu en juillet à Jean-
Michel Blanquer, ministre de l’Education.
Parmi les pistes envisagées, la création
d’une « bourse minoritaire de genre », qui
Nouveau cycle
Matières premières : le grand incendie
Leur prix n’en finit pas de grimper, au risque de menacer la reprise
économique et la sécurité alimentaire des pays les plus pauvres.
F eu de paille ou brasier incontrôlable ?
Acier, aluminium, cuivre, blé, soja,
pétrole, gaz… Depuis plus d’un an, les
cours des matières premières ont entamé
une course folle vers les sommets. A titre
d’exemple, le prix de la tonne de cuivre a
doublé depuis avril 2020 ! Cette flambée
cause le désespoir des industriels, qui
voient leurs coûts de production s’envoler,
et fait planer sur les pays les plus pauvres
la menace de tensions alimentaires. Selon
l’Organisation des Nations unies pour l’ali-
mentation et l’agriculture, les prix mon-
diaux des produits alimentaires n’ont
jamais été aussi élevés depuis dix ans.
Les raisons sont multiples, mais la pan-
démie a clairement joué un rôle de cataly-
seur. L’arrêt presque total des échanges au
plus fort de la crise a mis sens dessus des-
sous un Meccano du commerce mondial
habituellement réglé au millimètre. « Et la
vigueur de la reprise, alors même que les
capacités de production dans le monde
n’étaient pas encore revenues à leur opti-
mum, a achevé de détraquer le système »,
explique Philippe Chalmin, économiste et
spécialiste des matières premières. Un
puissant rebond qui a également fait
inciterait les élèves boursiers à choisir à la
fin de la seconde des enseignements de
spécialité où ils seraient minoritaires en
termes de genre. En clair, l’informatique
ou les maths pour les filles, la gestion ou
les lettres pour les garçons. « Pour être effi-
cace, il faut que l’incitation soit forte »,
confirme Claude Roiron, déléguée minis-
térielle à l’égalité filles-garçons. Les arbi-
trages ne sont pas rendus, mais une « boni-
fication » de plusieurs dizaines d’euros par
mois en classe de première serait sur la
table, laquelle serait doublée en terminale
si l’élève conserve la spécialité. Une propo-
sition séduisante sur le papier, mais qui
aboutirait à stigmatiser les élèves
pauvres… Pas sûr que la carotte financière
parvienne à vaincre les stéréotypes :
maman câline, papa travaille… W
exploser les tarifs du fret maritime, avec
un prix multiplié par 5 depuis l’été 2020.
De quoi faire monter la température de
quelques degrés supplémentaires.
« Une voiture électrique
consomme 4 fois plus
de cuivre que son
équivalent thermique »
« Les plans de relance massifs et les
aides aux plus pauvres, aussi bien aux
Etats-Unis qu’en Europe, ont également
alimenté la surchauffe », poursuit Philippe
Chalmin. Contrairement aux classes
moyennes ou aisées qui sont en capacité
d’épargner quand leurs revenus augmen-
tent, les ménages les moins favorisés
utilisent ces aides pour améliorer leur
quotidien, et donc consomment davan-
tage. Le quatorzième plan quinquennal
chinois, dévoilé en mars, qui vise
notamment à réduire les inégalités en
49
revalorisant les plus bas salaires, devrait
lui aussi contribuer à attiser la flambée des
matières premières.
A ces facteurs conjoncturels, il faut
ajouter le puissant aiguillon de la transi-
tion climatique. La grande majorité des
pays est aujourd’hui engagée dans une
course contre la montre pour réduire leurs
émissions de CO2. Un effort, certes encore
trop modeste, qui passe notamment par
l’électrification à marche forcée des flottes
automobiles. « Or une voiture électrique
consomme 4 fois plus de cuivre que son
équivalent thermique et 45 % d’alumi-
nium supplémentaire (afin de s’alléger
pour compenser le surpoids des batte-
ries) », détaille Benjamin Louvet, gérant
matières premières chez OFI AM. Ces deux
métaux ont effectivement vu leurs cours
s’envoler ces derniers mois. Ce virage vert,
allié à la puissance des plans de relance, fait
dire à certains économistes que nous
sommes entrés de plain-pied dans un nou-
veau supercycle : une hausse du prix des
matières premières qui devrait durer au
moins une décennie, à l’instar de celle des
années 2000, portée par l’urbanisation de
la Chine. Une thèse notamment soutenue
par le géant de la banque d’affaires,
Goldman Sachs. Benjamin Louvet, lui, se
veut plus nuancé. « Pour les énergies fos-
siles, on a essayé de contraindre l’offre sans
se poser la question de la demande. On
devrait donc encore avoir des prix élevés
pendant quelques années avant de réussir
à se désintoxiquer. Mais pour les métaux
liés à la transition climatique, il n’y a plus
de débat : le supercycle est lancé. »
Côté matières premières agricoles, si le
match est en quelque sorte rejoué à chaque
printemps, Sébastien Abis, directeur du
club d’entreprises Demeter et chercheur
associé à l’Institut de relations internatio-
nales et stratégiques, ne cache pas son
inquiétude : « L’envolée du cours du gaz a
eu pour conséquence de multiplier par 3 le
prix de l’engrais azoté, ce qui va faire chu-
ter les rendements et donc s’envoler les
prix. A plus long terme, avec le réchauffe-
ment climatique, les intempéries se mul-
tiplieront, menaçant les récoltes. » Une
trajectoire haussière alimentée par le
surstockage de certains pays, dont la Chine,
qui anticipent… une possible hausse.
Supercycle ou pas, la flambée des matières
premières ne manque pas de carburant. W
EMMANUEL BOTTA
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ZINIO
50 Economie LIBRAIRIE
Et si les Etats-Unis
et la Chine étaient
en guerre ?
THE STRATEGY OF DENIAL :
AMERICAN DEFENSE IN AN AGE
OF GREAT POWER CONFLICT
PAR ELBRIDGE A. COLBY.
YALE UNIVERSITY PRESS, 384 P., 28 €.
:::::
A u mois d’août, la
Chine a testé un
missile hypersonique
dont un modèle avait
été présenté lors de la
parade militaire d’oc-
tobre 2019 à Pékin,
marquant le 70e anni-
versaire de la fonda-
tion de la République
populaire. Cette nou-
velle arme, presque indétectable, est
capable de voler en très haute altitude, à
une vitesse cinq fois supérieure à celle du
son. Au cours de son essai, l’engin chinois,
qui peut être équipé d’une tête nucléaire,
a fait le tour du globe en passant par le pôle
Sud avant d’exploser à proximité de son
objectif. Cet essai n’est pas passé inaperçu
des puissances occidentales, en particu-
lier des Etats-Unis. Cette initiative pose
deux questions fondamentales : à quoi
ressemblerait une compétition encore
plus intense entre les deux superpuis-
sances que sont la Chine et les Etats-Unis ?
Et est-ce qu’un conflit armé est plus pro-
bable aujourd’hui qu’hier ?
Elbridge Colby, ancien secrétaire
adjoint à la Défense au sein de l’adminis-
tration Trump, répond à ces questions de
façon assez radicale : « Ce livre parle de la
guerre, écrit-il, d’une guerre que l’on doit
mener afin d’empêcher la Chine ou n’im-
porte qui d’autre de dominer une région
clef pour le monde. » Selon l’auteur, il
convient certes que les Etats-Unis conso-
lident leurs alliances avec le Japon, l’Inde,
l’Australie, mais aussi avec le Vietnam, les
Philippines ou l’Indonésie pour faire bloc
face à la volonté hégémonique de la Chine.
Mais ils doivent aller plus loin et dénier à
l’empire du Milieu toute capacité de mobi-
liser son appareil militaire pour poursuivre
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ses objectifs politiques. Une stratégie de
défense digne de ce nom devrait préparer
les Etats-Unis, ses alliés et ses partenaires
à mener une guerre limitée contre la Chine
pour affirmer leur stratégie. Et l’élément
déclencheur d’un tel conflit serait naturel-
lement l’annexion de Taïwan par la Chine.
Certes, il serait facile de n’accorder que
peu de crédibilité à l’analyse d’Elbridge
Colby, tant elle paraît radicale. Mais l’au-
teur connaît bien son sujet, et il est repré-
sentatif d’une école de pensée qui compte
beaucoup d’adeptes aux Etats-Unis. Joe
Biden, dont l’image a été ternie par l’éva-
cuation de l’Afghanistan, ne semble pas
décidé à laisser le champ libre à l’empire du
Milieu en Asie. La France en sait quelque
chose avec l’affaire des sous-marins austra-
liens et le pacte de sécurité Aukus, qui s’ins-
crit bien dans la logique défendue par
Colby de la construction d’une alliance
« antihégémonique » contre la Chine. De là
à lancer une guerre préventive, il reste tout
de même du chemin à faire.
FRANÇOIS ROCHE
Le numérique
chamboule
le droit social
TRAVAIL ET CHANGEMENTS
TECHNOLOGIQUES
PAR JACQUES BARTHÉLÉMY ET GILBERT
CETTE. ODILE JACOB, 187 P., 19,90 €.
:::::
L e duo entre le
juriste Jacques
Barthélémy et l’éco-
nomiste Gilbert Cette
creuse une nouvelle
fois le sillon de l’adap-
tation du droit du
t r ava i l au x défi s
économiques. Après
Réformer le droit du
travail et Travailler
e
au XXI siècle, ils récidivent avec Travail et
changements technologiques. La collabo-
ration est toujours aussi fructueuse. Elle
s’appuie sur la conviction des auteurs : ce
n’est pas aux nouvelles formes de travail
enfantées par la révolution numérique de
s’adapter à un droit social conçu pour le
travail répétitif, à l’usine, mais aussi au
bureau. C’est, au contraire, au droit social
de s’adapter pour protéger l’ensemble des
travailleurs sans étouffer les nouvelles
formes d’activité. Il n’y aura pas de protec-
tion efficace des salariés si la complexité et
la lourdeur du droit du travail entravent la
productivité et la flexibilité, fabriquant
ainsi un chômage structurel plus élevé.
Comment harmoniser tous ces objec-
tifs ? Aussi souvent que possible, la conci-
liation doit s’opérer dans l’entreprise par la
négociation. Ce qui signifie mieux définir
les domaines dans lesquels l’accord collec-
tif peut affecter le contrat de travail, renfor-
cer les représentants du personnel, amé-
liorer la prévention et le règlement des
litiges. Problème : ces recommandations
vont à l’encontre de la tradition française
de « légicentrisme » jacobin qui a réussi à
produire un Code du travail obèse, tatillon
et peu protecteur… Alors, certes, toutes les
réformes du droit du travail entreprises
depuis une dizaine d’années vont dans le
sens d’une plus grande décentralisation.
Reste qu’il ne faut surtout pas s’arrêter,
car le monde, lui, avance. La montée en
charge du labeur indépendant appelle, par
exemple, de nouvelles protections, même
si les auteurs ne croient pas à la cannibali-
sation du salariat par le travail ubérisé…
C’est que les défis sont nombreux : les
indépendants n’ont pas de rémunération
minimale, ne profitent pas des protections
concernant les conditions de leur tâche et
peuvent être remerciés du jour au lende-
main. Ces transformations exigent de
mettre sur pied un « droit de l’activité pro-
fessionnelle », qui ne reposerait pas sur le
principe de subordination juridique, mais
sur une protection à proportion de l’auto-
nomie. Est-il normal qu’un ingénieur de
haut vol et un ouvrier bénéficient de la
même protection alors que le travailleur
ubérisé n’a presque rien ?
L’expérience du télétravail durant la
pandémie réinterroge elle aussi les formes
de la subordination, notamment la mesure
du temps de travail… et nécessite des pré-
cautions réglementaires.
Plus que des réponses toutes faites, le
juriste et l’économiste nous proposent
encore et toujours le dialogue social fruc-
tueux au sein de l’entreprise. Pas comme
un remède miracle, mais comme une évi-
dence de bon sens. :
EMMANUEL LECHYPRE
ZINIO
Economie | Soleil levant
S’ouvrir moins pour peser plus :
le nouveau paradoxe chinois
UNE CHRONIQUE DE DAVID BAVEREZ
Les entreprises étrangères pourront continuer d’investir dans l’empire
du Milieu. Mais Pékin risque à tout moment de doucher leurs ambitions.
P eut-on encore investir en Chine ?
« Non ! » tranche le légendaire inves-
tisseur George Soros, après la nationali-
sation de facto du secteur de l’éducation
durant l’été. Non seulement la Chine
introduit l’arbitraire dans toute une
industrie, elle bafoue le droit des action-
naires minoritaires, mais, en plus, elle
limite son futur potentiel d’innovation.
« Oui, et sans doute plus profitablement
que dans la dernière décennie ! » répond
le lecteur optimiste du programme de
« Prospérité commune » annoncé par
le gouvernement de la région-pilote du
Zhejiang, la plus riche du pays, et qui a
L’empire du Milieu
a désespérément
besoin d’un nouvel
« effet de richesse »
servi de tremplin au président Xi Jinping
avant qu’il ne rejoigne Pékin. Bien loin
de la propagande gouvernementale pro-
mettant de taxer les riches, ce plan régio-
nal ambitionne de réduire l’écart de reve-
nus, principalement par la rémunération
de l’épargne des ménages, ce qui n’existait
pas en Chine jusqu’à présent.
Car, après l’éclatement de la bulle
immobilière, provoquée par la débâcle du
promoteur Evergrande, l’empire du Milieu
a désespérément besoin d’un nouvel « effet
de richesse », indispensable au fameux
rééquilibrage de la croissance par l’accélé-
ration de la consommation intérieure. Et
l’exemple américain du XXe siècle montre
que ce turbo ne peut provenir que de mar-
chés financiers locaux et durablement
haussiers. Après l’annus horribilis bour-
W. FURNISS
sière de 2021, marquée par un contrôle éta-
tique accru, en préambule au troisième
mandat de Xi Jinping, la Bourse chinoise,
à la fois par ses faibles valorisations et le
retour attendu de liquidités de la Banque
centrale, pourrait offrir aux investisseurs
un point d’entrée attractif en 2022. Dans
cette hypothèse, Pékin préfère qu’à l’ave-
nir, les plus-values sur les actions chinoises
finissent dans les poches des foyers domes-
tiques, plutôt que dans celles des fonds de
pension anglo-saxons.
Ces derniers seront plutôt invités à
intervenir sur un autre terrain, en finan-
çant les emprunts d’Etat chinois, qui
aujourd’hui rapportent 3 % à dix ans, et
auxquels pourrait s’ajouter une apprécia-
tion annuelle de change, lissée dans le
temps, de l’ordre de 3 à 4 % par an, soit au
total 6 à 7 % annuels exprimés en dollars.
Autrement dit, le Graal de tout « zinzin »
occidental, par ailleurs prisonnier des taux
zéro de la BCE et de la politisation de la Fed.
Les années 2000 ont vu l’empire du Milieu
renflouer les déficits américains ; la décen-
nie 2020 sonnera comme une revanche,
avec des déficits chinois financés par
l’Occident. De quoi contribuer à l’interna-
tionalisation du renminbi (RMB), la mon-
naie chinoise, et à la convertibilité à terme
de sa version digitale, dans le contexte d’un
système monétaire occidental déstabilisé
par des poussées inflationnistes, beaucoup
plus structurelles que ne le prétendent nos
banquiers centraux.
Cela explique pourquoi la Chine
cherche à conserver son indépendance vis-
à-vis d’un système financier mondial jugé
instable, en s’assurant une balance des
Durant la décennie
2020, les déficits
chinois seront financés
par l’Occident
51
paiements positive. Invitant sa population
à ne plus quitter le pays, elle s’épargne
300 milliards de dollars de sortie de capi-
taux et contrebalance ainsi les quelque
150 milliards annuels entrant au titre des
investissements directs étrangers (IDE).
Des investissements attendus lors du pro-
chain plan quinquennal comme seulement
stables par rapport aux cinq dernières
années. Cette dynamique indique bien que
l’empire du Milieu entend découpler, à
l’avenir, croissance du PNB et investisse-
ments étrangers, limités aux seuls trans-
ferts de technologie et de savoir-faire. Si les
entreprises étrangères pourront continuer
d’investir en Chine, elles devront intégrer
que l’élément déterminant ne sera plus leur
seul apport en capital.
Bourses de Hongkong ou de Shenzhen-
Shanghai, emprunts d’Etat, IDE... Chaque
classe d’actifs chinois va désormais obéir
à sa propre logique, avec cependant un
objectif commun : exploiter les désordres
occidentaux, financiers puis monétaires,
depuis les crises des subprimes de 2008 à
la pandémie du Covid de 2020, pour intro-
duire le RMB sur l’échiquier mondial.
Voilà donc un paradoxe chinois supplé-
mentaire : c’est en renfermant sa popula-
tion sur elle-même, c’est en freinant les
investissements industriels étrangers et
en privilégiant le renforcement de sa mon-
naie que la Chine entend préparer son
retour dans l’arène mondiale. W
David Baverez est investisseur, installé
depuis neuf ans à Hongkong.
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ZINIO

52 Entreprises DOSSIER FACEBOOK

P
as l’ombre d’un doute, le
discours est bien rodé,
même si la voix est un
ENTRETIEN peu éraillée. Au terme
d’un roadtrip de près d’un
Frances Haugen : « Le mois en Europe, Frances
Haugen, l’ex-employée de Facebook à l’ori-
métavers de Facebook est gine de la fuite de milliers de documents
révélant les insuffisances du réseau dans

une bombe à retardement » sa politique de modération des contenus,

a reçu L’Express. Chapeautée par son avo-
cat, un spécialiste de la protection des lan-
ceurs d’alerte, la jeune femme est revenue
La lanceuse d’alerte est partie en croisade sur le manque de transparence des algo-
rithmes de la plateforme. Surtout, pour la
en Europe : elle met en garde contre les dangers première fois, elle alerte sur les dangers de
des nouveaux projets de Mark Zuckerberg. la mue opérée par Mark Zuckerberg et son
groupe dans les métavers, ces univers vir-
tuels potentiellement encore plus addic-
PROPOS RECUEILLIS PAR RAPHAEL BLOCH, tifs. Interview exclusive.
BÉATRICE MATHIEU ET EMMANUEL PAQUETTE

Vous venez de terminer un voyage

qui vous a menée devant les Parlements
britannique, allemand, français et
européen, qu’en tirez-vous comme
expérience ? Les opinions publiques
et les gouvernements ont-ils pris
conscience du comportement dange-
reux de Facebook ?
Frances Haugen Je pense que cette fois les
choses sont différentes, car nous avons pu
fournir des preuves de l’inaction de l’entre-
prise. A chaque scandale, la réponse a été
la même : « On s’excuse, c’est vraiment
difficile, et on y travaille. » Et c’est tout.
Facebook n’a jamais donné de détails sur
ce qu’il faisait pour garantir la sécurité des
données personnelles, sur le contrôle des
contenus haineux… Or maintenant tout le
monde sait que l’entreprise est consciente
des problèmes et des solutions à apporter
pour rendre la plateforme plus sûre, mais
qu’elle refuse de le faire parce qu’elle n’a
jamais voulu sacrifier la moindre part de
ses bénéfices au profit de la sécurité de tous.

Pourtant, Facebook avait annoncé en

2019 la création d’une sorte de « cour de
C. GATEAU/DPA PICTURE-ALLIANCE/AFP

justice » – l’Oversight Board – chargée

de régler les litiges liés à la modération
des contenus sur le réseau social. Cet
organe est-il inutile ?
Ce conseil de surveillance est composé de
personnes très intelligentes et très bien
intentionnées. Mais la façon dont il fonc-
tionne est défectueuse. La méthode n’est
Selon la jeune femme, « la plateforme a créé un mur autour de ses algorithmes ». pas la bonne, ils agissent a posteriori, en ne
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ZINIO
Entreprises DOSSIER FACEBOOK
s’intéressant qu’aux contenus qui doivent
être supprimés. Il faudrait que ses membres
se demandent comment les algorithmes
de classement à l’origine des messages mis
en avant sur le fil d’actualité des utilisa-
teurs, qui se sont révélés particulièrement
pervers, peuvent être modifiés et amélio-
rés. Je sais que certaines personnalités de
cet organisme souhaiteraient avoir un rôle
beaucoup plus proactif…
Cs algorithmes, personne ne sait
aujourd’hui qui les conçoit ou les modi-
fie. Sont-ils complexes au point d’être
hors de contrôle ?
Facebook a créé un mur autour de ses algo-
rithmes, et personne ne sait vraiment ce
qu’il s’y passe. Pour prendre une analogie,
c’est comme si vous ne saviez rien de ce que
vous mangez ou de la voiture que vous
conduisez. Dans l’industrie alimentaire,
on ne dit pas aux industriels ce qu’ils
doivent produire, mais on leur impose de
révéler la composition de leurs plats. Nous
devrions faire pareil avec Facebook.
Chaque fois qu’un de ses responsables est
auditionné sur le fonctionnement des
algorithmes, la même réponse est avan-
cée : « Ces décisions sont prises par des
comités. » Comités dont nous ne connais-
sons rien. Or, si une ou des personnes
étaient nommées responsables de leur pro-
grammation, dont l’impact affecte des cen-
taines de millions de personnes, ils pren-
draient davantage de précautions dans
chacune de leurs décisions.
Mais comment fait-on concrètement
pour imposer cette transparence ?
Le Digital Services Act (DSA), actuellement
en discussion au Parlement européen, fait
partie de la solution. En s’unissant, les pays
peuvent atteindre une masse critique pour
imposer leurs vues. L’un des objectifs de ma
tournée européenne a été de rappeler aux
opinions publiques et aux gouvernements
que nous avons le pouvoir d’agir même si
Facebook a voulu nous convaincre que rien
ne pouvait être fait. Beaucoup de solutions
existent.
Parmi ces solutions, il y a celle du
démantèlement. Pourquoi n’y êtes-
vous pas favorable ?
Il est si facile de hurler au démantèlement
de Facebook, de prôner sa séparation
d’avec Instagram et WhatsApp ! Mais cela
ne réglerait rien. Je propose plutôt une
régulation reposant sur trois piliers. Le pre-
mier concerne la transparence. Facebook,
comme toutes les plateformes, devrait être
obligé de divulguer toutes les nuisances,
tous les biais qu’il engendre et qu’il aurait
identifiés, même s’ils ne sont pas illégaux
en tant que tels. Le deuxième pilier repose
sur l’échange avec la société civile, les
parents, les régulateurs. Enfin, le troisième
implique sa responsabilité. Les plate-
formes devraient alors expliquer pour
chacun des préjudices identifiés ce qu’elles
comptent faire pour y remédier. Des objec-
tifs globaux devraient être ainsi fixés et
contrôlés dans le temps. Grâce à ce cadre,
ces entreprises et leurs dérives seront expo-
sées aux yeux de tous, et elles seront alors
prêtes à sacrifier un peu de leur profit afin
d’assurer la sécurité de leurs utilisateurs.
« En s’unissant, les pays
peuvent atteindre
une masse critique pour
imposer leurs vues »
Tout le monde se focalise sur Facebook,
mais les autres plateformes fonc-
tionnent-elles mieux ?
Toutes sont concernées par les mêmes pro-
blèmes. Mais certaines ont fait des choix
différents. Le cas de Twitter est très inté-
ressant. Chez eux, l’équipe chargée de la
surveillance des discours haineux n’est pas
chapeautée par la personne qui gère les
relations avec les hommes politiques et les
gouvernements. Il n’y a donc pas d’interfé-
rences et de décisions contraires aux inté-
rêts des utilisateurs. Cette séparation est
cruciale. Il faudrait faire la même chose
chez Facebook, où les deux équipes
rendent des comptes à une seule per-
sonne… Mark Zuckerberg.
Que pensez-vous des réseaux sociaux
comme Telegram et Discord, réputés
avoir de meilleures pratiques ?
J’adore Discord ! Je pense que c’est un
excellent exemple de réseau social qui
fonctionne bien. L’algorithme ne vous dit
pas ce que vous devez lire ou voir, il affiche
les informations par ordre chronologique.
53
— P. 52. Frances Haugen : « Le métavers de
Facebook est une bombe à retardement »
— P. 54. Quelles pistes pour réguler
les Gafam ?
— P. 56. Booking sur la piste lucrative
du développement durable
Quand vous êtes sur Discord, c’est comme
si vous étiez dans une vraie pièce et qu’il y
avait une conversation. Et une fois que
cette conversation est terminée, les gens se
déplacent dans de nouvelles pièces.
La circulation des informations se fait
en un clic. Ne faudrait-il pas aussi ralen-
tir ce flux ?
Effectivement, et il existe des solutions. On
peut contraindre les internautes à cliquer
sur un lien avant de le partager ou d’at-
tendre au moins 10 secondes sur un
contenu avant de l’échanger. Je vous garan-
tis que cela peut avoir un impact, parce que
les gens auront le temps de se demander :
« Est-ce que j’ai vraiment envie de faire
cela ? » Un autre levier concerne la viralité
d’un contenu. Aujourd’hui, vous pouvez y
être exposé car un de vos « amis » a vu une
information sur le profil d’un autre « ami » ;
cela n’a pas de sens. Vous n’avez aucun lien
avec la première personne qui a diffusé l’in-
formation… Il faudrait contraindre les uti-
lisateurs à copier-coller le contenu avant
de l’échanger. En développant des freins
comme celui-là, la viralité serait ralentie.
Facebook est en train de se transformer.
Que pensez-vous du métavers ?
Le métavers est un vrai danger. Il pourrait
donner encore plus d’influence à
Facebook. Quand vous allez mettre votre
casque de réalité virtuelle, vous vous
connecterez à un monde merveilleux :
vous serez plus beau, mieux habillé, votre
appartement sera plus grand… Et lorsque
vous l’enlèverez, vous reviendrez à la réa-
lité, nécessairement plus terne. Imaginez
ce que cela pourrait produire chez des
enfants et des adolescents… C’est une
bombe à retardement. Je ne sais pas com-
ment ce métavers va voir le jour, mais c’est
exactement le genre de projet sur lequel la
société civile devrait être consultée afin
de contraindre Facebook à encadrer la
mise en place d’un tel système, à élaborer
des garde-fous. Ils ne le feront pas
d’eux-mêmes.
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ZINIO

54 Entreprises DOSSIER FACEBOOK

Ce projet de métavers est-il déjà très Gros plan

avancé ?
Je n’ai jamais travaillé dessus, mais je sais Quelles pistes pour réguler les Gafam ?
qu’il avance très vite. D’ailleurs, le groupe
veut recruter 10 000 personnes pour cela,
alors qu’il y a un manque d’effectifs par- Les idées pour mieux contrôler Facebook et les autres acteurs
tout, et notamment sur la modération. du numérique ne manquent pas. Mais sont-elles réalistes ?
Les dirigeants ne savent pas comment
gérer la croissance de telles équipes. Ils ont
été propulsés à 19 ou 20 ans à la tête de ce
groupe et n’ont connu que ça. Ils tirent
même une fierté de ce manque d’effectifs :
« Nous accomplissons des choses impos-
sibles avec beaucoup moins de ressources
que les autres », disent-ils. Dès lors, les sala-
riés sont récompensés pour réussir à gérer
des problèmes avec peu de personnels.

Au-delà de Facebook, sentez-vous une

volonté politique de s’attaquer aux
grands groupes de la tech, comme cela
a pu se passer avec l’industrie du tabac ?
Le parallèle avec l’industrie du tabac est le
bon. Ces entreprises ont longtemps affirmé
que les cigarettes avec filtre étaient plus

saines, moins toxiques pour les fumeurs.
Or les scientifiques ont démontré que
c’était l’inverse : le filtre pousse les gens à
fumer davantage. Comme pour l’industrie
du tabac, des chercheurs devraient pouvoir
étudier de façon indépendante l’impact de
Facebook sur la société et remettre en cause
son discours marketing.
Si on n’arrive pas à le lui imposer, faut-il
interdire Facebook ? La Chine l’a fait…
Je ne pense pas que ce soit la bonne solu-
tion. Je pense plutôt qu’il faudrait faire
émerger un concurrent en Europe. J’ai tra-
vaillé pour Google+ [NDLR : le projet de
réseau social du moteur de recherche], qui,
à tort, a été considéré comme un échec. On
l’oublie, mais Google a gagné de l’argent
grâce à cela. L’Europe pourrait tout à fait
créer une alternative comme Google+ en
investissant massivement afin de ne plus
envoyer de 6 à 8 milliards de dollars en
Californie chaque année.
Pensez-vous que Mark Zuckerberg
doive démissionner ?
Pour changer, les entreprises doivent
modifier leur organisation. Quand Steve
Jobs est revenu à la tête d’Apple, il a rem-
placé tous les responsables par des équipes
en phase avec sa vision. Je pense que
Facebook devrait faire la même chose. :
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
Une solution ? Interdire aux géants de la tech les rachats de start-up.
F rances Haugen n’est pas la première à
tirer la sonnette d’alarme. Ces der-
nières années, plusieurs anciens salariés
de Facebook ont aussi pointé les dérives de
la plateforme, sans que cela n’ait eu un
quelconque impact sur le réseau social.
L’histoire est, à peu de chose près, la même
pour les autres Gafam. Résultat, on a l’im-
pression que les géants de la tech auront
toujours le dernier mot face aux Etats. Et
pourtant, des idées existent pour mieux
les réguler. Tour d’horizon.
Comprendre les algorithmes
Les algorithmes constituent le cœur du
modèle des géants de la tech. C’est parti-
culièrement vrai chez Facebook, où ils
mettent en avant des publications plutôt
que d’autres au sein du fil d’actualité de
chaque utilisateur afin de capter au maxi-
mum son attention. Or les contenus qui
suscitent la colère engendrent davantage
de réactions, donc plus de clics et à l’arrivée
plus d’argent pour Facebook. Comprendre
le fonctionnement de ces boîtes noires par-
ticiperait à limiter la diffusion de fausses
informations ou de propos haineux, par
exemple. Mais le secret des affaires permet
J. TALLIS/AFP
à Facebook de ne pas dévoiler la teneur de
ses algorithmes de recommandation, un
peu comme Coca-Cola qui conserve jalou-
sement la recette de son breuvage. « Il y a
des décisions humaines derrière ces pro-
grammes et donc des choix économiques,
juge Cyril Vart, vice-président de Faber-
novel. Il faut les contraindre à expliquer qui
donne les instructions. » Les pistes avan-
cées par Bruxelles reposent sur l’obligation
de partager des données précises sur l’im-
pact de tout changement algorithmique,
pays par pays, et d’en rendre les plate-
formes responsables.
Empêcher les rachats de start-up
Le remède le plus simple pour limiter la
puissance des géants de la tech : les empê-
cher de racheter tout ce qui passe, et sur-
tout leurs potentiels concurrents, comme
Facebook l’a fait avec Instagram en 2012.
Aux Etats-Unis, des élus démocrates
militent ainsi pour une révision de la légis-
lation. En 2020, ils ont proposé d’instaurer
une interdiction par principe des rachats
de start-up, qui seraient soumis à approba-
tion du régulateur. La mesure n’a, depuis,
pas avancé. En Europe aussi, l’idée fait son
ZINIO
PUBLI-COMMUNIQUÉ

BNP PARIBAS BANQUE PRIVÉE

ACCOMPAGNE QUOTIDIENNEMENT SES CLIENTS
ENTREPRENEURS POUR PROFITER DE LA REPRISE
ET DIVERSIFIER LEURS INVESTISSEMENTS
Malgré l’impact de la crise sanitaire, de très belles opportunités d’investissement
sont à saisir. Nicolas Otton, directeur de BNP Paribas Banque Privée et président
de Portzamparc, détaille l’accompagnement proposé par ses équipes expertes.
Du mandat ISR au private equity, le champ des possibles est varié.
aux entreprises qui ont la capacité à augmenter leurs prix sans compro-
mettre la progression de leur chiffre d’affaires. Ce qu’on appelle le
« pricing power ». Dans le même temps, les excès de valorisation de
certains actifs appellent à la prudence. Nos clients entrepreneurs ont
l’expérience du « risque entreprise » — ils savent où regarder dans les
bilans —, et le private equity leur évite de s’exposer au risque d’aléa
de marché qui s’amplifie. Nos entrepreneurs ne s’y trompent pas, ils
savent qu’ils vont saisir de belles opportunités de création de valeur
(lire encadré). Selon France Invest, les souscriptions des particuliers
et des MHTPS`VJLZ ont atteint 1,7 milliard d’euros au premier semestre
(+ 57 %) dans des entreprises non cotées. Pour répondre à cette
@GILLESCOHEN.COM

appétence, nous offrons régulièrement à nos clients la possibilité

d’investir directement dans les grands fonds mondiaux de private
equity, les plus performants avec des partenariats exclusifs, comme
dernièrement avec BlackRock Private Infrastructure Opportunities. n
Nicolas Otton
Directeur de BNP Paribas Banque Privée et président de Portzamparc
LE GRAND RETOUR DES INTRODUCTIONS EN BOURSE
À quels besoins répond une banque privée ? Un signe qui ne trompe pas. En 2021, la Bourse de Paris devrait
Depuis plusieurs années, BNP Paribas Banque Privée a fait le choix comptabiliser près de 30 introductions en Bourse, contre seulement
de co-construire ses offres financières avec ses clients et de proposer 7 en 2020 et 8 en 2019. Pour une entreprise non cotée, l’accès aux
une expérience digitale qui leur fait gagner du temps. Nous sommes marchés financiers apporte une vraie opportunité de développement.
Avec les expertises de Portzamparc, BNP Paribas Banque Privée
très attachés à apporter une solution sur-mesure aux entrepreneurs.
accompagne, sur la durée, les dirigeants et les épargnants action-
Je prendrais l’exemple de My Mand@te. Dès 2020, nous avons proposé naires dans cette opération de création de valeur.
une gestion sous mandat personnalisée, où les choix d’investissement
ne sont pas standardisés mais relèvent de la situation et des préfé-
rences de chacun de nos clients. Encours des mandats ISR
proposés par BNP Paribas Banque Privée
Aujourd’hui, les entrepreneurs montrent un fort intérêt
6 000
pour l’investissement durable. Votre offre s’est-elle adaptée
à cette tendance ?
BNP Paribas Banque Privée accompagne quotidiennement ses clients
entrepreneurs pour profiter de la reprise et diversifier leurs investisse-
4 000
ments. La recherche de sens dans leur épargne ne nous a pas échappé.
Depuis fin 2018, nous proposons une gestion sous mandat dédiée à
en millions d’euros

l’investissement durable, les mandats ISR (voir graphique ci-contre).

Et, en 2020, nous avons franchi un nouveau pas avec myImpact. Cet
2 000
outil unique, basé sur les 17 objectifs de développement durable de
l’ONU, permet à chaque épargnant de définir son profil d’investisseur
responsable et d’accéder aux produits responsables et durables en
phase avec sa démarche.
0
janv.-20

oct.-20
avr.-20
mai-20
déc.-19

juin-20
juil.-20

nov.-20

mai-21
déc.-20
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févr.-21
mars-21

août-21
sept.-21
avr.-21

juin-21
avr.-19

La sortie de crise est là, et l’inflation est de retour. Que

faire pour avoir une épargne la moins exposée possible ?
L’inflation, malgré des niveaux élevés, reste essentiellement due à des
tensions sur la chaîne d’approvisionnement. Elle devrait se lisser dans
le temps. Pour autant, ce contexte appelle à s’intéresser, par exemple,
Créée fin 2018, l’offre de mandats ISR connaît un fort engouement depuis la crise
sanitaire. Disponible en compte titres ou via des contrats d’assurance-vie, en
conseil ou dans les mandats de gestion My Mand@te ISR, l’offre va dépasser les
6 milliards d’euros d’encours d’ici le début de l’année 2022.

Source : BNP Paribas Banque Privée — octobre 2021

ZINIO
56 Entreprises
chemin. Le Digital Markets Act (DMA) ou
Règlement sur les marchés numériques,
en cours de discussion, prévoit l’obligation
d’informer la Commission de tout projet
d’acquisition par les very large online plat-
forms. Mais la décision serait-elle efficace ?
Pas forcément. Car Facebook et ses pairs
ont d’autres armes pour tisser leur toile,
comme des prises de participation mino-
ritaires ou les acquisitions de brevets.
Définir les données personnelles
et préserver leur propriété
C’est un peu la bombe atomique. Alors que
les géants de la tech ont bâti leur succès sur
l’exploitation des données des utilisateurs,
des chercheurs, analystes et politiques
veulent redonner le contrôle aux inter-
nautes. Les services en ligne continue-
raient à capter les informations person-
nelles à la condition que les individus y
aient consenti, qu’ils puissent y accéder à
tout moment, voire les effacer. Certains
songent même à contraindre les plate-
formes à rémunérer les utilisateurs. Ces
propositions soulèvent des questions,
dont celle – centrale – sur la définition des
données personnelles. S’agit-il des conte-
nus publiés et des interactions (« like »,
partage…) ? Ou des métadonnées (géolo-
calisation, durée de connexion…) ?
Imposer une forme d’interopérabilité
Diffuser une vidéo sur TikTok et la voir
automatiquement s’afficher sur Facebook,
Twitter ou YouTube. Ce principe d’intero-
pérabilité permettrait aux utilisateurs
d’échanger des informations entre eux sans
avoir souscrit au même service. Une façon
de briser les barrières des walled gardens
(jardins clos), à la base du développement
des réseaux sociaux et des messageries ins-
tantanées. « Cet enfermement pousse les
internautes à utiliser davantage les services
préinstallés sur leur tablette et à s’y connec-
ter plus longtemps, explique l’avocate en
droit des affaires et nouvelles technologies
Isabelle Wekstein. Il faut donc rendre ces
systèmes interopérables afin de redonner
la liberté aux utilisateurs. » Ce principe est
désormais inscrit dans le règlement euro-
péen du DMA et porte sur les systèmes de
paiements, par exemple. Mais le fait de
contraindre les réseaux sociaux à cette inte-
ropérabilité est toujours en discussion. :
RAPHAËL BLOCH
ET EMMANUEL PAQUETTE
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
É T O I L E S V E RT E S
Booking sur la piste lucrative
du développement durable
Le PDG de la plateforme détaille sa nouvelle « note » environnementale.
U n peu comme les scouts qui collec-
tionnent les écussons pour prouver
leur habilité, le monde du voyage aime
afficher ses guirlandes de récompense
derrière le comptoir. Et chez Booking.
com, le géant néerlandais de la réserva-
tion touristique, les hôteliers vont pou-
voir, à compter de cette semaine, afficher
un nouveau « badge durable ». Une sorte
de garantie d’un voyage responsable,
alors que la COP26 qui vient de se clôtu-
rer a souligné, à nouveau, les périls des
changements climatiques. « Nous ne
pouvons pas dépendre que des gouver-
nements. Nous devons aussi agir et cette
initiative est une manière pour nos
clients et nos partenaires de faire chan-
ger les choses », explique en exclusivité
à L’Express, Glenn Fogel, le PDG améri-
cain de Booking.
Cet ancien avocat, passionné de
sciences, pilote aujourd’hui l’un des
algorithmes les plus puissants de la pla-
nète. Et pour lui, que ce soit au niveau de
la pandémie comme de la lutte pour le
climat, les entreprises et les consomma-
teurs doivent faire partie de l’équation.
« Pour attribuer ces badges, nous pas-
sons au crible 32 critères : que font les
hôtels en matière de gestion de l’eau, des
déchets, de l’énergie… ? Ce badge va aider
tout le monde à en prendre conscience »,
poursuit Glenn Fogel depuis son bureau
new-yorkais.
A Amsterdam, au siège social de
Booking, on espère que ce nouveau label
deviendra vite « un indice universel »
puisque ses dirigeants ont visé un lance-
ment à l’échelle mondiale. Selon nos
informations, 57 000 établissements sur
la planète (sur les 28 millions d’héberge-
ments recensés) arboreront le badge
dans cette première version. Dans un
second temps, il pourrait même se trans-
former en une véritable note à l’instar des
indicateurs de localisation, de propreté
56
ou d’accueil qui existe déjà sur le site.
« Quand nous avons lancé Booking,
c’était pour aider les consommateurs à
se battre sur les prix avec les grandes
chaînes internationales. Ce que nous fai-
sons là, c’est aussi aider les petits hôte-
liers qui font bien les choses en leur
offrant plus de visibilité », explique le
PDG qui voit aussi dans le développe-
ment durable un nouvel argument
marketing.
57 000 établissements
arboreront le « badge
durable » dans cette
première version
Seulement, à l’instar d’autres critères,
la dimension verte peut aussi être très
subjective en fonction des clients. Et peut
même soulever quelques interrogations
en matière de greenwashing. Là encore,
Booking compte sur sa communauté
pour faire le ménage. A la différence
d’autres comparateurs, comme Google
ou TripAdvisor, seuls les clients ayant
réservé via la plateforme peuvent dépo-
ser leurs commentaires. « Nous verrons
vite dans les données si le badge n’est
qu’un argument de vente, mais je pense
sincèrement que cela changera les habi-
tudes des voyageurs », anticipe Glenn
Fogel. Selon un sondage Ifop paru en avril
dernier, 40 % des Français se disaient
prêts à payer plus cher pour voyager de
manière responsable et respectueuse de
l’environnement. Evidemment, ce n’est
que du déclaratif. Quand il s’agit de sor-
tir sa carte bleue… le consommateur a
souvent des oursins dans les poches. :
SÉBASTIEN POMMIER
 BLACK
RÉUSSIR
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JVJOLaSHJHZLJPJVU[YLp*VUMVYTtTLU[nSHSVP­PUMVYTH[PX\LL[SPILY[tZ®K\QHU]PLY ]V\ZKPZWVZLaK»\UKYVP[K»HJJuZKLYLJ[PÄJH[PVUKLSPTP[H[PVUK»VWWVZP[PVUL[KLZ\WWYLZZPVUKLZKVUUtLZX\L]V\ZH]La[YHUZTPZLZ
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ZINIO
58 Climat & Transitions
TOUT SE TRANSFORME
Smartphones :
les promesses du recyclage
Apple et ses concurrents investissent gros pour
recycler leurs vieux appareils. Une aubaine
pour le climat... et pour leur business.
PAR RAPHAËL BLOCH
D
ans le brouillard mati-
nal, quelques camions
serpentent sur les rou-
tes de la zone indus-
trielle de Breda, non
loin d’Amsterdam, aux
Pays-Bas. L’un des 33 tonnes, qui vient de
montrer patte blanche au vigile perché
dans sa tour de contrôle, pénètre sur le par-
king d’un entrepôt où il va décharger sa
marchandise. A l’intérieur du bâtiment
ultrasécurisé, avec portiques et caméras,
c’est un subtil ballet. La petite dizaine de
salariés néerlandais présents sur place
vient récupérer les cartons du camion, les
ouvre et commence le tri. Il y a de tout ici :
des vieux iPhone, iPad, des MacBook
défectueux… Un cimetière à la gloire
d’Apple ! Derrière ces hauts murs se cache
le plus gros centre de tri et de recyclage de
la marque à la pomme croquée en Europe.
« L’endroit est secret. On veut vraiment
rester les plus discrets possibles », nous
explique sur place un représentant du
géant américain.
Si Apple tient autant à passer inaperçu,
c’est parce que son entrepôt abrite l’un de
ses « joyaux » : Daisy, un robot ultrasophis-
tiqué développé en interne pour faciliter
le désossage de ses produits. En l’occur-
rence, les iPhone. « Il n’y a que deux spéci-
mens comme ça sur la planète », fanfa-
ronne un des responsables du site. Le
premier est de l’autre côté de l’Atlantique,
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
à Austin, au Texas. Et le second, sous nos
yeux aux Pays-Bas, caché depuis deux ans
dans une grande salle attenante à celle
où sont triés une partie des smartphones
maison, qui seront ensuite directement
reconditionnés ou recyclés. Et il faut bien
ça, tant les dimensions de la star locale sont
impressionnantes : six mètres de long sur
trois mètres de large, et deux mètres de
hauteur. Ses performances le sont encore
plus. Les cinq bras mécaniques de la
machine démontent un iPhone, de la coque
aux circuits imprimés, en dix-huit secon-
des chrono avec une dextérité à faire pâlir
d’envie n’importe quel industriel. A ce
« Ces restes d’iPhone 6
que vous voyez là vont
servir à créer la future
génération »
rythme-là, le robot protégé par des vitres
en Plexiglas est capable de mettre en pièces
plus de 1 million d’iPhone par an, qui sont
apportés quasi quotidiennement par
camions dans l’entrepôt batave.
C’est qu’il ne faut rien gâcher. Batteries,
écrans, composants, terres rares… Daisy,
qui est la deuxième génération de robot
d’Apple – créée en 2018 – après Liam, est
d’une précision redoutable. « Le but est de
récupérer tout ce que l’on peut », explique
un responsable, qui souligne que l’engin
est capable de « travailler » sur 23 modèles
d’iPhone différents. Autrement dit, tout
sauf, provisoirement, le petit dernier de la
gamme, le n° 13. Une fois répartis dans des
bacs disposés à côté de l’impressionnante
machine, les matériaux repartent vers les
sous-traitants d’Apple pour être réintégrés
au processus de fabrication des nouveaux
produits de la marque. Où exactement ? La
firme de Cupertino refuse de répondre,
mais assure utiliser les « circuits les plus
courts possibles », c’est-à-dire, logique-
ment, des sites européens. Ce qui est sûr,
en revanche, c’est que le lithium et le cobalt
des anciennes batteries des iPhone servi-
ront à en produire de nouvelles. Idem pour
le verre des écrans, ainsi que le cuivre et
l’aluminium des circuits imprimés. « Une
partie des restes d’iPhone 6 que vous voyez
là, dans ces bacs, va servir à créer la future
génération », indique un responsable.
Le recyclage n’a rien de nouveau pour
les fabricants de smartphones. Depuis
quelques années déjà, tous les leaders du
marché comme Apple, le sud-coréen
Samsung et le chinois Huawei essayent de
donner une nouvelle vie à leurs produits,
selon différentes modalités : ils recondi-
tionnent leurs appareils ou en recyclent
directement une partie avec des parte-
naires éparpillés sur la planète… Mais le
phénomène s’est très largement amplifié,
à mesure que l’industrie tente de se verdir
en baissant ses émissions de carbone. Les
défis sont immenses. Et chacun ses solu-
tions. Samsung, qui ne s’est pas engagé sur
des résultats chiffrés, a annoncé il y a
quelques semaines une série d’objectifs
pour réduire d’ici à 2025 son empreinte
environnementale. Parmi ceux-ci figurent
l’arrêt de l’usage des plastiques pour tous
les emballages et surtout l’utilisation
de matériaux recyclés dans « tous ses
appareils ». Dans quelle proportion ?
Interrogé, le géant basé à Séoul n’a pas sou-
haité répondre à nos questions. « Baisser
nos émissions carbone et gagner en com-
pétitivité vont de pair », explique pour sa
part un porte-parole de Xiaomi, qui tra-
vaille sur la création de ses propres usines
de désassemblage en Asie.
De son côté, Apple, qui a promis que sa
chaîne logistique et ses produits seraient
ZINIO
Climat & Transitions
LUC MELANSON
neutres en CO2 d’ici à 2030, mise beaucoup
sur Daisy, et ses potentiels successeurs,
pour baisser ses émissions. L’impact serait
important : une tonne de matériaux recy-
clés par ses soins équivaudrait à deux ton-
nes par les canaux traditionnels. Un chiffre
qui s’expliquerait avant tout par les gains
obtenus, notamment sur la baisse des
coûts de transport.
Mais si Apple et ses concurrents accé-
lèrent la pratique et la création de leurs
propres sites, ce n’est pas seulement pour
limiter leur impact environnemental.
Recycler les produits a aussi des avantages
stratégiques pour les fabricants, surtout
concernant l’accès à quelques terres rares,
sur lesquelles pèsent des risques géopoli-
tiques majeurs. Et si certains n’osent pas
en parler publiquement, la Chine revient
régulièrement dans les discussions. La
deuxième économie mondiale détient à
elle seule un peu plus de 50 % des réserves
planétaires de lithium, un matériau
essentiel à la fabrication de batteries. Un
élément qu’aucun fabricant ne peut se
permettre de négliger. Surtout quand ce
dernier est américain… Le lithium n’est
d’ailleurs pas le seul minerai concerné. Les
récentes pénuries de composants électro-
niques ont également poussé les indus-
triels à accélérer leur réflexion sur le recy-
clage. « Même si nous n’avons pas été
pénalisés ces derniers mois, c’est un risque
que l’on ne peut pas prendre », signale l’un
des principaux fabricants. De fait, avec
plus de 6 milliards de smartphones en cir-
culation, Apple, Samsung et les autres
acteurs du secteur ont des ressources
59
gigantesques en circulation. Il leur faut
simplement organiser les filières, ce qu’ils
ont déjà commencé à faire.
Certes, la création d’un système de
recyclage coûte cher. Rien qu’en 2020,
Samsung a investi plus de 100 millions de
dollars dans des centres dédiés. Apple n’a,
pour sa part, pas révélé combien il avait
injecté dans la création de Daisy et les
équipes qui travaillent au développement
de ce type de technologies.
Quelques
chiffres
Le budget se chiffrerait au
moins en dizaines de mil-
lions de dollars par an.
5 milliards Mais de l’avis de tous les
Le nombre
d’utilisateurs
experts, les retombées po-
de tentielles restent, quoi qu’il
smartphones arrive, très largement supé-
dans le monde.
rieures aux montants enga-
6 milliards gés. « On aura toujours
Nombre de
smartphones besoin de produire des
sur la planète. matières rares dans les
1,3 milliard mines, mais disposer de
d’appareils capacité de recyclage est
sont vendus
chaque année. devenu un enjeu écono-
mique majeur », souligne
Nicolas Verdier, membre de la direction
de la stratégie du groupe minier Eramet.
Tous sont capables de récupérer les
smartphones en boutiques et de les ache-
miner vers des lieux de recyclage. C’est ce
qu’Apple fait avec le centre de Breda pour
tous ses produits européens. Celui du
Texas sert de plaque tournante pour
l’Amérique du Nord. Et un autre Daisy
pourrait être installé en Asie ou Amérique
du Sud… « Tous nos magasins permettent
de récupérer les produits », explique-t-on
aussi du côté de Huawei. L’idée à terme
pour les constructeurs est en réalité assez
claire : créer des circuits fermés qui leur
permettent de ne plus dépendre d’aucun
fournisseur, quelle que soit la géographie.
« Les métaux critiques se recyclent à l’in-
fini. On est capable de revenir à la même
qualité après le recyclage. Pour des fabri-
cants de smartphones qui sont d’impor-
tants consommateurs, c’est une vraie
aubaine », précise Nicolas Verdier. De là à
imaginer qu’Apple et Samsung recycleront
bientôt eux-mêmes tous leurs produits ?
« C’est un métier à part », estime un bon
connaisseur du secteur. Mais ces géants
ont aussi les moyens d’investir des mil-
liards pour se projeter dans n’importe
quelle industrie. Leur indépendance est
peut-être à ce prix. :
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ZINIO
60 Climat & Transitions | La Ligne verte
L’implacable décollage de la mobilité
électrique
UNE CHRONIQUE DE GWÉNAËLLE AVICE-HUET
La transition du secteur sera indispensable à la lutte contre le changement
climatique. L’industrie s’y emploie, mais le chemin s’annonce sinueux.
P as un jour ne passe sans que l’on ne
constate l’envolée inexorable du véhi-
cule électrique dans le monde. C’est l’une
des transitions les plus rapides auxquelles
nous assistons actuellement. Ce type de
véhicules, sans même compter les
hybrides, représente plus de la moitié des
ventes en Norvège, et plus de 10 % sur des
marchés plus significatifs comme la
France ou l’Allemagne, avec une hausse
de 150 % par rapport à l’an dernier. Même
aux Etats-Unis, les conducteurs sautent
le pas : le million de voitures hybrides et
électriques vendues en une année a été
dépassé en septembre 2021.
Une version accélérée
du mouvement
vers les énergies
renouvelables
Il n’y a plus un grand constructeur qui
ne soit engagé dans cette nouvelle forme
de course. Le géant américain Ford a prévu
de dépenser 11 milliards de dollars dans
trois usines aux Etats-Unis, Volkswagen a
l’intention d’investir 35 milliards de dol-
lars et espère devenir le premier fabricant
de véhicules électriques au monde, Stellan-
tis envisage de lancer 55 nouveaux modèles
d’ici à 2025. Il y a enfin le désormais incon-
tournable Tesla qui, fort de ses gigafac-
tories à travers le monde (Allemagne,
Chine, Etats-Unis), est parvenu, avec sa
Model 3, à prendre la tête des ventes de
véhicules en Europe en septembre. Pour le
symbole enfin, la nouvelle Renault 5 sera
100 % électrique.
En y regardant de plus près, ces ten-
dances ressemblent à s’y méprendre à une
version accélérée du mouvement vers les
énergies renouvelables. Les ingrédients
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
sont les mêmes. Il y a, déjà, l’incitation
forte des gouvernements avec des subven-
tions, des interdictions planifiées de véhi-
cules à moteur thermique, dans les grandes
villes puis sur le territoire en 2040, voire
2030 pour le Royaume-Uni. Autant dire
demain pour un industriel. Il y a ensuite
un bond technologique, encouragé par des
investissements massifs dans les batteries
et les systèmes digitaux. Les marchés
financiers contribuent à cet engouement
en récompensant les acteurs les plus
rapides. La valeur de l’action Tesla a été
multipliée par 3 en un an, celle de Ford a
doublé et l’action Volkswagen a gagné plus
de 50 % depuis l’annonce de son plan élec-
trique. Quant à la start-up Rivian, elle a fait
son entrée en Bourse le 10 novembre avec
une valorisation de 86 milliards de dollars,
plus élevée que Ford.
Quoi qu’on en pense, le débat a d’ail-
leurs très largement dépassé celui de la
transition énergétique. Le véhicule propre
est un objet politico-industriel majeur dans
ce monde d’après pandémie, car cet avenir
« tout électrique » promet de nombreux
emplois. Emplois dans les gigafactories évi-
demment, mais qui permettront surtout
de construire l’écosystème soutenant son
développement sur le long terme. L’Union
européenne vise 1 million de bornes d’ici
à 2030, le plan Biden pour les infrastruc-
tures en prévoit 250 000. C’est tout le pay-
sage automobile et ses millions d’emplois
qu’il va falloir repenser, de l’usine au garage
individuel en passant par le parking et la
station-service.
Le paysage automobile
sera repensé, de l’usine
au garage en passant
par la station-service
Mais alors, est-ce que tout cela contri-
buera quand même à une évolution vers
une économie décarbonée ? Alors que le
secteur du transport est le premier émet-
teur de gaz à effet de serre en Europe et aux
Etats-Unis, il paraît évident que le bilan
carbone des véhicules électriques devra
être bénéfique. Il reste pourtant de nom-
breux défis à relever. Tout d’abord, les nou-
veaux électrons ne devront pas provenir
de sources fossiles, et notamment du char-
bon. L’Europe paraît sur la bonne voie pour
y parvenir. Les Etats-Unis y travaillent,
mais son réseau de lignes actuel ne permet
pas d’acheminer partout l’électricité d’ori-
gine renouvelable, qui est essentiellement
produite dans les plaines du Midwest. Les
constructeurs, eux, doivent résoudre des
problèmes complexes, comme la compo-
sition chimique des batteries, leur durabi-
lité et leur recyclabilité. Ils devront aussi
coopérer avec les électriciens qui travail-
lent d’arrache-pied au développement des
recharges rapides.
La révolution actuelle impressionne
par sa rapidité, les moyens industriels,
technologiques et financiers qu’elle ras-
semble. Le véhicule électrique sera celui
de demain. C’est une source d’enthou-
siasme à la fois en termes d’innovation et
de potentiel pour la transition énergétique.
SCHNEIDER ELECTRIC - L’EXPRESS
Charge aux constructeurs et Etats de faire
de cette révolution un succès industriel et
social de l’économie verte. W
Gwénaëlle Avice-Huet est vice-présidente senior,
chargée de la stratégie de Schneider Electric.
ZINIO

Tech & Transformations 61

TOFDRU

PÉPITES quatre premiers résultats, bien exposé à la

vue de Sébastien. Une manière de sortir du
Publicité en ligne : le Graal lot des milliers de références disponibles.
De nombreuses marques font de

de la grande distribution même, prêtes à acheter aux enchères des

mots-clefs soigneusement choisis pour
booster leurs ventes. Certaines d’entre
elles n’hésitent pas, en plus, à placer des
Les enseignes traditionnelles proposent aux bandeaux publicitaires ciblés pour accro-
cher l’œil des visiteurs et tenter ainsi de les
marques d’apparaître en tête des recherches orienter vers leurs offres commerciales.
sur leur site Internet. Une manne inattendue. Ces seules bannières et produits sponso-
risés ont permis au plus grand commer-
çant en ligne de la planète, Amazon, d’en-
PAR EMMANUEL PAQUETTE
granger près de 23 milliards de dollars sur
les neuf premiers mois de l’année. Un
chiffre en progression de près de 70 % en
un an. De quoi faire saliver la grande dis-
tribution traditionnelle, bien déterminée

C
e petit clic vaut des
milliards. En cette fin
octobre, à la recherche
d’un réveille -matin,
Sébastien se connecte à
un site d’e-commerce.
Après avoir lancé sa requête, plusieurs
produits apparaissent à l’écran, et, tout à
son emplette, le trentenaire n’aperçoit pas
la petite mention « Sponsorisé » s’affi-
chant au-dessous de l’appareil sur lequel
se porte son choix. « Je n’y avais pas prêté
attention », reconnaît-il après coup.
Pourtant, ce mot-là vaut de l’or. La société
chinoise Noklead a payé cher pour être
certaine que son appareil figure parmi les
à s’attaquer à son tour à ce nouvel eldo-
rado, que les professionnels appellent
retail media.
En France, Casino, Carrefour, Leclerc,
Auchan ou encore Fnac Darty, tous
comptent bien capter une part de ce juteux
secteur en forte croissance, dont les
marges à deux chiffres ont de quoi les faire
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ZINIO
62 Tech & Transformations
rêver. Une oasis de croissance qui, espèrent-
ils, pourrait leur permettre de se refaire
une santé, alors que la terrible guerre des
prix qu’ils se livrent au quotidien et le
désamour récent des Français pour
les hypermarchés les ont affaiblis. Sans
parler de la montée en puissance des
hard discounters (Aldi, Lidl…) et du déve-
loppement rapide des spécialistes de la
livraison express (Cajoo, Gorillas, Uber
Eats…), qui n’ont rien arrangé à leurs
affaires. Le retail media ? Une lueur d’es-
poir dans la grisaille actuelle.
De fait, les premiers résultats sont
encourageants. Selon le Syndicat des
régies Internet (SRI), le marché de la
recherche sponsorisée sur les sites de com-
merce était en hausse de 63 % au premier
semestre de cette année, atteignant
185 millions d’euros. Si l’on y ajoute
les bandeaux publicitaires en croissance
de 37 %, les e-commerçants français ont
raflé au total 293 millions d’euros en six
mois. « La pandémie a accru le développe-
ment des livraisons à domicile, amplifiant
ce phénomène, explique Hélène Chartier,
directrice générale du SRI. Toutes les
enseignes s’y mettent, car elles peuvent
offrir aux annonceurs l’exploitation des
données et leur fine connaissance des
clients afin qu’ils leur adressent des mes-
sages ciblés et pertinents. »
Une précision d’orfèvre qui différencie
les sites de commerce en ligne de Google,
YouTube et Facebook, car elle leur permet
d’orienter les campagnes marketing des
marques de façon bien plus adéquate sur
certains profils types. Ce pilotage subtil
peut aussi évoluer en fonction des objec-
tifs du moment et des périodes, plus ou
moins porteuses : Noël, rentrées scolaires,
vacances, etc. L’exploitation des tickets
de caisse et des programmes de fidélité est
un atout de taille pour doper les ventes.
Habitudes d’achat, évolution des goûts,
composition du foyer…, le contenu des
Caddies, même virtuels, est un trésor.
Carrefour peut fournir ces renseignements
grâce à ses 8 milliards de transactions
archivées et aux 14 millions d’inscrits à son
programme de fidélité en France – 50 mil-
lions à travers le monde. « La fréquence
d’achat dans nos magasins [NDLR : en
moyenne une fois par semaine] nous per-
met d’avoir des données sans cesse renou-
velées qui peuvent aider une marque à
repérer le profil de consommateurs qui, au
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
fil du temps, achètent de moins en moins
un de leurs produits, par exemple », pré-
cise Elodie Perthuisot, directrice exécutive
e-commerce, data et transformation
digitale de Carrefour. Mais encore faut-il
structurer et stocker ces données,
ce qui demande des investissements
importants.
Des plateformes extérieures viennent
aider à organiser au mieux les campagnes
et à en mesurer l’impact. Ces start-up qui
connectent les annonceurs aux informa-
tions collectées par les grands distribu-
teurs suscitent logiquement l’appétit de
grands groupes. Microsoft a déjà mis la
main sur PromoteIQ en 2019, tandis que
l’agence Publicis a racheté cet été
CitrusAd. Si le français Criteo a, lui, fait le
choix de rester indépendant, il a signé des
partenariats avec Carrefour, Auchan et
Leclerc pour les accompagner et transpo-
ser sur Internet des méthodes déjà éprou-
Les possibilités de
ciblage sont bien plus
importantes sur la Toile
que dans la « vie réelle »
vées dans la « vie réelle ». « Si l’on fait un
parallèle avec le monde physique, avance
Geoffroy Martin, directeur général retail
media de Criteo, les bandeaux publici-
taires affichés sur les sites Web sont l’équi-
valent des prospectus en papier distribués
hier dans les boîtes aux lettres des parti-
culiers, et les produits sponsorisés celui
des têtes de gondole des magasins, là où
certaines marques payent pour être
davantage exposées aux yeux de tous. »
A une grande différence près. Sur la
Toile, les possibilités de ciblage sont bien
plus importantes, comme le souligne
Elodie Perthuisot : « C’est comme si votre
prospectus était personnalisé, et donc dif-
férent de celui reçu par votre voisin, et que
chaque client voyait une tête de gondole
avec des produits adaptés à son profil. »
D’autres distributeurs ont préféré
développer seuls leurs outils, à l’instar du
n° 1 mondial du secteur, l’américain
Walmart. Selon la société d’analyse eMar-
keter, grâce à sa technologie Connect, il
devrait réaliser un chiffre d’affaires publi-
citaire de 1,55 milliard de dollars cette
année, en progression de 53,5 %. En
France, Casino a lui aussi fait le choix de
créer ses propres solutions. Cyril Bourgois,
à la tête de la filiale RelevanC, y travaille
depuis plusieurs années grâce aux
données récoltées au sein d’une galaxie
de grands noms : Géant, Monoprix,
Franprix, etc. « Ces développements
coûtent cher, mais nous avons fait ce
choix-là très tôt, assume-t-il. Aujourd’hui
nous l’utilisons pour nous, mais nous
allons aussi proposer cet outil à d’autres
enseignes. »
La filiale brésilienne de Casino, Pao de
Açucar, s’appuie déjà sur ce service et, si
RelevanC ne détaille pas ses comptes, elle
revendique un chiffre d’affaires de plus de
50 millions d’euros. « Cette activité offre
une mesure de performance sans égale
pour nos fournisseurs », se félicite son
directeur général : les grandes marques
peuvent évaluer aisément le taux de trans-
formation en achat de chaque euro
dépensé en publicité. Pour toutes ces rai-
sons, la société d’analyse Forrester
Research prévoit le basculement rapide
des budgets vers le retail media : « En
2022, nous nous attendons à ce que les
spécialistes du marketing y transfèrent
davantage leurs dépenses. Grâce aux don-
nées, ils peuvent bien mieux influencer le
client au moment de l’achat que ne le font
les plateformes publicitaires numériques
comme Google ou Facebook. » Une forme
de revanche de l’ancien monde sur le nou-
veau. Ironie de cette histoire, en 2022, le
chiffre d’affaires mondial de ce marché
devrait atteindre les 50 milliards de dol-
lars, soit davantage que ceux de Netflix ou
de YouTube.
Comment les médias traditionnels
vont-ils, de leur côté, s’adapter ? La publi-
cité à la télévision, à la radio ou dans
une moindre mesure dans la presse
quotidienne régionale, si elle participe à la
notoriété d’une marque, n’offre pas la
même mesure de performance des ventes
en temps réel. Déjà affectée par l’attrac-
tion de Google et de Facebook, qui captent
une grande partie des dépenses des
annonceurs, elle pourrait se voir souffler
la meilleure part des budgets des grandes
marques de consommation par le
commerce en ligne. Une mauvaise nou-
velle de plus… W
ZINIO
Tech & Transformations | Nos futurs
Quatre propositions pour muscler
notre deep tech
UNE CHRONIQUE DE ROBIN RIVATON
Les start-up qui relèvent de cette catégorie sont les plus à même d’accoucher
d’innovations de rupture. Il faut aider ces entreprises en priorité.
A l’heure où le renouveau de l’industrie
est sur toutes les lèvres, entre reloca-
lisations et souveraineté économique, les
entreprises qui vont de l’avant n’échappent
pas à la règle. Les start-up les plus visibles
sont bien souvent des sociétés offrant des
innovations incrémentielles parfois logi-
cielles, parfois purement organisation-
nelles. Cela ne manque pas de susciter
l’émoi des responsables politiques, qui se
demandent pourquoi nous n’avons pas
plus d’entreprises innovantes opérant sur
des secteurs de rupture, tirant parti de la
recherche fondamentale de nos universi-
tés et produisant des biens physiques dans
Il faut bien constater
que ce sont
ces jeunes pousses
qui améliorent nos vies
des usines bien ancrées sur le territoire. En
un mot, des deep techs, selon une termino-
logie anglo-saxonne reprise en français.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’en-
tonnoir de la deep tech est étroit. La chance,
pour une innovation, de passer du stade de
brevet à celui de produit commercialisable
est infime. Ce sont pourtant ces start-up qui
ont mis au point l’ARN messager, propul-
sent des fusées vers la Station spatiale inter-
nationale ou déploient un réseau de satel-
lites augurant des télécommunications
pour tous… A l’heure où, du TGV au Minitel
en passant par le programme spatial, le
retour aux grands projets industriels pilo-
SERGE PICARD POUR L’EXPRESS
tés par l’Etat est fantasmé, il faut bien
constater que ce sont les jeunes pousses qui
amélioreront concrètement nos vies.
Une étude du Boston Consulting Group
a montré que plus de 8 deep techs sur 10
étaient engagées dans la construction d’un
produit physique. Or, ces entreprises sont
gourmandes en capitaux et en investisse-
ments et elles ne génèrent pas de ventes im-
médiates. Elles s’insèrent dans des chaînes
de valeur établies où les pressions sont
fortes, et trouvent difficilement des débou-
chés. Elles ont des coûts marginaux faible-
ment décroissants, là où ceux du logiciel
sont quasi nuls. Voici la raison pour laquelle
ce secteur, à l’exception notable de la bio-
tech, qui voit se multiplier les rachats de
laboratoires et où les coûts marginaux sont
eux aussi nuls, est longtemps resté le parent
pauvre du capital-investissement.
Quel fonds, dont la durée d’investisse-
ment moyen de six à sept ans, va aller se ris-
quer sur cette activité ? Ses apporteurs de
capitaux, assureurs-vie, fonds de pension
ou épargnants particuliers ne seraient
d’ailleurs pas ravis de savoir qu’il y a 1
chance sur 2 ou sur 3 de tout perdre, et qu’ils
devront attendre dix ou douze ans avant
d’espérer retrouver leur mise.
Aux Etats-Unis, paradis de la deep tech,
le financement de ces sociétés ne tient d’ail-
leurs pas tant aux investisseurs tradition-
nels qu’à des catégories assez insensibles
à la perte. Ce cocktail est composé d’indi-
vidus très fortunés, de fonds d’investisse-
ment universitaires et de fonds d’investis-
sement publics, comme la désormais
légendaire Darpa – agence d’innovation
militaire américaine dont l’Europe rêve de
créer l’équivalent –, ou In-Q-Tel, le fonds
d’investissement de la CIA entré au capital
de la pépite tricolore Prophesee, à l’origine
d’un procédé de rétine artificielle.
Dans une compétition
qui s’accélère, la France
doit faire de ce secteur
son étendard
63
Dans une compétition qui s’accélère,
où les financements mondiaux sont passés
de 15 milliards de dollars en 2016 à 62 mil-
liards en 2021, la France doit faire de ce sec-
teur son étendard. Puisque nous sommes
à six mois d’une élection présidentielle
dont on connaît la puissance fertilisante,
laissez-moi souffler quatre idées.
Le budget de l’Agence nationale de la
recherche, une entité créée en 2005, est
un bon miroir de ce que veut notre pays
pour son futur. Après une décennie d’er-
rements, son enveloppe vient d’être roya-
lement portée à 1,2 milliard d’euros, guère
mieux qu’en 2009 après prise en compte
de l’inflation. Je propose de la tripler à
3,5 milliards. En parallèle, dotons puis-
samment les filiales de transfert de tech-
nologies de nos organismes de recherches
– CNRS, Inserm et Inria – de fonds d’inves-
tissement longs, à hauteur de 500 millions
d’euros par an. Offrons un crédit d’impôt
de 50 % sur l’impôt sur le revenu pour les
investissements dans les start-up deep
tech. Et puisqu’on ne rase pas gratis, pen-
chons-nous enfin sur le plafonnement
du crédit impôt recherche, qui nous coûte
pas moins de 7 milliards d’euros chaque
année. Dans son dernier rapport, France
Stratégie a souligné que si le dispositif avait
des effets réels sur les microentreprises et
sur les PME, son impact reste incertain sur
les plus grands groupes qui en consom-
ment pourtant la majeure partie. W
Robin Rivaton est essayiste et membre du conseil
scientifique et d’évaluation de la Fondation
pour l’innovation politique (Fondapol).
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ZINIO
64 Sciences & Santé
EXPÉDITION
Dart, la sonde-missile
à l’assaut d’un astéroïde
La Nasa va envoyer un « impacteur cinétique »
afin de tester notre capacité de défense
face à ces menaces planétaires avérées.
PAR VICTOR GARCIA
J. HOPKINS APL/NASA
La sonde va effectuer un voyage de 11 millions de kilomètres.
I
l arrive parfois que la science-
fiction hollywoodienne devienne
réalité. En 1998, dans le film
Armageddon, la Nasa décidait de
monter une expédition pour
dévier la trajectoire d’un asté-
roïde de la taille du Texas qui menaçait de
frapper la Terre. Ce scénario, l’agence
spatiale américaine s’apprête à le concré-
tiser avec la mission Dart (Double Asteroid
Redirection Test), qui doit décoller de la
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
base Vandenberg de l’US Space Force en
Californie le 24 novembre. La sonde
commencera alors un long voyage de
11 millions de kilomètres pour, à la fin
de septembre 2022, aller s’écraser à
24 000 kilomètres-heure sur Dimorphos,
un astéroïde de 160 mètres de diamètre en
orbite autour de Didymos, un autre
astéroïde de 780 mètres, qui, l’un
comme l’autre, ne nous menacent pas
directement.
« L’impact sera suivi depuis la Terre
par des radars et des télescopes qui scru-
teront la période orbitale de Dimorphos
pour constater que la sonde a bien percuté
l’astéroïde et quelles en sont les consé-
quences », explique Patrick Michel, direc-
teur de recherche du CNRS à l’observatoire
de la Côte d’Azur et membre de l’équipe
Dart. En principe, le crash ne devrait pas
modifier la vitesse orbitale de l’astéroïde
de plus de 1 %, soit quelques millimètres
par seconde. « Si Dimorphos est très
friable et creux, il pourrait être complète-
ment déformé », précise le spécialiste.
Pour cette raison, la sonde de 550 kilos doit
préalablement larguer un petit satellite
qui aura quelques secondes pour scanner
d’éventuels débris afin de préciser les
effets de l’impact.
Dart sera la première mission estampil-
lée « défense planétaire », chargée de tes-
ter la capacité à dévier de sa trajectoire un
astéroïde risquant de s’écraser sur la Terre.
La technique mise en œuvre consiste donc
à envoyer un « impacteur cinétique » sur
une cible repérée des années à l’avance.
Même une très légère déviation permettrait
avec le temps d’éloigner le danger. Le risque
de voir la planète bleue percutée par un
énorme astéroïde reste faible, mais les
conséquences pourraient en être drama-
tiques, comme l’a montré il y a soixante-
cinq millions d’années l’éradication des
dinosaures. « Il faut s’y préparer bien avant
d’en avoir besoin », souligne Patrick
Michel. Depuis 1998, la Nasa tente de réper-
torier tous les géocroiseurs, ces astéroïdes
dont l’orbite croise celle de la Terre et qui
pourraient nous percuter. A ce jour, elle a
détecté la quasi-totalité de ceux de plus de
10 kilomètres de large, dont l’impact pro-
voquerait un cataclysme dont l’humanité
ne se relèverait pas. Bonne nouvelle, aucun
ne nous menace avant plusieurs millions
d’années. L’agence américaine a également
listé la plupart de ceux de plus de 1 kilo-
mètre de diamètre, qui engendreraient une
catastrophe planétaire. Là encore, pas de
danger avant au moins un siècle. Mais quid
des « petits cailloux » ? En juin 2005, le
Congrès américain avait demandé à la Nasa
de détecter 90 % des géocroiseurs de plus
de 140 mètres d’ici à 2020… « Nous n’y
sommes pas du tout, prévient Francis
Rocard, astrophysicien au Centre national
d’études spatiales. Le chiffre se situe plu-
tôt autour de… 0,15 % ! »
ZINIO
Sciences & Santé
Plus leur taille décroît, plus les asté-
roïdes sont difficiles à détecter. Or, si l’un
d’eux, même de quelques centaines de
mètres, tombait sur une ville, il pourrait la
rayer de la carte, voire le pays tout entier.
Face à cette menace dont il semble prendre
lentement conscience, l’homme demeure
limité par ses moyens de surveillance. « Les
choses devraient changer notablement
avec la mise en service du télescope LSST
en novembre 2022 au Chili. Il aura pour
particularité d’avoir un plan focal gigan-
tesque de 3,2 milliards de pixels qui lui per-
mettra de scanner l’intégralité du ciel
visible tous les trois jours, se réjouit Francis
Rocard. Il devrait améliorer la détection des
géocroiseurs de toutes tailles – on s’attend
à ce qu’il en trouve 5 millions de plus – , ce
qui constitue une petite révolution. » Enfin,
la Nasa va lancer en 2025 le télescope NEO
Surveyor (1,3 tonne), qui aura la même mis-
sion, mais s’affranchira de l’atmosphère
terrestre en allant se placer en orbite au
point de Lagrange L1, entre la Terre et le
Soleil, pour effectuer ses observations.
Grâce à lui et d’ici à une petite décennie,
plus aucun astéroïde potentiellement dan-
gereux ne devrait donc nous échapper.
L’autre objectif de Dart est purement
scientifique. En effet, la physique des
impacts des corps stellaires détermine
l’histoire du système solaire. « Les planètes
se sont formées grâce à un phénomène
La chute d’un
de ces « petits cailloux »
sur une ville pourrait
la rayer de la carte
d’accrétion, par collisions, puis grâce à des
impacts géants dont la Lune est probable-
ment l’un des rejetons, poursuit Patrick
Michel. Nos modèles actuels de formation
reposent sur des paramètres tentant de
répondre à cette question : que se passe-t-il
quand un impact se produit ? Or, pour l’ins-
tant, nous nous basons sur des simulations
numériques et des expériences en labora-
toire qui ne peuvent pas tout expliquer. »
Dart ne suffira pas à lever totalement le
mystère, si bien que l’Agence spatiale euro-
péenne a prévu sa propre mission,
baptisée Hera : une sonde qui se position-
nera aussi autour de Didymos et
Dimorphos fin décembre 2026. Elle sera
accompagnée de deux petits satellites qui
mesureront la taille du cratère, en scanne-
ront l’intérieur et détermineront les pro-
priétés physiques des deux astéroïdes. Les
programmes européens et américains sont
complémentaires selon Patrick Michel, qui
s’occupe de la coordination entre les deux :
« Dart, c’est le crime, Hera le détective. »
Deux sondes et trois satellites pour mieux
se protéger, mais aussi mieux comprendre
ces briques élémentaires de la formation
du système solaire. L’humanité part à l’as-
saut des astéroïdes : Armageddon est bien
devenu réalité. W
Covid-19
« N’attendez pas
pour la troisième
dose ! »
La ministre des Sciences et de
l’Innovation d’Israël, Orit Farkash-
Hacohen, constate que l’efficacité
du vaccin baisse très vite.
L a vaccination tambour battant.
Premier pays à avoir vacciné une
majorité de sa population contre le Covid-
19 l’hiver dernier, Israël montre désormais
la voie pour la troisième dose de vaccin
Pfizer. Dès juillet, l’Etat hébreu la propo-
sait à tous les plus de 60 ans, avant d’élar-
gir la campagne à l’ensemble de sa
population fin août. La troisième dose est
obligatoire pour conserver son passe sani-
taire si la dernière injection date de plus
de six mois. Résultat, près de la moitié des
Israéliens sont triplement vaccinés, à
l’heure où le pays se rouvre au tourisme.
Quelles leçons tirez-vous de la dernière
campagne de vaccination dans votre
pays ?
Orit Farkash-Hacohen Chaque fois,
Israël doit affronter les vagues de Covid-19
avant les autres pays. Nous venons de sor-
tir de la quatrième vague avec succès, sans
mettre en place de quarantaine. Nous
avons choisi de vivre avec le virus, tout en
mettant l’accent sur la troisième dose. Mon
conseil aux pays européens est de ne pas
65
attendre : l’efficacité du vaccin sur la popu-
lation diminue avec le temps, et le gouver-
nement doit se préparer à fournir cette troi-
sième dose dès que possible. Il ne doit pas
réagir, mais prévenir. En Israël, il nous a
fallu du temps pour comprendre que l’effi-
cacité de la protection du vaccin baissait.
N’attendez pas ! Six mois après avoir fourni
la deuxième dose, préparez les infra-
structures pour une troisième dose, et
concentrez-vous sur la communication
auprès du public. Cette dernière partie est
essentielle.
Israël a-t-il vaincu le Covid-19 ?
Nous ne regardons pas le Covid-19 comme
un problème du passé. Toutes les struc-
tures de l’Etat sont prêtes et en alerte, nous
pouvons réagir très vite. Nous avons des
équipes spécifiques qui travaillent main
dans la main avec notre excellent système
de santé publique. Si jamais une nouvelle
vague d’infections arrive, tout notre dis-
positif sera en place sous dix jours. Une
task force travaille sur la possible émer-
gence de nouveaux variants et prépare
notre réaction si l’un d’eux résistait au vac-
cin. Nous continuons d’être en alerte
constamment, ce n’est pas le moment de
se relâcher.
Près de 30 % des Israéliens continuent
toutefois de refuser la vaccination, en
particulier les jeunes et certaines
catégories religieuses. Comment les
convaincre ?
C’est exact. Pour cela, le gouvernement
doit avoir un département dédié à la com-
munication et aux explications. En Israël,
nous avons eu des problèmes avec la popu-
lation arabe israélienne, et nous avons créé
une force d’intervention pour aller com-
muniquer directement au sein de cette
communauté et expliquer l’importance de
la vaccination dans leurs lieux de rassem-
blement. Beaucoup de fausses informa-
tions et de théories du complot continuent
de circuler à propos de la vaccination. Nous
avons financé des spots publicitaires avec
des personnalités tombées malades, qui
expliquent en quoi le vaccin reste impor-
tant. Nous avons aussi mis en place des
incitations : désormais tous les Israéliens
ont accès à des tests PCR gratuitement,
sauf s’ils sont en âge d’être vacciné et ne
l’ont pas fait. W PROPOS RECUEILLIS
PAR CORENTIN PENNARGUEAR
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ZINIO
66 Sciences & Santé | Remue-méninges
De la définition à l’éducation
de l’esprit critique
UNE CHRONIQUE D’ALBERT MOUKHEIBER
A l’heure des fake news, il devient crucial de développer la pensée critique.
Mais que signifie ce concept et peut-il s’enseigner ?
E n réponse aux campagnes de désin-
formation, fake news et autres com-
plotismes, on entend souvent comme
proposition l’éducation au raisonnement
critique. Mais qu’en dit la recherche,
sommes-nous réellement capables de
développer une sorte de méthode infail-
lible de raisonnement ? Quels sont les
connaissances établies et les points qui
font encore débat sur ce point* ?
Deux éléments centraux au raison-
nement critique semblent faire l’objet
d’un consensus scientifique. Le premier
veut que certaines « briques mentales »
paraissent nécessaires, notamment une
Une des questions
les plus importantes
est de savoir à qui
nous faisons confiance
bonne compréhension épistémologique
d’un sujet (comprendre et maîtriser), un
bon développement de la métacognition
et du contrôle métacognitif (notre capacité
à penser à nos pensées) et, enfin, de bonnes
compétences argumentatives (savoir éva-
luer la qualité d’un argument).
Le second souligne que le raison-
nement critique n’est pas uniquement
une question de « penser par soi-même »,
mais aussi, et surtout, de savoir à qui nous
faisons confiance. Lorsque quelqu’un vous
dit « pense par toi-même », cette personne
dit souvent implicitement « fais-moi
confiance ». Il est donc essentiel de prendre
conscience de l’importance de la confor-
mité informationnelle : savoir reconnaître
quelle personne délivre une information
de meilleure qualité que la mienne et savoir
lui déléguer son propre raisonnement, qui
est toujours situé : le contexte serait autant
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
voire plus important que les capacités
intrinsèques de l’individu qui raisonne.
En revanche, plusieurs éléments font
encore débat. A commencer par une
définition unifiée du concept de raison-
nement critique. Ensuite, nous ignorons
s’il existe une manière « transférable »
d’améliorer l’esprit critique : on peut étu-
dier un domaine et développer un très bon
sens critique, mais est-ce que ces compé-
tences vont être appliquées lorsque l’on se
trouve exposé à un autre sujet qui nécessite
des capacités réflexives ?
Aussi, nous entendons de plus en plus
parler des « biais cognitifs», ces « pièges »
de notre pensée. Mais nous ne savons tou-
jours pas si apprendre les biais cognitifs
nous aiderait réellement à avoir un meil-
leur raisonnement critique. D’ailleurs, très
peu d’articles scientifiques font un lien
avec les biais cognitifs. Or une exploration
de ces liens dans un modèle théorique
cohérent serait très utile pour essayer de
progresser dans ce domaine.
En attendant, quelles seraient les
meilleures solutions à mettre en place
pour combattre la polarisation sociétale
actuelle ? On ne peut pas empêcher des
acteurs mal intentionnés de diffuser de
fausses informations. Cependant, il est
possible d’améliorer les bonnes informa-
tions que nous transmettons. Cela néces-
site un travail de la part des médias dits
« traditionnels » pour avoir des nouvelles
moins sensationnalistes et moins immé-
diates. Bref, aller vers un changement
qualitatif du paysage informationnel
Améliorer le paysage
informationnel est
de la responsabilité
de tout un chacun
« classique », avant de se préoccuper du
paysage informationnel « alternatif ». Nous
pouvons aussi œuvrer à la cohérence sys-
témique : les « infox » profitent souvent
d’injonctions contradictoires qui viennent
de « vraies news ». Exemple : des décennies
de promesses politiques disent vouloir
lutter contre les inégalités sociales, alors
que celles-ci ne cessent de se creuser. Ou
encore, notamment dans le contexte de
l’élection présidentielle, la multiplication
des déclarations en faveur de la lutte contre
le réchauffement de la planète tandis que
le climat continue irrémédiablement à se
détériorer. Ce genre de discours érode la
confiance des Français jusqu’à, finalement,
servir de tremplin aux infox. Il faudrait une
plus grande cohérence de l’action politique
afin de recréer cette confiance. Améliorer
l’offre plutôt que se préoccuper de la
demande. Nous avons tous une responsa-
bilité pour améliorer le paysage informa-
tionnel. Il est même crucial de postuler que
le raisonnement critique ne « s’enseigne
pas simplement ». Tout comme il ne faut
pas se contenter de blâmer l’individu qui
semble en manquer au risque de se confor-
ter dans une illusion de supériorité intel-
lectuelle. Voilà tout un travail sociétal que
nous devons entamer. W
* Pour rédiger cette chronique, je me suis appuyé
sur une récente synthèse réalisée par des
S. PICARD POUR L’EXPRESS
chercheurs sur le thème de l’éducation à l’esprit
critique, coordonnée par EphiScience pour le
compte de l’Ecole de la médiation (universciences),
consultable en ligne sur le site Estim-mediation.fr.
Albert Moukheiber est docteur en neurosciences
et psychologue clinicien.
ZINIO
NOS ENVIES
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par Breitling, célèbre l’histoire de l’aviation en s’inspirant de la
« Co-Pilot » de 1953. Influencée par le design des avions vintage,
cette nouvelle collection rend hommage aux quatre avions puis-
sants et mémorables : Mustang, Curtiss Warhawk, Mosquito et
Vought F4U Corsair... symbolisant ce sentiment de nostalgie qui
renvoie aux débuts de l’aviation.
Î www.breitling.com
MANIPANI
Un quotidien 100% green
Le e-concept store green et scandinave dédié à l’enfant initie les
tribus françaises à un lifestyle plus responsable et durable. Au
travers de sa sélection mais
également de son blog
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68 IDÉES

Michel Winock : « L’extrême droite française

est comme une rivière souterraine »
Eric Zemmour ne vient pas de nulle part : il est le dernier rejeton d’une famille
de pensée ultradroitière bien vivante depuis la fin du XIXe siècle.

OUR COMPRENDRE LE « PHÉNOMÈNE ZEMMOUR », il faut plus l’unanimité peuvent en effet rappeler le passé. Aujourd’hui,

P en revenir à l’Histoire, que le polémiste lui-même prend

si souvent à témoin. Michel Winock, qui a dirigé il y a
quelques années le passionnant ouvrage collectif Histoire de l’ex-
une partie de la droite républicaine se montre de moins en moins
républicaine. Elle est séduite par la radicalité de la critique envers
un système qui, à ses yeux, ne fonde plus l’autorité nécessaire de
trême droite en France (Points)*, reprend le fil du nationalisme l’Etat, ce qui explique que des militants LR disent vouloir voter
xénophobe théorisé par Barrès et Maurras, qui refleurit à la faveur pour Zemmour. Il est tout aussi symptomatique de voir un diri-
de la crise sociale et politique actuelle. Avec ce rappel en forme geant à l’image modérée comme Michel Barnier s’aligner sur la
d’avertissement : si les adversaires de la démocratie ont échoué vision d’une Marine Le Pen lorsqu’il suggère un « moratoire » sur
jadis, c’est grâce à l’esprit de « défense républicaine » des partis l’immigration. La cassure est particulièrement nette à droite de
et des intellectuels. l’échiquier politique. Mais la contagion s’observe aussi à gauche :
il y a quelques jours, Arnaud Montebourg a repris – avant de se
On a beaucoup comparé la période de crise actuelle avec les rétracter – une idée de la présidente du RN en prônant le blocage
années 1930, marquées par une montée aux extrêmes en rai- des transferts d’argent vers les pays qui ne rapatrient pas leurs
son d’une forte tension sociale et politique. L’entrée en lice ressortissants. Pourtant, la comparaison qui s’impose à l’histo-
du polémiste d’extrême droite Eric Zemmour dans l’arène rien est moins celle des années 1930 que celle de la fin du XIXe.
politique invite-t-elle plus encore à la comparaison ?
Michel Winock Le contexte international est très différent : les Comment cela ?
démocraties dites illibérales de l’est de l’Europe ne sont pas des Le nationalisme émerge. Le mot lui-même s’impose vraiment
régimes fascistes ou nazis, et l’acteur soviétique a disparu. En dans la période qui va du boulangisme à l’affaire Dreyfus,
outre, les gouvernements de l’entre-deux-guerres sautaient tous entre 1885 et 1900. Créé sous la Révolution, il était tombé en
les sept mois, alors que notre régime fait preuve d’une grande désuétude avant d’être relancé par l’écrivain Maurice Barrès en
stabilité. En revanche, xénophobie et racisme font bien partie 1892 dans un article. Barrès le reprend dans ses campagnes élec-
des deux époques : dans les années 1930, des mots d’ordre se torales et dans un système de pensée attribuant à la défense des
répandent, qui aboutiront au renvoi dans leur pays de travailleurs valeurs nationales et des intérêts nationaux la priorité de l’ac-
étrangers, à l’exemple des tion politique. Lui et son cadet Maurras, deux écrivains partis de
Polonais très actifs dans les la « décadence » et de la volonté de la dépasser, vont élaborer le
mines de charbon du Nord et corpus idéologique qui survivra jusqu’à Zemmour. Barrès
du Pas-de-Calais. S’est ajoutée « L’idée de “l’ennemi dénonce les étrangers qui viennent « manger le pain des
à cela une vague de discours, intérieur” permet Français », mais aussi les protestants – la Réforme ouvre la voie
de slogans et de mouvements de fédérer des publics à la liberté de pensée... –, les juifs, les francs-maçons, les intel-
antijuifs. De ce point de vue, lectuels. Tous ceux que Charles Maurras appellera plus tard
différents : jadis,
l’antisémitisme d’alors peut « l’anti-France ». Barrès se porte candidat aux élections de 1889
être comparé à l’hostilité
les ouvriers censés
sous la bannière du général Boulanger, dans la volonté de balayer
actuelle envers l’islam. être exploités la république parlementaire. L’entreprise boulangiste tourne
par les juifs “suppôts court parce que le général, trop légaliste, renonce à lancer phy-
Observe-t-on, selon vous, du capitalisme” et les siquement l’assaut de l’Elysée. Mais son échec est dû aussi à une
un phénomène de conta- catholiques ; véritable union républicaine parvenue à se constituer face à lui.
gion entre la droite et l’ex- de nos jours, ceux
trême droite, comme dans Le fameux « front républicain »…
qui pensent
l’entre-deux-guerres ? Oui ! Des modérés, des radicaux, des socialistes, loin d’être tous
que les musulmans
La remise en question des ins- d’accord entre eux, ont fait corps pour défendre la République.
titutions et des contours de veulent “remplacer” L’affaire Dreyfus a ouvert une nouvelle phase de très forte ten-
l’Etat de droit, la hausse de les “Français sion nationaliste, avec l’antisémitisme au centre. Quelque vingt
l’abstention, l’essor des extré- de souche” » ans après la défaite de 1871, l’armée apparaît plus que jamais
mismes et le fait que l’idée comme l’un des piliers de l’identité nationale. Si un conseil de
même de démocratie ne fasse guerre déclare que Dreyfus est un traître, il n’y a rien à redire.
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
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IDÉES
« L’avenir de la démocratie se joue sur le terrain de la pensée », estime l’historien.
Lorsque, aujourd’hui, Eric Zemmour laisse entendre que l’inno-
cence de Dreyfus n’est pas si claire que cela, au mépris des aveux
mêmes du commandant Esterházy, il accroche son wagon à la
tradition nationaliste antidreyfusarde.
Lequel Eric Zemmour compte parmi ses soutiens des
membres de l’Action française. Le courant maurrassien
connaît de nos jours une nouvelle jeunesse. A-t-on sous-
estimé son empreinte, et plus largement celle de toute
l’extrême droite dans la société française ?
L’extrême droite est comme une rivière souterraine, elle émerge
de temps à autre, lorsque le contexte s’y prête. Pendant les Trente
Glorieuses, elle n’a fait parler d’elle qu’au moment de la guerre
d’Algérie. Deux grandes traditions la constituent : celle, monar-
chiste, incarnée par l’Action française, et celle, nationale popu-
liste, du boulangisme. Le journal L’Action française est né au
moment de l’affaire Dreyfus, et Maurras a permis son essor en
opérant une synthèse entre le royalisme et le nationalisme, ce
qu’il appelait « le nationalisme intégral », adossé aux deux
grandes forces de l’époque : l’armée et l’Eglise. Pour Maurras, le
retour d’une monarchie autoritaire constituait la solution à tous
les problèmes posés par la république parlementaire. Sa pensée
a ensuite trouvé une illustration concrète avec la « Révolution
nationale » de Pétain, puis survécu dans des publications
69
confidentielles et au sein de certaines
familles catholiques traditionalistes. Eric
Zemmour partage avec Maurras l’idée cen-
trale de « l’ennemi intérieur » – le musul-
man et l’immigré remplaçant chez lui le
juif. L’avantage du concept est qu’il permet
de fédérer des publics différents : jadis, les
ouvriers censés être exploités par les juifs
« suppôts du capitalisme » et les catho-
liques en butte au « peuple déicide » ; de
nos jours, ceux qui pensent que les musul-
mans veulent « remplacer » les « Français
de souche » et déchristianiser le pays.
Diriez-vous que l’essayiste et Marine
Le Pen incarnent, chacun à sa manière,
l’une des ces deux grandes traditions
de l’extrême droite ?
Eric Zemmour est un idéologue hybride. Il
emprunte à Barrès, à Maurras, à Drumont,
à Bainville, à Renaud Camus, mais il est
aussi capable de citer de Gaulle, qui a pour-
tant été considéré comme un traître par les
H. ASSOULINE/OPALE/LEEMAGE
gens de droite dans son opposition à Vichy.
Il a d’ailleurs été condamné à mort par
contumace par Pétain ! Et, après la guerre,
il a gouverné avec la gauche, les commu-
nistes, les démocrates-chrétiens. Qu’Eric
Zemmour honore à la fois le Pétain de
Vichy et le général de Gaulle laisse très per-
plexe ! Mais il faut ratisser large ! Marine Le
Pen, elle, s’inscrit davantage, en effet, dans
la filiation du boulangisme par ses soutiens dans les couches
populaires, son populisme soucieux du social. Mais il y a évidem-
ment des ponts dans l’électorat entre ces deux traditions.
Dans votre Histoire de l’extrême droite en France, vous évo-
quiez les « contrepoisons efficaces » de la société française
face à l’extrême droite. Sont-ils toujours là ?
L’esprit de « défense républicaine » qui a su contrer ceux qui vou-
laient abattre la république est sans doute bien moins fort à notre
époque, du fait de l’affaiblissement considérable des partis
démocratiques et de leurs grandes divisions. Les adversaires de
l’extrême droite ne parviennent pas à faire barrage sur le plan
idéologique parce que les valeurs de la démocratie et de la répu-
blique ne sont plus autant enracinées que par le passé. Du côté
des intellectuels, on ne voit pas non plus naître un courant sem-
blable au Comité de vigilance des intellectuels antifascistes créé
en 1934, avec le philosophe Alain, Paul Rivet, Paul Langevin,
auquel adhérèrent André Breton, Jean Cassou, André
Malraux, etc. Les plus médiatisés aujourd’hui dressent une
oreille complaisante aux thèses nationalistes. C’est pourtant sur
le terrain de la pensée que se joue l’avenir de la démocratie. W
PROPOS RECUEILLIS PAR CLAIRE CHARTIER
* Dernier ouvrage publié : La France libérée. 1944-1947 (Perrin).
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
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70 IDÉES / RÉINVENTER LA DÉMOCRATIE
Facebook
et la panique morale
UNE CHRONIQUE DE YASCHA MOUNK
Il est facile, et parfois fâcheux pour la liberté d’expression, d’imputer
aux seuls réseaux sociaux la responsabilité de l’hystérisation des débats.
E
n politique, une semaine est
longue, et une décennie semble
une éternité. Il y a dix ans, tous les
universitaires les plus brillants et les jour-
naux les plus sérieux célébraient le poten-
tiel libérateur d’Internet et des médias
sociaux. Ces technologies étonnantes, écri-
vaient-ils, allaient permettre aux gens d’en-
trer en contact les uns avec les autres sans
effort et à un coût pratiquement nul, mais
au plus grand profit du peuple. Avec le
recul, il semble évident que ce consensus
était fondé sur une interprétation trop opti-
miste des tendances politiques contempo-
raines. Au cours des dix dernières années,
Les plateformes
auraient l’obligation de
contrôler leurs contenus.
Telle serait la solution
le « printemps arabe » s’est transformé en
un hiver arabe d’un froid glacial. Aux Etats-
Unis, le triste épisode de la présidence de
Donald Trump pourrait très bien se répé-
ter. Et en Europe, la tendance du moment
est la montée en puissance de candidats
politiques d’extrême droite ou de mouve-
ments sociaux répandant des théories
conspirationnistes sur le Covid. Aussi sûre-
ment qu’on chantait hier les louanges des
réseaux sociaux, on leur reproche aujour-
d’hui de propager de fausses vérités et de
mettre en péril la démocratie en aiguillon-
nant l’extrémisme.
De là des appels à des pratiques, et
même à des textes de loi limitant sérieuse-
ment les droits dont jouissent aujourd’hui
les citoyens des démocraties libérales.
Dans des situations crispées, comme une
élection présidentielle âprement disputée
ou une pandémie mortelle, les géants des
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
médias sociaux auraient l’obligation
morale de contrôler leurs contenus, voire
de les censurer. Telle serait la solution pour
empêcher les idées induisant dangereuse-
ment en erreur le public de se répandre.
Tout à la nécessité de trouver une
parade aux fausses informations, on s’at-
tarde très peu sur les inconvénients d’une
telle riposte. Il est étrange, par exemple, que
les plus prompts à dénoncer le pouvoir de
nuisance d’un Mark Zuckerberg soient
aussi ceux qui mènent le combat pour ren-
forcer son pouvoir sur ce qui peut ou ne
peut pas être dit via Internet. L’effet extrê-
mement corrosif qu’une censure accrue
pourrait avoir sur la confiance dans le sys-
tème démocratique est à peine évoqué.
Plus inquiétant, peut-être : ceux qui ont
radicalement changé d’avis sur les consé-
quences des médias sociaux en l’espace de
dix ans ne semblent jamais envisager que
des opinions rangées aujourd’hui dans la
catégorie « désinformation » puissent se
révéler tout à fait plausibles dans le futur.
Prenons deux des cas les plus mar-
quants, celui du fils de Joe Biden et celui
du Covid. Après la publication d’un article
du New York Post sur le contenu compro-
mettant d’un ordinateur portable que le fils
du futur président démocrate était censé
avoir perdu, Twitter a banni le journal de
sa plateforme. On peut ne pas être d’accord
sur la façon dont l’article présentait l’af-
faire, mais les faits de base qu’il rappor-
tait, eux, sont depuis devenus très plau-
sibles. Quant au Covid, lorsqu’un éminent
scientifique a évoqué la possibilité que le
Il s’agit davantage
d’un symptôme
plus qu’une cause
du malaise politique
virus se soit échappé d’un laboratoire qui
effectuait des recherches sur le gain de
fonction, Facebook et YouTube se sont
empressés d’interdire toute mention de
cette théorie sur leurs plateformes. Seu-
lement voilà : les plus hautes instances du
gouvernement américain la présentent
désormais comme explication possible de
l’origine de ce fléau sanitaire.
Les plateformes de médias sociaux ali-
mentent très vraisemblablement la mon-
tée de l’extrémisme. De nouvelles régle-
mentations sont probablement nécessaires
afin de s’assurer que les géants de la tech-
nologie ne nuisent pas au bien public. Et
peut-être ces derniers devraient-ils modi-
fier leurs algorithmes, de manière à encou-
rager le dialogue et réduire la polarisation
des débats. Mais nous risquons aujourd’hui
de commettre deux graves erreurs. D’abord,
en imputant chaque évolution sociale pré-
occupante aux médias sociaux – la préva-
lence de contenus problématiques sur ces
plateformes me semble être davantage un
symptôme qu’une cause de notre malaise
politique. Ensuite, en adoptant des lois et
des pratiques restrictives qui finiront par
porter gravement atteinte à la liberté d’ex-
pression. La panique morale ne fait pas de
bonnes lois. Prenons le temps d’analyser la
situation avec sang-froid, et évitons d’adop-
ter des mesures qui, conçues pour sauver
S. JAENICKE - L'EXPRESS
la démocratie, pourraient finalement ser-
vir à renforcer ses ennemis. W
Yascha Mounk, politologue et chercheur
à Harvard, né en Allemagne et naturalisé
américain, est spécialiste des populismes.
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IDÉES / LE MEILLEUR DES MONDES
Le travail, ce trésor perdu
de la gauche
UNE CHRONIQUE DE SYLVAIN FORT
Que s’est-il passé pour que ce sujet central et sans cesse renouvelé de notre
société soit ainsi délaissé par les candidats de gauche ?
I
l fut beaucoup question du travail
dans le débat des candidats à la
primaire des Républicains. Il en
fut aussi question dans l’allocution prési-
dentielle du 9 novembre. Les commenta-
teurs furent à ce sujet unanimes : le travail
est un « marqueur de droite ». Quelle évo-
lution profonde actée en l’espace d’une
quinzaine d’années en France ! Car le tra-
vail n’est pas, historiquement, un « mar-
queur de droite ». C’est, au contraire, le tré-
sor politique de la gauche. La Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen de 1793
(dont on ne sache pas que quiconque à
droite se réclame) élabore la question du
La gauche nourrit,
paradoxe extrême,
le rêve de la rente
(d’Etat)
travail et des droits sociaux d’une manière
qui fécondera toute la pensée de gauche.
Elle place le travail ou l’absence de travail
au cœur de la vie des citoyens et de la soli-
darité sociale. Quand la droite défendait
le capital, l’héritage, la rente, la gauche
défendait le travail, qui est tout ce qu’on a
à offrir quand on n’a rien. De là le déploie-
ment de luttes destinées à protéger les tra-
vailleurs, à offrir à chacun l’égalité des
chances (école obligatoire), à valoriser le
mérite, à accorder une reconnaissance
sociale à des métiers dont la grandeur ne
se traduisait pas pécuniairement.
Que s’est-il passé pour que la gauche
se laisse voler ce « marqueur », qui était
son Graal ? Tout a commencé lorsqu’elle
s’est mise à douter de la valeur même du
travail. Les 35 heures, le revenu minimum
L. MARIN/AFP
universel, la semaine de quatre jours, le
compte pénibilité, la remise en question
railleuse des bullshit jobs ou des nouveaux
emplois liés au digital, l’obsession de la
taxation des salaires, la dissuasion du tra-
vail par le cumul des allocations… Bonnes
ou mauvaises idées, tout cela est venu
nourrir l’idée que le travail, au fond, n’est
que souffrance, fatalité, excès de peine,
aliénation. Sous prétexte de protéger les
plus vulnérables, la gauche tout entière a
entrepris le procès du travail lui-même.
Elle en est, pour certains de ses représen-
tants, à considérer qu’il est une sorte de
mal nécessaire mais que la vraie vie est ail-
leurs. Elle nourrit, paradoxe suprême, le
rêve de la rente (d’Etat).
Elle a, ce faisant, oublié que le travail
fabrique la société, qu’il est le moteur du
lien (Dürckheim) et, bien entendu, de la
dignité. Il est aussi le lieu de l’expression
de capacités, de talents, de mérites – mots
disparus du lexique de la gauche. Il est le
lieu d’une réussite possible, qui se mesure
non à l’aune seulement d’une rémunéra-
tion, mais de l’intérêt et du sens que cha-
cun assigne à son existence. Il est ce qui
nous rappelle que nous sommes une
société d’interdépendance, et non une col-
lection d’individus. Le travail est aussi le
lieu de ce terme que la gauche a cessé d’uti-
liser : l’excellence.
De cet abandon, Nicolas Sarkozy s’est
avisé le premier. Et la gauche ne s’est rendu
compte de rien ! Pis : aveuglée par ses cer-
titudes, elle a raillé le « travailler plus pour
gagner plus ». Le mal était fait. Jusqu’à
aujourd’hui, personne à gauche n’a su ou
voulu récupérer le Graal que désormais se
Hidalgo fait le sien
le mot d’ordre d’un
syndicat parisien : « Pas
une minute de plus ! »
71
partagent Emmanuel Macron (« candidat
du travail » en 2017) et Les Républicains.
Loin de prendre conscience de cette dépos-
session, la gauche ne cesse de s’enfoncer
dans sa critique radicale du travail, conçu
comme une plaie, et des entreprises, vues
comme un mal nécessaire. Le timide
aggiornamento hollandien en 2015 n’y a
rien changé. Certes, Anne Hidalgo a timi-
dement avancé que le travail permet « la
réalisation de soi », mais elle refuse de faire
passer ses propres agents municipaux des
32 heures dérogatoires aux 35 heures régle-
mentaires, faisant sien le mot d’ordre d’un
syndicat parisien : « Pas une minute de
plus ! » Chacun son « en même temps ».
Il existe pourtant tellement de thèmes
relatifs au travail, à la justice au travail, à la
protection des individus qui s’imposent à
notre société. Par exemple, l’émergence
puissante du télétravail, l’exclusion de
filières universitaires entières du marché
de l’emploi, l’hyperflexibilisation du mar-
ché sous l’effet du digital, la réinvention de
l’emploi industriel, l’émergence rapide
d’emplois nouveaux et la délocalisation
programmée des emplois de services, etc.
De tout cela, ceux qui se sont emparés de
la « valeur travail » s’occupent ou s’occu-
peront. Ils parlent, ce faisant, le langage de
ces citoyens qui dans le travail ne voient
pas une malédiction, et effacent chaque
jour un peu plus la légitimité historique de
la gauche, donc son avenir. W
Sylvain Fort, essayiste.
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
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72 LIBRAIRIE DE L’EXPRESS

Julien Green,
toujours aussi vert
Après un premier tome très cru de son Journal intégral, deux nouveaux volumes du romancier
ravissent par leur hauteur de vue. Revenu à la foi, l’Américain s’y révèle également fin analyste littéraire.

A LECTURE DE LA BIBLE INQUIÉTAIT plus l’auteur de

L Léviathan que les nouvelles du jour. Après la publication

du premier volume de son Journal intégral, augmenté
de passages tenus jusqu’ici secrets, on comprend pourquoi :
Sodome ne valait pas une raclée divine à côté du Paris de Julien
Green (1900-1998), redessiné par les fauves amours masculines.
Exfiltrées du Journal publié de son vivant, ces pages suscitèrent
une étrange gêne à leur publication en 2019. Pas tant pour leur
crudité que pour l’ombre jetée sur une sexualité rageuse au lieu
d’être épanouie, hautaine quand on la voudrait démocratique,
rappelant à notre époque qui rêve de coïts libres et contractuels
que le désir est un gouffre, et la beauté, une ogresse. A peine avons-
nous fini de toussoter à la lecture de ce volume que deux autres
nous tombent dessus, couvrant l’exil aux Etats-Unis et le retour
en France (1940-1950). Entre-temps, la foi religieuse de l’écrivain
a ressurgi, livrant sa sensualité aux tourments de tentations
qui n’ont de force que si on les combat. On aurait tort de juger

désuète cette quête de pureté alors qu’elle renvoie l’existence à
son déchirement premier, irréductible à un capital pulsionnel à
gérer. « Mon miroir me prêche un sermon et la rue un autre. »
Autocensurée à l’époque comme tout ce qui a trait au cul, la part
spirituelle du journal le teinte d’amertume. Post coïtum catho-
lique triste ? Rassurons-nous : la sainteté est encore pour après-
demain, et il reste suffisamment d’incartades et de potins dans
ces pages pour séduire les plus insensibles à l’invisible.
Cette foi retrouvée ne tombe pas du Ciel, elle vient de la
guerre. Pas celle de 1914, où le gosse de dix-sept ans, ambulan-
cier sur le front d’Argonne, avait déjà côtoyé la mort, mais celle
de 1940, qui voit son pays d’adoption humilié par la collabora-
tion (« Le point le plus bas de l’histoire de France »). Car Green,
né en France, est américain. Dans une scène bouleversante du
deuxième volume, l’écrivain réfugié à Baltimore lit un Guide
bleu de Paris pour conjurer son mal d’un pays qui n’est pas le
sien. Cet autre amour brûlant nous rappelle le sens d’un atta-
chement national dont les étrangers sont les mieux placés pour
nous parler car ils n’en font pas commerce mesquin. Ce n’est
pas la moindre des révélations de ce volume, si inattendu par
ce qu’il montre d’un homme décidément insaisissable : on l’avait
quitté auteur mondain, cuirassé par l’ironie d’une double vie
parfaitement rodée, le voici mobilisé dans l’armée américaine,
instructeur consciencieux et apprécié, puis speaker du Bureau
d’information de guerre. Pacifiste convaincu, il n’en écrit pas
moins : « Ne pas lutter contre le nazisme par scrupule de
conscience est indéfendable. »
Le retour à Paris, à la Libération, peut rebuter : il annonce
une période où l’âme comme l’œuvre piétinent, la chasteté
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
CORRES/UPI/AFP
L’auteur en 1953, dans son appartement parisien.
nouvelle émoussant la rage de créer. Mais le troisième volume
réserve de merveilleux moments, tels ces savoureux tête-à-tête
avec Gide ou Mauriac dont les portraits à la taille-douce gagnent
en sensibilité. L’autre enchantement est le Green lecteur. De la
littérature, il connaît les arcanes comme le maître maçon connaît
sa cathédrale. Il lit en technicien de la langue, lui qui en maîtrise
deux à la perfection, l’anglaise et la française, auxquelles il faut
ajouter le grec, le latin et l’hébreu. Ses analyses de Shakespeare
ou de W. H. Auden sont splendides, et ses jugements sur notre
histoire littéraire, de Flaubert à Genet, aussi justes que détonants.
Cet homme universel et tourmenté ferait volontiers penser à
Pascal s’il n’ajoutait à la verticalité de ses hantises le doux par-
fum des heures qu’exhale ce Journal, passionnant jusque dans
ses répétitions et ses lenteurs. Quand il le rédige, à Baltimore
ou à Paris, il y a toujours un arbre à la fenêtre – présence délicate
et rêveuse du monde, palpitation douce, promesse d’ailleurs.
Certains journaux intimes sont des tiroirs, celui de Green est une
fenêtre : chaque mot respire. W PHILIPPE CHEVALLIER
TOUTE MA VIE. JOURNAL INTÉGRAL,
PAR JULIEN GREEN, ÉDITION ÉTABLIE PAR GUILLAUME FAU,
CAROLE AUROY, ALEXANDRE DE VITRY ET TRISTAN DE LAFOND.
TOME 2 : 1940-1945, BOUQUINS, 1 408 P., 32 €.
TOME 3 : 1946-1950, 1 056 P., 32 €.
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LIBRAIRIE DE L’EXPRESS
CONFESSIONS GASTRONOMIQUES
PAR ALAIN BAUER.
FAYARD, 858 P., 26 €.
22222
IL N’Y A PAS QUE LE TERRORISME, les faits divers ou
l’espionnage dans la vie, il y a aussi la gastronomie.
Grand spécialiste des affaires criminelles, Alain
Bauer l’est aussi des questions culinaires, fruit de
quarante années de fréquentations biquotidiennes
des restaurants et autres tavernes. Déjà auteur de
deux Que sais-je ? sur le thème, le voilà qui s’est lancé,
le temps d’un confinement, dans un ouvrage tout
aussi roboratif que l’étaient les repas du Moyen Age.
858 pages nourries par les témoignages de 59 chefs,
cuisiniers et restaurateurs, avec, en guise d’amuse-
bouche puis de hors-d’œuvre, une consistante his-
toire de la gastronomie, un mot (nomos, « loi » en
grec, et gaster, « ventre ») entré dans le Dictionnaire
de l’Académie française en 1835, mais qui définit des
usages bien antérieurs.
Après les grandes étapes de cette conquête gus-
tative où les gourmets prennent petit à petit le pas
sur les gourmands, place aux « confessions » de
59 descendants de Marie-Antoine Carême, qui pro-
posent par ailleurs chacun une recette : blanquette
de veau, salade de fraises au vin rouge, poulet au vin
jaune et morilles, coquilles Saint-Jacques au corail…
Il y a là nombre d’étoilés (Yannick Alléno, Olivier
Bellin, Georges Blanc, Antoine Westermann, Thierry
Marx, Jean Sulpice, Pierre Gagnaire…), mais pas que ;
très peu de femmes (Amandine Chaignot, Anne-
Sophie Pic, Hélène Darroze, Amélie Darvas), et, sur-
tout, beaucoup de franchise, de générosité et d’en-
thousiasme de la part de ces stars contemporaines,
travailleurs forcenés souvent issus de milieux
modestes. A déguster sans modération.
MARIANNE PAYOT
QUAND LA VILLE S’ÉTEINT
PAR JULIA PIALAT.
JC LATTÈS, 258 P., 19 €.
22222
MIEUX VAUT ANNONCER LA COULEUR, voire les
bémols de ce premier roman survolté, placé sous le
signe des décibels de l’époque : ses multiples réfé-
rences au rap, à la techno et à l’électro, mais aussi son
style typique des millennials risquent de larguer la
plupart des boomers. Qu’importe. On se laisse volon-
tiers entraîner par l’histoire de Cobra, la petite ving-
taine, qui a toujours vécu à Strasbourg-Saint-Denis,
« SDD » pour les habitués, quartier parisien en train
de se faire « sauvagement gentrifier la gueule ». Fils
d’immigrés portugais, il n’en peut plus de trimer au
côté de son grand frère et de son père dans l’épicerie
familiale. A la moindre occasion, Cobra file Chez
73
Jeannette, son QG, bar branché façon troquet à l’an-
cienne, où il retrouve ses meilleurs potes, dont un
disquaire et une DJ, pour parler musique.
C’est que cet « obsédé textuel » rêve de devenir
une star du rap, de s’élever en « auteur-composi-
teur-interprète issu d’une famille de blédards ». Une
gageure pour celui qui « fait partie de la plèbe », fau-
ché, sans formation ni réseau, malgré son envie d’en
être. Une ambition qui touche Chérif, autrefois
manager d’artistes, « le king du raï à Paris » dans les
années 1990, désormais désœuvré. Le vieil Algérien
se décide à aider Cobra et rouvre pour lui les portes
de son studio d’enregistrement. Bingo ! Epatante
radiographie socioculturelle d’une génération, et
de ce Paris en proie à une « spéculation crépuscu-
laire », Quand la ville s’éteint annonce un talent
vigoureux. Prometteur, assurément.
DELPHINE PERAS
DOCILE
2 PAR ARO SAINZ DE LA MAZA,
TRAD. DE L’ESPAGNOL PAR SERGE MESTRE.
ACTES SUD, 482 P., 23 €.
22222
EN MATIÈRE D’INSPECTEUR TORTURÉ, Milo Malart
se pose là. Ce membre du groupe spécial d’ho-
micides de la police de Catalogne compense ses
insomnies par des séances de natation dans la
Méditerranée déchaînée, se refuse à lire les textos
d’une récente amante de peur d’en tomber amou-
reux, et, d’une manière générale, lutte contre la schi-
zophrénie à laquelle son père et son frère ont déjà
succombé. En matière criminelle, en revanche, son
instinct est assez sûr. Le voici justement chargé
2 d’élucider un quintuple meurtre commis dans un
quartier de Barcelone un samedi soir, à l’heure où
toute la ville suivait le match entre le Barça et le Real
Madrid. Le père, la mère, la fille, le fils et la grand-
mère de la famille Corona ont été tués à coups de
pierre. La fillette de 2 ans est retrouvée assoupie dans
sa chambre, indemne. Au matin du lundi, un jeune
homme de 18 ans, Lucas Torres, se présente à un
commissariat, couvert de sang – celui de membres
de la famille Corona.
Il convient d’avoir le cœur bien accroché au
fil des cinq jours d’enquête de ce récit dense, as-
phyxiant : les investigations de la scène de crime,
éprouvantes, sont notamment racontées par le
menu. Milo Malart est le seul à ne pas croire en la
culpabilité du mutique Lucas Torres. Même lorsqu’il
apprend que ce dernier a lui-même été l’unique sur-
vivant du massacre de sa famille avant d’être adopté
par son oncle, bien des années plus tôt. De fait, des
vidéos sordides retrouvées sur l’ordinateur de Noelia
Corona, la jeune fille, semblent dessiner un puzzle
bien plus complexe. BERTRAND BOUARD
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ZINIO

74
PALMARÈS

Cla Nb
FICTIONS s
pré s. sem re de
Hiérarchie respectée N°
1
Titre Auteur (Editeur)
La Plus Secrète Mémoire des hommes
céd
ent aines

Mohamed Mbougar Sarr (Philippe Rey/Jimsaan) - 1

ON A EU PRESQUE PEUR : en ce samedi 9 novembre, à la Foire du 2 H Premier sang Amélie Nothomb (Albin Michel) 14 12
livre de Brive, le nouveau Prix Goncourt Mohamed Mbougar Sarr 3 B Jack et la grande aventure du cochon de Noël
J. K. Rowling (Gallimard Jeunesse) 2 4
n’avait plus rien à signer. Rupture de stock après 400 dédicaces.
4 B L’Inconnue de la Seine Guillaume Musso (Calmann-Lévy) 1 7
Enquête menée, le libraire de la foire corrézienne n’en avait pas
5 B S’adapter Clara Dupont-Monod (Stock) 3 2
prévu suffisamment… En revanche, La Plus Secrète Mémoire des
6 La Muse rouge Véronique de Haas (Fayard) - 1
hommes, réimprimé à 300 000 exemplaires dès l’annonce du
7 13 à table ! 2022 Collectif (Pocket) - 1
Goncourt, mercredi 6, était disponible dans toute la France. D’où
cette première place à notre palmarès. La hiérarchie des prix est 8 Après Stephen King (Albin Michel) - 1
cette année encore respectée, puisque l’on retrouve le Renaudot 9 La Traversée des temps (t. II)
Eric-Emmanuel Schmitt (Albin Michel) - 1
sur la deuxième marche du podium en la personne d’Amélie
10 B La Prophétie des abeilles Bernard Werber (Albin Michel) 7 6
Nothomb (Premier sang), talonnée par la lauréate du prix Femina,
11 B La Toute Petite Reine Agnès Ledig (Flammarion) 4 3
Clara Dupont-Monod (S’adapter), tandis que Christine Angot
12 B Chevreuse Patrick Modiano (Gallimard) 6 5
(Le Voyage dans l’Est), Médicis 2021, figure au 19e rang et que le
13 B La Carte postale Anne Berest (Grasset) 11 10
Grand Prix de l’Académie française, François-Henri Désérable,
14 B Code 612 Michel Bussi (Presses de la Cité) 8 4
et le Femina étranger, Ahmet Altan, patientent aux portes du
15 B La Saga des Cazalet (t. IV)
top 20. On saluera enfin l’arrivée du nouveau prix du Quai des Elizabeth Jane Howard (la Table ronde) 5 4
Orfèvres, La Muse rouge de Véronique de Haas, un trophée déci- 16 B Les Flammes de Pierre Jean-Christophe Rufin (Gallimard) 9 5
dément très prescripteur. M. P. 17 Glen Affric Karine Giebel (Plon) - 1
18 H Enfant de salaud Sorj Chalandon (Grasset) - 10
19 B Le Voyage dans l’Est Christine Angot (Flammarion) 18 4
7. 13 à table ! 2022 20 B Les Promises Jean-Christophe Grangé (Albin Michel) 13 9
Collectif
On s’en réjouit depuis 2014 : les éditions de 13 à table ! ESSAIS-DOCUMENTS
1 H La Clé de votre énergie Natacha Calestrémé (Albin Michel) 5 55
au profit des Restos du cœur sont de très beaux
2 B Le Traître et le Néant
succès de librairie, qui ont permis de distribuer Gérard Davet et Fabrice Lhomme (Fayard) 1 4
près de 6 millions de repas. Au menu de cette huitième 3 H Trouver ma place Natacha Calestrémé (Albin Michel) 4 4
livraison ? Les souvenirs de vacances, avec les 4 B Dieu… M.-Y. Bolloré et O. Bonassies (Guy Trédaniel) 2 4
témoignages de Jean-Paul Dubois, Marie-Hélène Lafon, 5 B La France n’a pas dit son dernier mot
François Morel, Tatiana de Rosnay, Leïla Slimani… Eric Zemmour (Rubempré) 3 8
6 N Réinventer l’amour Mona Chollet (Zones) 6 8
7 le Grand Livre des 12 libérations énergétiques
12. Jung. Un voyage vers soi Stéphanie Abellan (Courrier du livre) - 1

Par Frédéric Lenoir 8 B La France sous nos yeux

Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely (Seuil) 7 5
Après Spinoza, Socrate, le Christ et Bouddha, 9 Le Guide de la repartie Laurent Baffie (Kero) - 1
le philosophe sociologue s’intéresse au pionnier 10 B Le Droit d’emmerder Dieu Richard Malka (Grasset) 8 7
de la psychanalyse Carl Gustav Jung (1875-1961). 11 La Mafia d’Etat Vincent Jauvert (Seuil) - 1
Son dessein ? Faire découvrir dans un langage clair 12 Jung. Un voyage vers soi Frédéric Lenoir (Albin Michel) - 1
l’un des penseurs « qui [lui] semble être allé le plus 13 B Le Pouvoir rhétorique Clément Viktorovitch (Seuil) 10 4
loin dans la compréhension de l’être humain 14 B Les Grandes Oubliées Titiou Lecoq (l’Iconoclaste) 11 6
et du sens de son existence ». En trois petits jours 15 Des femmes et des dieux Floriane Chinsky,
de vente, son essai se propulse dans le top 20. Kahina Bahloul et Emmanuelle Seyboldt (les Arènes) - 1
16 Le Grand Bordel de l’évolution Léo Grasset (Flammarion) - 1
17 B 28 ans d’angoisse Noholito (First) 13 5
Espagne
18 H Survivant des glaces Mike Horn (Michel Lafon) - 5
El italiano 19 H Vivre avec l’invisible
PorArturo Pérez-Reverte Marie de Hennezel (Robert Laffont/Versilio) - 2

L’ancien correspondant de guerre, auteur salué 20 B Affronter François Hollande (Stock) 14 3

du Tableau du maître flamand, multiplie les succès
depuis 1988 au rythme d’un roman (voire deux) par an.
Rebelote cette année avec cet Italiano, no 1 du palmarès
d’El Cultural, qui nous entraîne au cœur de la Seconde
Guerre mondiale, à Gibraltar et dans la baie d’Algésiras.
Retrouvez tous les chiffres de l’édition sur www.edistat.com.
Réalisé par Edistat, du 1er au 7 novembre 2021, à partir de 800 points
de vente, librairies, grandes surfaces spécialisées et sites Internet.
Retrouvez le palmarès le samedi, à 7 h 40,
dans Les livres ont la parole, une émission animée
par Bernard Lehut et Stéphane Carpentier.

L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021

ZINIO
ZINIO
76 LIBRAIRIE / LA VIE LITTÉRAIRE
Le prix Nobel de littérature
fait-il vendre ?
UNE CHRONIQUE DE PIERRE ASSOULINE
Si le plus prestigieux et le mieux doté des trophées ne fait pas toujours
le bonheur des éditeurs, il ravit le plus souvent ses récipiendaires.
N GRAND PRIX LITTÉRAIRE n’est
U pas toujours un cadeau. Même s’il
s’agit du plus fameux d’entre eux.
Surtout pour un éditeur. L’auteur, lui, s’en
tire mieux, parce que le chèque de 10 mil-
lions de couronnes (soit 940 000 euros) qui
accompagne la consécration échappe à
l’impôt, ce qui en fait le trophée littéraire le
mieux doté au monde. Mais pour l’éditeur,
la note et souvent plus salée : outre que le
montant des droits augmente bizarrement
au lendemain de l’annonce du prix, il doit
ensuite accompagner la promotion, pas
seulement de l’ouvrage mais de l’ensemble
de l’œuvre durant toute l’année. Ce qui
Le montant des droits
augmente bizarrement
au lendemain de
l’annonce du prix
attend Abdulrazak Gurnah, le dernier lau-
réat de l’Académie suédoise distingué pour
sa vision « empathique et sans compromis
des effets du colonialisme et du destin des
réfugiés pris entre les cultures et les conti-
nents ». On saura bientôt si le fait d’être en
parfaite harmonie avec l’air du temps se
traduit par une curiosité durable des lec-
teurs. La « beauté austère » de l’œuvre de
la poétesse américaine Louise Glück, lau-
réate 2020, n’a pas vraiment bousculé les
listes des meilleures ventes.
Le plus souvent, l’écrivain élu est déjà
célèbre. Le Nobel a fait lire plus encore
l’œuvre de Beckett, mais a carrément
révélé celle d’Isaac Bashevis Singer au-delà
des microcosmes new-yorkais et yiddish
à travers le monde, ou celles du Turc Orhan
Pamuk et du Hongrois Imre Kertész
au-delà de leurs cercles de fidèles déjà
acquis. Le cas de Claude Simon est un
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
contre-exemple. Je me souviens des sou-
pirs de Jérôme Lindon, le PDG des éditions
de Minuit : « Vous parlez d’une récom-
pense ! Elle n’a pas fait vendre le moindre
de ses livres ! » En fait, c’était surtout vrai
en France où le frémissement des ventes
consécutif au prix n’a duré qu’un instant,
comme s’il avait déjà fait le plein de ses lec-
teurs potentiels et ne pouvait en atteindre
de nouveaux. Mais à l’étranger, il eut plus
d’écho, ce qui se matérialisa par des tra-
ductions au Japon, en Chine, aux Etats-
Unis ; même un pays comme l’Allemagne,
qui l’avait un peu publié mais avait dû
pilonner ses invendus, s’est mis à racheter
à nouveau ses droits.
Le romancier tanzanien Abdulrazak
Gurnah (né à Zanzibar en 1948), dont le
kiswahili est la langue maternelle, a écrit
son œuvre en anglais et vit depuis l’âge de
18 ans en Grande-Bretagne. Mais il n’était
pas lu par ses compatriotes. Il était même
inconnu au bataillon dans un pays où la
culture orale l’emporte sur la lecture. Juste
avant le Nobel, son dixième roman,
Au-delà, paru chez Bloomsbury à Londres,
peinait à crever le plafond de verre malgré
ses qualités reconnues par la critique et sa
sélection sur les listes de plusieurs prix. Son
agent ne parvenait même pas à le faire
publier aux Etats-Unis. Depuis l’annonce
du Nobel, six éditeurs américains se sont
disputé les droits, tandis qu’une trentaine
de pays se mettaient sur les rangs. Les lec-
teurs n’en ont pas moins été frustrés, car,
même chez les éditeurs qui le suivaient
depuis des années, la plupart de ses titres
La récompense est
aussi un paratonnerre,
ce qu’on appelle
le capital immatériel
étaient épuisés ; et, la crise aidant, les pro-
blèmes de logistique et d’approvisionne-
ment en papier n’ont pas arrangé les
choses. C’est peu dire qu’ils ont été pris au
dépourvu, d’autant que certains sites de
bookmakers ignoraient jusqu’à son nom.
Et en France ? Le Serpent à plumes
avait publié sous sa signature Paradis
(1999), et Galaade Près de la mer (2006),
suivi d’Adieu Zanzibar (2009), à l’initiative
d’Emmanuelle Colas, dont le flair afri-
cain s’est confirmé par la suite avec Les
Impatientes (Goncourt des lycéens 2020)
de la Camerounaise Djaïli Amadou Amal.
Gallimard devrait bientôt les rééditer et en
éditer d’autres d’Abdulrazak Gurnah.
Le Nobel attribué à Patrick Modiano n’a
pas seulement profité aux ventes de son
roman qui venait alors de paraître (Pour que
tu ne te perdes pas dans le quartier), il a éga-
lement stimulé celles de l’ensemble de ses
romans en format de poche. De toute façon,
les Français n’avaient pas attendu le prix
pour le lire. L’effet fut plus spectaculaire à
l’étranger : aux Etats-Unis par exemple, il
n’était plus traduit depuis des années… En
tout cas, au-delà de la récompense et de ce
qu’elle peut rapporter, le Nobel de littéra-
ture est aussi un paratonnerre. Ce que, dans
un bilan, on appelle le capital immatériel.
Comme disait André Gide lorsqu’on évo-
SERGE PICARD POUR L’EXPRESS
quait ses rapports avec les petits garçons :
« Ne craignez rien, mon Nobel me pro-
tège ! » Et cela n’a pas de prix. W
Pierre Assouline, écrivain et journaliste,
membre de l’académie Goncourt.
ZINIO
BEAUXARTS
Indiens d’Amérique : le musée des Confluences
enterre la hache de guerre
Les cimaises lyonnaises partent sur la piste des Sioux, décryptant la construction
iconographique de l’Amérindien en Europe depuis cinq siècles, des premiers colons à Bison futé.
Ci-contre : photo
de trois des membres
de la famille
Littlemoon au village
PHOTOS : DR/COLLECTION FRANÇOIS CHLADIUK - O. GARCIN/MUSÉE DES CONFLUENCES
indien de Bruxelles
en 1935.
Ci-dessous :
Bison des plaines
(mâle) naturalisé.
W
ALTER LITTLEMOON VA sur ses 80 ans.
Cheveux gris longs, courbé, le souffle court,
il arpente le musée des Confluences de
Lyon. Face à l’espace consacré au village indien
reconstitué à Bruxelles en 1935, en marge de l’Ex-
position universelle, il scrute les vêtements et
parures que portaient les membres de sa famille.
A l’époque, sous la conduite de Joe, le père de Walter,
les Littlemoon s’exhibaient dans la capitale belge,
dans la foulée du célèbre Buffalo Bill Wild West Show
qui tourna aux Etats-Unis, puis en Europe, de 1883
à 1912, auquel ils participèrent. Ces coiffes à plume
d’aigle, gilets perlés, mocassins et autres objets
rituels sont issus de la collection du Belge François
Chladiuk, un fondu de l’Ouest américain, qui les a
dénichés dans de vieilles cantines en fer. Elles ont
accompagné le périple européen des Littlemoon
dont le collectionneur, devenu enquêteur, a retrouvé
les descendants dans le Dakota du Sud. « Chez les
Lakotas, les récits se transmettent de père en fils.
Le mien, de père, est mort quand j’avais 10 mois,
donc je ne savais presque rien de lui. J’ai l’impres-
sion de le découvrir, lui et une partie de l’histoire de
notre famille, dans cette exposition », confie Walter.
77
Le musée des Confluences s’est en effet lancé Sur
la piste des Sioux pour explorer la représentation en
France et en Europe des Indiens d’Amérique, des pre-
miers colons à la culture pop moderne. Tipi, plume,
bison, calumet de la paix... Une étude hexagonale,
matérialisée ici par le biais d’un diorama spectacu-
laire, montre que les Français usent toujours de ce
lexique pour évoquer « l’Indien d’Amérique ». « Nous
avons une image très réductrice des Indiens, qui cor-
respond à celle du Sioux, mais qui ne représente pas
l’ensemble des populations natives nord-améri-
caines. Ce Sioux qu’on partage en France est imagi-
naire ; ses attributs ne sont pas faux, mais réduc-
teurs », pointe Yoann Cormier, chef du projet muséal.
Cette iconographie stéréotypée s’est construite
au fil des siècles. Au XVIe, après l’arrivée des colons
européens en Amérique du Nord, la représentation
du « bon sauvage » prime sur le Vieux Continent,
bientôt relayée par celle du « sauvage » tout court.
Plus tard, Chateaubriand enfonce le clou avec Atala
(1801), dont les thèmes, éloignés de la réalité, sont
repris sur les planches, au concert ou sur la toile.
Au XIXe siècle, le dessinateur Karl Bodmer et le
peintre George Catlin livrent des témoignages plus
authentiques. Mais les romans de l’Ouest, peuplés
de Peaux-Rouges guerriers et diffusés en feuilletons
dans la presse, nourrissent l’imaginaire collectif.
Au xxe siècle, le western alimente les clichés véhi-
culés à l’égard des Indiens, jusqu’à La Flèche brisée,
en 1950, qui change la donne sur ces populations
autochtones, regard que conforte, en 1970, le cinéma
réaliste de Little Big Man. Entre-temps, dans l’Hexa-
gone, il y a la bande dessinée (La Famille Fenouillard
de Christophe), les jouets (figurines cowboys vs
Indiens), puis les réclames de soupes ou de biscuits,
assorties d’un commentaire sans nuances. Peu à peu,
avec la mouvance new age, la sauvagerie de l’Indien
se mue en sagesse, comme en témoigne la campagne
Bison futé, lancée en 1976. L’Indien promu au rang
de sage est-il pour autant réhabilité ? « Hollywood
ne nous a jamais considérés en tant qu’individus
ou groupes d’individus, mais plutôt comme un
grand ensemble, et cette perception perdure encore,
juge Walter Littlemoon. Or, aujourd’hui, aux Etats-
Unis, nous sommes 547 tribus, et nous parlons tous
des langues différentes. » W LETIZIA DANNERY
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ZINIO

78 VOTRE ARGENT
Sponsorisé par

La valeur de demain et Accenture (ressources humaines exter-

nalisées) », indiquent les analystes du
Alight, la technologie au service Crédit suisse. Mais c’est précisément
l’atout du groupe que de se positionner

des ressources humaines comme une sorte de couteau suisse, une

solution tout-en-un.
Et pour ce type de services, les entre-
Trouver le bon médecin, bâtir un plan de retraite… A l’heure prises ne changent pas de prestataires tous
les jours. « C’est un métier très défensif, et
du plein-emploi, ce groupe donne un coup de pouce la course aux talents concerne tous les
aux entreprises américaines pour fidéliser leurs salariés. secteurs », souligne Gilles Sitbon. Alight
évalue d’ailleurs à 81 % la part récurrente
PAR EMMANUEL SCHAFROTH de ses revenus ; sa base de clients est en
effet aussi large que diversifiée, puisque
environ la moitié des 500 plus grandes
Un historique boursier Une croissance régulière… sociétés américaines en font partie. Le
encore modeste et rentable
Cours d'Alight depuis l'introduction groupe n’est ainsi dépendant d’aucun
en Bourse secteur économique en particulier (voir
15 novembre 2021 l’infographie), contrairement à d’autres
14
11 $
entreprises technologiques.
Car la technologie, et notamment le
cloud, est au cœur de l’activité d’Alight.
« Sous l’impulsion du nouveau directeur
12 général nommé début 2020, l’entreprise
a énormément investi pour se moderniser,
Poids du BPaaS**
dans le chiffre d'affaires et a lancé en avril dernier une nouvelle
En 2020 plateforme baptisée Worklife, accessible
Autres
sur mobile par les salariés des sociétés
10
Consommation clientes », rapporte Gilles Sitbon. L’intérêt
Santé Distribution de ce portail est d’utiliser l’intelligence
20 juillet 2020 Techno/Média Services artificielle et l’analyse de données pour
financiers
10,41 $ Télécoms personnaliser les offres faites aux em-
8
Energie ployés. A ceux qui ont obtenu récemment
Industrie
ARTPRESSE

2020 2021
une augmentation, l’application pourra par
*ESTIMATIONS CRÉDIT SUISSE,
SOURCE : NYSE, ALIGHT ** BUSINESS PROCESS AS A SERVICE exemple proposer d’abonder leur plan de
retraite. Cela illustre l’ambition d’Alight :
prendre à sa charge un ensemble de tâches
n août dernier, aux Etats- « Aux Etats-Unis, trouver le bon méde- qui étaient auparavant assurées par ses

E
Unis, 72 % des ruptures de
contrat de travail étaient
des démissions, selon le
ministère américain du
Travail. Une conséquence
du plein-emploi : les sala-
riés quittent plus facilement leur entre-
prise pour trouver une meilleure place.
Voilà qui illustre parfaitement l’intérêt de
l’activité d’Alight, société œuvrant à la fron-
tière des ressources humaines et de la tech-
nologie. Elle offre une palette de services
permettant aux employeurs de mieux gérer
les relations avec leur personnel : services
de paye et de gestion des RH, mais aussi
plans d’épargne retraite d’entreprise – les
fameux plans 401(k) américains – et outils
permettant aux salariés de s’y retrouver
dans le système américain des prestations
de santé, qui est très complexe.
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
cin en fonction de son passé médical et
à un coût raisonnable se révèle souvent
compliqué, explique Gilles Sitbon, gérant
de fonds chez Sycomore AM. Les tarifs
peuvent varier considérablement, car le
praticien n’est pas forcément conven-
tionné par l’assureur santé. Alight, elle,
propose justement d’optimiser le coût
pour l’employeur tout en offrant une pres-
tation de qualité à l’employé. »
La société ne manque évidemment
pas de rivaux… « Elle va devoir rester
innovante, non seulement pour croître et
gagner des parts de marché, mais aussi
pour défendre ses positions. Elle est en
concurrence avec d’autres entreprises
également remarquables dans les do-
maines de la santé, de la finance ou des RH,
comme Accolade (offres santé et avantages
sociaux personnalisés), Fidelity (finance)
clients (une partie des services de res-
sources humaines) pour les mutualiser
avec d’autres entreprises et offrir les résul-
tats à distance, via le cloud. C’est ce qu’on
appelle le BPaaS (business process as a
service), qui devrait représenter 23 % de
l’activité du groupe dès 2023 et devenir
majoritaire dans un avenir plus lointain
– un autre moyen de diminuer les coûts
tout en consolidant la relation de long
terme avec les clients.
La société, dont les outils servent déjà
30 millions de salariés, vient de conquérir
un nouveau client de poids. « Alight a signé
un contrat avec le gouvernement améri-
cain pour la gestion des avantages sociaux
de 6 millions d’employés fédéraux, qui
débutera à la fin de l’année 2022 », indique
Gilles Sitbon. Un beau réservoir de crois-
sance pour un proche avenir.
ZINIO

VOTRE ARGENT 79

L’œil de l’expert

L’inflation, un casse-tête
pour l’épargnant
Face à l’inflation, quels sont les placements
les plus efficaces ? L’or, l’immobilier, les obligations
indexées ? Rien n’est aussi simple qu’il n’y paraît.
PAR VÉRONIQUE RICHES-FLORES,

SDP
ÉCONOMISTE INDÉPENDANTE, RICHESFLORES RESEARCH

es économistes ont cou- pour l’accumulation l’emporte, quitte à Les obligations indexées sur l’inflation

L
tume de dire que l’inflation
pousse à la consommation,
à cause de l’anticipation de
prix futurs plus élevés. Du
point de vue de l’épargnant,
ce postulat est inverse, avec
moins d’épargne, ce qui s’explique d’autant
plus que la hausse des prix rogne le pou-
voir d’achat de ses économies et que les
politiques monétaires maintiennent sa
rémunération réelle (l’écart entre le taux
d’intérêt et l’inflation) en territoire excep-
tionnellement négatif. Le retour de l’infla-
tion devrait ainsi s’accompagner d’une
baisse de l’effort d’épargne. Ce n’est pour-
tant pas ce que l’on constate. Sans doute
parce que l’âge moyen de la population aug-
mentant, dans un environnement écono-
mique hautement incertain, la préférence
accepter une perte en capital.
Reste néanmoins à allouer son épargne
de sorte à lui conserver, au mieux, sa
valeur. L’or, connu pour ce rôle protecteur,
n’a pas particulièrement répondu présent
et le métal précieux ne convaincra que les
investisseurs persuadés que le contexte
est suffisamment incertain pour accepter
sa décote. L’immobilier, lui, est souvent
considéré comme une valeur refuge en cas
d’inflation. Cela se vérifie si l’on considère
les prix au mètre carré, qui généralement
continuent de croître, nettement moins si
on les compare à l’indice des prix à la
consommation. La remontée des taux
d’intérêt qui accompagne celle de l’infla-
tion élimine par ailleurs des acquéreurs
potentiels, surtout lorsque les valorisa-
tions sont élevées.
sont, dans l’absolu, le placement idéal,
puisque les Etats s’engagent à payer l’infla-
tion future. Mais leur accès n’est guère
facile pour les particuliers. Reste donc les
achats de matières premières, pour les
moins scrupuleux et ceux prêts à prendre
le risque de s’exposer à un marché très spé-
culatif, dopé aux injections de liquidités
des Banques centrales, qui ne pourront se
poursuivre en cas d’inflation. Ou les actions
d’entreprises très endettées susceptibles
de voir le poids de leur dette, à terme, allégé
par la hausse de leurs prix. Ce qui suppose
néanmoins qu’elles ne soient ni trop expo-
sées au choc de demande à venir, ni à la
hausse des taux d’intérêt… Du côté de
l’épargnant, le retour de l’inflation est un
casse-tête qui pourrait justifier qu’il pré-
fère… aller faire du shopping !

La question à l’avocat

Faut-il payer des charges sociales pour les locations en meublé ?

MAÎTRE JULIETTE GARCIN, AVOCATE AU SEIN DU CABINET DE GAULLE FLEURANCE & ASSOCIÉS

Le régime de la location de cotisations sociales variant sociales dans le cas où

meublé a le vent en poupe,
parce qu’il est avantageux
fiscalement, mais, attention !,
l’administration peut vous
réclamer des… charges
sociales sur vos recettes.
Une règle a en effet été
instaurée en 2021, qui fait
basculer automatiquement
du statut de loueur meublé
non professionnel à celui de
Le meublé, plus cher
de 22 à 49,7 % des loyers à la location vos recettes sont supérieures
perçus, ce qui réduit l’intérêt à 23 000 euros et qu’elles
Vide Meublé
du dispositif. Si vous faites de représentent plus de 50 %
Loyer
la location meublée moyen de vos revenus. Des retraités
saisonnière de courte durée, Loyer par m2 à faible pension qui
moyen
de type Airbnb, vous devrez par m2 cherchaient un complément
payer ces cotisations dès que Surface
de revenus bienvenu (voir
vos recettes annuelles sont moyenne Surface notre cahier spécial retraite
supérieures à 23 000 euros, en m2 moyenne au centre de ce numéro)
en m2
ce qui peut aller très vite. peuvent se retrouver dans
Si vous louez à l’année, il y a ce dernier cas de figure…
ARTPRESSE

loueur meublé professionnel une double condition : vous PROPOS RECUEILLIS

et entraîne ainsi le paiement acquitterez des cotisations SOURCE : LOCSERVICE PAR MIREILLE WEINBERG
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ZINIO

80 VOTRE ARGENT

Le dossier de la semaine estimation », explique Fanny Kopf, direc-

trice adjointe des prêts sur gage au Crédit
Le prêt sur gage, un moyen municipal de Paris. Dans cet établisse-
ment, les taux d’intérêt vont de 2 à 8,45 %,

de se financer à court terme selon le montant accordé (voir le tableau).

Tous les biens de valeur sont en géné-
ral acceptés : les bijoux et les montres de
Vous avez besoin d’argent et n’obtenez pas de crédit ? luxe, l’argenterie, les pièces de collection,
le mobilier précieux, les œuvres d’art, les
Gager un objet de valeur peut vous offrir la solution pièces ou lingots d’or et même, parfois, les
bouteilles millésimées ou les accessoires
PAR MARIE PELLEFIGUE
griffés. Pour une somme importante, il est
possible de gager plusieurs objets dans le
même contrat de prêt, ou de souscrire
our beaucoup, mettre un plusieurs crédits (un par article) en même

P
Quatre exemples de prêts
objet « au clou » relève sur gage au Crédit municipal temps sans restriction ou frais supplé-
d’un lointain passé. Pour- mentaires. Bon à savoir : un prêt sur gage
de Paris
tant, les caisses de crédit Valeur Montant TAEG* Montant permet de repartir directement avec les
Objet des intérêts
municipal ont conservé estimée du crédit fonds, sans devoir attendre le délai légal
gagé (sur un an)
de l’objet accordé
le monopole du prêt sur de quinze jours du crédit traditionnel. « La
Vin
gage, qui existe toujours. grand somme peut être payée en liquide jusqu’à
cru
L’avantage de ce type d’opération, réser- 3 000 euros, au-delà elle est versée par
vée aux résidents français, est qu’elle Boutons de chèque ou virement », précise Fanny Kopf.
manchette
affiche des taux largement compétitifs en or Selon les crédits municipaux, le contrat
comparés à ceux d’un prêt à la consomma- Montre de prêt sur gage est prévu pour six mois ou
tion traditionnel. Autre atout : son coût de luxe un an. A son terme, on peut récupérer son
(collection)
n’est jamais majoré en fonction de l’état de objet en remboursant le capital prêté, grevé
santé ou de l’âge de l’emprunteur, puisque Tableau des intérêts annuels. Il est aussi possible de
ARTPRESSE

aucune assurance ou garantie financière
n’est demandée en plus de l’objet gagé.
En pratique, il existe 18 monts-de-piété
en France, mais il est possible de souscrire
un prêt sur gage dans le Crédit municipal
de son choix, quel que soit son lieu d’habi-
tation. Pour cela, il faut se présenter avec
une pièce d’identité et un justificatif de
domicile ainsi qu’un ou plusieurs objets à
gager. Attention : depuis la crise sanitaire,
beaucoup d’établissements reçoivent
uniquement sur rendez-vous.
de maître
*TAUX ANNUEL
SOURCE : CRÉDIT MUNICIPAL DE PARIS EFFECTIF GLOBAL
Le mécanisme est le même partout,
mais chaque caisse fixe librement ses
conditions (types de biens acceptés, grille
de taux du crédit, montants maximal et
minimal du crédit). Techniquement,
l’objet est examiné sur place, et un asses-
seur détermine sa valeur sur le marché des
enchères publiques. « Nous pouvons prê-
ter un montant allant de 50 à 60 % de cette
reconduire le contrat pour la même période
en s’acquittant des seuls intérêts. Enfin, en
cas d’impossibilité de rembourser, il n’y
aura rien à payer, car le bien sera vendu aux
enchères (voir ci-dessous).
Le prêt sur gage est une solution par-
faite et peu coûteuse pour financer des
besoins de trésorerie de quelques mois, car
« il est possible de solder le crédit à tout
moment en remboursant le capital et les
intérêts calculés prorata temporis », ajoute
Fanny Kopf.

Le coin des connaisseurs

Les enchères, une mine de bonnes affaires

Parfois, certains
emprunteurs ne peuvent
pas rembourser leur crédit
ou ne veulent plus récupérer
un objet mis en gage.
Dans ce cas, il leur suffit
de prévenir le Crédit
municipal qui leur a accordé
le prêt. Ce dernier proposera
alors le bien aux enchères.
Les caisses réalisent
régulièrement des ventes
en direct dans leurs locaux,
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
et en ligne via le site
Internet Interencheres.com.
La plupart du temps,
ces ventes se font par thèmes
(arts de la table, mobilier,
bijoux, etc.), mais ce n’est pas
le cas dans toutes les villes.
Pour les emprunteurs, même
en cas de mise aux enchères,
le système de prêt sur gage a
un ultime avantage : si le prix
de vente de l’objet mis au clou
est supérieur à la somme
due au Crédit municipal, envie d’agrandir une
le bénéfice leur est alors collection, vous adorez
intégralement reversé. chiner des objets précieux,
En revanche, « si la vente du mobilier vintage
rapporte moins que la dette, ou vous êtes en quête
la perte est assumée de bijoux originaux, vous avez
en totalité par notre tout intérêt à suivre
établissement », confie ces ventes. Car, outre le choix
Fanny Kopf, du Crédit qu’elles proposent, les frais
municipal de Paris. d’acquisition sont peu élevés :
Si vous ne cherchez pas ils oscillent autour
de solution de financement, de 15 % (TTC) selon les caisses
mais que vous avez plutôt des crédits municipaux. M. P.
ZINIO

JEUX 81
PAR SPORT CÉRÉBRAL®

Mots croisés Sudoku

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

1 1 4 5 8 6
2 2
6 5 1
3 3

4 4 1
5 5
3 6
6 6

7 7 9 3 8
8 8
5 1 8 9 2
9 9

10 10 7 5
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
2 1 4
Horizontalement 7 1 4
1. N'insultent personne s'ils sont grossiers. 2. Il n'est pas près
d'ouvrir les mains ! Prend l'avion ou le bateau. 3. Maréchal
passé par les armes. Prépare des cornichons. 4. Bien ré- Remplissez la grille avec des chiffres de 1 à 9 afin que,
dans chaque ligne, chaque colonne et chaque bloc de 3
glées. 5. Son indice n'est pas suivi en Bourse. Elles sont tou-
cases par 3, il y ait tous les chiffres de 1 à 9.
jours bonnes à prendre. 6. Un art qui nous est étranger. Lieu
où discuter le coût. Se lançait en étant d'attaque. 7. Mimi
Tectonic
pinçon. Passe au peigne fin. 8. Ville connue pour ses em- 1 Complétez la grille avec
bouteillages. Coupe appréciée des tifosis ? 9. Philippe puis
les chiffres manquants
Charles. Est naturel au printemps. Dans la tente. 10. Dans dans chaque zone
les bras d'une bergère ? La noblesse en fit fi. 2 entourée de gras,
sachant que :

Verticalement 4 - Une zone de deux cases

contient les chiffres 1
1. Rumeurs de satisfaction. Activité de pionnier. 2. Un peu 5 et 2, une zone de trois
de champ. Elèves dans du coton. 3. Le chouchou de la maî- cases les chiffres 1, 2 et
tresse  ? Bouts fins de bobines. 4. Chef d'inculpation. Il s'em- 5 3, etc.
ploie à supprimer des inégalités. 5. Qui sont loin d'être cou- - Un chiffre placé dans
lantes. 6. Chanta à Woodstock. Dispensait de timbrer. 7. Avis
4 une case ne peut
se retrouver dans
aux amateurs. Politique autrichien. 8. Couche au sol. Connut 4 aucune des cases qui
le pis. 9. Fut à la manœuvre. Heureusement mis en bière. l’entourent (y compris
10. On leur prête une oreille distraite. 11. Fin juillet. Être dans 3 2 en diagonale).
les transports. 12. En région Normandie. Courant à Paname.
5

O B S E R V A T O I R E 159 487 632 1 3 4 2 4

S A U V E E A R G O N 5 2 1 3 1
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L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021

ZINIO
82
Christophe Donner
Un milliard
de sneakers
a découverte de l’Amérique ne nous a pas seulement
L apporté les tomates, les pommes de terre,
le chocolat, le tango et j’en passe, c’est aussi grâce
à cette initiative impérialiste que nous pouvons
aujourd’hui porter des sneakers, lesquels ne seraient rien
sans le caoutchouc, fabriqué à partir du latex récolté
sur les hévéas du Brésil, comme nous le rappelle
la trop courte mais édifiante exposition qui se tient
ces jours-ci au musée de l’Homme (il ne va pas s’appeler
comme ça encore très longtemps, profitez-en).
Dans cette exposition, on apprend qu’il se vend plus
d’un milliard de sneakers par an dans le monde. Un autre truc
qui m’a scotché : les Indiens d’Amazonie l’utilisaient déjà
le cahutchu pour fabriquer leurs chaussures ! Je savais qu’ils
jouaient au foot avec des boules de latex trois mille ans avant
Zlatan, mais le coup des chaussures en cahutchu, je l’ignorais.
C’était des sortes de tongs. On apprend aussi que Thomas s’est
fait étrangler par un ami qui voulait lui voler ses Air Jordan.
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ULTIMATUM
Il y a tellement de choses qu’il faut savoir sur le culte
des sneakers que cette petite expo n’y suffit pas. Elle n’est
en fait que l’introduction à l’expo d’à côté, Aux frontières
de l’humain, dans laquelle on trouve la confirmation
que l’invention des sneakers a constitué un immense progrès
pour l’humanité. On y raconte la saga de l’Homme réparé,
augmenté, amélioré, notamment par les prothèses
remplaçant des membres amputés, et aussi toute la
fantasmagorie science-fictionnelle des superhéros volants
et autres mutants de laboratoires ou d’exoplanètes. Fascinante
promenade dans le monde de l’exploit, à ceci près qu’il y a
tout de même un manque de taille, que je qualifierai même
de scandaleux : pas un mot sur la place du cheval dans
cette histoire de l’Homme augmenté. C’est pourtant le cheval
qui a permis à l’Homme d’aller plus vite que l’homme.
Or, dans cette expo, il y est question du chien, du chimpanzé,
du poulpe et de l’éléphant, mais on n’entend pas parler
de l’animal qui, aujourd’hui encore, sans réchauffer
la planète, sans exploiter des enfants de 6 ans dans les usines,
permet aux infortunés handicapés, même aux aveugles,
de connaître les joies de la vitesse supérieure, et d’aller, comme
les autres, au plus près du rêve primitif de notre espèce : voler.
ais revenons aux sketbas. J’ai longtemps lutté
M contre. Je les trouvais moches, molles,
publicitaires, avec cette arrogance
communautaire, les jeunes, le sport, les loisirs,
rien que l’expression consacrée « être bien dans ses baskets »,
ça vous a un je-ne-sais-quoi de commun, de malodorant,
de middle class, pour ne pas dire de vulgaire.
Certes, il m’arrivait de céder parfois au charme nostalgique
d’une paire de Converse. Ça durait le temps d’une
renarcissisation estivale, je les jetais sans regret.
J’ai eu aussi ma période Paul Smith, elles étaient noires,
ne ressemblaient pas à des chaussures de sport, et, surtout,
on ne voyait pratiquement pas le nom de la marque.
Parce qu’en fait c’était surtout ça qui m’horripilait : la virgule
Nike, les bandes Adidas, whatever, l’idée de marcher
en faisant de la pub pour quelque chose que j’avais déjà payé,
ça me filait des ampoules éthiques.
Et puis un jour, Dora m’a offert des Berluti, et ces souliers ont
changé ma vie au point que j’envisageais sérieusement de
ne plus jamais porter autre chose, et de me faire enterrer avec.
C’était il y a dix ans. Je les porte toujours, je les aime d’amour.
Et, pourtant, j’ai commencé à regarder ailleurs. Rue Réaumur,
j’ai aperçu à la vitrine d’un de ces magasins dans lesquels
je m’étais juré de ne jamais foutre les pieds une paire
de sneakers, mais vraiment pas comme les autres. Je dois
à la vérité de dire qu’elles m’ont plu, les coquines. Je suis entré,
je les ai essayées, achetées. Depuis, je ne suis plus le même.
C’est avec ces Nike Air au logo camouflé (inscrit noir sur fond
noir à l’arrière du talon) que je suis allé visiter l’expo
L. ACQUAVIVA
sur les sneakers, et celle d’à côté, aux frontières de l’humain. W
Christophe Donner, écrivain.
ZINIO

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IV Retraite PLACEMENTS
PERSPECTIVES
Les 5 règles d’or pour bien
préparer sa retraite
Votre future pension suffira-t-elle à maintenir
votre train de vie ? Voilà la marche à suivre
pour mettre toutes les chances de votre côté.
PAR MIREILLE WEINBERG
C
’est une injonction assez
habituelle : il faut épar-
gner pour sa retraite ! A
tout prix. Notre régime
par répartition ne suffi-
rait-il plus à subvenir à
nos besoins ? Les Français semblent de
plus en plus inquiets. Interrogés début
2020 par Kantar pour la Caisse des dépôts,
40 % des personnes encore en activité s’at-
tendent à ne pas avoir de retraite et ils sont
même 25 % à penser que le système n’exis-
tera plus… Ces chiffres sont beaucoup plus
élevés chez les jeunes de 25 à 34 ans, pour
atteindre respectivement 52 % et 42 % !
La confiance dans notre système est lar-
gement écornée. Va-t-il exploser en plein
vol ? Le déficit accusé en 2020 avec la crise
du Covid (13 ou 18 milliards d’euros, selon
la prise en compte ou non du transfert de
5 milliards d’euros du fonds de réserve)
va-t-il sonner le glas de notre retraite
publique ?
A priori, non, elle en a connu d’autres !
Pour contrer le vieillissement de la popu-
lation, la réforme Balladur de 1993 a modi-
fié le mode de revalorisation des pensions,
désormais indexées sur les prix et non plus
sur les salaires, ce qui est beaucoup moins
avantageux pour les bénéficiaires. La
population n’y a alors vu que du feu. Ce
simple changement a fait gagner des mil-
liards au régime et lui a évité sa faillite.
Depuis, il a fallu faire d’autres réformes
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
pour tenter de garder le cap, et la pro-
chaine, repoussée « à 2022 » selon
Emmanuel Macron dans son allocution du
9 novembre, suivra « des principes simples
: travailler plus longtemps en repoussant
l’âge légal ». Il fallait s’y attendre.
Dans son programme de stabilité
envoyé à Bruxelles en avril, le gouverne-
ment a fixé son objectif de croissance des
dépenses publiques à + 0,7 % à l’horizon
2025, sachant que les dépenses de retraite
sous-jacentes progressent, elles, chaque
année de… 1,5 %, soit le double ! Quand on
sait que celles-ci représentent 25 % des
dépenses publiques, le calcul est vite fait.
« Si le gouvernement veut tenir son
— P. IV. Les 5 règles l’or pour bien
préparer sa retraite
— P. VIII. Stéphane Bonnet : « Comment
évaluer vos futurs droits ?»
— P. X. Choisir le bon Plan épargne retraite
— P. XII. Une gestion financière
qui se veut performante
— P. XVI Un PER tout vert ? Pas si simple
— P. XVIII. Gérer son épargne retraite
entreprise
— P. XX. Investir en Bourse à 30, 50 ou 65 ans
— P. XXII. Se constituer
un portefeuille de SCPI
— P. XXIV. SCPI : faire le tri avant la retraite
— P. XXVI Investir dans la pierre sans surtaxe
— P. XXIII. 3 placements atypiques
— P. XXX. L’heure des défis patrimoniaux
Pourquoi il faut épargner pour
La pension brute moyenne
selon le statut
En euros, par mois, pour une carrière complète
dans les régimes de retraite français, à fin 2019
Ensemble Femme Homme
SOURCE : RAPPORT DU CONSEIL D’ORIENTATION
DES RETRAITES, JUIN 2021.
objectif, il doit faire des économies sur les
retraites, il ne faut pas aller chercher plus
loin », expliquait, en juin, Pierre-Louis
Bras, le président du Conseil d’orientation
des retraites (COR). Arithmétique.
Vos pensions vont-elles encore bais-
ser ? Actuellement, le taux de remplace-
ment – qui correspond à ce que vous allez
toucher par rapport à votre dernier salaire
net – baisse déjà au fil des générations (voir
l’infographie). La retraite d’un non-cadre,
qui représentait 80 % du dernier salaire net
pour quelqu’un né en 1940, n’est plus que
de 72 % pour celui qui cesse son activité
aujourd’hui et sera demain encore plus
basse, à 62 % voire à 66 % selon les généra-
tions, d’après les projections du COR. Il pro-
jette chaque année, comme l’exige la loi, le
taux de remplacement pour un non-cadre
et un fonctionnaire de catégorie B (voir l’in-
fographie). Quid pour les autres et notam-
ment pour les cadres ? « Il est beaucoup
plus faible », précise Pierre-Louis Bras. De
combien ? La statistique publique n’existe
pas ou n’est pas publiée. Pour un cadre âgé
de 50 ans et qui terminerait sa carrière à
ZINIO
Retraite PLACEMENTS
sa retraite : la réponse en chiffres
Quelle part de votre ancien salaire percevrez-vous,
si vous partez à la retraite en 2021 ?
Pour une personne qui part à la retraite en 2021 à l’âge légal de 62 ans ou plus tard, en %
Et pour ceux qui partiront à la retraite
au cours des cinquante prochaines années ?
Le Conseil d’orientation des retraites ne projette le taux de remplacement (ce que représente
la pension nette par rapport au dernier salaire net), que pour deux catégories de personnes :
un salarié non-cadre et un fonctionnaire de catégorie B. Les taux de remplacement varient selon
les hypothèses économiques d’où les fourchettes dans certaines cases.
71,5 %
Né en 1960
67,9 % à 69,5 %
Né en 1970
63,7 % à 68,1 %
Né en 1980
61,9 % à 67,2 %
Né en 1990
Né en 2000 61,4 % à 66,7 %
1. AVEC UN MONTANT DE PRIMES CROISSANT, CE QUI EST L’HYPOTHÈSE RETENUE PAR BERCY.
5 000 euros bruts par mois, le taux de rem-
placement serait de 73 % en 2036, selon un
calcul réalisé par l’Agirc-Arrco pour
L’Express. Un cadre supérieur, avec un
salaire de fin de carrière de 12 000 euros
bruts par mois, tomberait en revanche à
57 %. Attention : dans les deux cas, le sala-
rié travaille jusqu’à 65 ans pour avoir tous
ses trimestres et sa retraite à taux plein !
La plupart des Français, et les cadres
en particulier, vont donc perdre en pou-
voir d’achat à la retraite. La possible
réforme ne va pas forcément accentuer le
trait. Un recul de l’âge de départ permet-
trait de maintenir les taux de remplace-
ment projetés. En tout état de cause, ceux
qui veulent maintenir leur train de vie
doivent bel et bien se constituer une
épargne personnelle. Voici les cinq règles
à respecter pour s’en sortir haut la main.
Règle n° 1
Commencer à épargner tôt
Vous êtes jeune et votre préoccupation est
avant tout d’acquérir votre résidence prin-
cipale ? Ce n’est pas incompatible avec la
64 %
60,4 % à 61,4 %
55 % à 58,2 %
55 % à 58,2 %
L’EXPRESS
54,8 % à 58 %
préparation de votre retraite. « C’est même
la première chose à faire », commente
Christine Valence, ingénieur patrimonial
à BNP Paribas Banque Privée. Les prix de
l’immobilier sont élevés, mais avec la
demande très soutenue de logements, c’est
une tendance de fond, qui n’est pas près de
s’infléchir. Et emprunter, alors que les taux
sont historiquement bas, représente une
vraie opportunité. « Si vous achetez tôt,
cela vous permettra d’être pleinement pro-
priétaire au moment de la retraite, avec un
crédit entièrement remboursé. Une bonne
opération, quand on sait qu’un loyer repré-
sente en moyenne 40 % du montant d’une
pension », précise Maxime Lartigou,
conseiller chez Novalia Patrimoine.
Mais que cela ne vous empêche pas de
faire vos premiers placements financiers,
même avec quelques dizaines d’euros par
mois. « En la matière, le temps est votre
meilleur allié », poursuit Maxime Lartigou.
Imaginez que vous ayez investi 100 euros
par mois sur un ETF MSCI Euro, un produit
en actions européennes très peu chargé en
frais. « Sur celui d’Amundi par exemple,
V
créé en février 2012, vous auriez accumulé
21 500 euros en juillet 2021, pour une mise
de 11 400 euros seulement, soit un rende-
ment total de 88 % sur un peu plus de dix
ans », explique l’économiste Marc Touati,
dans une étude pour Trade Republic.
Règle n° 2
Se protéger contre l’inflation
« Il faut faire en sorte que votre patrimoine
évolue à la hausse, afin de vous protéger de
l’inflation. Pour cela, vous devez opter
pour des classes d’actifs telles que l’immo-
bilier ou les actions, et éviter les obligations
ou les fonds en euros des assurances-vie »,
indique Thierry Chouvelon, directeur de
l’ingénierie patrimoniale chez UBS France.
En clair, il faut privilégier des actifs dits
réels qui évoluent comme l’inflation, pour
éviter que votre effort d’épargne ne soit
réduit à néant. « La bonne répartition ?
25 % à 30 % du patrimoine consacré à l’ac-
quisition de la résidence principale, 20 %
à 30 % à l’immobilier locatif et le reste en
actifs financiers », confirme Jean-François
Lucq, directeur de l’ingénierie patrimo-
niale chez Banque Richelieu.
Règle n° 3
Structurer sa part
d’immobilier locatif
Le bien acheté en vue de le mettre en loca-
tion peut l’être à crédit, « ce qui permet à
ceux qui n’ont pas suffisamment d’argent
à placer de se constituer malgré tout un
patrimoine. Le loyer du locataire permet-
tra de rembourser l’emprunt, ce qui réduira
totalement ou considérablement l’effort
d’épargne », décrit Maxime Lartigou. Mais
attention cependant, « l’immobilier peut
être source d’importantes dépenses d’en-
tretien et de lourdes charges fiscales », pré-
vient Thierry Chouvelon. Une fois le cré-
dit remboursé, vos revenus fonciers seront
pleinement soumis « à l’impôt sur le
revenu dans votre tranche d’imposition
– soit pour les plus fortunés, à 41 % ou
45 % –, mais aussi aux prélèvements
sociaux de 17,2 % et également à l’impôt sur
la fortune immobilière, si vous êtes éli-
gible », détaille Jean-François Lucq.
A étudier de près donc, avant de s’en-
gager, « puisqu’il faut veiller à avoir les
charges les moins élevées possibles au
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
ZINIO

VI Retraite PLACEMENTS

moment de la retraite, l’impôt faisant par- Les actions et le Private Equity devraient afficher
tie intégrante de l’équation », rappelle la meilleure rentabilité à long terme
Christine Valence. D’où l’intérêt des for- Prévisions des performances annualisées
pour les dix années à venir (2021-2030)
mules moins taxées, comme l’immobilier
en meublé (dans un premier temps, vous
déduisez vos intérêts d’emprunt de vos
recettes taxables, puis quand le crédit est
remboursé, vous utilisez vos amortisse-
ments non consommés en déduction, ce
qui permet dans les deux cas de payer pas
ou peu d’impôts et pour une période
longue). Pour ceux que le meublé ne tente
pas, il peut, dans certaines situations, être
intéressant de « loger votre immobilier
locatif dans une société civile immobilière
soumise à l’impôt sur les sociétés », pour-
suit Christine Valence (voir page XXVI).

Règle n° 4
Choisir la bonne combinaison
de produits financiers (1) MSCI World ; (2) Bloomberg Barclays Global Treasuries ou FTSE World Government Bonds ; (3) Barclays Pan Euro IG AG

En ce qui concerne vos actifs financiers, et
toujours pour les mêmes raisons, il faut les
placer dans des produits à fiscalité douce.
N’hésitez pas à utiliser les enveloppes de
capitalisation comme l’assurance-vie par
exemple : les gains qui y sont réalisés ne
sont pas taxés annuellement, mais unique-
ment au moment de vos retraits. Elle est
complémentaire au produit vedette du
moment, le plan d’épargne retraite (PER).
Attention cependant, le PER est beaucoup
moins liquide et vous ne pourrez pas tou-
cher à votre épargne avant votre départ à
la retraite, sauf accidents de la vie (décès
du conjoint, chômage, etc.) ou, et c’est
nouveau, achat de votre résidence princi-
pale. A privilégier pour l’épargne dont vous
n’avez vraiment pas besoin.
Le PER a aussi des vertus défiscali-
santes qui permettent de déduire vos ver-
sements de votre revenu imposable, ce qui
n’est pas possible avec l’assurance-vie. « Il
faut profiter de cet avantage et y verser tout
ce qui est possible, jusqu’à la limite du pla-
fond annuel, défini dans votre avis d’im-
position, si vous n’avez pas besoin de cet
argent, bien sûr. A défaut et pour le reste, il
faut opter pour l’assurance-vie et sa liqui-
dité, voire pour le plan d’épargne en actions
(PEA) pour sa fiscalité également très
attractive, tous vos gains étant exonérés
d’impôt au-delà de cinq ans de détention »,
résume Maxime Lartigou.
ou S&P Eurozone Investment Grade Corporate Bond Index ; (4) Barclays Pan euro HY Agg ou ICE BofA Euro High Yield
Index ; (5) Cambridge Associates LBO ex-US ; (6) HFRU Composite ou HFRI HF Index.
SOURCE : SOCIÉTÉS
Règle n° 5
Investir en actions,
cotées ou non
Reste à savoir ce que l’on met dans ces pro-
duits d’épargne. La question fait l’objet
d’un très large consensus : plus on est loin
de l’âge de la retraite, plus il faut utiliser
les actions – voire le private equity, pour
les personnes les plus fortunées. « Quand
on a au moins huit à dix ans devant soi, les
actions sont les seules capables de faire
fructifier votre capital. Un horizon de pla-
cement lointain vous permet aussi de
faire face plus sereinement aux grosses
tempêtes boursières. Suite à la faillite de
la banque Lehman Brothers en 2008 par
exemple, il a fallu six ans aux titres euro-
péens avant de retrouver leur niveau
d’avant la crise », fait valoir Jean-Patrick
Mousset, allocataire d’actifs à la Banque
Transatlantique. Les prévisions de rende-
ments des différentes classes d’actifs pour
les dix ans à venir (voir tableau ci-dessus)
vont dans ce sens : les rendements annua-
lisés ressortent de 3,7 % à 7 % pour les
actions internationales, contre de 0 % à
1,4 % pour les obligations d’entreprise de
bonne qualité !
Mais comment faire pour encourager
les Français à investir en actions, alors que
les marchés n’ont jamais été aussi hauts ?
L’EXPRESS
Ne leur a-t-on pas appris qu’il fallait entrer
sur des marchés baissiers pour gagner de
l’argent ? « C’est vrai, mais entrer au plus
bas et sortir au plus haut, ce n’est pas inves-
tir, c’est spéculer. Même les meilleurs
gérants du monde n’y parviennent pas sur
la durée », rappelle Matthias Baccino,
directeur France de Trade Republic.
La solution est simple : il faut placer
un peu, régulièrement et sur une longue
période. Avec une Bourse à son sommet,
les risques de corrections sont réels, « mais
elles seront passagères, parce qu’à long
terme, les marchés actions sont toujours
favorables », souligne Marc Touati. Par
ailleurs, avec un investissement régulier,
l’épargnant pourra profiter des baisses
pour acheter des actions à meilleur tarif.
« 100 euros placés tous les mois depuis l’an
2000 sur le CAC 40 (les 40 plus grosses
entreprises françaises), dividendes réin-
vestis, auraient permis d’accumuler un
capital de 57 761 euros », calcule l’expert.
Pensez-y si vous faites vos placements
seul. Sinon, le législateur a tout prévu,
notamment avec le nouveau PER, où il
oblige les épargnants qui sont loin de l’âge
de la retraite à accepter une part de place-
ments risqués en actions, en vue, bien évi-
demment, d’obtenir une meilleure perfor-
mance (voir page XX). W

L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021

 Et si votre épargne retraite
devenait aussi
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PIONNIÈRE DE L’ÉPARGNE RETRAITE RESPONSABLE, AGIPI PROPOSE
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AGIPI est une association d’assurés pour l’épargne, la retraite, l’assurance emprunteur, la prévoyance et la
santé, partenaire d’AXA. Elle propose des solutions répondant aux besoins essentiels de la vie : protection de la
famille, de l’activité professionnelle, du patrimoine et de la retraite. AGIPI compte 618 369 adhérents et ses contrats
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ZINIO
VIII Retraite PLACEMENTS
Interview
Stéphane Bonnet :
Comment évaluer vos futurs droits ?
A 55 ans, vous recevez une estimation de votre pension à venir.
Une référence fiable ? Le directeur de l’Union retraite nous répond.
L ’Union retraite réunit tous les orga-
nismes de retraite obligatoire de base
et complémentaire. Elle est chargée de
rendre le système de retraite – composé de
42 régimes – plus simple pour les usagers.
Une sorte de guichet unique où vous trou-
verez, quelles que soient vos différentes
caisses de retraite, une information conso-
lidée. Son directeur, Stéphane Bonnet, a
répondu à nos questions.
En matière de retraite, quels types de
documents d’information reçoivent
automatiquement les Français ?
Stépha ne Bonnet
Leur relevé de carrière
et leur estimation
retraite leur sont auto-
matiquement envoyés,
GIP UNION RETRAITE
soit par courrier soit
par mail. Cela concerne
les salariés et les fonc-
tionnaires comme les
indépendants. Nous envoyons 6 millions
de documents de la sorte chaque année.
Quand reçoivent-ils leur relevé de
carrière ?
Le relevé de carrière est un listing chrono-
logique de la vie active de la personne : il
recense ses différents employeurs, la
période passée chez chacun d’eux, le
salaire qu’elle a perçu ainsi que toutes les
périodes assimilées comme les arrêts
maladie ou le chômage. Il fait aussi la
synthèse de tous les trimestres et points
enregistrés. Il est envoyé automatique-
ment à 35 ans et ensuite tous les cinq ans.
On peut aussi le consulter, à tout moment
et quel que soit son âge, sur le site Info-
retraite.fr, sur son compte personnel. Sur
le Web, nous pouvons aller plus loin que
sur le formulaire papier, avec des codes
couleurs pour attirer l’attention, quand
il y a des périodes manquantes ou des
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
INSTA-PHOTOS/GETTY IMAGES/ISTOCK PHOTO
incohérences. Il faut vérifier ce document
avec le plus grand soin et demander aux
caisses de retraite de modifier les erreurs,
les manques ou les oublis.
A partir de quel âge est envoyée l’esti- A moins de dix ans du départ
mation de la future pension ? à la retraite, la précision s’affine.
A partir de 55 ans et tous les cinq ans jusqu’à
65 ans. L’estimation est faite à plusieurs Quand ce problème sera-t-il corrigé ?
âges de départ : à l’âge légal, mais aussi Nous y travaillons. A partir d’avril 2022,
pour les années qui suivent et jusqu’à nous allons ouvrir un service en ligne, sur
67 ans. A compter de novembre, vous aurez Info-retraite.fr et certains sites de régime
également accès à ce document en ligne, spécifique, où chacun pourra déclarer ses
mis à jour annuellement, sur le site Info- enfants, avec son livret de famille. Cela per-
retraite.fr. Cette donnée émane de chacun mettra de délivrer une information plus
des régimes concernés et le calcul est réa- précise et qui sera conservée. Par ailleurs,
lisé selon les règles applicables à chacun pour les enfants à naître, nous travaillons
d’eux. Aucun acteur privé ne peut avoir avec l’Insee pour que la donnée soit direc-
ce niveau de détail et de qualité. A moins tement alimentée dans le compte retraite
de dix ans du départ à la retraite, l’estima- de chacun, à l’horizon 2023 ou 2024.
tion commence vraiment à être précise
et elle l’est encore davantage quand on Les simulations sur Info-retraite.fr
s’approche de l’échéance. sont-elles fiables ?
Elles le sont autant que possible ! Quelle
Dans quels cas l’estimation de la pen- sera l’évolution des salaires ou des vies pro-
sion peut-elle être fausse ? fessionnelle, les potentiels changements
Elle est sous-estimée pour tous les parents des règles des retraites, etc. ? Personne ne
de trois enfants et plus, parce que les peut sérieusement projeter des choses à
régimes de retraite ne connaissent pas le vingt ou trente ans ; au mieux, et c’est déjà
nombre d’enfants de leurs affiliés. Or, à important, vous bénéficiez d’un ordre de
partir du troisième enfant, la retraite de grandeur à cet horizon. C’est à l’assuré de
chacun des parents est majorée de 10 %. projeter sa carrière future, en précisant
Ces 10 % (20 % pour un couple) ne sont s’il voit ses salaires stagner, augmenter
donc pas pris en compte. Par ailleurs, pour ou baisser. Mais c’est également un service
les femmes, il y a une deuxième inexacti- très pratique, qui permet par exemple de
tude : l’âge auquel elles auront tous leurs vérifier les conséquences sur la pension
trimestres pour partir à la retraite à taux de retraite d’une année de congé sabba-
plein (sans décote). Toujours pour la même tique, du passage d’un statut de salarié à
raison : les régimes ne savent pas combien celui d’indépendant ou d’un passage à
elles ont eu d’enfants. Or, par exemple, une temps partiel. En revanche, sur le simula-
salariée du privé reçoit huit trimestres par teur, les enfants sont pris en compte car
enfant, ce qui peut changer sensiblement c’est une information qui doit être systé-
la donne ! Les éléments relatifs à ces diffé- matiquement complétée. W
rentes situations sont usuellement recueil- PROPOS RECUEILLIS
lis au moment du départ à la retraite. PAR MIREILLE WEINBERG
ZINIO
X Retraite PLACEMENTS
Les critères qui font la différence
Choisir le bon Plan d’épargne retraite
Ce dispositif a vocation à vous accompagner tout au long de votre vie
active. Voici les points à passer en revue pour ne pas se tromper.
U n produit d’épargne retraite unique,
pour tous et pour toute la vie : voici
en substance l’esprit de la loi Pacte qui a
créé le Plan d’épargne retraite (PER) il y a
deux ans. Ce dernier remplace tous les
produits qui existaient jusqu’alors :
l’épargne retraite individuelle, celle
constituée dans le cadre de l’entreprise et
l’épargne salariale. Dans les faits, il existe
encore des offres conçues pour les entre-
prises et d’autres destinées aux particu-
liers. Ces dernières, appelées PER indivi-
duels (PERin ou PERi), remplacent les
anciens Perp (plans d’épargne retraite
populaire) et les contrats Madelin réser-
vés aux indépendants, lesquels ne sont
plus commercialisés. La plupart des orga-
nismes financiers ont revu ou mis à jour
leur offre. Comment faire votre choix dans
le flot des nouveaux PER ?
Avant de vous précipiter tête baissée,
vérifiez que le PER est adapté à votre situa-
tion. Car l’un de ses atouts, c’est la possi-
bilité de déduire les versements de ses
revenus imposables et ainsi de réaliser de
considérables économies d’impôt. « Le
premier élément à prendre en compte,
c’est sa situation fiscale, car si l’on n’est pas
imposé, le PER ne présente pas d’intérêt
particulier, souligne Guillaume Pierron,
directeur général adjoint en charge de la
vie individuelle de Groupama Gan Vie. Le
PER est adapté à partir d’un taux marginal
d’imposition de 30 %. » Autre considéra-
tion à garder à l’esprit : l’horizon de place-
ment long de ce dispositif dédié à la
retraite. Certes, il prévoit quelques cas de
déblocage anticipé pour faire face aux
coups durs et, nouveauté, pour l’acquisi-
tion de sa résidence principale. Mais, dans
ce dernier cas, l’avantage fiscal octroyé à
l’entrée est aussitôt repris. « A la sortie, les
versements cumulés sur le PER sont réin-
tégrés aux revenus et imposés au barème
progressif », précise Guillaume Pierron.
Ces précautions prises, il ne vous reste
plus qu’à vous plonger dans les arcanes des
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
produits commercialisés par les banques,
les assureurs, les courtiers ou les mutuelles
pour trouver chaussure à votre pied.
L’immense majorité des offres prend la
forme d’une assurance-vie multisupport,
à l’exception du contrat de la fintech
Yomoni, qui repose sur un compte-titres.
La question des frais est cruciale pour ce
type de produits de long terme. Le 20 juil-
let dernier, la présidente du Comité
consultatif du secteur financier (CCSF )
tirait la sonnette d’alarme. Dans un rap-
port au vitriol sur le sujet, elle expliquait
que les frais des PER individuels étaient
trop nombreux et trop lourds…
De quoi faut-il vous méfier ? Tout
d’abord, des frais sur versement, prélevés
chaque fois que vous déposez de l’argent
sur votre contrat. Ils datent d’un autre âge,
où l’épargne rapportait beaucoup plus, ce
qui permettait d’amortir ces frais rapide-
ment. Pourtant, certains réseaux affichent
toujours des frais contractuels à 5 %,
comme Aviva ou l’Agipi, alors que de nom-
breux distributeurs sont à 0 %. C’est le cas
des contrats Internet, mais pas seulement :
L’un des atouts est la
possibilité de déduire
les versements de ses
revenus imposables
la banque privée Gresham en a fait un
signe distinctif ; la mutuelle Macif pla-
fonne quant à elle ces frais à 1 %. Certains
réseaux expliquent qu’après discussion
commerciale ces taux contractuels sont
rarement prélevés. Soit, mais si vous négo-
ciez une ristourne auprès de votre conseil-
ler, assurez-vous qu’elle sera pérenne
dans le temps. Autre sujet, encore plus
important : les frais de gestion annuels du
contrat. Plus ils sont bas, mieux c’est !
Ils ne sont, eux, pas négociables, et ils
pèsent très lourd sur une longue période.
« Il y a un vrai sujet de partage de la valeur
quand, sur un profil dynamique, 50 % de
la performance part… en frais », estime
Sébastien d’Ornano, président de la fin-
tech Yomoni. Dans un PER, comme pour
une assurance-vie, vous réglez les frais du
contrat (à l’assureur) et des frais pour les
supports (à la société de gestion). Les pre-
miers se montent à 0,85 % en moyenne par
an, allant de 0,50 % (à la MACSF et chez
Boursorama) à 1 % (à l’Afer notamment).
A noter que le PER bancaire est moins oné-
reux : comptez 0,3 % chez Yomoni.
Les frais des supports d’investisse-
ment sont, eux, plus difficiles à identifier,
car ils sont pris sur les performances, qui
sont communiquées nettes de frais. Selon
le rapport de la présidente du CCSF, les
fonds actions prélèvent en moyenne 1,9 %
par an, dont une partie est reversée au
réseau de distribution. Quelques contrats
proposent une alternative en référençant
des parts clean share (chez My Pension),
moins chargées car sans rétrocession au
distributeur, ou bien des fonds indiciels
(chez Boursorama et Yomoni notam-
ment), peu onéreux car ils se bornent à
répliquer un indice de marché.
Si les frais sont importants, ils ne
doivent pas occulter les autres caractéris-
tiques du contrat, en particulier l’offre
financière. Les PER du marché proposent
par défaut une offre de gestion à horizon
retraite, prise en charge par l’assureur ou
par une société de gestion. Il est aussi pos-
sible d’opter pour une gestion libre (voir
page XVIII), où vous pourrez choisir vous-
même vos supports d’investissement.
Dans tous les cas, il est intéressant de se
renseigner sur les placements accessibles.
« Au-delà du nombre de supports, il faut
vérifier que l’offre permet une bonne
diversification en matière de classes d’ac-
tifs, de zones géographiques, de secteurs
d’activité », conseille Guillaume Pierron.
Les contrats haut de gamme, notam-
ment ceux distribués par les conseillers en
gestion de patrimoine, donnent souvent
accès à des produits plus sophistiqués.
« Pour des investisseurs de long terme, il
est intéressant d’avoir accès à du private
ZINIO

Retraite PLACEMENTS XI

20 plans d'épargne retraite au banc d'essai

Versement libre Frais sur Frais de Nbre profils Gestion Nombre
Distributeur initial minimum versement gestion en gestion sous d'UC en
Nom du PER (vers. program- maximum (fonds en pilotée mandat gestion Commentaires
més mensuels) euros / UC)1 à horizon libre
Afer Afer Modes de gestion combinables.
Retraite Individuelle Garantie plancher incluse. Arbitrages gratuits.

AG2R La Mondiale 4 arbitrages gratuits par an. Accès à 6 fonds dotés

Ambition Retraite Ind. du label ISR. Un autre contrat est dédié aux TNS.

Agipi FAR PER Vaste choix de fonds ISR. Arbitrages payants

(0,8 % max). Accès à un mandat ESG.

Allianz Vie 1 arbitrage gratuit par an en gestion libre.

Allianz PER Horizon 2 supports immobiliers. Accès à des services retraite.

Altaprofits.com Accès à des SCPI, des ETF et des titres vifs.

Titres@PER Pas de frais d'arbitrage. Garantie plancher incluse.

Assurancevie.com Accès à 2 SCI et 1 OPCI. Modes de gestion combinables.

Evolution PER Pas de frais d'arbitrage. Garantie plancher incluse.

AXA Ma Retraite Enrichissement en 2022 d'un FCPR et d'un fonds

euro-croissance. Arbitrages payants (1 % max).

BNP Paribas BNP Paribas Arbitrages payants en gestion libre (1 %).

Multiplacements PER Une version « Privilège » (banque privée) donne accès
à près de 600 supports.

Boursorama Banque Gestion retraite payante (0,27 % max), réalisée

Matla exclusivement en ETF iShares (BlackRock) labellisés
ISR. Pas de gestion libre.

Caisse d’épargne Garantie plancher incluse. Arbitrages vers le fonds

Millevie PER en euros payants. Existence d'un produit quasi-identique
dans les Banques populaires.

Crédit Agricole Arbitrages payants en gestion libre (0,5 %).

Perspective Frais de gestion réduits à partir de 20 000 euros.

Crédit mutuel-CIC Arbitrages payants (0,25 % vers les UC et 0,5 % vers

PER Assurance Retraite le fonds en euros). 2 supports immobilier et une large
offre ISR/solidaire.

Gestion à horizon retraite payante (0,5 % par an).

Generali Patrimoine Accès à des ETF, du Private Equity, des titres vifs,
Le PER Generali Patr. de l'immobilier...

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Arbitrages gratuits en ligne. Gamme d'UC riche.
Linxea Spirit PER
Gestion à horizon retraite comprenant de l'immobilier
et du Private Equity.

Arbitrages gratuits. Frais sur versement réduit à 0,6 %

MACSF RES Retraite en cas de versements programmés. 1 fonds de dette
privée.

Maif PER Responsable

Offre totalement orientée ISR, y compris le fonds en
et Solidaire
euros. Possibilité de ne pas désensibiliser. 1 arbitrage
gratuit par an.

Placement-direct.fr Arbitrages gratuits. Large choix d'ETF et de fonds ISR.

PER Placement-direct Outil d'aide à la sélection des fonds labellisés.

Gestion à horizon réalisée par La Financière

Primonial PrimoPER de l'Echiquier (incluant du coté et non coté).
Vaste choix de supports. Garantie plancher incluse.

Société générale Garantie plancher incluse. Arbitrages payants

PER Acacia en gestion libre. Pas de frais de rente.

SwissLife Garantie plancher incluse. 1 arbitrage gratuit

SwissLife PER Individuel
(1) Hors UC spécifiques telles que SCPI, ETF ou fonds euro-croissance. (2) A partir du 31/12/2021.
(3) 2 000 euros pour accéder à la gestion pilotée ou à la gestion pilotée horizon retraite.
(4) Fonds garanti à 98 %. (5) 0,6 % en cas de versements programmés. (6) 2,2 % en cas de versements
programmés.
ESG : environnment, social et gouvernance
ETF : exchange traded funds ou fonds indiciels cotés
FCPR : fonds commun de placement à risque (private equity)
L’EXPRESS
par an en gestion libre. Nombreuses SCPI et 1 FCPR.
Greenfin : label dédié à la transition énergétique et écologique
iShares : marque de la société de gestion BlackRock qui gère des ETF
ISR : investissement socialement responsable
OPCI : organisme de placement collectif immobilier (fonds immobilier)
SCI : société civile immobilière (fonds immobilier)
SCPI : société civile de placement immobilier (fonds immobilier)

Fonds euro-croissance : fonds en euro dont la garantie est à l'échéance d'un TNS : travailleurs non salarié
terme (de 8 à 30 ans) UC : unité de compte
SOURCE : L'EXPRESS

L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021

ZINIO
XII Retraite PLACEMENTS
equity (investissement au capital d’entre-
prises non cotées), des fonds d’infrastruc-
tures, des produits structurés et de l’im-
mobilier », recommande Georges Nemes,
président du groupe Patrimmofi.
L’architecture ouverte est aussi un vrai
plus : cela signifie que le contrat référence
des fonds de diverses sociétés de gestion,
ce qui permet de varier les styles et de
sélectionner les meilleures expertises.
Bon à savoir : quelques contrats assu-
rés par Generali donnent accès à des
actions en direct (My Pension xPER,
Titres@PER d’Altaprofits ou encore
Generali Patrimoine). Et le bon vieux
fonds en euros ? Il convient de vérifier qu’il
en existe bien un au sein de la gestion à
horizon retraite proposée – et sa qualité –,
car ce n’est pas systématique. Mais n’en
faites pas votre premier critère de choix,
car dans une optique de long terme vous
aurez vocation à investir une faible por-
tion de votre épargne sur cet actif garanti.
Vous ne devrez en revanche pas faire
l’impasse sur les modalités de sortie du
Le PER permet
de sortir en capital ou
en rente viagère, voire
de combiner les deux
contrat, une fois à la retraite. Contrairement
aux anciens dispositifs, le PER est d’une
grande souplesse, puisqu’il permet de sor-
tir en capital ou en rente viagère, voire de
combiner les deux. « Il faut un contrat avec
un maximum de flexibilité, car chaque tra-
jectoire est différente, et la situation peut
changer entre la souscription et la
retraite », recommande Christophe Olivier,
directeur général du courtier My Pension.
Autrement dit, ne faites pas une croix sur
la sortie en rente, même si le procédé ne
vous emballe pas sur le moment. Certains
contrats font de vrais efforts pour propo-
ser des options permettant d’atténuer les
défauts de la rente viagère : réversion plus
ou moins importante au conjoint survi-
vant, rente à paliers (le montant croît ou
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
décroît dans le temps), annuités garanties.
Cette dernière option permet de percevoir
le montant de sa rente pendant une durée
minimale fixée à l’avance (quinze ans par
exemple). En cas de décès, ce sont les béné-
ficiaires qui la toucheront. Mais là encore
il faudra être attentif aux frais, car sur la
rente la facture peut être salée (jusqu’à 3 %).
Autre point d’attention : la souplesse
de la sortie en capital. Vous devez pouvoir
la fractionner, pour éviter un retrait en une
fois qui pourrait vous faire passer dans une
tranche d’imposition supérieure à la vôtre.
Et ce fractionnement doit être, idéale-
ment, illimité dans le temps, afin de vous
permettre de piocher dans votre contrat
quand bon vous semble.
Au-delà de ces points cruciaux, jetez
un œil aux options de prévoyance.
Certains contrats intègrent une garantie
plancher en cas de décès, incluse dans
les frais de gestion, quand d’autres
demandent un supplément. Cette garan-
tie assure à vos bénéficiaires de percevoir
au moins le montant des primes versées
en cas de décès si à ce moment-là votre
contrat est en situation de moins-value. Si
vous êtes un travailleur non salarié, soyez
aussi attentif à l’option « exonération des
cotisations en cas d’arrêt de travail », grâce
à laquelle l’assureur prend en charge
les versements programmés pour la
retraite, après un délai de franchise, en cas
d’arrêt de travail.
Dernier sujet d’attention et non des
moindres : la facilité à suivre votre contrat
dans le temps. Cela passe par deux élé-
ments : la capacité d’effectuer des opéra-
tions de gestion en ligne (versements, arbi-
trages, changement de mode de gestion…)
et la facilité d’accès à un conseiller de qua-
lité. Avant de souscrire, n’hésitez pas à
prendre rendez-vous pour poser vos ques-
tions et vous faire un avis sur la pertinence
des réponses reçues. Certains réseaux pro-
posent en outre une palette de services
dédiés à la retraite (entretiens, coaching…)
qui peuvent s’avérer pertinents à l’ap-
proche de l’échéance. Et si le produit se
révèle décevant dans le temps, pas de
panique : le PER est transférable, et les frais
de transfert sont plafonnés à 1 % si l’adhé-
sion a moins de cinq ans, gratuits par la
suite. Profitez-en ! W AURÉLIE FARDEAU
Long terme
Une gestion
financière qui se
veut performante
Gestion libre, pilotée, à horizon,
sous mandat… Le Plan
d’épargne retraite offre
de multiples possibilités.
G érer son épargne dans la perspective
de la retraite, c’est bien souvent avoir
de longues années devant soi. Autant de
temps qu’il faut mettre à profit pour faire
fructifier ses capitaux. « La question n’est
pas de savoir s’il faut prendre du risque car
lorsqu’on a un horizon de placement long,
la probabilité de perdre de l’argent est
faible, souligne Christophe Fernandes,
directeur commercial au sein de la société
de gestion Fidelity International. En
revanche, il faut gérer la sortie pour éviter
un trou d’air en Bourse juste avant la
retraite. » Afin de vous aider dans cette
démarche, le législateur a prévu une ges-
tion « pilotée à horizon retraite », obliga-
toire par défaut, en l’absence d’autre choix
du souscripteur. Vous n’avez rien à faire,
vous choisissez une gestion prudente,
équilibrée ou dynamique et l’assureur
s’occupe de tout !
L’idée étant de prendre beaucoup de
risques – notamment sur des actions –,
lorsque l’échéance de la retraite est loin-
taine, puis à sécuriser progressivement vos
avoirs, quand on se rapproche de la date
de sortie prévue. Cette « désensibilisa-
tion » au risque, confiée à l’assureur, est
même strictement encadrée par un arrêté
ministériel : il prévoit la part des actifs qui
doit obligatoirement être placée sur des
supports pas trop risqués à l’approche de
la retraite et cela pour trois profils de ges-
tion (prudent, équilibré et dynamique).
Ainsi, pour un client ayant opté pour un
profil de risque équilibré par exemple, la
part des investissements faiblement ris-
qués devra être au moins égale à 20 % de
l’encours à partir de dix ans avant la date
de départ à la retraite, puis de 50 % à par-
tir de cinq ans avant cette date et enfin de
ZINIO
XIV Retraite PLACEMENTS
70 % minimum deux ans avant. Quelques
contrats vont plus loin que les trois profils
prévus par le texte, à l’image du spécialiste
de la retraite Eres, qui en met en avant 24,
dont 18 incluant de l’immobilier.
Rien n’interdit non plus aux orga-
nismes financiers d’être plus conserva-
teurs que la loi, et de placer une plus large
part de votre épargne sur les supports
sécurisés. « La loi Pacte prévoit une sécu-
risation qui nous paraît tardive, notam-
ment en cas de crise financière, où les
marchés peuvent mettre plusieurs années
à se reprendre, commente Guillaume
Rosenwald, directeur général de MACSF
Epargne Retraite. C’est pourquoi nous
avons choisi une approche plus précau-
tionneuse. » En effet, le profil équilibré de
la mutuelle comprend 40 % de fonds
en euros à trente ans de l’échéance,
contre 20 % à la Macif et même 0 % chez
Groupama.Attention aux supports d’in-
vestissements de repli, qui divergent selon
les contrats. « Certains sécurisent sur le
fonds en euros, et d’autres sur des unités
de compte non garanties et moins rému-
nératrices », alerte Mathieu Ramadier, res-
ponsable de l’offre assurance chez le cour-
tier Assurancevie.com. Generali privilégie
par exemple un fonds obligataire, quand
la Carac recourt à un fonds monétaire, aux
performances négatives dans le contexte
de taux actuel.
A l’intérieur de leurs grilles de gestion
à horizon, les assureurs mettent ce qu’ils
Que vaut la gestion à horizon ? Focus sur ses performances passées
L’EXPRESS
Données arrêtées à fin mai 2021, à partir des performances des fonds à horizon existant. Performances nettes de frais des fonds, mais pas
SOURCE : QUANTALYS des frais du contrat d'assurance-vie, variables d'un contrat à l'autre. Moyenne des allocations des fonds. Rendement annualisé sur 3 ans.
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
veulent, des fonds actions, obligations,
diversifiés, etc. Rares sont cependant ceux
qui proposent des supports immobiliers
ou du non coté, alors que ces classes d’ac-
tifs sont particulièrement légitimes dans
une optique retraite. Deux exceptions : la
compagnie Spirica, qui en a fait sa marque
de fabrique et qui assure les contrats
Linxea Spirit PER, Version Absolue
Retraite, Meilleurtaux Liberté PER, ainsi
que le groupe Primonial dans son contrat
PrimoPER. Résultat de ces différences
d’approches, les performances sont aussi
assez variables. Il faudra quelques années
pour en tirer des conclusions, car les
PER sont encore jeunes, mais pour
l’exercice 2020 les résultats s’échelonnent
de – 2,74 % (RES Retraite) à + 15,50 %
(Allianz retraite), pour un profil équilibré
doté d’un horizon de temps de quinze ans
– ce dernier ayant eu l’avantage d’être
lancé en cours d’année, évitant le gros du
creux boursier de février-mars 2020.
Si cette gestion à horizon présente
l’avantage de la simplicité, certains
conseillers regrettent sa rigidité. Les arbi-
trages sont réalisés de manière automa-
tique, une à deux fois par an à date fixe, et
tant pis si c’est un lendemain de krach
boursier ! « Sur longue période, le fait que
les arbitrages soient automatiques n’a pas
vraiment d’impact sur la performance »,
rassure cependant Guillaume Rosenwald.
Autre point négatif de la gestion pilo-
tée : si vous n’avez finalement pas besoin
de votre épargne à l’âge de sortie prévu,
vous vous retrouvez avec une épargne
totalement sécurisée sans raison (seuls la
Maif et Yomoni proposent, en complé-
ment, des profils au niveau de risque
constant, sans désensibilisation). « Une
fois que vous êtes à la retraite, les sommes
vont rester parquées sur une allocation
sécurisée, même si vous n’en avez pas
besoin pendant dix à quinze ans, indique
Mathieu Ramadier. Dans ce cas, il est
préférable de transférer votre épargne sur
de la gestion libre, afin de choisir vos
supports et de mettre en place une nou-
velle répartition plus conforme à vos
nouveaux objectifs. »
Pour les épargnants autonomes ou
bénéficiant de l’accompagnement d’un
conseiller, la gestion libre peut constituer
une solution plus adaptée, et ce pour
toute la durée de vie du contrat. Dans ce
cas là,il convient de renoncer expressé-
ment à la gestion pilotée par horizon. « La
gestion par grilles est un moindre mal,
mais c’est un moule qui ne correspond
pas forcément à tout le monde, et on peut
obtenir de meilleurs résultats en étant
bien accompagné », estime Georges
Nemes, président du groupe Patrimmofi.
En gestion libre, le choix des supports
s’avère plus large, avec notamment des
fonds immobiliers ou de private equity,
et il est possible de monitorer davantage
la sécurisation de votre épargne dans le
temps, en fonction des mouvements
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L’adhésion à ce contrat comporte un risque de perte en capital.

ZINIO
XVI Retraite PLACEMENTS
boursiers et de ses propres objectifs.
A noter que certains contrats (Afer
retraite individuelle, Evolution PER d’As-
surancevie.com...) permettent de pana-
cher les modes de gestion. Vous bénéfi-
ciez ainsi de la tranquillité de la gestion à
horizon sur une partie de votre épargne,
tout en ajoutant quelques supports en
gestion libre, notamment des produits
immobiliers.
Par ailleurs, certains contrats donnent
accès à des gammes de fonds à échéance.
Ils sont aisément reconnaissables car leur
nom contient la date de sortie à laquelle
ils correspondent : Fidelity Target 2030
ou 2040 par exemple, ou encore Aviva
Perspective 2031-2035, HSBC Horizon
2025-2027… Ils ressemblent à s’y
méprendre aux grilles de gestion à hori-
zon encadrées par les textes. « Dans les
grilles, la désensibilisation est méca-
nique, alors qu’avec ces fonds nous pou-
vons pratiquer une gestion active et plus
tactique, qui a tout son intérêt », plaide
Christophe Fernandes, de Fidelity
International. Accessibles en gestion
libre, ces fonds peuvent aisément être
couplés avec d’autres supports pour per-
sonnaliser l’allocation. Un point d’atten-
tion, toutefois : leurs avoirs ne peuvent
pas être sécurisés sur un fonds en euros.
C’est bien souvent des fonds monétaires
ou des fonds obligataires de court terme
qui servent de réceptacle. « D’ici quinze
ans, la différence de performance sera
négligeable », assure Christophe
Fernandes. En attendant, il est possible
de transférer son épargne vers le fonds
garanti en euros, une fois arrivé à ce stade.
Une dernière option est proposée par
quelques contrats : la gestion sous man-
dat, confiée à une société de gestion
(Rothschild & co AM ou Aviva Investors à
l’Afer, Lazard Frères Gestion, Tocqueville
Finance, Sycomore AM ou Invest AM chez
Generali Patrimoine…), qui va se charger
de piloter votre épargne. Elle est supposée
être plus réactive que la gestion à horizon
retraite. Elle présente cependant un
défaut : son coût. Il faut compter en
moyenne 0,5 % de frais de gestion supplé-
mentaire pour en bénéficier. Sur des
contrats déjà chargés, cela finit par peser
lourd ! W A. F.
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
Empreinte carbone
Un PER tout vert ? Pas si simple !
Epargner selon les critères de l’investissement socialement responsable
n’est pas toujours possible. Mais des offres se démarquent.
I nvestir de manière responsable, soli-
daire ou verte au sein de son épargne
retraite devrait être chose aisée en 2021.
Ce n’est pourtant pas si simple. Certes, la
plupart des contrats intègrent un ou plu-
sieurs fonds gérés selon des principes d’in-
vestissement socialement responsable
(ISR). « Les assureurs éliminent progres-
sivement de leurs gammes tous les sup-
ports qui ne sont pas des ISR », souligne
Mathieu Ramadier, directeur de l’offre
assurance chez Assurancevie.com.
Certains en font même un argument de
vente. Ag2R la Mondiale vante ses six sup-
ports dotés du label ISR (sur 18) au sein de
son PER Ambition retraite individuelle,
l’association Agipi affiche 40 unités de
compte labellisées, les réseaux du Crédit
mutuel et du CIC revendiquent pas moins
Un produit de la Maif
place de 5 à 10 %
de son actif dans des
entreprises solidaires
de 56 supports « sur les thématiques ISR,
développement durable, transition éner-
gétique, finance solidaire ». Le courtier
Placement-direct.fr a lui intégré un filtre
dans ses outils de souscription pour que
soient identifiables, parmi les 1 000 uni-
tés de compte de son contrat, celles qui dis-
posent d’un des labels ISR, Greenfin (vert),
Finansol (solidaire), Relance…
Mais ces produits sont accessibles en
gestion libre, alors que l’essentiel des
encours des PER se trouve sur la gestion
pilotée à horizon retraite, une gestion clefs
en main proposée par l’assureur. De ce
côté-là, l’offre verte est encore modeste.
Notons tout de même quelques initiatives
intéressantes. A commencer par la Maif,
qui propose un PER totalement respon-
sable. Les 14 unités de compte sont label-
lisées, le fonds en euros de la compagnie
lui-même détient le label Finansol conféré
aux placements solidaires. La gestion
pilotée est réalisée sur des supports de
même nature, tels que Maif Impact social
(d’OFI AM), un fonds d’actions euro-
péennes qui vise à la fois la performance
financière et un impact social, ou
Sycomore Sustainable Tech (de Sycomore
AM), qui investit dans les entreprises tech-
nologiques avec un filtre environnemen-
tal, social et de bonne gouvernance (ESG).
On trouve même un produit (Choix soli-
daire d’Ecofi investissements) qui place
de 5 à 10 % de son actif dans des entre-
prises solidaires. Même positionnement
à la Macif, via un PER comportant exclu-
sivement des unités de compte labellisées
et des grilles de gestion à horizon retraite
intégrant aussi des fonds responsables
(tous gérés par OFI). Le spécialiste de
l’épargne retraite Eres propose lui
12 grilles ISR sur ses 24 profils accessibles
en gestion pilotée.
Dernier venu, le contrat Matla de la
banque en ligne Boursorama fait un choix
radical : la seule option de gestion du
contrat est une gestion pilotée ISR ! Cette
dernière est réalisée avec des ETF (fonds
indiciels) tous détenteurs du label ISR.
Enfin, l’Agipi a mis en place une gestion
pilotée de thématique ESG. Cette dernière
« privilégie, en plus des critères ESG déjà
intégrés dans le choix des supports, l’in-
vestissement dans les secteurs durables
tels que l’environnement, la transition
énergétique ou la santé et longévité », pré-
cise l’association. De nombreux assureurs
et distributeurs travaillent à renforcer leur
offre en la matière. « C’est le sens de l’his-
toire : d’ici à quelques années, nous n’au-
rons plus que des profils ISR », affirme
Guillaume Pierron, directeur général
adjoint chargé de la vie individuelle chez
Groupama GAN Vie. W A. F.
ZINIO
XVIII Retraite PLACEMENTS
Rémunération différée
Gérer son épargne d’entreprise
Transférer, verser, profiter de l’abondement : plusieurs options
permettent de piloter au mieux ce type d’épargne.
L ’épargne retraite passe aussi par l’en-
treprise. De nombreux employeurs
mettent à disposition de leurs salariés des
produits pour épargner dans cette pers-
pective. C’est le cas du plan d’épargne
retraite collectif (Perco) détenu par
11,2 millions de titulaires, selon l’Associa-
tion française de la gestion financière
(AFG), et du dispositif dit article 83 du
Code général des impôts. Ce contrat à
adhésion obligatoire pèse près du tiers des
encours d’épargne retraite en France
(74 milliards), selon la Direction de la
recherche, des études, de l’évaluation et
des statistiques (Drees) des ministères
sociaux. Avec l’arrivée du plan d’épargne
retraite (PER), ces produits ne sont plus
commercialisés mais d’importants mon-
tants continuent à être stockés dedans.
« L’un des objectifs de la loi Pacte, c’est
la portabilité de l’épargne, rappelle
Guillaume Meyer, directeur épargne et
retraite d’entreprises chez Groupama Gan
Vie. La logique du PER, c’est de tout
transférer sur une enveloppe unique. »
Rassembler toute son épargne au sein du
même contrat présente en effet plusieurs
avantages. D’abord, cela évite d’oublier
des petites sommes dormantes sur d’an-
ciens contrats disséminés à droite et à
gauche. Ensuite, cela permet d’avoir une
meilleure vision de ses avoirs et, ainsi, de
mieux les investir. Sans compter que les
vieux contrats sont généralement plus
chargés en frais et dotés d’une offre fin-
ancière de moindre qualité. Certains
contrats d’entreprise sont encore à sup-
port unique, investis sur le seul fonds
garantis en euros !
Que faire si vous êtes titulaire d’un
produit d’épargne salariale pour la
retraite, un Perco ? En pratique, vous n’au-
rez pas le choix. Un bon nombre d’orga-
nismes financiers ont transformé leurs
anciens dispositifs en PER. « Nous avons
basculé tous nos Perco interentreprises
en PER au 1er janvier 2020 », témoigne
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
Guillaume Meyer. De toute façon, tant que
vous êtes en poste, vous ne pouvez pas
faire grand-chose, et surtout pas transfé-
rer votre contrat. Vous pourrez le faire
quand vous aurez quitté l’entreprise en
question. « Si vous avez accès à un PER
collectif chez votre nouvel employeur,
vous avez intérêt à y transférer vos anciens
dispositifs Perco, car c’est vous qui en
payez les frais de tenue de compte (de 20 €
à 50 € par an) lorsque vous ne faites plus
partie de l’entreprise », souligne le spécia-
liste. Si votre employeur actuel n’en pro-
pose pas, il est possible de transférer vos
sommes sur votre PER individuel.
C’est un peu plus complexe pour les
anciens « article 83 » (dispositif de retraite
obligatoire dans l’entreprise). « Certains
vieux contrats bénéficient de garanties de
taux de revalorisation de la rente et de
table de mortalité, qui permettent d’obte-
nir un niveau de revenus plus élevé à la
sortie », mentionne Benjamin Sanson,
responsable conseil épargne retraite et
« Les salariés accèdent
à des parts de fonds
moins chargés
et à un meilleur suivi »
épargne salariale chez Mercer France.
Le point doit donc être étudié avec soin
avant toute prise de décision. Un autre
argument plaide pour la conservation de
plusieurs « petits » contrats. Les « article
83 » sont des produits dont on sort exclu-
sivement en rente viagère et le transfert
au sein d’un PER n’y changera rien (c’est
le seul cas où, même avec le nouveau PER,
la sortie se fait obligatoirement en rente).
Mais en deçà d’un montant minimum de
rente, les assureurs ont la possibilité d’y
renoncer et de verser l’intégralité du capi-
tal en une seule fois. Ce qui peut être avan-
tageux. Auparavant fixé à 40 €, ce mon-
tant plancher a été revu à la hausse.
« Depuis le 1er juillet 2021, si le montant de
la rente est inférieur à 100 € par mois, l’as-
sureur verse la somme sous la forme d’un
capital, indique Guillaume Meyer. Cela
représente un capital constitué d’environ
25 000 à 30 000 €, ce qui n’est pas négli-
geable. Avec cette nouvelle règle, nous
estimons que deux tiers des assurés sorti-
ront sous la forme d’un capital. » Vous
n’échapperez pas cependant aux tracas-
series administratives, puisqu’il faudra
monter tout un dossier pour chaque
contrat à la sortie…
Voilà pour les anciens dispositifs. Quid
si votre entreprise a mis en place un nou-
veau PER ? Comme pour les produits indi-
viduels, vous avez la possibilité d’y réali-
ser des versements volontaires, lesquels
sont déductibles de vos revenus impo-
sables. « C’est très avantageux quand l’en-
treprise prévoit en plus un abondement,
à savoir un versement complémentaire de
l’employeur, proportionnel au vôtre (le
montant de l’abondement est défini
d’avance), préconise Aymeric Champeil,
président de My Pension. Il faut néan-
moins bien en étudier les conditions
d’octroi. » En effet, il est parfois réservé au
versement de la participation et de l’inté-
ressement ou de jours de congé. Autre
argument en faveur du PER d’entreprise :
ses frais.
« Globalement, les modèles collectifs
restent moins chers et plus performants
car les entreprises négocient les tarifs,
signale Benjamin Sanson. Les salariés
accèdent ainsi à des parts de fonds moins
chargés et à un suivi de meilleure qualité,
ce qui limite les risques de fonds qui
décrochent. » Car la qualité de l’offre finan-
cière est bien sûr à contrôler.
Reste un point à connaître pour faire
son choix : la forme juridique du PER.
Alors que la plupart des PER individuels
ont le format d’une assurance-vie, « les
PER collectifs sont des PER bancaires
dans 90 % des cas, souligne Aymeric
Champeil. Leur traitement fiscal en cas
de décès est moins favorable que sur un
PER assurantiel. » W A. F.
ZINIO
XX Retraite PLACEMENTS
Mode d’emploi
Investir en Bourse à 30, 50 ou 65 ans
On ne doit pas forcément adopter la même stratégie à tous les âges.
La question de l’horizon de placement est un point primordial.
L es actions sont un investissement de
long terme. Mais si la durée de déten-
tion préconisée pour les fonds placés en
pour ne pas toucher à cet argent. « Ne pas
avoir besoin des sommes investies dans
un avenir prévisible permet davantage
actions est généralement fixée à cinq ans, de souplesse, explique Nadine
certains épargnants peuvent avoir beau- Trémollières, directrice de Primonial
coup plus de temps devant eux. Prenons Portfolio Solutions. C’est le bon moment,
l’exemple d’un jeune actif de 30 ans : il est non pas pour prendre plus de risques,
encore loin de se soucier du financement mais du moins pour chercher à obtenir un
des études de ses enfants, lesquels ne sont rendement supérieur. » Les petites et
d’ailleurs peut-être pas encore nés. Sans moyennes valeurs sont un bon choix,
charges fixes importantes, il a sans doute généralement moins chères que les
déjà une épargne de précaution suffisante grandes, malgré des perspectives de crois-
(un livret A, par exemple) et peut commen- sance supérieures pour ces dernières. Un
cer à investir en Bourse. « Il faut ouvrir minimum de diversification s’impose, car
rapidement plusieurs enveloppes comme le risque individuel est plus élevé. Il faut
un PEA ou un contrat d’assurance-vie, aussi préférer des sociétés profitant de
même si on n’a encore les moyens d’inves- tendances profondes qui touchent l’éco-
tir que quelques dizaines d’euros par nomie (vieillissement de la population,
mois », explique Wilfrid Galand, straté- transition énergétique). Les spécialistes
giste chez Montpensier Finance. Cela per- des maisons de retraite, comme Korian,
met de « prendre date », ces enveloppes ou des écomatériaux, comme Serge
donnant leur plein avantage fiscal au bout Ferrari, sont des exemples. Et gare aux
d’un certain nombre d’années à compter valeurs à la mode et aux « tuyaux » sou-
de leur ouverture. vent percés des gourous improvisés des
A 30 ans, il faut donc essayer d’épar- forums boursiers ! Ce sont souvent les
gner régulièrement et en se disciplinant valeurs les moins volatiles, donc les plus
Nos trois valeurs préférées à chaque âge de la vie
A 30 ans
Place de cotation PEA Les raisons de ce choix
Fournisseur de matériaux composites innovants
Serge Ferrari Euronext Paris Oui
avec un souci de l’écoconception.
Korian Euronext Paris Oui Opérateur de maisons de retraites.
Secteur en croissance structurelle.
Elis Euronext Paris Oui Société d’hygiène. Croissance discrète,
mais rentable. Valorisation raisonnable.
A 50 ans
Euronext L'équipementier phare des semiconducteurs.
ASML Oui
Amsterdam La plus belle « tech » d'Europe.
BNP Paribas Euronext Paris Oui Une banque solide qui n'attend
que la remontée des taux.
Fabricant d'équipements pour centrales
SolarEdge Nasdaq Non
photovoltaïques. Forte croissance.
A 65 ans
La plus défensive des grandes valeurs
Microsoft Nasdaq Non
technologiques américaines.
Orange Oui
Rendement 2021 attendu pour l'opérateur
Euronext Paris
télécom leader en France : 7,4 % !
Assureur allemand très solide. Dividende
ARTPRESSE
Allianz Xetra Oui
en progression régulière.
SOURCE : L'EXPRESS
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
discrètes, qui ont de meilleures perfor-
mances de long terme. Mieux vaut com-
mencer par des titres pas trop spéculatifs,
comme ceux d’entreprises pas encore arri-
vées au seuil de rentabilité.
A 50 ans, on a généralement un pa-
trimoine plus important, du fait de
l’épargne accumulée, voire d’un héritage.
Les contraintes financières vont dépendre
de certains paramètres, comme les études
possiblement coûteuses des enfants ou
l’état d’avancement du remboursement
d’un crédit immobilier. On a encore du
temps devant soi et c’est sans doute le
moment de chercher des thématiques
d’investissement plus ciblées, pour dyna-
miser son portefeuille.
Par exemple, on peut en ce moment
s’intéresser aux banques dans la pers-
pective d’une future hausse des taux qui
leur serait bénéfique. A l’heure où une cer-
taine « démondialisation » se profile et où
les politiques cherchent à défendre la sou-
veraineté économique de leur zone, miser
sur la société technologique euro-
péenne ASML, cruciale dans le secteur
des semi-conducteurs, peut aussi être une
bonne idée. Et pourquoi pas un acteur de
l’optimisation des énergies renouvelables
comme SolarEdge, en plein boom ?
A 65 ans, même si on peut espérer
avoir encore de longues années à vivre, on
a le souci de sécuriser son patrimoine en
vue de le transmettre. « C’est le moment
de baisser le curseur de risque, de faire
plus attention à la liquidité de ses place-
ments et, si besoin, de privilégier des
actions permettant de s’assurer un com-
plément de revenus », résume Wilfrid
Galand. Bref, c’est un moment idéal pour
s’intéresser aux meilleures valeurs de ren-
dement : pas celles qui délivrent le plus
fort dividende, mais celles qui en versent
de manière régulière, comme l’assureur
allemand Allianz ou l’opérateur de télé-
coms Orange, caractérisés par la stabilité
de leur business.
Et pour ceux qui veulent pimenter leur
portefeuille d’un peu de technologie,
Microsoft est un bon candidat, avec son
activité à la fois très rentable et bien diver-
sifiée ainsi que sa situation financière
extrêmement solide. W
EMMANUEL SCHAFROTH
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XXII Retraite PLACEMENTS
A long terme
Se constituer un portefeuille de SCPI
Vous cherchez un investissement efficace ? Achetez des sociétés civiles
de placement immobilier ! Nos conseils pour choisir les meilleures.
V ous avez passé la cinquantaine, et
l’idée de subir une baisse de revenus
à votre cessation d’activité vous taraude.
C’est le moment de vous constituer un
« patrimoine retraite ». A ce titre, les
sociétés civiles de placement immobilier
(SCPI) – placements de long terme,
simple, accessible et relativement sécu-
ritaire – sont idéales. Elles sont à l’immo-
bilier ce que les Sicav sont à la Bourse. « Il
s’agit d’un produit géré par un profession-
nel, qui constitue un patrimoine immo-
bilier avec l’épargne de particuliers, puis
gère les biens et reverse régulièrement
une quote-part des loyers encaissés à ses
porteurs de parts », explique Jonathan
Dhiver, fondateur de Meilleurescpi.com.
Les SCPI présentent donc des atouts
importants : elles garantissent des complé-
ments de revenus réguliers avec une faible
mise de départ (voir tableau). De plus, elles
affichent une rentabilité très alléchante :
selon l’Institut de l’épargne immobilière et
foncière, en moyenne de 4,18 % en 2020 et
de 4,40 % en 2019. Mais attention à ne pas
sous-estimer leurs contraintes : en raison
de frais de souscription importants, de
l’ordre de 10 %, elles sont à envisager pour
au moins dix ans. Il ne faut pas non plus y
investir tous ses fonds, car leur liquidité est
plus faible que celle des produits
financiers.
Premier point à régler : sélectionner les
secteurs où vous souhaitez investir. Car
les SCPI sont nombreuses, mais, pour vous
faciliter la tâche, celles-ci sont classées par
catégories. Il existe quatre grandes
familles : les « bureaux » investissent dans
des mètres carrés à louer à des entreprises,
les « commerces » privilégient les murs de
boutiques, les « diversifiées » mélangent
tous les types d’actifs, et les « spécialisées »
ne détiennent que des bâtiments dans un
secteur particulier (santé, hôtellerie, logis-
tique…). Avec la crise sanitaire, le dévelop-
pement massif du télétravail et le recours
à l’e-commerce ont engendré des craintes
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
d’exemple, les immeubles premium dans
les quartiers d’affaires de la capitale n’ont
quasiment pas subi de vacances locatives,
ce qui n’est pas le cas du parc de bureaux
vieillissants en première couronne.
L’analyse est identique pour les com-
merces : si les petites surfaces « essen-
sur la pérennité du versement des loyers
des bureaux et murs de boutiques.
Beaucoup d’investisseurs ont alors
tielles » en centre-ville ont résisté au confi-
nement, les boutiques dans les centres
commerciaux fermés ont souffert, et leur
délaissé les SCPI qui privilégiaient ces rendement ne risque pas de se redresser
actifs pour se réfugier vers celles qui spectaculairement dans les années à venir.
avaient le vent en poupe, celles spéciali- Conclusion : pour garantir la pérennité
sées dans les secteurs de la santé et de la d’un patrimoine SCPI, vous devez être très
logistique, notamment. sélectif. Pour cela, composez un patri-
Mais plus d’un an et demi après le pre- moine diversifié et le plus stable possible
mier confinement, le constat est clair : les dans le temps. « Il faut faire en sorte que les
SCPI, quelles qu’elles soient, ont plutôt actifs détenus, toutes SCPI confondues,
bien résisté. Si vous débutez, un conseil : soient très diversifiés et surtout pérennes
n’écartez aucune classe d’actifs. Attention pour que les revenus soient assurés dans
cependant si votre horizon d’investisse- le temps », conseille Jérémy Schorr,
ment est long, « même si le télétravail ne N’investissez pas sur une unique SCPI,
va pas tuer les bureaux, toutes celles qui mais mixez-en plusieurs. Des bureaux
investissent dans cette classe d’actifs ne se pour le rendement, du résidentiel pour la
valent pas », affirme Jérémy Schorr, direc- stabilité du portefeuille, des commerces
teur commercial de Primaliance. A titre pour la diversification, de la logistique et
12 SCPI à explorer pour préparer sa retraite
Prix Minimum Rendement
Nom de la SCPI Les raisons de ce choix
de la part de souscription en 2020
(Société de gestion)
(en €)
ESG-ISR
PFO2 196 30 parts 4,5 %
Pionnière en matière d'ISR, investie en bureaux
(Perial AM) neufs et anciens rénovés intégralement.
Primopierre Investie en grands immeubles de bureaux
208 10 parts 5,04 % (sièges sociaux) à Paris et en Ile-de-France.
(Primonial Rem)
Néo 187 1 part
Patrimoine majoritairement composé de bureaux
(Novaxia Invest.) et d'actifs "hospitality", dont 42 % à l'étranger.
Européennes
Eurovalys 1 030 1 part 4,5 %
SCPI investie à 100 % en bureaux et à 100 %
(Advenis) en Allemagne, d'où une fiscalité attrayante.
LF Europimmo 1 045 1 part 4,02 % Patrimoine majoritairement composé
(La Française Rem) de bureaux et SCPI investie à 80 % en zone euro.
PF Hospitalité Lancée en juin 2020, la SCPI investit surtout
Europe (Perial AM)
200 5 parts en actifs "hospitality" partout dans la zone euro.
Spécialisées
Actifs diversifiés dans le secteur de la santé
Pierval Santé 200 5 parts 4,95 % (clinique, laboratoire, Ehpad...) en France
(Euryale AM) et à l'étranger (63 %).
Activimmo 610 10 parts
Spécialisée dans la logistique (gros entrepôts
(Alderan) et stockage du dernier km), à 100 % en France.
Primofamily Investie dans des immeubles résidentiels neufs
(Primonial Rem)
200 1 part avec 20 % de commerces, actifs à 92 % en France.
Diversifiées
Immorente Une référence historique pour les SCPI
337 5 parts de commerces, petites surfaces en centre-ville,
(Sofidy) diversifiée vers les bureaux et habitations.
Epargne Pierre 205 10 parts
Prépondérance de bureaux, diversifiée
(Atland Voisin) vers les commerces et la logistique.
ARTPRESSE
Vendôme Régions 655
Patrimoine principalement composé de bureaux,
(Norma Capital)
5 parts diversifé en locaux d'activité et commerces.
SOURCE : PRIMALIANCE - (*) PERFORMANCE ANNUALISÉE
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Iroko ZEN, la SCPI nouvelle

génération portée par un ADN
social et environnemental
Créée en 2020, la SCPI a pour but de rendre simple, abordable
et transparente l’épargne immobilière. Coup d’œil sur ses particularités.

D
écorrélée des marchés f inanciers,
la Pierre a toujours eu une place
de choix dans l’épargne des Fran-
çais malgré des contraintes de gestion
évidentes. En parallèle depuis quelques
années, la Pierre-Papier, également
appelée SCPI, connaît un véritable essor
et dépasse aujourd’hui les 71Mds d’euros
d’encours (Source : PierrePapier.f r). Tout
comme pour l’immobilier direct, ni le
capital, ni les revenus ne sont garantis,
mais elle offre sans contrainte de gestion
à ses épargnants un accès à des actifs
immobiliers historiquement réservés aux
institutionnels et une mutualisation des
risques.
logistique-entrepôts pour 76% et sur des
bureaux à taille humaine ainsi que des
commerces avec services (crèches, alimen-
tation, ensembles médicaux) pour 24% à
mai 2021. Par exemple, la société a investi
dans une micro-crèche à Pantin dans le 93
ou encore dans un actif à usage de messa-
gerie / petite logistique entièrement loué
à un des leaders mondiaux de la livraison
: Chronopost.
Cerise sur le gâteau
Iroko ZEN est lauréate
des trophées de la Finance
Responsable dans
la catégorie Espoir.

Une SCPI simple et sans

commission de souscription

Parmi les 197 SCPI disponibles sur le

marché à ce jour, Iroko ZEN présente des
atouts indéniables : elle est accessible sans
f rais de souscription alors que les f rais
d’entrée sont de 9,24% HT en moyenne
sur le marché des SCPI traditionnelles
(selon une étude de l’Institut de l’Epargne
Immobilière et Foncière en 2019), ce qui
peut représenter jusqu’à plus de 2 années
de rendement. Ainsi la société de gestion
Iroko qui gère la SCPI Iroko ZEN aligne au
plus près les intérêts de toutes les parties
puisqu’elle est rémunérée uniquement
sur sa gestion et non pas sur sa collecte
de fonds.
De plus, Iroko ZEN est 100% digitale et
accessible en quelques clics sur iroko.eu
ou auprès de votre conseiller.
Une SCPI adaptée
aux usages de demain
Son parc se constitue en connaissance de
cause d’un marché bousculé par la crise
sanitaire et les changements d’utilisation
de l’immobilier. En effet, Iroko ZEN se posi-
tionne sur un parc diversifié et récent, en
France et Europe de l’Ouest, composé
exclusivement d’actifs occupés. Elle n’a
aucun héritage avec lequel composer et
ne veut pas répliquer la réalité du stock
d’immobilier professionnel d’aujourd’hui
(75% bureaux). Pour accompagner les
transitions actuelles, elle investit sur la
h tête avant d’investir
Une SCPI performante
et engagée
Son objectif ? Une distribution annuelle
de 5,5% net (objectif non garanti) des
frais de gestion (contre 4,18% en moyenne
selon PierrePapier.f r, en 2020 ). En plus,
l’équipe d’Iroko ZEN est convaincue que
performance et engagement peuvent
cohabiter. C’est la raison pour laquelle la
société est devenue, en 2021, la septième
SCPI à obtenir le Label ISR (Investisse-
ment Socialement Responsable). Au-delà
du label, la SCPI est dotée d’un mécanisme
unique de partage de valeur. Une fois
l’objectif de performance de 5,50% atteint,
la SCPI réinvestit 20% de l’excédent dans
des actions d’amélioration de son parc
immobilier. Plus qu’une étiquette, le Label
ISR est donc un vrai outil de pilotage de
leur politique d’investissement et de
gestion.
3 éléments à avoir en
Acheter des parts dans une SCPI
est un investissement immobilier
long terme. Nous vous recomman-
dons une durée de placement de
plus de 7 ans.
Comme tout placement, celui-ci
comporte des risques. Le capital
investi et les revenus ne sont pas
garantis : ils sont liés aux évolutions
du marché de l’immobilier et au
bon paiement des loyers par les
locataires.
Nous précisons également qu’Iroko
ne garantit pas le rachat de vos
parts et ne fait pas de conseil en
investissement.
ZINIO

XXIV Retraite PLACEMENTS

de la santé pour profiter de secteurs qui ont Au crible

le vent en poupe, de l’hospitality (regrou-
pant tous les actifs qui accueillent du
public, hôtels, Ehpad…) pour les opportu-
nités. Tenez aussi compte de la diversifica-
tion géographique en optant pour des
biens en Ile-de-France, sur le reste du ter-
ritoire et à l’étranger (zone euro). Cela vous
permettra de panacher votre risque, et
donc d’assurer une certaine sécurité à cet
« investissement-retraite ».
Ensuite, ne fondez pas votre sélection
sur le seul rendement instantané (appelé
TDVM). « Beaucoup d’épargnants ne
tiennent compte que de ce critère, or il ne
donne pas d’indication sur la qualité du
Tenir compte
SCPI : faites le tri avant votre retraite
L’heure a sonné d’analyser votre portefeuille de SCPI et de vendre
les moins dynamiques pour garantir la stabilité de votre patrimoine.
C ela fait longtemps que vous investis-
sez et êtes aujourd’hui à la tête d’un
large portefeuille de SCPI. A l’aune de
votre retraite, il est impératif de faire le
point sur ce patrimoine immobilier ter-
tiaire (bureaux, commerces…). Car la crise
sanitaire a amplifié des changements
sociétaux, notamment en accélérant le
développement du télétravail et celui du
commerce en ligne. Inutile de conserver
des SCPI dont les gérants n’ont pas mis
leur stratégie au goût du jour ; à défaut,
vous risquez de subir une baisse de reve-
nus à moyen ou long terme.

de la diversification
géographique permet
de panacher le risque
patrimoine », regrette Jérémy Schorr. Pour
un investissement pérenne, examinez
aussi le taux de rendement interne (TRI)
sur cinq ans, car ce critère intègre le mon-
tant des revenus distribués ainsi que la
revalorisation du prix de la part, qui
dépend de l’évolution de la valeur du
patrimoine. Vous éviterez ainsi les SCPI
qui versent un fort dividende, et affichent
donc un fort rendement à un instant
donné, mais dont le prix de part progresse
peu à moyen terme, signe d’un parc immo-
bilier de moindre qualité. Enfin, n’oubliez
pas d’examiner également les critères
extrafinanciers pour privilégier les gérants
qui affichent une bonne politique en
matière d’écologie (économie d’énergie…)
et de bien-être au travail (qualité du parc,
travaux de remise en état…). « Nos actions
en la matière sont indiquées dans les rap-
ports de gestion de nos SCPI », précise
Anne-Claire Barberi, responsable RSE et
innovation du groupe Perial AM. Petit
conseil donné par un professionnel : plus
la société sera transparente sur ses actions,
meilleure sera la SCPI. W
MARIE PELLEFIGUE
Ne cédez pas pour autant toutes vos
parts dans la panique ; prenez plutôt le
temps d’analyser celles que vous détenez
et conservez les meilleures. Si les SCPI sont
faciles à acheter, vendre des parts, en
revanche, se révèle un peu plus complexe.
Pour connaître le mode opératoire, le pre-
mier point à considérer est la nature de
votre SCPI. Si elle est à capital variable, les
formalités sont simples : il suffit de remplir
le bulletin de retrait proposé par votre
société de gestion, en lui indiquant com-
bien de parts vous voulez vendre. Dans ce
cas, le prix est fixé par la SCPI, qui rachète
vos parts, et dépend de la valeur du patri-
moine immobilier qu’elle détient.
La vente est plus compliquée si votre
SCPI est à capital fixe, car, dans ce cas, vous
devrez céder vos parts sur le marché secon-
daire. Pour cela, signifiez à votre société de
gestion le nombre dont vous souhaitez
vous défaire et le prix souhaité. Dans le
même temps, les particuliers qui veulent
acquérir des parts font la même chose.
Ensuite, les ordres sont passés dans ses car-
nets de ventes et d’achat au moins une fois
par mois et le gérant fait le rapprochement
entre acheteurs et vendeurs. Pour céder vos
parts, vous devrez donc déterminer le bon
prix dès la mise en vente, ce qui n’est pas
une opération si facile que cela. Car, « si
celui proposé par les autres propriétaires
donne une indication, il faut aussi tenir
GETTY IMAGES/ISTOCK
Il ne faut pas oublier que la cession de
parts est fiscalisée en cas de plus-value.
compte de la date à laquelle l’ordre est
passé », met en garde Jérémy Schorr, direc-
teur commercial de Primaliance. Pour le
moment, la quasi-totalité des ventes se
passe bien, car la liquidité des SCPI à capi-
tal fixe dépend de la demande, aujourd’hui
très importante. Mais si les SCPI ont moins
la cote à l’avenir, en cas de crise, vous pour-
riez avoir du mal à les céder, ou devrez
consentir une décote.
Enfin, si vous détenez vos parts de SCPI
au sein d’un contrat d’assurance-vie, quelle
que soit sa nature, les vendre sera bien plus
rapide. Car il suffit de passer un ordre à
votre assureur, qui rachètera vos parts, en
général en moins d’un mois.
Attention, ne perdez pas de vue que
la cession de parts est fiscalisée si vous
réalisez une plus-value. Cette dernière
sera taxée à l’impôt à 19 % et aux prélève-
ments sociaux de 17,2 %, après abattement
pour durée de détention. Sauf si la vente
est réalisée dans un contrat d’assu-
rance-vie et que vous laissez vos fonds
investis dedans, dans ce cas la cession
échappe à cet impôt. W M. P.

L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021

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XXVI Retraite PLACEMENTS
Immobilier
Investir dans la pierre sans surtaxe
Acheter un logement locatif permet de se garantir des compléments
de revenus. Mais ils sont lourdement taxés. La SCI peut être une solution.
V ous hésitez à vous constituer un
patrimoine immobilier afin d’en
tirer des revenus réguliers au moment de
la retraite, car, pour le moment, vous êtes
lourdement imposé. Les loyers étant
taxés comme les revenus du travail
(salaires, honoraires…) et soumis, en plus,
à des prélèvements sociaux de 17,2 %,
vous ne souhaitez pas faire flamber votre
pression fiscale.
Une des solutions pour minorer cette
taxation consiste à créer une SCI (société
civile immobilière), puis à acheter des
biens lo catifs via cette struc ture.
Attention, vous ne devez pas opter pour
son statut fiscal le plus commun – celui
de l’imposition sur le revenu (IR) –, mais
adopter l’imposition sur les sociétés (IS).
La différence ? Dans le premier cas, la
société est « transparente » : les revenus
locatifs nets (une fois déduites les
charges : intérêts d’emprunt, travaux, taxe
foncière, assurance…) qu’elle encaisse
sont, chaque année, répartis entre les
associés. « Chacun d’entre eux est ensuite
taxé dessus à son taux marginal d’impo-
sition, que ces revenus soient distribués
entre les associés ou conservés en réserve
au sein de la SCI », précise Arlette Darmon,
présidente du groupe notarial Monassier.
Fiscalement, être propriétaire en direct ou
via une SCI soumise à l’IR revient donc
exactement au même.
En revanche, une SCI soumise à l’IS
devient « opaque », c’est-à-dire que les
revenus locatifs nets qu’elle encaisse ne
remontent pas automatiquement à ses
associés. Subtilité supplémentaire, avec
cette structure, les charges déductibles
sont supérieures, car elles incluent les
frais d’acquisition (honoraires du notaire
et éventuels frais d’agence) et surtout
l’amortissement comptable des biens
immobiliers. Aussi, non seulement la base
taxable est plus faible, mais « en plus le
taux d’imposition l’est également,
puisque le bénéfice de la SCI est imposé
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
par tranches, à 15 % jusqu’à 38 120 euros,
puis à 26,5 % au-delà », note Maureen
Maris, conseillère en gestion de patri-
moine chez Quintésens.
Une fois l’impôt sur les sociétés réglé,
reste à savoir ce que vont devenir les reve-
nus. « Si la majorité des associés décide de
les répartir entre eux sous forme de divi-
dendes, ils sont soumis au prélèvement
forfaitaire unique et taxés à 30 % »,
explique Christophe Chaillet, directeur de
l’ingénierie patrimoniale chez HSBC
Continental Europe. En revanche, s’ils
sont conservés en réserve, en vue d’une
distribution ultérieure, aucune taxation
supplémentaire n’est due.
Si vous êtes fortement imposé durant
votre période d’activité, une SCI soumise
à l’IS permet de limiter votre pression fis-
cale, puisque les revenus encaissés sont
conservés en réserve. Ensuite, une fois à
la retraite, vous pouvez vous les verser
pour compenser votre chute de revenus.
Ne perdez pas de vue que si, actuellement,
le régime fiscal de taxation des dividendes
est plutôt très favorable, il pourrait chan-
ger dans le futur. « Pour les associés de la
SCI, la taxation se fera au taux en vigueur
le jour de la distribution des revenus »,
rappelle Arlette Darmon.
Attention également à ne pas sous-
estimer un autre point : avec une SCI sou-
mise à l’IS, la fiscalité des plus-values est
beaucoup moins avantageuse sur le long
terme. Car, dans ce cas, les règles d’impo-
sition ne sont pas identiques à celles de la
détention d’un bien en direct (imposition
des plus-values nettes à 19 % et à 17,2 %,
après abattement pour durée de déten-
tion). En effet, la base taxable à cet impôt
est, cette fois, nettement supérieure,
puisqu’elle réintègre le total des amortis-
sements déduits chaque année. En outre,
« les plus-values sont ajoutées au résultat
courant de la SCI et donc taxées au barème
de l’IS, quelle que soit la durée de déten-
tion de l’immeuble », note Christophe
A. HANCU/GETTY IMAGES/ISTOCK PHOTO
Acquérir un bien destiné à la location
sans faire flamber sa pression fiscale.
Chaillet. Il faut donc plutôt privilégier
ce genre de structure si vous comptez
revendre rapidement les biens achetés, ou
si vous voulez intégrer dans votre SCI des
biens locatifs dits de rendement, c’est-à-
dire dont les loyers sont importants com-
parés au prix d’achat, mais avec des pers-
pectives de plus-values moindres.
A noter : si vous avez déjà constitué
une SCI soumise à l’IR, « les associés
peuvent décider de la passer à l’IS, mais,
dans ce cas, il n’est plus possible de reve-
nir en arrière », met en garde Arlette
Darmon. Ne sous-estimez pas cette
contrainte, et anticipez également les
complications liées à l’IS, notamment la
tenue d’une comptabilité très formelle.
Dernier point : si vous vous constituez
un patrimoine immobilier par l’intermé-
diaire de cette structure, votre objectif ne
doit pas être principalement fiscal. Son
cadre est avant tout attrayant pour capi-
taliser des revenus pour la retraite. Elle a
aussi d’autres avantages, notamment la
possibilité de louer des logements en
meublé, ce qui n’est pas le cas dans une
SCI soumise à l’IR. Elle est enfin un bon
moyen de se constituer un patrimoine en
famille, en associant ses enfants au capi-
tal de la société dès sa création ou, plus
tard, en leur donnant des parts. W M. P.
FAIRE PROGRESSER
VOTRE ÉPARGNE
ET LA MOBILITÉ

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des marques de l’Alliance Renault – Nissan.
2şŝşŝĔ+6§')© %2/%2()6:-')7Ĕ:386)¶4%6+2)%'3286-&9¶©H2%2')6
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et 22 000 véhicules électriques.
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:%6-%8-32ē%9<%:%2846¶0¹:)1)287H7'%9<)873'-%9<ē3-6%977-0)732(-8-327¶2¶6%0)7(90-:6)8 ēĜşĝ)'3148)  )7892)'32:)28-32()
compte de dépôt à terme d’une durée de 3 ans, réservée aux titulaires majeurs d’un livret ZESTO. Il offre une rémunération progressive trimestrielle jusqu’à
1,30 % brut et son taux actuariel annuel brut sur l’ensemble de sa durée est de : 0,55 % (taux en vigueur depuis le 27/09/2021). Taux avant prélèvements
H7'%9<)873'-%9<ēM8398131)28Ĕ0)40%')1)284)98·86)6)1&3967¶Ĝ6)1&3967)1)28%28-'-4¶838%092-59)1)28ĝē%27')'%7Ĕ0)7397'6-48)96&¶2¶H'-)
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ZINIO
XXVIII Retraite PLACEMENTS
Immobilier
3 placements atypiques
Plusieurs pistes hors des sentiers battus, mais néanmoins rentables,
se prêtent avantageusement à la préparation de la retraite.
L ’achat d’un investissement locatif
démembré en direct ou via des socié-
tés civiles de placement immobilier
(SCPI), ainsi que la tontine, se prêtent à la
préparation de la retraite. Ils offrent une
rentabilité et une fiscalité avantageuses.
1/ Acheter un logement
en démembrement
Que diriez-vous d’acquérir un logement
avec une décote de 30 à 40 % ? C’est la pro-
position d’opérateurs spécialisés qui com-
mercialisent des biens pour les céder en
démembrement provisoire. Vous acqué-
rez la nue-propriété d’un logement pour
une durée habituelle de quinze ans, voire
vingt ans. L’usufruit est, lui, cédé pour la
même durée à un organisme d’habitat
social. Cet usufruitier met en location le
bien et en perçoit les loyers pendant la
période de démembrement. Le montant
de la décote correspond à la valeur loca-
tive du logement pendant cette durée, sur
la base des loyers du secteur libre.
A l’issue de la convention de démem-
brement, l’usufruit vous revient gratuite-
ment, sans aucun droit à payer au fisc qui
plus est. Autant dire que vous avez payé
entre 60 et 70 un actif dont vous récupé-
rez, au bout de quinze ans, l’entière pro-
priété qui en vaut 100. « La seule décote
obtenue à l’achat représente un rende-
ment annuel entre 3 % et 5 % », souligne
Nicolas de Bucy, directeur général adjoint
de Perl, l’acteur historique de la vente en
nue-propriété. Un rendement qui peut
être largement amélioré si le bien est
revendu avec plus-value. » En effet, dès
que vous avez récupéré la pleine propriété
du bien, vous pouvez continuer à louer le
logement (au choix à son occupant présent
ou à un autre locataire), l’habiter ou le
vendre. Les programmes, le plus souvent
neufs, bénéficient d’une implantation pro-
metteuse pour leur valorisation dans le
temps. Bon nombre sont commercialisés
en région parisienne (y compris à Paris
L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021
intra-muros), en Provence-Alpes-Côte
d’Azur, dans les grandes métropoles régio-
nales (Lyon, Lille, etc.) et enfin, plus rare-
ment, dans des cités balnéaires cotées
(Deauville, Dinard…).
Dans un objectif de préparation de la
retraite, les contribuables fortement
imposés sur leurs revenus professionnels
échappent à tout souci de gestion locative,
ainsi qu’à la lourde taxation de revenus
fonciers. Faute de revenus pendant toute
la durée de l’usufruit temporaire, la pos-
session de la nue-propriété n’a, en effet,
aucune incidence sur votre impôt sur le
revenu. De surcroît, elle ne génère aucune
taxe foncière et n’est pas assujettie à l’im-
pôt sur la fortune immobilière. Enfin, dans
l’hypothèse où le logement serait revendu,
la valeur de la décote récupérée à l’issue
du démembrement échappe à l’impôt sur
la plus-value imposable, en raison du
mode de calcul de celle-ci (le prix d’achat
est réputé être celui du bien en pleine pro-
priété au jour du démembrement). Quant
à la plus-value liée à l’augmentation du
prix du bien sur le marché, elle bénéficie
d’un abattement pour durée de détention.
Vingt ans après l’achat de la nue-propriété,
par exemple, la plus-value imposable est
abattue de 96 % pour le calcul de l’impôt
sur le revenu au taux de 19 %, et réduite de
26,4 % pour établir l’assiette soumise aux
prélèvements sociaux au taux de 17,2 %. Au
terme de l’opération, si vous louez le loge-
ment, les loyers seront naturellement
taxés, mais à une tranche d’imposition
normalement plus faible, à la retraite.
2/ Souscrire des SCPI
en nue-propriété
Un investissement locatif en démembre-
ment (voir ci-dessus) est aussi réalisable
grâce à la pierre papier. Avec la plupart des
SCPI, vous pouvez, après en avoir acheté
des parts, vendre l’usufruit de ces der-
nières pour une durée limitée. L’opération
est orchestrée pour votre compte par le
gestionnaire de la société civile de place-
ment immobilier. Rappelons que les SCPI
acquièrent des immeubles (bureaux, rési-
dentiel, commerces, entrepôts…), en
assurent le suivi locatif et redistribuent
les loyers à leurs associés. L’achat en
démembrement provisoire d’une SCPI
suit le même schéma qu’un achat en
direct, avec quelques atouts supplémen-
taires : le ticket d’entrée est beaucoup plus
faible (quelques centaines ou milliers
d’euros) et le risque est dilué entre plu-
sieurs actifs immobiliers loués. « Le choix
de la durée du démembrement est aussi
beaucoup plus souple, au choix entre trois
et vingt ans. Cela permet de se position-
ner sur ce placement à n’importe quelle
échéance de la retraite », souligne Gautier
Delabrousse-Mayoux, dirigeant d’Iroko.
eu, gestionnaire de la première SCPI sans
frais d’entrée.
3/ Capitaliser dans une tontine
Peu connue, la tontine est une forme
d’épargne originale, quasi uniquement
distribuée par Le Conservateur. Chaque
année, un groupe de personnes verse dans
un pot commun un capital qui reste blo-
qué pendant dix à vingt-cinq ans. Cette
immobilisation à long terme permet d’in-
vestir sur des actifs à risque, sécurisés peu
à peu à l’approche de l’échéance prévue.
A ce moment-là, le capital est réparti
entre les seuls souscripteurs encore
vivants. Et les performances sont au ren-
dez-vous : un versement en 2001 sur vingt
ans a rapporté 4,25 % en moyenne par an,
soit 3,13 points de plus que l’inflation
annuelle moyenne. Aucun impôt n’est dû
pendant toute la durée de la tontine, et la
plus-value en sortie est taxée selon le
régime très favorable de l’assurance-vie.
On peut répartir ses versements sur plu-
sieurs années en adhérent à différentes
tontines successives. La sortie à l’heure
de la retraite se fera donc en plusieurs
annuités, permettant d’optimiser les
abattements fiscaux annuels de l’assu-
rance-vie (4 600 euros sur les gains pour
un célibataire, 9 200 euros pour un
couple). Inconvénient : la perte de votre
épargne pour vos héritiers en cas de décès
avant le terme du contrat. W
GILLES MANDROUX
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ZINIO

XXX Retraite PLACEMENTS

Virage à négocier personne n’est qu’un paramètre parmi

d’autres : à 65 ans, on ne s’interdit rien si la
L’heure des défis patrimoniaux situation patrimoniale le permet ! » assure
François-Xavier Sœur. Principal objectif :
A la fin de la vie active, diverses questions se posent en matière de gestion avoir l’esprit serein. En abandonnant la
de son patrimoine. Voici les quatre points les plus importants à envisager. gestion locative d’un parc immobilier au
profit de placements plus simples, par

A 62 ans, âge légal de la retraite, l’es-

pérance de vie d’un homme est d’à
peu près vingt et un ans, et même de vingt-
cinq ans pour une femme, d’après l’Insee.
Une tranche temporelle conséquente
pendant laquelle il faut continuer de
s’occuper de son patrimoine, avec de
nouvelles problématiques qui émergent.
Tout d’abord, il convient de faire le point
sur ses besoins, car, à la retraite, les res-
sources baissent, plus ou moins fortement.
Il faudra donc, si cela s’avère utile, réorga-
niser son patrimoine pour venir y piocher
les sommes nécessaires au maintien de
son train de vie. C’est le moment le privilé-
gier les produits qui distribuent des reve-
nus, comme les sociétés civiles de place-
ment immobilier (SCPI) ou les Sicav de
rendement, et d’opter pour l’assurance-vie
avec ses retraits très peu fiscalisés. « La
tranche marginale d’imposition sera le
juge de paix pour favoriser certains place-
ments, souligne Georges Nemes, président
du groupe Patrimmofi. Si elle n’est pas trop
élevée, il sera possible d’envisager des reve-
nus complémentaires de toutes origines,
y compris fonciers. » Mais si votre tranche
d’imposition est élevée,mieux vaudra
éviter ce type de revenus, taxés plein pot.
Autre option : la rente viagère. « On
peut notamment transformer son PEA
en rente, indique François-Xavier Sœur,
conseiller en gestion de patrimoine et
fondateur de Terrae patrimoine. Si ce der-
nier a été ouvert depuis plus de huit ans,
c’est exonéré d’impôt sur le revenu. »
Second enjeu : se protéger ainsi que
son conjoint. « Après une période de
retraite active, on va entrer dans le grand
âge, avec un risque de perte d’autonomie
progressive, rappelle Valérie Bentz, res-
ponsable des études patrimoniales de la
banque UFF. L’anticiper permet de provi-
sionner les sommes nécessaires pour y
faire face. » Prenez aussi des mesures, si
besoin, pour protéger votre conjoint en cas
de décès précoce. « Pour cela, il peut être
nécessaire de revenir sur son régime matri-
monial, notamment en cas de régime sépa-
ratiste, conseille François-Xavier Sœur. La
donation au dernier des vivants, qui per-
met d’augmenter la part d’héritage de son
conjoint, est aussi une solution à envisa-
ger. » Enfin, pensez au mandat de protec-
tion future. Il permet de désigner à l’avance
la personne qui sera chargée de gérer vos
intérêts patrimoniaux en cas de perte de
capacités physiques ou mentales.
Troisième sujet à aborder, le renonce-
ment à certains placements. Quand on
avance en âge, il est souvent recommandé
de réduire le risque dans son patrimoine et
de rendre son épargne plus liquide. Mais
qu’en est-il réellement ? « L’âge de la
exemple. En revanche, il n’est pas néces-
saire de sécuriser la totalité de ses avoirs.
« Il faut avoir une vision globale, recom-
mande Stéphanie Allory, directrice de
l’offre financière de l’UFF. Il n’y a pas
de problème à conserver des placements
risqués pour booster la rentabilité du patri-
moine, si l’on n’a pas besoin de ces sommes
et si son profil de risque le permet, mais il
faudra sécuriser progressivement ses
avoirs sur des supports moins risqués, pour
qu’au moment de la transmission le patri-
moine soit stabilisé. »
Quatrième et dernier enjeu : anticiper
sa transmission. Pour cela, il convient de
faire le plein sur ses assurances-vie avant
l’âge fatidique de 70 ans, les sommes
versées après cet âge étant moins bien trai-
tées par le fisc au décès (voir infographie
ci-dessous). Des donations peuvent aussi
être envisagées pour profiter des abatte-
ments de 100 000 euros par enfant et par
parent, renouvelables tous les quinze ans.
« Si on souhaite conserver la jouis-
sance de ses biens, il faut opter pour une
donation en nue-propriété, conseille
Valérie Bentz. Plus vous êtes jeune, plus
l’usufruit sera important, et plus ce sera
intéressant fiscalement parlant. » Enfin,
vérifiez les clauses bénéficiaires de vos
contrats d’assurance-vie et de prévoyance
d’entreprise. W A. F .

Primes versées avant ou après 70 ans : quelle fiscalité sur les capitaux décès ?
Versements effectués Versements effectués
avant le 13/10/1998 depuis le 13/10/1998
Contrats Primes versées
souscrits… avant 70 ans Primes versées après 70 ans Primes versées avant 70 ans Primes versées après 70 ans

Abattement de 152 500 € par bénéficiaire

… avant
Exonération totale sur le capital décès (tous contrats confondus),
puis taxation à 20 % sur les 700 000 euros suivants,
puis 31,25 %.
le 20 novembre 1991
Abattement de 30 500 € Abattement de 152 500 € Abattement de 30 500 €
sur les versements, quel que soit par bénéficiaire sur le capital décès sur les versements, quel que soit
Exonération
le nombre de bénéficiaires, (tous contrats confondus), puis le nombre de bénéficiaires,
… depuis totale
puis taxation selon taxation à 20 % sur les 700 000 euros puis taxation selon
le barème successoral. suivants, puis 31,25 %. le barème successoral.
Les intérêts sont exonérés. Les intérêts sont exonérés.
L’EXPRESS

SOURCE : L'EXPRESS

L’EXPRESS 18 NOVEMBRE 2021

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Les performances passées ne sont pas constantes dans le temps et ne préjugent pas de performances futures.
*IPE « Top 500 asset managers » publié en juin 2021 sur la base des encours sous gestion à décembre 2020. Informations
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