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Introduction.

Le droit à l’exécution forcée est un mécanisme juridique sous-tendu par des liens de droit qui existent
entre le débiteur et le créancier. De ce fait, il est ô combien inhérent aux relations de ceux-ci qu’il a reçu
une consécration de la part du législateur communautaire [1].

Partant du postulat que le patrimoine du débiteur constitue le droit de gage général des créanciers [2],
que ceux-ci, dans l’optique de contraindre le débiteur à s’exécuter ou de se mettre en garde contre
l’organisation de l’éventuelle insolvabilité de ce dernier, on est fondé à mettre en exergue le droit pour
le créancier de procéder à l’exécution forcée contre le débiteur.

Toutefois, en matière de voies d’exécution, il n’en est toujours pas ainsi, en raison des règles de
protection du débiteur [3] susceptibles de se traduire par l’immunité d’exécution, prévue et
réglementée par les dispositions de l’article 30 de l’Acte Uniforme portant Organisation des Procédures
Simplifiées de Recouvrement et des Voies d’Exécution (AUPSRVE), en ces termes

« L’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui
bénéficient d’une immunité d’exécution.

Toutefois, les dettes certaines, liquides et exigibles des personnes morales de droit public ou des
entreprises publiques, quelles qu’en soient la forme et la mission, donnent lieu à compensation avec les
dettes également certaines, liquides et exigibles dont quiconque sera ténu envers elles, sous réserve de
réciprocité.

Les dettes des personnes ou entreprises visées à l’alinéa précédent ne peuvent être considérées comme
certaines au sens des dispositions du présent article que si elles résultent d’une reconnaissance par elles
de ces dettes ou d’un titre ayant un caractère exécutoire sur le territoire de l’État où se situent lesdites
personnes et entreprises ».

Pour définir l’immunité d’exécution, il convient au préalable de mettre en avant le sens du vocable «
immunité ». En effet, ce terme est polysémique : il peut aussi bien s’agir de l’immunité personnelle que
bénéficie le débiteur en raison de sa qualité, que l’immunité de juridiction reconnue à un État de ne pas
être jugé par une juridiction d’un État étranger.
Ce dernier sens renvoie au droit international public [4]. Pour ce qui est le sens de l’immunité
d’exécution, il nous semble important d’indiquer qu’elle est dénuée de définition légale de la part du
législateur OHADA.

Néanmoins, elle a pu être définie comme « un privilège personnel que la loi accorde à certains débiteurs
pour les soustraire à toute mesure d’exécution » [5]. Par métaphore, il s’agirait de l’obstacle à
l’exécution forcée.

Aux fins de situer la matière et se frayer un chemin par la même occasion, l’immunité d’exécution n’est
pas la seule limite au droit de l’exécution forcée, puisqu’il existe également la procédure de suspension
à exécution forcée et le droit de grâce [6].

Précisément, elle fait partie intégrante des règles de protection du débiteur, non pas dans ses droits
humains, mais plutôt dans son patrimoine. Il faut souligner que ces règles de protection, toujours en
rapport avec le patrimoine du débiteur, s’étendent également aux règles d’organisations des
informations du débiteur, à celles posant l’interdiction de la clause de voie parée en matière de saisie
immobilière et enfin, à celles qui organisent la vente sur saisie immobilière [7]. Ces différentes règles de
protection du débiteur ne retiendront pas notre attention, en ce qu’elles ne sont pas assorties des
mêmes effets que l’immunité d’exécution, quoiqu’elles relèvent du même régime [8] que cette dernière
qui, en ce qui la concerne, comporte des effets beaucoup plus extrêmes [9].

Il n’est pas sans intérêt de mener notre réflexion sur la catégorie déterminée des bénéficiaires de
l’immunité d’exécution, car il en ressort un intérêt pratique, mais aussi un intérêt théorique qui nous
tiendra considérablement en haleine au cours de cette étude.

De l’intérêt d’ordre théorique, d’une part, on peut relever l’assimilation de la notion d’insaisissabilité à
la notion d’immunité d’exécution, bien qu’elles se distinguent par rapport à leur aboutissement [10]. En
effet, ces deux notions s’apparentent en raison de la réciprocité de leurs effets : empêcher la saisie des
biens protégés.

Cette réciprocité entre les deux notions ne doit pas nous conduire à faire litière de la nuance qui existe
entre les deux, puisque l’immunité ne profite pas seulement aux seules personnes publiques, elle rend
également insaisissables les biens appartenant à ces dernières [11]. Sur cette question, il sied de se
pencher sur les positions antinomiques de la doctrine sur le rapport entre la notion d’immunité
d’exécution et la notion d’insaisissabilité où certains auteurs considèrent celle-ci comme la conséquence
naturelle de celle-là, en soutenant que les biens des personnes publiques deviennent insaisissables [12].

D’autres, dans la même veine, iront jusqu’à soutenir que c’est « une insaisissabilité qui tient à la
personne » [13].

Toutefois, ces positions sont critiquées par un auteur qui y perçoit une connotation beaucoup plus réelle
que personnelle de l’immunité d’exécution qui risque d’engendrer une confusion conceptuelle, en ce
que, au regard des positions soutenues ci-dessus, l’insaisissabilité des biens des personnes publiques
serait une conséquence de l’immunité d’exécution [14]. De la sorte, l’émetteur de cette position, au
rebours de la première, se base sur l’objet de l’assiette saisissable. En effet, il soutient que « ce ne sont
pas des biens qui sont concernés par l’immunité d’exécution et que celle-ci ne porte pas sur la personne,
mais plutôt sur les biens ».

Concrètement, cet auteur, qui perçoit une confusion conceptuelle dans l’emploi symétrique de la notion
d’immunité d’exécution et celle d’insaisissabilité, considère que celle-ci porte sur les biens et non sur la
personne, car cette dernière n’est pas l’objet de la saisie. Il va jusqu’à faire état de l’article 2092 du code
civil [15] d’une part ; et la différence de fondement légal des deux notions [16] d’autre part.

Ce rapport épistémologique entre la nation d’immunité d’exécution et la notion d’insaisissabilité mérite


une précision de taille, au regard des réalités sociologiques et juridiques. En vérité, si la contrainte par
corps est interdite dans certains pays comme la France, où le débiteur ne s’oblige que sur ses biens [17]
et non sur sa personne, son patrimoine en l’occurrence, il n’en demeure pas moins que dans le droit
positif d’autres États, comme le nôtre, la contrainte par corps est toujours en vigueur comme moyen de
coercition du débiteur négligeant ou de mauvaise foi à s’acquitter de sa dette lorsque les conditions y
relatives sont réunies [18]. Et il utile de préciser que la contrainte par corps peut s’illustrer, notamment,
au cas où l’impossibilité d’exécution résulterait d’entorses financières ou réglementaires, et que
s’ensuive la responsabilité individuelle des membres d’une personne morale bénéficiaire de l’obstacle à
l’exécution forcée. Par conséquent, l’axiome sous-tendu par le caractère personnel de l’immunité
d’exécution d’un côté, et le caractère réel de l’insaisissabilité de l’autre, est parfaitement au diapason du
droit positif malien. En d’autres termes, si ce sont les biens qui doivent faire l’objet de saisie, il faut
reconnaître que c’est la personne qui fait l’objet de contrainte si elle s’avère être de mauvaise foi ou
négligente. Or, l’immunité d’exécution s’érige, à notre sens, en un véritable obstacle à l’atteinte de ces
deux objectifs, car la personne qui en bénéficie est non seulement exempte de contrainte sur sa
personne, mais aussi ses biens sont dispensés de saisie.
En raison de son caractère attentatoire aux droits des créanciers, l’immunité d’exécution doit être
strictement encadrée par la loi pour la sauvegarde de la sécurité juridique [19].

D’autant plus que tout débiteur qui en bénéficie, jouit par là même le droit d’insaisissabilité sur ses
biens, quels qu’ils soient, sous réserve toutefois que cette insaisissabilité ne soit pas confondue avec le
droit d’insaisissabilité que le législateur autorise à la loi de chaque État partie de définir [20], soit pour
des raisons édictées dans l’intérêt du débiteur ou dans l’intérêt du commerce, soit pour des raisons
sociales, comme c’est le cas dans le droit positif malien où l’article 705 du code de procédure civile,
commerciale et sociale esquisse soigneusement lesdits biens insaisissables [21].

D’autre part, la formulation même des dispositions qui consacrent l’immunité d’exécution nous paraît
lacunaire, en ce que le style rédactionnel n’est pas au diapason de la clarté, de sorte qu’elles sont
ambiguës pour les sujets concernés par l’application de ce privilège, spécifiquement les investisseurs
dans l’espace Ohada, de se rendre compte des incidences résultant du bénéfice, au profit des personnes
dont la détermination n’est pas dénuée de critiques, de l’immunité d’exécution à leur encontre et par
contrecoup, de prendre connaissance des moyens leur permettant, au moins, d’émousser lesdites
incidences.

De l’intérêt d’ordre pratique, l’analyse à laquelle nous nous livrerons contribuera, à coup sûr, à éclairer
la lanterne des praticiens du droit, mais plus spécifiquement, à attirer l’attention du législateur OHADA
sur l’insuffisance rédactionnelle par rapport aux modes de détermination des bénéficiaires de l’obstacle
à l’exécution forcée, mais aussi et surtout, par rapport aux garanties accordées aux créanciers se butant
sur les effets découlant de l’application de l’immunité d’exécution ; et dans le même ordre d’idée, elle
permettra de se rendre compte, en considération de la mise en œuvre de l’immunité d’exécution, de
l’entrave que celle-ci constitue pour les créanciers dans l’exercice du droit d’exécution forcée, que la loi
leur attribue, contre leurs débiteurs respectifs.

À coté de cet obstacle, qui est permanent, le créancier est également susceptible de se buter sur
d’autres entraves qui, en ce qui les concerne, sont temporaires. Si ces dernières sont relatives au droit
des procédures collectives où le débiteur, en la matière, bénéficie de la suspension des poursuites
individuelles en son encontre [22], les obstacles permanents, que constitue l’immunité d’exécution,
défendent la poursuite du débiteur bénéficiaire en considération de sa qualité. Ainsi, les biens du
débiteur se trouvent soustraits du droit de gage général des créanciers, sous le couvert de
l’indisponibilité, battant subséquemment en brèche le droit fondamental pour ces derniers [23] de faire
usage des voies d’exécution. Pour ainsi dire, si le débiteur n’exécute pas spontanément sa dette, il ne
peut pas y être contraint [24].
Sous le bénéfice de ce qui précède, le droit à l’exécution forcée, droit fondamental à la rescousse du
droit substantiel, doit surmonter les obstacles liés à l’immunité d’exécution, dont le bénéfice n’est que
l’apanage d’un certain nombre de personnes.

Cette différenciation semble être une discrimination [25]. Or, l’article 30 visé ci-dessus n’est ni exhaustif,
ni explicite sur la détermination des bénéficiaires de l’immunité d’exécution. Cette situation a
véritablement laissé libre cours à des polémiques, jadis, sur les catégories desdits bénéficiaires.

Aujourd’hui, la question de la détermination des bénéficiaires de l’immunité d’exécution ne se pose


plus, certes ; toutefois, il n’en reste pas moins que les dispositions de l’article 30 précédemment
évoquées demeurent ambiguës sur la détermination desdits bénéficiaires, en l’occurrence les modalités
de cette détermination. Au fait, ledit article ne nous renseigne pas sur les critères déterminatifs des
personnes susceptibles de bénéficier de l’immunité d’exécution. Qui plus est, il nous paraît évident que
le législateur ne fournit pas assez de moyens qui soient à même de faire face aux incidences éventuelles
de la mise en œuvre de cette institution. Ce qui est de nature à susciter un certain nombre
d’interrogations.

Entre autre : Par quels critères sont identifiés les bénéficiaires de l’immunité d’exécution ? ; Par quels
moyens les créanciers peuvent-ils contourner les effets que l’immunité d’exécution produit à leur
encontre ?

La vraie problématique sur laquelle nous allons nous appesantir est celle de savoir par quels modes les
bénéficiaires de l’immunité d’exécution sont-ils déterminés, d’une part, et de l’autre, quelles en sont les
incidences ?

Tel est l’objet du présent article, à travers lequel il se propose de résoudre la problématique sus
indiquée.

Pour ce faire, l’on s’intéressera d’abord à la posture du législateur OHADA dans la détermination des
différentes catégories de bénéficiaires de l’immunité d’exécution (I), avant de mettre le cap sur les
incidences pratiques de la posture du législateur OHADA dans la détermination desdits bénéficiaires (II).

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