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L’AGENT DES SÛRETES EN DROIT OHADA

Koffi M. AGBENOTO
Agrégé de droit privé et sciences criminelles
Université de Lomé

La réforme de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés (AUS) intervenue


le 15 décembre 2010 a permis au législateur de l’Ohada d’innover, de créer dans
les Etats parties, héritiers du Code civil de 1804, deux nouvelles catégories
d'acteurs, à savoir l’agent des sûretés et le débiteur professionnel. On s’accorde à
reconnaitre qu’il s’agit d’une évolution majeure.
Constamment, l'instauration de l'agent des sûretés a été présenté comme une
solution pour répondre aux besoins de la pratique bancaire, dans le cadre d'un pool
bancaire, c’est-à-dire un groupement de plusieurs établissements de crédit en vue
de financer une opération complexe risquée ou majeure présentée par un client
commun. Il sert également à l'administration d'un crédit syndiqué, plus
exactement un financement consenti par un consortium d'établissements de crédit.
Dans le contexte et sur le sol de l’Ohada, l’agent des sûretés est,
incontestablement, un acteur nouveau, mais atypique, dressé dans un habit
d’emprunt.
I-Un acteur atypique
La particularité de l’agent des sûretés est révélée par rapport à sa qualité et par
rapport à son activité.
1-Une qualité réservée
La réception du baptême d’agent des sûretés n’est reconnue qu’à une catégorie
d’opérateurs économiques. Ainsi que l’a énoncé l’article 5 de l’AUS, l'agent des
sûretés est une personne morale de droit privé ou de droit public, d’origine
nationale ou étrangère, intervenant exclusivement dans le domaine financier ou
en tant qu'établissement de crédit. Cela signifie que les personnes physiques,
notamment les avocats ou les notaires, sont exclues de cette fonction.
On s’est, légitimement, interrogé sur le point de savoir si ces institutions
financières ne rechercheront pas à gérer les sûretés de leurs débiteurs eux-mêmes
créanciers, en insérant une telle clause dans leurs fournitures de crédit 1. Un

1J. Issa-Sayegh, Commentaire sous l’article 5 AUS, in Traité et Actes uniformes commentés et annotés, Juriscope, 2018, p.
882.

1
éventuel conflit d’intérêt demeure la crainte. Toutefois, la mise en place d’un code
de déontologie pourrait permettre de régler ce problème.
En tous les cas, conformément à l'article 7 de l'AUS, l'agent des sûretés doit
expressément mentionner « son nom et sa qualité d'agent des sûretés » dès lors
qu'il agit au profit des créanciers, même s’il s’agit d’un contrat d’agent de sûretés
sur soi-même. En particulier, toute inscription de sûreté devra mentionner ces
éléments. Aussi séduisante soit-elle, une telle qualité est enchâssée dans une
activité bien délimitée.

2-Une profession limitée


Les activités de l'agent des sûretés sont définies à l'article 5 de l'AUS aux termes
duquel « toute sûreté ou autre garantie de l'exécution d'une obligation peut être
constituée, inscrite, gérée et réalisée » par l'agent des sûretés.
D’une manière générale, c’est entre les mains et sur la tête de l’agent des sûretés
que sera centralisée la gestion des sûretés (ex. constitution, publication,
réalisation, mainlevée, etc.), ce qui présente un double avantage : non seulement
les créanciers se trouvent déchargés de l’ensemble de ces diligences, mais ils
peuvent de surcroît céder leur participation sans que la présence des sûretés
n’impose la moindre formalité (ex. inscription modificative, remise des biens
grevés, etc.).
Plus spécifiquement, l’agent des sûretés OHADA peut constituer toutes formes
de sûretés, qu’elles soient personnelles, réelles, de même qu’il peut être,
probablement, bénéficiaire d’une délégation de paiement. Toutes les inscriptions
de sûretés sont faites au seul nom de l’agent des sûretés, et celui-ci peut signer
seul tous les actes sans avoir besoin d’une quelconque autorisation
supplémentaire. Par ailleurs, l’agent des sûretés est autorisé à intenter toute action
pour défendre les intérêts, des créanciers bénéficiaires : il pourra agir en justice ;
il pourra également effectuer des déclarations de créance dans la procédure
collective du débiteur ; la seule indication selon laquelle il intervient en sa qualité
d’agent des sûretés est suffisante2.
Le domaine réservé du mécanisme n’occulte pas, totalement, l’hybridisme imposé
du statut avec les figures existantes.
II-Un statut d’emprunt

2P. Crocq, Le nouvel acte uniforme portant organisation des sûretés. La réforme du droit des sûretés de l’Ohada, Lamy, 2012,
p. 57.

2
On a essayé de faire du neuf avec du vieux en ce sens que le statut d’agent des
sûretés est, véritablement, un régime d’emprunt. En réalité, la désignation, les
pouvoirs et la responsabilité de l'agent des sûretés obéissent aux règles de droit
commun du mandat ou, plus généralement, à celles des figures connues.
1-Dans l’exercice des pouvoirs
Nul doute que l’agent des sûretés agit « en son propre nom et en qualité d’agent
des sûretés, au profit des créanciers » des obligations garanties. On observe
toutefois que la désignation d'un agent des sûretés peut être fondé sur un simple
mandat. L'article 8 de l'AUS illustre bien ce raisonnement ; il attribue d’ailleurs à
l'agent des sûretés un pouvoir général de représentation des créanciers. Il s'agit,
en tout état de cause, de règles supplétives que les parties sont libres d'aménager
dans l'acte de désignation de l'agent des sûretés.
Par ailleurs, l’acte de désignation de l’agent des sûretés doit contenir, à peine de
nullité, un certain nombre de mentions obligatoires conformément l’article 6 du
nouvel Acte uniforme.
Il ne fait pas de doute que le contrat d'agent des sûretés emprunte à différentes
figures contractuelles. En premier lieu, on pense au contrat de commission,
puisque l'agent des sûretés agit au profit des créanciers qui l'ont nommé mais en
son nom propre, si bien que l'identité des créanciers pourra rester inconnue des
tiers. En second lieu, on le rapproche du contrat de fiducie (tel qu'il est connu en
droit français), puisque l'agent des sûretés pourra être amené à devenir propriétaire
des biens remis en garantie qu'il devra alors détenir dans un patrimoine distinct de
son patrimoine propre.
Mais la comparaison semble ne pas aller au-delà : l'agent des sûretés ne serait ni
un commissionnaire, ni un fiduciaire (l'AUS n'a pas entendu consacrer le contrat
de fiducie qui reste inconnu du droit OHADA) ; il est proposé alors de considérer
le contrat d'agent des sûretés comme un contrat sui generis3.
Il est beaucoup plus juste d’admettre, à l’instar du security trustee de droit anglo-
saxon, que l’agent des sûretés doit être titulaire des sûretés. Les sûretés constituées
et gérées par l’agent ainsi que les sommes issues de leur réalisation doivent être
rassemblées dans un patrimoine affecté à l’exercice de sa mission.
Possiblement, l’existence d’un patrimoine d’affectation dans lequel les sûretés
détenues par l’agent seraient isolées de ses actifs personnels permet de protéger
les créanciers syndiqués en cas de procédure collective de l’agent. Le patrimoine

3
P. Crocq, Le nouvel acte uniforme portant organisation des sûretés. La réforme du droit des sûretés de l’Ohada, op. cit. p.
55, n° 43.

3
d’affectation empêche également les créanciers personnels de l’agent de saisir les
sûretés garantissant les crédits octroyés par le pool. Inversement, les créanciers
nés de la gestion des sûretés ne peuvent pas saisir les actifs personnels de l’agent.
2-Dans la mise en œuvre de la responsabilité
L'agent des sûretés est responsable, dans le cadre de sa mission, à l'égard des
créanciers au profit desquels il agit et à l'égard des tiers.
A l’égard des créanciers, l'article 11 de l'AUS énonce qu’« à défaut de disposition
contraire dans l'acte le désignant, la responsabilité de l'agent des sûretés à
l'égard des créanciers de la ou des obligations garanties s'apprécie comme celle
d'un mandataire salarié ».
A l’égard des tiers, l’agent des sûretés engage seul sa responsabilité, sous réserve
de son recours contre les créanciers si les conditions sont réunies.
En définitive, la création d’un tel acteur est une initiative salutaire ; l’extension
de son champ d’application s’impose à d’autres acteurs, notamment les praticiens
(avocats et notaires) réunis en société civile professionnelle ; son régime mérite
d’être amélioré, mieux clarifié, distingué des autres acteurs économiques, afin de
le rendre plus attractif.

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