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Ohadata D-23-17

LE PACTE COMMISSOIRE DANS LE NOUVEL ACTE


UNIFORME PORTANT ORGANISATION DES SÛRETÉS,
UNE FORME DE DATION EN PAIEMENT
Par

Hômgu BASSONNA
Doctorant en Droit Privé, Université de Lomé

Email : homgubassonna@gmail.com

Article sélectionné par le Conseil scientifique - Association Henri Capitant


https://www.henricapitant.org
RESUMÉ
La dation en paiement est un contrat par lequel, le débiteur et le créancier s’accordent pour que
ce dernier soit satisfait en recevant une autre prestation que celle initialement définie dans le
contrat. La dation en paiement vise ainsi, un paiement en nature qui permet à un débiteur de
payer tout ou partie du montant de sa dette par cession de la propriété d'un bien ou d'un ensemble
de biens lui appartenant. Figure attrayante, la dation en paiement n’est cependant pas une sûreté
en droit OHADA. Toutefois, le législateur OHADA dans le but de faciliter les échanges
commerciaux et de sécuriser le monde des affaires en Afrique a introduit une forme de dation
en paiement dans le nouvel acte uniforme sur les sûretés. Il s’agit du pacte commissoire qui
autorise que l’immeuble hypothéqué soit donné en paiement au créancier si et seulement si le
constituant est une personne morale ou une personne physique dûment immatriculée au
Registre du Commerce et du Crédit Mobilier et que l’immeuble hypothéqué ne soit pas à usage
d’habitation. Le pacte commissoire est ainsi une dation en paiement conditionnée.

Mots clés : Dation, paiement, pacte, commissoire, sûreté.

SUMMARY
The donation in payment is a contract by which the debtor and the creditor agree that the creditor
will be satisfied by receiving a service other than that initially defined in the contract. The
donation in payment is therefore a payment in kind that allows a debtor to pay all or part of the
amount of his debt by transferring ownership of an asset or a group of assets belonging to him.
Although an attractive option, the donation in payment is not a security under OHADA law.
However, the OHADA legislator, with the aim of facilitating trade and securing the business
world in Africa, has introduced a form of donation in payment into the new Uniform Act on
Securities. This is the commissory pact, which authorises the mortgaged property to be given
in payment to the creditor if, and only if, the grantor is a legal entity or a natural person duly
registered in the Trade and Personal Property Credit Register and the mortgaged property is not
for residential use. The commissory pact is thus a conditional donation in payment.

Keywords: Donation, payment, pact, commissory, security.

2
INTRODUCTION
Le créancier désireux de se réserver quelques droits directs sur le patrimoine de son
débiteur, afin de parer à une éventuelle inexécution, et parce qu’un droit réel est mieux protégé
qu’un droit personnel, peut conclure un contrat de nantissement. Une chose lui est alors remise
pour sûreté de sa créance1. En cas d’inexécution, le créancier peut la retenir jusqu’au complet
désintéressement (droit de rétention), demander l’attribution judiciaire ou la faire vendre aux
enchères pour exercer son droit de préférence sur le prix obtenu2. Il peut aussi vouloir stipuler
qu’en cas de défaillance, le bien nanti lui demeurera en paiement de ce qui lui est dû. Une telle
clause est nommée : « pacte commissoire ».
Le pacte3 commissoire est une « convention par laquelle le créancier se fait consentir le
droit de s’approprier de lui-même (sans avoir à le demander au juge) la chose remise en gage,
faute de paiement à l’échéance »4. Ou encore, il est la « clause en vertu de laquelle le créancier,
non payé à l’échéance, demeurerait de plein droit propriétaire du gage »5. L’appropriation de
la chose objet du gage a pour but l’extinction de l’obligation garantie. Le pacte commissoire
n’est pas l’exécution d’une peine prévue en cas d’inexécution, il n’est pas non plus une clause
pénale en nature.
En droit OHADA ce sont les articles 104, alinéa 3 et 199 de l’Acte Uniforme portant
organisation des Sûretés6 qui définissent le pacte commissoire sans toutefois le nommer. Aux

1
La législation actuelle favorise l’octroi de sûretés réelles au détriment des sûretés personnelles. Ce mouvement
est animé notamment par le souci de mettre le patrimoine privé de l’entrepreneur individuel à l’abri des vicissitudes
de l’entreprise (M. CABRILLAC et Chr. MOULY, n° 524-1). La législation sur l’EURL en est un exemple. Mais
les faits vont à l’encontre de la volonté du législateur. L’entreprise à responsabilité limitée n’en a bien souvent,
dans la pratique, que de nom. En effet, l’établissement de crédit, partenaire indispensable de l’entrepreneur,
demande fréquemment un engagement personnel de celui-ci. L’entrepreneur, voire de façon plus sournoise son
conjoint, est souvent obligé de se porter personnellement caution des dettes de l’entreprise. Afin d’éviter une telle
situation, qui a pour effet d’étendre la situation déficitaire de l’entreprise au patrimoine privé de l’entrepreneur, le
législateur impose aux établissement de crédit, désireux de se voir accorder une sûreté personnelle par une
personne physique ou une sûreté réelle sur un bien non nécessaire à l’exploitation de l’entreprise, de faire au
préalable des propositions de prise de sûreté réelle sur les biens affectés à l’exploitation de l’entreprise. En cas de
refus des propositions, tant par l’établissement de crédit que par l’entrepreneur individuel, l’établissement peut
alors exiger, à sa guise, des sûretés réelles ou personnelles tout en gardant une faculté de renonciation à consentir
le concours financiers en cas de refus et sans que sa responsabilité puisse être recherchée (art. 60-1, L. 24 juin
1984 modifié par L. 11 février 1994). Sans doute ces mesures ont-elles été jugées insuffisantes puisque la loi
n°2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique prévoit une mesure radicale : l’entrepreneur individuel
peut rendre insaisissable sa résidence principale au moyen d’une déclaration notariée (art. L. 526-1 C. com) ; cf.
S. PIEDELIEVRE, « L’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur individuel », JCP 2003, éd. G,
I, 165. Mais qui prêtera à un débiteur dont l’essentiel du patrimoine est grevé d’insaisissabilité.
2
Art. 2078, al. 1, et art. 2073 du C. civ.
3
La terminologie de pacte est directement issue du droit romain. En effet, la convention, selon laquelle le créancier
non payé acquérait la propriété de la chose objet du gage (pignus en droit romain), était adjointe au contrat de
pignus. Elle se nommait lex commissoria. Ce type de convention accessoire ne pouvait revêtir que la forme du
pacte puisque celui-ci était destiné à amplifier les droits du créancier gagiste par rapport à ceux qu’il tenait du droit
commun. Sur tous ces points, v. MAY, Eléments de droit romain, 1907, 9e éd., n° 222, p. 222, p. 466 note 7 ;
MONIER, Manuel de droit romain, tome 2, 1954, 5e éd., n° 145 ; sur l’historique de la prohibition du pacte

3
termes de ces articles, « …les parties peuvent convenir que la propriété du bien gagé sera
attribuée au créancier gagiste en cas de défaut de paiement... », « A condition que le constituant
soit une personne morale ou une personne physique dûment immatriculée au Registre du
Commerce et du Crédit Mobilier et que l’immeuble hypothéqué ne soit pas à usage d’habitation,
il peut être convenu dans la convention d’hypothèque que le créancier deviendra propriétaire
de l’immeuble hypothéqué ».
Il faut relever que jusqu’en mai 2011, la saisie immobilière a été le seul mode de réalisation
de l’hypothèque prévu par l’Acte Uniforme portant organisation des Procédures Simplifiées de
Recouvrement et des Voies d’Exécution (AUPSRVE) en ses articles 246 à 334. Imprimant à la
saisie immobilière son caractère rigide, l’exclusivité n’a fait que renforcer les multiples autres
défauts de cette voie d’exécution jugée trop lourde, coûteuse, inefficace et pénalisante pour le
crédit. Il s'est aussi avéré que le niveau des impayés a atteint un seuil très important au niveau
des établissements de crédit dans l'espace OHADA qu'il convenait impérativement de trouver
une solution à cette situation afin de permettre aux établissements de crédit de jouer pleinement
leur rôle en matière d'octroi de crédit.
Ainsi, si pour se prémunir contre le risque d'insolvabilité et d'impécuniosité de son débiteur,
le créancier exigeait à la conclusion du contrat, la mise en œuvre des garanties conventionnelles
ou légales, plus d'efficacité devait être donnée à la mise en œuvre de ces garanties pour assurer
à terme, l'exécution de l'obligation principale du débiteur. Dans cette perspective et dans le but
de créer un environnement juridique sécurisé qui stimule l'investissement et le crédit, le
législateur OHADA a introduit le pacte commissoire qui a constitué à l’évidence, l’une des
innovations majeures du nouvel Acte uniforme sur les sûretés, entré en vigueur dans l’ensemble
des Etats membres de l’espace OHADA le 15 mai 2011.
Aux termes des dispositions de l’article 199 de l’AUS, le pacte commissoire est inséré dans
la convention d’hypothèque. Cette dernière n’est pas le seul support du pacte commissoire. En
droit français comme en droit OHADA, la doctrine suggère la souscription du pacte
commissoire postérieurement à l’hypothèque, par voie d’avenant. Cet acte viendrait alors
modifier la convention (au sens de negotium) d’hypothèque en y ajoutant les clauses relatives
à l’attribution du bien hypothéqué. L’avenant présenterait l’avantage de la souplesse pour les

commissoire, cf. Ph. DUPICHOT, Le pouvoir des volontés individuelles et le droit des suretés, préf. M.
GRIMALDI, Editions Panthéon Assas, 2005, n° 743.
4
G. CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 4e éd., PUF, Quadrige, 2003, v° Pacte
commissoire.
5
COLIN et CAPITANT, op. cit., tome II, par JULLIOT DE LA MORANDIERE, 9e éd., 1942, n° 1457, p. 919.
6
AUS

4
parties qui pourraient librement décider du moment de la souscription du pacte si le besoin s’en
faisait sentir postérieurement à la convention d’hypothèque. En toute hypothèse, l’accord du
constituant et du créancier reste indispensable.
L’élaboration du contenu du pacte commissoire est une étape importante et délicate. C’est
l’occasion pour les deux parties d’utiliser la liberté qui leur est laissée pour organiser leurs
rapports juridiques. Il s’agit d’anticiper les difficultés de la mise en œuvre du pacte. Mais, il est
à craindre que le créancier, investisseur étranger, seul maître des techniques de garantie de
financement nouvellement introduites dans l’espace OHADA, pèse de tout son poids culturel
et économique sur la conception et la rédaction du contenu du pacte commissoire, si le notaire
ne maîtrise pas parfaitement les nouveaux modes d’exécution de l’hypothèque.
Dans le silence de la loi et faute de décisions jurisprudentielles, même en droit français,
qui auraient été une précieuse source d’inspiration pour l’élaboration du contenu d’un pacte
commissoire, on peut identifier dans l’article 199 de l’AUS les points qui, en raison de leur
caractère sommaire ou imprécis, sont laissés à la discrétion des parties. Ce besoin de clarté
concerne notamment la défaillance du débiteur, le transfert de la propriété et l’expertise de
l’immeuble hypothéqué. Outre la publicité de l’hypothèque, celle du pacte commissoire est
nécessaire pour sécuriser le droit reconnu au créancier de choisir ce mode de réalisation de
l’hypothèque. La publicité consiste en une mention ou inscription du pacte dans les registres et
documents tenus par le service en charge de la conservation foncière dans chaque État membre
de l’OHADA. Le pacte devient alors opposable aux tiers puisqu’ils peuvent en prendre
connaissance. La publicité du pacte commissoire est donc une condition de son efficacité.
L’Acte uniforme ne l’a pourtant pas envisagée. Cela ne signifie cependant pas qu’il
abandonne la publicité du pacte commissoire à la discrétion des parties. En effet, la
réglementation de la publicité foncière ne relève pas de la compétence de l’OHADA,
insuffisance normative7 reconnue par l’article 195, alinéa 1er de l’AUS qui renvoie au droit
national en disposant que, « Tout acte conventionnel ou judiciaire constitutif d’hypothèque doit
être inscrit conformément aux règles de publicité édictées par l’État Partie où est situé le bien
grevé et prévues à cet effet ». La publicité du pacte commissoire devrait pareillement être faite
selon le droit interne aux États membres de l’OHADA.
Le décret français n° 2008-466 du 19 mai 20088 a prévu par exemple, dans les bordereaux
hypothécaires, la mention spéciale « de la clause prévoyant que le créancier hypothécaire

7 G. NGOUMTSA Anou, Droit OHADA et conflits de lois, LGDJ 2013, n°49.


8 Décret n°2008-466 du 19 mai 2008 modifiant le décret n°55-1350 du 14 octobre 1955 pour l’application du
décret du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière.

5
impayé deviendra propriétaire de l’immeuble hypothéqué ». Par contre, le code foncier et
domanial togolais de 2018 et la loi numéro 2013-01 du 14 janvier 2013 portant code foncier et
domanial en République du Bénin9 ont ignoré les deux nouveaux modes d’attribution de
l’hypothèque prévus par l’AUS. Les pays membres de l’OHADA devraient donc prendre toutes
les dispositions nécessaires pour la mise en application des deux nouveaux modes d’attribution
de l’hypothèque.
Par ailleurs, le pacte commissoire, nouvelle construction contractuelle, est accessoire à la
sûreté et a pour finalité, le transfert direct de la propriété du meuble ou de l’immeuble au
créancier. Tout comme une dation en paiement, il permet au débiteur de voir s’éteindre à la fois
sa dette et la sûreté qui la garantit. En effet, la dation en paiement est un contrat par lequel, le
débiteur et le créancier s’accordent pour que ce dernier soit satisfait en recevant une autre
prestation que celle initialement définie dans le contrat10. Cette convention a un effet extinctif
à l’égard de l’obligation sur laquelle elle porte. La dation en paiement vise ainsi, un paiement
en nature qui permet à un débiteur de payer tout ou partie du montant de sa dette par cession de
la propriété d'un bien ou d'un ensemble de biens lui appartenant11. Elle suppose donc une
aliénation d'un bien ou d’un ensemble de biens du débiteur, par transfert de propriété au profit
de son créancier, ce qui permet de pallier à une certaine forme d’insolvabilité du débiteur12.
Le pacte commissoire est ainsi une forme de dation en paiement conditionnée car il permet
au créancier de recevoir autre chose (notamment un bien immeuble) que le montant de sa
créance. Il permet en effet, au créancier de devenir propriétaire du bien gagé ou hypothéqué en
cas de défaillance du débiteur. De ce fait, le pacte commissoire est efficace dans le contexte
économique africain actuel. Il convient donc d’analyser d’une part, son admission conditionnée
(I) et d’autre part, l’assimilation de son exécution à une dation en paiement (II).

9 https ://docs.google.com /file/d/0B3YSEdpKv61TUHM4VW9SQU91cWs/edit ?usp=sharing.


10
P. BARBAN, « Régime général des obligations, Leçon 4 : l’extinction sans paiement », UNJF, p. 2.
11 Désormais, cette jurisprudence a été intégrée au Code civil français. Ainsi, la dation en paiement est aujourd’hui
définie à l’article 1342-4 alinéa 2 du Code civil en ces termes : « Il (le créancier) peut accepter de recevoir en
paiement autre chose que ce qui lui est dû ». Le nouvel article fait donc bien de la dation en paiement, un contrat
soumis à l’accord de volontés entre le créancier et le débiteur. Ainsi, si l’obligation en cause est une obligation de
somme d’argent, mais que le créancier accepte de recevoir en lieu et place un bien meuble ou immeuble déterminé,
la livraison de ce bien meuble ou immeuble entraîne l’extinction de l’obligation avec libération du débiteur et
satisfaction du créancier.
12
S. HADDAD, « Les risques de la dation en paiement », Légavox.fr, p. 1, publié le 19 novembre 2012.

6
I. L’ADMISSION CONDITIONNÉE DU PACTE COMMISSOIRE
EN DROIT OHADA
Pour mettre en exergue le pacte commissoire, un certain nombre de conditions doivent être
remplies. En effet, le créancier impayé doit s’assurer de la réunion non seulement des conditions
subjectives mais également des conditions objectives. Il y a ainsi lieu de faire ressortir tour à
tour, les conditions de mise en œuvre du pacte commissoire (A) et la procédure de sa réalisation
(B).

A. LES CONDITIONS DE MISE EN OEUVRE DU PACTE


COMMISSOIRE

Pour mettre en œuvre le pacte commissoire, un certain nombre de conditions doivent être
remplies. On dénombre des conditions qui sont subjectives et d’autres qui sont objectives. Au
titre des conditions subjectives, l’article 199 de l’Acte uniforme révisé portant organisation des
sûretés a prévu, tant les conditions relatives à l’immeuble que celles relatives à l’acte.
S’agissant des conditions relatives à l’immeuble, l’usage d’habitation est un obstacle à
l’attribution conventionnelle de l’immeuble. Visant l’habitation sans en préciser l’occupant,
l’article 199 de l’AUS fait automatiquement penser à la résidence principale abritant le débiteur
ou le constituant avec les membres de sa famille. Cependant, il convient de se demander si le
local occupé par des personnes autres que le constituant ne devrait pas être protégé sur le
fondement de ce texte. Deux thèses s’opposent sur la question. L’une13 propose de ne protéger
que l’habitation du débiteur ou du tiers constituant. Or, si telle avait été l’intention du
législateur, pourquoi n’a-t-il pas repris dans l’article 199, la formule de l’article 198 visant
expressément la résidence principale du constituant ? La seconde thèse14, invoquant l’adage «
ubilex non distinguit », semble plus convaincante, soutenant que le législateur aurait voulu
interdire l’attribution conventionnelle de l’immeuble occupé par le constituant ou par des tiers
occupants du chef du constituant. On peut néanmoins se demander si les résidences secondaires,
lieux d’habitation temporaire, ne seraient pas elles aussi exclues du domaine du pacte
commissoire.

13 A. FENEON, « Le pacte commissoire : une innovation importante du nouvel Acte uniforme sur les sûretés »,
penant n°877, P 426.
14 M. BRIZOUA-BI, « Les hypothèques », in Le nouvel acte uniforme portant sur les sûretés – La réforme du
droit des sûretés de l’OHADA, Lamy Axe Droit, 2012, sous la direction de CROCQ (P), n°449.

7
Cette seconde lecture de l’article 199 de l’AUS, combinée avec l’article 198, permet de
conclure que seuls les immeubles à usage professionnel peuvent être attribués par voie
judiciaire ou conventionnelle. Les intérêts familiaux du constituant sont ainsi sauvegardés car
les immeubles abritant de tels intérêts sont protégés soit au titre de la résidence principale du
constituant (article 198), soit en vertu de l’usage d’habitation (article 199). C’est une protection
somme toute relative car, la saisie immobilière reste applicable à ces immeubles qui
n’échappent donc pas au créancier hypothécaire. Quant aux immeubles servant d’habitation aux
personnes autres que les membres de la famille du constituant, le pacte étant interdit, ils peuvent
seulement être saisis ou être attribués par voie judiciaire. Un problème demeure cependant,
lorsque l’immeuble est à usage mixte, en raison de l’affectation partielle à la résidence du
constituant ou à l’habitation des siens et à l’exercice d’une activité professionnelle, cette
situation étant courante dans les villes africaines. La protection de la résidence ou du logement
pourrait justifier l’extension de l’interdiction d’attribuer aux immeubles à usage mixte.
Pour ce qui concerne les conditions relatives au pacte, l’article 199, alinéa 2, de l’AUS
pose comme conditions du transfert de la propriété du bien hypothéqué, la défaillance du
débiteur et sa mise en demeure. En raison du silence de ce texte sur les conditions de cette
défaillance, les parties peuvent librement y consacrer une clause spécifique précisant le sens de
la défaillance et, éventuellement, les modalités d’une concertation afin de remédier à cette
défaillance. En effet, les parties au pacte commissoire conviennent « que le créancier deviendra
propriétaire de l’immeuble hypothéqué », formule consacrée par l’article 199, alinéa 1er. Pour
des raisons pédagogiques et juridiques tenant à la nouveauté de la technique dans l’espace
OHADA, il serait utile de reproduire ces dispositions, sans faire référence à l’expression « pacte
commissoire » dénuée de toute utilité pratique15. Une fois l’objet du pacte énoncé, s’en suivent
alors les modalités précises de l’opération, notamment, la date du transfert, de façon à éviter
toute difficulté sur ce point lors de l’exécution du pacte. La clause pourrait également organiser
la notification de la décision du créancier qui aurait choisi l’attribution conventionnelle et enfin
la prise en charge des frais de transfert.
L’article 200 de l’AUS impose l’estimation de l’immeuble hypothéqué par un expert «
désigné amiablement ou judiciairement ». Pratiquement, les parties ont une option lors de la
souscription du pacte : désigner immédiatement l’expert, reporter cette désignation à la date
d’exécution du pacte, s’en remettre à la désignation qui sera faite par le juge. Dans les deux

15
Bazin-Beust, une analyse du pacte commissoire… ou prudence est mère de sûreté chez les financeurs ?, LPA,
19 mai 2011, n°99, P.50, spéc. § n°28.

8
premiers cas, l’expertise peut être confiée à l’expert qui a évalué l’immeuble pour la
constitution de l’hypothèque. Le choix de l’expertise amiable implique par ailleurs que les
parties s’accordent sur la définition de la mission de l’expert et la prise en charge des frais et
des honoraires.
Il existe par ailleurs des conditions subjectives. Elles sont relatives à la défaillance du
débiteur et à la qualité des parties. Concernant la qualité des parties, selon l’article 199 de
l’AUS, le constituant, souscripteur du pacte commissoire, doit être « une personne morale ou
une personne physique dûment immatriculée au Registre du Commerce et du Crédit Mobilier
(…) ». Il s’ensuit que seules des personnes immatriculées ont qualité pour souscrire le pacte
commissoire. La mise à l’écart des personnes non inscrites est perçue comme une mesure de
protection des intéressées ; leur immeuble hypothéqué n’échappe cependant pas au créancier
hypothécaire qui pourrait en demander l’attribution judiciaire ou le faire saisir. On comprend
donc que, seules des personnes physiques commerçantes sont autorisées à souscrire le pacte
commissoire, les personnes dispensées de cette formalité ne peuvent pas convenir de
l’attribution de leur bien hypothéqué.
Une difficulté surgit à propos de l’immeuble indivis dont l’hypothèque « a été consentie
par tous les indivisaires », selon l’article 194, alinéa 2, de l’AUS. Le problème est de savoir si
la condition d’immatriculation nécessaire à la souscription du pacte commissoire est requise de
tous les indivisaires. La question est d’autant plus intéressante que l’immatriculation au
Registre du Commerce et du Crédit Mobilier (RCCM) est personnelle16. Logiquement, seuls
des indivisaires, tous immatriculés au RCCM, devraient pouvoir souscrire un pacte
commissoire sur l’immeuble hypothéqué à l’unanimité. Dans le cas contraire, cette convention
devrait être interdite afin d’éviter que l’immeuble collectif soit transféré au créancier
hypothécaire par une voie de justice privée hors du contrôle judiciaire. En toute hypothèse,
seule l’attribution conventionnelle est interdite au constituant non inscrit ; la saisie immobilière
et l’attribution judiciaire du bien restent ouvertes au créancier hypothécaire.
Ainsi, le créancier a toujours intérêt à souscrire le pacte afin d’élargir le cadre du choix du
mode de réalisation de l’hypothèque. Quant au constituant, il peut avoir intérêt à éviter les coûts
de la procédure de saisie immobilière. Bien que les intérêts ne soient pas nécessairement
identiques, les parties doivent négocier afin d’aboutir à un accord constitutif du pacte.
L’exigence de l’accord des parties signifie que le constituant peut en principe accepter ou

16
Acte uniforme révisé portant droit commercial, art 49.

9
refuser la souscription du pacte proposée par le créancier, le juge devant contrôler l’existence
d’un tel accord.
Relativement à la défaillance du débiteur, le débiteur est défaillant lorsqu’il ne règle pas
une créance présentant les trois caractères classiques, certaine, liquide et exigible. La Cour
Commune de Justice et de l’Arbitrage (CCJA) a, sur le fondement de l’article 1er de
l’AUPSRVE17, apporté aux trois caractères des précisions intéressantes pour l’exécution de
l’hypothèque. Ainsi, selon elle, la créance est certaine « lorsque son existence ne souffre
d’aucune contestation dès lors qu’elle tire son essence d’une relation contractuelle non
contestée par les parties »18. Elle a également précisé que « la créance est liquide dès que son
quantum est déterminé dans sa quantité, en d’autres termes, chiffrée »19. Elle a enfin jugé20 la
créance exigible « lorsque le débiteur ne peut se prévaloir d’aucun délai ou condition
susceptibles d’en retarder ou d’en empêcher l’exécution ».
En exigeant la mise en demeure préalable à l’attribution conventionnelle, l’article 199,
alinéa 2 de l’AUS reprend l’idée traditionnelle selon laquelle un créancier doit nécessairement
réclamer sa créance, faute de quoi, son silence vaut prolongation tacite de l’échéance. Cette
formalité est utile pour plusieurs raisons. Elle permet au créancier d’exiger de son débiteur
l’exécution, sous la menace des sanctions encourues. Outre la constatation de la défaillance du
débiteur, elle témoigne de la bonne foi du créancier21 qui s’abstient de mettre les sanctions à
exécution sans que la défaillance soit avérée.
Au-delà de l’utilité de la mise en demeure pour le créancier, cette formalité doit surtout
être perçue comme une charge22 imposée au créancier hypothécaire qui choisit l’attribution
conventionnelle. Cette qualification de charge se justifie au regard de l’article 199. En effet, ce
texte ne se contente pas d’imposer l’accomplissement de cette formalité préalable ; il prend soin
de préciser la forme de la notification - par acte extra-judiciaire –, et fixe en outre la durée d’un
(01) mois pendant laquelle le créancier « est invité à patienter sans pouvoir entreprendre aucune
voie de contrainte »23. Le législateur communautaire entend marquer sa fermeté par de telles

17 L’article 1er de l’AUPSRVE dispose que « le recouvrement d’une créance certaine, liquide et exigible peut être
demandé suivant la procédure d’injonction de payer ».
18 CCJA, arrêt n°19 du 06 novembre 2003, affaire société générale de financement par crédit-bail dite
SODEFIBAIL c/Monsieur Dramer Mamadou.
19 CCJA, arrêt n°21 du 17 juin 2004, affaire SDV-CI c/ Rial Trading, RJCCJA n°3, jan-juin 2004, p.130 et suiv.
; v. aussi arrêt n°017.2002 du 27 juin 2002, Sté El Nasr import-export c/Sté Domomies de Côte-D’ivoire dit DDCI,
le juris-ohada n° 4/2002, p.47.
20 CCJA, arrêt n° 21 du 17 juin 2004 préc.
21 B. FAGES, Droit des obligations, LGDJ 2007, n° 350.
22
N. CAYROL, Mise en demeure, Notarial Répertoire, V° Contrats et obligations, fasc. 21, n°5.
23
J.-C. BOULAY, « Réflexion sur la notion d’exigibilité de la créance », RTD com. 1990 p. 339.

10
précisions, bien qu’il faille apparemment nuancer cette analyse par le constat de son silence sur
le contenu de l’acte et sur le point de départ du délai d’un mois d’attente.
En tout état de cause, concernant la mise en demeure, la libre appréciation du contenu ne
devrait pas autoriser une clause contraire aux objectifs poursuivis par le législateur qui, en
imposant cette formalité, a voulu favoriser le paiement sous la menace de la sanction et éviter
que le débiteur perde trop facilement, par une voie de justice privée, un bien chargé de
signification socio-économique et sentimentale. C’est pour cela qu’on pourrait d’ailleurs se
demander si l’exigence de la mise en demeure avant la réalisation du pacte ne serait pas en elle-
même d’ordre public.

B. LA RÉALISATION DU PACTE COMMISSOIRE

L’efficacité du mode de réalisation mis en œuvre par le créancier hypothécaire s’apprécie


à l’aune des objectifs de simplicité, de rapidité et de réduction des coûts qui devraient faire de
l’attribution du bien hypothéqué une alternative économiquement intéressante. Or, l’attribution
du bien hypothéqué consiste en un mécanisme dont la complexité risque de compromettre
l’efficacité recherchée par le législateur communautaire. Par ailleurs, l’Acte uniforme ne fait
qu’évoquer la situation des autres créanciers hypothécaires alors qu’il faudrait appréhender
globalement le conflit entre le créancier attributaire et les autres créanciers hypothécaires du
débiteur.
Il faut relever que le transfert de l’immeuble hypothéqué n’est pas un acte instantané. Bien
au contraire, la réalisation de cette voie d’exécution de l’hypothèque consiste en un processus
nécessitant l’accomplissement d’un certain nombre d’actes. La détermination de la procédure
devient également problématique. L’article 199 prévoit la constatation du transfert
conventionnel « dans un acte établi selon les formes requises par chaque État Partie en matière
de transfert d’immeuble ». L’article 198 énonce simplement, à propos de l’attribution judiciaire,
que le créancier impayé fait la demande en justice, sans autre précision, ce qui signifierait un
renvoi aux droits internes des États parties pour déterminer la juridiction compétente24. La
nature de l’acte juridictionnel qui constate le transfert du bien va donc dépendre de la juridiction
saisie.
Dans les droits nationaux auxquels l’AUS renvoie, la forme du transfert d’immeuble est en
général régie par des textes portant organisation du régime foncier. Ainsi, certains codes

24
M-BRIZOUA-BI, op. cit., n° 446.

11
fonciers et domaniaux disposent que le transfert doit être constaté par acte authentique ou sous-
seing privé déposé au rang des minutes du notaire25 ou d’un greffier-notaire26. En effet, l’article
163 du code foncier et domanial togolais de 2018 dispose que, « Doivent être constatés par acte
notarié :
1- tous faits, conventions ou sentences ayant pour effet de constituer, transmettre, déclarer,
modifier ou éteindre un droit réel immobilier, d’en changer le titulaire ou les conditions
d’existence… ».
Dans le même sens, l’article 8 de l’ordonnance camerounaise n° 74-1 du 6 juillet 1974
fixant le régime foncier au Cameroun dispose que, « les actes constitutifs, translatifs ou
extinctifs de droits réels immobiliers doivent à peine de nullité, être établis en la forme notariée
». Ce texte se rapproche, quant à la nature de l’acte, de l’article 157, alinéa 3 de la loi béninoise
n° 2013-01 du 14 janvier 2013 portant régime foncier qui dispose qu’« En cas de réalisation ou
de constitution des hypothèques sur lesdits immeubles, les actes sont constatés par acte notarié
». Ces trois textes, togolais, camerounais et béninois, consacrent le monopole du notaire pour
conférer l’authenticité aux actes translatifs de propriété.
En outre, l’intervention des professionnels est indispensable pour la réalisation du pacte
commissoire. En effet, outre les difficultés techniques et juridiques de l’acte, certains textes des
pays membres de l’OHADA27 exigent que les conventions portant sur les droits réels soient
constatées par acte notarié ou sous seing privé déposé au rang des minutes du notaire. Les
parties au pacte commissoire doivent donc solliciter le notaire ou tout autre rédacteur d’actes
qualifié par le droit interne, au risque, dans ce dernier cas, d’alourdir les coûts de l’opération.
L’obligation de faire évaluer le bien est formulée d’une façon particulière par le législateur
communautaire qui se contente d’imposer aux parties le recours à l’expertise. Il leur interdit en
conséquence d’évaluer elles-mêmes, quelles que soient leurs compétences personnelles en la
matière. La désignation de l’expert doit être faite d’un commun accord, soit par les deux parties
elles-mêmes, soit, à leur demande, par le juge qui ne peut rejeter cette demande. Mais l’article
200, alinéa 1er, de l’AUS semble autoriser le juge à procéder à la désignation d’office d’un
expert. Il en sera probablement ainsi lorsque le juge sera saisi de l’attribution judiciaire.

25 Ordonnance n°00-27/P-RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier du Mali, art. 174 ; Loi n° 2013-
01, 14 janvier 2013 portant code foncier du Benin, art. 157, alinéa 1.
26 Loi n° L/99/013/AN, portant Code foncier et domanial de la République de Guinée, art. 201 ; Loi n° 17-2000
du 30 décembre 2000 portant régime de la propriété foncière au Congo, art. 60 ; Loi n° 15/63 du 8 mai 1963 fixant
le régime de la propriété foncière au Gabon, art. 48.
27
Exemple : article 157, loi précitée du 14 janvier 2013 portant code foncier du Bénin.

12
Finalement, dans les deux cas d’attribution du bien hypothéqué, l’intervention de l’expert n’est
facultative ni pour les parties, ni pour les juges.
Il faut aussi noter par ailleurs que l’AUS a prévu des incidents à la réalisation du pacte
commissoire. En effet, l’article 200, alinéa 2, de l’AUS, prévoit la consignation de la soulte par
le créancier, lorsque la valeur de l’immeuble excède le montant de la créance garantie et qu’il
« existe d’autres créancier hypothécaires ». Ce texte aborde sommairement le problème de la
pluralité de créanciers en évoquant la consignation de la soulte. Reste à savoir comment régler
le conflit entre créanciers hypothécaires à propos de l’attribution du bien hypothéqué. Lorsque
le constituant consent sur le même immeuble plusieurs hypothèques ouvrant droit à l’un ou aux
deux modes de transfert, on se demande lequel de ces créanciers hypothécaires devra bénéficier
de l’attribution, l’AUS, comme l’ordonnance française de 2006 portant réforme du droit des
sûretés, n’ayant pas envisagé cette situation. Deux solutions méritent un examen attentif. La
première se fonde sur la date de l’inscription hypothécaire, tandis la seconde repose sur la date
d’exigibilité de la créance.
L’application du critère de la date de l’inscription hypothécaire permet au créancier
hypothécaire de premier rang d’exclure tout autre créancier de rang inférieur. La doctrine
française est majoritairement favorable à cette solution, soutenant qu’il faudrait « réserver
l’attribution au créancier de premier rang »28. Cette règle est applicable à toutes les
configurations de conflit entre créanciers hypothécaires. Ainsi, qu’ils demandent tous
l’attribution judiciaire29 ou l’attribution conventionnelle30 ou que l’un demande l’attribution et
l’autre la saisie immobilière31, c’est le premier créancier inscrit qui devrait l’emporter. Tout au
plus les créanciers évincés viennent en concours à la soulte si du moins la valeur du bien attribué
au vainqueur est supérieure au montant de sa créance.
Concernant la date d’exigibilité de la créance, comme critère de détermination du créancier
attributaire, pour les auteurs favorables32 à ce critère, en présence de plusieurs créanciers
hypothécaires, la faculté d’attribution du bien devrait être ouverte à celui dont la créance devient
exigible en premier lieu. Un créancier de rang inférieur pourrait donc avoir droit à l’attribution
du bien malgré l’existence des créanciers d’un meilleur rang. La jurisprudence française a jugé

28 PH. SIMLER, PH. DELEBECQUE, Les sûretés –La publication foncière, Dalloz 2012, n° 491 : dans le même
sens, S. PIEDELIEVRE, Droit des sûretés, Cours magistral, Ellipses 2008, n° 684 ; M. CABRILLAC, S.
CABRILLAC, C. MOULY, PH. PETEL, Droit des sûretés, Litec, 2010, n° 1093.
29 M. MIGNOT, Droit des sûretés, Montchrestien Lextenso éditions, 2010, n° 2613.
30 C. CARBONNEL, « Le pacte commissoire en matière de sûretés réelles immobilières ou la réforme inachevée
», JCP E 2007, 2536 ; HEBERT, « Le pacte commissoire après l’ordonnance du 23 mars 2006 », D. 2007, 2052.
31
M. MIGNOT, op.cit., n° 2614.
32 PH. MALAURIE, L. AYNES ET P. CROCQ, op.cit., n° 686.

13
ainsi, affirmant, bien avant l’ordonnance du 23 mars 2006 portant réforme des sûretés, que le
droit à l’attribution du gage est indépendant des règles concernant l’ordre dans lequel s’exercent
sur le prix les divers privilèges en cas de vente du bien nanti33. Cette solution, reprise par la
chambre commerciale dans un arrêt du 3 juin 200834 pour admettre l’attribution des parts
sociales à un créancier nantis en second rang, devrait, selon certains auteurs35, être étendue à
toutes les sûretés réelles et notamment à l’hypothèque.
S’agissant particulièrement du droit OHADA, il a été observé que le silence du législateur
communautaire concernant la qualité de celui qui demande ou qui invoque l’attribution du bien
hypothéqué signifie qu’une telle « faculté est ouverte à tous les créanciers hypothécaires »36.
Un créancier non prioritaire pourrait donc acquérir le bien hypothéqué, au risque de se voir
opposer le droit de priorité du créancier non attributaire. Dans ces conditions, attribuer le bien
en fonction de la date d’exigibilité ne présente aucune sécurité pour l’attributaire. En revanche,
l’attribution selon le rang de l’inscription paraît beaucoup plus rationnelle pour le créancier de
premier rang qui peut être un créancier hypothécaire relevant du régime de 1997 qui interdisait
implicitement l’attribution du bien hypothéqué. Le créancier inscrit en second rang et en
connaissance de l’existence d’une inscription prioritaire, prend et accepte le risque d’être évincé
par le créancier prioritaire. Il faut donc noter que les nouveaux modes d’attribution instaurés
par l’AUS ont vocation à s’appliquer uniquement en cas d’inscription d’une seule hypothèque
sur l’immeuble et que l’efficacité de la réforme se trouve ainsi limitée.
Par ailleurs, le droit des sûretés doit être considéré comme un satellite du droit de
l’insolvabilité37. C’est, le plus souvent, en cette occasion que les sûretés sont mises en œuvre.
Mais lorsque l’insolvabilité persiste, l’ouverture d’une procédure collective38 peut intervenir
lorsque le débiteur appartient à la catégorie des personnes physiques ou morales à l’encontre
desquelles une telle procédure peut être ouverte. Ce qui est de nature à altérer la mise en œuvre
du droit des sûretés. Ainsi, la décision d’ouverture d’une procédure collective suspend ou

33 Cass.com., 31 janv. 1983, n° 81-15783 ; 16 juill. 1981, n° 80-11922 ; 4 mai 1981, n° 79-16061.
34 Cass.com., 3 juin 2008, n° 07-12017 et 01-15228 ; D. 2008, 1691, obs. LIENHARD (A) ; RD banc.fin.juill.-
aoùt 2008. 55, obs. LEGEAIS (D) ; RLDC sept. 2008. 31, obs. MARRAUD DES GROTTES (G).
35 P. CROCQ, RTD civ., 2008 p. 701 ; P.-F. Cuif, J.LC Civil Code, n°59.
36 M. BRIZOUA-BI, op.cit., n° 445.
37 D. LEGAIS, « L'appréhension du droit des sûretés par l'ordonnance du 18 décembre 2008 », LPA, 11 fév. 2011
n° 30, p. 27 ; M. LE CORRE, « Les incidences de la réforme du droit des sûretés sur les créanciers confrontés aux
procédures collectives », La semaine juridique entreprise et affaires n° 6, 8 février 2007, p. 1185 ; PH. PÉTEL,
« La réforme des sûretés réelles à l’épreuve des procédures collectives », in Évolution des sûretés réelles : regards
croisés université-notariat, lexisnexislitec, 2007, p. 109.
38
YR. KALIEU ELONGO, « Notion de procédure collective », in P. G. POUGOUÉ (dir.), Encyclopédie du droit
OHADA, Lamy 2011.

14
interdit toute poursuite individuelle tendant au paiement des créances nées antérieurement à
ladite décision39. La suspension des poursuites individuelles s’étend à tous les créanciers
antérieurs au jugement d’ouverture sans distinction, l’objectif étant de favoriser le redressement
de l’entreprise en lui octroyant un répit ou de permettre la réalisation dans les conditions
optimales de l’actif du débiteur40.
Toutefois, la faculté d’attribution judiciaire doit être autrement appréciée. Il faut alors
distinguer suivant que la procédure engagée conduit au règlement préventif41, au redressement
judiciaire42 ou à la liquidation des biens43. Dans les deux premières hypothèses, on a toujours
admis qu’elle était paralysée au cours de la période d’observation, puisque l’ouverture d’une
telle procédure se traduit par le gel du patrimoine du débiteur et la paralysie de toute voie
d’exécution dans la perspective d’un éventuel plan ou concordat qui imposera des délais au
titulaire de la sûreté.
En revanche, la troisième hypothèse autorise plus d’ouverture. Aucune disposition de l’acte
uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif n’envisage la
situation même en ce qui concerne le gage qui connaissait depuis longtemps la faculté
d’attribution judiciaire44. Il faut cependant rappeler que l’acte uniforme portant organisation
des procédures collectives autorise la vente d’immeubles par voie d’adjudication amiable45 et
même de gré à gré46, sans disposer clairement sur l’attribution judiciaire. Dans le silence des
textes, certains n’hésitent pas à avancer que rien ne devrait interdire aujourd’hui au créancier
de demander l’attribution judiciaire de l’immeuble appartenant au débiteur soumis à une
liquidation judiciaire47, ou plus nuancé que la question reste en débat en ce qui concerne
l’attribution judiciaire des immeubles48.

39 V ; art. 9 AUPC (pour le règlement préventif) ; art. 75 AUPC (pour le redressement judiciaire et la liquidation
des biens).
40 FILIGA SAWADOGO, comm. sous art. 75 AUPC, in OHADA, Traité et actes uniformes commentés et
annotés, 3e éd., Juriscope 2008, p. 956.
41 Sur la notion, F. DECKON et L. AGBENOTO, « Règlement préventif », in PG. POUGOUÉ (dir.),
Encyclopédie du droit OHADA, Lamy 2011.
42
Sur la notion, F. DECKON et L. AGBENOTO, « Redressement judiciaire : concordat de redressement », in PG.
POUGOUÉ (dir.), Encyclopédie du droit OHADA, Lamy 2011.
43 Sur la notion, JC. JAMES, « Liquidation des biens », in PG. POUGOUÉ (dir.), Encyclopédie du droit
OHADA, Lamy 2011.
44 En droit français, seule la faculté d’attribution judiciaire du gage peut s’exercer en cas de liquidation judiciaire
en vertu d’un texte qui la prévoit expressément et donne compétence, à cet effet, au juge commissaire : art. L. 642-
25, al. 3, C. com français.
45
Art. 155-158 AUPC.
46 Art. 159 AUPC.
47
P.-F. CUIF, « L’attribution judiciaire de l’immeuble hypothéqué : spécificité et efficacité », RLDC 2010, p. 69.
48
V ; PÉTEL (PH), op. cit., p. 113.

15
Au demeurant, en ce qui concerne le pacte commissoire, il faut constater que son exécution
est assimilée par la doctrine et la jurisprudence à une dation en paiement.

II. L’ASSIMILATION DE L’EXÉCUTION DU PACTE COMMISSOIRE


EN DROIT OHADA À UNE DATION EN PAIEMENT

Lorsqu’un pacte commissoire est conclu entre le débiteur et le créancier, si à l’échéance le


débiteur n’honore pas son engagement, le créancier procédera à l’exécution dudit pacte. Cette
exécution du pacte commissoire tel que prévu par le droit OHADA est assimilable à une dation
en paiement. Cette assimilation a séduit non seulement une partie de la doctrine (A) mais aussi
une partie de la jurisprudence (B).

A. L’ASSIMILATION PAR LA DOCTRINE

Il faut relever que deux critères cumulatifs permettent de qualifier la dation en paiement.
Tout d’abord, un critère matériel ou objectif, caractérisé par une différence entre l’objet de la
prestation due et celle donnée en paiement, puis un critère intentionnel ou subjectif, déterminé
par la volonté d’éteindre purement et simplement l’obligation initiale49.
S’agissant du critère matériel, l’objet du contrat50 ainsi que l’objet de l’obligation51 ne
peuvent constituer le critère matériel. Seul le constat d’une différence entre l’objet de la
prestation due et celui de la prestation exécutée52 en paiement est en mesure de remplir cette

49
« Qu’il soit oral ou écrit, le langage n’est souvent qu’un véhicule imparfait de la pensée ». Cette constatation
indiscutable implique une recherche de l’intention des parties conduite par le juge de la qualification, lequel n’est
jamais lié par les dénominations employées. Celui-ci doit interpréter et cerner leurs volontés, dépasser les
divergences d’intérêts en faisant appel aux usages des affaires et aux pratiques habituellement suivies, puis
qualifier. Les articles 1156 du C. civ. et 46 NCPC togolais disposent respectivement : « On doit dans les
conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s’arrêter au sens
littéral des termes » ; « Le juge est tenu de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont
applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et aux actes litigieux, nonobstant la
dénomination que les parties en auraient proposée et peut relever d’office les moyens de pur droit ». L’esprit
prévaut sur la lettre ; Sur les méthodes d’interprétation, v. par ex. F. TERRÉ, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, n°
448 et s. ; F. TERRÉ, L’influence de la volonté individuelle sur les qualifications, Thèse LGDJ, préf. LE BALLE,
1957, n° 12 et s. et n° 674 ; X. HENRY, La technique des qualifications contractuelles, Thèse Nancy, 1992.
50
Art. 1128 C. civ. : « Il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet des conventions »
ou encore l’art. 1126 C. civ. : « Tout contrat a pour objet une chose qu’une partie s’oblige à donner, ou qu’une
partie s’oblige à faire ou à ne pas faire » ; bien que le début de la phrase évoque l’objet du contrat, la suite montre
inévitablement qu’il s’agit de l’objet de la prestation (v. en ce sens, MARTY et RAYNAUD, Les obligations. Les
sources, 2e éd., 1988, n° 171 ; contra J. –F. OVERSTAKE, Essai de classification des contrats spéciaux, LGDJ,
préf. BRETHE DE LA GRESSAYE, 1969, p. 23).
51
Art. 1129 du C. civ. : « Il faut que l’obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son
espèce » ; art. 1130 : « Les choses futures peuvent être l’objet d’une obligation ».
52
V. sur ces trois sortes d’objet, MARTY et RAYNAUD, Les obligations. Les sources, 2e éd., 1988, n° 171 ; J.
GHESTIN, La formation du contrat, 3e éd., 1993, n° 675 et s.

16
fonction. En effet, l’analyse montre que le constat d’une différence entre l’objet de la prestation
due et celui de la prestation exécutée en paiement répond convenablement à la détermination
du critère matériel.
Notons que l’objet de la prestation est ce que l’on donne, ce que l’on fait ou ce que l’on ne
fait pas. C’est ce critère qu’il faut retenir pour la qualification de la dation en paiement. Prenons
un exemple : Pierre doit une somme d’argent à Paul. Son créancier, accepte de recevoir en
paiement des livres de collection. Il y a sans aucun doute une dation en paiement : une prestation
était due (transfert de somme d’argent), une autre en a éteint l’obligation initiale (la remise de
livres de collection). C’est donc le constat d’une différence dans l’objet de la prestation
exécutée par rapport à l’objet de la prestation due, qui constitue le critère matériel d’une dation
en paiement53.
Par ailleurs, si traditionnellement, la dation en paiement n’est envisagée que réalisée par le
transfert d’un droit de propriété, rien ne s’oppose, en théorie, à ce qu’elle se réalise par
l’accomplissement d’une prestation ou d’une abstention. Par exemple, le client impécunieux
qui ne peut payer son addition dans un restaurant fera la plonge afin d’éteindre sa dette54.
Comme mode autonome d’extinction de l’obligation, le mécanisme de la dation en paiement a
vocation à s’appliquer quelle que soit la prestation offerte : une chose matérielle donnée pour
une autre, un portrait de l’épouse du créancier-bailleur fait par un artiste-locataire bohème afin
d’éteindre ses impayés de loyers, etc. En somme, il suffit que le créancier obtienne une
satisfaction différente de celle espérée. Or les moyens les plus divers permettent d’y parvenir.
Concernant le critère intentionnel, la volonté des parties à une dation en paiement se
caractérise par l’intention de ne pas modifier ni changer l’obligation initiale. Ce qu’elles
souhaitent, c’est tout simplement éteindre cette obligation telle quelle. Mais, comme l’objet
initialement dû est différent de l’objet de la prestation donnée en paiement, le juge doit écarter
deux possibilités. C’est ici que la recherche de la volonté des parties peut se révéler assez
subtile. En premier lieu, il est nécessaire de relever l’intention de ne pas changer l’objet de la
prestation initiale55 ; une telle volonté serait exclusive de toute dation en paiement et
caractériserait soit une novation, soit une convention modificative de l’objet. En second lieu, le

53
Toutefois, et dans le souci de rendre cohérents nos développement ultérieurs au regard des citations doctrinales
et jurisprudentielles, les termes objet de l’obligation et objet de la prestation seront souvent considérés comme
synonymes, en dépit de la distinction théorique dégagée plus haut.
54
Pour cet exemple, v. Ph. MALAURIE, L. AYNÈS et Ph. STOFFEL-MUNK, n° 1180 ; A. BENABENT, n° 835
; P.-H. ANTONMATTEI et J. RAYNARD, Droit civil. Contrats spéciaux, 3e éd., 2002, n° 79. Dans ce cas, l’objet
de l’obligation est différent de l’objet initial. Cependant, le critère matériel de qualification reste une différence
dans l’objet de la prestation ; qu’il y ait une différence dans l’objet de l’obligation n’est qu’un effet contingent.
55
V. pour des hésitations de qualification entre dation en paiement, novation par changement d’objet ou convention
innommée, J.-J. BURST, note sous Cass.com.13 janv.1975, D. 1975, D. 1975, p. 573.

17
juge devra relever la volonté exclusive d’éteindre l’obligation originelle sans créer une autre
relation, tel un contrat de vente dont le prix pourrait se retrouver éteint par compensation.
À ce point de l’exposé, il importe de souligner que l’extinction de l’obligation initiale est
davantage un effet naturel de la dation qu’un effet essentiel. En ce sens, cet effet extinctif peut
exceptionnellement être écarté par les parties ou la loi, de sorte que la dation puisse être parfois
le support d’une subrogation, à l’instar du paiement. Toujours est-il que le critère intentionnel
ne change pas : les parties n’ont le désir, ni de toucher à l’identité de l’obligation initiale, ni de
conclure un contrat de vente. Enfin, il est bon de relever la relation que la dation entretient avec
le temps : l’exécution d’une prestation emporte l’extinction simultanée de l’obligation. Or,
l’existence d’un certain laps de temps, nécessaire à l’exécution de certaines prestations
notamment de service, peut rendre délicate la qualification de dation en paiement.
Au terme de ces développements, la dation en paiement peut être définie comme un mode
d’extinction d’une obligation, par l’exécution d’une prestation différente de celle formant
l’objet inchangé de l’obligation à éteindre. La dation en paiement tire son originalité de
l’existence d’une dissemblance entre la prestation exécutée et la prestation due.
En ce sens, la mise en œuvre d’un pacte commissoire, lorsqu’il est valablement conclu,
réalise une dation en paiement dans la grande majorité des cas. Par exemple, Marty et Raynaud
relèvent qu’une « telle convention conclue postérieurement à la constitution du gage (c’est une
des conditions de validité du pacte commissoire) est traitée comme une dation en paiement
valable »56. Raisonnons sur deux exemples : des fromages, garantissant le paiement du prix
d’une certaine quantité de lait fournie, sont conservés en paiement par le créancier gagiste en
vertu d’un pacte commissoire licite57. Ou encore, un immeuble hypothéqué pour garantir le
paiement d’une somme d’argent est attribué au créancier hypothécaire en vertu d’un pacte
commissoire valablement conclu. L’obligation de somme d’argent est bien éteinte par une
chose différente de celle originairement due. L’élément matériel de la dation en paiement est
présent. De plus, et à l’évidence, les parties n’ont souhaité qu’éteindre simplement l’obligation
originelle. L’élément intentionnel complète l’élément matériel. Dès lors, les critères de la dation
en paiement sont réunis.
Cependant, une limite doit être mentionnée. Il ne peut y avoir de dation en paiement dans
l’hypothèse où l’objet du gage est une chose de même nature que l’objet de la dette. C’est le

56
MARTY, RAYNAUD et Ph. JESTAZ, Les sûretés, la publicité foncière, 2e éd., 1987, n° 102 ; D. LÉOTY, « La
nature juridique de la dation en paiement », RTD civ. 1975, p. 30 et s., n° 27 ; Implicitement J. ISSA-SAYEG, J.
Cl. Civ., art. 1235 à 1248, fasc. 30, n° 64 et R. LE GUIDEC, Rép. civ., v° Dation en paiement, n° 17 et s.
57
Faits inspirés d’une décision de la chambre commerciale, en date du 28 juin 1982 (Bull. civ. IV, n° 253), dans
laquelle la qualification de dation en paiement n’avait pas été retenue, car la remise des fromages n’avait pas été
faite à titre de dation en paiement mais en exécution du contrat de gage. Le transfert de propriété n’avait donc pas
encore eu lieu ; il n’y avait eu que dépossession en vue de constitution de gage.

18
cas d’un gage-espèce pour une dette de somme d’argent. En ce cas, faute d’élément matériel,
la qualification de dation en paiement ne peut être retenue. En pratique, comme les sûretés
réelles n’ont vocation qu’à garantir des obligations monétaires à terme58, l’assiette des sûretés
réelles consenties sera toujours dissemblable par rapport à l’objet de la dette garantie59, sauf
dans le cas du gage-espèce.
Toutefois, soulignons à nouveau que, à l’instar d’une obligation facultative, le pacte
commissoire n’est pas à proprement parler une dation en paiement mais une convention
prévoyant une dation en paiement : une promesse unilatérale et conditionnelle de dation en
paiement. Le créancier acquiert un droit à la réalisation de la dation sous condition suspensive
de l’inexécution de l’obligation contractée par le débiteur60. On pourrait comparer le pacte
commissoire à une obligation facultative inversée. Cependant, les deux mécanismes ne
sauraient se confondre pour deux raison : D’une part, le choix du mode d’extinction de
l’obligation appartient au créancier, chose impossible dans une obligation facultative. D’autre
part, le pacte commissoire n’a vocation à être mis en œuvre qu’en cas de défaillance du débiteur,
donc dans l’hypothèse d’une inexécution contractuelle. Or, l’exécution facultas solutionis
intervient au plus tard à l’exigibilité de l’obligation.
Que la possibilité d’opérer une dation en paiement, à l’échéance de la dette et faute de
paiement, ait été accordée antérieurement à l’exigibilité de la dette n’est en rien un obstacle
théorique à la qualification de dation en paiement. Corrélativement, il est singulier de critiquer
cette qualification dans le cas d’une obligation facultative et de ne pas relever cet argument
dans le cas de l’exécution d’un pacte commissoire. Cela montre bien, à notre sens, la fragilité
du raisonnement. C’est pour un tout autre motif que M. Ghozi rejette l’analyse par la dation.
Selon cet auteur, il ne peut y avoir de dation en paiement parce que « le créancier, dans
l’hypothèse du pacte commissoire, est déjà en possession du bien. Le seul but de la convention

58
Un arrêt de la chambre des Requêtes du 9 mai 1881 (D. 1882, 1, 13) valida le nantissement en garantie d’une
obligation de faire. Cependant, l’article 1142 du C.civ. prévoit que les obligations de faire se résolvent en
dommages et intérêts, en cas d’inexécution de la part du débiteur. C’est donc bien une obligation monétaire qui
est, en fin de compte garantie : L. AYNÈS et P. CROCQ, Les sûretés. La publicité foncière, Defrénois, 2003, n°
1, note 2, p. 1.
59
La facilité de conversion en liquidité de certains biens gagés ne doit pas tromper. Ce n’est pas parce qu’un bien
se vend aisément et à un prix, peut-on croire, garanti qu’il ne représente virtuellement qu’une somme d’argent.
Des valeurs mobilières facilement réalisables offrent des prérogatives propres que ne confère à l’évidence pas une
somme d’argent.
60
Dans le domaine de la fiducie, un auteur relève que « l’événement de la condition, c’est-à-dire le défaut de
paiement au terme convenu, met fin aux rapports juridiques qui existaient entre les parties contractantes : le
créancier fiduciaire cesse d’être sujet à l’action fiduciae directa et a droit de refuser le paiement qui lui serait
tardivement offert ; de son côté, l’aliénateur est libéré de sa dette, comme par datio in solutum. », CHADEL,
Etudes sur le jus distrahendi dans la fiducie, le gage et l’hypothèque, Paris, 1902, n° 3, p. 9.

19
modificative – le pacte – est de changer la cause de la détention de la chose : possesseur, il
devient propriétaire »61.
L’argument n’emporte cependant pas la conviction. Que la cause de la détention change
n’est que la conséquence de la dation en paiement, non l’explication du mécanisme. Le
créancier est possesseur de la chose en vertu de sa qualité de créancier gagiste ; il sera
propriétaire de cette même chose par la dation en paiement. Il y a interversion de titre.
D’ailleurs, on ne voit pas trop pourquoi la détention antérieure de la chose par le créancier
empêcherait la qualification de dation en paiement. Ainsi, ne conclurait pas une dation le
commodataire d’un ordinateur, devenu créancier d’une somme d’argent due par son
commodant, qui accepterait en paiement de cette créance monétaire, et sur accord du
commodant débiteur, de conserver à titre de propriétaire l’ordinateur prêté ? L’exemple montre
que le changement de la cause de détention ne doit exercer aucune influence quant à la
qualification de dation en paiement. Il n’est que la conséquence d’une situation de fait ou de
droit existant antérieurement à la réalisation de la dation62. Ainsi, l’exécution d’un pacte
commissoire réalise une dation en paiement, ce que la jurisprudence a eu l’occasion de
confirmer.

B. L’ASSIMILATION PAR LA JURISPRUDENCE

Confrontée à l’épreuve de qualification de la dation en paiement, c’est bien à l’existence


d’un objet différent de l’objet de prestation initialement due que la jurisprudence se réfère. Un
célèbre arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, en date du 22 avril 1974, illustre
bien la méthode suivie63. Selon l’Assemblée plénière : « il y a dation en paiement, au sens de
ce texte, lorsqu’il est remis au créancier autre chose que l’objet même de la dette (…) lesdits
acquéreurs avaient, par l’acte du 13 juin 1958, reçu du Christini (le promoteur constructeur), en
contrepartie du prix versé en septembre 1957, une chose autre que celle qui leur était due en
vertu de la convention initiale »64. Ainsi, en qualifiant la dation en paiement la remise d’un
appartement différent de celui initialement vendu, la Cour de cassation montre bien que le

61
A. GHOZI, La modification de l’obligation par la volonté des parties, LGDJ, Bibl. dr. privé, t. 166, 1980, n°
257.
62
Rappr. Req., 9 déc. 1895, S.1897, 1, 385, note WAHL ; D. 1897, 1, 177, rapp. DENIS et note PIC, pour des
actions remises à une banque à titre de couverture d’opérations boursières, puis conserves par l’établissement
financier à titre de dation en paiement.
63
Cass. Ass. Plén., 22 avr.1974, Bull. ass.plén. n° 1 ; D. 1974, p. 613, note F. DERRIDA ; JCP 1974, éd. G, II,
17875, note A. BENABENT.
64
Cass. Ass. Plén. 21 septembre 1957.

20
critère matériel réside dans une différence entre l’objet de la prestation donnée en paiement et
celui de la prestation due.
La Haute juridiction n’avait-elle pas déjà décidé le 15 juillet 1968, à propos de la même
affaire, que « l’arrêt (…) a retenu (…) au contraire que la vente du 13 juin 1958 n’était que
l’exécution de celle du 21 septembre 1957, l’objet en étant le même, vente d’un appartement
au même prix avec prise de possession à la même date ; qu’en statuant ainsi alors qu’en
exécution de son obligation de livrer, Christini a livré un appartement autre que celui visé par
la convention initiale ; qu’en conséquence l’acte critiqué constituait une dation en paiement, la
Cour d’appel a violé le texte susvisé (art. 477 anc. du Code de commerce)65. On le constate, la
livraison d’un autre appartement était identique à l’objet de la prestation permettait de déceler
et de retenir une dation en paiement. Au-delà d’une motivation en l’espèce contestable, il faut
ici retenir la méthode suivie par la Cour de cassation.
D’autres décisions peuvent être citées. Par exemple, le 31 mai 1954, la Cour de cassation
a estimé que la qualification de dation en paiement doit être retenue lorsqu’il est restitué des
actions et des obligations différentes de celles remises initialement, dès lors qu’aucune clause
n’avait autorisé la remise de titres équivalents66. Dans le même sens, le 25 mai 1966, la Cour
d’appel de Dijon a caractérisé l’existence d’une dation en paiement dans le fait de livrer des
vins de Morgon et de Bourgogne Grand ordinaire alors que le contrat de vente stipulait que les
vins vendus étaient des Côtes du Rhône67. Seule une différence dans l’objet de la prestation,
retenue comme critère de qualification, autorise une telle conclusion. Plus récemment, dans un
arrêt du 13 février 2003, la Cour d’appel d’Orléans a considéré que la livraison de plusieurs
véhicules automobiles en exécution de la vente d’un véhicule tout-terrain « Hummer »
constituait une dation en paiement68. Enfin, le 29 octobre 1981, la Cour d’appel de Rennes a
estimé que l’exécution d’une prestation de service en remboursement d’un prêt d’argent
réalisait une dation en paiement69.
Il faut préciser en outre que la jurisprudence après avoir qualifié la dation en paiement, l’a
rapproche souvent au pacte commissoire. C’est ainsi qu’elle assimile l’exécution du pacte
commissoire à la dation en paiement. En effet, la chambre des requêtes, dans un arrêt du 22 mai
185570, a assimilé directement l’exécution d’un pacte commissoire à la réalisation d’une dation
en paiement. À l’occasion d’une reconnaissance de dette, un nantissement portant sur des

65
Cass. Com., 15 juill. 1968, Bull. civ. IV, n° 236.
66
Cass. Com., 31 mai 1954, JCP 1955, éd. G, II, 8797, note F. DERRIDA.
67
Dijon, 25 mai 1966, RTD com. 1966, p. 663, n° 29, obs. R. HOUIN.
68
Orléans, 13 févr. 2003, RD bancaire et financier, janv.-fév. 2004, comm. n° 29, obs. F.-X. LUCAS.
69
Rennes, 29 oct.1981, Juris-Data, n° 000932 ; Gaz. Pal. 1982, 2, p. 504.
70
Cass. req., 22 mai 1855, D.1856, 1, 171 ; S. 1856, 1, 123.

21
actions avait été accordé au créancier. Deux années plus tard, et alors que le débiteur n’avait pu
s’acquitter de son obligation, les parties conclurent une convention aux termes de laquelle
l’intégralité des actions devait être conservée par le créancier au titre d’une dation en paiement,
opérant ainsi libération du débiteur à hauteur d’une certaine somme.
La Cour énonce : « le premier de ces actes contenait un contrat pur et simple de gage, le
second avait transformé en une dation en paiement les actions industrielles données à titre de
gage, (…) (le second acte) est une dation en paiement, au moyen de laquelle le demandeur en
cassation abandonna à l’auteur des défendeurs éventuels l’entière propriété et jouissance des
actions litigieuses ; (…) cette dation en paiement a éteint la dette du premier envers le second
jusqu’à concurrence d’une somme déterminée entre les parties ». Dans cette décision, la Cour
montre bien que ce qui réalise la dation en paiement n’est pas l’existence d’un pacte
commissoire mais sa mise en œuvre. En l’espèce, le pacte ne fut pas contemporain de la
conclusion du contrat de gage mais de l’extinction de l’obligation garantie71.
Plus encore, et à l’occasion d’un contrat d’antichrèse garantissant un emprunt, la première
chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 19 janvier 1955, a décidé que :
« Hamlaoui (le débiteur constituant l’antichrésiste) s’était engagé à délivrer ses jardins sans en
recevoir la contrepartie en numéraire, à seule fin d’éteindre ses dettes précédentes envers
Balouka ; (…) l’arrêt attaqué, par une exacte interprétation des documents et circonstances de
la cause, après avoir relevé que le prix stipulé était fictivement fixé par l’évolution des jardins
donnés en antichrèse et abandonnés en fait au créancier Sebban ben Daoud Balouka, a justement
qualifié de dation en paiement l’acte du 19 juin 1939 »72.
Les termes employés par la Cour de cassation vérifient en tous points l’analyse de
l’assimilation de l’exécution d’un pacte commissoire en une dation en paiement. Les jardins
délivrés ne le furent qu’à seule fin d’éteindre ses dettes. L’élément intentionnel est présent.
Quant à l’élément matériel, Balouka, créancier d’une somme d’argent, reçut des jardins en
paiement des deniers dus.
La situation résultant de l’exécution d’un pacte commissoire peut donc s’analyser en une
promesse unilatérale et conditionnelle de dation en paiement, sauf dans le cas de la mise en
œuvre d’un pacte portant sur un gage-espèces, car alors la prestation reçue en paiement est

71
La jurisprudence a eu également l’occasion de préciser, dans un arrêt du 18 juin 1888 rendu par la Cour d’appel
de Limoges, qu’aux termes d’une vente à réméré, requalifiée en un contrat pignoratif prohibé, il y avait eu dation
en paiement : « l’impignoration est d’autant plus évidence qu’elle garantit une somme remise antérieurement au
vendeur et faute de restitution de laquelle, au terme du réméré, il y a dation en paiement des immeubles », Limoges,
18 juin 1888, D. 1889, 2, 240.
72
Cass. 1re Civ., 19 janv. 1955, Bull. civ. I, n° 34.

22
identique à celle due. Ces dernières conclusions, dans la recherche de la présence de la dation
en paiement en droit positif, témoignent de la vitalité, de l’effectivité et de la permanence de la
notion proposée.
Au total, le pacte commissoire a été admis de manière conditionnée par le nouvel Acte
Uniforme portant organisation des Sûretés. L’analyse de l’exécution du pacte commissoire a
révélée qu’il est assimilable à une dation en paiement. En effet, tout comme la dation en
paiement, il permet au débiteur de voir s’éteindre à la fois sa dette et la sûreté qui la garantit.
Le pacte commissoire est ainsi une forme de dation en paiement conditionnée car il permet au
créancier de recevoir autre chose que le montant de sa créance. Il permet en effet au créancier
de devenir propriétaire du bien gagé ou hypothéqué en cas de défaillance du débiteur.

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