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– Effets et extinction
JurisClasseur Droit bancaire et financier
Claude Witz - Agrégé des facultés de droit - Professeur émérite de l'université de la Sarre
Points-clés
Le contrat de fiducie fait naître sur la tête de chaque acteur un faisceau de droits, de prérogatives et d'obligations. Le constituant a l'obligation de
transférer les biens au fiduciaire et, en principe, de lui verser une rémunération. Il bénéficie de diverses prérogatives destinées à préserver ses intérêts.
Il peut librement révoquer la fiducie s'il en est l'unique bénéficiaire (V. n° 1 à 12 ).
Acteur clef dont dépend le bon déroulement de la fiducie, le fiduciaire doit tenir le patrimoine fiduciaire séparé de son patrimoine propre, rendre compte
de sa mission qu'il est tenu d'exercer personnellement, agir avec diligence et loyauté sous peine d'engager sa responsabilité civile, voire pénale. Dans
ses relations avec les tiers, le fiduciaire est tenu d'indiquer sa qualité. Il est présumé disposer des pouvoirs les plus étendus à moins que le tiers n'en
connaisse les limites, auquel cas les actes irréguliers sont annulables (V. n° 13 à 33 ).
Le bénéficiaire se voit reconnaître diverses prérogatives spécifiques, auxquelles s'ajoutent les règles de la stipulation pour autrui lorsqu'il est tiers au
contrat. Ses droits ont une nature personnelle et non réelle, même si sa position est renforcée par rapport à celle du titulaire d'un simple droit de créance
(V. n° 34 à 40 ).
Acteur facultatif pouvant être nommé par le constituant, le tiers protecteur bénéficie de diverses prérogatives, auxquelles s'ajoutent le cas échéant celles
que le constituant aura pu lui confier (V. n° 41 et 42 ).
Clef de voûte de la fiducie, le patrimoine fiduciaire est composé d'un actif et d'un passif propre, constitué par les créances nées de la gestion. Toutefois,
en cas d'insuffisance du patrimoine fiduciaire, le constituant ou le fiduciaire répondent en principe du passif fiduciaire, en vertu d'une réglementation
complexe (V. n° 43 à 53 ).
Le pouvoir d'intervention du juge dans le fonctionnement de la fiducie est limité : nomination d'un fiduciaire provisoire ou remplacement du fiduciaire
dans des situations de crise ; levée de l'obstacle lié au refus du bénéficiaire d'accéder à une demande de modification ou de révocation de la fiducie (V.
n° 54 à 62 ).
La plupart des causes d'extinction de la fiducie opèrent de plein droit, les unes tenant à l'opération fiduciaire elle-même (réalisation du but, survenance
du terme), les autres découlant d'événements propres à la personne des contractants. La fiducie est également susceptible de s'éteindre par l'effet de la
volonté individuelle (révocation par le constituant, renonciation des bénéficiaires) et, exceptionnellement, par décision de justice (V. n° 63 à 74 ).
La dévolution du patrimoine fiduciaire soulève de nombreuses questions, notamment quant à la liquidation du passif subsistant et aux modes de
dévolution, automatiques ou non, des éléments d'actifs (V. n° 75 à 82 ).
Des formalités particulières accompagnent le dénouement de la fiducie (enregistrement, formalités propres à la mutation des immeubles et autres biens
assujettis à une publicité) (V. n° 83 à 85 ).
Introduction
1. – Présentation –
Les articles 2021 à 2030 du Code civil traitent des effets du contrat de fiducie, ainsi que de son extinction.
1° Constituant
a) Obligations du constituant
Les règles régissant la cession de créance sont également celles de droit commun, sous réserve des règles spécifiques régissant leur opposabilité (C. civ.,
art. 2018-2. – V. JCl. Civil Code, Art. 2011 à 2030, fasc. 10 ou Notarial Répertoire, V° Fiducie, fasc. 10 ou Banque – Crédit – Bourse, fasc. 785).
Les parties ont intérêt à prévoir les modalités de la rémunération du fiduciaire dans leur contrat, quant à son montant et aux modes de paiement. À défaut
d'accord des parties sur le montant, il appartiendra au fiduciaire de saisir le juge afin qu'il fixe la rémunération, celle-ci étant fonction des activités de gestion
déployées par le fiduciaire, qui varieront d'un contrat de fiducie à l'autre. En cas de fiducie-sûreté portant sur des biens laissés entre les mains du constituant, la
gestion du créancier-fiduciaire sera souvent minime. Il est utile également que les parties précisent si la rémunération sera versée par le constituant ou prélevée
sur le patrimoine fiduciaire. Dans le silence de la convention, il y a lieu d'admettre que la rémunération est due, à titre personnel, par le constituant, en sa qualité
de cocontractant.
6. – Présentation d'ensemble –
Une fois le patrimoine fiduciaire constitué, le fiduciant perd tout pouvoir de conclure en nom propre des actes se rapportant à ces biens. Seuls des actes
conservatoires sont admissibles. La position du constituant se distingue ainsi nettement de celle du mandant qui conserve le pouvoir d'accomplir lui-même l'acte
juridique dont il a chargé le mandataire, même en cas de mandat irrévocable (V. not., Cass. 1re civ., 5 févr. 2002, n° 99-20.895 : JurisData n° 2002-012945 ; Bull.
civ. I, n° 40 ; JCP G 2003, II, 10029, note D.-R. Martin. – V. aussi, dans le cadre général de la représentation contractuelle, C. civ., art. 1159, al. 2). De manière
plus générale, il ne peut s'immiscer dans la gestion du patrimoine fiduciaire. Le fiduciaire serait en droit de s'y opposer. Toutefois, le contrat de fiducie peut
prévoir au profit du constituant le droit de donner des instructions au fiduciaire ou de subordonner l'accomplissement par celui-ci de tel ou tel acte de gestion à
l'accord préalable du constituant. Dans une fiducie-gestion, les parties se garderont d'aménager au profit du constituant des pouvoirs trop étendus, au risque
d'une disqualification de la fiducie en mandat.
Le plus souvent, le constituant sera en même temps bénéficiaire de la fiducie. Tel sera le cas, en règle générale, en matière de fiducie-gestion, eu égard à la
prohibition de la fiducie-libéralité. En tant que bénéficiaire d'une fiducie-gestion, le constituant a droit à l'intégralité de l'utilité économique du patrimoine fiduciaire
(V. n° 31 ). Dans l'hypothèse d'une fiducie-sûreté, le ou les créanciers au profit desquels la sûreté a été constituée auront la qualité de bénéficiaires (V. C. civ.,
art. 2372-4 et 2488-4, désignant le créancier à juste titre comme « bénéficiaire de la fiducie »). Néanmoins, le constituant est titulaire d'une créance de restitution
des biens transférés en cas de paiement de la dette garantie. Dans l'hypothèse d'une défaillance du débiteur, le constituant sera, le cas échéant, titulaire d'une
créance monétaire, selon que la valeur des biens transférés ou le produit de leur réalisation excèdent le montant de la dette garantie (sur le dénouement de la
fiducie-sûreté, V. n° 79 ).
Même s'il n'est pas bénéficiaire de la fiducie, le constituant a tout intérêt au bon déroulement de l'opération fiduciaire, qu'il s'agisse d'une fiducie-gestion au profit
d'un tiers ou d'une fiducie-sûreté. Aussi se voit-il accorder diverses prérogatives destinées à protéger ses intérêts, en cours de fiducie. Une mesure plus radicale
est la révocation du contrat de fiducie, qui lui est largement ouverte.
2) Révocation
L'article 2028, alinéa 2 du Code civil ouvrirait-il la voie à la libre révocabilité de la fiducie par le constituant en cas de fiducie-gestion convenue à son profit ? La
lettre de l'article 2028, alinéa 2 le permet, puisque le constituant est, dans ce cas, le bénéficiaire de la fiducie et que la révocation qu'il opère en tant que
constituant est nécessairement faite avec l'accord qu'il a pu donner en sa qualité de bénéficiaire (en ce sens P. Crocq, Le cœur du dispositif fiduciaire : Rev.
Lamy dr. civ. juill.-août 2007, n° 40, p. 61 s., spéc. p. 63). De plus, les travaux préparatoires vont en ce sens (V. H. de Richemont : « il doit être permis au
bénéficiaire, dans le cadre d'une fiducie-gestion dans laquelle il est également constituant, de révoquer la fiducie pour avoir accès au patrimoine fiduciaire, par
exemple pour faire face à un imprévu » : Rapp. Sénat, Session 2006-2007, n° 11, Ann. au procès-verbal, séance 11 oct. 2006, p. 66). À supposer que la
jurisprudence se prononce différemment, en interprétant le terme « bénéficiaire » de l'article 2028, alinéa 2 du Code civil, par « tiers bénéficiaire », pour préserver
la règle de principe de l'irrévocabilité du contrat de fiducie, la révocation de la fiducie-gestion par le constituant nécessiterait alors l'accord du fiduciaire (mutuus
dissensus) ou une autorisation judiciaire (C. civ., art. 2028, al. 2). Mais si l'on suivait cette interprétation, le résultat qui ne pourrait être atteint par le moyen d'une
révocation, faute d'accord du fiduciaire ou d'une autorisation judiciaire, pourrait l'être, paradoxalement, par voie de renonciation (C. civ., art. 2029, al. 2. – V. n° 69
).
Il importe que les opérateurs soient conscients du risque d'une extinction anticipée du contrat de fiducie par voie de révocation unilatérale du constituant-
bénéficiaire ou de renonciation, en insérant des clauses d'irrévocabilité ou de renonciation du constituant-bénéficiaire à son droit de renoncer à la fiducie.
2° Fiduciaire
Un faisceau d'obligations pèse sur le fiduciaire. Elles sont de nature à déclencher, en cas de manquements, l'application de mesures de protection particulières,
ainsi que la mise en jeu de la responsabilité du fiduciaire.
1) Obligations du fiduciaire
14. – Le législateur ne définit que sommairement les obligations du fiduciaire. Aux obligations expresses s'ajoutent une série d'obligations implicites inhérentes à
la mission du fiduciaire.
Cette obligation est complétée par les mesures comptables prévues par l'article 12 de la loi n° 2007-211 du 19 février 2007 (JO 21 févr. 2007, texte n° 3) et
précisées par le règlement du Comité de la réglementation comptable n° 2008-01 du 3 avril 2008 (sur les obligations comptables, V. Dossiers pratiques Francis
Lefebvre, avec la collaboration de B. Gouthière, La fiducie : mode d'emploi, 2e éd., 2009, n° 2700 s.). Le fiduciaire doit établir une comptabilité autonome relatant
les opérations affectant le patrimoine fiduciaire (L. n° 2007-211, 19 févr. 2007, art. 12, al. 1er). Par ailleurs, le fiduciaire doit établir, au titre de la fiducie, des
comptes annuels comportant un bilan, un compte de résultat et une annexe dans les conditions prescrites aux articles L. 123-12 à L. 123-15 du Code de
commerce. Le contrôle de la comptabilité autonome est exercé par un ou plusieurs commissaires aux comptes nommés par le fiduciaire lorsque le ou les
constituants sont eux-mêmes tenus d'en désigner un (L. n° 2007-211, 19 févr. 2007, art. 12, al. 3).
17. – Obligation d'exercer la mission fiduciaire dans les limites des pouvoirs précisés par le contrat –
En énonçant que le contrat de fiducie doit déterminer « la mission du ou des fiduciaires et l'étendue de leurs pouvoirs d'administration et de disposition » (C. civ.,
art. 2018, 6°), le législateur consacre indirectement l'obligation du fiduciaire d'exercer la mission contractuelle qui lui a été impartie et de respecter les limites des
pouvoirs d'administration et de disposition posés par le contrat de fiducie.
Le législateur s'est abstenu de préciser les obligations de loyauté et le degré de diligence avec lequel le fiduciaire doit exercer sa mission. Toutefois, le fiduciaire
se voit expressément interdire par le législateur de se rendre adjudicataire, par lui-même ou par personne imposée, des biens ou droits composant le patrimoine
fiduciaire, en complément de la solution consacrée notamment à propos des mandataires (V. C. civ., art. 1596 in fine, tel que complété par L. n° 2007-211,
19 févr. 2007, art. 17). Bien que le libellé de l'article 1596 vise uniquement les adjudications, la prohibition de l'article 1596 du Code civil, s'applique à toutes les
ventes, selon l'opinion dominante (V. R. Le Guidec et G. Chabot, JCl. Civil Code, Art. 1594 à 1597 ou Notarial Répertoire, V° Vente, fasc. 120, spéc. n° 8).
Le fiduciaire serait-il habilité, à l'instar d'un mandataire, à se substituer un sous-fiduciaire ? (V. pour le mandat, C. civ., art. 1994. – M. Mekki, JCl. Civil Code,
Art. 1991 à 2002, fasc. 10 ou Notarial Répertoire, V° Mandat, fasc. 40, spéc. n° 47). La réponse devrait être négative (contra, sous l'empire du projet de 1992,
C. Kuhn, Le patrimoine fiduciaire, Contribution à l'étude de l'universalité : Thèse Paris I, 2003, n° 475). Outre l'argument tiré du caractère intuitu personae de la
fiducie, on peut faire valoir que le recours par le fiduciaire à un autre fiduciaire pour exercer sa mission impliquerait qu'il transfère tout ou partie du patrimoine
fiduciaire à ce dernier. En raison des effets réels de la fiducie, un sous-fiduciaire serait davantage qu'un sous-mandataire. En recourant à une fiducie, le fiduciaire
serait lui-même constituant et ravirait de facto la place du constituant d'origine. Ainsi, l'analogie avec le mandat et la règle de l'article 1994 du Code civil est
trompeuse. Libre toutefois aux parties d'autoriser le fiduciaire, dans leur contrat ou ultérieurement, de conclure une fiducie en sous-ordre.
La loyauté est un devoir essentiel du fiduciaire, à l'image de l'importance qu'elle revêt en matière de mandat. À défaut d'avoir consacré ce devoir de manière
expresse, comme le prévoyait la proposition Marini, le législateur en a fait une application particulière, en rajoutant les fiduciaires dans la liste de ceux auxquels il
est interdit de se porter contrepartie (C. civ., art. 1596 in fine, tel que complété par la L. n° 2007-211, 19 févr. 2007, art. 17. – V. n° 15 ).
D'une manière générale, le devoir de loyauté impose au fiduciaire de ne pas se placer dans une situation de conflit d'intérêts avec ses propres devoirs, comme
entend l'éviter la prohibition posée par l'article 1596 du Code civil. En conséquence, le fiduciaire devra s'abstenir de conclure à son profit des actes relatifs au
patrimoine fiduciaire (vente, prêt, location, etc.). Le conflit d'intérêts peut également surgir de la gestion de plusieurs patrimoines fiduciaires. La perspective de
tels conflits ne devrait pas empêcher les fiduciaires d'accepter de gérer plusieurs ou une série de patrimoines fiduciaires, sous peine de condamner de facto le
développement de la fiducie comme activités de services déployés par les établissements financiers. La proposition Marini avait utilement énoncé que « le conflit
d'intérêts entre bénéficiaires d'une fiducie ou entre plusieurs fiducies n'empêche pas le fiduciaire d'exercer ses prérogatives, à condition qu'il agisse en bon père
de famille » (C. civ., projet art. 2070, al. 2, in fine. – Dans un sens voisin, F. Barrière : Rép. civ. Dalloz, V° Fiducie, n° 87, et la proposition de mise en place de
procédures déontologiques du type « murailles de Chine », Ph. Delebecque, La responsabilité du fiduciaire : Dr. & patr. nov. 2009, n° 186, p. 43).
La norme ne précise pas envers qui le fiduciaire engage ainsi sa responsabilité sur son patrimoine propre. Sans contexte, le fiduciaire doit répondre envers le
constituant et le tiers bénéficiaire des manquements aux obligations issues du contrat de fiducie sur son patrimoine propre, et non sur le patrimoine fiduciaire (sur
ces obligations, V. n° 14 à 19 ). La règle inverse permettrait au fiduciaire d'échapper, de manière paradoxale, aux conséquences de sa responsabilité (V. H. de
Richemont, Sénat, Session 2006-2007, n° 11, Ann. au procès-verbal, séance 11 oct. 2006, p. 64-65 et X. de Roux, n° 52, qui envisagent également, pour éclairer
le projet d'article 2026 du Code civil, les actions du constituant et du bénéficiaire intentées contre le fiduciaire).
En revanche, la réponse doit être nuancée à propos des actions en responsabilité qu'intenteraient les tiers victimes de manquements contractuels aux contrats se
rapportant à la conservation ou à la gestion du patrimoine fiduciaire. En effet, l'assiette des saisies qu'opéreraient « les titulaires de créances nées de la
conservation ou de la gestion de ce patrimoine » est en première ligne le patrimoine fiduciaire (C. civ., art. 2025, al. 1er), sans qu'il y ait lieu de réserver un sort
particulier aux créances qui auraient pour origine une faute commise par le fiduciaire dans l'exercice de sa mission. Au demeurant, l'introduction d'une telle
distinction serait source de complications, comme l'illustrerait l'exemple d'inexécutions contractuelles issue à la fois de faits objectifs et de manquements
contractuels imputables au fiduciaire (en ce sens aussi, en faveur de l'inapplicabilité de l'article 2026, sauf toutefois en cas de faute détachable de la fonction de
fiduciaire, C. Berger-Tarare, Le fiduciaire défaillant, Regards croisés en droit des biens et droit des obligations, préf. B. Mallet-Bricout : LGDJ 2015, n° 942 s. –
Contra la position d'un important courant doctrinal estimant que les créances ne seraient pas issues de la conservation ou de la gestion du patrimoine fiduciaire :
Ph. Delebecque, La responsabilité du fiduciaire, in La fiducie dans tous ses états : Dr. & patr. nov. 2009, p. 29, spéc., p. 35 s. – Du même auteur, La
responsabilité du fiduciaire : Dr. & patr. nov. 2009, n° 186, p. 42. – V. aussi en ce sens, N. Borga, Le fiduciaire responsable (exégèse de l'article 2026 du Code
civil) : RLDA 2010, n° 47, p. 83, spéc. n° 20 s. – C. Kuhn, La mission du fiduciaire : Dr. & patr. 2008, n° 171, p. 52, spéc., p. 57). Quant aux actions en
responsabilité délictuelle qu'introduiraient des tiers pour des fautes ou des faits objectifs de responsabilité, en rapport avec la conservation ou la gestion du
patrimoine fiduciaire, elles devraient également échapper à l'article 2026 (contra, Rapp. H. de Richemont, Sénat, Session 2006-2007, n° 11, Ann. au procès-
verbal, séance 11 oct. 2006, p. 65 et Rapp. X. de Roux, p. 52, qui font relever les actions en responsabilité délictuelle du projet d'article 2026 du Code civil).
Néanmoins, il faut se garder de confondre l'obligation à la dette avec la contribution à celle-ci. Les manquements aux contrats conclus avec les tiers seront
souvent le reflet de violations d'obligations issues du contrat de fiducie, notamment celles d'agir avec loyauté et de diligence, de sorte que le constituant ou le
tiers bénéficiaire seront en mesure d'engager la responsabilité personnelle du fiduciaire, dont celui-ci devra bien évidemment répondre sur son patrimoine propre.
Au surplus, le fiduciaire qui « commet intentionnellement une faute d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions » (formule
utilisée par la Cour de cassation pour caractériser une faute détachable des fonctions d'un dirigeant de société. – V. Cass. com., 20 mai 2003 : Bull. civ. IV, n° 84
; D. 2003, p. 2623, note B. Dondero) devrait, à l'instar du dirigeant de société, en répondre sur son patrimoine personnel vis-à-vis des tiers auxquels il a causé un
préjudice (C. Berger-Tarare, Le fiduciaire défaillant, Regards croisés en droit des biens et droit des obligations, préf. B. Mallet-Bricout : LGDJ 2015, n° 938-940).
La difficile articulation de l'article 2026 avec l'article 2025 est sans doute l'une des principales faiblesses des règles légales régissant la fiducie (V. en faveur d'une
réforme de l'article 2026, C. Berger-Tarare, Le fiduciaire défaillant, Regards croisés en droit des biens et droit des obligations, préf. B. Mallet-Bricout : LGDJ 2015,
n° 959).
La présomption de pouvoir dont bénéficie le fiduciaire à l'égard des tiers est très étendue. Elle couvre tant les actes d'administration que ceux de disposition. La
présomption posée par l'article 2023 du Code civil est simple. Elle tombe s'il est « démontré que les tiers avaient connaissance de la limitation » des pouvoirs du
fiduciaire (C. civ., art. 2023), lors de la conclusion des actes, convient-il d'ajouter, puisque l'appréciation de la validité d'un acte juridique s'apprécie au moment de
sa passation. Il ressort clairement du texte que la connaissance de la seule existence du contrat de fiducie ne suffirait pas, le tiers devant avoir eu connaissance
de la limitation des pouvoirs du fiduciaire. À défaut d'un système généralisé de publicité (sur le rôle restreint du registre des fiducies, V. JCl. Civil Code, Art. 2011
à 2030, fasc. 10 ou Notarial Répertoire, V° Fiducie, fasc. 10 ou Banque – Crédit – Bourse, fasc. 785), la preuve de la connaissance positive par le tiers de la
limitation des pouvoirs du fiduciaire sera fonction des circonstances de fait ayant entouré la conclusion de l'acte. L'existence de systèmes de publicité propres à
certains biens dispensera, le cas échéant, de la preuve de la mauvaise foi du tiers. C'est ainsi que l'inaliénabilité conventionnelle est assujettie, en matière
immobilière, aux formalités de la publicité foncière (D. n° 55-22, 4 janv. 1955, art. 28, 2° : JO 7 rect. 27 janv. 1955).
Une partie de la doctrine entend s'inspirer des solutions applicables en cas de dépassement de l'objet social par les dirigeants de sociétés commerciales. En
effet, l'article 2023 du Code civil selon lequel le fiduciaire est réputé disposer, dans ses rapports avec les tiers, des pouvoirs les plus étendus sur le patrimoine
fiduciaire « à moins qu'il ne soit démontré que les tiers avaient connaissance de la limitation de ses pouvoirs » (C. civ., art. 2023) rappelle par son contenu les
règles légales qui prévoient, à propos des sociétés commerciales, des présomptions comparables en cas de dépassement de l'objet social, ces normes
assimilant toutefois aux tiers de mauvaise foi ceux qui ne pouvaient ignorer le dépassement (V. notamment C. com., art. L. 225-35, al. 2. – Sur ce rapprochement,
C. Kuhn, Une fiducie française : Dr. & patr. avr. 2007, n° 158, p. 32 s., spéc. p. 43. – C. de Lajarte, La nature juridique des droits du bénéficiaire d'un contrat de
fiducie : Rev. Lamy dr. civ. 2009, n° 60, p. 71 s., spéc. n° 40. – V. déjà sous l'empire de l'avant-projet de 1991 et du projet de loi de 1992, M. Grimaldi, La fiducie :
réflexions sur l'institution et sur l'avant-projet de loi qui la consacre : Defrénois 1991, art. 35094, n° 58. – F. Barrière, La réception du trust au travers de la fiducie :
Litec 2004, p. 628). Selon la jurisprudence, les actes dépassant l'objet social et conclus dans ces circonstances sont entachés de nullité (V. not. R. Besnard-
Goudet, JCl. Sociétés Traité, fasc. 9-20). Il devrait en être de même en cas de dépassement par le fiduciaire de ses pouvoirs dès lors que le tiers est de
mauvaise foi (en ce sens, C. de Lajarte, La nature juridique des droits du bénéficiaire d'un contrat de fiducie : Rev. Lamy dr. civ. 2009, n° 40. – Rappr., sous
l'empire du projet de loi de 1992, F. Barrière, La réception du trust au travers de la fiducie : Litec 2004, n° 624). Ce rapprochement avec le droit des sociétés n'est
pas totalement convaincant. En effet, la nullité en matière de dépassement de l'objet social découle de la loi, l'excès de pouvoir étant une violation d'une
disposition légale impérative, entraînant à ce titre la nullité de l'acte en application de l'article L. 235-1, alinéa 2 du Code de commerce. Pareil fondement textuel
fait défaut en matière de fiducie.
Il convient dès lors de s'en tenir aux règles de droit commun. C'est ainsi qu'en cas de violation d'une clause d'inaliénabilité, il y a lieu d'appliquer les solutions
jurisprudentielles permettant aux personnes protégées par la clause d'inaliénabilité d'agir en nullité à l'encontre du tiers de mauvaise foi, étant précisé qu'en
matière immobilière la clause d'inaliénabilité est soumise à publicité (V. par ex., F. Zenati-Castaing et Th. Revet, Les biens : PUF, 3e éd., 2008, n° 275, qui
invoquent les principes acquis en matière d'inaliénabilité au soutien de la nullité des actes irréguliers du fiduciaire. – Sur les sanctions de l'inaliénabilité,
V. F. Terré et Ph. Simler, Les biens : 10e éd., 2018, n° 136). En cas de violation de l'obligation de restitution des éléments d'actifs, il est permis de s'inspirer des
sanctions applicables en cas d'aliénation faite en contravention d'une promesse unilatérale de vente (V., C. civ., art. 1124, al. 3, issu de l'ordonnance n° 2016-131
du 10 févr. 2016 : « Le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l'existence est nul ». – Rappr. Ph. Delebecque, La
responsabilité du fiduciaire », in La fiducie dans tous ses états : Dr. & patr. nov. 2009, p. 44, l'auteur se référant à la jurisprudence relative à la violation des
pactes de préférence et la substitution du bénéficiaire dans les droits du tiers acquéreur, comme sanction en nature). Dans l'hypothèse d'un « dépassement de
pouvoir » en matière d'actes d'administration, le tiers de mauvaise foi verra en principe sa responsabilité délictuelle engagée, le juge pouvant alors prononcer la
nullité de l'acte à titre de réparation en nature (Rappr., à propos de la violation d'un pacte de préférence, Cass. 1re civ., 12 juin 1954 : Bull. civ. I, n° 190).
Pour que la présomption s'applique, il est nécessaire que le constituant soit le bénéficiaire de la fiducie. Qu'en est-il si le constituant n'est que l'un des
bénéficiaires de la fiducie ? Il en sera ainsi, même si l'hypothèse devrait être peu fréquente en raison de la prohibition de la fiducie-libéralité, d'une fiducie-gestion
exercée à la fois pour le compte du constituant et d'un tiers-bénéficiaire. La présomption appelle, semble-t-il, une interprétation restrictive. Elle ne devrait jouer
que si le constituant est le bénéficiaire exclusif de la fiducie (en ce sens, F. Barrière, Rép. civ. Dalloz, V° Fiducie, n° 98). Tel devrait être d'autant plus le cas qu'en
l'absence de présomption, le contrat de fiducie pourra néanmoins être qualifié d'action de concert si la preuve en est positivement rapportée (C. com., art. L. 233-
10, I).
La présomption édictée par le texte est réfragable (en ce sens, V. not. D. Schmidt et N. Rontchevsky, Action de concert, Dictionnaire Joly Sociétés ; S EA 20,
1er mars 2022, n° 58. – Contra, C. Goyet, Action de concert, Dictionnaire Joly Bourse : EA 025, nov. 2021, n° 246 et 250). La preuve de l'absence d'action de
concert pourrait résulter des termes du contrat de fiducie prévoyant que le constituant s'interdit de donner toute instruction au fiduciaire en cours de fiducie.
Si la présomption s'applique, « les personnes agissant de concert sont tenues solidairement aux obligations qui leur sont faites par les lois et règlements » (C.
com., art. L. 233-10, III), telles les déclarations de franchissement de seuils ou le lancement obligatoire d'une offre publique d'acquisition. En sa qualité de
professionnel, nul doute que le fiduciaire est tenu d'informer le constituant sur les obligations légales qui pèsent sur ce dernier solidairement avec lui, au jour du
contrat de fiducie ou ultérieurement lors de l'entrée de titres de sociétés cotées dans le patrimoine fiduciaire.
3° Bénéficiaire
Le législateur n'a reconnu au bénéficiaire que quelques prérogatives spécifiques, qui s'ajoutent à la protection découlant du droit commun des obligations. La
nature, personnelle ou réelle, des droits du bénéficiaire est source de controverses, alors que sa nature cessible et saisissable n'est pas douteuse.
a) Prérogatives du bénéficiaire
35. – Présentation –
La mission du fiduciaire étant exercée au profit du bénéficiaire (C. civ., art. 2011), celui-ci se voit accorder diverses prérogatives en vue de lui permettre de
préserver ses droits. Ces derniers convergent largement avec ceux du constituant, sous une réserve : le droit de nommer un tiers-protecteur est réservé au
constituant (C. civ., art. 2017), alors qu'une telle mesure peut également être utile au bénéficiaire. Mais libre à ce dernier de nommer, le cas échéant, un
mandataire de droit commun pour exercer en son nom les prérogatives qui lui sont attribuées par la loi.
Cette divergence de traitement selon le destinataire de l'information – constituant ou tiers bénéficiaire – est motivée par le grand nombre possible de bénéficiaires
et le souci d'alléger les obligations du fiduciaire (V. Rapp. H. de Richemont, Sénat, Session 2006-2007, n° 11, Ann. au procès-verbal, séance 11 oct. 2006, p. 60 :
« Dans la mesure où certains contrats de fiducie pourraient désigner plusieurs centaines ou plusieurs milliers de personnes comme bénéficiaires, il serait
contraignant et coûteux d'imposer au fiduciaire un compte rendu périodique alors même que le bénéficiaire ne le requiert pas expressément », le rapporteur
donnant l'exemple d'actionnaires bénéficiaires d'une fiducie dont la société serait elle-même le constituant). Mais il va de soi que les modalités de l'information au
profit du tiers-bénéficiaire peuvent être alignées, conventionnellement, sur celle due au constituant.
b) Droit commun
Il résulte du droit commun de la stipulation pour autrui que le tiers-bénéficiaire est titulaire d'un droit direct contre le fiduciaire-promettant (C. civ., art. 1206, al. 1er)
sans que ce droit naisse d'abord dans le patrimoine du constituant. Il en résulte aussi qu'il pourra poursuivre l'exécution forcée (C. civ., art. 1209), en agissant
contre le fiduciaire récalcitrant ou négligent qui, par exemple, s'abstiendrait de lui verser les fruits en cours de fiducie ou entraverait la dévolution des biens lors de
l'extinction de la fiducie. De même, le tiers bénéficiaire pourra mettre en jeu la responsabilité contractuelle du fiduciaire, sans pour autant pouvoir agir en
résolution du contrat (sur ces différents aspects, V. not., M. Mignot, JCl. Civil Code, Art. 1205 à 1209 ou Notarial Répertoire, V° Contrats et obligations, fasc. 7-3,
spéc., n° 196 s. A). Nul doute que le tiers-bénéficiaire a également qualité, selon les règles de la stipulation pour autrui, pour agir en nullité des actes irréguliers
accomplis par le fiduciaire. Il importe toutefois de relever que l'anéantissement ou la neutralisation des actes irréguliers profiteront au patrimoine fiduciaire, et non,
directement au bénéficiaire. Celui-ci, tout comme le constituant, en tireront les bénéfices à l'extinction de la fiducie, qui aura souvent lieu de manière anticipée, eu
égard aux circonstances, par voie de révocation de la fiducie par le constituant ou de la résolution du contrat pour inexécution contractuelle.
Par ailleurs, le législateur a précisé le droit commun de la stipulation pour autrui en énonçant que le contrat de fiducie ne peut être modifié après l'acceptation du
bénéficiaire, sauf décision de justice (C. civ., art. 2028, al. 2) et en envisageant l'hypothèse d'une renonciation du bénéficiaire, laquelle est lourde de portée pour
l'opération fiduciaire (V. n° 69 ).
c) Nature réelle ou personnelle des droits du bénéficiaire sur les biens fiduciaires
La question de la nature juridique des droits du bénéficiaire n'a pas manqué de rebondir depuis la consécration de la fiducie par la loi n° 2007-211 du 19 février
2007. Mettant l'accent sur les droits du bénéficiaire à jouir des biens fiduciaires par l'intermédiaire du fiduciaire ainsi qu'à acquérir la propriété lors du dénouement
de la fiducie (Jus ad rem), une partie de la doctrine reconnaît au bénéficiaire un droit réel sui generis qui aurait été implicitement consacré par le législateur
(V. F. Danos, La qualification des droits des différentes parties à une opération de fiducie, in Mél. en l'honneur de Philippe Merle : Dalloz 2012, p. 137. – V. aussi,
C. Berger-Tarare, Le fiduciaire défaillant, Regards croisés en droit des biens et droit des obligations, Préf. B. Mallet-Bricout : LGDJ, 2015, n° 252 s. –
Ph. Dupichot, Opération fiducie sur le sol français : JCP N 2007, 1130 s., spéc. n° 4. – Rappr., sous l'empire de l'avant-projet, M. Grimaldi, La fiducie : réflexions
sur l'institution et sur l'avant-projet de loi qui la consacre : Defrénois 1991, art. 35094, n° 58). Eu égard à la nature réelle de ce droit, le bénéficiaire se verrait
reconnaître une action réelle pétitoire, en l'occurrence une action confessoire, à l'encontre d'un acquéreur de mauvaise foi (V. sur cette action, C. Berger-Tarare,
Le fiduciaire défaillant, Regards croisés en droit des biens et droit des obligations, Préf. B. Mallet-Bricout : LGDJ, 2015, n° 804 s.).
De solides raisons plaident néanmoins en faveur du caractère personnel de la créance du bénéficiaire de la fiducie. Alors qu'il avait partiellement en point de mire
le trust, le législateur s'est pourtant abstenu d'accorder au bénéficiaire un droit de préférence dans l'hypothèse où le fiduciaire a mélangé les actifs fiduciaires
avec ses biens propres sans qu'on puisse les individualiser. Pas davantage ne lui a-t-il accordé un droit de suite qui lui aurait permis de revendiquer directement
le bien entre les mains d'un tiers acquéreur de mauvaise foi (sur ces aspects du trust, V., M.-F. Papandréou-Deterville, Le droit anglais des biens : LGDJ 2004,
n° 799 s.), en lieu et place de la voie détournée conduisant le bénéficiaire à poursuivre l'anéantissement de l'acte de disposition irrégulier, suivi de la réintégration
du bien dans le patrimoine fiduciaire. À juste titre, un fort courant doctrinal s'en tient à la nature personnelle des droits du bénéficiaire (V. not. P. Crocq, Propriété
fiduciaire, propriété unitaire, in La fiducie dans tous ses états, Journées nationales, t. XV : Dalloz 2011, p. 9, spéc. p. 11 s. – C. de Lajarte, La nature juridique des
droits de bénéficiaire d'un contrat de fiducie : RLDC 2009, n° 60, p. 71 s.). Dans le contexte, il est vrai, particulier d'une saisie pénale de biens apportés à un
fiduciaire et suspectés d'être l'objet d'un blanchiment, la Cour de cassation a jugé que le constituant-bénéficiaire ne pouvait pas être considéré comme ayant des
droits sur les biens en question, au sens de l'article 706-153 du Code de procédure pénale, pour en déduire qu'il ne pouvait, nonobstant le fait que cette saisie lui
ait été notifiée, s'opposer à la décision du juge d'instruction ordonnant la saisie (Cass. crim., 9 juin 2022, n° 21-85.805. – L. Saenko, Le trust, la fiducie et le délit
de blanchiment : JCP N 2022, n° 45, 1265, p. 47). Le droit de créance du bénéficiaire apparaît néanmoins renforcé en substance par rapport au droit commun,
grâce à la consécration du patrimoine d'affectation (comp. J. de Guillenchmidt, évoquant un droit de créance « teinté de réalité » : La France sans la fiducie : RJC
1991, p. 49 s.). Le patrimoine fiduciaire étant hors d'atteinte des créanciers personnels du fiduciaire (V., à propos des procédures collectives ouvertes à l'encontre
du fiduciaire, C. civ., art. 2024. – V. n° 43 ), la position du bénéficiaire est meilleure que celle du titulaire d'un simple droit de créance, dépourvu de droit de
préférence, ce qui l'aurait mis en concours avec les créanciers personnels du fiduciaire (sur l'importance du choix législatif en faveur du patrimoine d'affectation
pour éclairer les droits des parties à l'opération fiduciaire, V. P. Crocq, Propriété fiduciaire, propriété unitaire, in La fiducie dans tous ses états, Journées
nationales, t. XV : Dalloz, 2011, p. 9, spéc. p. 11 s. – Rappr. C. Gouret, L’administration fiduciaire, Contribution à l’étude de la fiducie, avant-propos M.-L. Mathieu,
préf. Ch. Albiges et Fr. Pérochon : Defrénois, 2022, spéc. n° 359 s.).
Dans une configuration particulière, le bénéficiaire se voit investi de la propriété des biens composant le patrimoine fiduciaire. Tel est le cas lorsqu'il cumule les
qualités de bénéficiaire et de fiduciaire dans le cadre d'une fiducie-sûreté sans entiercement. Le droit réel de propriété du fiduciaire – bénéficiaire est néanmoins
limité dans sa portée par un droit de créance dont le constituant est titulaire (droit à la restitution du patrimoine si la sûreté n'a pas lieu d'être mise en œuvre, droit
au reliquat du produit de réalisation dépassant le montant de la créance garantie, V. n° 79 ).
4° Tiers protecteur
La formule selon laquelle le tiers protecteur « peut disposer des pouvoirs que la loi accorde au constituant » n'est pas des plus heureuses. D'une part, elle occulte
les pouvoirs spécifiques que le législateur attribue de plein droit au tiers protecteur. En premier lieu, le fiduciaire doit rendre compte de sa mission au tiers
protecteur (C. civ., art. 2022), à la demande de celui-ci, l'information étant donc quérable, selon un régime analogue à celui de l'information due au bénéficiaire, et
non portable, comme c'est le cas de l'information due au constituant. L'explication de cette différence de traitement s'explique sans doute par l'état d'ignorance
dans lequel le fiduciaire peut se trouver quant à l'existence d'un tiers protecteur (en ce sens, F. Barrière, Rép. civ. Dalloz, V° Fiducie, n° 93). En second lieu, l'
article 2027 du Code civil accorde au tiers protecteur le droit d'agir en justice en vue de la nomination d'un fiduciaire provisoire ou du remplacement du fiduciaire
en cas de péril (V. aussi, à propos du constituant, n° 9).
D'autre part et surtout, les termes « peut disposer » est source d'ambiguïté. Selon une première analyse, le protecteur « disposera, sauf stipulation contraire du
contrat de fiducie, des différentes prérogatives reconnues au constituant » (Rapp. H. de Richemont, Sénat, Session 2006-2007, n° 11, Ann. au procès-verbal,
séance 11 oct. 2006, p. 56), ce qui laisse entendre qu'en cas de nomination d'un tiers protecteur, celui-ci disposerait de plein droit des prérogatives du
constituant, lesquelles couvriraient le droit de révoquer le contrat de fiducie, lourd de portée (C. civ., art. 2028). Selon une seconde analyse, l'octroi au tiers
protecteur des pouvoirs du constituant implique que le contrat de fiducie contienne une stipulation en ce sens (Dossiers pratiques Francis Lefebvre, avec la
collaboration de B. Gouthière, La fiducie : mode d'emploi, 2e éd., 2009, n° 802). Une troisième analyse nous semble préférable. Les pouvoirs étendus peuvent
être accordés au tiers protecteur, même en cas de silence du contrat de fiducie, dès lors que le constituant les lui octroie, lors de sa nomination ou
ultérieurement, à moins que le contrat de fiducie s'y oppose. À défaut de mentions expresses, le tiers protecteur n'aurait, selon nous, que les pouvoirs spécifiques
qui lui sont attribués par le législateur (C. civ., art. 2022 et 2027), à l'exception du pouvoir de révocation unilatérale (C. civ., art. 2028) ou de celui d'amender le
contrat en accord avec le fiduciaire.
Il va de soi qu'en concluant le contrat de fiducie, les parties ont intérêt à se prononcer sur l'étendue des pouvoirs susceptibles d'être conférés au tiers protecteur,
le cas échéant en énonçant à son profit des prérogatives déterminées (consultation de la comptabilité, contrôle de la conservation des actifs, contrôle des
contrats conclus par le fiduciaire, etc., V. Dossiers pratiques Francis Lefebvre, avec la collaboration de B. Gouthière, La fiducie : mode d'emploi, 2e éd., 2009,
n° 802). On peut également imaginer que le contrat de fiducie subordonne à l'autorisation préalable du tiers protecteur la passation de tel ou tel type d'acte lourd
de portée ou la modification des modes de gestion qui serait rendue nécessaire à la suite d'un changement de circonstances envisagé par le contrat.
B. - Patrimoine fiduciaire
Les articles 2011 et suivants du Code civil répondent au régime d'une fiducie modernisée, sous l'angle du droit des biens, même si ce régime ne transparaît pas
aussi clairement qu'on aurait pu le souhaiter. C'est ainsi qu'en définissant la fiducie à l'article 2011 du Code civil, le législateur s'est abstenu d'utiliser le concept
de patrimoine fiduciaire à propos des biens, droits ou sûretés ou de l'ensemble de biens, droits ou sûretés, présents ou futurs, transférés au fiduciaire, devant être
tenus séparés du patrimoine propre du fiduciaire. Ce silence est compensé par les nombreuses références faites au patrimoine fiduciaire – pas moins de 17 fois –
par les articles subséquents du Titre quatorzième. Le concept de patrimoine d'affectation n'apparaît, quant à lui, que dans le cadre des dispositions comptables (
L. n° 2007-211, 19 févr. 2007, art. 12. – Règl. CRC n° 2008-01, 3 avr. 2008), alors pourtant qu'il est parfaitement approprié pour refléter les traits essentiels du
régime du patrimoine fiduciaire : les biens transférés au fiduciaire doivent être tenus séparés du patrimoine propre du fiduciaire (C. civ., art. 2011) ; le patrimoine
fiduciaire ne peut être saisi que par les titulaires de créances nées de la conservation ou de la gestion de ce patrimoine (C. civ., art. 2025, al. 1er), sans que
l'ouverture d'une procédure collective ouverte à l'encontre du fiduciaire n'affecte le patrimoine fiduciaire (C. civ., art. 2024). L'article 12 de la loi n° 2007-211 du
19 février 2007 reflète bien l'autonomie du patrimoine fiduciaire en énonçant que « les éléments d'actif et de passif transférés dans le cadre de l'opération
mentionnée à l'article 2011 du Code civil forment un patrimoine d'affectation. Les opérations affectant ce dernier font l'objet d'une comptabilité autonome chez le
fiduciaire ».
D'avant-garde en 2007, la technique du patrimoine d'affectation qui déroge au sacro-saint principe de l'unicité du patrimoine, s'est banalisée sur le plan législatif.
Elle a été en effet reprise par le législateur dans le cadre de la protection de l'entrepreneur individuel, en permettant à celui-ci d'opter pour le régime de
l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL). Tel fut l'apport de la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010 relative à l'entrepreneur individuel à responsabilité
limitée. Avec la loi n° 2022-172 du 14 février 2022, tout entrepreneur individuel est désormais doté légalement de deux patrimoines, un patrimoine professionnel
correspondant à son activité professionnelle indépendante et son patrimoine personnel réunissant tous ses autres biens. L'innovation est majeure puisque la
division est automatique, sans démarche administrative ou information des créanciers. Qui plus est, ce dernier texte permet et organise la circulation du
patrimoine professionnel, selon une avancée notable par rapport à la réglementation légale du patrimoine fiduciaire (sur la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en
faveur de l'activité professionnelle indépendante, V. not. T. Revet, La désubjectivation du patrimoine : D. 2022, p. 469).
1° Actif fiduciaire
Les biens acquis en cours de fiducie prendront la place des éléments initiaux, par le jeu éprouvé de la subrogation réelle qui s'opère de plein droit, même si le
fiduciaire n'était pas autorisé à aliéner ces biens (F. Zenati-Castaing et T. Revet, Les biens : PUF, 3e éd., 2008, n° 278). Les entraves au fonctionnement de la
subrogation réelle pourront provenir des malversations du fiduciaire ou d'un comportement négligent du fiduciaire, qui n'aurait pas veillé à maintenir les biens
séparés de son patrimoine propre ou d'un autre patrimoine fiduciaire.
45. – Fruits –
En tant que propriétaire, le fiduciaire est assurément habilité à percevoir les fruits des éléments d'actif du patrimoine fiduciaire (intérêts, dividendes, loyers, etc.).
Bien plus, sa mission de fiduciaire l'oblige, tout comme n'importe quel administrateur diligent, à engranger les fruits, lesquels devront être versés dans le
patrimoine fiduciaire. Libre toutefois aux parties de prévoir que les fruits seront affectés, dans une proportion déterminée, à la rémunération du fiduciaire. En
matière de fiducie-sûreté, les contractants pourront convenir que les fruits s'imputeront sur les intérêts ou le capital de la créance garantie. À défaut d'une pareille
clause, une telle imputation ne semble pas pouvoir être de droit, eu égard à l'existence du patrimoine fiduciaire, réceptacle naturel des fruits perçus (pour une
position différente, V. F. Zenati-Castaing et T. Revet, Les biens : PUF, 3e éd., 2008, n° 279). Le régime de la fiducie-sûreté devrait se distinguer ainsi de celui
applicable en matière de gage de meubles corporels (C. civ., art. 2345) et de gage immobilier (C. civ., art. 2389).
2° Passif fiduciaire
Si le patrimoine fiduciaire ou, de manière plus exacte, les éléments d'actif qui le composent, sont l'assiette exclusive des recours des créanciers dont les droits
sont nés à l'occasion de la conservation ou de la gestion des biens fiduciaires, il en résulte que ces derniers sont hors d'atteinte des créanciers personnels du
fiduciaire ou des créanciers d'un patrimoine fiduciaire distinct. Le législateur n'a dégagé cette conséquence protectrice du constituant ou du tiers bénéficiaire qu'à
propos des procédures collectives pouvant frapper le fiduciaire (V. C. civ., art. 2024 : « L'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou
de liquidation judiciaire au profit du fiduciaire n'affecte pas le patrimoine fiduciaire »). Ce qui vaut pour les procédures collectives s'applique aussi aux voies
d'exécution diligentées contre le fiduciaire en raison de dettes étrangères à la fiducie. Le projet de 1992 avait déduit de l'affectation de l'actif au passif fiduciaire
deux autres conséquences (C. civ., art. 2070-2). D'une part, en cas de décès du fiduciaire, lequel ne peut être qu'un avocat (V. JCl. Civil Code, Art. 2011 à 2030,
fasc. 10 ou Notarial Répertoire, V° Fiducie, fasc. 10 ou Banque – Crédit – Bourse, fasc. 785), les biens du patrimoine fiduciaire ne font pas partie de sa
succession. D'autre part, en cas de dissolution d'une personne morale fiduciaire, ceux-ci ne font pas partie de l'actif partageable ou transmissible à titre universel.
Sans doute le législateur a-t-il renoncé à prévoir ces conséquences, en raison de l'extinction de la fiducie dans ces deux cas (V. n° 66 et 67 ).
La nature des dettes composant le passif fiduciaire peut être variée. Le passif fiduciaire sera constitué, le plus souvent, par des dettes issues de contrats conclus
par le fiduciaire à l'occasion du patrimoine fiduciaire. Encore faut-il que les contractants du fiduciaire aient été fondés à penser que celui-ci n'agissait pas en son
nom personnel ou au nom du constituant (V. n° 26 ). Le passif fiduciaire peut également comprendre des dettes d'origine délictuelle nées à l'occasion de la
conservation ou de la gestion du patrimoine fiduciaire (action en concurrence déloyale, parasitisme, responsabilité du fait des bâtiments, etc.). En revanche, le
fiduciaire répond sur son patrimoine propre des fautes ainsi commises, lorsqu'il est assigné en responsabilité par le constituant ou le tiers bénéficiaire (C. civ.,
art. 2026. – V. n° 22 ).
La garantie subsidiaire du patrimoine du constituant innove par rapport au projet de 1992 et à la proposition Marini. Elle a été introduite, de manière contestable,
par la Commission des lois du Sénat (Rapp. H. de Richemont, Sénat, Session 2006-2007, n° 11, Ann. au procès-verbal, séance 11 oct. 2006, p. 63 s.). Aucune
des codifications étrangères récentes de la fiducie ne prévoit la responsabilité subsidiaire du constituant, qu'il s'agisse du droit luxembourgeois, du droit libanais
ou du droit québécois. La responsabilité subsidiaire du constituant apparaît critiquable pour plusieurs raisons. D'une part, il peut paraître injuste que le constituant
puisse être tenu de dettes qu'il n'a pas contractées (V. A. Prüm, L'arrivée de la fiducie : RD bancaire et fin. 2007, alerte 1, n° 1, p. 1 s., spéc. p. 2 in fine) pour un
patrimoine « dont il n'est pas titulaire et qu'il ne gère pas » (S. Piedelièvre, La timide consécration de la fiducie par la loi du 19 février 2007 : Gaz. Pal. 2007, II,
1526 s., n° 38). D'autre part, il peut être difficile pour les tiers contractants d'apprécier la solvabilité du constituant, alors qu'il leur serait plus aisé de vérifier celle
de leur cocontractant, qui est nécessairement un professionnel. Quant à l'idée que le constituant, riche des avoirs de la fiducie, doive répondre à ce titre des
dettes de la fiducie (comp., M. Grimaldi, Théorie du patrimoine et fiducie : Rev. Lamy dr. civ. 2010, n° 77, p. 73 s.), elle n'éclaire que partiellement le régime légal,
et ce dans les cas où le constituant est le bénéficiaire exclusif de la fiducie, ce qui écarte ce fondement dans l'hypothèse d'une fiducie-sûreté ou d'une fiducie-
gestion au profit d'un tiers bénéficiaire. La responsabilité subsidiaire du constituant est également contestable en pratique, car elle risque d'entraver des
applications potentielles de la fiducie (V. séminaire, 25 avr. 2007 : Rev. Lamy dr. civ. 2007, n° 40, p. 75). Mieux aurait valu s'en tenir aux règles inhérentes au
régime du patrimoine d'affectation (F. Barrière, La loi instituant la fiducie : entre équilibre et incohérence : JCP E 2007, 2053, n° 24. – C. Larroumet, La loi du
19 février 2007 sur la fiducie, Propos critiques : D. 2007, p. 1350 s. – V. n° 16 ).
L'engagement du fiduciaire peut donner lieu à un large éventail de clauses contractuelles. Le cas le plus simple est celui où le fiduciaire accepte de prendre en
charge la totalité du passif, ce qui met le constituant à l'abri de toute poursuite. Mais comme le prévoit le législateur, la prise en charge par le fiduciaire prévue par
le contrat peut n'être que partielle (« …tout ou partie du passif à la charge du fiduciaire », C. civ., art. 2025, al. 2), auquel cas la décharge du constituant ne
devrait être que partielle, même si le législateur ne l'a pas précisé, et ce, à hauteur de la responsabilité que le fiduciaire a accepté d'endosser personnellement.
On peut également concevoir que le fiduciaire s'oblige à la dette, sans vouloir y contribuer, en s'aménageant à cet effet un recours contre le constituant, afin que
celui-ci supporte la charge définitive de la dette. Dans le cadre de ce recours, le constituant sera en mesure, le cas échéant, d'opposer une créance de
responsabilité du fiduciaire au titre de l'article 2026 du Code civil, et de faire jouer la compensation entre les deux créances.
53. – Prévisions contractuelles protectrices du constituant répondant du passif fiduciaire –
Dans l'hypothèse où le constituant a vocation à répondre du passif fiduciaire, diverses stipulations contractuelles peuvent réduire le risque d'une poursuite des
créanciers fiduciaires sur le patrimoine du constituant. Il en est ainsi d'une clause subordonnant la conclusion d'actes déterminés à l'accord préalable du
constituant ou de celle fixant un seuil au-delà duquel le fiduciaire ne pourrait augmenter le passif fiduciaire sans l'autorisation préalable du constituant (sur cette
dernière clause, Dossiers pratiques Francis Lefebvre, avec la collaboration de B. Gouthière, La fiducie : mode d'emploi, 2e éd., 2009, n° 3620). On peut encore
imaginer une stipulation du contrat de fiducie interdisant au fiduciaire de conclure un contrat avec un tiers sans que celui-ci n'ait préalablement accepté de limiter
ses recours aux seuls éléments d'actif du patrimoine fiduciaire (F. Barrière, La loi instituant la fiducie : entre équilibre et incohérence : JCP E 2007, 2053, n° 25).
C. - Rôle du juge
54. – Dualité –
À la fonction traditionnelle du juge en matière contractuelle, s'ajoutent des fonctions spécifiques prévues par les articles 2027 et 2028 du Code civil.
L'article 2027 du Code civil n'est pas à l'abri de la critique. Mieux aurait valu, à la suite du projet de 1992 et de la proposition Marini, envisager la nomination d'un
administrateur provisoire ou le remplacement définitif du fiduciaire. La norme prévoit la nomination d'un fiduciaire provisoire – et non d'un simple administrateur
provisoire – qui se voit transférer de plein droit le patrimoine fiduciaire. On imagine les nombreuses difficultés de mise en œuvre d'un tel transfert provisoire
notamment au regard des mesures de publicité applicables aux biens dont le transfert de propriété requiert une publication ou une inscription. Mieux aurait valu
assortir la nomination d'un fiduciaire provisoire du seul dessaisissement du fiduciaire originaire et réserver le transfert du patrimoine fiduciaire au seul cas du
remplaçant définitif du fiduciaire.
59. – Portée –
Les effets attachés au remplacement du fiduciaire par un autre sont remarquables en droit des obligations et en droit des biens : le remplacement opère une
substitution, par voie judiciaire, d'un contractant à un autre ; il produit, en droit des biens, le transfert à titre universel du patrimoine fiduciaire, y compris les
contrats en cours et éléments de passif. Vis-à-vis du fiduciaire dessaisi, il s'agit d'« une véritable expropriation » à finalité privée.
60. – Silence sur l'extinction anticipée de la fiducie –
Il est permis de regretter que le texte ne consacre pas la possibilité de solliciter du juge la cessation anticipée du contrat fiduciaire (V. en ce sens le projet de
1992, art. 2070-1, al. 2 et L. luxembourgeoise, 27 juill. 2003, art. 7, al. 6). La seule voie d'une cessation anticipée est celle, très étroite, ouverte par l'article 2028
du Code civil (V. n° 62 ).
61. – Rejet de la révision dans les conditions des articles 900-1 et suivants du Code civil –
Dans le droit fil du projet de loi de 1992 (V. C. civ., art. 2070-9), la proposition de loi Marini entendait accorder au fiduciaire le droit de demander la résiliation ou la
révision du contrat de fiducie dans les conditions des articles 900-1 et suivants du Code civil (C. civ., art. 2070-3). En d'autres termes, la proposition de loi avait
envisagé la levée judiciaire de l'inaliénabilité de biens composant le patrimoine fiduciaire (C. civ., art. 900-1), tout comme la révision du contrat dont l'exécution
serait devenue extrêmement difficile ou sérieusement dommageable 10 ans après la conclusion du contrat (C. civ., art. 900-2 s.). La Commission des lois du
Sénat devait maintenir pour l'essentiel cette disposition, mais en la limitant au seul « cas de disparition du constituant en cours d'exécution du contrat de fiducie » (
C. civ., art. 2022) et ce, dans la volonté de restaurer l'exigence du consentement mutuel des contractants pour toute révision du contrat. Au cours des débats au
Sénat, cette disposition a toutefois été retirée comme suite logique de la limitation de la fiducie aux constituants personnes morales : les professionnels « n'ont
pas besoin des règles protectrices des articles 900-2 à 900-7 du Code civil, surtout que celles-ci pourraient être utilisées pour remettre en cause indûment des
fiducies-sûretés » (Amendement n° 1 du Gouvernement, annexé à la séance du Sénat, 16 oct. 2006). En élargissant la fiducie aux constituants personnes
physiques (L. n° 2008-776, 4 août 2008. – V. JCl. Civil Code, Art. 2011 à 2030, fasc. 10 ou Notarial Répertoire, V° Fiducie, fasc. 10 ou Banque – Crédit – Bourse,
fasc. 785), le législateur n'a pas saisi l'occasion de restaurer cette disposition.
Mais surtout, l'article 2028, alinéa 2 ne limite pas, expressis verbis, son champ d'application à l'hypothèse d'une relation triangulaire. On a pu légitimement en
déduire que la porte est ainsi ouverte à l'application éventuelle de la théorie de l'imprévision, même aux contrats de fiducie dans lesquels le constituant est lui-
même bénéficiaire. La saisine du tribunal n'étant pas réservée au constituant (V. F. Zenati-Castaing et T. Revet, Les biens : PUF, 3e éd., 2008, n° 285), le juge
devrait pouvoir être saisi par un fiduciaire qui, confronté à de graves difficultés d'exécution du contrat, se heurterait à un refus du constituant d'accéder à sa
demande de révision ou d'extinction anticipée du contrat. Une interprétation en ce sens de l'article 2028 a perdu de son intérêt depuis la réforme du droit des
contrats de 2016 (C. civ., art. 1195), sauf à admettre que l'article 2028 constitue une lex specialis évinçant le droit commun. Quelles que soient les perspectives
offertes par l'article 2028, alinéa 2 et de l'article 1195, les contractants ont tout intérêt à insérer dans le contrat de fiducie des clauses de renégociation, en cas
d'événements entravant la bonne exécution du contrat, surtout s'il est de longue durée.
63. – Plan –
Toute fiducie est appelée à s'éteindre, par diverses causes. L'extinction a pour effet d'entraîner la dévolution des éléments composant le patrimoine fiduciaire ou,
plus exceptionnellement, celle du patrimoine fiduciaire lui-même. Elle appelle une ou plusieurs formalités particulières.
A. - Causes d'extinction
a) Facteurs objectifs
65. – Diversité –
L'article 2029 du Code civil portant sur les causes d'extinction de la fiducie, énumère divers événements déclenchant automatiquement l'extinction de la fiducie.
Les uns tiennent à l'opération fiduciaire elle-même : réalisation du but de la fiducie et survenance du terme. Les autres ont trait à la personne des contractants,
qu'il s'agisse du constituant (décès) ou du fiduciaire (liquidation judiciaire, dissolution ou disparition à la suite d'une cession ou d'une absorption de la personne
morale, interdiction temporaire, radiation ou omission du tableau de l'avocat fiduciaire).
L'extinction du contrat de fiducie intervient de plein droit « sauf stipulations du contrat prévoyant les conditions dans lesquelles il se poursuit » (C. civ., art. 2029,
al. 2). Ainsi, le contrat peut prévoir une survie de la fiducie en cas de disparition du fiduciaire de la scène juridique. Les contractants gagneront à user de la liberté
contractuelle qui leur est ouverte, alors que celle-ci leur est fermée dans les cas précédents (V. n° 63 à 65 ). En effet, les événements affectant le fiduciaire
surgiront, en tant que causes d'extinction du contrat, à un moment où la réalisation du but poursuivi n'a pas encore été atteinte. Ils sont particulièrement graves
en matière de fiducie-sûreté, puisqu'ils entraînent la disparition de la garantie (F. Barrière, Rép. civ. Dalloz, V° Fiducie, n° 64). C'est dire que des prévisions
contractuelles s'imposent, telle la poursuite du contrat avec la société absorbante ou le recours à un fiduciaire de remplacement.
71. – Révocation –
Rappelons que la loi aménage au profit du constituant le droit de révoquer le contrat de fiducie tant qu'il n'a pas été accepté par le bénéficiaire. En cas
d'acceptation du bénéficiaire, la révocation est subordonnée à l'accord de ce dernier ou à une décision judiciaire (C. civ., art. 2028, al. 2. – Pour un examen
détaillé, V. n° 73 ).
Il va de soi que les parties ont intérêt à aménager conventionnellement les conséquences d'une telle renonciation, pour éviter les effets radicaux d'une cessation
anticipée du contrat. Mieux aurait valu, en l'absence de telles prévisions, subordonner l'extinction de la fiducie à une intervention judiciaire (comp. l'intervention
judiciaire en matière de trust, dans les systèmes juridiques ayant écarté la règle Saunders c/ Vautier, en raison de ses inconvénients, J.-P. Béraudo et J.-
M. Tirard, Les trusts anglo-saxons et les pays de droit civil : Academy & Finance Genève, 2006, n° 153). Par ailleurs, le législateur ne semble pas avoir réalisé
que dans l'hypothèse d'une fiducie-gestion au profit du constituant, la règle permet à celui-ci de mettre fin, à tout instant, au contrat de fiducie, même à durée
déterminée. On retrouve ainsi, sous une formule différente, la révocabilité ad nutum du mandataire (C. civ., art. 2004). Il est impérieux que le fiduciaire, qui serait
soucieux d'effectuer sa mission dans le cadre d'une relation stabilisée, subordonne la conclusion du contrat à l'insertion d'une clause neutralisant totalement ou
partiellement les effets d'une éventuelle renonciation du bénéficiaire.
2° Extinction judiciaire
1° Objet de la dévolution
À titre de règle de principe, la dévolution porte ainsi directement sur les éléments qui composent le patrimoine fiduciaire, et non sur le patrimoine fiduciaire lui-
même qui s'éteint (V. aussi, F. Barrière, Rép. civ. Dalloz, V° Fiducie, n° 97. – Contra, J.-D. Pellier, JCl. Contrats – Distribution, fasc. 3300 ; Rép. civ. Dalloz, V°
Fiducie, n° 72. – Rappr. Fr. Zénati-Castaing et Th. Revet, Les biens : PUF, 3e éd., 2008, n° 286, selon lesquels les parties ont le choix entre la liquidation du
patrimoine avant sa transmission nette ou sa transmission universelle). À l'extinction de la fiducie, la propriété finalisée est en effet appelée à se transformer en
propriété pleine et entière au profit du bénéficiaire ou, le cas échéant, au profit du constituant (V. M.-P. Dumont-Lefrand, Le dénouement de l'opération de fiducie :
Dr. & patr. juin 2008, n° 171, p. 63 s., spéc. p. 65. – Sur le retour au constituant, V. n° 74 ). Le dénouement de la fiducie-gestion se traduira par le transfert des
éléments d'actif du patrimoine fiduciaire dans le patrimoine du bénéficiaire, libéré de toute finalité particulière. Ils se fondent dans son patrimoine et accroissent
l'assiette du droit de gage général de ses créanciers. Il pourra indifféremment s'agir des éléments d'actifs transférés initialement ou de ceux acquis par le
fiduciaire en cours de fiducie. Le cas échéant, le contrat pourra prévoir une attribution progressive des éléments d'actif au bénéficiaire, de sorte qu'à l'issue de la
fiducie le patrimoine fiduciaire aura été vidé de son contenu.
Au demeurant, la transmission avec maintien du patrimoine fiduciaire au bénéficiaire, même limitée aux fins de liquidation, se heurterait à deux types d'obstacles.
D'une part, la fonction de fiduciaire est réservée à une série d'opérateurs déterminés. D'autre part, une survie, même temporaire, du patrimoine fiduciaire
permettrait au bénéficiaire, qu'il soit un tiers ou le constituant, de prolonger, la division du patrimoine, au détriment de ses créanciers. À l'instar du transfert à titre
universel du patrimoine d'une société absorbée lors d'une fusion, on pourrait bien entendu aussi imaginer que l'ensemble des éléments d'actif et de passif se
trouvent fondus dans le patrimoine du bénéficiaire, comme ils le sont dans celui de la société absorbante, emportant la dissolution instantanée du patrimoine
fiduciaire. Mais hormis le cas du remplacement du fiduciaire et celui, évoqué ci-dessus, du décès du constituant, la loi ne prévoit pas une telle transmission à titre
universel et, surtout, n'organise pas les protections des créanciers qui l'accompagnent là où elle l'instaure. Lors de l'extinction du contrat fiduciaire, il faut donc
penser que le patrimoine est vidé de ses éléments d'actifs au profit du bénéficiaire, après l'apurement des dettes, pour disparaître. Il appartient aux parties, si
elles souhaitent la solution d'une transmission universelle de tous les éléments du patrimoine fiduciaire au bénéficiaire, de la prévoir dans leur contrat. La solution
pourrait se recommander notamment en présence d'une fiducie portant sur un ensemble complexe de droits et de contrats, tel un portefeuille de titres et
d'instruments financiers, y compris des contrats de dérivés. Une transmission universelle convenue entre parties et, le cas échéant, avec les cocontractants du
fiduciaire, permettrait alors d'éviter de perdre le bénéfice des contrats en cours adjoints aux biens transmis.
La proposition de loi Marini avait de surcroît envisagé une difficulté particulière, celle de l'extinction de la fiducie avant la survenance du terme ou la réalisation du
but poursuivi pour une cause autre que la renonciation du bénéficiaire ; dans ce cas, les biens et droits devraient faire retour au constituant, sauf stipulation
conventionnelle prévoyant leur transmission au bénéficiaire (proposition d'art. 2070-7, al. 1er). En suivant les recommandations du rapport de la Commission des
lois du Sénat, le législateur a préféré renoncer à toute règle particulière sur ce point. Selon le rapport de la Commission, il est « préférable de laisser les parties
au contrat de fiducie organiser librement les conditions dans lesquelles le patrimoine fait ou non retour au constituant lorsque le contrat de fiducie prend fin avant
la réalisation de l'objet de la fiducie ou la survenance du terme, sans prévoir de règle supplétive » (Rapp. H. de Richemont, Sénat, Session 2006-2007, n° 11,
Ann. au procès-verbal, séance 11 oct. 2006, p. 68). L'hypothèse principale d'extinction de la fiducie ainsi visée est celle de la révocation de la fiducie par le
constituant. Soit celle-ci intervient avant l'acceptation par le bénéficiaire, auquel cas on ne peut imaginer une autre solution que le retour des biens dans le
patrimoine du constituant. Soit la révocation intervient après l'acceptation du bénéficiaire, mais avec l'accord de celui-ci, une règle supplétive aurait été utile pour
pallier l'absence de prévision contractuelle sur ce point. Un contentieux risque ainsi d'opposer le constituant au bénéficiaire sur le sort des biens. Quant à
l'hypothèse de l'extinction de la fiducie par décision de justice, celle-ci ne manquera pas de se prononcer sur l'attribution des biens au constituant ou au
bénéficiaire, à la lumière de l'économie du contrat.
Des difficultés particulières ne se poseront pas moins à propos des contrats en cours lors de l'extinction du contrat de fiducie. Celle-ci n'entraînant pas la
déchéance légale du terme, il sera utile de prévoir, dans les contrats conclus au titre de la conservation ou de la gestion du patrimoine fiduciaire, des clauses de
résiliation en cas d'extinction du contrat de fiducie ou de cession automatique des contrats au bénéficiaire. On peut également concevoir que le contrat de fiducie
prévoie que dans l'hypothèse d'un passif subsistant, une partie de l'actif demeurera entre les mains du fiduciaire aux seules fins de désintéressement de ces
créanciers.
En l'absence de clauses particulières permettant d'apurer le passif d'origine contractuel, se pose inévitablement la question de l'assiette des recours des
créanciers. La même difficulté apparaît en cas d'apparition ultérieure d'un passif de nature délictuelle.
Face au silence de la loi, il nous semble opportun d'appliquer par analogie la disposition légale prévoyant qu'« en cas d'insuffisance du patrimoine fiduciaire, le
patrimoine du constituant constitue le gage commun de ces créanciers, sauf stipulation du contrat de fiducie mettant tout ou partie du passif à la charge du
fiduciaire » (C. civ., art. 2025, al. 2), en d'autres termes, d'assimiler l'extinction du patrimoine fiduciaire à l'hypothèse de l'insuffisance du patrimoine. Tel devrait
être le cas, à tout le moins, lorsque les biens reviennent au constituant lui-même. En particulier, lorsque le constituant récupère des biens donnés en garantie au
moyen d'une fiducie, il paraît difficile d'imaginer que le fiduciaire, qu'il s'agisse du créancier ou d'un tiers, doive continuer à porter la charge des dettes résultant de
la fiducie. Selon le type de dettes ou de contrats en cours, leur prise en charge par le constituant pourrait s'appuyer aussi sur leur lien indissociable avec les biens
transmis (par ex. contrat de couverture du risque de change lié à une créance en devise transmise au constituant). Ainsi, les créanciers en cours devraient avoir
vocation à s'adresser au constituant, sauf si le contrat met le passif à la charge du fiduciaire, auquel cas ils pourront s'adresser au fiduciaire. La même règle
devrait valoir pour le passif d'origine délictuel.
Demeure l'hypothèse dans laquelle le passif fiduciaire est limité au seul patrimoine fiduciaire, ce qui suppose l'acceptation expresse des créanciers (C. civ.,
art. 2025, al. 3). Aucun recours subsidiaire n'est alors envisageable contre le constituant ou le fiduciaire à titre personnel. De plus, le législateur n'a prévu aucun
droit de suite sur les éléments d'actif transférés, à l'issue de la fiducie, dans le patrimoine du bénéficiaire. Dans ce cas de figure, il est permis de penser que la loi
consacre implicitement l'obligation d'apurer le passif avant le transfert des éléments d'actif au bénéficiaire. Lorsque les créanciers acceptent de limiter
expressément leur recours, ils ont tout intérêt, en renfort, à subordonner leur accord à des clauses contractuelles obligeant le fiduciaire à apurer le passif avant le
transfert des éléments d'actif au bénéficiaire, ou encore à prévoir à leur profit une sûreté réelle dotée d'un droit de suite.
Le transfert de plein droit des éléments d'actif dans le patrimoine du bénéficiaire joue même si celui-ci est un tiers-bénéficiaire, dès lors que celui-ci a accepté le
bénéfice de la fiducie. Trois types de raisons plaident en faveur de cette solution. D'une part, le fiduciaire a donné son accord nécessaire au transfert de propriété
final dès la conclusion du contrat, même si ce transfert est subordonné à des mesures préparatoires d'individualisation, correspondant à des obligations de faire
(contra, en faveur d'une dérogation à la rétrocession de plein droit en cas de fiducie-transmission, eu égard à la nécessité d'une manifestation de volonté du
fiduciaire, Fr. Zenati-Castaing et Th. Revet, Les biens : PUF, 3e éd., 2008, n° 287). D'autre part, l'acceptation du tiers-bénéficiaire n'est pas seulement destinée à
faire obstacle à une révocation ou à une modification du contrat de fiducie qui interviendraient sans son accord (C. civ., art. 2028), mais s'étend aussi à
l'attribution finale des éléments d'actif à son profit (contra, C. de Lajarte, La nature juridique des droits du bénéficiaire d'un contrat de fiducie : Rev. Lamy dr. civ.
2009, n° 61). Enfin, la soumission obligatoire de la transmission des droits résultant du contrat de fiducie à un écrit devant être enregistré, à peine de nullité, dans
un délai d'un mois (C. civ., art. 2019, al. 3), ne rejaillit pas sur le mode et le moment du transfert de propriété (contra, C. de Lajarte, La nature juridique des droits
du bénéficiaire d'un contrat de fiducie : Rev. Lamy dr. civ. 2009, n° 57 s.). Il s'agit d'une formalité dont l'inexécution dans un délai d'un mois est sanctionnable, a
posteriori, par l'annulation de la transmission.
Il n'en existe pas moins trois types de tempéraments à la dévolution de plein droit des éléments d'actif dans le patrimoine du bénéficiaire. En premier lieu, le
contrat peut contenir des dispositions subordonnant le transfert des éléments d'actif à une manifestation de volonté du bénéficiaire. En second lieu, le transfert de
propriété ne peut s'effectuer automatiquement lorsque le bénéficiaire a l'option de recueillir ou non les éléments d'actif tels quels dans son patrimoine à l'issue de
la fiducie. Une telle option est accordée par la loi dans l'hypothèse d'une fiducie-sûreté avec entiercement, le créancier pouvant, à défaut de paiement de la dette
garantie, exiger du fiduciaire la remise du bien ou, si la convention le prévoit, la vente du bien et la remise de tout ou partie du prix (C. civ., art. 2372-3, al. 2
et 2488-3, 2. – Sur la nécessité d'un acte de volonté unilatérale du bénéficiaire notifié au fiduciaire, V. M. Mignot, Droit des sûretés : Montchrestien 2010, n° 3109)
. En troisième lieu, le transfert final des éléments d'actif ne peut s'effectuer si ceux-ci ne sont pas individualisés. En cas de détournement des biens ou de
négligence du fiduciaire, qui aurait mélangé l'actif fiduciaire avec ses biens personnels ou avec les actifs d'un autre patrimoine fiduciaire, le retour dans le
patrimoine du bénéficiaire sera nécessairement paralysé. Observons enfin que la transmission finale, qu'elle soit automatique ou non, est fragile, puisqu'elle
encourt la nullité si la formalité de l'enregistrement n'est pas respectée dans un délai d'un mois (V. n° 83 ).
5° Dénouement de la fiducie-sûreté
En cas d'exécution d'une fiducie-sûreté au profit du créancier garanti, celui-ci ne devrait pouvoir récupérer que l'actif net du patrimoine affecté à sa garantie.
Lorsque les biens sont restitués au constituant, qui a réglé la dette garantie, il n'y a, en principe, pas d'inconvénient qu'il les reprenne avec les dettes du
patrimoine fiduciaire.
C. - Formalités particulières
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