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– Introduction et constitution
JurisClasseur Droit bancaire et financier
Claude Witz - Agrégé des facultés de droit, professeur émérite de l'université de la Sarre
Points-clés
La loi n° 2007-211 du 19 février 2007 instituant la fiducie est l'aboutissement d'un long processus marqué par le regain d'intérêt de la doctrine
contemporaine pour la fiducie, les consécrations législatives de diverses cessions fiduciaires à titre de garantie et l'influence des expériences étrangères
en matière de trust et de fiducie (V. n° 1 à 5 ).
Issue d'une proposition sénatoriale de 2005, amendée par la Commission des lois du Sénat, la loi a été rapidement adoptée, grâce au soutien du
Gouvernement qui imposa diverses restrictions quant au champ d'application de la fiducie. La loi de 2007 a été modifiée six fois (V. n° 6 à 15 ).
La constitution de la fiducie obéit à diverses conditions de fond. Elle naît d'un contrat ou de la loi et implique un transfert de biens, de droits ou de
sûretés, présents ou futurs, opéré par le constituant au profit d'un fiduciaire qui en devient propriétaire, sans pour autant que le contrat ait une nature
réelle. Les biens transférés forment entre les mains du fiduciaire un patrimoine distinct de son patrimoine propre (V. n° 18 à 28 ).
Même si la loi s'est abstenue de consacrer la distinction entre la fiducie-gestion et la fiducie-sûreté, c'est néanmoins autour de ces deux finalités que
s'ordonnent les applications actuelles et potentielles de la fiducie. On attend de la fiducie-gestion qu'elle rende de nombreux services dans la vie des
affaires, les applications civiles étant freinées par la prohibition de la fiducie-libéralité (V. n° 29 à 42 ).
L'entrée de la fiducie-sûreté dans le Code civil est le couronnement d'une évolution jalonnée par de nombreuses applications particulières de la propriété
utilisée comme garantie. La fiducie-sûreté du Code civil, caractérisée par de lourdes conditions de constitution débouchant sur un patrimoine fiduciaire,
est entourée de fiducie-sûretés satellites restées intactes (V. n° 43 à 51 ).
La fiducie fait intervenir trois acteurs (constituant, fiduciaire, bénéficiaire), auxquels s'ajoute, le cas échéant, un tiers protecteur. Le constituant ou le
fiduciaire pouvant avoir la qualité de bénéficiaire, la fiducie ne réunira souvent que deux acteurs. Alors que la fiducie peut être constituée désormais par
toute personne, physique ou morale, le fiduciaire est nécessairement un organisme du secteur financier ou des assurances ou encore, depuis la loi du
4 août 2008, un avocat (V. n° 52 et 64 ).
Lorsque le contrat de fiducie porte sur un fonds de commerce ou un immeuble à usage professionnel dont le constituant conserve l'usage ou la
jouissance, la loi fait échapper la convention de mise à disposition à la législation sur la location-gérance et à celle régissant le bail commercial. En dépit
du silence de la loi, les transferts d'immeubles par le constituant au fiduciaire devraient échapper aux droits légaux de préemption (V. n° 65 à 67 ).
La constitution de la fiducie est soumise à un lourd formalisme (mentions requises à des fins de validité, enregistrement sous peine de nullité,
déclaration d'existence, inscription au registre national des fiducies). Le législateur a assoupli néanmoins les conditions d'opposabilité des cessions de
créances (V. n° 68 à 84 ).
I. - Introduction
1° Droit romain
2° Ancien droit
3° Code civil
4. – Emprise de la simulation –
Le Code civil garde le silence sur la fiducie, encadrant par ailleurs les substitutions fidéicommissaires (aujourd'hui libéralités graduelles) de manière étroite (C.
civ., art. 896 et 1048 s.) et consacrant une conception de la propriété (C. civ., art. 544), dont le caractère absolutiste se concilie a priori mal avec la fiducie.
Néanmoins, l'héritier fiduciaire de l'ancien droit perdure en doctrine et en jurisprudence. Ainsi, Aubry et Rau définissent la fiducie comme étant « la disposition par
laquelle une personne instituée légataire pour la forme seulement a été chargée de tenir en dépôt la succession ou les biens légués et de les administrer jusqu'au
moment où elle devra en faire la remise au véritable légataire » (Ch. Aubry et C. Rau, Droit civil français, t. 11 : Librairies techniques Paris, 6e éd. 1956, par
P. Esmein, n° 694). L'emprise de la simulation sur la fiducie, illustrée par l'héritier légataire de pure forme, devait se prolonger durablement, comme le révèle le
Vocabulaire juridique de Capitant de 1936 qui définissait encore la fiducie comme « le contrat par lequel l'acquéreur apparent d'un bien s'engage à le restituer à
l'aliénateur quand celui-ci aura rempli les obligations qu'il a envers lui » (H. Capitant, Vocabulaire juridique : PUF 1936). À la même époque, les travaux menés
dans le cadre de la Semaine internationale de droit autour du thème général de la « fiducie en droit interne » à la lumière de diverses expériences étrangères
n'ont pas éveillé un regain d'intérêt pour une fiducie fondée sur un authentique transfert de propriété au fiduciaire, face au scepticisme de René Demogue et de
René Savatier (Association des juristes de langue française, Travaux de la Semaine internationale de droit, Paris, 1937, T. V, « La fiducie en droit moderne » ;
sur ces travaux, V. A. Mages, La fiducie-gestion : aspects historiques, in La fiducie-gestion : état des lieux et perspectives, coll. Dijon, 17 mai 2018 ; RLDC,
n° 168, mars 2019, p. 37. – Cl. Witz, La fiducie en droit privé français, thèse Strasbourg 1979 : Economica 1980, préf. D. Schmidt, n° 15).
8. – Réactualisation du projet –
Fin 1994, le Premier ministre a entendu réactualiser le projet de 1992. Pour couper court à toutes les difficultés de droit civil et de droit fiscal liées à l'emploi de la
fiducie dans le domaine des libéralités, les services compétents ont remanié le texte initial. Dans un premier temps, l'emploi de la fiducie devait être réservé aux
personnes morales : seules celles-ci pourraient transférer des biens à un fiduciaire, car en principe les personnes morales ne font pas de libéralités (P. Marini,
Enfin la fiducie à la française : D. 2007, p. 1347 s., spéc. p. 1348). Puis l'on a abandonné cette voie, soucieux que l'on était de permettre également aux
personnes physiques de recourir à la fiducie, tout en interdisant les clauses prévoyant le transfert du patrimoine fiduciaire à titre gratuit à des tiers. Le projet qui
aurait dû être adopté par le dernier Conseil des ministres du Gouvernement de M. Édouard Balladur avant les élections présidentielles d'avril-mai 1995, a été
finalement retiré de l'ordre du jour du conseil.
9. – Grandes étapes –
L'idée d'un texte de loi sur la fiducie fut relancée par les pouvoirs publics une dizaine d'années plus tard, comme le révèlent une réponse ministérielle (Rép. min. :
JOAN 20 avr. 2004, p. 3064) et surtout le plan d'action arrêté à l'issue du séminaire gouvernemental sur l'attractivité du 7 février 2005. Parmi les mesures
annoncées figurait la « préparation d'un projet de loi visant à introduire la fiducie en droit français », afin « de créer un instrument juridique transparent qui
facilitera le développement et la relocalisation d'activités en France et l'amélioration des conditions de financement des entreprises » (F. Barrière, La fiducie.
Commentaire de la loi n° 2007-211 du 19 février 2007 : Bull. Joly 2007, p. 440 s., (1re partie), spéc. n° 1). Parallèlement, le sénateur Philippe Marini avait préparé
une proposition de loi instituant la fiducie, déposée au Sénat le 8 février 2005 (Proposition de loi n° 178, session 2004-2005, Sénat, annexe au procès-verbal de
la séance, 8 févr. 2005). En mars 2005, le ministère de la Justice et celui du budget mirent en place un groupe de travail sur la fiducie dont les travaux aboutirent
à un avant-projet non publié. À l'issue du séminaire gouvernemental sur l'attractivité du 22 mars 2006, le Premier ministre affirma la volonté de voir adopter un
« outil connu des anglo-américains » (V. F. Barrière, La fiducie. Commentaire de la loi n° 2007-211 du 19 février 2007 : Bull. Joly 2007, p. 440 s., (1re partie), n° 1)
. Puis les ministères de la Justice et du Budget approuvèrent un avant-projet dont la teneur fut partiellement incorporée par la commission des lois du Sénat dans
son rapport sur la proposition de loi du 8 février 2005 (V. F. Barrière, La fiducie. Commentaire de la loi n° 2007-211 du 19 février 2007 : Bull. Joly 2007, p. 440 s.,
(1re partie), n° 1). Les modifications essentielles voulues par le Gouvernement furent la restriction de la qualité des fiduciaires à une série de professionnels,
avant tout les établissements de crédit et les entreprises d'assurance, et de celle de constituant aux personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés. La
commission des lois du Sénat rejeta la restriction relative aux constituants. Le Gouvernement a pu la réintroduire lors des débats au Sénat par la voie d'un
amendement, en s'engageant, si la Chambre haute adoptait l'amendement, à ce que l'Assemblée nationale examine la proposition de loi dans les meilleurs
délais, alors que la fin de la 12e législature était proche (Sénat, séance, 17 oct. 2006, échanges entre M. H. de Richemont, rapporteur de la commission des lois
et M. P. Clément, garde des Sceaux : JO Sénat 18 oct. 2006, p. 6694). La pression du Gouvernement devait placer l'Assemblée nationale dans la même
« position embarrassante » que celle du Sénat (X. de Roux, Rapport au nom de la commission des lois : Doc. n° 3655, séance 1er févr. 2007, p. 23). Elle vota
sans modification le texte adopté en première lecture par le Sénat, consciente qu'une telle adoption conforme était « le plus sûr moyen de permettre à la fiducie
de voir enfin le jour » (X. de Roux, Rapport au nom de la commission des lois : Doc. n° 3655, séance 1er févr. 2007, p. 23).
Les débats parlementaires furent, de prime abord, étonnamment brefs pour un texte de portée « considérable dans l'évolution du droit commun » (F. Zenati-
Castaing, Th. Revet, Les biens : PUF, 3e éd., 2008, n° 253). Mais la réforme avait mûri pendant une vingtaine d'années. De plus, les parlementaires étaient
conscients que la loi connaîtrait de nécessaires aménagements (V. not. X. de Roux, Rapport au nom de la commission des lois : Doc. n° 3655, séance 1er févr.
2007, p. 23. – H. Novelli, Assemblée nationale, 7 févr. 2007 : JOAN 8 févr. 2007, p. 1025). D'emblée, l'étroit champ d'application de la fiducie non ouverte aux
personnes physiques est apparu en décalage par rapport à son ancrage dans le Code civil. Quant à l'emplacement de la réforme dans le code, il a été inspiré par
celui du projet de 1992, sans qu'il ait pu lui être totalement fidèle en raison des secousses provoquées dans le plan du Code civil par la réforme du droit des
sûretés (Ord. n° 2006-346, 23 mars 2006 [JO 24 mars 2006, texte n° 29], ratifiée par L. n° 2007-212, 20 févr. 2007, art. 10, I [JO 21 févr. 2007, texte n° 4]). Les
dispositions de la loi relatives aux aspects civils de la fiducie ont intégré le titre XIV du livre III du Code civil, dont les articles 2011 à 2031 avaient été abrogés par
l'ordonnance du 23 mars 2006 relative aux sûretés. La fiducie figure ainsi entre le mandat et la transaction, au sein du livre III « Des différentes manières dont on
acquiert la propriété », dont l'intitulé s'avère particulièrement adapté pour accueillir la fiducie, qui se caractérise par un transfert initial de propriété.
La loi comporte un volet comptable (L. n° 2007-212, 20 févr. 2007, art. 12) qui renvoie, pour le surplus, à un règlement du Comité de la réglementation comptable
(V. Règl. CRC n° 2008-01, 3 avr. 2008, homologué par arrêté ministériel du 11 déc. 2008. – Sur les dispositions comptables, V. Dossiers pratiques Francis
Lefebvre, La fiducie, mode d'emploi : 2e éd., 2009, n° 2700 s.). Les dispositions fiscales sont placées sous le signe de la transparence et de la neutralité fiscale,
le constituant étant « en quelque sorte toujours réputé fiscalement titulaire des droits mis en fiducie » et redevable de l'impôt à ce titre (exposé des motifs de la
proposition de loi, Rapport de la Commission des lois du Sénat, séance 11 oct. 2006, p. 25. – Sur le volet fiscal, V. Dossiers pratiques Francis Lefebvre, Dossiers
pratiques Francis Lefebvre, La fiducie, mode d'emploi : 2e éd., 2009, n° 1000 s.).
La loi est dépourvue de disposition transitoire. Son entrée en vigueur n'a pas été subordonnée à la création du Registre national des fiducies qui a vu tardivement
le jour (D. n° 2010-219, 2 mars 2010 : JO 4 mars 2010, texte n° 40. – V. n° 80. – Sur les premières applications de la loi, antérieures à la parution du décret, V.
n° 50 ).
E. - Réformes ultérieures
Quant au régime légal de la fiducie, il se voit notablement assoupli par l'extension de la durée maximale, initialement de 33 ans, à 99 ans (C. civ., art. 2018, 2°),
par l'affirmation du droit des parties de régler conventionnellement les conditions et modalités de remplacement d'un fiduciaire manquant à ses devoirs ou mettant
en péril les intérêts qui lui sont confiés (C. civ., art. 2027) et par l'extension aux cessions de créances réalisées dans le cadre d'une fiducie des conditions
d'opposabilité simplifiées sur le modèle de la loi Dailly (C. civ., art. 2018-2). Enfin, d'utiles précisions sont apportées au texte initial lorsque le contrat de fiducie
prévoit que le constituant conserve l'usage ou la jouissance d'un fonds de commerce ou d'un immeuble à usage professionnel transféré dans le patrimoine
fiduciaire (C. civ., art. 2018-1) et lorsque le constituant fait l'objet d'une mesure de tutelle ou de curatelle en cours d'exécution du contrat (C. civ., art. 2022, al. 2).
Cette première réforme d'envergure était annonciatrice d'autres aménagements, la loi du 4 août 2008 ayant habilité le Gouvernement à légiférer par voie
d'ordonnance aux fins de l'adoption de mesures complémentaires de nature à permettre aux avocats d'être fiduciaires et aux constituants personnes physiques
d'avoir recours à la fiducie (L. n° 2008-776, 4 août 2008, art. 18, V, 1°. – Sur la réforme de la fiducie par la loi LME, V. not. Fr. Barrière, La fiducie : brèves
observations sur sa refonte et sa retouche par la loi de modernisation de l'économie : JCP E 2008, act. 385. – L. Leveneur, D'étonnants cavaliers législatifs civils
dans la loi de modernisation de l'économie : Contrats, conc. consom. 2008, comm. 11, p. 9). La même loi autorise le Gouvernement à prendre les mesures
fiscales nécessaires à l'extension du régime de la fiducie aux personnes physiques, en rappelant le principe de la neutralité fiscale (L. n° 2008-776, 4 août 2008,
art. 18, V, 2°).
Les dispositions de la loi LME du 4 août 2008 sont entrées en vigueur le 1er février 2009 (V. L. n° 2008-776, 4 août 2008, art. 18, IV), sous réserve des
modifications de l'article 2018, 2° relatif à la durée et de l'article 2027, ainsi que de l'adjonction des articles 2018-1 et 2018-2, applicables immédiatement.
En second lieu, la réforme consacre, à côté de la fiducie débouchant sur un patrimoine d'affectation, deux « fiducies-sûretés simplifiées », selon une expression
doctrinale (M. Grimaldi, Présentation de la réforme : D. 2022, p. 226, spéc., p. 229). Il s'agit de la cession à titre de garantie, forgée sur le modèle de la cession
Dailly (sous-section 2. – De la cession de créance à titre de garantie, de la section 2 préc., art. 2373 à 2373-3) et de la cession de somme d'argent à titre de
garantie, connue de longue date sous le nom équivoque de gage-espèces (sous-section 3-De la cession de somme d'argent à titre de garantie, art. 2374 à 2374-
6). Même si elles ne peuvent pas se parer de l'appellation légale « fiducie », les cessions de créance et de somme d'argent ne sont autres que des illustrations
ancestrales de la fiducie-sûreté (sur ces deux aspects de la réforme, V. C. Gijsbers, Le gage et les sûretés sur créances : RDC 2021/4, p. 74 s., spéc., p. 78 s. –
M. Julienne, Les sûretés sur la monnaie au lendemain de l'ordonnance du 15 septembre 2021 : RDC 2021/4, p. 101, p. 103 s.).
18. – Plan –
La fiducie est soumise à de nombreuses conditions de fond et de lourdes conditions de forme, donnant l'impression d'une institution d'exception, en dépit de son
intégration dans le Code civil.
A. - Conditions de fond
1° Contrat ou loi
b) Objet du transfert
24. – Le plus souvent, le contrat portera sur des biens présents figurant, lors de la conclusion du contrat, dans le patrimoine du constituant. Mais le contrat peut
également avoir pour objet, à titre subsidiaire ou principal, des biens futurs appelés à entrer dans le patrimoine du fiduciaire. En visant les biens futurs, l'
article 2011 du Code civil apparaît comme une application particulière de l'article 1130, alinéa 1er du Code civil (« les choses futures peuvent être l'objet d'une
convention »), dont les ventes de choses futures sont une illustration notable. Ainsi, un constituant pourra transférer à titre de garantie des marchandises en
cours de fabrication ou des choses de genre devant être acquises préalablement auprès de tiers. Un transfert fiduciaire de corps certains appartenant à autrui au
jour de la conclusion du contrat est également parfaitement admissible, leur entrée dans le patrimoine fiduciaire étant toutefois nécessairement reportée dans le
temps, sans que l'efficacité juridique du transfert puisse être menacée d'une quelconque manière par le principe de la prohibition de la vente de la chose d'autrui
posée par l'article 1599 du Code civil.
c) Transfert de propriété
26. – Il ne fait guère de doute que le contrat de fiducie emporte transfert de propriété des biens corporels ou cession des créances par le constituant au fiduciaire.
En d'autres termes, les biens objets de la fiducie sortent du patrimoine du constituant pour entrer dans celui du fiduciaire. Celui-ci est désormais titulaire d'un ou
de plusieurs patrimoines fiduciaires, qui voisinent avec son « patrimoine propre » (C. civ., art. 2011).
En reposant ainsi sur un transfert de propriété, la nouvelle fiducie reflète la conception traditionnelle de l'institution, tel que le projet de loi de 1992 l'avait déjà
consacrée. Une doctrine minoritaire estime néanmoins que la fiducie des articles 2011 et suivants du Code civil n'est pas translative de propriété : de l'ensemble
des dispositions de la loi, « il n'est jamais dit que le fiduciaire est devenu propriétaire ; tout au contraire, la loi semble bâtie sur l'idée d'une propriété, mais tenue
entre les mains du constituant » (R. Libchaber, Les aspects civils de la fiducie dans la loi du 19 février 2007 (1re partie) : Defrénois 2007, art. 38631, n° 19).
Depuis lors, ce courant doctrinal s'est renforcé (V., not., B. Mallet-Bricout, « Fiducie et propriété », in Liber amicorum Christian Larroumet : Economica, 2010,
p. 297 ; Le fiduciaire propriétaire ? : JCP E 2010, 1191. – M. Nicolle, La fiducie sans transfert de propriété au fiduciaire : D. 2014, p. 2071. – I. Tosi-Dupriet, « La
fiducie-gestion, un cas de pouvoir sans propriété », in Études en l'honneur du professeur Marie-Laure Mathieu : Bruylant 2019, p. 819, le fiduciaire ne se voyant
allouer qu'un droit réel sui generis. – C. Gouret, L'administration fiduciaire, Contribution à l'étude de la fiducie, avant-propos M.-L. Mathieu, préf. Ch. Albiges et Fr.
Pérochon : Defrénois, 2022, en faveur d'une évolution souhaitable de l'institution face aux difficultés que susciterait l'analyse « propriétariste » de la fiducie, le
fiduciaire n'étant qu'un administrateur doté de pouvoirs. – À rappr., C. Gijsbers, Sûretés réelles et droit des biens, préf. M. Grimaldi : Economica, 2016, dénonçant
l'inadaptation du régime de la propriété à la fonction de sûreté, spéc. n° 317-385. – Et A. Raynouard, L'affectation d'actifs entre réalité et personnalité : le droit de
propriété « instrumentalisé » (trust, fiducie, fondation)… ou « opérationalisé » : JCP N 2022, n° 45, 1260 qui estime que la fiducie consacre un nouveau droit réel
« compris comme un droit sur la chose d'autrui ». – P. Bouathong, Fiducie et trust : le droit français est-il à la hauteur ? Perspective (s) de la fiducie « à la
française » : JCP N 2022, n° 44, 1251, qui parle d'une « figure inédite »). À juste titre, la doctrine majoritaire ne remet pas en cause la conception traditionnelle de
la fiducie fondée sur un transfert de propriété au fiduciaire (outre les positions exprimées dans les manuels et traités, V., not. Fr. Barrière, Rép. civ. Dalloz, V°
Fiducie, n° 67 s. – C. Berger-Tarare, Le fiduciaire défaillant, Regards croisés en droit des biens et droit des obligations, préf. B. Mallet-Bricout : LGDJ 2015, spéc.,
n° 132 s. – P. Crocq, « Propriété fiduciaire, propriété unitaire », in Association Capitant (dir.), La fiducie dans tous ses états, Journée nationale, T. XV : Dalloz,
2011, p. 9. – F. Estienny, La fiducie : aspects juridiques et fiscaux, Contribution à l'étude du patrimoine fiduciaire, préf. A. de Bissy, t. 60 : Defrénois, 2018, spéc.,
n° 65 s.).
Il est peu probable que la jurisprudence accueille un jour la thèse d'une fiducie non translative de propriété. En effet, la volonté du législateur de consacrer une
fiducie translative de propriété ne fait pas de doute. Rien ne permet d'affirmer qu'il faille interpréter les termes de transférer ou de transfert (C. civ., art. 2011 et
2018) ou celui de mutation (C. civ., art. 2021, al. 2) dans un sens différent de leur signification première. Si la fiducie n'était pas translative de propriété, nul besoin
de mettre les biens à l'abri des créanciers personnels du fiduciaire (C. civ., art. 2025. – V. JCl. Civil Code, Art. 2011 à 2030, fasc. 20 ou Notarial Répertoire, V°
Fiducie, fasc. 20 ou Banque – Crédit – Bourse, fasc. 786). La fiducie pouvant également servir de mécanisme de garantie, une fiducie-sûreté non translative de
propriété créerait uniquement un droit réel accessoire, à la fois voisin et distinct de celui du gage et de l'hypothèque, ce qui serait source de complication.
Observons enfin que la volonté du législateur de bâtir la fiducie sur un transfert de propriété a été confirmée, en matière de fiducie-sûreté, par les nouvelles
dispositions du Code civil consacrées à « la propriété cédée à titre de garantie » (C. civ., art. 2372-1 à 2372-5 et 2488-1 à 2488-5), issues de l'ordonnance
n° 2009-112 du 30 janvier 2009 (V. n° 13 ), cette consécration s'étant vue renforcée par l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 (V. n° 17 ). Le vote par
le Parlement de l'article 16 du texte de loi du 17 septembre 2009, censuré par le Conseil constitutionnel (V. n° 15 ), disposition qui entendait reconnaître au
fiduciaire un simple droit « d'exercice du patrimoine fiduciaire » dont le constituant serait demeuré titulaire montre, en renfort, que le schéma initial, préservé à ce
jour, est bien celui d'une attribution au fiduciaire de la propriété des biens composant le patrimoine fiduciaire, solution dont l'article 16 du texte de loi précitée
voulait s'écarter.
27. – La propriété du fiduciaire se distingue, sur un plan substantiel, mais non formel, de la propriété classique au service exclusif de son titulaire. En effet, le
fiduciaire se voit privé, par les obligations pesant sur lui, des avantages économiques attachés aux biens dont il est propriétaire. D'où le florilège d'expressions
utilisées pour désigner la propriété du fiduciaire, propriété affectée ou finalisée, selon une désignation fréquente en doctrine, ou encore, de manière moins
heureuse, propriété dégradée (H. de Richemont, Rapport de la Commission des lois du Sénat, séance 11 oct. 2006, p. 12. – Ph. Marini, La fiducie, enfin ! : JCP E
2007, 2050 s., spéc. n° 4) ou modelée (exposé des motifs de la proposition de loi, Rapport de la Commission des lois du Sénat, séance 11 oct. 2006, p. 5). En
dépit des obligations pesant sur lui, le fiduciaire n'en est pas moins pleinement propriétaire des biens qui lui sont transférés. Il a l'exclusivité des prérogatives qui
sont attachées à la propriété. C'est ainsi qu'il est le seul qualifié pour exercer les actions en revendication contre les tiers. Par ailleurs, la fiducie ne porte pas
atteinte à la perpétuité de la propriété, même si le fiduciaire n'est que temporairement titulaire du droit de propriété (V. M. Mignot, Droit des sûretés et de la
publicité foncière : LGDJ, 3e éd., n° 1465), ce qui n'a rien d'exceptionnel (V., par ex., les ventes avec pacte de rachat). Quant au fructus, seul le fiduciaire a
qualité pour percevoir les fruits, même s'il lui est prohibé, contractuellement, de les consommer. L'abusus juridique du fiduciaire reste souvent intact, en matière
mobilière, quoique tempéré par l'obligation de remploi. L'inaliénabilité frappant généralement les biens immobiliers transférés au fiduciaire, n'a-t-elle aussi rien
d'inhabituel (sur les clauses d'inaliénabilité, V. Fr. Terré et Ph. Simler, Droit civil. Les biens : Dalloz, 10e éd., 2018, n° 131 s.). Même affectée ou finalisée, la
propriété du fiduciaire demeure une propriété, indépendamment de ses applications, comme mode de gestion ou de sûreté. Il ne saurait toutefois être nié, à
propos de la fiducie-sûreté, que celle-ci subit particulièrement l'attraction de diverses règles régissant les sûretés réelles (V. not. le formalisme, le caractère
rechargeable sur le modèle de l'hypothèque ainsi que diverses règles du droit des procédures collectives, n° 48). Le droit de propriété classique de l'article 544 du
Code civil fléchit, mais ne rompt pas.
Sans doute peut-on adopter, pour la fiducie, un schéma reposant sur un dédoublement de la propriété, comme c'est le cas traditionnellement du trust anglo-
saxon, eu égard à la dichotomie entre le legal ownership et l'equitable ownership, (G. Helleringer, Le trust de droit anglais : JCP N 2022, n° 44, 1256) ou encore
sur l'octroi au fiduciaire d'un droit réel sui generis comme l'illustre le Bewind hollandais le fiduciant demeurant propriétaire. Mais le modèle français est différent De
lege ferenda, il devrait en être de même sous l'empire du droit suisse : l'avant-projet visant à introduire le trust dans le code des obligations rend le trustee
propriétaire des biens du trust (V. Projet d’article 529 l C.O.S, Avant-projet, 22 janv. 2022, site officiel de la Confédération suisse).
28. – En énonçant que la fiducie est l'opération par laquelle « un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés », l'article 2011 pourrait
accréditer la thèse selon laquelle le contrat de fiducie, à l'image du contrat de dépôt ou du contrat de prêt – sous réserve du prêt consenti par un professionnel du
crédit – est un contrat réel, à savoir un contrat supposant, pour sa formation même, la remise des biens fiduciés au fiduciaire (V. la définition légale du contrat réel
par C. civ., art. 1109, al. 3 et 1172, al. 3 nouveaux). En d'autres termes, le contrat de fiducie ne serait pas formé tant que le fiduciaire n'aurait pas été mis en
possession des biens à gérer ou à tenir en garantie d'une créance.
La thèse de la nature réelle du contrat de fiducie mérite d'être rejetée. Outre les arguments traditionnels susceptibles d'être invoqués à l'encontre de la catégorie
des contrats réels, (V., sur les débats suscités par les contrats réels, V. F. Terré, Ph. Simler, et Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil, Les Obligations : Dalloz, 12
éd., 2019, n° 211 s.), on peut objecter que la fiducie peut porter sur les biens les plus divers, tels des créances ou des biens. Or, le législateur a consacré la règle
selon laquelle la cession de créances est opposable aux tiers dès la date du contrat de fiducie (C. civ., art. 2018-2. – V. n° 84 ). Quant aux biens futurs, rien ne
permet de penser, à la lecture de l'article 2011, que leur nature fasse obstacle à la formation du contrat au jour de la rédaction du contrat de fiducie : seuls les
effets du contrat de fiducie, en tant qu'ils se rapportent aux biens futurs, seront nécessairement reportés dans le temps. Au demeurant, l'intérêt pratique attaché à
la nature réelle ou non du contrat de fiducie est limité. Bien qu'il n'ait pas la nature de contrat réel, le contrat de fiducie n'en est pas moins subordonné à une
formalité, celle de la confection d'un écrit requis à des fins de validité (V. n° 69 ). Dès lors, l'intérêt essentiel de la discussion se limite au cas où le constituant se
raviserait, après la conclusion du contrat non accompagné d'un transfert d'actifs, à transférer ces derniers au fiduciaire (adde, comme autre intérêt tangible, le
moment du transfert des risques). Si le contrat de fiducie s'analysait en un contrat réel, seule une condamnation à des dommages et intérêts pour violation
d'obligations nées d'un avant-contrat serait en principe envisageable, à l'exclusion d'une exécution forcée en nature (V. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F.
Chénedé, Droit civil, Les Obligations : Dalloz, 12 éd., 2019, n° 212).
4° Finalités de la fiducie
À propos de l'avant-projet de 1990, divers auteurs avaient ajouté à la panoplie existante la fiducie-transmission, qualifiée parfois de fiducie-mutation, applicable
au cas où le fiduciaire est chargé de transférer les biens à un tiers, ajout influencé par le droit fiscal. Il est permis d'être réservé à l'égard de ce troisième type de
fiducie, qui a perduré sous la plume de quelques auteurs (V. not., G. Blanluet et Y. Le Gall, La fiducie, une œuvre inachevée (1re partie) : Dr. sociétés 2007, n° 7,
étude 9, n° 2. – V. aussi la proposition Marini, art. 2062 visant des finalités « de gestion, de garantie ou de transmission à titre onéreux »). En effet, même la
fiducie-gestion à deux personnes se dénoue normalement par un transfert (« une transmission ») dans le patrimoine du constituant. Ainsi, la « transmission » des
biens composant le patrimoine fiduciaire, à l'issue de l'opération, n'est pas l'apanage de la fiducie-transmission. Peu importe, à cet égard, la qualité du
destinataire du transfert final. Par ailleurs, la mission du fiduciaire en cours de fiducie est largement comparable, qu'elle soit exercée au profit du constituant ou
d'un tiers bénéficiaire. Il semble donc inutile d'ériger la fiducie-transmission en un troisième type de fiducie.
La loi de 2007 n'a pas repris la typologie fiducie-gestion et fiducie-sûreté, pour des raisons peu convaincantes. Une telle distinction a été jugée « préjudiciable à
l'utilisation de l'institution fiduciaire par des acteurs économiques ou financiers qui pourraient souhaiter, par exemple, qu'un même contrat remplisse à la fois une
fonction de garantie et une fonction de gestion » (H. de Richemont, Rapport de la Commission des lois du Sénat, séance 11 oct. 2006, p. 29. – V. aussi X. de
Roux, qui se réfère à un but non encore découvert à ce jour, fruit probable de l'ingéniosité des professionnels de la finance, Rapport au nom de la commission
des lois : Doc. n° 3655, séance 1er févr. 2007, p. 33). Les divers participants aux débats parlementaires n'en ont pas moins utilisé fréquemment cette typologie
(V. par ex., les interventions de M. P. Clément, garde des Sceaux, séance Sénat, 17 oct. 2006 : JO Sénat 18 oct. 2006, p. 6694, et de M. T. Breton, ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie, séance Assemblée nationale, 7 févr. 2007 : JOAN 8 févr. 2007, p. 1025. – Adde Règl. Comité de la réglementation
comptable n° 2008-01, 3 avr. 2008, qui consacre cette typologie).
Plus récemment, la distinction de la fiducie-gestion de la fiducie-sûreté a été jugée en doctrine « un peu réductrice », car les parties peuvent, sous l'empire du
texte de loi, « imaginer toute forme d'utilité qu'elles pourront retirer du fait de confier à autrui la propriété d'un bien dans un but déterminé » (Fr. Zenati-Castaing et
T. Revet, Les biens : PUF, 3e éd., 2008, n° 263. – V., dans un sens comparable, P. Puig, La fiducie et les contrats nommés : Dr. & patr. juin 2008, n° 171,
p. 68 s., spéc. p. 70), selon lequel s'ajouteraient aux fiducies-gestion et aux fiducies-sûreté, les fiducies-dépôt, les fiducies-séquestre, les fiducies-mutation à titre
onéreux. Cette objection pose plus fondamentalement la question de la pertinence du terme de gestion apposé à l'une des formes de fiducie. Ce terme nous
semble pleinement justifié. Utilisé par le législateur dans des domaines les plus divers (gestion d'affaires, gestion des biens des mineurs, de l'indivision, de la
communauté conjugale, gestion de portefeuilles de valeurs mobilières, gestion de fonds de commerce, gestion des sociétés, etc.), il a l'avantage d'être
suffisamment souple pour couvrir les formes les plus diverses de gestion, aussi bien la gestion dynamique, dans une perspective d'optimisation du patrimoine,
que la gestion statique ou conservatoire. Par ailleurs, le terme rappelle une caractéristique commune des gestions pour autrui, à savoir l'interdiction d'agir dans
un intérêt personnel et préfigure le régime applicable à la responsabilité du fiduciaire (faute de gestion). Enfin, la fiducie à des fins de garantie, qui est une sûreté
au plein sens du terme, appelle une expression qui soit de nature à lui permettre d'être distinguée d'emblée des fiducies exercées dans d'autres finalités. Par
ricochet, ces dernières nécessitent une dénomination qui puisse les distinguer des fiducies-sûretés. Aussi, il y a lieu de maintenir, sous l'empire de la loi, la
typologie traditionnelle, tout en précisant qu'une même opération peut répondre aux deux finalités. Tel sera le cas d'une opération de portage de titres financés
par le fiduciaire porteur, dans le cadre de laquelle le transfert des titres au constituant à l'issue de la gestion est subordonné au remboursement par le constituant
des fonds nécessaires à l'acquisition des titres. Tel pourra également être le cas d'une gestion de sûretés par un fiduciaire au profit d'un groupe de créanciers
dont il fait lui-même partie. Ces précisions terminologiques étant faites, c'est à l'aune de la fiducie-gestion, de la fiducie-libéralité (prohibée) et de la fiducie-sûreté
que les applications potentielles de la fiducie seront déclinées.
b) Fiducie-gestion
30. – Alors que la fiducie-gestion était rarement utilisée dans les premières années d'application de la loi du 19 février 2007, il semblerait que son usage
commence à se développer (V., B. Robin et R. Lantourne, La pratique de la fiducie-gestion : Actes prat. ing. immobilière 2020, p. 32. – Comp. A. Prüm, Les
applications pratiques de la fiducie en droit des affaires luxembourgeois : JCP N 2022, n° 45, 1262). Il demeure toutefois difficile de se faire une idée précise de
son essor en raison de la confidentialité des affaires et de l'absence de contentieux judiciaire. De temps à autre, le voile sur certaines opérations fiduciaires est
opportunément levé (V. R. Dammann et D. Valdman, Sauvetage d'un groupe de sociétés grâce à une double fiducie : Gaz. Pal. 28 juill. 2011, n° 209, p. 5, étude
16453).
Selon une réponse ministérielle du 17 novembre 2020, le registre national des fiducies recensait au début de l'année 2020 seulement 208 actes relatifs à des
fiducies. Sachant que ces actes peuvent concerner d'autres événements que la constitution, le nombre des fiducies resterait donc plus que modeste (Rép. min.
n° 28723 : JOAN 17 nov. 2020, p. 8192, Grau R.) Le chiffre est sans doute à prendre avec précaution, puisque des praticiens font état d'un nombre de fiducies
sensiblement plus important (interview D. Kotzeva, Banque, juill.-août 2021, n° 858, p. 65). Nul doute cependant que le lourd formalisme auquel est soumis le
contrat de fiducie (V. n° 68 ) ainsi que plausiblement le coût du service d'un fiduciaire professionnel limitent de facto le recours à la fiducie aux opérations haut de
gamme.
Les parties auront intérêt à régler l'exercice du droit de vote et permettre au constituant, si telle est leur intention, de donner des instructions de vote au fiduciaire
pour éviter que l'acquisition par lui de la qualité d'associé ne prive le constituant de cette prérogative. Lorsque le constituant est une société mère, il risquerait par
la même occasion de perdre le bénéfice du régime d'intégration fiscale ainsi que le régime mère-fille (A. Delhaye, A. Bordenave, L'exercice du droit de vote
attaché à des parts ou actions transférées dans un patrimoine fiduciaire : Option fin. 25 mars 2019. – M. Collet, La fiducie, le traitement fiscal est-il réellement
neutre ? in Fiducie sur titres. Les nouvelles perspectives, Actes du colloque organisé le 22 octobre 2015 par l'Association française des fiduciaires : LGDJ, coll.
Grands colloques, 2017, p. 33. – V. Thomas, Fiducie sur titres sociaux : la qualité d'associé d'un constituant : RLDC, n° 168, 1er mars 2019. – F.-X. Lucas, Peut-
on reconnaître la qualité d'associé au fiduciaire en présence d'une fiducie sur titres sociaux ? in Fiducie sur titres. Les nouvelles perspectives, Fiducie sur titres.
Les nouvelles perspectives, Actes du colloque organisé le 22 octobre 2015 par l'Association française des fiduciaires : LGDJ, coll. Grands colloques, 2017, p. 3.
– F. Barrière, L'exercice des prérogatives d'associé, in Fiducie sur titres. Les nouvelles perspectives, Fiducie sur titres. Les nouvelles perspectives, Actes du
colloque organisé le 22 octobre 2015 par l'Association française des fiduciaires : LGDJ, coll. Grands colloques, 2017, p. 8). La responsabilité que comporte la
mission du fiduciaire qui se voit transférer des titres de sociétés pour lesquels il devrait exercer le droit de vote risquerait d'ailleurs de dissuader certains
professionnels (Ph. Dubois, La responsabilité attachée à la qualité d'associé, enjeux pour le fiduciaire ? in Fiducie sur titres. Les nouvelles perspectives, Fiducie
sur titres. Les nouvelles perspectives, Actes du colloque organisé le 22 octobre 2015 par l'Association française des fiduciaires : LGDJ, coll. Grands colloques,
2017, p. 13. – S. Le Normand-Caillère, Le fiduciaire de droits sociaux : RJ com. 2019, p. 1, n° 5).
Le contrat de fiducie offre également un cadre approprié aux opérations de portage, la fiducie présentant divers avantages par rapport à la technique classique de
la vente assortie d'un pacte de rétrocession (sur le portage, V. F.-X. Lucas, Les transferts temporaires de valeurs mobilières. Pour une fiducie de valeurs
mobilières, préf. L. Lorvellec : LGDJ 1997, n° 491-495, 627 et 657. – F.-X. Lucas, Retour sur le caractère (non) léonin des promesses d'achat d'actions à prix
minimum garanti : Bull. Joly Sociétés 2009, n° 6, p. 583. – D. Schmidt, Les opérations de portage de titres de sociétés, in Les opérations fiduciaires : Feduci et
LGDJ 1985, p. 29 s.). Elle permettrait notamment de « régler définitivement l'irritante question du pacte léonin » (F.-X. Lucas, obs. ss Cass. com., 23 janv. 2007 :
Bull. Joly Sociétés 2007, p. 610 s., spéc. p. 614) et de protéger efficacement le donneur d'ordre en cas de défaillance du porteur (F.-X. Lucas, loc. cit., p. 614. –
Sur les avantages de la fiducie pour réaliser les opérations de portage, V. aussi H. de Vauplane, La fiducie avant la fiducie : le cas du droit bancaire et financier :
JCP E 2007, 2051, n° 14. – F. Estienny, La fiducie : aspects juridiques et fiscaux Contribution à l'étude du patrimoine fiduciaire, t. 60 : Defrénois Doctorat &
Notariat 2018, p. 82 s.). La définition de la fiducie résultant de l'article 2011 du Code civil ne semble pas faire barrage à cette application particulière. En effet,
même si la fiducie implique un transfert de biens, elle peut porter sur des biens futurs devant être acquis par le fiduciaire auprès de tiers, en l'occurrence les titres
portés (V. n° 24 ). Par ailleurs, une avance partielle des fonds destinés à l'acquisition des titres par le donneur d'ordre suffirait à caractériser un transfert de biens
existants, sans que le texte fasse obstacle au jeu de la subrogation si les titres sont financés en grande partie par le fiduciaire. Mais le nécessaire dévoilement
des contrats fiduciaires (V. n° 77 ) peut être un obstacle à celles des opérations de portage appelées à se dérouler dans la discrétion même si l'accès au registre
des fiducies reste réservé à un cercle restreint d'autorités publiques (V. n° 80 ).
Une autre utilisation de la fiducie est envisageable dans le domaine des garanties de passif. Un fiduciaire jouant le rôle d'un tiers objectif et impartial se voit
remettre une partie du prix de vente, qu'il débloquera au profit de l'acheteur si la garantie doit jouer, sans que les créanciers du vendeur puissent saisir ces fonds
(V. R. Dammann et G. Podeur, Fiducie-sûreté – fiducie-gestion, Les applications pratiques : Revue Banque 2009, n° 713, p. 59 s., spéc. p. 61. – G. Blanluet et
Y. Le Gall, La fiducie, une œuvre inachevée (1re partie) : Dr. sociétés 2007, n° 7, étude 9, n° 6. – A.-S. Noury, La fiducie : RLDA, n° 154, 1er déc. 2019).
La fiducie peut également être utile lorsqu'il s'agit d'assurer, dans le cadre du sauvetage d'un groupe, qu'une partie de la trésorerie générée par le groupe soit
affectée au soutien de filiales en difficultés, ce qui met le banquier dispensateur de crédit à l'abri de la suspicion d'immixtion dans la gestion du débiteur (V.
R. Dammann et D. Valdman, Sauvetage d'un groupe de sociétés grâce à une double fiducie : Gaz. Pal. 28 juill. 2011, n° 209, p. 5, étude 16453). Son utilisation
est encore envisagée à propos d'opérations de Leveraged Buy-Outs (LBO) (M. Bourgeois-Bertrel, De l'opportunité de recourir aux techniques dépourvues de la
personnalité morale dans la perspective d'une LBO : Dr. sociétés 2015, étude 16, n° 10. – J.-C. Benois, A. Bordenave, Fiducie dans les financements structurés :
des commentaires administratifs sur la bonne voie : Option fin. 26 mai 2015, p. 24, n° 1319).
Un avis de l'Autorité de contrôle prudentiel des banques du 24 avril 2012 (aujourd'hui l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR)) indique que la
centralisation de trésorerie intragroupe peut être confiée à un fiduciaire, à la condition qu'il s'agisse d'un établissement de crédit ou qu'il se trouve sous le contrôle
du groupe (J.-F. Adelle, Les conditions de la fiducie bancaire se précisent : Revue Banque n° 749, juin 2012, p. 50).
Ces diverses utilisations en matière de restructuration et de financement des sociétés ont conduit certains à comparer la fiducie, d'un point de vue fonctionnel, à
une société (P. Dupichot, Si la fiducie était une société… : Bull. Joly Sociétés 2017, p. 157).
La fiducie peut également être mise au service de la gestion de sûretés ou de garanties au profit d'une pluralité de créanciers, notamment d'un pool bancaire, le
fiduciaire étant chargé de constituer, de gérer et, en cas de défaillance du débiteur, de réaliser les sûretés au profit des créanciers, à l'image du security trustee.
La loi de 2007 instituant la fiducie, utilement complétée par la loi LME du 4 août 2008, avait consacré une disposition propre à la gestion de sûretés réelles (C.
civ., art. 2328-1), sans toutefois se prononcer sur la qualification juridique de l'opération et en laissant dans l'ombre maints aspects du régime juridique de
l'institution. Cette lacune a été comblée par l'ordonnance n° 2017-748 du 4 mai 2017 relative à l'agent des sûretés prise en application de la loi d'habilitation
n° 2016-1691, dite « Sapin 2 » (art. 117). À cet effet, un corps de règles formant un titre troisième « De l'agent des sûretés » a été inséré dans le livre IV – Des
sûretés (C. civ., art. 2488-6 à 2488-12) du Code civil (V. aussi, n° 47 ). L'agent de sûreté se voit reconnaître la titularité des sûretés et garanties prises, inscrites,
gérées et réalisées par lui, les biens acquis dans l'exercice de sa mission formant « un patrimoine affecté […], distinct de son patrimoine propre » (C. civ.,
art. 2488-6. – V. P. Crocq, L'agent des sûretés et la dissociation des qualités de titulaire de la sûreté et de titulaire de la créance garantie, in Mél. en l'honneur du
professeur Laurent Aynès : LGDJ 2019, p. 113). Divers traits du régime juridique applicable à l'agent de sûretés ont été empruntés à ceux de la fiducie relevant
des articles 2011 et suivants du Code civil. L'agent de sûretés apparaît comme un « fiduciaire spécial, soumis à des dispositions spécifiques » (rapp. au président
de la République : JO 5 mai 2017), ou comme un « fiduciaire sui generis » (L. Aynès, P. Crocq, A. Aynès, Droit des sûretés : LGDJ, 14e éd., 2020), échappant
notamment aux lourdes conditions qui président à la constitution de la fiducie issue de la loi du 19 février 2007 (D. Legeais, Publication de l'ordonnance relative à
l'agent des sûretés : JCP E 2017, n° 21-22, act. 391).
Mentionnons encore l'ouverture de comptes bancaires fiduciaires susceptibles de recueillir des fonds litigieux ou affectés à une destination précise, sous le
contrôle d'un tiers indépendant et hors d'atteinte des créanciers du constituant et du fiduciaire (V. Cl. Witz, Les divers comptes bancaires utilisés dans les
opérations de compensation internationale (comptes « trustee », « escrow », fiduciaire et séquestre) : Revue Banque juin 1988, suppl. Banque et Droit, p. 18 s.).
Le recours à la fiducie pour des opérations de titrisation reste, en revanche encore débattu (C. Berger-Tarare, La fiducie-titrisation : c'est possible ! : RD bancaire
et fin. 2016, études, p. 1. – L. Papaïs, Titrisation et fiducie : thèse Toulouse, 2012, p. 161 s. – M. Dubertret, La fiducie bancaire dans les montages de droit du
financement et de droit des sociétés, in La fiducie : assise théorique et applications pratiques, Coll. 29 sept. 2017 : LexisNexis, coll. FDNE 2018, p. 131 ; du
même auteur, Les parties au contrat de fiducie : D. 2022, p. 716, V. spéc., note 22 : « depuis 2017, une fiducie peut constituer un véhicule de titrisation, à
condition que le fiduciaire soit un établissement de crédit (Règl. UE 2017/2402 du 12 déc. 2017) »). La loi luxembourgeoise du 22 mars 2004 relative à la
titrisation (Mémorial A n° 46 – 29 mars 2004) offre, en revanche, aux fonds de titrisation, dénués de la personnalité juridique, l'option de se constituer sous une
forme fiduciaire comme alternative à la copropriété. Elle introduit aussi un nouveau type de représentant-fiduciaire auxquels les investisseurs d'un organisme de
titrisation peuvent confier la gestion de leurs intérêts et, en particulier, d'exercer les sûretés dont ils bénéficient, à l'instar du « security trustee » en common law.
Avec le développement récent d'actifs virtuels, la fiducie est aussi évoquée comme outil au service d'émissions de jetons représentatifs de tels actifs (Initial Coin
Offering ou ICO). Le fiduciaire, constatant à une date déterminée que l'objectif de levée des fonds est atteint, versera les sommes au porteur de projet (T.
Deloitte, La fiducie, un outil de sécurisation des levées de fonds en cryptomonnaie ? : Option fin. 18 oct. 2021). Les auteurs le plus audacieux imaginent même
que le contrat de fiducie pourrait lui-même s'appuyer sur la technologie de la blockchain pour assurer son exécution programmée et automatique sous la forme
d'un smart contract (S. Fahri, Fiducie, Blockchain et smart contracts : RLDC, 1er sept. 2021, n° 195, p. 2).
2) Applications civiles
37. – Illustrations –
Dans le droit fil des applications potentielles de la fiducie dans la vie des affaires, la fiducie peut être utile lorsque le versement des fonds marquant le
dénouement d'une opération contractuelle est subordonné à une condition dont un tiers digne de confiance est chargé de surveiller la réalisation (vente de biens
litigieux, vente dont la perfection est subordonnée à une autorisation administrative).
Le rôle de la fiducie est également évoqué comme mode de gestion de patrimoine (V. R. Dammann et G. Podeur, Fiducie-sûreté – fiducie-gestion, Les
applications pratiques : Revue Banque 2009, n° 713, p. 59 s., spéc. p. 61), même si le mandat a vocation à demeurer le principal instrument de gestion de fonds
ou de valeurs mobilières (V. la levée récente de l'un des inconvénients traditionnels de la fiducie, celui de la restriction des personnes pouvant représenter les
actionnaires aux assemblées générales, par Ord. n° 2010-1511, 9 déc. 2010 modifiant C. com., art. L. 225-106).
Lors de l'examen du projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs (L. n° 2007-308, 5 mars 2007 : JO 7 mars 2007, texte n° 12), le Sénat
avait adopté un amendement (C. civ., projet d'art. 500-1) ouvrant la possibilité au tuteur de saisir le juge en vue de l'autoriser à conclure un contrat de fiducie pour
la gestion de tout ou partie du patrimoine de la personne protégée, selon les articles 2011 à 2031 du Code civil, amendés toutefois sur divers points (V.,
principalement l'exclusion des transferts à titre de garantie, la résiliation à tout moment par le juge à la demande de tout intéressé, l'ouverture de la qualité de
fiduciaire aux membres des professions juridiques réglementées sous certaines conditions). Cet amendement devait être écarté par la commission mixte
paritaire, au motif essentiel qu'il convenait de réexaminer la question de l'extension de la fiducie aux personnes physiques dans un contexte plus général que
celui d'un projet de loi limité à la protection des majeurs (V. Rapp. M. E. Blessig et M. H. de Richemont au nom de la Commission mixte paritaire, Sénat, session
2006-2007, doc. n° 253, annexe au procès-verbal, séance 21 févr. 2007, p. 9 s.). Ce qui est interdit dans le cadre d'une tutelle des majeurs, l'est aussi pour la
tutelle et l'administration légale des mineurs (V. C. civ., art. 408-1, issu de L. n° 2008-776, 4 août 2008, art. 18-1. – Sur cette méfiance du législateur, V.
N. Peterka, Le droit des incapacités à l'épreuve du contrat de fiducie, in La fiducie dans tous ses états, Journées nationales de l'Association Henri Capitant, t. XV,
Paris-Est Créteil : Dalloz, 2011, p. 15, spéc. n° 3 à 12). Même dans les espaces où elle peut se mouvoir comme mode de gestion du patrimoine d'une personne
physique, la fiducie risque d'être entravée par la prohibition de la fiducie-libéralité. En effet, les effets du transfert fiduciaire ne peuvent être prolongés au-delà du
décès du constituant, ce qui empêche la mise en place d'une gestion patrimoniale fiduciaire transgénérationnelle.
c) Prohibition de la fiducie-libéralité
La réforme de 2008 élargissant le cercle des constituants aux personnes physiques aurait été l'occasion pour le législateur de lever cette prohibition totalement
ou partiellement, en la limitant à la réserve héréditaire. Tel n'a pas été le cas. L'assouplissement du droit des successions par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 (
JO 24 juin 2006, texte n° 1), notamment par l'accueil du mandat à titre posthume (C. civ., art. 812 à 812-7), « variété de fiducie-gestion à cause de mort »
(M. Grimaldi, Présentation de la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités : D. 2006, p. 2551 s., spéc. n° 4 in fine), la libéralisation des
conditions d'admission des libéralités graduelles (C. civ., art. 1048 à 1056), nouvelle appellation des substitutions fidéicommissaires, et la codification des
libéralités résiduelles (C. civ., art. 1057 à 1061) ont joué en faveur du maintien de la prohibition (V., lors de l'adoption de la loi de 2007, X. de Roux, Rapport au
nom de la commission des lois : Doc. n° 3655, séance 1er févr. 2007, p. 35. – P. Clément, Sénat, séance 17 oct. 2006 : JO Sénat 18 oct. 2006, p. 6694). À cette
considération s'est ajoutée la crainte d'un contournement des règles d'ordre public des successions, notamment de celles de la réserve (P. Clément, Sénat,
séance 17 oct. 2006 : JO Sénat 18 oct. 2006, p. 6694).
La levée de la prohibition de la fiducie-libéralité n'en aurait pas moins été souhaitable (L. Aynès, Fiducie et trust : le droit français est-il à la hauteur : JCP N 2022,
n° 45, 1266). En effet, la fiducie-libéralité apparaît, en dépit de techniques concurrentielles au sein du Code civil (V., sur leurs limites, D. Louis-Caporal, La fiducie-
libéralité, réflexion sur une opération prohibée : RTD civ. 2016, p. 49 s. – Plus particulièrement sur la société civile, n° 38. – C. Berger-Tarare, « Ouvrir la fiducie
aux libéralités : pour une fiducie-gestion fonctionnelle dans le cadre familial » in Genre, famille, vulnérabilité, Mél. en l'honneur de Catherine Philippe : éd.
L'Harmattan, 2017), comme un instrument de transmission ultérieure d'un patrimoine dont la gestion implique de l'expérience, comme celle d'une entreprise, alors
que les héritiers en sont dépourvus en raison de leur âge ou de leur inaptitude. Elle aurait également été utile pour préserver un patrimoine menacé par des
dissensions familiales. La fiducie-libéralité aurait pu servir également de structure souple à des fondations, notamment de petite ou de moyenne importance
(contra, X. de Roux, selon lequel la législation française sur les fondations et le mécénat est suffisante, Rapport au nom de la commission des lois : Doc. n° 3655,
séance 1er févr. 2007, p. 3), même si la palette des instruments disponibles s'est élargie (V. les fondations abritées, n° 42 ; les fonds de dotation, dotés de la
personnalité juridique, consacrés par l'article 140 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008. – Sur cette réforme, V. L. Ricco, Les fonds de dotation : un nouveau
financement d'intérêt général : Defrénois 2010, art. 39099 et les fonds de pérennité, dotés de la personnalité juridique, consacrés par l'article 177 de la loi n° 2019-
486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, constitués par l'apport gratuit et irrévocable de titres de capital ou de parts
sociales en vue de la gestion de ces titres, la finalité de la gestion étant de contribuer à la pérennité économique des sociétés émettrices ou de réaliser ou de
financer des œuvres ou des missions d'intérêt général).
Tout d'abord, quant au champ d'application de la prohibition. Celle-ci s'applique dans les hypothèses où le constituant entend, par la transmission progressive ou
finale de biens placés en fiducie, gratifier un tiers bénéficiaire, entre vifs ou à cause de mort. Le bénéficiaire de la fiducie pouvant également être, selon
l'article 2013, le fiduciaire lui-même, le contrat de fiducie encourt aussi la nullité si le constituant d'une fiducie-gestion prévue principalement pour son compte
gratifie partiellement le fiduciaire. Cette hypothèse marginale n'est guère concevable, en pratique, que dans l'hypothèse où le fiduciaire est une personne
physique, celle-ci ne pouvant être à ce jour qu'un avocat.
La seconde précision nécessaire a trait à la notion de libéralité. En visant l'intention libérale, l'article 2013 mentionne uniquement le second élément constitutif
traditionnel de la libéralité, sans viser expressément l'élément matériel de l'acte à titre gratuit, à savoir le dépouillement actuel et irrévocable du disposant (C. civ.,
art. 894), ce qui est justifié puisque cette condition est déjà satisfaite par le transfert des biens placés en fiducie par le constituant au fiduciaire dans la perspective
d'une transmission au tiers bénéficiaire. L'intention libérale visée par l'article 2013 ne saurait être présumée par l'obligation à la charge du fiduciaire de
transmettre des biens à un ou à plusieurs tiers bénéficiaires. En effet, pareille transmission peut avoir une nature onéreuse (V., à titre d'exemple, n° 31).
Observons in fine que le CGI pose une définition autonome et plus large du contrat de fiducie procédant d'une intention libérale, pour les besoins de l'application
des lourdes sanctions fiscales prévues par la loi, en énonçant que « l'intention libérale est notamment caractérisée lorsque la transmission est dénuée de
contrepartie réelle ou lorsqu'un avantage en nature ou résultant d'une minoration du prix de cession est accordé à un tiers par le fiduciaire dans le cadre de la
gestion du patrimoine fiduciaire » (V. CGI, art. 792 bis. – Dossiers pratiques Francis Lefebvre, La fiducie, mode d'emploi : 2e éd., 2009, n° 6033 s.).
La troisième précision a trait à la sanction. Il s'agit d'une nullité d'ordre public, en d'autres termes d'une nullité absolue pouvant être soulevée par tout intéressé
(V. en ce sens, H. de Richemont : « la nullité doit pouvoir être invoquée par tout intéressé, à commencer par le ministère public », Rapport de la Commission des
lois du Sénat, séance 11 oct. 2006, p. 49. – Sur la sanction fiscale, V. S. Prigent, Premiers pas en fiducie dans le Code civil : AJDI 2007, p. 280 s., spéc. p. 283. –
Dossiers pratiques Francis Lefebvre, n° 6031 s.).
41. – Cas particulier d'une fiducie-gestion, charge ou condition d'une libéralité –
Si le contrat de fiducie ne peut pas être lui-même l'instrument d'une libéralité, rien ne s'oppose, semble-t-il, à ce qu'un contrat de donation ou un legs prévoient
une charge ou soient soumis à une condition contraignant le gratifié à conclure un contrat de fiducie-gestion relatif aux biens transférés à titre gratuit selon des
modalités prévues dans la libéralité (V., en ce sens également, Fr. Sauvage, Réflexions sur les opportunités offertes par la fiducie aux fins de gestion du
patrimoine de la personne vulnérable : RJPF 2009, p. 8 s., spéc. p. 11 s. – D. Parent, « La fiducie, outil patrimonial de gestion et de transmission », in Colloque
de Dijon : RLDC 2019, p. 51 s., spéc. p. 52 et 53). En effet, le contrat de fiducie appelé à être conclu postérieurement à l'acte à titre gratuit s'analyse en une
charge. Le contrat de fiducie ne « procède » donc pas lui-même « d'une intention libérale » (C. civ., art. 2013). Seule une conception extensive et critiquable de la
fraude pourrait conduire les juges à condamner ce montage, les parties se voyant reprocher d'avoir contourné une prohibition légale.
Le recours à un contrat de fiducie qui serait adossé à une libéralité faite au profit d'un mineur appelle quant à lui des observations particulières, eu égard à
l'interdiction faite à l'administrateur légal et au tuteur de transférer les biens ou droits du mineur dans un patrimoine fiduciaire (C. civ., art. 387-2, 4° et 408-1). Un
tel montage devrait néanmoins être admissible grâce à l'interposition d'un tiers administrateur (en ce sens, V., M. Grimaldi, L'article 384 du Code civil permet-il de
confier à un fiduciaire la gestion des biens donnés ou légués à un mineur ? : Defrénois 2020, n° 166e7, p. 27. – C. Farge, Des techniques fiduciaires au service
de la gestion du patrimoine du mineur : JCP N 2020, n° 19, étude 1105). Selon l'article 384 du Code civil, l'auteur de la libéralité peut en effet soustraire à
l'administration légale des père et mère les biens donnés ou légués, et ce au profit d'un tiers (C. civ., art. 384, al. 1er). Aux termes de l'article 384, alinéa 2, « le
tiers administrateur a les pouvoirs qui lui sont conférés par la donation, le testament ou, à défaut, ceux d'un administrateur ». L'auteur de la libéralité dispose ainsi
de toute latitude pour définir les pouvoirs accordés au tiers sur les biens transmis au mineur. Il en résulte que le disposant devrait pouvoir imposer au tiers
administrateur l'obligation de confier les biens donnés ou légués à la gestion d'un fiduciaire (V., M. Grimaldi, L'article 384 du Code civil permet-il de confier à un
fiduciaire la gestion des biens donnés ou légués à un mineur ? : Defrénois 2020, n° 166e7, p. 27, n° 7 et 8).
d) Fiducie-sûreté
43. – Évolution –
La consécration de la fiducie-sûreté par la loi de 2007, utilement complétée et amendée par diverses lois et ordonnances est le couronnement d'une évolution
jalonnée par de multiples applications particulières de la propriété utilisée comme sûreté depuis le dernier tiers du vingtième siècle. L'entrée de la fiducie-sûreté
dans le Code civil opère une césure entre la fiducie-sûreté que le code consacre et celles spécifiques, reconnues par divers textes de loi.
1) Renaissance de la fiducie-sûreté
L'ordonnance n° 2017-748 du 4 mai 2017 a donné un cadre à l'agent des sûretés dans une logique fiduciaire au travers notamment de l'isolement des biens
affectés dans un patrimoine d'affectation (C. civ., art. 2488-6 à 2488-12. – V. aussi n° 33. – Et not. P. Crocq, « L'agent des sûretés et la dissociation des qualités
de titulaire de la sûreté et de titulaire de la créance garantie », Mél. L. Aynès : LGDJ 2019, p. 113. – M. Julienne, L'agent des sûretés : portée pratique et
théorique d'une réforme : RDC 2017, n° 3, p. 461. – D. Legeais, Publication de l'ordonnance relative à l'agent des sûretés : JCP E 2017, act. 391. – D. Robine, Le
nouvel agent des sûretés français : une attrayante figure en clair-obscur : RD bancaire et fin. 2017, étude 12. – B. Mallet-Bricourt, Un agent très spécial : RTD civ.
2017, p. 740. – G.-A. Likillimba, L'agent des sûretés et des garanties en droit français : RTD com. 2019, p. 533).
Enfin, l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés est venue tant élargir le champ d'application qu'assouplir le régime
des fiducies-sûretés. Le nouvel article 2372-1 du Code civil reconnaît explicitement que tout bien mobilier ainsi que tout droit puissent être cédés à titre de
garantie en vertu d'un contrat de fiducie, solution que l'article 2488-1 élargit aux biens immobiliers. De même, le nouvel article 2373 du Code civil dispose que « la
propriété d'une créance peut être cédée à titre de garantie d'une obligation par l'effet d'un contrat » de cession de créance. Dans un souci d'attractivité du droit
français, le législateur est venu ainsi clore le débat sur l'admission des transferts de créances à titre de garantie que la Cour de cassation disqualifiait en
nantissements de créances (Cass. com., 19 déc. 2006, n° 05-16.395 : JurisData n° 2006-036663 ; Bull. civ. IV, n° 250 ; JCP E 2007, II, 1131, rapp. M. Cohen-
Branche, note D. Legeais. – Sur cet arrêt, V. L. Aynès, La cession de créances à titre de garantie : quel avenir ?, loc. cit. – Cass. com., 26 mai 2010, n° 09-13.388
: JurisData n° 2010-007246 ; Bull. civ. IV, n° 94 ; JCP G 2011, 226, n° 19, obs. Ph. Delebecque ; RTD civ. 2010, p. 597, obs. P. Crocq. – Et sur le débat doctrinal
V. L. Aynès, La cession de créance à titre de garantie : quel avenir ? : D. 2007, p. 961 s., spéc. n° 11, l'auteur envisageant la cession de créance à titre de
garantie et le gage-espèce, qualifiés de fiducies-innommées à effets restreints. – C. Larroumet, La cession de créance de droit commun à titre de garantie :
D. 2007, p. 344 s., spéc. n° 6. – D'autres les condamnent fermement V. D. Legeais, Sûretés et garanties du crédit : 8e éd., 2011, n° 771 ; La réforme des sûretés,
la fiducie et les procédures collectives : Rev. sociétés 2007, p. 687 s., spéc. n° 17. – Ph. Van Steenlandt, La généralisation de la cession fiduciaire de créance,
t. 7 : LGDJ, Bib. Dr. ent. en difficultés, 2017). Finalement, « la propriété d'une somme d'argent, soit en euro soit en une autre monnaie, peut être cédée à titre de
garantie d'une ou de plusieurs créances, présentes ou futures. » (C. civ., art. 2374). Désormais, non seulement les créances, mais également tout bien corporel,
mobilier ou immobilier, une somme d'argent ainsi que tout droit peuvent être affectés en garantie au moyen d'un contrat de fiducie (sur la discussion quant au
point de savoir si après l'ordonnance du 15 septembre 2021 le nantissement d'une créance constitue encore une sûreté réelle traditionnelle ou prend la forme
d'une fiducie V. M. Mignot, Le nantissement de créance : JCP G 2021, suppl. au n° 43-44, p. 46).
L’ordonnance du 15 septembre 2021 a également levé une série d'obstacles qui, en pratique, dissuadaient de recourir à la fiducie comme technique de sûreté. La
solution anachronique que le contrat de fiducie expire automatiquement en cas de décès du constituant est écartée pour toute fiducie-sûreté. L'exigence, jugée
très gênante, d'une évaluation a priori du bien ou du droit transféré dans le patrimoine fiduciaire est supprimée, seule l'indication de la dette garantie restant
exigée (C. civ., art. 2372-2 pour les fiducies-sûretés mobilières et 2488-2 pour les fiducies-sûretés immobilières). Il est reconnu que « l'obligation garantie (par
une fiducie-sûreté) peut être présente ou future » et que « dans ce dernier cas, elle doit (simplement) être déterminable. » (C. civ., art. 2372-1 et 2488-1). Les
modes de réalisation de la fiducie-sûreté sont précisés en retenant que le fiduciaire-créancier acquiert la libre disposition du bien à défaut de paiement de la dette
garantie. Pour le cas où le bien doit être vendu par un fiduciaire qui n'est pas créancier, une échappatoire est prévue lorsque fiduciaire ne trouve pas l'acquéreur
au prix fixé par expert (C. civ., art. 2472-3 et 2488-3 : ajout d'un 4e alinéa) (pour de plus amples précisions V. S. Fahri, La fiduciesûreté dans l'ordonnance de
réforme du droit des sûretés du 15 septembre 2021 : RLDC 2022, n° 199. – F.-X. Licari, JCl. Civil Code, Art. 2372-1 à 2372-5 : Fiducie-Sûreté mobilière. – J.-
D. Pellier, La propriété retenue ou cédée à titre de garantie : JCP G 2021, suppl. au n° 43-44. – S. Farhi, Les évolutions du régime de la fiducie-sûreté dans le
projet de réforme du droit des sûretés : RLDC, n° 194, 1er juillet 2021. – A. Bordenave, B. Fournier, La modernisation du droit français des sûretés : retour sur
l'avant-projet de la Chancellerie : Option fin. 15 mars 2021). Enfin, le transfert de créances à titre de garantie est dorénavant opposable aux tiers dès l'acte de
cession (C. civ., art. 1323). Son régime se trouve ainsi aligné sur ce point sur celui de la cession des créances professionnelles (C. mon. fin., art. L. 313-27, al. 1er
). Gageons qu'à travers ces assouplissements, l'utilisation de la fiducie à titre de garantie puisse prendre son envol. La possibilité de créer de fiducies-sûretés
innomées ne présentera alors plus le même enjeu.
48. – Atouts –
Souvent qualifiée de « reine des sûretés » par ses promoteurs, la fiducie-sûreté présente d'incontestables atouts (V. not., B. Mallet-Bricourt, Quelle efficacité pour
la nouvelle fiducie-sûreté ? : Dr. & patr. oct. 2009, p. 79 s. – Ph. Dupichot, La fiducie-sûreté en pleine lumière, À propos de l'ordonnance du 30 janvier 2009 : JCP
G 2009, I, 132. – M. Grimaldi, La fiducie-sûreté : JCP N 2022, n° 44, 125). Celui, d'abord, d'être une sûreté polyvalente ou « passe-partout » pouvant porter
indifféremment sur tout bien, corporel ou incorporel, mobilier ou immobilier, présent ou futur et garantir n'importe quelle créance. Sans doute, la qualité de
fiduciaire est-elle limitée à un certain nombre d'intervenants du secteur bancaire ou financier, ainsi qu'aux membres de la profession d'avocat (C. civ., art. 2015).
Mais cette contrainte peut être levée par la mise en place d'une fiducie-sûreté triangulaire, communément dénommée fiducie-sûreté avec entiercement, lorsque le
créancier ne répond pas aux exigences de l'article 2015 du Code civil ; les qualités de fiduciaire et de créancier sont alors dissociées (V. C. civ., art. 2372-3, al. 2
et 2488-3, al. 2 visant l'hypothèse où « le fiduciaire n'est pas le créancier »). Le large domaine d'application de la fiducie-sûreté est renforcé par l'accueil de la
fiducie-sûreté sans dépossession dont la consécration est, en demi-teinte : celle-ci ne transparaît qu'à l'occasion du « transfert du fonds de commerce ou d'un
immeuble à usage professionnel » dont « le constituant conserve l'usage ou la jouissance » (C. civ., art. 2018-1, issu L. n° 2008-776, 4 août 2008) ou des
dispositions du droit des procédures collectives distinguant selon qu'une convention de mise à disposition au profit du constituant a été ou non conclue (V.
C. com., art. L. 622-23-1, L. 624-16, L. 631-14, L. 641-11-1, VI et L. 642-7). Dès lors que le constituant peut garder la possession des biens affectés en garantie,
la voie est réellement ouverte, en pratique, aux aliénations fiduciaires de biens corporels, meubles ou immeubles.
Le second atout est celui de l'efficacité de la sûreté. Celle-ci protège, de manière quasi optimale, les créanciers, sans que soit sacrifiée la nécessaire protection
du débiteur. En effet, le bénéficiaire d'une fiducie-sûreté ne risque pas d'être confronté à des créanciers d'un rang préférable puisque le bien affecté est sorti du
patrimoine du constituant, sous réserve de tempéraments de portée pratique limitée, dont le bénéficiaire de la sûreté peut parfaitement mesurer la portée :
sauvegarde des droits des créanciers du constituant titulaires d'un droit de suite attaché à une sûreté publiée antérieurement, fraude aux droits des créanciers du
constituant, saisie possible des biens figurant dans le patrimoine fiduciaire par les titulaires de créances nées de la conservation ou de la gestion du patrimoine,
alors que les biens érigés en sûreté n'appellent, en principe, que des mesures conservatoires au coût limité (sur ces trois cas, V. C. civ., art. 2025).
Bien entendu, lorsque le débiteur fait l'objet d'une procédure collective la protection du créancier doit être conjuguée avec les impératifs de cette procédure. Ce
n'est qu'en présence d'une liquidation judiciaire (V. C. com., art. L. 641-11-1 et L. 642-6, al. 5) que le créancier peut pleinement compter sur l'efficacité de la
fiducie-sûreté. En cas de procédure de sauvegarde et de redressement judiciaire, il se trouve empêché de réaliser sa sûreté dès lors que le débiteur a conservé
l'usage ou la jouissance des biens transférés dans le patrimoine fiduciaire, pendant la période d'observation et tant que le plan est correctement exécuté (V.,
C. com., art. L. 622-23-1 et L. 622-13, VI. – Sur ces différents aspects, V. L. Aynès, P. Crocq et A. Aynès, Droit des sûretés : LGDJ, 14e éd., 2020, n° 451 et s. –
P. Crocq, La fiducie, reine des sûretés, in La fiducie : assise théorique et applications pratiques : colloque Lyon 2, 29 sept. 2017, p. 107, spéc., p. 111 s.
– S. Farhi, Fiducie-sûreté et droit des entreprises en difficulté, Étude de l'efficacité du mécanisme, préf. P.-M. Le Corre : LGDJ 2016. – F. Pérochon, Entreprises
en difficulté : LGDJ, 11e éd., 2022, en particulier n° 973 s., 1030, 1541, 2049 et 2249).
Comme dernier atout, on signale qu'en matière immobilière, le transfert du bien à un fiduciaire serait souvent moins cher que la constitution d'une hypothèque
(interview D. Kotzeva, Revue Banque, juillet-août 2021, n° 858, p. 65).
49. – Inconvénients –
La fiducie-sûreté n'est pas parée de toutes les vertus. On lui reproche traditionnellement d'être source de gaspillage du crédit. Cette critique perd beaucoup de sa
force depuis la consécration de la fiducie rechargeable (C. civ., art. 2372-5, al. 2 et 2488-5, al. 2. – Pour un examen approfondi de ces dispositions, V. JCl. Civil
Code, Art. 2372-1 à 2373-5 et 2488-1 à 2488-5), même si, dès avant cette réforme, une fiducie non accessoire, susceptible de garantir de nouvelles créances,
était en mesure de se déployer (Cl. Witz, Réflexions sur la fiducie-sûreté : JCP E 1993, p. 231 s., spéc. n° 7. – Rappr., l'utilisation du droit à restitution comme
support d'une nouvelle garantie P. Crocq, Sûretés et proportionnalité, Études offertes au Doyen P. Simler : Litec et Dalloz 2006, p. 291 s., spéc. p. 299 s.). Un
autre inconvénient de la fiducie-sûreté est celui de la relative lourdeur caractérisant la mise en place de la sûreté, même en matière mobilière, eu égard aux
exigences de forme et d'enregistrement requises par la loi (V. n° 68 ). Malgré les précisions apportées par l'ordonnance du 15 septembre 2021 au régime
supplétif de réalisation d'une fiducie-sûreté, celui-ci s'avérera souvent insuffisant et oblige ainsi les parties à s'entendre sur des règles plus détaillées. Portant sur
des biens corporels, la fiducie souffre enfin de l'absence d'un système de publicité pouvant mettre en échec le principe « en matière de meuble, possession vaut
titre » (L. Aynès, Fiducie : analyse et applications pratiques de la loi : Rev. Lamy dr. civ. 2008, suppl., p. 5 s., spéc. p. 7). Toutefois, la publicité rudimentaire
constituée par l'apposition d'une plaque sur le bien transféré, sur le modèle de celle consacrée par la loi n° 51-59 du 18 janvier 1951 relative au nantissement de
l'outillage et du matériel d'équipement (L. n° 51-59, 18 janv. 1951 [JO 19 janv. 1951], art. 4, puis, C. com., art. L. 525-4, cette sûreté ayant été abrogée par l'
ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés), peut limiter ce risque lorsque l'aliénation est celle d'un bien se prêtant à
une pareille mesure.
50. – Application. –
En raison de son efficacité en cas de défaillance du débiteur et de son adaptabilité aux besoins spécifiques des parties, la fiducie-sûreté connaît un succès
certain (V., M. Waechter, La pratique de la fiducie-sûreté : Actes prat. ing. immobilière 2020, n° 1, p. 35). Diverses opérations de fiducie à titre de garantie de haut
de gamme ont même fait l'objet d'une certaine publicité (V., l'exemple d'une fiducie-sûreté immobilière entre une entreprise en difficultés, constituant, Natixis,
fiduciaire et l'État français, titulaire de créances fiscales et sociales : G. Bremond, Fiducie, Coup d'envoi pour les trusts à la française : Option fin. 18 févr. 2008,
p. 5 ; l'exemple du contrat de fiducie-sûreté entre Gaz de France, constituant, la Caisse des dépôts et consignations, fiduciaire, diverses catégories de salariés de
GDF, bénéficiaires ; l'exemple d'une fiducie-sûreté portant sur des stocks par une entreprise placée en période d'observation, au profit d'une banque portugaise.
– Sur ces deux exemples : F. Anselmi, La fiducie-sûreté pourrait faciliter les restructurations d'entreprises : Agefi Hebdo 20 oct. 2009. – L'exemple d'une fiducie-
sûreté constituée par un repreneur pour garantir la perception des droits pécuniaires des salariés quelle que soit l'évolution financière de leur nouvel employeur,
le fiduciaire étant la Caisse des Dépôts et consignations : A. Simonet, Création de la première fiducie-sûreté : Agefi Hebdo 30 avr. 2010. – Adde, à propos d'une
fiducie-sûreté portant sur des titres de sociétés civiles dans le cadre d'un sauvetage d'un groupe, combinée avec une fiducie-gestion : R. Dammann et
D. Valdman, loc. cit., et n° 32. – Et d'une fiducie-sûreté mise en place lors de la conversion d'un prêt garanti par l'État en actions de la société
soutenue : F. Barrière, Fiducie et restructuration : JCP N 2022, n° 45, 1263, p. 40).
Malgré ses atouts sur d'autres sûretés – la fiducie ne connaît pas encore le succès escompté, mais se développerait avant tout pour des opérations d'envergure à
l'exclusion des crédits aux particuliers ou aux PME (Ravet Y.-M. et Andreani M., La fiducie : sûreté d'élite ou produit de masse ? : Dr. & patr. sept. 2013, n° 228. –
V. cependant Interview D. Kotzeva : Revue Banque, juillet-août 2021, n° 858, p. 65 faisant état de fiducies-sûretés constituées par des PME pour quelques
milliers d'euros). Hormis celles-ci, la pratique recourt à la fiducie-sûreté principalement dans le cadre de la restructuration de dettes d'un emprunteur emprise à
des difficultés financières laissant entrevoir une éventuelle cessation des paiements (Fiducie et restructuration : LGDJ, Grands colloques, 2015. – A. Arsac, La
propriété fiduciaire : nature et régime : LGDJ, Droit des Affaires, 2015, n° 250. – E. Serrano, La fiducie : un outil précieux dans le cadre d'une restructuration :
Option fin. 22 juill. 2021). Pour autant qu'elle garantit un financement nouveau du débiteur et non une dette préexistante, la fiducie permet au prêteur de deniers
de se ménager une sûreté solide et efficace (R. Damman, L'utilisation de la fiducie comme technique : Rev. proc. coll. 2013, dossier 20, n° 3). Elle présente
l'avantage de pouvoir servir comme garantie à un pool de prêteurs (N. Borga, E. Merly, Les nouveaux moyens financiers : Rev. proc. coll. 2017, dossier 10, n° 4).
La technique est aussi appréciée par les créanciers obligataires puisqu'elle leur permet d'échapper au risque d'une réduction de leurs créances ou de leur
conversion en titres de capital lors d'une assemblée des obligataires à laquelle ils n'ont pas à participer (A. Arsac, La propriété fiduciaire : nature et régime :
LGDJ, Droit des Affaires, 2015, n° 250).
Dans ces différentes opérations, ce sont la plupart du temps des actions ou d'autres titres financiers qui sont donnés en garantie, en particulier, les actions ou
parts sociales d'une société holding ou de filiales de l'emprunteur. Le créancier bénéficiaire veillera à se ménager le droit de donner des instructions de vote au
fiduciaire sur les actions données en garantie dès lors que le débiteur constituant est en défaut ou risque de l'être (S. Golshani, A. Loric, Fiducies et
restructurations : principales caractéristiques et études de cas : RLDA n° 154, 1er décembre 2019. – B. Lafaye, N. Borga, Fiducie sur titres sociaux : incidences
juridiques et fiscales des instructions de vote : Option fin. 23 avr. 2019, n° 1507, p. 56). En lieu et place de sûretés portant directement sur les biens immobiliers,
la pratique recourt également à des cessions fiduciaires de titres de sociétés filiales propriétaires d'actifs immobiliers de valeur pour garantir des prêts accordés
aux sociétés mères (V. M. Waechter, La pratique de la fiducie-sûreté : Actes prat. ing. immobilière 2020, n° 6-7).
La fiducie-sûreté se développerait plus largement dans les financements immobiliers, notamment à cause de son coût moins élevé que celui d'une hypothèque
(interview D. Kotzeva : Revue Banque, juillet-août 2021, n° 858, p. 65). De même elle constituerait une solution appréciée pour constituer une garantie sur des
stocks de marchandises (B. Berger-Perrin, La fiducie-sûreté sur stocks : Option fin. 12 oct. 2015, n° 1336) ou sur des infrastructures d'énergie renouvelables (M.
Blanck-Dap, C. Jacomin, Les développements récents de la fiducie : nouvel outil innovant de sécurité juridique et financière : Option fin. 27 mai 2013, n° 1223,
p. 32. – Jacomin Ch., Projets photovoltaïques : des financements sûrs et attractifs : Revue Banque 2014, n° 776, p. 75. – C. Jacomin, La fiducie-sûreté au service
des financements des projets d'ENR : Revue Banque, n° 835, sept. 2019, p. 60).
Son utilisation est envisagée aussi pour sécuriser des garanties de passif données à l'occasion de cessions d'entreprises (F. Bailly, I. Binet, Les modes alternatifs
de la garantie de passif : RLDC, n° 111, 1er janv. 2014) ou pour garantir un plan de sauvegarde de l'emploi (F. Bourgeois, S. Catoire, La fiducie en tant
qu'instrument facilitant la cession d'entreprises en difficulté : Option fin. 17 févr. 2014, n° 1257, p. 34). Elle permettrait encore à l'exploitant ou au propriétaire d'un
fonds pollué de constituer une garantie pour assurer les risques de dommages résultant d'une pollution dans des projets de longue durée ou la gestion de
déchets à long terme (B. Wertenschlag, B. Bacrit et J. Moreau, La fiducie en matière environnementale : AJDI 2015, p. 748).
51. – Fiducies-sûretés spécifiques : cas légaux –
La loi de 2007 et les réformes subséquentes ont laissé intacts les textes ayant accueilli et réglementé les transferts à titre de garantie dans des domaines
déterminés. Ainsi, la fiducie-sûreté des articles 2011 et suivants est entourée de satellites que sont les diverses fiducies-sûretés spécifiques, souvent qualifiées
d'innommées, les divers textes les accueillant s'étant abstenus de les rattacher à la fiducie (sur le qualificatif de fiducies innommées, V. Fr. Barrière, La réception
de la fiducie au travers du trust, préf. Grimaldi : Litec 2004, n° 265. – Rappr. Fiducies-sûretés inavouées, ss la plume de M. Cabrillac, C. Mouly, S. Cabrillac,
P. Pétel, Droit des sûretés : Litec, 10 éd., 2015, n° 594). Ces diverses fiducies s'opposent à la fiducie-sûreté des articles 2011 et suivants par les conditions de
constitution plus souples ainsi que par l'absence de création d'un patrimoine fiduciaire, de sorte que les biens transférés à titre de garantie se fondent dans le
patrimoine commun de l'acquéreur fiduciaire (sur l'importance du pouvoir du fiduciaire de disposer des biens remis à titre de garantie dans le cadre des fiducies
spécifiques des secteurs bancaire et financier, V. H. de Vauplane, La fiducie avant la fiducie : le cas du droit bancaire et financier : JCP E 2007, 2051, n° 9).
5° Acteurs
52. – Comme cela ressort de l'article 2011 du Code civil, la fiducie fait intervenir en principe trois acteurs, le constituant, le fiduciaire et un bénéficiaire. Par
ailleurs, le constituant peut recourir, s'il le souhaite, à un tiers protecteur. Mais notons d'emblée qu'en dépit des apparences, la fiducie ne réunira souvent, comme
tout contrat, que deux acteurs, le constituant et le fiduciaire.
a) Constituant
53. – Définition –
Le constituant est celui qui transfère des « biens, des droits ou des sûretés » à un fiduciaire, à charge pour ce dernier de réaliser l'objet de la fiducie. L'
article 2011 du Code civil précise qu'il peut s'agir d'un ou de plusieurs constituants, sans que le législateur n'ait envisagé davantage la fiducie plurale, à la suite
d'une pluralité de constituants, de bénéficiaires ou de fiduciaires (V., F. Masson, La fiducie plurale : Dr. & patr. 2017, n° 265, p. 40). Observons que le législateur
français a préféré le concept large de constituant, sans doute inspiré par le Code civil québécois, à celui de fiduciant utilisé généralement par la doctrine française
contemporaine ainsi qu'en Suisse et au Luxembourg.
L'on sait que cette restriction a été levée, de manière heureuse, par la loi LME du 4 août 2008 (L. n° 2008-776, 4 août 2008, art. 18-1, applicable à compter du
1er févr. 2009), même si la raison invoquée au cours des travaux préparatoires est peu convaincante, la mesure ayant été présentée « comme l'une des
“réponses” du Gouvernement à la question du patrimoine d'affectation de l'entrepreneur individuel », alors que la fiducie implique un dessaisissement de
l'entrepreneur et que le constituant est tenu, en seconde ligne, du passif du patrimoine fiduciaire (C. civ., art. 2025. – V. JCl. Civil Code, Art. 2011 à 2030, fasc. 20
ou Notarial Répertoire, V° Fiducie, fasc. 20 ou Banque – Crédit – Bourse, fasc. 786. – Sur ce motif, V. Rapp. L. Béteille, E. Lamure, P. Marini au nom de la
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi, Sénat, session 2007-2008, doc. n° 413, annexe au procès-verbal, séance 24 juin 2008, p. 111). Feu
l'article 2014 qui aura vécu moins de 16 mois ! De par l'abrogation de l'article 2014, il est mis fin à l'incongruité de voir dans le Code civil une figure contractuelle
interdite aux destinataires naturels du code. La discontinuité dans la numérotation des normes résultant de cette abrogation (C. civ., art. 2013 et 2015) n'est qu'un
moindre mal. Depuis le 1er février 2009, la qualité du constituant est désormais ouverte à toute personne physique ou morale, indépendamment du régime fiscal
auquel celle-ci est soumise (sur la condition relative à la résidence du constituant, V. n° 56 ).
Partant du principe que le contrat de fiducie est en soi un acte grave, la loi complète l'article 1424 du Code civil par un alinéa second selon lequel les époux « ne
peuvent, l'un sans l'autre, transférer un bien de la communauté dans un patrimoine fiduciaire ». Ainsi, la mise en fiducie d'un modeste portefeuille de valeurs
mobilières nécessite l'accord des époux, alors que l'article 1424, alinéa 1er, du Code civil, ne soumet à cogestion que les aliénations des biens jugés les plus
importants, notamment les immeubles, les fonds de commerce, et les meubles faisant l'objet d'une publicité (V. F. Vauville, Communauté : la conclusion d'un
contrat de fiducie est soumise à cogestion : RJPF oct. 2008, p. 20).
Le second volet introduit par la loi LME du 4 août 2008 a trait à la gestion des biens des incapables. Selon l'article 408-1 du Code civil, « les biens ou droits d'un
mineur ne peuvent être transférés dans un patrimoine fiduciaire ». Il en résulte que l'administrateur légal ou le tuteur d'un mineur ne peuvent confier à un
fiduciaire le soin de gérer les biens du mineur, même s'il s'agit de valeurs mobilières, alors qu'il leur est permis de conclure un contrat traditionnel de gestion de
valeurs mobilières et d'instruments financiers (V. C. civ., art. 500, al. 3). La même interdiction frappe le tuteur d'un majeur protégé (V. C. civ., art. 509, 5°). Par
ailleurs, l'article 445 du Code civil a été complété par un troisième alinéa interdisant au fiduciaire d'« exercer une charge curatélaire ou tutélaire à l'égard du
constituant », dans le souci de prévention d'éventuels conflits d'intérêts entre les deux types de fonctions. Cette norme a vocation à s'appliquer lorsqu'un contrat
de fiducie a été conclu par un majeur en curatelle avec l'assistance du curateur ou qu'un contrat de fiducie a été conclu avant l'ouverture d'une curatelle ou d'une
tutelle (sur la fiducie, comme mode de protection de personnes vulnérables, V. n° 38. – Sur les autres mesures consécutives à l'ouverture de la fiducie aux
personnes physiques prises par l'ordonnance n° 2009-112 du 30 janvier 2009 [JO 31 janv. 2009] dans le cadre de l'habilitation donnée au Gouvernement par l'
article 18, V, 1° de la loi LME du 4 août 2008, V. n° 70 ).
56. – Condition de résidence –
En vue de prévenir l'utilisation frauduleuse de la fiducie (financement d'activités illicites, blanchiment de capitaux, évasion fiscale), la loi du 19 février 2007 requiert
que le constituant, tout comme le fiduciaire (V. n° 61 ) soit résident d'un « État de la Communauté européenne ou d'un État ou territoire ayant conclu avec la
France une convention fiscale en vue d'éliminer les doubles impositions qui contient une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou
l'évasion fiscale » (L. n° 2007-211, 19 févr. 2007, art. 13). Une centaine d'États parties à une telle convention fiscale sont ainsi concernés (V. H. de Richemont,
Rapport de la Commission des lois du Sénat, séance 11 oct. 2006, p. 99. – Ce mouvement s'est amplifié depuis, V. sur l'impact de cette condition, M. Dubertret,
« Les parties au contrat de fiducie » : D. 2022, p. 716, spéc., n° 2 s.). Si les motifs de cette condition sont louables, il n'en est pas moins paradoxal d'observer que
la conclusion d'un contrat nommé du Code civil soit subordonnée, pour son efficacité juridique, à une condition de résidence des contractants.
b) Fiduciaire
59. – Avocats –
Depuis le 1er février 2009, date d'entrée en vigueur de l'article 18-1 de la loi LME du 4 août 2008, « les membres de la profession d'avocat peuvent également
avoir la qualité de fiduciaire » (C. civ., art. 2015, al. 2). L'extension de la mission traditionnelle de l'avocat aux fonctions de fiduciaire, et par là même à celles de
gestionnaire d'un patrimoine dont il est titulaire pour autrui, a nécessité de substantielles mesures d'adaptation des règles régissant la profession d'avocat,
lesquelles ont été arrêtées par l'ordonnance n° 2009-112 du 30 janvier 2009 (Ord. n° 2009-112, 30 janv. 2009, art. 8 et 9), par le décret n° 2009-1627 du
23 décembre 2009 (JO 26 déc. 2009, p. 22310) relatif à l'exercice de la fiducie par les avocats, ainsi que par la décision du Conseil national des barreaux du
24 avril 2009 portant réforme du règlement intérieur national de la profession d'avocat (JO 12 mai 2009, p. 7875). Ce dispositif législatif, réglementaire et
déontologique s'ordonne autour des points suivants : les éléments des patrimoines confiés à l'avocat fiduciaire ne peuvent pas transiter par la CARPA (Ord.
n° 2009-112, 30 janv. 2009, art. 8) ; des règles spécifiques s'appliquent en matière de secret professionnel (Ord. n° 2009-112, 30 janv. 2009, art. 9) ; il incombe à
l'avocat l'obligation d'effectuer préalablement une déclaration de son activité de fiduciaire au Conseil de l'ordre, celle de souscrire une assurance propre à cette
activité, celle enfin de tenir une comptabilité séparée et un compte spécialement affecté à chaque fiducie (V. D. n° 2009-1627, 23 déc. 2009). La décision du
Conseil national des barreaux rappelle notamment l'interdiction pour l'avocat d'exercer, dans le cadre de sa mission fiduciaire, une activité incompatible avec sa
profession d'avocat au sens des articles 111 et suivants du décret du 27 novembre 1991, précise les règles à observer dans le cadre des correspondances ainsi
que celles destinées à préserver le secret professionnel, pose les directives appelées à prévenir des conflits d'intérêts et impose à l'avocat de suivre une
formation spécifique dans les matières liées à l'exécution de ses missions fiduciaires (V. S. Bortoluzzi, Fiducie et ventes judiciaires : le règlement intérieur national
des avocats modifié : JCP G 2009, n° 25, art. 33, p. 66 s. – S. Tandeau de Marsac, L'avocat et la fiducie : Gaz. Pal. Rec. 2009, p. 2405 s. ; AFIDU (Association
des Avocats Fiduciaires, site internet) et notamment le code de bonne conduite).
c) Bénéficiaire
La fonction complémentaire que le constituant endosse dans le cadre d'une fiducie-gestion exercée à son profit est source de difficultés lorsque la loi reconnaît
des pouvoirs spécifiques à la fois au constituant et au bénéficiaire, mais selon des modalités différentes (sur ces difficultés, V. JCl. Civil Code, Art. 2011 à 2030,
fasc. 20 ou Notarial Répertoire, V° Fiducie, fasc. 20 ou Banque – Crédit – Bourse, fasc. 786). En faisant du bénéficiaire un acteur obligé, la loi semble s'être trop
inspirée du trust, sans se rendre compte qu'en common law le constituant (settlor) quitte nécessairement la scène juridique après la naissance du trust exercé à
son profit, pour endosser la qualité de bénéficiaire (beneficiary. – V. M.-F. Papandréou-Deterville, Le droit anglais des biens, préf. G. Samuel : LGDJ 2004,
n° 703 s.).
Personnage insolite en droit français, ce tiers est en quête d'une appellation adéquate. Celle de « protecteur » retenue par la commission des lois du Sénat a été
rejetée pour faire place au terme neutre de « tiers », à la suite d'un amendement parlementaire (R. Badinter et a., Sénat, séance 17 oct. 2006 : JO Sénat 18 oct.
2006, p. 6694). Pour éviter une périphrase éclairant la mission du tiers, l'usage s'est instauré, très rapidement, de le désigner par « tiers protecteur » (V. déjà,
X. de Roux, Rapport au nom de la commission des lois : Doc. n° 3655, séance 1er févr. 2007, p. 42). Celui-ci aurait été appelé à jouer un grand rôle si le
législateur avait consacré la fiducie-libéralité, que ce soit à des fins privées ou philanthropiques, à l'image du rôle joué par le protector.
En revanche, les transferts effectués au moment du dénouement de la fiducie, à l'exception de ceux opérant le retour des biens dans le patrimoine du constituant,
donneront prise aux droits légaux de préemption (liquidation par un fiduciaire-gestionnaire des biens au profit d'un pool de créanciers, vente de gré à gré ou vente
aux enchères opérées lors du dénouement de la fiducie-sûreté et, sans doute aussi, conservation du bien par le bénéficiaire de la fiducie-sûreté).
B. - Conditions de forme
1° Écrit
Le formalisme entourant la fiducie a été récemment renforcé par l'exigence d'un écrit, à peine de nullité, doublée d'un enregistrement, à la charge du fiduciaire, en
cas de désignation par le constituant d'un tiers protecteur (V. n° 64 ), selon une réforme introduite par l'article 12 de l'ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020
renforçant le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. À cet effet, l'article 2019 a été complété par un nouvel
alinéa (al. 4). L'article 2019, alinéa 4 soumet au même formalisme « l'information sur l'identité du ou des bénéficiaires effectifs de la fiducie mentionnés à l'
article L. 561-2-2 du Code monétaire et financier ».
71. – Acte authentique en cas de biens indivis ou de biens communs aux époux –
Selon une réforme introduite par l'ordonnance du 30 janvier 2009 prise en vertu de l'habilitation donnée au Gouvernement par la loi du 4 août 2008 (V. n° 11 ), le
contrat de fiducie doit être établi par un écrit notarié, à peine de nullité, lorsque les biens transférés dans le patrimoine fiduciaire dépendent d'une communauté
existant entre les époux ou d'une indivision (C. civ., art. 2012, al. 2). Ce régime dérogatoire appelle une double remarque. L'exigence d'un acte authentique vaut
pour toute indivision, même celle existant entre des personnes morales, le Gouvernement ayant ainsi dépassé, semble-t-il, les limites de l'habilitation qui lui a été
donnée. Par ailleurs, la nécessité d'un acte authentique en cas de transfert de biens communs dans le patrimoine fiduciaire contraste avec le régime applicable
aux autres aliénations à titre onéreux de biens communs, et l'on peut s'interroger sur la pertinence de cette exception (V. aussi les réserves de F. Vauvillé,
Régimes matrimoniaux : RJPF avr. 2009, p. 22. – M. Grimaldi et R. Dammann, La fiducie sur ordonnances : D. 2009, p. 670 s., spéc. n° 4).
b) Mentions requises
72. – Caractère exprès de la fiducie –
Selon l'article 2012, alinéa 1er, in fine, la fiducie « doit être expresse ». Cette disposition a pour origine une proposition de la Commission des lois du Sénat qui
souhaitait que la fiducie ne pût « être reconnue sur le plan juridique qu'à partir du moment où les parties ont entendu expressément s'engager dans une telle
opération » (H. de Richemont, Rapport de la Commission des lois du Sénat, séance 11 oct. 2006, p. 46). Ainsi, le juge ne saurait déduire l'existence d'un contrat
de fiducie relevant des articles 2011 et suivants du Code civil, de la seule économie du contrat. Si la fiducie doit être expresse, l'article 2012, alinéa 1er n'exige
pas pour autant une formule sacramentelle, ce qui laisse tout de même au juge une marge d'appréciation dans le cadre de l'interprétation du contrat qui lui est
soumis. La sanction du défaut de mention expresse n'est pas la nullité du contrat de fiducie, mais l'application d'une qualification différente si l'économie du
contrat le permet (par ex. mandat, vente, paiement, V. F. Zenati-Castaing et Th. Revet, Les biens : PUF, 3e éd., 2008, n° 267).
73. – Mentions requises à des fins de validité pour tout contrat de fiducie –
L'article 2018 du Code civil donne la liste des mentions que tout contrat de fiducie doit contenir, à peine de nullité. La norme mentionne, en premier lieu, « les
biens, droits ou sûretés transférés » et précise, à propos des biens futurs, qu'« ils doivent être déterminables ». Il suffit, semble-t-il, qu'ils le soient par leur objet
(V. toutefois, R. Libchaber, loc. cit., 1re partie, n° 12, selon lequel le contrat devra également déterminer la date à laquelle ils doivent rejoindre le patrimoine
fiduciaire). Tout doute sur la composition du patrimoine fiduciaire devrait conduire à l'exclusion de l'élément incertain du transfert, et non à la nullité du contrat.
La seconde mention requise est celle de la durée, qui ne peut excéder 99 ans à compter de la signature du contrat (C. civ., art. 2018, 2°). Cette limite est le
résultat d'une valse-hésitation du législateur. Alors que la proposition de loi prévoyait déjà cette durée, similaire à celle des sociétés (C. civ., art. 1838), des baux
emphytéotiques (C. rur., art. L. 451-1, al. 2) ou du bail à construction (CCH, art. L. 251-1, al. 3), la durée du transfert a été réduite au cours des débats
parlementaires à 33 ans, à la suite d'un amendement déposé au motif qu'il ne faut pas favoriser le gel des patrimoines pendant une durée excessive (R. Badinter
et a., Sénat, séance 17 oct. 2006 : JO Sénat 18 oct. 2006, p. 6694 s.). La durée de 99 ans a été restaurée par la loi LME du 4 août 2008 (L. n° 2008-776, 4 août
2008, art. 18-1), à la suite d'un amendement déposé au motif que la durée de 33 ans peut « se révéler pénalisante dans certains cas », ainsi dans l'hypothèse
d'une fiducie constituée par une entreprise qui affecterait des actifs au dédommagement futur des victimes de la pollution créée par son activité (F. Truci et a.,
Sénat, séance 1er juill. 2008 : JO Sénat 2 juill. 2008, p. 3744). En exigeant des parties qu'elles précisent la durée du transfert, la loi semble n'autoriser que les
contrats de fiducie à durée déterminée. Néanmoins, une interprétation souple des textes, faite à la lumière des besoins de la pratique, devrait conduire à
l'admission de la fiducie à durée indéterminée, assortie d'une clause prévoyant un terme maximum. En effet, pareille stipulation contractuelle respecte la règle
d'ordre public qui prohibe le dépassement du plafond de 99 ans (en ce sens, V. F. Zenati-Castaing et Th. Revet, Les biens : PUF, 3e éd., 2008, n° 267, note 1).
On pourrait toutefois objecter qu'une clause prévoyant une durée indéterminée introduit un facteur d'instabilité dans le régime de la fiducie par la faculté de
résiliation unilatérale inhérente aux contrats à durée indéterminée, et qu'en conséquence une telle clause serait illicite. Mais cette objection n'est pas décisive, le
législateur autorisant largement la révocation de la fiducie ou la faculté d'y renoncer (V. JCl. Civil Code, Art. 2011 à 2030, fasc. 20 ou Notarial Répertoire, V°
Fiducie, fasc. 20 ou Banque – Crédit – Bourse, fasc. 786).
Les troisième et quatrième mentions requises se rapportent à l'identité du ou des constituants et à celle du ou des fiduciaires. Toutefois, l'identité des personnes
visées pourra se déduire, en l'absence de mention spécifique, de la qualité de parties au contrat de fiducie.
La quatrième mention est celle de l'identité du ou des bénéficiaires ou, à défaut, des règles permettant leur désignation. Si une mention expresse relative au
bénéficiaire est indispensable lorsque le contrat de fiducie a été conclu au profit d'un ou de plusieurs tiers bénéficiaires, l'identité du ou des bénéficiaires
signataires du contrat de fiducie ressortira aisément du type de fiducie mise en place par les contractants (fiducie-gestion ou fiducie-sûreté). Mais pour éviter
toute source de contentieux sur ce point, les parties ont intérêt à rappeler expressément l'identité du ou des contractants ayant la qualité de bénéficiaires.
Enfin, la loi requiert la détermination de « la mission du ou des fiduciaires et l'étendue de leurs pouvoirs d'administration et de disposition » (C. civ., art. 2018, 6°).
La mission ainsi visée se rapporte à la finalité de la fiducie (fiducie-gestion ou fiducie-sûreté, V. n° 29 ). Que la loi requière des parties la détermination de
l'étendue des pouvoirs d'administration et de disposition du fiduciaire (C. civ., art. 2018, 6°) s'explique d'autant plus que le législateur n'a prévu, à cet égard,
aucune disposition supplétive.
74. – Mentions requises à des fins de validité propres aux contrats de fiducie-sûreté –
On avait pu légitimement critiquer le législateur de 2007 d'avoir omis d'imposer aux parties la mention de la dette garantie lorsque la fiducie est conclue à des fins
de garantie (V. not. P. Crocq, Lacune et limite de la loi au regard du droit des sûretés : D. 2008, p. 1354 s., spéc. n° 15). Cet oubli a été réparé par l'ordonnance
n° 2009-112 du 30 janvier 2009 (Ord. n° 2009-112, 30 janv. 2009, art. 5). Depuis l'ordonnance du 15 septembre 2021, l'exigence de la mention de « la valeur
estimée du bien ou du droit transféré dans le patrimoine fiduciaire » a heureusement été supprimée. Elle n'est plus que facultative. Les parties pourraient
notamment y trouver un intérêt pour faciliter la démonstration d'une éventuelle faute par le fiduciaire dans son obligation de conservation des biens qui lui ont été
transmis (S. Fahri, La fiduciesûreté dans l'ordonnance de réforme du droit des sûretés du 15 septembre 2021 : Revue Lamy Droit civil, n° 199, 1er janv. 2022). Si
une évaluation du bien est nécessaire en matière de fiducie-sûreté, c'est celle appelée à être effectuée lors du dénouement de la fiducie, lorsque le contrat
prévoit l'attribution définitive du bien au créancier, en règlement de la créance, et ce à des fins de protection du débiteur (V. C. civ., art. 2373-3, al. 3 et 2488-3,
al. 3, ces normes exigeant l'évaluation du bien, quel que soit le mode de réalisation de la sûreté, attribution définitive ou vente).
L'absence d'écrit encourt assurément la nullité absolue. Mais encore faut-il que puisse être rapportée la preuve de la volonté des parties de conclure un contrat
de fiducie destiné à produire les effets prévus la loi, notamment la constitution d'un patrimoine fiduciaire. Cette observation soulève indirectement la question de
l'admission des fiducies innommées (V. n° 42. – [fiducie-libéralité]). En effet, l'exigence d'un écrit répond à une finalité d'intérêt général suffisamment forte pour
dicter cette sanction, même si le formalisme édicté protège également le constituant ou le bénéficiaire, l'écrit devant permettre à l'administration fiscale et aux
autorités de lutte contre le blanchiment de capitaux d'exercer leur contrôle. Cette finalité ressort clairement de l'ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020
renforçant le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, dont l'article 12 a étendu l'exigence d'un écrit et d'un
enregistrement à la désignation du tiers protecteur ainsi qu'à l'information sur l'identité du ou des bénéficiaires effectifs de la fiducie, au sens de l'article L. 561-2-2
du Code monétaire et financier (C. civ., art. 2019, al. 4). Par ailleurs, le défaut d'écrit rend impossible l'enregistrement, dont l'inobservation justifie, à elle seule, la
nullité absolue du contrat (V. n° 77 ).
La détermination de la nature de la nullité sanctionnant l'absence de tout ou partie des mentions requises impose de vérifier la finalité de la ou des mentions
omises. Certaines d'entre elles ont pour principal objet de protéger le constituant, auquel cas la nullité devrait être relative. Tel est le cas des mentions spécifiques
requises en matière de fiducie-sûreté (V. C. civ., art. 2372-2 et 2488-2) et de celle précisant l'étendue des pouvoirs d'administration et de disposition du fiduciaire
(V. C. civ., art. 2018, 6°). En revanche, l'ordre public de direction imprègne suffisamment les autres mentions dont le contenu permettra à l'administration fiscale
et aux autorités de lutte contre le blanchiment de capitaux d'exercer leur contrôle, pour que leur absence soit sanctionnée par la nullité absolue. Enfin, le défaut
d'acte notarié requis en raison de la nature des biens transférés (biens indivis, biens communs aux époux) devrait encourir la nullité absolue, si l'on s'en tient à la
position dominante de la jurisprudence qui, en cas d'enchevêtrement d'intérêts de protection et de l'intérêt général poursuivis par la forme solennelle requise, fait
prévaloir la nullité absolue (V. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, F. Chénedé, Droit civil, Les Obligations : Dalloz, 13e éd., 2022, n° 211).
2° Enregistrement
Le texte soulève des difficultés d'application en cas de pluralité de fiduciaires relevant de services des impôts territorialement différents (X. de Roux, Rapport au
nom de la commission des lois : Doc. n° 3655, séance 1er févr. 2007, p. 44. – En faveur du choix par les parties du service compétent, Dossiers pratiques Francis
Lefebvre, n° 2005). La formalité visant la sauvegarde de l'ordre public (lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment d'argent, risques d'antidate), la nullité doit
être considérée comme absolue.
79. – Contrat portant sur des immeubles ou des droits réels immobiliers –
Selon l'article 2019, alinéa 2, du Code civil, pareil contrat doit être publié, à peine de nullité, « dans les conditions prévues aux articles 647 et 657 du Code
général des impôts ». En d'autres termes, le contrat est soumis à la formalité fusionnée de l'enregistrement et de la publicité foncière. Le délai applicable est de 2
mois. La sanction de la nullité contraste avec la simple inopposabilité des mutations immobilières non publiées découlant de l'application de droit commun des
règles régissant la publicité foncière. La crainte d'applications frauduleuses explique cette sanction renforcée (V. Fr. Barrière : Rép. civ. Dalloz, V° Fiducie, n° 60).
Les informations relatives aux bénéficiaires effectifs d'une fiducie obéissent à un régime particulier. En effet, leur accès est doublement élargi. Elles sont
également accessibles à toute personne justifiant, au regard de l'objet ou de la nature de son activité, d'un intérêt légitime dans la prévention ou la lutte contre le
blanchiment de capitaux ou le financement du terrorisme (LPF, art. L. 167, II, 2°). Bien plus, elles le sont également à toute personne, dès lors que la fiducie ou le
trust détient une participation de contrôle dans une société ou dans une autre entité juridique établie dans un pays tiers par propriété directe ou indirecte (LPF,
art. L. 167, II, 1°).
Les modalités de consultation des informations contenues dans le registre national des fiducies et le registre du trust ont été précisées par le décret n° 2021-1127
du 27 août 2021, pris en application de l'ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020 (LPF, art. R. 167 à R. 167-3. –V. X. Delpech, Précisions réglementaires sur
la consultation des informations contenues dans les registres des trusts et des fiducies : Dalloz actualité, 21 mars 2022).
Si l'article 2018-2 du Code civil tranchait par rapport à l'article 1690 du Code civil lors de son adoption, tel n'est plus le cas depuis la réforme du droit des contrats
et des obligations (2016/2018), laquelle a libéralisé les règles de droit commun régissant la cession de créance. Il en résulte une forte convergence entre l'
article 2018-2 du Code civil et les nouveaux articles 1323, alinéas 1 et 2, et 1324, alinéa 1er du Code civil, et au-delà, avec le régime applicable à la cession de
créance à titre de garantie, consacrée par l'ordonnance n° 2021-1192 portant réforme du droit des sûretés (V. C. civ., art. 2373 qui renvoie aux articles 1321 à
1326).
Bibliographie
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La reconnaissance des sûretés mobilières conventionnelles dans l'ordre juridique français, préf. S. Poillot-Peruzetto : Defrénois 2005
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Propriété et garantie, préf. M. Gobert : LGDJ 1995
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La fiducie : aspects juridiques et fiscaux, Contribution à l'étude du patrimoine fiduciaire, préf. A. de Bissy : Defrénois 2018
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L'acte de fiducie (étude de droit interne et de droit international privé) : Thèse Paris II, 2000
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