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SOUS-TITRE 2

LES LIMITES AU POUVOIR DE LA VOLONTÉ :


L’ORDRE PUBLIC SUCCESSORAL

Si la loi laisse une certaine place à la volonté du défunt pour régler la transmission du patrimoine,
les règles gouvernant les libéralités (forme comme fond) encadrent déjà fortement sa liberté, afin de
le protéger lui-même autant que sa famille. Au-delà, l’incidence de cette volonté sur la dévolution
successorale conduit à en limiter les champs d’intervention, d’une part pour éviter que l’expression
de la volonté ne « favorise le souhait du décès d’autrui » ; d’autre part pour éviter que la famille ne
souffre de la volonté du disposant.
En découlent les deux principes de l’ordre public successoral, auxquels les réformes récentes ont
porté d’importantes atteintes :
→ la prohibition des pactes sur succession future, qui conduit à interdire de modifier les
lois successorales par convention, donc à conclure un contrat portant sur une succession non encore
ouverte (Chapitre 1).
→ la réserve héréditaire, qui conduit à ne pas laisser le défunt disposer en toute liberté de
son patrimoine à titre gratuit, en prévoyant qu’une fraction intangible de son patrimoine échappe au
pouvoir de sa volonté, en ce qu’elle sera « réservée » au proche parent (Chapitre 2).

CHAPITRE 1 LA PROHIBITION DES PACTES SUR SUCCESSION FUTURE

Notion. On entend par pacte sur succession future (ou contrat successoral) tout contrat portant sur
une succession non encore ouverte, c’est-à-dire sur la succession d’une personne vivante.
Cela vise donc une convention par laquelle, de son vivant, le défunt règle le sort de sa succession
(pacte sur sa propre succession) ou par laquelle un héritier présomptif contracte sur ses droits
successoraux à venir avec un tiers (pacte sur succession d’autrui).
Le Code civil n’emploie pas lui-même le terme de pacte sur succession future et n’en donne pas de
définition précise, même divers textes posent sa nullité de principe :
→ ancien article 1130 alinéa 2 (antérieur à l’Ord du 10 fév 2016) : « on ne peut renoncer à
une succession non ouverte, ni faire aucune stipulation sur une pareille succession, même avec le
consentement de celui de la succession duquel il s’agit, que dans les conditions prévues par la loi ».
→ article 722 introduit par la loi du 3 décembre 2001 prévoyant que « les cv° qui ont pour
objet de créer des droits ou de renoncer à des droits sur tout ou partie d’une succession non encore
ouverte ou d’un bien en dépendant ne produisent effet que dans les cas où elles sont autorisées par
la loi ».
On notera le changement de perspective : de la nullité on tend à la validité limitée de ces pactes.
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SECTION 1 LE PRINCIPE DE PROHIBITION DES PACTES SUR SUCCESSION FUTURE


En l’absence de définition légale des pactes sur successions future, il convient de préciser quels sont
les actes prohibés (§1), pour les distinguer des conventions voisines permises (§2).

§1 La détermination des pactes sur succession future prohibés


La détermination du fondement du principe de prohibition (A) permettra de mieux cerner les
caractères du pacte prohibé (B).

A/ Fondement de la prohibition des pactes sur succession future


Plusieurs fondements peuvent expliquer cette prohibition, déjà ancienne.
→ Fondement moral : immoralité du votum mortis, c’est-à-dire du désir de mort d’autrui que les
pactes encourageraient (« pacte de corbeaux »). Mais l’argument prouve trop, en ce que toute règle
de dévolution peut conduire au même souhait ; et d’autres types d’actes « spéculant » sur la mort
d’autrui sont admis, comme l’assurance-vie ou l’achat contre rente viagère.
→ Fondement plus politique : le pacte serait de nature à tenir en échec les règles de la
dévolution légale, notamment le principe d’égalité successorale. Mais l’argument n’est pas
pertinent, en ce que vaudrait pour toute libéralités et surtout car la réserve héréditaire permet de
préserver l’égalité en fixant une limite quantitative à la volonté.
→ Fondement psychologique : protection du consentement de l’héritier présomptif. Cet
héritier ne connaît pas l’étendue de ses droits dans la succession future, donc serait soumis au risque
d’abus d’influence ou de lésion : il risque de céder des espérances au profit de droits actuels et
immédiats (ex. en cas de vente ou renonciation à ses droits successoraux). On lui interdit donc de
disposer de ses droits dans une succession future d’autrui.
→ Fondement protection des libertés de la personne, en particulier de la liberté de tester du
défunt. Celui qui s’engage par contrat sur sa propre succession future ne pourrait plus y revenir, en
raison de la force obligatoire du contrat (ex. en cas d’institution contractuelle). Or la liberté de
laisser ses dernières volontés est inaliénable en tant que liberté essentielle de la personne. On
interdit donc au défunt de se lier en disposant irrévocablement des biens qu’il laissera à sa mort.

D’où ce sont avant tout ces deux dernières justifications qui fondent la prohibition des contrats
successoraux : protection du consentement de l’héritier ; protection de la liberté de tester. Tout
dépend du type de pacte, selon qu’il porte sur sa propre succession ou sur la succession d’autrui.
Mais, sous l’impulsion de la pratique notamment notariale, la tendance est à un certain déclin de ces
fondements, notamment pour favoriser les pactes par lesquels l’héritier traite sur ses propres droits
dans une succession future. De tels pactes sont admis en droit comparé (ex. droits allemand, suisse).

B/ Les critères des pactes sur succession future prohibés


Comment identifier un pacte sur succession future prohibé ? La jurisprudence a longtemps livré une
véritable « croisade contre les pactes sur succession future » (René Savatier), en élargissant le
domaine de la prohibition, même à l’encontre de la pratique notariale et de l’utilité de certains
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pactes, not. en faveur du conjoint survivant (par ex. clause commerciale ; renonciation au droit de
retour légal), pour lesquels pourtant les deux fondements de la prohibition ne se retrouvaient pas
nécessairement. L’approche des pactes étaient donc avant tout technique, au regard de ‘objet du
pacte, à savoir qu’il doit conférer des droits sur une succession non encore ouverte. Mais par la
suite, à partir des années 1960, jurisprudence et loi adoptent une approche plus casuistique, fonction
notamment de l’utilité sociale des pactes permettant la validation de pactes jusque là prohibés.
En découle une interprétation fluctuante, et parfois validante, des trois éléments nécessaires à la
caractérisation d’un pacte sur succession future prohibé.

A/ 1er élément : un pacte, c’est-à-dire un acte juridique


Le pacte peut prendre toutes les formes possibles, donc correspondre à « toute stipulation
juridique » selon la jurisprudence.
→ Cela peut être une convention (selon les termes de la loi), donc un contrat : c’est le cas le plus
fréquent. Que ce soit contrat à titre onéreux (par ex vente de la succession d’une personne vivante)
ou gratuit (ex : donation de biens à venir, institution contractuelle).
→ Mais cela peut également être un acte unilatéral, comme l’a expressément admis la Cour de
cassation (v. Civ. 1re 20 mars 1983, D 1986 obs Grimaldi ; Civ 1re 17 mars 1987, Bull I n°97). Car
l’acte unilatéral traduit souvent une entente de nature familiale, not. en cas de renonciation à un
droit successoral quitte fera toujours au profit de quelqu’un.
Par exemple : la renonciation d’un héritier à ses droits futurs dans la succession d’autrui.
v. Ch réunies 2 juillet 1903 Vve Ménard (GA n°133) : clause de renonciation affectant
l’ancien droit de retour légal de l’ascendant donateur, qualifiée de pacte sur succession future
prohibé.
v. dans le même sens à propos du droit de retour légal des père et mère de l’article 738-2 du
Code civil, Civ. 1re, 21 octobre 2015, n°14-21337 : « s’agissant d’un droit de nature successorale,
il ne peut y être renoncé avant l’ouverture de la succession ».

B/ 2e élément : le pacte doit porter sur une succession (non ouverte)


→ le pacte peut porter sur sa propre succession ou sur celle d’autrui.
Dans le premier cas, cela revient à l’institution contractuelle, car le défunt institue
contractuellement un héritier (l’institué). L’institution contractuelle n’est qu’exceptionnellement
valable (entre époux), en ce que porte atteinte à a liberté de tester.
Dans le second, l’héritier présomptif cède ou renonce à ses droits sur la succession à venir d’autrui.
→ le pacte peut porter sur la totalité, une quote-part de la succession ou sur un bien particulier.
Expressément envisagé par l’article 722.
→ le pacte peut viser une succession ordinaire, une succession testamentaire ou anomale (not. droit
de retour légal). D’où ni l’héritier présomptif, ni le légataire, ni le bénéficiaire d’un droit de retour
ne peuvent par avance aliéner ou renoncer à leurs droits (cf arrêts ci-dessus pour la renonciation).
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C/ 3e élément : le caractère éventuel du droit transmis


C’est là le cœur de la difficulté de qualification, concernant l’objet même du pacte qui porte sur une
succession non encore ouverte.

Comme le pacte porte sur des droits relevant d’une succession à venir, le droit qu’il crée n’est
qu’éventuel car il dépendra de la succession. En ce sens, il y aurait pacte sur successions future
prohibé lorsque le pacte confère un droit simplement éventuel, donc « en suspens ».
Ex : héritier qui renonce à ses droits sur la succession d’autrui renonce à simple expectative
de ce qu’il pense recevoir plus tard dans cette succession.
Ex : défunt dispose de son patrimoine envers autrui ne peut céder que des expectatives, car
son patrimoine est incessible entre vifs.
L’idée est donc que le droit porte sur une simple expectative.
→ Evident lorsque le pacte porte sur tout ou partie de la succession : le patrimoine étant
indisponible entre vifs, le bénéficiaire ne peut être titulaire d’un droit actuel. L’acte a manifestement
un caractère successoral.
→ Plus compliqué quand le pacte porte sur un bien ou un droit déterminé, lorsque l’on
prévoit que la transmission doit se faire au décès. Par ex. la vente d’un bien précisant que le
transfert de propriété se fera au décès. La convention est conclue au regard du décès de l’auteur.,
donc elle apparaît comme liée à la succession, mais est-ce pour autant un part prohibé ? Deux
approches concevables, permettant de distinguer le pacte prohibé d’autres conventions permises :
- soit il s’agit d’un droit éventuel qui porte sur la succession → bénéficiaire n’aurait alors
qu’un droit en suspens et restant dans la dépendance du défunt qui peut tjs l’anéantir, not
en disposant entre vifs de ce même bien.
- soit il s’agit d’un droit actuel affecté d’un terme → le bien est vendu actuellement, et
seule l’exigibilité du prix et du bien est remise au décès. Le défunt ne peut ensuite
disposer du bien entre vifs : le bénéficiaire a droit actuel et né sur le bien.
Donc ce qui caractérise le pacte est qu’il porte sur un droit dans ou sur (art 722) la succession qu’il
vise et qui en est l’objet, à la différence du pacte qui ne prend la succession que comme terme d’un
droit qui lui serait extérieur.

§2 Distinction entre pacte sur succession future et conventions voisines


La Cour de cassation utilise le critère de l’éventualité du droit, ou plutôt de l’actualité du droit, pour
distinguer le pacte sur succession future prohibé d’autres situations parfaitement valables : le droit
éventuel se distingue du droit actuel affecté d’un terme ou d’une condition suspensif(ve). La
jurisprudence a donc pu valider deux types de pactes, qui ne confèrent pas de droit éventuel dans
une succession future.

→ la promesse post mortem.


Il s’agit d’une convention donc l’exécution est retardée au jour du décès d’une personne. Elle n’a
donc pas pour objet la succession en elle-même, mais un droit actuel, affecté d’un terme : le droit
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existe déjà, mais ne sera exigible qu’au jour de l’ouverture de la succession. Le promettant est tenu
dès la promesse d’une obligation dont seule l’exécution est différée au jours de son décès (il n’est
pas tenu seulement sur sa succession) ; le bénéficiaire a dès la promesse un droit né et actuel.
→ Ex vente post mortem : contrat de vente, dont transfert de propriété et paiement du prix sont
différés au décès. Dès conclusion de la vente, le vendeur perd le droit de disposer de son bien et
l’acquéreur a droit né et actuel, dont seule l’exécution est différée au décès : le vendeur/défunt est
déjà tenu et sa succession sera tenue par voie de conséquence.
→ Parfois la qualification est plus délicate, not. quand promesse de vente, dont l’exécution, càd
levée de l’option, est différée au décès du promettant ; pour vente à exécuter au décès.
v. pour vente au décès : Civ 1re, 30 mai 1985 (Bull civ I n°173 ; D 1986, 65 Najjar ; RTDCiv
1986, 391 Patarin)
v. pour promesse Civ 1re, 5 mai 1986 (Bull I n°114 ; JCP 1987 II 20851 Barret).
→ Ex reconnaissance de dette du défunt envers un héritier payable au décès
- pacte sur succession future prohibé si n’oblige le défunt que sur ce qu’il laissera à sa mort,
car il promet de payer s’il laisse quelque chose, donc cela ne crée obligation qu’à la charge de la
succession (v. Civ 1re, 4 octobre 2005, n°02-13395)
- acte valable si l’engagement pris est ferme, mais que le créancier doit attendre le décès
pour être payé, car seule l’exigibilité des différée dans ce cas (v. Civ 1re 11mars 2009 n°07-16087).

→ le pacte conditionnel.
Il s’agit des conventions qui accordent un droit à l’un sous condition suspensive du prédécès de
l’autre. Un tel pacte est valable, car il ne donne pas un droit dans la succession, mais crée un droit
actuel affecté d’une simple condition liée au décès.
Par exemple : clause d’accroissement = clause de tontine. C’est la clause par laquelle plusieurs
personnes (souvent mari et femme) achètent en commun un bien et stipulent que ce bien qu’elles
acquièrent ensemble sera réputé avoir été acquis uniquement par le survivant des deux. Elles ont
ensemble la jouissance du bien leur vie durant et prévoient que le survivant sera le seul propriétaire,
sans que l’autre l’ait jamais été. Chacune des parties est titulaire de ses propres droits sur le bien,
sous condition résolutoire de son prédécès ; et elle est titulaire des droits de l’autre sous condition
suspensive du prédécès de l’autre.
La Cour de cassation a depuis longtemps considéré que la clause de tontine est un pacte
conditionnel, donc valable, et non un pacte sur successions future prohibé
Ch mixte 27 nov 1970 (Bull ch mixte n°3 ; D 1971, 81 concl contraire Lindon ; RTDCiv
1971, 400 Savatier ; Grands arrêts n°136) : en l’espèce l’acte prévoit que le premier mourant sera
réputé n’avoir jamais eu de droit à la propriété de l’immeuble qui appartiendra en totalité au
survivant, considéré comme unique propriétaire, comme s’il l’avait toujours été. La Cour estime
que cela ne crée pas de droit privatif sur la succession du prémourant, mais un droit actuel au jour
de l’acquisition, sous condition du prédécès de son cocontractant.
Il faut correctement rédiger sa clause de tontine, not. ne pas dire que les parts du prédécédé doivent
« revenir au survivant » par ex. Mais il faut dire que sera seul acquéreur celui qui survit à l’autre.

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SECTION 2 LES EXCEPTIONS AU PRINCIPE : LES PACTES SUR SUCCESSION FUTURE


EXCEPTIONNELLEMENT AUTORISÉS
Alors qu’en 1804 le principe de la prohibition était énoncé avec force à l’article 1130 alinéa 2 et
constituait un aspect essentiel de l’ordre public successoral, le législateur a progressivement admis
des dérogations de plus en plus nombreuses à cette prohibition en raison de l’utilité sociale de
certains pactes sur successions future - intérêt familial, sécurité du commerce, intérêt des entreprises
(§1). Cependant, les exceptions récentes issues de la loi du 23 juin 2006 le sont davantage dans un
intérêt économique individuel (§2). Illustration d’un changement de l’ordre public successoral, et
par là de la logique familiale du droit des successions au profit d’une vision économique, d’une
« contractualisation » du droit des successions.

§1 Les pactes autorisés par le Code civil et les lois anciennes


Dès 1804, Le Code civil a pu admettre certains pactes pour des raisons familiales, notamment en
raisons du contexte matrimonial dans lequel ils prennent place, même si par ailleurs se révèle
socialement ou économiquement utile
→ L’institution contractuelle par contrat de mariage ou entre époux
Le Code a toujours autorisé les donations de biens à venir dans le contexte matrimonial :
- soit par contrat de mariage, quand faites aux époux par des tiers ou ascendants, et quand
faites entre époux.
- soit durant le mariage entre époux = donation au dernier vivant
Il s’agit évidemment de pactes sur succession future, puisque l’on va instituer un époux héritier par
une convention dont l’objet est constitué par des biens ou droits dans la succession à venir. D’où
entorse à l’irrévocabilité spéciale des donations autant qu’à la prohibition des pactes : le donateur
conserve le droit de disposer entre vifs de son patrimoine (sous réserve de l’irrévocabilité liée au
contrat de mariage).

→ La donation-partage d’un ascendant envers un descendant


La donation-partage (art 1075) vise la convention par laquelle un ascendant effectue un partage
anticipé de sa succession entre les descendants, auxquels est transférée immédiatement la propriété
des biens successoraux, alors même qu’ils n’auront la qualité d’héritier qu’au décès de l’ascendant.
On peut y voir des pactes sur la succession future de l’ascendant, en ce qu’il partage celle-ci par
anticipation.

→ La clause commerciale (article 1390 issu de la loi du 13 juillet 1965)


La clause commerciale est la clause du contrat de mariage permettant au survivant des époux de
recueillir à titre onéreux dans la succession de son conjoint l’un de ses biens personnels ou propres :
soit il se fait attribuer le bien lors du partage s’il a des droits dans la succession ; soit il l’acquiert à
titre onéreux des héritiers.
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On l’appelle clause « commerciale » car en pratique elle était avant tout stipulée pour le fonds de
commerce, qui appartient à un seul époux mais est exploité par les deux : elle permet au CS de
conserver le fonds, moyennant paiement de son prix aux héritiers.
Lorsqu’une telle clause porte sur un bien commun, c’est une cv° de partage de la communauté
(valable) ; lorsqu’il s’agit d’une acquisition à titre gratuit, c’est une institution contractuelle
(donation de biens à venir, valable car entre époux). Mais lorsqu’elle est prévue à titre onéreux et
porte sur un bien propre du conjoint prédécédé, la clause confère un droit sur le bien au CS, droit
qui ne s’ouvrira qu’au décès : d’où interrogation quant à sa validité.
Malgré l’utilité de la clause et contre la pratique courante, la Cour de cassation avait annulé cette
clause commerciale comme constituant un pacte sur succession future prohibé :
Civ 11 janvier 1933 Crémieux (GA n°134) : « toute stipulation ayant pour objet d’attribuer
un droit privatif sur tout ou partie d’une succession non ouverte constitue un pacte sur succession
future prohibé par la loi, encore que celui de la succession duquel il s’agit y ait consenti ; que cette
prohibition est formelle et d’ordre public, et ne comporte d’autres dérogations que celles qui sont
limitativement déterminées par la loi ».
L'analyse technique est exacte en ce que droit reste éventuel. Mais la solution est contestable car le
pacte est utile ; et interroge car il est curieux que le pacte soit nul quand prévu à titre onéreux, mais
valable quand à titre gratuit en tant qu’institution contractuelle admise entre époux.
D’où loi du 13 juillet 1965 a contré cette jp en admettant la validité de la clause commerciale à
l’article 1390 Code civil, et ce rétroactivement.
La loi du 23 juin 2006 est venu renforcer cette solution en ajoutant un alinéa 2 à l’article 1390
permettant à l’époux qui exerce cette faculté reconnue par la clause d’exiger des héritiers qu’ils lui
concèdent un bail sur l’immeuble dans lequel le fonds de commerce est exploité.

→ Renonciation anticipée à la succession du conjoint en cas de séparation de corps (art 301)


Introduit par la loi du 11 juillet 1975 et amendé par la réforme du divorce du 26 mai 2004.
Quand époux demandent la SC par consentement mutuel, la cv° définitive réglant les suites de cette
séparation peut comporter une renonciation par eux aux droits que la loi leur donne dans la
succession de l’autre. Il y a bien ici pacte sur succession future, car on renonce à un droit dans une
succession non ouverte (pacte abdicatif). Validité par faveur à la paix des familles et aux époux.

→ La continuation de la société avec certains héritiers


La loi permet que les statuts sociaux règlent par avance le sort des droits de l’associé décédé. En
particulier, les statuts peuvent permettent aux associés de refuser l’entrée d’une personne dont ils ne
veulent pas (héritier ou légataire). Il est donc permis conventionnellement d’organiser la transition
des droits sociaux. Ces pactes servent l’intuitu personae de la société.

§2 L’extension par la loi du 23 juin 2006.


Les pactes sur succession future consacrés dans la loi de 2006 répondent à un souci économique de
volonté individuelle dans la gestion et transmission du patrimoine. Deux exemples :
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→ Les donations partage trans-générationnelles


La loi de 2006 a accentué la consécration des donations-partage en admettant les donations-partage
trans-générationnelles (art 1075-1 C. civ.) : elles permettent le partage entre descendants de degré
différents. D’où cela suppose que l’héritier en rang utile renonce par avance à sa part de réserve
pour en faire bénéficier l’héritier de rang suivant. Elle peuvent alors constituer des pactes sur
succession future, en ce que l’on renonce à des droits dans une succession non encore ouverte, en
particulier à des droits sur la réserve et car le défunt renonce à sa liberté de tester.
But en apparence familial, mais surtout économique, car il s’agit de favoriser le passage des biens
aux jeunes générations.

→ La renonciation anticipée à l’action en réduction


Le Code civil de 1804 connaissait déjà des renonciations par des héritiers réservataires à demander
la réduction d’une libéralité consentie par le défunt :
- article 918 ancien (issue de 1804) prévoit que les aliénations contre rente viagère ou à
fonds perdu faites à un successible en ligne directe sont présumées être des donations déguisées. Il
considère ensuite que le consentement des cohéritiers à cette aliénation vaut renonciation de leur
part à demander la réduction de cette libéralité au décès du disposant. Dans ce second aspect, pacte
sur succ future (ici favorable au successible bénéficiaire de la donation déguisée).
- article 930 al 2 (introduit par loi du 3 juillet 1971) : le consentement d’un héritier
réservataire à l’aliénation d’un bien donné que ferait le donataire vaut renonciation de leur part à
demander la réduction contre le tiers acquéreur.
La loi de 2006 a généralisé les possibilités de renoncer par anticipation à l’action en réduction des
libéralités, à l’article 929 : « l’héritier peut renoncer à exercer l’action en réduction dans une
succession non encore ouverte ». Constitue évidemment pacte sur succession future, même si loi
prévoit un certain encadrement : not. ne se fait qu’au profit d’une personne donnée et doit être reçu
devant notaire.
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CHAPITRE 2 LA RÉSERVE HÉRÉDITAIRE

Notion générale. La réserve héréditaire peut être définie comme une fraction de la succession
soustraite à la libre disposition du défunt ; ou comme une « portion de ses biens dont une personne
ne peut disposer à titre gratuit » (M. Grimaldi). Cette fraction est alors réservée à certains héritiers,
appelés héritiers réservataires.
La réserve constitue en cela une part irréductible de la succession réservée à certains héritiers, qui
échappe à la libre volonté du défunt. Le reste de la succession, laissé à la libre disposition du défunt,
est appelé la quotité disponible (QD) : voir article 912 issu de la Loi de 2006
La réserve constitue une manifestation de l’OP successoral, puisqu’elle fixe une limite quantitative
à la liberté de disposer à titre gratuit. Si le défunt outrepasse cette limite, les héritiers réservataires
pourront protéger leur réserve en demandant la réduction des libéralités excessives.

Evolution et fonctions de la réserve


→ Dans l’Ancien droit, antérieur au Code civil, la conception de la réserve était différente dans
les pays de droit écrit et les pays de coutume :
→ dans les systèmes de succession testamentaire reposant sur la volonté du défunt, la
réserve apparaît comme une limite à la volonté, instaurée avant tout pour protéger les proches
parents en raison d’un devoir de famille.
En droit romain : la légitime limite la liberté du défunt
En droit écrit : la réserve est la pars bonorum ; par opposition à la pars hereditatis.
La réserve apparaît comme une exception aux règles de dévolution et est exercée contre la
succession ; le réservataire est un parent (descendant, ascendant), alors que le successeur peut-être
quelqu’un d’autre, institué par la volonté ; le bénéficiaire peut faire action en complément de la
légitime qui lui permet de récupérer la valeur nécessaire pour compléter sa légitime
→ dans les systèmes de succession légale, l’héritage repose avant tout sur une fonction
familiale : c’est la loi qui désigne impérativement les successeurs. Dès lors, la réserve apparaît
comme un moyen de renforcer la dévolution légale, en ce qu’elle permet d’éviter que par la volonté
les biens ne passent à des étrangers : elle assure la conservation des biens dans la famille. La réserve
apparaît comme le principe, car elle traduit la fonction même de l’héritage, la QD étant l’exception.
Pays de coutume où la réserve est pars hereditatis.
La réserve bénéficie aux héritiers, mais en ce qu’ils viennent à la succession, donc pas aux
renonçants et s’exerce dans la succession (et pas contre) ; elle porte sur les biens d’origine familiale
pas sur les acquêts ; elle protège contre les legs faits par le défunt ; elle permet aux réservataires de
récupérer les biens en nature.

→ Le Code civil de 1804 adopte un droit successoral qui mêle succession légale et succession
volontaire. Dès lors la réserve apparaît de nature plus ambiguë : elle remplit la fonction d’un devoir
de famille (comme la légitime), mais elle est vue comme une part de la succession (comme la
réserve coutumière). D’où :
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→ la réserve assure une fonction de cohésion familiale : elle permet d’assurer la


conservation des biens dans les familles ; elle traduit un devoir d’assistance entre proches parents ;
elle assure l’égalité entre enfants, car l’inégalité ne pourra se faire que dans le cadre de la QD, en
avantageant un enfant par donation ou legs. En tant qu’expression d’un devoir de famille, elle
bénéficie à un cercle familial restreint aux proches parents, not. en ligne directe entre parents et
enfants (historiquement dans les 2 sens), sorte de continuation de l’obligation alimentaire après la
mort (même si analogie pas totale). Les parents en ligne collatérale ne seront pas réservataires.
→ la réserve est également une part de la succession : techniquement, la réserve s’exprime
en quotité, l’autre fraction est la QD. Ainsi, QD + réserve = la succession ; en d’autre termes,
réserve = succession – QD. C’est donc une quote-part réelle de la masse successorale.
v. la définition donnée par Ch réunies 27 nov 1863 Lavialle (GA n°139) : « la réserve n’est
autre chose que la succession elle-même diminuée de cette portion » (disponible)
En conséquences de cette nature successorale de la réserve :
- elle bénéficie aux héritiers, mais en tant qu’héritiers (ès qualité), donc ils doivent être
appelés et venir à la succession. La dévolution de la réserve se fera donc ab intestat (pas de réserve
pour ceux exclus de la succession).
- elle apparaît comme une réserve collective. La loi fixe la fraction disponible de la
succession, non la part de réserve revenant à chaque héritier : protection de la famille comme un
ensemble. D’où renonciation par un réservataire accroît la part des réservataires acceptant.
- elle devrait bénéficier au réservataire en nature, pas slt en valeur : nature réelle de la
réserve qui n’est pas seulement un droit de créance contre la succession.
D’où dans le Code civil de 1804, la réserve apparaît comme un droit absolu pour l’héritier, en ce
que le défunt ne pouvait jamais exhéréder totalement un réservataire : caractère d’ordre public de la
réserve. En revanche, il pouvait librement disposer de la QD.

→ Loi du 23 juin 2006.


L’institution de la réserve a suscité des critiques, not. pour des raisons d’ordre économique : elle
entraverait la transmission des biens, not. des entreprises petites et moyennes, qui souvent
constituent l’essentiel du patrimoine. La réserve conduit alors à transmettre l’entreprise aux
réservataires et risque de conduire au morcellement du patrimoine ou à la licitation, ou risque de
transmettre à un réservataire inapte à continuer l’activité, alors que le défunt est empêché de donner
ou léguer à un parent plus compétent ou à un tiers.
Dès avant la réforme de 2006, des entorses aux règles classiques de la réserve ont pu voir le jour,
not. quant à sa nature réelle : on a par ex. admis de plus en plus d’hypothèses dans lesquelles la
réduction des libéralités excessives se faisait en valeur et non plus en nature. Dans ce cas, le gratifié
conserve le bien en nature et ne doit restituer à la succession que montant en valeur de ce qui
excède le disponible.
Les lois de 2001 et surtout de 2006 ont profondément modifié le sens de cette réserve héréditaire,
voire remis en cause cet élément fondamental de l’OP successoral, au profit de considérations
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économiques se traduisant par renforcement de la volonté du défunt1. Et ce alors même que la loi de
2006 a affirmé avec force l’existence de la réserve à l’art 912.
→ modification des bénéficiaires de la réserve : traduction du changement du sens familial
du droit des successions. La loi de 2001 a accordé le bénéfice de la réserve au conjoint survivant
dans certains cas. La loi de 2006 a supprimé la traditionnelle réserve des ascendants, leur accordant
simplement compensation alimentaire ou droit de retour légal.
→ modification de la nature réelle de la réserve : le dépassement de la QD n’est plus
sanctionné par une réduction en nature des libéralités, mais par une réduction en valeur. Dès lors, la
réserve apparaît moins comme une pars hereditatis, que comme un droit de créance contre la
succession. Sauf cas spécifique not de l’insolvabilité du gratifié.
→ diminution du caractère d’OP de la réserve : la loi de 2006 admet que l’héritier
présomptif puisse renoncer par anticipation à l’action en réduction, avec le consentement du défunt
et si au profit de personnes déterminées.
→ la QD devient variable, en ce que l’enfant renonçant n’est pas compris dans le calcul de
la réserve, sauf si représenté. La réserve dépend du nombre d’enfants acceptant de la succession.

D’où fort changement du sens même de la réserve héréditaire qui n’apparaît plus comme un
instrument de cohésion de famille et l’expression d’un réel devoir de famille, mais davantage
comme un droit individuel de créance de l’héritier contre la succession. D’où conception plus
économique de la réserve, qui va de pair avec l’accroissement de la liberté reconnue au défunt pour
aménager la transmission de son patrimoine.
Actuellement, réflexions quant à de nouveaux aménagements de la réserve,
v. le rapport du groupée travail sur la réserve héréditaire (sous a direction de C. Pérès), remis
à la Ministre de la Justice le 13 décembre 2019

Pour exposer le régime actuel de la réserve héréditaire, il convient de voir quels sont les
bénéficiaires de la réserve (Section 1), quel est la taux de la réserve, à savoir déterminer la QD
ordinaire, la QD spéciale entre époux, et voir comment se combinent les deux quotités (Section 2).

SECTION 1 LES BÉNÉFICIAIRES DE LA RÉSERVE HÉRÉDITAIRE


Pour faire valoir des droits à la réserve, il faut avoir la qualité de réservataire (§1) et venir à la
succession (§2).

§1 La qualité d’héritier réservataire


Pendant longtemps, la qualité d’héritier réservataire était réservée aux parents en ligne directe. Les
réformes de 2001 et 2006 ont modifié cette situation en supprimant la réserve des ascendants en
2006 et en accordant une réserve au conjoint survivant en 2001.

1v. P. Catala : « La réserve héréditaire française a rompu le 1er janvier 2007, avec mille ans de réserve coutumière et
deux siècles de Code civil ».
12

A/ La réserve des descendants


Les descendant sont héritiers du premier ordre. L’article 913 leur accorde une réserve héréditaire,
par ailleurs la plus importante en quotité.
Tous les descendants sont réservataires et ce :
→ quel que soit leur degré de parenté. L’article 913-1 précise que cette réserve bénéficie à
tous les descendants en ligne directe, quel que soit leur degré de parenté avec le défunt. Ainsi
enfants, petits-enfants, arrière petits enfants …
→ quelle que soit la nature de la filiation. Que la parenté soit « légitime », « naturelle » ou
adoptive voire adultérin aujourd’hui. Une seule exception à cette égalité entre filiations : l’enfant
adopté simple n’est pas réservataire à l’égard des ascendants de l’adoptant (article 368 alinéa 2).
Car on veut maintenir intacte la liberté testamentaire des parents de l’adoptant. S’explique car
adoption simple a souvent vocation patrimoniale, donc on limite cette « institution d’héritier » au
seul parent adoptant, mais pas face à ses propres ascendants. Et ce, même si l’enfant adopté simple
vient à la succession de son grand père adoptif par représentation de son père adoptif (Civ 1re, 1er
mars 1977, D 1977, 541 Donnier).

B/ La suppression de la réserve des ascendants


→ Avant la réforme de 2006, les ascendants en ligne directe bénéficiaient d’une réserve. Car idée
qu’envers eux également s’exprime un devoir d’assistance, sorte d’obligation alimentaire.
Cela valait, comme pour les descendants, quel que soit le degré de parenté (parents ; grands-parents
etc …) et quelle sur soit la nature de la filiation (avec même réserve de l’adoption simple).
Cette réserve des ascendants était identique, quel que soit le nombre d’ascendants : ils avaient droit
à ¼ de la succession pour chaque ligne (art 914), d’où QD de la moitié de la succession. Si pas
d’ascendant dans une ligne : QD des ¾ de la succession.
Pour en bénéficier il fallait venir en rang utile ; l’ascendant le plus proche en degré dans chaque
ligne recueillait la réserve
→ La réforme de 2006 a supprimé cette réserve des ascendants.
Raison avancée est double : ascendants seraient protégés par existence d’une OA ; cette réserve
serait mal vécue quand liens distendus entre DC et ses parents. Symbolique forte car rupture avec
fonctions traditionnelles de la réserve : not. lien avec devoir alimentaire ; voire cohésion familiale.
Compensation :
→ création du droit de retour légal de l’article 738-2 au profit des père et mère. On a pu dire
que création d’une sorte de « petite réserve » au profit des père et mère, à hauteur de leurs droits
successoraux, soit du ¼ de l’actif, la réserve s’exerçant sur les biens donnés.
→ droit alimentaire des ascendants ordinaires contre la succession si sont dans le besoin.

C/ L’attribution d’une réserve au conjoint survivant


La loi du 3 décembre 2001, complétée par celle de 2006, a introduit une réserve au profit du CS à
l’article 914-1. Cette « réserve matrimoniale » lui bénéfice à une double condition :
→ Elle bénéficie au conjoint, càd au conjoint survivant non divorcé au jour du décès
13

→ Elle ne bénéficie au CS qu’en l’absence de descendants (art 914-1).


L’idée est d’éviter un cumul de réserves : or auj seuls descendants sont réservataires.
La loi de 2001 avait prévu en l’absence de descendants et d’ascendants → supprimé par loi
de 2006, puisque ascendants ne sont plus réservataires.
D’où s’il y a des descendants, communs ou non, le CS n’a pas de réserve : le défunt peut donc
entièrement l’exhéréder. S’il n’y a aucun descendant, le CS bénéficie de la réserve.
Le CS est davantage protégé contre des libéralités lorsqu’il n’y a pas d’enfants, que quand il y a des
enfants → dans ce dernier cas, il n’est pas réservataire donc peut être entièrement exhérédé. Cela
amène à se demander si la voie de la réserve est bien le bon moyen d’assurer une protection du CS.

D’où depuis 2006, resserrement des bénéficiaires de la réserve autour de la famille ménage. Mais
pour faire valoir leur réserve, encore faut-il que les bénéficiaires viennent à la succession.

§2 La nécessité de venir à la succession.


La réserve reste perçue comme une part successorale, une pars hereditatis. Il faut donc que le
bénéficiaire vienne effectivement à la succession : que soit en rang utile et que ne renonce pas.

→ 1re exigence : Le bénéficiaire doit être appelé à la succession


- Le réservataire indigne ne vient pas à la succession, donc ne peut prétendre à sa réserve
- Le réservataire doit être en rang utile pour venir à la succession. Ainsi, si le réservataire est primé
par un héritier préférable, il ne peut faire valoir ses droits à la réserve.
C’est le cas quand descendants de degré différents existent au sein du 1er ordre.
Ex : si les enfants sont appelés à la succession ; les petits-enfants sont primés étant plus
éloignés en degré. Ils ne peuvent faire valoir leur droit à réserve.
C’était le cas également avant 2006 lorsque les ascendants étaient primés par des héritiers d’un
ordre préférable
Ex : Défunt laisse frère et grand-père maternel. GP, ascendant ordinaire du 3e ordre, ne peut
faire valoir son droit à réserve, car primé par le frère (2e ordre). D’où si DC a institué un tiers
légataire universel, il récupérait toute la succession.

→ 2e exigence : Le bénéficiaire ne doit pas renoncer à la succession


Pour bénéficier de ses droits à la réserve, le réservataire ne doit pas non plus renoncer à la
succession. S’explique car réserve est une part de succession.
En cas de renonciation, il ne peut donc prétendre à sa réserve, ce qui soulève deux interrogations :
- que devient sa part de réserve ? augmente-t-elle le disponible ou celle des autres ?
- comment doivent s’imputer d’éventuelles libéralités en avancement de part successorale
dont aurait bénéficier cet héritier renonçant ? Il peut conserver cette libéralité même s’il renonce à
sa succession, mais il faut voir si elle peut effectivement s’exécuter, donc si n’excède pas la part
dont DC pouvait disposer (v. sur ce point infra quant à la réduction des libéralités)
14

SECTION 2 LA DÉTERMINATION DE LA RÉSERVE


Il s’agit de déterminer ici le taux de la réserve, càd la quotité de la réserve accordée à chacun des
bénéficiaires. Il y a dans l’absolu deux manières de concevoir cette détermination :
- soit fixer individuellement cette fraction, selon chaque héritier
- soit le fixer collectivement, en tant que quote-part de l’ensemble de la succession ; et il
faudra ensuite dans un 2e temps répartir cette quote-part entre réservataires.
C’est la seconde voie que choisit le droit français, marquant le caractère collectif de la réserve. Il
détermine donc une réserve globale ; ensuite faudra le cas échéant fixer les réserves individuelles.
Plus spécialement, les textes fixent le montant de la QD : il faudra donc déduire la réserve par
soustraction de la QD à la succession → R = succession – QD.

La détermination de la QD, donc de la réserve, varie selon la qualité de l’héritier réservataire et


selon leur nombre quand sont en cause les descendants ; mais aussi selon la qualité du gratifié. De
ce fait, il convient de distinguer la QD ordinaire, en cas de libéralités faites à des tiers (§ 1), la QD
entre époux, quand sont en cause des libéralités entre époux (§2), ce qui pose enfin la question du
cumul des QD, quand il existe des libéralités au conjoint survivant et aux tiers (§3).

§1 La quotité disponible ordinaire


La QD ordinaire est la fraction de la succession dont le défunt peut disposer librement dans
l’hypothèse où d’une part il laisse un héritier réservataire, d’autre part il a fait des libéralités à une
personne autre que le conjoint survivant.
Ex : défunt laisse des enfants et a fait legs un ami de longue date.
Ex : défunt laisse un conjoint et a fait une donation à une oeuvre de charité.
Dans ce cas, il faut donc déterminer à quelle fraction de la succession s’élève la QD ordinaire, afin
de savoir si les libéralités pourront s’exécuter entièrement ou s’il faut les réduire. Du montant de
cette QD se déduit le montant de la réserve.

A/ La réserve des descendants.


Il convent de déterminer la réserve globale des descendants (1°), puis la répartition de celle-ci entre
eux, afin de fixer leur réserve individuelle respective (2°).

1°) La réserve globale des descendants.


Deux questions : quel est le taux, le montant de cette réserve ; quelle est l’incidence sur celui-ci du
prédécès, de l’indignité ou de la renonciation de l’un des descendants ?

a) Le montant de la réserve
Le taux de la réserve est déterminé par l’article 913 et varie selon le nombre d’enfant :
- si défunt laisse un enfant → la QD est de ½ ; donc réserve de ½
- si défunt laisse 2 enfants → la QD est de 1/3 ; donc réserve des 2/3
- si défunt laisse 3 enfants ou plus → la QD est de ¼ ; donc réserve des ¾
15

Donc d’une façon générale on peut dire que la QD est égale à une part d’enfant.
Si le défunt a plus de 3 enfants, la QD reste invariable, afin qu’il puisse toujours disposer d’une
partie de son patrimoine, même dans les familles nombreuses.

b) Prédécès, indignité ou renonciation d’un enfant


Idée générale : l’article 913 évoque les « enfants » du défunt non les « descendants » appelés à la
succession, donc on calculera par souches (cf art. 913-1).
→ En cas de prédécès d’un enfant
L’article 913 raisonne par « enfants » du défunt, dès lors, il convient de garder ce raisonnement
même si un « enfant » est prédécédé et que ses propres descendants (plus nombreux) viennent à la
succession en représentation de leur auteur prédécédé.
En ce sens, l’article 913-1 indique que « sont compris dans l’article 913, sous le nom d’enfants, les
descendants en quelque degré que ce soit, encore qu’ils doivent être comptés que pour l’enfant dont
ils tiennent la place dans la succession du disposant ».
Cela signifie que, quand des descendants au delà du 1er degré viennent à la succession, le taux de la
réserve est déterminé par nombre de souches – peu importe que les descendants viennent de leur
propre chef ou par représentation, car le texte indique « tiennent la place ».
Exemple : défunt a deux enfants prédécédés, qui ont eu respectivement 1 et 2 enfants. Il
laisse donc trois petits-enfants. Ceux-ci viennent à la succession en représentation de leur auteur. La
QD se compte par souches = 2 car 2 enfants, d’où une QD de 1/3 (et non de ¼).
Exemple : défunt laisse deux petits enfants d’un fils unique prédécédé. Ils viennent à la
succession de leur propre chef. QD est de ½ (et non des 1/3).

→ En cas de renonciation d’un enfant


En cas de renonciation d’un enfant, la question est de savoir s’il faut tenir compte de cet enfant pour
calculer le taux de la réserve, même s’il ne vient pas à la succession pour exercer cette réserve.
Exemple : défunt laisse 3 enfants. L’un renonce. Faut-il prendre en compte 2 ou 3 enfants
pour calculer la QD et la réserve ?
La jp avait posé de longue date une solution, à laquelle la loi de 2006 est venue apporter des
modifications, tenant aussi au fait que depuis 2006, la représentation joue en cas de renonciation
alors que ce n’était pas le cas savant :
→ la jp ancienne considère qu’en cas de renonciation d’un enfant, il faut tenir compte de cet
enfant dans le calcul de la réserve. En ce sens, la renonciation de l’enfant apparaît sans influence sur
ce calcul. D’où – dans l’exemple – la fait que l’un des 3 enfants renonce ne change rien dans le
calcul de la réserve → elle sera des ¾ (QD de ¼) et se partagera entre les deux enfants venant à la
succession. Cette solution joue même si dans l’exemple 2 des 3 enfants renonçaient.
v. Civ 18 février 1818 Laroque du Mons ; 13 août 1866 Dufeu (GA 11e éd. N°136).
Raison. La Cour de cassation le justifie par l’idée que l’article 913 vise les enfants laissés, non pas
ceux qui viennent à la succession ; aussi par l’idée que la réserve assure une protection collective,
donc que la QD devrait être invariable et des événements ultérieurs ne pourraient accroître ou
16

restreindre droits que le défunt pouvait exercer de son vivant (discutable). On peut avancer raison
théorique qui serait de dire que la réserve est une part successorale, qu’il faut donc traiter comme la
succession. Or dans la succession, la part du renonçant accroît celle des cohéritiers ; donc même
chose pour la réserve : la part du renonçant doit accroître celle des co-réservataires.
Raison pragmatique : renonciation souvent due au fait que le renonçant veut garder le bénéfice
d’une libéralité rapportable. Il la garde dans la limite de la QD. Donc si sa renonciation devait
augmenter la QD, il gagnerait doublement.

→ Loi de 2006 introduit une distinction selon que l’enfant renonçant est ou non représenté.
En cas de renonciation d’un enfant qui est représenté à la succession : il sera compté dans le calcul
de la réserve (comme avant).
En revanche, le renonçant non représenté (car n’a pas de descendants) n’est pas pris en compte dans
le calcul de la réserve, sauf s’il est tenu au rapport selon l’article 845 c’est-à-dire si le défunt a
expressément imposé le rapport en cas de renonciation (art 913 alinéa 2). L’exception se justifie car
sinon la QD augmente à son profit.
D’où depuis 2006, le renonçant n’est compté dans le calcul de la réserve que s’il est représenté ; ou
s’il est expressément assujetti au rapport en cas de renonciation.
Ex : si sur les 3 enfants, l’un renonce sans être représenté, sans être assujetti au rapport→ il
ne compte plus dans le calcul de la réserve → 2 enfants → QD du 1/3. D’où cela déjoue les
prévisions du DC puisque la QD plus importante que ce qu’il a prévu.
Ex : si l’enfant renonçant est représenté, il est pris en compte dans le calcul de la réserve →
3 enfants : QD de ¼ ; réserve des ¾.
Ex : si enfant renonçant assujetti au rapport car a reçu libéralité rapportable → on le compte
dans la réserve → 3 enfants : QD de ¼.

D’où pour le renonçant, depuis la loi de 2006 les choses changent en ce que d’une part, le
renonçant peut être représenté : il est pris en compte pour le calcul de la réserve comme avant, mais
sa part de réserve ne revient plus aux autres réservataires, mais à sa souche, donc à ses représentants
(enfants) ; d’autre part, le renonçant non assujetti au rapport ne compte plus dans la réserve : toute
la réserve va aux autres, mais comme s’ils étaient seuls (donc plus petite réserve).

→ En cas d’indignité d’un enfant


Avant 2001, l’indigne ne pouvait pas être représenté, mais l’on transposait la jp relative à la
renonciation et on considérait que devait être pris en compte dans le calcul de la réserve.
Depuis 2001, l’indigne peut être représenté, donc même solution, en ce que l’article 913-1 prévoit
dans ce cas un calcul par souches. Il sera pris en compte si représenté.

A noter dans ces cas de renonciation ou indignité, que si tous les réservataires enfants renoncent, il
n’y a plus de réservataire et le défunt peut disposer de toute sa succession. La part de réserve ne
peut donc pas profiter aux autres héritiers.
17

2°) La répartition de la réserve globale : détermination des réserves individuelles


Lorsqu’il y a plus d’un descendant il faut répartir entre eux la réserve globale pour déterminer la
fraction de réserve qui revient à chacun.
Cette répartition se fait en partant de l’idée que la réserve constitue une part de la succession. Dès
lors, la répartition suit les règles de la dévolution légale :
- partage égal par souche
- à l’intérieur de chaque souche, partage égal par tête.
Exemple : défunt laisse deux enfants → réserve 2/3 → partage égal par tête ; 1/3 chacun
Exemple : DC laisse 3 petits enfants, issus d’un fils unique prédécédé → réserve de ½ (913-1) d’où
part individuelles = 1/6
Exemple : DC laisse un fils et deux petits-enfants issus d’un fils prédécédé. Réserve est des 2/3 (car
deux souches, article 913-1).
Partage égal par souche → 1/3 fils vivant ; 1/3 souche du prédécédé
Partage par tête dans le souche du prédécédé → 1/6 chacun.

A noter : avant la loi de 2001, l’enfant adultérin voyait sa part de réserve réduite quand en concours avec des
enfants légitimes, selon l’article 915 : sa réserve était la moitié de celle qu’il aurait eu s’il avait été légitime.
L’autre moitié accroît la part de réserve des enfants légitimes (ainsi dédommagés). Par ailleurs, il ne pouvait
recevoir toute la QD comme le pourrait une personne quelconque. L’article 908 prévoyait que quand en
concours avec des légitimes, il ne peut recevoir au-delà de sa part successorale.

B/ La réserve du conjoint survivant


Le CS bénéficie d’une réserve en l’absence de descendants (article 914-1). Sa réserve sera donc
toujours subsidiaire par rapport à celle des descendants.
Le taux de cette réserve est fixe, invariable : il est du ¼ de la succession.

D’où la QD ordinaire est celle qui s’applique en cas de libéralités faites à des tiers, afin de réserver
une part intangible de la succession aux descendants ou au conjoint survivant → protection des
réservataires contre des libéralités excessives.

§2 La quotité disponible spéciale entre époux


La faveur aux libéralités entre époux explique que le législateur ait prévu une QD spéciale entre
époux, càd une évaluation spécifique de la part de succession dont le défunt peut librement disposer
en présence de libéralités faites à son conjoint. Initialement, se justifie par le traitement défavorable
réservé au conjoint sur le terrain de la dévolution : on permet au défunt de disposer plus à son égard
qu’à l’égard d’un tiers → extension de la QD prévue en faveur du conjoint survivant (A).
Mais, comme cette extension entraîne évidemment une diminution de la part des réservataires, not.
des descendants, il a fallu prévoir leur protection, en particulier en cas de descendants issus d’un
précédent mariage du défunt : ces enfants d’un 1er lit n’héritent que du défunt, mais pas du conjoint,
donc risque qu’ils soient lésés par l’extension de la QD au profit du conjoint (B).
18

A/ L’étendue de la quotité disponible spéciale entre époux


La loi a prévu une QD modifiée en présence de libéralités faites au conjoint : ces libéralités seront
donc moins susceptibles d’être réduites que celles faites à des tiers.
Avant la loi de 2006, cette quotité disponible spéciale (QDS) était variable selon la qualité des
héritiers réservataires, càd selon qu’était en cause des ascendants ou des descendants. Depuis 2006
la QDS ne subsiste plus qu’en présence de descendants, seuls réservataires restants (hormis CS).

1°) Disparition de l’ancienne QDS en présence d’ascendants.


Avant la loi de 2006, s’agissant des ascendants, ils bénéficiaient d’une réserve d’1/4 pour chaque branche au
titre de la QD ordinaire. Cette réserve était réduite en cas de libéralités faites au CS donc la QD était
augmentée → la QDS = QD ordinaire + la nue-propriété de la réserve des ascendants :
si un ascendant dans chaque ligne → ½ en PP + ½ en NP ;
si ascendant dans une seule ligne ¾ en PP + ¼ en NP.
D’où chaque ligne ne pouvait opposer au CS qu’une réserve réduite à ¼ en U.
La loi de 2006 a supprimé la réserve des ascendants, donc l’article 1094 dans sa rédaction initiale. D’où en
présence d’ascendants, le CS peut, comme un tiers, recevoir toute la succession en PP par voie de libéralités
→ sauf présence de descendants évidemment !

2°) Seule hypothèse actuelle : la QDS en présence de descendants (article 1094-1)


Depuis la loi de 2006 la QDS n’existe plus que dans l’hypothèse où le conjoint survivant est en
concours avec des descendants du défunt.

a) Le montant de la QDS en présence de descendants (article 1094-1 alinéa 1er).


Depuis la loi du 13 juillet 1963 l’article 1094-1 ouvre une option à trois branches au profit du
conjoint survivant, option maintenue par les réformes récentes, not. la loi du 23 juin 2006.
Ainsi, en présence de descendants, issus ou non du mariage, la QDS entre époux était égale :
soit à QD ordinaire,
soit à ¼ en pleine propriété (PP) + ¾ en usufruit (U) (càd U universel + ¼ Nue-Propriété)
soit totalité en Usufruit.
D’où QDS variable, au choix du conjoint.
La loi de 2001 a supprimé l’ancien article 1097 qui prévoyait une augmentation de la QDS en
présence d’un enfant adultérin (3/4 pP ou ½ PP et ½ U ; ou U universel). Auj, la QDS est donc
identique, quelle que soit la qualité des enfants et la nature de leur filiation.

Plusieurs remarques :
→ QDS est toujours plus favorable au conjoint survivant que le disponible ordinaire.
Il peut toujours au minimum recevoir autant qu’un étranger, à savoir ¼ PP (QD ordinaire minimum
en présence de 3 enfants ou plus, à savoir 1/4 de la succession).
En pratique, cette faveur au CS se manifeste différemment, en ce qu’elle sera plus ou moins
étendue, selon le nombre d’enfants présents :
19

Si 3 enfants ou plus, la QDS dans certaines de ses branches est plus importante que la QD
ordinaire, qui dans ce cas est de ¼ PP. En particulier, la 2e branche (1/4 PP et ¾ en U) est plus large
que la QD ordinaire, puisqu’elle englobe la QD ordinaire.
Quand 1 ou 2 enfants, la QDS permet au conjoint de recevoir autre chose que le pourrait un
étranger par le biais de la QD ordinaire. Cette dernière est alors de 1/3 ou ½ en PP, alors que la 2e
branche permet de recevoir moins de pleine-propriété mais davantage d’Usufruit.
D’où la spécificité de cette faveur au conjoint que constitue la QDS : elle ne lui permet pas de
recevoir systématiquement plus qu’un tiers, mais elle lui permet de recevoir autre chose qu’un tiers,
en particulier l’usufruit sur toute la succession.
Auj : intérêt quand en présence d’enfants non communs, puisque si enfants communs, c’est déjà
l’une des branches de l’option du conjoint au titre de la dévolution légale
→ Pourquoi ces 3 branches de l’option ?
Le choix donné au conjoint peut apparaître curieux, en ce que en particulier les 2 dernières branches
semblent un peu contradictoires : la 3e est incluse dans la 2e qui = la 3e + ¼ NP.
A quoi cela sert, puisque « qui peut le plus peut le moins » ? Peut s’expliquer (Grimaldi) par l’idée
que le maxi en PP reste toujours égal à la QD ordinaire ; simplement, le conjoint peut recevoir
davantage qu’un tiers, mais sous une autre forme.
→ Régime de l’option.
L’option entre les divers disponibles appartient au disposant (défunt), qui va donc choisir la branche
qui convient le mieux à son intention libérale à l’égard de son conjoint. En particulier, la choix
pourra être dicté par la qualité des enfants, not. si communs ou non. Le choix n’appartient donc pas
aux héritiers réservataires, qui pourraient préférer telle branche plutôt que telle autre.
Mais le disposant peut également déléguer ce choix au conjoint, qui au moment de l’ouverture de la
succession indiquera pour quelle QDS il opte. Clause fréquente et usuelle. Le plus souvent, le
conjoint opte dans ce cas pour l’usufruit universel (le plus rarement pour la QD ordinaire).
L’option est dans ce cas personnelle au conjoint, qui doit l’exercer dans un certain délai. S’il décède
avant d’avoir exprimé son choix, la jp considère que l’option passe à ses héritiers en considérant
qu’elle a un caractère patrimonial (à la différence de l’option du conjoint ab intestat). Les héritiers
du conjoint survivant l’exercent dans ce cas selon leur propre intérêt.

b) La faculté de cantonnement de l’émolument (article 1094-1 alinéa 2).


Cette faculté est issue de l’offre de loi de Carbonnier, mais également de la demande des notaires.
Sauf stipulation contraire du disposant, le conjoint survivant ayant reçu des libéralités peut
cantonner son acceptation à une partie des biens dont il a été gratifié : il renonce à une partie des
biens ou droits (par ex. à une partie de son usufruit universel), ce qui lui permet d’augmenter les
droits des enfants sur les biens du défunt. Entorse au principe selon lequel l’acceptation d’une
succession (l’option successorale) est en principe indivisible.
Le texte précise que cette limitation « ne peut être considérée comme une libéralité faite aux autres
successibles ». Avantage not. fiscal, en ce que les descendants pourront recueillir davantage de
biens du défunt sans payer les droits fiscaux de mutation à titre gratuit.
20

B/ La protection des descendants


Pour ne pas que la QDS ne nuise aux héritiers réservataires, la loi prévoit certaines protections : soit
pour protéger tous les descendants, quels qu’ils soient contre les libéralités en usufruit (1°) ; soit
pour protéger les enfants du 1er lit, donc non communs aux deux époux, contre les libéralités en
pleine propriété, puisque n’hériteront pas du conjoint survivant (2°).

1°) Protection de tous les descendants contre les libéralités en usufruit : conversion de l’U en
rente viagère et garanties de l’U
→ Conversion de l’U en rente viagère : élimination de l’usufruit
L’ancien article 1094-2 prévoyait des règles spécifiques de conversion de l’U en rente viagère,
lorsque cet U résultait d’une libéralité not. d’un testament – par opp° à l’U légal dont peut
bénéficier le CS. La loi de 2001 a abrogé l’article 1094-2 : les mêmes règles s’appliquent donc à la
conversion de l’U en rente qu’il soit d’origine légale ou issue d’une libéralité. On retrouve donc ici
les règles prévues à l’article 759 et s.
v. supra droits ab intestat en usufruit du conjoint en présence d’enfants communs
L’intérêt de cette conversion est que les enfants peuvent ainsi éliminer l’U, et n’ont pas à attendre le
décès du conjoint pour recouvrer la pleine propriété des biens.
→ Mesures conservatoires : protection de l’usufruit maintenu
Par ailleurs, afin de se prémunir contre une mauvaise gestion du bien par le conjoint usufruitier,
l’article 1094-3 donne aux descendants des garanties pour conserver leurs droits. Ils peuvent not.
demander à ce que soit dressé un inventaire des meubles et un état descriptif des immeubles ; ainsi
qu’exiger du conjoint l’emploi des sommes, voire leur conversion en titres nominatifs. D’où peut
venir restreindre les droits d’usufruitier du conjoint survivant.
v. par ex. Paris, 19 déc. 2007, RTDCiv 2008, 340 obs. M. Grimaldi
Ces protections valent « nonobstant toute stipulation contraire du disposant » qui ne peut donc en
priver ses enfants.

2°) Protection des enfants non communs contre libéralités en propriété (article 1098).
En présence d’enfants non communs, en particulier d’enfants du 1er lit, la loi a toujours vu avec
défaveur les libéralités faites au conjoint survivant : on craint que celui-ci ne capte la succession au
détriment de ces enfants qui n’hériteront pas de lui, donc pourraient être spoliés de leur héritage.
Par ailleurs, même dans le cadre de sa vocation ab intestat, le droits du CS sont différents en
présence d’enfants non communs, puisqu’il ne dispose que de droits en PP dans ce cas.
Sur le terrain des libéralités, ces considérations expliquaient que jusqu’en 1972, la loi protégeait
également ces enfants d’un 1er lit contre les libéralités en U, puisqu’on refusait au CS tout
supplément de disponible en U. La loi du 3 janv. 1972 a consacré l’égalité entre enfants légitimes et
naturels et a abrogé cette disposition. Mais l’article 1098 prévoyait alors une protection des enfants
du 1er lit : en présence d’une libéralité faite en PP au conjoint, ils pouvaient demander que soit
21

substitué à cette libéralité en PP, l’abandon de l’U de la part de succession qu’ils auraient recueillie
en l’absence de conjoint.
La loi du 23 juin 2006 a élargi l’application de ce texte à l’ensemble des enfants « qui ne sont pas
issus des deux époux » (donc d’un précédent mariage ou non). Donc pour se protéger contre
libéralité en PP que disposant aurait fait au conjoint, chaque enfant non commun peut demander
l’abandon de l’usufruit de la part de succession qu’il eût recueillie en l’absence de conjoint.
Ainsi l’enfant non commun a une option : soit il se contente de ce qu’il a en PP immédiatement et
ce que reçoit le conjoint lui échappe définitivement ; soit il préfère une nue-propriété plus étendue
en abandonnant l’usufruit au conjoint, mais qui ne débouchera que plus tard sur une PP
Exemple : défunt laisse outre le conjoint, un enfant issu du mariage et un enfant non commun. Il
lègue à son conjoint la QDO, soit 1/3 en PP. → chacun aurait donc 1/3 en PP. Mais à terme, l’enfant issu du
mariage récupère le 1/3 du conjoint, mais pas l’enfant non commun.
L’enfant non commun peut demander la substitution à ce 1/3 en PP de l’abandon de l’U de ce qu’il aurait eu
en l’absence de conjoint, soit ici :
Sans conjoint → 2 enfants → il aurait eu ½ en PP
Donc il peut abandonner au conjoint ½ en U.
Donc enfant non commun garde ½ NP ; conjoint a ½ U et 1/6 PP ; enfant commun 1/3 en PP
A la mort du conjoint → l’enfant légitime recueille sa part de PP, l’U revenant à l’enfant non
commun → chacun aura ½ en PP.
Alors que sinon, l’enfant légitime aurait eu 2/3 en PP ; l’autre slt 1/3.

Mais on notera que cette protection est relativement illusoire car :


- le disposant peut en priver l’enfant, en insérant une telle clause expressément dans la
libéralité faite au conjoint, puisque le texte l’accorde « sauf volonté contraire et non
équivoque du disposant ».. Or souvent clause de style.
- cette protection suppose que la libéralité faite au conjoint soit en PP, donc ne joue pas s’il
devient usufruitier de toute la succession, car rien à « abandonner » dans ce cas ; ni quant
le disposant laisse au conjoint le choix entre les 3 QDS.
- protection contraire à l’air du temps, en ce que l’on renonce à une PP immédiate pour un
« bénéfice lointain », d’autant plus si le conjoint n’a pas grande différence d’âge avec
l’enfant non commun.

§3 La combinaison des quotités disponibles


Deux QD coexistent, puisque l’étendue de la QD varie selon la personne du gratifié : QDO si
libéralité à un tiers (héritier ou non) ; QDS si libéralité au conjoint survivant.
Question : que faire lorsque le DC a consenti des libéralités à la fois au conjoint et à un tiers ?
C’est la complexe question de la combinaison des QD.
Certain : les deux QD ne se cumulent pas. Ainsi, le défunt ne peut disposer de la QD ordinaire
(QDO) en faveur d’un tiers ; et en plus disposer de la QDS en faveur du conjoint. Cela pourrait
dépasser le tout !
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Question : comment combiner ces deux QD ?


La jurisprudence a donné la solution de principe dans un arrêt Civ 1re, 26 avril 1984 (GA n°140) :
en application de cette jurisprudence, la combinaison des QD résulte donc de trois règles :

1re règle : plafond assigné à chaque libéralité : chaque gratifié ne peut recevoir plus que sa
propre QD.
La première chose à déterminer est de savoir ce que chaque gratifié peut au maximum recevoir.
Sur ce point la jp n’a jamais varié : chaque gratifié peut au maximum recevoir ce que permet sa
propre QD. Donc le tiers dans la limite de la QDO ; le conjoint dans la limite de la QDS.
Raison : bon sens, en ce que la loi a fixé cette limite à la QD que chacun doit respecter s’il est le
seul gratifié ; donc normal que aussi le cas si conjoint et tiers sont gratifiés en même temps.
D’où cela signifie que tant en quotité qu’en nature, chacun ne peut recevoir au maximum que ce que
prévoit son propre disponible :
- le tiers ce que prévoit la QDO, donc ne peut pas prétendre au bénéficie du QDS de
l’article 1094-1. Par ex., si 3 enfants, il ne peut avoir que ¼ en PP, mais pas ¼ PP et ¾ U
qui serait le disponible spécial plus important que QDO.
- le conjoint ne peut recevoir autre chose que la QDO ou QDS de l’article 1094-1. Donc ¼
PP et ¾ en U.

2e règle : plafond assigné à l’ensemble des libéralités : toutes les libéralités en doivent pas
dépasser la QD ordinaire, majoré de l’usufruit de la réserve
La deuxième question à sa poser est de déterminer le maximum dont en totalité le défunt peut
disposer, sans porter atteinte à la réserve des descendants. C’est sur ce point qu’il faut donc
procéder à une combinaison des 2 QD. La jp a évolué, avant et après 1984 :
→ avant 1984 : le total des libéralités ne doit pas dépasser la quotité la plus forte.
La Cour de cassation a considéré que l’ensemble des libéralités ne devait en aucun cas dépasser la
mesure de la quotité la plus étendue. D’où il fallait comparer les deux disponibles, pour savoir
lequel est le plus étendu.
Facile quand l’une des QD est contenue dans l’autre, not. en présence de 3 enfants ou plus (la QDO
est toujours moindre que la QDS).
Plus délicat quand les deux quotités se recoupent, not. en présence de 1 ou 2 enfants : la QDO
dépasse la QDS en pleine propriété ; mais la DQS dépasse la QDO en usufruit. D’où pour faire cette
comparaison entre « des pommes et des poires », la jp convertissait l’usufruit en pleine propriété
(selon l’âge et l’état de santé du CS), d’où comparaison de 2 QD en PP.
Critique : solution classique méconnait la réelle nature du disponible spécial → différence entre les
deux QD n’est pas une différence de quantité, mais avant tout différence de nature, en ce qu’il ne
s’agit pas de donner plus au conjoint mais de lui donner autrement, not. en usufruit. D’où quand
QDS est autre chose que QDO, not. quand on donne au conjoint des droits en usufruit, on ne peut
pas dire que l’un est plus étendu que l’autre.
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→ depuis la jp de 1984 : règle nouvelle : le total des libéralités ne doit pas excéder le disponible
ordinaire, majoré de ce que lui ajoute le disponible spécial (cf. M.Grimaldi).
L’idée est d’admettre l’autonomie des deux QD. Donc dans le respect de cette autonomie, on peut
admettre un certain cumul des deux QD.
Le défunt doit pouvoir donner à un tiers la QD ordinaire et à son conjoint autre chose, à savoir ce
que lui ajoute la QDS. Or ce qu’ajoute la QDS est toujours des droits en usufruit, comme il apparaît
clairement dans hypothèse où le défunt laisse 3 enfants ou plus.
Donc l’idée est de permettre au défunt de combiner les deux, dès lors qu’il ne cumule pas de droits
identiques au profit de tiers et du conjoint. Mais quand les droits sont de nature différente, cela
respecte la teneur autant que la nature des deux QD.
Il ne peut donner deux fois la même « chose », car dans ce cas cumul de QD identiques.
Donc on ne peut donner au conjoint des droits en pleine propriété si le défunt a déjà épuisé le
disponible ordinaire en pleine propriété
Mais on peut donner deux « choses » différentes, not. de la pleine propriété et de l’usufruit.
D’où même si QDO est épuisée en propriété, on pourra faire bénéficier le conjoint de l’usufruit sur
la succession, car droits de nature différentes, qui n’empiètent pas l’un sur l’autre.

Question : qu’est-ce la QDS ajoute au disponible ordinaire ? c’est l’usufruit de la réserve :


Par ex : si 3 enfants : QDO = ¼ PP ; QDS = ¼ PP + ¾ U → ¾ U est ce qu’ajoute QDS, donc
forcément un U sur les ¾ qui constituent la réserve des enfants.
Cela permet au défunt de donner plus, dans hyp où les deux QD se chevauchent, càd en présence de
un ou deux enfants, on peut partiellement cumuler les deux QD
Ex : dans l’arrêt de Civ 1re 26 avril 1984 qui a posé ce principe : le défunt a pu « léguer à
son épouse l’usufruit de la totalité des biens composant la succession par application de l’article
1094-1 (QDS) et cette libéralité, en ce qu’elle n’affectait pas la nue-propriété des biens, lui laissait
la faculté de disposer au profit d’un ou plusieurs de ses enfants de la nue propriété de la QD
ordinaire ».

3e règle : imputation des libéralités faites au conjoint survivant


Une fois déterminés ces deux plafonds, il reste à imputer les libéralités faites au conjoint et au tiers,
afin de voir si excèdent ou non ces deux plafonds. Ici encore, la règle a changé en 1984.
→ depuis 1984 :
- les libéralités faites aux tiers s’imputent exclusivement sur la QDO.
- les libéralités faites au conjoint s’imputent principalement sur la QDO quand elles sont
faites en PP ; mais sur l’excédent de la QDS quand faites en usufruit.
D’où changement quant aux libéralités faites au CS :
- si elles ne sont qu’en usufruit → imputation sur la QDS
- si elles sont en pleine propriété → principalement sur la QDO et subsidiairement sur la
QDS, auquel cas réduite car on retranche la nue-propriété.
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D’où : on procède comme suit :


→ imputation des libéralités au rang que leur assigne la loi (art 923) sur la part qui découle
de la 3e règle (donations en premier par ordre d’ancienneté ; puis les legs concurremment)
→ réduction si nécessaire dans hyp où on empiète sur la réserve. On vérifie que personne
n’a reçu plus que sa part maximale.

Exemple 1 :
Défunt a 3 enfants ; donne à son conjoint par contrat de mariage ½ en U et à un tiers ½ en PP.
→ donation s’impute en 1er. Elle est en U donc sur l’U de la réserve, qu’elle n’excède pas puisque
réserve est de ¾ en PP en présence de 3 enfants
→ legs s’impute sur la QDO qui est de ¼ en PP → réduction du legs à ¼ en PP.
D’où respect du maximum que chacun peut avoir ; et du plafond global.

Exemple 2 :
DC laisse 3 enfants ; legs à son CS ¼ PP et à un tiers ½ en PP
→ les deux libéralités s’imputent concurremment sur la QDO car sont en PP. Or QDO est de ¼ en
PP en présence de 3 enfants. D’où ¼ + ½ = ¾ → excédent de ½ → réduction
réduction proportionnelle → CS peut prétendre à ¼ sur ¾, d’où 1/3 de la QDO = 1/12 et le tiers peut
prétendre à 2/3 de la QDO soit 2/12 = 1/6
→ mais le CS peut bénéficier de l’U de la réserve, d’où aura le restant de son legs en U. → soit ¼ =
3/12 moins 1/12 = 1/6 en U.
D’où : le tiers a 1/6 en PP → pas de dépassement de la QDO ;
le CS a 1/12 PP et 1/6 en U → pas de dépassement de la QDS de ¼ PP et 3/4 en U

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