Vous êtes sur la page 1sur 17

(TITRE II – La validité du contrat)

Chapitre 2: Le contenu licite et certain

Parmi les trois conditions fixées à l’article 1128 du Code civil nécessaires à la validité du contrat,
le contenu licite et certain est moins une condition de validité qu’une catégorie de conditions
de validité, qu’une somme de conditions de validité.

SECTION 1 - La licéité de l’opération

Trois textes dans le code civil évoquent cette licéité:

- l’article 6 du code civil: « on ne saurait déroger par des conventions particulières à l’ordre
public et aux bonnes moeurs ». Les conventions ne doivent pas être illicites ou immorales.

- l’article 1102 du code civil pose comme limite à la liberté contractuelle l’ordre public.
- l’article 1162 du code civil, ajoute que dans le contrat, on ne peut déroger à l’ordre public
par les stipulations ou par le but de celui-ci.

§ 1: Le contour de la licéité.
Les articles nouveaux, 1102 et 1162, ne visent que l’ordre public et non les bonnes mœurs, ce
que vise au contraire l’article 6.

A. L’ORDRE PUBLIC (stricto sensu).


Il s’agit des règles que l’on qualifie d’impératives, des règles jugées essentielles par le
législateur ou par le juge, et que les parties ne peuvent écarter par un contrat. L’ordre public
n’est pas forcément textuel, mais il peut être également virtuel : le juge peut déclarer que telle
ou telle règle est d’ordre public, alors même que la chose n’est pas interdite par la loi.
Ainsi, lors de l’exposition « Our Body », il n’existait pas alors de règles prévoyant que la dignité
du corps humain s’applique au-delà du décès de la personne. Pour autant, la Cour de cassation
a affirmé que même si le principe n’est pas contenu dans le code civil, il existe déjà par l’ordre
public virtuel : Civ, 29 Octobre 2014.

1
Il faut distinguer deux types d’ordre public :

- L’ordre public de direction qui vise la protection de l’intérêt général et du bien commun;
- L’ordre public de protection qui cherche à protéger certaines catégories de personnes. Il
s’agit de protéger un intérêt particulier. EXEMPLE: le droit de la consommation pose
différentes règles d’ordre public, pour protéger les consommateurs.
Selon qu’il s’agisse de l’un ou de l’autre, la nullité ne sera pas la même : En cas d’atteinte à
l’ordre public de direction, la nullité est absolue, alors que dans le cas de l’ordre public de
protection, la nullité est relative.

B. LES BONNES MOEURS


La Cour de cassation a progressivement abandonné le contenu de sa jurisprudence habituelle
pour certains contrats ayant été considérés comme contraires aux bonnes mœurs : les contrats
jugés hier parce comme immoraux ne le sont plus.
C’est l’hypothèse par exemple des libéralités sont faites au concubin ou à la concubine. Une
vieille jurisprudence de la Chambre des requêtes du 8 Juin 1926 annulait comme contraire aux
bonnes mœurs les donations faites pour former, reprendre, maintenir une relation de
concubinage, mais admettait la validité des donations faites entre concubins pour s’acquitter
d’un devoir de conscience (ex: somme à la rupture pour compenser l’aide apportée par un
concubin ou un concubine dans une activité).
La Cour de cassation a abandonné progressivement cette jurisprudence par un arrêt de Civ
1ère, 3 Février 1999 : il s’agit d’une libéralité faite par le concubin à sa concubine adultère. Il lui
fait une donation pour maintenir la relation. Cette libéralité devait être jugée immorale aux
vues de la jurisprudence classique. Pour autant, c’est arrêt décide qu’il n’est pas contraire aux
bonnes mœurs la libéralité qui entend maintenir la relation adultère.
Cour de cassation, Assemblée plénière, 29 octobre 2004, Affaire Galopin: un homme de 95 ans
avait fait un legs universel à une femme de 31 ans depuis 15 ans. Dans cette affaire, des lettres
de la femme menaçaient son amant de rompre leur relation s’il ne lui léguait pas sa fortune.
Pour autant, la Cour de cassation a affirmé qu’une libéralité faite à un concubin adultère n’est
pas contraire aux bonnes mœurs. La Cour ne fait pas la police des cœurs.
Que reste-t-il de l’exigence de la conformité aux bonnes mœurs? L’exigence de bonnes mœurs
reste dans le code civil, mais il est difficile de savoir ce qui demain serait contraire aux bonnes
mœurs.

2
C. LES DROITS FONDAMENTAUX
Ils sont absents tant de l’article 1102 que de l’article 1162. Mais autant l’exigence des bonnes
mœurs est en constant recul, autant cela ne se vérifie pas pour les droits fondamentaux, car
ceux-ci sont de plus en plus sollicités.
Les juges contrôlent la conformité du contrat et de ses clauses aux droits et libertés
fondamentaux, en se fondant sur les textes suivants :

- Les lois spéciales : pour certains contrats particuliers, le législateur a consacré ce contrôle,
comme par exemple pour le contrat de travail. En effet, le salarié, dans une position de
subordination, peut permettre à l’employeur de porter atteinte de manière démesurée à ses
droits et libertés.

- en dehors du droit spécial, les juges peuvent toujours contrôler la conformité des contrats
aux droits et libertés fondamentaux, en vue du respect de l’ordre public : L’atteinte aux
droits et libertés est une atteinte à l’ordre public. EXEMPLE: les clauses de célibat sont jugées
illicites à l’ordre public, car illicites aux libertés matrimoniales.

- La Cour de cassation avait pris l’habitude de se fonder non pas sur l’ordre public défini par la
CEDH. EXEMPLE: arrêt de principe de la Cour de cassation, du 6 mars 1994, Civ 1 ère , arrêt
Mel YEDEI. Il s’agissait d’un contrat de bail qui contenait une clause en vertu de laquelle on
ne pouvait pas héberger un de ses proches. Dans cette affaire, il s’agissait de l’accueil d’une
belle-soeur, et la question était de savoir si le bailleur pouvait prendre appui sur la clause
pour demander la résiliation du contrat de bail. La Cour de cassation a estimé que les juges
du fond auraient du vérifié que cette clause ne portait pas exagérément atteinte à la vie
privée et familiale, consacrée par l’article 8 de la CEDH.
Ainsi, ce n’est pas parce que les articles 1102 et 1162 ne mentionnent pas les droits et libertés
fondamentaux que les juges ne pourront donc pas vérifier leur respect.

§ 2: Le contrôle de licéité.
A. LE CONTROLE DE LICEITE DE L’OBJET (STIPULATION)
Avant l’ordonnance de 2016, il y avait l’article 1128 du code civil qui affirmait que « il n’y a que
les choses qui sont dans le commerce, qui puissent être l’objet de conventions ».
Ce disait l’article c’est qu’il existe des choses illicites en soi, en ce sens qu’on ne peut conclure
certains types de contrat sur ces choses. Parmi ces choses hors-commerce, on pouvait
distinguer deux hypothèses:

- les choses dont le commerce est interdit rigoureusement car elles sont illicites en elle-
même (elles sont illicites par nature). EXEMPLE: drogues / un fichier de données
3
personnelles non déclarée à la CNIL qui est considéré comme étant illicite, selon un arrêt de
la CC, Civ. 1, 25 Juin 2013.

- les choses que l’on a pu qualifier de choses sacrées, liées à la sacralité de la personne
humaine. Les éléments du corps humain peuvent faire l’objet depuis longtemps de contrats
(sang, dons d’organes). En revanche, les conventions portant sur les éléments et produits
du corps humain font l’objet de règlementations strictes par le code de la santé publique.
Toutefois, on peut noter que la Cour de cassation a pu décider que certaines conventions
portant sur le corps humain étaient radicalement interdites (ex: conventions de la mère-
porteuse). La CC a considéré que les conventions de mère porteuse sont contraires à l’OP et
au principe d’indisponibilité du corps humain. C’était licite puis c’est devenu illicite (art. 16-7
du code civil).

B. LE CONTROLE DE LA LICEITE DU BUT (CAUSE).


Ici, ce n’est plus la chose, l’objet mais l’objectif. Il s’agit du motif poursuivi par les contractants
qui peut ne pas être conforme à l’ordre public, aux bonnes mœurs ou aux droits et libertés
fondamentaux. Le contrôle par le but est plus profond que par l’objet. Un objet peut être licite
mais son but illicite.
La nullité du contrat est-elle subordonnée à la connaissance du motif illicite poursuivi par le co-
contractant? Le motif illicite n’a pas à être connu de l’autre partie. Cette solution a été
consacrée à l’article 1162 : peu importe que le but ait été connu ou non par l’une des parties ou
toutes, la nullité pourra être engagée: l’intérêt général et l’ordre public sont des principes
supérieurs à l’intérêt du co-contractant.
>>> Le contrat doit être licite, et cette licéité est contrôlée.

SECTION 2: La détermination de la prestation.

Elle recouvre 2 exigences:

- l’existence de l’objet;
- la détermination de l’objet.

§ 1: L’existence de l’objet

4
L’objet du contrat doit exister, mais il peut être futur, en ce sens que son existence matérielle
n’est pas encore établie. EXEMPLE: une vente de choses à fabriquer. La prestation existe mais
elle est future. Si, in fine, la chose ne survient pas, et qu’on ne peut la fabriquer, le contrat ne
sera pas correctement exécuté, et on appliquera les sanctions d’inexécution du contrat. Il y
aura des dommages et intérêts, mais le contrat sera valable.
L’objet, la prestation, doit être possible: il s’agit bien d’une possibilité absolue en ce sens que
ce n’est pas parce que la chose est très difficile à faire, que cette impossibilité relative pourrait
donner lieu à la nullité du contrat.
Il faut que ce soit rigoureusement impossible pour obtenir la nullité du contrat. La nullité ne
peut être demandé que s’il y a une impossibilité absolue. Dans un arrêt de la Cour de cassation,
chambre commerciale, 27 janvier 2009, les faits sont les suivants: il y a une cession de parts
sociales d’une société, sauf que cette société avait disparu par fusion-absorption.
L’impossibilité de l’objet rejoint ici l’inexistence de l’objet. La Cour de cassation déclare donc
nul le contrat pour impossibilité de l’objet.

§ 2: La détermination de l’objet
A. L’EXIGENCE GENERALE DE DETERMINATION DE L’OBJET

- cette détermination de l’objet est tant la détermination de l’espèce, que la quantité ou la


qualité. On retrouve cette exigence à l’article 1163, alinéa 2.

- L’objet, la prestation, peut être déterminé mais peut également être simplement
déterminable. Cela signifie que dans le contrat, on a fixé les moyens permettant sa
détermination à venir. L’article 1163, alinéa 3, définit le caractère déterminable de cette
prestation : lorsqu’elle peut être déduite du contrat ou par référence aux usages ou aux
relations antérieures des parties, sans qu’un nouvel accord des parties soit nécessaire (ex. :
VEFA).

B. L’EXIGENCE PARTICULIERE DE LA DETERMINATION DU PRIX.


1. Les contrats-cadres et la détermination du prix
Le contrat-cadre est un contrat général qui prévoit des contrats de vente d’application. Ce
contrat prévoit les futurs contrats d’application (ex: le gérant d’une station-service achètera
auprès de fournisseurs strictement déterminés).
Or, dans la pratique, ces contrats étaient rédigés de la manière suivante: le prix de ces contrats
d’application sera celui du fournisseur au moment de la conclusion des contrats d’application.
C’est la clause « tarif fournisseur », ou « tarif catalogue ». La Cour de cassation a décidé de

5
sanctionner les pratiques abusives de telles clauses: car le prix était laissé à la main du
fournisseur, lequel parfois abusaient de cette situation.
L’article 1164 du code civil dispose que dans les contrats-cadre, il peut être convenu que le prix
sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en motiver le montant en
cas de contestation. L’alinéa 2 poursuit: « en cas d’abus, le juge peut être saisi d’une demande
de dommages et intérêts et de résolution du contrat ».
Il y a donc une validité des clauses tarifs-catalogues, seulement l’article impose au fournisseur
de justifier le prix en cas de contestation.

2. Les contrats de prestation de service


L’article 1165 prévoit que dans les contrats de prestation de service (d’entreprise, de conseil), à
défaut d’accord des parties, le prix peut être fixé par le créancier unilatéralement, à charge
pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation, sous réserve du contrôle de l’abus par
un magistrat saisi.
La sanction ici est l’obtention de dommages et intérêts. Le législateur de 2016 a en réalité un
peu copié la règle du contrat-cadre pour l’appliquer au contrat de prestation de service.
Dans le contrat-cadre, on permet la fixation de la clause unilatérale de prix, alors qu’on
accepte dans les contrats de prestation de service, qu’il n’y ait aucune référence au prix, et que
le créancier le fixe ultérieurement.
La Cour de cassation admet la révision judiciaire du prix en cas de prix jugé excessif, selon un
arrêt: Civ, 29 janvier 1967 qui autorise un juge à réviser judiciairement un prix excessif. Le juge
n’avait l’autorisation de réviser le prix que si, et seulement si, ce prix avait été fixé avant la
réalisation de la prestation de service. L’idée est la suivante: certes, le juge en principe n’a pas
le droit de réviser un prix, mais le fondement de cette règle est que les parties sont les plus à
même de décider du prix de la prestation.
Or, face à une prestation de service, on ne peut déterminer la hauteur des diligences qu’une
fois que la prestation sera terminée. Comment dire qu’une partie a pu apprécier la valeur de la
prestation promise alors qu’on avait aucune idée de cette valeur au moment de la conclusion du
contrat? Aussi, le juge peut apprécier a posteriori.
La difficulté tient à l’article 1165, qui ne prévoit que le contrôle de l’abus dans la fixation
unilatérale du prix avec comme sanction l’unique octroi de dommages et intérêts. Le juge ne
peut pas fixer le prix, ou réviser un prix fixé avant la réalisation de la prestation.

La question est de savoir si la Cour de cassation va véritablement empêcher les juges de


procéder comme auparavant. Certains auteurs estiment que non : dans le rapport du projet de

6
réforme, il est dit: « nous avons voulu maintenir la jurisprudence sur la détermination du prix ».
Si les parties n’ont pas pu estimer la valeur de la prestation, il n’est pas anormal d’introduire
le jugement du juge.

SECTION 3: L’équilibre contractuel


Il convient de distinguer entre l’équilibre des prestations principales et l’équilibre des
stipulations accessoires.
§ 1: L’équilibre des prestations principales.
Ceci concerne l’équilibre entre la chose fournie et la rémunération.
B. LE RAPPEL DE L’INDIFFERENCE DE LA LESION.
Selon l’article 1168 du code civil, pour les contrats synallagmatiques, il n’y a pas de nullité pour
défaut d’équivalence des prestations, sauf si la loi en dispose autrement.
1. Le principe de l’indifférence de la lésion.
C’est une règle essentielle du droit des contrats. Le fondement de cette règle est que chacun
est meilleur juge de ses intérêts sauf si la volonté n’est pas lucide (insanité d’esprit,
incapacité), pas libre (violence), pas éclairée (erreur et dol). Il faut apporter la preuve de ce vice
du consentement.
2. Les exceptions.
L’article 1168 du code civil évoque les exceptions fondées sur la loi. L’ancien article 1118 parle
des exceptions appliquées dans certains contrats ou au profit de certaines personnes.
a. Dans certains contrats
LA VENTE D’IMMEUBLE : Art. 1674 du code civil: un contrat de vente peut être annulé à la
demande du vendeur en cas de lésion de plus des 7/12ème de la valeur du bien. Donc le
vendeur doit recevoir moins des 7/12 de la valeur du bien.
Ce texte n’admet la nullité pour lésion UNIQUEMENT pour la vente d’immeuble, pour ne pas
gêner le commerce.
Cette règle ne profite qu’aux vendeurs. En effet, certains commentateurs ont considéré que si
un vendeur vend pour moins de la moitié de la valeur de l’immeuble, c’est que le vendeur a
été « violenté par le besoin », pour reprendre l’expression Du Code en 1804.

Or, ce n’est pas le cas pour l’acheteur qui achète un bien trop cher, on peut difficilement dire
que l’acheteur a été poussé par un besoin d’acheter.

7
L’ACHAT D’ENGRAIS : une loi de 1907 consacre la lésion qui protège l’acheteur, si celui-ci achète
de l’engrais à plus du quart de sa valeur du marché. Dès lors, il peut demander la nullité du
contrat. Il y a une présomption de vice du consentement.
LA CESSION DE DROITS D’AUTEUR  : l’article L131-5 du code de la propriété intellectuelle prévoit
que l’auteur peut demander la nullité du contrat en cas de lésion des plus des 7/12 de la valeur.
LE PRET A INTERETS : l’article L313-3 du code de la consommation prévoit la possible réduction
du taux de l’intérêt s’il excède de plus du tiers le taux effectif moyen pratiqué au cours du
dernier trimestre.
—> Ces contrats, expressément prévus par la loi, sont des exceptions au principe de la non-
prise en compte de la lésion.

b. Pour certaines personnes.

- Les mineurs: article 1149;


- les majeurs protégés: article 1150.
Ils peuvent demander la nullité du contrat pour lésion car le principe qui réside dans le fait
d’être le meilleur juge de ses intérêts est à écarter.

B. L’EXIGENCE D’UNE CONTREPARTIE.

Article 1169 du code civil : « Un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa
formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s'engage est illusoire ou dérisoire. »
La contrepartie doit conférer un réel avantage au cocontractant.
Les juges estiment par exemple que la contrepartie est illusoire dans les cas suivants :

- un contrat de révélation de succession : la prestation du généalogiste est jugée inutile car


l’héritier a eu la succession sans le généalogiste, et le contrat conclu ne conférait aucun
avantage, selon un arrêt de la Cour de cassation, Civ. 1, 13 avril 1953;

- un contrat de mission est donné à un gérant d’entreprise, qui est tenu par la loi de réaliser
un service. La conclusion du contrat pour ce service est annulé, car il était déjà obligé de le
réaliser. Il y a donc une absence de contrepartie (Cour de cassation, Com., 23 octobre 2012).

8
La contrepartie ne doit pas non plus être dérisoire, symbolique ou insignifiante, sans valeur. La
Cour de cassation admettait traditionnellement la nullité pour absence de cause: Chambre
des requêtes, 3 mai 1922. EXEMPLE: CC, Civ. 3, 23 septembre 2011 : un contrat de bail est
conclu à un prix dérisoire, entraînant la nullité pour absence de cause (absence de cause=
contrepartie dérisoire).
Il demeure une incertitude dans ce domaine :
Exemple d’un arrêt de la Cour de cassation, Com., 18 mars 2014 : Un commerçant demande la
nullité d’un contrat de mise à disposition de marque pour absence de cause car son affaire est
non rentable. La Cour de cassation rappelle que l’absence de cause n’est pas le simple défaut
de rentabilité, il faut une ABSENCE TOTALE de cause.
L’article 1169 exige que ce soit la contrepartie qui ne soit pas illusoire et non pas la rentabilité
attendue de cette contrepartie. Dans cet arrêt c’était la rentabilité qui était illusoire.

§ 2: L’équilibre des stipulations accessoires.


Avec l’équilibre des stipulations accessoires, il s’agit de vérifier que les clauses accessoires du
contrat ne soient pas abusives. Le droit français prévoit des dispositions particulières pour
lutter contre les clauses abusives.

A. LES DROIT SPECIAUX

1. Le droit de la consommation.

Les articles L212-1 et L241-1 du code de la consommation sont la transposition des directives
européennes.

a. Le domaine de la protection.
La question est de savoir qui peut se prévaloir de ces deux articles?

9
L’article L212-1 vise un contrat conclu entre un professionnel, et un consommateur ou un
« non-professionnel (il s’agit de la qualité de la personne).
Qu’est-ce qu’un consommateur ? Qu’est-ce qu’un non-professionnel ?
Une personne morale peut-elle être un consommateur ou un non-professionnel, au sens de
l’article L212-1?
La CJCE, devenue CJUE a affirmé que non, dans un arrêt du 22 novembre 2001, en disant que le
consommateur est une personne physique.
Mais la Cour de Cassation a souhaité protéger les personnes morales et se sert de l’appellation
« non-professionnel ». Dans un arrêt Civ. 1ère ,15 décembre 2005, la Cour de cassation pour
protéger un syndicat a déclaré celui-ci « non-professionnel ».
Cela est confirmé par un arrêt Civ. 3ème , 4 février 2016, s’agissant d’une SCI qui est considérée
comme non-professionnelle et pouvant se prévaloir de la protection contre les clauses
abusives.
Cette jurisprudence a été consacrée par une ordonnance du 14 mars 2016 (propre au droit de
la consommation). L’article liminaire définit les consommateurs et les non professionnels:
L’article liminaire du code de la consommation:
- consommateur : toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre
de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ;
- non-professionnel : toute personne morale qui n'agit pas à des fins professionnelles ;
- professionnel : toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins
entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y
compris lorsqu'elle agit au nom ou pour le compte d'un autre professionnel.

Peut-on considérer qu’un professionnel (personne physique ou morale) qui contracte en


dehors de son domaine d’activité/ de compétence, puisse être considéré comme un
consommateur (pour la personne physique) ou un non-professionnel (pour la personne
morale) ?

10
Dans un premier temps, la jurisprudence a eu recours à ce critère de compétence, dans un arrêt
Civ. 1ère , 28 avril 1987, un agent immobilier avait conclu un contrat d’alarme dans sa boutique,
et il y avait dans ce contrat des clauses abusives.
Peut-on le qualifier de consommateur pour qu’il bénéfice des articles de la consommation ? La
Cour de cassation répond par la positive, car c’est hors de son activité professionnelle: il
n’exerce pas dans son domaine.
Dans un deuxième temps, ce critère est abandonné. Dans un arrêt Civ. 1 ère , 24 janvier 1995, il y
a revirement de jurisprudence: la Cour affirme qu’un professionnel ne peut se prévaloir du droit
de la consommation lorsqu’il conclue un contrat en rapport direct avec son activité
professionnelle.
Certains ont fait remarquer que tout contrat conclu par un professionnel pour les besoins de
son activité avait nécessairement un rapport direct avec cette activité.
Cette jurisprudence exclue donc le professionnel de la protection des clauses abusives.
Mais il y a tout de même un espoir par l’arrêt Civ. 3ème , 4 février 2016, où elle a affirmé qu’une
SCI professionnelle de l’immobilier n’était pas un professionnel de la construction et donc
qu’elle pourrait invoquer le droit des clauses abusives du droit de la consommation dans le
contrat conclu avec un contrôleur technique. Cela semble être un retour au critère de la
compétence.
Est-ce que cette SCI peut se prévaloir de la qualité de non-professionnelle dans sa relation
avec un contrôleur technique? La Cour de cassation répond par la positive.

b. L’identification des clauses abusives


CLAUSES ABUSIVES

Qu’est-ce qu’une clause abusive ?


Selon l’article L212-1 du code de la consommation, c’est la « clause qui a pour objet ou effet de
créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ». Mais cela ne porte
pas sur les prestations principales, car sinon on admettrait la prise en compte de la lésion.
Le décret du 18 mars 2008 donne des listes réglementaires de clauses aux articles R212-1 et
R212-2 du code de la consommation, qui forment la partie réglementaire de l’art L212-1.
L’article R212-1 dresse la liste de clauses réputées irréfragablement abusives (elles sont au
nombre de 12), qui constituent la « liste noire » (EXEMPLE: clause permettant au professionnel
de modifier unilatéralement le contenu du contrat / clause limitative de responsabilité):

11
1° Constater l'adhésion du consommateur à des clauses qui ne figurent pas dans l'écrit qu'il
accepte ou qui sont reprises dans un autre document auquel il n'est pas fait expressément
référence lors de la conclusion du contrat et dont il n'a pas eu connaissance avant sa
conclusion ;
2° Restreindre l'obligation pour le professionnel de respecter les engagements pris par ses
préposés ou ses mandataires ;
3° Réserver au professionnel le droit de modifier unilatéralement les clauses du contrat relatives
à sa durée, aux caractéristiques ou au prix du bien à livrer ou du service à rendre
(…)

L’article R212-2 constitue la « liste grise » : ce sont des clauses présumées abusives, et il
appartiendra au professionnel de justifier cette clause devant le juge, en disant en quoi elle
n’est pas abusive. Il y a par exemple:

- la clause pénale (l’inverse de la clause limitative de responsabilité, par laquelle on prévoit un


forfait indemnitaire en cas de non-exécution du contrat);

- la clause de faculté de rétractation unilatérale sans préavis.


Si la clause n’est dans aucune de ces listes, on peut tout de même convaincre le juge qu’elle est
abusive. La charge de la preuve pèse sur le consommateur car la clause est présumée non-
abusive.
Pour convaincre le juge, il est utile de se reporter aux recommandations de la Commission des
clauses abusives (composée de consommateurs, de professionnels, de magistrats), qui rend des
avis sur les contrats. Tous les ans sont publiées de nouvelles recommandations. Elles n’ont pas
valeur de loi. Toutefois, les juges prennent en compte ces recommandations.

c. La sanction des clauses abusives.


ACTION INDIVIDUELLE ET CURATIVE: Si la clause est dans la liste ou que le juge est convaincu,
la clause est jugée abusive et elle est réputée non écrite dans le contrat, mais le contrat
demeure, sauf si l’annulation de la clause rend le contrat sans intérêt ou incohérent pour le
consommateur.
ACTION COLLECTIVE ET PREVENTIVE: il s’agit de la possibilité pour une association de défense
des consommateurs, de saisir le juge d’un contrat-type afin qu’il déclare telle ou telle clause
de ces contrats abusives. Si le juge déclare la clause abusive, tous les contrats de la sorte
doivent supprimer les clauses en question dans des contrats.

12
2. Le droit de la concurrence.
Le droit des pratiques restrictives de concurrence est contenu à l’article L442-6 du code du
commerce.
Par une loi du 4 août 2008, la loi LME, le législateur a introduit une nouvelle pratique
restrictive de concurrence qui est sanctionnée : le fait d’imposer ou de tenter d’imposer une
clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties. Ce
texte s’applique principalement aux relations entre commerçants.
Le droit de la consommation et celui de la concurrence se rapprochent donc, mais concernent
des domaines différents: le droit de la consommation concerne les professionnels et les
consommateurs, alors que le droit de la concurrence concerne les commerciaux.
Il y a une seule différence fondamentale entre les deux droits; l’article L442-6 du code du
commerce n’exclut pas le déséquilibre des prestations principales.
Ceci n’est pas illogique car les contrats du code de la consommation sont des contrats
d’adhésion, alors que les contrats du code de la concurrence sont des contrats de dépendance
économique (où les prestations principales sont souvent sujettes à des abus).
Aussi, les professionnels ne sont pas protégés pour les mêmes choses : ils sont protégés contre
l’abus de dépendance.
Il n’y a pas d’incohérence entre l’article L212-1 et l’article L442-6, car le premier protège les
contrats d’adhésion. Ce n’est pas du tout la même chose pour l’article L442-6 qui vise les
contrats de distribution (ex: centrales d’achat dans leurs relations avec les producteurs ou
fournisseurs).
Dans ces contrats, l’abus apparaît non seulement sur les clauses accessoires, mais surtout sur le
déséquilibre des prestations principales. On a une relation asymétrique qui permet à l’un de
demander des ristournes au second. Il y a donc nul paradoxe entre le droit de la consommation
et le droit des pratiques restrictives de la concurrence: il n’y a pas la même réalité derrière.

B. LE DROIT COMMUN.

C’est la protection offerte non plus par le code de la consommation ou du commerce, mais par
le code civil lui-même à la suite de l’ordonnance de 2016.

13
Deux voies de protection contre les clauses abusives apparaissent dans le code civil:

- L’article 1170 traite des clauses privant de substance l’obligation essentielle;


- L’article 1171 il traite des clauses créant un déséquilibre significatif entre les droits et les
obligations des parties.
Avec le droit de la consommation, on protège un consommateur contre un professionnel. Avec
l’article L442-6, on protège un partenaire commercial contre un autre partenaire commercial.
Qui n’est pas protégé finalement? Il reste les contrats conclus entre particuliers (où le droit de
la consommation ne s’applique pas), et les contrats conclus entre professionnels, qui ne sont
pas des commerçants au sens de l’article L442-6 (ex: contrats conclus par des professionnels
libéraux, des médecins par exemple).
Il est donc nécessaire de créer un mécanisme de protection de droit commun, qui s’applique à
tous les contractants.

1. Le traitement des clauses privant de substance l’obligation essentielle (Art.


1170).

Ce texte est la reprise littérale de deux jurisprudences de la Cour de cassation, l’arrêt


Chronopost, et l’arrêt Faurecia: concernant les clauses limitatives de responsabilité.
Avant l’arrêt Chronopost, les clauses limitatives de responsabilité (=ne pas réparer le préjudice
subi par le créancier, limitation préalable des dommages et intérêts dus), sont valables en
principe, sauf faute lourde, ou dolosive (faute intentionnelle) du débiteur.
Si un débiteur, volontairement, ne remplit pas son obligation, ou si c’est à la suite d’une erreur
impardonnable, la clause est écartée : arrêt Chronopost, chambre commerciale, 22 Octobre
1996.
Faits: un professionnel signe un contrat avec Chronopost, et veut faire acheminer un pli en
ayant pour but de participer à une vente aux enchères. La société a dépassé le délai
d’acheminement.

14
Le professionnel a perdu la chance de gagner aux enchères et veut être indemnisé. Mais dans
le contrat Chronopost, il est dit que la société limite sa responsabilité au prix du transport : il ne
répare pas le préjudice véritablement subi.

La Cour de cassation dégage une nouvelle règle jurisprudentielle selon laquelle le traitement
des clauses privant de substance l’obligation essentielle doit être réputée non écrite.
La Cour avait ainsi procédé à une extension de la protection des clauses abusives pour
protéger un professionnel. Ici, une clause limite la responsabilité au prix du transport et prive la
substance de l’obligation essentielle.
Un autre arrêt de la Cour de cassation a inquiété: chambre commerciale, 13 février 2007,
« Faurecia I ».
La Cour a semblé indiquer que, dès que la clause limitative de responsabilité portait sur
l’obligation essentielle, elle devrait être réputée non écrite. Autant dire que toutes les clauses
limitatives de responsabilité, qui sont toujours en relation avec l’obligation essentielle (en cas
de manquement à celle-ci), seraient réputées non écrites (car on ne limite généralement pas sa
responsabilité sur l’obligation accessoire).
On en a conclu que c’était la fin des clauses limitatives de responsabilité, alors qu’elles ne sont
pas toujours abusives.
La chambre commerciale est revenue sa jurisprudence le 29 juin 2010, « Arrêt Faurecia II », où
elle a bien rappelé que la clause serait réputée non-écrite, seulement si le juge estime « que la
clause prive de sa substance l’obligation essentielle ».
Ce qui est intéressant est que la Cour a donné une méthodologie pour contrôler le fait que la
clause prive ou non de substance l’obligation essentielle. Elle approuve les juges de fond
d’avoir analysé de près le contrat pour voir si la clause n’était pas contrebalancée par un autre
avantage, s’il n’a pas permis une diminution du prix par exemple (en raison de cette clause de
responsabilité limitative, il y a une baisse du prix). C’est un contrôle que les juges exercent dans
le droit de la consommation.

>>> Ces jurisprudences Chronopost et Faurecia II veulent protéger les professionnels, qui ne
sont pas pris en compte dans le droit de la consommation: on reprend donc la même méthode
de l’abus, que celle du droit de la consommation.
La jurisprudence est consacrée à l’article 1170 du code civil.

15
2. Le traitement des clauses créant un déséquilibre significatif entre les droits
et les obligations des parties (article 1171).

c. Le contenu du contrôle
L’article 1171 concerne la clause qui vise un déséquilibre significatif entre les droits et
obligations des parties.
Il n’existe cependant pas, comme c’est le cas dans le code de la consommation de listes noires
ou grises recensant ces clauses de déséquilibre.
Pour autant, comment ne pas penser que les juges, quand ils feront ce contrôle, ne vont pas
s’appuyer sur les listes du droit de la consommation, pour dire que la clause en question,
stigmatisée par le droit de la consommation, n’est pas loin d’être abusive dans un contrat
conclu entre professionnels.
De même, les avis et recommandations de la Commission des clauses abusives sont précieuses,
même si cette commission s’attache à l’article L212-1 du code de la consommation.
Le contrôle est donc identique à celui du droit de la consommation, sans le soutien des listes
réglementaires et de la Commission, mais tout de même ces listes et avis seront une source
d’inspiration pour les magistrats.

d. La sanction du contrôle
Comme pour le droit de la consommation, la clause est réputée non écrite, mais l’article 1171
ne prévoit que l’action individuelle et curative, et le législateur n’a pas consacré l’action
collective et préventive des associations de défense de consommateurs.

e. Le domaine du contrôle
Le juge ne peut pas contrôler les clauses de tous les contrats, il faut se limiter aux clauses qui ne
sont pas négociées entre les parties.
Il convient de limiter ce contrôle aux clauses non-négociables des contrats d’adhésion.

16
Qu’est-ce qu’un contrat d’adhésion? C’est un contrat dont les conditions générales, soustraites
à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties.
Que faut-il entendre par clauses non-négociables? S’agit-il des clauses objectivement,
matériellement non-négociables, ou doit-on considérer qu’une clause n’est pas négociable, en
raison subjectivement de la position de force de l’un des cocontractants au contrat ?

Tirant parti des acquis de la jurisprudence Chronopost et surtout Faurécia, l’article 1170 du
Code civil dispose que « Toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du
débiteur est réputée non écrite » .
Ce texte constituera donc désormais l’instrument de l’éradication des clauses qui portent
atteinte à l’obligation essentielle de la convention, qui était fondé de manière assez artificielle,
avant la réforme, sur la notion de cause.
Certains s’interrogent sur l’opportunité du maintien de cet article alors que l’article 1171 C. civ.
met également à disposition des contractants un moyen de lutte contre les clauses
déséquilibrées et appellent à son interprétation stricte.
Les conditions d’application de ce texte sont, quoiqu’il en soit, rigoureuses : la clause doit non
seulement porter sur l’obligation essentielle mais doit également la priver de sa « substance » ,
terme dont l’ordonnance ne donne toutefois aucune définition.
À l’instar de l’arrêt Faurécia ( Com. 29 juin 2010, préc.), la sanction sera donc bien limitée aux
clauses qui contredisent la portée de l’obligation essentielle, ou la vide de toute substance
(Com. 26 avr. 2017, no 15- 23245 et 15- 23239 se référant à « la clause ayant pour effet de
neutraliser le caractère contraignant de l'obligation essentielle » ).
La sanction d’un tel vice est également précisée par le texte : la clause est alors réputée non
écrite.

17

Vous aimerez peut-être aussi