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Cours : Droit pénal des affaires

Auteur : MASCALA Corinne


Leçon n° 1 : Introduction au droit pénal des affaires

Table des matières


Section 1. Introduction.............................................................................................................................p. 2
Section 2. Le contenu du droit pénal des affaires................................................................................p. 5
Section 3. L'autonomie du droit pénal des affaires..............................................................................p. 7
§ 1. Quant aux éléments constitutifs............................................................................................................................p. 7
§ 2. Quant à la sanction.............................................................................................................................................. p. 9
§ 3. Quant aux caractéristiques de criminalité d'affaires........................................................................................... p. 11
Section 4. Le devenir du droit pénal des affaires ..............................................................................p. 12

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Section 1. Introduction
Les affaires et le droit pénal ne se sont jamais ignorés, mais historiquement, leur rencontre n'était
qu'occasionnelle, car le Code pénal ne contenait que peu d'infractions relatives au commerce.

Remarque
Dans les cours de droit commercial, les enseignants ont toujours exposé quelques sanctions
pénales qui punissaient celui qui ne pratiquait pas des affaires régulières car le Code pénal ne
contenait que peu d'infractions relatives au commerce, mais ces sanctions demeuraient l'exception
à l'égard du commerçant malhonnête.

Le rôle du droit pénal était très limité en matière commerciale, ce qui se justifiait aisément dans un
contexte de libéralisme économique. Il appartenait à la loi pénale de veiller au respect d'un ordre
public de protection, qui ne justifiait pas une intervention très large de la loi pénale. La loi pénale ne
devait pas être trop présente afin de ne pas entraver le dynamisme des entreprises et leur nécessaire
liberté. Il appartenait au droit pénal de distinguer entre l'habileté permise et même recommandée
dans le monde des affaires, et la malhonnêteté manifeste qui doit être sanctionnée.

Cette situation perdura jusque dans les années 1920. Au lendemain de la 1ère guerre mondiale, la
conjonction d'une crise économique très grave due aux conséquences du conflit et la multiplication
des scandales financiers, ont entraîné un bouleversement dans la conception économique et dans
le rôle du droit pénal qui est devenu un instrument de la politique économique interventionniste. La
politique d'économie dirigée se traduit par un interventionnisme accru de l'Etat et par un renforcement
de la sanction pénale.

A partir des années 1930, l'Etat français se lance dans une politique de dirigisme économique, qui
conduit à la mise en oeuvre d'un ordre public de direction, et à l'avènement d'un droit pénal autoritaire.

Ainsi s'élabore progressivement un droit pénal qui a pour vocation de contrôler l'économie, le
commerce, la concurrence, les prix... les affaires en général.

Ce droit pénal va se constituer par étapes successives constituant finalement un ensemble


homogène révélant toujours plus l'encadrement de l'économie par l'Etat. La législation dans un souci
d'efficacité étant toujours assortie de sanctions pénales.

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1ère étape : L'étape financière 1935 : Apparition de la notion de droit pénal
financier et de droit pénal des sociétésVote de
textes très importants
• Décret-loi du 8 août 1935 : Usure,
démarchage, présentation de faux bilan,
abus de biens sociaux.
Finalité première de ces infractions :
protection de l'ordre économique même si
indirectement cela intéresse également des
intérêts particuliers,
• Décret-loi du 30 octobre 1935 :
Législation sur le chèque, incrimination
chèque sans provision (dépénalisé
depuis par la loi du 30 décembre 1991).
La finalité de ces nouvelles infractions est
double : protéger l'ordre public économique et
indirectement les intérêts des particuliers.

2ème étape : L'étape économique 1945 : apparition du droit pénal


économiqueDeux ordonnances du 30 juin
1945 sur les prix et la législation économique :
régime administratif de fixation des prix
ce qui entraîne une multiplications des
infractions et des règles d'encadrement de
la concurrence : ententes, abus de positions
dominante, pratiques discriminatoires.

3ème étape : L'étape sociale 1958 : Pénalisation de la législation sur la


sécurité sociale (Décret du 27 septembre
1958)1959 : Ordonnances du 7 janvier 1959
relatives aux infractions en droit du travail.

4ème étape : La loi du 24 juillet 1966 sur Cette loi consacre tout un volet pénal aux
les sociétés commerciales infractions commises dans le cadre des
sociétés commerciales. Le titre II correspond
à 150 articles (de l'infraction la plus grave à la
moins grave).

Depuis le retour du libéralisme économique, la place du droit pénal n'a guère reculé - à l'exception de
certains secteurs tels que par exemple, le chèque, la concurrence le droit des sociétés - et aujourd'hui
quasiment tous les secteurs du droit des affaires sont infiltrés par le droit pénal (droit commercial,
droit des entreprises en difficulté, droit des sociétés, droit fiscal, droit de la consommation, droit de
l'environnement...). Le législateur ayant très souvent un réflexe pénalisant dans un souci d'effectivité
de la norme juridique, le domaine du droit pénal des affaires ne cesse de s'étendre. Cependant dans
un souci de relance de l'initiative économique, un rapport a été demandé par le Garde des Sceaux
afin de réfléchir à une dépénalisation du droit des affaires. Ce rapport dit « Rapport Coulon », a été
remis au ministre de la justice au début de l'année 2008 et devait déboucher sur une réforme du droit
pénal des affaires. La ligne directrice de cette réforme était de dépénaliser les comportements les
moins graves et de remplacer la sanction pénale par une sanction civile, pour recentrer le droit pénal
sur la répression des agissements frauduleux qui méritent la sanction la plus lourde. Cependant,
la crise économique et financière a stoppé les réformes d’ampleur en matière pénale, et ainsi les
propositions du rapport Coulon n’ont pas été suivies d’effet. Les dernières modifications législatives
vont plutôt dans le sens d'un renforcement des sanctions pénales , ce qui se justifie dans un contexte
économique soumis à des fortes turbulences.

Ainsi s'est constituée une branche du droit qui réunit l'ensemble des règles élaborées par l'Etat pour
réglementer la vie des affaires.
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Deux questions se posent aujourd'hui relativement à ce droit pénal des affaires :
• celle relative à son contenu,
• celle relative à son autonomie,

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Section 2. Le contenu du droit pénal des affaires
Lorsqu'on s'interroge sur le contenu du droit pénal des affaires, apparaît immédiatement une
incertitude qui tient à la difficulté de cerner la frontière de ce droit. Ainsi apparaît la nécessité de
préciser l'objet du droit pénal des affaires, c'est-à-dire de déterminer les infractions qui entrent
dans son champ d'application :dans une première approche assez répandue, le droit pénal des
affaires évoque les notions d'infractions économiques et financières.

Exemple
L'infraction financière est celle qui tend à protéger les finances, entendues au sens de ressources :
• privées : abus de biens sociaux
• publiques : fraude fiscale
L'infraction économique est celle qui tend à protéger les structures économiques de l'Etat, c'est-
à-dire l'intérêt général, et dont les illustrations les plus classiques sont les délits de corruption, de
favoritisme, de trafic d'influence.

Le Droit pénal des affaires serait donc un droit pénal économique.

Cette affirmation est en partie vraie, mais pas totalement, car le droit pénal des affaires a un champ
d'application plus large que le droit pénal économique dans la mesure où il comprend des infractions
(infraction en matière de droit du travail, de l'environnement, de la consommation...) qui ne sont pas
directement liées au système économique.Mais alors l'incertitude demeure quant aux limites de ce
droit pénal des affaires.

La persistance de l'incertitude démontre que si le critère de l'objet est utile, il n'est pas suffisant pour
délimiter le droit pénal des affaires. Il faut, en outre, définir le sujet.

Ce sont donc, les affaires qui doivent être comprises comme impliquant le support, le cadre de
l'entreprise. Et dans ce contexte, les infractions peuvent être commises dans l'intérêt de l'entreprise
ou à l'encontre de celui-ci.

En définitive, le droit pénal des affaires peut donc être conçu comme " la branche du droit qui
sanctionne d'une part, les atteintes à l'ordre financier, économique et social, d'autre part, les
atteintes à la propriété, à la foi publique, à l'intégrité physique des personnes lorsque l'auteur a agi
dans le cadre d'une entreprise ".

La définition est suffisamment large pour y inclure de multiples infractions commises dans des
contexte très variés :

Exemple
• vente
• crédit
• informatique
• sociétés
• impôt
• consommation
• banque
• environnement
• bourse
• fiscalité .../...

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Le droit pénal des affaires demeure un droit à contenu variable : par conséquent le choix des
infractions étudiées est nécessairement un choix arbitraire et non exhaustif.

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Section 3. L'autonomie du droit pénal des affaires
Cette question divise la doctrine, certains auteurs considérant que le droit pénal des affaires repose
inéluctablement sur les principes du droit pénal général et en dépend quant à son évolution, d'autres
au contraire, estiment que l'on assiste à une émergence progressive d'un droit autonome marqué par
de très fortes influences extérieures au droit pénal tels que le droit des sociétés, le droit monétaire
et financier, au travers d'une évolution encore inachevée.A notre avis, l'autonomie du droit pénal
des affaires ne peut pas être affirmée, car il ne se détache pas des principes fondamentaux du droit
pénal général. Cependant, il apparaît un particularisme certain du droit pénal des affaires, en tant
que branche du droit pénal général

Ce particularisme est marqué à trois points de vue :


• en premier lieu au regard des éléments constitutifs de l'infraction : éléments légal, matériel
et intentionnel
• en second lieu au regard de la sanction
• en troisième lieu des caractéristiques spécifiques de la criminalité d'affaire

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§ 1. Quant aux éléments constitutifs
Elément légal : L'analyse de l'élément légal revient à
s'interroger sur les sources du droit pénal
des affaires.Ce droit demeure soumis aux
principes fondamentaux du droit pénal
général et principalement au principe de la
légalité des délits et des peines.

Les sources du droit pénal des affaires sont


donc comme en droit commun : la loi et le
règlement.

Cependant, il faut souligner que les textes


d'incrimination en cette matière sont très
éparpillés: code pénal, toutes lois hors code
pénal qui comportent des sanctions pénales
(c. com, c. conso, c. travail, Code monétaire
et financier, code de l'environnement...)

D'où des difficultés importantes pour


connaître le domaine d'application de la
matière, et cet éparpillement porte atteinte
à l'exigence de clarté, de lisibilité et
d'accessibilité de la loi pénale .

Les affaires étant souvent transnationales, le


droit pénal des affaires complète ses sources
internes par des sources internationales et
communautaires.Nombreux sont les Traités,
Conventions et directives qui poursuivent un
objectif commun : la lutte contre la criminalité
en col blanc : on peut citer à titre d'exemple
la répression du faux monnayage, du délit
d'initié, de la corruption, du blanchiment de
capitaux...

Remarque
Les dernières Conventions signées par
la France sont : la Convention PIF
(Protection des Intérêts Financiers de l'union
européenne) signée le 26 juillet 1995 et
complétée par deux protocoles additionnels
du 27 septembre 1996 et 19 juin 1997.
Convention qui est ouverte à la ratification,
mais qui n'est pas encore en vigueur
(ratifiée par la France en janvier 2000) ;
les conventions de Palerme et de Mérida
sous l'égide de l'Organisation des Nations
Unies qui ont pour objet de lutter contre
la criminalité transnationale organisée qui
repose souvent sur les infractions d'affaires
(corruption, blanchiment de capitaux ....)

Cependant quant aux sources, il faut


souligner un particularisme du droit pénal des
affaires qui se démarque des principes du
droit pénal général, qui tient au rôle joué
par la jurisprudence.En droit pénal général,
la jurisprudence n'est pas une source de
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droit ce qui est la conséquence obligée
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du principe légaliste. En droit pénal des
affaires, bafouant ce principe fondamental
sous l'impulsion de la Cour de cassation,
§ 2. Quant à la sanction
Peut-on également relever un particularisme certain du droit pénal des affaires ? La réponse est
affirmative à trois points de vue :

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Tribunal compétent : Le droit pénal des affaires obéit aux
mêmes règles de compétence matérielle et
territoriale.Toutefois depuis la loi de 1975,
ont été créées des juridictions spécialisées
en matière financière dans le ressort de
chaque cour d'appel, eu égard à la complexité
de certaines infractions d'affaires (matière
économique et financière, bourse) : Art. 704
CPP. Cet aménagement correspond à une
préoccupation d'efficacité liée à la difficulté
d'appréhender les infractions d'affaires, ce
n'est pas un particularisme quant aux règles
de procédure applicables. Il faut y ajouter
depuis le 1er octobre 2004 (date d'entrée en
vigueur des dispositions de la loi Perben du
9 mars 2004) les juridictions interrégionales
spécialisées qui sont compétentes en matière
de criminalité organisée, notion applicable
à de multiples infractions d'affaires (706-73
CPP). La loi a crée sept pôles de compétence
qui devront traiter les dossiers relatifs à
la criminalité organisée. La répartition du
contentieux entre les juridictions de droit
commun, les juridictions spécialisées et
les juridictions interrégionales dépend non
seulement de la nature de l'infraction mais
aussi du choix opéré par le Ministère public

Détermination du responsable : Aucune différence ne peut être relevée par


rapport aux principes du droit pénal général
La personne physique ou la personne
morale est responsable = Auteur principal
ou complice Il faut souligner que depuis
le 31 décembre 2005, la responsabilité
pénale des personnes morales a été
généralisée. A l'origine, la responsabilité
pénale des personnes morales ne pouvait
être engagée que si un texte le prévoyait
spécifiquement pour chaque incrimination. La
généralisation de la responsabilité pénale
des personnes morales permettra désormais
de les poursuivre pour toutes infractions
sans distinction prévues par les lois
pénales (art. 121-2 CP), ce qui a pour
conséquence d'élargir le champ d'application
de la responsabilité pénale des personnes
morales . Il faut cependant vérifier la date
de commission des faits reprochés à la
personne morale car la loi ancienne demeure
en vigueur jusqu'au 31 décembre 2005
pour les faits commis antérieurement. La loi
nouvelle ne s'applique qu'aux faits commis
postérieurement à son entrée en vigueur.

Sanction : Il n'y a pas non plus de différence


fondamentale, seules quelques particularités
peuvent être soulignées. Les mêmes
peines sont encourues : interdictions
professionnelles, interdiction d'exercer le
10 commerce ou de diriger une personne
morale,
UNJF - Tous droits confiscation ...). L'emprisonnement
réservés
est prévu pour toutes les infractions d'affaires.
L'amende dont le plafond est souvent très
élevé, dépend parfois du montant du profit
§ 3. Quant aux caractéristiques de criminalité d'affaires
La criminalité d'affaires présente des particularismes affirmés.

La " criminalité en col blanc " selon l'expression de Sutherland (Sutherland : criminologue
américain qui développe en 1939, la théorie de la criminalité en col blanc = délinquance d'affaires ;
par opposition à la criminalité en col bleu = celle des ouvriers de l'époque) est caractérisée par les
actes délictueux d'une personne d'un statut socio-économique élevé, bien intégrée dans le milieu
social et par conséquent, dont la visibilité est moindre.

La visibilité d'une infraction résulte de sa révélation aux tiers. Par exemple, un vol est visible car il
y a une victime directe et immédiate donc les poursuites seront facilitées ; en revanche, un abus
de biens sociaux réalisée au détriment d'une société commerciale par le dirigeant est masqué par
la personne morale, qui est la victime et par le fait que celui qui peut représenter les intérêts de
la société en justice est l'auteur de l'infraction. Certaines infractions supposent pour être connues
des autorités, des révélations qui sont rarement faites. Ainsi, il apparaît que l'Administration fiscale
informe le Parquet de l'existence de fraudes fiscales dans moins de 10% des affaires dont elle a à
connaître. L'administration des Douanes révèle dans moins de 2% des cas. La raison en est que ces
administrations privilégient la transaction qui permet de recouvrer les fonds détournés.Les infractions
commises sont pour l'essentiel des infractions d'astuce, de ruse qui nécessitent des modalités de
réalisation élaborées. On constate statistiquement une sureprésentation de la population féminine
dans ces délits par rapport à la criminalité de droit commun (20% pour la criminalité d'affaires contre
12% pour la criminalité de droit commun). Cela découle du fait que souvent en matière de sociétés,
les femmes sont des prête-noms qui dirigent officiellement la structure, dont le dirigeant de fait est
en réalité frappé par une interdiction de gérer à la suite d'une condamnation pénale.

En outre, on peut constater une faible réaction sociale à l'égard de la criminalité d'affaires qui n'est
pas un type de criminalité qui heurte l'opinion publique (à l'inverse des crimes de sang par exemple).

La criminalité d'affaires ne représente que 10% de l'ensemble des condamnations pénales, alors
que la délinquance économique et financière est évaluée à 80% du coût total de la criminalité en
France. C'est en outre une criminalité en forte expansion : en 2009 la criminalité économique et
financière a augmenté de 7%.

On constate que le délinquant d'affaires n'est pas toujours perçu comme un véritable délinquant, ce
qui entraîne à son égard une réaction de tolérance voire d'indifférence.

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Section 4. Le devenir du droit pénal des affaires
A partir de la constatation d'un envahissement toujours plus important du droit des affaires par le droit
pénal, la question qui se pose régulièrement est de savoir, s'il faut ou pas dépénaliser les infractions
d'affaires.

Telle est la question qui, depuis l'émergence d'un droit spécifique aux affaires, se pose régulièrement
en considération d'un contexte politique, économique et social, et dont la réponse a toujours suscité
de nombreuses hésitations et difficultés. L'édiction de la norme pénale constitue un acte essentiel,
qui permet à l'Etat de déterminer les valeurs fondamentales qu'il veut protéger et de manifester
la réprobation sociale liée à leur transgression, par le biais de la sanction pénale. S'engager dans
un mouvement de dépénalisation exige, par conséquent, une réflexion d'ensemble de politique
criminelle sur les objectifs recherchés et les conséquences envisageables, déterminants les choix
du législateur.

Un droit pénal spécifique aux affaires s'est progressivement constitué autour de quelques
incriminations déjà contenues dans le code pénal de 1810. (Il existait dans le code pénal napoléonien,
quelques textes d'incrimination orientés vers le commerce constituant en quelque sorte, le noyau
dur d'un droit pénal des affaires qui connaîtra par la suite une évolution considérable).

Exemple
• la banqueroute sanctionnant le failli
• l'exploitation illégale de maisons de prêt sur gage,
• la violation d'un secret de fabrique
• l'usure en matière de prêt

Les fondations ainsi posées, le droit pénal des affaires ne connaîtra pas d'évolution marquante
pendant la première moitié du XIXè siècle. Les bouleversements économiques, sociaux et
commerciaux que connaîtra la France dans les années qui suivirent, entraînèrent une explosion du
droit pénal des affaires. L'essor du commerce, la circulation des richesses, la création de sociétés
créent un contexte propice au développement d'une délinquance spécifique.

Le législateur réagira dans un premier temps, pour sanctionner ces agissements par la loi du 24 juillet
1867, qui sanctionne pénalement les manquements aux règles de constitution et de fonctionnement
des sociétés par actions. Ce mouvement de pénalisation s'amplifiera dans la première moitié du XX
é siècle avec l'apparition du premier texte du droit de la consommation : la loi du 1er août 1905 sur
les fraudes et falsifications.

Le droit pénal des affaires voit son territoire s'élargir et la période trouble que connaît le pays confirme
la nécessité de l'intervention du droit pénal. Les scandales retentissants qui secouent la France dans
les années 1930, dont l'affaire Stavisky reste la plus célèbre illustration, conduisent le législateur à
renforcer ce droit naissant, par la création de trois délits spécifiques aux sociétés : la présentation de
faux bilan, l'abus de biens sociaux et l'abus des pouvoirs et des voix avec la circonstance aggravante
d'appel public à l'épargne, Décret-loi du 8 août 1935.

Depuis lors, le droit pénal des affaires ne cessera de s'étoffer, de s'enrichir et de se diversifier pour
pénétrer les relations d'affaires et plus largement, l'ensemble du droit économique. Le législateur
contemporain recourt systématiquement à la sanction pénale pour assurer l'efficacité des règles
posées.

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Exemple
En matière de réglementation des prix et de la concurrence (ord. 30 juin 1945), d'assainissement
des professions commerciales (loi du 30 août 1947), de sociétés, de bourse, de crédit, de
consommation, d'environnement, de travail, d'hygiène et de sécurité...

Cette pénalisation galopante est particulièrement visible dans la loi du 24 juillet 1966 (aujourd'hui
codifiée Livre 2 du code de commerce) sur les sociétés commerciales qui consacre un titre entier
aux dispositions répressives et incrimine quelques cent cinquante comportements du plus véniel
au plus grave).

Cette extension des incriminations aboutit à la création d'un droit pénal artificiel qui " révèle de simples
choix techniques dans l'organisation sociale sans portée éthique significative ", sans la légitimité
morale qui doit sous-tendre toute règle pénale pour qu'elle soit acceptée par le corps social : par
exemple en droit des sociétés, en droit de l'environnement....

Exemple
En droit des sociétés, en droit de l'environnement...

Cette inflation de dispositions pénales en droit des affaires nuit à l'efficacité de la sanction. Personne
ne conteste la nécessité du recours à la sanction pénale pour les comportements les plus graves,
mais nombreuses sont les voix à s'élever pour réclamer une dépénalisation du droit des affaires
dans son aspect sanctionnateur des irrégularités purement formelles.Le législateur a répondu aux
voeux de la doctrine dans les années 1985 en amorçant un mouvement de dépénalisation : par
exemple l'ordonnance du 1er décembre 1986 dépénalise certaines pratiques anticoncurrentielles
entre professionnels (De multiples comportements échappent désormais au droit pénal tel que le
refus de vente, les ventes liées... Le contentieux est transféré soit aux juridictions civiles, soit au
Conseil de la concurrence).

Enfin, on peut également citer la loi du 30 décembre 1991 qui dépénalise l'émission de chèque sans
provision, transférant aux banques le pouvoir sanctionnateur. Le législateur s'était engagé sur le
chemin du recul du droit pénal, prenant manifestement conscience de l'inutile omniprésence de la
sanction pénale dans la vie des affaires.

Cette dépénalisation s'est confirmée en ce qui concerne la constitution des sociétés avec la loi
Nouvelles Régulations économiques du 15 mai 2001, qui a supprimé de multiples infractions
pénales. La dépénalisation a été poursuivie par les lois relatives à l'Initiative économique et à la
sécurité financière (1er août 2003) concernant pour l'essentiel les formalités de constitution des
sociétés commerciales ainsi que l'ordonnance portant simplification du droit et celle sur les valeurs
mobilières 2004.Cependant, ce mouvement de dépénalisation est très souvent contrebalancé par
un mouvement de pénalisation de certains agissements que le législateur incrimine eu égard à
l'évolution de la criminalité, ou dont il aggrave les sanctions.

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Exemple
• en 1994 par la loi du 10 juin, le législateur crée un nouveau cas de banqueroute relatif à la
tenue d'une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions
légales.
• en 2000, un nouveau cas de corruption est incriminé dans le code pénal : la corruption des
fonctionnaires européens étrangers.
• en 2001 le champ d'application du délit d'initié est élargi et les sanctions alourdies
• en 2004, et en 2009 le législateur étend l'obligation de déclaration de soupçon en matière de
blanchiment de capitaux aux avocats, experts-comptables et leurs salariés, commissaires aux
comptes...
• en 2005, l'infraction d'abus de biens sociaux est étendu à la société européenne.
• la loi du 26 juillet 2005 relative à la Sauvegarde des entreprises élargit la liste des personnes
susceptibles d'être auteurs du délit de banqueroute aux professionnels indépendants y
compris les professionnels libéraux.

Si l'on fait le bilan, nous constatons qu'après l'indiscutable dépénalisation des années 1980, un
mouvement important de pénalisation dans les années 1990 se manifeste, qui renforce le pouvoir
d'intervention du juge pénal dans la vie des affaires, et l'avenir paraît aller dans ce sens. Cependant,
la dépénalisation massive du droit des sociétés qui concerne des délits essentiellement matériels,
témoigne de la volonté du législateur de recentrer le droit pénal des affaires sur les infractions les
plus graves, ce qui est tout à fait souhaitable afin de redonner un véritable sens à la peine.

A cette fin, dans un souci de relance de l'initiative économique, un rapport a été demandé par le
Garde des Sceaux afin de réfléchir à une dépénalisation du droit des affaires. Ce rapport dit « Rapport
Coulon » du nom du magistrat qui présidait la commission de réflexion, a été remis au ministre de la
justice au début de l'année 2008 et pourrait déboucher sur une réforme du droit pénal des affaires.
La ligne directrice de cette réforme est de dépénaliser les comportements les moins graves, de
poursuivre la dépénalisation du droit des sociétés en ce qui concerne les formalités sociétaires, et
de remplacer la sanction pénale par une sanction civile (injonction de faire sous astreinte ou nullité
des actes irréguliers), pour recentrer le droit pénal sur la répression des agissements frauduleux
qui méritent la sanction la plus lourde. Pour ces infractions les plus graves (délits d'abus de biens
sociaux, délit d'initié...), un alourdissement de la peine serait envisagé.
Cependant, ce rapport n’a pas encore débouché sur des propositions législatives.Il apparaît en outre,
que depuis que la France subit la crise économique et financière , les réformes du droit pénal des
affaires ont été suspendues ( C. Mascala Les réformes en droit pénal et la crise . collection de l'IFR
Toulouse 1 Capitole Montchrestien 2011)
Les lois les plus récentes élargissent toujours davantage le domaine de la sanction pénale en droit
des affaires , ces sanctions s'appliquant par exemple aux professonnels indépendants dans le cadre
de la banqueroute ainsi que, depuis la loi du 15 juin 2010, à l'entrepreneur individuel à responsabilité
limitée.

Comme il a été souligné précédemment, le contenu du droit pénal des affaires peut être variable,
dès lors que les agissements que l'on peut rattacher à l'entreprise sont très nombreux et divers. Ainsi
le contenu relève le plus souvent d'un choix arbitraire, ainsi que des aspects qui paraissent le plus
important dans un souci pédagogique.Ainsi étant enseigné dans le cadre de la maîtrise de droit des
affaires, nous nous orienterons vers les infractions ayant une relation directe avec le fonctionnement
de la vie des affaires, de l'entreprise. Ce qui nous conduira à étudier des infractions contre les
biens, excluant ainsi volontairement certaines atteintes à la personne indirectement rattachées à
l'organisation de l'entreprise.

Exemple
Le harcèlement sexuel incriminé par l'article 222-23 du code pénal qui peut être commis par un
dirigeant de société, mais qui ne relève qu'occasionnellement du domaine du droit pénal des
affaires.

L'orientation choisie nous amènera à envisager, à titre préliminaire, deux infractions qui sont ce que
l'on appelle des constantes fondamentales du droit pénal des affaires. En effet, c'est à partir de ces
infractions - de leur structure juridique - que d'autres incriminations spécifiques ont été élaborées.
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Ces deux infractions sont :
• l'escroquerie,
• l'abus de confiance,
Une fois ces infractions envisagées, il conviendra alors d'étudier des infractions spécifiques à la
vie de l'entreprise.

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Cours : Droit pénal des affaires
Auteur : MASCALA Corinne
Leçon n° 2 : Les éléments constitutifs de l'escroquerie

Table des matières


Section 1. Utilisation de moyens frauduleux.........................................................................................p. 2
§ 1. Faux noms et fausses qualités.............................................................................................................................p. 3
A. Usage d'un faux nom..................................................................................................................................................................... p. 3
B. Usage d'une fausse qualité............................................................................................................................................................p. 3
§ 2. L'abus de qualité vraie..........................................................................................................................................p. 5
§ 3. Les manœuvres frauduleuses.............................................................................................................................. p. 5
A. Nature des manœuvres................................................................................................................................................................. p. 6
B. Caractère des manœuvres............................................................................................................................................................ p. 6
C. Principales illustrations des manœuvres frauduleuses..................................................................................................................p. 7
Section 2. La remise de la chose......................................................................................................... p. 10
§ 1. Objet de la remise.............................................................................................................................................. p. 10
A. Fonds, valeurs ou biens quelconques, actes opérant obligations ou décharges ....................................................................... p. 10
B. Services........................................................................................................................................................................................ p. 10
C. Obligations ou décharges............................................................................................................................................................ p. 11
§ 2. Nature de la remise............................................................................................................................................ p. 11
A. La remise matérielle.....................................................................................................................................................................p. 11
B. La remise par équivalent............................................................................................................................................................. p. 11
Section 3. Le préjudice.......................................................................................................................... p. 13
Section 4. L'intention............................................................................................................................. p. 14
§ 1. La notion d'intention............................................................................................................................................p. 14
§ 2. L'indifférence du mobile...................................................................................................................................... p. 14

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Le droit romain n'a jamais connu une incrimination spécifique de l'escroquerie, tout au plus
sanctionnait-on certains faits graves par une compréhension large du vol. Dans notre ancien droit,
l'escroquerie était systématiquement assimilée au vol. Pourtant les deux incriminations qui ont
pour point commun de constituer une atteinte à la propriété d'autrui, présentent une différence
fondamentale : le vol suppose la soustraction frauduleuse (contre la volonté de la victime) de la chose
d'autrui, alors que l'escroquerie est une infraction de ruse (la victime remet volontairement la chose
sous l'effet du procédé frauduleux utilisé).

Les lois des 19 et 22 juillet 1791 ont incriminé l'escroquerie à titre autonome. Le code pénal de 1810
a donné une nouvelle définition du délit d'escroquerie.

Article 405 ancien : " quiconque, soit en faisant usage de faux noms ou de fausses qualités,
soit en employant des manœuvres frauduleuses pour persuader de l'existence de fausses
entreprises, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire, ou pour faire naître l'espérance ou
la crainte d'un succès, d'un accident ou de tout autre événement chimérique, se sera
fait remettre ou délivrer des fonds, des meubles ou des obligations, dispositions, billets,
promesses, quittances ou décharges, et aura, par un de ces moyens, escroqué ou tenté
d'escroquer la totalité ou partie de la fortune d'autrui, sera puni d'un emprisonnement... et
d'une amende ... ".

Postérieurement au code pénal, trois modifications législatives importantes sont intervenues. La loi
du 13 mai 1863 a incriminé la tentative d'escroquerie. Le décret-loi du 8 août 1935 a aggravé les
peines lorsque l'escroc a fait appel public à l'épargne. Le code pénal de 1994 a modernisé la définition
du délit en élargissant les objets susceptibles d'être remis par la victime.

L'escroquerie est aujourd'hui incriminée par l'article 313-1 du code pénal

Du texte d'incrimination découlent les éléments constitutifs de l'escroquerie qui sont au nombre de
quatre : l'utilisation de moyens frauduleux, la remise de la chose, le préjudice et l'intention .

Section 1. Utilisation de moyens frauduleux


Ces procédés frauduleux sont définis par le code. Le principe de l'application stricte de la loi pénale
interdit au juge de retenir un moyen frauduleux qui n'est pas visé expressément par la loi (Rappel
des principes: le principe de la légalité des délits et des peines, principe fondamental de notre droit
pénal, a pour conséquence d'obliger le juge pénal à faire une interprétation stricte des textes afin
de respecter la volonté du législateur). Cependant, l'énumération légale est suffisamment large pour
permettre une répression efficace. La loi vise quatre moyens :
• le faux nom,
• la fausse qualité,
• l'abus d'une qualité vraie,
• les manœuvres frauduleuses.
L'emploi d'un seul de ces moyens suffit à caractériser le délit d'escroquerie. Quel que soit le moyen
utilisé, il doit toujours présenter des caractères communs qui sont déterminants : le moyen doit être
déterminant de la remise et révélé par un acte positif.

Pour que les agissements soient punissables, il est nécessaire que l'usage des moyens frauduleux ait
été la cause déterminante de la remise des biens escroqués. Entre l'utilisation des moyens frauduleux
et la remise de la chose doit exister un lien de cause à effet. Dès lors, si le procédé frauduleux a été
utilisé postérieurement à la remise de la chose, il ne peut pas être considéré comme déterminant
du consentement de la victime.

Jurisprudence
Application : relaxe du prévenu qui a remis à un tiers deux reçus portant la fausse qualité de "
conseiller juridique ", les dits reçus ayant été produits par le prévenu postérieurement à la remise
des fonds par la plaignante : Cass. crim. 14 mai 1990, Bull., n°187.
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Puisque la loi exige l'usage d'un moyen frauduleux, cela implique un acte positif de la part de l'auteur
de l'infraction. La simple réticence, l'omission ne sont pas constitutives de l'escroquerie même si
elles provoquent la remise de la chose. L'omission, bien qu'elle ait pour effet d'entraîner la remise
de la chose, ne peut constituer l'élément matériel du délit.

Jurisprudence
Le fait de ne pas détromper la victime qui commet elle-même une erreur ne consomme pas
l'escroquerie Cass. crim. 20 mars 1997, Dr.pén. 1998 com. n°8.
Dès lors, le fait de rester passif, ou de se laisser attribuer un nom ou une qualité que l'on n'avait plus,
ne saurait être considéré comme un acte positif d'usage au sens de l'article 313-1 du code pénal.Il
convient d'envisager d'une part, l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, ainsi que l'abus d'une
qualité vraie qui à eux seuls constituent les moyens frauduleux de l'infraction et les manœuvres
frauduleuses dont la nature n'est pas définie par le code.

§ 1. Faux noms et fausses qualités


A. Usage d'un faux nom
Le faux nom est un nom imaginaire, usurpé. La jurisprudence assimile le faux prénom au faux
nom, dès lors que son utilisation accolée à un nom réel trompe la victime et la détermine à remettre
la chose.

User d'un faux nom, c'est employer un nom qui n'est pas le sien, qu'il s'agisse d'un nom
imaginaire ou d'un nom appartenant effectivement à autrui. Un tel usage est de nature à tromper
les tiers sur sa véritable identité. Lorsque la tromperie sur l'identité a pour but de provoquer la remise
d'un objet, elle constitue un élément du délit d'escroquerie.L'usage d'un faux nom ne cesse pas d'être
punissable par le fait que l'usage du nom s'effectue avec le consentement de la personne dont le
nom a été usurpé

Jurisprudence
C'est ce qu'a décidé la cour d'appel de Paris par un arrêt du 12 décembre 1938 (D.H. 1939.121), à
propos d'un médecin qui, en vertu d'un accord avec un autre médecin, se présente sous le nom de ce
dernier dans diverses villes de province, rédige des ordonnances sur papier à en-tête et affiche des
cartes de visite au nom du second médecin. Ce dernier, d'ailleurs, en dépêchant des remplaçants
auxquels il recommandait de se faire passer pour lui, a été déclaré complice de l'escroquerie par
aide, assistance, instructions et fourniture de moyens.
Il suffit donc pour être répréhensible d'avoir trompé les tiers sur sa véritable identité, en faisant usage
d'un nom qui n'est pas le sien, voire d'un prénom, que ce prénom faux ait été ajouté au vrai nom ou
que ce prénom ait été utilisé comme nom patronymique. En effet, la jurisprudence assimile l'usage du
faux prénom à celui du faux nom dès lors que l'adjonction intentionnelle de ce prénom au nom a pour
finalité de tromper autrui pour le déterminer à remettre une chose.En ce qui concerne l'homonymie, la
jurisprudence n'hésite pas à considérer qu'il s'agit d'un usage de faux nom, soit par suite de l'emprunt
d'un faux prénom, soit même en raison de la simple confusion créée (se rend coupable de fausse
signature, celui qui signe de son nom de famille, en empruntant le prénom d'un homonyme). Dans
le cadre d'une poursuite pour escroquerie par utilisation de faux nom, il n'existe aucune question
préjudicielle lorsque le prévenu soutient, pour sa défense, que le nom employé était le sien. Le juge
de l'action étant le juge de l'exception, C. pr. pén. art. 384, le tribunal correctionnel a compétence
pour trancher ce moyen de défense et déterminer quel est le vrai nom de la personne poursuivie.

B. Usage d'une fausse qualité


Si le nom correspond à une définition juridique bien déterminée (appellation qui individualise une
personne), en revanche le terme " qualité " est beaucoup moins précis, puisqu'il ne correspond
pas à une notion juridique. Sans doute, pour certains auteurs la qualité visée par l'article 313-1
du code pénal ne peut être qu'une qualité juridique, ce qui reviendrait à voir dans la qualité un
titre légalement conféré à une personne et lui procurant certains droits qu'elle n'aurait pas eu sans
son obtention (titre de docteur en médecine, de docteur en droit, d'avocat ...). Une telle conception
restreint singulièrement la définition de la qualité, aux seules personnes déjà protégées par l'article
433-17 du code pénal, art. 433-17 CP. Ce texte, en effet, punit d'un an de prison et de 15 000 euros
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d'amende, l'usage, sans droit, d'un titre attaché à une profession réglementée par l'autorité publique,
ou d'un diplôme officiel ou d'une qualité dont les conditions d'attribution sont fixées par l'autorité
publique. Ce délit distinct ferait donc très souvent double emploi avec la qualification d'escroquerie.
Cette conception restrictive doit être écartée ; le terme " qualité " doit être interprété dans un sens
beaucoup plus large. La jurisprudence opte pour cette conception large. La qualité doit être entendue
dans son sens naturel : il s'agit de l'état des personnes tel qu'il résulte de la nationalité, de l'âge, du
sexe, de la situation matrimoniale, de la profession. Les tribunaux estiment que toute particularité,
tout avantage de nature à inspirer confiance entrent dans les prévisions du texte.

Remarque
Néanmoins, le délit n'est constitué que si l'auteur s'est attribué une qualité qu'il n'avait pas dans la
mesure où l'infraction implique un acte positif de l'escroc. Dès lors, il n'y a pas escroquerie lorsque
l'auteur s'est laissé attribuer une qualité qu'il n'avait pas ou qu'il n'avait plus : une simple réticence
ne peut être constitutive de l'escroquerie Il en serait de même si l'auteur a attribué, même par écrit,
une fausse qualité à un tiers. En revanche, il y aurait usage de fausse qualité si l'on produisait un
écrit émanant d'un tiers attribuant à l'auteur une qualité qu'il n'avait pas.

La fausse qualité peut se concevoir d'une qualité objective, c'est-à-dire d'un des attributs juridiques
servant à désigner une personne, ou d'une qualité subjective tenant à la personne même de l'auteur.

Un contentieux important récent relatif à de fausses qualités invoquées pour percevoir des
prestations sociales s'est développé. Ainsi, se rend coupable du délit d'escroquerie celui qui,
ayant été licencié de l'emploi salarié qu'il occupait, se fait inscrire au chômage alors qu'il avait pris
l'engagement d'aviser immédiatement l'ASSEDIC s'il retrouvait " une activité professionnelle, qu'elle
soit salariée ou non " et qui, dans une déclaration de ressources, a certifié sur l'honneur " n'avoir
aucune ressource autre que ASSEDIC et Aide publique ", et s'est présenté tous les quinze jours
au bureau de pointage en se prévalant de la fausse qualité de chômeur, afin d'obtenir indûment les
indemnités de chômage, sans jamais révéler à l'autorité qualifiée sa véritable activité de commerçant,
exploitant seul et sans aucun contrôle, dans le même temps, en tant que gérant majoritaire d'une
société, un restaurant qui lui permettait de pourvoir à son entretien (Cass.crim. 8 avril 1999, Dr.pén.
1999 comm.n°126). Est également condamné, le directeur technico-commercial d'une société dont
l'épouse, gérante, a faussement déclaré son licenciement pour cause économique, et qui a perçu
les allocations de chômage tout en poursuivant ses activités dans l'entreprise (Crim. 9 mai 1979, D.
1980.IR.45, Gaz. Pal. 26 janv. 1980).

La fausse qualité de mandataire:En l'absence d'une définition précise de la qualité visée par
l'article 313-1 du code pénal, la jurisprudence a été amenée à considérer que le fait de se prétendre
faussement mandataire d'une personne, constituait la prise d'une fausse qualité. Celui qui affirme
frauduleusement détenir un mandat donné par un tiers afin de se faire remettre une chose, use
d'une fausse qualité (Cass.Crim. 10 juin 1991, Bull. n°247). Récemment, c'est sur le fondement de
la fausse qualité que les tribunaux ont condamné l'escroquerie dite " à la charité publique ". L'escroc
prétend être le mandataire d'une association caritative et à ce titre, il recueille des fonds (Référence :
Cass. Crim. 10 juin 1991, Dr. pén. 1993, Com. n°283).

Exemple
Constitue une escroquerie le fait de mettre sur pied un réseau de collecte de fonds par des
démarcheurs se faisant passer pour des étudiants bénévoles et sollicitant la charité publique au
profit d'une association mondiale d'aide aux accidentés de la route, dépourvue en fait de toute action
humanitaire, alors que les organisateurs savaient pertinemment qu'aucun pourcentage des dons
ne reviendrait pas aux handicapés (Crim. 10 juin 1991, Bull. crim. n°247).

L'exclusion de la qualité de créancier ou de propriétaire :

La jurisprudence a toujours refusé de retenir la qualité de propriétaire ou de créancier invoquée


faussement comme un moyen de l'escroquerie.

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Il est jugé en effet, que le délit d'escroquerie ne saurait exister lorsque la victime avait la possibilité
de vérifier l'allégation de l'agent qui prétend être titulaire d'un droit, ce qui est le cas du propriétaire
ou du créancier. Cependant, il faut noter que si la vérification de la titularité du droit allégué est
aisément réalisable pour les immeubles ou les meubles immatriculés, puisqu'ils font l'objet de
mesures de publicité, cela est beaucoup plus difficile voire impossible pour les meubles. De manière
plus générale, l'affirmation mensongère d'un droit ne saurait se confondre avec une qualité, qu'il
s'agisse d'un droit de créance, d'un droit de propriété, et de la capacité. Aussi bien, est-il difficile de
tracer la limite entre la fausse qualité punissable et le mensonge exclusif de la fausse qualité.

Exemple
Affirmer faussement être créancier d'une personne, ce n'est pas prendre à son égard une fausse
qualité, c'est commettre un simple mensonge qui, pour être réprimé, doit être accompagné de
manoeures frauduleuses (Crim. 6 oct. 1980, D. 1981.IR.141).

§ 2. L'abus de qualité vraie


Sous l'empire de l'ancien code pénal, le fait d'abuser d'une qualité réellement possédée n'entrait pas
dans le domaine d'application de l'infraction. Afin de pallier cette insuffisance législative - l'abus de
qualité vraie ne pouvant pas être assimilé à une usurpation de qualité - la jurisprudence considérait
que cet abus caractérisait une manœuvre frauduleuse utilisée pour provoquer la remise de la chose.
L'abus de qualité vraie pouvait être sanctionné seulement au titre des manœuvres frauduleuses.

Exemple
Abuse de sa qualité vraie de mandataire et se rend coupable d'escroquerie au préjudice de son
client, l'agent immobilier qui, ayant reçu mandat de vendre un immeuble, fait signer à son client une
promesse de vente à un prix donné, sans préciser le nom de l'acheteur, puis, à l'insu de son client,
revend l'immeuble pour son compte personnel à un prix supérieur à celui fixé par son mandant et
conserve pour lui à la fois une commission qui, dans ces circonstances, est indue, et la différence
entre le prix payé par l'acheteur et celui consenti par le vendeur, différence qui aurait dû revenir
au vendeur, client et mandant de l'agent immobilier, lequel n'a pu s'approprier cette somme qu'en
dissimulant sa qualité de contrepartiste (Crim. 27 mars 1973, Bull. crim. n°151).

Le code pénal de 1994, dans l'article 313-1, détermine un nouveau moyen frauduleux, à titre
autonome : l'abus de qualité vraie. Il n'est donc plus nécessaire que les tribunaux caractérisent
l'existence des manœuvres. Il suffit que soit constatée une qualité vraie dont le titulaire a fait un
usage abusif. L'abus constitue le délit, à la condition toutefois que cet abus soit déterminant de la
remise de la chose par la victime.

Exemple
Directeur d'une maison médicale qui demande à la sécurité sociale le remboursement de prestations
sur des clients fictifs ou des prestations non effectuées (Crim. 21 mars 1996 , RSC 1996.862, obs.
Ottenhof) ; avocat qui fait un usage abusif de sa qualité pour provoquer l'abandon de la procédure
par l'adversaire (Crim. 6 av. 1993, Dr. pénal 1993, com. n°121 ; Paris 6 fév. JCP 1995.IV.1022) ;
médecin et infirmier qui établissent des feuilles de soins portant des cotations fausses, signées
par leurs clients pour obtenir le paiement de prestations par la sécurité sociale ( Cass. crim.
20 mai 2009 et 4 nov. 2009, Dalloz 2010 panorama Droit pénal des affaires p. 1666 obs. C.
Mascala) ; professeurs se faisant rembourser pendant plusieurs années des frais de déplacements
conséquents pour des missions de recherche plus ou moins fictives (CA Pau 29 avril 2004, D. 2004,
jur. p.2401 note Nérac).

Abuse de sa véritable qualité, l'avocat qui se fait remettre de l'argent par la victime en lui affirmant
qu'il servira à corrompre un organe de la procédure collective, afin d'obtenir une décision favorable
du tribunal de commerce ( Crim. 30 juin 1999, Bull. n° 170)

§ 3. Les manœuvres frauduleuses


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A. Nature des manœuvres
Le terme " manœuvre " utilisé par la loi implique nécessairement un fait positif, un fait actif de la
part de l'auteur de l'escroquerie. Il en résulte qu'une simple réticence, un silence ne sauraient être
considérés comme une manœuvre au regard du délit d'escroquerie, alors même que ce silence ou
cette réticence recevrait la qualification de dol au sens de l'article 1116 du code civil. La manœuvre
suppose donc une certaine machination.

Jurisprudence
Ainsi le simple mensonge ne peut être constitutif d'une manœuvre dès lors qu'il n'est pas corroboré
par des faits extérieurs de nature à lui donner force et crédit. Il a donc été jugé que ne constitue
pas une escroquerie le fait d'émettre 23 chèques sans provision sur une période de sept jours, car
selon la Cour de cassation ces actes ne sont caractéristiques que de mensonges écrits et réitérés
qui émanent du titulaire du compte lui-même sans qu'aucun fait extérieur ne vienne les confirmer
(Cass.crim.1er juin 2005, Dr. Pén. 2005 com. n° 147; Cass.crim. 6 avril.2011 n°10-85209 D. 2012,
p. 1701 obs. C. Mascala).
L'escroquerie ne peut résulter que d'un acte positif et non d'une simple omission (par exemple : rejet
de la qualification contre un assuré social auquel a été attribuée une rente d'invalidité pour cécité qui a
omis de signaler l'amélioration de son état à la sécurité sociale). Caractérise l'emploi de manœuvres
frauduleuses, l'arrêt qui constate que, pendant sept ans, depuis le décès de son père, le prévenu
avait continué à percevoir sur un compte ouvert au nom de celui-ci à la Caisse d'Epargne, sur lequel
il avait une procuration, la retraite versée par la Mutualité sociale agricole, et qui relève qu'ayant, de
son propre aveu, pris conscience du caractère anormal de la situation, il avait, en faisant indûment
fonctionner le compte du défunt, sur lequel sa procuration était devenue caduque et qui aurait dû
être clôturé, accompli un acte positif de nature à entraîner la remise d'autres fonds ; ces manœuvres
comportant l'intervention de la Caisse d'Epargne, tiers de bonne foi (Cass. crim. 20 mars 1997, Dr.
pénal 1997.108, obs. Véron).

Puisque le terme " manœuvre " implique une certaine machination, le simple mensonge ne peut,
à lui seul, être constitutif de l'escroquerie.

Le mensonge, même réalisé par écrit, n'est une manœuvre caractéristique du délit d'escroquerie
que s'il s'y joint un fait extérieur ou un acte matériel, une mise en scène ou l'intervention d'un tiers
destiné à donner force et crédit aux allégations mensongères du prévenu. Ainsi, il a été jugé que le
prévenu qui ouvre un compte bancaire sur lequel il dépose cent euros et obtient ainsi un chèquier, et
qui dans la semaine qui suit, tire vingt chèques pour un montant d'environ 24000 euros commet une
escroquerie. En effet, les juges ont considéré que l'ouverture du compte avec une somme modeste
avait pour seul but de donner l'illusion de moyens financiers et ainsi tromper les victimes en obtenant
la remise de biens contre un chèque (Cass.crim. 1er juin 2011 n° 10-83568, D. 2012 p. 1701 note
C. Mascala) . De même a été qualifié d'escroquerie, le fait pour la gérante d'une société dissoute
d'avoir conservé des chéquiers qu'elle utilisait pour payer les dettes d'une autre société dont elle
était associée ( Cass. crim. 14 déc. 2011 n° 10-88328 , D. 2012 p. 1701 obs. C. Mascala) .

Exemple
Cass. Crim. 8 nov. 1976, D. 1976.IR.335, Bull. crim.n°317 : production d'un bilan volontairement
falsifié ; Ne constituent pas des manœuvres frauduleuses, au sens de l'article 313-1 du code pénal
de simples mensonges, même assortis de pressions ou de menaces verbales Cass.crim. 25 sept.
1997, Bull. n°313.

La manœuvre consiste à imaginer des stratagèmes, ou à organiser des ruses. La manœuvre, c'est
toute mise en scène, toute technique destinées à tromper les tiers, par exemple en produisant des
documents écrits, ou en faisant intervenir des tiers.

B. Caractère des manœuvres


Puisque la manœuvre frauduleuse doit avoir déterminée la remise, il n'y a pas escroquerie
lorsque la victime a connaissance du caractère des agissements. Pour être déterminante de
la remise, les manœuvres doivent avoir été accomplies antérieurement à celle-ci ou au plus tard
concomitamment. Dès lors, les manœuvres postérieures à la remise ne doivent pas être prises en
considération pour caractériser le délit d'escroquerie.
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Jurisprudence
Cette solution a été rappelée par la chambre criminelle dans un arrêt du 16 décembre 1965
(Bull. crim. n°279), aux termes duquel les actes postérieurs à la remise ne sauraient être pris
en considération pour retarder le point de départ de la prescription. Exceptionnellement, la Cour
de cassation retient la qualification d'escroquerie alors que les manœuvres sont postérieures
à la remise. Cette situation se rencontre uniquement lorsque les manœuvres postérieures ont
pour but d'obtenir des remises successives (présentation de faux bilans à un banquier afin que
celui-ci maintienne des prêts déjà accordés : Crim. 31 oct. 1981, D. 1982.IR.125, obs. Vasseur.)
échelonnées dans le temps.

Jurisprudence
Cette jurisprudence est contestable, car il est nécessaire que tous les éléments constitutifs du
délit soient réunis lors de sa consommation, fixée au moment de la remise. Par conséquent, les
manœuvres postérieures ne devraient pas permettre de retenir l'infraction. La qualification d'abus
de confiance semble plus appropriée, car la fraude se réalise au cours de l'exécution du contrat.

C. Principales illustrations des manœuvres frauduleuses

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L'intervention d'un tiers Pour fortifier leurs allégations mensongères,
les escrocs ont souvent recours à
l'intervention d'un tiers qu'il soit de bonne
ou de mauvaise foi. Adjointe au mensonge,
l'intervention d'un tiers réalise la manœuvre
frauduleuse, élément constitutif du délit. Pour
constituer la manœuvre frauduleuse, il ne
suffit pas que l'intervention du tiers soit
autonome, il faut encore que ce tiers soit
intervenu à la demande même de l'escroc,
que l'intervention ait été provoquée par
ce dernier, le tiers joue alors le rôle de
certificateur des allégations mensongères de
l'escroc. On ne peut considérer comme une
manœuvre l'intervention spontanée d'un tiers,
même si cette intervention a déterminé la
remise de la chose. L'escroc doit avoir
l'initiative de l'allégation mensongère à
laquelle l'intervention du tiers a pour objet de
donner force et crédit.En outre, l'intervention
du tiers doit avoir été active et déterminante.
Il faut que le tiers ait confirmé et rendu
vraisemblables les allégations mensongères
de l'escroc, en les appuyant de son autorité.

Exemple
Ainsi il y a intervention du tiers, quand bien
même il s'agit de la coopération inconsciente
d'un avocat (CA Paris 12 juin 1946, Gaz.
Pal 1946.2.126) ou des clients d’un médecin
ou d’un infirmier qui signent des feuilles
de soins en ignorant que les mentions
portées sur la cotation des prestations est
fausse ( Cass.crim. 20 mai 2009 et 4
nov. 2009 op. cit). Le délit est constitué
par : l'intervention d'un notaire, donnant
force et crédit à de fausses déclarations
faites par l'une des parties pour déterminer
la signature de l'acte authentique par son
cocontractant (Cass. crim. 23 janv. 1997,
Bull. crim. n°34). L'intervention de bonne foi
du représentant d'une banque, par laquelle
le prévenu faisait fonctionner le compte
d'une personne décédée, sur lequel il avait
procuration et qui aurait dû être clôturé, ce
qui lui permettait de continuer à percevoir la
retraite du défunt (Cass. crim. 20 mars 1997,
Dr. pénal 1997.108, obs. Véron).

Il importe peu que le tiers qui a confirmé


le mensonge de l'escroc ait été de bonne
foi ou de mauvaise foi. Il suffit seulement
qu'il ait rendu vraisemblables les allégations
mensongères.

Toutefois, dans l'hypothèse où le tiers


intervenant est de bonne foi, ce dernier est
exonéré de toute responsabilité pénale.En
8
revanche, le tiers intervenant de mauvaise foi
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s'est rendu coupable du délit d'escroquerie,
soit comme coauteur, soit le plus souvent
comme complice en raison de l'aide et
Escroquerie au jugement ( CA Paris 28 mars 2012 D. 2012 p. 1271 et p. 1702 obs. C. Mascala) : Tout
acte créateur de droit qui est utilisé pour obtenir la remise d'une chose par la victime entre dans les
prévisions de la qualification d'escroquerie. L'obtention d'un jugement par des procédés frauduleux
consitue l'infraction car le jugement est un titre qui emporte des effets juridiques. En l'espèce, la
Caisse des dépôts et consignations produit en justice une lettre émanant d'un avoué, attestant que
la pièce demandée par le juge de la mise en état dans un procès civil, n'existe pas, et obtient ainsi
un jugement en sa faveur

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Section 2. La remise de la chose
§ 1. Objet de la remise
La loi vise trois catégories d'objets susceptibles de remise dans le cadre de l'infraction : d'une part,
les fonds, valeurs ou biens quelconques (à l'exception des immeubles) ; d'autre part, les services ce
qui est une innovation du nouveau code pénal et enfin les actes opérant obligation ou décharge.

A. Fonds, valeurs ou biens quelconques, actes opérant obligations ou


décharges
L'article 313-1 du code pénal réprime l'emploi de moyens frauduleux destinés à se faire remettre
des fonds, des valeurs ou un bien quelconque. Cette catégorie d'objets est très large, surtout
en considération de la formule " un bien quelconque " qui permet à la jurisprudence d'appliquer
facilement le texte. Cette catégorie ne soulève pas difficulté particulière. Il s'agit de toutes les remises
qui portent sur une somme d'argent, en espèces, en chèques ou sous forme d'ordre de virement ;
sur des choses mobilières susceptibles d'appropriation peu important la valeur vénale des objets
(bulletins de vote ; de billets à prix réduits ; bijoux ; tableaux, meubles meublants ; cession de droit
au bail ...). Cette formulation très large des objets remis correspond à la finalité de l'incrimination qui
est de protéger le patrimoine d'autrui. Les actes opérant obligations ou décharges sont des actes
établissant un line de droit : un jugement ( CA Paris 28 Mars 2012 D. 2012 p. 1702 obs. C. Mascala) ,
un contrat , une facture ....

Seuls les immeubles restent en dehors du domaine d'application de l'escroquerie (Exemples :


Crim. 15 juin 1992, Bull. n° 235 ; 27 mars 1995, ibid. n° 124. C. MASCALA L'immeuble : un bien
saisi par le Code pénal ? Mélanges R.Saint-Alary L'immeuble et le droit. Presses de l' Université
de Toulouse I 2006).L'escroquerie ne peut pas porter directement sur un immeuble, car il est
inconcevable pour la jurisprudence actuelle que l'escroc puisse se faire remettre matériellement un
immeuble. L'impossibilité de remise matérielle d'une chose immobilière fait échec à la qualification
d'escroquerie. Toutefois, si cette qualification est écartée, indirectement l'escroquerie peut affecter
un immeuble. En effet, la jurisprudence admet que la remise peut concerner le prix de l'immeuble,
les titres ou actes de propriété (Exemple : Crim. 23 janv. 1997, Bull. n° 34 ; Dr. Pénal 1997, com.
93 obs. Véron).

B. Services
Le nouveau code pénal incrimine une catégorie inconnue jusqu'à lors du texte d'incrimination : la
fourniture de services. Par cette extension, le législateur consacre une jurisprudence des juridictions
du fond déjà bien ancrée dans les faits. En effet, sous l'empire de l'ancien code pénal, l'escroquerie
aux prestations de services ne pouvait être légalement retenue en l'absence de précision expresse du
texte, puisque les services n'étaient pas visés par la loi. Or les tribunaux se sont trouvés confrontés à
une situation embarrassante où manifestement des individus étaient animés d'intention malhonnête,
mais qui n'entrait pas dans un cadre légal. Cette situation se rencontrait par exemple dans les "
escroqueries au parcmètre ".

Jurisprudence
Des individus introduisaient dans les parcmètres des rondelles métalliques de même taille que des
pièces de monnaie mais sans aucune valeur, pour déclencher le mécanisme de l'appareil obtenant
ainsi frauduleusement un temps de stationnement. Les éléments constitutifs de l'escroquerie
étaient-ils réunis ? L'introduction d'une rondelle sans valeur constituait à l'évidence une manœuvre
frauduleuse. Mais y avait-il remise d'une chose au sens du texte d'incrimination ? Ce qui était
remis était un service (autorisation de stationner pour le temps supposé payé), chose qui n'entrait
pas dans la liste limitative des objets susceptibles d'escroquerie. Pour entrer en condamnation,
les juges du fond utilisèrent alors un artifice considérant que le déplacement de l'aiguille du
parcmètre symbolisant le temps de stationnement accordé devait être analysé comme un acte
opérant obligation ou décharge, ce qui était visé par la loi (Cass. Crim. 29 mai 1978, Bull. n°170,
D. 1978, IR, 344, obs. Roujou de Boubée).
L'article 313-1 du code pénal met fin à cette difficulté : désormais les prestations de services peuvent
donner lieu à la commission de l'infraction.

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Exemple
La fourniture d'eau, d'électricité, de gaz.... On peut en effet imaginer un abonné qui par des
procédés frauduleux " trafique " le compteur en modifiant les relevés mécaniques de consommation
postérieurement à la distribution. Cette qualification doit être distinguée de celle de vol d'énergie,
aujourd'hui incriminée à l'article 311-2 du code pénal : " la soustraction frauduleuse d'énergie au
préjudice d'autrui est assimilée au vol ". Le vol suppose en effet, une soustraction frauduleuse
avant l'enregistrement de la consommation par le compteur, par exemple par des branchements
clandestins.

C. Obligations ou décharges
L'article 313-1 du code pénal vise tous les actes qui créent, constatent, établissent ou éteignent un
droit au profit de l'escroc et au détriment du patrimoine de la victime (Exemple : Cass. Crim. 23
janv. 1997, Bull. n° 34, RSC. 1998, 553 obs.Ottenhof). Il importe peu qu'il s'agisse d'actes publics
ou privés dès lors qu'ils sont créateurs de droit.

Exemple
Production d'un contrat rédigé postérieurement afin de mettre des réclamations en échec : Crim.
6 janv. 1970, Bull. n° 11 ; présentation aux fins d'acquit de factures falsifiées faisant apparaître
des quantités inférieures à celles réellement livrées et par conséquent, un montant inférieur aux
sommes réellement dues : 24 avril 1984, Bull. n° 142 ; 4 mai 1987, D. 1987, IR, 137.

Tout acte établissant un lien de droit peut donc entrer dans cette catégorie.

Exemple
Promesse de vente, contrat, quittances, reconnaissance de dettes ; jugement : les tribunaux
considèrent que le jugement est un titre exécutoire qui emporte obligation ou décharge (Cass.crim.
26 mars 1998, Bull. n°117).

§ 2. Nature de la remise
A. La remise matérielle
La conception classique de la remise est celle issue du droit civil : la remise s'entend comme la
tradition manuelle de la chose, la délivrance de celle-ci.

La victime remet la chose à l'escroc, le passage de celle-ci des mains de la victime à celles de
l'escroc matérialise l'acte concret de remise. La preuve de la remise peut être faite par tous moyens.

Cette forme de remise la plus classique ne soulève pas de difficultés particulières, et constitue les
cas les plus nombreux d'escroquerie, la victime se dépossédant matériellement et volontairement
sous l'influence des agissements de l'escroc de lla chose qui lui appartient.

Cependant, dans certains cas la remise n'est pas matérielle et la jurisprudence a du résoudre la
question de savoir si la qualification d'escroquerie demeure alors applicable.

B. La remise par équivalent


L'escroquerie à la taxe sur la valeur ajoutée est caractéristique de cette difficulté. En effet,
l'escroc par des moyens frauduleux, en général des factures fausses ou fictives obtenues par
l'intermédiaire de sociétés taxis, réalise un détournement au détriment du Trésor. Ces factures
fausses ou fictives donnent à l'escroc la possibilité de se constituer frauduleusement un crédit de
taxe envers l'administration fiscale. Ce procédé frauduleux permet au commerçant selon le régime
fiscal en vigueur, de déclarer à l'Administration fiscale le paiement de taxe sur présentation de ces
factures fictives d'achat. Le montant de la TVA fictive payé sera donc porté à son crédit, par rapport
au montant de la TVA qu'il doit au Trésor pour les ventes effectuées. Or, en droit fiscal français, le
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contribuable assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée, paie au fisc selon un système de balance, la
différence entre le crédit d'impôt dont il bénéficie en fonction des achats effectués et le débit qu'il
supporte, calculé sur les ventes. Par conséquent, le montant des crédits fictifs de TVA, porté sur
les factures fausses ou fictives, permet d'éteindre par le mécanisme de la compensation un montant
égal voire supérieur de taxes effectivement dues au Trésor public. La fraude est ainsi réalisée, par
l'imputation de la TVA opérée frauduleusement par le contribuable au moyen des factures fictives
(C.Mascala, Fraudes et facturation, Thèse Bordeaux 1989).

Ces agissements sont-ils constitutifs du délit d'escroquerie ? Les factures fictives caractérisent les
manœuvres frauduleuses. Ces manœuvres doivent tendre à la remise de la chose convoitée par
l'escroc. Cette notion de remise a entraîné dans ce cas, une vive controverse tant en doctrine qu'en
jurisprudence. Si l'on retient la conception traditionnelle de la remise - c'est à dire la tradition manuelle
de la chose - l'escroquerie ne peut pas être réalisée parce qu'il n'y a pas remise de fonds par
l'Administration fiscale. En effet, le fisc victime ne remet pas matériellement les fonds au contribuable,
mais effectue seulement une écriture comptable sur le compte ouvert à son nom.

Si l'on considère au contraire, qu'il faut retenir une conception plus large de la remise et admettre
la remise par équivalent : l'imputation frauduleuse par la voie scripturale vaut alors remise de fonds
par équivalent.

La jurisprudence a opté pour cette seconde interprétation et considère que la remise par équivalent
vaut remise de la chose. Cette remise dématérialisée permet d'engager des poursuites sur le
fondement du délit d'escroquerie.

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Section 3. Le préjudice
Plusieurs arrêts de la Cour de cassation ont consacré l'exigence du préjudice, ce qui a pour effet
de redonner à l'escroquerie sa finalité première : la protection de la fortune d'autrui. La définition
de l'infraction depuis 1994 vise expressément le préjudice ce qui a pour effet d'en faire un élément
constitutif du délit.

Jurisprudence
Le premier arrêt de la Chambre criminelle qui a abandonné la formule classique selon laquelle
l'escroquerie existe indépendamment de tout préjudice, pour retenir la solution exactement inverse
date de 1991. En effet, cette décision affirme qu'en l'absence de préjudice, un élément constitutif du
délit d'escroquerie fait défaut (Crim. 3 avril 1991, Bull. n°155).La remise par la préfecture d'un titre
de séjour, obtenu par l'utilisation de manœuvres frauduleuses, ne constitue pas une escroquerie,
car ces faits ne " portent pas atteinte à la fortune d'autrui (Crim. 26 oct. 1994, Bull. n°341) ".

La jurisprudence la plus récente affirme que dans tous les cas, l'escroquerie suppose un préjudice
constituant une atteinte au patrimoine d'autrui (CA Toulouse, 5 oct. 2004, D.2005, IR, 243).

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Section 4. L'intention
§ 1. La notion d'intention
L'intention en matière d'escroquerie, est caractérisée par la volonté d'obtenir une remise de la
chose appartenant à la victime, en utilisant un des moyens frauduleux visés par l'article 313-1
du code pénal. Il n'est pas nécessaire pour que l'infraction soit constituée, que le prévenu ait tiré
un profit personnel. Dans la mesure où l'intention est caractérisée par la volonté de commettre
l'infraction, celle-ci n'est pas consommée lorsque l'agent croyait réellement aux espoirs qu'il a fait
naître chez la victime et qui ont provoqué la remise de la chose.

Jurisprudence
Il a été ainsi, jugé qu'il n'y a pas escroquerie de la part d'une personne qui se prétendait " prophète
" ou " envoyé de Dieu " mais qui y croyait réellement (CA Basse-Terre 8 oct. 1995, Gaz.Pal. Fév.
1986, Somm.).
La preuve de l'intention est soumise à l'appréciation souveraine des juges du fond qui déterminent la
bonne ou la mauvaise foi de l'agent. Pour établir la preuve de l'intention, les juges du fond appuient
très souvent leur argumentation sur la constatation des procédés frauduleux utilisés.

Exemple
L'individu qui réalise une mise en scène très élaborée avec des manœuvres frauduleuses,
l'intervention d'un tiers, la constitution de réseau en matière de facturation par exemple, utilise des
faux noms, des sociétés fictives ... peut difficilement arguer de sa bonne foi ou de son ignorance.

La mauvaise foi découle implicitement de la constatation de l'élément matériel de l'infraction.


L'intention criminelle s'apprécie au jour de l'utilisation des moyens frauduleux et de la remise de la
chose. La restitution postérieure de la chose obtenue par l'escroc n'affecte en rien la réalisation de
l'infraction, qui est consommée par la remise. Cette restitution ne peut être analysée qu'en un repentir
actif (acte postérieur à la commission de l'infraction qui ne joue aucun rôle au stade de l'incrimination ;
mais peut être pris en compte par la juridiction dans la fixation du quantum de la sanction.)

§ 2. L'indifférence du mobile
Un principe classique du droit pénal consiste en la distinction de l'intention et du mobile.
Le mobile (raisons personnelles qui ont poussé l'agent à passer à l'acte : cupidité ; jalousie ;
vengeance ...) n'a en principe, sauf dans des infractions particulières expressément prévues par la
loi, aucun rôle à jouer au stade de l'incrimination. L'escroquerie n'échappe pas à ce principe général :
si l'intention est un élément constitutif de l'infraction, en revanche, le mobile est indifférent. L'infraction
est consommée même si l'escroc poursuit un but légitime.

Exemple
Un créancier se rend coupable d'escroquerie, s'il emploie des manœuvres frauduleuses pour se
faire remettre par son débiteur récalcitrant la somme qui lui est due. Le débiteur ne fait que payer
sa dette et le créancier reçoit ce qui lui est du. Cependant, c'est l'utilisation des manœuvres
frauduleuses qui a conduit le débiteur à payer, il ne s'est pas libéré de sa propre volonté : la remise
de la chose a été exclusivement déterminée par les moyens frauduleux employés. En aucun cas,
un droit de créance ne peut légitimer une escroquerie, ce qui reviendrait à confondre intention
criminelle et mobile.

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Cours : Droit pénal des affaires
Auteur : MASCALA Corinne
Leçon n° 3 : La répression de l'escroquerie

Table des matières


Section 1. Les modalités de la poursuite.............................................................................................. p. 2
§ 1. La tentative punissable d'escroquerie...................................................................................................................p. 2
§ 2. La prescription de l'action publique...................................................................................................................... p. 2
§ 3. L'action civile.........................................................................................................................................................p. 4
Section 2. Les sanctions......................................................................................................................... p. 5

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Le code pénal sanctionne l'escroquerie, art. 313-3, mais également la tentative d'escroquerie art.
313-2. Lorsque l'escroquerie est consommée ou tentée, les poursuites peuvent être engagées contre
l'auteur ou les auteurs des actes incriminés. Il faut préciser que depuis l'entrée en vigueur du nouveau
code pénal, l'infraction est imputable tant aux personnes physiques qu'aux personnes morales art.
313-9, ce qui élargit le champ d'application du délit.

Section 1. Les modalités de la poursuite


Trois questions relatives aux modalités de la poursuite doivent être examinées : en premier lieu
l'incrimination de la tentative punissable ; en second lieu, les difficultés relatives à la prescription de
l'action publique ; et enfin les règles spécifiques à l'action civile.

§ 1. La tentative punissable d'escroquerie


Le nouveau code pénal vise les deux hypothèses : celle de l'infraction consommée art. 313-3 et celle
de l'infraction tentée art. 313-2. La tentative d'escroquerie suppose la réunion d'éléments constitutifs
spécifiques définis par la loi art. 121-5 CP.

Art. 121-5 CP : " la tentative est constituée dès lors que, manifestée par un commencement
d'exécution, elle n'a été suspendue ou n'a manqué son effet qu'en raison de circonstances
indépendantes de la volonté de son auteur " :deux éléments constitutifs de la tentative punissable se
dégagent de ce texte d'incrimination : le commencement d'exécution (commission d'actes matériels
qui tendent directement à la réalisation de l'infraction et révèlent l'intention frauduleuse) et l'absence
involontaire de résultat dommageable.

Deux hypothèses doivent être distinguées :


• soit, l'escroc obtient la remise de la chose et le délit est consommé dès le moment de la remise.
• soit, son entreprise délictueuse n'aboutit pas et la remise de la chose n'est pas obtenue.
Dans ce cas la tentative est punissable si elle présente les deux caractéristiques légales :
commencement d'exécution et absence de désistement volontaire.

Il apparaît par conséquent, que l'élément déterminant de la qualification d'escroquerie ou de


tentative d'escroquerie est la remise de la chose.

Exemple
La tentative est caractérisée par la remise de documents à l'assureur démontrant l'existence d'un
dommage pour obtenir le versement d'une prime d'assurance (Cass.crim 19 déc. 1996, RJDA 1997,
586).

La tentative d'escroquerie à l'assurance est une des illustrations les plus fréquentes : la déclaration
intentionnelle d'un sinistre fictif constitue une tentative punissable car cela induit la mise en oeuvre
de la garantie due par l'assureur. Il n'est plus nécessaire que la demande d'indemnisation soit
formulée expressément, puisque la seule déclaration entraîne la mise en mouvement du mécanisme
de l'assurance.

Jurisprudence
Cass.crim. 22 fév. 1996, Bull. n° 89 : faux certificat de marquage de vitres.

§ 2. La prescription de l'action publique


L'exercice de l'action publique découlant du délit d'escroquerie n'est pas subordonné à
la plainte de la victime. L'action publique peut être intentée d'office par le Ministère public. Le
désistement de la victime ou encore la transaction sur l'action civile n'entrave pas la poursuite
déclenchée. Une seule cause peut empêcher l'exercice de l'action publique, alors que les éléments
constitutifs de l'escroquerie sont réunis : l'immunité familiale prévue par l'article 311-12 du code pénal
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auquel renvoie l'article 313-3 alinéa 2 (textes : " les dispositions de l'article 311-12 sont applicables
au délit d'escroquerie et texte : art. 311-12 CP).

L'escroquerie commise par une personne au préjudice de son ascendant, descendant, ou conjoint,
sauf lorsque les époux sont séparés de corps ou autorisés à résider séparément ne peut donner lieu
à des poursuites pénales, sauf dans les cas où la chose objet de la remise est indispensable à la vie
quotidienne de la victime, ou constitue un moyen de paiement. Les agissements commis constituent
une infraction, mais la loi en empêche les poursuites contre la personne qui bénéficie de l'immunité.
En revanche, les coauteurs et complices demeurent punissables.

Remarque
Cet obstacle aux poursuites ne bénéficie qu'à l'auteur de l'infraction qui a un lien familial précis,
puisque étroitement encadré par la loi, avec la victime. En revanche, les tiers ... coauteurs ou
complices ... demeurent punissables car les agissements sont constitutifs d'une infraction et ne
bénéficiant du lien familial, les poursuites peuvent être engagées à leur encontre.

L'auteur de l'infraction ne peut pas en raison de son lien avec la victime être poursuivi, tous les autres
participants tiers pourront être sanctionnés.

Point de départ du délai de prescription :


• L'article 8 CPP impose que le point de départ du délai de prescription est fixé au jour de la
commission de l'infraction, ce qui correspond en matière d'escroquerie au jour de la remise de
la chose.
Jurisprudence
Il est de jurisprudence constante que le point de départ du délai de prescription de trois ans est la
date de la remise, il ne saurait être question d'avancer le point de départ du délai au moment de
l'utilisation des manoeuvres si la remise n'était pas immédiate ou de la retarder au jour où la victime
s'aperçoit qu'elle a été trompée par l'escroc (Crim. 27 mai 1991, Bull. n° 222).
Cette solution a été rappelée par un arrêt de la Chambre criminelle du 8 septembre 2010 ( D.2011
panorama Droit pénal des affaires juillet , obs C. Mascala): la Cour de cassation affirme que
l'escroquerie est un délit instantané consommé par la remise de la chose . Par conséquent, l'acte
consommant l'escroquerie - la remise de la chose par la victime à l'escroc - ouvre le délai de
prescription de l'action publique.
La notion de remise s'apprécie cependant, en considération des faits de l'espèce. S'il s'agit d'une
remise de fonds en espèces, ou de la remise d'un meuble, la date de celle-ci est sans aucun doute,
le moment où la chose passe des mains de la victime aux mains de l'escroc. En revanche, dans
l'hypothèse de la remise d'un chèque extorqué par des moyens frauduleux, la Cour de cassation
a jugé que le moment de la remise n'était pas celui où la victime se dessaisit du chèque, mais le
moment où il a été présenté par l'escroc à l'encaissement (Application : Crim. 30 juin 1999, Dr. Pénal
2000, comm. 13 obs. Véron).
Lorsque la victime est une personne vulnérable au sens du code pénal ( age, maladie, déficience
physique ou psychique, état de grossesse ...) et que cette cause de vulnérabilité est connue de
l'auteur de l'infraction , le point de départ du délai de prescription est retardé au jour où la victime a
connaissance de sa situation ( art. 8 alinéa 2 CPP) .

Le point de départ du délai de prescription est parfois difficile à déterminer lorsque la remise de la
chose présente un caractère complexe. Cette situation se rencontre notamment dans l'hypothèse
de remises successives (Les manoeuvres frauduleuses mises en oeuvre par l'escroc se répètent
sur une période étendue dans le temps, et conduisent à des remises successives par la victime.
L'escroquerie aux prestations sociales en fournit une illustration : hypothèses déjà envisagées
consistant dans la perception d'allocations de chômage indues ou de perception d'une retraite par
les héritiers d'un bénéficiaire décédé). Dans ce cas, la Cour de cassation a jugé que l'ensemble des
manoeuvres et des remises forment un tout indivisible, la prescription ne commence alors, à courir
qu'au jour de la dernière remise ou de la dernière tentative de remise (Application : Cass. crim. 26
sept. 1995, Bull. n° 288).

Les mêmes difficultés se rencontrent lorsque l'escroquerie a pour support un compte courant.

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Exemple
Le compte courant est une convention par laquelle les parties affectent en compte l'ensemble de
leurs créances réciproques qui sont fusionnées, et le solde est arrêté à la clôture du compte).

Le mécanisme du compte courant implique un point de départ différent du délai de prescription, qui
ne peut être que celui de l'arrêté de clôture du compte.

Jurisprudence
Il a été jugé que lorsque l'escroquerie se réalise par des opérations inscrites en compte courant,
la prescription ne commence à courir qu'au jour de l'arrêté de clôture du compte. Cette solution
se justifie car c'est seulement l'arrêté de clôture du compte courant qui réalise la remise des fonds
à l'escroc.

§ 3. L'action civile
En application des principes généraux, l'action civile ne peut être exercée que par la victime d'un délit
d'escroquerie (art. 2 CPP). Toutes les règles relatives à l'action civile s'appliquent sans particularisme
en matière d'escroquerie.S'agissant de savoir qui peut exercer l'action civile, l'article 2 du code de
procédure pénale précise que l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un
délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage
directement causé par l'infraction. Il résulte de cette disposition que n'est pas recevable l'action
intentée par la personne dont le dommage ne résulte pas directement de l'escroquerie. La victime
directe, recevable à exercer les prérogatives attachées à l'action civile, est la personne qui a remis la
chose lui appartenant, ayant été trompée par les manoeuvres frauduleuses employées par l'escroc.

Jurisprudence
Application : Ainsi, peut se constituer partie civile l'ASSEDIC pour obtenir réparation du dommage
lié à l'obtention frauduleuse d'allocations chômage : Crim. 26 avril 1994 ; Bull. n° 149 ; le GIE " cartes
bancaires " victime d'escroqueries réalisées au moyen de cartes volées, le préjudice résultant de
l'atteinte porté à la crédibilité du système d'achats par carte bancaire : C.A. Paris, 28 janv. 1999,
D.Aff. 1999, 673.
Les conditions posées par l'article 2 du code de procédure pénale quant au caractère personnel du
préjudice découlant de l'infraction, sont écartées dans l'hypothèse où l'action civile est exercée par
un syndicat ou une association de consommateurs pour protéger les intérêts de la profession qu'ils
représentent.

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Section 2. Les sanctions
Le délit d'escroquerie est imputable aux personnes physiques et depuis l'entrée en vigueur du
nouveau code pénal - le 1er mars 1994 - aux personnes morales. La responsabilité pénale des
personnes morales a été pendant longtemps contrairement à celle des personnes physiques, une
responsabilité spéciale, car elle ne pouvait être mise en oeuvre que si une disposition légale le
prévoyait expressément pour chaque infraction. Le législateur a prévu cette responsabilité pénale
des personnes morales du chef d'escroquerie à l'article 313-9 du code pénal.

Ce principe de spécialité est supprimé par la loi Perben du 9 mars 2004, qui opère un changement
profond en matière de responsabilité pénale des personnes morales qui est entrée en vigueur le 31
décembre 2005. A partir de cette date, la responsabilité pénale des personnes morales est devenue
comme pour les personnes physiques, une responsabilité générale (la loi nouvelle a supprimé du
texte d'incrimination la formule « dans les cas prévus par la loi ou le règlement »). Le législateur
n'aura plus à prévoir pour chaque infraction un texte spécifique retenant la responsabilité pénale des
personnes morales, elle sera encourue de plein droit.

Le délit d'escroquerie est puni d'un emprisonnement de cinq ans et de 375 000 euros d'amende.
Cette peine prévue pour l'escroquerie simple, peut être aggravée dans certaines circonstances.
L'article 313-2 du code pénal édicte des sanctions aggravées lorsque l'escroquerie est réalisée dans
des circonstances qui sont considérées par la loi comme aggravantes, eu égard à la qualité de la
personne de l'escroc, du modus operandi (la criminalité organisée est une circonstance aggravante)
ou en considération de la qualité de la victime et de sa vulnérabilité.

En savoir plus : Hypothèses visées par l'article 313-2


Précision : Cinq hypothèses sont visées par l'article 313-2 du code pénal : escroquerie commise :
par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, dans
l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission ; par une personne qui
prend indûment la qualité d'une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission
de service public ; par une personne qui fait appel au public en vue de l'émission de titres ou en vue
de la collecte de fonds à des fins d'entraide humanitaire ou sociale. La sanction est dans ces cas de
sept ans d'emprisonnement et de 750 000 euros d'amende. La peine est également alourdie dans les
mêmes conditions lorsque l'infraction est commise au préjudice d'une personne dont la particulière
vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique
ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur. Enfin, l'article 313-2 puisque
la loi vise la bande organisée. Mais dans ce cas particulier, la loi Perben du 9 mars 2004 alourdit
encore la sanction, au titre de la répression spécifique de la criminalité organisée : désormais les
peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et à 1 000 000 d'euros d'amende

La tentative d'escroquerie simple ou aggravée est punie, selon les dispositions de l'article 313-3 du
code pénal, des mêmes peines que l'infraction consommée. Cette solution se justifie car l'auteur de
la tentative n'a pas atteint le résultat escompté par une circonstance indépendante de sa volonté.
Cependant, il a utilisé des moyens frauduleux dans le but de provoquer la remise de la chose,
par conséquent l'intention criminelle est caractérisée sans différence avec l'infraction consommée.
Lorsque la condamnation frappe une personne morale, des peines spécifiques sont prévues par la
loi. La peine par excellence est l'amende dont le taux maximum est égal au quintuple de celui prévu
par la loi pour les personnes physiques art. 131-38 CP. Mais lorsque la loi le prévoit, un crime ou un
délit commis par une personne morale peut aussi être sanctionné au choix du juge, d'une ou plusieurs
des peines prévues par l'article 131-39 CP.La sanction consistant dans la dissolution de la personne
morale ne peut être prononcée que lorsque la personne morale a été créée, ou lorsqu'il s'agit d'un
crime ou d'un délit puni en ce qui concerne les personnes physiques d'une peine d'emprisonnement
supérieure à cinq ans, détournée de son objet pour commettre les faits incriminés. Il s'agit de faire
disparaître la personne morale qui servait d'écran à une activité criminelle. Cette sanction qui avait
été supprimée par la loi du 12 mai 2009 par un oubli législatif, a été réintroduite dans notre droit par
la loi du 24 novembre 2009, et elle s’applique donc aux faits commis après son entrée en vigueur
(D. 2010 Panorama Droit pénal des affaires p. 1670 obs . C. Mascala).

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Remarque
Le juge peut aussi prononcer l'interdiction, à titre définitif ou pour un durée de cinq ans au plus,
d'exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales.
Cette interdiction porte sur l'activité dans l'exercice ou à l'occasion de laquelle l'escroquerie a été
commise. La sanction peut également se traduire par le placement pour une durée de cinq ans au
plus sous surveillance judiciaire ; la fermeture définitive ou pour une durée de cinq ans au plus des
établissements de l'entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés ; l'exclusion des marchés
publics à titre définitif ou pour cinq ans au plus ; dans mes mêmes conditions, l'interdiction de faire
appel public à l'épargne ; l'interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d'émettre des chèques
autres que ceux qui permettent le retrait de fonds par le tireur auprès du tiré ou ceux qui sont certifiés
ou d'utiliser des cartes de paiement ; la confiscation de la chose qui a servi à commettre l'infraction,
ou qui était destinée à la commettre ou qui en est le produit et enfin l'affichage ou la diffusion de
la condamnation.

Certaines de ces peines ne sont pas applicables à toutes les personnes morales. Ainsi la dissolution
et le placement sous surveillance judiciaire ne peuvent pas être prononcés à l'encontre d'une
personne morale de droit public, d'un parti politique, d'un syndicat professionnel ni aux institutions
représentatives du personnel (qui peut cependant être mis sous surveillance judiciaire). A la peine
principale, le juge peut ajouter, s'il l'estime nécessaire en considération des circonstances de
commission de l'escroquerie ou de la personnalité de l'auteur, des peines complémentaires, art.
313-7 CP. Ces peines consistent en l'interdiction des droits civiques, civils et de famille.

Remarque
Ce qui entraîne privation du droit de vote, d'être éligible, d'exercer une fonction juridictionnelle,
de témoigner en justice sous serment, d'être tuteur ou curateur. L'interdiction du droit de vote et
l'inéligibilité emportent interdiction ou incapacité d'exercer une fonction publique pour une durée de
cinq ans au plus.

Cependant, eu égard au principe de la légalité des délits et des peines, le juge pénal ne peut
prononcer à titre complémentaire que les peines prévues par la loi. Il lui est impossible de prononcer
une suspension du permis de conduire sur le fondement de l'escroquerie, puisque cette peine
complémentaire n'est pas prévue par la loi dans le cadre de ce délit (Cass.crim. 26 oct. 2004, D.2004,
IR, p. 3195.).

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Cours : Droit pénal des affaires
Auteur : MASCALA Corinne
Leçon n° 4 : L'infraction d'abus de confiance et sa répression

Table des matières


Section 1. Les conditions préalables..................................................................................................... p. 2
§ 1. Un accord de volontés..........................................................................................................................................p. 2
A. Le cadre contractuel.......................................................................................................................................................................p. 2
B. Le cadre extra-contractuel............................................................................................................................................................. p. 3
§ 2. La remise opérée par le contrat, la loi ou le règlement........................................................................................p. 3
A. Le contenu de la remise................................................................................................................................................................ p. 3
B. L'affectation de la chose remise.................................................................................................................................................... p. 4
C. La preuve du contrat préalable......................................................................................................................................................p. 7
Section 2. Les éléments constitutifs de l'infraction ............................................................................ p. 8
§ 1. Le détournement, élément matériel de l'infraction................................................................................................p. 8
A. L'usage abusif................................................................................................................................................................................ p. 8
B. Le retard dans la restitution........................................................................................................................................................... p. 9
C. Le refus de restituer.......................................................................................................................................................................p. 9
D. L'impossibilité de restituer............................................................................................................................................................p. 10
E. La preuve du détournement.........................................................................................................................................................p. 11
§ 2. Le préjudice.........................................................................................................................................................p. 11
§ 3. L'élément intentionnel......................................................................................................................................... p. 12
Section 3. La répression du délit......................................................................................................... p. 13
§ 1. Les auteurs de l'infraction ................................................................................................................................. p. 13
A. Les personnes physiques............................................................................................................................................................ p. 13
1. Abus de confiance simple......................................................................................................................................................................................... p. 13
2. Abus de confiance aggravé...................................................................................................................................................................................... p. 13
B. Les personnes morales................................................................................................................................................................p. 13
§ 2. Les particularités de la poursuite........................................................................................................................p. 14

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Incriminé par l'article 314-1 du code pénal, l'abus de confiance sanctionne les détournements commis
dans le cadre contractuel, le plus souvent mais pas exclusivement puisque tout accord de volontés
peut servir de support à la commission de l'infraction depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle
définition du délit en 1994Cependant, le plus souvent cette infraction est commise dans le cadre
d'un contrat et elle permet de sanctionner des inexécutions d'obligations contractuelles,
c'est-à-dire qu'elle est le corollaire de la nullité au plan civil qui est la sanction classique de
l'inexécution des obligations. Cependant lorsqu'une inexécution révèle la mauvaise foi ou une
intention de nuire, la sanction civile ne suffit plus. Le recours au droit pénal qui prête sa sanction
devient alors nécessaire.Cette infraction exige la réunion de conditions préalables, et l'existence
d'éléments constitutifs, ce qui permettra d'engager les poursuites et de prononcer une sanction.

Section 1. Les conditions préalables


L'inexécution de ses obligations par un débiteur n'engage normalement que sa responsabilité
contractuelle, civile ou commerciale, ce qui peut se traduire par le versement de dommages-intérêts
en réparation du préjudice subi par le créancier. Mais, le Code pénal incrimine sous le nom d'abus de
confiance le détournement de choses remises dans un cadre consensuel, à charge de les rendre, de
les représenter ou d'en faire un usage déterminé. Cette infraction sanctionne donc pénalement
l'inexécution frauduleuse de certaines obligations

L'accord entre les parties sur la destination de la chose remise est mis en évidence par la rédaction
du nouvel article 314-1 qui précise que les biens préalablement « remis » et ensuite détournés ont
été « acceptés » à charge de les rendre ou d'en faire un usage déterminé. Cependant le texte peut
être appliqué en dehors du cadre contractuel, dans tous les cas où la chose a été remise à charge
de la restituer, par un accord de volontés.

§ 1. Un accord de volontés
Cet accord de volontés entre les parties, l'une qui remet la chose, l'autre qui l'accepte à charge
de la restituer, peut s'exprimer dans un cadre contractuel (tous les contrats entrent dans le champ
d'application de l'infraction sauf la vente) ou extra-contractuel (légal ou judiciaire).

A. Le cadre contractuel
La définition de l'infraction a été profondément modifiée par le nouveau code pénal. En effet, l'ancien
texte ne sanctionnait que le détournement de choses remises « à titre de louage, de dépôt, de
mandat, de nantissement, de prêt à usage, ou pour un travail salarié ou non salarié », la nouvelle
rédaction abandonne ces références aux contrats nommés. Pour être caractérisé le détournement
doit porter sur une chose remise à titre précaire dans un cadre contractuel. Ce changement a le
mérite de mettre fin aux difficultés rencontrées par les juges du fond pour qualifier le contrat préalable.
Désormais, il suffit de caractériser l'existence d'un contrat, quelle que soit sa qualification, pour que la
condition soit satisfaite. Cette nouvelle rédaction entraîne un élargissement du domaine de l'infraction
car la liste limitative des contrats qui pouvaient servir de support à l'infraction a disparu.

Désormais, les poursuites pourront être engagées sur le fondement de contrats qui jusqu'à lors
étaient écartés puisqu'ils n'étaient pas visés par la loi.

Jurisprudence
L'échange ou la collaboration, un contrat « d'intégration » (Crim. 3 oct. 1991, Bull. n°326 ; Dr. pénal
1992, comm.8).
Cette qualification d'abus de confiance peut aussi s'appliquer à des détournements commis dans le
cadre du contrat de société et compléter la portée du délit d'abus de biens sociaux.La chose peut
être remise dans tous types de contrats. Une seule exclusion demeure : le contrat de vente ne
peut donner lieu à abus de confiance eu égard à sa nature. En effet, le contrat de vente entraîne
transfert de propriété de la chose dès l'échange des consentements : cet effet translatif immédiat est
incompatible avec la remise de la chose à titre précaire exigée par l'article 314-1 CP.

Longtemps cantonné au domaine contractuel, l'abus de confiance franchit désormais ces frontières
sous l'impulsion d'une jurisprudence récente.
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B. Le cadre extra-contractuel
La jurisprudence a étendu le domaine de l'infraction, considérant que la nouvelle définition du délit
n'impliquait pas impérativement que la chose objet du détournement ait été remise dans le cadre d'un
contrat. Il faut seulement que cette chose ait été remise volontairement à titre précaire au détenteur
qui l'a acceptée en connaissance de cause.

Jurisprudence
La Chambre criminelle dans un arrêt du 18 octobre 2000, a affirmé que l'abus de confiance peut
être réalisé en dehors du cadre contractuel lorsque la chose a été remise en vertu d'une disposition
légale ou réglementaire.

Référence : Rev.Sc.Crim. 2001-384 : par exemple la chose peut être remise en vertu d'un mandat
légal ou judiciaire (séquestre).

Exemple
Par exemple, la loi prévoit que toute personne qui veut se constituer partie civile doit consigner une
somme d'argent jusqu'à la fin du procès, auprès du greffe de la juridiction. Le dépôt des sommes
est une obligation légale, la non restitution lorsque le procès est gagné par la victime constituerait
un abus de confiance commis par le greffier.

Des fonds peuvent être remis dans le cadre d'un avant-contrat et il est convenu qu'ils seront restitués
si le contrat définitif n'est pas conclu.

Exemple
Cela concerne par exemple une promesse de vente conclue sous condition suspensive de
l'obtention d'une autorisation, et des fonds sont versés par le bénéficiaire au promettant. Si la
condition suspensive défaille, le promettant doit restituer les fonds versés. Si ces fonds ont été
détournés, l'abus de confiance peut être consommé.

§ 2. La remise opérée par le contrat, la loi ou le règlement


L'article 314-1 CP précise le contenu de la remise : elle porte sur des fonds, des valeurs ou des
biens quelconques corporels ou incorporels, à l'exception des immeubles; ainsi que l'affectation de
la chose remise : remise précaire à charge de restitution, de représentation ou d'usage déterminé.

A. Le contenu de la remise
L'article 314-1 CP, vise les « fonds, valeurs, ou biens quelconques » : ces termes très généraux
désignent des catégories très larges et diversifiées qui donnent à l'infraction un domaine application
élargi (La définition de l'infraction permet de retenir les meubles corporels tels que des bijoux,
des fonds, des meubles meublants, des bandes magnétiques, des fichiers de clientèles, des écrits
ayant une valeur juridique...). Cependant, après certaines hésitations, la Cour de cassation vient de
préciser que la catégorie des « biens quelconques » visée par l'article 314-1 CP ne se limite pas aux
biens corporels. En effet, rien dans les dispositions légales ne s'oppose à ce que l'on admette que
les meubles incorporels puissent être détournés et ainsi entrer dans les prévisions du texte.

Jurisprudence
Crim. 14 nov. 2000, Bull. n°332 : numéro de carte bancaire. En l'espèce, une personne avait remis
à une société de vente par correspondance son numéro de carte bancaire pour payer une opération
déterminée. La société avait conservé ce numéro et effectué par la suite différents prélèvements
pour des opérations non autorisées par la cliente. La chose détournée est le numéro de carte -
bien incorporel - et la cour a admis qu'il entrait dans les biens visés par l'article 314-1 CP.Crim.
2004, Dr.pén. 2004 com. n° : un projet de réalisation d'une borne informatique fait à la demande
de l'employeur peut être détourné par le salarié. Il s'agit donc du détournement d'un bien incorporel
représenté par une idée. Crim.19 mai 2004 Bull. n° 126 : fait pour un salarié d'utiliser une connexion
internet qui lui était fournie dans le cadre de son travail pour consulter des sites pornographiques
et stocker des images sur le disque dur de l'ordinateur.

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Les termes utilisés par la loi pour incriminer ces agissements donnent à la remise de la chose un
contenu matériel indiscutable : une information ne peut pas être détournée indépendamment du
support sur lequel elle est contenue.

Jurisprudence
Ecrit ; disquette, CDrom... Crim. 9 mars 1987, JCP 1988.I.I.20913 : relaxe du salarié établi à son
compte faisant bénéficier ses propres clients de contrats dont les dispositions étaient identiques à
celles des contrats mis au point par son ancien employeur.
Il n'y a pas délit à détourner des informations ou des idées, indépendamment de leur support matériel.

Un arrêt de la Chambre criminelle du 1er décembre 2010 avait semblé marquer un coup d'arrêt à
l'extension des biens incorporels susceptibles de détournement (Crim 1er déc 2010 n° 09-88478, D
2011 juillet, Panorama droit pénal des affaires, obs. C. Mascala).En l'espèce,la Cour de cassation
considèraitque le détournement d'un contrat n'est pénalement punissable que s'il porte sur l'écrit
le constatant, mais pas sur les stipulations qu'il contient. Par conséquent, il résulte de cette
jurisprudence que le détournement constitutif d'abus de confiance ne peut porter que sur le support
matériel que constitue le contrat écrit mais pas sur les informations contenues. Si cette jurisprudence
se confirmait, il semble que la Cour de cassation souhaite limiter l'extension des biens incorporels
susceptibles d'entrer dans le champ d'application de l'infraction. Mais un arrêt plus récent revient à
une conception extensive des biens suscpetibles d'^tre détournés, en admettant qu'un salarié qui
avait détourné des informations relatives à la clientèle indépendamment des fichiers de clientèle qui
lui avaient été remis pour l'exercice de son travail , pouvait être condamné pour abus de confiance. En
l'espèce, la Cour de cassation affirme que les informations relatives à la clientèle constituent un bien
susceptible d'être détourné (Cass.crim. 16 nov. 2011 n° 10-87866 D. 2012 p. 1704 obs. C. Mascala)

En revanche, la Cour de cassation, par une interprétation stricte des termes de l'article 314-1 CP,
exclut les immeubles du champ d'application de l'infraction. En effet, par nature, les immeubles ne
peuvent pas être remis au sens matériel du terme comme l'exige la loi (C.Mascala, L'immeuble, un
bien saisi par le Code pénal ? Mélanges R. Saint-Alary p. 369 Presses universitaires de Toulouse
2005). Deux exemples illustrent ce rejet de l'immeuble du champ d'application de l'infraction :

Jurisprudence
Crim. 10 oct. 2001 Dr.pén. 2002 com.1 : en l'espèce la propriétaire d'un appartement l'avait prêté
pour quelques jours à une personne. Au terme prévu celle-ci refuse de libérer les lieux. Des
poursuites sont engagées du chef d'abus de confiance : les juridictions du fond condamnent au motif
que la prévenue en refusant de restituer les clefs avait détourné une chose remise à titre précaire,
ce qui consommait l'infraction. La Cour de cassation écarte l'argumentation au motif que la chose
remise et détourné n'était pas les clefs mais en réalité l'appartement prêté. Or la Haute juridiction
affirme que l'immeuble eu égard à sa nature n'entre pas dans les prévisions du texte.

Crim. 14 janv. 2009 D. 2009 panorama p. 1725 obs. C. Mascala : la cour refuse la possibilité de
détourner un droit réel immobilier, en l'espèce une hypothèque constituée sur un immeuble.

B. L'affectation de la chose remise


Le texte d'incrimination précise que les choses sont remises « à charge de les rendre, de les
représenter ou d'en faire un usage déterminé ». Celui qui reçoit la charge doit respecter l'affectation
de la chose afin d'être en mesure de la restituer au terme prévu par le contrat ou par la loi.

La jurisprudence interprète strictement les dispositions du Code pénal relatives à l'affectation de la


chose remise dans le cadre du contrat, ce qui contribue à limiter le domaine de l'abus de confiance
et à le distinguer du vol. Cette difficulté apparaît assez classiquement dans le cadre du contrat de
travail.

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Jurisprudence
Application : Ainsi, commet un abus de confiance, celui qui détourne le fichier client qu'il utilise
pour passer les commandes de la société qui l'emploie, celui qui se sert à des fins personnelles
de la machine à affranchir le courrier appartenant à l'entreprise ou du véhicule de la société (Crim.
16 janv. et 13 fév. 1984, D. 1984, Inf. rap. 225), le comptable qui détourne des sommes d'argent
qu'il détient aux fins de paiement du personnel (Crim. 6 janv. 1992, Dr. pénal 1992, comm. 177).
Commet l'infraction l'élu du comité d'entreprise qui fait profiter de voyages à prix réduit destinés
aux salariés de la société, à des personnes étrangères. Il détourne les fonds du comité d'entreprise
de leur destination puisque des personnes bénéfcient de ces prestations sans droit, alors qu'il ne
détenait les fonds qu'à titre précaire pour en faire une utilisation déterminée (Cass.crim. 7 mars
2012 n° 11-82070, D. 2012 p. 1702obs. C. Mascala).
En revanche, commet un vol celui qui emporte des objets, du matériel, de l'outillage ou des
marchandises provenant des magasins, bureaux ou usines où
il effectue son travail, sans que ces objets lui aient été remis au titre de la mission qui lui est confiée
(Crim. 8 janv. 1992, Dr. pénal 1992, comm. 175), celui qui photocopie des documents appartenant
à l'entreprise ou reproduit le contenu informationnel de disquettes (Crim. 12 janv. 1989, Bull. n°14
et Rev. sc. crim. 1990.346).Au vu de la jurisprudence, il apparaît que le critère de distinction entre
les deux qualifications est la modalité de remise de la chose. Le vol est retenu lorsque la personne
détourne une chose qui ne lui a pas été personnellement remise (ex. outillage à la disposition de
tous les salariés d'une entreprise). L'abus de confiance est constitué lorsque la personne détourne
le bien qui lui a été remis à titre précaire, personnel et exclusif dans le cadre de ses fonctions (ex.
une carte bancaire).
Certains contrats peuvent soulever des difficultés quant à la finalité de la chose remise et à son
affectation. La question est très importante car de l'affectation des fonds par exemple dépendra la
consommation de l'infraction ou pas. Trois arrêts récents illustrent cette difficulté.

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Jurisprudence
Cass.crim. 19 sept. 2007. D. 2008, p. 1577 obs. C. Mascala

Cet arrêt réaffirme que lorsque le délit est constitué par le détournement d'une chose remise à
charge d'être restituée, cela exclut toutes les hypothèses où la remise est faite en pleine propriété.
En l'espèce, un prêt de consommation est consenti à M.X. aux fins d'acquisition d'un fonds de
commerce, d'un garage et d'un entrepôt pour exercer son activité de travailleur indépendant. Une
fois les sommes perçues, il les utilise à un tout autre usage. Il est poursuivi et condamné du chef
d'abus de confiance au motif qu'en « utilisant les fonds à d'autres fins que celles convenues, il a
détourné les sommes qui lui avaient été confiées ». La Cour de cassation casse, à juste raison,
l'arrêt des juges du fond et formule très clairement le principe applicable en matière d'abus de
confiance : « Attendu que l'abus de confiance ne peut porter que sur des fonds, valeurs ou biens
remis à titre précaire...Attendu que M.X. était devenu propriétaire des fonds prêtés ; la cour d'appel
a méconnu le texte.. ». Cette jurisprudence rappele que l'abus de confiance est une infraction qui
a pour objet essentiel de protéger le propriétaire de la chose qui s'en dessaisit momentanément, et
ne transfère ainsi à un tiers que la détention, mais pas la propriété. Dans la mesure où le remettant
demeure propriétaire, le détenteur ne peut pas user librement de la chose remise à titre précaire,
qu'il doit restituer au terme convenu. En revanche, lorsque la chose est remise en pleine propriété,
son utilisation est laissée à la libre disposition du propriétaire. Le transfert de la propriété de la chose
exclut donc l'abus de confiance, une des conditions essentielles de l'infraction faisant défaut : la
remise à charge de restitution. L'intérêt de cet arrêt est qu'il concerne un prêt affecté. En effet, les
sommes prêtées devaient servir à une utilisation particulière convenue entre les parties au contrat
de prêt : achat d'un fonds de commerce et de divers biens immobiliers. Il s'agissait donc d'une
remise au sens de l'article 314-1 du code pénal de fonds en vue d'en faire « un usage déterminé »,
destination qui n'est pas respectée par l'emprunteur. Par conséquent, au regard de l'affectation des
sommes prêtées, le détournement de la finalité des fonds prêtés est consommé. Cependant, cela
ne suffit pas pour admettre que le délit d'abus de confiance est constitué car l'élément essentiel
n'est pas la finalité de la remise dans le cadre du contrat de prêt « l'affectation des sommes », mais
la cause de celle ci, la remise précaire à charge de restitution de la somme ou la remise en pleine
propriété. Dans la mesure où il s'agit en l'espèce, d'un prêt de consommation, la remise des sommes
d'argent à l'emprunteur entraîne transfert de propriété et donne uniquement naissance à une dette
de remboursement par équivalent mais l'emprunteur peut utiliser librement les fonds remis.

Cass. crim. 9 janv. 2008, D. 2008 p. 1577 obs. C. Mascala.

Dans cet arrêt des sommes sont remises à titre de subvention en vertu de conventions qui précisent
l'usage déterminé et exclusif qui doit en être fait. L'affectation des fonds caractérise la précarité
de la remise qui conditionne la consommation du délit l'abus de confiance, puisque le prévenu n'a
pas la libre disposition des sommes. Dans ce cas, le détournement consiste pour celui qui reçoit
les subventions dans le non respect de la finalité de la chose remise dont il n'avait pas la libre
disposition. En l'espèce, le conseil régional de La Réunion a conclu avec le gérant d'une société
civile, deux conventions prévoyant l'attribution de deux subventions destinées à la construction de
logements étudiants. La collectivité territoriale a versé un acompte, mais le gérant qui n'avait pas
encore obtenu les concours bancaires nécessaires au financement de l'opération immobilière, a
utilisé ces sommes pour se verser un salaire et payer les frais de fonctionnement de sa société.
Condamné en première instance, il est relaxé en appel pour défaut d'intention. La Cour de cassation
casse l'arrêt des juges du fond considérant que les éléments constitutifs de l'abus de confiance
sont réunis. L'élément matériel consiste, non pas dans le défaut de restitution de la chose qui n'est
pas en l'espèce remise à charge d'être restituée, mais dans le détournement de l'affectation des
fonds alloués. Les subventions ont été données à charge d'en faire un usage déterminé par les
conventions signées selon les termes de l'article 314-1 CP, ce qui démontre que dans ce cas le
possesseur des fonds n'en a pas la libre disposition. Le non respect de l'affectation consomme
le détournement. L'élément intentionnel résulte de la nécessaire connaissance de l'affectation des
fonds reçus au titre des subventions, ce qui était expressément stipulé dans les actes signés par
les parties.

Cass.crim. 13 janv. 2010, D. 2010 p. 1666 obs. C. Mascala.

Dans cet arrêt, des établissements d’enseignement avaient conclu des accords avec le président
de différentes associations aux termes desquels il s’engageait à collecter de la taxe d’apprentissage
auprès d’entreprises, et en contrepartie les établissements
6 lui reversaient un pourcentage des fonds
perçus. La taxe d’apprentissage ayant
UNJF - Tous droits réservés la pédagogie, les fonds reçus ne
pour finalité exclusive
peuvent pas être destinés à une autre affectation et le détenteur n’en a pas la libre disposition..
En utilisant les fonds reçus dans un but autre que pédagogique, pour rémunérer le collecteur – les
prévenus ont consommé l’infraction.
C. La preuve du contrat préalable
Le juge répressif est compétent pour statuer sur l'existence de l'accord préalable de volonté, du
contrat préalable, sur sa nature, et pour interpréter la volonté de parties quant à la remise à titre
précaire par exemple de la chose. Cette possibilité lui est accordée en application de l'adage « le
juge de l'action est juge de l'exception », ce qui permet de statuer sur l'existence du titre support de
la remise, sans être lié par la qualification donnée par les parties. A ce stade, le contentieux porte sur
une condition préalable à l'infraction et non pas sur un élément constitutif, par conséquent le régime
de la preuve en découle. En effet, le régime ne peut pas être celui de la liberté de la preuve qui est
le principe en matière pénale où il s'agit de prouver des faits juridiques. L'objet de la preuve est un
acte juridique : les règles du droit civil doivent s'appliquer.

Jurisprudence
En matière civile, les contrats qui portent sur des sommes supérieures à 1500 euros doivent donc
être prouvés par écrit (Crim. 1er juill. 1992, Bull. n°263 ; Dr. pénal 1992, comm. 283).
Cette exigence est écartée dans les cas d'impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit.

Jurisprudence
Par exemple : liens familiaux ou affectifs ; Crim. 25 mai 1992, Dr. pénal 1992, comm. 283 : relations
de confiance entre un directeur de banque et ses clients.
Dans toutes ces hypothèses, le juge répressif accueille les exceptions au principe de la preuve par
écrit reconnues par les articles 1347 et 1348 du Code civil, Mises à part ces exceptions, la preuve
du contrat préalable ne saurait reposer sur de simples présomptions ou sur des témoignages (Crim.
3 janv. 1985, Bull. n°5 ; 1er juin 1987, Bull. n°224 ; 29 av. 1996, DP 1996, n°187 : mandat).

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Section 2. Les éléments constitutifs de l'infraction
Le délit d'abus de confiance comporte trois éléments constitutifs : un acte matériel de détournement,
un préjudice pour le propriétaire ou le possesseur de la chose détournée auxquels il faut ajouter
l'exigence d'un élément intentionnel.

§ 1. Le détournement, élément matériel de l'infraction


Le détournement est caractérisé par la non-restitution de la chose remise à titre précaire. La
précarité de la remise est essentielle et doit être connue de celui qui reçoit la chose. Ainsi il a été jugé
qu'un chargé de travaux dirigés qui remet des notes de cours à un de ses collègues pour l'aider dans
ses préparations, notes que celui ci publie, n'est pas victime d'un abus de confiance car la chose
n'avait pas été remise à titre précaire en vertu d'un accord de volontés clair compte tenu de leurs
relations amicales (Cass.crim. 18 oct. 2011 n°11-81404 D. 2012 p. 1704 obs. C. Mascala)
Il peut prendre essentiellement quatre formes : l'usage abusif (affectation non respectée de la chose
remise) ; le retard intentionnel dans la restitution ; le refus volontaire de restituer ; l'impossibilité de
restituer.

L'article 314-1 CP définit l'élément matériel de l'abus de confiance comme le détournement de la


chose remise à charge de la restituer. Selon la jurisprudence, l'abus de confiance est caractérisé
par tout acte frauduleux du détenteur de la chose qui empêchera la victime au moment convenu
de la restitution de celle-ci d'exercer ses droits (Crim. 9 av. 1973, D. 1975.258, note M. Delmas-
Marty.) sur la chose.

Explication : Pour illustrer l'attitude de l'auteur de l'infraction, GARCON utilisait une formule
demeurée célèbre : l'acte commis caractérise une « interversion du titre » par substitution d'une
véritable possession à une simple détention matérielle et précaire de la chose. Le détenteur de la
chose à titre précaire se comporte comme un possesseur voire un propriétaire, ce qui entraîne une
privation des droits du légitime propriétaire qui n'avait transféré que la détention de la chose.

Quelle que soit la nature de l'acte commis (dissipation, vente...), ce qu'il importe de démontrer c'est
que le détenteur a usé de pouvoir sur la chose qu'il ne détenait pas. Il faut souligner que le bien
peut être remis par toute personne à l'auteur du détournement, puisque l'article 314-1 du Code pénal
dispose que le bien remis à titre précaire est détourné au préjudice d'autrui sans plus de précision
sur la qualité du remettant Par conséquent, la qualité de propriétaire n'est pas une condition de
l'existence du délit d'abus de confiance (Crim 20 oct. 2010 n° 09-87362, D 2011 Panorama droit
pénal des affaires juillet, obs C. Mascala)
Ces pouvoirs « usurpés » peuvent être classés en quatre grandes catégories qui permettent de
distinguer les actes de détournement les plus courants.

A. L'usage abusif
En principe, l'usage abusif de la chose remise à titre précaire ne constitue que l'inexécution des
obligations convenues ou imposées et ne donne droit qu'à des réparations civiles.

Exemple
Ainsi, l'usage abusif d'une carte magnétique pour retirer d'un distributeur de billets une somme
supérieure au montant du solde du compte n'est pas un abus de confiance, mais caractérise
seulement le non-respect des stipulations contractuelles du « contrat carte bancaire » liant la banque
et son client (Crim. 24 oct. 1983, D. 1984.465, note Lucas de Leyssac). En revanche, on peut
considérer que l'abus de confiance est consommé lorsque le client effectue encore des retraits
après injonction de restitution de la carte par la banque pour utilisation contraire aux dispositions
contractuelles initialement prévues (TGI Créteil 15 janv. 1985, D. 1985, Inf. rap. 344, obs. Vasseur
et Rev. sc. crim. 1986.379, obs. Bouzat).

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Les agissements contraires aux prévisions contractuelles ou aux obligations légales deviennent
délictueux lorsque l'agent manifeste la volonté de les transgresser.

Jurisprudence
Crim. 8 déc. 1971, Gaz. Pal. 1972.1.220 : bandes magnétiques transmises à un tiers pour lui
permettre d'en prendre des copies avant restitution ; 16 janv. et 13 fév. 1984, D. 1984, inf. rap.
225, obs. Roujou de Boubée et Rev. sc. crim. 1984.749 et 1985.307, obs. Bouzat ; mandataires
qui affectent à leurs dépenses personnelles les fonds remis par leurs mandants en vue d'un emploi
déterminé ou les fonds qu'ils sont chargés d'encaisser ou de recouvrer pour leur compte (Crim. 15
fév. 1972, Bull. n°57 : cohéritier détournant les biens de la succession qu'il était chargé d'administrer
dans l'intérêt commun - 1er av. 1968, JCP 1969.I.I.15930, note Bouloc : utilisation de fonds sociaux
dans son intérêt personnel par un mandataire social. Le salarié qui photocopie des documents
internes à l'entreprise dont il était le destinataire, afin d'utiliser ces informations dans une éventuelle
procédure disciplinaire qu'il redoutait contre lui (Cass. crim. 16 oct. 2002, Lamy Droit pénal aff.
2003, n°368).
Seule la preuve de l'intention frauduleuse permet de qualifier pénalement le comportement du
prévenu.

B. Le retard dans la restitution


La restitution tardive de la chose remise ne constitue pas en principe un détournement,
mais l'inexécution d'une obligation contractuelle ou extra-contractuelle. Il en est ainsi lorsqu'un
terme de restitution a été prévu dans le contrat initial ou en application de dispositions légales par
exemple.La seule constatation du retard dans la restitution de la chose ne suffit pas à caractériser
l'infraction car le détournement suppose établie la preuve de l'intention frauduleuse.

Exemple
Ainsi ne commet pas l'infraction le mandataire d'une compagnie aérienne ou d'une compagnie
pétrolière, qui tarde à reverser le produit de la vente des billets ou des carburants (Crim. 12
novembre 1990, Dr. pénal 1991, comm. 111), le prévenu qui restitue le véhicule loué au-delà du
délai imparti (Crim. 25 juill. 1991, Dr. pénal 1992, comm. 35), le syndic qui remet avec retard les
sommes encaissées pour le compte de la copropriété (Crim. 22 nov. 1973, Bull. n°432).

Une action en responsabilité civile peut être engagée sur le fondement du préjudice subi du fait
du retard.Cependant lorsqu'il apparaît que la restitution tardive traduit une intention délictueuse de
l'agent, le retard devient alors frauduleux et l'acte de détournement manifeste.

Jurisprudence
• Ainsi, consomme l'abus de confiance le fait pour l'organisateur d'une exposition de ne pas
restituer au terme convenu et malgré une mise en demeure, les tableaux invendus qui lui
avaient été confiés par un peintre (Crim. 23 mars 1987, Gaz. pal. 1988.1, somm. 4).
• La loi prévoit que sommes reçues par le greffier pour effectuer des publicités au BODACC
ou des formalités à l'Institut national de la propriété industrielle doivent être versées dans
un délai de huit à quinze jours. En l'espèce, le greffier versait systématiquement les fonds
cinquante à cent jours après leur versement. Les juridictions répressives ont considéré
que le détournement était caractérisé par ces retards systématiques érigés en pratique de
fonctionnement de la trésorerie (Crim. 6 sept. 2000 Dr. pén. 2001 com. 14).

C. Le refus de restituer
Le refus de restituer consomme en principe le détournement puisqu'il est nécessairement
intentionnel. Cependant, dans certaines hypothèses, le refus de restituer peut être légitimé par
l'exercice d'un droit. Ces droits reposent sur deux mécanismes juridiques : la compensation ou le droit
de rétention. La justification ne peut jouer que si ces deux techniques sont utilisées licitement.Ainsi, le
détenteur prétend conserver la chose remise car il est créancier impayé du propriétaire. Pour pouvoir
invoquer la compensation, encore faut-il qu'il justifie être titulaire d'une créance certaine, liquide
et exigible à l'égard du propriétaire de la chose remise à titre précaire qui demande la restitution
(Crim. 3 décembre 1990, Juris-data n°004098). La Cour de cassation qui effectue un contrôle de la
9
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régularité de la compensation applique les dispositions de l'article 1293 du Code civil et refuse le
jeu de cette technique lorsque « la demande en restitution porte sur une chose dont le propriétaire
a été injustement dépouillé », (Crim. 7 décembre 1977, Bull. n°387 ; 3 décembre 1981, Bull. n°322
et Rev. sc. crim. 1982.621, obs. Bouzat) ou lorsque les conditions de la compensation ne sont pas
remplies.L'exercice du droit de rétention paralyse également la consommation de l'infraction lorsqu'il
est légalement utilisé puisqu'il ne traduit alors aucune intention frauduleuse (un avocat qui retient
les pièces d'un dossier jusqu'au paiement de ses honoraires justifiés).En revanche, la rétention de
la chose remise devient condamnable lorsqu'elle est opérée sans raison valable, dans le seul but
d'exercer une contrainte morale sur le propriétaire.

Jurisprudence
Tel est le cas du mandataire qui, en cours de mandat ou après révocation du mandat, cherche
frauduleusement à obtenir la reconduction du mandat ou des suppléments d'honoraires injustifiés
(Crim. 17 novembre 1970, Rev. sc. crim. 1971.429 : agent d'affaires ; 5 avril 1973, D. 1973, somm.
81 : syndic de copropriété ; 6 novembre 1978, Gaz. pal. 1979.1.299 : expert-comptable ; la rétention
d'un contrat de bail par un gérant d'immeubles pendant dix-huit mois après révocation du mandat
d'administration par le propriétaire (Crim. 9 avr. 1991, Dr. pénal 1991, comm. 257) ou celle d'un
véhicule volé confié par la police à la garde d'un garagiste créancier du propriétaire du véhicule
(Crim. 2 mars 1994, Dr. pénal 1994, comm. 159 et Rev. sc. crim. 1994, p. 765, obs. Ottenhof : en
l'espèce la rétention est illicite car la demande de restitution du véhicule est formulée par la police
qui a confié le véhicule au garagiste, alors que le refus de remettre cette voiture vise une créance
contre le propriétaire de celle-ci).

D. L'impossibilité de restituer
Le fondement de l'impossibilité de restituer constitue le critère de distinction entre les
cas pénalement condamnables et ceux qui échappent à toute sanction. En effet, lorsque
l'impossibilité résulte d'un cas de force majeure ou d'un cas fortuit, en l'absence d'intention
frauduleuse le détournement n'est pas caractérisé. Le seul constat de la disparition des choses et
de l'impossibilité de les restituer ne suffit pas à établir qu'elles ont été détournées (il a été jugé que
des sommes manquantes dans la caisse ne révèle pas nécessairement un détournement imputable
à des salariés, mais peut résulter de simples distorsions comptables la consommation d'un abus de
confiance impliquerait la preuve d'agissements volontaires (CA Paris 14 février 1991, Juris-Data, n
°021317)).

En revanche lorsque cette impossibilité découle d'un acte volontaire qui a entraîné dissipation de
la chose, les éléments constitutifs de l'infraction sont réunis puisque le détenteur se comporte en
propriétaire ou possesseur des choses qu'il détient seulement à titre précaire.

Lorsque l'impossibilité de restituer provient de détériorations ou de pertes fortuites, elle ne donnera


lieu qu'à la mise en jeu d'une responsabilité contractuelle lorsque les conditions sont réunies
(Conditions de mise en oeuvre de la responsabilité civile : une faute - un dommage - un lien de
causalité). Si la force majeure est caractérisée aucune action en responsabilité n'est recevable
(art. 1148 C. civ.). Lorsque l'impossibilité de restituer est la conséquence d'un acte accompli
volontairement et qui entraîne la disparition des choses, le détournement frauduleux est caractérisé :
destruction matérielle de la chose (Crim. 11 oct. 1994, Bull. n°323 ; Dr. pénal 1995, comm. 34 :
notaire ayant détruit un compromis de vente sous seing privé dont il était dépositaire après rédaction
de l'acte authentique de vente); vente ou donation de la chose remise. Il faut cependant opérer
une distinction selon la nature des choses remises. Lorsque cette chose est un corps certain, la
restitution doit se faire en nature (le détenteur doit restituer la chose remise car les corps certains ne
sont pas interchangeables). Lorsque la chose est fongible (remise d'une somme d'argent : la remise
par équivalent est possible car les choses ne sont pas individualisées) l'impossibilité de restituer
ne constitue le délit que lorsque le détenteur est devenu insolvable ce qui l'empêche de restituer
une valeur équivalente (Crim. 22 oct. 1990, Dr. pénal 1991, comm. 10).Cependant, si le contrat ou
des dispositions légales prévoient que le détenteur de la chose ne peut librement en disposer, tout
acte qui rendrait impossible la restitution doit être sanctionné comme constitutif d'un détournement
indépendamment de l'insolvabilité.

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Jurisprudence
Ainsi, commet un abus de confiance, l'avocat qui dépose sur son compte personnel, et non sur son
compte CARPA comme la loi l'y oblige, une somme remise en vue d'une transaction et se trouve
dans l'impossibilité de la restituer sur ses fonds professionnels (Crim. 27 av. 1994, Gaz. pal. 1994,
21 juill. Somm. ann. p. 10) bien qu'il ne soit pas insolvable à titre personnel.

Commet un abus de confiance, le serveur d'un café qui de sa propre initiative offrait des
consommations à certains clients : les juges ont considéré qu'il affectait sciemment les boissons à
une destination étrangère à celle voulue par son employeur, et qu'il s'abstreanit ainsi de remettre
le prix qu'il était chargé d'encaisser (Cass.crim. 5 oct. 2011 n° 10-88722 D. 2012 p. 1703 note C.
Mascala). Cet arrêt étend le champ d'application du délit car il considère qu'une abstention - ne pas
remettre le prix des boissons - consitue un acte de détournement.

E. La preuve du détournement
Quelle que soit l'hypothèse, pour que les poursuites puissent être engagées, il faut que soit rapportée
la preuve d'un acte positif de détournement (La seule constatation de l'absence de tout ou partie
des choses remises ou une présomption de détournement est insuffisante à établir l'existence de
l'infraction. (Crim. 15 oct. 1990, Dr. pénal 1991, comm. 12)). Mais, s'agissant d'établir un élément
constitutif de l'infraction, la preuve en est libre.Lorsque le détournement est constitué par un acte
de destruction ou d'aliénation d'un corps certain, la preuve peut être assez facilement rapportée. En
revanche, elle est beaucoup plus difficile à établir dans l'hypothèse d'usage abusif, de retard ou de
refus illégitime de restituer. Dans ces conditions, la preuve du détournement repose sur un système
de présomptions de fait dont l'appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Jurisprudence
La Cour de cassation exerce en principe un contrôle sur les motifs (Crim. 29 oct. 1990, Dr. pénal
1991, comm. 46 : le recours par un mandataire à des « procédés méthodiques et malicieux » pour
échapper à la restitution ne suffit pas à caractériser un détournement, cependant, son contrôle est
souvent de pure forme (Crim. 12 juin 1978, Bull. n°188 ; 16 mars 1987, Bull. n°122).

§ 2. Le préjudice
Les victimes de l'infraction sont :
• les propriétaires,
• les possesseurs
• ou détenteurs de la chose remise.
La jurisprudence retient une conception souple du préjudice : elle admet le préjudice certain ou
éventuel ; matériel ou moral.

L'abus de confiance consiste en un détournement commis « au préjudice d'autrui » (art.314-1 CP).


Le préjudice subi par la victime constitue un élément essentiel du délit, ce qui démontre que l'abus
de confiance suppose nécessairement qu'un résultat soit atteint, et explique que la tentative ne
soit pas punissable.L'exigence légale d'un préjudice est quelque peu assouplie par la conception
jurisprudentielle de cette notion. La juridiction répressive admet en effet, que le délit est consommé
alors que le préjudice est simplement éventuel (Crim. 3 janvier. 1979, D. 1979, Inf. rap. 258 : il y a
abus de confiance, même s'il n'est pas établi que les documents emportés par un salarié congédié
ont été utilisés par l'entreprise au service de laquelle il est entré.).Ensuite, doctrine et jurisprudence
considèrent que le délit est consommé du seul fait de l'acte matériel intentionnel de détournement
commis intentionnellement, indépendamment de ses suites : il n'est pas nécessaire que le coupable
ait pu en profiter, ni que le bien détourné soit entré dans son patrimoine. Il suffit que l'acte incriminé
soit susceptible de priver le propriétaire ou le possesseur de ses droits sur la chose (Crim. 15 mai
1968, D. 1968.594 ; 9 av. 1975.258, note M. Delmas-Marty).Enfin, la Cour de cassation ne se montre
pas très exigeante quant à la preuve de l'existence et de la nature du préjudice, considérant que
celui-ci découle directement de la seule constatation du détournement.

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Jurisprudence
Cass. crim. 5 mars 1980, Bull. n°80 ; 26 oct. 1994, Bull. n°340).Critique de la position
jurisprudentielle : Dans ces conditions, le préjudice exigé par la loi ne remplit pas un rôle décisif
au sein des éléments constitutifs de l'infraction, ce qui est contraire aux prévisions du législateur et
traduit le pouvoir que s'octroie la jurisprudence dans un domaine - le droit pénal - où en vertu du
principe de la légalité des délits et des peines, elle ne devrait pas être une source de droit mais se
limiter à une interprétation stricte de la règle de droit.

§ 3. L'élément intentionnel
Le délit d'abus de confiance est une infraction intentionnelle en application des dispositions de l'article
121-3 du code pénal, qui précise qu'il « n'y a point de crime ou délit sans intention de le commettre
». L'intention frauduleuse se caractérise par la volonté du détenteur précaire de la chose de
se comporter comme un propriétaire.

L'abus de confiance est un délit intentionnel. La nécessité d'un élément intentionnel découle de
la combinaison des dispositions générales de l'article 121-3 du code pénal et des dispositions
particulières de l'article 314-1 selon lesquelles le délit est le fait d'une personne à qui des biens ont
été remis et qu'elle a « acceptés » à charge de les rendre ou d'en faire un usage déterminé. La
Cour de cassation exige que la décision de condamnation établisse le caractère frauduleux des faits
incriminés (Crim. 17 fév. 1992, Bull. n°72 ; Dr. pénal 1992, comm. 201).Ce caractère frauduleux
découle de la connaissance par le prévenu de son obligation de restituer la chose remise à titre
précaire ou d'en faire un usage déterminé et d'y contrevenir. Plus simplement les juges du fond
parlent souvent de mauvaise foi.La preuve de l'intention frauduleuse est souvent difficile à établir.
Cependant la charge de la preuve est allégée car la Cour de cassation admet qu'à défaut de preuve
directe, elle peut découler des faits de la cause.

Jurisprudence
Il suffit que l'intention frauduleuse se déduise des circonstances retenues par les juges du fond
(Crim. 3 mai 1989, Dr. pénal 1989, comm. 16).
La solution retenue par la Cour de cassation consiste à mettre en place un véritable système de
présomptions de fraude que le prévenu aura bien du mal à renverser. Ainsi, lorsque le prévenu a
utilisé le bien remis dans des conditions telles qu'elles l'ont empêché de le restituer, il est considéré
de mauvaise foi pour n'avoir pas imaginé cette situation.

Jurisprudence
Dernière application jurisprudentielle Crim. 3 juill. 1997, Bull. n°265 : Cet arrêt particulièrement
sévère et contestable quant à la nature de l'élément intentionnel retenu, mérite d'être signalé pour
illustrer cette position de la jurisprudence. En l'espèce la présidente du conseil d'administration
d'une société anonyme s'était contractuellement engagée à vendre des billets de transport de la
compagnie Air France et à en représenter périodiquement le prix. Celle-ci soustraite la vente de
ces billets à une autre agence de voyage qui est par la suite placée en redressement judiciaire. Du
fait de cette procédure la soustraitante est dans l'impossibilité de payer le prix des billets au maître
d'ouvrage qui se trouve elle-même dans l'impossibilité de respecter ses engagements envers la
compagnie Air France. La qualification d'abus de confiance est retenue car les juges considèrent
que la prévenue « a disposé des titres de transport comme des siens propres, dans des conditions
dont elle devait prévoir qu 'elles l'empêcheraient de les rendre ou d'en restituer la valeur à son
mandant ». Les juges caractérisent les éléments constitutifs de l'infraction puisqu'ils considèrent
que la prévenue en soustraitant la vente, a pris sciemment le risque de ne pouvoir représenter le
prix de revente, causant ainsi un préjudice.

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Section 3. La répression du délit
L'abus de confiance peut être commis tant par les personnes physiques que morales, et
selon les modalités de réalisation il sera simple ou aggravé. La tentative n'est pas punissable,
puisqu'elle n'est pas expressément prévue par la loi.L'immunité familiale bénéficie à cette infraction
lorsque les conditions sont réunies.Le point de départ du délai de prescription est en principe le jour
de la commission de l'acte de détournement, mais il peut être retardé eu égard aux circonstances
au jour où la victime a eu connaissance de l'infraction.

§ 1. Les auteurs de l'infraction


L'infraction peut être commise par les personnes physiques et depuis l'entrée en vigueur du nouveau
code pénal, par les personnes morales.

A. Les personnes physiques


1. Abus de confiance simple
L'abus de confiance est un délit puni de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende
(art. 314-1 CP). Le coupable encourt également les sept peines complémentaires de l'article 314-10
CP, parmi lesquelles l'interdiction des droits civiques, civils et de famille (1°), l'interdiction d'exercer
l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction
a été commise (2°) et l'exclusion des marchés publics pour une durée de cinq ans au plus (4°)....

2. Abus de confiance aggravé


Deux hypothèses d'aggravation doivent être distinguées :
• Les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et 750 000 euros d'amende dans quatre
cas (art. 314-2) (la loi Perben du 9 mars 2004 a ajouté les deux derniers cas):
• 1°) lorsque l'infraction est commise par une personne qui fait appel au public afin d'obtenir
la remise de fonds ou de valeurs soit pour son propre compte, soit comme dirigeant ou
préposé de droit ou de fait d'une entreprise industrielle ou commerciale.
• 2°) lorsque l'infraction est commise par toute autre personne qui, de manière habituelle,
se livre ou prête son concours, même à titre accessoire, à des opérations portant sur les
biens des tiers pour le compte desquels elle recouvre des fonds ou des valeurs. Ce texte
a un champ d'application très large car sont visées toute personne sans aucune restriction
liée à leur qualité, ainsi que toute opération la seule exigence étant qu'elle porte sur des
fonds ou des valeurs recouvrés pour le compte des tiers.
• 3°) lorsque l'infraction est commise au préjudice d'une association qui fait appel au public
en vue de la collecte de fonds à des fins d'entraide humanitaire ou sociale.
• 4°) Lorsque l'infraction est commise au préjudice d'une personne dont la particulière
vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou
psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur.
• Les peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et 1 500 000 euros d'amende lorsque
l'abus de confiance est réalisé par un mandataire de justice ou par un officier public ou
ministériel soit dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, soit en raison de
sa qualité (art. 314-3 CP)
Dans tous les cas, le coupable encourt également les peines complémentaires de l'article 314-10
CP (voir supra).

B. Les personnes morales


Les personnes morales peuvent être déclarées responsables pénalement des abus de confiance
simples ou aggravés. Les peines encourues (art. 314-12 CP) sont l'amende égale au quintuple de
celle prévue pour les personnes physiques ainsi que l'ensemble des peines mentionnées à l'article
131-39. Le tribunal correctionnel peut donc prononcer notamment la dissolution de la personne
morale si elle a été créée ou détournée de son objet pour commettre l'infraction (1°), l'interdiction, à
titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, d'exercer directement ou indirectement une ou
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plusieurs activités professionnelles ou sociales (2°), la fermeture, dans les mêmes conditions, des
établissements de l'entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés (4°)...

Le délit d'abus de confiance est imputable depuis l'entrée en vigueur du nouveau code pénal - le
1er mars 1994 - aux personnes morales. Le législateur a prévu cette responsabilité pénale des
personnes morales du chef d'abus de confiance à l'article 314-12 du code pénal.

§ 2. Les particularités de la poursuite


• Le code pénal n'incrimine pas la tentative du délit d'abus de confiance ce qui se justifie puisque
le préjudice est un élément constitutif de l'infraction.
• L'article 314-4 CP étend à l'auteur d'un abus de confiance, le bénéfice de l'immunité familiale
dans les conditions fixées par l'article 311-12 CP. En application de cette disposition, les
poursuites pénales sont paralysées à l'encontre de la personne qui justifie de ce lien familial,
en revanche coauteurs et complices demeureront punissables, lorsque l'abus de confiance a
été commis au préjudice d'ascendants ou de descendants, du conjoint. Cette immunité sera
écartée lorsque l'objet détourné est indispensable à la vie quotidienne de la victime, tels que
des documents d'identité, des moyens de paiements...
• La prescription du délit obéit à des règles particulières. L'abus de confiance est un délit
instantané, consommé par l'acte matériel de détournement qui devrait ouvrir le délai de
prescription. Mais, une jurisprudence constante de la Cour de cassation admet que le point de
départ du délai de prescription puisse être retardé au jour où la victime a été en mesure de
découvrir l'infraction. La même solution est reteue par l'article 8 CPP lorsque la victime est une
vitime vulnérable ( même solution que pour le délit d'escroquerie : cf leçon sur la répression
de l'escroquerie)

Jurisprudence
Crim. 16 mars 1970, D. 1971.497, note J.-M. R. : expertises ou de contrôles comptables ou fiscaux ;
Crim. 13 mai 1991, Dr. pénal 1991, n°258 ; Crim. 7 mai 2002 et 23 mai 2002, Dr.pén. 2002, com.119 :
le président d'une association sportive était poursuivi pour abus de confiance pour avoir détourné les
fonds de l'association aux moyens de chèques tirés sur le compte de celle-ci entre décembre 1992
et avril 1995. L'ouverture d'une enquête préliminaire en février 1999 révèle les faits. Poursuivi du
chef d'abus de confiance, le prévenu invoque la prescription de l'action publique pour faire obstacle
aux poursuites pénales. L'argument est écarté au motif que le délai de prescription ne court qu'à
compter du jour où le délit est apparu et a pu être constaté par la victime - en l'espèce en 1999
lors des actes d'enquête.

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Cours : Droit pénal des affaires
Auteur : MASCALA Corinne
Leçon n° 5 : L'abus de biens sociaux

Table des matières


Section 1. Les éléments constitutifs de l'infraction............................................................................. p. 2
§ 1. L'usage des biens, du crédit, des pouvoirs ou des voix.......................................................................................p. 2
A. L'objet de l'acte d'usage.................................................................................................................................................................p. 2
B. La notion d'usage...........................................................................................................................................................................p. 3
§ 2. L'usage contraire à l'intérêt social........................................................................................................................ p. 4
A. La notion d'acte contraire à l'intérêt social.................................................................................................................................... p. 4
B. Le moment de l'appréciation du risque..........................................................................................................................................p. 7
C. L'absence d'effet exonératoire de l'approbation de l'acte par les organes sociaux.......................................................................p. 7
D. L'appréciation de l'intérêt social dans les groupes de sociétés.....................................................................................................p. 8
§ 3. Un usage dans un but personnel......................................................................................................................... p. 8
§ 4. L'usage de mauvaise foi....................................................................................................................................... p. 9
Section 2. Les modalités de la poursuite de l'infraction.................................................................... p. 11
§ 1. La répression...................................................................................................................................................... p. 11
§ 2. L'exercice de l'action publique............................................................................................................................ p. 11
§ 3. Les titulaires de l'action civile............................................................................................................................. p. 13
A. La notion de victime au sens de l'article 2 CPP..........................................................................................................................p. 13
B. La détermination des victimes d'un abus de biens sociaux........................................................................................................ p. 13

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Il faut noter que l'infraction ne peut être commise dans les sociétés de personnes, en raison du statut
spécial des membres qui sont tenus d'une responsabilité personnelle et indéfinie. Sous l'appellation
générique d'abus de biens sociaux, il faut également inclure les abus de pouvoirs, de voix et de crédit
qui sont visés par les textes.

Seuls les gérants d'une SARL, les présidents, les administrateurs ou les directeurs généraux, ainsi
que les membres du directoire et du conseil de surveillance d'une société anonyme, d'une société
en commandite par action ou d'une société européenne peuvent être les auteurs du délit, ainsi que
le liquidateur. Il faut noter que le législateur par des dispositions spécifiques vise aussi les dirigeants
de fait auxquels l'infraction pourra être imputée. (Cass.crim. 6 mai 2009, D. 2010 panorama Droit
pénal des affaires p. 1667 obs. C. Mascala : secrétaire de direction qui avait de larges pouvoirs sur
le fonctionnement des comptes bancaires, sur la négociation des délais de paiement des cotisations
sociales …).
Les dirigeants de fait peuvent être les anciens dirigeants qui conservent des fonctions de direction
dans l'entreprise Cette situation est illustrée par un arrêt récent (Crim 22 sept. 2010 n° 09-87363, D.
2011 juillet Panorama droit pénal des affaires obs C Mascala) En l'espèce le tribunal de commerce
nomme un administrateur provisoire pour remplacer le dirigeant révoqué par la société mère. Il
compose un comité de direction constitué par l'ancien dirigeant révoqué et le président du conseil
d'administration. Il laisse à ce comité toute liberté de gestion contrairement à la mission qui lui
avait été confiée par le tribunal. Remis à la tête de la société, les membres du comité de direction
commettent des détournements d'actifs Ils seront poursuivis et condamnés du chef d'abus de biens
sociaux en qualité de dirigeant de fait, - le dirigeant de droit étant l'administrateur provisoire -, celui
ci tant qualifié de complice du même délit.

Remarque
Art. L. 241-9, 246-2 C. Com. Le dirigeant de fait est défini par la jurisprudence comme celui qui
effectue des actes de gestion en toute indépendance et ainsi exerce la réalité de la direction de
l'entreprise à la place des dirigeants de droit.

Section 1. Les éléments constitutifs de l'infraction

Les éléments constitutifs du délit définis par les textes d'incrimination sont au nombre de quatre :
• un usage des biens de la société, du crédit, des pouvoirs ou des voix,
• un usage contraire à l'intérêt social,
• un usage dans un but personnel,
• la mauvaise foi du dirigeant.

§ 1. L'usage des biens, du crédit, des pouvoirs ou des voix


L'auteur de l'infraction doit avoir fait usage des biens, du crédit, des pouvoirs ou des voix. L'usage
est entendu largement par la jurisprudence qui englobe sous ce terme tant les actes de disposition
(aliénation, transfert de propriété...) que les actes d'administration.

Ces actes portent sur :


• les biens entendus comme les actifs de la société constituant son patrimoine : biens meubles
corporels ou incorporels, immeubles, créances ;...
• le crédit : cela correspond à la réputation,la confiance que la société inspire à l'égard des tiers.
Il ne faut pas entendre le terme crédit au sens financier ;
• les pouvoirs : ce sont les prérogatives conférées aux dirigeants en considération de leur qualité
par la loi ou les statuts ;
• les voix : possibilité de voter dans les assemblées reconnue aux associés ou actionnaires.

A. L'objet de l'acte d'usage


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Les biens sociaux visés par le texte d'incrimination sont l'ensemble des biens meubles et
immeubles, corporels et incorporels qui constituent le patrimoine de la société. Le crédit vise
la réputation de la société, la confiance qu'elle suscite à l'égard des tiers.

Exemple
Cautionnement des dettes personnelles du dirigeant ; signature comme endosseur ou avaliseur
d'une lettre de change émise pour une cause étrangère aux affaires sociales.

Les pouvoirs sont les droits dont les dirigeants disposent de par la loi ou les statuts. Il faut noter
que dans la majorité des cas, l'usage abusif des biens sociaux suppose un abus de pouvoirs, car
le dirigeant ne peut effectuer cet acte que parce qu'il détient des pouvoirs. Ainsi, il a été jugé que
constitue un abus de pouvoirs, mais également de biens, le fait pour un dirigeant d'organiser une
fusion-absorption désavantageuse et sans utilité économique pour la société, mais avantageuse
pour lui-même, Crim. 10 juillet 1995, Bull.crim. n°253.Les voix sont les moyens que les dirigeants
détiennent pour s'exprimer dans les assemblées dans la mesure où ils ont la qualité d'associés ou
d'actionnaires. Cependant ces distinctions relatives à l'objet de l'acte d'usage sont assez difficiles à
mettre en œuvre pour les juges du fond car souvent les cas sont mêlés (un abus de biens suppose
un abus de pouvoir et souvent de voix).

B. La notion d'usage
L'abus de biens sociaux sanctionne un usage des biens, du crédit, des pouvoirs ou des
voix contraire à l'intérêt social. La notion d'usage est interprétée souplement par la jurisprudence.
L'usage consiste en l'appropriation ou la dissipation des biens appartenant à la société.

Remarque
Cela correspond à l'hypothèse la plus fréquente : le dirigeant utilise des sommes prélevées dans la
trésorerie de l'entreprise pour payer des dépenses personnelles; il s'octroie personnellement ou à
son épouse des rémunérations manifestement abusives eu égard aux fonctions exercées, Crim. 25
nov. 1975, Bull.crim. n° 257, JCP 1976, II, 18476 note Delmas-Marty, il utilise le personnel de son
entreprise pour faire effectuer des travaux à son domicile, il fait cautionner par la société des dettes
personnelles, il paie l'essence de son véhicule personnel avec l'argent de l'entreprise ; il verse sur
son compte personnel des sommes dues à la société Crim. 3 oct. 1996 Rev. Soc. 1997, 369...

L'usage n'est pas cependant, limité à ces actes de disposition entraînant aliénation d'un bien ou
de la trésorerie, qui appauvrissent la société. L'usage peut également consister en des actes
d'administration (prêts, avances d'argent, ou en des omissions : le dirigeant omet intentionnellement
de réclamer une créance que la société détient sur une autre entreprise dans laquelle il a des intérêts
(Crim. 15 mars 1972, Bull. crim n°107)).Dans ces hypothèses, la question s'est posée de savoir si
l'infraction est constituée lorsque les dirigeants ont, après avoir détourné des fonds de la trésorerie
ou omis de réclamer une créance, ils remboursent ou finalement réclament la créance. La Cour de
cassation a tranché dans un arrêt du 21 août 1991 pour une solution restrictive : un usage même
temporaire suffit à caractériser le caractère abusif de l'acte car la consommation de l'infraction est
réalisée au jour de la commission de l'acte de détournement quelles qu'en soient les suites.

Dans un arrêt récent (Crim. 28 janvier 2004, RJDA 6/2004 n°4)), la chambre criminelle de la Cour
de cassation a précisé clairement que l'acte d'usage peut résulter non seulement d'une action, mais
également d'une omission volontaire qui a la nature d'un acte contraire à l'intérêt social. Dès lors que
l'abstention volontaire du dirigeant est contraire à l'intérêt social, l'infraction peut être caractérisée.

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Jurisprudence
Crim. 21 août 1991, RJDA 1991, n° 1032 : En l'espèce, le dirigeant après avoir encaissé des
sommes destinées à la société sur son compte personnel, avait débité ce même compte pour payer
des factures sociales ainsi que les salaires des ouvriers. La Cour a considéré que l'infraction était
consommée, car la compensation économique réalisée n'enlevait pas le caractère frauduleux à
l'acte d'usage. Cette solution est certes sévère mais elle est conforme aux principes classiques de
la responsabilité pénale selon lesquels, le caractère frauduleux de l'acte s'apprécie au jour de sa
commission. Or, même s'il y a un remboursement ultérieur, le jour où les fonds ont été détournés
dans l'intérêt personnel du dirigeant, de la trésorerie de l'entreprise, l'usage était consommé.

Crim. 28 janvier 2004, Bull. Joly Sociétés p. 861 : En l'espèce, sont condamnés sur le fondement de
l'abus de biens sociaux les dirigeants d'une société civile immobilière qui ont omis volontairement la
réintégration d'une somme importante indûment débitée du compte bancaire de la société. La cour
d'appel a considéré que cette omission volontaire caractérisait l'infraction et la Cour de cassation
rejette le pourvoi formé par les condamnés.
Le dirigeant qui évince des membres du comité des rémunérations et les remplace par d'autres
acquis à sa cause, afin d'obtenir le déplafonnement de sa rémunération et de son indemnité de
départ à la retraite commet un abus de pouvoirs sociaux. Il abuse de son influence dans un but
d'enrichissement personnel ce qui constituent des actes contraires aux pouvoirs qui lui avaient été
confiés et à l'intérêt social (Cass.crim. 16 mai 2012 n° 11-85150 D. 2012 p. 1705 obs. C. Mascala)

Le critère qui caractérise donc, la commission du délit est l'abus.

§ 2. L'usage contraire à l'intérêt social


L'infraction d'abus de biens sociaux suppose un usage des éléments constituant le patrimoine de
la société, contraire à ses intérêts. Pour apprécier si un acte d'usage est contraire à l'intérêt social,
encore faut-il cerner l'intérêt de la société.

A. La notion d'acte contraire à l'intérêt social


La difficulté tient à l'absence de définition légale de la notion d'intérêt social. Cette notion est difficile
à cerner, et la jurisprudence considère qu'il faut prendre en compte l'intérêt de la personne morale.
Cet intérêt particulier étant distinct de celui des membres qui la compose.

Jurisprudence
La chambre commerciale de la Cour de cassation qualifie cet intérêt de général ou essentiel à la
société (Voir Tricot, abus de droit dans les sociétés, RTDcom.1994, 622). La chambre criminelle
dans sa conception de l'intérêt social, considère qu'il s'identifie avec la notion d'intérêt de l'entreprise
(Crim.10 juillet 1995, JCP 1996, éd. G, II, 22572 note Paillusseau) dans un souci de protection des
intérêts des associés, actionnaires, créanciers et salariés.
Deux hypothèses d'acte d'usage doivent être distinguées : d'une part, l'acte d'usage est
manifestement contraire à l'intérêt social lorsque le dirigeant détourne des fonds, des biens de
l'entreprise dans son seul intérêt personnel. Dans ce cas, la caractérisation de l'acte contraire à
l'intérêt social ne soulève aucune difficulté.

Jurisprudence
Par exemple le dirigeant fait payer par la société des dettes personnelles - à titre d'illustration :
paiement d'une amende à laquelle le dirigeant est personnellement condamné par l'entreprise Crim.
3 fév.1992. Bull. crim. n° 49, Rev.soc.1992,535 Bouloc ; le dirigeant finance sur les fonds sociaux
un parti politique dont il est adhérent, au-delà du seuil autorisé par la loi - Loi du 15 janvier 1990
relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités
politiques, art. L.52-8 et 113-1 du code électoral.
D'autre part, une seconde catégorie d'actes d'usage soulève d'importantes difficultés que la
jurisprudence a du résoudre. Doit-on considérer que l'acte d'usage est contraire à l'intérêt social
lorsque le dirigeant détourne des biens sociaux du patrimoine de l'entreprise pour les utiliser, non

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pas dans un intérêt personnel, mais en faveur de la société ? Sur cette question, la jurisprudence a
évolué : quatre étapes ont marqué cette évolution.

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1ère étape Dans un premier temps, la Cour de cassation
a jugé qu'un acte est nécessairement abusif,
donc contraire aux intérêts de la société,
lorsqu'il poursuit un but illicite, à l'occasion de
l'affaire Carpaye.

Jurisprudence
Crim.22 avril 1992, Bull.crim. n°169 ; D.1995,
59 note Matsopoulou; Rev. sc. crim. 1993,
124 note Bouloc. En l'espèce, les dirigeants
d'une société avaient versé au maire d'une
commune, une somme d'argent occulte
prélevée dans la trésorerie de l'entreprise,
pour obtenir l'exclusivité du marché de
transport scolaire de la commune. L'acte
de détournement de la somme d'argent
était à l'évidence favorable à la société qui
obtenait ainsi un contrat qui garantissait sa
prospérité. Cependant, ses dirigeants sont
condamnés sur le fondement de l'abus de
biens sociaux car le versement de la somme
d'argent, constitutif du délit de corruption,
était manifestement illicite donc considéré
par les tribunaux comme nécessairement
abusif.

La Cour de cassation consacre une


automaticité de la qualification d'abus de
biens sociaux dès lors qu'une infraction
pénale est imputable au dirigeant.

2ème étape Dans un second temps, la Cour de cassation


est revenue sur cette solution par un arrêt
du 11 janvier 1996. Dans une espèce
quasiment identique à la précédente, la Haute
juridiction a rejeté la qualification d'abus de
biens sociaux considérant que l'intérêt de
l'entreprise prévalait sur la commission d'un
acte illégal, ce qui constitue un revirement de
jurisprudence.

Jurisprudence
Arrêt Rosemain Crim. 11 janvier 1996,
Bull.crim. n°21 ; Dr.pénal 1996, comm. n
° 108; Rev.soc. 1996, 586 note Bouloc.
En l'espèce, les dirigeants d'une société
avaient constitué une caisse noire en
prélevant périodiquement des fonds dans
la trésorerie de l'entreprise, pour rémunérer
des travailleurs dissimulés. L'infraction
de travail dissimulé était constituée, par
conséquent, le but illicite, au sens de la
jurisprudence de 1992, paraissait manifeste.
La Cour de cassation, jugeant que l'intérêt
de l'entreprise était sauvegardé puisque cela
permettait la réalisation d'économie à la
société, n'a pas retenu la qualification d'abus
6 de biens sociaux.
UNJF - Tous droits réservés
3ème étape La troisième décision dans l'évolution
jurisprudentielle est l'arrêt du 6 février 1997
La jurisprudence combine désormais, le but illicite poursuivi par le dirigeant qui détourne les fonds
sociaux, qui est nécessairement contraire à l'intérêt de la société et en outre, la violation de l'intérêt
social qui est appréciée, non en terme de gains immédiats mais, à long terme, en considération du
crédit de l'entreprise à l'égard des tiers. Par cet arrêt, la Cour de cassation entend montrer qu'elle
fait une interprétation stricte des textes d'incrimination. En effet, la loi exige pour que l'infraction soit
constituée, un usage des biens ou du crédit de la société contraire à son intérêt. En l'espèce, la Cour
caractérise cette atteinte : en poursuivant un but illicite, l'auteur de l'acte porte atteinte au crédit de la
société, au moins à long terme. Portant atteinte à ce crédit, il commet bien un acte contraire à l'intérêt
social, et par conséquent, une application stricte des termes de la loi, impose une condamnation.

La jurisprudence retient donc, une conception de l'usage contraire à l'intérêt social, qui permet
d'engager des poursuites à l'encontre de dirigeants qui réalisent des actes qui font courir un risque
anormal à la société, à court ou à long terme, selon la jurisprudence la plus récente. Un arrêt
postérieur de la Cour de Paris illustre l'application de cette solution dégagée par la Cour de cassation.
La Cour de cassation maintient le cap de sa jurisprudence qui paraît désormais bien affirmée.

Jurisprudence
CA Paris 23 mars 1999, JCP, E, 1999, p. 1657 : La cour a jugé que l'emploi clandestin d'un ancien
cadre de la société financé par des prélèvements occultes en nature sur les fonds sociaux est
contraire à l'intérêt social, même si le coût d'une embauche légale aurait été plus élevé. En effet,
" une telle pratique ne peut pas justifier des actes contraires aux lois fiscales, sociales et pénales
qui font supporter un risque anormal à la société ".Cass.crim. 10 mars 2004, D. 2004, AJ, p.1240 :
la Cour confirme une condamnation prononcée par la cour d'appel a l'encontre d'un dirigeant de
société qui a pris en charge sur les fonds sociaux, le prix d'un billet d'avion ainsi que les frais de
séjour d'un employé de la Direction de la construction navale. Il apparaît manifestement que cette
dépense est contraire à l'intérêt social en ce qu'elle expose la société à des poursuites pénales et/
ou fiscales et n'apparaît avoir été effectuée que dans l'intérêt personnel du prévenu, qui cherchait,
par ce moyen, à sauvegarder le chiffre d'affaires de son entreprise et ses propres intérêts.
L'abus de biens sociaux ainsi conçu s'apparente à une infraction de mise en danger de la société qui
n'est pas sans évoquer - adapté au droit des sociétés - le délit général de mise en danger d'autrui
incriminé par l'article 121-3 du code pénal.

B. Le moment de l'appréciation du risque


Eu égard à la fluctuation de la conjoncture économique, l'appréciation de l'opportunité et des dangers
de l'opération réalisée présente d'importantes difficultés pratiques. Afin de permettre une évaluation
juste du risque crée, la jurisprudence considère qu'il doit être évalué au jour où la décision contraire
à l'intérêt social est prise par les dirigeants, c'est à dire au jour de la commission de l'acte, et non
au jour où cet acte produit un résultat. En effet, entre le jour de la prise de décision et le jour du
résultat, il peut se produire des événements imprévus qui perturbent les prévisions des dirigeants et
rendent préjudiciable une opération estimée normale.Il n'est pas envisageable dans cette hypothèse,
d'engager des poursuites pénales à l'encontre du dirigeant.

C. L'absence d'effet exonératoire de l'approbation de l'acte par les


organes sociaux
Cette ratification n'enlève pas le caractère délictueux à l'acte et ne fait pas par conséquent, obstacle
à l'exercice de poursuites pénales. Cette absence d'effet exonératoire se justifie d'une part, eu
égard au caractère préventif de l'incrimination d'abus de biens sociaux, d'autre part, parce que le
consentement de la victime, en droit pénal, n'est pas un fait justificatif pour l'auteur de l'infraction.
La victime est la société représentée par ses organes, le quitus donné par l'assemblée ne peut pas
paralyser les poursuites pénales qui seraient engagées par le ministère public.

Jurisprudence
Il faut signaler que celui qui bénéficie des sommes détournées, par la commission de l'infraction,
peut être poursuivi sur le fondement de l'incrimination de recel du produit d'abus de biens sociaux,
Crim. 6 février 1997, Dr. pénal 1997, comm. n° 61 et 63 ; Rev. soc. 1997, 146 note Bouloc; D. 1997,
334 note Renucci.
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D. L'appréciation de l'intérêt social dans les groupes de sociétés
Des difficultés quant à l'appréciation de la contrariété d'un acte à l'intérêt social, peuvent surgir
lorsque les entreprises sont constituées sous forme de groupes de sociétés. Le patrimoine d'une
société du groupe est l'objet d'un acte de détournement au profit d'une autre société appartenant
au même groupe (par exemple, une société bénéficiaire du groupe cautionne un emprunt en faveur
d'une autre société du groupe qui a besoin de trésorerie : abus de crédit social). Pour qualifier cet
acte, faut-il apprécier sa conformité à l'intérêt social au regard de chaque société du groupe, ou
au regard de l'ensemble considérant qu'il y a un intérêt social du groupe ? La jurisprudence a été
conduite à se prononcer sur la notion d'intérêt social dans cette hypothèse.

Jurisprudence
Les juridictions du fond ont pris position en faveur de la seconde solution, dans un jugement célèbre,
rendu à l'occasion de l'affaire Willot (Trib. corr. Paris 16 mai 1974, D. 1975, 371. Crim. 16 janvier
1989, D. 1989, 495 note Cosson). Le tribunal a considéré qu'il fallait prendre en considération
l'intérêt du groupe qui pouvait alors, justifier les opérations financières réalisées, en opposition aux
intérêts d'une société prise isolément. Il faut donc se placer au niveau du groupe pour apprécier les
conséquences d'actes réputés préjudiciables pour l'une des sociétés. Cependant la jurisprudence
a subordonné l'effet justificatif du groupe à trois conditions : il faut qu'existe un groupe économique
réel fortement structuré ; des sacrifices doivent être supportés par une société du groupe ; ces
sacrifices doivent être assortis d'une contrepartie et ne pas conduire à la disparition de cette société.
Dans un arrêt de principe, Aff. Rozenblum, Crim.4 fév.1985, Bull.crim.n°54 ; D.1985, 478, note Ohl;
JCP 1985, II, 14613, note Jeandidier; Rev.soc.1985, 649 note Bouloc la Cour de cassation a repris
la solution affirmée par les juridictions du fond. Elle a jugé que pour échapper aux prévisions des
textes incriminant l'abus de biens sociaux " le concours financier apporté par les dirigeants de fait
ou de droit d'une société à une autre entreprise d'un même groupe, dans laquelle ils sont intéressés
directement ou indirectement, doit être dicté par un intérêt économique, social ou financier commun
apprécié au regard d'une politique élaborée pour l'ensemble de ce groupe, et ne doit être ni
démuni de contrepartie ou rompre l'équilibre entre les engagements respectifs des diverses sociétés
concernées,ni excéder les possibilités financières de celle qui en supporte la charge ".

Les juges admettent donc, la licéité d'avances de trésorerie à d'autres sociétés dans le cadre
d'un intérêt commercial et financier commun (Trib.corr.Lyon 20 juin 1985, Gaz.Pal 1986,782 note
Marchi; Paris 29 mai 1986, Gaz.Pal 1986, 479 note Marchi). Ainsi il a jugé que la relaxe devait être
prononcée en considération de l'intérêt du groupe dans l'hypothèse suivante : une société -mère
en redressement judiciaire vend à un prix très bas sa participation dans une filiale à un groupe d'
investisseurs dans lequel un administrateur de la société détenait des titres. Même si la cession
est défavorable à la filiale, elle est conforme à l'intérêt du groupe dans la mesure où elle favorise le
redressement (Cass.crim. 19 déc. 1995, D.stés 1996 n°108 note D.Vidal).

En l'absence de la réunion des conditions posées par la Cour de cassation pour la validité des
actes effectués, les transfert de fonds d'une société à une autre demeurent délictueux, Crim. 23
avril 1991, Bull.crim.n° 193 ; 9 déc.1991, Droit pénal 1992, 101, obs.Robert.

§ 3. Un usage dans un but personnel


L'acte d'usage contraire à l'intérêt social n'est pas suffisant à la réalisation de l'infraction, la loi
exige en outre, que " le dirigeant ait agi à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société
ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ". L'exigence de cette
condition doit restreindre le champ d'application de l'incrimination et complique l'engagement des
poursuites pénales, puisqu'il faudra que la partie poursuivante apporte la preuve d'un dol spécial
(motif qui conditionne le passage à l'acte ; par opposition au dol général qui consiste dans la
conscience de transgresser la loi pénale). Il faut prouver que l'auteur de l'acte qui a agi contre l'intérêt
social poursuivait un but strictement personnel. La Cour de cassation censure souvent des décisions
des juges du fond qui n'ont pas suffisamment caractérisé le but personnel, ce qui ne lui permet pas
de contrôler la légalité de la solution (Cass.crim. 4 nov.2004, Dr.pén. 2005 com.n°44).

En conséquence, un acte contraire à l'intérêt social qui n'est pas réalisé dans un but personnel
ne devrait pas être constitutif du délit d'abus de biens sociaux, en application des termes de
la loi.

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Cependant la jurisprudence limite doublement l'importance de cet élément constitutif de l'infraction,
allant ainsi très largement au-delà des termes de la loi. La première limitation découle du sens
donné à la notion de but personnel. Lorsque la jurisprudence analyse cet élément, elle en retient une
interprétation extensive considérant que la fin poursuivie peut aussi bien être matérielle que morale,
ce qui élargit considérablement le domaine du délit. De surcroît, elle n'exige pas que l'utilisation des
biens sociaux ait été faite à des fins exclusivement personnelles.

Jurisprudence
Par exemple : Crim. 9 mai 1973, D. 1974, 271 note Bouloc. Entrent ainsi dans le champ d'application
de l'infraction non seulement les actes matériels commis dans l'intérêt du dirigeant : versement
de sommes indues pour des prestations fictives, rémunérations excessives, paiement de dettes
personnelles, d'amende prononcées à titre personnel - Crim. 3 février 1992, Bull.crim. n° 49 - ;
mais également, les actes commis pour en retirer un intérêt moral uniquement : préservation de
la réputation familiale ou satisfactions électorales - Crim.15 sept. 1999 Bull. Joly 2000, 65 note C.
Mascala ; recherche d'une notoriété Crim. 20 mars 1997, Rev. Soc. 1997,581.
En outre, la jurisprudence récente crée une présomption d'intérêt personnel, considérant que dans
des hypothèses de prélèvements occultes de fond, dès lors que ces actes ne sont pas commis dans
l'intérêt de l'entreprise, ils sont nécessairement réalisés dans l'intérêt personnel du dirigeant, Crim. 9
juillet 1998, Rev. Soc. 1998, 821. Cette solution a été confirmée dans un arrêt récent (Crim. 24 sept.
2008 D. 2009 panorama p. 1724 obs. C. Mascala) où les juges ont affirmé que si les marchandises
constituant le stock d'une société ne se trouvaient plus dans les locaux, sans qu'aucune vente ne
puisse être prouvée, elles ont nécessairement été détournées par la dirigeante dans son intérêt. La
seconde limitation du rôle du but personnel par la jurisprudence est plus radicale. En effet, souvent la
Cour de cassation écarte cet élément constitutif au mépris de la règle de l'interprétation stricte de la
loi pénale, lorsqu'elle admet la condamnation sur le fondement de l'abus de biens sociaux de tous les
actes qui ont pour objet la commission d'un délit, sans rechercher si ce délit profite personnellement
aux prévenus.

La Cour de cassation met ainsi clairement l'accent sur l'usage contraire à l'intérêt social qui est
considéré comme l'élément déterminant de l'infraction, et se montre en revanche peu exigeante
quant à la preuve du dol spécial.

§ 4. L'usage de mauvaise foi


Les textes incriminant l'abus de biens sociaux sanctionnent des infractions intentionnelles : le
délinquant a conscience de l'illégalité de ses actes et la volonté de transgresser la loi. Le délit implique
chez l'agent la conscience de son acte et de sa portée. L'agent doit avoir agi de mauvaise foi, en
sachant que l'usage qu'il faisait des biens de la société était contraire à l'intérêt social.

Jurisprudence
Ce dol général doit être caractérisé par les juges pour entrer en condamnation, Crim. 13 mars 1975,
Bull.crim. n° 75.

Si la mauvaise foi ne peut pas être prouvée, le délit n’est pas constitué Crim. 22 sept. 2010, Dr.pén.
2010 com. n°139 obs. J.H.Robert.

La rigueur des termes de la loi aurait pu restreindre le champ d'application du délit d'abus de biens
sociaux. Cependant, la Cour de cassation considère que la preuve de l'intention de nuire n'a pas à
être rapportée formellement, Crim.3 fév.1970, Bull.crim.n° 47. Il suffit que le dirigeant ait conscience
que l'acte accompli est contraire à l'intérêt social. Cette conscience découle implicitement des faits
matériels objets de la poursuite (Le dirigeant aura d'autant plus de difficultés à rapporter la preuve
de sa bonne foi, que sa qualité joue en sa défaveur. En effet, un dirigeant de par ses fonctions,
doit savoir apprécier les conséquences de ses actes). On arrive ainsi, à créer une présomption de
mauvaise foi que le dirigeant devra renverser pour éviter l'engagement de sa responsabilité pénale
(Ainsi, la constitution d'une caisse noire par un dirigeant, par des prélèvements occultes de fonds
sociaux, fait présumer de son intérêt personnel Crim. 20 juin 1996, Bull.crim. n°271).

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Lorsque les différents éléments constitutifs - matériel et moral- du délit sont réunis, l'infraction est
constituée et les poursuites peuvent être exercées.

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Section 2. Les modalités de la poursuite de l'infraction
La loi définit les sanctions applicables à l'infraction. L'abus de biens soulève deux difficultés pour
l'application de la sanction tenant d'une part à l'exercice de l'action publique et d'autre part, à la
détermination de la victime titulaire de l'action civile.

§ 1. La répression
L'abus de biens sociaux est un délit sanctionné par des peines lourdes à l'encontre des dirigeants de
droit ou de fait visés par la loi : cinq ans d'emprisonnement et 375 000 euros d'amende. Cependant,
si l'auteur de l'infraction est le liquidateur, le montant de l'amende est réduit à 9000 euros, art. L.247-8
C.com..

Des peines complémentaires facultatives d'interdiction de diriger, gérer, administrer des sociétés
commerciales, ainsi que d'exercice d'une activité commerciale sont applicables à tous les dirigeants
condamnés sur le fondement de l'abus de biens sociaux sur le fondement de l'article 131-27 alinéa
3 du code pénal. Ce texte permet au juge pénal, s'il l'estime utile, de prononcer ces interdictions à
l'encontre des dirigeants condamnés. Ces interdictions sont soit définitives, soit temporaires et dans
ce cas elles ne peuvent excéder une durée de 10 ans. La peine complémentaire ne peut être que celle
qui est expressement prévue par la loi (Cass.crim. 21 sept. 2011 n° 11-84568 D. 2012 p. 1705 note C.
Mascala). La juridiction ne peut pas prononcer une interdiction de diriger toute personne morale, alors
que le texte ne vise que les entreprises commerciales, industrielles et les sociétés commerciales.
Seules ces peines peuvent être prononcées ; la faillite personnelle qui est une sanction spécifique
de l’infraction de banqueroute ne peut pas être appliquée (voir item sur la banqueroute ; Cass. crim.
23 sept. 2009, D. 2010 panorama Droit pénal des affaires p. 1668 obs. C. Mascala).

La tentative d'abus de confiance n'est pas punissable, puisque la loi ne le prévoit pas. Cette solution
s'impose eu égard à la nature de l'infraction qui suppose que l'agent ait atteint un résultat.

La complicité est punissable dans les conditions du droit commun, art. 121-6 et 121-7 CP sans
qu'il soit exigé du complice une qualité particulière contrairement à l'auteur principal qui doit être un
dirigeant de droit ou de fait.

Depuis le 31 décembre 2005, date de l'entrée en vigueur de la nouvelle rédaction de l'article 121-2
du Code pénal qui généralise la responsabilité pénale des personnes morales, elles peuvent être
poursuivies et condamnées du chef de ce délit.

§ 2. L'exercice de l'action publique


L'action publique se prescrit selon les formes et délais prévus par la loi. Selon les dispositions
de l'article 8 du code de procédure pénale, Art. 8 CPP, le délai de prescription en matière délictuelle
est de trois ans à compter du jour de commission de l'infraction (le délai de prescription pour
l'infraction d'escroquerie commence à courir à compter du jour de la remise de la chose ; puisque
c'est la remise qui consomme le délit). Cette disposition s'applique aux infractions instantanées
(Infractions qui se consomment en un trait de temps par la réalisation d'un acte matériel : Exemple :
acte de soustraction pour le vol ; remise de la chose pour l'escroquerie...). En revanche, lorsque
l'infraction est une infraction continue (Infraction dont les effets se prolongent dans le temps :
Exemple : l'infraction de port illégal de décoration : art. 433-14 CP), le point de départ du délai
de prescription de l'action publique est décalé dans le temps. Le délai ne commence à courir qu'à
partir du jour où l'infraction cesse de produire ses effets. Et l'infraction cesse au jour du dernier acte
manifestant la volonté criminelle de son auteur.

Cette distinction entre les infractions instantanées et continues permet de régler le régime de
prescription des actions. Cependant, la jurisprudence a crée des situations particulières qui modifient
le régime de prescription de l'action publique : l'abus de biens sociaux en est une illustration. L'abus
de biens sociaux est une infraction instantanée (Consommée par l'acte d'usage abusif des biens :
voir supra les éléments constitutifs de l'infraction), par conséquent, le point de départ du délai de
prescription devrait être le jour où les agissements frauduleux ont été commis. Mais la Cour de
cassation a retenu une solution différente créant un régime particulier en dehors des prévisions
légales. En effet dans un premier temps, la Haute juridiction a jugé " que le point de départ de la

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prescription du délit d'abus de biens sociaux ne court que du jour où le délit est apparu et a pu être
constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique ", Crim. 27 juillet 1993, Droit
pénal 1994 n° 89. Cette solution adoptée par la Cour de cassation a soulevé de multiples critiques
doctrinales - certains auteurs n'hésitant pas à qualifier le délit d'imprescriptible - car cela permet
d'étendre considérablement le temps pendant lequel l'action publique peut être exercée en dehors
de toute disposition légale, la loi limitant en matière délictuelle le délai de prescription à trois ans
pour les infractions instantanées.

Par ce moyen, des faits constitutifs d'abus de biens sociaux peuvent être sanctionnés de nombreuses
années plus tard, dès lors qu'ils n'ont pu être constatés que tardivement, ce qui est fréquemment le
cas eu égard à la nature de l'infraction. En effet, l'infraction d'abus de biens sociaux est commise dans
le cadre d'une entreprise qui constitue un écran très opaque à la connaissance des agissements
frauduleux.

En outre, ces faits sont commis par les dirigeants, or dans les sociétés ce sont ces mêmes dirigeants
qui détiennent le monopole de la représentation de la société en justice. Il paraît peu probable que
le dirigeant qui commet des détournements de fonds, constitutifs d'abus de biens sociaux, révèle ce
comportement à la justice...!

Par conséquent, la solution critiquable au regard du principe de la légalité des délits et des peines,
se conçoit dans un souci de bonne politique criminelle. L'allongement du délai de prescription de
l'action publique, en décalant le point de départ afin de permettre aux victimes ou au Ministère public,
d'exercer l'action en justice lorsque le délit est apparu permet d'atteindre une plus grande efficacité.

Sous l'avalanche des critiques doctrinales, la Cour de cassation a sensiblement atténué la rigueur
de sa solution et est revenue, au moins en apparence, à une plus grande orthodoxie juridique. Elle
considère désormais que le point de départ du délai de prescription est " le jour de la présentation
des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses sont mises indûment à la charge de la
société, aux associés, sauf dissimulation ".

Jurisprudence
Crim. 13 oct. 1999, Bull. n°219 ; 21 mars 2001 Dr. pén. 2001 n°101 ; CA Paris 25 janv. 2002, Rev.
Soc. 2002, 347.
Ce nouveau régime de prescription institué par la Cour de cassation se rapproche de la solution
légale sans toutefois s'y soumettre totalement. En effet, la Cour n'applique pas à la lettre les
dispositions de l'article 8 CPP , mais elle encadre tout de même plus étroitement qu'auparavant le
délai de prescription.

La présentation des comptes marque le point de départ du délai, or le moment de la présentation


est fixé par la loi : dans les six mois de la clôture de l'exercice annuel. Par conséquent, une limite
temporelle est fixée. Cependant, ce retour à une certaine orthodoxie juridique est un peu illusoire car
la Cour a conservé la possibilité de revenir à l'ancienne solution dans le cas de dissimulation. S'il y
a dissimulation des actes frauduleux, la jurisprudence antérieure demeure valable et la prescription
ne commence à courir qu'au jour de l'apparition du délit dans des conditions permettant l'exercice de
l'action publique. Le sens donné au terme « dissimulation » qui est très extensif laisse une grande
liberté à la jurisprudence pour maintenir son régime spécial de prescription.

Jurisprudence
Il a été jugé que la dissimulation doit être clairement établie : des soupçons ne suffisent pas : Crim.
13 oct. 1999, Bull. n°219 ; 7 mai 2002, Bull. n°106. Il y a dissimulation lorsque le paiement de dettes
personnelles est masqué par l'enregistrement en comptabilité d'écritures fictives : Crim. 10 avril
2002, Bull.n°85.Il a été jugé que la dissimulation était caractérisée lorsque les comptes présentés
aux associés sont certes réguliers, mais non explicites. En l'espèce, les charges indues figuraient
dans les comptes annuels, mais elles étaient noyées dans la masse des frais divers et des charges
salariales, ce qui ne permettait pas aux actionnaires de connaître précisément les affectations des
frais (Cass. crim. 28 janv.2004, Dr.pén. 2004 com. n°65).
Dans la plupart des cas, l'acte est dissimulé par le dirigeant au sens de la jurisprudence, par
conséquent l'application de la solution nouvelle demeurera assez rare et sera le plus souvent retenu
comme point de départ du délai de prescription, le moment où le délit est apparu.La chambre
12
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criminelle de la Cour de cassation a dans deux arrêts récents le 28 mai 2003 et le 8 octobre 2003
apporté une précision relative à la prescription qui confirme le décalage du point de départ, dans un
contentieux particulier relatif à des contrats à exécution successive. Elle a jugé qu'un nouveau délai
de prescription commençait à courir lors de chaque exécution de la convention.

Jurisprudence
• Le premier arrêt(Crim. 28 mai 2003 Dr.pén. 2003 com. n°100 reproduire) est relatif à un
contrat de travail relatif à un emploi fictif : les prévenus étaient poursuivis pour avoir conclu
un contrat de travail avec des salariés effectivement rémunérés mais dispensés de toute
activité. Le contrat de travail avait été conclu en 1986, donc à une date couverte par la
prescription, mais les salaires avaient été payés jusqu'en 1991, et échappaient donc en partie à
la prescription de l'action publique. La Cour de cassation affirma que « l'abus de biens sociaux
résultant du versement de salaires rémunérant un emploi fictif est une infraction instantanée,
consommée lors de chaque paiement indu ». Ce n'est pas la convention initiale qui ouvre le
délai de prescription mais chaque exécution successive, dans la mesure où chaque paiement
- et non pas le contrat initial - met à la charge de la société une dépense indue.
• Le second arrêt (Crim. 8 oct. 2003, Dr.pén. 2003 com. n°147) concerne un contrat de
prestation de services de relation, assistance, animation (qui ne correspond en réalité à
aucune activité réelle), à exécution successive rémunéré chaque année par un pourcentage
du chiffre d'affaires de la société victime. Les poursuites sont engagées par les actionnaires
plus de trois ans après que l'assemblée générale ait approuvé la signature de la convention
initiale. Le débat portait sur le point de savoir si le délit d'abus de biens sociaux se consomme
au moment de la convention initiale ou s'il se renouvelle lors de chaque exécution. La Cour de
cassation considère que ce n'est pas la convention initiale qui consomme l'infraction et ouvre
la prescription, mais chaque paiement qui consomme un délit distinct inscrit dans les comptes
présentés aux associés. Chaque présentation des comptes annuels marque le point de départ
du délai de prescription de l'action publique.Cette solution a été confirmée (Crim. 16 juin 2004
BRDA 17/04, n°3) dans l'hypothèse d'un contrat d'assurance-vie souscrit par le dirigeant à son
bénéfice et dont les primes étaient payées par l'entreprise. La Cour a considéré que le point de
départ du délai de prescription des abus était le jour de la présentation des comptes annuels
dans lesquels les primes mises indûment à la charge de la société apparaissaient, et non au
jour où l'assemblée générale avait approuvé le principe de ce contrat à exécution successive.

§ 3. Les titulaires de l'action civile


L'action civile est l'action en réparation exercée par " tous ceux qui ont personnellement souffert
du dommage directement causé par l'infraction ", selon les dispositions de l'article 2 du Code
de procédure pénale, art. 2 CPP. Cette action vise à obtenir d'une part, la condamnation pénale
de l'auteur de l'infraction - c'est l'aspect extra-patrimonial de l'action civile -, et d'autre part, des
dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par l'infraction - c'est l'aspect patrimonial de
l'action civile. Par conséquent, toute personne lésée personnellement et directement par l'infraction
commise, peut exercer l'action civile. Cependant, lorsque l'infraction est un abus de biens sociaux il
faut déterminer qui est la victime, pour savoir qui est titulaire de l'action civile.

A. La notion de victime au sens de l'article 2 CPP


Aux termes de l'article 2 du Code de procédure pénale, la victime est, à certaines conditions, titulaire
de l'action civile. Pour pouvoir se constituer partie civile, la victime doit apporter la preuve que le
préjudice qu'elle subit du fait de l'infraction est actuel, personnel et direct. Le préjudice actuel est
celui dont l'existence est incontestable dans l'immédiat ou dans l'avenir, par opposition au préjudice
éventuel, qui ne se réalisera peut-être jamais.Le préjudice personnel résulte du dommage subi à
titre individuel par la personne qui en réclame réparation et qui trouve son origine directement dans
la commission de l'infraction.

B. La détermination des victimes d'un abus de biens sociaux


Dans l'hypothèse de la commission d'un délit d'abus de biens sociaux, l'action de la société est
recevable car elle subit un préjudice personnel et direct, dans la mesure où l'acte réalisé est
nécessairement contraire à ses intérêts. L'action civile est alors, exercée au nom de la société par
les représentants légaux (Les représentants légaux sont les dirigeants, ce qui soulève une difficulté
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car ce sont aussi les auteurs de l'infraction,puisque seuls les dirigeants d'une société commerciazle
peuvent commettre un abus de biens sociaux . Par conséquent, pour exercer l'action en justice au
nom de la société, il faudra avoir recours à une procédure de substitution : soit il faudra désigner
un mandataire ad hoc qui aura pour mission de representer la société en jusitice et d'agir en son
nom; soit il faudra nommer une personne habilitée expressément à se constituer partie civile au nom
de la société victime .

Jurisprudence
Crim. 6 mai 1985, Bull. crim. n° 170 : mandataire ad hoc spécialement investi de pouvoirs pour
représenter la société en justice ; 27 février 2002 D. 2002, 2258 : administrateur judiciaire.
Dans le cas d'une opération de fusion-absorption, il a été jugé que l'action civile de la victime de
l'infraction étant demeurée dans le patrimoine de la société absorbée, la société absorbante est
recevable à se constituer partie civile en réparation du dommage résultant du délit d'abus de biens
sociaux commis au préjudice de la société absorbée par ses dirigeants sociaux. Cette solution n'est
justifiée que parce l'action civile - dans ses aspects patrimoniaux- était née dans le patrimoine de la
société absorbée avant l'opération de fusion, et par l'effet de la transmission universelle du patrimoine
de la société absorbée à la société absorbante, celle-ci recueille ses actions patrimoniales (Crim. 7
avril 2004, Dr.soc. 2004 com. n°156).

Les associés ou actionnnaires qui ne sont pas des victimes directes ne peuvent pas à titre personnel
se constituer parties civiles.
La seule possibilité ouverte aux associés ou actionnaires de demander réparation est d'agir par le
biais de l'action ut singuli (L'action ut singuli est une action en responsabilité contre les dirigeants
qui a pour but d'obtenir réparation du préjudice subi par la société. Elle est exercée par les associés
ou actionnaires qui remplissent les conditions de seuil fixées par la loi (art. L. 225-252 C.com.pour
les SA ; art. L. 223-22 C.com. pour les SARL)), mais dans ce cas ils n'agissent pas en leur nom
personnel mais au nom de la société, par conséquent si la réparation demandée est accordée par
le juge répressif elle tombera dans le patrimoine de l'entreprise. Ils peuvent agir même si une action
a été engagée au nom de la société par les organes sociaux contre l’ancien dirigeant, si par cette
action dite ut universi, les intérêts de la société ne sont pas bien représentés. Dans ce cas les deux
actions, ut singuli et ut universi se cumulent (Cass. crim. 16 déc. 2009, D. 2010 Panorama Droit
pénal des affaires, p. 1667 obs. C. Mascala).
Jurisprudence
Crim. 13 déc. 2000, Bull. n° 373, Dr. pén. 2001 com. 47 : arrêt Léonarduzzi ; arrêt Bourgeois
et Castellan Bull. n°378, Dr. pén. 2001 com. 47. Dans ces deux espèces, il a été jugé que
la dépréciation des titres d'une société découlant des abus de biens sociaux commis par les
dirigeants, ou que la dévalorisation du capital social du à un abus de pouvoir ne constituait pas un
dommage personnel à chaque associé mais un préjudice pour la société elle-même. Confirmation
de cette jurisprudence dans divers arrêts : Crim. 4 avril 2001, Dr.pén. 2001, com. 10 ; 5 mai 2004,
Dr.soc.2004 com.n°159.

Mais lorsque les conditions d'exercice de l'action civile sont remplies, la jurisprudence admet que
l'intégralité du préjudice subi par la victime doit être réparé sur le fondement de l'article 1382 du code
civil (Crim. 28 janv. 2004, Dr. Soc. 2004 n° 114 p. 33 note Salomon). Le particularisme résultant du
fait que cette réparation intégrale est accordée par le juge pénal.

Jurisprudence
Crim. 11 janvier 1996, Bull. crim. n°21 ; 12 sept. 2001 Dr. pén. 2002 com.6.
L'action civile des créanciers de la société, est en revanche, déclarée irrecevable car " le délit ne
cause de préjudice direct qu'à la société ", Crim. 27 juin 1995, Rev. soc. 1995, 746. 9 janvier 1996,
Droit pénal 1996, n°110.Toute autre constitution de partie civile, qu'elle émane des salariés (APP :
Crim. 28 janv. 2004 Dr.pén. 2004 com. n° 89 : salariés se plaignant de la diminution du montant de
leurs primes liée au paiement de salaires fictifs. La Cour de cassation réaffirme que « la diminution
du montant des primes perçues n'est qu'une conséquence indirecte des abus de biens sociaux ».),
des institutions représentatives du personnel, de syndicat... est irrecevable pour la même raison :
ces personnes n'ont pas de qualité à agir.

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Jurisprudence
Crim. 29 nov. 2000 Bull. n°359 : " Le préjudice indirect qui serait porté par le délit d'abus de
biens sociaux à l'intérêt collectif de la profession ne se distingue pas du préjudice, lui-même
indirect qu'auraient pu subir les salariés de l'entreprise. En conséquence, est à bon droit déclarée
irrecevable la constitution de partie civile d'une fédération de syndicats ".

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Cours : Droit pénal des affaires
Auteur : MASCALA Corinne
Leçon n° 6 : La distribution de dividendes fictifs

Table des matières


Section 1. Les conditions préalables..................................................................................................... p. 2
§ 1. La nécessité d'une absence d'inventaire ou d'un inventaire frauduleux............................................................... p. 2
§ 2. La fictivité du dividende........................................................................................................................................ p. 3
§ 3. Le problème des réserves.................................................................................................................................... p. 3
A. La réserve légale........................................................................................................................................................................... p. 3
B. La réserve statutaire...................................................................................................................................................................... p. 3
C. Les réserves libres.........................................................................................................................................................................p. 4
D. Les réserves occultes.................................................................................................................................................................... p. 4
Section 2. Les éléments constitutifs...................................................................................................... p. 5
§ 1. L'acte de répartition.............................................................................................................................................. p. 5
§ 2. L'intention frauduleuse.......................................................................................................................................... p. 5
Section 3. Les poursuites........................................................................................................................p. 6

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L'objectif poursuivi par le législateur en incriminant ce comportement est double : d'une part, protéger
la structure sociétaire et les créanciers en d'évitant que les dirigeants distribuent des bénéfices
inexistants, de ce fait portent atteinte au capital social et par répercussion au gage des créanciers.
D'autre part, il s'agit de protéger les tiers à la société : en effet, la distribution de dividendes fictifs
donne aux tiers une apparence trompeuse de prospérité de l'entreprise, sur la base de laquelle
ils s'engageront peut-être contractuellement en devenant par exemple, associés ou actionnaires à
l'occasion de l'ouverture ou de l'augmentation du capital.

Section 1. Les conditions préalables


§ 1. La nécessité d'une absence d'inventaire ou d'un inventaire
frauduleux
La première condition préalable exigée par les textes d'incrimination est l'absence d'inventaire ou
un inventaire frauduleux.

Remarque
Les obligations comptables d'un commerçant sont définies par l'article L. 123-12 C.com. .

Selon la définition donnée par la loi comptable du 30 avril 1983, l'inventaire " est un relevé de tous
les éléments d'actif et de passif au regard desquels sont mentionnées la quantité et la valeur de
chacun d'eux à la date de l'inventaire ".

L'inventaire est donc, un état descriptif et estimatif de la situation patrimoniale et financière


de l'entreprise. Dans cette conception, l'inventaire est un instrument comptable assimilable au bilan,
au sens de l'article L.123-13 alinéa 1 du code de commerce .

Remarque
Art. L.123-13 al.1 C.Com : Le bilan décrit séparément les éléments actifs et passifs de l'entreprise,
et fait apparaître, de façon distincte, les capitaux propres.

L'hypothèse d'absence d'inventaire visée par la loi - qui suppose une absence totale de comptabilité
récapitulative - est une situation rare en pratique, dans la mesure où les entreprises concernées
sont notamment des sociétés anonymes ou des sociétés en commandite par actions dans lesquelles
la loi exige la certification des comptes par un commissaire aux comptes. En outre, s'il n'y a pas
d'inventaire stricto sensu ce qui est imaginable dans les SARL de petite taille ou dans les EURL
(EURL : entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée qui est soumise aux mêmes règles que
la SARL) , l'entreprise pourra néanmoins le plus souvent, présenter des documents comptables
remplissant la fonction de récapitulatif des éléments actifs et passifs composant le patrimoine. Il
est en effet, extrêmement rare qu'une entreprise n'ait aucune comptabilité, fut-elle très réduite. En
revanche, la seconde hypothèse qui est caractérisée par un inventaire ou un bilan frauduleux est
beaucoup plus fréquente quelque soit le type de société. L'article L. 123-14 alinéa 1 du code de
commerce définit les principes comptables qui doivent être respectés par les commerçants : principes
de régularité des comptes, de sincérité, de fidélité, de prudence et de permanence.

Remarque
Art. L.123-14 C.com. : Les comptes annuels doivent être réguliers, sincères et donner une image
fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise.

L'absence de régularité ou de sincérité caractérise la fraude. L'inventaire est frauduleux par


diverses manipulations comptables : enregistrement d'écritures fausses ( correspondant à des
opérations réelles mais falsifiées lors de la passation en écritures comptables) ou fictives ( opérations
inexistantes) ; dissimulation de charges ; augmentation des bénéfices...
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§ 2. La fictivité du dividende
La loi retient pour définir l'infraction, la formule " distribution de dividendes fictifs " cependant, une
précision terminologique s'impose a priori : lorsque le texte d'incrimination vise le dividende fictif, il
s'agit d'une impropriété de langage. En effet, le dividende est réel, il n'est pas fictif. L'article 1832 du
code civil pose le principe du droit de chaque associé au partage des résultats de l'activité sociale.
Le droit au dividende est lié à la qualité d'associé et il est proportionnel à la participation au capital
social. Il ne peut donc jamais être fictif puisqu'il est attaché à la qualité de la personne . Ce droit au
dividende est mis en œuvre par l'assemblée générale lorsqu'elle décide la répartition des bénéfices
réalisés. Il faut donc établir une distinction nette entre la notion de dividende et celle de bénéfice :
le droit au dividende est une prérogative attachée à la qualité d'associé, qui se matérialise par une
distribution des bénéfices s'ils existent au terme de l'exercice. Or le législateur a confondu les deux
notions. Ce qui est fictif et qui est distribué, ce sont les bénéfices. Or en l'absence de bénéfices, la
distribution constitue une atteinte au capital social.

Le code de commerce dans ses articles L. 232-11 et L. 232-12 donne une définition des bénéfices
distribuables. Le bénéfice distribuable est constitué " par le bénéfice de l'exercice diminué des pertes
antérieures, ainsi que des sommes à porter en réserve, en application de la loi ou des statuts et
augmenté du report bénéficiaire ".

Après approbation des comptes annuels et constatation de l'existence de sommes distribuables,


si l'assemblée générale décide de procéder à la distribution des bénéfices, elle détermine la part
attribuée aux associés sous forme de dividendes. Tout dividende réparti, alors qu'il n'existe pas de
sommes distribuables, constitue une distribution de bénéfice fictif : c'est l'hypothèse de la distribution
des sommes prélevées sur le capital social. Tous prélèvement de sommes sur le capital est interdit.
Une difficulté surgit alors : lorsque la société a affecté des sommes en réserves, peut-elle effectuer
des prélèvements sur ces fonds pour les distribuer aux associés ?

§ 3. Le problème des réserves


Une interrogation peut porter sur les réserves: un dividende prélevé pour être distribué sur des
réserves constitue t-il l'infraction ? La réponse ne peut pas être unique, elle doit être nuancée en
fonction de la nature des réserves. En effet, il faut distinguer quatre types de réserves : légale,
statutaire, libre et occulte.

A. La réserve légale
La réserve légale est celle qui est imposée par la loi à toutes les sociétés à responsabilité limitée
et sociétés par actions.

Art. L. 232-10 : " A peine de nullité de toute délibération contraire dans les sociétés à responsabilité
limitée et les sociétés par actions, il est fait sur le bénéfice de l'exercice, diminué, le cas échéant,
des pertes antérieures, un prélèvement d'un vingtième au moins affecté à la formation d'un fonds
de réserve dite " réserve légale ".

Ces sommes affectées à la réserve légale sont intégrées au capital social. Par conséquent, le
dividende distribué par prélèvement des fonds affectés à la réserve légale obligatoire qui est
assimilable au capital, est fictif en l'absence de tout bénéfice. La condition de fictivité imposée par la
loi est remplie. La distribution reviendrait à distribuer le capital ce qui est interdit par la loi .

B. La réserve statutaire
La réserve statutaire est une réserve facultative qui est décidée par les fondateurs dans les statuts de
la société. A partir du moment où elle est prévue dans les statuts, elle devient conventionnellement
obligatoire et par conséquent elle a la même nature que la réserve légale.

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art. L.232-11 al.1 : " Le bénéfice distribuable est constitué par le bénéfice de l'exercice, diminué
des pertes antérieures, ainsi que des sommes à porter en réserve en application de la loi ou des
statuts, et augmenté du report bénéficiaire ".

Les fonds placés en réserve au titre de la réserve statutaire sont assimilés au capital social. Si la
distribution des dividendes est effectuée par prélèvement sur cette réserve, l'infraction est constituée
puisque le capital subit une atteinte.

C. Les réserves libres


Les réserves libres ont suscité des interrogations. Ces réserves libres proviennent de bénéfices
réalisés au cours d'un exercice précédent et qui n'ont pas été distribués : sur décision de l'assemblée
générale, elles ont été conservées à titre de réserve pour constituer par exemple, des provisions. Ces
sommes non distribuées ne font pas partie du capital social. Si le dirigeant distribue des dividendes
prélevés sur ces réserves, l'infraction est-elle constituée ?

Jurisprudence
Dans un arrêt Léonard en date du 22 janvier 1937, Crim. 22 janvier 1937, D.1937,1 ; 71 note
Tchernoff; S.1938,1,297 note Légal, la Cour de cassation a considéré que la distribution sur
la réserve libre était licite, mais à la condition que l'assemblée générale qui la décide, précise
la provenance des sommes distribuées, dans un souci de protection des tiers. Le législateur a
consacré cette solution jurisprudentielle.

art. L. 232-11 al. 2 du Code de commerce : " L'assemblée générale peut décider la mise en
distribution de sommes prélevées sur les réserves dont elle a la libre disposition. En ce cas, la
décision indique expressément les postes de réserve sur lesquels les prélèvements sont effectués ".

D. Les réserves occultes


Les réserves occultes sont celles qui sont décidées par les dirigeants mais qui n'apparaissent pas
au bilan.

Jurisprudence
La Cour de cassation a longtemps considéré qu'elles pouvaient être distribuées librement à la
condition qu'elles aient été constituées par des bénéfices réels antérieurs, car la libération de ces
réserves volontaires ne porte pas atteinte au capital social (Crim.17 juin 1942, JCP 1943, II, 2120
note Bastian) . Mais cette solution jurisprudentielle est aujourd'hui condamnée par l'article L.232-11
alinéa 2 de la loi du 24 juillet 1966 (art. L. 232-11 al. 2 : " L'assemblée générale peut décider la mise
en distribution de sommes prélevées sur les réserves dont elle a la libre disposition. En ce cas, la
décision indique expressément les postes de réserve sur lesquels les prélèvements sont effectués
"), qui oblige l'assemblée générale à indiquer expressément sur quel poste de réserve la distribution
s'opère. Par conséquent, l'assemblée peut distribuer les réserves occultes mais elle doit indiquer
que le prélèvement est effectué sur des réserves qui n'apparaissent pas au bilan, ce qu'elle ne
veut pas révéler notamment à l'administration fiscale, d'autant que cela suppose l'existence d'une
double comptabilité.

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Section 2. Les éléments constitutifs
§ 1. L'acte de répartition
L'élément matériel du délit est constitué par l'acte de répartition du dividende selon la formule
légale. Il est donc nécessaire de déterminer le moment où le dividende est considéré comme réparti.

Deux conceptions sont envisageables : d'une part, on pourrait considérer que l'infraction n'est
consommée que lorsque les associés ou actionnaires ont perçu le dividende distribué. Cette
conception restreindrait considérablement le domaine de l'infraction. Cela laisserait aux dirigeants le
temps d'arrêter un processus infractionnel, tant que la perception du dividende n'est pas effective,
d'autant que la tentative de distribution de dividendes fictifs n'est pas punissable, puisque la loi ne
le prévoit pas. D'autre part, on peut considérer que l'infraction est réalisée au jour où l'ordre de
répartition des dividendes est donné, après délibération de l'assemblée générale, par les dirigeants,
peu importe que les dividendes soient effectivement perçus ou qu'ils ne le soient pas par les associés.

Jurisprudence
Cette seconde solution est retenue par la jurisprudence (Crim. 28 mars 1936, DH 1936, 270) . Elle
a le mérite de permettre une répression pénale plus précoce, et repose sur l'idée que le dividende
est réparti, dès lors que l'associé ou l'actionnaire est titulaire d'un droit privatif sur le dividende.
Ce droit privatif naît le jour où " le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d'une
société anonyme et les gérants d'une SARL " décident de mettre ces dividendes à leur disposition
(Crim.21 mai 1935, Rev.soc.1935,424 ; CA Lyon 23 fév.1984, D.1985,127 note Croze et Reinhard) .
Le délai de prescription de l'action publique commence à courir à partir du jour de la naissance de
ce droit privatif.

Délai de trois ans en matière délictuelle à compter du jour de commission de l'infraction : art. 8 CPP

§ 2. L'intention frauduleuse
Le délit de distribution de dividendes fictifs est une infraction intentionnelle. Elle n'est constituée que si
les dirigeants ont intentionnellement réparti des dividendes fictifs, ce qui suppose qu'ils connaissaient
l'inexactitude du bilan présenté pour justifier l'existence de bénéfices inexistants en réalité

Jurisprudence
La Cour d'appel de Paris a jugé qu'en ne s'assurant pas de la sincérité des comptes avant de
décider de répartir les bénéfices, un président de société fait preuve de légèreté . Cependant, pour le
condamner encore faut-il que la partie poursuivante puisse apporter la preuve qu'il avait conscience
d'agir contre les intérêts de la société ( C.A.Paris 14 juin 1995, D.stés 1995, 219).
La preuve de la mauvaise foi est largement facilitée par la qualité des auteurs de l'infraction.
En effet, seuls peuvent être poursuivis les dirigeants limitativement visés par la loi. Es qualité,
ces personnes doivent avoir connaissance de la situation financière et comptable de leur société.
Cette connaissance doit leur permettre de savoir si la distribution de dividendes envisagée est licite
ou frauduleuse. Ils ne peuvent pas se réfugier derrière une prétendue ignorance de la situation
financière, au risque de se voir imputer un manquement à l'obligation générale de prudence et de
diligence qui pèse sur chaque dirigeant. L'approbation des comptes, et par conséquent la décision
de répartition des dividendes, par l'assemblée générale ne fait pas disparaître l'intention frauduleuse
des dirigeants (Crim. 10 novembre 1942, JCP 1943, II, 2332 note Bastian).

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Section 3. Les poursuites
L'action publique se prescrit par trois ans puisque la distribution de dividendes fictifs est un
délit. La difficulté est de fixer le point de départ de ce délai. Le délit est instantané , il faut donc
déterminer le jour de la commission . La jurisprudence considère que l'infraction est consommée au
jour où l'ordre de répartition est donné, après délibération de l'assemblée générale, par les dirigeants .
Le jour de la répartition, peu important que les sommes soient effectivement payées aux actionnaires
par la suite, ouvre le délai de prescription .

En ce qui concerne l'action civile, son régime obéit aux mêmes règles que l'infraction d'abus de
biens sociaux ( voir item précédent) . L'action civile appartient à la victime de l'infraction qui est la
société. Mais l'action civile des tiers est recevable s'ils apportent la preuve d'un préjudice personnel
causé par exemple, par la souscription de parts sociales déterminée par l'apparente prospérité de la
société . Dans ce cas , ces tiers devront apporter la preuve qu'ils subissent un préjudice personnel,
certain et directement causé par l'infraction selon les exigences classiques de l'article 2 du code de
procédure pénale.

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Cours : Droit pénal des affaires
Auteur : Corinne MASCALA
Leçon n° 7 : La banqueroute et les délits assimilés

Table des matières


Introduction..............................................................................................................................................p. 2
Section 1. La banqueroute...................................................................................................................... p. 3
§ 1. Les conditions préalables..................................................................................................................................... p. 3
A. La qualité de l'agent.......................................................................................................................................................................p. 3
B. L'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires.................................................................................. p. 3
§ 2. Les cas de banqueroute....................................................................................................................................... p. 4
A. Avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, fait
des achats en vue de revente au dessous des cours, ou avoir employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds...............p. 4
B. Avoir dissimulé ou détourné tout ou partie de l'actif du débiteur.................................................................................................. p. 5
C. Avoir frauduleusement augmenté le passif du débiteur................................................................................................................ p. 6
D. Avoir tenu une comptabilité fictive, fait disparaître des documents comptables ou s'être abstenu de tenir toute comptabilité lorsque
les textes applicables en font obligation.............................................................................................................................................p. 6
E. Avoir tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions légales.................................... p. 7
§ 3. Les sanctions........................................................................................................................................................ p. 8
Section 2. L'engagement des poursuites............................................................................................ p. 10
§ 1. Le monopole des organes de la procédure........................................................................................................p. 10
§ 2. La dérogation jurisprudentielle : le préjudice personnel distinct......................................................................... p. 11
§ 3. La nature du préjudice personnel distinct...........................................................................................................p. 11
Section 3. Les délits assimilés............................................................................................................. p. 13
§ 1. Les infractions commises par le débiteur........................................................................................................... p. 13
§ 2. Les infractions commises par les tiers............................................................................................................... p. 13
§ 3. Autres infractions................................................................................................................................................ p. 13

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Introduction
Le législateur a institué une procédure permettant à certaines conditions le sauvetage des
entreprises en difficulté ou la liquidation judiciaire lorsque la situation est définitivement compromise.
La procédure de sauvegarde et celle de redressement judiciaire ouvre une période d'observation
tendant à la continuation ou à la cession de l'entreprise, et à défaut à la liquidation. Lorsque
l'entreprise connaît des difficultés, l'entrepreneur peut être tenté de commettre différentes infractions
qui sont spécifiquement réglementées, compte tenu du contexte dans lequel elles ont été commises.

La matière a été modifiée par la loi du 25 janvier 1985 qui a profondément transformé le régime
juridique de l'infraction principale : la banqueroute. La loi de 1985 a simplifié la définition de
cette infraction, en ne conservant que les hypothèses essentielles de fraudes aux droits des
créanciers et des tiers. Aux lieux et places des anciennes incriminations - la loi nouvelle n'a
retenu que quatre cas de banqueroute sur quinze qui sanctionnaient les comportements du
commerçant, artisan, agriculteur, dirigeant peu compatibles avec les exigences de sa profession
(Enumération légale : revente au dessous des cours , utilisation de moyens ruineux pour se procurer
des fonds, détournement ou dissimulation de l'actif, augmentation frauduleuse du passif, tenue
d'une comptabilité fictive, absence de comptabilité , comptabilité manifestement incomplète ou
irrégulière...).Cette réduction des cas de banqueroute ne traduit pas pour autant une dépénalisation
de ce comportement car la formulation des quatre cas en des termes très généraux, reprend
l'ensemble des anciennes dispositions. En outre la rigueur de la sanction subsiste d'autant que son
application a été étendue à des personnes qui n'étaient pas visées dans les textes antérieurs : les
artisans, les agriculteurs. Un cinquième cas de banqueroute a été ajouté par la loi du 10 juin 1994
qui a modifié le droit des entreprises en difficulté.

La loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 modifie encore les dispositions applicables à
la banqueroute et aux délits assimilés, notamment en élargissant la liste des personnes susceptibles
de commettre l'infraction. Cet extension du domaine de l'infraction se poursuit avec le dernier texte
qui réforme la matière : l'ordonnance du 18 décembre 2008.

La loi conduit à distinguer la banqueroute qui ne peut être commise que dans le cadre
des procédures de redressement ou de liquidation judiciaires , des infractions assimilées
commises à l'occasion de toutes les procédures : sauvegarde, redressement judiciaire et
liquidation judiciaire.

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Section 1. La banqueroute
La loi incrimine cinq comportements (Le cinquième cas de banqueroute relatif à la comptabilité
manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions légales a été ajouté par la loi du
10 juin 1994 modifiant la loi du 25 janvier 1985, codifiée à l'article L. 654-2 C.com) constitutifs du
délit de banqueroute, et pose deux conditions préalables à l'exercice des poursuites.

§ 1. Les conditions préalables


Deux conditions préalables déterminent l'ouverture d'une procédure répressive sur le fondement
de la banqueroute : l'une tient à la qualité de l'agent, l'autre à l'ouverture d'une procédure de
redressement ou de liquidation judiciaires.

A. La qualité de l'agent
Les différentes réformes législatives (Loi du 25 janvier 1985 et du 30 décembre 1988) ont élargi
le domaine de la répression pénale. La loi de « sauvegarde des entreprises » du 26 juillet 2005
ainsi que l'ordonnance du 18 décembre 2008 participent à cette extension. Sont visés par le texte
d'incrimination, Art. L. 654-1 C. Com, les personnes exerçant une activité commerciale ou artisanale,
les agriculteurs ; toute personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante y
compris les professions libérales, ainsi que les personnes qui ont, directement ou indirectement, en
droit ou en fait, dirigé ou liquidé une personne morale de droit privé et les personnes représentants
permanents de personnes morales dirigeant des personnes morales.

La loi nouvelle étend donc l'application du texte aux membres des professions libérales qui entrent
dans la catégorie des personnes exerçant une activité professionnelle indépendante quel que soit
leur statut législatif ou réglementaire.

En outre, les poursuites peuvent être engagées dans les conditions du droit commun à l'encontre
des personnes morales ( infractions commises pour le compte de la personne morale par un
organe ou un représentant) , Art. L. 654-7 C.Com . Il appartient au juge pénal avant de déclencher
les poursuites de vérifier la qualité de la personne en cause par rapport aux constatations du juge
commercial ou civil ayant ouvert la procédure collective. La qualité de l'agent s'apprécie au moment
des faits, et non lors des poursuites, ce qui permettra de sanctionner des personnes ayant cessé
leurs activités ou fonctions au moment où la procédure pénale est engagée.

Jurisprudence
Pour une application à un maire dirigeant d' une société d'économie mixte qui commercialisait de
l'eau de source : Crim. 2juin 1999 , Bull. n°118, RTDcom. 1999, 980 obs. C. Mascala).

Remarque
Il faut cependant signaler qu'une personne qui exercerait une profession commerciale au mépris
d'une interdiction liée à sa profession - profession libérale , fonctionnaires par exemple- ou à son
passé pénal, pourrait être condamnée sur le fondement de la banqueroute . En effet, à titre de
sanction de la violation de l'interdiction, la jurisprudence ne lui permet pas d'invoquer sa qualité de
non-commerçant pour échapper aux poursuites pénales.

B. L'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation


judiciaires
L'article L. 654-2 du code commerce ne fait plus expressément référence comme la législation
antérieure, à la notion de cessation des paiements mais exige, pour engager des poursuites sur
le fondement de la banqueroute, qu'il y ait eu ouverture d'une procédure de redressement ou de
liquidation judiciaires. Cela signifie que le juge pénal ne peut être saisi de faits de banqueroute
tant qu'il n'y a pas eu de jugement du tribunal de commerce ou du tribunal de grande instance
ouvrant une procédure. de redressement ou de liquidation judiciaires . La procédure de sauvegarde
ne permet pas les poursuites sur le fondement de la banqueroute car la société est considérée in

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bonis. En revanche, des poursuites sur le fondement de l'abus de biens sociaux seraient recevables
pour sanctionner des détournements commis par le dirigeant (cf item relatif à l'abus de biens
sociaux).

Jurisprudence
La jurisprudence considère que cette condition d'ouverture de la procédure n'est qu'une condition
procédure et non pas une condition de fond, ce qui est très contestable eu égard à la formulation
du texte d'incrimination- qui doit exister au moment du déclenchement des poursuites. Peu importe
ensuite, le sort de la procédure collective, les poursuites pénales étant autonomes, même si celle
ci n'aboutit pas la sanction pénale pourra être prononcée ( Crim. 10 mars 2004, RTDCom. 2004 n
°3, obs. C.Mascala ; 24 mars 2010 Dr.pén. 2010 com. n°70 J.H.Robert;, D 2011 juillet , Panorama
droit pénal des affaires , obs C mascala).
Cela implique que la notion de cessation des paiements critère d'ouverture des procédures de
redressement ou de liquidation judiciaires - telle que définie par l'article L. 631-1 du code de
commerce comme " l'impossibilité de faire face au passif exigible avec l'actif disponible " - sera
appréciée par le tribunal de commerce ou de grande instance, quant à son principe et à sa date. Le
juge pénal contrairement aux principes classiques de notre droit pénal - principe d'autorité du criminel
sur le civil et d'indépendance de la juridiction pénale- se trouve dans cette hypothèse, soumis à la
décision du juge commercial ou civil. Le juge pénal ne peut plus statuer sur cet état de cessation
des paiements. Cette situation devait conduire à la disparition de la faillite virtuelle qui permettait au
juge pénal d'avoir une appréciation différente de la date de cessation des paiements de celle du juge
commercial (Gioanni, la cessation des paiements dans l'infraction de banqueroute, D. 1994, 53) .

Jurisprudence
Il faut cependant noter que la Chambre criminelle de la Cour de Cassation confère toujours de
larges pouvoirs au juge pénal, considérant qu'il demeure libre de retenir une date de cessation
des paiements autre que celle fixée par le tribunal de commerce ou le tribunal civil : " le juge
répressif , pour déclarer constitué le délit de banqueroute, a le pouvoir de retenir, en tenant compte
des éléments soumis à son appréciation, une date de cessation des paiements autre que celle déjà
fixée " par la juridiction qui a ouvert la procédure collective (Crim. 18 novembre 1991, D. 1992, I.R.,
54; JCP 1992, IV, 726 ; 27 nov. 1997 Bull. n° 405) . Le juge pénal est donc tenu par l'existence
du jugement d'ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation , qui est une condition
préalable à l'exercice de l'action publique, mais en revanche il n'est pas soumis à son contenu.

§ 2. Les cas de banqueroute


L'article L.654-2 du code de commerce incrimine cinq comportements constitutifs du délit de
banqueroute.

A. Avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la


procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, fait des
achats en vue de revente au dessous des cours, ou avoir employé des
moyens ruineux pour se procurer des fonds
Ce premier cas sanctionne tous les moyens frauduleux utilisés pour poursuivre artificiellement une
activité manifestement compromise. Il se subdivise en deux hypothèses : d'une part les achats
pour revente au dessous du cours qui implique la réunion de deux éléments, un achat et une
revente moins cher que le prix payé afin de se procurer immédiatement de la trésorerie liquide
qui masquera momentanément l'état de cessation des paiements. Cette pratique implique que
l'achat soit réalisé à crédit, ce qui diffère le moment du paiement et la revente faite au comptant ce
qui permet momentanément l'obtention d'une trésorerie. Mais cela ne fait que retarder le moment
où l'entreprise ne peut plus payer ses dettes qui ne font que croître. Cette opération frauduleuse est
qualifiée de carambouille.

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Remarque
Les faits constituent également l'infraction de revente à perte sanctionnée à titre autonome par
l'article L. 442-2 du code commerce. La sanction implique que le juge détermine le prix d'achat
effectif ainsi que le prix de revente , le rapport entre les deux caractérisant l'infraction . Afin de
faciliter la preuve, le texte définit le prix effectif comme le prix porté sur la facture , taxes comprises
et frais de transport inclus.

D'autre part, l'emploi de moyens ruineux pour se procurer des fonds. Les juges répressifs doivent
apprécier le caractère ruineux de l'opération effectuée, le danger de l'emploi des moyens d'après
les risques qu'ils font courir à l'entreprise au moment de leur utilisation et non en fonction du
résultat effectif. La technique utilisée n'est pas frauduleuse en elle-même, mais la consommation
de l'infraction découle de l'inadéquation entre le coût de l'opération et la situation financière de
l'entreprise.A cet égard, la banque qui fournit en connaissance de cause un crédit anormalement
important, par exemple le banquier qui escompte des traites moyennant d'importants frais financiers,
est punissable au titre de la complicité du délit de banqueroute (Crim 14 mai 1984, Bull. n° 172 ; 2 juin
1999 RTDcom. 2000 p. 2000 Obs. C. Mascala : contrat d'affacturage conclu à un taux beaucoup trop
élevé eu égard à la situation financière de l'entreprise). Est qualifié de ruineux le recours excessif
à des crédits en compte courant compte tenu de la situation financière de la société qui n'ont eu
pour effet que de permettre la poursuite d'une activité déficitaire en apportant artificiellement de la
trésorerie à la société ( Crim. 22 sept 2010 n°09-8374, D 2011 juillet Panorama droit pénal des
affaires , obs. C. Mascala)
Le juge du fond devra apprécier le caractère ruineux de l’opération par rapport à la situation financière
de l’entreprise au moment des faits (Cass. Crim. 9 sept. 2009, D. 2010 panorama Droit pénal des
affaires p. 1669 obs. C. Mascala : Cessions de créances par bordereau Dailly qui ont été considérées
par les juges du fond comme des techniques qui n’étaient pas ruineuses copte tenu de leur coût par
rapport au chiffre d’affaires annuel et au passif vérifié).

Jurisprudence
Un prêt gratuit consenti par des amis à un commerçant ne peut pas être qualifié de moyens ruineux
pour se procurer des fonds , puisqu'il n'entraîne pas de coût manifestement hors de proportion avec
les capacités financières de l'entreprise ( Crim. 21 mars 2001, Dr . pén. 2001 com. n°103).
Ce cas de banqueroute est le seul qui exige la caractérisation d'un mobile (dol spécial), ce qui
constitue une dérogation aux principes classiques du droit pénal. En effet, en matière pénale,
le mobile n'est pas pris en considération au titre des éléments constitutifs d'une infraction, seule
l'intention criminelle est déterminante. Dans cette hypothèse, la condamnation est subordonnée à
la preuve que les moyens frauduleux ont été utilisés afin de retarder ou d'éviter l'ouverture d'une
procédure de redressement ou de liquidation judiciaires.

Jurisprudence
La preuve du dol spécial est également exigé pour le complice qui, pour être condamné, doit
connaître la volonté de l'auteur principal d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure collective,
ce qui démontre que le complice s'associe à la commission de l'infraction en connaissance de cause
(CA Paris 14 fév. 2000, RTDcom. 2001, p. 238 note C. Mascala ; Crim 8 oct. 2003 Pourvoi n°
02-80449).

B. Avoir dissimulé ou détourné tout ou partie de l'actif du débiteur


Ces agissements ont pour conséquence de priver les créanciers d'une partie de leur gage.

Le détournement est défini par la jurisprudence comme tout acte de dissipation volontaire accompli
sur le patrimoine du débiteur en fraude des droits des créanciers . La dissimulation peut consister
en des actes positifs ou négatifs portant atteinte au patrimoine du débiteur.

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Jurisprudence
Par exemple des retraits de fonds injustifiés, des augmentations de salaire sans motifs, la location
de locaux inutiles pour léser les créanciers en diminuant l'étendue du patrimoine social...Crim. 11
mai 1995, Bull. n° 172 ; 23 oct . 1997, JCP 1999, E,321 : un paiement en espèces peut constituer
un détournement d'actif si le débiteur et le créancier sont une seule et même personne agissant
sous deux qualités ; 29 mars 2000, Bull. n° 141 : dissimulation du prix de vente d'un élément d'actif.
Toute vente réalisée après la cessation des paiements ne constitue pas un détournement d'actif ,
encore faut-il que la preuve soit rapportée que les actifs ont été intentionnellement soustraits du
patrimoine du débiteur en procédure , ce qui a pour effet de diminuer le gage des créancier.
Ce détournement n'est pas caractérisé lorsque des actifs ont été vendus à leur juste prix et la
contrevaleur en argent versée dans le patrimoine du débiteur ( Crim 10 mars 2010 n° 09-83016, D
2011 juillet, Panorama droit pénal des affaires obs C Mascala) . Le fait pour un dirigant de SARL de
soustraire des actif sociaux appartenant à la société pour en faire donation à ses enfants constitue
un détournement d'actif ( Cass.crim. 30 octobre 2012 n° 11-81266) .
En dehors d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires, ces actes de détournement
seraient constitutifs d'un abus de biens sociaux. Mais dès lors qu'une procédure de redressement ou
de liquidation judiciaires est ouverte, la qualification de banqueroute doit être exclusivement retenue.

Jurisprudence
Les deux qualifications sont selon la Cour de cassation alternatives (Crim. 7 avril 1998, RTDcom.
1998, p. 974 ; 27 oct. 1999, JCP. 2000, E, 1045 ; 30 juin 2004, Dr.soc. 2005 com.n°18).

En savoir plus : Le critère de choix entre les deux qualifications


Le critère de choix entre les deux qualifications est chronologique : avant la date de cessation des
paiements , la qualification retenue est celle d'abus de biens sociaux puisque l'entreprise est in bonis ;
après la date de cessation des paiements , le juge pénal doit retenir la qualification de banqueroute
puisque l'entreprise est soumise aux règles spéciales de la procédure collective . Cette solution est
réaffirmée dans des arrêts récents par la Cour de cassation ( Crim. 30 juin 2004, Dr .pén. 2004
com. n°147 ; 23 oct 1997, JCP 1999, 321).Cependant , cette solution simple et justifiée est parfois
brouillée par la jurisprudence de la Cour de cassation qui considère que certains actes commis avant
la date de cessation des paiements peuvent toutefois recevoir la qualification de banqueroute, s'ils
ont eu pour effet de conduire l'entreprise à la cessation des paiements (Crim. 21 sept. 1994, JCP
1995,E,II, 690 : le délit de banqueroute est constitué que les faits soient antérieurs ou postérieurs à
la cessation des paiements dés lors qu'ils ont pour objet ou pour effet d'affecter la consistance de
l'actif disponible dans des conditions de nature à placer l'intéressé dans l'impossibilité de faire face
au passif exigible avec l'actif disponible ; Crim. 25 avril 1995, Rev.Proc.Coll. 1996, p.133).

Les sanctions des deux infractions sont quasiment équivalentes : la peine d'emprisonnement
prévue est la même, cinq ans, mais l'amende qui peut être prononcée sur le fondement de l'abus de
biens sociaux est plus élevée (375 000 euros au lieu de 75 000 euros pour l'infraction de banqueroute)
mais l'engagement des poursuites est plus facile sur le fondement du délit de banqueroute car à la
différence de l'abus de biens sociaux, la recherche d'un intérêt personnel n'est pas nécessaire. Les
prélèvements sur l'actif social constituent le délit, même si leur but n'est pas de porter sciemment
atteinte aux droits des créanciers.

C. Avoir frauduleusement augmenté le passif du débiteur


Il ne s'agit plus de diminuer l'actif mais de majorer le passif, cependant le résultat est le même
quant aux intérêts protégés. La fraude peut être commise par tous moyens dans le silence du texte
(reconnaissance de dettes sur des créanciers fictifs, par exemple) , actes positifs ou abstention.

D. Avoir tenu une comptabilité fictive, fait disparaître des documents


comptables ou s'être abstenu de tenir toute comptabilité lorsque les
textes applicables en font obligation.
L'infraction peut donc être consommée en premier lieu, par la tenue d'une comptabilité fictive.

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Jurisprudence
Est fictive, une comptabilité qui ne retrace pas des opérations réelles de l'entreprise, et qui donne
en apparence une image avantageuse de l'entreprise, par exemple l'enregistrement de factures
fictives, Crim. 5 nov. 1998, JCP, E, 1999, 351.
En second lieu, la disparition de documents comptables est visée par le texte. Cette disparition
peut être totale ou partielle et réalisée par soustraction ou destruction. L'objectif étant de faire
obstacle à un contrôle éventuel. La jurisprudence assimile le retard dans la fourniture des comptes
aux organes de la procédure à une absence de comptabilité, Crim. 19 janv. 2000 Rev.Sc.Crim. 2000,
p. 841. Cette interprétation est contestable car les tribunaux donnent à la formule légale un sens
beaucoup plus large que la lettre du texte.

Jurisprudence
Cette interprétation est confirmée dans un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation
en date du 25 fév . 2004 ( RTDcom 2004 n° 3 Chronique Entreprises en difficulté , Sanctions , obs.
C. Mascala).

En l'espèce , la Cour d'appel d'Aix en Provence a condamné M.X du chef de banqueroute au


motif qu'il indique que la comptabilité sociale se trouvait au siège de la société ,mais ne l'a pas
remise au liquidateur, et a invité celui-ci à venir en prendre possession dans « des combles d'accès
particulièrement difficile » . La Cour juge que la prétendue mise à disposition de la comptabilité était
de pure forme et qu'en entreposant la comptabilité dans des locaux inaccessibles, il se soustrait à
l'obligation de la fournir aux organes de la procédure . Le condamné forme un pourvoi en cassation .
La Chambre criminelle dans l'arrêt commenté, considère que pour déclarer M.X. coupable de
banqueroute par disparition de documents comptables , la cour d'appel a caractérisé en tous ses
éléments matériels et intentionnel le délit . Il faut donc déduire de cet arrêt que la non-production
spontanée d'une comptabilité dont l'existence n'est pas apparemment remise en cause puisque
sa réalité était attestée par l'expert-comptable, est assimilable à une disparition de documents
comptables.

La solution est critiquable car elle est contraire à deux principes fondamentaux en matière pénale :
le principe de l'interprétation stricte de la loi et celui , qui en découle, de l'interdiction faite aux juges
répressifs de recourir à l'interprétation analogique.
Enfin, l'article L.654-2 du code de commerce incrimine l'absence de comptabilité lorsque les
textes applicables en font obligation. Le texte n'incrimine que l'absence totale de comptabilité
exigée par l'article L. 123-12 du code de commerce, Crim. 6 décembre 1993, Bull. n° 370.
L'interprétation stricte de la loi pénale interdit d'étendre le texte a des hypothèses non visées telles
qu'une comptabilité partielle (Trib. corr. Paris 17 janvier 1986, Gaz. Pal. 1986, 1, 136 note Marchi) .
Cette absence de comptabilité peut concerner des exercices comptables antérieurs à la cessation
des paiements (Crim. 26 janv.2005, Dr.pén. 2005 com.n°61).

Remarque
Il faut souligner que la loi nouvelle ( Loi du 26 juillet 2005) vise les textes qui rendent la comptabilité
obligatoire, et plus seulement la loi comme le texte antérieur. Ce changement terminologique a
des conséquences pratiques importantes puisqu'il permet désormais de sanctionner l'absence de
comptabilité obligatoire prévue dans des règlements ou des circulaires fiscales, ce qui est souvent
le cas pour les associations ou les sociétés civiles.

E. Avoir tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière


au regard des dispositions légales
Ce dernier cas a été introduit par la loi du 10 juin 1994 qui a modifié la loi du 25 janvier 1985. L'objectif
du législateur était de combler les lacunes de la répression concernant les malversations comptables
qui ne pouvaient pas tomber sous le coup de la loi pénale en l'absence de texte d'incrimination. En
effet, le quatrième cas de banqueroute ne permettait pas légalement de sanctionner les comptabilités
dans lesquelles il manquait des pièces, ce qui ne pouvait pas être assimilé à une absence de
comptabilité. Le cinquième cas de banqueroute vise deux hypothèses : la première consiste en la
tenue d'une comptabilité manifestement incomplète. Cela correspond à la situation où des pièces
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comptables essentielles font défaut, par exemple l'absence de certains livres obligatoires ou celle du
bilan. La seconde concerne la tenue d'une comptabilité en violation des principes comptables imposé
par le code de commerce de fidélité, prudence, permanence et loyauté, ce qui est un instrument de
transparence et de contrôle, art. L. 123-14 alinéa 1 et L. 123-17 du code de commerce.

Ce dernier cas n'a pas été modifié par la loi nouvelle, donc il ne peut s'appliquer qu'aux hypothèses
où la loi - entendu au sens strict - impose la tenu d'une comptabilité.

§ 3. Les sanctions
Le délit de banqueroute est une infraction intentionnelle.
Le délit de banqueroute est une infraction intentionnelle, la juridiction doit donc, caractériser la
conscience de la faute et la mauvaise foi du prévenu qui résultent des moyens matériels frauduleux
utilisés (Crim. 19 janvier 1981, JCP 1981, II, 19640), ainsi que dans le premier cas de banqueroute
le mobile qui consiste dans la volonté d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure. Dans
l'hypothèse où l'entreprise soumise à la procédure collective fait partie d'un groupe de société, il a été
jugé dans un arrêt de principe, que l'intérêt du groupe ne peut pas être invoqué comme fait justificatif
des détournements d'actif réalisés (Crim. 27 avril 2000, Pet. Aff. 2001, 13 : solution inverse lorsque
la qualification retenue est celle d'abus de biens sociaux) .

Le délai de prescription de l'action publique est de trois ans à compter du jour du jugement
d'ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaires, pour les faits qui
ont été commis avant le jugement d'ouverture, art. L. 654-16 C. com . Pour les faits postérieurs
au jugement d'ouverture, le point de départ du délai conformément au droit commun est le jour de
commission de l'infraction, art. 8 CPP.

Le coupable encourt une peine d'emprisonnement de cinq ans et une amende de 75 000 euros. A
ces sanctions principales peuvent s'ajouter des peines complémentaires consistant en l'interdiction
des droits civiques, civils et de famille, l'interdiction d'émettre des chèques, l'interdiction d'exercer
une fonction publique ou l'activité professionnelle ou sociale qui a permis la réalisation de l'infraction,
Art. L. 654-5 C. com. Des peines complémentaires spécifiques à la procédure collective peuvent
également être prononcées par la juridiction répressive telle que la faillite personnelle ou l'interdiction
de diriger, gérer ou administrer une entreprise commerciale ou artisanale, sauf si la juridiction civile
ou commerciale a déjà prononcé cette sanction pour les mêmes faits (art. L. 654-6 C. com.). Si les
faits fondant la sanction sont différents, le juge pénal conserve son pouvoir sanctionnateur ce qui
débouche sur un cumul de sanctions ( l'une prononcée par la juridiction civile ou commerciale et
l'autre par le juge pénal) .

La loi prévoit un cas de banqueroute aggravée lorsque l'auteur est un dirigeant d'une entreprise
prestataire de services d'investissement : dans ce cas les peines sont portées à sept ans
d'emprisonnement et à 100 000 euros d'amende, art. L.654-4 C.com. .

Le complice peut être puni des mêmes peines quelle que soit sa qualité. La loi n'exige pas du
complice qu'il exerce une activité commerciale ou artisanale, qu'il soit agriculteur ou dirigeant d'une
personne morale de droit privé. Il suffit qu'il remplisse les conditions posées par les articles 121-6
et 121-7 du code pénal : qu'il se soit associé intentionnellement à un fait principal punissable ( la
banqueroute) en fournissant une aide ou une assistance , ou encore en donnant des ordres ou
instructions. La loi permet ainsi, d'atteindre par exemple, le banquier complice de banqueroute par
fourniture de moyens ruineux lorsque celui-ci a consenti à l'entreprise, un crédit très onéreux, destiné
à permettre la poursuite d'une activité déficitaire, à la condition que la preuve soit rapportée de
la connaissance de la situation de l'entreprise et de la volonté de s'associer à la commission de
l'infraction pour éviter ou retarder l'ouverture de la procédure.

Enfin, l'article L.654-7 du code de commerce prévoit la responsabilité pénale des personnes morales
du chef de banqueroute.

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Le point de départ du délais de prescription

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Section 2. L'engagement des poursuites
L'action publique est exercée par le Ministère public. Mais dans le cadre de la procédure de
redressement ou de liquidation judiciaires, la question qui soulève des difficultés est de savoir qui
peut engager l'action civile devant la juridiction répressive.

L'action civile est l'action en réparation exercée par " tous ceux qui ont personnellement souffert
du dommage directement causé par l'infraction ", selon les dispositions de l'article 2 du Code de
procédure pénale.

Cette action vise à obtenir d'une part, la condamnation de l'auteur de l'infraction - c'est
l'aspect extrapatrimonial de l'action civile -, et d'autre part, des dommages intérêts en
réparation du préjudice causé par l'infraction - c'est l'aspect patrimonial de l'action civile. Par
conséquent, toute personne lésée directement par l'infraction, peut exercer l'action civile. Cependant,
ce principe connaît une application particulière dans le cadre du droit des entreprises en difficulté.

§ 1. Le monopole des organes de la procédure


L'article L. 654-16 du code de commerce organise la saisine de la juridiction répressive. Les
poursuites peuvent être engagées à l'initiative du Ministère public, ou sur constitution de partie
civile de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du représentant des salariés, du commissaire
à l'exécution du plan, du liquidateur et de la majorité des créanciers nommés contrôleurs dans
l'hypothèse où le mandataire judiciaire n'exercerait pas les actions.

Les créanciers contrôleurs ne peuvent exercer l'action civile que si trois conditions sont réunies :
• le mandataire judiciaire ne doit pas avoir engagé les actions malgré une mise en demeure qui
reste sans réponse pendant deux mois
• les créanciers doivent être au moins deux pour agir
• et enfin leur but doit être l'intérêt collectif des créanciers.
Ces organes de la procédure peuvent saisir la juridiction répressive en se constituant partie civile,
pour toutes infractions visées aux articles L.654-2 et suivants du code de commerce : banqueroute et
délits assimilés. Les organes de la procédure ont donc le monopole de la constitution de partie civile,
ce qui conduit à s'interroger sur la situation du créancier à titre individuel. Puisque la loi énumère les
personnes pouvant se constituer partie civile, le principe de l'interprétation stricte de la loi pénale,
conduit à considérer cette liste comme limitative. La lecture de l'article L. 654-17 du code commerce
révèle à cet égard, une situation de monopole des organes de la procédure et du ministère public ,et
par conséquent une éviction du créancier à titre personnel . La situation pour lui est nouvelle, car
sous l'empire de la législation antérieure (Loi de 1967) la constitution de partie civile était recevable.

Ce droit de demander réparation à titre individuel a été supprimé aux créanciers, par la loi de 1985,
qui a donné un pouvoir exclusif d'exercice des poursuites pénales aux personnes visées par la loi : le
Ministère public, et les organes de la procédure. Les créanciers sont donc astreints à une discipline
collective, et la défense de leurs intérêts est prise en charge par leur représentant.

Jurisprudence
Cette solution a été clairement affirmée par un arrêt de la chambre commerciale en date du 16 mars
1993 (Com. 16 mars 1993, D. 1993, 583 note Derrida) . Par une stricte application des dispositions
légales, et en considération du principe de l'égalité des créanciers, toute action individuelle est donc
irrecevable : les droits reconnus aux organes de la procédure évincent le droit naturel du créancier
lésé (Crim. 11 octobre 1993, Rev. proc. coll. 1994, 282 obs. J. Devèze et C. Mascala ; JCP. , ed.
E., Act. 24 novembre 1993 ; Rev. soc. 1994, 303 note Bouloc ; RJDA 1994 n° 102) . Les tribunaux
déclarent les demandes de constitution de partie civile irrecevables, au motif que la loi a supprimé
aux créanciers le droit, non seulement, de mettre l'action publique en mouvement , mais aussi
d'intervenir dans une procédure préalablement engagée et d'exercer l'action civile.
Sur le fondement des infractions de banqueroute et des délits assimilés, qui visent pourtant à protéger
les créanciers, la voie pénale leur est fermée par les juridictions du fond et la Cour de cassation .
Cette situation est d'autant plus fâcheuse que les constitutions de partie civile des mandataires de
10
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justice sont rarissimes.Cependant si le créancier est évincé par les dispositions spécifiques de la
procédure collective, en dehors de ce cadre il n'est qu'une victime ordinaire. Il convient alors de
se demander si sur le fondement de l'article 2 du code de procédure pénale, il ne retrouve pas
les prérogatives reconnues à toute personne qui peut apporter la preuve d'un préjudice certain,
personnel et découlant directement de l'infraction commise .

La Cour de cassation considère que l'irrecevabilité de la constitution de partie civile des créanciers
à titre individuel, n'est pas générale. Il faut distinguer selon la qualification du préjudice subi par les
créanciers de la procédure.

§ 2. La dérogation jurisprudentielle : le préjudice personnel distinct


La chambre criminelle admet la recevabilité des constitutions de partie civile, sur le fondement de la
banqueroute dès lors que le créancier apporte la preuve d'un préjudice personnel distinct du préjudice
collectif subi par tous les créanciers. Cette notion de préjudice étant entendue dans son sens le
plus large.Lorsque la constitution de partie civile tend à obtenir la réparation d'un dommage causé
à l'intérêt collectif des créanciers, par exemple le non-paiement des créances, seul le mandatraire
judiciaire a le droit d'agir. En revanche, si le créancier peut apporter la preuve d'un préjudice distinct,
purement personnel, résultant de l'infraction commise par le débiteur, la constitution de partie civile
est recevable (Hael J. Ph. RTD com. 1995, 663 ss.) . Il ne réclame pas le montant de sa créance,
qui doit être déclarée à la procédure, mais l'indemnisation d'un préjudice différent.

Dans cette hypothèse, il faut écarter les dispositions spéciales de l'article L. 657-17 C.com., et
revenir aux principes généraux de la procédure pénale, formulés à l'article 2 du code de procédure
pénale, selon lesquels l'action civile en réparation du dommage appartient à tous ceux qui ont
personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction.

La constitution de partie civile doit alors réunir les conditions posées par l'article 2 CPP : le préjudice
doit être actuel, certain, personnel au créancier qui met l'action civile en mouvement et directement
causé par l'infraction poursuivie (Si le créancier ne remplit pas ces conditions, irrecevabilité de la
constitution de partie civile. Voir. Par ex. Cass.crim. 10 avril 1995, Rev.proc.coll. 1996, p.137 n°5
obs . C. Mascala) .

Cette solution conduit à distinguer le préjudice collectif, des préjudices personnels éprouvés
à titre individuel, par les créanciers qui échappent aux règles de la procédure collective. Le
principe de l'égalité des créanciers n'est pas remis en cause pour autant, puisque les poursuites
pénales ne concernent pas une créance qui sera payée sur le patrimoine social, mais sur le
patrimoine personnel du dirigeant ou du complice mis en cause. Encore faut-il bien sûr, que ce
dirigeant ou complice ne soient pas eux-mêmes soumis à une procédure collective. Ce qui pourrait
être le cas d'un commerçant en nom propre, auquel la procédure a été étendue. Dès lors que le
dirigeant n'est pas personnellement soumis à la procédure, rien ne s'oppose à la recevabilité de
la constitution de partie civile. L'article L. 654-17 C.com. n'empêche pas l'action sur le fondement
d'un préjudice distinct, et l'article L. 622-11 C.com. relatif à l'arrêt des poursuites individuelles ne
s'applique pas puisqu'il ne concerne que le paiement des créances de la procédure (Cass.crim. 24
janv. 1994, RJDA 1994 n° 590).

Cette solution a été approuvée par la majorité de la doctrine et mérite de l'être. Ce n'est pas
parce qu'une loi donne un droit d'action spécifique à des organes de la procédure, qu'elle supprime
une prérogative accordée à tous, celle de se constituer partie civile, par le Code de procédure pénale.
Le créancier ne doit pas subir un sort différent d'une victime ordinaire.

Jurisprudence
Cette jurisprudence est maintenant bien établie, plusieurs arrêts ont confirmé la recevabilité de la
constitution de partie civile du créancier à titre individuel, sur le fondement d'un préjudice distinct
(Cass.crim. 11 oct.1993, op.cit. ; 30 mai 1994, Rev. proc . coll. 1996, p.137 obs. C. Mascala ; J.
J. Daigre, Bull. Joly 1994 p. 1205 ; Ph.Pétel, JCP. 1995 éd. E., I, 184. ; C.A Paris, 15 sept. 1995,
D. Affaires 1995 n°4, chr. proc. coll.).

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§ 3. La nature du préjudice personnel distinct
Une question demeure cependant : quelle est la nature de ce préjudice personnel et distinct que
les créanciers poursuivants doivent prouver pour que la constitution de partie civile à titre personnel
soit recevable ?Si le créancier peut apporter la preuve d'un préjudice matériel, s'il subit du fait de
l'infraction une atteinte personnelle et directe à son patrimoine, distincte du non-paiement de la
créance, son action est incontestablement recevable au sens de l'article 2 CPP.

Mais qu'en est-il si le créancier invoque à titre personnel un préjudice purement moral ? Est-
il suffisant pour fonder la constitution de partie civile? Admettre le préjudice moral reviendrait à
élargir considérablement les possibilités d'exercer l'action civile, car les hypothèses où les créanciers
invoqueront un préjudice moral, distinct du non-paiement de leurs créances seront multiples.
Cependant, écarter le préjudice moral reviendrait à traiter différemment une victime ordinaire qui peut
se constituer partie civile, sur la base d'un dommage moral, et un créancier victime, dans le contexte
d'une procédure collective. Or, puisque ce sont les règles ordinaires du Code de procédure pénale qui
s'appliquent dans cette hypothèse, il paraît logique d'admettre le préjudice moral (Solution retenue
par la Cour de cassation dans un arrêt du 30 mai 1994 : Cass. crim. 30 mai 1994, Rev.proc.coll.
1996, p.137 obs. C. Mascala. ; J.J.Daigre, Bull.Joly 1994 p.1205 ; Ph.Pétel, JCP.1995 éd.E. I, 184.) .

Le principe de l'admission du préjudice moral paraît d'autant plus acquis que, dans l'arrêt où la Cour
l'admet, il s'agissait en réalité, nous semble t-il, d'un préjudice matériel résultant de la poursuite d'une
activité déficitaire. Cette espèce a cependant, permis à la Cour de cassation, de préciser quel était
le sens qu'elle souhaitait donner à la notion de préjudice. Elle retient la conception la plus large et
admet ainsi, la recevabilité de la constitution de partie civile d'un créancier, à titre individuel, sur le
fondement d'un préjudice moral. Ce choix élargit considérablement pour les créanciers la voie des
constitutions de partie civile.

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Section 3. Les délits assimilés
Ces infractions consistent à soustraire du patrimoine soumis à la procédure de sauvegarde,
redressement et liquidation judiciaire des biens faisant partie du gage des créanciers. Dans le
cadre de ces infractions, la juridiction saisie statue d'office - même si elle relaxe le prévenu -
sur la réintégration dans le patrimoine du débiteur des biens, droits, ou actions qui auraient été
frauduleusement soustraits.On distingue deux types d'infractions : les infractions commises
par le débiteur, et celles commises par les tiers.

§ 1. Les infractions commises par le débiteur


L'article L. 654-8 du code de commerce punit d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende
de 30 000 euros: le fait

• 1° Pour toute personne mentionnée à l'article L. 654-1, de passer un acte ou d'effectuer un


paiement en violation des dispositions de l'article L. 622-7 ;
• 2° Pour toute personne mentionnée à l'article L. 654-1, d'effectuer un paiement en violation des
modalités de règlement du passif prévues au plan de sauvegarde ou au plan de redressement
ou de faire un acte de disposition sans l'autorisation prévue par l'article L. 626-14 ;
• 3° Pour toute personne, pendant la période d'observation ou celle d'exécution du plan de
sauvegarde ou du plan de redressement, en connaissance de la situation du débiteur, de passer
avec celui-ci l'un des actes mentionnés aux 1° et 2° ou d'en recevoir un paiement irrégulier ;
• 4° Pour toute personne, de procéder à la cession d'un bien rendu inaliénable en application
de l'article L. 642-10.
Ces dispositions visent à faire respecter le principe d'égalité des créanciers dans la procédure en
sanctionnant les actes de dispositions et les paiements privilégiés.

§ 2. Les infractions commises par les tiers


Les articles L.654-9 et suivants du code de commerce sanctionnent les tiers qui par leur concours
frauduleux diminuent le gage des créanciers de la procédure.

La loi punit des peines de la banqueroute simple ou aggravée en fonction de la qualité de l'auteur
le fait :
• 1° Dans l'intérêt des personnes mentionnées à l'article < L. 654-1 >, de soustraire, receler ou
dissimuler tout ou partie des biens, meubles ou immeubles de celles-ci, le tout sans préjudice
de l'application de l'article 121-7 du Code pénal ;
• 2° Dans l'intérêt des personnes mentionnées à l'article < L. 654-1 >, de soustraire, receler ou
dissimuler tout ou partie des biens, meubles ou immeubles de celles-ci, le tout sans préjudice
de l'application de l'article 121-7 du Code pénal ;
• 3° Pour toute personne exerçant une activité commerciale, artisanale, agricole ou toute autre
activité indépendante, sous le nom d'autrui ou sous un nom supposé, de se rendre coupable
d'un des faits prévus à l'article L. 654-14.
La loi sanctionne également (Art. L. 654-13) le fait, pour le créancier, après le jugement ouvrant la
procédure « de sauvegarde, de redressement judiciaire » ou de liquidation judiciaire, de passer une
convention comportant un avantage particulier à la charge du débiteur est puni des peines prévues
par l'article 314-1 du Code pénal.

La juridiction saisie prononce la nullité de cette convention.

Enfin est punissable , sur le fondement de l'article L. 654-10 le fait, pour le conjoint, les descendants
ou les ascendants ou les collatéraux ou les alliés des personnes mentionnées à l'article L. 654-1,
de détourner, divertir ou receler des effets dépendant de l'actif du débiteur soumis à une procédure
de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, Les sanctions sont celles prévues pour l'abus
de confiance .

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§ 3. Autres infractions
Enfin, l'article L.654-14 C.com. punit des peines de la banqueroute toute personne visée aux 2°
et 3° de l'article L. 654-1 C.com ( ce qui correspond aux dirigeant de personnes morales) qui a,
directement ou indirectement, en droit ou en fait, dirigé ou liquidé une personne morale de droit privé
ayant une activité économique, et les personnes physiques représentants permanents de personnes
morales lorsqu'elles :
• de mauvaise foi, en vue de soustraire tout ou partie de leur patrimoine aux poursuites de la
personne morale qui a fait l'objet d'un jugement d'ouverture de sauvegarde, de redressement
judiciaire ou de liquidation judiciaire ou à celles des associés ou des créanciers de la personne
morale, détourné ou dissimulé, ou tenté de détourner ou de dissimuler, tout ou partie de
leurs biens, ou de se sont faites frauduleusement reconnaître débitrice de sommes qu'elles ne
devaient pas.
Dans les deux cas, ces agissements pour être punissables doivent avoir un mobile
particulier : soustraire intentionnellement tout ou partie de la fortune personnelle du dirigeant
principalement, aux poursuites des créanciers ou des associés.
• L'article L.654-12 C.Com punit des peines de l'abus de confiance aggravé (7 ans
d'emprisonnement et 750 000 euros d'amende) le fait
pour tout administrateur, mandataire judiciaire , liquidateur ou commissaire à l'exécution du plan :

• 1° De porter volontairement atteinte aux intérêts des créanciers ou du débiteur soit en utilisant
à son profit des sommes perçues dans l'accomplissement de sa mission, soit en se faisant
attribuer des avantages qu'il savait n'être pas dus ;
• 2° De faire, dans son intérêt, des pouvoirs dont il disposait, un usage qu'il savait contraire aux
intérêts des créanciers ou du débiteur.
• Est puni des mêmes peines le fait, pour tout administrateur, mandataire judiciaire , liquidateur,
commissaire à l'exécution du plan ou toute autre personne, à l'exception des représentants des
salariés, de se rendre acquéreur pour son compte, directement ou indirectement, de biens du
débiteur ou de les utiliser à son profit, ayant participé à un titre quelconque à la procédure. La
juridiction saisie prononce la nullité de l'acquisition et statue sur les dommages et intérêts qui
seraient demandés.
La procédure pour ces délits assimilés est identique à celle de la banqueroute , et les conditions
d'engagement des poursuites pénales sont similaires .
Ces dispositions sont depuis l'Ordonnance du 9 décembre 2010, applicables à l'EIRL ( entrepreneur
individuel à responsabilité limitée).

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Cours : Droit pénal des affaires
Auteur : MASCALA Corinne
Leçon n° 8 : Le délit d'initié

Table des matières


Introduction............................................................................................................................................... p. 2
Section 1. Le délit d'initié........................................................................................................................p. 3
§ 1. L'élément matériel................................................................................................................................................. p. 3
A. La notion d'information privilégiée..................................................................................................................................................p. 4
1. Une information confidentielle..................................................................................................................................................................................... p. 4
2. Une information précise.............................................................................................................................................................................................. p. 4
B. Les personnes initiées................................................................................................................................................................... p. 5
1. Les dirigeants : initiés directs..................................................................................................................................................................................... p. 6
2. Les initiés indirects......................................................................................................................................................................................................p. 6
3. Toute personne........................................................................................................................................................................................................... p. 7
C. Les opérations interdites................................................................................................................................................................p. 8
§ 2. L'élément intentionnel........................................................................................................................................... p. 9
Section 2. La communication d'information privilégiée..................................................................... p. 10
Section 3. Les particularités de la poursuite du délit d'initié............................................................ p. 11
§ 1. Les modalités de la poursuite.............................................................................................................................p. 11
§ 2. Le cumul de sanctions........................................................................................................................................p. 13

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Introduction
Dans le code pénal de 1810, le législateur n'avait pas incriminé d'infractions boursières au sens
strict. La loi du 3 décembre 1926 ébauche les premiers traits d'un droit pénal boursier en incriminant
à l'article 419 ancien du code pénal le fait de troubler les cours de la bourse par la diffusion de
faits faux ou calomnieux, par des offres intentionnelles et malveillantes. Mais ce texte ne visait que
l'action illicite sur le marché boursier par des dispositions très générales. En pratique, les poursuites
étaient exceptionnelles. Le droit pénal boursier n'émerge véritablement qu'avec la création de la
Commission des opérations de bourse (ordonnance du 28 septembre 1967 codifiée aux articles L.
465-1 et suivants du code monétaire et financier) qui devient l'organe de surveillance du marché
boursier.
L'incrimination du délit d'initié résulte de la loi du 23 décembre 1970 (JO 24 décembre 1970, p
11891), dont les dispositions ont été intégrées à l'ordonnance du 28 septembre 1967, relative à
la Commission des opérations de bourse (codifiées dans le CMF). L'objectif de cette incrimination
était de sanctionner ceux qui utilisaient les informations détenues de par leurs fonctions pour
fausser le fonctionnement du marché boursier. L'article 10-1 (texte d'incrimination du délit d'initié)
de l'ordonnance a été souvent modifié par le législateur. Ces réformes successives ont entraîné une
extension du domaine de l'infraction et un alourdissement de la sanction pénale (Pour une étude de
l'évolution législative, voir Gaillard E., Le droit français des délits d'initié, JCP 1991, I, 3516 ; Pingel
I., Les opérations d'initié en droit communautaire, JCP 1991, I, 3515). Il faut également signaler la
directive communautaire du 13 novembre 1989, qui en s'inspirant de la définition du délit retenue en
droit français, a pour but d'harmoniser les législations des pays membres de l'Union européenne. Le
règlement de L'AMF a été modifié le 12 novembre 2004, à la suite de la transposition de la directive
européenne « Abus de marché », ce qui a entraîné une modification de la définition du manquement
d'initié.

La dernière modification de l'infraction résulte de la loi Sécurité quotidienne du 15 novembre 2001,


qui a généralisé le domaine d'application du délit. L'objectif du législateur est de sanctionner les
agissements qui portent atteinte à la transparence du marché et à l'égalité des investisseurs.

L'étude des infractions boursières suppose de distinguer l'infraction principale qui est le délit d'initié
(section 1), de l'infraction complémentaire : la communication d'information privilégiée (section 2) ;
pour ensuite mettre en évidence les particularités de la poursuite (section 3).

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Section 1. Le délit d'initié
Le délit d'initié est une infraction pénale qui ne peut être poursuivie que par le juge pénal. Mais il
faudra souligner le rôle important de l'Autorité des marchés financiers, qui a le pouvoir de sanctionner
le manquement d'initié qui est défini comme le délit d'initié.

Remarque
La loi de sécurité financière du 1er août 2003, JO 2 août 2003 p. 13220, a supprimé la Commission
des opérations de bourse qui était l'organe de surveillance et de régulation du marché boursier.
Ses pouvoirs et compétences sont transférés à cette nouvelle structure - l'Autorité des marchés
financiers - qui englobe la COB, le conseil des marchés financiers et le Conseil de discipline de
gestion financière.

Autorité des marchés financiers

Autorité des marchés financiers (AMF) Qualifiée d'autorité publique indépendante


(Fusion de la commission des opérations par la loi et dotée de la personnalité morale
de bourse [COB], du conseil des marchés (article 2 de la loi n° 2003-706 du 1er
financiers [CMF] et du conseil de discipline août 2003 de sécurité financière modifiant
de la gestion financière [CDGF].) l'article L. 621-1 du code monétaire et
financier).Fusionne :
• la Commission des opérations de
Bourse (créée par l'ordonnance n°
67-836 du 28 septembre 1967 modifiée
destinée à encourager l'épargne et le
développement du marché financier) ;
• le Conseil des marchés financiers
(créé par la loi n° 96-597 du 2 juillet
1996 de modernisation des, activités
financières : art. 27 et suiv.) ;
• le conseil de discipline de la gestion
financière (loi n° 89-531 du 2 août
1989 relative à la sécurité et à la
transparence des marchés financiers,
article 37 créant le conseil de discipline
des OPCVM, inséré aux articles
33-1 et suiv. de la loi n° 88-1201
du 23 décembre 1988 relative aux
organismes de placement collectif en
valeurs mobilières et portant création
des fonds communs de créances,
transformé en conseil de discipline de
la gestion financière par l'article 40
de la loi n° 98-546 du 2 juillet 1998
portant diverses dispositions d'ordre
économique et financier).

De la définition légale de l'infraction se dégagent les éléments constitutifs du délit. Trois éléments
constitutifs doivent être réunis : d'une part, l'agent doit détenir une information privilégiée,
d'autre part, il doit être une personne qui relève de la liste des initiés prévue par la loi (les
réformes législatives successives ont considérablement élargi la catégorie des personnes
initiées) et enfin effectuer une opération interdite sur le marché réglementé. Ces actes qui
constituent l'élément matériel de l'infraction doivent être réalisés sciemment : le délit d'initié est une
infraction intentionnelle (élément moral).

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§ 1. L'élément matériel
Cet élément se divise en trois : pour que l'infraction soit consommée il faut que l'initié soit en
possession d'une information privilégiée qu'il utilise directement ou indirectement sur le marché.

A. La notion d'information privilégiée


Le texte d'incrimination vise l'information privilégiée sans la définir. La jurisprudence a donc essayé
de cerner cette notion en dégageant deux critères. L'information en cause est celle dont le public
n'a pas connaissance et qui porte sur un objet précis : elle doit donc être confidentielle et
précise.

1. Une information confidentielle


Le privilège ne consiste pas à savoir ce que les autres ne savent pas, mais à le savoir avant eux.
L'antériorité de la connaissance de l'information caractérise le privilège, en revanche le nombre
de personnes qui bénéficient de ce privilège n'a pas d'incidence.

Jurisprudence
Ainsi, un arrêt de la Cour d'appel de Paris a considéré " qu'une information publiée dans un
périodique au tirage limité et de diffusion restreinte " était privilégiée eu égard à l'antériorité de la
connaissance par les initiés (C.A. Paris, 26 mai 1977, JCP 1978, II, 18789 note Tunc, D. 1978, 379
note Cosson) . Cette jurisprudence fut suivie ultérieurement par le Tribunal de grande instance de
Paris qui affirma que " l'information demeurait privilégiée dès lors qu'elle n'avait été portée qu'à la
connaissance d'un nombre très limité de personnes par rapport à l'ensemble des partenaires du
marché boursier (TGI Paris 30 mars 1979, JCP 1980, II, 19306 note Tunc.) ".
Le fait que l'information soit détenue par plusieurs personnes ne lui retire pas son caractère privilégié,
dès lors qu'elles constituent un cercle restreint (C.A. Paris 14 janvier 1993, Gaz. Pal.1993, 1, 198 note
Marchi) . Par conséquent, dès que le public a les moyens de prendre connaissance de l'information,
elle cesse d'être privilégiée (par exemple information révélée à l'occasion d'une conférence de
presse, d'une assemblée générale d'actionnaires').

Une illustration du caractère confidentiel de l'information peut être tirée de l'arrêt de la chambre
commerciale de la Cour de cassation en date du 23 mars é010 ( Com. 23 mars 2010 n° 09-65827,
D. 2011 juillet Panorama droit pénal des affaires , obs. C. Mascala) . En l'espèce, le commissaire
aux comptes d'une société anonyme constatant des faits de nature à compromettre la continuité de
l'exploitation déclenche, comme la loi lui en fait obligation, une procédure d'alerte destinée à informer
le président du conseil d'administration .Le président informé, et alors que l'information n'était pas
publique, vend un nombre important d'actions qu'il détenait . Il est poursuivi pour manquement d'iniié
et fait valoir pour sa défense que les difficultés que rencontrait la société étaient de notoriété publique.
Cet argument de défense est rejetté tant par l'Autorité des marchés financiers que par la Cour d'appel
de Paris et la Cour de cassation qui considérent que l'information qui a déclenché la vente des titres
est la procédure d'alerte mise en oeuvre, qui était une procédure différente ignorée du public et
constituant ainsi une information confidentielle pour le dirigeant.

2. Une information précise


Pour être privilégiée, l'information doit présenter une autre caractéristique : il ne suffit pas qu'elle
soit confidentielle il faut encore qu'elle présente une précision suffisante pour être utilisable
immédiatement et influer sur les marchés boursiers. Cependant l'information précise n'est pas
nécessairement une information certaine ( CA Paris 1er avril 2003 RTDcom. 2003 p 543).Les
tribunaux (En matière de délit d'initié la loi attribue une compétence matérielle et territoriale exclusives
à la Cour d'appel de Paris : seuls le TGI de Paris et la Cour d'appel de Paris peuvent connaître
des contentieux sur le fondement d'une infraction boursière art. 704-1 CPP modifié par la loi du 1er
août 2003) doivent ,en fonction des cas d'espèce, déterminer si " l'information " est une véritable
information ou si ce n'est qu'un bruit ou une rumeur qui, faute de précision suffisante, n'est pas
utilisable immédiatement sur le marché boursier et ne peut pas avoir d'influence sur son organisation.

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Jurisprudence
Cette nécessaire appréciation apparaît clairement dans un arrêt de la chambre criminelle du 26
octobre 1995, qui exige que " l'information privilégiée porte sur des renseignements suffisamment
précis pour être immédiatement exploités (Crim. 26 octobre 1995, (aff. Traboulsi, Boublil et autres),
Bull. crim. n° 324, Petites Affiches 24 novembre 1995, p.19 note Ducouloux- Favard, Rev. soc.
1996, 326 note Bouloc) ". Ainsi connaître le montant exact des pertes réalisées ou des dividendes
distribués, avoir connaissance de projets de restructuration, de fusion, de scission ' constitue une
information privilégiée dès lors que le caractère certain est manifeste (TGI Paris 3 déc. 1993, Gaz.
Pal. 1994, 1, 352) . En revanche, de probables difficultés de paiement d'une société aux prochaines
échéances ne constituent qu'une rumeur (Aff. Traboulsi op.cit.).
La différence entre l'information privilégiée et les bruits doit se fonder - selon la Cour de
cassation - sur des éléments objectifs d'appréciation de la précision de l'information sans
tenir compte d'éléments subjectifs liés à la personne destinataire.

Jurisprudence
Un arrêt de la Cour d'appel de Paris a été cassé par la Cour de cassation, pour s'être démarqué
de cette exigence d'objectivité dans l'appréciation de la précision de l'information. En l'espèce,
la cour avait jugé que " la qualité de l'information ne pouvait s'apprécier qu'en fonction de celui
qui la reçoit (C.A. Paris 15 mars 1993 (aff. La Ruche Méridionale), Gaz. Pal 1993, 2, 356 note
Marchi) ". Cette conception subjective de la qualité et du contenu de l'information aurait conduit
à une appréciation différentielle de la précision, en fonction de la compétence professionnelle de
son destinataire. En l'occurrence, le destinataire de l'information était un banquier, qui de par sa
profession fut considéré en possession d'une information suffisamment précise pour lui . La Haute
juridiction, par un arrêt de cassation sans renvoi, a condamné cette solution retenue par les juges
du fond, considérant que l'appréciation de la précision de l'information dépendait uniquement de
son contenu indépendamment des qualités et compétences de celui qui la reçoit (Crim. 26 juin
1995, Bull.crim. n° 233, Rev. soc. 1995, 567 note Bouloc ; Petites Affiches 26 juillet 1995, 44 note
Ducouloux- Favard, RJDA 7/ 1995 et n° 857, rapport Brieuc de Massiac p. 650).
L'article L. 465-1 CMF précise que l'information porte sur les perspectives ou la situation d'un
émetteur dont les titres sont négociés sur un marché réglementé ou sur les perspectives d'évolution
d'un instrument financier admis sur un marché réglementé.

Jurisprudence
Cette formule vise toutes les informations, qui peuvent avoir une incidence directe ou indirecte, sur
le fonctionnement d'une société ou sur le cours des titres émis sur le marché boursier : résultats
financiers ou commerciaux, négociation internationale, obtention de marchés, perte de contrat' (C.A.
Paris 26 février 1990, Gaz. Pal. 1990, 1, 340 note Marchi).

Information privilégiée

B. Les personnes initiées


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La loi du 2 juillet 1996, relative à la modernisation des activités financières, a élargi les possibilités
de poursuite sur le fondement du délit d'initié, en admettant la responsabilité pénale des personnes
morales (art. L. 465-3 CMF) . Désormais, les personnes morales comme les personnes physiques
pourront être poursuivies du chef de délit d'initié. En outre, la loi du 15 novembre 2001 sur la
sécurité quotidienne a encore élargi le nombre de personnes pouvant commettre l'infraction, par la
généralisation des termes légaux.

On peut distinguer trois catégories de personnes initiées selon les dispositions de l'article L. 465-1
CMF : d'une part, " les dirigeants d'une société mentionnés à l'article L. 225-109 du code de
commerce (alinéa 1) ", d'autre part, " les personnes disposant à l'occasion de l'exercice de leur
profession ou de leurs fonctions d'informations privilégiées (alinéa 1) " et enfin " toute personne
autre que celles visées aux deux précédents alinéas (alinéa 3) ".

1. Les dirigeants : initiés directs


Les dirigeants de société anonyme visés par l'article 225-109 du code de commerce auquel
renvoie l'article L.465-1 CMF sont : le président, les directeurs généraux, les membres du directoire
d'une société, les personnes physiques ou morales exerçant dans cette société les fonctions
d'administrateur ou de membre du conseil de surveillance ainsi que les représentants permanents
des personnes morales qui exercent ces fonctions.

Le législateur cherche à éviter que ces personnes, qui de par leur statut de dirigeants au sein d'une
société détiennent des informations privilégiées, ne les utilisent à des fins strictement personnelles,
ce qui romprait l'égalité entre les potentiels partenaires du marché boursier.Les tribunaux ont
analysé cette disposition légale comme un texte qui fait peser sur les dirigeants une présomption
de connaissance de l'information es qualité. En outre, cette présomption est considérée comme
irréfragable par la jurisprudence - ce qui ne découle pas expressément du texte mais traduit une
tendance très nette de la jurisprudence à une grande sévérité envers les dirigeants - de sorte que
la preuve contraire n'est pas recevable (VERON M. Droit pénal des affaires, op. cit. p. 218) . Cette
analyse débouche sur une interdiction absolue pour tout dirigeant d'une société anonyme
de réaliser une quelconque opération sur le marché boursier, au risque d'être poursuivi pour
délit d'initié.

La sanction prévue par la loi pour cette catégorie d'initié est de deux ans d'emprisonnement et de
1 500 000 euros d'amende, dont le montant peut éventuellement être porté au décuple du montant
du profit réalisé. Ce déplafonnement de l'amende en fonction du profit réalisé, bien qu'il rende la
sanction incertaine dans son montant, n'est pas contraire aux exigences de prévisibilité de la loi au
sens de la Convention européenne des droits de l'homme( CEDH 6 oct. 2011 n° 50425/06 Soros/
France , D. 2012 p. 1706 obs. C. Mascala) .

2. Les initiés indirects


Les personnes autres que les dirigeants qui détiennent une information privilégiée à l'occasion de
l'exercice de leur profession ou de leurs fonctions et l'utilisent peuvent être qualifiées d'initiés directs.

Cette disposition très extensive permet d'atteindre une multitude de personnes, qui
occasionnellement ont eu connaissance d'une information, afin de les empêcher de l'utiliser sur le
marché boursier. Le texte s'applique indifféremment aux personnes qui appartiennent à la société
sans en être dirigeantes, ou à des tiers qui entretiennent avec elle des relations professionnelles.

Jurisprudence
Les exemples sont très variés : peuvent relever de cette catégorie des membres non dirigeants
du personnel de la société quelle que soit leur qualité (y compris les salariés ayant par exemple
accès à des dossiers confidentiels) , un liquidateur (TGI Paris 30 mars 1979, JCP 1980, II, 19306
note Tunc. Bien qu'exerçant les fonctions de dirigeant dans le cadre de la procédure de liquidation
judiciaire, le liquidateur ne rentre pas dans la catégorie des dirigeants visés par l'article 225-109 du
code de commerce) ; un banquier ou un avocat (C.A. Paris 27 décembre 1990, Gaz.Pal. 1991,1,
157) ; un journaliste (TGI Paris 12 mai 1976, RTD com. 1977, 179 obs. Bouzat) ou un architecte
(TGI Paris 15 octobre 1976, JCP 1977, II, 18543 note Tunc, D. 1978, 381 note Guyenot) ...
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Aucune présomption de connaissance de l'information ne pèse sur ces initiés indirects. Pour
prononcer une sanction, la juridiction répressive devra constater que l'information privilégiée a été
obtenue dans l'exercice des fonctions ou de la profession, et que le possesseur a volontairement
transgressé l'obligation de ne pas l'utiliser sur le marché.

La sanction est identique à celle qui est encourue par les initiés directs.

3. Toute personne
La loi relative à la sécurité quotidienne du 15 novembre 2001 a considérablement étendu le domaine
de l'infraction en ajoutant un alinéa 3 al 'article 465-1 du code monétaire et financier. Cette nouvelle
disposition permet d'incriminer du chef de délit d'initié toute personne autre que les initiés directs
(dirigeants) ou indirects qui possède en connaissance de cause des informations privilégiées sur
les perspectives d'évolution du marché boursier, et qui l'utilise directement ou indirectement ou la
communique. Le législateur est arrivé à une extension maximale du champ d'application du délit
puisque la loi dans ce cas, ne subordonne l'infraction à aucune condition de qualité de la personne ou
de contexte d'obtention de l'information privilégiée. La qualité de la personne n'a aucune incidence,
le moyen de se procurer l'information est également indifférent, seules la possession et l'utilisation de
l'information privilégiée en connaissance de cause sont les éléments caractéristiques de l'infraction.

La sanction prévue par la loi est de un an d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende, dont le
montant peut éventuellement être porté au décuple du montant du profit réalisé.

Les personnes initiées

Catégories de personnes initiées

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C. Les opérations interdites
La consommation du délit est caractérisée par le fait de réaliser ou de permettre de réaliser,
sciemment, directement ou par personne interposée, une ou plusieurs opérations, avant que
le public n'ait eu connaissance des informations. L’information privilégiée doit donc, pour que le
délit soit caractérisé, être utilisée sur le marché. Le sens de la notion « d’utilisation » a été précisé
par un arrêt important : l’arrêt Spector Photo Group (CJUE 23 déc. 2009, D. 2010 panorama Droit
pénal des affaires p. 1669). Dans cet arrêt la Cour de justice de l’Union européenne précise que les
opérations d’initiés sont définies par la loi de manière objective ; il suffit donc que le juge constate que
l’initié a agi sur le marché boursier en connaissance du fait qu’il détenait une information inconnue
du public, pour que l’utilisation soit caractérisée. Cette jurisprudence conduit à une interprétation
objective du délit d’initié.

La définition de l'infraction permet de sanctionner l'initié qui réalise lui-même l'opération sur le
marché, mais également, la personne à qui il permet de réaliser cette opération, par la transmission
de l'information. La sanction vise l'initié direct mais également les opérations réalisées par personnes
interposées pour le compte de l'initié direct. Dans les deux cas, l'initié direct est l'auteur du délit,
la personne interposée relevant de la qualification de complicité de délit d'initié. Des poursuites sur
le fondement de recel peuvent être engagées si la personne détient le produit de l'infraction ou
en bénéficie. Le recel porte sur le produit de l'infraction ou sa représentation, la simple détention
d'informations privilégiées ne constitue pas l'infraction de recel. Le recel ne peut pas résulter de la
simple détention d'informations privilégiées.

Jurisprudence
En revanche, le recel est caractérisé à l'égard de celui qui réalise en connaissance de cause des
opérations sur le marché en utilisant une information qui lui a été confiée dés lors qu'il sait qu'elle
est privilégiée ( Cass.crim.26 oct.1995 Bull.crim. n°324).
L'acte constitutif du délit se réalise sur le marché réglementé, depuis la nouvelle formule issue de la
loi du 2 juillet 1996 (loi relative à la modernisation des activités financières. L'ancienne formulation
du texte d'incrimination visait uniquement " le marché " et cette disposition avait suscité de multiples
interrogations, pour définir de quel marché boursier il s'agissait : premier et second marché, marché
hors-cote, transaction de gré à gré (Cass. com. 18 juin 1996 (aff. Bergé), JCP 1996, II, 22710 note
Hovasse. Pour une étude complète voir Bronner, La définition du délit d'initié dans la loi pénale
française, Gaz. Pal. 9-11 janvier 1994) . La loi nouvelle a mis fin à ces discussions, en visant " le
marché réglementé " dans son ensemble, ce qui englobe toutes les catégories y compris les cessions
de gré à gré.Pour tomber sous le coup de la loi pénale, l'opération interdite doit être réalisée avant que
le public ait pu avoir connaissance de l'information, dans le cas contraire celle ci n'est plus privilégiée.
Cette exigence oblige la juridiction à caractériser la chronologie précise des faits et l'antériorité de
l'opération boursière par rapport à la communication de l'information au public.

Jurisprudence
C.A. Paris 8 novembre 1993, GAZ. Pal. 1994, 1, 295 : le juge répressif doit, pour entrer en
condamnation, établir la chronologie des faits. Il a été jugé que le juge doit caractériser la
concomitance de la connaissance par une banque d'un projet de prise de contrôle d'une société et
les opérations qu'elle réalise sur des titres auxquels elle ne s'était jamais intéressée.

L'opération peut-être réalisée sur une place boursière étrangère , dés lors qu'un des éléments
constitutifs de l'infraction est réalisé en France le juge français est compétent ( Crime. 26 oct. 1995
op. cit).
La réalisation d'un profit n'est pas nécessaire : ce n'est pas un élément constitutif de l'infraction :.
Cette solution a été affirmée par la jurisprudence alors que

les termes employés par le texte d'incrimination suscitaient une interrogation : la consommation de
l'infraction implique t-elle que l'auteur ait tiré un profit de la réalisation de l'opération interdite ? Le
législateur a prévu que le montant de l'amende, prononcée à l'encontre de l'auteur de l'infraction,
pouvait être portée au décuple du profit réalisé, Cette formulation postule a priori, en faveur de
l'exigence de la réalisation d'un profit. Cependant, ce même texte vise le profit éventuellement réalisé,
ce qui démontre qu'il peut ne pas y avoir de profit (l'amende peut être portée au décuple du montant
du profit éventuellement réalisé) . Par conséquent, la jurisprudence a estimé que l'infraction pouvait
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être consommée même en l'absence de tout profit ( même si elle se solde par une perte ) ; et
dans l'hypothèse où il y a profit, cela permettra un déplafonnement du montant de l'amende . Donc
l'existence du profit n'est prise en compte par le juge que pour fixer le quantum de l'amende.

Jurisprudence
Par conséquent, la jurisprudence considère que la réalisation d'un profit n'est pas un élément
constitutif de l'infraction de délit d'initié, qui peut être consommée même si l'opération boursière est
neutre, voire déficitaire, cependant la preuve de la commission du délit n'en sera que plus difficile
(C.A. Paris 15 janvier 1992, Gaz. Pal. 1992, 1, 293 note Marchi ; 2 avril 1997, BRDA 9 / 1997 p.6.).

Pour un exemple illustrant l'indifférence de la réalisation d'un profit : Décision de la COB 13 février
2003, Bull.mens. COB oct. 2003 n° 383 p.7ss. Dans cette décision, la COB relève qu'il convient «
de constater que M.G. n'a pas réalisé de profit mais qu'une perte a été évitée dans le cadre d'un
marché dont le secteur est très volatil. Considérant que les faits ont perturbé le marché et procuré
à l'intéressé un avantage injustifié qu'il n'aurait pas obtenu dans le cadre normal du marché ». La
sanction est une sanction pécuniaire de 10 000 euros.

§ 2. L'élément intentionnel
L'article L.465-1 CMF sanctionne un délit intentionnel caractérisé par l'exigence d'un lien de causalité
entre les opérations litigieuses et la détention en connaissance de cause d'informations privilégiées.
La preuve de cette intention est facilitée lorsque l'infraction est commise par un initié direct, puisque
la jurisprudence fait peser sur lui une présomption irréfragable de connaissance de l'information
privilégiée. Pour les autres personnes, il faudra établir qu'elles ont agi volontairement en ayant
conscience de détenir des informations privilégiées, cette conscience provenant soit de la fonction
exercée, soit des conditions dans lesquelles l'information a été obtenue.

Les éléments constitutifs

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Section 2. La communication d'information privilégiée
L'article L.465-1 alinéa 2 CMF punit d'un an d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende "
le fait, pour toute personne disposant dans l'exercice de sa profession ou de ses fonctions d'une
information privilégiée sur les perspectives ou la situation d'un émetteur dont les titres sont négociés
sur un marché réglementé ou sur les perspectives d'évolution d'un instrument financier admis sur
un marché réglementé, de la communiquer à un tiers en dehors du cadre normal de sa profession
ou de ses fonctions ".

L'article L. 465-3 CMF admet pour cette infraction la responsabilité pénale des personnes morales,
à l'encontre desquelles une amende du quintuple du montant prévu pour les personnes physiques,
peut être prononcée, ainsi que toutes les peines prévues par l'article 131-39 du code pénal.

Ce texte permet de sanctionner la seule transmission de l'information et d'empêcher ainsi la


réalisation du délit d'initié stricto sensu. En effet, la loi n'exige pas pour qu'une sanction soit encourue,
que l'information ait été utilisée par celui à qui elle a été communiquée. Le seul de communiquer
l'information privilégiée qu'elle soit ensuite utilisée ou pas, consomme le délit.

Remarque
Avant cette modification législative, issue de la loi du 2 août 1989, si le tiers ne réalisait pas
d'opération boursière grâce à l'information communiquée, aucune poursuite pénale n'était possible
car il ne pouvait pas être qualifié d'auteur principal ni de complice puisqu'il n'y avait pas de
fait principal punissable. Désormais, l'utilisation de l'information importe peu, car l'infraction est
consommée par la seule transmission de l'information confidentielle.

Pour être constituée, l'infraction suppose que l'information soit communiquée en dehors du
cadre normal de la profession ou des fonctions Pour être constituée, l'infraction suppose que
l'information soit communiquée en dehors du cadre normal de la profession ou des fonctions (ce
qui a permis à la doctrine de qualifier cette infraction de communication d'information privilégiée
de délit de "dîner en ville", l'information étant souvent transmise à cette occasion à l'occasion de
discussions ) . L'information peut, circuler au sein d'une entreprise ce qui est indispensable à son
fonctionnement. Chaque personne qui reçoit cette information est un initié potentiel qui doit s'abstenir
de toute transmission. Ce qui est punissable, c'est le fait de faire profiter un tiers de cette information
privilégiée. La principale difficulté de mise en oeuvre de cette incrimination réside dans la preuve de
la communication de l'information privilégiée, surtout s'il celle ci n'est pas utilisée.

Jurisprudence
En effet, il est très difficile de rapporter la preuve qu'une information a été communiquée, transmise
par exemple par l'initié direct à un tiers à l'occasion d'une conversation dès lors qu'elle n'est pas
matériellement utilisée sur le marché (La jurisprudence très peu abondante témoigne de cette
difficulté (voir cependant TGI Paris 13 février 2002, Rev.sc.crim. 2002, 609). Ce jugement illustre
la difficulté de rapporter la preuve puisqu'il conclut à la relaxe du prévenu faute pour l'accusation
d'avoir établi que l'intéressé avait détenu des informations privilégiées transmises par un initié).

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Section 3. Les particularités de la poursuite du délit d'initié
Les particularités de la poursuite tiennent à la nature du délit d'initié qui constitue simultanément une
infraction pénale (art. L. 465-1 CMF) et un manquement au règlement institué par l'Autorité des
marchés financiers ( jusqu'à la loi du 1 août 2003 la Commission des opérations de bourse édictait
les règlements. Mais l'intégralité des règlements en vigueur demeure applicable art. 47 de la loi et
sont repris par l'AMF). Le règlement de l'AMF a été modifié le 12 novembre 2004, à la suite de la
transposition de la directive européenne « Abus de marché », ce qui a entrainé une modification de
la définition du manquement d'initié). Cette dualité de nature entraîne la possibilité d'une dualité de
poursuite puisque l'Autorité des marchés financiers est investie d'un pouvoir sanctionnateur. Cette
dualité de poursuite débouche sur un cumul de sanctions.

§ 1. Les modalités de la poursuite


Depuis sa création la Commission des opérations de bourse a vu régulièrement ses pouvoirs
renforcés par des lois successives jusqu'à lui conférer un pouvoir sanctionnateur autonome. Ces
pouvoirs sont aujourd'hui ceux de l'Autorité des marchés financiers, mais la loi du 1 août 2003 les
a encore renforcés puisque l'AMF qui est une autorité publique indépendante (Précédemment, la
COB était qualifiée d'autorité administrative indépendante) est dotée de la personnalité morale, ce
qui lui permet d'agir devant toute les juridictions (ce qui n'était pas le cas de la COB : art . L. 621-1
et L. 621-2 alinéa 1 CMF) .

L'AMF dispose du pouvoir d'édicter des règlements destinés à organiser le fonctionnement et la


transparence du marché boursier et de prononcer les sanctions prévues par la loi en cas de
manquement. Parmi les règlements en vigueur, il en est un (le règlement 90-08 de la COB) qui
interdit, en des termes équivalents à la définition pénale du délit d'initié, les comportements qui
portent atteinte à l'égalité d'information et de traitement des investisseurs. Ce règlement a été
modifié le 12 novembre 2004 afin d'intégrer les dispositions de la directive européenne « Abus de
marché », ce qui eu une incidence sur la définition du manquement d'initié. Auparavant, le délit
d'initié et le manquement d'initié avaient une définition identique, strictement, ce qui n'est plus le
cas par la modification du texte d'incrimination du manquement d'initié (A. Dethomas, L'évolution du
manquement d'initié, D.2005, Point de vue, p. 706). Sur le fondement du manquement d'initié, l'AMF
peut donc engager une procédure de sanction contre celui qui a transgressé le règlement. Cette
procédure doit respecter les règles de toute procédure judiciaire.

Explication : cette obligation a été imposée par la jurisprudence au terme d'un contentieux très
important relatif à la procédure de poursuite mise en oeuvre devant la COB. En effet, la COB qui
prononçait des sanctions de nature quasi-pénale ne respectait pas les principes fondamentaux des
procédures civile et pénale ni les exigences de l'article 6 de la Convention européenne des droits de
l'Homme : principe de séparation des fonctions de poursuite, d'instruction et de jugement ; principe
du contradictoire et respect des droits de la défense. A deux reprises, les procédures furent donc
annulées par la cour de cassation.Le décret du 1 er août 2000 modifia l'organisation de la procédure
contentieuse suivi par la COB : arrêt Oury , Ass.Plén. 5 fév. 1999, D. 1999 act. ; RJDA 3/1999 p.
203 ; arrêt KPMG CA Paris 7 mars 2000, BRDA 31 mars 2000 p. 3 ; D. 2000, n°31, III obs. Boizard ;
JCP, E, 2000 p. 992 obs. Couret.

La loi du 1 août 2003, art. L. 621-2 CMF, consacre ces principes : séparation des fonctions au sein
de la commission sanction de l'AMF ; respect du contradictoire et des droits de la défense. Les
trois étapes de la procédure de sanction sont confiées à des autorités différentes : l'enquête est
ouverte par le secrétaire général de l'AMF ; au vu de du rapport du secrétaire général, le collège
de l'AMF peut décider de déclencher une procédure de sanction ; enfin l'audience et le prononcé
de la sanction pécuniaire relèvent de la commission sanction présidée par un magistrat de l'ordre
judiciaire ou administratif. La décision est susceptible de recours devant les juridictions judiciaires
compétentes dans un délai de deux mois ( TGI et Cour d'appel de Paris) .

L'utilisation d'une information privilégiée sur le marché boursier peut donc être poursuivie sur le
fondement du délit d'initié devant la juridiction correctionnelle et au titre du manquement au règlement

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devant l'AMF. Cette double poursuite est compatible avec la règle procédurale fondamentale
de notre procédure pénale " non bis in idem ".

En application de ce principe, il est interdit de poursuivre deux fois une même personne pour
les mêmes faits. L'exclusion de la double poursuite implique une rigoureuse identité d'objet de la
poursuite, de partie. En matière de délit d'initié, ces conditions ne sont pas remplies : l'objet est
certes identique ' il s'agit de sanctionner un comportement déviant tant au regard du règlement de
l'AMF que de la loi pénale ; la partie poursuivie est la même, en revanche la partie poursuivante
diffère ' ministère public devant le juge pénal, président de l'AMF dans l'hypothèse de manquement
d'initié. Par conséquent, la double poursuite est possible. D'autant que la Cour de cassation dans un
arrêt du 1er mars 2000 ( Bull.crim. n°98) a jugé que la règle non bis in idem ne trouve à s'appliquer
que pour les infractions relevant de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale , mais
elle n'interdit pas l'exercice de poursuites devant le juge répressif parallèlement à une procédure
conduite devant la COB ( aujourd'hui AMF mais la solution est identique) aux fins de sanctions
administratives.La loi du 1er août 2003 apporte cependant une restriction à cette possibilité de double
poursuite. En effet, la loi nouvelle dote l'Autorité des marchés financiers de la personnalité morale,
ce qui lui permet de se constituer partie civile devant la juridiction pénale, art. L. 621-16-1 CMF.
Cependant la loi exclut la possibilité pour l'AMF de poursuivre devant elle la personne contre laquelle
elle s'est constituée partie civile.

L'article L. 621-16-1 alinéa 2 dispose " Toutefois, elle (l'AMF) ne peut pas à l'égard d'une même
personne et s'agissant des mêmes faits exercer concurremment les pouvoirs de sanction découlant
du code monétaire et financier et les droits de la partie civile ".

De cette disposition résulte pour l'AMF une obligation de choix : ou bien elle poursuit devant elle et elle
ne peut plus se constituer partie civile devant la juridiction pénale ; ou bien elle choisit d'exercer les
droits de la partie civile et les poursuites devant l'AMF sont impossibles.La modification du règlement
de L'AMF restreint les possibilités de poursuites pour manquement d'initié . En effet, le nouveau
règlement encadre plus étroitement la notion d'information privilégiée. Est privilégiée, l'information
qui serait susceptible d'avoir une influence « sensible » sur les cours du marché. Ce terme « sensible
» est nouveau et limite les poursuites en excluant les informations qui n'auront qu'une influence
légère ou modeste sur les cours .Par conséquent, les hypothèses de double poursuites diminueront
probablement, ce qui simplifiera les procédures.

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La procédure de sanction

§ 2. Le cumul de sanctions
La double poursuite devant le juge pénal et l'AMF débouche sur une double sanction. La
question de savoir si au regard du principe de non-cumul des peines consacré en droit français (à
l'exception de la matière contraventionnelle) , les mêmes faits pouvaient faire l'objet d'une double
condamnation pour délit d'initié et manquement d'initié a été soumise au Conseil constitutionnel lors
du contrôle de constitutionnalité de la loi du 2 août 1989. Dans sa décision du 28 juillet 1989 (JO
1 août 1989 p. 9676) , le Conseil constitutionnel a admis la possibilité du cumul de sanctions, en
l'assortissant cependant d'une limite. Le cumul est licite à la condition que le montant cumulé des
amendes prononcées par le juge pénal et la COB (aujourd'hui AMF) n'excède pas le plafond légal
de 1 500 000 euros fixé par l'article L. 465-1 CMF (Pour une application de ce cumul des sanctions
Crim. 1er mars 2000, D. 2000, cah.D.aff. 229, Dr.pén. 2000 comm. n° 75).

La tentative de délit d'initié n'est pas punissable car elle n'est pas prévue par la loi.

La prescription de l'action publique est enfermée dans un délai de trois ans ( art.8 CPP). Le point
de départ de ce délai est le jour de la passation de l'ordre de bourse ou de la communication
d'informations privilégiées.

L’Autorité des Marchés Financiers peut se constituer partie civile devant le juge pénal, si elle n’a pas
mis en œuvre elle-même une procédure pour manquement d’initié.

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