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LICENCE 2 GROUPE B

RESPONSABILITE DELICTUELLE
2021-2022

Lêmy GODEFROY

Cours du 06 septembre 2021


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Introduction
La question de la responsabilité se pose lorsqu'une personne subit un dommage. Le
droit de la responsabilité est d’ailleurs traditionnellement présenté comme le droit de
la réparation des dommages causés à autrui. La personne considérée comme
responsable sera alors tenue d'indemniser la victime. On dit également qu'il pèse sur
la personne responsable une obligation de réparation. Cette réparation consiste à
verser à la victime une somme d’argent destinée à compenser son dommage. C'est
cette somme d'argent que l’on appelle des dommages intérêts.

Qu'est-ce que ce que la responsabilité délictuelle ?


En droit de la responsabilité, on distingue la responsabilité civile et la responsabilité
pénale (I). La responsabilité civile comprend la responsabilité contractuelle et la
responsabilité délictuelle (II). Nous verrons ensuite quelle a été l’évolution des
principes et des fondements de la responsabilité délictuelle (III).

I. – Responsabilité civile et responsabilité pénale


Il y a un certain nombre de différences entre la responsabilité civile et la
responsabilité pénale.
Une différence majeure porte sur le but de ces responsabilités.
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Le but de la responsabilité civile, c’est la réparation d'un dommage par le versement
de dommages intérêts. Il s’agit plus précisément de compenser intégralement le
dommage qui a été subi. L’importance de la réparation dépend donc de l’ampleur du
dommage. En revanche, peu importe la gravité de la faute qui a été commise. Par
exemple, une inattention du conducteur d'un véhicule cause un accident et entraîne le
décès d’une personne. Le montant des dommages intérêts sera élevé malgré la
légèreté de la faute de l'auteur de l'accident.
A l’inverse, si le dommage est léger, la responsabilité civile donnera lieu à des
dommages intérêts peu élevés même si la faute commise est grave. Par exemple, une
personne en état d’ébriété prend sa voiture, elle cause un accident, mais cet accident
n’entraîne que des dommages matériels mineurs.

Le but de la responsabilité pénale est tout autre. Il s’agit de sanctionner la personne


qui, par son comportement, a causé un trouble à l'ordre public et à la société dans son
ensemble. L'importance de la sanction pénale dépend alors de la gravité des actes
commis par l'auteur de l’infraction et pas de l’importance du dommage subi par la
victime. Le but n’est pas ici de compenser le dommage.
Cette différence de but montre une différence de fonction : la responsabilité pénale a
essentiellement une fonction punitive, la responsabilité civile a principalement une
fonction indemnitaire, mais pas que. D’ailleurs on l’a vu avec le projet de réforme de
la responsabilité civile, la responsabilité civile aura une fonction punitive plus
marquée avec l’instauration de l’amende civile.
La responsabilité pénale ne nous intéresse pas ici. En effet, ce cours sur la
responsabilité délictuelle relève du cadre de la responsabilité civile. Et la
responsabilité civile comprend la responsabilité contractuelle et la responsabilité
délictuelle.

II. – Responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle


La responsabilité contractuelle suppose, pour pouvoir être invoquée par la victime
d’un dommage, que deux conditions soient réunies : d’une part, la victime et l’auteur
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du dommage sont dans une relation contractuelle (vente, location). Un accord a été
conclu à la suite d’un accord des volontés des deux parties (vendeur et acheteur par
exemple). D’autre part, le dommage a pour cause l'inexécution ou la mauvaise
exécution du contrat. Il faut donc que le dommage soit la conséquence d’un
manquement de son auteur à ses obligations contractuelles. On parle encore de
défaillance contractuelle.
Par exemple, dans un contrat de vente, l'acheteur a l'obligation de payer le prix et le
vendeur a l'obligation de livrer le produit. Si le vendeur ne livre pas le produit, il
n'exécute pas son obligation et cause un dommage à l'acheteur. Les deux conditions
requises sont réunies : Le vendeur engage alors sa responsabilité contractuelle.
Ce qui est important c’est que la réunion des conditions de mise en œuvre de la
responsabilité contractuelle exclut le recours à la responsabilité délictuelle. C'est-à-
dire que si les deux conditions sont réunies pour que la responsabilité contractuelle
soit engagée, alors c'est la responsabilité contractuelle qui devra être invoquée par la
victime du dommage. Et à défaut de réunion de ces deux conditions, la victime devra
invoquer la responsabilité délictuelle. Par conséquent, ces deux régimes de
responsabilité s’excluent l’un l’autre et la victime ne peut pas choisir entre les deux
régimes de responsabilité. C’est ce que l’on appelle le principe du non-cumul des
responsabilités délictuelle et contractuelle.

Ce principe du non-cumul de responsabilités signifie donc que non seulement la


victime ne peut pas invoquer à la fois la responsabilité contractuelle et la
responsabilité délictuelle à l’encontre de l’auteur du dommage, mais également
qu’elle ne peut pas un droit d’option lui permettant de choisir entre ces deux types de
responsabilité.
Le fait que la victime ne puisse pas choisir est important en pratique car les modalités
de la réparation ne sont pas les mêmes. Et généralement, en pratique, la réparation du
dommage est moins favorable à la victime dans la cadre de la responsabilité
contractuelle que dans celui de la responsabilité délictuelle.
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Pourquoi ?
Parce que la responsabilité délictuelle obéit au principe de la réparation intégrale du
dommage. Cela signifie que l’auteur du dommage devra verser un montant de
dommages intérêts qui compense en totalité le dommage causé. Ce n’est pas le cas
dans le cadre de la responsabilité contractuelle. En effet, les parties ont conclu un
contrat. Et dans ce contrat, elles peuvent s’être mis d’accord sur des clauses qui vont
contractualiser les modalités de la réparation du dommage. Par exemple, en limitant
la réparation à un certain montant. Ou encore en excluant certaines causes de
responsabilité, par exemple le retard dans la livraison ne sera pas une cause de
responsabilité, seule l’absence de livraison engagerait la responsabilité. On dit encore
que, en matière contractuelle, seul le dommage prévisible est réparable.
Ces clauses pourront toutefois être écartées par le cocontractant victime s’il s’avère
que le manquement contractuel a été commis de mauvaise foi (intention de nuire) ou
qu’il correspond à une faute lourde. La faute est qualifiée de lourde lorsqu’elle est
d’une extrême gravité, ce qui dénote l’inaptitude du cocontractant à l’exécution de
ses obligations.

Ces clauses relatives à la responsabilité qui sont donc licites en matière contractuelle
ne sont pas valables en matière délictuelle. Cette différence s’explique par le fait que
la responsabilité contractuelle obéit à un principe cardinal en droit des contrats qui est
le principe de la liberté contractuelle. Ce principe signifie que les parties au contrat
sont libres d'organiser leur relation contractuelle comme elles le souhaitent dans la
limite du respect de l'ordre public. Les parties au contrat sont donc libres de négocier
entre elles les conditions de leur accord et les conditions de leurs responsabilités.

Pour résumer, le principe du non-cumul implique que le contractant victime de


l’inexécution d’une obligation contractuelle imputable à son débiteur, ne peut pas,
alors même qu’il y aurait intérêt, exercer une action en responsabilité délictuelle.
Par conséquent, soit c’est la responsabilité contractuelle qui doit être invoquée et ce
sont les règles de ce régime de responsabilité qui s’appliquent, soit c’est la
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responsabilité délictuelle avec ses propres règles.

Le principe du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle a toutefois


été assoupli par la jurisprudence lorsqu’un tiers au contrat agit en responsabilité
contre l’une des parties au contrat.
En effet, en droit des contrats, il y a un principe appelé le principe de l’effet relatif
des contrats. Ce principe signifie qu’un contrat n'engendre des obligations qu'à l'égard
des parties à ce contrat. Ceux qui ne sont pas parties au contrat sont appelés les tiers
au contrat. Les tiers ne sont pas tenus par le contrat. Ils n’ont pas non plus
d’obligations vis-à-vis des parties au contrat et celles-ci n’en ont pas non plus à leur
égard.
Pour autant, le contrat produit des effets entre les parties et ces effets peuvent avoir
des incidences sur la situation des tiers. Compte tenu du principe du non-cumul, un
tiers qui subit un dommage du fait du manquement de l’une des parties à ses
obligations contractuelles doit agir contre l’auteur de ce dommage sur le fondement
de la responsabilité délictuelle. Ce qui implique que la victime va devoir rapporter la
preuve d’une faute qui est l’un des fondements qui peut être invoqué en matière de
responsabilité délictuelle.
La question s’est alors posée de savoir en quoi consiste cette faute ? Est-ce que le
tiers doit rapporter la preuve d’une faute au sens de la responsabilité délictuelle (faute
délictuelle), c’est-à-dire la violation d’une règle de conduite imposée par la loi ou par
les règlements, un manquement au devoir général de prudence ou encore l’exercice
abusif d’un droit. Ou bien est-ce que le tiers peut assimiler la défaillance
contractuelle à une faute délictuelle ?
En pratique, cette deuxième option faciliterait grandement la charge de la preuve de
la faute qui pèse sur la victime, ce qui favoriserait son indemnisation.
La jurisprudence a évolué sur cette question. Dans un premier temps, et pendant
longtemps, elle a considéré que la victime, parce qu’elle est un tiers au contrat, ne
peut pas se fonder directement sur la défaillance contractuelle, c’est-à-dire sur
l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat par l’auteur du dommage. Par
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conséquent, la victime devait prouver que la défaillance contractuelle constitue à son
égard une faute au sens de la responsabilité délictuelle. Autrement dit, la défaillance
contractuelle n’est pas un fait générateur de responsabilité délictuelle.

Si cette solution se comprend en théorie, en pratique, concrètement, il est artificiel


d'interdire aux tiers d’invoquer directement une défaillance contractuelle dont ils
subissent les conséquences dommageables. Finalement, la jurisprudence a évolué. Un
revirement de jurisprudence est intervenu avec un arrêt de l'assemblée plénière de la
cour de cassation du 6 octobre 2006, l’arrêt Myr'Ho et Bootshop.
En l’espèce, un contrat de location d’un local commercial a été conclu entre M. X,
bailleur, propriétaire de l'immeuble dans lequel se trouve le local, et la société
Myr’Ho, locataire de ce local et qui y exerce son commerce. Dans le cadre de ce
contrat de location, le propriétaire, M. X., a l'obligation d'entretenir l'immeuble, de
faire les réparations et les travaux nécessaires à son usage normal. La société Myr’Ho
en contrepartie lui verse un loyer. De son côté, la société Myr’Ho a confié la gérance
de son commerce à la société Boot shop. Le contrat de gérance qui a été conclu
prévoit que la société Boot shop reverse à la société Myr’Ho une partie de ses
bénéfices.
Le problème qui s’est présenté est que M. X n’entretenait pas l’immeuble. Des
dysfonctionnements sont apparus : le portail d’entrée ne fonctionnait pas, pas plus
que le monte-charge. La société Boot shop s’est alors plaint du mauvais entretien de
l’immeuble. Elle a considéré que le bailleur ne respectait pas ses obligations. Elle a
assigné le bailleur pour obtenir la remise en état des lieux ainsi que le versement de
dommages intérêts en réparation de son préjudice d’exploitation (perte de bénéfices).
Or la société Boot shop est un tiers au contrat de location. En application du principe
du non-cumul, elle devrait donc agir sur le fondement de la responsabilité délictuelle.
Elle devrait donc prouver que la défaillance contractuelle de M. X - l'inexécution de
son obligation d'entretien de l'immeuble – constitue pour elle une faute délictuelle.
C’est dans ce contexte que l’assemblée plénière de la cour de cassation va poser un
nouveau principe : le principe de l’assimilation des fautes contractuelle et délictuelle.
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Elle décide en effet que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la
responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement
lui a causé un dommage ». Par conséquent, la société Boot shop peut invoquer
directement les défaillances contractuelles du bailleur et dont la preuve est facile à
rapporter. Cette solution assimile la défaillance contractuelle à un fait générateur de
responsabilité délictuelle.

Cette solution a été critiquée par une partie de la doctrine. Parce que cette intrusion
de la responsabilité délictuelle dans le contrat crée un déséquilibre entre le tiers qui
peut invoquer le contrat et le contractant défaillant qui ne peut pas opposer le contrat
à ce tiers. En effet, le tiers agit sur le fondement de la responsabilité délictuelle. Par
conséquent, vis-à-vis de ce tiers, le contractant défaillant ne va pas pouvoir se
prévaloir de clauses contractuelles éventuelles qui limitent sa responsabilité. Le
contractant défaillant aurait pu invoquer ce type de clause à l’encontre de son
cocontractant si c’était ce dernier qui agissait contre lui en responsabilité. Mais il ne
le peut pas contre le tiers. Malgré ces critiques, cette jurisprudence n’a pas évolué.
Elle a même été confirmée par la Cour d’appel de Lyon le 12 mai 2020 : le tiers au
contrat qui établit un lien de causalité entre un manquement contractuel et le
dommage qu’il subit n’est pas tenu de démontrer une faute délictuelle distincte de ce
manquement. Le tiers voit donc sa charge probatoire allégée, à partir du moment où
le manquement contractuel est la cause de son dommage.

Cette position jurisprudentielle favorable à l’assimilation des fautes contractuelle et


délictuelle est remise en cause par le législateur. En effet, et plus généralement, le
droit de la responsabilité civile est depuis maintenant plusieurs décennies l’objet de
travaux visant à le repenser. Des groupes de travail avaient ainsi lancé des réflexions
sur le sujet plusieurs années auparavant. À titre d’exemple, le projet Catala (2005), le
groupe de travail appelé « Pour une réforme du droit de la responsabilité civile »
sous la direction de François Terré qui lui a rendu son rapport en février 2012.
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Puis l’ordonnance du 10 février 2016 qui a réformé le droit des contrats, ordonnance
ratifiée par la loi du 20 avril 2018, a apporté des changements de forme en matière de
responsabilité délictuelle. Et en particulier les articles du code civil relatifs à la res-
ponsabilité délictuelle ont changé de numérotation, mais sans changement sur le fond.

En revanche, une réforme portant sur le fond de la responsabilité délictuelle est en


préparation. Le Garde des sceaux a annoncé cette réforme dans un communiqué du
29 avril 2016. À la suite de ce communiqué du 29 avril 2016, une consultation pu-
blique en ligne a été mise en place jusqu’au 31 juillet 2016. Cette consultation avait
pour but de permettre aux particuliers, associations, professionnels (dont les assu-
reurs), et universitaires de pouvoir formuler des propositions.
Un projet de réforme de la responsabilité civile a finalement été présenté par la Chan-
cellerie le 13 mars 2017. Ce projet a pour objectif de codifier le droit de la responsa-
bilité qui est, pour l’essentiel, d’origine jurisprudentielle. À cet égard, le projet pro-
pose une consolidation des acquis jurisprudentiels.

Mais le projet de réforme ne fait pas que reprendre les solutions issues de la
jurisprudence. Il comporte également des innovations. En particulier, il introduit des
dispositions à caractère punitif et préventif qui n’existaient pas avant.
Par exemple, le projet de réforme prévoit que le juge pourra condamner l'auteur
d’une faute lucrative à verser une amende civile. La faute lucrative est celle qui est
délibérément commise en vue d’obtenir un gain ou une économie. La faute lucrative
se définit comme une faute qui rapporte plus qu’elle ne coûte. C’est dire que la faute
lucrative est le résultat d’un calcul économique, d’un calcul coût/profit. C’est une
faute que son auteur a intérêt à commettre parce qu’il tire de l’activité dommageable
un profit supérieur aux condamnations encourues. On la rencontre aussi bien en droit
de l’environnement ou en droit de l’urbanisme qu’en matière de concurrence déloyale
ou parasitaire et de violation des droits de la personnalité, tels que le droit à l’image
ou le droit au respect de la vie privée. Ce qui fait la spécificité de la faute lucrative est
que l’agent est conscient des risques qu’il encourt, il sait très bien que son comporte-
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ment constitue une faute, mais choisit, sciemment, à la faveur d’un calcul écono-
mique favorable, de passer outre le respect de la norme juridique. Le juge pourrait
donc condamner l’auteur d’une faute lucrative au paiement d’une somme supérieure
au dommage causé. Dans cette perspective, plusieurs sanctions avaient été proposées.
Tout d’abord, le projet de réforme de la responsabilité civile élaboré sous l’égide du
professeur Terré proposait de sanctionner les fautes lucratives par des dommages et
intérêts restitutoires, lesquels consistent à évaluer les dommages et intérêts – non pas
en fonction du préjudice – mais en fonction des profits réalisés par l’auteur de l’acte
dommageable. En somme, il s’agissait de sanctionner la faute lucrative par la restitu-
tion du profit illicite. Quant à l’avant-projet de réforme du droit des obligations pré-
paré sous l’égide du professeur Catala (2005), il suggérait d’introduire, sur le modèle
anglo-américain, des dommages et intérêts punitifs, lesquels consistent à évaluer les
dommages et intérêts – non pas en fonction du préjudice – mais en fonction de la
gravité de la faute commise.
Ces deux projets proposaient une mutation profonde de notre culture juridique. En
effet, l’un et l’autre heurtaient de front le principe de la réparation intégrale, dans la
mesure où ils pouvaient conduire à verser à la victime des dommages et intérêts supé-
rieurs au préjudice et, par là même, à l’enrichir.
C’est pourquoi la formule de l’amende civile a été préférée par la chancellerie afin de
ne pas contrevenir au principe de réparation intégrale du dommage.
Par conséquent, l’auteur d’une telle faute devrait non seulement réparer le dommage
subi par la victime et en plus s’acquitter d’une amende civile à titre de punition.
L’amende est en effet versée à un fonds d’indemnisation ou au Trésor public tandis
que les dommages et intérêts sont versés à la victime du dommage.

Sur le plan préventif, et c’est là aussi une innovation, le projet de réforme prévoit
d’inscrire dans la loi l’obligation pour la victime de minimiser son dommage, à
l’exclusion de son dommage corporel, c’est-à-dire en cas d’atteinte à l’intégrité phy-
sique. Pour tous les autres dommages, le juge aurait la faculté de réduire les dom-
mages-intérêts qui auraient dû être versés à la victime lorsqu’elle n'aura pas pris les
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mesures raisonnables qui lui auraient permis d'éviter l'aggravation de son dommage.
Ce devoir repose sur une exigence d’ordre moral imposée à la victime. Il aurait pour
conséquence que la victime ne recevrait qu’une indemnisation partielle de son préju-
dice. Ce qui, nous le reverrons plus tard, porte atteinte à ce principe fondamental de
la responsabilité délictuelle, le principe de la réparation intégrale du dommage.

Depuis, le projet de réforme a fait l’objet de nombreux rapports et travaux visant à


l’améliorer. Par exemple, en avril 2019, la Cour d’Appel de Paris a constitué un
groupe de travail qui a rédigé ses observations sur le projet de réforme. Le 25 juin
2019, le syndicat de la magistrature remettait ses commentaires sur le projet de
réforme à la commission des lois du Sénat.
Toutefois, ce projet de réforme de la responsabilité semble à l’arrêt. En 2020, les
représentants du ministère ont expliqué aux sénateurs être toujours en attente
d’arbitrages interministériels sur certains sujets ayant des incidences économiques
importantes comme la création de l’amende civile.
Les sénateurs sont bien conscients que cette réforme ne figure pas dans les priorités
gouvernementales pour la fin du quinquennat. Pour autant, la réflexion menée depuis
bientôt vingt ans semble selon eux suffisamment aboutie. Ils ont donc souhaité
rapidement déposer une proposition de loi, basée sur le projet gouvernemental de
mars 2017, mais en le délestant de certains points. La commission des lois du Sénat a
ainsi remis un rapport le 22 juillet 2020. Ce rapport comprend 23 propositions pour
faire aboutir une réforme annoncée.
Sur la base de ce travail sénatorial, une proposition de loi a suivi le 29 juillet 2020.

Dans cette proposition de loi, plusieurs innovations, ni urgentes ni abouties, de nature


à bloquer le projet, ont disparu.
C’est le cas notamment de l’amende civile. Soutenue par les associations de
consommateurs et de victimes, cette amende civile permettrait, comme on vient de le
voir, de sanctionner les comportements abusifs en imposant au fautif de verser, en
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plus des dommages et intérêts aux victimes, une amende au trésor public qui irait
jusqu’au décuple du montant du profit réalisé. Mais pour les entreprises et une partie
des universitaires auditionnés par la commission des lois du Sénat, cette amende
civile est inconstitutionnelle : elle s’apparente à une peine et elle devrait donc
respecter les différents principes constitutionnels applicables à la loi pénale,
notamment les principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité. Or, si on
prend comme exemple le fait que l’amende soit plafonnée à dix fois le profit réalisé,
ce plafond semble contredire le principe de proportionnalité.

En revanche, les sénateurs veulent maintenir la fin de la jurisprudence de la Cour de


cassation qui permet à un tiers à un contrat d’invoquer un manquement au contrat dès
lors que ce manquement lui a causé un dommage. Dans un article 1234, il revient sur
la jurisprudence Myr’ho et Bootshop et sur le principe de l’assimilation des fautes
contractuelle et délictuelle.
Selon ce projet de texte, « Lorsque l’inexécution d’une obligation contractuelle est la
cause directe d’un dommage subi par un tiers, celui-ci ne peut en demander
réparation au débiteur que sur le fondement de la responsabilité délictuelle, à charge
pour lui de rapporter la preuve de l’un des faits générateurs de responsabilité
délictuelle ».
Il en résulte que le tiers victime d’un dommage causé par une défaillance
contractuelle imputable à un contractant devra apporter la preuve que cette
défaillance constitue à son égard une faute délictuelle.

Les sénateurs soutiennent aussi l’idée du projet de 2017 de mettre le dommage


corporel au-dessus des autres dommages. L’article 1233 du projet de réforme prévoit
un principe d’exclusivité de la responsabilité délictuelle en cas de dommage corporel.
Ce principe d’exclusivité se justifie par la gravité du dommage corporel. La volonté
des auteurs du projet de réforme est ici de protéger le cocontractant qui subit un
dommage corporel en empêchant l’application de clauses qui limiteraient la
réparation. Le dommage corporel se trouve ainsi « décontractualisé ». Ce que
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préconisait il y a déjà longtemps Carbonnier (juriste du 20e siècle) dans sa formule
célèbre : « les bras cassés et les morts d’homme sont de la compétence des articles
1382 et suivants [du Code civil] ».

III. – Les fondements de la responsabilité délictuelle


Le droit de la responsabilité délictuelle repose actuellement sur quelques articles du
code civil, les articles 1240 à 1244. C'est donc la jurisprudence qui, depuis 1804 date
de la promulgation du code civil, a construit et fait évoluer le droit de la
responsabilité délictuelle. De manière sous-jacente, les fondements de la
responsabilité délictuelle ont eux-mêmes évolué avec l’évolution de la jurisprudence.

Jusqu’à la fin du 19e siècle, la responsabilité délictuelle était une responsabilité


exclusivement fondée sur la faute. La responsabilité pour faute, encore appelée
responsabilité du fait personnel, constituait le fondement quasi exclusif de la
responsabilité délictuelle. Ce fondement reposant sur la faute était justifié par des
raisons d’ordre moral. En effet, la morale veut que ce soit la personne qui a eu un
comportement répréhensible, celle qui a commis une faute, qui doit en assumer les
conséquences dommageables. A l'inverse, il est contraire à la morale d’engager la
responsabilité d’une personne dont le comportement n’a pas été fautif. Cette
responsabilité fondée sur la faute est qualifiée de responsabilité subjective car elle
suppose de porter un jugement de valeur sur le comportement de l’auteur du
dommage.

Puis d’autres fondements vont apparaître à partir de la fin du 19e siècle. La


jurisprudence admet en effet que, dans certains cas, la responsabilité délictuelle
puisse être engagée contre une personne alors qu’elle n’a pas commis de faute. Dans
ce cas de figure, c’est le constat d’un dommage causé par un événement générateur
en lien avec cette personne qui va permettre d’engager sa responsabilité. Il n'y a donc
pas de jugement de valeur qui est porté sur le comportement de cette personne.
C’est pourquoi, par opposition à la responsabilité fondée sur la faute qui est une
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responsabilité subjective, la responsabilité sans faute a été qualifiée de responsabilité
objective.
Pourquoi cette évolution ? Parce que, à cette époque, avec l’essor de
l’industrialisation, des dommages nouveaux apparaissent. Il s'agit de dommages
causés par des choses, en l’occurrence par des machines dangereuses. Et les accidents
dont les ouvriers sont victimes ne sont généralement pas causés par un comportement
fautif. Or, avec un droit de la responsabilité fondé exclusivement sur la faute, en
l'absence de preuve d'une telle faute, la victime voyait sa demande d’indemnisation
être rejetée par les juges. La responsabilité fondée sur la faute ne permettait donc pas
de réparer les dommages causés par les nouveaux risques de la société industrialisée.
Ce sont alors les juges eux-mêmes qui ont créé des cas de responsabilité sans faute
pour que les victimes de ces nouveaux risques soient indemnisées par des personnes
qui pourtant n’ont pas commis de faute. C'est alors la fonction indemnitaire de la
responsabilité délictuelle qui a pris le pas sur la fonction purement morale. Pour la
doctrine de l'époque, notamment, Raymond Saleilles et Louis Josserand (fin du 19 e
siècle), la fonction indemnitaire s’explique par ce qu’ils ont appelé la théorie du
risque. Selon eux, c’est le risque d’une activité dommageable qui justifie que celui
qui tire profit de cette activité risquée engage sa responsabilité. La personne qui
engage sa responsabilité est donc celle qui a pris l’initiative de l'activité risquée et qui
en recueille les profits. Autrement dit, c’est celui qui récolte les bénéfices d'une
activité risquée qui supporte également la charge financière des dommages que cette
activité a pu causer à des tiers.
Simultanément à cette évolution a été créée l'assurance de responsabilité. Elle permet
à la personne responsable qui engage sa responsabilité d'obtenir la prise en charge du
coût de la réparation qui lui incombe en contrepartie du versement périodique d'une
somme d’argent appelée prime d'assurance.

Plus tard, en plus de la faute et du risque, la doctrine a proposé un autre fondement


pour expliquer la création par la jurisprudence d’autres cas de responsabilité sans
faute. Notamment Boris Starck qui a formulé la théorie de la garantie au milieu du
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20e siècle. Starck considère que certains dommages doivent être réparés en toute
hypothèse. Autrement dit, pour Starck, la réparation de certains dommages doit être
garantie. C'est le cas, selon lui, des dommages corporels. Ces dommages devraient
toujours donner lieu à réparation sans que la victime ait à prouver que l’auteur du
dommage a commis une faute ou qu'il est à l'origine d'une activité risquée.
Il est intéressant de noter que certaines dispositions du projet de réforme vont dans ce
sens d’une réparation facilitée des dommages corporels.
Ces différents fondements : la faute, le risque, la garantie sont au cœur des différents
régimes de responsabilité délictuelle. C’est ce que nous verrons en étudiant les
conditions de la responsabilité délictuelle (1ère partie) et les effets de la responsabilité
délictuelle (2e partie).

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