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LICENCE 2 GROUPE B
RESPONSABILITE DELICTUELLE
2021-2022
Lêmy GODEFROY
Introduction
La question de la responsabilité se pose lorsqu'une personne subit un dommage. Le
droit de la responsabilité est d’ailleurs traditionnellement présenté comme le droit de
la réparation des dommages causés à autrui. La personne considérée comme
responsable sera alors tenue d'indemniser la victime. On dit également qu'il pèse sur
la personne responsable une obligation de réparation. Cette réparation consiste à
verser à la victime une somme d’argent destinée à compenser son dommage. C'est
cette somme d'argent que l’on appelle des dommages intérêts.
Ces clauses relatives à la responsabilité qui sont donc licites en matière contractuelle
ne sont pas valables en matière délictuelle. Cette différence s’explique par le fait que
la responsabilité contractuelle obéit à un principe cardinal en droit des contrats qui est
le principe de la liberté contractuelle. Ce principe signifie que les parties au contrat
sont libres d'organiser leur relation contractuelle comme elles le souhaitent dans la
limite du respect de l'ordre public. Les parties au contrat sont donc libres de négocier
entre elles les conditions de leur accord et les conditions de leurs responsabilités.
Cette solution a été critiquée par une partie de la doctrine. Parce que cette intrusion
de la responsabilité délictuelle dans le contrat crée un déséquilibre entre le tiers qui
peut invoquer le contrat et le contractant défaillant qui ne peut pas opposer le contrat
à ce tiers. En effet, le tiers agit sur le fondement de la responsabilité délictuelle. Par
conséquent, vis-à-vis de ce tiers, le contractant défaillant ne va pas pouvoir se
prévaloir de clauses contractuelles éventuelles qui limitent sa responsabilité. Le
contractant défaillant aurait pu invoquer ce type de clause à l’encontre de son
cocontractant si c’était ce dernier qui agissait contre lui en responsabilité. Mais il ne
le peut pas contre le tiers. Malgré ces critiques, cette jurisprudence n’a pas évolué.
Elle a même été confirmée par la Cour d’appel de Lyon le 12 mai 2020 : le tiers au
contrat qui établit un lien de causalité entre un manquement contractuel et le
dommage qu’il subit n’est pas tenu de démontrer une faute délictuelle distincte de ce
manquement. Le tiers voit donc sa charge probatoire allégée, à partir du moment où
le manquement contractuel est la cause de son dommage.
Mais le projet de réforme ne fait pas que reprendre les solutions issues de la
jurisprudence. Il comporte également des innovations. En particulier, il introduit des
dispositions à caractère punitif et préventif qui n’existaient pas avant.
Par exemple, le projet de réforme prévoit que le juge pourra condamner l'auteur
d’une faute lucrative à verser une amende civile. La faute lucrative est celle qui est
délibérément commise en vue d’obtenir un gain ou une économie. La faute lucrative
se définit comme une faute qui rapporte plus qu’elle ne coûte. C’est dire que la faute
lucrative est le résultat d’un calcul économique, d’un calcul coût/profit. C’est une
faute que son auteur a intérêt à commettre parce qu’il tire de l’activité dommageable
un profit supérieur aux condamnations encourues. On la rencontre aussi bien en droit
de l’environnement ou en droit de l’urbanisme qu’en matière de concurrence déloyale
ou parasitaire et de violation des droits de la personnalité, tels que le droit à l’image
ou le droit au respect de la vie privée. Ce qui fait la spécificité de la faute lucrative est
que l’agent est conscient des risques qu’il encourt, il sait très bien que son comporte-
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ment constitue une faute, mais choisit, sciemment, à la faveur d’un calcul écono-
mique favorable, de passer outre le respect de la norme juridique. Le juge pourrait
donc condamner l’auteur d’une faute lucrative au paiement d’une somme supérieure
au dommage causé. Dans cette perspective, plusieurs sanctions avaient été proposées.
Tout d’abord, le projet de réforme de la responsabilité civile élaboré sous l’égide du
professeur Terré proposait de sanctionner les fautes lucratives par des dommages et
intérêts restitutoires, lesquels consistent à évaluer les dommages et intérêts – non pas
en fonction du préjudice – mais en fonction des profits réalisés par l’auteur de l’acte
dommageable. En somme, il s’agissait de sanctionner la faute lucrative par la restitu-
tion du profit illicite. Quant à l’avant-projet de réforme du droit des obligations pré-
paré sous l’égide du professeur Catala (2005), il suggérait d’introduire, sur le modèle
anglo-américain, des dommages et intérêts punitifs, lesquels consistent à évaluer les
dommages et intérêts – non pas en fonction du préjudice – mais en fonction de la
gravité de la faute commise.
Ces deux projets proposaient une mutation profonde de notre culture juridique. En
effet, l’un et l’autre heurtaient de front le principe de la réparation intégrale, dans la
mesure où ils pouvaient conduire à verser à la victime des dommages et intérêts supé-
rieurs au préjudice et, par là même, à l’enrichir.
C’est pourquoi la formule de l’amende civile a été préférée par la chancellerie afin de
ne pas contrevenir au principe de réparation intégrale du dommage.
Par conséquent, l’auteur d’une telle faute devrait non seulement réparer le dommage
subi par la victime et en plus s’acquitter d’une amende civile à titre de punition.
L’amende est en effet versée à un fonds d’indemnisation ou au Trésor public tandis
que les dommages et intérêts sont versés à la victime du dommage.
Sur le plan préventif, et c’est là aussi une innovation, le projet de réforme prévoit
d’inscrire dans la loi l’obligation pour la victime de minimiser son dommage, à
l’exclusion de son dommage corporel, c’est-à-dire en cas d’atteinte à l’intégrité phy-
sique. Pour tous les autres dommages, le juge aurait la faculté de réduire les dom-
mages-intérêts qui auraient dû être versés à la victime lorsqu’elle n'aura pas pris les
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mesures raisonnables qui lui auraient permis d'éviter l'aggravation de son dommage.
Ce devoir repose sur une exigence d’ordre moral imposée à la victime. Il aurait pour
conséquence que la victime ne recevrait qu’une indemnisation partielle de son préju-
dice. Ce qui, nous le reverrons plus tard, porte atteinte à ce principe fondamental de
la responsabilité délictuelle, le principe de la réparation intégrale du dommage.