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Responsabilité du fait
Non Oui Oui Oui Non
des choses
Responsabilité du fait
Non Oui Oui Oui Non
d’autrui
Responsabilité des
parents du fait de leur Non Oui Oui Oui Non
enfant mineur
Responsabilité du fait
Non Oui Oui Oui Non
des animaux
Responsabilité du fait
Non Oui Oui Oui Non
des bâtiments en ruine
Responsabilité en
matière d’accidents de Non Oui Non Non Non
la circulation
L’article 1240 du Code civil dispose que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à
autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Il s’agit du
fondement de la responsabilité du fait personnel.
Mais qu’est-ce que la responsabilité du fait personnel ? Quelles sont précisément les
conditions posées par l’article 1240 du Code civil pour que cette responsabilité s’applique ?
Et quel est le régime de l’action en responsabilité fondée sur l’article 1240 du Code civil ?
Dans cet article, nous allons répondre à toutes ces questions.
La responsabilité du fait personnel : définition
Pour bien comprendre la responsabilité du fait personnel, il faut d’abord la situer dans son
contexte juridique.
Au sein de la responsabilité civile, on distingue la responsabilité délictuelle de
la responsabilité contractuelle.
La responsabilité contractuelle s’applique uniquement quand :
il existe un contrat entre l’auteur du dommage et la victime ; et
la victime a subi un dommage causé par un manquement contractuel de son cocontractant.
Dans tous les autres cas, c’est la responsabilité délictuelle qui s’applique. Autrement dit, la
responsabilité délictuelle s’applique dès lors qu’il n’y a pas de contrat.
Plus précisément, la responsabilité délictuelle suppose la réunion de 3 conditions :
Un fait générateur de responsabilité
Un dommage
Un lien de causalité entre le fait générateur et le dommage
Le dommage et le lien de causalité sont les constantes de la responsabilité délictuelle ; pour
qu’il y ait responsabilité délictuelle, il faut nécessairement un dommage, et un lien de
causalité entre le fait générateur et le dommage.
En revanche, les faits générateurs sont variables. En effet, la responsabilité délictuelle peut
avoir pour fait générateur :
une faute. C’est dans ce cas précis qu’on parle de responsabilité du fait personnel, fondée
sur l’article 1240 du Code civil.
le fait d’une chose. On parle alors de responsabilité du fait des choses. Le fondement de
la responsabilité du fait des choses est l’article 1242 du Code civil, selon lequel « on est
responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore
de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que
l’on a sous sa garde ». La responsabilité du fait des choses suppose donc qu’un dommage
soit causé par le fait d’une chose dont on a la garde.
le fait d’autrui. On parle alors de responsabilité du fait d’autrui, fondée elle aussi sur
l’article 1242 du Code civil qui dispose qu’ « on est responsable non seulement du
dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par
le fait des personnes dont on doit répondre… ». La responsabilité du fait d’autrui
suppose donc qu’une personne ait la garde d’une autre personne, et que la personne gardée
ait commis un fait à l’origine d’un dommage (exemple : la responsabilité des parents du
fait de leur enfant mineur).
La responsabilité du fait personnel est donc celle qui est engagée par une faute
dommageable propre au responsable, ce dernier apparaissant à la fois comme l’auteur
et le responsable du dommage. Si sa responsabilité au titre de l’article 1240 du Code civil
est engagée, l’auteur de la faute qui a causé le dommage doit procéder à la réparation du
préjudice subi par la victime, qui peut se traduire par l’allocation de dommages et intérêts ou
la réparation en nature.
Ainsi, la responsabilité du fait personnel suppose l’existence d’une faute du responsable.
Cette exigence de faute est d’ailleurs clairement formulée par l’article 1240 du Code civil qui
dispose que le dommage doit être réparé par « celui par la faute duquel il est arrivé ».
C’est en cela que la responsabilité du fait personnel se distingue de la responsabilité du fait
des choses et de la responsabilité du fait d’autrui, qui sont des responsabilités de plein droit. A
ce titre, ces dernières ne supposent pas l’établissement d’une faute du responsable :
en cas de responsabilité du fait des choses, la responsabilité du gardien de la chose est
engagée, même s’il n’a commis aucune faute.
de même, la responsabilité du fait d’autrui n’exige pas que le gardien d’autrui ait commis
une faute.
Les conditions d’application de la responsabilité du
fait personnel
Au regard des développements précédents, on comprend que la responsabilité du fait
personnel issue de l’article 1240 du Code civil suppose la réunion des 3 conditions suivantes :
une faute
un dommage
un lien de causalité entre la faute et le dommage
Nous allons maintenant expliquer plus en détails chacune de ces 3 conditions.
La faute
Traditionnellement, la faute était constituée de deux éléments :
un élément objectif
un élément subjectif
Aujourd’hui, l’élément subjectif n’est plus nécessaire. Seul subsiste l’élément objectif.
La nécessité d’un élément objectif
Pour qu’il y ait faute, il faut un comportement humain illicite, qui peut être un acte
positif ou une abstention. Concrètement, la personne n’a pas agi de la bonne manière :
soit elle a fait ce qu’elle n’aurait pas dû faire ;
soit elle n’a pas fait ce qu’elle aurait dû faire (il peut s’agir d’une obligation imposée par
la loi ou d’une obligation professionnelle). C’est dans ce cas qu’on parle d’abstention.
Ainsi, ce comportement humain illicite peut consister en :
une contrariété du comportement à une norme juridique impérative ; ou
une absence de conformité du comportement à celui normalement attendu, en
référence à l’homme raisonnable placé dans les mêmes circonstances de fait et exerçant
une même activité. Exemple : un sportif engage sa responsabilité envers un autre sportif
dès lors qu’est établie une faute caractérisée par une violation des règles du jeu du sport
concerné (Cass. Civ. 2ème, 23 sept. 2004). Pour autant une simple maladresse sans
agressivité n’est pas suffisante à qualifier un manquement aux règles du sport (Cass. Civ.
2ème, 16 nov. 2000).
La disparition de la nécessité d’un élément subjectif
Auparavant, la responsabilité pour faute d’une personne ne pouvait être engagée que si cette
dernière était dotée de discernement. C’est dire qu’il n’était pas possible d’engager la
responsabilité pour faute d’un mineur dépourvu de discernement, ou d’un dément.
La nécessité de cet élément subjectif pour qualifier une faute a été remise en cause par souci
de protection des victimes.
C’est progressivement une définition objective de la faute qui a été adoptée : on peut être
fautif sans pour autant avoir conscience de la portée de son acte.
Ainsi, la faute peut aussi bien être volontaire qu’être une faute d’imprudence ou
de négligence (article 1241 du Code civil). En effet, la faute civile ne requiert aucun élément
intentionnel (Cass. Civ. 2ème, 23 nov. 1972).
Aujourd’hui, l’auteur du dommage, même mineur, peut voir sa responsabilité engagée sur le
fondement de l’article 1240 du Code civil, sa minorité ne faisant pas obstacle à sa
condamnation personnelle (Cass. Civ. 2ème, 20 oct. 2016, n° 15-25.465).
Le dommage
On parle indifféremment de dommage ou de préjudice pour désigner une atteinte subie par
une personne par le fait d’un tiers.
Si l’on veut être tout à fait précis, le dommage correspond à l’atteinte même, alors que le
préjudice correspond à la traduction juridique de l’atteinte. Par exemple, dans le cas d’une
blessure corporelle, le dommage est constitué par la blessure en elle-même, tandis que le
préjudice correspond aux souffrances endurées du fait de la blessure.
Il existe différentes sortes de dommages qui, pour donner lieu à réparation, doivent remplir un
certain nombre de conditions.
Les catégories de dommages
Une personne peut subir une atteinte :
à son patrimoine, c’est-à-dire à ses intérêts patrimoniaux ou économiques. On parle
de préjudice matériel ou économique. Exemples : destruction d’un bien, perte de chiffre
d’affaires, impossibilité pour une personne d’exercer une activité lucrative…
à ses droits ou intérêts extra-patrimoniaux. On parle de préjudice moral. Exemples : une
atteinte à la vie privée, la perte d’un proche, un adultère…
à son intégrité physique. Il s’agit du préjudice corporel. Exemples :
une blessure corporelle.
un préjudice esthétique, consistant en la persistance d’une disgrâce physique.
un préjudice sexuel, comme par exemple des troubles de l’érection.
un préjudice d’agrément, qui correspond à l’impossibilité de pratiquer une
activité (sportive ou de loisirs).
A noter que le champ des préjudices réparables tend à s’élargir :
le préjudice d’angoisse est réparé que la maladie soit avérée ou éventuelle (Cass. Civ.
2ème, 2 février 2017, n°16-11.411 : sur l’indemnisation de souffrances endurées au titre du
préjudice lié à l’angoisse d’une mort imminente).
le préjudice écologique est codifié aux articles 1246 à 1252 du Code civil.
Les caractères du dommage
Pour que le dommage soit réparable sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, il doit
être direct, certain et légitime.
Le caractère direct
Le caractère direct du dommage signifie que le dommage doit en principe être la suite directe
de l’accident ; il doit être immédiat, subi personnellement par la victime.
Il existe toutefois des cas où le préjudice n’est pas immédiat, notamment s’il est une
conséquence du préjudice immédiat subi par une autre personne. On parle alors de préjudice
par ricochet.
Ce type de préjudice peut parfois être indemnisé. Par exemple, si le décès d’un homme dans
un accident prive de ressources sa femme et ses enfants, alors ces derniers peuvent, en tant
que victimes par ricochet, demander réparation du dommage qu’ils ont personnellement subi.
En outre, les proches peuvent être indemnisés même s’ils n’ont pas de lien de parenté ou
d’alliance avec la victime (Cass. Ch. Mixte, 27 févr. 1970). Et ils peuvent être indemnisés
dans d’autres hypothèses que le décès de la victime. Exemple : la douleur de voir un être cher
souffrir.
Le caractère certain
Pour que la responsabilité de l’auteur du dommage soit engagée, le dommage doit également
être certain, c’est-à-dire avoir une existence certaine.
Par conséquent :
un préjudice purement éventuel ne peut être réparé.
un préjudice futur peut être réparé s’il est certain.
De plus, la perte de chance est un préjudice certain appelant réparation, dont le montant
s’élèvera à une fraction de la situation favorable espérée. Pour rappel, il y a perte de chance
chaque fois qu’un dommage a fait disparaître une probabilité qu’un événement positif pour la
victime se réalise, ou une probabilité qu’un événement négatif ne se réalise pas.
Le caractère légitime
Pour être réparable, le dommage doit être légitime. On considère que le dommage n’est pas
légitime s’il est contraire à l’ordre public et aux bonnes meurs.
Exemple : un dommage consistant en une perte de rémunération provenant d’un travail non
déclaré (Cass. Civ. 2ème, 24 janvier 2002, n°99-16576). Dans un tel cas, le dommage ne pourra
pas être réparé.
Le lien de causalité
Pour que la responsabilité du fait personnel issue de l’article 1240 du Code civil soit retenue,
il faut un lien de causalité entre le dommage et la faute. Ainsi, la faute doit être la cause du
dommage, elle doit être à l’origine du dommage.
Mais parfois, plusieurs éléments ont concouru à la réalisation d’un dommage, et il n’est alors
pas toujours évident de ne retenir qu’une seule et unique cause du dommage
C’est pourquoi les juges utilisent deux théories différentes pour apprécier l’existence du lien
de causalité :
La théorie de l’équivalence des conditions : Il s’agit de considérer que chaque élément
qui a concouru à la réalisation du dommage en est une cause. Pourra alors être retenu
un lien de causalité entre un élément et un dommage alors même que cet élément n’a été
qu’un facteur parmi d’autres dans la réalisation du dommage. Par exemple, la Cour de
cassation a considéré qu’il existait un lien de causalité entre la faute d’un restaurateur
ayant continué de servir de l’alcool à un individu ivre et le décès dudit individu en raison
d’une bagarre avec un autre client (Cass. Civ. 2ème, 20 juin 2002, n° 99-19.782). C’est
une conception large de la causalité.
La théorie de la causalité adéquate : Il s’agit de ne retenir qu’une seule cause
génératrice du dommage : celle qui a mené directement à la réalisation du dommage,
celle qui était susceptible de provoquer le dommage dans le cours normal des choses.
Tous les autres éléments sont exclus, si on ne pouvait pas vraisemblablement prévoir
qu’ils causeraient le dommage. C’est une conception étroite de la causalité.
La jurisprudence utilise alternativement ces deux théories pour apprécier l’existence d’un lien
de causalité. Ainsi, l’appréciation du lien de causalité se fait au cas par cas.
Toutefois, il existe des tendances générales. Ainsi, en matière de responsabilité pour faute
au titre de l’article 1240 du Code civil, la jurisprudence a tendance à utiliser la théorie
de l’équivalence des conditions ; dès qu’une faute a participé à la réalisation du
dommage, alors elle en est une cause.
Les causes d’exonération de la responsabilité du
fait personnel
A titre de précision, on parle d’exonération lorsqu’une personne échappe à la responsabilité
qu’elle aurait dû encourir.
Puisque les 3 conditions de la responsabilité du fait personnel sont cumulatives, le non-respect
d’une d’entre elles suffit à s’exonérer de sa responsabilité, et donc à empêcher la réparation
du préjudice subi par la victime.
Plus précisément, pour s’exonérer, le défendeur peut démontrer :
que sa faute est en réalité dépourvue de caractère fautif. On parle alors de « fait
justificatif ».
que le lien de causalité entre sa faute et le dommage a été rompu par un évènement qui lui
est étranger et qui a causé le dommage. On parle de « cause étrangère ».
Les faits justificatifs de la faute
Contrairement à ce que prévoit l’article 1240 du Code civil, une faute dommageable peut être
accomplie dans certaines circonstances qui ont pour effet de lui retirer son caractère illicite.
C’est ce qu’on appelle un fait justificatif ; la faute est justifiée en raison de circonstances
particulières déterminées par la loi et la jurisprudence.
Le fait justificatif prive la faute de son caractère illicite. Il supprime donc l’une des 3
conditions nécessaires pour engager la responsabilité du fait personnel. Dès lors, en présence
d’un fait justificatif, l’auteur de la faute ne verra pas sa responsabilité engagée.
Nous allons maintenant détailler les différents faits justificatifs, en distinguant les faits
justificatifs issus de la responsabilité pénale du fait justificatif lié à l’accord de la victime.
Les faits justificatifs issus de la responsabilité pénale
Certains faits justificatifs applicables en matière pénale s’appliquent également en matière
civile. Ce sont :
L’ordre ou la permission de la loi (article 122-4 du Code pénal). Lorsque la loi prescrit
ou autorise la conduite qui a amené à la faute, la faute ne saurait être reprochée à son
auteur.
Le commandement de l’autorité légitime (article 122-4 du Code pénal). De même que
l’ordre donné par la loi, l’ordre donné par un supérieur hiérarchique prive la faute de son
caractère illicite.
L’état de nécessité (article 122-7 du Code pénal). L’état de nécessité désigne le fait de
causer un dommage à un bien ou à une personne afin d’en éviter un qui serait plus
important. Exemple : pour sauver des vies humaines.
La légitime défense (article 122-5 du Code pénal). En effet, si la légitime défense est
reconnue par le juge pénal, alors la responsabilité du défendeur ne pourra pas être engagée
devant le juge civil (Cass. Civ. 2ème, 22 avril 1992).
Le fait justificatif lié à l’accord de la victime
Le consentement de la victime fait en principe disparaître le caractère illicite de la faute à
l’origine du dommage (Cass. Civ., 3ème, 1er oct. 1975). Il empêche donc d’engager la
responsabilité de l’auteur de la faute sur le fondement de l’article 1240 du Code civil.
Pour autant, il ne permet pas de justifier une atteinte à l’intégrité physique de la victime
(article 16-1 du Code civil), sauf exceptions légales (article 16-3 du Code civil). Exemples :
en cas d’intervention médicale, ou dans un but thérapeutique.
Les causes étrangères
Une cause étrangère est un évènement qui est étranger au défendeur et qui a causé le
dommage, dans le sens où sans cette cause étrangère, le dommage ne se serait pas produit.
Les causes étrangères font disparaître le lien de causalité entre le dommage et la faute. En
l’absence de lien de causalité, la responsabilité du défendeur au titre de l’article 1240 du Code
civil ne pourra donc pas être engagée.
On sait que depuis les arrêts Teffaine et Jand’heur, la responsabilité du fait des choses est
une responsabilité de plein droit, sans exigence de faute. Mais quelles sont les conditions qui
permettent de mettre en jeu cette responsabilité ?
Il existe 4 conditions pour mettre en jeu la responsabilité du fait des choses :
un dommage
une chose
un fait actif de la chose
la garde de la chose
Lorsque les 4 conditions ci-dessus sont remplies, la responsabilité du gardien de la chose est
engagée ; ce dernier doit indemniser la victime.
Cet article n’a pas vocation à traiter du dommage qui s’apprécie de la même manière en
matière de responsabilité du fait des choses qu’en matière de responsabilité du fait
personnel ou de responsabilité du fait d’autrui.
Il s’agira donc d’analyser les 3 autres conditions nécessaires à la responsabilité du fait des
choses : la chose, le fait actif de la chose et la garde de la chose.
La chose
Pour engager la responsabilité du gardien de la chose, il faut d’abord être en présence
d’une chose.
Le principe est que toutes les choses peuvent être sources de responsabilité, qu’elles soient
meubles ou immeubles (exemples : arbres, falaises…), matérielles ou immatérielles
(exemples : ondes sonores, vapeur, images télévisées…), inertes ou en mouvement, viciées ou
pas, dangereuses ou non.
Ainsi, même une chose qui ne présente absolument aucun caractère de dangerosité peut entrer
dans le champ d’application de l’article 1242 alinéa 1 du Code civil. On peut citer un exemple
parlant : celui de la feuille de salade qui provoque la chute d’une cliente dans un hypermarché
(TGI Montpellier, 13 déc. 2010).
Toutefois, il existe des exceptions à ce principe. Ainsi, l’application de la responsabilité du
fait des choses est impossible pour :
le corps humain, car celui-ci n’est pas considéré comme une chose. Cependant, la
jurisprudence applique parfois l’article 1242 alinéa 1 du Code civil à un dommage causé
par le corps humain lorsque ce dernier constitue un tout avec la chose. Exemple : un choc
entre deux cyclistes (Cass. Crim. 21 juin 1990). Ici la responsabilité du fait des choses
sera applicable au corps humain car ce dernier constitue un tout avec le vélo, qui est bien
évidemment une chose.
les choses sans maître ou res nullius (exemples : l’eau, l’air, la neige…) et les choses
abandonnées ou res derelictae (exemple : les déchets), car elles n’ont pas de gardien.
les choses soumises à un régime particulier. Exemples : les animaux (article 1243 du
Code civil), les bâtiments en ruine (article 1244 du Code civil), les véhicules terrestres
à moteur (loi du 5 juillet 1985), les produits défectueux (loi du 19 mai 1998)…
Le fait actif de la chose
La deuxième condition à la responsabilité du fait des choses est que le dommage soit causé
par un fait actif de la chose.
Cela signifie que la chose doit être l’instrument du dommage, qu’elle doit avoir joué un rôle
actif dans la réalisation du dommage. Cette condition de rôle actif a été posée par la Cour de
cassation dans son arrêt Dame Cadé du 19 février 1941. Ainsi selon la Cour : « pour
l’application de l'[ancien]article 1384 alinéa 1er du Code civil, la chose incriminée doit être
la cause du dommage ; que si elle est présumée en être la cause génératrice dès lors
qu’inerte ou non elle est intervenue dans sa réalisation, le gardien peut détruire cette
présomption en prouvant que la chose n’a joué qu’un rôle purement passif, qu’elle a
seulement subi l’action étrangère génératrice du dommage« .
On comprend donc bien qu’une chose ne peut pas être source de responsabilité si elle
est inerte, dans une position normale, dans un état normal et fonctionne
normalement (Cass. Civ. 2 , 11 janv. 1995 ; Cass. Civ. 2 , 11 sept. 2014). A ce moment-là,
ème ème
elle n’aura en effet joué aucun rôle actif dans la survenance du dommage. Il n’y aura pas eu
de fait actif de la chose puisque la chose n’aura fait que subir l’action étrangère de la victime.
Par ailleurs, l’arrêt Dame Cadé pose une présomption de rôle actif liée à l’intervention de la
chose dans la réalisation du dommage. Cette présomption de rôle actif a été précisée par la
suite, et notamment dans un arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de
cassation en date du 28 novembre 1984. Ainsi selon la Cour, il existe une présomption de
rôle actif quand la chose est entrée en contact avec le siège du dommage alors qu’elle
était en mouvement. Cela semble logique car une chose qui était en mouvement et qui est
entrée en contact avec la victime a vraisemblablement joué un rôle actif dans la survenance du
dommage.
Toutefois, si la chose était en mouvement mais qu’elle n’est pas entrée en contact avec le
siège du dommage, la présomption de rôle actif est écartée. Il appartiendra alors à la victime
de rapporter la preuve du fait actif de la chose. Par exemple, le skieur qui chute à cause d’un
autre skieur qui lui a coupé la route (mais qui ne l’a pas touché) doit prouver le rôle actif de la
chose (Cass. Civ. 2ème, 3 avril 1978). Le rôle actif de la chose s’entend du caractère
anormal de la chose dans sa position (exemple : dans un supermarché, la feuille de salade ou
la peau de banane qui est sur le sol), son état (exemple : un escalier glissant) ou
son fonctionnement.
Pour ce qui est des choses inertes, il n’y a pas non plus de présomption de rôle actif.
Vraisemblablement, dans le cas d’une chose inerte, le dommage est plutôt dû à l’action
étrangère de la victime qu’à l’intervention de la chose. Ce sera donc également à la victime de
rapporter la preuve du fait actif de la chose, en démontrant le caractère anormal de la
chose dans sa position, son état ou son fonctionnement.
A noter que suite à ces arrêts de principe, la jurisprudence a parfois appliqué la responsabilité
du fait des choses à des choses n’ayant pas joué un rôle actif dans la survenance du dommage.
Exemple : une boîte aux lettres contre laquelle on se cogne (Cass. Civ. 2ème, 25 oct. 2001).
Mais la jurisprudence la plus récente est dans la lignée de la jurisprudence traditionnelle et
exige ainsi la preuve du rôle actif joué par la chose inerte pour permettre l’application de la
responsabilité du fait des choses (Cass. Civ. 2ème, 27 mars 2014).
La garde de la chose
La garde de la chose est la troisième condition pour fonder la responsabilité du fait des
choses.
La garde de la chose peut se définir comme le pouvoir de fait exercé sur la chose. Le gardien
est celui qui a la garde matérielle de la chose, c’est-à-dire l’usage, la direction et
le contrôle de la chose.
Premier point important : le discernement n’est pas une condition pour être gardien de la
chose. Par exemple : un enfant peut être gardien de la chose (Cass. Ass. Plén., 9 mai 1984,
Gabillet).
Deuxième point important : le principe est qu’il ne peut pas y avoir deux gardiens
responsables d’une même chose. Mais la jurisprudence admet parfois qu’il puisse y
avoir plusieurs gardiens en raison d’une garde collective. Il faut que les différents gardiens
exercent des pouvoirs identiques sur la chose (Cass. Civ. 2ème, 20 nov. 1968), et qu’il
n’existe aucune hiérarchie entre eux (Cass. Civ. 2ème, 8 mars 1995). La victime peut alors
engager la responsabilité in solidum des différents gardiens ; chacun des gardiens pourra être
tenu d’indemniser la victime. Exemple : dans le cas d’un accident de chasse avec
impossibilité de déterminer le tireur, les chasseurs verront leur responsabilité engagée in
solidum.
Troisième point important : la jurisprudence distingue parfois entre la garde de la
structure et la garde du comportement (Cass. 5 janv. 1956, Oxygène Liquide) pour
déterminer le gardien de la chose :
Lorsque le dommage est dû à la structure de la chose, c’est-à-dire à ses vices internes, à
la manière dont elle a été constituée, c’est le fabricant qui sera considéré comme le
gardien.
Lorsque le dommage est dû au comportement de la chose, c’est-à-dire à la manière dont
elle a été utilisée, c’est le détenteur, l’utilisateur de la chose, qui sera considéré comme
le gardien.
Pour de plus amples développements sur la garde de la chose, je vous invite à consulter mon
article spécialement dédié à ce sujet, avec notamment une analyse de l’arrêt Franck du 2
décembre 1941. Cliquez ici pour consulter l’article.
L’article 1242 alinéa 1 du Code civil dispose qu’on est responsable du dommage causé par
les « choses que l’on a sous sa garde« .
Plus précisément, la garde de la chose est l’une des conditions nécessaires pour mettre en jeu
la responsabilité du fait des choses, au même titre que le dommage ou le fait actif de la chose.
Mais que faut-il entendre par garde de la chose ?
La définition de la garde de la chose
La garde de la chose peut se définir comme le pouvoir de fait exercé sur la chose.
Le gardien est celui qui a la garde matérielle de la chose, c’est-à-dire l’usage, la direction et
le contrôle de la chose.
L’usage désigne la maîtrise de la chose, le fait de se servir de la chose dans son intérêt.
La direction, c’est le fait de décider de la finalité de l’usage.
Le contrôle désigne enfin la capacité à empêcher le fonctionnement anormal de la chose.
Ainsi, le propriétaire de la chose est présumé en être le gardien. Mais on comprend que ce
ne sera pas toujours le propriétaire qui sera considéré comme gardien de la chose. Pourrait en
effet être considéré comme gardien le simple détenteur (exemples : dans le cas d’un vol ou
d’un emprunt) de la chose, si ce dernier a les pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle sur
la chose.
Cette conception matérielle de la garde de la chose a été principalement dégagée par l’arrêt
Franck du 2 décembre 1941.
La détermination du gardien de la chose : l’arrêt
Franck du 2 décembre 1941
Dans l’arrêt Franck, la Cour de cassation affirme que le propriétaire peut renverser la
présomption de garde de la chose qui pèse sur lui en prouvant qu’il n’a plus l’usage, la
direction et le contrôle de la chose. La présomption de garde sur le propriétaire est donc
une présomption simple.
Les faits
Monsieur Franck se fait voler sa voiture dans la nuit du 24 au 25 décembre 1929.
Au cours de cette même nuit, cette voiture, sous la conduite du voleur, renverse et blesse
mortellement une personne.
La procédure
Une action en responsabilité est mise en œuvre par les héritiers de la victime à l’encontre de
Monsieur Franck, propriétaire de la voiture.
Dans un premier arrêt, la Cour de cassation retient la responsabilité de Monsieur Franck au
motif qu’en tant que propriétaire de la voiture, il en a conservé la garde malgré le vol (Cass.
Civ. 3 mars 1936). Ce faisant, la Cour consacre la thèse de la garde juridique de la
chose : peu importe le pouvoir de fait exercé sur la chose, seul le pouvoir de droit compte.
La Cour d’appel de renvoi n’adopte toutefois pas la même position. Selon elle, la garde de la
voiture a été transférée au voleur et Monsieur Franck ne peut donc pas voir sa responsabilité
engagée (CA Besançon, 25 févr. 1937).
La solution retenue par l’arrêt Franck
Dans un arrêt du 2 décembre 1941, les chambres réunies de la Cour de cassation adoptent
finalement le même raisonnement que celui qui avait été retenu par les juges du fond de la
Cour d’appel de Besançon. La Cour énonce que Monsieur Franck, « privé de l’usage, de la
direction et du contrôle de sa voiture, n’en avait plus la garde et n’était plus dès lors soumis
à la présomption de responsabilité édictée par l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ».
C’est la consécration de la conception matérielle de la garde de la chose : à partir du
moment où le propriétaire n’a plus l’usage, la direction et le contrôle de la chose, alors il n’en
a plus la garde et ne sera donc pas responsable du dommage causé par la chose.
Cela signifie que le propriétaire peut renverser la présomption de responsabilité qui pèse sur
lui s’il n’est pas le gardien de la chose.
Cette solution doit être approuvée et se justifie sans difficultés. Il serait en effet totalement
injuste de retenir la responsabilité du propriétaire de la chose alors que ce dernier n’était
absolument pas en position d’empêcher la réalisation du dommage. Celui à qui l’on a volé sa
chose n’est pour rien dans le fait que celle-ci a ensuite causé un dommage ; il ne doit donc pas
être condamné à payer !
On assiste donc avec l’arrêt Franck à une résurgence de l’idée de faute comme condition de
la responsabilité du fait des choses : si le propriétaire est pour quelque chose dans la
réalisation du dommage, alors il est responsable, et s’il n’y est pour rien alors il ne l’est pas.
L’arrêt Franck s’inscrit donc à contre-courant du mouvement d’objectivation de la
responsabilité du fait des choses incarné par les arrêts Teffaine et Jand’heur.
La responsabilité du fait des animaux (article 1243 du Code civil, anciennement article
1385 du Code civil) constitue l’un des régimes spéciaux de responsabilité du fait des choses,
au même titre que :
la responsabilité du fait des bâtiments en ruine (article 1244 du Code civil)
la responsabilité du fait des incendies (article 1242 alinéa 2 du Code civil)
le régime d’indemnisation des victimes d’un accident de la circulation (loi Badinter du
5 juillet 1985)
la responsabilité du fait des produits défectueux (loi du 19 mai 1998)
Selon l’article 1243 du Code civil, « le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert,
pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que
l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé ».
De manière générale, les conditions d’application ainsi que le régime de la responsabilité du
fait des animaux sont similaires aux conditions et au régime de la responsabilité du fait des
choses.
Les conditions d’application de l’article 1243 du
Code civil
Les conditions pour que l’article 1243 du Code civil s’applique sont les suivantes :
un dommage
un animal
un fait actif de l’animal
la garde de l’animal
Cet article n’a pas vocation à traiter en détails du dommage puisque cette condition s’apprécie
de la même manière en matière de responsabilité du fait des animaux qu’en matière
de responsabilité du fait des choses de manière générale, de responsabilité du fait
personnel ou encore de responsabilité du fait d’autrui.
L’animal
En ce qui concerne la condition liée à la présence d’un animal, il faut souligner que l’article
1243 du Code civil s’applique à tous les animaux, excepté les animaux qui ne sont pas
appropriés, qui sont des res nullius. On peut citer à titre d’exemple les bêtes sauvages.
Mais hormis ce cas particulier des res nullius, l’article 1243 du Code civil pourra s’appliquer
à toutes sortes d’animaux : animaux de compagnie, animaux de ferme, animaux appartenant à
un zoo ou à un cirque…
Le fait actif de l’animal
La responsabilité du fait des animaux suppose également un fait actif de l’animal. Il y a fait
actif de l’animal lorsque ce dernier a eu un rôle causal dans la réalisation du dommage.
Il suffit que l’animal ait causé le dommage : peu importe qu’il y’ait eu contact ou non entre
l’animal et la victime ! Par exemple, si une personne effrayée par un animal chute et se blesse,
alors il y a un fait actif de l’animal alors même qu’il n’y a eu aucun contact entre l’animal et
la victime.
La garde de l’animal
Enfin, l’article 1243 du Code civil s’applique à la personne qui a la garde de l’animal. Il
s’agit, selon le texte, du propriétaire de l’animal ou de celui qui s’en sert. On comprend que
leur responsabilité est alternative et non cumulative : le gardien sera soit le propriétaire de
l’animal, soit celui qui s’en sert.
Comme en matière de responsabilité du fait des choses, la jurisprudence considère que le
gardien est celui qui a les pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle de l’animal.
Exemples :
un vétérinaire (Cass. Civ. 2ème, 17 juillet 1967)
la personne qui prend en charge le chien du voisin confié par ce dernier pendant une
absence de plusieurs jours (CA Versailles, 13 févr. 1998)
Peu importe que l’animal se soit égaré ou ait échappé à la surveillance de son propriétaire ou
de son gardien au moment de la réalisation du dommage. Ce dernier reste responsable du fait
de son animal puisque le régime de la responsabilité du fait des animaux n’est pas liée à la
surveillance de l’animal mais à la garde.
De la même manière qu’en matière de responsabilité du fait des choses, le propriétaire de
l’animal est présumé en être le gardien.
Il s’agit toutefois d’une présomption simple. Le propriétaire pourra renverser cette
présomption en prouvant qu’il n’avait pas la garde matérielle de l’animal au moment de la
réalisation du dommage, que les pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle de l’animal
avaient été confiés à un tiers (CA Riom, 11 janv. 2017).
Si vous voulez mieux comprendre cette notion de garde, vous pouvez consulter mon article
sur la garde de la chose en cliquant ici.
Le régime de l’article 1243 du Code civil
La responsabilité du fait des animaux est une responsabilité de plein droit.
La victime n’a pas à rapporter la preuve de la faute du gardien et, inversement, le gardien ne
pourra pas s’exonérer en invoquant son absence de faute.
Le gardien n’aura d’autre choix pour s’exonérer que de prouver que le dommage est dû à
une cause étrangère, c’est-à-dire à :
un cas de force majeure. La force majeure peut se définir comme un
évènement imprévisible, irrésistible et extérieur. Le gardien devra donc démontrer que
l’animal a agi de façon imprévisible, irrésistible et extérieure. On peut citer comme
exemple un animal effrayé par le tonnerre.
un fait d’un tiers. Par exemple : un animal effrayé ou excité par une autre personne.
la faute de la victime. Elle sera partiellement exonératoire de responsabilité pour le
gardien de l’animal si la victime a simplement joué un rôle dans la réalisation du
dommage, en plus de celui joué par l’animal. Elle sera en revanche totalement
exonératoire de responsabilité si la faute de la victime est l’unique cause de la réalisation
du dommage.
La responsabilité du fait des produits défectueux est codifiée, depuis la réforme opérée par
l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016, aux articles 1245 et suivants du Code civil.
Ces articles sont issus d’une loi du 19 mai 1998 qui a transposé en droit interne une directive
du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et
administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits
défectueux.
La responsabilité du fait des produits défectueux peut se définir comme l’obligation pesant sur
le producteur ou le fabricant d’un bien n’offrant pas la sécurité à laquelle on peut
légitimement s’attendre de réparer le dommage causé par celui-ci.
Il s’agit d’une responsabilité qui ignore la distinction entre responsabilité
délictuelle et responsabilité contractuelle. Ainsi, la responsabilité du fait des produits
défectueux sera applicable au producteur, que ce dernier soit lié ou non par un contrat avec la
victime (article 1245 du Code civil).
Voyons d’abord le champ d’application de la responsabilité du fait des produits défectueux,
avant de nous intéresser à son régime juridique.
La responsabilité du fait des produits défectueux :
champ d’application
Le champ d’application de la responsabilité du fait des produits défectueux est spécifique, tant
d’un point de vue temporel, que personnel et matériel.
Le champ d’application temporel
La responsabilité du fait des produits défectueux ne s’applique qu’aux produits mis en
circulation après la date d’entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998, soit le 21 mai 1998.
Pour les produits mis en circulation avant le 21 mai 1998, il faut distinguer deux cas :
Pour les produits mis en circulation avant le 30 juillet 1988 (date à laquelle aurait dû
être transposée en droit interne la directive du 25 juillet 1985 sur la responsabilité du fait
des produits défectueux) : c’est le droit commun interne (anciens articles 1382 et 1147 du
Code civil) qui est applicable.
Pour les produits mis en circulation entre le 30 juillet 1988 et le 21 mai 1998 : le droit
commun reste applicable, mais il doit être interprété conformément à la directive du 25
juillet 1985.
Le champ d’application personnel
La responsabilité du fait des produits défectueux s’applique au producteur du produit
défectueux (article 1245 du Code civil).
Le producteur peut se définir comme, « lorsqu’il agit à titre professionnel, le fabricant d’un
produit fini, le producteur d’une matière première, le fabricant d’une partie
composante » (article 1245-5 du Code civil).
Par exemple, si vous subissiez un dommage du fait d’un défaut de votre smartphone, vous
pourriez engager la responsabilité du producteur de votre smartphone. Admettons qu’il
s’agisse d’un Iphone, vous pourriez alors agir en responsabilité contre Apple en tant que
fabricant du produit fini.
Toutefois, un certain nombre de matières premières de l’Iphone proviennent d’Afrique ou de
Chine. La responsabilité du fait des produits défectueux pourrait donc également s’appliquer à
ces producteurs africains ou chinois en tant que producteurs d’une matière première.
Enfin, avant d’être assemblées dans les usines de Foxconn en Chine, les différentes pièces de
l’Iphone sont produites un peu partout dans le monde, et notamment en Europe, en Asie de
l’Est et en Amérique du Nord. Vous pourriez donc aussi engager la responsabilité des
fabricants de ces parties composantes au titre de la responsabilité du fait des produits
défectueux.
Le champ d’application matériel
En ce qui concerne les dommages : la responsabilité du fait des produits défectueux
s’applique aussi bien aux dommages aux personnes qu’aux dommages aux biens. Un
produit défectueux peut en effet causer un dommage tant à une personne qu’à un bien.
Toutefois, elle ne s’applique qu’aux biens qui ont subi un dommage dont le montant est
supérieur à 500 euros (décret du 11 février 2005). Sont donc exclus les petits dommages aux
biens !
Par ailleurs, elle ne s’applique pas non plus aux dommages que les produits défectueux
causent à eux-mêmes (article 1245-1 du Code civil).
En ce qui concerne les produits : la responsabilité du fait des produits défectueux s’applique
aux dommages causés par les produits défectueux mis en circulation.
Un produit s’entend de « tout bien meuble, même s’il est incorporé dans un
immeuble » (article 1245-2 du Code civil).
En outre, le produit doit être mis en circulation, dans le sens où le producteur doit s’en être
dessaisi volontairement (article 1245-4 du Code civil). La mise en circulation correspond à
la mise sur le marché du produit, à sa commercialisation.
Enfin, le produit doit être défectueux. Un produit est considéré comme défectueux « lorsqu’il
n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre » (article 1245-3 al. 1 du
Code civil).
La défectuosité du produit est donc appréciée in abstracto, en prenant pour référence le public
en général.
La défectuosité est également appréciée en tenant compte de toutes les circonstances et
notamment de :
la présentation du produit. Par exemple, si les informations et mises en garde relatives à
l’utilisation du produit sont insuffisantes, le produit pourra être considéré comme
défectueux (Cass. Civ. 1ère, 7 nov. 2006).
l’usage qui peut en être raisonnablement attendu. Par exemple, si les risques inhérents
au produit sont trop importants par rapport aux bénéfices, alors le produit est défectueux
(Cass. Civ. 1ère, 24 janv. 2006).
le moment de sa mise en circulation (article 1245-3 al. 2 du Code civil).
La responsabilité du fait des produits défectueux :
régime juridique
Les conditions de la responsabilité du fait des produits
défectueux
Trois conditions sont exigées pour engager la responsabilité du producteur du fait d’un
produit défectueux :
Un dommage
Un défaut du produit
Un lien de causalité entre le défaut et le dommage
Les effets de la responsabilité du fait des produits défectueux
La responsabilité du fait des produits défectueux est une responsabilité de plein droit, sans
exigence de faute. Le producteur ne pourra donc s’exonérer que dans certaines hypothèses.
Ces hypothèses d’exonération peuvent être divisées en deux catégories.
Certaines sont spécifiques à la responsabilité du fait des produits défectueux et énumérées
à l’article 1245-10 du Code civil. Ainsi le producteur peut s’exonérer en prouvant que :
le produit n’était pas mis en circulation
le défaut est né postérieurement à la mise en circulation du produit
le produit n’était pas destiné à être vendu ou distribué
l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où le produit a été mis
en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut. A noter que ce défaut de
connaissances s’apprécie objectivement, et non par rapport aux connaissances du
producteur.
le défaut est dû au respect de normes impératives
Il existe également d’autres hypothèses d’exonération, fondées sur le droit commun. Il s’agit
de :
la faute de la victime (article 1245-12 du Code civil). Si le dommage qu’a subi la victime
est due à sa faute, alors le producteur ne peut pas être tenu responsable. Par exemple, si
vous vous brûlez avec votre fer à repasser, vous ne pourrez pas engager la responsabilité
du producteur du fer à repasser, car le dommage que vous avez subi est dû à une faute de
maladresse de votre part.
le fait de la nature. Une catastrophe naturelle par exemple.
A noter que le fait du tiers n’est pas une cause d’exonération en matière de responsabilité
du fait des produits défectueux (article 1245-13 du Code civil). Ainsi, même si un tiers a
concouru à la réalisation du dommage, le producteur reste pleinement responsable (Cass. Civ.
1ère, 28 nov. 2018, n° 17-14.356).
La prescription applicable en matière de responsabilité du
fait des produits défectueux
L’action de la victime à l’encontre du producteur est encadrée par deux délais.
D’abord, la victime ne peut plus agir contre le producteur après l’écoulement d’un délai de 10
ans à compter de la mise en circulation du produit (article 1245-15 du Code civil). Ainsi,
si le produit a été commercialisé il y a plus de 10 ans, il n’est plus possible d’agir contre le
producteur.
Ensuite, si le dommage survient dans le délai de 10 ans susvisé, alors l’action en réparation
fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux se prescrit dans un délai de trois
ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance
du dommage, du défaut et de l’identité du producteur (article 1245-16 du Code civil).
L’article 1242 alinéa 1 du Code civil dispose qu’on est responsable du dommage causé par
les « choses que l’on a sous sa garde« .
Plus précisément, la garde de la chose est l’une des conditions nécessaires pour mettre en jeu
la responsabilité du fait des choses, au même titre que le dommage ou le fait actif de la chose.
Mais que faut-il entendre par garde de la chose ?
La définition de la garde de la chose
La garde de la chose peut se définir comme le pouvoir de fait exercé sur la chose.
Le gardien est celui qui a la garde matérielle de la chose, c’est-à-dire l’usage, la direction et
le contrôle de la chose.
L’usage désigne la maîtrise de la chose, le fait de se servir de la chose dans son intérêt.
La direction, c’est le fait de décider de la finalité de l’usage.
Le contrôle désigne enfin la capacité à empêcher le fonctionnement anormal de la chose.
Ainsi, le propriétaire de la chose est présumé en être le gardien. Mais on comprend que ce
ne sera pas toujours le propriétaire qui sera considéré comme gardien de la chose. Pourrait en
effet être considéré comme gardien le simple détenteur (exemples : dans le cas d’un vol ou
d’un emprunt) de la chose, si ce dernier a les pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle sur
la chose.
Cette conception matérielle de la garde de la chose a été principalement dégagée par l’arrêt
Franck du 2 décembre 1941.
La détermination du gardien de la chose : l’arrêt
Franck du 2 décembre 1941
Dans l’arrêt Franck, la Cour de cassation affirme que le propriétaire peut renverser la
présomption de garde de la chose qui pèse sur lui en prouvant qu’il n’a plus l’usage, la
direction et le contrôle de la chose. La présomption de garde sur le propriétaire est donc
une présomption simple.
Les faits
Monsieur Franck se fait voler sa voiture dans la nuit du 24 au 25 décembre 1929.
Au cours de cette même nuit, cette voiture, sous la conduite du voleur, renverse et blesse
mortellement une personne.
La procédure
Une action en responsabilité est mise en œuvre par les héritiers de la victime à l’encontre de
Monsieur Franck, propriétaire de la voiture.
Dans un premier arrêt, la Cour de cassation retient la responsabilité de Monsieur Franck au
motif qu’en tant que propriétaire de la voiture, il en a conservé la garde malgré le vol (Cass.
Civ. 3 mars 1936). Ce faisant, la Cour consacre la thèse de la garde juridique de la
chose : peu importe le pouvoir de fait exercé sur la chose, seul le pouvoir de droit compte.
La Cour d’appel de renvoi n’adopte toutefois pas la même position. Selon elle, la garde de la
voiture a été transférée au voleur et Monsieur Franck ne peut donc pas voir sa responsabilité
engagée (CA Besançon, 25 févr. 1937).
La solution retenue par l’arrêt Franck
Dans un arrêt du 2 décembre 1941, les chambres réunies de la Cour de cassation adoptent
finalement le même raisonnement que celui qui avait été retenu par les juges du fond de la
Cour d’appel de Besançon. La Cour énonce que Monsieur Franck, « privé de l’usage, de la
direction et du contrôle de sa voiture, n’en avait plus la garde et n’était plus dès lors soumis
à la présomption de responsabilité édictée par l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ».
C’est la consécration de la conception matérielle de la garde de la chose : à partir du
moment où le propriétaire n’a plus l’usage, la direction et le contrôle de la chose, alors il n’en
a plus la garde et ne sera donc pas responsable du dommage causé par la chose.
Cela signifie que le propriétaire peut renverser la présomption de responsabilité qui pèse sur
lui s’il n’est pas le gardien de la chose.
Cette solution doit être approuvée et se justifie sans difficultés. Il serait en effet totalement
injuste de retenir la responsabilité du propriétaire de la chose alors que ce dernier n’était
absolument pas en position d’empêcher la réalisation du dommage. Celui à qui l’on a volé sa
chose n’est pour rien dans le fait que celle-ci a ensuite causé un dommage ; il ne doit donc pas
être condamné à payer !
On assiste donc avec l’arrêt Franck à une résurgence de l’idée de faute comme condition de
la responsabilité du fait des choses : si le propriétaire est pour quelque chose dans la
réalisation du dommage, alors il est responsable, et s’il n’y est pour rien alors il ne l’est pas.
L’arrêt Franck s’inscrit donc à contre-courant du mouvement d’objectivation de la
responsabilité du fait des choses incarné par les arrêts Teffaine et Jand’heur.
La responsabilité du fait des animaux (article 1243 du Code civil, anciennement article
1385 du Code civil) constitue l’un des régimes spéciaux de responsabilité du fait des choses,
au même titre que :
la responsabilité du fait des bâtiments en ruine (article 1244 du Code civil)
la responsabilité du fait des incendies (article 1242 alinéa 2 du Code civil)
le régime d’indemnisation des victimes d’un accident de la circulation (loi Badinter du
5 juillet 1985)
la responsabilité du fait des produits défectueux (loi du 19 mai 1998)
Selon l’article 1243 du Code civil, « le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert,
pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que
l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé ».
De manière générale, les conditions d’application ainsi que le régime de la responsabilité du
fait des animaux sont similaires aux conditions et au régime de la responsabilité du fait des
choses.
Les conditions d’application de l’article 1243 du
Code civil
Les conditions pour que l’article 1243 du Code civil s’applique sont les suivantes :
un dommage
un animal
un fait actif de l’animal
la garde de l’animal
Cet article n’a pas vocation à traiter en détails du dommage puisque cette condition s’apprécie
de la même manière en matière de responsabilité du fait des animaux qu’en matière
de responsabilité du fait des choses de manière générale, de responsabilité du fait
personnel ou encore de responsabilité du fait d’autrui.
L’animal
En ce qui concerne la condition liée à la présence d’un animal, il faut souligner que l’article
1243 du Code civil s’applique à tous les animaux, excepté les animaux qui ne sont pas
appropriés, qui sont des res nullius. On peut citer à titre d’exemple les bêtes sauvages.
Mais hormis ce cas particulier des res nullius, l’article 1243 du Code civil pourra s’appliquer
à toutes sortes d’animaux : animaux de compagnie, animaux de ferme, animaux appartenant à
un zoo ou à un cirque…
Le fait actif de l’animal
La responsabilité du fait des animaux suppose également un fait actif de l’animal. Il y a fait
actif de l’animal lorsque ce dernier a eu un rôle causal dans la réalisation du dommage.
Il suffit que l’animal ait causé le dommage : peu importe qu’il y’ait eu contact ou non entre
l’animal et la victime ! Par exemple, si une personne effrayée par un animal chute et se blesse,
alors il y a un fait actif de l’animal alors même qu’il n’y a eu aucun contact entre l’animal et
la victime.
La garde de l’animal
Enfin, l’article 1243 du Code civil s’applique à la personne qui a la garde de l’animal. Il
s’agit, selon le texte, du propriétaire de l’animal ou de celui qui s’en sert. On comprend que
leur responsabilité est alternative et non cumulative : le gardien sera soit le propriétaire de
l’animal, soit celui qui s’en sert.
Comme en matière de responsabilité du fait des choses, la jurisprudence considère que le
gardien est celui qui a les pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle de l’animal.
Exemples :
un vétérinaire (Cass. Civ. 2ème, 17 juillet 1967)
la personne qui prend en charge le chien du voisin confié par ce dernier pendant une
absence de plusieurs jours (CA Versailles, 13 févr. 1998)
Peu importe que l’animal se soit égaré ou ait échappé à la surveillance de son propriétaire ou
de son gardien au moment de la réalisation du dommage. Ce dernier reste responsable du fait
de son animal puisque le régime de la responsabilité du fait des animaux n’est pas liée à la
surveillance de l’animal mais à la garde.
De la même manière qu’en matière de responsabilité du fait des choses, le propriétaire de
l’animal est présumé en être le gardien.
Il s’agit toutefois d’une présomption simple. Le propriétaire pourra renverser cette
présomption en prouvant qu’il n’avait pas la garde matérielle de l’animal au moment de la
réalisation du dommage, que les pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle de l’animal
avaient été confiés à un tiers (CA Riom, 11 janv. 2017).
Si vous voulez mieux comprendre cette notion de garde, vous pouvez consulter mon article
sur la garde de la chose en cliquant ici.
Le régime de l’article 1243 du Code civil
La responsabilité du fait des animaux est une responsabilité de plein droit.
La victime n’a pas à rapporter la preuve de la faute du gardien et, inversement, le gardien ne
pourra pas s’exonérer en invoquant son absence de faute.
Le gardien n’aura d’autre choix pour s’exonérer que de prouver que le dommage est dû à
une cause étrangère, c’est-à-dire à :
un cas de force majeure. La force majeure peut se définir comme un
évènement imprévisible, irrésistible et extérieur. Le gardien devra donc démontrer que
l’animal a agi de façon imprévisible, irrésistible et extérieure. On peut citer comme
exemple un animal effrayé par le tonnerre.
un fait d’un tiers. Par exemple : un animal effrayé ou excité par une autre personne.
la faute de la victime. Elle sera partiellement exonératoire de responsabilité pour le
gardien de l’animal si la victime a simplement joué un rôle dans la réalisation du
dommage, en plus de celui joué par l’animal. Elle sera en revanche totalement
exonératoire de responsabilité si la faute de la victime est l’unique cause de la réalisation
du dommage.
La loi Badinter du 5 juillet 1985 institue un régime spécial d’indemnisation pour les
victimes d’un accident de la circulation. Il s’agit d’un cas particulier de responsabilité du
fait des choses, au même titre que :
la responsabilité du fait des produits défectueux
la responsabilité du fait des animaux
la responsabilité du fait des bâtiments en ruine
Ainsi, pour obtenir réparation de son préjudice, la victime d’un accident de la circulation ne
peut se fonder que sur la loi du 5 juillet 1985, à l’exclusion de la responsabilité délictuelle et
de la responsabilité contractuelle : « l’indemnisation d’une victime d’un accident de la
circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ne peut être fondée que
sur les dispositions de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 » (Cass. Civ. 2ème, 4 mai 1987).
Dans cet article, nous allons voir ensemble les conditions d’application de la loi Badinter,
avant de nous intéresser aux causes d’exonération possibles.
Les conditions d’application de la loi Badinter du 5
juillet 1985
La loi Badinter du 5 juillet 1985 ne s’applique que si un certain nombre de conditions sont
réunies. Ces conditions sont liées soit à l’évènement, soit aux personnes.
Les conditions liées à l’évènement
Pour que la loi Badinter du 5 juillet 1985 s’applique, il faut 4 conditions liées à l’évènement :
un véhicule terrestre à moteur
un accident de la circulation
l’implication du véhicule terrestre à moteur dans l’accident
un dommage causé par l’accident
Un véhicule terrestre à moteur
Il faut d’abord un véhicule terrestre à moteur (VTAM).
L’article L110-1 du Code de la route définit le VTAM comme « tout véhicule terrestre
pourvu d’un moteur de propulsion, y compris les trolleybus, et circulant sur route par ses
moyens propres, à l’exception des véhicules qui se déplacent sur rails ».
Un VTAM est donc un véhicule qui circule sur le sol et qui est muni d’une force
motrice. Exemples : une voiture, un camion, un bus, un tracteur…
Inversement, ne sont pas des VTAM, au sens de la loi Badinter, les trains, les tramways, les
vélos, etc…
Un accident de la circulation
Il faut, ensuite, un accident de la circulation.
Cet accident doit être involontaire, non intentionnel ; il doit s’agir d’un évènement fortuit,
qui n’était pas prévu.
Il doit également s’agir d’un accident de la route : la loi Badinter du 5 juillet 1985 n’est
applicable que si le dommage est causé par la fonction de déplacement du véhicule.
A titre d’exemple, la loi Badinter du 5 juillet 1985 sera applicable si au moment de l’accident,
le VTAM était en déplacement ou stationnait sur la voie publique.
A l’inverse, l’application de la loi Badinter du 5 juillet 1985 sera exclue si :
le VTAM est à l’arrêt
le seul élément du VTAM à l’origine du dommage est étranger à sa fonction de
déplacement. Par exemple, la loi Badinter du 5 juillet 1985 ne sera pas applicable si le
VTAM est utilisé comme outil (engin de chantier) ou comme instrument de
travail (camion-pizza).
L’implication du véhicule terrestre à moteur dans l’accident
Il faut, également, une implication du VTAM dans l’accident.
A ce titre, lorsque le VTAM a été en contact avec le siège du dommage, on considère qu’il
est impliqué dans l’accident. Il s’agit d’une présomption irréfragable, qui ne peut être
renversée.
Peu importe que le VTAM soit à l’arrêt ou en mouvement ; il suffit qu’il y’ait contact (Cass.
Civ. 2ème, 25 janv. 1995).
Mais s’il n’y a pas eu contact, il peut tout de même y avoir implication. C’est alors à
la victime de prouver que le VTAM a joué un rôle dans l’accident (Cass. Civ. 2ème, 25 mai
1994). Exemple : le VTAM roulait si vite qu’il a perturbé le conducteur d’un autre VTAM, ce
qui a causé l’accident.
Un dommage causé par l’accident
Il faut, enfin, un dommage causé par l’accident.
Le dommage doit donc être rattaché à l’accident. S’il est rattaché à un autre événement que
l’accident dans lequel est impliqué le VTAM, il n’est alors pas indemnisable sur le fondement
de la loi Badinter du 5 juillet 1985. On pense notamment aux hypothèses où le dommage
survient postérieurement à l’accident.
Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il y’a une présomption simple de causalité entre l’accident et le
dommage quand le dommage est concomitant à l’accident, c’est-à-dire quand il survient au
même moment (Cass. Civ. 2ème, 16 oct. 1991).
En revanche, lorsque le dommage ne survient pas au même moment que l’accident ou dans un
laps de temps proche, c’est alors à la victime de prouver que le dommage a été causé par
l’accident.
Point important : en cas d’accident complexe avec une série d’accidents (plusieurs VTAM),
la jurisprudence considère qu’il s’agit d’un seul accident dans lequel sont impliqués tous les
VTAM intervenus à un moment ou à un autre (Cass. Civ. 2ème, 17 juin 2010). La victime peut
donc engager la responsabilité de n’importe quel conducteur ou gardien.
Les conditions liées aux personnes
Outre les conditions liées à l’évènement en lui-même, la loi Badinter du 5 juillet 1985 ne va
s’appliquer qu’à certaines personnes.
En premier lieu, la loi Badinter du 5 juillet 1985 s’applique aux victimes d’accidents de la
circulation. Sont visées toutes les victimes, que ce soit les piétons, les passagers, les cyclistes,
etc… Toutes ces personnes peuvent obtenir réparation de leur préjudice sur le fondement de
la loi Badinter. Il faut également y ajouter les victimes par ricochet, c’est-à-dire les tiers qui
ont subi un dommage du fait des dommages causés à la victime directe ou aux victimes
directes de l’accident.
En second lieu, la loi Badinter du 5 juillet 1985 ne s’applique qu’à l’encontre
du conducteur ou du gardien du VTAM impliqué dans l’accident. Cela signifie que les
victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un VTAM ne peuvent être
indemnisées, sur le fondement de la loi Badinter, que par le conducteur ou gardien du VTAM.
A noter que la victime gardienne mais non conductrice du VTAM impliqué dans l’accident
peut se prévaloir de la loi Badinter contre le conducteur du VTAM (Cass. Civ. 2ème, 3 oct.
1990). De même, la victime conductrice mais non gardienne du VTAM impliqué dans
l’accident peut se prévaloir de loi Badinter contre le gardien (Cass. Civ. 2ème, 28 janv. 1998).
Si vous voulez en savoir plus sur cette notion de garde, vous pouvez consulter mon article sur
le sujet en cliquant ici.
Loi Badinter du 5 juillet 1985 : les causes
d’exonération
Lorsque les conditions d’application de la loi Badinter du 5 juillet 1985 sont satisfaites, la
victime peut alors réclamer la réparation de son préjudice.
Mais quelles sont les causes d’exonération possibles pour le conducteur ou gardien du VTAM
impliqué dans l’accident ?
L’inopposabilité à la victime du fait de la nature et du fait
du tiers
Contrairement au droit commun de la responsabilité du fait des choses, le conducteur ou le
gardien du VTAM ne peut pas s’exonérer en invoquant le fait de la nature ou le fait d’un
tiers (article 2 de la loi Badinter du 5 juillet 1985).
La seule cause d’exonération possible : la faute de la victime
Le conducteur ou le gardien du VTAM impliqué dans l’accident ne pourra s’exonérer qu’en
prouvant la faute de la victime.
La preuve d’une faute de la victime ne conduira toutefois pas à exonérer la responsabilité du
conducteur ou du gardien du VTAM en toute hypothèse.
Il convient de distinguer selon que le dommage est un dommage aux biens ou à la
personne.
En cas de dommage à la personne
Si le dommage à réparer est un dommage à la personne, il faut alors distinguer selon que la
victime est conductrice ou non :
Si la victime n’est pas conductrice : elle ne peut se voir opposer sa faute que dans deux
hypothèses :
Si elle a volontairement recherché le dommage (article 3 alinéa 3 de la loi
Badinter du 5 juillet 1985). Exemple : un suicide.
Si elle a commis une faute inexcusable, ladite faute étant l’unique cause de
l’accident. A noter que la faute inexcusable est entendue comme« une faute
volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son
auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience » (Cass. Civ. 2ème, 2
mars 2017). Exemple : traverser une autoroute.
Si la victime est conductrice :
La faute commise par la victime conductrice d’un VTAM a pour effet
de limiter ou d’exclure l’indemnisation des dommages qu’elle a subis
(article 4 de la loi Badinter du 5 juillet 1985). Exemple : dans un
embouteillage, un motard remonte une file de véhicules par la gauche, ne voit
qu’au dernier moment qu’une voiture, ayant mis son clignotant, tourne à
gauche, et heurte alors cette voiture. Ici, le défaut d’attention et de maîtrise de
son véhicule par le motard sont constitutifs d’une faute. Son droit à
indemnisation pourra donc se voir limité.
Pour pouvoir lui être opposée, la faute de la victime conductrice d’un
VTAM doit avoir causé le dommage.
Les juges du fond ont un pouvoir souverain d’appréciation pour déterminer
si la faute de la victime conductrice d’un VTAM doit exclure ou
simplement limiter l’indemnisation (Cass. Civ. 2ème, 22 nov. 2012).
En cas de dommage aux biens
La faute de la victime a pour effet de limiter ou d’exclure l’indemnisation des dommages
aux biens qu’elle a subis (article 5 alinéa 1 de la loi Badinter du 5 juillet 1985).
Ici aussi, les juges du fond ont un pouvoir souverain d’appréciation pour déterminer si la
faute de la victime doit exclure ou simplement limiter l’indemnisation (Cass. Civ. 2ème, 28
janv. 1998).
Concernant la victime par ricochet
Le principe est que la faute de la victime directe peut être opposée par le défendeur à la
victime par ricochet si cette faute pouvait être opposée à la victime directe elle-
même (Cass. Civ. 2ème, 4 nov. 1987).
Si tel est bien le cas, la faute de la victime directe aura alors pour effet de limiter ou
d’exclure l’indemnisation du dommage subi par la victime par ricochet (article 6 de la loi
Badinter du 5 juillet 1985).
La responsabilité du fait des produits défectueux est codifiée, depuis la réforme opérée par
l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016, aux articles 1245 et suivants du Code civil.
Ces articles sont issus d’une loi du 19 mai 1998 qui a transposé en droit interne une directive
du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et
administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits
défectueux.
La responsabilité du fait des produits défectueux peut se définir comme l’obligation pesant sur
le producteur ou le fabricant d’un bien n’offrant pas la sécurité à laquelle on peut
légitimement s’attendre de réparer le dommage causé par celui-ci.
Il s’agit d’une responsabilité qui ignore la distinction entre responsabilité
délictuelle et responsabilité contractuelle. Ainsi, la responsabilité du fait des produits
défectueux sera applicable au producteur, que ce dernier soit lié ou non par un contrat avec la
victime (article 1245 du Code civil).
Voyons d’abord le champ d’application de la responsabilité du fait des produits défectueux,
avant de nous intéresser à son régime juridique.
La responsabilité du fait des produits défectueux :
champ d’application
Le champ d’application de la responsabilité du fait des produits défectueux est spécifique, tant
d’un point de vue temporel, que personnel et matériel.
Le champ d’application temporel
La responsabilité du fait des produits défectueux ne s’applique qu’aux produits mis en
circulation après la date d’entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998, soit le 21 mai 1998.
Pour les produits mis en circulation avant le 21 mai 1998, il faut distinguer deux cas :
Pour les produits mis en circulation avant le 30 juillet 1988 (date à laquelle aurait dû
être transposée en droit interne la directive du 25 juillet 1985 sur la responsabilité du fait
des produits défectueux) : c’est le droit commun interne (anciens articles 1382 et 1147 du
Code civil) qui est applicable.
Pour les produits mis en circulation entre le 30 juillet 1988 et le 21 mai 1998 : le droit
commun reste applicable, mais il doit être interprété conformément à la directive du 25
juillet 1985.
Le champ d’application personnel
La responsabilité du fait des produits défectueux s’applique au producteur du produit
défectueux (article 1245 du Code civil).
Le producteur peut se définir comme, « lorsqu’il agit à titre professionnel, le fabricant d’un
produit fini, le producteur d’une matière première, le fabricant d’une partie
composante » (article 1245-5 du Code civil).
Par exemple, si vous subissiez un dommage du fait d’un défaut de votre smartphone, vous
pourriez engager la responsabilité du producteur de votre smartphone. Admettons qu’il
s’agisse d’un Iphone, vous pourriez alors agir en responsabilité contre Apple en tant que
fabricant du produit fini.
Toutefois, un certain nombre de matières premières de l’Iphone proviennent d’Afrique ou de
Chine. La responsabilité du fait des produits défectueux pourrait donc également s’appliquer à
ces producteurs africains ou chinois en tant que producteurs d’une matière première.
Enfin, avant d’être assemblées dans les usines de Foxconn en Chine, les différentes pièces de
l’Iphone sont produites un peu partout dans le monde, et notamment en Europe, en Asie de
l’Est et en Amérique du Nord. Vous pourriez donc aussi engager la responsabilité des
fabricants de ces parties composantes au titre de la responsabilité du fait des produits
défectueux.
Le champ d’application matériel
En ce qui concerne les dommages : la responsabilité du fait des produits défectueux
s’applique aussi bien aux dommages aux personnes qu’aux dommages aux biens. Un
produit défectueux peut en effet causer un dommage tant à une personne qu’à un bien.
Toutefois, elle ne s’applique qu’aux biens qui ont subi un dommage dont le montant est
supérieur à 500 euros (décret du 11 février 2005). Sont donc exclus les petits dommages aux
biens !
Par ailleurs, elle ne s’applique pas non plus aux dommages que les produits défectueux
causent à eux-mêmes (article 1245-1 du Code civil).
En ce qui concerne les produits : la responsabilité du fait des produits défectueux s’applique
aux dommages causés par les produits défectueux mis en circulation.
Un produit s’entend de « tout bien meuble, même s’il est incorporé dans un
immeuble » (article 1245-2 du Code civil).
En outre, le produit doit être mis en circulation, dans le sens où le producteur doit s’en être
dessaisi volontairement (article 1245-4 du Code civil). La mise en circulation correspond à
la mise sur le marché du produit, à sa commercialisation.
Enfin, le produit doit être défectueux. Un produit est considéré comme défectueux « lorsqu’il
n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre » (article 1245-3 al. 1 du
Code civil).
La défectuosité du produit est donc appréciée in abstracto, en prenant pour référence le public
en général.
La défectuosité est également appréciée en tenant compte de toutes les circonstances et
notamment de :
la présentation du produit. Par exemple, si les informations et mises en garde relatives à
l’utilisation du produit sont insuffisantes, le produit pourra être considéré comme
défectueux (Cass. Civ. 1ère, 7 nov. 2006).
l’usage qui peut en être raisonnablement attendu. Par exemple, si les risques inhérents
au produit sont trop importants par rapport aux bénéfices, alors le produit est défectueux
(Cass. Civ. 1ère, 24 janv. 2006).
le moment de sa mise en circulation (article 1245-3 al. 2 du Code civil).
La responsabilité du fait des produits défectueux :
régime juridique
Les conditions de la responsabilité du fait des produits
défectueux
Trois conditions sont exigées pour engager la responsabilité du producteur du fait d’un
produit défectueux :
Un dommage
Un défaut du produit
Un lien de causalité entre le défaut et le dommage
Les effets de la responsabilité du fait des produits défectueux
La responsabilité du fait des produits défectueux est une responsabilité de plein droit, sans
exigence de faute. Le producteur ne pourra donc s’exonérer que dans certaines hypothèses.
Ces hypothèses d’exonération peuvent être divisées en deux catégories.
Certaines sont spécifiques à la responsabilité du fait des produits défectueux et énumérées
à l’article 1245-10 du Code civil. Ainsi le producteur peut s’exonérer en prouvant que :
le produit n’était pas mis en circulation
le défaut est né postérieurement à la mise en circulation du produit
le produit n’était pas destiné à être vendu ou distribué
l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où le produit a été mis
en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut. A noter que ce défaut de
connaissances s’apprécie objectivement, et non par rapport aux connaissances du
producteur.
le défaut est dû au respect de normes impératives
Il existe également d’autres hypothèses d’exonération, fondées sur le droit commun. Il s’agit
de :
la faute de la victime (article 1245-12 du Code civil). Si le dommage qu’a subi la victime
est due à sa faute, alors le producteur ne peut pas être tenu responsable. Par exemple, si
vous vous brûlez avec votre fer à repasser, vous ne pourrez pas engager la responsabilité
du producteur du fer à repasser, car le dommage que vous avez subi est dû à une faute de
maladresse de votre part.
le fait de la nature. Une catastrophe naturelle par exemple.
A noter que le fait du tiers n’est pas une cause d’exonération en matière de responsabilité
du fait des produits défectueux (article 1245-13 du Code civil). Ainsi, même si un tiers a
concouru à la réalisation du dommage, le producteur reste pleinement responsable (Cass. Civ.
1ère, 28 nov. 2018, n° 17-14.356).
La prescription applicable en matière de responsabilité du
fait des produits défectueux
L’action de la victime à l’encontre du producteur est encadrée par deux délais.
D’abord, la victime ne peut plus agir contre le producteur après l’écoulement d’un délai de 10
ans à compter de la mise en circulation du produit (article 1245-15 du Code civil). Ainsi,
si le produit a été commercialisé il y a plus de 10 ans, il n’est plus possible d’agir contre le
producteur.
Ensuite, si le dommage survient dans le délai de 10 ans susvisé, alors l’action en réparation
fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux se prescrit dans un délai de trois
ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance
du dommage, du défaut et de l’identité du producteur (article 1245-16 du Code civil).
L’arrêt Perruche est sans doute l’un des arrêts qui a fait couler le plus d’encre. Il s’agit d’un
arrêt rendu le 17 novembre 2000 par l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation au sujet de
l’éventuelle réparation du préjudice engendré par la naissance d’un enfant handicapé. Son
impact médiatique a été très important et les critiques ont rapidement plu sur cet arrêt, tant de
la part des juristes que des philosophes, médecins, journalistes…
Les faits étaient les suivants : Une femme enceinte pense être atteinte de la rubéole. Elle
décide de faire des tests auprès d’un médecin et d’un laboratoire d’analyses médicales. Après
la phase de tests, le médecin lui assure qu’elle est immunisée contre la maladie, qu’elle ne
présente que de « simples traces d’une rubéole, insusceptibles d’affecter l’enfant à naître ».
La femme enceinte prend donc la décision de ne pas interrompre sa grossesse. Finalement,
elle donne naissance à un enfant lourdement handicapé qui présente les symptômes de la
rubéole.
Les parents assignent alors en responsabilité le médecin et le laboratoire d’analyses
médicales. Selon eux, le mauvais diagnostic effectué par le médecin et le laboratoire les a
empêché d’interrompre la grossesse avant son terme. La particularité de leur demande tient au
fait qu’ils demandent réparation non seulement de leur propre préjudice (d’avoir un enfant
handicapé), mais également du préjudice subi personnellement par leur enfant (d’être né
handicapé). Dans un arrêt du 17 décembre 1993, la Cour d’appel de Paris ne fait pas droit à la
totalité de leur demande ; elle énonce que seul le préjudice subi par les parents doit être
réparé. Selon les juges du fond, le préjudice subi par l’enfant n’a pas à être indemnisé puisque
le handicap étant déjà existant avant les diagnostics, il n’a pas été causé par l’erreur du
médecin. Mais la Cour de cassation, dans un arrêt du 26 mars 1996, casse cet arrêt au motif
qu’il a refusé de réparer le préjudice subi par l’enfant. C’est pourquoi l’affaire est renvoyée
devant une seconde cour d’appel, la Cour d’appel d’Orléans. Le 5 février 1999, la Cour
d’appel d’Orléans rend sa décision ; elle considère, au même titre que la Cour d’appel de
Paris, que le préjudice de l’enfant n’a pas à être indemnisé. Le litige est donc renvoyé une
nouvelle fois à la Cour de cassation.
Ainsi, dans l’affaire Perruche, deux thèses s’opposent. D’une part, les parents considèrent que
les fautes commises par le médecin et le laboratoire les ont empêché d’interrompre la
grossesse et, par conséquent, que ces fautes sont la cause du préjudice subi par leur enfant en
ce qu’il est né handicapé. D’autre part, les cours d’appel soutiennent que l’enfant n’a pas subi
un préjudice indemnisable en relation de causalité avec les fautes commises (le handicap
n’étant pas directement causé par les fautes mais par la rubéole transmise par sa mère).
Mais au-delà même de la question du lien de causalité, la question qui était posée à la Cour de
cassation était plus vaste : Le fait d’être né handicapé constitue-t-il un préjudice
indemnisable ? Un enfant né handicapé peut-il être indemnisé du fait de sa naissance ?
Le 17 novembre 2000, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, met fin au débat.
Elle rend un arrêt qui restera dans les mémoires comme l’arrêt Perruche. Selon la Cour, les
fautes commises par le médecin et le laboratoire ont bien empêché la mère de procéder à une
interruption volontaire de grossesse « afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un
handicap ». Dès lors, ce dernier peut être indemnisé de son préjudice résultant de ce
handicap.
Ainsi, il ressort de l’arrêt Perruche que la naissance d’un enfant handicapé constitue un
préjudice indemnisable tant pour les parents que pour l’enfant lui-même (I). Il s’agit d’un
arrêt critiquable moralement mais viable juridiquement (II).
I) L’arrêt Perruche : La naissance, un préjudice
indemnisable pour les parents et pour l’enfant
L’arrêt Perruche consacre la naissance d’un enfant handicapé comme un préjudice pouvant
faire l’objet d’une indemnisation, tant pour les parents (A) que pour l’enfant lui-même (B).
A) La naissance, un préjudice indemnisable pour les parents
Dans l’affaire Perruche, les parents agissent sur le fondement de la responsabilité
contractuelle. Ils soutiennent que le médecin et le laboratoire d’analyses médicales ont
commis des fautes contractuelles à l’origine de leur préjudice.
Effectivement, un contrat lie d’une part, les parents, et d’autre part, le médecin et le
laboratoire ; les premiers ont demandé aux derniers de rendre un diagnostic à propos d’un
éventuel risque de maladie pour le futur enfant.
Conformément au droit de la responsabilité civile en matière médicale, les parents devaient
donc prouver la faute du médecin et du laboratoire pour engager leur responsabilité (article L.
1142-1, I du Code de la santé publique). A cet égard, la faute est généralement appréciée de
manière large par la jurisprudence. Ainsi, une erreur de diagnostic, ou une maladresse (Cass.
Civ. 1ère, 20 janv. 2011) peuvent constituer une faute susceptible d’engager la responsabilité
du professionnel de santé.
En l’espèce, le médecin et le laboratoire ont bel et bien commis une erreur de diagnostic en ce
qu’ils ont assuré à la future mère que son enfant ne serait pas affecté par la rubéole. Ce
diagnostic est à l’origine de la décision de la mère de ne pas procéder à une interruption
volontaire de grossesse et donc de la naissance de l’enfant handicapé.
En conséquence, il n’est pas étonnant que la Cour d’appel de Paris, ainsi que les autres
juridictions qui ont suivi l’affaire, aient retenu la faute du médecin et du laboratoire et,
partant, aient accepté d’accorder une indemnisation aux parents du fait de leur préjudice. Il
semble effectivement clair (et cela n’est pas contesté) que le fait que l’enfant soit né
handicapé constitue un préjudice pour les parents.
En réalité, l’originalité de l’arrêt Perruche n’est pas là. Elle réside bien davantage dans
l’indemnisation de l’enfant lui-même.
B) La naissance, un préjudice indemnisable pour l’enfant
lui-même
Dans l’affaire Perruche, les parents ne se contentent pas de demander indemnisation pour leur
propre préjudice. Ils agissent également au nom de leur enfant, afin que ce dernier obtienne
indemnisation du fait du préjudice résultant de son handicap.
Sur ce point, aussi bien la Cour d’appel de Paris que la Cour d’appel d’Orléans avaient
considéré que le préjudice subi par l’enfant n’était pas en relation de causalité avec les fautes
du médecin et du laboratoire. Par conséquent, elles avaient refusé d’accorder une
indemnisation à l’enfant.
L’Assemblée Plénière de la Cour de cassation, dans son arrêt Perruche, prend le contre-pied
de ces décisions en affirmant que puisque les fautes du médecin et du laboratoire ont empêché
la mère d’interrompre sa grossesse et sont donc à l’origine de la naissance de l’enfant, ce
dernier peut obtenir réparation de son préjudice résultant de son handicap et causé par lesdites
fautes.
Il n’est pas inutile de le rappeler : ni les fautes du médecin et du laboratoire, ni le préjudice
subi par l’enfant du fait de son handicap, n’étaient contestés. Le débat portait très clairement
sur l’existence d’un lien de causalité ou non entre les fautes et le préjudice de l’enfant.
A ce titre, si le préjudice de l’enfant est constitué par son handicap, il est clair que ce dernier
n’est pas directement causé par les fautes du médecin et du laboratoire. Il résulte simplement
de l’action du virus de la rubéole contracté par la mère, sur le foetus.
En réalité, la Cour de cassation crée avec l’arrêt Perruche un nouveau poste de préjudice
indemnisable : la naissance. C’est bien la naissance qui est directement causée par les fautes
du médecin et du laboratoire (l’interruption volontaire de grossesse n’ayant pas pu avoir lieu).
C’est donc la naissance en tant que telle qui constitue un préjudice et qui est indemnisée.
Pour autant, ce n’est pas ce que dit la Cour dans son attendu de principe. Cette dernière
énonce en effet que le préjudice de l’enfant résulte du handicap. On comprend bien qu’il eût
été difficile pour la Haute Juridiction d’affirmer haut et fort que le préjudice consistait dans le
fait de vivre avec le handicap, et donc dans la naissance en elle-même. Mais il n’en demeure
pas moins que la formule employée par la Cour est trompeuse et contribue à l’absence de
clarté de sa décision.
L’arrêt Perruche a été la première décision à reconnaître la naissance comme un préjudice
indemnisable pour l’enfant (I). Il s’agit d’une décision critiquable du point de vue de la
morale, mais valable du point de vue juridique (II).
II) L’arrêt Perruche : Un arrêt critiquable
moralement mais viable juridiquement
L’arrêt Perruche a été remis en cause et a fait l’objet de vives critiques, justifiées du point de
vue de la morale (A). Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un arrêt viable du point de vue
strictement juridique (B).
A) L’arrêt Perruche : un arrêt critiquable moralement
Comme expliqué précédemment, l’arrêt Perruche a été condamné de manière quasi-unanime,
tant par les juristes, que par les médecins, philosophes et journalistes. Pour ses détracteurs, la
Cour de cassation aurait considéré (de manière implicite) que l’enfant n’aurait pas dû naître et
que, par conséquent, certaines vies ne vaudraient pas la peine d’être vécues.
A la suite de l’arrêt, de nombreuses voix se sont élevées pour que soit adopté un « dispositif
anti-Perruche ». Ce fut chose faite avec la loi Kouchner du 4 mars 2002 relative aux droits des
malades et à la qualité du système de santé, dite « loi anti-Perruche ». Cette loi vient
s’opposer à la jurisprudence Perruche ; elle affirme en son article premier que « Nul ne peut
se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance ». Ce principe a ensuite été codifié
par la loi du 11 février 2005 relative aux handicapés et à l’égalité des chances à l’article L.
114-5 du Code de l’action sociales et des familles.
Cet article précise également que : « La personne née avec un handicap dû à une faute
médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l’acte fautif a provoqué
directement le handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas permis de prendre les mesures
susceptibles de l’atténuer. Lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement
de santé est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé
pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une
indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges
particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap. La compensation
de ce dernier relève de la solidarité nationale. »
Ainsi, pour que l’enfant handicapé puisse être indemnisé de son préjudice, il faut
impérativement que la faute médicale soit la cause directe de son handicap ; le simple fait de
naître handicapé ne suffit pas pour obtenir une indemnisation. Cette loi s’inscrit donc
complètement à contre-courant de l’arrêt Perruche.
Cependant, le 6 octobre 2005, dans des arrêts Draon et Maurice, la Cour Européenne des
Droits de l’Homme condamne la France au sujet de sa loi anti-Perruche. Quelques mois plus
tard, la première chambre civile de la Cour de cassation, par trois arrêts du 24 janvier 2006 et
un arrêt du 21 février 2006, puis le Conseil d’Etat par un arrêt du 24 février 2006, reprennent
le raisonnement de la Cour Européenne des Droits de l’Homme et écartent l’application de la
loi anti-Perruche. Ce faisant, les hautes juridictions consacrent l’existence du préjudice de
naissance.
Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Dans une décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010, le
Conseil Constitutionnel censure la loi anti-Perruche, mais seulement partiellement : si le
préjudice de naissance reste indemnisable si l’action en justice a été intentée avant l’entrée en
vigueur de la loi anti-Perruche, ce n’est plus le cas si l’action en justice a été intentée après
l’entrée en vigueur de la loi. Dans ce cas-là, le préjudice du seul fait de la naissance ne pourra
pas être indemnisé. Le Conseil sonne ainsi le glas de l’arrêt Perruche.
Mais si l’arrêt Perruche a fait l’objet de nombreuses critiques et a donné lieu à un contentieux
abondant, il reste que cette décision peut se justifier d’un point de vue juridique.
B) L’arrêt Perruche : un arrêt viable juridiquement
On se souvient que d’un point de vue strictement juridique, le débat dans l’affaire Perruche
était le suivant : existe-t-il un lien de causalité entre la faute médicale et le préjudice de
l’enfant ?
A ce sujet, il est bon de rappeler que deux théories différentes permettent d’apprécier
l’existence d’un lien de causalité : la théorie de la causalité adéquate et la théorie de
l’équivalence des conditions. Selon la théorie de la causalité adéquate, il n’existe qu’une seule
cause génératrice du préjudice. Mais selon la théorie de l’équivalence des conditions, il faut
considérer que chaque élément qui a participé à la réalisation du préjudice en est une cause. Il
s’agit d’une conception plus large du lien de causalité.
La jurisprudence n’a pas tranché entre ces deux théories. Elle les utilise donc toutes les deux,
au cas par cas.
En l’espèce, on peut considérer que l’Assemblée Plénière a appliqué la théorie de
l’équivalence des conditions. Certes la faute médicale n’a pas directement causé le préjudice
résultant du handicap de l’enfant. Ce préjudice est avant tout causé par la rubéole. Toutefois,
la faute médicale, en ce qu’elle a empêché la mère d’interrompre sa grossesse, a participé à la
réalisation du préjudice. La théorie de l’équivalence des conditions permet donc de retenir que
la faute médicale est une cause du préjudice et peut donner lieu à indemnisation.
Dès lors, l’arrêt Perruche se justifie au regard du droit positif. La Cour de cassation n’avait
pas nécessairement, comme l’ont fait les deux cours d’appel, à appliquer la théorie de la
causalité adéquate. Elle pouvait tout à fait baser son raisonnement sur la théorie de
l’équivalence des conditions.
En outre, la réparation du préjudice de l’enfant, si elle peut choquer de prime abord, apparaît
au final bienvenue. En effet, en présence d’un dommage corporel, la fonction de la réparation
est de permettre à la victime de retrouver une vie aussi normale que possible. En accordant
une indemnisation à l’enfant, la Cour ne prétend donc absolument pas que ce dernier n’aurait
pas dû vivre. Elle cherche simplement à limiter les conséquences de la faute médicale en
l’aidant à vivre une vie aussi normale que possible, malgré son handicap.
L’arrêt Derguini (Cass. Ass. Plén. 9 mai 1984, n° 80-93.481) fait partie des grands arrêts du
droit de la responsabilité civile. Il traite de la faute, et plus précisément des élements
constitutifs de la faute. On sait en effet que pour être caractérisée, la faute requiert
un comportement humain illicite (soit un acte positif soit une abstention). Il faut donc qu’un
humain fasse ou ne fasse pas quelque chose pour qu’il y ait faute.
Mais la faute nécessite-t-elle également un élément subjectif ? Faut-il avoir conscience des
conséquences de son acte pour commettre une faute au sens du droit de la responsabilité civile
? De manière plus générale, faut-il être doué de discernement pour pouvoir commettre une
faute ?
C’est à cette question que répond l’arrêt Derguini. Intéressons-nous d’abord aux faits de cet
arrêt.
Les faits de l’arrêt Derguini
Une jeune fille de 5 ans, du nom de Fatiha, s’engage brusquement dans la traversée d’une
route sur un passage protégé. L’irruption sur la chaussée ayant été soudaine, elle est alors
renversée par une voiture. A la suite de cet accident, Fatiha décède.
Naturellement, les parents de la jeune fille assignent en responsabilité le conducteur de la
voiture afin d’obtenir indemnisation de leur préjudice.
La procédure
Le 21 janvier 1977, le Tribunal correctionnel de Thionville rend un jugement dans lequel il
décide d’un partage de responsabilité entre le conducteur de la voiture et la jeune fille. En
effet, le tribunal correctionnel retient la faute du conducteur, mais également celle de la jeune
fille en ce qu’elle n’avait pas à traverser la route alors qu’une voiture était sur le point de
passer. La faute de la victime étant une cause d’exonération partielle de responsabilité, la
responsabilité du conducteur est donc réduite, tous comme les dommages et intérêts octroyés
aux parents de la jeune fille. Plus précisément, le tribunal correctionnel considère que la petite
fille est responsable pour moitié de l’accident. Ce faisant, les parents ont droit à des
dommages et intérêts, mais seulement à hauteur de la moitié de leur préjudice.
Mécontents de cette décision, les parents décident de faire appel. L’affaire est portée devant la
Cour d’appel de Metz, qui statue le 1er juillet 1977. La décision de la Cour d’appel de Metz
n’est pas reproduite dans l’arrêt Derguini. Toujours est-il que suite à cette décision, les
parents de la victime forment un pourvoi en cassation.
Dans un arrêt du 13 décembre 1978, la Chambre Criminelle de la Cour de cassation casse
l’arrêt de la Cour d’appel de Metz et renvoie la cause et les parties devant la Cour d’appel de
Nancy.
La Cour d’appel de Nancy rend sa décision le 9 juillet 1980. Elle confirme le jugement
du Tribunal correctionnel de Thionville en date du 21 janvier 1977. Ainsi, selon la Cour
d’appel, la responsabilité est partagée entre le conducteur de la voiture et la jeune fille.
Chacun est responsable pour moitié de l’accident. En particulier, la jeune fille a commis une
faute en traversant le passage alors que la voiture arrivait. Le fait que la jeune fille soit âgée
de 5 ans et donc qu’elle ne soit pas douée de discernenemt, est indifférent.
Une nouvelle fois, les parents de la jeune fille décident de se pourvoir en cassation. Pour eux,
la faute n’est caractérisée qu’en présence d’un élément subjectif ; il faut avoir conscience de
la portée de son acte pour pouvoir commettre une faute. Or il est clair que Fatiha, âgée de 5
ans, n’était pas en mesure de discerner les conséquences de ses actes. Par conséquent, elle n’a
pas commis de faute et seule la faute du conducteur doit être retenue comme cause du
dommage.
La question qui était posée à la Cour de cassation était donc la suivante : un enfant (qui plus
est âgé de 5 ans) peut-il commettre une faute au sens du droit de la responsabilité civile ?
Autrement dit, pour commettre une faute, faut-il être capable de discerner les conséquences de
ses actes ?
L’arrêt Derguini : la consécration de la faute
objective
Dans son arrêt Derguini, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation met fin au débat ; la
jeune fille, en s’engageant sur la route alors qu’une voiture arrivait, a bien commis une faute
au sens de l’ancien article 1382 du Code civil (aujourd’hui article 1240 du Code civil). La
Haute Juridiction relève que selon l’arrêt de la Cour d’appel de Nancy, l’irruption
intempestive de la jeune fille sur la route « avait rendu impossible toute manoeuvre de
sauvetage de l’automobiliste ». Par conséquent, la Cour d’appel a pu valablement retenir que
la jeune fille avait commis une faute qui avait concouru, avec celle du conducteur, à la
réalisation du dommage dans une proportion souverainement appréciée.
La responsabilité est donc partagée entre le conducteur de la voiture et la jeune fille, et
l’indemnisation des parents est réduite.
L’Assemblée Plénière de la Cour de cassation ajoute que la Cour d’appel « n’était pas tenue
de vérifier si la mineure était capable de discerner les conséquences de tels actes ». C’est dire
qu’on peut commettre une faute sans avoir conscience de la portée de ses actes. L’élément
subjectif (en l’occurrence le discernement) n’est plus un élément constitutif de la faute. Un
simple fait humain illicite est suffisant. C’est la consécration de la définition objective de la
faute.
Cet arrêt Derguini doit être analysé en parallèle d’un autre arrêt rendu le 9 mai 1984 par
l’Assemblée Plénière : l’arrêt Lemaire (Cass. Ass. Plén. 9 mai 1984, n° 80-93.031). Dans son
arrêt Lemaire, l’Assemblée Plénière juge également qu’un mineur peut commettre une faute
ayant contribué à la réalisation de son propre dommage, et par conséquent qu’on peut
commettre une faute même si l’on n’est pas capable de discerner les conséquences de ses
actes.
On voit donc que la Cour de cassation a clairement souhaité mettre fin à la nécessité d’un
élément subjectif pour caractériser la faute. Ces arrêts Derguini et Lemaire représentent une
rupture en ce qu’auparavant, il n’était pas possible d’engager la responsabilité d’un mineur
dépourvu de discernement.
Ces deux arrêts ont fait jurisprudence. Aujourd’hui, il ne fait pas de doute qu’un mineur peut
commettre une faute (Cass. Civ. 2ème, 20 oct. 2016, n° 15-25.465). Le discernement n’est plus
une condition de la faute.
L’arrêt Lemaire (Cass. Ass. Plén. 9 mai 1984, n° 80-93.031) est l’un des arrêts essentiels du
droit de la responsabilité civile. Tout comme l’arrêt Derguini (Cass. Ass. Plén. 9 mai 1984, n°
80-93.481), il traite de la notion de faute, et plus particulièrement du discernement.
Traditionnellement, la faute supposait effectivement (outre un élément objectif) un élément
subjectif, ou intentionnel. Ainsi, on ne pouvait être l’auteur d’une faute que si l’on était
capable de discerner les conséquences de ses actes. Il fallait donc être doué de discernement
pour pouvoir commettre une faute. Autrement dit, un enfant, non doué de discernement en
raison de son jeune âge, ne pouvait pas commettre une faute au sens du droit de la
responsabilité civile.
L’arrêt Lemaire (avec l’arrêt Derguini, également rendu le 9 mai 1984 par l’Assemblée
Plénière de la Cour de cassation) est venu renverser ce principe.
Cet article vise à analyser la solution rendue par l’arrêt Lemaire. Avant cela, il convient de
retracer les faits de l’espèce, la procédure et les prétentions des parties.
Les faits de l’arrêt Lemaire
Un ouvrier, prénommé Jacky, effectue des travaux d’électricité dans la dépendance d’une
ferme.
Une dizaine de jours plus tard, un jeune garçon de 13 ans, Dominique, dont les parents
exploitent la ferme en question, pénètre dans la dépendance de la ferme. En essayant de visser
une ampoule à infrarouge dans une douille, il meurt électrocuté.
Les parents de Dominique citent alors Jacky (ainsi que son patron) à comparaître devant le
Tribunal correctionnel de Dunkerque. Ils demandent, outre la condamnation pénale de ces
derniers, la réparation de leur préjudice sur le plan civil.
La procédure et les prétentions des parties
Après un jugement du 11 mai 1979 rendu par le Tribunal correctionnel de Dunkerque,
l’affaire est portée devant la Cour d’appel de Douai.
Dans un arrêt du 28 mai 1980, la Cour d’appel de Douai retient la relaxe du patron de Jacky.
Elle considère ce dernier non coupable du délit d’homicide involontaire. En revanche, pour la
Cour d’appel, Jacky est bien coupable du délit d’homicide involontaire. Elle le condamne à
une amende avec sursis.
Mais c’est surtout sur le plan civil que réside l’intérêt de l’arrêt de la Cour d’appel de Douai.
En effet, la Cour d’appel considère que la responsabilité de la mort de Dominique est partagée
entre Jacky et Dominique lui-même. Plus précisément, elle considère que Jacky n’est
responsable que pour moitié des conséquences de l’accident, et donc que Dominique est
également lui-même responsable pour moitié.
Selon la Cour d’appel, Dominique aurait dû, « avant de visser l’ampoule, couper le courant
en actionannt le disjoncteur ». La Cour d’appel ajoute que « cette précaution était d’autant
plus impérative qu’aucune indication ne pouvait être déduite de la position de l’interrupteur,
celui-ci étant rotatif ». Ainsi, en ne prenant pas ses précautions, Dominique a commis une
faute ayant contribué à la réalisation de son dommage. Il s’agit d’une cause d’exonération
partielle de responsabilité pour Jacky. Par conséquent, le droit à réparation des parents de
Dominique doit être réduit.
Ni les parents de Dominique, ni Jacky, ne sont satisfaits de cette décision de la Cour d’appel
de Douai. Ils décident donc de se pourvoir en cassation.
En particulier, les parents de Dominique considèrent que Jacky devrait être déclaré
entièrement responsable de l’accident. Selon eux, Dominique n’a pas pu commettre de faute
car étant un enfant âgé de 13 ans, il n’était pas capable de discerner les conséquences de ses
actes.
Comme dans l’arrêt Derguini, la Cour de cassation devait donc répondre à la question
suivante : un enfant peut-il commettre une faute au sens du droit de la responsabilité civile ?
Peut-on commettre une faute si l’on est pas capable de discerner les conséquences de ses actes
?
Cette question étant une question de principe, l’affaire a été renvoyée devant l’Assemblée
Plénière.
L’arrêt Lemaire : la consécration de la faute
objective
A la question de savoir si un enfant non doté de discernement peut commettre une faute,
l’Assemblée Plénière, dans son arrêt Lemaire, répond par l’affirmative.
Elle relève que selon l’arrêt de la Cour d’appel de Douai, Dominique « aurait dû, avant de
visser l’ampoule, couper le courant en actionnant le disjoncteur ».
De plus, selon l’Assemblée Plénière, la Cour d’appel n’avait pas à vérifier si Dominique était
capable de discerner les conséquences de son acte. Elle a donc valablement pu estimer, sur le
fondement de l’ancien article 1382 du Code civil (aujourd’hui article 1240 du Code civil), que
Dominique avait commis une faute qui avait participé (avec celle de Jacky) à la réalisation du
dommage.
L’arrêt Lemaire confirme donc le partage de responsabilité entre Jacky et Dominique, et la
réduction du droit à réparation des parents de Dominique.
Il ressort de cet arrêt (et de l’arrêt Derguini) qu’on peut commettre une faute alors même
qu’on n’est pas doté de discernement, alors même que l’on ne peut pas mesurer la portée de
ses actes. Le discernement n’est donc plus une condition de la faute en droit de la
responsabilité civile. C’est la consécration de la faute objective ; il suffit d’un comportement
humain illicite (qui peut être un acte positif ou une abstention) pour caractériser la faute.
L’arrêt Fullenwarth (Cass. Ass. Plén. 9 mai 1984, n° 79-16.612) est l’un des grands arrêts
rendus le 9 mai 1984 par l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation (au même titre que
l’arrêt Derguini et l’arrêt Lemaire).
Il traite de la responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur, et plus précisément de la
question de savoir si l’enfant doit avoir commis une faute pour engager la responsabilité de
ses parents, ou si un simple fait de l’enfant à l’origine du dommage suffit.
La responsabilité des parents du fait de l’enfant suppose en effet un certain nombre de
conditions. En vertu de l’article 1242 alinéa 4 du Code civil (ancien article 1384 alinéa 4 du
Code civil), il faut :
que l’enfant soit mineur au moment des faits (Cass. Civ. 2ème, 25 octobre 1989)
que les parents exercent sur lui l’autorité parentale
que les parents cohabitent avec l’enfant
que l’enfant ait commis un fait à l’origine du dommage
Cependant, pendant longtemps, la jurisprudence et la doctrine exigeaient que l’enfant ait
commis une faute pour engager la responsabilité de ses parents ; un simple fait causal n’était
pas suffisant.
Ainsi, il fallait que l’enfant soit capable de discerner les conséquences de ses actes pour que la
responsabilité des parents puisse être engagée. En effet, avant les arrêts Derguini et Lemaire,
également rendus le 9 mai 1984 par l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation, la faute
supposait un élément intentionnel ; il fallait avoir conscience de la portée de son acte pour
pouvoir être fautif.
L’arrêt Fullenwarth est venu mettre un terme à cette exigence de faute (et donc de
discernement) en affirmant que « pour que soit présumée, sur le fondement de l’article 1384
alinéa 4 du Code civil, la responsabilité des père et mère d’un mineur habitant avec eux, il
suffit que celui-ci ait commis un acte qui soit la cause directe du dommage invoqué par la
victime ».
Les faits de l’arrêt Fullenwarth
Le 4 août 1975, Pascal, jeune garçon âgé de 7 ans, décoche une flèche avec un arc qu’il avait
confectionné en direction de son camarade David, et l’éborgne.
Le père de David décide d’assigner en responsabilité le père de Pascal, en sa qualité de
civilement responsable de son fils Pascal sur le fondement de l’ancien article 1384 alinéa 4 du
Code civil.
La procédure et les prétentions des parties
Dans un arrêt du 25 septembre 1979, la Cour d’appel de Metz déclare le père de Pascal
entièrement responsable des conséquences de l’accident. Selon la Cour d’appel, en décochant
une flèche en direction de son camarade David, Pascal a commis « un acte objectivement
fautif » donnant lieu d’appliquer à l’égard de son père civilement responsable la présomption
de l’ancien article 1384 alinéa 4 du Code civil.
La Cour d’appel considère donc que Pascal a commis une faute. Mais, comme expliqué
précédemment, la faute supposait à cette époque un élément intentionnel. Il fallait avoir
conscience des conséquences de ses actes pour pouvoir commettre une faute.
C’est pourquoi le père de Pascal a décidé se se pourvoir en cassation. Il reproche à la Cour
d’appel de ne pas avoir recherché « si Pascal présentait un discernement suffisant pour que
l’acte puisse lui être imputé à faute ». Il insiste sur le fait que Pascal avait seulement 7 ans
lors de l’accident. Ainsi, selon lui, Pascal n’était pas capable de discerner les conséquences de
ses actes et il ne pouvait donc pas commettre une faute au sens du droit de la responsabilité
civile.
La question qui était posée à la Cour de cassation était donc la suivante : en vue d’engager la
responsabilité de ses parents, peut-on considérer qu’un enfant a commis une faute alors même
qu’il n’était pas doté de discernement ?
Constatant qu’il s’agissait d’une question de principe, le Premier président de la Cour de
Cassation a renvoyé la cause et les parties devant l’Assemblée Plénière.
L’arrêt Fullenwarth : la responsabilité des parents
du fait de l’enfant consacrée comme une
responsabilité de plein droit
Dans son arrêt Fullenwarth, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation rejette le pourvoi du
père de Pascal. Elle affirme que pour engager la responsabilité des parents du fait de leur
enfant mineur, « il suffit que celui-ci ait commis un acte qui soit la cause directe du dommage
invoqué par la victime ».
Ainsi, le fait de l’enfant n’a pas nécessairement à être une faute. Il faut simplement que
l’enfant ait commis un acte qui soit la cause directe du dommage. Il n’est donc pas nécessaire
de rechercher si l’enfant était ou non doté de discernement. La faute n’étant plus exigée pour
engager la responsabilité des parents du fait de leur enfant, a fortiori, le discernement ne l’est
plus non plus.
Par conséquent, étant entendu que Pascal a bien commis un acte qui a causé le dommage, il y
a lieu de retenir la responsabilité de ses parents sur le fondement de l’ancien article 1384
alinéa 4 du Code civil.
Cet arrêt Fullenwarth vient donc consacrer la responsabilité des parents du fait de l’enfant
mineur comme une responsabilité de plein droit, qui n’est pas subordonnée à une faute de
l’enfant. Il s’inscrit dans un vaste mouvement de remise en cause de la faute comme
fondement de responsabilité, par souci de protection des victimes.
Déjà, la loi n° 68-5 du 3 janvier 1968 avait intégré dans le Code civil un article 489-2 selon
lequel « celui qui a causé un dommage à autrui alors qu’il était sous l’empire d’un trouble
mental n’en est pas moins obligé à réparation ». Avec la réforme opérée par la loi n° 2007-
308 du 5 mars 2007, cet article est devenu l’article 414-3 du Code civil.
On remarque toutefois que l’arrêt Fullenwarth peut sembler incohérent par rapport aux autres
arrêts de l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation en date du 9 mai 1984. En effet, dans
les arrêts Derguini et Lemaire, l’Assemblée Plénière n’abandonne pas la faute comme
condition de la responsabilité du fait personnel. Elle affirme simplement que la faute de
l’enfant ne suppose pas que ce dernier soit doté de discernement. Elle consacre la définition
objective de la faute, détachée de tout élément intentionnel. Mais elle ne dit pas qu’un simple
fait causal est suffisant pour caractériser la responsabilité du fait personnel.
Au contraire, dans l’arrêt Fullenwarth, la Cour de cassation affirme qu’un simple fait causal
de l’enfant est suffisant pour engager la responsabilité de ses parents. Or la Cour de cassation
aurait pu, comme elle l’a fait dans ses arrêts Derguini et Lemaire, maintenir l’exigence de
faute pour engager la responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur, tout en la
délestant de la condition du discernement. En effet, si l’on retient une définition objective de
la faute, il ne fait pas de doute que Pascal a commis une faute (décocher une flèche en
direction d’un de ses camarades). C’est d’ailleurs le raisonnement qui avait été retenu par la
Cour d’appel de Metz dans son arrêt du 25 septembre 1979 pour engager la responsabilité des
parents de Pascal.
C’est pourquoi l’arrêt Fullenwarth a été remis en cause par la doctrine et la jurisprudence. En
particulier, plusieurs juridictions du fond ont continué d’exiger la faute de l’enfant pour
engager la responsabilité de ses parents.
Malgré tout, dans un arrêt Levert du 10 mai 2001, la Cour de cassation a réaffirmé la solution
qu’elle avait dégagée dans son arrêt Fullenwarth en énonçant clairement que « la
responsabilité de plein droit encourue par les père et mère du fait des dommages causés par
leur enfant mineur habitant avec eux n’est pas subordonnée à l’existence d’une faute de
l’enfant ».
L’arrêt Levert (Cass. Civ. 2ème 10 mai 2001, n° 99-11.287) fait partie des arrêts majeurs en
droit de la responsabilité civile. Comme l’arrêt Fullenwarth, il concerne la responsabilité des
parents du fait de l’enfant mineur. La question qui se posait était encore une fois celle du fait
générateur de responsabilité : faut-il que l’enfant ait commis une faute ou un simple fait
causal (c’est-à-dire un simple acte de l’enfant à l’origine du dommage) suffit pour engager la
responsabilité de ses parents ?
On se souvient que l’arrêt Fullenwarth avait répondu à cette question en affirmant que “pour
que soit présumée, sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4 du Code civil, la responsabilité
des père et mère d’un mineur habitant avec eux, il suffit que celui-ci ait commis un acte qui
soit la cause directe du dommage invoqué par la victime”.
Cependant, cet arrêt n’avait pas été accueilli de manière unanime par la doctrine et la
jurisprudence. Ainsi, certains juges du fond avaient continué d’exiger une faute de l’enfant
pour que la responsabilité de ses parents soit engagée.
Il revenait donc à l’arrêt Levert de trancher définitivement cette question.
Les faits de l’arrêt Levert
Plusieurs enfants, élèves dans un collège, participent à une partie de rugby pendant une
récréation. Au cours de cette partie de rugby, l’un des enfants, Arnaud, est blessé à l’oeil par
un autre enfant, Laurent.
Les parents d’Arnaud décident d’assigner en responsabilité les parents de Laurent, afin
d’obtenir réparation du préjudice subi. Arnaud reprendra l’action exercée par ses parents à sa
majorité.
La procédure et les prétentions des parties
Le 26 octobre 1998, la Cour d’appel d’Orléans a considéré que l’examen de la responsabilité
de Laurent était « un préalable à la détermination de la responsabilité de ses parents ». En
d’autres termes, il fallait que Laurent ait commis une faute pour que la responsabilité de ses
parents puisse être recherchée.
La Cour d’appel poursuit son raisonnement en indiquant qu’il n’est reproché à Laurent « que
d’avoir par maladresse blessé son camarade, Arnaud, en lui portant involontairement un
coup au visage, à l’occasion d’un plaquage au cours d’une partie de rugby organisée entre
élèves ». Si ce geste et ses conséquences sont malheureux, il n’en demeure pas moins que
Laurent a respecté les règles du jeu et qu’Arnaud, en acceptant de participer, a nécessairement
accepté de se soumettre à ces règles et aux risques inhérents au jeu. Dès lors, nous dit la Cour
d’appel, l’acte commis par Laurent ne saurait engager sa responsabilité, et il n’y aurait donc
pas lieu d’examiner celle de ses parents.
On remarque donc que la Cour d’appel refuse d’appliquer la jurisprudence Fullenwarth.
Laurent est bien l’auteur d’un fait à l’origine du dommage subi par Arnaud mais pour la Cour
d’appel, cela n’est pas suffisant pour engager la responsabilité de ses parents. Il aurait fallu
que Laurent ait commis une véritable faute, susceptible d’engager sa propre responsabilité,
pour que la responsabilité de ses parents puisse être engagée.
A la suite de cet arrêt, Arnaud et ses parents décident de se pourvoir en cassation. Selon eux,
il n’est pas nécessaire que Laurent ait commis une faute pour que ses parents soient déclarés
responsables. En application de l’arrêt Fullenwarth, un simple fait causal de sa part est
suffisant et, dès lors, la réparation du préjudice subi doit être ordonnée.
La solution donnée par l’arrêt Levert
La question qui était posée à la Cour de cassation était donc la suivante : l’enfant doit-il avoir
commis une faute pour engager la responsabilité de ses parents ?
Dans son arrêt Levert du 10 mai 2001, la Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la Cour
d’appel. Elle affirme de manière très claire que « la responsabilité de plein droit encourue
par les père et mère du fait des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux
n’est pas subordonnée à l’existence d’une faute de l’enfant ».
Ainsi, l’arrêt Levert s’inscrit dans le prolongement de l’arrêt Fullenwarth. Il vient confirmer la
thèse selon laquelle il suffit que l’enfant ait commis un acte qui soit la cause directe du
dommage pour que la responsabilité de ses parents puisse être engagée. La responsabilité des
parents du fait de l’enfant est donc une responsabilité de plein droit, qui n’est en aucun cas
conditionnée à une faute de l’enfant.
La portée de l’arrêt Levert
Contrairement à l’arrêt Fullenwarth, l’arrêt Levert n’a que peu été remis en cause par la
jurisprudence.
Ainsi le 13 décembre 2002, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, est venue
confirmer la solution qu’elle avait rendue dans l’arrêt Levert en affirmant que « pour que la
responsabilité de plein droit des père et mère exerçant l’autorité parentale sur un mineur
habitant avec eux puisse être recherchée, il suffit que le dommage invoqué par la victime ait
été directement causé par le fait, même non fautif, du mineur ; que seule la cause étrangère
ou la faute de la victime peut exonérer les père et mère de cette responsabilité » (Cass. Ass.
Plén., 13 décembre 2002, n° 01-14.007). Puis, dans un nouvel arrêt important, la deuxième
chambre civile a également repris cette solution (Cass. Civ. 2ème, 3 juillet 2003, n° 02-
15.696).
En outre, la grande majorité des juridictions du fond appliquent aujourd’hui l’arrêt Levert. Cet
arrêt constitue donc le droit positif actuel en matière de responsabilité des parents du fait de
l’enfant mineur.
Pourtant, il n’est pas exempt de tous reproches. Ainsi, on peut remarquer que si Laurent avait
été majeur au moment où il a commis l’acte à l’origine du dommage subi par Arnaud, alors ce
dernier n’aurait pas pu être indemnisé de son préjudice. Le régime de responsabilité aurait en
effet été celui de la responsabilité du fait personnel, qui suppose l’existence d’une faute.
Dès lors, le régime de responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur apparaît
extrêmement sévère. Les parents peuvent effectivement être condamnés à verser des
dommages et intérêts alors même qu’ils n’ont rien à voir avec le dommage et que leur enfant
n’a pas commis d’acte fautif !
Au contraire, la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés (qui est un autre cas
de responsabilité du fait d’autrui) suppose une faute du préposé, et non un simple fait causal
(Cass. Civ. 2ème, 8 avril 2004).
En réalité, on peut considérer que la responsabilité des parents du fait de l’enfant mineur se
rapproche de la responsabilité du fait des choses, qui n’exige elle aussi qu’un simple fait actif
de la chose. Les parents sont responsables de tout fait dommageable de leur enfant, comme le
gardien est responsable de tout fait actif dommageable de la chose dont il a la garde.
L’arrêt Bertrand (Cass. Civ. 2ème, 19 février 1997, n° 94-21.111) est l’un des arrêts majeurs
rendus en matière de responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur.
On sait que depuis l’arrêt Fullenwarth du 9 mai 1984, la responsabilité des parents du fait de
leur enfant ne suppose plus l’existence d’une faute de ce dernier. Il suffit en effet d’un fait de
l’enfant à l’origine du dommage pour que les parents puissent voir leur responsabilité
engagée.
Les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité des parents du fait de l’enfant ont donc
été assouplies, rendant ce régime de responsabilité plus sévère à l’égard des parents.
Mais traditionnellement, les parents bénéficiaient d’un certain nombre de causes
d’exonération pour s’exonérer de leur responsabilité. Il était en effet possible de s’exonérer en
rapportant la preuve :
d’un cas de force majeure
de la faute de la victime
de leur absence de faute dans la surveillance ou l’éducation de l’enfant
L’arrêt Bertrand a mis un terme à cette dernière cause d’exonération en affirmant que seule la
force majeure ou la faute de la victime peuvent exonérer les parents de leur responsabilité du
fait dommageable de leur enfant.
Les faits de l’arrêt Bertrand
Le 24 mai 1989, une collision survient entre la bicyclette conduite par un jeune garçon âgé de
12 ans, Sébastien, et la mobylette conduite par M. Domingues. Ce dernier sort blessé de
l’accident.
M. Domingues décide alors d’assigner en réparation de son préjudice le père de Sébastien,
Jean-Claude, en sa qualité de civilement responsable de son fils.
La procédure et les prétentions des parties
Après une décision de première instance, la Cour d’appel de Bordeaux est saisie de l’affaire.
Le 4 octobre 1994, elle rend un arrêt dans lequel elle retient la responsabilité de Jean-Claude.
Elle énonce que seule la force majeure ou la faute de la victime pouvaient exonérer Jean-
Claude de la responsabilité de plein droit encourue du fait des dommages causés par son fils
mineur habitant avec lui. Dès lors, en l’absence de force majeure ou de faute de la victime,
Jean-Claude doit être déclaré responsable des dommages causés par Sébastien.
On remarque ainsi que la Cour d’appel ne prend pas la peine de vérifier si Jean-Claude avait
commis ou non une faute dans la surveillance ou l’éducation de Sébastien. Ce faisant, la Cour
d’appel ne retient pas l’absence de faute de surveillance ou d’éducation comme une possible
cause d’exonération de la responsabilité des parents du fait de leur enfant.
Mécontent de cette décision, Jean-Claude décide de se pourvoir en cassation. Il soutient
que « la présomption de responsabilité des parents d’un enfant mineur prévue à l’article
1384, alinéa 4, du Code civil, peut être écartée non seulement en cas de force majeure ou de
faute de la victime mais encore lorsque les parents rapportent la preuve de n’avoir pas
commis de faute dans la surveillance ou l’éducation de l’enfant ». Dès lors, puisqu’il n’a
commis aucune faute dans la surveillance ou l’éducation de Sébastien, Jean-Claude considère
qu’il ne peut pas être déclaré responsable.
La Cour de cassation devait donc répondre à la question suivante : les parents peuvent-ils
s’exonérer du fait dommageable de leur enfant en rapportant la preuve d’une absence de faute
de surveillance ou d’éducation ? Autrement dit, l’absence de faute de surveillance ou
d’éducation est-elle une cause d’exonération de la responsabilité des parents du fait de leur
enfant mineur ?
La solution retenue dans l’arrêt Bertrand
Dans son arrêt Bertrand, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par Jean-Claude. Elle
affirme que les parents ne peuvent être exonérés du fait dommageable de leur enfant qu’en cas
de force majeure ou de faute de la victime.
Ainsi, Jean-Claude ne peut pas s’exonérer par la preuve d’une absence de faute dans la
surveillance ou l’éducation de Sébastien. En l’absence de force majeure ou de faute de la
victime, il doit être considéré comme responsable du dommage subi par M. Domingues.
L’arrêt Bertrand vient donc modifier les causes d’exonération possibles en matière de
responsabilité des parents du fait de leur enfant. Alors qu’il était auparavant possible de
s’exonérer en rapportant la preuve d’une absence de faute d’éducation ou de surveillance, ce
n’est plus le cas aujourd’hui. La responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur
devient donc une responsabilité de plein droit qui impose à tous parents titulaires de l’autorité
parentale de réparer les dommages causés par leur enfant.
L’arrêt Bertrand constitue aujourd’hui le droit positif. Il a d’ailleurs été confirmé par la Cour
de cassation dans un arrêt en date du 17 mai 2011 (Cass. Civ. 2ème, 17 février 2011, n° 10-
30.439).
Il doit être analysé en parallèle de l’arrêt Fullenwarth du 9 mai 1984 et de l’arrêt Levert du 10
mai 2001, qui ont tous deux affirmé que la responsabilité des parents du fait de l’enfant n’est
pas subordonnée à une faute de l’enfant, mais à un simple fait causal de ce dernier. En
supprimant la cause d’exonération fondée sur l’absence de faute des parents, l’arrêt Bertrand
est venu durcir un peu plus le régime de responsabilité des parents du fait de leur enfant, qui
devient complètement détaché de la notion de faute.
L’arrêt Costedoat (Cass. Ass. Plén., 25 février 2000, n° 97-17.378) est l’un des arrêts majeurs
en droit de la responsabilité civile. Il concerne la responsabilité des commettants du fait de
leurs préposés.
Avant de nous intéresser plus en détails à l’arrêt Costedoat, il convient de brièvement rappeler
ce qu’est la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés.
Il s’agit d’un des régimes spéciaux de responsabilité du fait d’autrui. Le principe est contenu à
l’article 1242 alinéa 5 du Code civil (ancien article 1384 alinéa 5 du Code civil), qui dispose
que les maîtres et les commettants sont responsables du dommage causé par leurs
domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés.
Est commettant toute personne qui a le droit ou le pouvoir de donner à une autre des ordres et
instructions relatifs au but à atteindre et aux moyens à employer pour y parvenir (Cass. Crim.,
7 nov. 1968).
Ainsi, la responsabilité des commettants du fait des préposés suppose un lien d’autorité et de
subordination entre deux personnes (le commettant et le préposé).
La victime doit également prouver une faute du préposé, et non un simple fait causal (Cass.
Civ. 2ème, 8 avril 2004).
Enfin, il faut que la faute du préposé ait causé un dommage à la victime.
Si ces conditions sont réunies, le commettant sera responsable de plein droit du fait de son
préposé.
Mais avant l’arrêt Costedoat, la situation était différente en ce que la victime pouvait non
seulement agir contre le commettant (en sa qualité de responsable du fait de son préposé),
mais également directement contre le préposé sur le fondement de la responsabilité du fait
personnel (ancien article 1382 du Code civil, aujourd’hui article 1240 du Code civil). La
victime avait donc le choix.
L’arrêt Costedoat est venu changer la donne en affirmant que « n’engage pas sa
responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui
lui a été impartie par son commettant ». Aujourd’hui, le préposé qui agit dans les limites de
sa mission bénéficie d’une sorte d’immunité à l’égard de la victime ; cette dernière ne peut
agir que contre le commettant.
Les faits de l’arrêt Costedoat
Une société était chargée par une autre de procéder, par hélicoptère, à un traitement herbicide
sur des rizières. En raison du vent important qui soufflait le jour de l’opération, les herbicides
ont atteint une propriété voisine, et y ont endommagé des végétaux.
Le propriétaire du fonds voisin a alors assigné en responsabilité, entre autres, le préposé (le
pilote de l’hélicoptère).
La procédure et les prétentions des parties
Le 26 mars 1997, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a retenu la responsabilité du pilote, au
motif que ce dernier aurait dû, en raison des conditions météorologiques, s’abstenir de
procéder ce jour-là à des épandages de produits toxiques. Elle a confirmé le jugement rendu
par la juridiction de premier degré, qui avait déjà retenu la faute du pilote.
En effet, le pilote était assigné sur le fondement de l’ancien article 1382 du Code civil
(aujourd’hui article 1240 du Code civil), qui dispose que « tout fait quelconque de l’homme,
qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
Puisqu’il a commis une faute (procéder au traitement herbicide malgré le temps
particulièrement venteux) à l’origine du dommage subi par le propriétaire du fonds voisin (qui
a vu ses végétaux endommagés par les herbicides), il devait, selon la Cour d’appel, être
déclaré responsable.
Suite à cette décision, le pilote de l’hélicoptère s’est pourvu en cassation. Il soutenait que « le
préposé qui agit dans le cadre de la mission qui lui est impartie par l’employeur et qui n’en a
pas outrepassé les limites ne commet pas de faute personnelle susceptible d’engager sa
responsabilité dans la réalisation d’un dommage ». Or il était clair, selon lui, qu’il n’avait pas
outrepassé les limites de sa mission. Il avait simplement exécuté les ordres de son employeur,
qui lui avait demandé de procéder au traitement herbicide. C’était à l’employeur de lui
interdire de procéder au traitement si réellement les conditions météorologiques ne s’y
prêtaient pas.
Pour retenir ou non la responsabilité du préposé, il faut donc distinguer, selon le pilote, si le
préposé a agi dans le cadre de sa mission ou si au contraire il a agi en dehors des limites de sa
mission.
Ainsi, la question qui était posée à la Cour de cassation était la suivante : un préposé qui agit
sans excéder les limites de sa mission peut-il engager sa responsabilité à l’égard des tiers ?
La solution donnée par l’arrêt Costedoat
Le 25 février 2000, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation, dans son arrêt Costedoat,
énonce que « n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans
excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant ». Elle casse donc
l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence qui avait retenu la responsabilité du préposé.
Puisque le pilote n’avait pas agi en dehors du cadre de sa mission, il ne pouvait pas être
considéré comme responsable du dommage subi par le propriétaire du fonds voisin.
Ce faisant, l’Assemblée Plénière crée au bénéfice du préposé une véritable immunité à l’égard
de la victime. En effet, celle-ci ne peut plus agir directement contre le préposé sur le
fondement de l’ancien article 1382 du Code civil (aujourd’hui article 1240 du Code civil). Si
le préposé a agi dans les limites de sa mission, elle peut seulement agir contre le commettant
sur le fondement de l’ancien article 1384 alinéa 5 du Code civil (aujourd’hui article 1242
alinéa 5 du Code civil).
Il faut toutefois préciser que l’immunité ne joue pas si le préposé a outrepassé les limites de sa
mission. Dans ce cas, il peut bel et bien engager sa responsabilité vis-à-vis des tiers.
Si par exemple le pilote avait lui-même décidé de procéder au traitement herbicide alors que
son employeur lui avait interdit, on aurait pu considérer qu’il avait agi en dehors des limites
de sa mission, et donc qu’il devait être déclaré responsable du dommage subi par le
propriétaire du fonds voisin. C’est ce qu’il faut comprendre de l’arrêt Costedoat.
La portée de l’arrêt Costedoat
Par la suite, un certain nombre de limites ont été apportées à la solution dégagée dans l’arrêt
Costedoat.
D’abord, la première chambre civile de la Cour de cassation a affirmé que le préposé ne
pouvait pas se prévaloir de l’immunité s’il était assigné sur le fondement de la responsabilité
contractuelle (Cass. Civ. 1ère, 9 avril 2002, n° 00-21.014). Ainsi, en présence d’un dommage
dû à l’inexécution d’une obligation contractuelle par le préposé, il importe peu de savoir si le
préposé a agi ou non dans les limites de sa mission. Dans tous les cas, ce dernier engagera sa
responsabilité à l’égard de la victime.
Pour invoquer l’immunité octroyée par la jurisprudence Costedoat, il faut donc que le préposé
soit assigné sur le fondement de la responsabilité délictuelle.
Mais surtout, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation, dans un arrêt Cousin (Cass. Ass.
Plén., 14 décembre 2001, n° 00-82.066), est venue affirmer que si le préposé a commis une
infraction pénale intentionnelle, alors il engage sa responsabilité civile, même s’il a agi dans
les limites de sa mission. L’immunité octroyée par l’arrêt Costedoat au préposé qui agit dans
les limites de sa mission n’est donc plus totale ; l’éventuelle responsabilité du préposé ne
dépend plus seulement de son comportement au regard de la mission qui lui a été confiée,
mais également de la nature de la faute qu’il commet.
Toutefois, il faut bien remarquer que l’Assemblée Plénière, dans son arrêt Cousin, ne vise que
les infractions pénales intentionnelles. Elle ne mentionne en aucun cas les autres infractions
pénales, c’est-à-dire les infractions pénales non intentionnelles. Dès lors, fallait-il considérer
que l’immunité continuait de jouer pour le préposé qui avait commis une infraction pénale
non intentionnelle sans excéder les limites de sa mission ?
A la suite de l’arrêt Cousin, la Cour de cassation a pu préciser qu’étaient visées toutes les
infractions pénales, et pas seulement les infractions intentionnelles. Elle a énoncé très
clairement que « n’engage pas sa responsabilité, à l’égard des tiers, le préposé qui agit sans
excéder les limites de la mission qui lui est impartie par son commettant, hors le cas où le
préjudice de la victime résulte d’une infraction pénale ou d’une faute intentionnelle » (Cass.
Civ. 2ème, 21 février 2008).
Aujourd’hui, il est donc clair que l’immunité de l’arrêt Costedoat ne peut pas être invoquée
par le préposé en présence d’une infraction pénale, qu’elle soit intentionnelle ou non.
L’arrêt Cousin (Cass. Ass. Plén., 14 décembre 2001, n° 00-82.066) est l’un des arrêts majeurs
rendus en matière de responsabilité des commettants du fait de leurs préposés.
Il doit être analysé en parallèle du célèbre arrêt Costedoat (Cass. Ass. Plén., 25 février 2000,
n° 97-17.378), qui a posé le principe selon lequel le préposé qui n’excède pas les limites de sa
mission ne peut pas engager sa responsabilité civile à l’égard des tiers. Ainsi, à la suite de
l’arrêt Costedoat, le préposé bénéficiait d’une immunité à l’égard de la victime du dommage,
qui ne pouvait agir en responsabilité que contre le commettant sur le fondement de l’ancien
article 1384 alinéa 5 du Code civil (aujourd’hui article 1242 alinéa 5 du Code civil).
L’arrêt Cousin est venu apporter une limite à cette immunité du préposé en affirmant que « le
préposé condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis, fût-ce sur l’ordre du
commettant, une infraction ayant porté préjudice à un tiers, engage sa responsabilité civile à
l’égard de celui-ci ».
Cet article vise à analyser la solution dégagée par l’arrêt Cousin. Avant cela, nous résumerons
les faits de l’espèce, la procédure et les prétentions des parties.
Les faits, la procédure et les prétentions des parties
M. Cousin, comptable salarié d’une société, a fait obtenir frauduleusement à cette société des
subventions destinées à financer de faux contrats de qualification.
Le 1er mars 2000, la Cour d’appel de Paris l’a condamné pénalement pour faux, usage de
faux et escroqueries. Mais ce n’est pas tout. La Cour d’appel de Paris a également retenu la
responsabilité civile de M. Cousin, et l’a condamné à payer des dommages et intérêts aux
parties civiles.
Autrement dit, la Cour d’appel n’a pas fait application de la jurisprudence Costedoat. Elle n’a
pas recherché si M. Cousin avait ou non agi dans les limites de sa mission. Pour la Cour
d’appel, à partir du moment où la responsabilité pénale de M. Cousin était retenue en raison
d’une infraction pénale intentionnelle, alors il fallait également retenir sa responsabilité civile.
Suite à cette décision de la Cour d’appel, M. Cousin a décidé de se pourvoir en cassation. Il
reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir tenu compte de la jurisprudence Costedoat. Selon
lui, le préposé qui a agi sans excéder les limites de la mission qui lui avait été assignée par son
commettant ne peut pas engager sa responsabilité civile à l’égard des tiers. Ainsi, la Cour
d’appel aurait dû vérifier si les infractions commises par M. Cousin « ne résultaient pas
uniquement de l’exécution des instructions qu’il avait reçues et s’inscrivaient par conséquent
dans la mission qui lui était impartie par son employeur ».
La Cour de cassation devait donc répondre à la question suivante : un préposé qui commet,
sans excéder les limites de sa mission, une infraction pénale intentionnelle ayant porté
préjudice à un tiers peut-il engager sa responsabilité civile à l’égard de ce tiers ?
La solution dégagée par l’arrêt Cousin
Le 14 décembre 2001, dans son arrêt Cousin, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation
répond très clairement à cette question en affirmant que « le préposé condamné pénalement
pour avoir intentionnellement commis, fût-ce sur l’ordre du commettant, une infraction ayant
porté préjudice à un tiers, engage sa responsabilité civile à l’égard de celui-ci ».
L’Assemblée Plénière donne donc raison à la Cour d’appel de Paris, et rejette le pourvoi
formé par M. Cousin. Peu importe que M. Cousin ait commis les infractions pénales précitées
en excédant ou non les limites de sa mission. Le simple fait qu’il ait été condamné pour avoir
commis une infraction pénale intentionnelle suffit à engager également sa responsabilité sur le
plan civil.
L’arrêt Cousin vient donc limiter la portée de la jurisprudence Costedoat en réduisant
l’importance de l’immunité octroyée au préposé qui agit dans les limites de sa mission.
Auparavant, le préposé qui n’excède pas les limites de sa mission était en quelque sorte
intouchable ; la victime ne pouvait pas engager sa responsabilité civile. Dorénavant, il sera
possible d’engager la responsabilité civile du préposé qui n’outrepasse pas les limites de sa
mission si ce dernier a été condamné pour avoir commis une infraction pénale intentionnelle.
La portée de l’arrêt Cousin
Si l’on s’attarde sur la formulation employée par l’arrêt Cousin, on remarque que l’Assemblée
Plénière parle du préposé « condamné pénalement » pour avoir commis une infraction pénale
intentionnelle. Dès lors, fallait-il que le préposé ait effectivement fait l’objet d’une
condamnation pénale pour que sa responsabilité civile puisse être engagée ? Ou la simple
commission d’une infraction pénale intentionnelle était suffisante ?
Sur ce point, la solution donnée dans l’arrêt Cousin a été précisée par la Cour de cassation
dans un arrêt du 7 avril 2004. Alors même que le préposé avait commis une infraction pénale
intentionnelle ayant porté préjudice à un tiers mais n’avait fait l’objet d’aucune condamnation
pénale (la juridiction répressive n’était saisie que de l’action civile), la Cour de cassation a
décidé que le préposé engageait sa responsabilité civile à l’égard du tiers (Cass. Crim., 7 avril
2004, n° 03-86.203). Il faut donc comprendre que la condamnation pénale du préposé, à
proprement parler, n’est pas une condition nécessaire pour engager sa responsabilité civile. La
simple commission d’une infraction pénale intentionnelle suffit.
On remarque également que l’arrêt Cousin ne se prononce que sur les infractions pénales
intentionnelles. Or une infraction pénale peut également être non intentionnelle. Que se passe-
t-il si le préposé qui agit dans les limites de sa mission commet une infraction pénale non
intentionnelle ? Faut-il interpréter l’arrêt Cousin a contrario et considérer qu’il n’engage pas
sa responsabilité civile à l’égard de la victime ?
La Cour de cassation a répondu à cette question dans un arrêt du 21 février 2008. Selon la
Cour, « n’engage pas sa responsabilité, à l’égard des tiers, le préposé qui agit sans excéder
les limites de la mission qui lui est impartie par son commettant, hors le cas où le préjudice
de la victime résulte d’une infraction pénale ou d’une faute intentionnelle” (Cass. Civ. 2ème, 21
février 2008).
Ainsi, il n’y a pas lieu de distinguer selon que le préposé a commis une infraction pénale
intentionnelle ou une infraction pénale non intentionnelle. A partir du moment où il a commis
une infraction pénale qui a causé un préjudice à un tiers, il engage sa responsabilité civile à
l’égard de ce tiers, même s’il n’a pas excédé les limites de sa mission.
L’arrêt Desmares (Cass. Ass. Plén., 21 juillet 1982, n° 81-12.850) est l’un des arrêts les plus
connus en droit de la responsabilité civile. Il concerne la question de l’éventuelle exonération
de responsabilité du gardien de la chose en cas de faute de la victime.
On sait en effet qu’aujourd’hui, la responsabilité du fait des choses suppose 4 conditions. Il
faut :
une chose
un dommage
un fait actif de la chose à l’origine du dommage
la garde de la chose
Si ces 4 conditions sont réunies, alors le gardien de la chose pourra voir sa responsabilité
engagée.
Cependant, le gardien de la chose peut s’exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve
d’une cause érangère. On entend par cause étrangère :
le fait de la nature (exemples : un attentat, une catastrophe naturelle)
le fait du tiers (si un tiers a participé à causer le dommage)
la faute de la victime
Il faut toutefois préciser que la cause étrangère ne peut être totalement exonératoire de
responsabilité que si elle présente les caractères de la force majeure. Dans le cas contraire, elle
ne pourra être que partiellement exonératoire de responsabilité. Ainsi, la faute de la victime
qui ne présente pas les caractères de la force majeure exonère partiellement le gardien de la
chose. Tel est l’état du droit positif aujourd’hui.
Mais il n’en a pas toujours été ainsi. En 1982, dans son arrêt Desmares, l’Assemblée Plénière
de la Cour de cassation a jugé que « seul un évènement constituant un cas de force majeure
exonère le gardien de la chose, instrument du dommage, de la responsabilité par lui
encourue par application de l’article 1384, alinéa 1, du Code civil ; que, dès lors, le
comportement de la victime, s’il n’a pas été pour le gardien imprévisible et irrésistible, ne
peut l’en exonérer, même partiellement ».
Les faits de l’arrêt Desmares
Les faits étaient les suivants : à la tombée de la nuit, la voiture de M. Desmares heurte et
blesse un couple qui traversait la route.
Les époux décident alors d’assigner en responsabilité M. Desmares sur le fondement de
l’ancien article 1384 alinéa 1 du Code civil (aujourd’hui article 1242 alinéa 1 du Code civil),
selon lequel « on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre
fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des
choses que l’on a sous sa garde ».
En effet, les faits de l’arrêt Desmares se déroulent avant l’entrée en vigueur de la loi Badinter
du 5 juillet 1985, qui a fixé un régime spécial d’indemnisation pour les victimes d’un accident
de la circulation. Ainsi, avant la loi Badinter, la victime d’un accident de la circulation devait
se fonder sur la responsabilité du fait des choses pour obtenir indemnisation (la chose étant le
véhicule, et le conducteur étant considéré comme le gardien du véhicule).
La procédure et les prétentions des parties
Le 15 janvier 1981, la Cour d’appel de Reims retient la responsabilité de M. Desmares par
application de l’ancien article 1384 alinéa 1 du Code civil.
Le débat portait principalement sur la possible présence des époux en dehors du passage
piéton, ce qui aurait constitué, selon M. Desmares, une faute des époux de nature à l’exonérer,
au moins partiellement, de sa responsabilité.
Mais la Cour d’appel relève que les époux avaient été projetés à quelques mètres du passage
piéton et retient, au vu des traces laissées sur la chaussée, que le choc ne pouvait s’être produit
qu’au niveau du passage piéton ou à proximité immédiate de celui-ci. Ainsi, selon la Cour
d’appel, aucune faute positive ne peut être reprochée aux époux de nature à exonérer, fût-ce
pour partie, M. Desmares de la présomption de responsabilité mise à sa charge en tant que
gardien du véhicule.
Mécontent de cette décision, M. Desmares forme un pourvoi en cassation. Il soutient que les
époux ont commis une faute en traversant la route « sans s’assurer qu’ils pouvaient le faire
sans danger et sans tenir compte de la vitesse et de la distance du véhicule circulant à ce
moment ». Ainsi, M. Desmares estime qu’il devrait être exonéré, au moins partiellement, de
sa responsabilité.
La solution donnée dans l’arrêt Desmares
Il faut bien comprendre que déjà avant l’arrêt Desmares, il était de jurisprudence constante
que la faute de la victime qui ne présente pas les caractères de la force majeure était
partiellement exonératoire de responsabilité pour le gardien de la chose (Cass. Civ. 8 février
1938).
En l’espèce, il existe un débat sur l’existence ou non d’une faute de la part des époux. Mais si
l’on admet qu’il y a bien eu faute des époux, alors, en application de cette jurisprudence
constante, M. Desmares devrait être exonéré de sa responsabilité (soit totalement si la faute
présente les caractères de la force majeure, soit partiellement si elle ne présente pas les
caractères de la force majeure).
Pourtant, dans son arrêt Desmares du 21 juillet 1982, la Cour de cassation adopte une position
radicalement différente. Elle énonce que seul un évènement constituant un cas de force
majeure exonère le gardien de la chose de sa responsabilité. Par conséquent, la faute de la
victime qui ne présente pas les caractères de la force majeure ne peut exonérer le gardien,
même partiellement.
En l’occurrence, la Cour de cassation relève qu’au regard des circonstances dans lesquelles
l’accident s’est produit, la supposée faute des époux ne constituait pas pour M. Desmares un
évènement imprévisible et irrésistible. Dès lors, en l’absence d’une faute des époux présentant
les caractères de la force majeure, M. Desmares ne pouvait être exonéré, même partiellement,
de sa responsabilité.
La portée de l’arrêt Desmares
Pour bien comprendre l’arrêt Desmares, il faut le resituer dans son contexte.
L’arrêt Desmares intervient à un moment où il n’existait pas encore de régime spécial
d’indemnisation pour les victimes d’un accident de la circulation, la loi Badinter tardant à voir
le jour. En rendant cet arrêt, la Cour de cassation a surtout voulu permettre l’indemnisation
totale des victimes non conductrices (même si elles étaient supposées avoir commis une
faute).
Par la suite, la loi Badinter a été promulguée et est entré en vigueur le principe selon lequel la
faute de la victime non conductrice est exonératoire pour le gardien dans seulement 2 cas :
si la victime a volontairement recherché le dommage
si la victime a commis une faute inexcusable qui est l’unique cause de l’accident
Ainsi, l’arrêt Desmares, par son côté volontairement provocateur, a poussé à l’adoption de la
loi Badinter et donc à une meilleure indemnisation des victimes non-conductrices.
Mais une fois la loi Badinter adoptée, il ne semblait plus nécessaire d’exiger du gardien de la
chose, pour qu’il puisse s’exonérer partiellement de sa responsabilité, qu’il démontre que la
faute de la victime présentait les caractères de la force majeure.
C’est pourquoi la Cour de cassation a rapidement mis fin à la jurisprudence Desmares. Le 6
avril 1987, elle a jugé que « le gardien de la chose instrument du dommage est partiellement
exonéré de sa responsabilité s’il prouve que la faute de la victime a contribué au
dommage » (Cass. Civ. 2ème, 6 avril 1987).
Aujourd’hui, le droit positif est clair : la faute de la victime qui ne revêt pas les caractères de
la force majeure est partiellement exonératoire de responsabilité pour le gardien de la chose.