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UNIVERSITE INTERNATIONALE DE LIBREVILLE

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ECOLE DE DROIT
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LICENCE 2 DROIT

COURS DE DROIT DES OBLIGATIONS II :


LES OBLIGATIONS EXTRACONVENTIONNELLES

Charles MBA-OWONO
Agrégé des facultés de droit
Professeur Titulaire de droit privé
A côté des obligations d’origine conventionnelle, le droit admet l’existence d’autres obligations qui
n’ont pas réellement été voulues par les personnes obligées. Elles procèdent, au contraire, de certains
événements ou agissements que la doctrine qualifie de faits juridiques. Ces obligations tendent à restituer
un patrimoine dans son état antérieur, auquel un fait juridique avait porté atteinte sans qu’il y ait à cela
de justification.

Mais il est des faits juridiques dommageables et des faits juridiques profitables. Autrement dit, la
consistance qu’un patrimoine avait antérieurement à un événement peut, à la suite de ce dernier, soit
avoir diminué, soit avoir augmenté. Dans l’un et l’autre cas, le rétablissement du statu quo ante se justifie
différemment.

Un dommage a-t-il été causé de façon illégitime ? Celui qui l’a causé est tenu de le réparer. C’est tout
le domaine de la responsabilité civile délictuelle (titre I). Un avantage a-t-il été reçu d’autrui dans les
conditions qui ne le légitiment pas ? Celui qui s’est trouvé enrichi doit restitution de ce qu’il a reçu.
C’est le problème des quasi-contrats (titre II).

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TITRE I – LA RESPONSABILITE CIVILE DELICTUELLE

Après avoir, dans un chapitre préliminaire, examiné les généralités relatives à la responsabilité civile
délictuelle, on précisera successivement ses conditions d’existence (sous-titre 1) et les modalités de sa
mise en œuvre (sous-titre 2).

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CHAPITRE PRELIMINAIRE :
GENERALITES SUR LA RESPONSABILITE CIVILE DELICTUELLE

D’un point de vue général, la « responsabilité » est le fait de devoir répondre de ses actes devant une
autorité, c’est-à-dire d’en assumer les conséquences. Ainsi entendu, le principe de la responsabilité peut
s’appliquer dans beaucoup de domaines. D’où la nécessité de préciser la notion de responsabilité civile
délictuelle (section 1). Mais, même après avoir dégagé la nature de la responsabilité civile, il faudra
encore en retracer l’évolution. Car, bien que reposant sur quelques textes du code civil, le droit de la
responsabilité civile délictuelle a dû, par la suite, s’adapter à l’évolution sociale (section 2).

SECTION 1 – LA NOTION DE RESPONSABILITE CIVILE DELICTUELLE

Afin de préciser la notion de responsabilité civile délictuelle, il y a lieu de distinguer d’abord la


responsabilité civile de la responsabilité pénale (§1). Mais il va falloir ensuite, à l’intérieur même de la
responsabilité civile, distinguer la responsabilité civile délictuelle de la responsabilité civile
contractuelle (§2).

§1 – Distinction des responsabilités civile et pénale

Une opposition classique existe, dans notre système juridique, entre la responsabilité civile et la
responsabilité pénale. Toutefois, alors qu’ils poursuivent des objectifs en principe différents (A), les
deux types de responsabilité se rapprochent à certains points de vue (B).

A – La différence des objectifs des responsabilités civile et pénale

La différence des fonctions des responsabilités civile et pénale peut être résumée de la façon suivante :
la responsabilité pénale est organisée par l’Etat dans un intérêt social et a pour but la punition des actes
répréhensibles par le prononcé d’une peine. La responsabilité civile, au contraire, est organisée dans
l’intérêt des particuliers victimes de dommages et a pour but la réparation de ce préjudice au profit de
la personne lésée.

En effet, dans la responsabilité pénale, le préjudice social est une atteinte à l’ordre public suffisamment
grave pour susciter une forte réprobation sociale. Le comportement incriminé froisse les sentiments
communs à l’ensemble du groupe et apparaît comme contraire aux valeurs morales et sociales
considérées comme essentielles. De ce fait, les sanctions pénales consistent en des peines dont la
fonction est essentiellement punitive et répressive.

Par la responsabilité civile, le droit cherche en revanche à assurer aux individus la réparation des
dommages privés afin de rétablir un équilibre qui avait été rompu entre les membres du groupe. La
sanction est ici restitutive et indemnitaire, et non plus répressive.

B – Le rapprochement des responsabilités civile et pénale

Même si les deux espèces de responsabilité poursuivent des objectifs bien différents, elles connaissent
en même temps des points de rapprochement. Des interférences naissent surtout entre elles du fait qu’un
même acte est susceptible d’engager à la fois la responsabilité civile et la responsabilité pénale. Tel est
par exemple le cas des coups et blessures volontaires qui sont un délit pénal et obligent également à
réparation.

Ce rapprochement se traduit essentiellement sur le plan procédural. D’abord en ce qui concerne


l’exercice de l’action civile. La victime d’une infraction peut obtenir réparation du préjudice subi, non
seulement devant le juge civil, mais également devant la juridiction pénale. Autrement dit, la victime
dispose d’un choix lorsque le préjudice résulte d’une infraction. Il peut agir devant le juge civil dans les
termes du droit commun ; tout comme il peut saisir le juge pénal en même temps de l’action publique
et de l’action civile.

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Les interférences entre la responsabilité pénale et la responsabilité civile se manifestent ensuite par la
règle de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil. Ce qui signifie que lorsqu’un même fait est
source de responsabilités civile et pénale, les énonciations du jugement pénal ont une autorité absolue
de chose jugée à l’égard du juge civil. Ainsi, une décision pénale de condamnation implique
nécessairement un principe de responsabilité civile. De même, une décision de relaxe ou d’acquittement
fait obstacle à ce que la responsabilité civile soit admise sur le fondement de l’infraction qui a été jugée
inexistante.

§2 – Distinction des responsabilités civiles délictuelle et contractuelle

Traditionnellement, on divise la responsabilité civile en deux types : la responsabilité civile délictuelle


et la responsabilité civile contractuelle. Il y a donc dualité de la responsabilité civile (A). Cette
distinction des deux ordres de responsabilité civile connaît cependant une certaine inflexion en droit
positif (B).

A – La dualité de la responsabilité civile

La dualité de la responsabilité civile trouve ses sources dans le code civil lui-même qui distingue deux
hypothèses. D’une part, il y a la responsabilité civile contractuelle, qui est prévue par les articles 1147
et suivants. Elle concerne les dommages causés dans le cadre de l’exécution d’un contrat. D’autre part,
il y a la responsabilité civile délictuelle, qui permet d’obtenir une indemnisation sur la base des articles
1382 et suivants. Elle correspond aux cas où il n’existe aucun lien de droit préalable entre le responsable
et la victime.

La séparation des responsabilités civiles délictuelle et contractuelle est principalement assurée par la
règle du non-cumul des deux ordres de responsabilité. L’expression est quelque peu trompeuse,
puisqu’elle peut laisser croire que la victime a la possibilité, le cas échéant, de choisir le régime de
responsabilité qui lui est le plus favorable. En réalité, il n’en est rien. La règle du non-cumul est en fait
un principe de non-option, de non-choix des responsabilités. Elle signifie que la victime d’un dommage
dans un cadre contractuel ne peut invoquer la responsabilité délictuelle et vis versa.

B – Les limites du principe de la distinction des responsabilités civiles contractuelle et délictuelle

Le principe de la distinction des responsabilités civiles délictuelle et contractuelle, à travers la règle du


non-cumul, connaît des atteintes de plus en plus nombreuses dans son application. C’est ainsi que la
jurisprudence, qui est pourtant à l’origine de la règle, tend parfois à en marginaliser l’application. La
Cour de cassation refuse par exemple de censurer l’erreur de qualification commise par les juges du
fond ou par les parties lorsque l’application des règles contractuelles ou délictuelles conduit au même
résultat pratique.

De même, depuis un arrêt du 15 juin 1923, la chambre criminelle de la Cour de cassation retient la
solution selon laquelle un fait dommageable, lorsqu’il constitue une infraction pénale caractérisée,
entraîne une responsabilité d’ordre délictuel. Cette exception considérable au principe du non-cumul
des responsabilités civiles contractuelle et délictuelle, non justifié du point de vue textuel, est cependant
l’objet de vives critiques de la part de la doctrine.

SECTION 2 – L’EVOLUTION DE LA RESPONSABILITE CIVILE DELICTUELLE

Pour une meilleure compréhension de l’état actuel de la responsabilité civile délictuelle, il est nécessaire
de retracer l’évolution historique de l’institution. Pour ce faire, deux périodes doivent être distinguées :
celle qui va jusqu'à l’adoption du code civil (§1) et celle postérieure à l’entrée en vigueur de celui-ci
(§2).

§1 – L’évolution de la responsabilité civile délictuelle jusqu’au code civil

Il faut examiner tour à tour les systèmes en vigueur avant (A) et après l’adoption du code civil (B).

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A – L’évolution antérieure au code civil

A l’origine, la responsabilité civile n’a pas eu d’existence autonome. La responsabilité semblait


essentiellement pénale et même religieuse. Les sanctions qui en résultaient ne visaient donc qu’à punir
les atteintes portées à l’ordre social ou au Dieu qui le symbolise.

Ce n’est que plus tard, à travers la vengeance privée et familiale, puis, au moyen des compositions
pécuniaires et peines privées, qu’apparaîtront les premières manifestations de la réparation civile. Ces
sanctions hybrides sont à la fois répressives, en raison de leur caractère vindicatif, et restitutives, dans
la mesure où elles profitent à la victime qui les exerce à sa guise. La responsabilité civile est donc née
de la responsabilité pénale qui l’a longtemps absorbée.

Toutefois, pendant longtemps, notamment sous le droit romain, l’on ne tint compte que du préjudice ;
c’est la matérialité du dommage qui ouvrait droit à réparation, sans que soit examiné le caractère correct
ou incorrect de la conduite de l’auteur. Mais progressivement, l’ancien droit est arrivé à une
responsabilité uniquement fondée sur la faute. Pour Domat, qui a eu le mérite de formuler les termes
généraux de la responsabilité civile, « il n’y a pas de responsabilité sans faute ».

B – Le système du code civil

Les idées des anciens auteurs, notamment Domat, ont directement inspiré les rédacteurs du code civil.
Ce dernier a donc indiscutablement consacré la faute comme le fondement privilégié de toute
responsabilité. On peut, en se référant aux différents cas de responsabilité envisagés par le code civil,
schématiser ce système ainsi qu’il suit.

Si l’on est responsable des dommages que l’on provoque par son fait personnel, c’est seulement, comme
cela résulte des articles 1382 et 1383, lorsque ce fait constitue une faute intentionnelle ou non
intentionnelle. Il ne suffit donc pas que la victime prouve que le dommage a été matériellement causé
par la personne contre laquelle elle agit en responsabilité ; il faut en outre établir que l’auteur du
dommage ne s’est pas conduit comme il aurait dû le faire.

De même, lorsqu’on est responsable du fait d’autrui ou des choses (articles 1384, 1385 et 1386), c’est
encore l’idée de faute qui se retrouve à la base de l’obligation de réparer. Ainsi, les père et mère sont
responsables du dommage causé par leur enfant parce que la conduite dommageable de ce dernier fait
présumer qu’il a été mal élevé ou surveillé. La même idée vaut pour la responsabilité du fait des apprentis
ou des élèves. Quant aux maîtres ou commettants, ils sont responsables du fait des domestiques ou
préposés en vertu d’une faute présumée dans le choix ou la direction de ceux-ci. Enfin, c’est une faute
présumée de surveillance qui explique la responsabilité du fait des animaux (article 1385) et des
bâtiments (article 1386).

Cette conception classique de la responsabilité civile délictuelle est dite subjective, parce qu’elle se
fonde sur l’examen de la conduite de l’agent et sur la défaillance que l’on peut y relever. Elle est
demeurée pratiquement incontestée durant la majeure partie du XIXe siècle. Mais de nouvelles idées
vont ensuite exercer une influence considérable sur l’évolution ultérieure de la responsabilité civile
délictuelle.

§2 – L’évolution ultérieure de la responsabilité civile délictuelle

L’évolution du droit de la responsabilité civile postérieure au code civil est marquée par un double
phénomène d’« objectivation » (A) et de « collectivisation » (B) de la responsabilité civile délictuelle.

A – L’« objectivation » de la responsabilité civile délictuelle

Il faut préciser successivement les manifestations (1) et les fondements (2) de l’évolution objective de
la responsabilité civile délictuelle.

1 – Les manifestations de l’objectivation de la responsabilité civile délictuelle

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La multiplication des accidents, liée à la révolution industrielle, a été à la source d’une inflation du
contentieux en matière de responsabilité civile délictuelle. Mais cette situation a surtout révélé les limites
d’une responsabilité exclusivement fondée sur la faute. Car les victimes étaient souvent dans
l’impossibilité d’établir un comportement répréhensible de l’auteur du fait dommageable.

C’est pourquoi, à partir des années 1870, certains auteurs vont préconiser de « jeter la faute par dessus
bord ». Ces nouvelles idées sont porteuses du sentiment que tout dommage accidentellement subi par
un individu ou un groupe d’individus doit, dans une société bien construite, trouver une réparation
assurée. C’est la jurisprudence qui, dès les années 1880, a amorcé en droit positif ce mouvement
d’extension de la responsabilité civile. Celui-ci a progressivement conduit à la reconnaissance des
responsabilités sans faute, à une promotion des régimes de responsabilité du fait d’autrui et plus
tardivement à l’altération de la notion même de faute.

Le législateur ne sera pas en reste dans cette évolution. En effet, de la fin du XIXème siècle à nos jours,
de nombreuses lois viendront créer des régimes spéciaux de responsabilité sans faute dans des domaines
où les risques d’accidents sont élevés.

2 – Les fondements théoriques de l’objectivation de la responsabilité civile délictuelle

L’évolution objective ci-dessus décrite a été la source d’une importante interrogation doctrinale sur les
fondements de la responsabilité civile délictuelle qui, aujourd’hui encore, n’a toujours pas reçu de
réponses satisfaisantes. Quoi qu’il en soit, la doctrine a tenté de justifier le fait qu’un individu puisse
être déclaré responsable en dehors de toute faute de sa part à travers deux théories.

Il y a d’abord eu la « théorie du risque ». Celle-ci consiste à placer la source de la responsabilité civile


délictuelle, non plus seulement dans la faute que commet l’individu, mais également dans le risque qu’il
crée par son activité.

La « théorie du risque » a été relayée, au milieu du XXe siècle, par la « théorie de la garantie ». Selon
cette théorie, l’auteur d’une activité doit répondre des dommages éventuels qui en résulteront pour les
tiers, car il doit garantie au corps social des conséquences de son activité.

B – La « collectivisation » de la responsabilité civile délictuelle

L’évolution du droit positif vers un souci croissant d’indemnisation, et par conséquent vers
l’« objectivation » de la responsabilité civile, a montré ses limites.

D’une part, l’assouplissement des règles de la responsabilité civile délictuelle laisse subsister le
problème de la solvabilité du responsable. Or, la condamnation à réparation serait dépourvue d’intérêt
si le responsable ne peut faire face à la condamnation pécuniaire. D’autre part, l’extension de la
responsabilité a conduit finalement à engager la responsabilité de l’auteur d’un dommage fortuit, alors
que celui-ci ne s’est pas produit par sa faute.

Ces deux considérations ont profondément influencé l’évolution du droit de la responsabilité civile
délictuelle au cours du XXe siècle. Il s’est agi d’un mouvement consistant à étaler la charge de la
réparation sur le plus grand nombre. Cette « collectivisation » de la responsabilité civile, ou
« socialisation des risques » pour d’autres auteurs, s’est illustrée à travers le développement des
assurances, des fonds de garantie et de la sécurité sociale.

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SOUS-TITRE I – LES CONDITIONS DE LA RESPONSABILITE
CIVILE DELICTUELLE

La responsabilité civile, quelle qu’elle soit, présente toujours une structure générale. Elle suppose
d’abord un dommage ou préjudice ; c’est la condition fondamentale. Il faut ensuite qu’il y ait un fait
générateur, qui peut être un fait personnel du défendeur à l’action ou un fait de la personne ou de la
chose dont celui-ci doit répondre. Il faut surtout un rapport de causalité entre le fait générateur et le
dommage. Il y a lieu cependant de relever qu’alors que le dommage est toujours identiquement apprécié,
l’analyse de la causalité n’est commune que quant au principe ; pour ce qui est de ses modalités, elle
comporte des nuances sérieuses selon qu’on l’applique dans un domaine ou dans un autre.

L’importance de ces nuances oblige à étudier distinctement les trois régimes de responsabilité civile
délictuelle qui sont prévus par le code civil français. La responsabilité du fait personnel (chapitre 1)
d’abord, qui a valeur de principe et rassemble ce qu’il y a de commun. La responsabilité du fait d’autrui
(chapitre 2) et la responsabilité du fait des choses (chapitre 3), ensuite, qui se présentent comme des
exceptions à la précédente.

CHAPITRE 1 – LA RESPONSABILITE DU FAIT PERSONNEL

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Les articles 1382 et 1383 du code civil, en de termes généraux, obligent l’auteur de toute faute à réparer
le dommage qui en est résulté. On parle alors de responsabilité du fait personnel ou responsabilité pour
faute, par opposition à la responsabilité du fait des choses ou du fait d’autrui.

La responsabilité du fait personnel a en réalité une vocation générale, dans la mesure où elle constitue
le droit commun de la responsabilité civile délictuelle. En effet, elle pose le plus clairement les éléments
que suppose nécessairement toute responsabilité civile, à savoir : une faute (section 1), un dommage
(section 2) et un lien de causalité (section 3).

SECTION 1 – LA FAUTE

La notion de faute délictuelle n’est pas définie par le code civil. Il est donc revenu à la doctrine d’essayer
d’en dégager une. Celle-ci s’accorde à considérer que la faute est un standard susceptible de s’adapter
aux hypothèses les plus variées et pour l’application duquel le juge ne peut pas ne pas bénéficier d’un
large pouvoir d’appréciation. Toujours est-il que, pour tenter de cerner cette notion extrêmement fluide,
on dégagera d’abord les éléments constitutifs de la faute (§1), avant de procéder ensuite à la
classification des différentes catégories de fautes (§2).

§1 – Les éléments constitutifs de la faute

Au-delà des controverses doctrinales, la qualification de faute suppose de façon traditionnelle deux
éléments : un élément objectif (A) et un élément subjectif (B).

A – L’élément objectif de la faute

Toute faute se caractérise, d’abord et fondamentalement, par un élément matériellement constatable et


qui est constitutif d’une violation d’une norme de conduite (1). Il revient toutefois au juge d’en apprécier
l’illicéité (2).

1 – La violation d’une norme de conduite

La base de la faute réside dans un élément matériel ; il doit s’agir d’un fait, d’un comportement ou d’une
attitude jugé en soi incorrect. Cela peut aller du coup de poing primitif au montage financier le plus
sophistiqué. Peu importe qu’on exprime cela en disant qu’il y a eu violation d’une obligation, fait illicite
ou erreur de conduite.

Il est cependant communément enseigné que la faute délictuelle peut résulter d’un acte positif du
responsable ou d’une simple abstention de sa part.

Le premier type de faute, qu’on appelle faute de commission, suppose la méconnaissance d’une règle
de conduite imposée par une obligation préalable. Le plus souvent, il s’agira de la violation d’une règle
de droit écrit ou coutumier. Mais au-delà, un devoir général impose à toute personne de se conduire en
prenant les précautions et en apportant tous les soins exigés par l’activité entreprise et les circonstances
de l’action.

La faute délictuelle peut également consister en une abstention et on parle également de faute
d’omission. Il y a lieu cependant de préciser que la faute d’abstention ou d’omission, toujours selon la
jurisprudence, n’implique pas que son auteur ait été animé d’une intention de nuire à la victime. Une
simple abstention, volontaire ou non, suffit pour que la qualification de faute soit retenue.

2 – L’appréciation de l’élément objectif de la faute

Une fois le fait matériel constaté, le juge doit procéder à la qualification du comportement ; autrement
dit, il doit se poser la question de savoir si le fait qui a été relevé en l’espèce doit ou non être qualifié de
faute. Selon la solution retenue par la jurisprudence, la faute ne s’apprécie pas in concreto, c’est-à-dire

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par rapport aux aptitudes de l’auteur lui-même, mais in abstracto, c’est-à-dire par rapport à un modèle
abstrait.

L’appréciation in abstracto implique donc qu’il ne soit pas tenu compte des particularités strictement
personnelles du responsable dans l’appréciation de la faute. Ainsi, une personne étourdie ou maladroite
ne peut espérer que son comportement soit comparé à celui d’une personne présentant les mêmes
défauts. Le juge est plutôt tenu de réaliser l’appréciation de sa conduite en la confrontant à celle d’un
modèle abstrait. Cette référence ne doit pas être le comportement d’un citoyen parfait, mais celui d’un
individu moyen, « normalement prudent et diligent » selon une formule courante.

B – L’élément subjectif de la faute

La faute délictuelle suppose traditionnellement, au-delà de la violation d’une norme de comportement,


que le responsable ait eu conscience de la portée de ses actes. Il s’agit alors de l’élément subjectif, ce
qu’on appelle aussi l’imputabilité (1). Cependant, après une certaine évolution, cet élément est considéré
aujourd’hui comme abandonné par la doctrine française (2).

1 – L’exigence de l’imputabilité de la faute

La notion d’imputabilité peut d’abord être envisagée dans un sens matériel. En ce cas, elle signifie
simplement que l’acte dommageable doit émaner de la personne poursuivie comme responsable. Mais
lorsqu’on parle d’imputabilité comme un élément indispensable à la constitution d’une faute, on ne se
place pas sur ce plan purement matériel. On envisage le rapport que ce fait a ou n’a pas avec la volonté
de l’auteur du fait dommageable.

En effet, selon la doctrine classique, il ne peut y avoir responsabilité d’une personne que si celle-ci a eu
la possibilité de connaître le devoir violé ou la possibilité de l’observer. Ce qui suppose qu’elle a eu
conscience de ce qu’elle faisait ou ne faisait pas et que, dans l’exercice de son libre arbitre, elle aurait
pu, en décidant d’agir autrement, éviter la réalisation du dommage. Dans un tel contexte, un individu ne
pourrait être déclarée fautif qu’à la condition qu’il ait été libre et conscient de ses actes.

A cette condition d’imputabilité, on rattache diverses solutions. La conséquence essentielle est le


principe de l’irresponsabilité des individus privés de raison, tels que les aliénés mentaux et les très jeunes
enfants. Cette règle représente en principe notre droit positif en la matière.

2 – L’abandon de l’élément subjectif de la faute

Le principe de l’irresponsabilité des personnes privées de discernement a été l’objet de critiques au cours
du XXe siècle. Il lui était en particulier reproché de laisser sans indemnisation la victime d’un acte
objectivement anormal, au seul motif que cet acte était le fait d’un inconscient. Aussi s’est-il poser la
question de savoir s’il ne fallait pas supprimer l’exigence de l’imputabilité dans la faute. C’est la
jurisprudence qui a d’abord, dans un souci de protection des victimes, donné du principe de
l’irresponsabilité de la personne dépourvue de raison une interprétation étroite. Ainsi par exemple, les
juges ne l’appliquaient qu’autant qu’était établie la démence complète de l’auteur au moment même de
l’acte dommageable.

Mais plus tard, le droit positif français s’est orienté vers une faute purement objective, indépendamment
de l’état de conscience de l’auteur. Ce revirement s’est opéré en deux temps. Le législateur a d’abord
inséré dans le code civil, en 1968, un article 489-2 ainsi rédigé : « celui qui a causé un dommage à autrui
sous l’empire d’un trouble mental n’en est pas moins obligé à réparation ». Ce texte a ainsi permis à
une victime d’obtenir l’indemnisation d’un dommage causé par un aliéné en faisant abstraction de son
état mental. Dans un second temps, la jurisprudence a étendu la règle aux enfants en bas âge en 1984,
notamment en admettant que la victime d’un fait dommageable puisse agir directement contre l’infans
auteur sur le fondement des articles 1382 et 1383.

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Il résulte de l’évolution qui vient d’être décrite que l’imputabilité n’est plus en droit français un élément
indispensable à la constitution de la faute. Une conception objective de la faute s’est donc imposée. Il
n’est pas exclu que cette tendance contemporaine influe sur la jurisprudence gabonaise.

§2 – La classification des fautes

Les fautes peuvent être classées selon deux critères. Si l’on s’attache à l’élément matériel, on opposera
la faute de commission à la faute d’abstention. Si l’on s’attache en revanche à l’élément moral ou
psychologique, on va opposer la faute intentionnelle à la faute non-intentionnelle. La première
distinction ayant déjà été abordée, seule la seconde sera évoquée ici. Il va falloir, pour ce faire, dégager
successivement le critère (A) et les intérêts (B) de cette distinction.

A – Le critère de la distinction

Justifiée par une différence d’ordre psychologique, cette distinction n’est autre que celle du délit et du
quasi-délit fondée sur les articles 1382 et 1383 du code civil français. Dans le premier cas, on parle de
faute intentionnelle (1), et dans le second, de faute non-intentionnelle (2).

1 – La faute intentionnelle

L’intention est quelque chose de plus que la volonté d’agir ou de s’abstenir. Elle peut se définir comme
la volonté tendue vers un résultat. Autrement dit, la volonté porte non seulement sur l’acte ou
l’abstention, mais encore sur ses conséquences dommageables. La faute est donc intentionnelle lorsque
l’agent a eu la volonté de causer le dommage. Ce qui suppose qu’il ait eu une parfaite conscience du
dommage et du caractère inéluctable de celui-ci comme conséquence de son acte.

Ainsi, le jaloux qui décharge son revolver sur son rival et le chasseur qui, visant mal, atteint
mortellement son compagnon de chasse ont, l’un et l’autre, voulu tirer. Mais seul le premier a voulu tuer
et a donc commis une faute intentionnelle.

2 – La faute non-intentionnelle

La faute non-intentionnelle s’oppose naturellement à la faute intentionnelle. Commet donc une faute
non-intentionnelle celui dont la volonté ne s’est pas appliquée au dommage. Il a certes voulu l’acte, mais
il n’a pas prévu ses conséquences dommageables. Ainsi en est-il du chasseur maladroit ou inattentif ou
de l’automobiliste qui roule vite, mais qui n’a pas l’intention de provoquer un accident.

C’est cette faute qui est envisagée par l’article 1383 du code civil en parlant de « négligence » et
d’« imprudence ». On peut dire que la négligence est le relâchement de l’attention. C’est le fait de
n’avoir pas prévu l’éventualité d’un dommage. L’imprudence est au contraire un défaut de réflexion sur
les conséquences possibles de l’acte. L’agent n’a pas pris les précautions nécessaires pour éviter la
réalisation du dommage.

B – Les intérêts de la distinction

Le code civil, comme démontré plus haut, distingue, en matière de responsabilité extracontractuelle, la
faute intentionnelle de la faute non-intentionnelle. Dans la mesure où ces deux fautes n’ont pas la même
gravité, il en résulte une sorte de hiérarchie des fautes.

Mais si le caractère intentionnel ou non du comportement de l’agent entraîne des conséquences en droit
pénal ou même en matière de responsabilité civile contractuelle, il est en revanche indifférent à la
responsabilité civile délictuelle. En effet, qu’elle soit intentionnelle ou non-intentionnelle, qu’elle soit
grave ou légère, la faute engage pareillement la responsabilité de son auteur.

Il convient cependant de relever que cette distinction de la faute intentionnelle et de la faute non
intentionnelle peut avoir une incidence sur le plan pratique. Car, les juges sont le plus souvent enclins à

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augmenter le montant des dommages et intérêts lorsque la faute est intentionnelle. Mais il ne s’agit que
d’une question de pur fait et non d’un principe de droit.

SECTION 2 – LE DOMMAGE

Le dommage consiste en une atteinte portée à des intérêts patrimoniaux ou extrapatrimoniaux de la


victime. Il constitue la condition première à l’existence de toute responsabilité civile. Autrement dit,
sans dommage – on dit aussi préjudice – subi par la victime, il ne saurait y avoir de responsabilité civile.
Toutefois, tout dommage n’est pas toujours suffisant pour mettre en jeu la responsabilité de son auteur.
Les dommages sont en effet variés (§1) et doivent présenter certains caractères pour ouvrir droit à
réparation (§2).

§1 – Les différentes catégories de dommages

On distingue traditionnellement trois grandes catégories de dommages : le dommage matériel (A), le


dommage moral (B) et le dommage corporel (C).

A – Le dommage matériel

Le dommage matériel s’analyse en une atteinte aux intérêts patrimoniaux de la victime. Il est donc
susceptible d’une évaluation pécuniaire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, pour le désigner, on
parle aussi de dommage économique, pécuniaire ou patrimonial.

Il peut d’abord consister en une perte subie, ce que les romains appelaient damnun emergens. Ce qui
suppose que le fait dommageable a entraîné l’appauvrissement de la victime. Ainsi en est-il, par
exemple, de la destruction ou de la détérioration d’une chose, des dépenses inutiles qu’on a dû exposer,
de la privation de la jouissance d’une chose, etc.

Mais le dommage matériel peut aussi consister en un gain manqué, appelé en latin lucrum cessans. Il
s’agit de l’hypothèse où la victime a été privée d’un enrichissement qu’elle pouvait raisonnablement
espérer. Ainsi est-il, par exemple, de la perte du bénéfice qui aurait été obtenu par la vente du bien détruit
ou de la bonne affaire qui a été manquée par suite de l’annulation d’une commande, etc.

B – Le dommage moral

La définition la plus communément retenue est négative. Le dommage moral est défini comme celui
qui, ne portant pas atteinte au patrimoine, n’a pas d’incidence directe et n’est pas susceptible
immédiatement d’une évaluation pécuniaire. On peut synthétiser en disant qu’il s’agit d’une atteinte
aux sentiments de la victime. Ainsi en est-il de l’atteinte à l’honneur, à l’affection et plus généralement
aux joies et plaisirs de la vie. Malgré quelques hésitations notées en la matière, la jurisprudence admet,
sans aucune ambiguïté, le principe de l’indemnisation du préjudice moral.

C – Le dommage corporel

Le dommage corporel résulte de toute atteinte à l’intégrité physique de la victime. D’un point de vue
purement théorique, il ne constitue pas une catégorie autonome de préjudice. Car, l’atteinte à l’intégrité
physique occasionne des dommages qui sont en réalité à la fois matériels et moraux. Ce dommage est
cependant emprunt d’un tel particularisme qu’il est traditionnel de considérer qu’il constitue un type
particulier de préjudice.

L’aspect matériel du préjudice corporel apparaît dans tous les préjudices patrimoniaux nés de l’atteinte
corporelle. Ainsi en est-il des frais médicaux (hospitalisation, traitements, etc.) et de toute incidence
économique de l’état de la victime (revenus perdus, pertes futures, etc).

L’aspect moral se traduit, quant à lui, par la diminution du bien-être de la victime, sous différentes
formes. La jurisprudence prend en compte trois catégories principales. Il y a d’abord les souffrances
morales et physiques éprouvées, que l’on désigne sous l’expression de pretium doloris (prix de la

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douleur). Il y a ensuite le préjudice d’agrément, qui est lié à la privation de certaines joies et satisfactions
de la vie (cécité, surdité, impuissance sexuelle). Il y a enfin le préjudice esthétique, qui est l’atteinte à
l’apparence physique de la victime (cicatrices, mutilations, déformations, etc).

§2 – Les caractères du dommage

Tout dommage n’ouvre pas droit à réparation. Car, quelle que soit sa nature, un dommage invoqué
n’ouvre droit à réparation que s’il présente un triple caractère : il doit être direct (A), certain (B) et
légitime (C).

A – Le caractère direct du dommage

Le caractère direct du dommage signifie que le préjudice ne peut être réparé qu’à la condition d’avoir
été personnellement subi par le demandeur. Cette exigence d’un préjudice personnel ne pose, le plus
souvent, aucune difficulté. Elle peut toutefois être source d’incertitudes à l’égard des victimes par
ricochet et des groupements et associations.

Il est fréquent que l’atteinte portée aux intérêts matériels et moraux d’une personne impacte, par
contrecoup, d’autres personnes qui en étaient proches. On se trouve alors en présence de ce que l’on
nomme un préjudice « par ricochet » ; on dit encore préjudice « réfléchi » ou préjudice « indirect ».
Ainsi, lorsqu’un homme décède, sa femme et ses enfants sont victimes par ricochet du fait du décès du
père de famille. La réparation d’un tel préjudice est aujourd’hui largement admise.

Les groupements dotés de la personnalité morale peuvent, au même titre que les personnes physiques,
demander la réparation du préjudice subi lorsqu’il est porté atteinte à leurs intérêts matériels ou moraux.
Il s’agit en fait d’un préjudice personnel. Mais la question se pose de savoir si ces groupements peuvent
demander réparation lorsqu’une atteinte est portée aux intérêts collectifs défendus par l’entité. La
recevabilité d’une telle action pourrait en effet se heurter à l’absence de caractère personnel du
dommage. La tendance, aussi bien législative que jurisprudentielle, est cependant d’habiliter certains
groupements à agir pour la défense des intérêts collectifs de la profession ou même des intérêts
individuels de leurs membres.

B – Le caractère certain du dommage

Pour être réparable, un dommage doit être actuel et certain. Il faut entendre par-là que seul un dommage
réel peut donner lieu à réparation. Cette condition de bon sens a pour objet d’exclure la réparation des
préjudices qui ne seraient qu’éventuels. Un simple risque ne saurait en effet donner lieu à réparation. Il
en est ainsi, par exemple, du risque de licenciement de la salariée d’une institution religieuse dont une
photographie indiscrète a été publiée.

Toutefois, le préjudice n’a pas besoin d’être déjà réalisé. Seule sa certitude doit être actuelle. Le
préjudice futur est donc parfaitement réparable dès lors que sa réalisation est certaine. Tel est le cas des
pertes d’exploitation consécutives à l’incendie d’une usine, de la perte de jouissance d’un bien par suite
de sa destruction ou encore des frais d’une hospitalisation future.

Il a été relevé en doctrine que la distinction entre le préjudice futur certain et le préjudice éventuel est
très délicate à établir en pratique. Aussi la jurisprudence a-t-elle introduit une notion intermédiaire : « la
perte d’une chance ». Cette notion est utilisée lorsque l’existence ou l’étendue du préjudice dépendait
d’un événement aléatoire auquel la victime n’a pu participer. Ce serait, par exemple, le cas du candidat
empêché de se présenter à un examen ou du plaideur empêché de soutenir son procès par une erreur de
procédure de son avocat, etc.

C – Le caractère légitime du dommage

La réparation d’un dommage est traditionnellement subordonnée à la condition qu’une atteinte soit
portée à « un intérêt juridiquement protégé ». Ce qui signifie qu’un préjudice invoqué par une victime
ne peut ouvrir droit à réparation que s’il ne contrarie pas l’ordre public et les bonnes mœurs. En d’autres

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termes, il ne doit pas présenter un caractère illicite ou immoral. C’est ce qu’on exprime en exigeant du
dommage qu’il soit légitime. Pendant longtemps, cette exigence a conduit la jurisprudence à refuser
d’indemniser les préjudices moraux et matériels causés par le décès du concubin, au motif qu’un intérêt
juridiquement protégé n’était pas lésé.

Même si ce cas particulier est aujourd’hui réglé, la jurisprudence ayant admis le droit à réparation du
concubin, la condition relative à la légitimité du dommage n’a pas pour autant totalement disparu. Elle
demeure en effet une exigence générale du droit d’action en justice posée par le code de procédure civile.
Ainsi, certaines victimes en situation illicite se voient refuser toute indemnisation. Tel est le cas par
exemple de la prostituée qui, à la suite d’un accident corporel, demanderait à être indemnisée de
l’obligation de se reconvertir.

SECTION 3 – LE LIEN DE CAUSALITE

Il ne suffit pas à la victime d’un dommage d’établir la faute pour obtenir une condamnation de son auteur
à la réparation. Encore faut-il qu’elle établisse une relation de cause à effet entre le fait générateur et le
préjudice invoqué. C’est l’exigence du lien de causalité. Cependant, si l’exigence du lien de causalité
est évidente, son appréhension est complexe dans la pratique. Le juge se trouve alors confronté à deux
principales difficultés : déterminer le lien de causalité (§1) et l’incidence de la pluralité de causes (§2).

§1 – La détermination du lien de causalité

La détermination du lien de causalité passe par la résolution de deux difficultés : celle relative à la
définition de la notion même de causalité (A) et celle concernant la preuve de cette causalité (B).

A – La notion de causalité

La notion de causalité n’est pas définie par le code civil. Toujours est-il que la doctrine propose certaines
conceptions théoriques du lien de causalité (1), alors que la jurisprudence exige qu’il présente certains
caractères (2).

1 – Les théories doctrinales de la causalité

Il est rare qu’un dommage soit le fruit d’un fait unique. Le plus souvent, il est issu d’un concours de
circonstances. C’est ce qui explique la difficulté qu’il y a à déterminer le lien de causalité. Par exemple,
lorsqu’un étudiant qui quitte son domicile du fait d’un appel téléphonique inopportun est renversé par
un chauffeur ivre alors qu’il traversait la route en lisant, quelle est la cause du dommage entre l’appel
téléphonique, la faute du chauffeur et l’imprudence de l’étudiant ?

La doctrine a contribué à l’appréhension de la notion de causalité en proposant diverses théories. Les


deux principales sont la théorie de l’équivalence des conditions et la théorie de la causalité adéquate.

La théorie de l’équivalence des conditions refuse de choisir entre les conditions nombreuses qui ont
déterminé le dommage. Dès lors qu’elles apparaissent comme une condition sine qua non, sans laquelle
le dommage ne se serait pas produit, elles sont considérées comme équivalentes et en relation causale
suffisante avec celui-ci. Dans l’exemple donné ci-dessus, les trois agissements seront, en application de
cette théorie, considérés comme étant les causes du dommage subi par l’étudiant.

La théorie de la causalité adéquate part, au contraire, d’un principe de sélection des antécédents du
dommage. Parmi les différents facteurs du dommage, ne pourrait être retenu comme cause juridique que
celui qui en est « la cause efficiente », c’est-à-dire celui qui devait normalement le produire selon le
cours habituel des choses et l’expérience de la vie. Ainsi, dans l’exemple qui a été pris, l’ébriété du
chauffeur et l’inattention du piéton seront considérées comme des causes efficientes. En revanche,
l’appel téléphonique, qui ne conduit pas habituellement à faire renverser son destinataire, ne le sera pas.

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Il faut cependant souligner que ces deux conceptions sont demeurées essentiellement théoriques, la
jurisprudence n’ayant pas pris parti en faveur de l’une ou de l’autre. L’appréciation se fait donc en la
matière au cas par cas.

2 – Les caractères du lien de causalité

Au-delà des constructions doctrinales, la jurisprudence ne retient l’existence d’une relation suffisante
de cause à effet que si ce lien causal présente deux caractères cumulatifs.

La causalité doit d’abord être certaine. De ce point de vue, l’existence d’un lien de causalité suppose
que le fait dommageable imputable au responsable a bien été nécessaire à la production du dommage. Il
en résulte que la responsabilité sera écartée en cas de doute.

La causalité doit ensuite être directe. La jurisprudence exclut en effet la réparation du dommage lorsque
celui-ci n’a pas été directement causé par le fait dommageable. Ainsi, les articles 1382 et 1383 ne
peuvent être utilement invoqués contre le propriétaire d’une arme volée, alors que le voleur a causé un
accident avec celle-ci.

B – La preuve du lien de causalité

L’apparition d’un dommage peu après qu’une faute a été constatée ne suffit pas à établir l’existence
d’un lien causalité. Encore faut-il prouver que la faute a eu un rôle générateur dans la production de ce
dommage.

Dans la mesure où il s’agit d’un fait juridique, cette preuve peut être rapportée par tous les moyens. La
conséquence de cette liberté de la preuve est une atténuation de la condition de certitude du lien causal.
En effet, les juges se contentent souvent d’une probabilité suffisante de causalité. Le droit positif retient
d’ailleurs, afin de faciliter la tâche probatoire de la victime, un certain nombre de présomptions de
causalité.

On peut mentionner, à ce titre, la présomption qui résulte de l’hypothèse où une personne crée par sa
faute une situation objectivement dangereuse. La jurisprudence tend alors à présumer l’existence d’un
lien de causalité entre la faute et le dommage (Par exemple, lorsqu’une personne a prêté une carabine
chargée à un enfant, la faute ainsi commise peut être présumée constituer la cause du dommage survenu).

On peut également citer l’hypothèse où un dommage est causé par une personne non identifiée, mais
faisant partie d’un groupe de personnes déterminées. La jurisprudence admet que la responsabilité du
dommage résultant ainsi d’une action commune incombe à chacun des participants à cette action. Ce
qui revient à présumer, jusqu’à preuve contraire, le caractère causal de la participation de chaque
membre du groupe.

§2 – La pluralité des causes

La survenance d’un dommage peut être le fruit d’une multiplicité de causes factuelles. Une telle situation
peut avoir une double incidence sur la responsabilité des auteurs. Soit elle entraîne une exonération de
responsabilité (A), soit elle conduit à une responsabilité in solidum (B).

A – L’exonération de responsabilité

Lorsque le dommage est dû à l’effet conjoint d’un fait imputable au responsable et d’un autre fait qui
lui est étranger, cette pluralité des causes produit une exonération de responsabilité. Mais l’étendue de
cette exonération diffère suivant que la cause étrangère est une force majeure ou la faute de la victime.

La faute de l’auteur d’un fait dommageable peut d’abord coexister avec un événement de force majeure.
C’est le cas, par exemple, d’une inondation provoquée par des eaux provenant d’un orage
exceptionnellement violent, mais qui rencontrent une digue imprudemment élevée. La faute du
constructeur de la digue est en concours avec une force majeure. La solution classique a consisté à retenir

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la responsabilité de l’auteur du fait dommageable, mais en ne le condamnant à réparer qu’une partie du
préjudice. La jurisprudence actuelle semble cependant exclure cette sorte de causalité partielle en
considérant que la force majeure est nécessairement la source d’une exonération totale de responsabilité.

Le préjudice subi par la victime peut ensuite résulter à la fois d’un fait de l’auteur du dommage et d’une
faute de la victime elle-même. Dans une telle hypothèse, deux causes ayant concouru au dommage, le
défendeur va bénéficier d’une exonération partielle de responsabilité. Autrement dit, il y a partage de
responsabilité entre l’auteur du dommage et la victime.

B – La responsabilité in solidum

Lorsque plusieurs auteurs ont commis des fautes qui sont chacune jugée à l’origine du dommage, ils
sont coresponsables envers la victime. On parle alors de responsabilité in solidum, dans ce sens qu’ils
sont tenus conjointement d’indemniser la victime.

L’existence d’une telle obligation produit des effets tant dans les rapports unissant les responsables à la
victime qu’au niveau des rapports entre coresponsables. C’est ainsi que, envers la victime, chacun des
coresponsables est tenu d’une réparation intégrale du préjudice causé. La victime peut donc demander
à n’importe lequel d’entre eux le paiement de la totalité des dommages et intérêts.

Dans les rapports entre coresponsables, celui d’entre eux qui a indemnisé la victime dispose contre les
autres d’une action récursoire pour obtenir remboursement de leur part contributive. Cette action trouve
son fondement dans la subrogation de celui qui a payé dans les droits de la victime contre les autres
responsables.

CHAPITRE 2 – LA RESPONSABILITE DU FAIT D’AUTRUI

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Lorsqu’un individu commet un fait dommageable, sa responsabilité personnelle doit normalement être
recherchée sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil. Toutefois, dans certaines
hypothèses, le droit positif reporte la charge de cette responsabilité sur un tiers. Celui-ci est donc
responsable du fait d’autrui.

Ce type de responsabilité est prévu par le code civil dans des hypothèses spéciales. Il en est ainsi de la
responsabilité des père et mère du fait de leurs enfants mineurs (section 1), de la responsabilité des
commettants du fait de leurs préposés (section 2) et de la responsabilité des instituteurs et des artisans
du fait de leurs élèves et de leurs apprentis (section 3). A ces différents régimes spéciaux de
responsabilité du fait d’autrui, il faut aujourd’hui ajouter un principe général de responsabilité du fait
d’autrui dégagé par la jurisprudence de l’article 1384 alinéa 1er (section 4).

SECTION 1 – LA RESPONSABILITE DES PERE ET MERE

La responsabilité des père et mère, du fait de leurs enfants mineurs, est prévue par l’article 1384 alinéa
4 du code civil français. L’interprétation de ce dernier texte a fait l’objet d’une importante évolution
jurisprudentielle aussi bien quant à ses conditions d’application (§1) que quant à la nature de la
responsabilité en découlant (§2).

§1 – Les conditions de la responsabilité des père et mère

La responsabilité des parents a été conçue comme une contrepartie de l’autorité des père et mère que
ceux-ci exercent sur leurs enfants mineurs. C’est pour cette raison que cette responsabilité ne trouve
application qu’à la condition que les parents exercent leur autorité sur l’enfant (A) et que ce dernier,
cohabitant avec eux (B), ait causé un dommage à autrui (C).

A – L’exercice de l’autorité des père et mère

Il y a lieu de préciser cette exigence aussi bien par rapport aux personnes responsables (1) que par
rapport aux personnes dont on doit répondre (2).

1 – Les personnes responsables

Selon l’ancien article 1384 alinéa 4 du code civil français, tel qu’applicable au Gabon, « le père, et la
mère après le décès du père, sont responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant
avec eux ». Cette formulation s’explique par le fait que la puissance paternelle, l’ancêtre de l’autorité
parentale, était exclusivement exercée par le père. Mais aujourd’hui, aussi bien en droit français qu’en
droit gabonais, le père et la mère sont placés sur un pied d’égalité en ce qui concerne l’exercice de
l’autorité parentale. Il faut dès lors considérer qu’ils peuvent être l’un et l’autre déclarés responsables
du fait de leurs enfants mineurs.

La désignation par le texte des seuls « père et mère » a été interprétée de manière restrictive. Elle est en
effet considérée comme étant exclusive de toute autre personne. En conséquence, les diverses personnes
autres que les père et mère, qui peuvent être amenées à assurer la garde d’un enfant mineur, ne sont pas
responsables sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4. Il s’agit principalement des grands parents,
oncles ou tantes et autres tuteurs. En revanche, en ce qui concerne les père et mère, ils sont responsables
quelle que soit la nature de la filiation.

2 – L’auteur du fait dommageable

L’autorité des père et mère, sur laquelle s’appuie la responsabilité des parents, implique que l’enfant
soit encore mineur. Il en résulte que l’auteur du fait dommageable doit nécessairement être un enfant de
moins de vingt un (21) ans, conformément à l’article 492 du code civil gabonais.

La responsabilité est donc exclue lorsque l’enfant a déjà atteint sa majorité. De même, l’émancipation
mettant fin à l’autorité des père et mère, la responsabilité de ces derniers ne saurait être engagée du fait
de leurs enfants mineurs émancipés (article 616 du code civil gabonais).

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B – La cohabitation avec l’enfant

Selon les termes de l’article 1384 alinéa 4, l’exercice de l’autorité des père et mère ne suffit pas à engager
la responsabilité des parents. Ces derniers doivent en outre cohabiter avec l’enfant. La jurisprudence
classique considérait que la rupture de cette cohabitation pour un motif légitime, même pour une brève
durée, excluait la responsabilité des père et mère. Cette solution s’expliquait par le fait que la
responsabilité des parents étant liée à l’idée de surveillance, elle devait cesser lorsque l’enfant échappe
normalement à celle-ci (ex. vacance chez les grands parents, séjour chez le parent non gardien, etc.).

Cette lecture de l’article 1384, alinéa 4, a été assouplie par la jurisprudence. La condition de cohabitation
a ainsi été jugée remplie en cas d’absences brèves du mineur (écoles, voyages, vacances, etc.) ou écartée
lorsque la cohabitation est rendue impossible par une faute des parents (séparation de fait, abandon de
foyer, fugue de l’enfant, etc.). Mais la principale évolution s’est réalisée lorsqu’il a été précisé que le
fait de le confier temporairement à un tiers ne fait pas cesser la cohabitation avec ses parents (Civ. 2 ème,
9 mars 2000, JCP 2000.IV.1730). Il n’est donc plus nécessaire qu’il y ait communauté de vie au moment
de la commission du fait dommageable. La jurisprudence retient ainsi de la notion de cohabitation une
conception juridique et non plus matérielle.

C – Le fait de l’enfant

La responsabilité des parents étant une responsabilité du fait d’autrui, elle ne peut être engagée qu’à la
condition que l’enfant ait causé un dommage à un tiers. Pendant longtemps, la mise en jeu de cette
responsabilité supposait celle de l’enfant préalablement établie. Le fait qui lui était reproché devait donc,
en l’occurrence, être fautif.

La jurisprudence a cependant opéré en la matière une remarquable évolution. D’abord, dans un arrêt
d’assemblée plénière du 9 mai 1984, la Cour de cassation a affirmé qu’un acte simplement causal suffit
à engager la responsabilité des parents (arrêt Fullenwarth ). La victime n’avait donc plus à prouver
l’illicéité du fait de l’enfant, la preuve de son rôle causal étant suffisante.

La Cour de cassation est ensuite allée plus loin en 2001 en décidant que la responsabilité des père et
mère n’est pas subordonnée à l’existence d’une faute de l’enfant et n’implique pas l’examen préalable
de la responsabilité de ce dernier (arrêt Levert). Cette décision consacre définitivement l’autonomie de
la responsabilité des parents par rapport à la responsabilité personnelle des enfants.

§2 – La nature de la responsabilité des père et mère

D’après l’alinéa 7 de l’article 1384, la responsabilité des père et mère n’a pas lieu d’être s’ils prouvent
« qu’ils n’ont pu empêcher le fait qui donne lieu à leur responsabilité ». Pendant longtemps, cette
formule a été interprétée comme conférant à la présomption prévue par l’article 1384 alinéa 4 la valeur
d’une présomption simple de faute. Autrement dit, la victime n’avait pas à prouver la faute des parents,
mais ceux-ci pouvaient s’exonérer leur responsabilité en établissant l’absence de faute de leur part.

Dans un premier temps, la jurisprudence s’est montrée très sévère pour admettre cette exonération de
responsabilité. C’est ainsi que la Cour de cassation, tout en maintenant le principe d’une responsabilité
fondée sur une présomption simple de faute, la renforça en considérant que le comportement de l’enfant
établissait par lui-même le défaut d’éducation et de surveillance.

Mais par un arrêt du 19 février 1997 (Civ. 2ème, 19 février 1997, arrêt Bertrand, D. 1997, 265 ; JCP
1997.II.22848), la Cour de cassation a rompu avec cette longue tradition en affirmant que la
responsabilité des parents est désormais une responsabilité de plein droit dont ceux-ci ne peuvent
s’exonérer que par la cause étrangère (force majeure ou faute de la victime). L’évolution est
considérable, puisque, à la responsabilité fondée sur une présomption simple de faute, est substituée une
responsabilité sans faute et donc objective. Les parents ne peuvent donc plus s’en exonérer par la preuve
contraire.

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SECTION 2 – LA RESPONSABILITE DES COMMETTANTS

L’article 1384, alinéa 5, du code civil déclare « les maîtres et les commettants » responsables du
dommage causé « par les domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ».
Cette responsabilité, communément appelée responsabilité des commettants, permet à la victime
d’obtenir indemnisation d’une personne qui exerçait une autorité sur l’auteur du fait dommageable. Il
faut en examiner successivement les conditions (§1) et le régime (2).

§1 – Les conditions de la responsabilité des commettants

Pour que la responsabilité du commettant puisse être engagée, trois conditions cumulatives doivent être
remplies : il faut un rapport de préposition (A), que le préposé ait commis un fait dommageable (B) et
que ce fait dommageable se rattache aux fonctions du préposé (C).

A – Le rapport de préposition

Un commettant ne peut être déclaré responsable des dommages causés par son préposé que s’il est
possible de les lui rattacher. Cela suppose l’existence d’un lien de préposition entre le responsable et
l’auteur du fait dommageable. Ce lien de préposition est habituellement défini comme un lien de
subordination résultant de l’autorité du commettant sur le préposé.

Le rapport de préposition résultera normalement du contrat de travail, lequel implique une subordination
juridique du salarié à son employeur. Cette coïncidence entre le rapport de préposition et le contrat de
travail a même conduit la jurisprudence à admettre l’application de l’article 1384 alinéa 5 dans
l’hypothèse où le salarié dispose d’une totale liberté individuelle dans l’exercice de sa mission
(responsabilité d’une clinique du fait de son médecin salarié).

Mais le rapport de préposition peut aussi résulter d’autres contrats, comme par exemple le mandat, dès
l’instant où une personne exerce à l’égard d’une autre des ordres lors de l’accomplissement de sa
mission. Sont au contraire rebelles à la reconnaissance d’un lien de préposition les contrats qui
impliquent une indépendance de celui qui agit ou travaille pour le compte d’autrui (entrepreneur, avocat,
architecte, etc.).

B – Le fait dommageable du préposé

L’article 1384, alinéa 5, ne contient aucune référence à l’exigence d’un fait générateur de responsabilité
accompli par le préposé. Ce texte se contente de mentionner l’existence d’un dommage causé par ce
dernier. La jurisprudence en a cependant déduit que la mise en jeu de la responsabilité du commettant
impliquait que le préposé ait accompli un fait susceptible d’engager sa propre responsabilité.

La nécessité de cette condition est une évidence. Car, d’une part, pas plus qu’une autre victime, celle
d’un préposé ne saurait prétendre à réparation lorsque le dommage lui a été causé dans l’exercice d’une
activité régulière. D’autre part, dans la mesure où le commettant garantit son préposé, sa responsabilité
suppose que celui-ci ait commis un acte de nature à le rendre personnellement responsable.

C – Le rattachement du fait dommageable aux fonctions du préposé

L’existence d’un lien de préposition entre le commettant et l’auteur du dommage ne suffit pas à engager
la responsabilité du premier. L’article 1384, alinéa 5, exige en outre que le préposé ait agi dans le cadre
des fonctions auxquelles il était employé. D’où l’on déduit la condition du rattachement de l’acte
dommageable aux fonctions du préposé. Cette condition ne pose aucun problème particulier dans la très
grande majorité des cas. La difficulté a toutefois toujours été de savoir dans quelle mesure l’acte du
préposé, qui s’écarte quelque peu de ses fonctions sans être totalement étranger à celles-ci, engage-t-il
la responsabilité du commettant ? Cette question est désignée sous l’expression « abus de fonctions ».

La question de « l’abus de fonction» a longuement divisé la jurisprudence, y compris jusqu’au sein de


la Cour de cassation. Deux conceptions s’opposaient : une conception large, d’une part, retenant la

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responsabilité du commettant chaque fois que le préposé a agi « à l’occasion » de ses fonctions. Une
conception étroite, d’autre part, admettant que le commettant cesse d’être engagé dès lors que l’employé
s’est soustrait à son autorité. L’unification ne s’est réalisée qu’en 1988 par un arrêt d’Assemblée plénière
qui affirme que l’abus de fonctions est constitué et n’exonère le commettant de sa responsabilité que
lorsque « le préposé a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation, et à des fins
étrangères à ses attributions » (Ass. plén., 19 mai 1988, GA, vol. 2, n° 215 ; D. 1988, 513).

§2 – Le régime de la responsabilité des commettants

Il faut examiner tour à tour la nature de la responsabilité du commettant (A) et le recours dont ce dernier
dispose contre le préposé (B).

A – La nature de la responsabilité du commettant

Selon une solution aujourd’hui unanimement admise, la responsabilité du commettant du fait de ses
préposés est une responsabilité sans faute, donc purement objective. En dépit de ce qu’on avait cru à
l’origine, le fait du préposé n’a pas pour rôle de révéler une faute du commettant dans le choix ou la
surveillance. La responsabilité du commettant est plutôt celle d’un répondant. De ce fait, le fait
dommageable du préposé en en entraîne la mise en jeu indépendamment de toute appréciation du
comportement du commettant. Il en résulte que la victime n’a pas à prouver la faute du commettant.
Réciproquement, celui-ci ne peut s’en exonérer par la preuve de son absence de faute.

B – Le recours du commettant contre le préposé

Dans sa logique originelle, la responsabilité des commettants n’était pas analysée comme leur imputant
la charge définitive de la réparation due aux victimes. Elle laissait subsister la responsabilité personnelle
du préposé qui devait donc être le débiteur définitif des dommages et intérêts. Il en résultait que le
commettant qui a indemnisé la victime disposait d’un recours contre son préposé.

Cette solution a cependant été profondément remise en cause par la jurisprudence. Un arrêt d’assemblée
plénière de la Cour de cassation du 25 févier 2000 a notamment énoncé que « n’engage pas sa
responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été
impartie par son commettant » (arrêt Castedoät). Cette décision bouleverse complètement les solutions
acquises tant au niveau du recours du commettant que de l’action de la victime. En effet, il en résulte
que le préposé qui respecte sa mission bénéficie d’une véritable immunité qui le met à l’abri aussi bien
du recours du commettant que de l’action des tiers.

SECTION 3 – LA RESPONSABILITE DES INSTITUTEURS ET DES ARTISANS

La responsabilité des instituteurs du fait de leurs élèves et celle des artisans du fait de leurs apprentis
sont présentées parallèlement par l’article 1384 alinéa 6 du code civil français. Bien que ce parallèle ait
été altéré avec la modification par le législateur des conditions de la responsabilité des instituteurs, il
convient néanmoins de les examiner successivement l’une (§1) après l’autre (§2).

§1 – La responsabilité des instituteurs du fait de leurs élèves

Si les instituteurs sont visés par l’alinéa 6 de l’article 1384, en même temps que les artisans, leur
responsabilité a connu une importante évolution qui a eu une incidence aussi bien sur ses conditions (A)
que sur son régime (B).

A – Les conditions de la responsabilité des instituteurs

D’après le code civil, les instituteurs étaient déclarés responsables des dommages causés par les élèves
placés sous leur surveillance et pendant le temps de cette surveillance. Cette responsabilité était fondée
sur une présomption de faute. Une loi du 5 avril 1937 est venue supprimer cette présomption de faute
en ajoutant à l’article 1384 un alinéa 8 qui dispose que : « En ce qui concerne les instituteurs, les fautes,

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imprudences ou négligences invoquées contre eux comme ayant causé le fait dommageable, devront
être prouvées, conformément au droit commun, par le demandeur à l’instance ».

Il résulte donc de la combinaison des alinéas 6 et 8 de l’article 1384 du code civil que la mise en jeu de
la responsabilité des instituteurs suppose la réunion de deux éléments. Elle est d’abord subordonnée à
la preuve de la faute de l’enseignant par le demandeur à l’action. La faute la plus fréquemment invoquée
est la faute de surveillance, mais toute imprudence ou négligence peut être retenue. Le dommage doit
ensuite avoir été causé par l’enfant alors qu’il était sous la surveillance de l’instituteur. Toutefois, la
responsabilité de l’instituteur couvre toute la durée de la vie scolaire et sous ses différents aspects (cours,
récréation, sorties, activités extérieures, etc.).

Il y a lieu de préciser que la responsabilité des instituteurs concerne non seulement ceux de
l’enseignement public, mais aussi ceux des établissements privés. Le domaine des personnes
responsables dépasse d’ailleurs largement les enseignants des classes primaires pour s’étendre à tous les
membres de l’enseignement, à l’exclusion des professeurs d’université. Cette responsabilité est même
appliquée à toutes les personnes qui ont une mission en relation avec l’enseignement, tels que
surveillants, directeurs d’établissements, éducateurs, etc..

B – Le régime de la responsabilité des instituteurs

Une distinction doit être établie selon que l’enseignant relève d’une école publique ou d’une école
privée.

Pour ce qui est des enseignants qui exercent dans le cadre d’un établissement public ou privé ayant un
contrat avec l’Etat, une loi du 20 juillet 1899 (reprise par la loi du 5 avril 1937) a substituée à leur
responsabilité celle de l’Etat. Il en résulte que, une fois la faute de l’enseignant prouvée, c’est contre
l’Etat que doit être dirigée l’action en réparation. En aucun cas, l’enseignant ne peut être appelé
personnellement à l’instance ou mis en cause.

En ce qui concerne les membres de l’enseignement privé, la réforme mentionnée ci-dessus a entraîné un
retour pur et simple au droit commun. La victime peut assigner personnellement l’enseignant en
prouvant qu’il a commis une faute qui a permis le dommage. Mais elle conserve également la possibilité
d’agir directement contre l’établissement dont il est le préposé sur le fondement de la responsabilité des
commettants.

§2 – La responsabilité des artisans du fait des apprentis

La responsabilité des artisans du fait de leurs apprentis se rapproche de celle des parents du fait de leurs
enfants. Il y a lieu d’étudier successivement ses conditions (A) et sa nature juridique (B).

A – Les conditions de la responsabilité des artisans

La mise en œuvre de la responsabilité de l’artisan du fait de son apprenti suppose réunies trois
conditions.

La première condition est l’existence d’une relation d’apprentissage. Cette responsabilité incombe donc
à toute personne qui dispense une formation professionnelle à un mineur dans le cadre d’une relation de
travail. Le terme « artisan » ne doit donc pas être pris au sens étroit.

En deuxième lieu, l’artisan ne répond que des dommages causés par son apprenti pendant le temps qu’il
est sous sa surveillance. Il s’agit là, en quelque sorte, de l’équivalent de la condition de cohabitation
dans la responsabilité des parents.

La responsabilité des artisans suppose, en troisième lieu, que l’apprenti ait commis un acte
objectivement fautif (faute ou fait des choses) ayant causé un dommage à un tiers.

B – La nature de la responsabilité des artisans

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La responsabilité des artisans est traditionnellement considérée comme reposant sur un fondement
analogue à celui de la responsabilité des père et mère. La jurisprudence considérait donc qu’elle était
soumise à un régime de présomption simple de faute dans la surveillance de l’apprenti. L’artisan pouvait
s’en exonérer en prouvant qu’il n’a pas pu empêcher le fait dommageable. Mais depuis l’arrêt Bertrand,
qui en 1997 a transformé la responsabilité des parents en une responsabilité objective, la doctrine est
unanime à considérer que la même solution devrait être retenue au sujet de l’artisan. De ce fait, la
responsabilité des artisans doit être tenue pour une responsabilité sans faute.

SECTION 4 – LA RESPONSABILITE DU FAIT D’AUTRUI FONDEE SUR L’ARTICLE 1384


ALINEA 1er

Malgré la diversité des régimes spéciaux de responsabilité prévus par le code civil, la possibilité de
reconnaître un régime général de responsabilité du fait d’autrui fondé sur l’article 1384 alinéa 1er a très
tôt été l’objet d’interrogations doctrinales. Après une période de totale hostilité, la jurisprudence a
finalement admis le principe d’une responsabilité du fait d’autrui tirée de l’article 1384 alinéa 1 er (§1),
tout en s’efforçant d’en circonscrire les contours (§2).

§1 – L’admission de la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’article 1384 alinéa 1er

L’admission par la jurisprudence française d’une responsabilité générale du fait d’autrui fondée sur
l’article 1384 alinéa 1er du code civil procède d’une évolution jurisprudentielle (A) dont la portée doit
cependant être précisée (B).

A – L’évolution jurisprudentielle

Jusqu’à une époque récente, la Cour de cassation s’était toujours refusée à donner effet à la formule
générale de l’article 1384 alinéa 1er et selon laquelle « on est responsable… du dommage causé par le
fait des personnes dont on doit répondre ». Elle cantonnait la responsabilité délictuelle du fait d’autrui
à la liste limitative des régimes spéciaux de responsabilité énoncée par l’article 1384 alinéas 4 et
suivants.

Mais, dans un important arrêt du 29 mars 1991, l’Assemblée plénière de cette Haute juridiction opéra
un spectaculaire revirement de jurisprudence (arrêt Blieck, JCP 91, II, 21673 ; D. 1991, 324 ; Gaz. Pal.
1992, 2, 513 ; GA, vol. 2, n° 219). Dans cette décision, la Cour de cassation approuva l’application de
l’article 1384 alinéa 1er pour retenir, en l’absence de toute faute, la responsabilité d’une association
gérant un centre de rééducation à raison des dommages causés par un pensionnaire. En l’espèce, un
handicapé mental soumis à un régime comportant une liberté de circulation dans la journée avait mis le
feu à une forêt. L’association a été déclaré responsable du dommage ainsi causé au motif que le centre
avait « accepté la charge d’organiser et de contrôler, à titre permanent, le mode de vie de l’handicapé ».

Cette solution a été, d’une part, justifiée par la nécessité de prendre en compte les risques particuliers de
dommages représentés par les méthodes modernes de traitement en liberté ou semi-liberté des malades
mentaux. D’autre part, il s’est agi d’harmoniser les solutions du droit privé avec la jurisprudence
administrative qui admettait, depuis quelques temps déjà, la responsabilité sans faute de l’Etat dans des
situations voisines (détenus en liberté conditionnelle, malades mentaux en sortie d’essai, mineurs
délinquants en placement surveillé, etc.).

B – La portée de l’évolution jurisprudentielle

Selon l’opinion dominante en doctrine, la Cour de cassation n’a pas, à travers l’arrêt Blieck, entendu
poser un principe général de responsabilité du fait d’autrui comparable à celui qu’elle a admis sur la
base du même texte pour les dommages causés par le fait des choses. Elle subordonne en effet la mise
en œuvre de la responsabilité de l’association à des conditions strictes : responsabilité limitée au fait
d’une personne handicapée ; nécessité d’une acceptation préalable ; existence d’un contrôle permanent
sur son mode de vie.

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Il faut en déduire que, malgré la nouveauté de la solution, les avancées engendrées sont en réalité plus
modestes. Car, si la Cour de cassation admet bien la possibilité d’engager la responsabilité d’une
personne du fait d’autrui en dehors des cas spéciaux prévus par le code civil, opérant, selon l’expression
d’un auteur, un « décloisonnement » de l’article 1384, elle ne permet pas pour autant de parler d’un
véritable principe général de responsabilité du fait d’autrui.

§2 – Le régime de la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’article 1384 alinéa 1er

L’étude du régime de la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’article 1384 alinéa 1 er passe par
l’analyse de la nature de cette responsabilité (A) et par la détermination de son domaine d’application
(B).

A – La nature de la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’article 1384 alinéa 1er

La nature de la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’article 1384 alinéa 1 er du code civil n’avait
pas été précisée par l’arrêt Blieck. Cette incertitude a cependant été levée dans un autre arrêt du 26 mars
1997 dont il résulte qu’il s’agit d’une responsabilité « sans faute », de « plein droit ». La conséquence
en est que la présomption de responsabilité qui en résulte ne cède pas devant la preuve de l’absence de
faute du responsable. Ce dernier ne peut être exonéré que par la preuve de la cause étrangère. Il y a lieu
de constater qu’avec ces précisions, une harmonie existe ainsi au sein des principaux régimes de
responsabilité du fait d’autrui qui relèvent tous d’une responsabilité purement objective.

B – Le domaine de la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’article 1384 alinéa 1er

A la suite de l’arrêt Blieck, une interrogation essentielle est apparue quant au domaine et aux conditions
exactes de mise en œuvre de l’article 1384 alinéa 1er. La doctrine a rapidement émis l’idée que
l’application de la responsabilité générale du fait d’autrui devrait être limitée aux personnes exerçant
une autorité sur l’auteur du fait dommageable. Ce qu’on a appelé « un lien de dépendance » entre
l’auteur du dommage et la personne tenue d’en assurer la réparation. Ce critère semble avoir inspiré la
jurisprudence qui retient aujourd’hui deux principaux champs d’application de l’article 1384 alinéa 1 er.

La jurisprudence limite d’abord la mise en œuvre de l’article 1384 alinéa 1er à la responsabilité des
établissements prenant en charge certaines personnes handicapées mentales ou socialement inadaptées
(arrêt Blieck et Crim., 4 janvier 1995, resp. civ. et assur. 1996, n° 10) ou des organismes ayant reçu
mission d’assurer la garde de mineurs dans le cadre de mesures d’assistance éducative (Crim., 10 oct.
1996, D. 1997, 309 ; 26 mars 1997, JCP 1998, II, 10015). La responsabilité est alors justifiée par l’état
physique ou mental de l’auteur du dommage ; elle est la contrepartie de l’autorité de ceux qui ont la
charge « d’organiser, de diriger et de contrôler » le mode de vie de ce type de personne.

La jurisprudence applique ensuite l’article 1384 alinéa 1er pour condamner les associations sportives en
raison des violences commises par certains de leurs membres pendant la durée des compétitions (Civ.
2ème, 22 mai 1995, JCP 1995, II, 22550 ; 3 févr. 2000, JCP 2000.VI. 1501, retenant la responsabilité
d’associations sportives du fait d’un rugbyman ayant causé des dommages volontaires à l’un de ses
adversaires durant le match). La Cour de cassation justifie cette solution en s’appuyant sur la mission
de ces associations qui est « d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours
des compétitions sportives ». La responsabilité semble alors répondre au souci de faire peser les risques
de dommage sur ceux qui disposent du pouvoir d’encadrer ce type d’activités.

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CHAPITRE 3 – LA RESPONSABILITE DU FAIT DES CHOSES

L’article 1384 alinéa 1er du code civil dispose : « On est responsable non seulement du dommage que
l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit
répondre ou des choses que l’on a sous sa garde ». Pendant près d’un siècle, nul n’avait songé à attribuer
une valeur particulière à cette disposition. Elle était plutôt comprise comme une simple transition
annonçant les hypothèses spéciales de responsabilité du fait d’autrui ou des choses. Les personnes « dont
on doit répondre » étaient donc celles seulement énumérées par les alinéas 4 suivants de l’article 1384,
alors que les choses « que l’on a sous sa garde » étaient celles qu’énuméraient les articles 1385
(animaux) et 1386 (bâtiments).

Le deuxième bout de phrase a perdu beaucoup plus tôt son caractère limitatif. En effet, l’industrialisation
de la société au cours de la seconde moitié du XIXème siècle, avec la multiplication des accidents qui l’a
accompagnée, ont créé des risques nouveaux et fait naître un besoin d’indemnisation. Cela imposait une

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extension de la responsabilité civile au-delà du domaine limité de la responsabilité du fait personnel
pour faute et des quelques cas particuliers de responsabilité du fait des choses. La « découverte » d’un
principe général de responsabilité du fait des choses, fondé sur une interprétation audacieuse de l’alinéa
1er de l’article 1384 du code civil, allait fournir le moyen de parvenir à cette fin à partir de la fin du
XIXème siècle.

En conséquence de cette évolution, la responsabilité du fait des choses peut aujourd’hui résulter de la
mise en œuvre de ce principe général (section 1), comme des régimes spéciaux de responsabilité prévus
par les articles 1385 et 1386 du code civil (section 2).

SECTION 1 – LE PRINCIPE GENERAL DE RESPONSABILITE DU FAIT DES CHOSES

L’évolution jurisprudentielle ayant conduit à l’énoncé d’un principe général de responsabilité du fait
des choses fut progressive. La première étape fut marquée par le célèbre arrêt Teffaine (Civ., 16 juin
1896, D.1898, 1, 433 ; S. 1897, 1,17). En l’espèce, l’employeur d’un ouvrier tué à la suite de l’explosion
de la chaudière d’un remorqueur fut déclaré responsable du dommage causé par la chose, sans qu’il soit
besoin d’apporter la preuve d’une faute de sa part.

La deuxième étape de cette évolution est représentée par le non moins célèbre arrêt Jand’heur, rendu
dans une affaire d’accident de la circulation (Ch. Réun., 13 février 1930, D. 1930, 1, 57 ; S. 1930, 1,121).
Cette dernière décision reconnaît l’existence d’un principe général de responsabilité du fait des choses
fondé sur l’article 1384 alinéa 1er et affirme qu’il s’agit d’une présomption de responsabilité ne pouvant
céder que devant la preuve d’une cause étrangère.

Depuis lors, ce principe a connu des développements considérables, même si l’adoption de lois
particulières relatives aux accidents de la circulation en a notablement réduit le champ d’application
(code CIMA). La jurisprudence a progressivement précisé les conditions (§1) et le régime de cette
responsabilité (§2).

§1 – Les conditions d’application du principe général de responsabilité du fait des choses

L’article 1384 alinéa 1er dispose que : « On est responsable… du dommage causé… par le fait… des
choses que l’on a sous sa garde ». C’est à la lettre même de ce texte que la jurisprudence s’est référée
pour déterminer les conditions d’application de la responsabilité générale du fait des choses. Il en résulte
en effet qu’une chose sur laquelle une personne exerce un pouvoir de garde doit avoir causé un dommage
à autrui. D’où les trois conditions nécessaires à la mise en œuvre de la responsabilité du fait des choses :
une chose (A), le fait d’une chose (B) et la garde de cette chose (C).

A – Les choses soumises à l’article 1384 alinéa 1er

Ainsi que de nombreux auteurs l’ont fait remarquer, le terme « chose » est un des plus vagues de la
langue française. Aussi certains ont-ils pensé y introduire des distinctions pour ne faire jouer l’article
1384 alinéa 1er que dans des hypothèses limitées. Mais la jurisprudence en a, par principe, adopté une
interprétation large (1), bien que certaines choses échappent cependant à son application (2).

1 – Le principe : l’applicabilité à toute chose

Dans l’arrêt fondamental Jand’heur, la Cour de cassation rattache la responsabilité « à la garde de la


chose et non à la chose elle-même ». Il faut en déduire que la jurisprudence exclut toute restriction ou
distinction fondée sur la nature ou les caractéristiques de la chose. Ce qui revient à dire que n’importe
quelle chose relève du domaine du principe général de responsabilité du fait des choses.

Peu importe qu’il s’agisse d’un meuble ou d’un immeuble, d’une chose affectée ou non d’un vice
interne, d’une chose dangereuse ou non, d’une chose inerte ou en mouvement. C’est ainsi que l’article
1384 alinéa 1er a été appliqué à des choses aussi diverses qu’une bouteille contenant un liquide corrosif,
un terrain qui glisse, un ascenseur, une fumée, du gaz, de l’électricité ou des ondes, des allumettes, une
épingle, un bâton, etc.

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2 – L’exception : l’exclusion de certaines choses

Malgré la volonté de la jurisprudence de consacrer une acception large du terme de choses, trois
exceptions sont traditionnellement admises.

D’abord, en application de l’adage specialia generalibus derogant (ce qui est spécial déroge à ce qui est
général), les choses régies par les textes spéciaux n’entrent pas dans le champ d’application de l’article
1384 alinéa 1er. Ainsi en est-il des animaux (article 1385), des bâtiments en ruine (article 1386) et surtout
des véhicules terrestres à moteur (code CIMA).

L’application de l’article 1384 alinéa 1er est ensuite écartée à l’égard des choses non appropriées,
notamment les choses sans maître (res nullius) ou abandonnées (res derelictae). En effet, nul n’exerce
sur elles un quelconque pouvoir de garde. Ce qui signifie, a contrario, qu’un acte d’appropriation
relativement à une telle chose suffit pour rendre ce texte applicable (ex. condamnation d’un adolescent
ayant blessé un passant avec une bouteille abandonnée dans laquelle il avait donné un coup de pied, en
devenant ainsi le gardien, Civ. 2ème, 10 fevr. 1982, JCP 1983, II, 20069).

Enfin, l’article 1384 alinéa 1er ne s’applique pas en principe au corps humain, qui n’est pas strictement
une chose. Toutefois, la jurisprudence accepte parfois de l’appliquer à un dommage causé par le corps
humain alors que celui-ci était doté d’une énergie cinétique conférée par une chose ; le corps humain est
alors considéré comme formant un tout indivisible avec la chose (ex. collision entre skieurs ou cyclistes).

B – Le fait de la chose

Il faut d’abord préciser la notion de fait de la chose (1), avant de s’intéresser à sa preuve (2).

1 – La notion de fait de la chose

La notion de « fait de la chose », mentionnée à l’article 1384 alinéa 1er, apparaît comme l’expression du
rapport de causalité. Dire qu’il doit y avoir « fait de la chose » revient donc à exiger un lien de cause et
à effet entre la chose et le dommage. La responsabilité du gardien ne peut par conséquent être engagée
qu’à la condition que le dommage ait été causé par la chose sur laquelle il exerce ses pouvoirs. Celle-ci
doit, selon la jurisprudence, avoir joué « un rôle actif » ou avoir été la « cause génératrice » ou
« l’instrument » du dommage.

A propos de cette condition, des distinctions ont également été suggérées pour tenter de refouler le
principe général de responsabilité. Mais toutes ont finalement été écartées. C’est ainsi qu’on ne limite
pas l’application de l’article 1384 alinéa 1er au dommage qui résulte d’un vice propre de la chose, par
opposition à celui qui ne serait que la conséquence d’un autre fait. De même, la jurisprudence a repoussé
la distinction entre le fait autonome de la chose (ex. explosion d’une machine) et le fait d’une chose
actionnée par la main de l’homme (ex. automobile). Mais ces distinctions, parce qu’elles touchent à la
probabilité du rôle causal de la chose, vont jouer un rôle important dans le régime de la preuve du fait
de la chose.

2 – La preuve du fait de la chose

Conformément au principe posé en matière de preuve par l’article 1315 du code civil, c’est la victime
qui, pour obtenir réparation, doit établir que son dommage est dû au fait de la chose qu’elle incrimine.
Toutefois, la jurisprudence a procédé à une décomposition de cette preuve en distinguant deux éléments :
l’intervention matérielle de la chose et son rôle causal.

Il est d’abord nécessaire que la chose soit intervenue matériellement dans la production du dommage.
La victime doit toujours rapporter la preuve de ce premier élément. Pour cela, il suffit que la victime
établisse que la chose a été une condition nécessaire, sine qua non du dommage. La victime doit ensuite
prouver que la chose a joué un « rôle actif », un « rôle causal » dans la production du dommage. Mais à
cet égard, la jurisprudence pose une présomption de rôle causal lorsque la chose était en mouvement et

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est entrée en contact avec le siège du dommage. Ainsi en est-il d’une bouteille de gaz qui explose et
blesse la victime. Dans un tel cas, la victime doit seulement établir l’intervention matérielle de la chose,
c’est-à-dire le contact matériel avec la chose en mouvement ; le rôle causal de la chose s’en déduit. Cette
présomption de causalité n’est cependant qu’une présomption simple qui peut être renversée par le
gardien.

En d’autres termes, la preuve du rôle causal ne devrait être rapportée par la victime que lorsque la chose
était inerte ou immobile (escalier, porte vitrée, sol) ou si, étant en mouvement, elle n’est pas entrée en
contact avec la victime ou ses biens (éblouissement des phares, frayeur causé par la chose). Dans ces
cas, la jurisprudence retient comme critère du rôle actif la position ou le comportement anormal de la
chose ou sa défectuosité. Par exemple, le passant qui percute une vitre doit démontrer que celle-ci était
mal signalée.

C – La garde de la chose

Selon les termes de l’article 1384 alinéa 1er, on est responsable du fait des choses « que l’on a sous sa
garde ». La notion de garde est donc essentielle à la mise en œuvre du principe général de responsabilité
du fait des choses. Elle est une condition centrale de son application, les choses sans gardien étant
exclues de son champ d’application. La définition de la notion de garde (1) est donc un préalable à la
détermination du gardien, responsable du fait de la chose (2).

1 – La notion de garde

La notion de garde a fait l’objet d’une évolution de la jurisprudence. Dans un premier temps, celle-ci
avait adopté une conception juridique de la garde en considérant que celle-ci était nécessairement liée à
la propriété de la chose. Il en résultait que le propriétaire n’en était dessaisi qu’autant qu’il l’a
volontairement transférée à autrui par un acte juridique. En revanche, il conservait la garde lorsque que
c’est en fait seulement qu’il a perdu la possibilité de contrôler la chose. Cette définition très abstraite
présentait l’inconvénient de rendre le propriétaire responsable alors qu’il avait été dépossédé contre son
gré de la chose, notamment à la suite d’un vol.

Dans un second temps, notamment dans un arrêt des Chambres réunies du 2 décembre 1941 (ch. réun.,
2 déc. 1941, arrêt Franck, GA, vol. 2, n° 194), la Cour de cassation va adopter une conception matérielle
de la garde. En effet, cassant un arrêt de la Cour d’appel de Nancy, la Chambre civile avait déclaré le
propriétaire d’une voiture responsable des accidents survenus après un vol. La cour de renvoi ayant
refusé de s’incliner, les Chambres réunies désavouèrent la Chambre civile en jugeant que le propriétaire
avait perdu la garde et cessait par conséquent d’être responsable. A la suite de l’arrêt Franck, et au terme
d’une jurisprudence aujourd’hui constante, la garde est désormais définie comme « un pouvoir d’usage,
de contrôle et de direction sur la chose ». L’attribution de la qualité de gardien suppose donc l’exercice
d’une maîtrise effective de la chose, c’est-à-dire un pouvoir réel et concret de surveillance.

Toutefois, s’il résulte de cette définition que la garde ne se confond pas nécessairement avec la propriété,
elle implique également que la qualité de gardien ne s’identifie pas non plus, de façon constante, avec
la détention matérielle. La garde suppose en effet l’exercice d’un pouvoir autonome de contrôle et de
direction sur la chose. C’est en raison de cette considération que le préposé ne peut jamais être gardien
de la chose qu’il utilise ; car, il se soumet aux instructions du commettant qui, par son intermédiaire,
conserve tous les pouvoirs caractéristiques de la garde (Civ., 30 déc. 1936, D. 1937, 1, 5 ; S. 1937, 1,
137).

2 – La détermination du gardien

Par principe, la qualité de gardien doit être fixée en déterminant la personne qui exerçait les pouvoirs
d’usage, de contrôle et de direction sur la chose au moment du dommage. En la matière, la jurisprudence
met à la charge du propriétaire une présomption de garde (a). Mais elle propose également des solutions
particulières conduisant à un fractionnement de la garde (b) ou à la pluralité de gardiens (c).

a – La présomption de garde du propriétaire

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Parce que cela correspond à la situation la plus fréquente, la jurisprudence présume que le propriétaire
est gardien. Il en résulte que lorsqu’on ne sait pas de façon précise qui exerçait au moment du dommage
les pouvoirs sur la chose, c’est le propriétaire qui sera déclaré gardien et par conséquent responsable.
Mais cette présomption de garde du propriétaire, qui peut ne pas correspondre à la réalité, est simple.
Elle peut donc être renversée par le propriétaire en prouvant qu’au moment des faits, il avait perdu la
maîtrise de la chose. C’est l’hypothèse du transfert de la garde à autrui.

Il peut d’abord y avoir transfert de la garde à l’utilisateur lorsque le propriétaire est dépossédé de la
chose contre son gré. Cette solution, posée par l’arrêt Franck dans l’hypothèse du vol, doit être étendue
à tout usurpateur ou détenteur abusant de la confiance du propriétaire (ex. préposé usant de la chose à
des fins personnelles). Mais la garde peut aussi se trouver transférée à autrui lorsque le propriétaire se
dessaisit volontairement de la chose par l’effet d’un acte juridique. Elle passe ainsi normalement au
locataire, à l’emprunteur, au réparateur, au garagiste, au transporteur, au dépositaire, etc.

b – Le fractionnement de la garde : la distinction de la garde de la structure et de la garde du


comportement

Dans la logique de l’arrêt Franck, la garde ne peut en principe être exercée que par une seule personne ;
elle est dite alternative. Cette solution a toutefois été jugée inopportune dans certaines hypothèses
particulières, notamment lorsque la garde de la chose est transférée à un tiers qui ne maîtrise ni sa
complexité, ni sa dangerosité (ex. fabriquant qui confie un produit à un vendeur ou à un transporteur).

Sur la base de cette constatation, une proposition doctrinale subtile a suggéré de distinguer, pour certains
objets dangereux, la garde de leur structure et la garde de leur comportement. Ainsi, le fabriquant devrait
être considéré comme gardien de la structure et, à ce titre, responsable de tous les dommages dus aux
vices internes de la chose. Le détenteur serait quant à lui gardien du comportement de cette chose et
responsable des seuls préjudices causés par son utilisation défectueuse.

La distinction de la garde de la structure et de celle du comportement d’une chose a été retenue pour la
première fois en 1956. Une bouteille de gaz avait explosé au cours de son transport. C’est le fabriquant
de la bouteille, gardien de la structure, qui fut déclaré responsable et non le transporteur qui était gardien
du comportement (Civ. 2ème, 5 janv. 1956, arrêt Oxygène Liquide, D. 1957, 261 ; JCP 1956, II, 9085).
La jurisprudence a cependant assigné à cette distinction des gardes un domaine limité. Elle ne la retient
que pour certaines choses dangereuses et dotées d’un dynamisme propre, c’est-à-dire principalement les
choses susceptibles d’explosion (bouteille de gaz ou d’eau gazeuse, téléviseur, extincteur, bombe
aérosol, etc.).

c – La pluralité de gardiens : la garde commune

La garde étant en principe alternative, elle ne devrait pas pouvoir être attribuée à plusieurs personnes à
la fois. Toutefois, on admet aujourd’hui la notion de garde collective ou garde commune lorsque
plusieurs individus exercent, à l’égard d’une même chose, des pouvoirs identiques d’usage, de contrôle
et de direction.

Il en est ainsi pour les choses faisant l’objet d’une copropriété ou lorsque plusieurs personnes participent
collectivement à un jeu ou à un sport. Les joueurs d’un match de football sont par exemple co-gardiens
du ballon. Il ne doit cependant exister aucune hiérarchie entre les gardiens. Si tel est le cas, seule la
personne exerçant le pouvoir dominant sur la chose est considérée comme gardienne (Civ. 2 ème, 8 mars
1995, JCP 1995, II, 22499, désignant comme gardien le skipper du bateau et refusant de considérer les
coéquipiers comme gardiens).

La garde collective produit des effets différents selon le contexte dans lequel elle est invoquée. Elle peut
d’abord permettre à la victime d’engager la responsabilité in solidum des différents gardiens. Mais elle
peut également priver la victime de son droit aux dommages et intérêts. Tel est le cas lorsque celle-ci
est déclarée co-gardienne de la chose. L’incompatibilité des qualités de gardien et de victime exclut en
effet tout droit à réparation.

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§2 – Le régime de la responsabilité générale du fait des choses

Il faut d’abord déterminer le fondement du principe général de responsabilité du fait des choses (A),
pour examiner ensuite les moyens d’exonération dont dispose la personne désignée gardien de la chose
ayant causé le dommage (B).

A – Le fondement du principe général de responsabilité du fait des choses

Le fondement actuel de la responsabilité du fait des choses déduite des termes de l’article 1384 alinéa
1er s’est fixé à la suite d’une évolution des positions doctrinales et surtout jurisprudentielles.

On a d’abord prétendu que la responsabilité du fait des choses reposait sur une présomption de faute.
Selon la solution retenue par l’arrêt Teffaine en 1896, l’article 1384 alinéa 1 er fait peser sur le gardien
une présomption de faute lui imposant de prouver, pour s’en dégager, son absence de faute. La
jurisprudence n’avait donc pas quitté le fondement théorique de la faute, mais avait simplement fait
jouer un renversement de la charge de la preuve.

Par la suite, la théorie de la faute sera véritablement contredite par la jurisprudence dans l’arrêt Jand’heur
de 1930. Dans cette décision, la Cour de cassation va substituer l’expression présomption de
responsabilité à celle de présomption de faute. La responsabilité générale du fait des choses deviendra
ainsi purement objective, dans ce sens que la preuve de la faute du gardien devient totalement inutile.
D’une part, pour la victime, car la responsabilité du gardien est engagée du seul fait que la chose placée
sous sa garde a causé un dommage à autrui. D’autre part, pour le gardien lui-même, qui ne peut plus
s’exonérer de sa responsabilité en prouvant qu’il n’a pas commis de faute.

Cette responsabilité objective est le plus souvent rattachée par la doctrine à la théorie du risque. Elle
repose en effet sur l’idée simple que celui qui a la maîtrise des choses doit assumer les risques créés par
leur utilisation indépendamment de tout écart de conduite de sa part.

B – L’exonération du gardien

La présomption de responsabilité qui découle de l’article 1384 alinéa 1er ne signifie pas que le gardien
ne peut en aucune façon s’exonérer de sa responsabilité. En effet, la responsabilité objective de l’article
1384 alinéa 1er peut être écartée par la preuve d’une cause étrangère. Il peut s’agir de la force majeure
(1), du fait d’un tiers (2) ou de la faute de la victime (3).

1 – La force majeure

Comme dans les autres hypothèses de responsabilité civile délictuelle, et même contractuelle, la force
majeure est source d’exonération pour le gardien de la chose. La responsabilité de ce dernier ne peut
donc être retenue s’il établit que le dommage est dû à un cas de force majeure. L’événement invoqué à
ce titre doit cependant présenter toutes les caractéristiques de la force majeure. Il doit par conséquent
être non seulement irrésistible et imprévisible, mais aussi extérieur.

Le caractère d’extériorité s’apprécie d’abord par rapport à la chose elle-même, en ce sens que le gardien
ne peut se prévaloir d’un vice qui l’affecterait. L’extériorité s’apprécie ensuite par rapport à la personne
du gardien ; ce qui exclut l’exonération fondée sur une défaillance physique ou mentale du gardien
(syncope, crise cardiaque, trouble mental, absence de discernement, etc.). L’événement doit enfin être
extérieur à la sphère d’activité du gardien ; ce qui interdit à celui-ci d’invoquer le fait de ses préposés
quand bien même il serait pour lui imprévisible ou irrésistible.

2 – Le fait d’un tiers

Il arrive souvent que l’intervention d’un tiers joue un rôle causal dans la production d’un dommage
relevant du principe général de responsabilité. On peut imaginer le cas d’un piéton qui traverse

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inopinément la route devant un cycliste qui, pour l’éviter, percute l’étalage d’un marchand de fruits. Le
dommage subi par celui-ci est la conséquence à la fois du fait du cycliste et du fait du piéton.

Dans ce cas de figure, la jurisprudence opère une distinction. Lorsque le fait du tiers présente pour le
gardien les caractères de la force majeure, il emporte exonération totale de responsabilité (Civ. 19 juin
1934, DH 1934, 209 ; S. 1935, 1, 28). En revanche, lorsque le fait d’un tiers ne présente pas les caractères
de la force majeure, il n’est pas pour le gardien une cause d’exonération de responsabilité, même
partielle.

3 – La faute de la victime

Comme en matière de responsabilité pour faute, le gardien d’une chose peut se trouver exonéré de sa
responsabilité lorsque la victime a par sa faute concouru à son préjudice. Toutefois, l’étendue de son
effet exonératoire dépend de ses caractères. Ainsi, la faute de la victime est source d’exonération totale
de responsabilité lorsqu’elle présente pour le gardien les caractères de la force majeure (ex. une personne
inattentive qui vient heurter une porte vitrée). En revanche, l’absence des caractères de la force majeure
entraîne seulement un partage de responsabilité.

SECTION 2 – LES REGIMES SPECIAUX DE RESPONSABILITE DU FAIT DES CHOSES

La reconnaissance d’un principe général de responsabilité du fait des choses par la jurisprudence n’en
laisse pas moins subsister des régimes spéciaux de responsabilité du fait des choses instaurés par le code
civil en 1804 (§1) ou par des lois postérieures (§2).

§1 – Les régimes spéciaux traditionnels du code civil

Il s’agit de la responsabilité du fait des animaux (A) et de la responsabilité du fait des bâtiments en ruine
(B).

A – La responsabilité du fait des animaux

Premier cas de responsabilité du fait des choses prévu par le code civil, la responsabilité du fait des
animaux fait l’objet de l’article 1385. Ce texte dispose : « Le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en
sert, pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal
fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé ». Il faut préciser les conditions d’application (1) et le
régime juridique (2) de cette responsabilité.

1 – Les conditions de la responsabilité du fait des animaux

Les conditions de la responsabilité du fait des animaux ont été alignées sur celles de la responsabilité
fondée sur l’article 1384 alinéa 1er du code civil.

Il faut simplement signaler que tout animal, quelle que soit sa nature zoologique, relève du champ
d’application de l’article 1385. Il suffit qu’il ait causé un dommage à autrui. La seule condition est qu’il
soit approprié. Ce qui exclut l’animal sauvage (gibier), mais comprend bien l’animal égaré ou échappé.

Quant à la personne du responsable, la loi désigne le « propriétaire » de l’animal ou « celui qui s’en
sert ». Les termes de l’article 1385 sont, sur ce point, différents de ceux de l’article 1384 alinéa 1er,
puisqu’il n’est pas fait référence à la garde. Toutefois, la jurisprudence a retenu ici une notion de garde
semblable à celle ayant cours dans la responsabilité générale du fait des choses. C’est ainsi que
l’utilisateur est responsable à condition que l’usage de l’animal soit fait à titre indépendant ou
professionnel.

2 – Le régime de la responsabilité du fait des animaux

La responsabilité du fait des animaux est soumise à un régime en tous points identique à celui de la
responsabilité générale du fait des choses. La jurisprudence avait même admis dès 1885, c’est-à-dire

29
antérieurement à la découverte du principe général de responsabilité du fait des choses, que le
responsable ne peut s’exonérer par la preuve de l’absence de faute (Civ., 27 octobre 1885, D. 1886, 1,
207 ; S. 1886, 1, 33).

Il en résulte que la responsabilité du fait des animaux est une responsabilité sans faute. La preuve de la
faute du propriétaire n’est donc pas nécessaire et celui-ci ne peut pas non plus s’exonérer par la preuve
de son absence de faute. Il n’y a que la force majeure, le fait d’un tiers ou de la victime qui puisse le
dégager de sa responsabilité.

B – La responsabilité du fait des bâtiments en ruine

La responsabilité du fait des bâtiments en ruine est prévue par l’article 1386 du code civil qui dispose que
: « Le propriétaire d’un bâtiment est responsable du dommage causé par sa ruine, lorsqu’elle est arrivée
par suite du défaut d’entretien ou par le vice de construction ». La formulation de ce texte appelle une
détermination précise de ses conditions d’application (1) et de son régime (2).

1 – Les conditions de la responsabilité du fait des bâtiments

La mise en œuvre de la responsabilité de l’article 1386 suppose la réunion de plusieurs conditions


cumulatives.

La première condition est relative à la personne du responsable. A cet effet, le texte désigne clairement
« le propriétaire ». La responsabilité ne pèsera donc jamais sur une autre personne, fut-elle gardienne du
bâtiment (ex. locataire), à moins qu’une faute ne fût établie à sa charge. Même dans ce cas, ce ne serait
plus l’article 1386 qui s’appliquerait, mais les articles 1382 et 1383.

La deuxième condition se rapporte aux choses qui donnent lieu à responsabilité. La loi parle de
« bâtiment ». Ce terme est entendu plus largement que dans le langage courant. Il désigne toute
construction en matériaux durables élevée par l’homme et fixée au sol. Dès lors, échappent à cette
définition les ouvrages naturels (grotte, souterrain, etc.) ainsi que les constructions provisoires (ex.
baraques de chantiers). Mais la victime de telles choses peut agir contre le gardien sur la base de l’article
1384 alinéa 1er.

D’autres conditions concernent l’événement qui fait naître la responsabilité. Selon le texte, le dommage
causé par le bâtiment doit nécessairement être dû à sa ruine ; il doit donc s’agir d’une dégradation du
bâtiment qui peut être totale (ex. écroulement du bâtiment) ou partielle (chute d’une tuile, d’une rampe
d’escalier, d’un balcon, etc.). Cependant, toute ruine n’est pas propre à déclencher l’application de
l’article 1386. Il faut qu’elle soit due à un « défaut d’entretien » ou à « un vice de construction » dont la
preuve doit être rapportée par la victime. Si le dommage causé par le bâtiment a une autre origine, la
victime peut toutefois se prévaloir de l’article 1384 alinéa 1er.

2 – Le régime de la responsabilité du fait des bâtiments

Les exigences particulières de l’article 1386 créent une distorsion entre le régime spécial de la
responsabilité du fait des bâtiments et le principe général de responsabilité du fait des choses. En effet,
ce régime s’est trouvé entièrement dépassé par le droit commun infiniment moins exigeant.

Mais en dépit de cela, la responsabilité du fait des bâtiments est une responsabilité tout aussi objective.
En effet, l’article 1386 déclare le propriétaire responsable des dommages causés par la ruine des
bâtiments lorsque celle-ci est arrivée par suite du défaut d’entretien ou par le vice de construction. Or,
l’une et l’autre circonstances peuvent être étrangères au propriétaire (le vice de construction peut être le
fait du constructeur, comme le défaut d’entretien peut être le fait d’un locataire). Il en résulte que la
responsabilité incombe nécessairement au propriétaire, même lorsque qu’il n’a commis aucune faute et
que la ruine est due à la négligence d’un tiers.

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Le régime des causes d’exonération confirme d’ailleurs le caractère objectif de cette responsabilité,
puisque la cause étrangère, munie du caractère d’extériorité, est la seule cause possible d’exonération
du propriétaire. Toute valeur exonératoire est déniée à la preuve de l’absence de faute.

§2 – Les régimes spéciaux de responsabilité du fait des choses édictés postérieurement au code
civil

Il faut distinguer le cas des dommages causés par la communication d’incendie (A) des autres cas
particuliers de responsabilité du fait des choses résultant des lois plus récentes (B).

A – La communication d’incendie

Le cas particulier de la communication d’incendie, c’est-à-dire celui où l’incendie consumant le bien


d’une personne s’étend aux biens d’une autre personne, a été soumis à un régime dérogatoire de
responsabilité par une loi du 7 novembre 1922. Selon ce texte adopté sous la pression des assureurs, et
qui est devenu l’article 1384 alinéa 2, « celui qui détient, à un titre quelconque, tout ou partie d’un
immeuble ou des biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable, vis-à-
vis des tiers, des dommages causés par cet incendie que s’il est prouvé qu’il doit être attribué à sa faute
ou à la faute des personnes dont il est responsable ».

Il résulte de cette disposition que les dommages produits par la communication d’un incendie échappent
à la responsabilité de plein droit qu’énonce l’article 1384 alinéa 1 er. La loi du 7 novembre 1922 a en
effet substitué à la responsabilité objective un régime de responsabilité pour faute prouvée identique à
celui des articles 1382 et 1383. Le détenteur d’un bien dans lequel un incendie a pris naissance ne peut
donc voir sa responsabilité engagée que si la victime apporte la preuve de sa faute personnelle ou de
celle d’une personne dont il doit répondre.

La jurisprudence interprète restrictivement les trois notions auxquels renvoie le texte, à savoir :
l’incendie, la naissance de l’incendie et la communication d’incendie. Ainsi, l’incendie suppose un feu
né accidentellement et non celui qui a été volontairement provoqué. Ce feu doit avoir pris naissance
dans la chose soumise à la garde du détenteur. Il ne s’agit donc pas d’une simple combustion, car il faut
que le feu ait eu sa source dans la chose. La communication d’incendie suppose que le feu né dans le
bien du défendeur se soit propagé sur le bien du demandeur. Il s’ensuit que c’est l’article 1384 alinéa 2
ne s’applique pas si l’incendie n’a commencé que chez le demandeur (Civ. 2ème, 15 déc. 1976, Bull. civ.,
n° 334 : ne constituent pas un incendie les étincelles s’échappant de la moissonneuse-batteuse du
défendeur et mettant le feu à la propriété du demandeur et la ravageant).

B – Les autres cas particuliers de responsabilité du fait des choses

Les autres cas particuliers de responsabilité du fait des choses résultent des lois concernant des espèces
de choses engendrant des risques élevés de dommages. Cette considération a conduit le législateur à
prévoir des régimes de responsabilité sans faute spécialement adaptés aux circonstances et à réglementer
étroitement la réparation des dommages.

Il convient de mentionner particulièrement la responsabilité du fait des accidents de la circulation. Elle


a donné lieu à la mise en place d’un régime d’indemnisation qui déroge profondément aux mécanismes
de la responsabilité du fait des choses (code CIMA au Gabon et loi du 5 juillet 1985 en France). On peut
aussi citer la responsabilité des dommages causés par les accidents du travail (sécurité sociale), la
responsabilité des dommages causés par les aéronefs (code CEMAC de l’aviation civile), la
responsabilité du fait des produits défectueux (articles 1386-1 à 1386-19 en France ; projet d’acte
uniforme sur la vente au consommateur), etc.

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SOUS-TITRE II – LA MISE EN ŒUVRE
DE LA RESPONSABILITE CIVILE DELICTUELLE

Une fois les conditions de la responsabilité civile réunies, la victime bénéficie d’un droit à réparation.
Mais pour que ce droit prenne concrètement forme, il lui faut un titre qui fixera notamment les modalités
et le montant de sa créance. Deux voies permettent d’y parvenir : la voie conventionnelle et la voie
contentieuse.

La voie conventionnelle suppose que les parties s’entendent amiablement et tombent d’accord sur le
principe de la responsabilité et sur la mesure de la réparation. Il s’agit donc d’un contrat, et plus
précisément un contrat de transaction régi aux articles 2044 et suivants du code civil et qui a pour objet
d’éviter le procès.

Mais en pratique, il arrive souvent qu’aucune transaction ne soit conclue ni même tentée. C’est alors par
la voie contentieuse que la victime va rechercher la réparation de son dommage. Ce qui veut dire que
c’est dans le cadre d’un procès que son droit à réparation sera reconnu et l’indemnité à laquelle il a droit
fixée. C’est à ce régime judiciaire, qui s’applique dans tous les cas à défaut d’accord amiable, qu’il faut
particulièrement s’intéresser. On étudiera en conséquence, d’une part, l’action en réparation (chapitre
1er), et, d’autre part, les règles applicables à la réparation du dommage (chapitre 2).

CHPITRE 1 – L’ACTION EN REPARATION DU DOMMAGE

Le recours à la voie contentieuse suppose l’ouverture d’un procès en responsabilité civile ayant pour
objet de transformer le droit à la réparation en une dette précise de dommages et intérêts. Deux questions
doivent par conséquent, comme dans tout procès, retenir l’attention. D’abord, celle de savoir quelles
sont les personnes qui y prennent part (section 1). Ensuite, celle relative à la détermination les règles de
procédure applicables à un tel procès (section 2).

SECTION 1 – LES PARTIES A L’ACTION EN REAPARATION

Comme tout droit de créance, le droit à réparation a un sujet actif, le titulaire du droit ou créancier, et
un sujet passif, le débiteur. Dans le cadre d’une action en responsabilité civile, le premier sera le
demandeur (§1) et le second le défendeur (§2).

§1 – Le demandeur à l’action en réparation

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L’action en responsabilité appartient à tous ceux qui éprouvent un préjudice réparable, c’est-à-dire
direct, personnel et certain. On entend par là non seulement les victimes directes ou immédiates (A),
mais également les victimes indirectes ou médiates (B).

A – L’action de la victime directe

Le plus souvent, l’action en réparation du dommage direct est engagée par la victime elle-même (1). Il
n’est pas rare, cependant, que d’autres personnes exercent ce droit d’agir de la victime (2).

1 – L’exercice de l’action par la victime

L’action en réparation d’un dommage appartient naturellement, au premier chef, à la victime elle-même.
Il en résulte que toutes les personnes, qu’il s’agisse des personnes physiques ou des personnes morales,
ont le droit d’agir en réparation des dommages qu’elles subissent du fait d’un tiers.

En ce qui concerne les personnes physiques, aucune incapacité ne peut faire disparaître cette prérogative.
Mais c’est seulement le mode d’exercice de ce droit qui peut s’en trouver altéré. L’action en réparation
des dommages subis par l’incapable sera ainsi exercée par son représentant (administration légale, tutelle
et interdiction) ou avec son assistance (curatelle). Quant au droit d’agir de la personne morale, il est
exercé par les dirigeants de celle-ci.

2 – L’exercice de l’action par des personnes autres que la victime

L’action en réparation peut être, dans certaines circonstances, exercée par d’autres personnes que la
victime qui en est titulaire. Il en est notamment ainsi des héritiers de la victime qui est déjà décédée (a)
et des personnes subrogées aux droits de la victime (b).

a – Les héritiers

Lorsque la victime personne physique décède, les héritiers, en vertu du principe de la continuation de la
personne du défunt, recueillent en principe les droits patrimoniaux nés au profit de cette dernière. Il en
résulte que le droit à réparation de la victime, qui a un caractère patrimonial, est transmis aux héritiers.
Ils peuvent donc l’exercer en ses lieu et place et demander réparation de tous les dommages subis par le
défunt. Ce principe a de tout temps été admis en ce qui concerne la réparation du préjudice matériel, y
compris corporel.

Mais la transmission du droit à réparation du préjudice moral a soulevé des difficultés lorsque la victime
directe n’en avait pas demandé réparation de son vivant. On a fait valoir que le préjudice était trop
attaché à la personne pour pouvoir être mis en œuvre par les héritiers si le défunt n’a pas manifesté une
telle intention de son vivant. Toute incertitude est toutefois aujourd’hui levée depuis qu’un arrêt de la
Chambre mixte de la Cour de cassation a décidé que : « le droit à réparation du dommage résultant de
la souffrance physique éprouvée par la victime avant son décès, étant né dans son patrimoine, se
transmet à ses héritiers ».

b – les personnes subrogées aux droits de la victime

Il peut arriver qu’une personne autre que le responsable auteur du dommage indemnise la victime en ses
lieu et place. C’est le cas de l’Etat, pour les prestations versées à une victime fonctionnaire, des caisses
de sécurité sociale, pour les prestations sociales, et de l’assureur qui indemnise la victime.

Dans la mesure où la perception de telles indemnités répare déjà le préjudice subi, ces personnes sont
subrogées dans les droits à réparation de la victime contre le responsable (article 1251 du code civil
français). Ainsi, elles peuvent agir en ses lieu et place en exerçant l’action en réparation.

B – L’action des victimes indirectes

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Le dommage subi par la victime immédiate peut également causer à ses proches un préjudice personnel.
Il pourrait s’agir d’un préjudice matériel, pour ceux qu’elle faisait vivre, ou d’un préjudice moral, pour
ceux qui l’aimaient et souffrent de sa perte ou de sa déchéance. C’est ce qu’on appelle « préjudice par
ricochet », « préjudice indirect » ou « préjudice réfléchi ». Il est dans son principe réparable et le droit
appartient alors aux victimes indirectes qui l’exercent à titre personnel.

Il faut cependant éviter de confondre cette action personnelle des proches de la victime et celle qui
appartient à la victime et qui leur est transmise par voie successorale. Par celle-ci, ils demandent la
réparation du préjudice que le défunt avait subi. Par celle-là, ils demandent la réparation d’un préjudice
qui leur est propre.

§2 – Le défendeur à l’action en réparation

Le défendeur à l’action en réparation est bien entendu la personne qui répond du dommage en tant que
responsable (A). Toutefois, lorsque le responsable est assuré, la loi accorde à la victime une action
directe contre l’assureur de celui-ci (B).

A – Le responsable

Le défendeur, en tant que tel, est facilement déterminable. Il s’agit de la personne dont la responsabilité
est recherchée. Cette personne peut être l’auteur du dommage. Il en est ainsi lorsqu’il a commis une
faute (responsabilité du fait personnel) ou a eu la garde d’une chose qui a été l’instrument du préjudice
(responsabilité du fait des choses). Mais il peut également s’agir, dans les cas de responsabilité du fait
d’autrui, du civilement responsable de l’auteur. Ainsi en est-il des parents, commettants, artisans,
instituteurs, etc.

Dans certains cas, il peut y avoir pluralité de défendeurs. Ainsi en va-t-il lorsqu’il existe à la fois, comme
il vient d’être précisé, un auteur stricto sensu et une personne qui en est civilement responsable. L’un et
l’autre peuvent être assignés ensemble. Mais il en est également ainsi lorsque le dommage est imputable
à des coauteurs, lesquels sont alors tenus d’une responsabilité in solidum. La victime peut évidemment
les poursuivre ensemble, tout comme il peut demander réparation intégrale à l’un quelconque des
responsables.

Enfin, au cas de décès du responsable, l’action en réparation peut être dirigée contre ses héritiers
éventuels, à condition qu’ils aient accepté la succession et dans la proportion de la part héréditaire de
chacun. En revanche, les ayants cause à titre particulier du responsable ne sont tenus à rien, même si
c’est à propos de la chose transmise que la responsabilité a été encourue.

B – L’assureur

Si l’auteur du dommage et le civilement responsable sont les défendeurs naturels à l’action en réparation,
il n’en reste pas moins vrai que, très souvent, cette action suscite l’apparition d’autres défendeurs. Tel
est le cas de l’assureur. En effet, lorsque le responsable s’est assuré pour sa responsabilité (souvent dite
« assurance aux tiers »), la charge de l’indemnité pèsera sur l’assureur.

La logique voudrait que la victime s’adresse d’abord au responsable, lequel se retourne ensuite contre
son assureur. Toutefois, pour mieux protéger la victime, le législateur a institué à son profit une action
directe contre l’assureur. Elle peut donc demander réparation à celui-ci directement, sans même
s’adresser au responsable (article 54 du code CIMA).

SECTION 2 – L’EXERCICE DE L’ACTION EN REPARATION

Les modalités d’exercice de l’action en réparation diffèrent selon que le fait dommageable n’entraîne
que la responsabilité civile (§1) ou qu’il constitue, en même temps, une infraction pénale (§2).

§1 – Le fait purement civil

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Lorsque le fait générateur du dommage est purement civil, c’est-à-dire qu’il ne constitue pas, en même
temps, une infraction pénale, l’action est soumise au droit commun de la procédure civile. Il en résulte
les principales conséquences ci-après.

Du point de la compétence d’attribution (ratione materiae), l’action doit être portée devant les
juridictions civiles. Il s’agit par conséquent, au premier degré, du Tribunal de première instance, et, au
second degré, de la Cour d’appel judiciaire, siégeant bien entendu en leurs chambres civiles. En ce qui
concerne la compétence territoriale (ratione loci), elle est attribuée, au choix du demandeur, soit au
tribunal du domicile du défendeur, soit au tribunal du lieu du fait dommageable (article 400 du code de
procédure civile).

Il y a lieu cependant de préciser que, sauf quelques exceptions où la compétence des juridictions civiles
est élargie (responsabilité des instituteurs publics, loi du 5 avril 1937 ; accidents causés par les véhicules
administratifs, loi du 31 déc. 1957), les dommages causés par les agents publics dans l’exercice de leurs
fonctions relèvent des juridictions administratives.

Pour ce qui est de la prescription, elle est également soumise au droit commun. L’action en réparation
n’est donc éteinte, conformément à l’article 2262 du code civil, qu’au terme d’un délai de trente (30)
ans.

§2 – Le fait constitutif d’une infraction pénale

Le fait générateur du dommage peut constituer en même temps une infraction pénale. Des règles
particulières sont alors appliquées. Elles se caractérisent, principalement, par le fait que, d’une part, elles
offrent à la victime une option entre la juridiction civile et la juridiction répressive (A), et que, d’autre
part, elles consacrent la primauté de l’action publique sur l’action civile (B).

A – L’option entre la juridiction civile et la juridiction pénale

Lorsque que le délit civil, fait générateur de la responsabilité civile, est constitutif d’une infraction
pénale, on pourrait concevoir qu’il y ait lieu à deux procédures parallèles et distinctes. Les
responsabilités civile et pénale ont en effet des finalités différentes.

Cependant, dans le souci d’éviter la multiplication des procès et le risque de décisions contradictoires
au sujet des mêmes faits, le législateur ouvre à la victime une option : elle peut porter son action en
réparation du dommage soit devant les juridictions civiles, soit devant les juridictions pénales. Dans ce
dernier cas, on dit qu’elle « s’est constituée partie civile ».

Il faut toutefois préciser que si ce choix est libre, il est tout aussi définitif. Il en résulte que la victime
qui a opté pour l’une des voies qui lui sont offertes ne peut plus se raviser en cours de procès et « changer
de juge ». C’est la règle « electa una via, non datur recursus ad alternam » (« une voie étant choisie, il
n’est plus possible de recourir à l’autre ») prévue par l’article 10 du code de procédure pénale.

B – La primauté de l’action publique sur l’action civile

Certaines règles de procédure manifestent la primauté de l’action publique sur l’action civile.

La première est le sursis à statuer, communément énoncé par l’adage « le criminel tient le civil en
l’état ». Ce qui signifie que le juge civil saisi d’une demande en réparation doit, lorsque l’action
publique a été mise en mouvement, attendre pour prononcer son jugement que la décision répressive ait
été rendue (article 9 du code de procédure pénale).

L’autre règle, qui est liée à la précédente, est constituée par le principe selon lequel « la chose jugée au
pénal a autorité au civil ». On entend par là que la juridiction civile ne peut pas contredire la juridiction
répressive. Par conséquent, la condamnation au pénal entraîne nécessairement la constatation d’une
faute civile et, inversement, la relaxe ou l’acquittement d’un prévenu ou accusé fait obstacle à sa
condamnation.

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Il y a enfin la règle de la « solidarité des prescriptions » qui veut que l’action civile s’éteigne en même
temps que l’action publique. Il en résulte que l’action civile ne peut plus être engagée, tout au moins
devant la juridiction répressive, après l’expiration du délai de prescription de l’action publique (article
11 du code de procédure pénale).

CHAPITRE 2 – LA REPARATION DU DOMMAGE

La responsabilité civile ayant une fonction réparatrice, la personne reconnue responsable doit réparer le
dommage subi par la victime. Il en résulte qu’une fois le préjudice invoqué jugé réparable, la juridiction
saisie doit traduire ce droit à réparation en créance de la victime. Cette mise en œuvre de l’obligation de
réparer soulève des problèmes quant aux modalités (section 1) et quant à l’étendue (section 2) de la
réparation.

SECTION 1 – LES MODALITES DE LA REPARATION

De manière traditionnelle, on admet que la réparation d’un dommage délictuel peut consister soit en une
réparation en nature (§1), soit en une réparation pécuniaire (§2).

§1 – La réparation en nature

Selon une formule devenue classique en jurisprudence, l’objectif de la responsabilité civile est « de
replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne se serait pas

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produit » (Civ. 2ème, 9 juillet 1981, Bull. civ., II, n° 156 ; 7 déc. 1978, Bull. civ., II, n° 269). Dès lors, la
réparation en nature, qui consiste à rétablir matériellement l’état des choses antérieur au dommage, est
évidemment préférable. En effet, elle efface radicalement le préjudice subi par la victime en lui
procurant ce dont elle a été exactement privée.

La question se pose cependant de savoir si les juges peuvent ordonner des mesures propres à ce
rétablissement. Si les auteurs écartent complètement cette possibilité en matière contractuelle, elle est
en revanche plus facilement admise en matière délictuelle. En effet, après des hésitations, il est
aujourd’hui reconnu aux juges du fond la liberté de choisir la réparation en nature lorsqu’elle leur paraît
la plus opportune. Ainsi peuvent-ils ordonner la réparation ou la reconstruction d’un bien détruit ou
détérioré, la fourniture d’une chose identique à celle détruite, la démolition d’un bien ou la fermeture
d’un établissement source de dommage, l’annulation d’un acte juridique illicite, la publication d’une
décision de justice, etc.

Mais la réparation en nature n’est pas toujours possible. Elle peut se heurter à des obstacles matériels ou
même apparaître totalement inconcevable pour certains dommages (préjudice moral, préjudice corporel,
destruction d’une chose unique). Des raisons d’ordre juridique peuvent également l’empêcher, telle que
la règle tirée de l’article 1142 du code civil et selon laquelle il ne peut être porté atteinte à la personne
du débiteur (interdiction de l’exécution forcée des obligations de faire ou de ne pas faire). Toutes ces
raisons font que la réparation en nature est assez exceptionnelle.

§2 – La réparation pécuniaire

La réparation pécuniaire consiste en l’octroi d’une indemnité que le responsable verse à la victime et
que l’on appelle « dommages et intérêts ». Tandis que la réparation en nature tend à effacer autant que
possible le dommage, la réparation pécuniaire n’est qu’une compensation de celui-ci. C’est du reste la
raison pour laquelle, à son sujet, on parle souvent de réparation par équivalent.

La réparation pécuniaire est de loin la plus fréquente. En effet, en raison de la fongibilité parfaite de
l’argent, l’allocation de dommages et intérêts permet la réparation de tous les dommages. L’indemnité
peut prendre, au choix du juge, deux formes. Le plus souvent, il s’agit d’un capital payé une fois pour
toutes. Mais il peut également s’agir d’une rente viagère versée périodiquement. Cette dernière solution
est généralement utilisée lorsque le dommage consiste en une perte de revenus consécutive à une atteinte
corporelle ou au décès d’un parent.

SECTION 2 – L’ETENDUE DE LA REPARATION

La détermination de l’étendue de la réparation est gouvernée par le principe de la réparation intégrale


(§1). Mais l’indemnité pécuniaire soulève une difficulté d’évaluation qui nécessite quelques précisions
(§2).
§1 – Le principe de la réparation intégrale

Le principe de la réparation intégrale du préjudice se déduit de l’objet même de la responsabilité civile


qui est de rétablir autant que possible l’équilibre rompu par le dommage. Il implique donc qu’une
équivalence parfaite soit trouvée entre le dommage subi et la réparation accordée. Selon une formule
devenue classique, doit être réparé « tout le préjudice, mais rien que le préjudice ».

La règle de la réparation intégrale emporte deux principales conséquences. D’une part, la réparation doit
effectivement être intégrale, dans ce sens que la condamnation doit opérer une compensation du
préjudice dans ses multiples aspects. La réparation partielle est donc en principe interdite. D’autre part,
l’étendue et la gravité du dommage doivent constituer la seule mesure de la réparation ; celle-ci ne doit
pas être influencée par la plus ou moins grande gravité de la faute, contrairement à ce qui se passe en
matière pénale ou disciplinaire (où la peine est proportionnée à la faute).

Il faut cependant souligner que l’application de ce principe est tempérée par le large pouvoir
d’appréciation dont dispose le juge en la matière. Il l’utilise souvent en pratique, notamment en cas de

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partage de responsabilité, pour doser les condamnations en fonction d’une appréciation morale portée
sur la conduite des intéressés.

§2 – L’évaluation du droit à réparation

La nécessité d’évaluer le dommage, et par conséquent le droit à réparation, apparaît essentiellement


lorsque le juge alloue des dommages et intérêts : il faut alors traduire le préjudice en un certain nombre
d’unités monétaires. La principale difficulté, commune à tous les types de dommages, réside dans la
détermination du moment de l’évaluation.

Pendant longtemps, il avait été décidé que le préjudice devait être évalué à la date à laquelle il avait été
subi ; car, c’est à ce moment que la victime acquiert son droit à réparation. Mais tenant compte du fait
que la réparation n’a lieu qu’au moment du paiement effectif, la jurisprudence pose comme principe,
depuis 1942, que l’évaluation doit avoir lieu au jour où le juge statue, c’est-à-dire au jour du jugement
de condamnation (Civ., 23 mars 1942, D. 1942, 118 ; S. 1942, 1, 135 ; Gaz. Pal. 1942, 1, 224).

La principale conséquence de cette solution est de permettre la prise en compte par le juge de toutes les
variations du dommage antérieures au jugement. Cela intéresse bien entendu les variations intrinsèques
du préjudice qui se sont produites entre le jour du dommage et celui du jugement. Ainsi, en cas
d’accident corporel, l’état de la victime peut s’être amélioré ou aggravé. Mais le juge doit également
tenir compte des variations du dommage dans son expression pécuniaire résultant des fluctuations de la
monnaie (circonstances extrinsèques au dommage).

Les variations postérieures au jugement pourront, dans une certaine mesure, être également prises en
considération. Cette solution se justifie par le fait que le préjudice futur est réparable. Ainsi, le juge peut
tenir compte de toutes les évolutions, aussi bien à la hausse qu’à la baisse, des éléments intrinsèques du
dommage. Bien entendu, ces évolutions doivent être prévisibles et certaines et non seulement
éventuelles. En ce qui concerne les variations monétaires futures, le juge en tient compte à travers la
faculté d’indexation dont il dispose.

Le principe de l’évaluation au jour du jugement est cependant écarté dans les cas où la créance de
réparation se trouvait fixée dès avant la décision du juge. Il en est ainsi lorsque la victime, avant le
jugement condamnant le responsable, a réparé elle-même ou fait réparer son propre dommage. C’est
également le cas des salaires perdus pendant la période d’incapacité temporaire. Dans l’un et l’autre cas,
l’indemnité allouée correspondra aux dépenses exposées ou aux revenus effectivement perdus, sans
réactualisation.

39
TITRE II – LES QUASI-CONTRATS

Il arrive que, par son fait licite, l’homme procure un avantage à autrui ou même qu’il lui cause un
dommage. Ce transfert de valeur suggère l’idée d’un équilibre à rétablir entre les patrimoines. Le
mécanisme juridique utilisé à cet effet est le quasi-contrat.

On peut, en se servant de la formule de l’article 1371 du code civil, définir le quasi-contrat comme un
fait licite, volontairement accompli, d’où découlent des obligations à la charge de son auteur ou à la
charge d’un tiers. Cette définition implique une double idée. Le quasi-contrat ressemble d’abord au
contrat, notamment parce que la volonté y joue un rôle. Mais le quasi-contrat s’éloigne ensuite du
contrat, car il ne repose pas sur un accord de volontés.

La notion de quasi-contrat connaît trois applications unanimement admises en droit positif. Toutefois,
si le code civil n’en envisage que deux, la gestion d’affaire (chapitre 1) et la répétition de l’indu (chapitre
2), la troisième, l’enrichissement sans cause (chapitre 3), a été créée par la jurisprudence.

CHAPITRE 1 – LA GESTION D’AFFAIRES

L’expression « gestion d’affaires » revêt ici un sens technique très différent de celui que lui prête le
langage courant. Il ne s’agit pas pour une personne d’assurer la gestion de la fortune d’autrui. La gestion
d’affaires suppose plutôt l’accomplissement par une personne d’un acte dans l’intérêt et pour le compte
d’un tiers, sans en avoir reçu mandat. L’exemple classique est celui du voisin qui fait procéder, de sa
propre initiative, à des travaux urgents en l’absence du propriétaire. L’auteur de l’initiative est appelé
« gérant », alors que le bénéficiaire est dénommé « maître de l’affaire » ou « géré ».

Dans un souci d’équité, la loi attache à un tel acte de gestion des effets similaires à ceux du mandat ; il
est en effet fait comme si le gérant en avait été chargé (section 2). Toutefois, parce qu’il faut aussi
décourager les immixtions légères et écervelées dans les affaires d’autrui, toute intervention n’est pas
constitutive d’une gestion d’affaires. La loi subordonne ce régime à certaines conditions (section 1).

SECTION 1 – LES CONDITIONS DE LA GESTION D’AFFAIRES

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La gestion d’affaires suppose la réunion de deux types de conditions relatives aux personnes intéressées
par la gestion (§1) et aux actes de gestion (§2).

§1 – Les conditions relatives aux personnes

Il faut examiner successivement les conditions qui intéressent le gérant d’affaire (A), puis celles qui
concernent le maître de l’affaire (B).

A – les conditions concernant le gérant d’affaire

Les conditions relatives au gérant d’affaire sont exprimées dans les tous premiers termes de l’article
1372 du code civil, à savoir : « lorsque volontairement on gère l’affaire d’autrui … ». De cette formule
s’évincent deux conditions.

La gestion d’affaire suppose d’abord une volonté de représentation. Le gérant d’affaire doit donc avoir
eu l’intention d’agir pour le compte d’autrui. Cette exigence s’explique par le fait que le régime
favorable dont bénéficie le gérant est justifié par le caractère désintéressé et altruiste de son acte. Dès
lors, le gérant doit agir, non dans son intérêt personnel, mais dans l’intérêt du maître de l’affaire (Civ.,
25 juin 1919, GA, n° 152 ; Civ. 1ère, 28 mai 1991, Bull. civ., n° 167 ; RTDCiv. 1992, 96 : en l’espèce,
l’indemnisation avait été refusée à un généalogiste qui avait recherché des héritiers uniquement afin de
leur demander ensuite la reconnaissance des droits locatifs dont il prétendait être titulaire sur la parcelle
litigieuse).

Le caractère volontaire de la gestion d’affaire, exprimé par l’article 1372 du code civil, implique ensuite
que le gérant soit intervenu dans les affaires d’autrui de manière spontanée, en dehors de toute obligation
préalable. La gestion d’affaires est en effet « incompatible avec l’exécution d’une obligation légale »
(Civ. 1ère, 17 juillet 1996, JCP 1997, I, 4015) et « inapplicable dès lors que les parties sont liées par un
contrat » (Soc., 11 oct. 1984, RTD Civ. 1985, 574).

B – Les conditions concernant le maître de l’affaire

Le maître de l’affaire est la personne dont le patrimoine est géré. Le mécanisme de la gestion d’affaire
implique qu’il ne doit avoir exprimé aucune volonté quant à l’acte du gérant d’affaire. Deux conditions
s’ensuivent.

D’abord, il doit y avoir absence de tout accord de sa part. Car, si le maître de l’affaire a consenti à l’acte
accompli par le gérant, il se serait formé entre les intéressés un contrat de mandat et la situation ne
pourrait plus être qualifiée de gestion d’affaire. Dans la mesure où, selon les termes de l’article 1372, la
gestion d’affaire peut jouer alors que le géré en était informé, il s’est posé la question de savoir si son
silence ne doit pas être interprété comme une approbation tacite. Selon la doctrine, l’existence d’une
approbation tacite requiert des actes dépourvus d’équivoque et ne peut résulter d’un simple silence. Par
conséquent, il peut y avoir des cas où le maître de l’affaire connaissait la gestion, mais où son silence
total exclut tout mandat tacite.

La gestion d’affaire suppose ensuite, de la part du maître de l’affaire, une absence d’opposition à l’acte
de gestion. Il est en effet évident que l’opposition du maître de l’affaire, à partir du moment où elle est
connue, rend illégitime l’acte du gérant. Car, on ne rend pas service à autrui contre son gré. La
jurisprudence a cependant une certaine tendance à atténuer la rigueur de ce principe en admettant qu’il
puisse y avoir gestion d’affaire lorsque l’opposition du maître de l’affaire est manifestement injustifiée,
notamment lorsque celui-ci est tenu à une obligation à laquelle il ne se conforme pas. Les règles de la
gestion d’affaire ont ainsi été appliquées au paiement par un fils des échéances d’un emprunt contracté
par son père pour acheter un logement. L’opposition de ce dernier a été jugée illégitime.

§2 – Les conditions relatives à l’acte de gestion

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Le code civil, qui s’intéresse essentiellement aux effets de la gestion d’affaire, n’a pas clairement défini
la nature des actes de gestion. Il est donc revenu à la jurisprudence d’apporter des précisions quant à
l’objet (A) et quant aux caractères de l’acte accompli (B).

A – L’objet de l’acte de gestion

L’objet de l’acte de gestion apparaît indifférent à la reconnaissance de la gestion d’affaire. L’acte


accompli peut en effet être un acte juridique (ex. contrat passé avec un entrepreneur) ou un acte matériel
(ex. réparation que l’on exécute soi-même). Il y a là une différence avec le mandat qui, selon l’opinion
générale, ne saurait se rapporter qu’à des actes juridiques.

Habituellement, c’est pour des actes conservatoires ou d’administration que la gestion d’affaire est
admise. Mais la jurisprudence moderne admet également que la gestion puisse conduire à certains actes
de disposition. Ainsi la gestion d’affaires a été appliquée à des cessions en bourse opportunes (Civ., 26
oct. 1942, D. 1943, 29 ), voire à la vente de parcelles (Civ. 1ère, 15 mai 1974, Bull. civ. I., p. 125 ;
Defrénois 1975, 920).

B – Les caractères de l’acte de gestion

Afin de décourager les immixtions inconsidérées dans les affaires d’autrui, l’article 1375 du code civil
ne fait produire effet qu’à « l’affaire bien administrée ». La jurisprudence en déduit que l’acte accompli
par le gérant doit présenter les caractères d’utilité et d’opportunité. Par exemple, le généalogiste qui a
retrouvé un héritier ne peut invoquer la gestion d’affaires si les circonstances font que cet héritier aurait
de toutes façons eu connaissance de la succession (Civ. 3ème, 31 janvier 1995, Bull. civ., I, n° 59).

Mais l’utilité ou l’opportunité de l’intervention du gérant doit être appréciée en se plaçant au moment
de l’acte lui-même et non a posteriori. Peu importe donc qu’ultérieurement elle ait disparu. L’exemple
classique est celui des réparations faites sur un bien qui est ensuite détruit par un incendie. Dans une
telle hypothèse, la gestion d’affaire est constituée bien que l’acte de gestion n’ait pas en définitive
procuré de profit au propriétaire.

SECTION 2 – LES EFFETS DE LA GESTION D’AFFAIRE

Lorsque le maître de l’affaire approuve à un moment quelconque les actes du gérant, on dit qu’il y a
ratification. Toute difficulté disparaît alors, puisque la relation est transformée en un véritable mandat.
A défaut de ratification, la gestion d’affaire produit ses effets tant dans les rapports unissant les intéressés
(§1) qu’à l’égard des tiers (§2).

§1 – Les effets de la gestion d’affaire dans les rapports entre le gérant et le géré
La gestion d’affaire étant un quasi-contrat synallagmatique, elle donne naissance à des obligations
réciproques à la charge du gérant (A) et du maître de l’affaire (B).

A – Les obligations du gérant d’affaire

Le gérant d’affaire est tenu des mêmes obligations qu’un mandataire. L’article 1372 alinéa 2 dispose en
effet que : « il se soumet à toutes les obligations qui résulteraient d’un mandat exprès que lui aurait
donné le propriétaire ». Le code civil impose en particulier au gérant d’affaire trois principales
obligations.

Il est d’abord tenu d’apporter à l’affaire tous les soins d’un bon père de famille. De ce critère employé
par l’article 1374 alinéa 1er, il résulte que le gérant d’affaire est responsable de toute faute, même légère,
qu’il commet dans la gestion. Toutefois, parce qu’il rend un service, sa responsabilité est généralement
atténuée.

Les articles 1372 et 1373 obligent ensuite le gérant à poursuivre la gestion commencée jusqu’à son terme
et à se charger de « toutes les dépendances de cette même affaire ». Ainsi, le gérant doit continuer de

42
gérer les affaires d’autrui jusqu’à ce que le maître de l’affaire soit en état d’y pourvoir ou, si ce dernier
décède, tant que l’héritier ne peut prendre la suite.

Enfin, quoique les dispositions du code civil ne le disent pas formellement, c’est une obligation
essentielle pour le gérant, de la même façon qu’un mandataire, de rendre compte de la gestion accomplie.

B – Les obligations du maître de l’affaire

Il résulte de l’article 1375 du code civil que le maître dont l’affaire a été bien administrée doit
indemniser le gérant de tous les engagements personnels qu’il a pris et lui rembourser toutes les dépenses
utiles ou nécessaires qu’il a faites. L’idée qui résume cette disposition est que le gérant ne doit subir
aucune perte pour avoir rendu service à autrui. Cependant, cette obligation du maître de l’affaire est
subordonnée à une condition fondamentale : que la gestion ait été utile.

Si la gestion d’affaire ne doit pas être source d’une perte pour celui qui a spontanément pris en charge
les intérêts d’autrui, elle ne peut pas non plus être pour lui la source d’un gain. C’est la raison pour
laquelle le maître de l’affaire n’est tenu à aucune obligation de rémunération du gérant (Com., 15 déc.
1992, Bull. civ. IV, n° 415). Cette solution est justifiée par le caractère désintéressé de la gestion
d’affaire.

§2 – Les effets dans les rapports avec les tiers

Le problème ne se pose que lorsque la gestion a eu pour objet des actes juridiques, spécialement des
contrats. Tel est le cas lorsque le gérant achète les matériaux nécessaires ou fait appel à un entrepreneur
pour effectuer les travaux. Il s’agit alors de savoir dans quelle mesure le maître de l’affaire est tenu
envers les co-contractants du gérant.

Cette question, évoquée par l’article 1375, a été tranchée par la jurisprudence qui distingue deux
hypothèses (Civ. 1ère, 14 janv. 1959, D. 1959, 106).

Si le gérant a déclaré qu’il agissait au nom et pour le compte du maître de l’affaire, celui-ci, et non le
gérant, est obligé. Il y a représentation parfaite et le contrat produit directement ses effets à l’égard du
maître en tant que représenté.

En revanche, si le gérant n’a pas déclaré qu’il agissait au nom du maître, le principe est qu’il est
personnellement obligé à l’égard des tiers. L’article 1375 oblige cependant le maître de l’affaire à
l’indemniser de ses « engagements personnels ».

CHAPITRE 2 – LA REPETITION DE L’INDU

Aux termes de l’article 1235 alinéa 1er du code civil, « tout paiement suppose une dette ; ce qui a été
payé sans être dû est sujet à répétition ». Tel est posé le principe de la répétition de l’indu qui suppose
qu’une personne, appelée accipiens, reçoit à titre de paiement d’une autre personne, dénommée solvens,
une chose qui ne lui est pas due. Une telle situation donne lieu à une action en répétition de l’indu
permettant au solvens d’obtenir restitution de la chose indûment payée. Les conditions (section 1) et les
effets (section 2) de cette action sont précisées par les articles 1376 et suivants du code civil.

SECTION 1 – LES CONDITIONS DE LA REPETION DE L’INDU

La condition essentielle de l’action en répétition est que le paiement soit indu, ce qui suppose l’absence
de dette entre l’accipiens et le solvens (§1). Toutefois, le comportement du solvens peut dans certains
cas particuliers avoir une incidence sur l’obligation de restitution (§2).

§1 – L’absence de dette

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Le paiement indu envisagé par le code civil suppose qu’il n’existait pas d’obligations entre celui qui
paie et celui qui reçoit le paiement : celui-là a payé alors qu’il n’était pas débiteur de celui-ci. Le terme
paiement doit cependant être compris dans son sens juridique et non dans son sens courant. En effet, le
langage courant voit dans le paiement uniquement une remise de somme d’argent, alors que dans son
sens juridique, le paiement est l’exécution de toute espèce d’obligation, quelle qu’en soit l’objet.

Le paiement indu peut correspondre à deux hypothèses dans lesquelles le caractère indu est plus ou
moins intense. L’absence de dette peut d’abord être absolue, notamment lorsque la dette n’existe pas
dans sa totalité (dette imaginaire) ou en partie (paiement supérieur à ce qui est dû) ou lorsqu’elle n’existe
plus (dette déjà payée ou annulée). Une telle situation est qualifiée d’indu objectif, puisque la dette n’a
aucune existence juridique. Mais l’indu peut ensuite être subjectif, notamment lorsque la dette existe,
mais pas entre celui qui payé et celui qui a été payé ; en d’autres termes, le rapport d’obligation existe,
mais à la charge d’un autre débiteur ou au profit d’un autre créancier.

L’exigence d’une absence de dette entre l’accipiens et le solvens implique que celui qui paie sa dette ne
peut évidemment pas en demander la répétition. Il en va ainsi même en cas de paiement d’une dette à
terme. Selon l’article 1186 du code civil, « ce qui n’est dû qu’à terme, ne peut être exigé avant
l’échéance du terme ; mais ce qui a été payé d’avance ne peut être répété ». Il en est de même, aux
termes de l’article 1235 alinéa 2 du code civil, lorsque le débiteur a acquitté une obligation naturelle à
laquelle il était tenu, comme par exemple une obligation prescrite.

§2 – L’incidence du comportement du solvens

Le comportement du solvens, qui n’apparaît pas dans le code civil comme une condition du paiement
de l’indu, peut parfois constituer un obstacle à son action en répétition. Ces difficultés tiennent soit à
son erreur (A), soit à sa faute (B).

A – L’erreur du solvens

L’article 1377 alinéa 1er dispose : « Lorsqu’une personne qui, par erreur, se croyait débitrice, a acquitté
une dette, elle a le droit de répétition contre le créancier ». Il en résulte que la loi subordonne la
répétition, dans l’hypothèse d’un indu subjectif, à la preuve par le solvens qu’il s’est trompé de créancier.
La jurisprudence avait naguère étendu cette condition de l’erreur aux hypothèses où l’indu est objectif.
L’idée qui justifiait cette jurisprudence était qu’un paiement sans dette pouvait être motivé aussi bien
par l’erreur du solvens que par son intention libérale ; il appartenait par conséquent au demandeur de
prouver qu’il a payé par erreur.

Prenant en compte les nombreuses critiques émises par la doctrine, la jurisprudence récente a introduit
une distinction entre l’indu objectif et l’indu subjectif. La condition d’erreur, conformément aux termes
de l’article 1377 alinéa 1er, n’existe plus que pour ce dernier. En revanche, en cas d’indu objectif, c’est-
à-dire de paiement d’une dette inexistante, la preuve de l’erreur est indifférente à la répétition qui peut
être obtenue sur la seule preuve de l’absence de dette (Ass. plén., 2 avr. 1993, D. 1993, 373 ; JCP
1993.II.22051).

B – La faute du solvens

L’autre question qui se pose est de savoir si la faute du solvens prive celui-ci du droit à répétition de
l’indu. Malgré une certaine hésitation, la jurisprudence semble apprécier l’incidence d’une telle faute
différemment selon la nature de l’indu.

Lorsqu’il s’agit d’un indu objectif, la solution unanimement admise est que la faute du solvens est sans
incidence sur l’exercice de l’action en répétition ; l’accipiens est donc toujours tenu à restitution.
Toutefois, cette faute peut donner lieu à des dommages et intérêts au profit de l’accipiens si ce dernier
a subi un préjudice du fait du paiement de l’indu et venir ainsi limiter le droit à répétition. En effet, selon
la Cour de cassation, « la faute du solvens engage la responsabilité de son auteur envers l’accipiens
lorsqu’elle a causé à celui-ci un préjudice ; le remboursement mis à sa charge doit alors être diminué
du montant du préjudice » (Civ. 1ère, 5 juillet 1989, Bull. civ., I, n° 278 ; RTDCiv. 1990, 282).

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Alors qu’elle n’a qu’une incidence partielle en cas d’indu objectif, la faute du solvens a un effet plus
radical en cas d’indu subjectif. Car, la répétition est purement et simplement écartée lorsque c’est
fautivement (grave négligence) qu’un débiteur paie une dette à une personne qui n’est pas son créancier,
mais que ce dernier n’a fait que recevoir ce qui lui était dû. Selon la Cour de cassation, « le paiement
fait par erreur par une personne qui n’est pas débitrice n’ouvre pas droit à répétition lorsque l’accipiens
n’a reçu que ce que lui devait son débiteur et que le solvens a à se reprocher d’avoir payé sans prendre
les précautions commandées par la prudence » (Com., 12 janvier 1988, Bull. civ., IV, n° 22 ; Com., 23
avr. 1976, D. 1977.563).

SECTION 2 – LES EFFETS DE L’ACTION EN REPETITION

Lorsque les conditions de l’action en répétition sont réunies, le solvens peut obtenir restitution des choses
reçues en exécution du paiement (§1). Mais il peut également se poser le problème du sort des dépenses
éventuellement engagées par l’accipiens en vue de la conservation de la chose (§2).

§1 – La restitution de l’indu

La répétition a pour conséquence d’obliger l’accipiens à restituer ce qu’il a reçu indûment. Toutefois,
l’étendue de cette obligation varie selon qu’il était de bonne (A) ou de mauvaise (B) foi.

A – La bonne foi de l’accipiens

Lorsque l’accipiens est de bonne foi, il ne doit restituer que ce dont il s’est enrichi, c’est-à-dire
seulement le capital ou la chose reçue, mais non les intérêts ou les fruits perçus (article 1378 a contrario).
Cette solution est justifiée par l’idée qu’ayant consommé les intérêts ou les fruits dans la pensée qu’il
en était propriétaire, l’accipiens subirait une perte s’il était obligé de les rendre. Dans la même logique,
l’accipiens qui a vendu ou consommé la chose ne doit restituer que le prix de la vente ou sa valeur.

B – La mauvaise foi de l’accipiens

La bonne foi étant toujours présumée, c’est à celui qui exerce l’action en répétition qu’il appartient de
prouver que l’accipiens était de mauvaise foi ; autrement dit, qu’il a reçu le paiement en connaissance
de son caractère indu. Lorsqu’il en est ainsi, l’étendue de la restitution est augmentée dans un but de
sanction.

En effet, l’accipiens de mauvaise foi doit restituer non seulement le capital ou la chose, mais tous les
intérêts ou fruits perçus (article 1378). S’il a vendu la chose, il devra non seulement le prix, mais
l’excédent de valeur qu’elle peut représenter au jour où l’action est intentée contre lui. Et même lorsque
la chose a péri par cas fortuit, il en devra néanmoins la valeur (article 1379).

§2 – Le remboursement des frais de conservation

Aux termes de l’article 1381 du code civil, « celui auquel la chose est restituée, doit tenir compte, même
au possesseur de mauvaise foi, de toutes les dépenses nécessaires et utiles qui ont été faites pour la
conservation de la chose ». Il en résulte que l’accipiens, qu’il soit de bonne ou de mauvaise foi, a droit
au remboursement des « dépenses nécessaires ou utiles » engagées pour la conservation de la chose.
Cette solution est justifiée par le fait que ces dépenses augmentant la valeur de la chose, le solvens, s’il
n’était tenu à leur remboursement, profiterait d’un enrichissement sans cause.

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CHAPITRE 3 – L’ENRICHISSEMENT SANS CAUSE

L’accroissement d’un patrimoine implique normalement l’appauvrissement corrélatif d’un autre


patrimoine. En règle générale, ce déplacement de richesse est justifié par une cause légitime. Il en est
ainsi lorsqu’il procède d’un acte juridique, comme par exemple une vente, une donation, un legs, etc.

Cependant, il arrive parfois que ce mouvement de valeurs s’opère sans fondement, sans cause légitime.
C’est le cas par exemple lorsqu’une personne élève une construction sur un terrain appartenant à autrui.
Le propriétaire du sol, qui par le phénomène de l’accession devient également propriétaire de la
construction, s’enrichit ainsi injustement au détriment du constructeur. L’action d’enrichissement sans
cause, ou action de in rem verso, a pour objet de compenser ce transfert de richesses injustifié au moyen
d’une indemnité que doit verser l’enrichi à l’appauvri.

L’enrichissement sans cause est un quasi-contrat d’origine jurisprudentielle. Il a été consacré par la Cour
de cassation à la fin du XIXe siècle. C’est plus exactement l’œuvre du célèbre arrêt Boudier dans lequel
un marchand d’engrais n’ayant pas été payé par le fermier locataire, s’est vu reconnaître contre le
propriétaire des terres enrichies par les engrais une action « dérivant du principe d’équité qui défend de
s’enrichir aux dépens d’autrui » (Req., 15 juin 1892, S. 1893, I, 281 ; D. 1892, 1, 596 ; GA, vol. 2, n°
227). Mais, telle qu’elle était envisagée en 1892, l’action de in rem verso était très large, puisque n’étant

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soumise à aucune condition déterminée. Aussi l’effort ultérieur de la jurisprudence a-t-il consisté à en
limiter les applications en soumettant ses effets (section 2) à certaines conditions précises (section 1).

SECTION 1 – LES CONDITIONS DE L’ENRICHISSEMENT SANS CAUSE

L’enrichissement sans cause suppose deux ordres de conditions : des conditions d’ordre purement
matériel ou économique (§1) et des conditions d’ordre juridique (§2).

§1 – Les conditions d’ordre matériel ou économique

Le déplacement d’une valeur d’un patrimoine à un autre est la condition matérielle de l’enrichissement
sans cause. Toutefois, cette condition se décompose elle-même en trois éléments dont le demandeur va
devoir rapporter la preuve : l’appauvrissement d’une partie (A), l’enrichissement d’une autre (B) et un
rapport de causalité entre l’appauvrissement et l’enrichissement (C).

A – L’appauvrissement d’un patrimoine

L’exercice de l’action de in rem verso suppose nécessairement un appauvrissement du patrimoine du


demandeur. L’enrichissement sans cause ne saurait être retenu lorsqu’on a participé à l’enrichissement
d’autrui sans subir soi-même aucune perte. Par exemple, celui qui a indiqué à un ami une bonne affaire
(en bourse ou aux courses) ne peut prétendre à une indemnisation, car il ne s’est pas appauvri.

Toutefois, l’appauvrissement est entendu de manière très large par la jurisprudence. Un patrimoine est
en effet appauvri lorsqu’il subit une perte quelconque appréciable en argent. Cette perte peut consister
en une dépense (ex. réalisation des travaux sur le terrain d’autrui), en une prestation exécutée en nature
(ex. livraison de biens non payée) ou en un manque à gagner (ex. impossibilité de tirer des loyers d’un
bien occupé sans titre).

B – L’enrichissement d’un patrimoine

L’appauvri ne dispose d’une action que s’il établit qu’un autre patrimoine s’est corrélativement enrichi.
Cette notion est également entendue de manière large, puisqu’il suffit qu’un patrimoine reçoive un
avantage quelconque appréciable en argent. Ainsi, il peut s’agir non seulement de l’acquisition d’un
bien ou d’une plus-value enrichissant véritablement l’intéressé, mais encore de la réalisation d’une
économie par dépense évitée (ex. profit d’une collaboration sans avoir à payer de salaires).

C – La corrélation entre l’appauvrissement et l’enrichissement

Pour que l’action de in rem verso soit admise, il faut qu’un rapport de cause à effet existe entre
l’appauvrissement du patrimoine du demandeur et l’enrichissement de celui du défendeur. Selon
l’expression d’un auteur, ils doivent représenter « le double aspect d’un fait unique ».

Il n’est d’ailleurs pas nécessaire que ce lien de causalité soit direct, c’est-à-dire que le mouvement de
richesses se soit réalisé dans les rapports directs entre l’appauvri et l’enrichi. La jurisprudence admet en
effet l’action de in rem verso, ainsi que l’illustre bien l’arrêt Boudier, lorsque l’enrichissement a causé
l’appauvrissement de façon indirecte ; c’est-à-dire par l’intermédiaire d’un tiers.

§2 – Les conditions d’ordre juridique

Afin de canaliser l’action de in rem verso, la jurisprudence a ajouté, aux conditions matérielles énoncées
ci-dessus, une double condition juridique : l’absence de cause, d’une part (A), et le caractère subsidiaire
de l’action, d’autre part (B).

A – L’absence de cause

Comme son nom l’indique, l’enrichissement sans cause ou injustifié suppose l’absence de toute cause à
l’enrichissement ou à l’appauvrissement d’un patrimoine. La cause doit être prise ici dans un sens voisin

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de celui de l’article 1131 du code civil et entendue comme le titre juridique justifiant l’enrichissement
ou l’appauvrissement. Il s’agit donc de la condition centrale de l’action de in rem verso. Il résulte de ce
qui précède que lorsqu’une personne s’enrichit grâce à un mécanisme de droit, même au dépens d’autrui,
on ne peut lui demander de restituer cet enrichissement.

La cause la plus fréquente se trouve dans le jeu d’un contrat, pourvu qu’il soit valable. Il en est ainsi que
le contrat soit conclu directement entre l’enrichi et l’appauvri (ex. vente à bas prix ou à prix excessif)
ou entre l’enrichi et un tiers (ex. lorsque le contrat de bail prévoit que le bailleur bénéficierait des travaux
effectués par le locataire, l’entrepreneur impayé ne peut agir contre lui sur le fondement de
l’enrichissement sans cause).

Mais l’enrichissement peut également trouver sa justification dans une règle légale (ex. la concurrence
est permise par la loi) ou dans une décision de justice. Tout comme il peut être juridiquement causé par
l’intention libérale (ex. donation) ou par l’intérêt personnel qu’avait l’appauvri dans l’opération (ex. le
propriétaire qui, en élevant une digue pour protéger son fonds met tout le voisinage à l’abri, ne peut
prétendre avoir enrichi sans cause ses voisins ; il en est de même de celui qui, en faisant amener
l’électricité chez lui, facilite le branchement de son voisin).

B – Le caractère subsidiaire de l’action de in rem verso

Le principe de subsidiarité de l’action de in rem verso a été posé par un arrêt de la Cour de cassation du
2 mars 1915. Au terme de cette décision, l’action de in rem verso ne doit être admise que dans les cas
où le patrimoine d’une personne se trouvant, sans cause légitime, enrichi au détriment de celui d’une
autre personne, « celle-ci ne jouirait, pour obtenir ce qui lui est dû, d’aucune action naissant d’un
contrat, d’un quasi-contrat, d’un délit ou d’un quasi-délit » (Civ., 2 mars 1915, GA, vol. 2, n° 228).

La subsidiarité signifie donc que l’action de in rem verso ne peut être intentée que si aucun autre moyen
ne permet à l’appauvri d’obtenir compensation de son appauvrissement. Il en résulte que les règles de
l’enrichissement sans cause ne sauraient servir à suppléer à une autre action offerte par la loi ou la
jurisprudence, mais qui se heurte à un obstacle de droit. Ainsi, celui qui a laissé prescrire sa créance ou
l’action de droit commun ne peut se prévaloir de l’enrichissement sans cause.

Toutefois, la condition de subsidiarité ne joue pas lorsque l’autre action se heurte simplement à un
obstacle de fait telle que l’insolvabilité. Ainsi, le marchand d’engrais, qui disposait pourtant d’une action
contre son acheteur rendue illusoire par son insolvabilité, a pu agir contre le propriétaire. De même, le
mari qui a élevé un enfant désavoué, même s’il dispose d’une action contre la mère, peut aussi agir
contre le véritable père (Civ. 1ère, 16 déc. 1984, Bull. civ., I, n° 45).

SECTION 2 – LES EFFETS DE L’ENRICHISSEMENT SANS CAUSE

Le mécanisme de l’enrichissement sans cause a pour but de rétablir l’équilibre faussé par l’injuste
déplacement de valeurs d’un patrimoine à un autre. Lorsque les conditions de l’action de in rem verso
sont donc réunies, elle doit aboutir à l’attribution d’une indemnité à l’appauvri. L’importance de celle-
ci est limitée à la fois par l’existence d’un double plafond (§1) et par la détermination de sa date
d’appréciation (§2).

§1 – L’existence d’un double plafond

Il peut arriver que l’enrichissement enregistré par un patrimoine soit exactement égal à
l’appauvrissement subi par l’autre. Il n’y a alors aucune difficulté à rétablir l’équilibre. C’est par
exemple le cas lorsque l’enrichissement résulte du non versement des salaires.

Mais il peut également arriver que l’enrichissement et l’appauvrissement ne correspondent pas. Ce serait
le cas si les travaux réalisés ont procuré une plus-value supérieure à leur coût. Selon une règle
traditionnelle, l’indemnité ne peut excéder ni l’enrichissement du défendeur, ni l’appauvrissement du
demandeur. Elle doit être égale à la plus faible des deux sommes représentatives de chacun de ces
éléments.

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Cette règle, consacrée par la jurisprudence, est dite du « double plafond » (Civ. 1ère, 19 janv. 1953, D.
1953, 234 ; 15 févr. 1973, D. 1975, 509). Elle est imposée par les considérations d’équité qui sont à la
base de l’action de in rem verso. En effet, si le défendeur, après avoir bénéficié d’un avantage injustifié,
devait restituer plus, il subirait à son tour une injustice. Parallèlement, si le demandeur, après avoir subi
un sacrifice injustifié, percevait plus qu’il n’a perdu, il profiterait à son tour d’une injustice.

§2 – La date d’appréciation de l’enrichissement et de l’appauvrissement

La règle du « double plafond » ne suffit pas à tout régler. Encore faut-il savoir à quelle date il faut se
placer pour apprécier l’étendue de l’enrichissement et de l’appauvrissement.

Selon la jurisprudence, c’est à la date de sa réalisation qu’il faut se placer pour vérifier l’existence et
déterminer l’étendue de l’appauvrissement (Civ. 3ème, 18 mai 1982, Bull. civ., III, p. 86). Cette solution
est justifiée par le fait que, une fois subi par un patrimoine, un appauvrissement est en quelque sorte
définitivement cristallisé ; il ne saurait ni disparaître ni varier.

L’enrichissement au contraire, toujours selon la jurisprudence, doit être apprécié au jour où l’action de
in rem verso est exercée (et non au jour où le juge statue, Civ. 1ère, 16 nov. 1983, Bull. civ., I, n° 275).
En effet, l’enrichissement peut, depuis le fait qui l’a engendré, avoir varié et même avoir disparu (ex.
destruction des constructions faites sur le fonds d’autrui).

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