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Répertoire de la responsabilité de la puissance publique

Exonérations ou atténuations de responsabilité

Marc FORNACCIARI
Maître des requêtes honoraire au Conseil d'État

Didier CHAUVAUX
Conseiller d'État

octobre 2011 (actualité : juin 2014)

Table des matières

Généralités, 1 - 8

Chapitre 1 - Force majeure, 9 - 33


Section 1 - Caractères de l'événement de force majeure, 10 - 28
Art. 1 - Extériorité, 12 - 15
Art. 2 - Imprévisibilité, 16 - 20
Art. 3 - Irrésistibilité, 21 - 28
Section 2 - Effets de la force majeure, 29 - 33
Art. 1 - Responsabilité extra-contractuelle, 29 - 31
Art. 2 - Responsabilité contractuelle, 32 - 33

Chapitre 2 - Cas fortuit, 34 - 51


Section 1 - Caractère du cas fortuit, 35 - 46
Art. 1 - Force majeure et cas fortuit : origine et intérêt de la distinction, 35 - 37
Art. 2 - Critères du cas fortuit, 38 - 46
§ 1 - Le cas fortuit comme fait interne au défendeur, 39 - 41
§ 2 - Le cas fortuit comme cause inconnue, 42
§ 3 - Conciliation des deux théories, 43 - 46
Section 2 - Effets du cas fortuit, 47 - 51

Chapitre 3 - Fait d'un tiers, 52 - 114


Section 1 - Caractère du fait d'un tiers, 54 - 57
Section 2 - Effets du fait d'un tiers, 58 - 114
Art. 1 - Responsabilité pour faute, 59 - 92
§ 1 - Origines de la jurisprudence, 59 - 62
§ 2 - Fondements de la jurisprudence, 63 - 68
§ 3 - Actions récursoires et subrogatoires, 69 - 70
§ 4 - Détermination de la part de responsabilité de la personne publique, 71 - 75
§ 5 - Atténuations du principe du caractère exonératoire du fait du tiers dans la responsabilité pour faute, 76 - 92
Art. 2 - Responsabilité sans faute, 93 - 114
§ 1 - Principe et justification, 93 - 98
§ 2 - Un principe nuancé, 99 - 101
§ 3 - Applications jurisprudentielles, 102 - 113
§ 4 - Actions récursoires, 114

Chapitre 4 - Fait de la victime, 115 - 185


Section 1 - Caractère du fait de la victime, 118 - 158
Art. 1 - Caractère de la victime, 118 - 124
Art. 2 - Caractère des agissements de la victime, 125 - 158
§ 1 - Faute de la victime, 126 - 152
§ 2 - Fait de la victime, 153 - 158
Section 2 - Effets du fait de la victime, 159 - 185
Art. 1 - Principe et justifications, 159 - 173
§ 1 - Effet partiellement ou totalement exonératoire, 160 - 164
§ 2 - Influence du système de responsabilité, 165 - 173
Art. 2 - Répartition des responsabilités, 174 - 185
§ 1 - Théories et méthodes, 174 - 177
§ 2 - Lien de causalité, 178 - 181
§ 3 - Partage sur la base de la gravité des fautes respectives, 182 - 185

Bibliographie
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VENEZIA et GAUDEMET, 16 e éd., 1999, LGDJ. - DE LAUBADÈRE, MODERNE et DELVOLVÉ, Traité des contrats administratifs,
t. 1 er, 2 e éd., 1983, LGDJ. - H., L. et J. MAZEAUD, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile, délictuelle et
contractuelle, t. 2, 6 e éd., 1970, Montchrestien. - MOREAU, L'influence de la situation et du comportement de la victime sur la
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obligations, 7 e éd., 1999, Précis Dalloz. - VEDEL et DELVOLVÉ, Droit administratif, t. 1 er, 1992 ; t. 2, 1990, PUF.

BÉNOIT, Le cas fortuit dans la jurisprudence administrative, JCP 1956. I. 1328 ; Essai sur les conditions de la responsabilité en
droit public et privé (problèmes de causalité et d'imputabilité), JCP 1957. I. 1351. - BERRAMDANE, L'obligation de prévention
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Gaz. Pal. 1966. 1. Doctr. 135. - BRARD, À propos de la notion de fait du tiers, JCP 1980. I. 2976. - COUZINET, Cas de force
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d'originalité du régime de la responsabilité extra-contractuelle des personnes (collectivités) publiques. La soumission de cette
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responsabilité extra-contractuelle diffèrent-ils foncièrement ?, JCP 1949. I. 751. - HAGÈGE, La reconnaissance de la force
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L'affaire de Malpasset devant la justice administrative, AJDA 1972. 316. - LATOURNERIE, De la faute et du risque à propos des
dommages causés par les travaux publics, RD publ. 1945. 5 et 133. - LE CORNEC, Responsabilité administrative et force
majeure. Les autorités de l'urbanisme face aux risques naturels, AJDI 1999. 198 . - LEMAIRE, La force majeure : un
événement irrésistible, RD publ. 1999. 1723. - MARIANI-BENIGNI, L'« exception de risque accepté » dans le contentieux
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doctrinale, AJDA 1994. 171 ; La catastrophe et le risque naturels : essai de définition juridique, RD publ. 1997. 1693. -
SIRONNEAU, Les responsabilités en matière d'inondations et de réparation des dommages, Dr. envir. nov. 1998. 15. -
SOUSSE, La notion de « force majeure non exonératoire », RRJ 1995. 125.

Généralités
A. - Définition
1 . La personne à qui réparation d'un dommage est demandée peut s'exonérer de sa responsabilité en démontrant que ce
dommage trouve son origine dans une « cause étrangère », c'est-à-dire dans un événement ou un agissement qui lui est
extérieur. Le défendeur, auteur apparent du dommage, puisqu'il est mis en cause devant le juge, a ainsi la possibilité de
rétablir la véritable causalité entre le dommage et son origine.

2. La théorie des causes d'exonération de responsabilité est ainsi la conséquence nécessaire du principe commun à tous les
systèmes de responsabilité, qui exige l'existence d'un lien de cause à effet entre le dommage et le fait ou la faute du
défendeur. Le droit public comme le droit privé connaissent le jeu des causes exonératoires ; elles sont mentionnées, en
matière contractuelle, à l'article 1147 du code civil : « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et
intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie
pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de
sa part ». L'article 1148 du même code mentionne le cas fortuit et la force majeure. Le principe a été étendu par la
jurisprudence au domaine des articles 1382 et suivants dudit code.

3 . Si l'énoncé du principe est simple, son application est beaucoup plus délicate : comme on l'a dit, en effet, l'effet
exonératoire joue sur la relation de causalité entre dommage et défendeur, et présente par suite toute la complexité qui
s'attache à la notion de causalité. Il va de soi, tout d'abord, que chaque événement est le résultat d'une infinité de causes.
Or, le juge se doit d'interrompre cette chaîne de causalité et de choisir la ou les causes dans lesquelles il verra l'origine du
dommage. Dans la détermination du responsable, le juge va donc substituer une causalité juridique, artificielle, à la causalité
naturelle.

B. - Différentes théories juridiques de la causalité


4. On oppose à cet égard traditionnellement trois conceptions possibles de la causalité : 1 o la théorie dite de l'équivalence des
conditions, développée par le pénaliste allemand VON BURI (Die Kausalität und ihre strafrechtliche Beziehungen, 1885),
considère que tous les événements qui ont concouru à la production d'un dommage, c'est-à-dire sans lesquels le dommage ne
se serait pas produit, doivent être considérés également comme la cause du dommage ; 2 o la théorie de la causalité adéquate,
inspirée par le philosophe VON KRIES, procède à l'inverse à un tri dans la série causale, et ne retient que celle des causes qui,
normalement et naturellement, devait entraîner le dommage ; 3 o enfin, beaucoup moins élaborée, la théorie de la proximité de
la cause ne retient que la cause immédiate du dommage.

5. La théorie de l'équivalence des conditions se prête peu au jeu des circonstances exonératoires : l'auteur apparent, dès lors
qu'il aura concouru au dommage, sera condamné pour le tout. En revanche, la théorie de la causalité adéquate permet de ne
condamner chaque coauteur qu'à proportion du rôle causal qu'il a joué dans la production du dommage ; le défendeur peut
ainsi s'exonérer au moins partiellement de sa responsabilité. Nature et portée des causes d'exonération sont donc
étroitement dépendantes de la conception de la causalité retenue par le juge.

C. - Conséquences procédurales
6 . Il résulte de ce qui vient d'être dit que, si le demandeur doit prouver la faute du défendeur (ou, dans les systèmes de
responsabilité sans faute, l'imputabilité du dommage au défendeur ou à sa chose), il revient en revanche au défendeur de
démontrer l'existence d'une cause exonératoire.

7 . Les causes d'exonération n'ont d'effet que dans les rapports entre le défendeur mis en cause par la victime et cette
dernière. Lorsque le juge refuse de les faire jouer, soit qu'elles manquent en fait, soit qu'elles sont inopérantes dans le
système de responsabilité de l'affaire, cette circonstance fait seulement obstacle à ce que le défendeur les invoque pour se
dégager vis-à-vis de la victime. En revanche, il pourra les invoquer au soutien d'une action récursoire dirigée contre les autres
coauteurs du dommage. Si, au contraire, le juge admet l'effet exonératoire des causes invoquées, l'action de la victime contre
le défendeur sera rejetée, mais celle-ci pourra obtenir réparation en recherchant la responsabilité des autres coauteurs. Sur
tous ces points, on renvoie à la rubrique Actions en garantie (V. Actions en garantie : actions récursoires et actions
subrogatoires).

8 . On distingue traditionnellement quatre causes d'exonération : la force majeure (V. infra, n os 9 s.) ; le cas fortuit (V. infra,
n os 34 s.) ; le fait d'un tiers (V. infra, n os 52 s.) ; le fait de la victime (V. infra, n os 115 s.). On verra cependant que l'on
confond souvent cas fortuit et force majeure en une même cause étrangère.

Chapitre 1 - Force majeure


9 . Le défendeur peut s'exonérer de la responsabilité qu'il encourt en démontrant que le dommage dont il est l'auteur
apparent ne lui est en réalité pas imputable, mais trouve son origine dans un cas de force majeure.

Section 1 - Caractères de l'événement de force majeure


1 0 . Tous les auteurs s'accordent sur ce point que, pour être considéré comme tel, un événement de force majeure doit
présenter la triple caractéristique d'extériorité par rapport au défendeur (V. infra, n os 12 s.), d'imprévisibilité (V. infra, n os
16 s.) et d'irrésistibilité (V. infra, n os 21 s.). Cette définition semble incluse dans les termes de l'article 1147 du code civil
(V. supra, n o 2) et dans ceux de l'article 1148 du même code qui dispose qu'« il n'y a lieu à aucun dommage et intérêt lorsque,
par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou
a fait ce qui lui était interdit ». Sur ce point, les travaux préparatoires du code civil précisent : « La définition de la force
majeure est connue. On sait que ce nom n'est donné qu'aux accidents que la vigilance et l'industrie des hommes n'ont pu ni
prévoir ni empêcher » (H., J. et L. MAZEAUD, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile, délictuelle et contractuelle,
t. 2, 6 e éd., 1970, Montchrestien, n o 1564).

S'apparente à la force majeure la « cause étrangère » dont un établissement de santé doit apporter la preuve pour échapper
à sa responsabilité au titre d'une infection nosocomiale (CSP, art. L. 1142-1). Voir, jugeant que cette preuve n'est pas
apportée dans un cas où un germe présent dans le rhinopharynx du patient avait pénétré dans les méninges à l'occasion
d'une intervention chirurgicale, provoquant une méningite mortelle, CE 10 oct. 2011, CHU d'Angers, req. n o 328500 : le
risque était connu dans ce type d'opérations et s'il était très difficile de le prévenir, il ne présentait pas le caractère
d'imprévisibilité et d'irrésistibilité permettant de retenir une cause étrangère.

Actualité
10. État initial dégradé d'un patient. « Cause étrangère » d'une infection. Absence. - Le fait qu'un patient à l'état de santé très
altéré soit particulièrement sensible aux infections ne constitue pas une « cause étrangère » au sens de l'article L. 1142-1 du
code de la santé publique lorsque l'infection a été contractée au cours d'une réanimation (CE 17 févr. 2012, M me Mau, req.
n o 342366 , AJDA 2012. 357, obs. Grand ).
11. Le Conseil d'État, juge de cassation, contrôle la qualification juridique à laquelle les juges du fond ont procédé pour juger
que des faits présentaient le caractère d'un cas de force majeure exonératoire de responsabilité ; corrélativement, il exige
des cours administratives d'appel qu'elles énoncent avec précision les faits qui les conduisent à retenir cette qualification (CE
16 oct. 1995, Épx Mériadec, Lebon 355, cassant pour insuffisance de motivation un arrêt qui se bornait à affirmer qu'il
résultait de l'instruction que des précipitations avaient revêtu « en raison de leur violence et de leur intensité exceptionnelles
et imprévisibles, le caractère d'un événement de force majeure »). La Cour de cassation exerce le même contrôle (V. par ex. :
Civ. 2 e, 27 févr. 2003, n o 01-11.975 , Bull. civ. II, n o 45).

Art. 1 - Extériorité
12. Certains civilistes considèrent que l'extériorité n'est pas une condition de la force majeure (H., L. et J. MAZEAUD, op. cit.,
n o 1566. - TERRÉ, SIMLER et LEQUETTE, Droit civil, Les obligations, 7 e éd., 1999, Précis Dalloz, qui estiment que le critère est
incertain au moins en matière contractuelle). On relèvera par ailleurs que ce critère n'est pas mentionné dans les arrêts de
principe rendus le 14 avril 2006 par l'assemblée plénière de la Cour de cassation (V. infra, n o 16. - BLOCH, Force majeure : le
calme après l'ouragan ?, Resp. civ. et assur. n o 6, juin 2006). Cette divergence par rapport à la totalité des publicistes nous
paraît liée au fait que le droit civil sépare mal le cas fortuit de la force majeure, qui se distinguent précisément par ce critère
d'extériorité (V. infra, n os 38 s.).

1 3 . La définition de l'extériorité du fait de force majeure ne fait guère problème lorsque sont invoquées les calamités
naturelles : inondations, foudre, etc., ou les guerres. Il est cependant des cas où il est difficile de déterminer si le fait invoqué
est extérieur ou intérieur au demandeur. Ainsi, dans l'affaire de la catastrophe du barrage de Malpasset (CE, ass., 28 mai
1971, Dpt du Var c/ Entreprise Bec frères, Lebon 419), le Conseil d'État n'a pas admis que la cause invoquée de la rupture du
barrage, à savoir la présence de deux grandes failles dans le sous-sol d'assise, était extérieure à l'ouvrage ; il a au contraire
retenu une cause interne : « Il résulte de l'instruction que la rupture du barrage de Malpasset a été due à « l'expulsion » de la
roche à l'aval immédiat de l'ouvrage sous la pression de l'eau retenue par ce dernier ; dans ces conditions, la cause de la
rupture ne peut être regardée comme extérieure au barrage ».
14. De même, la condition d'extériorité est moins nette lorsque le fait invoqué résulte d'un comportement humain. Il en est
ainsi notamment dans la responsabilité contractuelle, où la grève du personnel du cocontractant de l'administration se voit
tout de même reconnaître le caractère d'un événement de force majeure déliant le cocontractant de ses obligations dès lors
qu'elle est indépendante de la volonté dudit cocontractant (CE 29 janv. 1909, Cie des messageries maritimes, Lebon 120. -
Dans le même sens, V. CE 14 nov. 1947, Min. Air c/ Sté d'études et d'entreprises générales de construction, Lebon 422). La
jurisprudence judiciaire semble aller dans le même sens (TERRÉ, SIMLER et LEQUETTE, op. cit.).

15. Par cause extérieure, il faut évidemment entendre la cause première du dommage ; en effet, la cause immédiate et le fait
dommageable sont nécessairement internes au demandeur ou à la chose qui l'engage : la rupture d'une digue peut être la
cause immédiate d'une inondation ; mais le propriétaire de cet ouvrage public pourra démontrer que la cause première du
dommage est en réalité un événement extérieur, lui-même cause de la rupture de la digue, comme par exemple des pluies
d'une violence exceptionnelle. Voici comment s'exprimait J. THÉRY, commissaire du gouvernement, dans l'affaire précitée du
barrage de Malpasset : « À la différence de la force majeure où l'ouvrage subit une force qu'il transmet, c'est ici la situation
inverse qui s'est produite. C'est le sol qui a subi le poids de la retenue, l'effet des pressions interstitielles agrandissant les
failles […] avant d'expulser la roche d'aval et de déchausser la voûte. L'ouvrage a joué le rôle déterminant dans le mécanisme
des forces qui ont fait travailler le sol ».

Art. 2 - Imprévisibilité
16. On s'accorde à reconnaître dans la notion d'imprévisibilité le second critère du fait ou de l'événement de force majeure.
Seul, à notre connaissance, F.-P. BÉNOIT considère que l'imprévisibilité n'est pas nécessaire ; pour cet auteur, ce second
critère se confond avec celui de l'irrésistibilité : la force majeure est pour F.-P. BÉNOIT « un fait, non point imprévisible, mais
contre lequel l'auteur du fait dommageable ne pouvait rien ; c'est un fait imparable » (Le cas fortuit dans la jurisprudence
administrative, JCP 1956. I. 1328 ; Essai sur les conditions de la responsabilité en droit public et privé [problèmes de causalité
et d'imputabilité], JCP 1957. I. 1351). Il nous semble difficile de soutenir une opinion aussi tranchée. Si la première chambre
civile a pu considérer, en matière de responsabilité contractuelle, que « la seule irrésistibilité de l'événement caractérise la
force majeure » (Civ. 1 re, 6 nov. 2002, n o 99-21.203 , Bull. civ. I, n o 258), la double exigence de l'irrésistibilité et de
l'imprévisibilité a été réaffirmée par l'assemblée plénière de la Cour de cassation, aussi bien en matière contractuelle (Cass.,
ass. plén., 14 avr. 2006, Mitenaere c/ Cts Pacholczyk et autres, n o 02-11.168 , D. 2006. 1577, note Jourdain , 1566,
chron. Noguéro et 1929, obs. Brun et Jourdain , l'imprévisibilité s'appréciant à la date de la conclusion du contrat) qu'en
matière délictuelle (Cass., ass. plén., 14 avr. 2006, Brugiroux c/ RATP, n o 04-18.902 , D. 2006. 1577, note Jourdain ,
1566, chron. Noguéro et 1929, obs. Brun et Jourdain ). La jurisprudence administrative est dans le même sens (V. par
ex. : CE 29 oct. 2003, M. et Mme Sénéchal, req. n o 232250 , Lebon T. 647 ; AJDA 2004. 791 ). On relève de nombreux
cas d'espèce où l'événement invoqué était bien irrésistible en lui-même, mais ne présentait pas, faute d'avoir été imprévisible,
les caractères de la force majeure. Ainsi, une crue, alors que des mesures d'étiage en amont avaient permis, dans les heures
précédant le sinistre, de prévoir une crue exceptionnelle (CE 9 oct. 1974, Min. Aménagement du territoire, équipement,
logement et tourisme c/ Ausburger, Lebon T. 1170) ; la retraite de juin 1940 pour l'autorité militaire (CE 28 nov. 1947, Sté Rol-
Lister, Lebon 442) ; le fait que la foudre tombe sur le paratonnerre d'une église (CE 28 févr. 1973, Cne de Lagos, Lebon 180. -
V. égal. l'abondante jurisprudence citée par CHAPUS, Responsabilité publique et responsabilité privée, t. 7, 2 e éd., 1957, LGDJ,
n o 439. - En particulier CE 4 févr. 1910, Jaubert, Lebon 95 : le mistral, quelle que soit sa violence, n'est pas un événement de
force majeure dans les régions où il souffle). De même, en matière contractuelle (CE, sect., 13 juill. 1968, Sté Établissement
Serfati, Lebon 436-I) : la circonstance que les événements d'Algérie auraient perturbé l'activité de la société requérante ne
saurait en tout état de cause être regardée comme un cas de force majeure, alors que ces événements ne pouvaient être
regardés comme imprévisibles à la date de la passation du contrat.

17. Toutefois, il est vrai qu'il est d'autres cas où imprévisibilité et irrésistibilité sont étroitement liées, et paraissent même être
dans une relation de cause à effet. Il en va ainsi, nous semble-t-il, des précipitations ou des vents : lorsqu'ils ont une violence
et une intensité exceptionnelles, et que la jurisprudence leur reconnaît en conséquence un caractère de force majeure, c'est
que ces événements naturels sont tout à la fois imprévisibles et irrésistibles. Toutefois, les arrêts paraissent mettre plus
volontiers en avant l'imprévisibilité :

- CE 22 févr. 1967, Ville de Royan c/ Gracieux, Lebon T. 951 : l'averse qui s'est abattue à Royan le 6 oct. 1959 n'a pas
présenté un caractère de force majeure, eu égard notamment au fait que des précipitations atmosphériques d'une importance
au moins égale s'étaient produites dans le même lieu en 1935 ;

- CE 10 avr. 1974, Ville de Cannes c/ Sté Institut d'héliothérapie, Lebon 232 : pluies n'ayant pas présenté, malgré leur
importance et leur intensité exceptionnelles, un caractère de violence imprévisible constitutif d'un cas de force majeure ;

- CE 23 janv. 1981, Ville de Vierzon, Lebon 28 : pluies ayant présenté, en raison de leur violence et de leur intensité
exceptionnelles et imprévisibles par rapport à tous les précédents connus dans la région, le caractère d'un événement de
force majeure ;

- CE 27 avr. 1984, Cie générale des eaux, Lebon T. 768 : pluies d'orage d'une intensité exceptionnelle et imprévisible ;

- CE 26 juill. 2006, MAIF et M. A., req. n o 272621 , AJDA 2006. 2198 : erreur de qualification juridique commise par une
cour administrative d'appel en reconnaissant à une tempête un caractère imprévisible de nature à la faire regarder comme un
cas de force majeure, alors que des vents aussi violents avaient été constatés six ans auparavant dans le même port de
plaisance, endommageant des bateaux.

18. Il convient également de noter que la jurisprudence n'exige pas une imprévisibilité absolue - car « tout peut arriver », ou
en tout cas, on peut tout imaginer - mais relative. À cet égard, on peut comparer deux arrêts rendus dans des situations
comparables, où l'effondrement d'une galerie souterraine avait entraîné celui de la chaussée :

- CE 19 mai 1965, Dame Lenfant, Lebon 290 : si la présence de galeries souterraines était notoire dans cette ville, l'existence,
à l'endroit où s'est produit l'accident, d'une galerie dont la voûte était située à quatre mètres de profondeur et qui, à la
différence des autres, ne communiquait ni avec celles-ci, ni avec les caves des maisons riveraines, et dont l'origine pouvait
remonter à plusieurs siècles, était inconnue de tous ; en l'absence de tout indice extérieur, l'administration ne pouvait que
l'ignorer lors des travaux d'établissement de la voie ; dans ces conditions, sa responsabilité n'est pas engagée (il est vrai que,
dans cette affaire, ce n'était pas la force majeure qui était invoquée par le défendeur, mais l'absence de défaut d'entretien
normal) ;

- CE 27 juin 1979, Dpt des Hauts-de-Seine, Lebon T. 911 : le maître d'ouvrage ne saurait exciper, pour soutenir que
l'affaissement est imputable à un cas de force majeure, de la circonstance qu'il ignorait l'existence des canalisations
souterraines cause du dommage, alors qu'elles étaient encore utilisées à la fin du siècle dernier pour l'alimentation en eau de
plusieurs communes et qu'un plan de ces installations a été retrouvé au service des archives.

19. Il s'agit donc d'une notion relative, dans le temps comme dans l'espace. Les vents violents ne sont pas imprévisibles dans
les régions où souffle le mistral (V. CE 4 févr. 1910, Jaubert, préc.), ni à Paris un vent soufflant à 100 km/h (CE, sect., 18 déc.
1959, Épx Blanc, Lebon 699), non plus qu'une avalanche, même de violence exceptionnelle, à Val-d'Isère, dès lors que, trois
fois au moins entre 1917 et 1970, ont eu lieu des avalanches comparables (CE 14 mars 1986, Cne de Val-d'Isère, Lebon T.
717 ; JCP 1986. II. 20670, concl. Lasserre, note Moderne ; AJDA 1986. 337 et 298, chron. Azibert et Fornacciari ; D. 1986. IR
463, obs. Moderne et Bon). Le Conseil d'État tient compte tant des caractéristiques climatiques de la région en cause (CE
23 janv. 1981, Ville de Vierzon, préc. - 6 nov. 1968, Cne de Licq-Atherey, Lebon 546 : compte tenu des conditions
météorologiques propres à la région, la crue n'a pas eu le caractère d'un événement de force majeure), que de la saison (CE
15 mai 1953, Cne de Nogent-sur-Marne, Lebon 235 : l'accumulation de neige en hiver n'est pas exonératoire. - V. aussi,
écartant la qualification de force majeure, CE 19 juin 1992, Ville de Palavas-les-Flots c/ Combette et autres, req. n o 66925 ,
Lebon T. 959 ; RD publ. 1993. 268 : tempête survenue en 1982, alors que des vents d'une vitesse au moins égale avaient
été enregistrés à trois reprises entre 1952 et 1968. - CAA Lyon, 13 mai 1997, Balusson et autres, Mutuelles du Mans IARD et
autres, req. n os 94LY00923 et 94LY01204 , Lebon T. 1072 ; Dr. adm. juill. 1994, chron. 14, concl. Erstein ; LPA 1997,
n o 137, p. 21, note Mallol : catastrophe du Grand-Bornand, causée en 1987 par le débordement d'un torrent, des événements
similaires ayant eu lieu au XIXe siècle et en 1936). Un arrêt reconnaît en revanche le caractère de force majeure à des
inondations imputables à la conjonction exceptionnelle d'une pluviosité extrême, d'une crue importante de la Garonne et
d'une marée particulièrement forte (CE 27 mars 1987, Sté des grands travaux de Marseille, Lebon T. 992 ; D. 1987. Somm.
434, obs. Terneyre).

20. Pour relative qu'elle soit, la conception de l'imprévisible que se fait le Conseil d'État n'aboutit pas moins à une grande
sévérité ; on peut se demander si le fait qu'un événement se soit déjà produit, même dans un passé lointain, ne le rend pas
prévisible pour le reste des temps (V. CE 4 avr. 1962, Min. Travaux publics c/ Sté Chais d'Armagnac et Ville de Condom, Lebon
245 ; AJDA 1962. 592 : la crue de la Baïse n'a pas, en 1952, revêtu le caractère d'un événement de force majeure ; la
circonstance de l'espèce révélait qu'une crue plus forte s'était produite en 1883). On notera que le fait que l'administration ait
constaté l'état de catastrophe naturelle en application de la loi du 13 juillet 1982 n'établit pas par lui-même, aux yeux du juge
administratif comme du juge judiciaire, l'existence d'un cas de force majeure (CE 2 oct. 1987, Cne de Labastide-Clairence,
Lebon T. 992. - Civ. 3 e, 24 mars 1993, n o 91-13.541 , RTD civ. 1993. 595, obs. Jourdain ).

Art. 3 - Irrésistibilité
21. La jurisprudence exige que l'événement invoqué ait été vraiment irrésistible, et non pas seulement difficile à surmonter.

22. En matière de responsabilité quasi délictuelle, ne constituent pas ainsi une cause exonératoire :

- d'une manière générale, toutes les précipitations non exceptionnelles ;

- la capacité insuffisante d'une station d'épuration due à l'accroissement rapide de la population et à la difficulté de financer
l'extension de l'ouvrage (CE 19 nov. 1975, Cne de Ramonville-Saint-Agne, Lebon 578) ;

- le simple vol des appareils de signalisation d'un chantier (CE 2 juin 1961, Éts Maroni c/ Tonnetier, Lebon T. 1203) ;

- le retard dans la disposition de crédits nécessaires à la poursuite de travaux de déplacement d'une passerelle (CE 13 juill.
1962, Min. Travaux publics c/ GDF, Lebon 508).

2 3 . En matière de contraventions de grande voirie, la force majeure, qui peut seule faire échapper à la condamnation le
responsable de la chose qui a causé le dommage, est entendue très strictement. La jurisprudence a longtemps considéré
qu'une atteinte au domaine public causée par un véhicule volé engageait normalement la responsabilité du propriétaire de ce
véhicule, le vol ne constituant un cas de force majeure que si le propriétaire établissait avoir pris toutes les précautions pour
l'éviter (CE 6 mai 1932, Seillier, Lebon 469 ; DP 1933. 3. 57, note Waline, concl. Rousselier. - CE, sect., 12 févr. 1965, Chotard-
Chavanon, AJDA 1965. 358). Cette solution a toutefois été abandonnée par un arrêt de section du 5 juillet 2000 (Min.
Équipement, transports et logement c/ Chevallier, req. n o 207526, Lebon 294, concl. Arrighi de Casanova ) : sans faire
jouer la notion de force majeure, cet arrêt se fonde sur la circonstance que le propriétaire d'un véhicule volé n'en a plus la
garde pour affirmer qu'il ne saurait être tenu pour l'auteur de l'atteinte au domaine public causée par ce véhicule.

Dans une affaire où le propriétaire d'un terrain surplombant une voie ferrée était poursuivi en raison des dommages causés à
la voie par la chute d'un rocher, a été regardée comme un cas de force majeure la carence de Réseau ferré de France à
prendre des mesures de protection contre le risque connu d'éboulement ; faute de pouvoir déterminer les blocs susceptibles
de se détacher, le propriétaire était quant à lui dans l'impossibilité de prévenir le dommage (CAA Lyon, 26 nov. 2009, req.
n o 07LY00519).

En matière de sanctions administratives, la condition d'irrésistibilité est appliquée strictement : une compagnie aérienne,
sanctionnée pour avoir fait décoller des avions pendant la plage horaire de nuit, ne peut utilement faire valoir que les faits à
l'origine des retards lui étaient extérieurs et présentaient un caractère imprévisible, dès lors qu'ils ne l'obligeaient pas à faire
décoller les appareils de nuit et n'étaient donc pas irrésistibles (CE 7 oct. 2008, Sté Air France, req. n o 305826, Lebon T. 824
).

24. Le caractère exonératoire a été reconnu :

- à la grève du personnel d'un navire qui, n'ayant pas été précédée d'un préavis et ayant touché l'ensemble du personnel,
avait mis le capitaine dans l'impossibilité totale d'exécuter un mouvement prescrit par les autorités du port (CE 31 janv. 1986,
Payan, Lebon T. 526 ; RD publ. 1987. 823) ;

- à l'action violente de manifestants, dès lors qu'elle avait présenté un caractère imprévisible et irrésistible (CE 12 juin 1989,
Min. délégué chargé des transports c/ Sté Unimétal, Lebon T. 676) ;

- à une tempête de vent sans précédent dans la région, ayant provoqué la chute d'un arbre appartenant à un particulier sur
des câbles de télécommunication (CAA Nantes, 31 déc. 1992, Min. Postes et télécommunications c/ Lambart, req.
n o 92NT00183, JCP 1993. IV. 112).

25. Par ailleurs, la jurisprudence accorde un caractère exonératoire à des faits assimilables à des cas de force majeure, le
plus souvent des faits de l'administration ayant mis la personne poursuivie dans l'impossibilité d'éviter le dommage (V. par
ex. : CE 8 mars 1963, Bobille, Lebon 158 : indications inexactes fournies à un entrepreneur effectuant des travaux sur la voie
publique). La qualification de fait assimilable à un cas de force majeure est contrôlée en cassation (CE 14 janv. 1994, Cie de
navigation maritime Syg Bergesen et autres, req. n o 127105 , Lebon T. 934).

2 6 . Dans le contentieux contractuel, l'exigence d'irrésistibilité demeure, et elle est soigneusement distinguée de la simple
difficulté d'exécution, laquelle peut seulement, le cas échéant, donner lieu à la théorie de l'imprévision. L'irrésistibilité est
appréciée subjectivement, en fonction des circonstances de l'espèce et notamment de la taille et des possibilités de
l'entreprise (CE 7 janv. 1948, Secr. État Défense c/ Sté Lucien Gillet, Lebon 8 : « L'entrepreneur a poussé ses travaux jusqu'à
l'extrême limite de ses possibilités financières… »).

2 7 . Toutefois, c'est dans le contentieux contractuel que le Conseil d'État a forgé une notion assez différente de la force
majeure classique, où la condition d'irrésistibilité stricto sensu n'est plus exigée. Dans l'arrêt du 9 décembre 1932 (Cie des
tramw ays de Cherbourg, Lebon 1050), le Conseil d'État juge en effet que l'administration n'a l'obligation de verser une
indemnité d'imprévision à son cocontractant que si le déséquilibre du contrat est temporaire ; au contraire, pour le cas d'une
situation nouvelle définitive créée par les conditions économiques, « la situation nouvelle ainsi créée constitue un cas de force
majeure ». Qualifier ainsi le bouleversement définitif du contrat qui n'entraîne pas pour autant impossibilité absolue
d'exécution revient en réalité à donner une acception nouvelle à la notion ; on a même été jusqu'à parler de « force majeure
administrative » (DE LAUBADÈRE, MODERNE et DELVOLVÉ, Traité des contrats administratifs, t. 1 er, 2 e éd., 1983, LGDJ, n o 734).
Aussi bien les deux espèces de force majeure n'ont-elles pas les mêmes effets juridiques (V. infra, n o 33).

28. Applications jurisprudentielles. - V., concernant la destruction pour fait de guerre d'une concession d'énergie électrique au
Tonkin : CE 2 mars 1956 (Hoang Van Ngoc, Lebon T. 703 ). De même, « la situation dans laquelle se sont trouvés placés, en
juillet 1954, les territoires qui composaient l'ancienne Indochine française » a rendu sans objet les stipulations d'un contrat de
renouvellement de la flotte indochinoise conclu entre l'État et des armateurs ; ainsi, « par l'effet de la force majeure,
l'exécution intégrale (de ce marché)… est devenue impossible » (CE 24 avr. 1968, Cie de navigation Denis Frères, Lebon 257).
La grève du personnel du cocontractant peut rendre impossible l'exécution du contrat (CE 29 janv. 1909, Cie des messageries
maritimes, préc.), sauf si l'administration offre au cocontractant de mettre ses propres agents à sa disposition et que le
cocontractant refuse (CE 29 janv. 1909, Cie générale transatlantique et Cie de navigation mixte, GAJA, 13 e éd., n o 20, p. 120).
En revanche, les difficultés du maintien de l'ordre à Wallis au début des années 70 n'ont pas eu le caractère d'un événement
de force majeure ou d'un fait de l'administration mettant une société de navigation dans l'impossibilité d'assurer la desserte
maritime de cette île (CE 18 juin 1982, Sté Sud Pacifique navigation, Lebon T. 667).

Section 2 - Effets de la force majeure


Art. 1 - Responsabilité extra-contractuelle
29. Dès lors qu'elle est reconnue, la force majeure a un effet totalement exonératoire sur la responsabilité du défendeur.
Celui-ci va pouvoir prouver qu'il n'est que l'auteur apparent du dommage, et rattacher celui-ci à une cause première
étrangère ; le défendeur rétablira ainsi la chaîne de causalité réelle et démontrera que lui-même, ou les choses dont il répond,
n'ont été que l'instrument de cette cause première. Il y a donc, pour reprendre la distinction proposée par R. LATOURNERIE
(De la faute et du risque à propos des dommages causés par les travaux publics, RD publ. 1945. 174), substitution d'une
« causalité juridique », qui fait remonter l'origine du dommage à sa cause première, à une « causalité naturelle », qui
conduirait à ne retenir que la cause directe du dommage. On comprend dès lors que les effets de la force majeure, qui joue au
niveau de la causalité, soient indifférents au régime de responsabilité : risque ou faute. C'est d'ailleurs dans le contentieux du
dommage de travaux publics qu'elle est le plus souvent invoquée, que ce soit à l'encontre des usagers ou des tiers. Sur l'effet
exonérateur de la force majeure sur la responsabilité des comptables publics, prévu par l'article 60, V de la loi du 23 février
1963 modifié par la loi du 30 décembre 2006, V. GROPER et MICHAUT, Le juge financier à l'épreuve de la force majeure, AJDA
2009. 476 .

30. Toutefois, le fait ou l'événement de force majeure ne joue un rôle exonératoire que dans la mesure de son rôle causal
dans la production du dommage. Le défendeur demeure tenu à réparation dans la mesure où il a concouru à la survenance ou
à l'aggravation du dommage (V. par ex. : CE 25 mai 1990, Abadie et autres, req. n os 39460 et 39497 , Lebon T. 1026
; AJDA 1990. 824, note Darcy ; RD publ. 1991. 1462). Le Conseil d'État fait donc ici application de la théorie de la causalité
adéquate, dont beaucoup d'auteurs soulignent qu'elle a ses préférences. Il y avait là une divergence avec la jurisprudence
judiciaire, qui fait en principe jouer à la force majeure un effet exonératoire total (CHAPUS, op. cit., n o 436) ; toutefois, la
jurisprudence de la Cour de cassation semble de plus en plus encline à admettre que la force majeure puisse ne jouer qu'un
effet partiellement exonératoire, lorsqu'elle coexiste avec un autre facteur causal ou une faute du demandeur (TERRÉ, SIMLER
et LEQUETTE, op. cit.). Les mêmes considérations valent pour le cas fortuit, qui est lui aussi susceptible de ne jouer qu'un effet
exonératoire partiel (V. infra, n os 47 s.).

3 1 . Illustrations jurisprudentielles. - V. a contrario : CE 11 janv. 1967, Ville de Marseille c/ Sté clinique Sainte-Cécile, Lebon
T. 951 : responsabilité de la ville non engagée dès lors que les conséquences de l'orage qui présente un caractère de force
majeure n'ont pas été aggravées par un vice de conception du système d'évacuation des eaux. - 13 mai 1970, Cne de
Tournissan, Lebon T. 1230 : conséquences d'un orage aggravées par le vice de construction d'un ponceau édifié par la
commune, qui supporte en conséquence 20 % de l'indemnité. - 12 mars 1975, Cne de Boissy-le-Cutté, Lebon T. 1303 :
conséquences d'un orage aggravées par l'insuffisance d'un bassin d'infiltration et son défaut de curage.

Art. 2 - Responsabilité contractuelle


32. La force majeure dispense la partie qui l'invoque à bon droit de l'exécution de ses obligations contractuelles. Par suite, il
ne peut pas être infligé de sanction par l'administration du fait de cette inexécution (CE, sect., 5 déc. 1952, Min.
Reconstruction et urbanisme c/ Sté Chapron frères, Lebon 560, pour une résiliation. - 7 janv. 1948, Secr. État Défense c/ Sté
Lucien Gillet, supra, n o 26, pour des pénalités de retard). L'obligation de l'exécution n'est d'ailleurs que suspendue, et
reprend dès que l'impossibilité a cessé (CE 18 déc. 1959, Ville de Nantes, Lebon T. 935). Dans le cas contraire, l'impossibilité
absolue et définitive d'exécuter permet la résiliation du contrat (CE 16 juill. 1952, EDF, Lebon 380).

33. La force majeure prise dans l'acception que lui donne l'arrêt du 9 décembre 1932 (Cie des tramw ays de Cherbourg, supra,
n o 27) produit des effets différents : l'entrepreneur n'est pas délié de ses obligations, et ne pourrait ainsi de sa propre
initiative interrompre l'exécution du contrat. Toutefois, le bouleversement définitif du contrat lui permet - ainsi d'ailleurs qu'à
l'administration - de demander au juge la résiliation du contrat (V. pour une application récente, CE 14 juin 2000, Cne de
Staffelfelden, req. n o 184722 , Lebon 227).

Chapitre 2 - Cas fortuit


34. Tout le problème de la définition du cas fortuit revient au point de savoir s'il y a lieu de distinguer cette notion de celle de
la force majeure.

Section 1 - Caractère du cas fortuit


Art. 1 - Force majeure et cas fortuit : origine et intérêt de la distinction
35. La distinction semble inconnue du droit civil. Le code civil emploie indifféremment les deux expressions, ou les deux à la
fois. Ainsi, d'après l'article 1148 : « Il n'y a lieu à aucun dommage et intérêt lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas
fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit ». La doctrine
civiliste moderne, dans sa quasi-totalité, se refuse à distinguer les deux termes (V. en ce sens : H., L. et J. MAZEAUD, op. cit.,
n o 412). Enfin, la jurisprudence de la Cour de cassation semble également tenir les deux termes pour synonymes.

36. L'intérêt d'une distinction est cependant apparu avec le développement des systèmes de responsabilité fondés sur le
risque. Se sont en effet présentés des cas où, bien que la responsabilité fût fondée sur le risque, la responsabilité du
défendeur ne pouvait être retenue parce que la cause du dommage était inconnue et, comme telle, assimilée à un cas de
force majeure. Cette solution semblait contraire à l'équité lorsque la cause du dommage semblait tout de même résider dans
la structure intime de la chose dont le défendeur doit répondre. D'où l'idée de distinguer la force majeure, cause extérieure au
défendeur et l'exonérant dans tous les cas, du cas fortuit, cause inconnue mais non extérieure au défendeur. Cette cause
inconnue démontre l'absence de faute du demandeur mais, n'étant pas extérieure à lui, ne supprime pas l'imputabilité du
dommage : elle n'a donc d'effet exonératoire que dans les cas de responsabilité pour faute, mais n'exonère pas le défendeur
tenu à réparation sur le terrain du risque.

37. On voit tout l'intérêt de cette distinction, qui a pour effet de diminuer les causes d'exonération du défendeur. Défendue
notamment par L. JOSSERAND (cité par H., L. et J. MAZEAUD, op. cit., n o 1557, note 1), elle est reprise par la loi du 9 avril 1898
(DP 1898. 4. 49) sur les accidents du travail : aucune indemnité n'était due par l'entrepreneur si l'accident du travail trouvait
son origine dans un événement de la nature (tremblement de terre, inondation) ; en revanche, réparation était due lorsque la
cause de l'accident était interne à l'entreprise (explosion d'une chaudière, par ex.). La distinction va être systématisée par la
jurisprudence administrative qui, à partir du début du siècle, développe les cas d'engagement de la responsabilité de l'État
fondée sur le risque pur, à raison des activités dangereuses de l'administration ou en matière de travaux publics (CE 21 juin
1895, Cames, Le b o n 509. - 27 mars 1919, Regnault-Desroziers, Lebon 329. - 21 mai 1920, Colas, Lebon 532). C'est
M. HAURIOU qui, dans sa note célèbre sous l'arrêt du 10 mai 1912 (Ambrosini, S. 1912. 3. 161), systématise le premier les
critères distinctifs du cas fortuit par rapport à la force majeure. La notion a fait l'objet de relativement peu d'études ; elle
demeure d'un maniement malaisé, quant à ses critères et quant à ses effets.

Art. 2 - Critères du cas fortuit


38. Les rares auteurs qui ont étudié la question se divisent sur la définition du critère distinctif du cas fortuit. Pour les uns -
qui sont chronologiquement les premiers -, c'est l'extériorité qui distingue le cas fortuit de la force majeure ; alors que la force
majeure est extérieure au défendeur et aux choses dont il répond, le cas fortuit reste interne à ces choses. Pour les autres au
contraire, le cas fortuit se distingue en cela qu'il est une cause inconnue, dont on ne peut donc pas dire si elle est ou non
extérieure au demandeur.

§ 1 - Le cas fortuit comme fait interne au défendeur


39. Le cas fortuit interne à la chose à l'origine du dommage est le critère avancé par M. HAURIOU, dans sa note précitée
(V. supra, n o 37), qui proposait la distinction suivante : « Le cas fortuit échappe aux prévisions humaines, mais se rattache au
fonctionnement même de l'entreprise ou du service ; par exemple, dans une usine, c'est l'explosion d'une chaudière, dans une
mine, c'est l'inflammation du grisou ; la force majeure, c'est encore un phénomène imprévu ; mais, de plus, il est extérieur à
l'entreprise ou au service ; par exemple, c'est un tremblement de terre, une inondation, un cyclone, une guerre civile, une
invasion étrangère ». Pour M. HAURIOU, à l'inverse de la force majeure où il est absolument impossible de voir une faute du
défendeur, il y a bien, dans le cas fortuit, une défectuosité cachée interne au service et à la chose, mais qu'il n'est pas
actuellement possible de déterminer ni de prévoir, d'où la formule célèbre : « Le cas fortuit est donc une faute de service qui
s'ignore ».

40. Nous retrouvons la même opinion dans les conclusions de R. LATOURNERIE dans l'arrêt de section du 25 janvier 1929 (Ss.-
secr. État aux Postes et télégraphes c/ Cie du gaz de Beauvais, Lebon 93 ; S. 1929. 3. 81, note Bonnard). Pour l'éminent
commissaire du gouvernement, force majeure et cas fortuit présentent le même caractère d'imprévisibilité et d'irrésistibilité,
mais la cause du cas fortuit « se rattache à l'objet dommageable, à sa constitution et à sa nature intime ». Même opinion à
plus de quarante ans de distance chez J. THÉRY, dans ses conclusions dans l'affaire du barrage de Malpasset (CE, ass., 28 mai
1971, Dpt du Var c/ Entreprise Bec Frères, Lebon 419 ; CJEG 1971. 235) : pour le commissaire du gouvernement, « c'est par
l'extériorité, et par elle seule, que la force majeure se distingue du cas fortuit […] cette différence […] est, de surcroît, seule de
nature à expliquer que dans un système de responsabilité intégralement fondé sur le risque, la force majeure ait un effet
exonératoire que le cas fortuit ne peut avoir ».

4 1 . Dans la doctrine moderne, partagent cet avis G. VEDEL et P. DELVOLVÉ (p. 515), R. CHAPUS ( op. cit., p. 445 ; Droit
administratif général, 1985, t. 1 er, p. 796), J. MOREAU (L'influence de la situation et du comportement de la victime sur la
responsabilité administrative, 1957, LGDJ, p. 179).

§ 2 - Le cas fortuit comme cause inconnue


42. Pour d'autres auteurs au contraire, le critère du cas fortuit ne peut être que celui de cause inconnue. Cette opinion a été
exprimée pour la première fois par le doyen R. BONNARD dans une note sous l'arrêt précité Compagnie du gaz de Beauvais ;
pour cet auteur, le point de vue qui voit dans le cas fortuit un fait interne au défendeur, est « logiquement » impossible. Cette
intériorité ne peut pas être affirmée parce que le cas fortuit est précisément caractérisé par ce fait que la cause première de
l'accident est inconnue et inconnaissable. Si elle est telle, il est donc impossible d'affirmer qu'« elle est interne ou externe
puisqu'on ne la connaît pas ». Même opinion dans les deux seules grandes synthèses consacrées à la question depuis la
guerre : les articles de F.-P. BÉNOIT (Le cas fortuit dans la jurisprudence administrative, JCP 1956. I. 1328) et des professeurs
J. LAMARQUE et F. MODERNE (L'affaire de Malpasset devant la justice administrative, AJDA 1972. 316). Reprenant les
arguments du doyen R. BONNARD, F.-P. BÉNOÎT, qui admet que M. HAURIOU avait raison lorsqu'il soulignait que le cas fortuit
peut être une faute de service qui s'ignore, ajoute : « Mais il s'arrêtait trop vite : le cas fortuit peut être aussi bien un cas de
force majeure qu'on ignore ou un fait d'un tiers qu'on ignore également. Le cas fortuit, c'est la cause inconnue : cause interne,
cause externe, nul ne le sait ». Même position chez A. DE LAUBADÈRE, F. MODERNE et P. DELVOLVÉ ( op. cit., p. 720) et
R. ODENT (fasc. 4, p. 1497).

§ 3 - Conciliation des deux théories


43. En vérité, il est possible de se demander si la vivacité de ces controverses n'est pas due à une certaine confusion dans
les termes. En effet, la cause immédiate du dommage est, par définition, toujours connue, sinon il n'y aurait pas de défendeur
à l'action en indemnité et, partant, pas d'action du tout : on sait donc dans tous les cas que le dommage trouve son origine
dans la rupture d'un fil, l'explosion d'une machine, le mauvais fonctionnement d'un moteur. Ce qui demeure inconnu, en
revanche, c'est une série causale plus lointaine, à savoir l'origine du fait dommageable lui-même, de l'explosion du cuirassé ou
de la rupture d'une boîte de vitesse.

Dans ces conditions, il nous semble juste de soutenir qu'un élément au moins de la chaîne causale reste interne au
défendeur : c'est bien pour cela, ainsi que l'expliquait J. THÉRY (V. supra, n o 40), que, à la différence de la force majeure, le
cas fortuit n'est pas exonératoire dans le cas du risque : « Le cas fortuit, parce qu'il est intérieur au fait de service,
notamment à la chose mobilière ou immobilière utilisée par le service, ne fait pas disparaître cette imputabilité (au service) ».
Une fois cette imputabilité établie, il appartient au défendeur de démontrer qu'en réalité, le fait dommageable a une autre
cause que lui-même ; dès lors de deux choses l'une : soit il arrive à prouver l'existence d'une cause extérieure, de façon à
rétablir le véritable lien de causalité entre le dommage et la force imprévisible et irrésistible qui le produit, il s'agira alors d'un
cas de force majeure ; soit il ne le pourra pas, justement parce que cette cause originaire demeure inconnue : on parlera alors
de cas fortuit.

Ainsi, le cas fortuit nous semble correspondre à l'hypothèse où, le fait dommageable étant interne au défendeur, il n'est pas
possible de déterminer une cause première extérieure. En ce sens, il est bien exact de dire que le cas fortuit peut être
également un cas de force majeure qui s'ignore (V. CE 4 juin 1968, Cne de Martigues, Lebon T. 1131 : rupture d'un barrage
communal ayant entraîné divers dommages ; la commune ne peut dégager sa responsabilité en invoquant la force majeure
alors qu'elle n'apporte aucune précision sur les circonstances qui sont à l'origine du dommage qui a atteint son propre
ouvrage). Selon l'heureuse formule de J. MOREAU (op. cit., n o 197), dans le cas fortuit, « le "pourquoi" reste ignoré, mais le
"comment" n'échappe pas à la sagacité des experts ».

44. La rédaction des décisions du Conseil d'État nous semble illustrer ces explications. Ainsi, dans l'arrêt précité du 25 janvier
1929 (Cie du gaz de Beauvais, supra, n os 40 et 42), le Conseil d'État, après avoir relevé l'absence de « tout fait étranger à la
compagnie (défenderesse) ou résultant de la force majeure ayant pu entraîner la rupture du câble », poursuit en estimant
que « cette rupture est le résultat d'une cause inconnue ». Il n'y a en effet aucune contradiction entre l'absence d'un fait
extérieur et la reconnaissance d'une cause inconnue d'où résulte le dommage.

Dans les espèces les plus communément citées, il y a bien coexistence d'un fait dommageable interne à la chose du
défendeur, et d'une cause première inconnue (V. CE, ass., 9 juill. 1948, Capot et Denis, Lebon 326 : accident survenu à un
taxi ayant dû faire une brusque embardée pour éviter la roue qui venait de se détacher d'un véhicule administratif circulant
sur la route ; l'État, propriétaire de ce dernier véhicule, ne peut s'exonérer de sa responsabilité bien que la cause de la
rupture de l'essieu soit demeurée inconnue. - De même, V. CE 19 janv. 1953, Cie d'assurances La Paix, Lebon 26 : embardée
d'un camion militaire ayant provoqué la mort de l'un des employés de l'entreprise privée à la disposition duquel il avait été
mis ; cette embardée a eu pour cause la rupture de la boîte de vitesse ; le fait qu'il s'agisse « d'un accident mécanique dont la
cause resterait indéterminée n'exonère pas l'État de sa responsabilité »).

Dans une décision du 21 juillet 1970 (Picot, Lebon T. 1230), le Conseil d'État relève qu'un orage ne saurait « en tout état de
cause » constituer un cas fortuit : à la fois, nous semble-t-il, parce que la cause de l'inondation qui en résulte est connue, et
qu'elle est extérieure au défendeur.

4 5 . Dans une décision du 11 décembre 1991 (SARL Niçoise pour l'extension de l'aéroport [SONEXA], req. n o 81588 ,
Lebon 430 ), le Conseil d'État a appliqué la distinction entre cas fortuit et cas de force majeure à propos de l'effondrement
d'une digue en construction dans le port de Nice. Cet effondrement était consécutif à un abaissement soudain du niveau de la
mer, suivi d'un raz-de-marée. Relevant que « ce phénomène est imputable, non à des circonstances d'origine inconnue qui
auraient affecté le terrain d'assiette des travaux entrepris dans le port, mais à un important effondrement du sol sous-marin
qui a eu lieu au large de la côte », l'arrêt écarte la qualification de cas fortuit et retient celle de cas de force majeure.

46. Depuis un certain temps, le terme n'apparaît plus guère qu'en matière de responsabilité des entrepreneurs vis-à-vis des
maîtres d'ouvrage, dans le cas où l'ouvrage est détruit ou endommagé avant sa réception (V. cep., appliquant la notion dans
le cadre de la responsabilité quasi délictuelle, CE 29 avr. 1998, Cne de Hannappes, req. n o 164012 , Le bo n 185). Le
Conseil d'État décide, depuis une décision de section du 25 juin 1971 (Sté Éts Marius Séries et autres, Lebon 482), qu'en
l'absence de stipulation contractuelle contraire, la perte résultant de ce que l'ouvrage vient à être détruit ou endommagé par
suite d'un cas de force majeure ou d'un cas fortuit est à la charge de l'entrepreneur si la destruction ou les dommages se
produisent avant la réception provisoire de l'ouvrage. Ce revirement par rapport à la jurisprudence antérieure, qui situait le
transfert de risque au moment de la réception définitive, touche des problèmes étrangers à cette étude ; il est intéressant en
revanche de constater que, lorsqu'il qualifie les faits de l'espèce dans le cadre de cette jurisprudence, le Conseil d'État
rattache le cas fortuit à la notion de cause inconnue, par exemple un incendie (V. CE, sect., 25 juin 1971, Sté Éts Marius
Séries, préc. - 22 mars 1974, Sté d'entreprise du Sud-Ouest, Lebon 208. - 17 mars 1976, Cie les Assurances générales de
France et Ville de Romans, Lebon 166). Au contraire, dans les cas où la cause de l'incendie peut être découverte, V. CE 8 déc.
1978 (Peramato, Lebon 877) et 9 nov. 1984 (Ferrieux, Lebon 360).

Section 2 - Effets du cas fortuit


47. Les effets du cas fortuit découlent logiquement de sa définition, et sont différents selon le système de responsabilité.
Dans les cas où l'engagement de la responsabilité du demandeur est subordonné à la preuve d'une faute, le cas fortuit
conduit à mettre le défendeur hors de cause ; en effet, il exclut la faute ou, plus exactement, suppose qu'aucune faute n'a pu
être mise en évidence. En revanche, dans les systèmes de responsabilité pour risque, le cas fortuit ne produit aucun effet
exonératoire : si la cause première du dommage reste inconnue, sa cause immédiate n'est pas étrangère au défendeur ou
aux choses qui l'engagent.

48. Les auteurs se divisent cependant sur les effets du cas fortuit dans les régimes de responsabilité à base de présomption
de faute. Encore faudrait-il s'entendre sur le sens de cette notion. Ainsi, en matière de responsabilité de travaux publics, où le
point de savoir si le maître de l'ouvrage engage sa responsabilité à l'égard des usagers sur le terrain de risque ou de la
présomption de faute est controversé. Sur le fond et d'un point de vue strictement logique, deux raisonnements sont
possibles : on peut estimer que, la cause restant inconnue, il est par définition impossible de prouver l'absence de faute, et
que le cas fortuit, qui ne fait donc pas tomber la présomption, est dépourvu d'effet exonératoire ; on peut, à l'inverse, faire
valoir que, « la présomption de faute touchant non le fond, mais la preuve, si le cas fortuit est prouvé, la présomption de faute
tombe du fait même » (M. W ALINE, note ss. CE 9 juill. 1948, Capot et Denis, RD publ. 1948. 578).

49. La plupart des auteurs (BONNARD, note préc. - BÉNOIT, article préc. - ODENT, fasc. 4, p. 1498. - V. pour l'opinion inverse,
DE LAUBADÈRE, MODERNE et DELVOLVÉ, op. cit., p. 720. - W ALINE, note préc., p. 578) semblent souscrire au premier
raisonnement et estiment en conséquence que le cas fortuit est également dépourvu d'exonération dans les systèmes de
responsabilité pour faute présumée. La jurisprudence paraît leur donner tort, ainsi une décision du 22 décembre 1924 (Sté
d'assurances mutuelles des travailleurs français, citée par W ALINE, note préc., p. 576) : la présomption de faute qui pèse sur
les conducteurs de véhicules automobiles « peut être détruite par la preuve que l'accident est, dans l'espèce, imputable soit à
une cause étrangère à son auteur, soit à un cas fortuit ou de force majeure ».

En réalité, l'examen de la jurisprudence est à notre avis peu concluant : 1 o la décision précitée, antérieure à l'arrêt Compagnie
du gaz de Beauvais (supra, n o 40), date d'une époque où il n'est pas sûr que le Conseil d'État faisait une distinction
raisonnée entre force majeure et cas fortuit ; 2 o les deux arrêts généralement invoqués par les auteurs « majoritaires »
(not. ODENT, fasc. 4, p. 1498) à l'appui de leur thèse (CE 9 juill. 1948, Capot et Denis. - 19 janv. 1953, Cie d'assurances La
Paix, supra, n o 44) nous semblent quitter le terrain de la présomption de faute pour celui du risque (V. en ce sens : W ALINE,
note préc.), et ne sont donc guère probants. De toute façon, depuis l'entrée en vigueur de la loi n o 57-1424 du 31 décembre
1957 (C. adm. Dalloz), qui soustrait à la juridiction administrative la connaissance des litiges en matière de véhicules
automobiles, terrain d'élection de la responsabilité pour faute présumée, ce débat nous semble très largement dénué
d'intérêt.

50. S'agissant en tout cas des usagers des voies publiques, le cas fortuit nous semble dépourvu d'effet exonératoire sur la
responsabilité de l'administration (CE 4 nov. 1974, Min. c/ Georges Thiol, req. n o 92235, inédit : le fait pour l'administration de
n'avoir pris aucune mesure de sécurité pour pallier les dangers présentés par une chaussée glissante qui a causé un accident
révèle un défaut d'entretien normal de nature à engager la responsabilité de l'État ; « En admettant même que l'état de la
route ait été provoqué par un cas fortuit, ce dernier ne serait pas de nature à exonérer l'État de sa responsabilité »). Selon
que l'on estime que la responsabilité vis-à-vis des usagers est fondée sur la présomption de faute ou sur le risque pur, on en
tirera confirmation en faveur de l'une ou de l'autre des thèses invoquées plus haut. Il faut en tout cas retenir que le cas fortuit
n'est pas exonératoire en matière de travaux publics vis-à-vis des usagers, pas plus que vis-à-vis des tiers (V. par ex. : CE
28 nov. 1986, Cne urbaine de Lille, Dr. adm. 1987, n o 50).

51. On peut donc à peine parler d'une cause exonératoire, puisque, précisément, la théorie du cas fortuit est née du souci de
réduire, dans les systèmes de responsabilité sans faute, les cas où le demandeur peut s'exonérer. F.-P. BÉNOIT (article préc.)
pense même que, dans les cas de responsabilité pour faute, le cas fortuit fonctionne en réalité comme une présomption de
faute à la charge du défendeur. Pour cet auteur, le juge ferait prévaloir la solution « qui consiste, dans l'hypothèse où il y a
cas fortuit, à présumer que la cause inconnue du fait dommageable est constituée par cette faute dont la victime devrait
normalement apporter la preuve ».

Nous ne souscrivons pas à cette opinion, qui nous paraît trop tranchée. Certes, le juge administratif, dans le cadre de la
procédure inquisitoire, est parfois tenté, lorsque les faits sont difficiles à établir et qu'il entend, pour des raisons d'équité,
alléger le fardeau de la preuve qui pèse sur la victime, de découvrir dans les agissements du défendeur la cause fautive du
dommage (CE 16 oct. 1946, Epiard, Lebon 234 : écolier blessé par une explosion survenue au cours d'une expérience de
chimie ; cet accident, relève l'arrêt de façon lapidaire, « est imputable à l'insuffisance des précautions prises par l'instituteur »
et engage la responsabilité de l'État). Mais, nous semble-t-il, dans la plupart des cas où il ne parviendra pas à rattacher le
dommage à un agissement précis du défendeur, le Conseil d'État se bornera à relever l'absence de faute (V. en ce sens : CE
17 juin 1953, Ville de Limours, Lebon 293 : retard des secours contre un incendie imputable à une baisse de pression
soudaine et momentanée dans les canalisations d'eau : il n'est pas établi que celle-ci soit imputable à une faute lourde de la
ville. - 14 déc. 1984, Centre hospitalier de Meulan, req. n o 37563, inédit : explosion survenue à l'intérieur d'un incubateur de
prématurés : le Conseil d'État relève que l'accident est imputable à un défaut de conception de l'appareil, sans qu'aucune
erreur de manipulation puisse être imputée à l'hôpital, qui voit donc sa responsabilité dégagée. - Les conclusions du
commissaire du gouvernement B. STIRN montrent que, dans cette espèce qui présentait à notre avis les caractéristiques d'un
cas fortuit, le Conseil d'État a entendu nettement rejeter un système de présomption de faute).

Chapitre 3 - Fait d'un tiers


5 2 . Lorsque le fait d'un tiers est considéré comme la cause ou l'une des causes du dommage, le défendeur peut, dans
certaines conditions, voir sa propre responsabilité diminuée ou même supprimée.

53. Avant d'examiner en détail cette question, il convient de préciser que le Conseil d'État, juge de cassation, contrôle la
qualification de fait d'un tiers revêtant un caractère exonératoire, mais qu'il laisse à l'appréciation souveraine des juges du
fond la détermination de la part de responsabilité conservée par l'administration (solution dégagée à propos du fait de la
victime : V. infra, n os 116 s.).

Section 1 - Caractère du fait d'un tiers


5 4 . Par tiers, il faut entendre « toute personne, publique ou privée, quelle que soit sa qualité juridique, autre que le
défendeur à l'instance en indemnité ou les personnes dont il est responsable » (LATOURNERIE, article préc., p. 176) ; cette
définition est classique et acceptée de tous les auteurs (V. par ex. : H., L. et J. MAZEAUD, op. cit., n o 1630).

55. Certains manquements de personnes autres que la victime sont opposables à cette dernière, c'est-à-dire qu'ils ne sont
pas considérés comme les faits d'un tiers, mais assimilés à une faute de la victime : ainsi de l'imprudence du conducteur d'un
véhicule automobile, qui est opposable à la personne transportée (sur cette assimilation du fait d'un tiers à la faute de la
victime, V. infra, n o 118).

Certains liens familiaux peuvent également faire considérer des tiers comme assimilables aux victimes. Ainsi, l'imprudence de
l'épouse de la victime est susceptible d'exonérer un entrepreneur de travaux publics de sa responsabilité, ce qui suppose, eu
égard au terrain de la responsabilité, que l'épouse n'a pas la qualité de tiers vis-à-vis de son mari (CE, sect., 22 déc. 1967,
Sté coopérative ouvrière Les terrassiers paveurs versaillais, AJDA 1968. II. 652, note Moreau). Inversement, la belle-fille est
tiers vis-à-vis de sa belle-mère à qui elle rend visite (CE, sect., 26 avr. 1968, Ville de Cannes, AJDA 1968. II. 652, note
Moreau) ; de même pour un ami de la victime vis-à-vis de celle-ci (CE 5 févr. 1969, Entreprise Sturno c/ Morin et GDF, Lebon T.
978).

56. Symétriquement, les manquements de personnes autres que le défendeur n'atténueront la responsabilité de celui-ci que
si elles ne peuvent être regardées comme des tiers à son égard. C'est ainsi qu'un département sera condamné à réparer
intégralement les préjudices subis par des enfants placés dans une famille d'accueil et victimes de sévices, quand la situation
dommageable n'a été rendue possible que par un défaut de surveillance du service départemental de l'aide sociale à l'enfance
(CE 13 oct. 2003, req. n o 244419 , Mlle V., Lebon 398 ; BJCL 2003. 810, concl. Devys). En effet, eu égard au rôle reconnu
aux familles d'accueil par le code de l'action sociale et des familles, « les membres de ces familles ne sauraient être regardés
comme des tiers dont les fautes propres seraient susceptibles d'exonérer le département d'une partie de sa responsabilité ».
En ce qui concerne l'assistant maternel lui-même, la solution était dictée par son statut d'agent public (V. infra, n o 91) ; elle a
été étendue aux membres de sa famille, qui n'ont pas cette qualité.

Dans le même ordre d'idées, une sanction administrative peut être infligée à une entreprise à raison des agissements de ses
préposés sans que soit pour autant méconnu le principe constitutionnel de responsabilité personnelle. Il en va ainsi pour les
sociétés prestataires de services d'investissement, soumises au contrôle de l'Autorité des marchés financiers. Toutefois, une
société peut, pour s'exonérer de sa responsabilité, s'efforcer de démontrer qu'elle a adopté et effectivement mis en oeuvre
des modes d'organisation et de fonctionnement de nature à prévenir et détecter les manquements professionnels de ses
préposés (CE, sect., 6 juin 2008, Sté Tradition Securities and Futures, req. n o 299203 , Lebon 189, concl. Guyomar .-
6 juin 2008, Sté CM CIC Securities, req. n o 300619 , Lebon 202 ).

57. Sur la distinction entre fait du tiers et faute du tiers, V. infra, n o 72.

Section 2 - Effets du fait d'un tiers


5 8 . Les conséquences du « fait d'un tiers » sont radicalement différentes selon que l'on se trouve dans un régime de
responsabilité pour faute ou dans un régime de responsabilité pour faute présumée ou sans faute. On admet classiquement
que le fait du tiers n'a d'effet exonératoire que dans le premier cas. Ce principe doit être cependant nuancé.

Art. 1 - Responsabilité pour faute


§ 1 - Origines de la jurisprudence
59. On peut partir du principe que le fait ou la faute d'un tiers a un effet partiellement ou totalement exonératoire lorsque la
responsabilité a pour fondement la faute.

60. La doctrine remarque toutefois que ce principe est loin d'être aussi ferme qu'il n'y paraît, ou, à tout le moins, qu'il est le
résultat d'une évolution jurisprudentielle relativement récente (not. MODERNE, Recherche sur l'obligation in solidum dans la
jurisprudence administrative, EDCE 1973. 15. - ODENT, fasc. 4, p. 1493). Le professeur F. MODERNE distingue trois phases
dans l'évolution de la jurisprudence du Conseil d'État, qui, après avoir refusé jusque dans les années 40 de condamner le
défendeur pour le tout, aurait vers cette date ouvert quelques brèches dans ce principe, pour admettre à nouveau à partir de
1951 l'effet exonératoire du fait du tiers. Pour le président R. ODENT, il s'agit bien également d'une jurisprudence nouvelle.

61. Celle-ci apparaît avec une décision de section du 11 mai 1951 (Dame Pierret, Lebon 259) : une commune n'est condamnée
qu'à concurrence de sa part de responsabilité dans la production du dommage, à savoir des noyades au cours du naufrage
d'un bac qui est dû à la fois à la faute lourde des services de police communaux et à l'imprudence d'un tiers, le passeur.
L'année suivante, par une autre décision de section du 5 décembre 1952 (Renon et Fichant, Lebon 562), le Conseil d'État
refuse de condamner l'administration militaire à réparer dans leur intégralité les conséquences d'un accident survenu à un
jeune enfant blessé par l'explosion d'un obus que maniait imprudemment un de ses camarades de jeu. De même, la
responsabilité des pertes en vies humaines dans l'incendie des Nouvelles Galeries de Marseille est imputée pour partie
seulement à un mauvais fonctionnement du service de lutte contre l'incendie (CE, sect., 29 févr. 1952, Dlle Servel, Lebon 147).
Enfin, par une décision de section du 29 juillet 1953 (Épx Glasner, Lebon 427 ; D. 1954. 405, note F. M.), le Conseil d'État
affirme définitivement la nouvelle orientation de la jurisprudence en refusant de condamner pour le tout l'administration à
l'occasion d'un accident de véhicules dû à la fois à la faute du conducteur du véhicule administratif, qui n'a pu rester maître de
son véhicule, et à la faute du conducteur d'un autobus à l'origine de la collision. Cette attitude implique donc un ralliement à la
théorie de la causalité adéquate, qui suppose que chaque coauteur soit condamné à proportion de son rôle causal dans le
dommage.

6 2 . L'évolution n'a concerné que la responsabilité quasi délictuelle. En matière de responsabilité contractuelle, la règle
demeure l'obligation in solidum des coauteurs à réparer l'entier dommage (ODENT, fasc. 4, p. 1564, Les cours de droit).
Fondée sur l'indivisibilité du lien de causalité, cette obligation est retenue dès lors que la faute de chaque coauteur a
concouru à la réalisation de l'entier dommage (V., dans un litige où deux entreprises de travaux publics, liées au maître de
l'ouvrage par des contrats distincts et indépendants l'un de l'autre, ont été condamnées conjointement et solidairement à la
réparation des dommages, CE, sect., 8 nov. 1968, Cie d'assurances générales contre l'incendie et les explosions, Lebon 558 ;
RD publ. 1969. 132, concl. Grevisse ; JCP 1969. II. 15129, note Moderne).

§ 2 - Fondements de la jurisprudence
63. La nouvelle jurisprudence a été sévèrement critiquée. Pour G. VEDEL et P. DELVOLVÉ (p. 518), elle constitue « une des
verrues qui subsistent dans le droit de la responsabilité publique ». Il faut bien reconnaître, en effet, que les inconvénients de
la solution ainsi adoptée sont nombreux.

64. Elle est tout d'abord contraire à la solution retenue par les juridictions judiciaires, qui condamnent pour le tout le coauteur
poursuivi devant elles, sous réserve des actions récursoires du défendeur contre les autres coauteurs (Civ. 11 juill. 1892, Cie
générale transatlantique, GAJC, p. 450, confirmé par des arrêts des 4 mars 1970 et 17 mars 1971 de la 2 e ch. civ. qui
réaffirment le principe après quelques hésitations jurisprudentielles). La solution retenue par la Cour de cassation repose
donc sur l'indivisibilité du lien de causalité : les juges du fond condamnent chaque coauteur à la réparation in solidum, le
partage de responsabilité auquel il peut être procédé n'affectant que les rapports réciproques des coauteurs et non l'étendue
de leur obligation envers la victime.

6 5 . D'autre part, la jurisprudence du Conseil d'État aggrave la position de la victime, qui est obligée d'intenter plusieurs
actions et n'est pas garantie contre les risques d'insolvabilité de la personne privée coresponsable.

66. En outre, la jurisprudence précitée ne s'applique pas, ainsi qu'on le verra, aux cas où la responsabilité est présumée ou a
pour fondement le risque. Enfin, elle oblige la juridiction administrative à statuer sur la part de responsabilité d'une personne
privée qui n'est pas en cause devant elle et ne peut l'être.

6 7 . Sans fondements doctrinaux convaincants, la jurisprudence trouve à notre avis sa justification dans deux ordres de
considérations que le Conseil d'État a entendu faire prévaloir. Il s'agit, d'une part, d'éviter que les collectivités publiques,
mises en cause automatiquement par les victimes pour des raisons de solvabilité et de simplicité de la procédure
administrative, ne se transforment de facto en assureurs (ce qui n'est pas leur rôle dans un système de responsabilité pour
faute), sans pouvoir souvent obtenir de compensations par l'action récursoire, dans le cas où le coresponsable aura disparu
ou se révélera insolvable. D'autre part, le Conseil d'État n'a sans doute pas voulu laisser aux tribunaux judiciaires le soin de
faire eux-mêmes le partage de responsabilités et de déterminer celle de l'État (V. LASRY, concl. sur CE, sect., 29 juill. 1953,
Épx Glasner, Lebon 427. - F. M., note D. 1954. 405, supra, n o 61). La solution retenue s'explique donc par des raisons
pratiques et de politique jurisprudentielle ; en droit strict, elle demeure peu discutable (V. BRARD, note ss. CE, sect., 15 oct.
1976, 5 et 28 oct. 1977, 14 juin 1978, JCP 1980. II. 19319).

68. Dans un arrêt du 14 février 2000, le Tribunal des conflits, réglant au fond un litige relatif aux dommages causés par la
transfusion, à un patient d'une clinique privée, de produits sanguins fournis par un organisme public, a dû prendre parti sur la
question. En admettant la condamnation in solidum de deux coauteurs d'un dommage, dont l'un était une personne publique,
il s'est écarté de la solution dégagée par la jurisprudence administrative (T. confl. 14 févr. 2000, req. n o 02929 , M. Ratinet,
Lebon 749 ; RFDA 2000. 1232, note Pouyaud ).

Dans cette affaire, un centre de transfusion géré par un hôpital public avait fourni des produits du groupe A alors que le
patient appartenait au groupe O. Le juge administratif avait condamné l'hôpital à réparer le tiers seulement du préjudice
corporel du patient, compte tenu de la faute commise par l'anesthésiste de la clinique privée en n'effectuant pas un test de
compatibilité. Le juge civil, pour sa part, avait considéré que le dommage était uniquement imputable au centre de
transfusion, et il avait débouté la victime de son action contre l'anesthésiste. Le patient a alors emprunté la voie de droit
créée par la loi du 20 avril 1932 ouvrant un recours devant le Tribunal des conflits contre les décisions définitives rendues par
les tribunaux judiciaires et les tribunaux administratifs lorsqu'elles présentent une contrariété aboutissant à un déni de
justice. Constatant l'existence d'une telle contrariété, le Tribunal des conflits a réglé lui-même le litige en déclarant l'organisme
public et le praticien responsables, respectivement, des trois-quarts et du quart du dommage. La victime demandait la
condamnation in solidum des coauteurs, afin de pouvoir obtenir de l'un ou de l'autre une indemnisation intégrale. La
jurisprudence administrative conduisait au rejet de cette demande. Le Tribunal l'a accueillie, appliquant ainsi à une personne
publique l'approche retenue par la jurisprudence judiciaire. L'arrêt fonde cette solution sur l'indivisibilité, en l'espèce, du lien
de causalité. Il affirme que « chacun des coauteurs d'un même dommage, conséquence de leurs fautes respectives, doit être
condamné in solidum à la réparation de l'entier dommage, chacune de ces fautes ayant concouru à le causer tout entier, sans
qu'il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilités entre les coauteurs, lequel n'affecte que les rapports réciproques
de ces derniers, mais non le caractère et l'étendue de leur obligation à l'égard de la victime du dommage ».

§ 3 - Actions récursoires et subrogatoires


69. La victime dispose d'une action devant la juridiction judiciaire contre le coresponsable personne privée. Mais l'appréciation
de la part de responsabilité faite par le juge administratif ne lie pas le juge judiciaire, qui pourra très bien retenir un autre
partage (V. supra, n o 64), ou même dégager entièrement la responsabilité de la personne privée.

70. À l'inverse, la circonstance que la juridiction judiciaire aurait retenu l'entière responsabilité d'une personne privée ne fait
pas obstacle à ce que la victime recherche, devant le juge administratif, à raison des mêmes faits dommageables, la
responsabilité d'une personne publique qu'elle estime coauteur du dommage (CE 5 oct. 1977, Gazup, Lebon T. 968 ).
Toutefois, lorsqu'il retient la responsabilité partielle de la personne publique défenderesse devant lui, le juge administratif
subordonne le versement de l'indemnité qui est mise à sa charge à la subrogation de cette personne publique dans les droits
que la victime pourrait tenir de l'accident contre le coauteur personne privée en exécution des décisions judiciaires (CE 2 juin
1965, Sté Union économique d'Amiens, Lebon 334. - 5 févr. 1969, Crédit du Nord, Lebon 73. - 31 mars 1971, Bailleul, Lebon
265. - CE, sect., 9 juin 2011, Sté CREDIPAR, req. n o 322515, Lebon).

§ 4 - Détermination de la part de responsabilité de la personne publique


71. Une fois admis le principe d'un partage de responsabilité, comment le juge va-t-il déterminer la part du dommage dont la
réparation incombe à la personne publique mise en cause devant lui ? Deux « clés » de répartition sont envisageables : selon
la gravité des fautes commises, ou selon le pouvoir causal de chaque cause du dommage, c'est-à-dire proportionnellement à
l'influence qu'a eue le fait de chacun de ses coauteurs.

72. Il faudrait, en toute logique, distinguer fait du tiers et faute du tiers (sur la distinction entre fait et faute de la victime,
V. infra, n os 118 s.). En effet, la faute n'est pas une notion causale, mais uniquement le fondement de la responsabilité, c'est-
à-dire la condition de son engagement (V. en ce sens : EISENMANN, Sur le degré d'originalité du régime de la responsabilité
extra-contractuelle des personnes [collectivités] publiques. Le droit public et le droit privé de la responsabilité extra-
contractuelle diffèrent-ils foncièrement ?, JCP 1949. I. 751). La cause du dommage n'est pas le caractère fautif d'un
agissement, mais cet agissement lui-même ; toutefois, dans un système de responsabilité fondé sur la faute, le fait d'une
personne ne saurait engager sa responsabilité que s'il est fautif.

Il en résulte selon nous que le fait du tiers ne saurait, dans un tel système, avoir d'effet exonératoire qu'à deux conditions :
1 o être en relation de cause à effet avec le dommage ; 2 o avoir un caractère fautif. Autrement dit, le caractère exonératoire
s'attacherait à la faute du tiers et non au simple fait du tiers, expression mal choisie dans un système de responsabilité pour
faute. C'est en ce sens que l'on pourrait interpréter des décisions comme un arrêt du Conseil d'État du 25 février 1976
(Morvan, Lebon 116) : accident survenu au spectateur d'un tournoi de « volley-ball » ; cet accident est dû à la faute des
organisateurs, qui engage la responsabilité de la commune ; celle-ci « ne peut s'exonérer de sa responsabilité en invoquant le
comportement du joueur, auteur involontaire de l'accident ».

7 3 . Si l'on admet que la faute n'est pas une notion causale, la détermination de la part de responsabilité imputable à la
personne publique - et, par référence, au tiers - ne devrait pas tenir compte de la gravité respective des fautes des parties.
On ne saurait cependant affirmer que la jurisprudence du Conseil d'État, dont la réticence à l'égard des faiseurs de systèmes
est bien connue, s'en tient strictement à ce principe ; à notre avis, elle tient compte également de la gravité des fautes
respectives, conservant ainsi à l'engagement de la responsabilité une certaine valeur de sanction, ainsi que le montrent les
espèces suivantes.

74. Illustrations jurisprudentielles. - On peut citer :

- CE 2 juin 1965, Sté Union économique d'Amiens (supra, n o 70) : État condamné à indemniser la requérante du quart des
conséquences dommageables de l'escroquerie dont elle a été victime de la part d'une société commerciale, mais qui n'a été
rendue possible que par la faute lourde d'un employé des Postes et télécommunications ;

- CE 5 mars 1969, Crédit du Nord (supra, n o 70) : circonstances comparables, État condamné pour moitié. - 9 mars 1966, Min.
Travaux publics et transports c/ Latu, Lebon 198 : requérant blessé par l'effondrement d'une marquise dans une gare ; cet
accident, dû à l'imprudence des spectateurs qui s'étaient installés sur cette marquise en grand nombre, n'a cependant été
rendu possible que par la faute du préfet qui n'a pas prévu un service d'ordre approprié et par la faute lourde des services de
police présents ; l'État est condamné à réparer aux deux tiers les conséquences de l'accident ;

- CE 31 mars 1971, Bailleul, Lebon 265 : décès d'une parturiente en clinique ouverte dû pour partie aux fautes de la sage-
femme ; toutefois, ces fautes n'ont pu avoir de conséquences mortelles qu'en raison de fautes commises par le médecin (qui,
opérant en clinique ouverte, est un tiers par rapport à l'hôpital) ; l'hôpital est condamné pour le quart ;

- CE 9 juill. 1975, Ville de Cognac, Lebon 413 : accident survenu dans une piscine municipale à un nageur heurté par un jeune
garçon qui venait de plonger d'un tremplin ; la commune, qui n'a pas mis en place un service de surveillance pour faire
respecter l'interdiction de sauter de ce plongeoir sans autorisation, a commis une faute de nature à engager sa
responsabilité ; toutefois, celle-ci est atténuée à concurrence de la moitié par la faute du plongeur, qui a utilisé le plongeoir
sans autorisation ;

- CE 5 oct. 1977, Gazup (supra, n o 70) : cas de figure comparable, mais cette fois-ci la victime est le plongeur et le tiers fautif
un nageur imprudent : partage pour moitié ;

- CE 28 oct. 1977, Cne de Flumet, Lebon 412 : glissement de terrain trouvant son origine dans le retard fautif de la commune,
lotisseur du terrain, à mettre en place un réseau d'évacuation des eaux ; toutefois, exonération pour moitié, l'accident étant
également dû au défaut de précaution d'un entrepreneur qui a aménagé un ouvrage provisoire dans des conditions telles que
la stabilité du terrain s'est trouvée compromise ;

- CE 13 févr. 1980, Dumy, Lebon 79 : dommages causés à des personnes réfugiées sur le toit d'un immeuble en flammes, qui
s'est effondré : si le mode de construction de l'immeuble rendait inévitable sa destruction rapide, un fonctionnement correct
des services d'incendie aurait tout de même permis de retarder l'effondrement du toit : responsabilité de la commune
engagée aux deux tiers ;

- CE 7 juill. 1976, Cne de Villiers-Semeuse c/ Bihay et autre, Lebon T. 1107 : accident de véhicule dû à la faute lourde d'un
agent de police communale ayant ordonné une manoeuvre dangereuse ; toutefois, responsabilité de la commune limitée aux
deux tiers, compte tenu des fautes commises par un autre conducteur ;

- CE 22 nov. 1985, Cie d'assurances The Yorkshire insurance company limited, Lebon 340 : incendie volontaire d'un collège
d'enseignement secondaire provoqué par des élèves de cet établissement, dont les parents ont été déclarés civilement
responsables devant les tribunaux judiciaires ; la responsabilité de l'État reconnue en raison des graves négligences dans la
construction de ce bâtiment ayant facilité la propagation et le développement anormalement rapides de l'incendie a été
atténuée à concurrence des quatre cinquièmes par la faute grave des enfants ayant provoqué le sinistre ;

- CE 14 mai 1986, Cne de Cilaos, Lebon 716 ; AJDA 1986. 466, obs. Richer : collégiens s'étant noyés en regagnant leur
domicile à pied pendant le passage d'un cyclone ; en ne prenant pas les mesures nécessaires pour les empêcher de quitter le
collège, le maire a commis une faute lourde de nature à engager la responsabilité de la commune, mais celle-ci est limitée à un
tiers des dommages, compte tenu de la négligence des responsables de l'établissement (ainsi que de l'imprudence des
enfants) ;

- CAA Paris, 17 oct. 1991, SA Hellot, req. n o 90PA00292, AJDA 1992. 171 : la responsabilité de l'État engagée à raison de
contrôles phytosanitaires défectueux est limitée au quart, compte tenu notamment de l'insuffisance des contrôles effectués
par des tiers préalablement à ceux qui incombaient à l'État.

75. Il faut également signaler des hypothèses où le coresponsable, non mis en cause par la victime mais dont la faute est
invoquée par le défendeur, est une autre personne publique. Dans ce cas, et sous réserve d'une collaboration de plusieurs
personnes publiques (V. infra, n os 81 s.), la jurisprudence continue à s'appliquer, malgré l'absence de ce qui constitue, selon
nous, sa justification pratique (V. supra, n o 67). V. ainsi :

- CE 28 mai 1971, Cne de Chatelaudren, Lebon 399 : accident survenu à l'élève d'une école de voile, un arc électrique s'étant
formé entre les haubans de son voilier et une ligne à haute tension surplombant le plan d'eau ; la commune, qui n'a pas
signalé un danger qu'elle n'ignorait pas et a négligé de prendre les mesures de protection appropriées, commet une faute
engageant sa responsabilité ; toutefois, celle-ci est atténuée à concurrence de la moitié par la faute de l'école de voile,
organisme dépendant de l'État et engageant la responsabilité de celui-ci, ses dirigeants n'ayant pas repéré la ligne à haute
tension ni mesuré les dangers qu'elle présentait ;

- CE, sect., 31 déc. 1976, Hôpital psychiatrique de Saint-Egrève, Lebon 584 : meurtre commis par le sieur X., précédemment
interné dans un hôpital psychiatrique ; le médecin de l'hôpital a commis une faute lourde engageant la responsabilité de
l'établissement public en proposant au préfet la libération immédiate du malade malgré la gravité de ses antécédents et les
résultats d'une première expertise qui l'avait déclaré incurable ; toutefois, l'hôpital est fondé à exciper de la faute lourde
également commise par le préfet qui a ordonné la libération immédiate en ayant connaissance des éléments qui viennent
d'être mentionnés : responsabilité partagée pour moitié entre l'État et l'établissement public ;

- CE 26 nov. 2008, Parc national des Cévennes, req. n o 274061 , Lebon T. 824 : l'insuffisance fautive des propositions
de plan de chasse adressées au ministre compétent par l'établissement gestionnaire d'un parc national engage la
responsabilité de cet établissement à l'égard d'un propriétaire dont les biens ont été endommagés par des cervidés ; cette
responsabilité est toutefois atténuée par le comportement de l'État, dont la politique a contribué au dommage, et par les
fautes commises par le requérant dans la protection de ses parcelles. Dans cette affaire, le fait du tiers et la faute de la
victime ont été retenus simultanément.

§ 5 - Atténuations du principe du caractère exonératoire du fait du tiers dans la responsabilité pour faute
76. La doctrine ne manque pas de faire remarquer que le principe du caractère exonératoire du fait du tiers dans le cas de
responsabilité pour faute est beaucoup moins ferme qu'on ne pourrait le supposer (V. en particulier, MODERNE, article préc.,
p. 37 s. - MOREAU, note ss. CE 22 déc. 1967, AJDA 1968. 652. - BRARD, note préc.). En réalité, nous pensons que l'on peut
tenir pour bien établie une jurisprudence cinquantenaire, et que les quelques atténuations que les auteurs ont cru pouvoir
relever constituent des cas particuliers qui confirment la règle plus qu'ils ne l'infirment.

A. - Lien de causalité
77. Tout d'abord, lorsque le juge refuse de faire produire l'effet exonératoire au fait du tiers parce qu'il l'estime sans valeur
causale, il reste à l'intérieur de la théorie jurisprudentielle générale (CE 16 févr. 1972, Pinsolle, Lebon 147 : l'accident dont
l'élève d'une école primaire a été victime est dû non à l'aménagement d'une clôture, ouvrage public dont la commune est
responsable, mais à un défaut d'organisation du service public assuré par l'État : par suite, celui-ci ne peut exciper de la
responsabilité de la commune).

Il faut aussi envisager le cas où deux ou plusieurs personnes agissant indépendamment l'une de l'autre ont chacune commis
une faute qui portait normalement en elle l'intégralité du dommage qui s'est ensuite produit. La victime peut alors rechercher
la réparation de son préjudice en demandant soit la condamnation de l'une de ces personnes, soit leur condamnation
solidaire, sans préjudice des actions récursoires qu'elles pourront former entre elles. Le Conseil d'État a été confronté à une
telle situation dans une affaire où un étudiant en médecine avait subi un examen de médecine préventive à l'Université, puis
trois ans plus tard un examen d'aptitude dans l'hôpital qui le recrutait. Par suite de négligences fautives, les signes d'une
tuberculose débutante n'avaient été décelés ni lors du premier examen, ni lors du second. L'intéressé, qui avait
ultérieurement développé la maladie, s'est vu reconnaître le droit d'obtenir soit de l'Université, soit de l'hôpital, soit des deux
solidairement réparation du préjudice ayant consisté dans la perte d'une chance de l'éviter (CE 2 juill. 2010, Madranges, req.
n o 323890 , Lebon. - BELRHALI-BERNARD, Quand l'obligation in solidum progresse en droit administratif, AJDA 2011. 116
. - Pour une autre application, également en matière d'erreurs de diagnostic, V. CE 26 juill. 2011, Centre hospitalier d'Aunay-
sur-Odon, req. n o 314870 ).

Actualité
77. Suicide d'un détenu et pluralité de fautes. - Les ayants droit d'un détenu qui s'est suicidé peuvent utilement invoquer, à
l'appui de leur action en responsabilité contre l'État, une faute du personnel de l'établissement de santé auquel est rattaché
l'établissement pénitentiaire, si celle-ci a contribué à la faute du service pénitentiaire (CE 24 avr. 2012, Épx Massioui, req.
n o 342104 , AJDA 2012. 917, obs. Biget ).
Carence fautive dans le suivi médical d'un détenu. Obligation pour le juge administratif de statuer. - Le juge administratif, lorsqu'il
est saisi d'un recours indemnitaire dirigé contre l'État tendant à la réparation du dommage imputé à une carence fautive dans
le suivi médical d'un détenu à l'intérieur de l'établissement pénitentiaire, ne peut rejeter ces conclusions comme étant mal
dirigées (CE 4 juin 2014, req. n o 359244 , Lebon T. ; AJDA 2014. 1184, obs. Poupeau ).
B. - Faute de l'administration absorbant celle du tiers
7 8 . Moins aisément justifiables il est vrai sont les hypothèses dans lesquelles le juge semble considérer que la faute de
l'administration est tellement grave qu'elle « absorbe » celle du tiers. Il en est ainsi de la jurisprudence sur les feux d'artifice
et les explosifs (V. CE 3 nov. 1961, Cne de Vico, Lebon 612 : enfant blessé alors qu'il assistait à un feu d'artifice organisé par
la commune ; cette dernière n'est pas fondée à se prévaloir, pour être déchargée des conséquences de sa faute, de ce que
celle-ci aurait son origine réelle dans la mauvaise qualité des engins qui lui ont été fournis). On remarquera que dans cette
décision le juge n'emploie pas la formule « ne saurait utilement se prévaloir de » ; l'exception tirée du fait du tiers est donc
bien opérante, mais non fondée en l'espèce (V. cep. rédaction plus ambiguë dans une espèce similaire, CE 1 er mars 1967, Cne
d'Harquency, Lebon T. 930).

Dans le même ordre d'idées :

- CE 1 er févr. 1974, Cne de Sainte-Anastasie, Lebon 79 : la faute de la commune, qui a entreposé des fusées paragrêles dans
une bergerie désaffectée non fermée et non gardée, est à l'origine du dommage subi par le propriétaire de la bergerie,
endommagée par l'explosion d'une fusée provoquée accidentellement par un jeune garçon qui s'était introduit dans le local ;
le Conseil d'État juge que « dans les circonstances de l'affaire, la responsabilité de la commune ne saurait être atténuée par
l'imprudence commise par l'auteur immédiat de l'accident » ;

- CAA Bordeaux, 7 févr. 1994, Baudette, req. n o 92BX01142 , Lebon T. 1092 : faute lourde commise par le service des
chèques postaux qui, saisi par un client d'une demande de virement automatique comportant une erreur sur le numéro du
compte à créditer, a complété ce numéro pour qu'il corresponde à un numéro de compte, sans effectuer aucune autre
vérification ; pas plus que l'erreur commise par le client, la passivité du tiers ayant bénéficié pendant deux ans de versements
indus ne revêt, dans les circonstances de l'espèce, un caractère exonératoire.

79. Dans ces espèces, le juge semble dénier tout effet exonératoire à la faute du tiers en considération de l'importance de la
faute de l'administration qui pourtant, ainsi que nous l'indiquions (V. supra, n o 73), ne devrait jouer aucun rôle. On notera
que, dans des circonstances similaires, la Cour de cassation se place sur le terrain de l'absence du lien de causalité entre
dommage et fait du tiers, selon nous plus satisfaisant : absence de relation suffisante de cause à effet entre la mauvaise
fermeture d'un cabanon, dans lequel ont été entreposés des détonateurs par un tiers, et les blessures subies par un mineur
qui les y a dérobés et manipulés (Civ. 2 e, 20 déc. 1972, JCP 1973. II. 17541).

C. - Fait du tiers et manquement de l'administration


80. Il est un autre cas où ce qui pourrait être interprété comme la méconnaissance de l'effet exonératoire du fait du tiers
s'explique, nous semble-t-il, en réalité, par ceci que la faute du tiers se confond précisément avec le manquement de
l'administration à ses obligations. C'est ainsi que lorsque le refus de concours de la force publique pour une expulsion engage
la responsabilité de la puissance publique sur le fondement de la faute (absence de nécessité d'ordre public), l'État est
condamné pour le tout, alors que le dommage pourrait être regardé comme partiellement dû au maintien du locataire dans les
lieux (CE, sect., 3 nov. 1967, Min. Intérieur c/ Dame Fiat, Lebon 409. - 19 mars 1976, Min. Intérieur c/ Cts Danel, Lebon 170).
De même, l'administration est condamnée à réparer la totalité des conséquences dommageables de l'insolvabilité d'un
conducteur de taxi, dès lors qu'elle a commis une faute en autorisant sans assurance la circulation de ce taxi, alors qu'elle
était tenue de vérifier le respect de l'obligation d'assurance (CE 29 nov. 1961, Goarin, Lebon 671).

D. - Collaboration de plusieurs personnes publiques


81. On a vu (V. supra, n o 75) que, lorsque le défendeur invoque la faute d'une autre personne publique, la jurisprudence
générale continue à s'appliquer, c'est-à-dire que les personnes publiques coauteurs du même dommage peuvent invoquer la
faute des autres pour tenter de s'exonérer. Outre les inconvénients généraux d'une telle solution vis-à-vis des victimes
(V. supra, n o 65), la jurisprudence présente alors le désavantage de placer ces victimes devant la difficulté de déterminer la
personne responsable et de démêler la complexité des rapports administratifs, sous peine de voir son action rejetée pour
irrecevabilité. Cette situation est d'autant plus regrettable que, les fautes invoquées étant celles de personnes publiques, l'un
des fondements de la jurisprudence Époux Glasner (supra, n o 61) - éviter la répartition finale des responsabilités par le juge
judiciaire - disparaît. La jurisprudence a donc forgé un certain nombre de solutions ponctuelles pour atténuer ces
inconvénients et permettre l'indemnisation totale des victimes par le ou les défendeurs mis en cause.

82. Tout d'abord, le juge a admis que, lorsque plusieurs personnes publiques collaborent étroitement à la même activité, la
victime pouvait demander réparation intégrale du dommage à l'une ou à l'autre, quitte pour la collectivité condamnée à se
retourner contre l'autre sur la base des fautes imputables à celle-ci et ayant concouru à la réalisation du dommage. Cette
solution a été adoptée pour le régime des vaccinations obligatoires antérieures à la loi n o 64-643 du 1 er juillet 1964 (D. 1964.
220) qui reposait sur la présomption de faute (CE, ass., 13 juill. 1962, Min. Santé et population c/ Lastrajoli, Lebon 507). Pour
le président R. ODENT (p. 1560), il s'agit d'une solution très limitée et fondée sur l'équité.

83. Elle a toutefois été appliquée dans les cas de contamination par le virus de l'immuno-déficience humaine à la suite de la
transfusion de produits sanguins : le Conseil d'État a jugé que l'État, dont la responsabilité était engagée pour faute à raison
de l'exercice de ses attributions dans l'organisation générale de la transfusion sanguine, le contrôle des centres de
transfusion et la réglementation des produits sanguins, ne pouvait s'exonérer en invoquant les fautes commises par les
centres de transfusion, compte tenu de l'étroite collaboration et de la répartition des compétences instituées entre l'État et
les centres (CE, ass., 9 avr. 1993, M. D., req. n o 138653 , Lebon 110, concl. Legal ; D. 1993. 312, concl. Legal ; RFDA
1993. 583, concl. Legal ; AJDA 1993. 334, chron. Maugüé et Touvet ; Rev. adm. 1993. 561, note Fraissex ; JCP 1993.
II. 22110, note Debouy ; JCP 1993. IV. 1537, obs. Rouault ; D. 1994. Somm. 63, obs. Bon et Terneyre ).
Il faut également relever une application en matière de responsabilité hospitalière, s'agissant de la prise en charge des
urgences médicales. Eu égard à la collaboration étroite existant entre le service d'aide médicale urgente (SAMU), les services
mobiles d'urgence et de réanimation (SMUR) et les services d'accueil et de traitement des urgences (SATU), la victime d'une
faute commise à l'occasion du transfert d'un patient d'un hôpital vers un autre peut, lorsque les services impliqués dépendent
d'établissements de santé différents, demander que l'un de ces établissements soit condamné à réparer l'entier dommage, ou
poursuivre leur condamnation solidaire, sans préjudice des appels en garantie qu'ils pourront exercer entre eux (CE 18 févr.
2010, Cts Aujollet, req. n o 318891 , Lebon T.).

84. V. égal., pour un service de transport scolaire :

- CE 24 mars 1978, Laporta, Lebon 159 : condamnation solidaire de la commune et du syndicat intercommunal de transport
scolaire ;

- CE 4 juill. 1980, Chevrier, Lebon 309 : le maire n'ayant pas pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité, la
commune est condamnée à réparer les conséquences de l'accident subi par un élève, « quelle qu'ait pu être par ailleurs la
responsabilité du syndicat intercommunal pour les transports scolaires… vis-à-vis duquel il appartiendra à la commune
d'exercer, si elle s'y croit fondée, toute action que de droit » ;

- CE 30 mai 1986, Épx Faix, Lebon 710 : le département qui a fait assurer le transport des élèves par une entreprise privée et
qui n'a pas pris de mesures de surveillance ne peut s'exonérer de sa responsabilité en invoquant des fautes de la commune,
pas plus que de l'entreprise.

8 5 . Pour le service de prévention des inondations, CE 22 juin 1987, Ville de Rennes c/ Cie rennaise de linoléum et de
caoutchouc, Lebon 223 : la commune ne saurait s'exonérer de la responsabilité qu'elle a encourue dans l'exercice de sa
mission de prévention des inondations en invoquant les fautes qu'aurait commises le service de l'État chargé de l'annonce des
crues en tardant à l'informer de la montée des eaux.

86. Procède à notre avis du même esprit la jurisprudence d'assemblée du 27 avril 1973, Synd. association de dessèchement
des marais d'Arles, Lebon 304 : l'État et les associations syndicales « commettent une faute de nature à engager leur
responsabilité solidaire » en ne prenant pas les mesures nécessaires à l'adaptation de différents canaux d'assèchement
(associations syndicales) et d'un canal de navigation (État) dont ils ont les uns et les autres la charge.

87. Il faut également signaler le régime de la responsabilité des communes du fait des services de lutte contre l'incendie. La
responsabilité de la commune du lieu du sinistre est engagée à l'égard des victimes pour l'intégralité du préjudice subi ; cette
commune peut cependant appeler en garantie d'autres coauteurs, notamment le service départemental et la commune centre
de secours (CE 5 mars 1943, Chavat, Lebon 62. - CE, sect., 12 juin 1953, Ville de Toulouse, Lebon 284. - 21 févr. 1964, Cie
d'assurances La Paternelle et Ville de Wattrelos, Lebon 119. - 19 janv. 1962, Min. Agriculture c/ Barcons et Cne de Vervet-les-
Bains, Lebon 52).

88. Dans le cas où une collectivité territoriale utilise un service de l'État pour exercer l'activité qui a causé un dommage, deux
hypothèses doivent être distinguées. Si l'intervention du service de l'État est obligatoire, l'État n'encourt aucune
responsabilité directe envers les victimes et la collectivité bénéficiaire est tenue à réparation intégrale vis-à-vis de celles-ci
(CE, ass., 24 nov. 1961, Min. Travaux publics c/ Cts Letisserand et autres, Lebon 661. - 14 janv. 1994, Min. Équipement,
logement, transports et espace c/ Savine, Lebon 13). En revanche, en cas d'intervention facultative dans le cadre d'un
contrat, la victime peut demander réparation aussi bien à l'État qu'à la collectivité locale (CE, sect., 29 juin 1973, Min.
Équipement et logement c/ Sté parisienne pour l'industrie électrique et autres, Lebon 456). S'agissant des missions
d'entretien de la voirie communale confiées à la direction départementale de l'équipement (DDE), la jurisprudence admettait
seulement une action en garantie de la commune contre l'État dans l'hypothèse où les agents de la DDE - placés sous
l'autorité du maire - avaient désobéi à un ordre de celui-ci (CE, sect., 28 mai 1971, Ville de Saint-Jean-de-Maurienne, Lebon
403). Cette solution a été abandonnée et la convention liant la commune et l'État est désormais regardée comme un contrat
de louage d'ouvrage « dont l'exécution ou l'inexécution engage la responsabilité de l'État dans les conditions de droit
commun » (CE, sect., 12 mai 2004, Cne de La Ferté-Millon, req. n o 192595 , Lebon 226 ; AJDA 2004. 1378, note Dreyfus
).

89. L'article 91 de la loi n o 83-8 du 7 janvier 1983, codifié à l'article L. 2216-2 du code général des collectivités territoriales
(CGCT), dispose que « les communes sont civilement responsables des dommages qui résultent de l'exercice des attributions
de police municipale, quel que soit le statut des agents qui y concourent. Toutefois, au cas où le dommage résulte, en tout ou
partie, de la faute d'un agent ou du mauvais fonctionnement d'un service ne relevant pas de la commune, la responsabilité de
celle-ci est atténuée à due concurrence. - La responsabilité de la personne morale autre que la commune dont relève l'agent
ou le service concerné ne peut être engagée que si cette personne morale a été mise en cause, soit par la commune, soit par
la victime du dommage. S'il n'en a pas été ainsi, la commune demeure seule et définitivement responsable du dommage ».

E. - Responsabilité pour dommage de travaux publics fondée sur la faute


9 0 . Il est un autre cas où la faute du tiers n'a aucun effet exonératoire, à savoir l'hypothèse d'une responsabilité pour
dommage de travaux publics fondée sur la faute ; on sait que cette hypothèse recouvre celle des participants au travail public,
qui doivent prouver la faute de l'entrepreneur ou du maître de l'ouvrage. Dans le cas où le maître d'ouvrage est seul mis en
cause par la victime, les fautes commises par l'entrepreneur n'ont pas d'effet exonératoire : si elles exposent l'entrepreneur à
une action du maître de l'ouvrage, elles engagent la responsabilité de celui-ci et sont sans influence sur ses obligations à
l'égard de la victime, selon un principe général de la responsabilité pour dommages de travaux publics. Il n'en va autrement
que lorsque le maître d'ouvrage est privé par la loi d'un recours en garantie contre l'entrepreneur ; c'est le cas notamment
lorsque l'entrepreneur est l'employeur de la victime, puisque l'article L. 451-1 du code de la sécurité sociale institue une
exonération légale de l'employeur en cas d'accident du travail. Dans cette hypothèse, la jurisprudence admet, depuis une
décision de section du 19 mai 1961 (Chambre de commerce de Nantes, Lebon 351), que la faute éventuelle de l'employeur a
un effet exonératoire de la responsabilité du maître de l'ouvrage.

F. - Faute personnelle et faute de service


91. Par ailleurs, le professeur F. MODERNE (article préc., p. 37) fait remarquer que le Conseil d'État n'a jamais abandonné les
règles dégagées en 1911 dans l'affaire Anguet sur le cumul d'une faute de service et d'une faute personnelle (CE 3 févr.
1911, GAJA, 15 e éd., n o 23, p. 137). Depuis la décision du 28 juillet 1951 (Delville, Lebon 464), au cas où un dommage a été
causé à un tiers par l'effet conjugué de la faute d'un service public et la faute personnelle d'un agent de ce service, la victime
peut demander à être indemnisée de la totalité du préjudice subi, soit à l'administration devant les juridictions
administratives, soit à l'agent responsable devant la juridiction judiciaire. L'administration condamnée pourra se retourner
contre l'agent, et l'agent condamné pourra demander, sur le fondement de l'article 11, alinéa 2, de la loi n o 83-634 du
13 juillet 1983 portant droit et obligations des fonctionnaires, que l'administration lui rembourse les sommes mises à sa
charge, mais seulement dans la mesure où le dommage est imputable à une faute de service (sur ce point, V. CE, ass., 12 avr.
2002, M. Papon, Lebon 139, concl. Boissard ; AJDA 2002. 423 , chron. Guyomar et Collin , et p. 837, note Melleray ;
RFDA 2002. 582, concl . - V. égal. BORDIER, La faute personnelle, l'agent public et les finances publiques, AJDA 2008. 2319
).

En l'absence même de toute faute de service, c'est-à-dire dans le cas où le dommage est entièrement imputable à une faute
personnelle détachable du service, la victime peut obtenir de l'administration la réparation de son entier dommage dès lors
que le comportement de l'agent n'était pas dépourvu de tout lien avec le service. Et la circonstance que la faute a été
commise avec les moyens du service peut suffire à établir l'existence d'un tel lien (V. dans un cas où un maire avait signé, à
des fins d'enrichissement personnel mais avec l'autorité s'attachant à sa fonction, de faux certificats administratifs, CE 2 mars
2007, Sté Banque française commerciale de l'Océan indien, req. n o 283257 , Lebon T. 703 ; AJDA 2007. 503 ; BJCP
2007. 315, concl. Séners). En l'absence de faute de service, la collectivité ayant dédommagé le tiers pourra rechercher le
remboursement par l'agent de l'intégralité de l'indemnité versée.

G. - Ordres professionnels
9 2 . Enfin, le président R. ODENT (fasc. 4, p. 1565) signale une décision de section du 29 mars 1957 (Conseil national de
l'ordre des chirurgiens-dentistes, Lebon 227) par laquelle le juge a admis que l'ordre national puisse être condamné à réparer
l'intégralité du dommage, malgré des fautes du conseil départemental de l'ordre ; mais on sait que la question de la
personnalité morale des échelons départementaux des ordres professionnels est controversée.

Art. 2 - Responsabilité sans faute


§ 1 - Principe et justification
9 3 . On peut partir du principe que, dans les cas où la responsabilité n'a pas pour fondement la faute, le fait du tiers ne
produit aucun effet exonératoire. La personne publique mise en cause est tenue pour le tout envers la victime et ne peut
utilement invoquer les agissements du tiers ; elle peut seulement appeler le tiers en garantie (dans le cas où le juge
administratif est compétent pour prononcer une condamnation contre lui) ou exercer une action récursoire devant les
juridictions judiciaires. La raison généralement avancée en est que, dans un système où la faute n'est pas une des conditions
de l'engagement de responsabilité, il est logique de dénier toute influence à la faute d'un tiers dans la répartition des
responsabilités.

9 4 . Ce raisonnement est impeccable, mais ne rend pas compte du caractère non exonératoire du fait du tiers considéré,
indépendamment de son caractère fautif, comme un simple facteur causal. On conçoit bien en effet que la faute du tiers soit
sans influence sur sa responsabilité. En revanche, dès lors que le fait d'un tiers est en relation de cause à effet avec le
dommage, il devrait produire un effet exonératoire à concurrence de son influence dans la production du dommage. Raisonner
autrement reviendrait à admettre que, dans les hypothèses de responsabilité pour faute, le Conseil d'État adopte la théorie
de la causalité adéquate, en considérant que les coauteurs ne sont tenus à réparation qu'à proportion de l'influence qu'ils ont
exercée dans la production du dommage, mais qu'il se rallierait à la théorie dite de l'équivalence des conditions lorsque la
responsabilité est fondée sur le risque, chaque coauteur étant alors regardé comme ayant causé la totalité du dommage, et
étant par suite tenu à réparation intégrale vis-à-vis de la victime. Rien ne s'opposerait donc, selon nous, d'un point de vue
strictement logique, à la reconnaissance d'un effet exonératoire au fait du tiers dans les systèmes de responsabilité sans
faute, à l'instar de la solution retenue lorsque la responsabilité est fondée sur la faute.

95. Pour parvenir au même résultat, D. LABETOULLE, dans ses conclusions sur l'affaire de section du 15 octobre 1976 (District
urbain de Reims, Lebon 420 ; RJ envir. 1977, n o 21, p. 165 s., concl. Labetoulle), proposait de distinguer dommage et fait
dommageable (en faveur de la même distinction, V. BÉNOIT, Essai sur les conditions de la responsabilité en droit public et
privé, JCP 1957. I. 1351). Selon D. LABETOULLE, « un automobiliste s'est-il écrasé contre un arbre après être passé sur une
portion de route recouverte de glace ? Deux questions vont se poser. D'abord, dans quelle mesure le fait dommageable
invoqué - c'est-à-dire la présence de glace sur la chaussée - est-il à l'origine du dommage, c'est-à-dire l'accident proprement
dit ? Ensuite, le cas échéant comment s'explique la présence de la glace ? Il devient clair ainsi que les deux notions causales
de lien de cause à effet et de fait du tiers sont distinctes l'une par rapport à l'autre. La première n'intervient qu'à propos de la
recherche des relations entre le dommage et le fait dommageable invoqué » - ce que D. LABETOULLE appelle la causalité -,
« la seconde n'intervient, comme d'ailleurs toutes les causes éventuelles d'exonération de responsabilité, qu'à propos de la
recherche des origines du fait dommageable » - ce que D. LABETOULLE nomme l'imputabilité (sur la distinction entre les deux
notions de causalité et d'imputabilité, V. ESMEIN, Le nez de Cléopâtre ou les affres de la causalité, D. 1964. Chron. 205).

96. Dans l'affaire District urbain de Reims (préc.), où la responsabilité de cette collectivité publique était recherchée à raison
de la pollution d'une rivière partiellement imputable à l'insuffisance des capacités d'une station d'épuration relevant du district,
D. LABETOULLE proposait en conséquence de diviser le « fait dommageable » - la pollution - et de ne condamner le district que
dans la mesure où ce fait dommageable lui était « imputable », c'est-à-dire dans la mesure de sa contribution à la pollution ; il
s'appuyait sur un précédent unique (CE 10 févr. 1937, Ville de Paris c/ Heid, Lebon 185 : inondation d'une champignonnière :
responsabilité de la ville limitée aux sept dixièmes, les travaux exécutés par celle-ci n'ayant été que la « cause principale » de
l'inondation). Le Conseil d'État n'a pas suivi son commissaire du gouvernement, et a rejeté de la façon la plus nette le
raisonnement qui lui était proposé : « … Si la pollution est aussi imputable à des effluents industriels, au défaut de curage et
au détournement d'eau à des fins d'irrigation par d'autres propriétaires riverains, ces circonstances […] ne sont pas de nature
à atténuer la responsabilité encourue par le district […] qui peut seulement, s'il s'y croit fondé, exercer devant les juridictions
compétentes tel recours que de droit contre les tiers responsables des faits qu'il invoque » (jurisprudence confirmée : CE
25 oct. 1978, Communauté urbaine du Mans, Lebon T. 962 , et appliquée, par ex., par CAA Lyon, 13 mai 1993, Cultil, req.
n os 92LY00001 et 92LY00490 , Lebon T. 953 ).

97. En cas de dommages de travaux publics, le Conseil d'État ne tient donc aucun compte de la valeur causale du fait d'un
tiers dès lors que le dommage a également pour origine le défaut d'entretien d'un ouvrage public ou des travaux publics.
Cette solution, qui a été saluée par la doctrine (BRARD, À propos de la notion de fait du tiers, JCP 1980. I. 2976), est, nous
semble-t-il, une illustration de l'attitude essentiellement pragmatique du Conseil d'État en matière de responsabilité en
général, et de dommages de travaux publics en particulier. Le dommage est en effet en lui-même unique et indivisible, si
plusieurs « faits dommageables » y ont concouru. D'autre part, il nous semble bien dans l'esprit de la responsabilité pour
dommages de travaux publics, régime de responsabilité pour risque traditionnellement favorable aux victimes, que celles-ci
soient assurées de pouvoir se retourner contre un responsable unique et solvable, surtout dans un domaine où la
détermination des autres coauteurs est pratiquement impossible. C'est donc finalement dans le souci de garantie donnée aux
victimes des dommages de travaux publics qu'il faut voir la raison de l'absence de caractère exonératoire du fait du tiers en la
matière.

98. Certains auteurs (LATOURNERIE, article préc., p. 176) rattachent également ce principe à la règle dite de prise en charge
du dommage par le travail ou l'ouvrage public, d'après laquelle l'ouvrage est considéré comme intercalé entre le dommage et
sa cause première ; il joue ainsi le rôle de cause « immédiate » ou « directe ». Tout se passe en effet comme si le caractère
attractif du travail ou de l'ouvrage public absorbait les autres causes possibles du dommage.

§ 2 - Un principe nuancé
99. Il va de soi tout d'abord que lorsque le juge estime que le fait d'un tiers est la cause unique du dommage, il dégage
entièrement la responsabilité de la personne publique mise en cause devant lui. Il ne s'agit pas d'une exception au principe
du caractère non exonératoire du fait du tiers ; dans de telles hypothèses en effet, le juge estime seulement que le travail ou
l'ouvrage n'a joué aucun rôle dans la production du dommage. Ainsi la présence d'un fût de goudron placé sur la voie publique
du fait d'une tierce personne, et qui n'est pas regardé comme un défaut d'entretien normal (CE 5 avr. 1933, Soual c/ Dpt de la
Haute-Garonne, Lebon 413. - 17 févr. 1960, Min. Travaux publics c/ Épx Moussiegt, Lebon 119 : « Cet accident ne peut être
attribué à un défaut d'entretien de la voie publique »).

1 0 0 . De telles exceptions à la règle de la prise en charge du dommage par l'ouvrage sont rares, et restent strictement
limitées aux cas où, l'obstacle venant d'être déposé, sa présence n'est pas assimilable à un défaut d'entretien normal, mais
est imputée directement au tiers (V. a contrario : CE 9 janv. 1976, Min. Aménagement du territoire, équipement, logement et
tourisme c/ Dame Berkow itz [infra, n o 103]. - 14 mars 1980, Cts Gaffie, req. n o 11820, inédit : terre répandue sur la chaussée
quinze jours avant l'accident causé par le dérapage d'un camion à cet endroit, la terre s'étant transformée en nappe de
boue : le département ne peut invoquer le fait que la terre aurait été répandue par un tiers).

101. Partage du dommage. - Plus difficilement justifiables, au moins dans la pratique, sont les hypothèses où le juge estime
possible de diviser le dommage, la personne publique étant certes tenue de réparer dans son intégralité, et sans pouvoir
s'exonérer en invoquant le fait d'un tiers, la fraction du dommage qu'elle a causée, mais cette fraction seulement. Ce faisant,
le juge n'apporte aucun tempérament formel aux principes exposés plus haut. Cependant, comme il est pratiquement très
difficile de partager le dommage, tout se passe comme si le Conseil d'État retenait dans certaines espèces une théorie de la
causalité adéquate. Ainsi :

- CE 26 oct. 1983, SA Deruelle, req. n o 39216, inédit : l'inondation à l'origine du dommage aurait eu cet effet même si le
débouché d'un pont avait été suffisant pour permettre l'écoulement des eaux ; seule la part du dommage correspondant à
l'aggravation causée par cet ouvrage peut être mise à la charge de la commune qui en est propriétaire ; en l'espèce, part
évaluée aux 3/5 ;

- CE 26 févr. 1982, Cne de Sorbo Ocagnono, req. n o 16901, inédit : inondation imputable pour partie aux travaux de réfection
d'un pont sur un chemin rural de la commune qui franchissait un canal, et pour le surplus à l'insuffisance de ce canal :
responsabilité de la commune engagée à 75 % ;

- CE 24 mars 1976, Entreprise Bec, req. n o 92804, inédit : restes d'un batardeau posé par une entreprise ayant joué le rôle
d'un butoir que les eaux d'une rivière sont venues heurter avant de déborder : le juge apprécie pour chaque propriétaire
inondé le rôle qu'ont joué les restes du batardeau dans l'aggravation de l'inondation de leurs terres ;

- CE 18 déc. 1989, Synd. intercommunal pour l'entretien de la rivière « La Juine » et ses affluents c/ Mme Poupinel-Mesnier,
Lebon T. 691 : désordres affectant une propriété dus pour une part à la montée générale des eaux d'une rivière, pour une
autre part aux travaux de curage effectués par un syndicat intercommunal, à l'égard desquels la propriétaire a la qualité de
tiers ; responsabilité du syndicat fixée au tiers ;

- CE 22 avr. 1992, Assoc. syndicale autorisée des irrigants de la Vallée de La Lèze et Synd. intercommunal d'aménagement de
La Lèze c/ Gaillard, req. n o 72441 , Lebon T. 991 et 992 : dommages dus à divers travaux de curage, le propriétaire
ayant la qualité d'usager à l'égard de certains de ces travaux et la qualité de tiers à l'égard des autres ; le syndicat, qui n'a
pas commis de faute, n'est responsable que de la fraction des dommages, évaluée à 10 %, qui résulte des travaux à l'égard
desquels le propriétaire a la qualité de tiers.

On peut donc estimer que lorsque le défendeur invoque, sinon le fait d'un tiers, au moins la circonstance que lui-même ou sa
chose n'a fait qu'aggraver le dommage, qui se serait produit de toute façon, le juge ne le condamnera qu'à proportion de son
influence dans la survenance de ce dommage.

§ 3 - Applications jurisprudentielles
A. - Travaux publics
102. C'est principalement quand il se trouve dans des cas de responsabilité de travaux publics que le juge déniera tout effet
exonératoire au fait du tiers. On sait que la responsabilité de l'entrepreneur ou du maître de l'ouvrage est engagée sur le
fondement du risque vis-à-vis des tiers victimes. Quant à la responsabilité vis-à-vis des usagers, on sait également que, si la
doctrine considère en général qu'elle est elle aussi fondée sur le risque, certains auteurs y voient plutôt un régime de
présomption de responsabilité. Nous nous garderons d'entrer dans ces controverses, sans objet ici dès lors que, quelle que
soit la situation de la victime vis-à-vis de l'ouvrage, on peut affirmer que le défendeur ne peut s'exonérer de sa responsabilité
en invoquant le fait d'un tiers.

1 0 3 . On se contentera de donner des exemples d'une jurisprudence trop abondante pour se prêter à une recension
exhaustive :

- CE, ass., 9 janv. 1976, Min. Aménagement du territoire, équipement, logement et tourisme c/ Dame Berkow itz, Lebon 21 :
accident causé par la présence sur la chaussée d'un tronçon de balise provenant de l'accotement où il était abandonné depuis
une longue période ; responsabilité de l'État non atténuée par le fait que cet obstacle a été placé sur la chaussée la nuit
précédente par un tiers non identifié. - Comp. avec les espèces citées supra, n o 99 ;

- CE 30 nov. 1979, Ville de Joeuf, Lebon T. 912 : ni la faute d'un tiers automobiliste ni le fait de l'administration des Ponts et
Chaussées n'exonèrent une ville de la responsabilité qu'elle encourt à l'égard d'un usager victime du défaut d'entretien
normal de la voie ;

- CE, sect., 26 mars 1965, Sté des eaux de Marseille, Lebon 212 : victime de l'accident causé par la présence sur la route
nationale d'une nappe verglacée provenant du débordement d'une rigole d'arrosage : la circonstance que la rigole aurait été
obstruée par le fait d'un tiers ne produit pas d'effet exonératoire ;

- CE 5 oct. 1966, Del Carlo, Lebon 522 : collision de deux véhicules privés sur un pont à voie unique, due au mauvais
fonctionnement d'un appareil de signalisation : fait du tiers non exonératoire de la responsabilité de l'État ;

- CE 28 janv. 1983, Sté Estérel-Côte d'Azur, req. n o 20177, inédit : inondation trouvant son origine dans la présence d'un
obstacle, provenant de l'accumulation de gravats, dans une rigole d'évacuation ; la société concessionnaire maître d'ouvrage
ne peut s'exonérer en invoquant la présence, parmi les gravats, de débris divers provenant de fonds privés ;

- CE 21 janv. 1983, Cne de Villeneuve-lès-Avignon, req. n o 24400, inédit : inondation ayant pour origine le ruissellement
d'eaux en provenance d'une voie communale ; la commune ne peut s'exonérer en invoquant la faute d'un lotisseur qui n'aurait
pas respecté la pente prévue au cahier des charges pour éviter ce ruissellement ;

- CE 3 oct. 1979, Ville de Cabourg c/ Épx Vigan, Lebon 361 : accident survenu à une jeune enfant tombée d'un toboggan, et
aggravé par la présence de débris de toute nature au pied de cet ouvrage ; cet accident est imputable à un défaut
d'aménagement de l'ouvrage ; dès lors, la ville ne peut invoquer ni la circonstance que l'accident a été provoqué par la
maladresse d'un autre enfant, ni, dans ses rapports avec la victime, le fait qu'un organisme d'HLM aurait manqué à
l'engagement qu'il avait pris de faire procéder au nettoyage du terrain sur lequel était installé l'ouvrage ;

- CE 18 févr. 1987, Sté Emery et Gaz de France, Lebon 64 ; Dr. adm. 1987, n o 202 : Gaz de France, qui a exécuté des travaux
publics ayant causé des dommages à une voie ferrée, ne peut utilement invoquer, pour atténuer sa responsabilité à l'égard
de la SNCF, la circonstance, imputable à un tiers, que les dommages auraient été aggravés par le mauvais fonctionnement du
système de drainage des eaux d'une autoroute voisine ;

- CE 24 janv. 1990, Université des sciences et techniques de Lille I, req. n o 69947 , Dr. adm. 1990, n o 164 : personne ayant
fait une chute mortelle dans la cage d'un ascenseur dont elle avait pu ouvrir la porte palière alors que la cabine n'était pas
présente à l'étage : la responsabilité du maître de l'ouvrage est engagée sans qu'il puisse invoquer utilement la faute d'un
tiers ;

- CE 31 juill. 1996, Fonds de garantie automobile, req. n o 129158 , Lebon T. 337 ; CJEG 1997. 149, concl. Stahl ; RFDA
1996. 1041 : M. B. ayant fait un écart pour éviter une tranchée ouverte dans la chaussée par Gaz de France, a heurté le
véhicule de Mme M. et a été condamné par le tribunal correctionnel à lui verser une indemnité ; le Fonds de garantie
automobile, qui compte tenu de son insolvabilité a acquitté cette somme à sa place, se retourne contre GDF ; estimant à tort
que le fonds agissait comme subrogé de M. B., la cour administrative d'appel lui avait opposé la faute commise par celui-ci ; le
Conseil d'État rappelle que le fonds est subrogé dans les droits de Mme M., et qu'en l'absence d'entretien normal la
responsabilité de l'entreprise publique est engagée à l'égard de cette dernière sans qu'elle puisse invoquer le fait d'un tiers.

1 0 4 . Rapports entre victime, maître de l'ouvrage et entrepreneur. - On renvoie sur ce sujet à la rubrique Trav aux publics
(Dom m ages de). On rappellera seulement que la victime peut agir contre le maître de l'ouvrage, contre le maître d'oeuvre, et
contre l'architecte en attaquant l'un d'eux séparément ou en demandant leur condamnation solidaire, sans que ceux-ci
puissent utilement s'exonérer de leur responsabilité en invoquant une faute des autres.

B. - Dommages causés par des mineurs faisant l'objet de mesures de placement ou par des aliénés
bénéficiant de permissions de sortir
105. Le fait d'un tiers n'a pas non plus d'effet exonératoire lorsque la responsabilité de l'État est engagée à raison du risque
spécial que cause aux tiers le recours à des méthodes de rééducation fondées sur un régime de liberté surveillée, dès lors
que ces méthodes s'appliquent à des mineurs délinquants placés au titre de l'ordonnance n o 45-174 du 2 février 1945 relative
à l'enfance délinquante (V. C. pén. Dalloz) (V. CE 14 juin 1978, Garde des Sceaux min. Justice c/ Mutuelle générale française
accident et autre, Lebon 258 : la circonstance que les dommages causés par de tels mineurs seraient également imputables à
un mineur qui n'a pas été placé au titre de cette ordonnance ne supprime ni ne restreint cette responsabilité. - 5 oct. 1979,
Min. Justice c/ Treich, Lebon T. 884 : même solution).

106. À ce régime fondé sur le risque s'ajoute désormais une responsabilité sans faute des personnes publiques auxquelles le
juge a confié la garde d'un mineur, que ce soit dans le cadre d'une mesure d'assistance éducative prévue par l'article 375 du
code civil (CE, sect., 11 févr. 2005, GIE Axa Courtage, Lebon 45, concl. Devys ; AJDA 2005. 663 , chron. Landais et Lenica
; RFDA 2005. 595, concl ., et p. 602, note Bon . - CAA Lyon, 29 déc. 2005, Mme Stéphanie Chevalier, req. n o 02LY01170,
Lebon T. 1086 ; AJDA 2006. 1178 . - CE 13 févr. 2009, Dpt de Meurthe-et-Moselle, req. n o 294265 , Lebon T. 632 )
ou, s'agissant des mineurs délinquants, sur le fondement de l'ordonnance de 1945 (CE, sect., 1 er févr. 2006, Garde des
Sceaux c/ MAIF, req. n o 268147 , Lebon 42, concl. Guyomar ; AJDA 2006. 586 , chron. Landais et Lenica . - CE
13 nov. 2009, Garde des sceaux c/ Assoc. tutélaire des inadaptés, req. n o 306517 , Lebon 461 ; AJDA 2009. 2144 ).
L'obligation de réparer les dommages causés par le mineur découle du fait que le service ou l'établissement s'est vu confier
par le juge la responsabilité d'organiser, de diriger et de contrôler sa vie. Le fait du tiers n'est pas exonératoire : la
responsabilité de la personne publique investie de la garde n'est susceptible d'être atténuée ou supprimée qu'en cas de force
majeure ou de faute de la victime (CE, sect., 11 févr. 2005, GIE Axa Courtage, préc.). Il en va de même lorsque le président du
conseil général admet, en application de l'article L. 222-5, 1 o du code de l'action sociale et des familles, la prise en charge d'un
mineur par le service de l'aide sociale à l'enfance du département (CE 26 mai 2008, Dpt des Côtes d'Armor, req. n o 290495 ,
Lebon T. 609 ).

On relèvera que, s'agissant des mineurs délinquants, l'action ouverte contre l'établissement où le mineur a été placé ne fait
pas obstacle à ce que soit également recherchée la responsabilité de l'État au titre du risque spécial créé par la mesure de
liberté surveillée qui a permis le placement. Si l'établissement a dédommagé la victime et exerce une action en garantie contre
l'État, il pourra obtenir le remboursement des sommes versées, sous réserve des fautes qu'il aurait commises et qui auraient
concouru à la réalisation du dommage (V. en ce sens l'arrêt préc. Garde des Sceaux c/ MAIF du 1 er févr. 2006).

107. Quand un aliéné interné sur décision du préfet ou à la demande de ses proches cause des dommages à des tiers à
l'occasion d'une permission de sortir, l'établissement où il est hospitalisé est tenu d'une responsabilité sans faute justifiée par
le risque spécial créé par cette permission (CE, sect., 13 juill. 1967, Dpt de la Moselle, Lebon 341). La victime pourra
rechercher cette responsabilité, sans que l'hôpital puisse échapper à son obligation en invoquant la faute commise par
l'aliéné. Toutefois, la victime pourra choisir de rechercher la responsabilité civile de l'aliéné en invoquant l'article 489-2 du code
civil (« Celui qui a causé un dommage à autrui alors qu'il était sous l'empire d'un trouble mental, n'en est pas moins obligé à
réparation »). Si l'aliéné est condamné par le juge civil, son assureur, après avoir dédommagé la victime, peut-il intenter
devant le juge administratif une action contre l'hôpital sur le fondement de la jurisprudence Département de la Moselle ? En
théorie oui, car il se trouve subrogé non seulement dans les droits de l'aliéné, mais aussi dans ceux de la victime, qui
disposait de cette action. Cependant, la faute commise par l'aliéné sera opposable à l'assureur, même dans le cadre de sa
subrogation dans les droits de la victime (V., rejetant l'action de l'assureur au motif que la faute commise par le malade mental
en allumant un incendie exonère totalement l'hôpital, CE 30 avr. 2003, Cie Préservatrice foncière assurances, req. n o 212113
, JCP A 2003. 1572, note Moreau [l'arrêt est mentionné au Lebon T. 986, sous la réf. erronée Sté Sovico]).

C. - Agents et collaborateurs occasionnels de l'administration


108. La solution devrait être la même s'agissant des collaborateurs occasionnels de l'administration, dont la responsabilité
est engagée à l'égard de ces derniers sur le fondement du risque. Les auteurs avancent en général cette opinion avec
prudence (V. PRÉVOST, La notion de collaborateur occasionnel et bénévole du service public, RD publ. 1980. 1071). En réalité,
la jurisprudence nous semble apporter plus que des indications en ce sens : ainsi, les considérants statuant sur la
responsabilité de l'administration prennent bien soin de réserver comme circonstance exonératoire la force majeure et la faute
de la victime, sans jamais mentionner le fait éventuel d'un tiers ; les faits révèlent d'ailleurs souvent une faute de la personne
secourue (qui est un tiers à l'instance), sans que le Conseil d'État en tire aucune conséquence. Il est vrai qu'il ne pourrait le
soulever d'office (V. par ex. : CE, sect., 25 sept. 1970, Cne de Batz-sur-Mer et Dame Vve Tesson, Lebon 540 : personne
secourue s'étant baignée en un lieu et à une époque excluant les baignades). Dans ses conclusions dans l'affaire Gaillard (CE
9 oct. 1970, Lebon 565), M. ROUGEVIN-BAVILLE affirmait que « la faute de la Dame Beauvais [la personne secourue] n'est pas
non plus inconcevable ; mais il s'agit de celle d'un tiers, et elle pouvait tout au plus donner lieu à une action récursoire de la
commune, à moins que celle-ci ne préfère agir comme subrogée aux droits que le sieur Gaillard [la victime] aurait pu tirer de la
“convention d'assistance” ».

109. En outre, il ressort clairement du rapprochement d'une décision du Conseil d'État du 31 mars 1985 (Cne de Bricy, Lebon
216) avec le jugement de première instance (TA Orléans, 11 juin 1963, Dame Vve Villedieu, Lebon 720) que la règle s'applique
bien à ce type de responsabilité : la commune invoquait la faute des parents de l'enfant secouru, donc le fait d'un tiers ; le
tribunal juge que, cette faute fût-elle établie, « cette circonstance ne serait pas de nature à exonérer la commune de sa
responsabilité ». En appel, le Conseil d'État confirme implicitement cette solution.

On peut également citer : CE 10 déc. 1969, Simon, Quarteron et Visserias, Lebon 567 : collaborateurs occasionnels du service
municipal de lutte contre les inondations ; commune responsable alors même que la réquisition aurait émané d'une autre
autorité que le maire et serait intervenue en exécution du plan ORSEC mis en oeuvre par le préfet ; toutefois, dans cette
espèce, il s'agit à notre avis d'un problème d'imputabilité, c'est-à-dire de détermination de la personne publique responsable,
et non d'une question de fait du tiers (V. Collaborateurs occasionnels ou bénév oles du serv ice public).

110. Il faut par ailleurs relever que, depuis l'abandon partiel de la règle du forfait de la pension, les agents publics ayant subi
en service des dommages corporels peuvent, dans certaines limites, rechercher la responsabilité de la collectivité qui les
emploie. Le caractère exonératoire du fait du tiers dépendra du fondement de l'action engagée.

Rappelons que la jurisprudence avait affirmé dès 1895 l'obligation des collectivités publiques, en l'absence même de toute
faute de leur part, de réparer les conséquences des accidents de service (CE 21 juin 1895, Cames, Lebon 509, GAJA, 15 e éd.,
n o 6, p. 39). Mais le Conseil d'État a ensuite considéré qu'en instituant un régime de pensions d'invalidité, le législateur avait
entendu réparer forfaitairement les préjudices corporels résultant de ces accidents, ce qui excluait l'exercice d'une action
indemnitaire. Sans abandonner entièrement cette analyse, le Conseil d'État y a apporté en 2003 deux tempéraments
importants (CE, ass., 4 juill. 2003, Mme M.-C., Lebon 323, concl. Chauvaux ; AJDA 2003. 1598 , chron. Donnat et Casas
; RFDA 2003. 991, concl. Chauvaux , et p. 1001, note Bon ; AJFP 2003. 25, note Deliancourt ).

En premier lieu, la pension d'invalidité ne répare que la perte de capacité de travail, c'est- à-dire le préjudice consistant dans
l'atteinte à l'intégrité physique proprement dite, et non les souffrances physiques et morales que l'agent a pu endurer à la
suite de l'accident, ni ses préjudices esthétique et d'agrément. Par suite, celui qui a subi de tels dommages peut toujours
demander que son employeur lui verse à ce titre une indemnité s'ajoutant à la pension. Cette action, qui trouve son
fondement dans la jurisprudence Cames, s'inscrit dans le cadre de la responsabilité sans faute. L'employeur ne pourra donc
échapper à sa responsabilité en faisant valoir que l'accident trouve son origine dans le fait d'un tiers.

En second lieu, la forfaitisation ne concerne que la responsabilité sans faute au titre des risques professionnels. Par suite, si
l'agent mis à la retraite pour invalidité estime que l'accident trouve son origine dans une faute de son employeur, il peut
désormais engager à l'encontre de celui-ci une action tendant à la réparation intégrale de tous ses chefs de préjudice, y
compris l'atteinte à son intégrité physique, dans la mesure où ils ne sont pas réparés par la pension. L'action étant fondée sur
la faute, le fait du tiers devrait être exonératoire.

D. - Transfusion sanguine
111. Les centres de transfusion sanguine sont responsables, même en l'absence de faute de leur part, des conséquences
dommageables de la mauvaise qualité des produits qu'ils fournissent (CE, ass., 26 mai 1995, Cts N'Guyen, Lebon 221). Or,
il peut arriver qu'une personne reçoive lors d'un séjour à l'hôpital des produits sanguins fournis par plusieurs centres de
transfusion. Avant la création de l'Établissement français du sang par l'article 18 de la loi n o 98-535 du 1 er juillet 1998
(D. 1998. 230), chacun de ces centres était doté de la personnalité morale, certains relevant du droit public et d'autres du
droit privé. Cette situation était de nature à rendre difficile, voire impossible, l'action en réparation du patient qui, à la suite de
son hospitalisation, se révélait porteur d'un agent infectieux, dans des conditions permettant d'affirmer que sa contamination
s'était produite à l'occasion des transfusions, sans qu'il fût possible d'identifier le centre ayant fourni les produits viciés.

1 1 2 . La difficulté a été résolue en permettant au patient de poursuivre devant le juge administratif l'un quelconque des
centres de transfusion publics ayant livré les produits sanguins utilisés par les médecins. À moins qu'il ne soit en mesure de
prouver l'innocuité des produits qu'il a lui-même fournis, ce centre est tenu de réparer l'ancien dommage, à charge pour lui
d'appeler les autres centres publics en garantie devant le juge administratif et d'exercer le cas échéant une action récursoire
devant le juge judiciaire à l'encontre des centres privés ayant également fourni des produits (CE 15 janv. 2001, Assistance
publique-Hôpitaux de Paris c/ Mme Shames, req. n o 208958 ). Cette solution paraît reposer sur l'idée que lorsqu'il est
acquis que la contamination est liée aux transfusions, sans qu'il soit possible d'identifier les produits qui l'ont causée, il faut
considérer que l'ensemble des produits administrés au patient étaient contaminés. Étant regardé comme responsable, chacun
des centres fournisseurs est tenu de réparer l'entier dommage, sans pouvoir s'exonérer en invoquant le fait du tiers, en
l'espèce les autres centres ayant livré des produits.

E. - Accidents du travail
113. En définitive, le seul cas où, en matière de responsabilité sans faute, le fait du tiers produise un effet exonératoire nous
semble recouvrir l'hypothèse déjà évoquée (V. supra, n o 90) dans laquelle, les deux coauteurs du dommage étant
l'employeur de la victime et une autre personne seule mise en cause, cette dernière se voit privée par l'article L. 451-1 du
code de la sécurité sociale d'un recours contre l'employeur, légalement exonéré après versement des cotisations ; condamner
pour le tout un défendeur privé de recours contre l'autre coauteur a semblé trop sévère à la fois à la Cour de cassation et au
Conseil d'État. Depuis un arrêt de section du 15 juillet 1959 (EDF c/ Dame Vve Cornu et Caisse régionale de sécurité sociale
du Sud-Est, Lebon 471), celui-ci a admis que lorsqu'un dommage de travaux publics a le caractère d'un accident du travail, « la
faute de l'employeur, dans la mesure où elle a contribué à produire le dommage, a pour effet d'atténuer dans la même
mesure la responsabilité encourue par le maître de l'ouvrage, tiers responsable de l'accident ». Dans cette espèce, la victime
était un tiers par rapport à l'ouvrage, cause du dommage (une ligne à haute tension d'EDF), et la responsabilité de cet
établissement public était bien engagée sans faute à son égard : cette hypothèse est donc à distinguer de celle issue de la
jurisprudence citée supra, n o 90 (CE, sect., 19 mai 1961, Chambre de commerce de Nantes, Lebon 351) où la victime avait la
qualité de participant à un travail public, et devait donc prouver la faute du maître de l'ouvrage.

§ 4 - Actions récursoires
1 1 4 . La personne mise en cause et condamnée pour le tout peut appeler en garantie les autres responsables (pour le
règlement définitif du partage de responsabilité entre maître de l'ouvrage, architecte et entrepreneur dans le cas de
dommages de travaux publics, V. Trav aux publics [Dom m ages de]). Lorsque le juge administratif n'est pas compétent pour
connaître des conclusions dirigées contre le garant, la personne condamnée dispose toujours d'une action récursoire devant
la juridiction judiciaire ; la plupart du temps, le juge administratif subordonnera le versement de l'indemnité à laquelle il a
condamné la personne mise en cause devant lui à sa subrogation dans les droits que pourrait faire valoir la victime contre le
tiers devant la juridiction judiciaire (CE 5 oct. 1966, Del Carlo, Lebon 522. - CE, sect., 25 févr. 1972, Cie générale de travaux
hydrauliques, Lebon 168).

Chapitre 4 - Fait de la victime


115. On peut énoncer le principe que le fait de la victime exonère totalement ou partiellement le défendeur, cela quel que soit
le fondement de la responsabilité : faute ou risque. La question revêt un grand intérêt pratique ; en effet, ainsi que le
relèvent H., L. et J. MAZEAUD (op. cit., n o 1447), « on peut affirmer que, dans l'immense majorité des cas, la victime participe à
la réalisation du dommage qui l'atteint : son fait, qu'il soit fautif ou non et qu'il constitue une action ou une abstention, figure,
à côté de la faute du défendeur, parmi les causes du préjudice ; il arrive même que ce fait constitue la cause unique du
dommage ».

116. Relevons que la qualification de fait de la victime revêtant un caractère exonératoire, comme celle de fait du tiers, est
contrôlée en cassation (CE, sect., 26 juin 1992, Cne de Béthoncourt c/ Cts Barbier, req. n o 114728 , Lebon 268, concl. Le
Chatelier ; AJDA 1992. 650, chron. Maugüé et Schw artz ; JCP 1992. IV. 2187, obs. Rouault. - V., censurant la qualification
retenue par la cour administrative d'appel, CE 23 févr. 1994, Kurylak, req. n o 132648 , Le bo n T. 1184. - 17 juin 1998,
Épx Pham, req. n o 167859 , Lebon 237).

Pour que le juge de cassation puisse exercer son contrôle, la cour doit relever avec précision les circonstances qui établissent
à ses yeux l'existence d'une faute de la victime, sans quoi son arrêt serait entaché d'une insuffisance de motivation (CE 9 juill.
1997, CPAM de Maubeuge c/ Chaib et Mlle Lallau, req. n os 151599 et 151674 , Lebon T. 1039. - 29 juin 1994, Dpt de
la Gironde, req. n o 140383 , inédit, censurant un arrêt qui se bornait à énoncer qu'un éducateur d'un foyer pour enfants
avait « exercé une surveillance insuffisante »).

117. En revanche, la détermination de la part de responsabilité conservée par l'administration (donc celle du pourcentage de
l'exonération) résulte d'une appréciation souveraine des juges du fond (arrêt préc. Cne de Béthoncourt). Cela ne paraît pas
exclure, à titre exceptionnel, que le juge de cassation censure une dénaturation des éléments de la cause (V., retenant une
dénaturation dans un cas où la cour administrative d'appel avait considéré que le comportement de la victime était totalement
exonératoire, CE 4 avr. 1997, Kaandorp, req. n o 146675 , Lebon T. 1043).

Depuis cet arrêt, le Conseil d'État a jugé que l'appréciation, selon laquelle l'accident dont a été victime l'usager d'un ouvrage
public est uniquement imputable à son imprudence et n'engage donc pas la responsabilité du maître de l'ouvrage, est
contrôlée en cassation (CE 20 juin 2007, Boutin, req. n o 256974 , Lebon T. 1047 ). Une telle appréciation implique en
effet la négation de tout lien de causalité directe entre l'ouvrage et l'accident (V. infra, n o 153). Or le caractère direct du lien
de causalité est contrôlé au titre de la qualification juridique (CE 26 nov. 1993, req. n o 108851 , SCI Les Jardins de
Bibémus, Lebon 327 ). Au bénéfice de ce raisonnement, l'exonération totale de responsabilité semble donc pouvoir être
discutée en cassation.

Section 1 - Caractère du fait de la victime


Art. 1 - Caractère de la victime
118. Si la notion de victime n'appelle pas de développement particulier, il faut noter que le juge administratif comprend dans
le fait de la victime, non seulement le comportement du demandeur, mais encore celui des personnes qui peuvent l'engager
(sur la distinction entre victime et tiers, V. supra, n o 55).

1 1 9 . Ainsi, la faute du conducteur est opposable à la personne transportée demanderesse (V. CE 27 janv. 1965, Morard,
Lebon 57 : faute du conducteur établie et venant en atténuation de la responsabilité de l'État : « La responsabilité encourue
par l'État ne saurait être engagée à l'égard du sieur Morard, tiers transporté, que dans la mesure où l'accident est imputable
à un défaut d'entretien normal de la voie ; dès lors, le requérant n'est pas fondé à se prévaloir de ce qu'il n'a personnellement
commis aucune faute, le véhicule étant conduit par le sieur Bletton, pour soutenir que le partage de responsabilité résultant
des fautes retenues à la charge de ce dernier, ne lui est pas opposable ». - CE, ass., 9 juin 1972, Dame Vve Allemand, Lebon
430 : même solution).

120. La faute de la victime est opposable à ses parents (V. CE 9 juin 1971, Entreprise Lefebvre, Lebon 424 : explosion de gaz
provoquée par la rupture d'une canalisation de gaz ; la responsabilité de l'entreprise à laquelle la rupture est imputable est
atténuée par l'imprudence de la victime, qui a enflammé une allumette alors que son attention avait été attirée par une odeur
anormale de gaz ; cette imprudence est également opposable à ses parents, avec lesquels il habitait). Dans des
circonstances d'espèce identiques, la faute de la victime est opposable à sa veuve (CE 18 nov. 1970, Dame Vve Picard et
Goux, Lebon 687).

121. La faute de l'assuré est opposable à l'assureur qui, après avoir indemnisé son client, se retourne contre la personne
responsable : en effet, la subrogation dont l'assureur dispose dans les droits de son client ne peut évidemment s'exercer que
dans la limite de ceux-ci (CE, sect., 13 oct. 1972, Caisse régionale de réassurances mutuelles agricoles de l'Est, Lebon 635. -
1 er oct. 1976, Cie d'assurances La concorde et Épx Richard, Lebon 388. - 2 juill. 1976, Cie d'assurances La nationale, Lebon
347).

122. La faute de l'employeur est opposable à la veuve de la victime (CE 24 mars 1976, Dame Vve Thiemard, Lebon 179 :
éboulement d'une carrière ayant causé la mort du mari de la requérante, imputable à une faute lourde du service des mines
qui s'est abstenu de procéder à tout contrôle sérieux ; toutefois, la responsabilité de l'État est atténuée de moitié par la faute
de l'exploitant, employeur de la victime, qui n'a pas prévenu les services des mines de l'effritement des galeries).

123. La faute du préposé est opposable à l'employeur (CE 29 avr. 1957, Sté commerciale de l'Ouest africain, Lebon 271 :
détournement de fonds appartenant à la requérante avec la complicité d'un agent des Postes et télécommunications : la
responsabilité de la puissance publique est dégagée dès lors que l'escroquerie n'a été rendue possible que par la faute du
préposé de la requérante).

124. Enfin, la victime peut se voir opposer la faute d'une entreprise travaillant pour son compte (CE 18 mai 1988, Sté des
eaux de Marseille, Lebon T. 1016 ). Ainsi, la faute d'un transporteur maritime équivaut à la faute du propriétaire des
marchandises transportées et peut être opposée à celui-ci et à son assureur (CE 22 nov. 1972, Cie d'assurances Le Soleil,
Lebon 752. - 13 mars 1981, Sté mutuelle CIAM et autres, Lebon T. 954 : dans ces deux espèces, rejet de la demande des
assureurs, le dommage étant uniquement imputable à une faute du transporteur).

Art. 2 - Caractère des agissements de la victime


125. Les agissements de la victime de nature à atténuer la responsabilité du défendeur auront le plus souvent un caractère
fautif : aussi bien l'usage est-il de parler de la faute de la victime comme cause exonératoire. Toutefois, le simple fait de la
victime suffit parfois, en dehors de toute faute de celle-ci, pour dégager partiellement ou totalement la responsabilité du
demandeur (sur la distinction entre fait et faute de la victime, V. PAYRE, Faute et fait de la victime dans le contentieux de la
responsabilité administrative extra-contractuelle, AJDA 1980. 398).

Bien évidemment, pour que la faute ou le fait de la victime soit exonératoire, il faut qu'il ait pu contribuer au dommage. Ainsi,
une commune ne peut utilement, pour s'exonérer de sa responsabilité au titre des dégâts causés dans un jardin par les
racines d'arbres plantés sur la voie publique, invoquer le refus du propriétaire de faire procéder à un traitement chimique du
sol, alors que le dommage s'est trouvé constitué antérieurement à ce refus (CE 4 mars 2009, Épx Bordères, req. n o 305080
, AJDA 2009. 1027 ).

§ 1 - Faute de la victime
1 2 6 . Le plus souvent, l'agissement de la victime aura un caractère fautif. Si l'on définit classiquement la faute comme le
manquement à une obligation préexistante, et si l'on admet avec J. MOREAU (op. cit., p. 199) que cette obligation est celle de
se conduire avec prudence et diligence, en bon père de famille, on en tirera la conclusion qu'une simple imprudence de la
victime suffit à atténuer, ne fût-ce que partiellement, la responsabilité de l'administration défenderesse. En ce sens, la
distinction entre faute et simple imprudence de la victime n'a pas grand sens.

127. La violation de cette obligation est parfois facile à déterminer, ainsi dans le cas où la cause exonératoire réside dans la
violation d'une obligation légale par la victime. Voir :

- CE 13 juill. 1966, Ville d'Albi c/ Alquier, Lebon 510 : à supposer que le fonctionnement des signaux lumineux à un carrefour
où le requérant a commis son infraction au code de la route ait été défectueux, le requérant doit supporter le dommage causé
par le paiement des amendes infligées à la suite de ces infractions ;

- CE 18 janv. 1967, Min. Armées, Lebon T. 932 : société devant, en l'espèce, supporter toutes les conséquences
dommageables de l'infraction qu'elle a commise ;

- CE 10 juill. 1970, Épx Barillet, Lebon 496 : requérants ayant entrepris de construire, sans avoir obtenu l'arrêté d'alignement
que les dispositions de leur permis de construire leur prescrivaient de solliciter ; dans ces conditions, et quelles qu'aient été
les fautes commises par l'administration, le préjudice est exclusivement imputable à la faute qu'ils ont eux-mêmes commise.

1 2 8 . Lorsque l'obligation n'est pas sanctionnée par une norme juridique, sa violation et, partant, le caractère fautif de
l'agissement de la victime sont plus difficiles à établir. Le plus souvent, et suivant en cela une méthode pratiquée par les juges
judiciaires pour l'application de l'article 1382 du code civil, le juge administratif va comparer le comportement de la victime à un
type abstrait idéal ; il y aura faute dès que l'on constatera une déviance par rapport à un type abstrait. Dans son ouvrage (op.
cit., n os 228 s.), J. MOREAU trace ainsi une réjouissante galerie de portraits du professionnel idéal, du propriétaire idéal, de
l'administré idéal et de l'enfant idéal (V. aussi, du même auteur, J.-Cl. Adm., fasc. 830, n os 69 s.). On se bornera ici à extraire
quelques exemples d'une jurisprudence innombrable.

On relèvera que l'administration idéale pourrait être ajoutée à la liste. En effet, quand une collectivité, par exemple une
commune, recherche la responsabilité d'une autre collectivité, les fautes de ses propres représentants peuvent lui être
opposées. Ainsi, la carence du maire qui n'a pas informé le préfet des manquements graves et répétés de l'exploitant d'une
installation classée et n'a pas fait usage de ses propres pouvoirs de police est de nature à atténuer la responsabilité de l'État
au titre de la carence des services préfectoraux dans leur mission de contrôle (CE 13 juill. 2007, Cne de Taverny, req.
n o 293210 , AJDA 2007. 1774 ). En revanche, ne commet pas une faute le maire qui accepte sous la pression de signer
avec l'État une convention mettant à la charge de la commune une partie du coût de fouilles archéologiques dans des terrains
communaux, alors que cette dépense incombait à l'État (CE 11 mai 2009, Ville de Toulouse, req. n o 296919 , Lebon 190,
concl. Dacosta ).

A. - L'usager et le riverain idéaux des ouvrages publics


129. Si la responsabilité du maître de l'ouvrage est engagée en l'absence de faute envers l'usager victime d'un dommage -
sauf preuve de l'entretien normal de l'ouvrage -, cette responsabilité est très souvent atténuée par l'imprudence de la
victime.

Il en va ainsi en particulier des usagers, piétons et automobilistes, de la voie publique :

- piéton traversant une route nationale sans prêter suffisamment attention aux véhicules et à un endroit dangereux : partage
par moitié (CE 25 févr. 1983, Cauvin, Lebon T. 865) ;

- imprudence du conducteur qui, circulant en hiver sur une route étroite et sinueuse, a négligé de prendre toutes les
précautions exigées par les circonstances : responsabilité de l'État pour le tiers seulement (CE 10 juin 1981, Min. Transports
c/ Marot, Lebon T. 954) ;

- conducteur ayant perdu le contrôle de son véhicule, en l'absence de tout obstacle, en l'engageant sur le terre-plein central :
responsabilité de l'État limitée au quart (CE 5 déc. 1980, Lacoste, Lebon T. 919) ;

- cyclomotoriste renversé par une voiture venant de sa droite, alors qu'il s'était engagé dans un carrefour dont les feux de
signalisation ne fonctionnaient plus : toutefois, eu égard à l'imprudence de la victime, qui s'est engagée dans ce carrefour
sans s'assurer qu'aucun véhicule ne venait, responsabilité de la commune limitée au quart (CE 25 juill. 1980, Moussa Ben Ali
Lemouchi, Lebon T. 920) ;

- cyclomoteur roulant sans nécessité sur la bande blanche discontinue marquant la limite de la chaussée : maître de l'ouvrage
entièrement exonéré (CE 9 mai 1980, Perrier, Lebon T. 920) ;

- visiteur d'une ruine qui s'écarte du cheminement normal et ne tient pas compte des signes visibles de vétusté présentés par
un mur : commune exonérée de la moitié de sa responsabilité au titre du défaut de signalisation du danger (CE 20 juin 2007,
B., req. n o 256974 , AJDA 2007. 1769, obs. Delhoste ).

En revanche, ne commet aucune faute une personne circulant à cyclomoteur dans Paris à une vitesse normale ayant, alors
qu'elle n'avait entrepris aucune manoeuvre imprudente ou dangereuse, dérapé sur une plaque de verglas qui, bien que le
temps fût sec, s'était formée à la suite de travaux de nettoyage de la voie (CE 2 juill. 1980, Mme Madore, Lebon T. 919).

Pour des cas où l'accident est lié au mauvais fonctionnement de feux de signalisation, V. CE 6 juill. 1988, Ville de Saint-Maur-
des-Fossés, Lebon T. 1061 . - CE 6 juill. 1988, Martin (ibid.). Pour un accident sur une route forestière, V. CE 28 sept. 1988,
Office national des forêts c/ Mlle Dupouy, Lebon 117 ; AJDA 1989. 47, obs. Auby ; JCP 1989. II. 21234, note Davignon.

Pour des imprudences commises par les usagers de pistes de ski, V. CE 26 févr. 1976, Cne des Contamines-Montjoie, Lebon T.
1129. - 27 juin 1986, Grospiron c/ Cne de Val-d'Isère, D. 1987. 113, note Excoffier. - 8 déc. 1989, Oddes, RD publ. 1990.
1190. - V. aussi MARILLIA, La responsabilité des communes et des autres collectivités publiques en matière de ski : les 20 ans
de l'arrêt Lafont, Gaz. Pal. 1987. 1. Doctr. 302.

130. On peut donc dire en général que, lorsque l'usager de la voie publique ne fait pas de celle-ci un usage conforme à sa
destination, la responsabilité du propriétaire de la voie sera atténuée à due concurrence. Comme la notion d'entretien normal,
celle d'usage normal, qui lui est symétrique, est relative et varie en fonction des circonstances de temps et de lieu, et en
fonction de la nature de la voie : la prudence requise d'un automobiliste circulant de nuit sur une route de montagne sinueuse
et verglacée n'est ainsi pas la même que celle que l'on peut légitimement attendre d'un piéton marchant sur une esplanade.

131. Ces règles, dont le terrain d'élection est sans doute celui des accidents survenus aux usagers des voies publiques, sont
transposables à tous les ouvrages publics, que les victimes aient d'ailleurs la qualité de tiers ou celle d'usager à leur égard.
Voir :

- CE 11 juin 1982, Min. Transports c/ Sté British Railw ays Board, Lebon T. 775 : responsabilité de l'État engagée du fait de
dommages subis par des navires et imputables au défaut d'aménagement du quai ; toutefois, la société propriétaire des
navires, en ne répondant pas aux lettres de l'administration lui faisant part de son intention de procéder à des
aménagements et en ne munissant pas ses navires de dispositifs permettant, sinon d'empêcher, du moins d'atténuer les
chocs entre le quai et les coques, a commis des négligences de nature à atténuer de moitié la responsabilité de l'État ;

- CE 20 mai 1981, Ville du Bourget, Lebon T. 954 : jeune garçon usager d'une piscine projeté contre une verrière, laquelle
n'était pas suffisamment protégée, ce qui constitue un défaut d'entretien normal ; toutefois, partage de responsabilité pour
moitié, compte tenu de l'imprudence de la victime qui courait, malgré l'interdiction rappelée par le panneau ;
- CE 1 er févr. 1980, Retureau, Lebon T. 919 : naufrage d'un chalutier dans un port dû à une palplanche métallique formant
saillie dans le fond du bassin ; toutefois, responsabilité de l'État limitée aux trois quarts, en raison de la faute de la victime qui
consiste dans l'absence de matelots à bord, en violation des dispositions du code des ports maritimes ;

- CE 28 mars 1980, Sté Davanne et Caisse industrielle d'assurance mutuelle, Lebon T. 920 : bateau accidenté lors d'un
éclusage, fonctionnement défectueux de l'ouvrage engageant la responsabilité de l'État, mais celle-ci est atténuée de moitié
en raison d'une imprudence du marinier ;

- CE 9 juill. 1975, Min. Économie et finances c/ Sté Ascinter-Otis, Lebon 413 : usager ayant fait une chute dans la cage d'un
ascenseur dont la porte n'était pas bloquée, ce qui constitue un défaut d'entretien normal ; toutefois, responsabilité de
l'entreprise chargée de l'entretien réduite aux trois quarts en raison de l'imprudence de la victime, qui a franchi le seuil sans
s'être assurée de la présence de la cabine ;

- CE 5 févr. 1988, Garganico, Lebon T. 1016 : l'accident dont a été victime une personne en escaladant une statue du jardin
du quai Saint-Bernard, par suite de la chute de cette statue, est exclusivement imputable à son imprudence ;

- CAA Nancy, 24 oct. 1989, Bahu, Lebon T. 977 : le dépérissement de bovins ayant léché des tas de sel déposés sur
l'accotement de la voie publique pour être utilisés en cas de verglas est uniquement imputable à l'éleveur qui n'a pas pris de
mesures pour les empêcher d'y accéder en passant la tête à travers la clôture de son pré.

Pour un exemple où le dommage résultait de travaux publics, V. CE 17 oct. 1986, de Saint-Pastou c/ Synd. intercommunal
d'aménagement de l'Izaute et du Midour, JCP 1987. II. 20841, note Auby : travaux de nettoyage et de curage d'une rivière
ayant entraîné une augmentation de son débit et l'effondrement d'un pont ; responsabilité de l'administration atténuée par la
faute commise par le requérant en édifiant lui-même ce pont sans avoir recours aux hommes de l'art.

132. S'agissant d'inondations trouvant leur origine dans un ouvrage public (par rapport auquel la victime a la qualité de tiers),
il est intéressant de comparer deux décisions qui, rendues à onze ans d'intervalle, ont pour origine des faits identiques :
l'inondation à deux reprises, en 1966 puis en 1974, de la même clinique.

Dans une décision du 10 avril 1974 (Ville de Cannes c/ Sté institut d'héliothérapie, Lebon 232), le Conseil d'État, statuant sur
les conséquences de l'orage de 1966, retient l'imprudence de la société propriétaire de l'immeuble, qui n'a pas protégé celui-
ci, situé sur une partie basse, par des dispositifs de protection et d'évacuation suffisants, alors qu'un matériel coûteux était
entreposé dans le sous-sol particulièrement exposé : la ville n'est condamnée à réparer qu'un tiers du dommage.

De nouveau victime d'une inondation en 1974, la société entame à nouveau une action en responsabilité qui se conclut par
une décision du 11 janvier 1985 (req. n o 37248, inédit) : cette fois-ci, le Conseil d'État dégage entièrement la responsabilité
de la société propriétaire, l'instruction ayant révélé que, entre les deux orages, il avait été procédé aux travaux préconisés
par l'expert.

V. également, retenant l'imprudence de deux sociétés qui avaient fait construire leurs installations dans une zone industrielle
exposée à des risques naturels d'inondation et n'ayant pas surélevé le sol des bâtiments, et laissant à leur charge les 2/5 e
des dommages, CE, sect., 27 nov. 1987, Sté provençale d'équipement, Lebon 383, RFDA 1988. 384, concl. Fornacciari ; AJDA
1987. 770 et 716, chron. Azibert et de Boisdeffre ; D. 1989. 261, note Thomas-Tual.

B. - Le professionnel idéal
133. Il se caractérise, selon J. MOREAU (op. cit., n o 229) par deux traits essentiels : « Il doit bien connaître la technique de son
métier et il doit faire preuve, dans son travail comme dans sa vie privée, de ces qualités de diligence et de prévoyance qui
sont inséparables, aux yeux du Conseil d'État, de la victime méritante ». Il est tout d'abord demandé au professionnel, non
seulement de ne pas contrevenir aux lois et règlements, notamment ceux en matière de sécurité, mais encore de s'abstenir
de toute erreur technique que le bon spécialiste doit éviter. J. MOREAU ( op. cit., n o 204) cite à cet égard une décision
éclairante (CE 7 août 1909, Préfet de la Creuse c/ Perinel, Lebon 837) : un particulier blessé dans l'éboulement d'une carrière
voit sa demande rejetée au motif que l'intéressé « qui exerce la profession de maçon, a reconnu lui-même que l'ouvrier le plus
inexpérimenté pouvait facilement se rendre compte des risques que présentait l'extraction de la pierre au point où s'est
produit l'éboulement ».

1 3 4 . Pour se borner à quelques exemples, on citera : CE 9 juin 1978, Vancoille, Chabance et Butavand, Lebon 243 :
l'échouement de péniches, alors que venait de commencer la manoeuvre de l'ouverture du barrage de la Saône destinée à
protéger ces ouvrages contre le risque de débâcle des glaces, est imputable aux services de l'État, qui ont ordonné aux
pilotes des péniches de se réfugier dans le port de Villefranche-sur-Saône ; toutefois, partage de responsabilité par moitié,
les pilotes ayant commis des fautes en ne prenant aucune précaution de nature à éviter l'échouement. Pour d'autres
exemples de fautes de mariniers ou de propriétaires de navires, V. les deux décisions CE 11 juin 1982, British Railw ays Board
et 1 er févr. 1980, Retureau (supra, n o 131).

V. aussi CE 19 déc. 1980, Assurances générales de France et Jacobs, Lebon T. 882 : grave imprudence commise par les
capitaines ayant amarré leurs bateaux à une berge non entretenue et située nettement en retrait par rapport au quai
aménagé, et alors qu'ils pouvaient user d'un garage situé à proximité. - 23 mai 1986, Électricité de France c/ Brenot, Lebon
149 : marinier électrocuté à la suite d'un contact entre l'antenne déployée au-dessus de sa péniche et une ligne à haute
tension implantée le long du canal ; responsabilité d'EDF limitée au quart, compte tenu de l'imprudence ayant consisté à
déployer une antenne de sept mètres dans l'obscurité, sans précautions particulières.

135. Pour des fautes commises par des entreprises :

- CE 22 juin 1987, Ville de Rennes c/ Cie rennaise de linoléum et de caoutchouc, Lebon 223 : la faute commise par la société
requérante en entreposant des matériels dans une zone classée inondable au plan d'occupation des sols exonère la
commune des 2/3 de la responsabilité qu'elle encourt pour n'avoir pas prévenu les riverains de l'imminence d'une crue ;

- CE 18 mai 1988, Sté des eaux de Marseille, Lebon T. 1016 : les négligences graves commises par des entreprises en
effectuant des travaux d'après un plan ne correspondant pas au lieu d'intervention et en ne réalisant pas des sondages
préalables suffisants exonèrent la société des eaux de toute responsabilité à la suite de la rupture d'une canalisation ;

- CAA Paris, 17 oct. 1991, SA Hellot (supra, n o 74) : la responsabilité de l'État engagée à raison de contrôles phytosanitaires
défectueux est limitée au quart, compte tenu notamment de l'insuffisance du contrôle effectué, avant celui de l'État, par la
société requérante elle-même ;

- CAA Paris, 28 janv. 2006, Sté Groupe Salmon Arc en ciel, req. n o 04PA0192, Lebon T. 780 ; AJDA 2006. 766 , concl.
Helmlinger : en mettant en oeuvre un dispositif d'aides aux entreprises avant que la Commission européenne ne se soit
prononcée sur sa compatibilité avec le droit communautaire, l'État a commis une faute engageant sa responsabilité à l'égard
des entreprises qui ont dû rembourser les aides ; en signant un accord pour bénéficier du dispositif alors que l'engagement
d'une procédure d'examen approfondi avait été rendu publique par la Commission et qu'elle pouvait accéder, notamment au
travers des organismes professionnels, aux informations pertinentes, une entreprise a commis une imprudence fautive
exonérant l'État du quart de sa responsabilité ;

- CE 31 mars 2008, Sté Capraro et Cie et autre, req. n o 303159 , AJDA 2008. 1780, obs. Toulemonde : en s'abstenant
de procéder, à la suite d'une réparation provisoire, au changement d'une pièce du système de freinage d'un camion, une
entreprise a commis une négligence grave, de nature à exonérer à hauteur de 90 % la responsabilité encourue par l'État à
raison de la faute des services du contrôle technique qui, à l'occasion de plusieurs contrôles successifs, ont déclaré le véhicule
apte à circuler ;

- CAA Paris, 10 juin 2010, Caisse des écoles de Choisy-le-Roi et Cne de Choisy-le-Roi, req. n o 08PA03350, AJDA 2010. 2015
: en répondant à des commandes de matériel informatique passées frauduleusement par un agent prétendant agir au nom
de la caisse des écoles, une société, professionnel averti ayant l'usage de la commande publique, a, compte tenu des sommes
en cause et alors que plusieurs commandes dépassaient le seuil de la mise en concurrence, fait preuve d'une légèreté fautive
de nature à exonérer la caisse des écoles de la moitié de sa responsabilité ;

- CAA Bordeaux, 15 févr. 2011, Cne de Lacanau, req. n o 10BX01015, AJDA 2011. 1048 : société ayant engagé des frais
dans une opération de construction dont elle ne pouvait ignorer le caractère aléatoire, compte tenu du classement du terrain
en emplacement réservé au plan d'occupation des sols ; la commune, qui a commis une faute en incitant la société à
compléter et à modifier sur de nombreux points sa demande de permis de construire, est exonérée de la moitié de sa
responsabilité.

Pour une faute d'un agriculteur, V. CE 6 janv. 2006, Min. Agriculture, alimentation, pêche et affaires rurales c/ Gerbaix, req.
n o 260714 , Lebon T. 721 ; AJDA 2006. 1126 : un éleveur ayant méconnu de manière substantielle les mesures de
prophylaxie de la bruxellose perd tout droit à l'indemnisation du préjudice subi du fait de l'abattage de son cheptel en partie
infecté.

136. En matière de transports aériens :

- TA Nantes, 1 er juill. 1980, MUSINI et autre, Lebon T. 881 : collision en vol de deux avions de ligne trouvant son origine dans
une faute lourde des services de l'État ; toutefois, il peut être reproché au pilote de l'un des aéronefs une passivité
assimilable à un manque de vigilance, qui exonère l'État de sa responsabilité à concurrence de 15 % ;

- CE 18 avr. 1980, SNIAS, Lebon 190 : analyse de l'anomalie d'un prototype confié au centre d'essai en vol n'ayant pas permis
de mettre en évidence son caractère de gravité : partage par moitié ;

- CE 14 mars 1979, Min. Intérieur c/ Cie Air Inter, Lebon 119 : malgré les menaces d'attentat auxquelles étaient exposés ses
aéronefs en août 1974 sur l'aérodrome de Quimper, la compagnie, qui n'avait pas été mise au courant de la levée d'un
dispositif de surveillance ni appelée à prendre des mesures de précaution ou d'alerte, ne commet aucune faute en n'assurant
pas, par ses propres moyens, la garde de l'appareil ;

- CAA Paris, 25 mai 1993, Sté Airlec et Sté La Paternelle, req. n o 91PA01002 , Lebon T. 1025 : piste d'atterrissage
insuffisamment déneigée, responsabilité d'Aéroports de Paris atténuée de 50 %, l'avion ayant effectué au posé des roues un
écart qui, en l'absence de verglas, ne peut être imputé qu'à une erreur de pilotage ou à une défaillance technique de
l'appareil.

137. Pour un banquier, la faute pourra résulter d'une imprudence dans la conclusion d'une opération (V. CE 29 avr. 1978,
Société générale, Lebon 194 : banque ayant consenti le nantissement d'un marché à une société au vu d'une attestation
erronée ; celle-ci ayant été sciemment délivrée par une commune afin de faciliter l'opération, la responsabilité de cette
collectivité est engagée ; elle est toutefois exonérée des deux tiers en considération de l'imprudence de la banque, qui a
consenti l'avance alors que l'attestation n'était pas signée du maire, contrairement aux dispositions du code des marchés et
aux stipulations du marché en cause. - V. égal. CE 16 nov. 1998, Sille, req. n o 175142 , Le bon 418 : imprudence
commise par un promoteur immobilier en s'engageant, sur l'incitation de la commune, dans une opération dont il ne pouvait
ignorer le caractère aléatoire).

S'agissant d'une entreprise qui contracte avec l'administration, la faute peut consister à se prêter à la conclusion d'un marché
dont, compte tenu de son expérience, elle ne pouvait ignorer l'illégalité. Normalement, lorsqu'un contrat administratif est
entaché de nullité par suite d'une faute de l'administration, le cocontractant peut prétendre à une indemnisation couvrant la
perte du bénéfice qu'il aurait retiré de l'exécution du contrat. Mais s'il a commis des fautes, le juge peut procéder à un partage
de responsabilité. Et une faute grave de l'entreprise, ayant consisté à se prêter sciemment à la conclusion d'un contrat illégal,
peut, si elle est regardée comme la cause directe de la perte du bénéfice escompté, lui faire perdre tout droit à indemnité à ce
titre (CE, sect., 10 avr. 2010, Sté Decaux et Dpt des Alpes-Maritimes, req. n o 244950, Lebon, chron. Boucher et Bourgeois-
Machureau ; AJDA 2008. 1092 . - Pour une application, V. TA Pau, 14 déc. 2010, Sté CTR, req. n o 0900090). En revanche,
sur un terrain quasi contractuel, l'administration ne saurait invoquer la faute du cocontractant pour refuser de lui rembourser
celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité (théorie de l'enrichissement sans cause) ; encore faut-il réserver le
cas où le contrat aurait été obtenu dans des conditions de nature à vicier le consentement de l'administration (même arrêt).

1 3 8 . Les exigences de vigilance imposées aux professionnels ont toutefois des limites. Ainsi, en s'abstenant de vérifier
l'exactitude d'une notice de renseignements délivrée par les services municipaux sur un terrain qu'il se proposait d'acquérir,
un marchand de biens ne commet pas une imprudence de nature à atténuer la responsabilité incombant à la commune en
raison du défaut de mention d'une réserve pour équipement public ; en effet, les « notices de renseignements » ont pour
objet de dispenser le public de la consultation directe des documents locaux d'urbanisme (CE 27 juill. 2001, Sté européenne
nouvelle d'achat immobilier, Lebon T. 1185).

C. - Imprudences lors de jeux ou d'activités dangereuses


1 3 9 . Le juge verra souvent une imprudence dans le fait d'assister ou de se livrer à diverses activités ludiques ; les
commentateurs y voient en général une certaine sévérité, surtout s'agissant d'enfants. Dans les piscines et sur les plages : la
faute de la victime, décédée pour avoir tenté d'explorer, à cinq mètres de profondeur le conduit d'évacuation de l'eau, est
regardée comme la seule cause du dommage (CE 3 mars 1971, Dame Portal, Lebon 182) ; de même la faute de la victime qui
n'a pas vérifié que l'on pouvait plonger sans danger du ponton de l'une des plages publiques de Cannes, est la seule cause
des graves blessures qu'elle s'est infligées en plongeant (CE 9 févr. 1972, Dame Edel, Lebon T. 998).

Voir aussi :

- CE14 oct. 1977, Cne de Catus, Lebon T. 968 : victime entrée dans un lac alors qu'elle ne savait pas nager, en dehors de la
plage aménagée, et à une heure tardive ; la commune n'est condamnée que pour un quart ;

- CE 9 mai 1980, Cne de Ladignac Le Long et Cts Courteille, Lebon T. 882 : jeune fille noyée en s'avançant dans un plan d'eau
dont elle ne connaissait pas la profondeur alors qu'elle ne savait pas nager ; le maire avait laissé en place des panneaux
« baignade non surveillée », mais n'avait pas interdit la baignade à cet endroit dangereux ; un cinquième des conséquences
dommageables à la charge de la collectivité locale ;

- CE 30 janv. 1980, Cts Quiniore, Lebon T. 882 : absence de signalisation par la commune d'un fort courant rendant, sur une
plage, la baignade particulièrement dangereuse à certains endroits ; toutefois, responsabilité de la commune limitée au quart,
en raison de l'imprudence de la victime qui ne s'est pas assurée qu'elle pouvait sans danger se baigner dans la zone non
surveillée.

Pour d'autres exemples d'imprudence de nageurs en piscine, V. CE 8 févr. 1980, Cts Pelletier, Lebon T. 882 . - 29 févr. 1980,
Cne de Saint-Jean-Pied-de-Port, Lebon T. 882 . - CAA Nantes, 29 déc. 1990, Boisaubert, req. n o 89NT00423, Lebon T. 981 . -
V. aussi CE 8 nov. 1985, Rijlaarsdam, Lebon T. 773 concernant l'imprudence du propriétaire d'un voilier décédé après avoir
heurté avec le mât de son bateau une ligne à haute tension alors qu'il connaissait les lieux, que la ligne à haute tension était
visible en plein jour et qu'il aurait dû démâter son voilier avant de le remorquer.

1 4 0 . Mais les jeux nautiques ne sont pas les seuls dangereux. Commet ainsi une imprudence exonérant pour moitié la
commune de sa responsabilité le spectateur d'un tournoi de volley-ball qui s'assied trop près du filet (CE 25 févr. 1976,
Morvan, Lebon 116) ; l'adolescent se livrant avec d'autres camarades à un jeu consistant à simuler l'attaque du petit train de
la mer de sable d'Ermenonville exonère pour 50 % la responsabilité de la commune organisatrice de la sortie scolaire (CE
3 févr. 1984, Loubat, Lebon 46) ; l'imprudence du gardien de but d'une équipe de football qui s'est suspendu à la cage de
buts, laquelle s'est renversée, exonère pour moitié la responsabilité de la commune qui n'apporte pas la preuve de l'entretien
normal de cette installation (CE 15 févr. 1989, Dechaume, Lebon T. 975).

D. - Le propriétaire idéal
141. Le propriétaire idéal est particulièrement responsable ; il veille à prendre les mesures nécessaires pour empêcher la
ruine de son immeuble, faute de quoi il est entièrement responsable du sinistre (CE 5 janv. 1972, Épx Desplanques, Lebon T.
1227) ; il débroussaille son terrain pour éviter la propagation des incendies, faute de quoi il garde un tiers du dommage à sa
charge (CE 23 mars 1973, The Liverpool and London and globe insurance company et autres, Lebon 253) ; il prend des
précautions suffisantes pour se prémunir du refoulement des eaux (CE 10 avr. 1974, Ville de Cannes c/ Sté Ricordel, Lebon
226).
Voir, de même :

- CE 3 nov. 1976, Assoc. syndicale autorisée des propriétaires du parc de Maisons-Laffitte, Lebon T. 1128 : immeuble
endommagé par des infiltrations d'eau dont l'association syndicale requérante est responsable ; toutefois, exonération au
quart, le dommage ayant été aggravé par la circonstance que l'immeuble endommagé avait été construit en contrebas sans
que des mesures particulières aient été prises par son constructeur ;

- CE 13 oct. 1976, Cne de Mazières-en-Gâtine, Lebon 408 : aggravation des dommages dus à l'incendie d'une grange à foin
imputable à la commune mais aussi aux propriétaires qui ignoraient la conduite à tenir en cas d'incendie, et qui supportent de
ce fait 70 % des conséquences ;

- CE 27 juill. 1979, Blanc et Min. Équipement, Lebon 352 : propriétaire ne s'étant pas assuré lui-même de la sécurité des lieux
où il se proposait de construire un hôtel-restaurant, qui s'est par la suite trouvé inclus dans la délimitation d'une zone
exposée aux risques d'avalanches : l'État ne supporte que la moitié des conséquences dommageables de cette situation ;

- CE 19 oct. 1988, Min. Redéploiement industriel et commerce extérieur et Min. Environnement c/ Épx Veillard, Lebon 347 ;
CJEG 1989. 55, concl. de la Verpillière ; D. 1989. Somm. 346, obs. Moderne et Bon : propriétaires n'ayant pas mis en place les
ouvrages nécessaires pour éviter que des berges ne s'effondrent en cas de crue, alors que leur fragilité était connue d'eux et
que des désordres étaient survenus antérieurement.

En revanche, une société thermale ne commet aucune faute en ne protégeant pas ses captages contre le risque d'un mauvais
fonctionnement du réseau public d'assainissement (CE 30 avr. 1997, Synd. intercommunal à vocation multiple du Conflent,
req. n o 157677, Lebon T. 1072).

142. Pour des cas de délivrance d'autorisations d'urbanisme illégales, Voir :

- CE 3 nov. 1989, Sté en nom collectif Sanz-Samenayres et autres, Lebon T. 929 : préfet ayant délivré une autorisation de lotir
sans aucune réserve, alors qu'il était informé des risques liés à l'existence sous le terrain d'assiette d'une galerie
souterraine ; responsabilité de l'État atténuée de 50 % par l'imprudence des requérants qui connaissaient également
l'existence de cette galerie et auraient dû procéder à des sondages préalables ;

- CE 2 oct. 2002, Min. Équipement, transports et logement c/ M. et Mme Grondin, Lebon T. 926 ; AJDA 2003. 143 , note
Deffigier : maire ayant commis une faute en délivrant un permis de construire dépourvu de prescriptions spéciales relatives
à des risques d'inondation dont il avait une connaissance suffisante ; l'imprudence commise par les propriétaires en ne
vérifiant pas si la parcelle était exposée aux crues du cours d'eau voisin est de nature à atténuer la responsabilité de
l'administration ;

- CE 25 avr. 2003, SCI Le mas de Valescure, req. n o 237888 , AJDA 2003. 1464 ; BJDU 2003. 285 : promesse de vente
sous réserve d'obtention d'un permis de construire ; en délivrant un permis illégal, ultérieurement annulé, le maire a commis
une faute de nature à engager la responsabilité de la commune ; l'acheteur, qui a dû acquérir un terrain inconstructible au
prix des terrains constructibles, n'obtient réparation que de la moitié de ce dommage, compte tenu de la faute qu'il a commise
en n'effectuant aucune diligence pour vérifier la constructibilité du terrain, alors que, dans un premier temps, le maire avait
délivré un certificat d'urbanisme négatif qui aurait dû l'alerter.

E. - L'administré idéal
143. La jurisprudence exhorte à la méfiance quiconque a des rapports avec la puissance publique, soit comme administré, soit
comme cocontractant, soit comme bénéficiaire d'une autorisation. En particulier, se fier à des assurances verbales de
l'administration, surtout lorsqu'elles sont illégales et que l'on ne l'ignore pas, révèle une grave imprudence (V. CE, sect.,
24 avr. 1964, Sté des huileries de Chauny, Lebon 245 : des industriels commettent une imprudence en se chargeant de
stocks dépassant les besoins normaux sur le fondement d'engagements ministériels dont ils ne pouvaient ignorer l'irrégularité
et le manque de fondement légal : partage du préjudice par moitié). Dans ses conclusions dans cette affaire, G. BRAIBANT
distinguait trois hypothèses : « La responsabilité de l'administration est totale dans le cas d'assurances ou d'engagements
formels, précis et apparemment réguliers ; elle est partielle, dans le cas où la victime a fait preuve d'imprudence en se fiant à
des assurances ou à des engagements entachés d'imprécision et d'illégalité ; elle est nulle, si l'administration s'est bornée à
exprimer une intention ou à donner aux intéressés de simples encouragements, ou à leur rappeler une réglementation sans
leur faire aucune promesse ».

144. Applications jurisprudentielles. - Voir :

- CE 13 juill. 1968, Stoskopf, Lebon 460 : architecte ayant accepté l'introduction, dans un marché, de clauses relatives au
paiement de ses honoraires dont il ne pouvait ignorer l'illégalité ;

- CE 28 avr. 1971, Min. Éducation nationale c/ Montaud, Lebon T. 1191 : non-vérification par un fonctionnaire de
renseignements fournis par l'administration quant à la législation sur les retraites ;

- CE 13 nov. 1974, Coulibeuf, Lebon 566 : particulier ayant commencé des travaux, sur incitation de l'administration, avant
d'avoir obtenu l'accord des autorités compétentes : responsabilité de l'administration limitée aux deux tiers ;

- CE 9 juill. 1975, Félix-Faure, Lebon 410 : imprudence commise par un particulier en concédant un prêt au concessionnaire
d'un théâtre municipal, qui avait obtenu l'assurance de subventions municipales mais a finalement fait faillite ;
- CE 13 oct. 1976, Rossel-Calva, Lebon 408 : imprudence d'un particulier entreprenant des études pour l'agrandissement de
son exploitation sur un terrain vendu par adjudication, mais que l'administration lui avait originairement proposé d'acquérir à
l'amiable ;

- CE 26 mai 1976, Sté normande de construction, Lebon 275 : président d'un district urbain ayant laissé croire à une
entreprise qu'elle bénéficierait de l'exonération de la patente ;

- CE 6 févr. 1981, Cne de Sixt, Lebon T. 910 : préjudice subi par un entrepreneur n'ayant été rendu possible que par son
imprudence à donner suite à une commande du maire sans autorisation du conseil municipal ;

- CAA Paris, 5 mars 1996, Gelle et Sté Cabinet Ferre c/ Cne de Verrières-le-Buisson, req. n o 93PA00118 , Lebon T. 1159 :
en se portant acquéreurs d'une parcelle au prix du terrain à bâtir sur la foi d'un certificat d'urbanisme dont ils ne pouvaient
ignorer l'illégalité, les requérants ont commis une imprudence exonérant la commune de la moitié de sa responsabilité.

En revanche, une société ayant reçu de l'administration une lettre l'invitant à préfinancer des travaux dans l'attente du
versement d'une subvention n'a pas commis d'imprudence en engageant les dépenses correspondantes (CE 3 mars 1989, Sté
Sagatour et Min. Départements et territoires d'outre-mer, Lebon T. 929).

145. Voir également, pour des cas intéressant des demandeurs d'autorisation :

- CE 31 mars 1989, Mme Coutras, Lebon 103 ; CJEG 1990. 133, note D. D. ; RD publ. 1990. 1190 ; D. 1990. Somm. 302, obs.
Bon et Terneyre : autorisation d'exploiter un ouvrage hydroélectrique annulée en raison de l'insuffisance de l'étude
d'impact au vu de laquelle elle avait été délivrée ; responsabilité de l'État limitée au quart, compte tenu de la faute commise
par le propriétaire en présentant à l'appui de sa demande une étude d'impact insuffisante (V. LAMARQUE, La responsabilité de
l'insuffisance de l'étude d'impact, RDI 1989. 241) ;

- CAA Nancy, 9 oct. 1990, Davoine, req. n o 89NC00751 , Lebon T. 1018 : dommage résultant pour l'employeur de la
délivrance irrégulière d'une autorisation de licenciement ; responsabilité de l'État atténuée de 50 % par la faute commise par
l'employeur en demandant l'autorisation de licencier un salarié protégé pour des motifs en rapport avec ses fonctions
syndicales.

Pour d'autres exemples de fautes des administrés dans leurs rapports avec l'administration, Voir :

- CE 10 déc. 1986, Robert, Lebon T. 716 ; Dr. adm. 1987, n o 131 : comportement d'un jeune homme appréhendé par des
agents de nature à exonérer la ville de Paris de la moitié de sa responsabilité à la suite du décès de l'intéressé, consécutif à
son éviction brutale du commissariat ;

- CE 10 mars 1989, Min. PTT c/ Sté immobilière et hôtelière du Bas-du-Fort, Lebon 86 : faute lourde de l'administration des PTT
ayant suspendu sans préavis la ligne téléphonique d'un hôtel au seul motif d'une créance ancienne et contestée : 1/5 e du
dommage est laissé à la charge de la société qui a méconnu son obligation de verser, sauf à les contester par les voies de
droit, les sommes qui lui étaient réclamées depuis plusieurs années.

Lorsque l'administration fiscale commet dans la mise en oeuvre des procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt
une faute engageant sa responsabilité, elle peut invoquer une faute de la victime, normalement le contribuable, comme cause
d'atténuation ou d'exonération (CE, sect., 21 mars 2011, Krupa, req. n o 306225 , Lebon). Dans cette affaire, où
l'administration avait regardé comme dirigeant social une personne qui n'avait plus cette qualité, la faute invoquée aurait
consisté à dissimuler des éléments d'information, mais le juge n'a pas été convaincu.

F. - Le fonctionnaire idéal
1 4 6 . L'agent public qui recherche la responsabilité de son employeur peut également se voir opposer les fautes qu'il a
commises (V. par ex. : CE 29 déc. 1999, Chigot, req. n o 196611 , Lebon T. 856 : en demandant à un professeur des
universités, praticien hospitalier, d'effectuer des expertises qu'elle ne pouvait pas lui payer compte tenu des règles relatives
au cumul des rémunérations, l'administration a engagé sa responsabilité ; mais celle-ci est atténuée par la négligence de
l'intéressé qui ne s'est pas enquis de l'application éventuelle des règles de cumul ; indemnité fixée à 150 000 F alors que les
honoraires normalement dus s'élevaient à 500 000 F).

Lorsque l'administration révoque un fonctionnaire à titre disciplinaire, l'illégalité éventuelle de la mesure n'entraîne pas
mécaniquement un droit à réparation. Si l'intéressé a commis une faute dont la gravité justifiait la sanction, cette faute est
regardée comme la cause du préjudice qu'il subit du fait de son éviction. La circonstance que celle-ci ait été prononcée dans
des conditions irrégulières ne justifie pas l'octroi d'une indemnité si le juge estime que l'autorité compétente, agissant dans
les formes légales, aurait pris la même décision (pour une application récente, V. CE 9 févr. 2011, Delassaux, req. n o 32627,
Lebon).

Il est un cas dans lequel l'administration ne peut s'exonérer de sa responsabilité en invoquant le comportement de son agent.
Si un fonctionnaire affirme avoir été victime d'un harcèlement moral de la part d'un supérieur ou d'un autre agent, le juge doit
déterminer si tel est bien le cas en tenant compte des comportements respectifs des intéressés. Mais s'il admet la réalité du
harcèlement, il lui appartient d'accorder au requérant une indemnité qui répare intégralement son préjudice. En effet, la
nature même du harcèlement moral exclut, lorsque son existence est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement
de la victime pour atténuer la responsabilité de la collectivité publique (CE, sect., 11 juill. 2011, Mme Montaut, req. n o 321225
, Lebon ; AJDA 2011. 1405 ). Avant cet arrêt, le Conseil d'État avait procédé à un partage de responsabilité dans une
affaire où l'administration avait eu sur une longue période un comportement vexatoire à l'égard d'un agent, mais où ce dernier
avait contribué par son attitude à la dégradation de ses conditions de travail (CE 24 nov. 2006, Mme Baillet, req. n o 256313
, Lebon 486 ; AJDA 2007. 428, obs. Planchet ). Il est vrai que, dans cette espèce, il n'avait pas expressément
caractérisé un harcèlement moral au sens de la loi du 17 janvier 2002, les faits étant antérieurs à l'entrée en vigueur de ce
texte.

Actualité
146. Responsabilité de l'État pour non-déclaration de l'activité d'un vétérinaire sous mandat sanitaire. Faute de la victime. Effets. -
L'État commet une faute de nature à engager sa responsabilité en ne versant pas les cotisations dues par l'employeur aux
régimes général et complémentaire de retraite auxquels doit être affilié un vétérinaire exerçant une activité en vertu d'un
mandat sanitaire. S'agissant d'une éventuelle faute du vétérinaire de nature à atténuer la responsabilité de l'État, la Haute
Juridiction estime qu'il incombait à l'État, en sa qualité d'employeur, de procéder aux démarches déclaratives de l'activité du
requérant, lequel n'a pu, par ailleurs, « malgré la durée de la période en cause, avoir connaissance de l'absence de paiement
par l'État des cotisations qu'il devait, compte tenu des conditions de versement des rémunérations auxquelles il avait droit ».
Le requérant n'a donc pas « contribué au préjudice qu'il invoque en n'ayant pas accompli de démarche en vue de son
affiliation » (CE 14 nov. 2011, Min. Alimentation, Agriculture et Pêche c/ Camblong, req. n o 341325 , AJDA 2011. 2262, obs.
Grand ).
147. Un fonctionnaire qui ne reçoit pas, dans un délai raisonnable, une affectation correspondant à son grade peut prétendre
à la réparation des préjudices entraînés par cette « mise au placard ». Il pourra cependant lui être reproché de ne pas avoir
entrepris de démarches auprès de son administration afin de mettre un terme à cette situation ; pour déterminer s'il a commis
une faute, le juge tiendra compte à la fois de son niveau hiérarchique et de la durée de son oisiveté forcée (V. CE, sect.,
6 nov. 2002, M. Guisset, Lebon 376 ; Cah. fonct. publ. mai 2003. 34, concl. Stahl ; AJDA 2002. 1440 , chron. Donnat et
Casas : conseiller des affaires étrangères maintenu sans affectation pendant onze ans et n'ayant effectué une démarche
qu'au bout de six ans, État exonéré du tiers de sa responsabilité. - CE 23 juill. 2003, M. Laville Saint-Martin, req. n o 241816
, Le bo n T. 843 : professeur d'université maintenu sans affectation pendant neuf ans et ayant effectué des démarches
insuffisantes, État exonéré du tiers de sa responsabilité). Par ailleurs, ne commet pas une faute le fonctionnaire illégalement
évincé qui refuse d'être réintégré dans une situation de mise à disposition (CE 21 mai 2007, Mafille, req. n o 264174 ,
Lebon T. 919 ; AJDA 2007. 1053, obs. de Montecler ).

1 4 8 . Celui qui cherche à être recruté par un employeur public doit aussi faire preuve de prudence (V. CE 2 oct. 2002,
M. Nicolas, req. n o 233883 , Lebon T. 925 ; AJDA 2003. 103 : en donnant à une personne l'assurance, qui n'a pas été
tenue, de l'engager comme contractuel, un établissement public a commis une faute mais sa responsabilité est atténuée, à
hauteur de la moitié, par l'imprudence commise par l'intéressé qui a abandonné son précédent emploi sans tenir compte du
risque que l'administration ne puisse honorer ses engagements).

G. - Appel à des éléments subjectifs


149. Dans certaines espèces, le Conseil d'État ne se contente pas de comparer le comportement de la victime à un type idéal
et abstrait, mais va tenir compte des particularités propres à la victime en prenant en considération des éléments comme
l'âge, les habitudes ou les états d'âme, qui n'entrent pas normalement en ligne de compte pour l'appréciation de la faute.

1° - Usagers des voies publiques


150. Le cas le plus typique est, à cet égard, celui des usagers des voies publiques ; la connaissance qu'ils ont des lieux leur
impose une obligation de prudence plus étendue. On peut également, ce qui revient au même, considérer que cette
connaissance atténue le défaut d'entretien normal et donc, de façon directe, la responsabilité du propriétaire de la voie (V. en
ce sens : ODENT, fasc. 4, p. 1480 et 1481).

Ainsi, parmi une jurisprudence aussi classique qu'abondante, V. CE 21 déc. 1979, Min. Équipement et transports c/ CPAM de
Vienne et Glasson, Lebon T. 911 : défaut de signalisation de travaux constitutif d'un défaut d'entretien normal ; toutefois, un
quart de la responsabilité demeure à la charge de la victime qui, empruntant tous les jours ce trajet, connaissait l'existence de
ces travaux commencés un mois auparavant et qui avait déjà roulé sur cette chaussée, le soir de l'accident, sur plus de huit
kilomètres. Mais a contrario, V. CE 12 févr. 1975, Lussagnet, Lebon T. 1302 : cyclomotoriste se rendant vers 6 h 30 à son
travail, étant tombé dans une tranchée récemment ouverte sur la chaussée, et n'étant ni signalée, ni éclairée, ni clôturée : la
circonstance que la victime, domiciliée dans la rue où s'est produit l'accident, ne pouvait ignorer l'existence de travaux n'est
pas, en l'espèce, de nature à atténuer la responsabilité de l'entrepreneur ; ainsi, la connaissance des lieux par la victime
n'efface la responsabilité de l'entrepreneur que si le défaut d'entretien normal ne dépasse pas certaines limites, ce qui n'était
pas le cas en l'espèce. Il n'en demeure pas moins que cette jurisprudence est sévère pour les victimes (V. not. PAYRE, article
préc., p. 400. - CABANES et LÉGER, AJDA 1973. Chron. 132, commentant CE, sect., 23 févr. 1973, Cne de Chamonix,
Lebon 170).

2° - Enfants
151. De même, s'agissant des accidents subis par des enfants, le Conseil d'État proportionne le caractère exonératoire de
leur imprudence à l'âge des victimes (CE 3 févr. 1984, Loubat, n o 140). Lorsque la responsabilité de l'enfant ne peut être
retenue en raison de son bas âge, le Conseil d'État relève le défaut de surveillance des parents qui en ont la garde (pour
l'emploi de cette formule, V. CE 6 févr. 1981, Dame Ouerdane, Lebon T. 954). À cet égard, on peut comparer deux arrêts : CE
2 févr. 1977 (Giacomi, Lebon T. 991 : enfant de 7 ans ayant fait une chute à l'intérieur d'un chantier ouvert sur une voie
publique et dont l'insuffisante protection constitue un défaut d'entretien normal), et CE 10 mars 1975 (Ville de Paris c/
Villanue va, Lebon 961 : enfant de 12 ans s'étant imprudemment engagé dans un chantier dont l'insuffisance de clôture
engage la responsabilité de la ville). Dans le premier cas, le Conseil d'État relève « l'imprudence commise par les parents de
l'enfant en le laissant circuler sans surveillance » ; dans le second, il prend en considération l'imprudence de la victime elle-
même. De même, V. CE 29 juin 1979 (Épx Benguigui et autres, Lebon T. 910 : noyade d'un enfant de 5 ans dans une
tourbière ; l'imprudence commise par les parents en laissant leur enfant sans surveillance pendant quinze à vingt minutes est
la seule cause de l'accident).

Sur les critères du défaut de surveillance, V. CE 17 juin 1998 (Épx Pham, supra, n o 116) : en caractérisant le défaut de
surveillance d'un enfant de huit ans jouant sur un toboggan par la circonstance que celui-ci était confié à la garde de son frère
et de sa soeur, âgés respectivement de quinze et quatorze ans, la cour administrative d'appel a inexactement qualifié les faits
qui lui étaient soumis. - V. aussi CE 22 nov. 2000, Épx Appaganou, Lebon 557. - CAA Lyon, 29 déc. 2005, Mme Stéphanie
Chevalier, supra, n o 106. - 6 mai 2010, Cne d'Oullins, req. n o 08LY00264, AJDA 2010. 2278 .

3° - Malades mentaux
152. Il est des hypothèses où des personnes aliénées ou souffrant de troubles mentaux sont, par définition, si l'on peut dire,
en position de victimes imprudentes : celles qui donnent lieu à l'abondant contentieux des suicides des malades mentaux en
hôpital psychiatrique (V. sur ce point, MONTADOR, Une source importante de responsabilité administrative : le suicide du
malade à l'hôpital public, AJDA 1972. 195). Lorsqu'un malade se blesse volontairement ou réussit à mettre fin à ses jours,
l'hôpital ne saurait, lorsqu'il est déclaré responsable, opposer à la victime ou ses ayants droit la faute de la victime (V.
Hôpitaux [Responsabilité des serv ices hospitaliers]. - Sur la responsabilité sans faute de l'hôpital psychiatrique au titre des
dommages causés aux tiers par le malade mental bénéficiant d'une permission de sortir, V. supra, n o 106). Si, ayant
dédommagé la victime, le malade mental (ou son assureur) engage une action subrogatoire contre l'hôpital, il se verra
opposer la faute qu'il a commise et qui, en vertu de l'article 489-2 du code civil, engage sa responsabilité en dépit des
troubles qu'il éprouve.

§ 2 - Fait de la victime
153. Certains auteurs soulignent qu'il est des cas où le simple fait de la victime, même non fautif, suffira pour atténuer la
responsabilité du défendeur (PAYRE, article préc.). Cette hypothèse nous semble toutefois rare, et à peu près limitée au cas
où la victime est reconnue comme étant l'auteur unique du dommage. Lorsque le juge voit dans le fait de la victime la cause
unique du dommage, le défendeur est bien entendu entièrement mis hors de cause. En réalité, il y a absence de lien de
causalité entre dommage et faute du défendeur, et non jeu d'une cause exonératoire (V. par ex., pour un couple d'étrangers
qui imputait à la délivrance tardive d'un certificat médical par l'Office des migrations internationales le fait de ne pas avoir
bénéficié des prestations familiales pour ses enfants mineurs, alors qu'il aurait pu les obtenir sans ce document s'il en avait
fait la demande : CAA Paris, 14 nov. 2005, M. et Mme K., req. n o 02PA01032, Lebon T. 1096 ; AJDA 2006. 455 . - Sur le
contrôle exercé par le juge de cassation, V. supra, n o 117).

154. Cette solution est notamment retenue lorsque la victime s'est placée elle-même dans une situation risquée, ou pleine
d'aléas, en laquelle le juge est enclin à reconnaître la seule cause du dommage sans pour autant y voir une faute (auquel cas
il ferait application de la jurisprudence sur l'imprudence de la victime) (V., jugeant que le préjudice résultant de la réalisation
d'un risque auquel la victime s'est sciemment exposée ne lui ouvre pas droit à réparation, CE 10 juill. 1996, Meunier, req.
n o 143487 , Lebon 289 ; RD publ. 1997. 246, concl. Stahl). L'arrêt précise qu'en estimant que la victime était informée du
risque, une cour administrative d'appel porte une appréciation souveraine (sur cette question, V. MARIANI-BENIGNI,
L'« exception de risque accepté » dans le contentieux administratif de la responsabilité, RD publ. 1997. 1963).

155. V. ainsi CE 2 févr. 1968, Cie industrielle des pétroles de l'Afrique occidentale, Lebon T. 1097 : société se livrant à des
importations de produits pétroliers sous le régime de la soumission cautionnée, ce qui l'amène, dans son propre intérêt, à ne
demander l'attribution de devises pour le règlement de ces importations qu'après que les produits qu'elle importe ont été
livrés à la consommation. Aucune disposition législative ni réglementaire n'obligeait l'État à réparer le préjudice subi par la
société à la suite d'une dévaluation du fait du mode particulier de financement de ses importations : le préjudice est donc
entièrement imputable à la situation particulière dans laquelle s'est volontairement placée la victime.

Dans le même sens, V. CE 2 févr. 1968, Sté Mobil oil Afrique équatoriale et Sté Mobil oil Cameroun, Lebon T. 866 : société se
livrant à des importations de produits pétroliers ayant volontairement souscrit l'engagement de ne demander le transfert de
la valeur des produits pétroliers reçus par elle qu'après l'obtention de la licence d'importation délivrée au fur et à mesure de la
mise à la consommation des produits ; le préjudice par elle subi du fait de la variation du taux de change résulte non d'une
atteinte illégale à l'égalité entre commerçants, mais de la situation dans laquelle elle s'est volontairement placée.

Hors du contentieux de l'interventionnisme économique, V. CE 23 févr. 1966, Cne de Saint-Sorlin, Lebon 134 : particulier
victime d'inondations dues au débit insuffisant du fossé qu'empruntent les eaux usées pour traverser son pré. Toutefois,
l'instruction révèle que la commune avait proposé d'élargir à ses frais ce fossé, et que l'intéressé s'y était refusé : les
inondations ont ainsi pour seule origine l'attitude de l'intéressé.

Dans une affaire où l'exploitant d'un camping recherchait la responsabilité d'une commune à la suite d'une mesure de
fermeture décidée par le maire en raison de risques d'inondation, le Conseil d'État a estimé que la seule circonstance que
cette mesure poursuivait un objectif de sécurité publique n'excluait pas l'engagement de la responsabilité au titre de l'égalité
devant les charges publiques. Mais il appartenait à l'intéressé de démontrer qu'il subissait un préjudice excédant les aléas
que son activité comportait nécessairement ; cette condition n'était pas remplie dès lors que le camping était installé dans un
site exposé à des risques élevés d'inondation par débordement intense et brutal d'un cours d'eau voisin, ayant par le passé
provoqué un décès (CE 25 juill. 2007, Leberger et Mme Cortie, req. n o 278190 , Lebon 392 ; RJEP 2007. 410, concl.
Chauvaux). La circonstance que le camping était exploité légalement depuis plusieurs décennies et que la fermeture résultait
d'une nouvelle appréciation par l'administration du niveau de risque tolérable n'a pas fait obstacle à l'adoption de cette
solution.
Dans le cadre de la responsabilité hospitalière, l'aggravation des séquelles dont demeure atteinte la victime d'une faute
médicale ne peut être regardée comme lui étant exclusivement imputable au seul motif qu'elle a refusé de subir une
intervention chirurgicale qui aurait pu prévenir cette aggravation. En effet, une telle intervention n'aurait pas été nécessaire
en l'absence de la faute médicale ; c'est dans cette faute que réside la cause adéquate du préjudice (CE 3 déc. 2010, Gandia,
req. n o 334622 , Lebon T .).

Mais l'attitude d'un mari qui, au cours de l'accouchement de sa femme, fait obstacle à l'intervention de médecins de sexe
masculin, nécessaire pour faire face à une situation d'urgence, est regardée comme la cause directe et exclusive des graves
séquelles neurologiques dont l'enfant demeure atteint (CAA Lyon, 10 juin 2008, Cts I., req. n o 05LY01218, AJDA 2008. 1128,
obs. Brondel ). Et le patient qui refuse de subir une intervention urgente dans l'hôpital où il a été transporté après un
accident et exige d'être transféré dans un autre établissement ne saurait rechercher la responsabilité de l'hôpital au titre de
l'amputation rendue inévitable par le retard ainsi apporté au traitement (CAA Lyon, 28 déc. 2006, M., req. n o 03LY01894,
inédit). Ces solutions s'expliquent par le fait que les médecins sont tenus de respecter le refus du patient de subir une
intervention. En revanche, il leur appartient de refuser de pratiquer un acte demandé par le patient, mais qui n'est pas
médicalement justifié, si bien que « la responsabilité du service public hospitalier ne saurait être atténuée au motif qu'un acte
médical dommageable a été sollicité par le malade lui-même » (CAA Lyon, 15 mai 2007, D., req. n o 04LY00116, AJDA 2007.
1470, obs. Kolbert ).

156. Pour des applications de l'« exception de risque accepté » dans des cas où une personne s'est sciemment exposée à
des nuisances, Voir :

- CE 10 déc. 1967, Chambellan, Lebon 521 : aviculteur ayant installé son élevage à proximité d'un chantier dont il ne pouvait
ignorer qu'il allait reprendre et entraînerait un bruit susceptible de nuire à la ponte de ses volailles ;

- CE 31 janv. 1968, Sté pour l'aménagement de la Bretagne et Ville de Brest, Lebon 83 : restaurateur ayant adjoint une salle
de bal à son établissement alors qu'étaient déjà décidés des travaux de nature à en empêcher l'exploitation ; le préjudice
qu'il a subi du fait de la cessation de cette activité n'est pas indemnisable ;

- CAA Paris, 9 juill. 1991, Synd. des copropriétaires de la Résidence de la Défense, RD publ. 1991. 1433, concl. Dacre-W right :
personnes ayant acquis un logement à proximité de voies de circulation bruyantes.

V. en revanche : CAA Nancy, 25 juin 1992, Cne de Tomblaine, req. n o 90NC00240, Lebon T. 1304 : en s'installant dans un
quartier où le maintien de l'ordre public n'est pas convenablement assuré, un habitant d'une commune ne commet pas une
faute de nature à exonérer cette commune de la responsabilité qui lui incombe à raison des carences de son maire à faire
usage de ses pouvoirs de police.

1 5 7 . Mais ces quelques hypothèses doivent selon nous être soigneusement distinguées, au moins en ce qui concerne le
raisonnement du juge, des cas où le Conseil d'État prend en considération les particularités de la victime non pas en tant que
cause exonératoire, mais en tant qu'elles ont une influence sur son droit à réparation. Il est en effet des cas où la victime n'a
pas droit à indemnité parce qu'elle n'est pas dans une situation juridiquement protégée, ou au contraire se trouve dans une
situation excluant tout droit à indemnité (V. sur ce point l'abondante jurisprudence citée par ODENT, fasc. 4, p. 1535 s.). De
même, lorsque la responsabilité est fondée sur le risque, le préjudice doit être spécial et anormal, c'est-à-dire excédant celui
auquel les intéressés doivent s'attendre et qu'ils supportent sans indemnité. Mais il s'agit là de considérations tirées de la
nature du préjudice et du droit à l'indemnité, et qui n'ont en elles-mêmes aucune incidence sur la responsabilité. En particulier,
l'état physiologique d'une personne, ou la vétusté d'une construction, ne saurait selon nous être considéré comme une
atténuation de la responsabilité de l'auteur du dommage, même s'il a une influence sur le montant de l'indemnité (V. en ce
sens : ODENT, fasc. 4, p. 1492. - En sens contraire, V. PAYRE, article préc.).

158. Par ailleurs, dans le cas de la pluralité de coauteurs, le caractère exonératoire du simple fait de la victime semblerait
difficilement justifiable : s'il s'agit de responsabilité pour faute, le simple fait de la victime devrait rester neutre, puisque la
faute est alors une des conditions de responsabilité ; s'il s'agit de responsabilité pour risque, on comprendrait mal que le fait
de la victime soit exonératoire alors que le fait du tiers ne l'est pas (V. supra, n os 93 s.). C'est pourquoi, à notre avis, le fait
non fautif de la victime n'est pris en compte que dans deux hypothèses : le fait de la victime est l'origine unique du dommage
(V. supra, n o 153) ; il est possible de diviser le dommage et d'assigner à la personne publique défenderesse la part de
responsabilité correspondant à son rôle causal dans la production de ce dommage (l'hypothèse est rare : V. infra, n o 180).

Section 2 - Effets du fait de la victime


Art. 1 - Principe et justifications
159. Lorsqu'elle répond aux caractéristiques qui viennent d'être définies, la faute de la victime - ou son fait - produit un effet
partiellement ou totalement exonératoire de la responsabilité du défendeur (V. infra, n os 160 s.), cela indépendamment du
système de responsabilité de l'espèce : faute ou risque (V. infra, n os 165 s.).

§ 1 - Effet partiellement ou totalement exonératoire


160. Le principe de l'effet exonératoire du fait ou de la faute de la victime remonte au droit romain : « Quod si quis ex culpa
sua damnum sentit, non intellegitur damnum sentire » (DIGESTE, De Regula juris, 50, 17, cité par H., L. et J. MAZEAUD, op. cit.,
n o 1449). Cette règle est traditionnelle dans notre ancien droit. L'étude du droit comparé montre qu'elle est reprise dans les
grands systèmes de droit étranger (H., L. et J. MAZEAUD, loc. cit.). Le code civil, quant à lui, ne fait pas mention d'une telle
règle, les principes généraux qui sous-tendent l'article 1382 empêchant même d'exonérer entièrement l'auteur du dommage.
Dans certains domaines cependant, le législateur post-napoléonien a expressément prévu l'effet exonératoire d'une faute de
la victime (L. n o 46-2426 du 30 oct. 1946, D. 1946. 441, sur les accidents du travail en cas de faute intentionnelle ou
inexcusable de la victime. - L. 15 juill. 1915 mod. art. 407 C. com. [abrogé et remplacé par L. n o 67-545 du 7 juill. 1967,
D. 1967. 258, en matière d'abordage).

1 6 1 . S'agissant de la jurisprudence administrative - mais « le fondement de la règle est tel qu'il a une valeur égale dans
toutes les branches du droit » (LATOURNERIE, article préc., p. 181) -, les auteurs admettent en général que « le principe
repose sur cette idée que la faute du défendeur le rendrait passible d'une condamnation à la réparation intégrale. Une action
lui serait, en ce cas, ouverte contre le demandeur, mais seulement si celui-ci s'est rendu coupable d'une faute. En compensant
d'emblée les responsabilités, le juge, de quelque ordre qu'il soit, ne fait donc qu'obéir aux exigences d'une bonne
administration de la justice » (LATOURNERIE, loc. cit.). F. MODERNE (article préc., p. 40) se réfère lui aussi à cette explication,
que donnaient également les auteurs anciens ; ainsi BOURJON : « Si c'est celui qui a agacé le chien qui a été mordu, il n'a
aucune action, puisqu'il serait le garant de celle qu'il voudrait exercer et que même il en serait seul tenu » (cité par H., L., et
J. MAZEAUD, op. cit., n o 1450).

1 6 2 . Cette explication, pourtant, ne convainc qu'à demi en tant qu'elle s'applique au juge administratif. On peut en effet
douter que la faute du défendeur le rende passible d'une condamnation intégrale, alors que, s'agissant du fait d'un tiers, le
Conseil d'État, au moins lorsque la responsabilité est fondée sur la faute, rejette la théorie de l'équivalence des conditions, et
ne condamne les coauteurs qu'à proportion du rôle qu'ils ont joué dans la production du dommage. M. GALMOT, dans ses
conclusions dans l'affaire du 14 octobre 1966 (Marais, D. 1966. 636), affirmait même que la jurisprudence administrative avait
« depuis longtemps fixé son choix, en écartant très nettement la théorie dite de « l'équivalence des conditions », selon
laquelle doivent être réputés cause d'un dommage tous les éléments qui en sont les conditions nécessaires ».

1 6 3 . De surcroît, voir dans le caractère atténuatoire du fait de la victime le résultat d'une sorte d'action en garantie du
défendeur contre cette victime, qui est une personne privée, est peu compatible avec les règles de compétence
juridictionnelle. Il est vrai que pour R. ODENT (fasc. 4, p. 1562), « le bon sens commandait cette solution ». J. MOREAU (op. cit.,
p. 197) voit aussi une anomalie dans la compétence du Conseil d'État à juger la « faute personnelle » de la victime, alors que
les fautes personnelles des fonctionnaires ne peuvent être appréciées que par les tribunaux judiciaires ; cet auteur justifie lui
aussi la solution par le souci d'une bonne administration de la justice.

1 6 4 . En définitive - pour autant que le traditionnel réalisme du droit administratif ne décourage pas tout essai d'analyse
explicative rigoureuse, surtout s'agissant d'un des principes généraux les plus communément admis dans tous les systèmes
juridiques -, le Conseil d'État nous semble s'inspirer au gré des espèces de deux types de considérations :

1 o il estimera parfois que l'agissement de la victime est exonératoire du seul fait qu'il a concouru, en tout ou en partie, à la
réalisation du dommage ; le juge prendra ainsi en compte le rôle causal de la victime, et, soit directement, soit par différence,
ne condamnera le défendeur qu'à proportion de sa propre influence dans le dommage ; le raisonnement, fondé sur l'idée de la
causalité adéquate, n'est pas alors différent de celui qui conduit à reconnaître le caractère exonératoire du fait d'un tiers dans
le cas de responsabilité pour faute ;

2 o dans d'autres espèces au contraire, et les plus nombreuses, le juge se laissera guider par l'idée que la victime ne peut que
s'en prendre à elle-même des conséquences de ses propres fautes : telle est d'ailleurs, nous semble-t-il, l'inspiration de la
règle indiquée au Digeste (supra, n o 160). C'est notamment dans les cas où il estime que la faute de la victime est tellement
grave qu'elle exonère totalement le défendeur que le Conseil d'État fait le plus nettement application de l'adage nemo auditur
propriam turpitudinem allegans. La justification du caractère exonératoire de la faute de la victime nous semble être alors la
fonction de sanction qui s'attache parfois à la responsabilité civile bien qu'elle lui soit en principe étrangère, ainsi que sa
fonction de prévention (la victime ne devant s'attendre qu'à toucher une indemnité réduite en cas de faute de sa part).

§ 2 - Influence du système de responsabilité


165. Si la faute de la victime est susceptible de supprimer ou d'atténuer la responsabilité du défendeur indépendamment du
fondement de la responsabilité, on ne saurait cependant affirmer que, dans l'appréciation concrète des responsabilités de
chacun, le juge ne tient pas compte du système dans lequel il se trouve, faute ou risque.

A. - Principe d'application générale


166. On pourrait sans doute s'étonner de ce que la faute de la victime soit exonératoire en cas de responsabilité sans faute,
alors que, dans ce cas, le fait du tiers ne l'est pas. En effet, le raisonnement qui veut que le caractère non exonératoire du fait
du tiers dans les cas de responsabilité sans faute est une conséquence de l'exclusion de la faute comme condition
d'engagement de ce genre de responsabilité (V. supra, n o 93) pourrait tout aussi bien s'appliquer à la faute de la victime. La
justification des deux causes d'exonération n'est donc pas la même, ce qui confirme à notre avis que la règle trouve ici son
fondement dans l'idée de sanction ou dans l'adage nemo auditur. De plus, il serait choquant que la charge de la réparation
pèse tout entière sur le défendeur lorsque sa responsabilité est engagée de plein droit, sur le terrain du risque, mais qu'elle
puisse être partagée lorsque c'est la faute du demandeur qui engage sa responsabilité : d'un point de vue moral en effet, le
demandeur paraît plus « responsable » dans le second cas que dans le premier.

167. On sait d'ailleurs que, dans un arrêt du 21 juillet 1982 (La mutualité industrielle, Desmares et autres, GAJC, 11 e éd.,
p. 293), la deuxième chambre de la Cour de cassation a jugé que, dans le cas où le gardien est de plein droit responsable de
la chose en vertu de l'article 1384, alinéa 1 er, du code civil, le comportement de la victime n'est exonératoire que s'il constitue
un cas de force majeure.
168. Les solutions retenues par les ordres de juridiction sont donc désormais divergentes, le Conseil d'État s'en tenant au
principe que le fondement de la responsabilité n'exerce aucune influence sur le principe du caractère exonératoire du fait de la
victime.

Toutefois, dans certaines hypothèses, le juge administratif lui-même dénie aujourd'hui un caractère exonératoire au fait de la
victime : c'est le cas lorsqu'un fonctionnaire a été victime d'un harcèlement moral (V. supra, n o 146) ou lorsqu'à la suite de la
constatation de la nullité du contrat, le cocontractant de l'administration demande sur un terrain quasi contractuel le
remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité (V. supra, n o 137). Cette dernière exception
s'explique par le caractère objectif de l'enrichissement sans cause.

En dehors de ces cas particuliers, le principe est maintenu. Mais on peut se demander s'il ne s'applique pas différemment
selon le fondement de la responsabilité.

B. - Influence du système de responsabilité


169. La doctrine estimait à une époque que, dans le cas du risque, la faute de la victime lorsqu'elle était reconnue comme la
cause unique du dommage, exonérait le défendeur de toute responsabilité (V. en particulier CHAPUS, op. cit., n o 443 :
R. CHAPUS interprète cette solution comme signifiant que, pour le Conseil d'État, « la responsabilité sans faute est subsidiaire
par rapport à celle qui est conditionnée par une faute, et que dès qu'une faute a été commise elle doit s'effacer, la faute étant
censée désigner “le vrai responsable” » ; il juge cette solution « toute sentimentale d'ailleurs, et juridiquement
insoutenable »). Cette opinion doctrinale, reflet d'une jurisprudence ancienne, nous semble dépassée, et nombreux sont les
arrêts qui jugent que la faute de la victime n'est qu'une cause atténuatoire de la responsabilité de la puissance publique,
même en cas de responsabilité sans faute (V. CE, sect., 28 juill. 1951, Dame Aubergé et Dumont, Lebon 447, un automobiliste
blessé et un passager tué par des coups de feu tirés par un gardien CRS alors que la voiture venait de franchir un barrage de
police : responsabilité de l'État atténuée de moitié du fait de l'imprudence du conducteur, qui n'a pas prêté suffisamment
d'attention aux signaux lumineux et sonores réitérés. - CE 18 avr. 1980, SNIAS, Lebon 190 : dans les conditions dans
lesquelles le centre d'essai en vol prend en charge les avions qui lui sont confiés par les constructeurs, en vue de la délivrance
du certificat de navigabilité, l'État doit assumer en principe la responsabilité des accidents survenus au cours de ces
opérations ; toutefois, en l'espèce, faute du constructeur qui garde à sa charge la moitié des conséquences dommageables
de l'accident survenu à un appareil).

170. Pour les collaborateurs occasionnels du service public, envers lesquels la responsabilité de l'administration est engagée
sur le terrain du risque (V. CE 14 nov. 1956, Cne du Crotoy, Lebon 431 : collaborateur occasionnel blessé, alors qu'il avait
accepté de donner le départ de bateaux lors d'une fête municipale, par l'explosion prématurée d'un engin utilisé à cette fin :
graves négligences relevées à la charge de la victime, instruite par l'exercice même de sa profession de démineur des dangers
que présentaient les explosifs ; partage par moitié. - De même, V. CE 26 juin 1968, Caisse primaire de sécurité sociale du
Calvados, Lebon 403 : même partage, le collaborateur occasionnel devant être instruit par l'exercice même de sa profession
d'électricien du danger de l'opération qu'il avait entreprise. - 27 nov. 1970, Cts Appert-Collin, Lebon 709 : « imprudence de la
victime »).

171. On peut toutefois se demander si la sévérité des juges à l'égard des victimes n'est pas plus grande lorsque celles-ci
bénéficient d'un régime favorable de responsabilité sans faute, ceci étant la contrepartie de cela (en ce sens, V. H., L. et
J. MAZEAUD, op. cit., n o 1447 : « Autrefois, la victime avait grand-peine à obtenir réparation, tenue qu'elle était toujours
d'établir la faute de celui qu'elle assignait ; mais, quand elle avait fait cette preuve, les tribunaux se montraient difficiles pour
décider qu'elle était elle-même en faute. Aujourd'hui que la situation du demandeur se trouve très améliorée par les
présomptions de responsabilité, la jurisprudence admet avec beaucoup plus de facilité l'existence d'une faute de la victime ;
elle se sert du fait de la victime comme d'un élément modérateur et peut ainsi conserver au système français de
responsabilité la souplesse nécessaire… »).

172. En droit administratif, les commentateurs relèvent traditionnellement la grande sévérité du juge à l'égard des victimes
de dommages de travaux publics. Ainsi P. CABANES et D. LÉGER, commentant la décision du 23 février 1973 (Ville de
Chamonix, Lebon 170) : « Lorsque l'obstacle ou le danger est évident, la victime est impardonnable de ne pas l'avoir vu ;
lorsque l'obstacle ou le danger est de faible importance, la collectivité est pardonnée de ne pas y avoir porté remède ». On
sait que, dans cette décision, le Conseil d'État a exonéré totalement la commune de sa responsabilité en raison de
« l'imprudence grave » commise par un automobiliste qui avait laissé son véhicule à l'aplomb du toit d'un bâtiment public
chargé de neige durcie dont les risques de chute étaient très apparents malgré la présence sur le toit de « barres à neige ».

173. De façon générale, on estime que le système de responsabilité a également une influence sur la méthode de répartition
des responsabilités respectives de la victime et de la personne publique mise en cause.

Art. 2 - Répartition des responsabilités


§ 1 - Théories et méthodes
174. Comme lorsqu'il a à estimer la valeur exonératoire du fait d'un tiers, deux méthodes s'offrent au juge : proportionner la
responsabilité de la victime et du défendeur à la gravité de leurs fautes, ou au rôle causal qu'ont joué les parties dans la
survenance du dommage.

1 7 5 . On établit en général une corrélation entre le choix de l'une ou l'autre de ces deux méthodes et le système de
responsabilité. En effet, la première ne trouve évidemment à s'appliquer que dans les cas où la responsabilité du demandeur
est engagée pour faute. En revanche, dans le cas de responsabilité sans faute, on estime traditionnellement que « le juge
tient compte de l'importance qu'a eue la faute de la victime dans la survenance du dommage » (ODENT, fasc. 4, p. 1493),
c'est-à-dire de sa valeur causale. On ne saurait pourtant affirmer, à notre avis, que la jurisprudence s'en tient toujours
strictement à la rigueur de ces principes.

176. La prise en compte d'une faute de la victime dans un système de responsabilité sans faute a suscité les vives critiques
de la doctrine. Ainsi, remarque R. SAVATIER (cité par LATOURNERIE, op. cit., p. 182), « entre une responsabilité fondée sur le
risque et une responsabilité dérivant de la faute, il ne saurait jamais y avoir de commune mesure », et « rien ne permet, non
seulement de dire, mais de concevoir comment le poids du dommage pourrait se répartir entre l'un et l'autre » ; de même
G. CORNU pour qui il s'agit d'une « monstruosité logique ». Aussi bien R. LATOURNERIE (article préc., p. 182) que J. MOREAU
(op. cit., p. 225) répondent qu'il ne s'agit que de comparer une faute avec d'autres causes, ce qui n'est en soi ni plus ni moins
difficile que de comparer une faute à d'autres fautes.

177. En réalité, le point de savoir si le partage se fait au prorata de la gravité des fautes ou de leur valeur causale présente
un intérêt limité si l'on admet que la gravité de la faute est un élément de son pouvoir causal. Dans tous les cas, la valeur
atténuatoire de l'agissement de la victime sera appréciée en fonction de la faute qu'elle a commise - de sa gravité en tant que
faute ou de sa valeur causale. La responsabilité civile prend ainsi une coloration quasi pénale, ou, en tous cas, se teinte
d'éléments étrangers à son essence. On retrouve l'idée que la justification du caractère exonératoire de la faute de la victime
doit être recherchée dans la notion de sanction. Tout se passe comme si la jurisprudence considérait que la victime ne saurait
se prévaloir de ses propres imprudences pour demander réparation du dommage. Rares sont en effet les hypothèses dans
lesquelles le juge se place nettement sur le terrain de la causalité pure pour opérer le partage des responsabilités (V. infra,
n os 178 s.). Dans la plupart des cas, il tiendra compte, tout à la fois du rôle causal et de la gravité des fautes (V. infra, n os
182 s.).

§ 2 - Lien de causalité
1 7 8 . Il est tout d'abord des cas où le juge dénie tout effet exonératoire à l'agissement de la victime parce qu'il l'estime
totalement dépourvu de lien avec le dommage (V. CE 12 mars 1980, Min. Agriculture c/ Épx Bony, Lebon T. 880 : le délai
excessif mis par une commission de remembrement à statuer sur une demande dont elle est saisie constitue une faute de
nature à engager la responsabilité de l'État, « sans que celle-ci puisse être atténuée par la circonstance que les intéressés
auraient commis des négligences en laissant figurer […] des mentions erronées sur le cadastre de la commune ». - Dans le
même sens, s'agissant du service public des vaccinations antérieures à la loi n o 64-643 du 1 er juill. 1964 [D. 1964. 220], V. CE,
sect., 10 nov. 1967, Augusto, Lebon 422 : « Il ne résulte pas de l'instruction que la faute qu'aurait commise le sieur Augusto
en faisant vacciner son enfant […] après l'expiration de la période fixée pour la vaccination antivariolique par l'article L. 5 du
code de la santé publique ait ni causé ni aggravé le sort de l'enfant ; dès lors, aucune circonstance n'est de nature à dégager
ou à atténuer la responsabilité de l'État »).

De même :

- CE 9 avr. 1943, Ville d'Alger, Lebon 96 : automobiliste ayant laissé son véhicule en stationnement irrégulier de telle sorte
que la circulation est interrompue ; les services municipaux endommagent le véhicule en tentant maladroitement de le
dégager ; malgré la faute du conducteur, le Conseil d'État ne retient que la responsabilité de la ville, le dommage étant jugé
exclusivement imputable à la maladresse des agents ;

- CE 31 mars 1952, de Libero,Lebon T. 823 : conducteur d'une voiture privée non titulaire du permis de conduire heurté par un
véhicule administratif : absence d'effet exonératoire de cette faute de la victime, laquelle a été sans influence sur l'accident,
uniquement imputable à des fautes du conducteur du véhicule de l'administration ;

- CE 10 mars 1950, Bougearel, Lebon 161 : même solution, la circonstance que la victime se soit trouvée sans titre à bord d'un
véhicule militaire français est sans influence sur la responsabilité d'un char américain qui a heurté le véhicule ;

- CE 19 févr. 1997, Cne du Pré-Saint-Gervais, req. n o 133249 , Lebon 53 : maire ayant illégalement déclaré caduque une
déclaration d'intention d'aliéner ; la commune n'est pas fondée à soutenir qu'en s'abstenant de souscrire alors une nouvelle
déclaration, les victimes de cette faute auraient été à l'origine du préjudice qu'elles ont subi du fait du retard apporté à la
cession de l'immeuble).

V. en général la jurisprudence citée par J. MOREAU ( op. cit., p. 227). Pour des cas où la méconnaissance par la victime de ses
obligations légales n'est pas regardée comme étant à l'origine du dommage, V. CE 21 févr. 1996, SARL oeufs B. B., req.
n o 142883, Le bo n 50 ; Dr. adm. 1996, n o 181, obs. D. P. : dommages causés par des manifestants à des installations
avicoles ; les fautes commises par la société en implantant et en exploitant ces installations en méconnaissance des
législations de l'urbanisme et des installations classées ne sont pas de la nature de celles qui peuvent exonérer l'État de la
responsabilité prévue par l'article 92 de la loi du 7 janvier 1983. - CAA Nancy, 31 oct. 1991, District urbain de Toul, Lebon T.
1244 : la personne publique chargée de l'entretien d'un collecteur des eaux usées ne peut s'exonérer de sa responsabilité
à la suite du refoulement des eaux dans un branchement particulier en invoquant la faute commise par la victime en ne
sollicitant pas une autorisation pour établir ce branchement. En revanche, une société exploitant une pisciculture sans avoir
obtenu l'autorisation au titre de la police des eaux ne peut prétendre à l'indemnisation du préjudice que lui a causé une
pollution accidentelle, dès lors que les dommages subis se rattachent directement à l'irrégularité de l'exploitation au regard de
la police des eaux (CE 30 juill. 1997, SA Geffroy, req. n o 156375 , Lebon T. 678).

179. Le juge nous semble plus réticent à se placer dans une logique de causalité lorsqu'il s'agit de retenir un partage de
responsabilité (V. en ce sens cep : CE 14 oct. 1964, Gradolado, Lebon T. 1013 : si l'imprudence commise par la victime d'un
dommage de travaux publics, du fait qu'elle ne portait pas de casque, est de nature à atténuer la responsabilité de
l'administration, cette responsabilité n'est atténuée que dans la mesure où l'absence de casque protecteur a effectivement
aggravé les blessures, conséquences de l'accident). Il en va de même nécessairement ainsi lorsque l'agissement de la victime
est dépourvu de tout caractère fautif, le fait du demandeur ne pouvant dans ce cas jouer un rôle qu'à proportion de sa valeur
causale (V. CE 4 oct. 1972, Fournier, Lebon 613 : dommage causé à un immeuble par l'exécution de travaux publics également
imputables à l'état de vétusté de cet immeuble : les deux tiers des conséquences dommageables de l'accident laissés à la
charge du propriétaire [question à distinguer de celle des abattements de vétusté, qui se pose au niveau du quantum de
l'indemnité et n'influe pas sur la responsabilité : CE, sect., 5 nov. 1982, Ville de Dole, Lebon 375. - 7 oct. 1983, Sté Bancel et
Choiset, Lebon 404]).

180. Mais, spécialement en matière de travaux publics, l'application de la théorie de la causalité adéquate, qui suppose que le
défendeur n'est condamné qu'à raison du rôle qu'il a joué dans la survenance du dommage, se heurte à la difficulté de
déterminer cet effet causal, le dommage apparaissant comme un tout indivisible. Aussi, le partage d'imputabilité est-il rare,
s'agissant de victimes ayant la qualité de tiers par rapport à l'ouvrage (V. CE 10 févr. 1975, Min. Équipement c/ Dame Vve
Augus to , Lebon 961 : glissement de terrain ayant partiellement détruit une maison, imputable à des infiltrations d'eau
provenant du fossé situé en bordure d'une route nationale, dont l'aqueduc d'évacuation était partiellement bouché ;
responsabilité de l'État maître de l'ouvrage ; toutefois, l'action des eaux n'ayant pu avoir de conséquences aussi graves qu'en
raison de la configuration des lieux et de la nature géologique des terrains d'assiette des bâtiments sinistrés, le tiers du
préjudice est laissé à la charge du propriétaire). Mais de tels dommages étant par nature indivisibles, la solution de cette
décision semble abandonnée par un autre arrêt du 6 février 1981 (Ville de Montpellier, Lebon 80 : désordres survenus à un
bâtiment du fait de travaux de pompage effectués par la commune ; si la structure géologique du terrain d'assiette du
bâtiment sinistré a joué un rôle dans la survenance du dommage, le pompage en a été la « cause déterminante » ; par suite,
condamnation de la commune pour le tout). Pour la même réticence à opérer un partage de causalité en matière de travaux
publics lorsque la cause exonératoire invoquée est le fait d'un tiers, V. supra, n os 97 et 99 s.

1 8 1 . À noter d'autre part que lorsqu'il entend, non pas faire jouer un rôle atténuatoire à la faute de la victime, mais au
contraire dégager entièrement la responsabilité de la personne publique, le juge se placera beaucoup plus volontiers sur le
terrain de la causalité, en indiquant que l'imprudence de la victime est la seule cause du dommage (V. par ex. : CE, sect.,
23 oct. 1987, Sté Nachfolger navigation company Ltd, Lebon 319 : le préjudice subi par un armateur du fait de la destruction
par la marine nationale de l'épave de son navire est imputable à sa propre faute, qui a consisté à faire naviguer avec une
cargaison dangereuse un bâtiment n'offrant pas les garanties techniques requises).

§ 3 - Partage sur la base de la gravité des fautes respectives


182. De façon générale, le juge abandonnera le terrain de la causalité pure pour proportionner le partage de responsabilité à
la gravité des fautes respectives, étant entendu que les deux aspects sont liés, et que, dans la plupart des cas, la gravité de
la faute est un élément de sa force causale (V. supra, n o 177). On renvoie à l'ensemble de la jurisprudence supra, n os 125 à
158. Pour un exemple d'arrêt se référant expressément à la gravité de la faute de la victime, V. CE 22 nov. 1985, Cie
d'assurances The Yorkshire insurance company Ltd, Lebon 340 : la gravité de la faute de collégiens ayant incendié leur collège
atténue à concurrence des 4/5 e la responsabilité encourue par l'État du fait des fautes commises lors de la construction du
bâtiment, qui ont permis la propagation anormalement rapide du feu.

183. Dans certains cas cependant, le juge choisira nettement une logique de sanction en proportionnant les responsabilités à
la gravité des fautes indépendamment de leur valeur causale. Intéressantes à cet égard sont les décisions où le Conseil
d'État considère que la faute de la victime est tellement grave qu'elle exonère totalement de sa responsabilité l'administration
défenderesse, quelle que soit l'importance de la faute commise par cette dernière. Ainsi, les fautes commises par l'inventeur
et le fabricant du « stalinon » sont telles qu'ils ne peuvent utilement se prévaloir de fautes lourdes que l'État aurait commises
en accordant sans contrôle et en n'assurant pas la surveillance de la fabrication et en ne retirant pas assez tôt le visa du
ministre à ce médicament (CE 28 juin 1968, Sté mutuelle d'assurances contre les accidents en pharmacie et autres, Lebon
411). De même :

- CE 17 oct. 1973, Mouzin Lizys, Lebon 573 : fautes d'un notaire, qui a d'ailleurs été condamné au civil, telles qu'elles excluent
toute indemnité au profit de ce dernier ;

- CE 1 er oct. 1976, Cie d'assurances La Concorde et Épx Richard, Lebon 388 : les fautes des propriétaires d'un bateau, qui se
sont abstenus de provoquer la visite annuelle de ce bateau et de demander, à la suite de son acquisition, un certificat de
navigation, sont d'une gravité telle qu'ils ne peuvent se prévaloir des fautes lourdes qu'aurait commises l'État dans sa mission
de surveillance pour demander à être indemnisés des conséquences du naufrage de ce bateau ;

- CE, sect., 7 mars 1980, SARL Cinq-Sept et autres, Lebon 129 : les dirigeants de ce dancing ont méconnu tant les dispositions
du permis de construire que la réglementation sur les établissements recevant du public et se sont abstenus de solliciter
l'autorisation administrative d'ouverture : ils ne peuvent donc utilement se prévaloir des fautes, même lourdes, du maire qui a
négligé d'exercer les contrôles de police qui auraient pu leur éviter de commettre les fautes à l'origine de l'incendie de
l'établissement.

184. Inversement, mais plus rarement, les fautes commises par l'administration sont tellement graves qu'elles « absorbent »
entièrement celles de la victime (V. CE, sect., 9 juin 1978, Épx Jaros, Lebon 238 : véhicule mis en fourrière ; la procédure de
remise aux domaines en vue de l'aliénation a été entachée de graves irrégularités, notamment s'agissant de la mise en
demeure adressée aux propriétaires qui leur assignait un délai inférieur au délai légal de trois mois ; en l'espèce, relève
l'arrêt, la négligence des propriétaires ne saurait exonérer la ville de tout ou partie de sa responsabilité).

1 8 5 . Dans le contentieux de la fonction publique, lorsque l'agent demande une indemnité à raison des conséquences de
l'illégalité d'une mesure le concernant, on tient toujours compte, depuis la célèbre décision d'assemblée du 7 avril 1933
(Deberles, Lebon 439), de l'importance respective des irrégularités entachant la décision administrative et des fautes de la
victime. Et on a vu que la faute de l'agent peut lui ôter tout droit à réparation au titre de la sanction édictée irrégulièrement,
mais justifiée sur le fond, qu'elle a motivée (V. supra, n o 146).

Actualité
185. Extension du droit à indemnisation de l'agent public irrégulièrement évincé. - La section du contentieux du Conseil d'État a
revu la jurisprudence « Deberles » en améliorant l'indemnisation du fonctionnaire illégalement évincé. Cette réparation doit
désormais inclure les primes et indemnités que l'agent avait une chance sérieuse de percevoir à l'exception de celles qui
visent à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice des fonctions (CE, sect., 6 déc. 2013, Cne d'Ajaccio, req.
n o 365155 , AJDA 2014. 219, chron. Bretonneau et Lessi ; AJDA 2013. 2463, obs. Pastor ).
Index alphabétique

Abordage 160

Accidents du travail 37, 113

Action en garantie 88, 106, 163

Action récursoire 7, 67, 77, 93, 108, 112, 114

Action subrogatoire 152

Administré 143 s.

Aéronef 136

Aggravation (de séquelles) 155

Aide sociale à l'enfance 56, 106

Algérie
événements 16

Aliéné 105 s., 152

Alignement 127

Architecte 104, 114, 144

Ascenseur 103, 131

Assistance éducative 106

Assistant maternel
agent public 56

Association syndicale 141

Assureur
faute de l'assuré 121

Bac
naufrage 61

Baignade 108, 139


non surveillée 139

Banque 137

Barrage de police 169

Bateau 131, 134, 139, 170, 183

Cadastre 178

Calamités naturelles 13

Carence
maire(du) 128

Carrière
éboulement 122, 133

Cas fortuit 10, 34 s.


caractère 35 s.
critères 38 s.
effets 47 s.
force majeure 35 s.

Causalité 77, 178 s.


indivisibilité du lien 62, 64
théories juridiques 4 s.

Causalité adéquate 4, 30, 61, 94, 101, 164, 180

Cause étrangère 1 s., 8, 49

Certificat de navigabilité 169, 183

Chantier
signalisation 22

Clinique 68, 74, 132

Clinique ouverte 74

Code civil 2, 10, 35, 106 s., 128, 152, 160, 167

Collaborateurs occasionnels 108 s., 170

Commune
incendie (lutte) 87
police municipale 89

Comportement de l'agent 91, 146

Comptable public 29

Condamnation in solidum 68

Condamnation solidaire 77

Contravention de grande voirie 23

Contrôle de la qualification juridique des faits 11

Crues 85, 142

Défaut d'entretien normal 18, 50, 99 s., 103, 119, 131, 150 s.

Eaux
dégâts 180

Élève 74 s., 84

Employeur
faute 113, 122
préposé (faute) 123

Enfance délinquante 105

Enfant 56, 61, 74, 78, 103, 109, 116, 139, 151

Enrichissement sans cause 137, 168

Entrepreneur
faute 90
responsabilité 102, 150

Équivalence des conditions 4 s., 94, 162

Escroquerie 74, 123

Éviction (illégale) 146

Explosifs 78, 170

Explosion 37, 39, 43, 51, 61 s., 78, 120, 170

Fait d'un tiers 52 s.


caractère 54 s.
effets 58 s.
responsabilité pour faute 59 s.
responsabilité sans faute 93 s.

Fait de la victime
V. Faute de la victime

Faute grave
conclusion d'un contrat illégal 137

Faute lourde 51, 61, 74 s., 78, 122, 136, 145

Faute personnelle 91
détachable du service 91

Faute de service 42, 91

Faute du tiers 72, 79 s., 90, 94


V. Fait d'un tiers

Faute de la victime 115 s.


caractère 118 s.
effets 159 s.
éléments subjectifs 149 s.
fait 153 s.
fait non fautif 158
faute 126 s.
faute personnelle 163
victime 118 s.

Feu d'artifice 78

Fonction publique 185

Force majeure 9 s.
cause première du dommage 15, 29
effets 29 s.
extériorité 12 s.
imprévisibilité 16 s.
irrésistibilité 21 s.

Force publique
concours (refus) 80

Forfait de pension 110

Galerie souterraine 18, 142

Garde d'un mineur 106

Gaz
explosion 120

Glissement de terrain 74, 180

Grève 14, 24, 28

Guerre 13, 28, 39, 42

Harcèlement moral 146, 168

Imprudence 117

Imputabilité du dommage 6, 36

Incendie 46, 51, 61, 74, 107, 141, 183


lutte 61, 87

Inondation 13, 15, 19, 37, 39, 44, 85, 96, 101, 103, 109, 132, 142, 155

Jeux dangereux 139 s.

Légèreté fautive 135

Liens familiaux 55

Maître de l'ouvrage 48, 62, 90, 102 s., 113 s., 129, 180
faute 113

Malade mental 107, 152


Marchand de biens 138

Médicament 183

« Mise au placard » 147

Mistral 16, 19

Navire 24, 131, 134, 181

Négligence 74, 77, 131, 135, 146, 170, 184

Notaire 183

Notice de renseignement 138

Obligation in solidum 60, 62

Office des migrations internationales


certificat médical (délivrance tardive) 153

Orage 17, 31, 44, 132

Ordres professionnels 92

Ouvrage public
tiers 132
usager 117, 129 s.

Parc national 75

Parents
faute de la victime 120

Permis de conduire 178

Permis de construire 127, 142, 183

Permission de sortir 107, 152

Pétrole
importation 155

Piscine 74, 131, 139

Plages 139

Plan ORSEC 109

Police municipale 89

Pont 101, 103, 131

Ponts et Chaussées 103

Précipitations 11, 17, 22

Préjudice spécial et anormal 157

Préposé
faute 123

Présomption de faute 48 s., 82

Preuve 47 s.
entretien normal de l'ouvrage 129, 140

Professionnel 133 s.

Promesses de l'administration 143

Propriétaire 15, 23, 44, 78, 96, 101, 124, 141 s.

Quai 131, 134

Remembrement 178

Renseignements 144

Réquisition 109
Responsabilité sans faute 93 s., 106 s., 110, 113, 152, 166

Révocation 146

Risque 36 s., 43, 46 s., 49 s., 66, 94, 97, 102, 105 s., 157 s., 169 s.
accepté 154 s.

Sage-femme 74

Sanction administrative 56

Service départemental de l'aide sociale à l'enfance 56

Services de police 61, 74

Signalisation 22, 103, 129, 139, 150

Solidarité 62, 84, 86, 104

Station d'épuration 22, 96

Subrogation 70, 107, 114, 121

Taxi 44, 80

Toboggan 103, 151

Transfusions sanguines 68, 83, 111 s.

Transporteur
faute 124

Transports aériens 136

Transports scolaires 84

Travaux publics (Dommages de) 90, 97, 114, 172


participant 90, 113

Tremblement de terre 37, 39

Urgence 155

Vaccinations 82, 178

Véhicule
accidents 61, 74
conducteur, imprudence 55, 129, 169
mise en fourrière 184
passager 169
stationnement irrégulier 178
vol 23

Vents 17, 19

Verglas 129, 131, 136

Veuve
faute de l'employeur 122
faute de la victime 120

Voies publiques
usagers 50, 131, 150

Vol 22 s.

Actualité
10. État initial dégradé d'un patient. « Cause étrangère » d'une infection. Absence. - Le fait qu'un patient à l'état de santé très
altéré soit particulièrement sensible aux infections ne constitue pas une « cause étrangère » au sens de l'article L. 1142-1 du
code de la santé publique lorsque l'infection a été contractée au cours d'une réanimation (CE 17 févr. 2012, M me Mau, req.
n o 342366 , AJDA 2012. 357, obs. Grand ).

77. Suicide d'un détenu et pluralité de fautes. - Les ayants droit d'un détenu qui s'est suicidé peuvent utilement invoquer, à
l'appui de leur action en responsabilité contre l'État, une faute du personnel de l'établissement de santé auquel est rattaché
l'établissement pénitentiaire, si celle-ci a contribué à la faute du service pénitentiaire (CE 24 avr. 2012, Épx Massioui, req.
n o 342104 , AJDA 2012. 917, obs. Biget ).
Carence fautive dans le suivi médical d'un détenu. Obligation pour le juge administratif de statuer. - Le juge administratif, lorsqu'il
est saisi d'un recours indemnitaire dirigé contre l'État tendant à la réparation du dommage imputé à une carence fautive dans
le suivi médical d'un détenu à l'intérieur de l'établissement pénitentiaire, ne peut rejeter ces conclusions comme étant mal
dirigées (CE 4 juin 2014, req. n o 359244 , Lebon T. ; AJDA 2014. 1184, obs. Poupeau ).

146. Responsabilité de l'État pour non-déclaration de l'activité d'un vétérinaire sous mandat sanitaire. Faute de la victime. Effets. -
L'État commet une faute de nature à engager sa responsabilité en ne versant pas les cotisations dues par l'employeur aux
régimes général et complémentaire de retraite auxquels doit être affilié un vétérinaire exerçant une activité en vertu d'un
mandat sanitaire. S'agissant d'une éventuelle faute du vétérinaire de nature à atténuer la responsabilité de l'État, la Haute
Juridiction estime qu'il incombait à l'État, en sa qualité d'employeur, de procéder aux démarches déclaratives de l'activité du
requérant, lequel n'a pu, par ailleurs, « malgré la durée de la période en cause, avoir connaissance de l'absence de paiement
par l'État des cotisations qu'il devait, compte tenu des conditions de versement des rémunérations auxquelles il avait droit ».
Le requérant n'a donc pas « contribué au préjudice qu'il invoque en n'ayant pas accompli de démarche en vue de son
affiliation » (CE 14 nov. 2011, Min. Alimentation, Agriculture et Pêche c/ Camblong, req. n o 341325 , AJDA 2011. 2262, obs.
Grand ).

185. Extension du droit à indemnisation de l'agent public irrégulièrement évincé. - La section du contentieux du Conseil d'État a
revu la jurisprudence « Deberles » en améliorant l'indemnisation du fonctionnaire illégalement évincé. Cette réparation doit
désormais inclure les primes et indemnités que l'agent avait une chance sérieuse de percevoir à l'exception de celles qui
visent à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice des fonctions (CE, sect., 6 déc. 2013, Cne d'Ajaccio, req.
n o 365155 , AJDA 2014. 219, chron. Bretonneau et Lessi ; AJDA 2013. 2463, obs. Pastor ).

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