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Travaux de groupe séminaire droit administratif : la responsabilité sans faute des personnes

publiques. Master II Droit public fondamental UO2, 2014-2015. Enseignant : Pr Paul KIEMDE

Université de Ouagadougou Année académique : 2014-2015

UFR/Science Juridique et Politique

Master II Droit public fondamental

SEMINAIRE DE DROIT ADMINISTRATIF

TRAVAUX DE GROUPE :

LA RESPONSABILITE SANS FAUTE DES PERSONNES PUBLIQUES

Membres du groupe :

BAMOGO Ezzedine

NABASSAGA Souleymane

TRAORE Yacouba

SOMMAIRE

I. L’ORIGINALITE DE LA NOTION DE RESPONSABILITE SANS FAUTE


A. Les fondements de la notion
1. Les thèses civilistes
2. Les thèses publicistes
B. Les différentes formes de responsabilité sans faute
1. La responsabilité sans faute d’origine jurisprudentielle
2. La responsabilité sans faute d’origine législative
II. L’ELARGISSEMENT CONSTANT DE LA RESPONSABILITE SANS
FAUTE
A. Un nouveau cas de responsabilité sans faute fondée sur la notion de garde
1. La jurisprudence GIE Axa courtage 2005 
2. Les prolongements de la jurisprudence GIE Axa courtage 
B. Une remise en cause des cadres traditionnels de responsabilité sans faute
des personnes publiques
1. La remise en cause apparente des cadres traditionnels
2. La remise en cause avérée des cadres traditionnels

1
Travaux de groupe séminaire droit administratif : la responsabilité sans faute des personnes
publiques. Master II Droit public fondamental UO2, 2014-2015. Enseignant : Pr Paul KIEMDE

INTRODUCTION

La responsabilité administrative se distingue des responsabilités civiles et pénales.


Dans un Etat de droit, la puissance publique ne peut agir sans être responsable en contrepartie
de ses actes. C'est l'obligation qui pèse sur une personne de réparer le préjudice subi par une
autre. La notion même de responsabilité administrative est fondamentalement l’œuvre du juge
administratif français1, et du reste son affirmation a fait l’objet d’une évolution particulière
dans la jurisprudence administrative.

De 1790 à 1870: Irresponsabilité de droit de l'Etat, irresponsabilité de fait des Agents


Publics. Une loi de 1790 avait posé le principe de l'irresponsabilité de l'Etat. L'irresponsabilité
de la puissance publique apparaissait, comme une cordillère de la souveraineté 2. En
contrepartie de cette irresponsabilité, les agents publics étaient censés être responsables
devant l'ordre judiciaire. Mais il fallait pour cela une autorisation du Conseil d'Etat en tant que
Conseil du Gouvernement (Art 75 Constitution de l'an VIII) qui en pratique était très rarement
accordée; c'est la « garantie » des fonctionnaires. Une fois abandonnée le principe de
l'irresponsabilité, il a permis la substitution de la responsabilité de l'Etat à son agent, et a
aménagé le régime de responsabilité pour aller le plus loin possible dans la voie de
l'indemnisation. L'évolution s'inscrit dans un mouvement général de « socialisation » des
risques qui tend à faire de la puissance publique une sorte d'assureur tous risques des
dommages pouvant survenir aux administrés.

En droit, la théorie de la responsabilité présente une extrême importance pratique et


théorique ; la possibilité pour les administrés d'obtenir réparation des dommages imputables à
la puissance publique est une pièce essentielle de l'Etat de droit ; par-delà sa valeur pratique,
toute théorie de la responsabilité reflète une certaine forme de civilisation. Généralement,
l'Administration engage sa responsabilité lorsqu'elle a commis une faute. Cette faute peut être
individuelle commise par un agent déterminé, ou encore elle peut consister dans une faute
anonyme dont l'auteur n'apparaît pas de manière précise.

Longtemps, il a paru suffisant de fonder la responsabilité de l'auteur d'un dommage sur


la faute commise par lui. Le texte de base, c'est-à-dire les articles 1382 et suivants du code
civil, répondait à cette idée simple et traditionnelle : «  Tout fait quelconque de l'homme, qui
cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». A la
victime, il appartenait donc, pour obtenir réparation du dommage qu'elle a subi, de prouver la
faute de l'auteur du dommage, conformément au droit commun de la preuve. La responsabilité
de l'Etat sera reconnue de manière restrictive (TC 8 février 1873 « Blanco »). Mais le
Tribunal des Conflits précise ici que cette responsabilité a ses « règles spéciales », qu'elle
relève de règles autonomes, qui ne sont pas celles du droit privé (ce qui justifie qu'il attribue
la compétence à la juridiction administrative et non à l'ordre judiciaire: la compétence suit le
fond).

La domination quasi exclusive de la faute comme fondement de la responsabilité a de


nos jours pris fin. La multiplication des accidents, matériels ou corporels que le

1
L’arrêt « Blanco » consacre à la fois le principe de la responsabilité de la puissance publique, mais aussi celui
de son autonomie au regard des règles consacrées par le Code civil.
2
Benjamin CIRHUZA NYAMAZI, De la responsabilité sans faute de l'administration en droits comparés
français, belge et congolais, Mémoire Licence en droit option droit privé et judiciaire 2007, Université de Goma
(RDC).
2
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publiques. Master II Droit public fondamental UO2, 2014-2015. Enseignant : Pr Paul KIEMDE

développement de la société industrielle a entraîné dans son sillage prouve cette évolution
vers une nouvelle conception de la responsabilité. Le problème trouve sa délicatesse quand on
aborde la notion de responsabilité sans faute des personnes publiques. Les régimes de
responsabilité sans faute présentent l’avantage de permettre l’indemnisation des victimes, sans
pour autant impliquer la recherche d’une faute par l’administration ou ses agents. La victime
doit seulement prouver l’existence d’un préjudice spécial et anormalement grave dans la
plupart des hypothèses envisagées, et d’un lien de causalité entre celui-ci et le fait générateur
reproché à l’administration3. La personne publique est un terme générique désignant une
collectivité publique : Etat, collectivité territoriale, établissement public4.

Plusieurs cas témoignent cette nouvelle tendance, notamment quand il s'agit des
dommages de travaux publics, du risque exceptionnel qui est soit une responsabilité du fait
des activités dangereuses, la responsabilité sans faute en matière hospitalière, les accidents
survenus aux collaborateurs de l'Administration et tant d'autres etc. La France a même légiféré
dans le souci de garantir la sécurité juridique des administrés en engageant la responsabilité
de l'Administration sans aucune faute de sa part en ce qui concerne le risque professionnel, les
dommages causés par les attroupements et rassemblements, les dommages corporels
vaccinatoires, et tant d'autres encore.

Il faut rappeler que la responsabilité sans faute constitue une innovation du juge
administratif. Par l'arrêt du Conseil d’État du 21 juin 1895 Cames, le juge affirme que l'État
doit garantir ses ouvriers contre le risque résultant des travaux qu'il leur fait exécuter. Cette
théorie de responsabilité sans faute a également rompu avec le dogme de l'irresponsabilité
totale de l'Etat législateur. Cette responsabilité administrative étendue se fonde, sur l'idée
d'une obligation de sécurité que l'Etat doit garantir aux particuliers.

Mais, quels sont les fondements de cette responsabilité ? A quelles conditions


l’Administration peut être tenue à réparer les dommages ainsi survenus sans aucune faute de
sa part ?

Traiter de la responsabilité pour risque de l'Administration nous permet d'approfondir


cette question spéciale du droit administratif et contribuer ainsi à notre formation. Ce travail
permettra aussi de susciter une réflexion sur la question aux autres étudiants, aux chercheurs
et praticiens du droit pour arriver à déterminer si l'Etat burkinabé garanti les actes
dommageables causés aux administrés par le fait du risque qu'il crée.

Dans l’analyse de cette théorie de responsabilité sans faute des personnes publiques,
nous analyserons l’originalité de cette matière spéciale du droit administratif (I), avant de
faire remarquer son élargissement constant remettant en cause le cadre traditionnel de cette
notion (II).

I. L’ORIGINALITE DE LA NOTION DE RESPONSABILITE SANS FAUTE


3
Serge VILLEY, Droit administratif, Paris, librairie Vuibert, 6é édition, juillet 2007
4
Lexique des termes juridiques, 14 édition 2003, Dalloz.
3
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publiques. Master II Droit public fondamental UO2, 2014-2015. Enseignant : Pr Paul KIEMDE

Pendant longtemps, l’idée même de souveraineté d’État exonérait la puissance publique


de toute action en responsabilité. Même si toute indemnisation n’était pas exclue, le dogme de
l’infaillibilité protégeait l’administration. Ce dogme sera abandonné avec l’arrêt « Blanco »,
aujourd’hui encore salué comme l’arrêt fondateur du droit administratif. Plusieurs théories ont
été avancées pour fonder la responsabilité sans faute et notamment deux théories pour fonder
celle de l'Etat (A). L'application de la responsabilité sans faute de l'Administration trouve son
origine en France dans la jurisprudence et la législation (B).

A. Les fondements de la notion5

Pour fonder la responsabilité civile de l'Administration, les juridictions


administratives, devant appliquer un droit exorbitant du droit commun, ont dû chercher
quelque fondement pour justifier leurs solutions. Tantôt, ce sont les thèses civilises qui leur
servaient de modèle (1), tantôt c'est le droit public qui leur fournissait le fondement de leur
position (2).

1. Les thèses civilistes

En se référant aux thèses civilistes, les tribunaux administratifs ont repris avec leurs
défauts, les fondements invoqués en droit privé pour expliquer la responsabilité civile des
particuliers. Les critiques furent les mêmes. C'est d'abord l'idée de faute, puis celle du risque
que l'on a reprise au droit civil pour essayer de fonder la responsabilité de l'Etat. Pour déclarer
l'Etat responsable, le conseil d'Etat exigeait au début, que soit prouvée la faute à l'origine du
dommage. Il a ainsi refusé d'admettre la responsabilité de l'Etat pour un dommage causé par
un agent dans l'exercice de ses fonctions, lorsqu’aucune faute n'avait pu être relevée. La
responsabilité administrative n'était engagée que par la faute administrative.

Affirmer que la responsabilité de l'Administration se fonde sur la faute est une


contradiction dans les termes, car ce que l'on présente comme une responsabilité pour faute
est en réalité une responsabilité sans faute du responsable, tout au moins une responsabilité
pour autrui. L'Administration, personne morale ne peut matériellement commettre une faute.

Après l'idée de faute, bien qu'elle reste encore le fondement principal de la


responsabilité de l'Etat, l'idée du risque s'est introduite peu à peu, consacrée déjà par la loi et
soutenue par la jurisprudence. Suivant cette théorie du risque, on proclame alors qu'il est juste
et équitable que la collectivité toute entière, de par le fait qu'elle profite de ces avantages que
sont les services publics, supporte la charge de la réparation du préjudice exceptionnel causé
par ceux-ci. En effet, il ne faut pas que seuls certains particuliers en supportent anormalement
le poids. L'idée sous - jacente à cette théorie est celle de garantie. Elle n'est pas encore bien
exprimée mais elle est présente. L'Administration par ses services publics crée en même
temps des risques contre lesquels elle doit garantir les administrés.

5
Benjamin CIRHUZA NYAMAZI, De la responsabilité sans faute de l'administration en droits comparés
français, belge et congolais, Mémoire Licence en droit option droit privé et judiciaire 2007, Université de Goma
(RDC).
4
Travaux de groupe séminaire droit administratif : la responsabilité sans faute des personnes
publiques. Master II Droit public fondamental UO2, 2014-2015. Enseignant : Pr Paul KIEMDE

Si la responsabilité pour risque n'a pas une portée générale en droit administratif
malgré son progrès constant, cela tient surtout à des raisons pratiques d'ordre financier : on
craignait en effet de voir les patrimoines administratifs affectés de trop lourdes charges. Dans
presque tous les cas où peut jouer la théorie du risque, la jurisprudence du Conseil d'Etat lie
l'application de celle-ci à l'existence d'une donnée exceptionnelle, anormale, qui n'est du reste
pas toujours la même. Elle exige tantôt un préjudice exceptionnel, tantôt un risque
exceptionnel, parfois même les deux ou encore la contrepartie d'une prérogative
exceptionnelle.

Mais, cette reconnaissance partielle de responsabilité civile de l'Etat sera très vite
handicapée par de sérieux conflits de compétence. La cour de cassation et les autres
juridictions judiciaires estimaient en effet, que lorsque la responsabilité civile de l'Etat était
admise, elles devaient être les seules juridictions compétentes et que seules devaient être
applicables les règles de droit commun de la responsabilité civile, en l'occurrence les articles
1382 et suivants du code civil. A l'opposer, le Conseil d'Etat, déclarait qu'en vertu de la règle
de la séparation des autorités administratives et judiciaires, il fallait rejeter les principes de
droit civil en matière de responsabilité publique ; l'Administration seule était compétente pour
connaître des litiges mettant en cause la responsabilité de l'Etat.

2. Les thèses publicistes

Les thèses publicistes sont d’abord fondées sur la théorie de l’Etat assureur. Cette
théorie considère que l'Etat doit pouvoir réparer tout dommage causé à ses administrés,
comme un véritable assureur. Comme il a reçu une prime constituée par une partie des impôts
versés directement ou indirectement par les citoyens, il doit assurer ceux-ci contre les
dommages provenant de l'activité étatique. Mais, on peut reprocher à ce fondement, de
reprendre une image incorrecte, celle du contrat d'assurance. Il n'y a pas de contrat d'assurance
entre l'Etat et les individus et on ne verrait pas sur quelle base les individus exigeraient
réparation de l'Etat, si l'on s'en tient à cette théorie.

Ensuite, on a la théorie de l'égalité des citoyens devant les charges publiques. L'idée
qu'elle reflète est que si la loi préconise l'égalité des citoyens aux fonctions, elle vise aussi
l'égalité devant les charges. Et le rôle des juridictions est alors de rétablir l'égalité entre les
citoyens qui ont souffert et ceux qui n'ont pas souffert de l'activité étatique, en allouant une
indemnité payée sur le budget de l'Etat aux victimes de préjudices subis indûment. Cette
théorie a été à son tour critiquée. On lui reproche de confondre la cause et l'effet de la
responsabilité de l'Etat. On fait remarquer à juste titre d'ailleurs, que « l'idée de l'égalité des
charges est la conséquence et non le fondement de la responsabilité de l'Etat. Le fondement de
la responsabilité ne peut pas trouver sa cause dans ce qui n'en est que l'effet. La réparation du
préjudice est une chose, la répartition de cette réparation en est une autre ».

Enfin, on a la théorie de la sécurité. Le fondement de cette théorie tourne autour de


l'idée de sécurité que l'Etat doit assurer à ses administrés. Les tenants de cette thèse font
observer que la sécurité des individus est la raison même de la vie juridique des peuples et de

5
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l'organisation des sociétés et que l'Etat doit y veiller constamment. Ils comparent alors la
situation de l'Etat à celle d'un commettant de droit privé. Ils considèrent qu'il doit, tout comme
ce denier, répondre des dommages causés par ses agents dans l'exercice de leur fonction, non
pas parce qu'il a pu commettre quelque faute, créer un risque ou rompre l'égalité des charges
entre les citoyens, mais parce qu'il a l'obligation de garantir la sécurité des individus contre les
actes dommageables de ceux qui exercent une activité en son nom et pour son compte.

B. Les différentes formes de responsabilité sans faute

La responsabilité de l’administration peut en dehors de toute faute être engagée bien


sûr si la loi le prévoit (1), mais aussi à partir d’initiatives jurisprudentielles (2).

1. La responsabilité sans faute d’origine jurisprudentielle

La jurisprudentielle française énumère plusieurs cas où la responsabilité civile de


l'Administration est engagée sans aucune faute de sa part que ce soit sur la base du risque ou
sur celle de la rupture de l’égalité des citoyens devant les charges publiques.

Sur la base du risque, il est possible de déterminer au moins trois (3) cas de responsabilité
sans faute de l’administration. Il s’agit de la responsabilité du fait des choses, des méthodes
ou situations dangereuses, la responsabilité du fait des collaborateurs du service public et la
responsabilité du fait des dommages de travaux publics ou ouvrages publics.

 Les choses et méthodes dangereuses, risque de voisinage

Dans les cas où l’administration cause un dommage à autrui, par suite de l’utilisation de
choses dangereuses ou de méthodes dangereuses, sa responsabilité sans faute peut être
engagée. Cette situation a été reconnue à l’occasion de l’affaire du fort de la double couronne
à Saint-Denis, où un grand nombre d’explosifs avait été entreposés durant la première guerre
mondiale. Une violente explosion eut lieu causant la mort de 33 personnes et faisant 81
blessés. Le Conseil d’Etat français estima que l’administration militaire n’avait pas commis
de faute mais que ces opérations « comportaient des risques excédant les limites de ceux qui
résultent normalement du voisinage…et de nature à engager indépendamment de toute faute
la responsabilité de l’état » (C.E 28 mars 1919 REGNAULT DESROZIERS)6.

Cette jurisprudence a été par la suite étendue à des cas où l’administration utilise
directement des choses dangereuses proprement dites. Ainsi l’utilisation par la police d’armes
à feu fait courir aux tiers, étrangers à l’opération de police des risques tels que le régime
retenu sera celui de la responsabilité sans faute. Cette jurisprudence fut inaugurée par les
arrêts « Lecomte » et « daramy » 7. Dans la première affaire, une balle tirée par un policier à la
poursuite d’un véhicule suspect avait atteint le patron d’un café, tranquillement assis devant

6
Gilles DARCY, la responsabilité de l’administration, Dalloz 1996.

7
C.E 24 juin 1949 GAJA n°645
6
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publiques. Master II Droit public fondamental UO2, 2014-2015. Enseignant : Pr Paul KIEMDE

son établissement. Dans la seconde, à la suite d’une altercation à Bordeaux entre un chauffeur
de taxi et trois individus, un gardien de la paix, en poursuivant les agresseurs tua une passante.

Le Conseil d’Etat élargissait le champ d’application en en faisant bénéficier les tiers


résidants dans le voisinage d’institutions d’éducation surveillée où des méthodes libérales de
milieu « semi-ouvert » étaient pratiquées. La liberté faisait partie du système de rééducation
des délinquants et favorisait des évasions parfois suivies de vols ou d’agressions. Retenir une
faute de surveillance revenait à condamner le système de l’éducation surveillée et le Conseil
d’Etat dans l’intérêt de ce système et celui des victimes, retient la responsabilité sans faute8.

En droit burkinabé, cette hypothèse de responsabilité sans faute se réfère fortement à la


considération qu’un objet dangereux ou une situation dangereuse est à l’origine de quelque
dommage survenu aux tiers. Des lors, l’abandon d’un objet dangereux sur la voie publique et
qui n’est signalé par aucun dispositif approprié dénote, de l’avis du juge, un défaut d’entretien
des voies publiques et de signalisation des obstacles. La faute de l’administration alors
présumée et sa responsabilité peut être engagée, sans que la victime ait à rapporter la preuve
d’une faute quelconque. C’est ce qui ressort d’un certain courant jurisprudentiel inauguré par
l’arrêt Traoré Issa du 8 décembre 1967. Relativement aux activités dites dangereuses, un seul
exemple a illustré la question pendant longtemps ; de manière implicite, celui-ci consacre le
principe de la responsabilité sans faute de l’administration à raison de certaines activités
considérées comme particulièrement dangereuses. C’est ce qui ressort de l’arrêt Gansonré
Moumouni 11 mai 1996 relativement à la réparation des activités dommageables des Comités
de Défense de la Révolution.

Le juge a retenu également la responsabilité de la collectivité publique à propos de


l’accident causé à un enfant de nationalité étrangère par explosion d’une grenade présumée
abandonnée par les forces de l’ordre dans la rue après une opération de maintien de l’ordre
dans la ville de Bobo-Dioulasso ; s’appuyant sur le fait qu’il existe un risque spécial de
dommage du fait d’une telle activité, la juge n’a pas hésité un seul instant à confirmer le
jugement du tribunal qui avait retenu la responsabilité sans faute de l’administration à
réparation de divers chefs de préjudices (arrêt Bonnet José Patrick du 14 juin 2005)9.

 Le risque du fait des collaborateurs du service public

Pour les agents permanents de l’administration victimes d’un accident au cours de leurs
services, le principe de responsabilité sans faute fut très tôt reconnu (CE 21 JUIN 1895,
CAMES). Cette jurisprudence a cependant perdu de son intérêt du fait du développement de la
législation en matière de droit de la fonction publique et du droit du travail .La jurisprudence
« CAMES » a trouvé une application inattendue à l’égard des collaborateurs non permanents
ou occasionnels de l’administration lesquels ayant prêté bénévolement leur concours, ne
peuvent pas supporter sans contrepartie les dommages qui pourraient en résulter. Mais la

8
C.E 3 février 1956 Thouzellier
9
Salif YONABA, La pratique du contentieux administratif en droit burkinabé : de l’indépendance à nos jours,
Imprimerie les Presses Africaines, 2é édition janvier 2008 p. 273-275

7
Travaux de groupe séminaire droit administratif : la responsabilité sans faute des personnes
publiques. Master II Droit public fondamental UO2, 2014-2015. Enseignant : Pr Paul KIEMDE

jurisprudence exige trois (3) conditions pour l’application de ce principe :


-première condition : l’activité à laquelle le particulier a subi le dommage doit revêtir un
caractère de service public, mais il n’est pas nécessaire qu’il s’agisse d’un service public
institutionnalisé.
–deuxième condition : le concours du particulier s’il est bénévole doit avoir été sollicité, en
cas d’urgence il doit avoir été tacitement accepté par l’autorité administrative
–troisième condition : la collaboration au service public doit avoir commencé au moment où
le dommage se produit.

 la responsabilité du fait des dommages de travaux publics et ouvrages publics

La jurisprudence définit le travail public, comme étant un travail immobilier effectué soit
pour une personne publique à des fins d’intérêt général 10, soit par une personne dans le cadre
d’une mission de service public, sur des biens appartenant à des particuliers 11. Le travail
public obéit au même régime juridique que l’ouvrage public ; l’ouvrage public étant défini
comme un travail public achevé. Ce régime de responsabilité est considéré comme un régime
qui trouve sa base dans les risques que le travail public fait courir aux particuliers par rapport
aux avantages que ces derniers peuvent en tirer. Lorsque la victime se trouve dans la situation
de tiers par rapport à l’ouvrage public, il s’agira d’un régime de responsabilité sans faute,
mais lorsqu’elle est dans la position d’usager par rapport à l’ouvrage public, il s’agira d’un
régime de responsabilité pour faute. Le tiers est celui qui ne participe pas à l’exécution du
travail public ou au fonctionnement de l’ouvrage public. C’est celui qui n’utilise pas cet
ouvrage public ou n’en tire pas profit. Dans ce cas, il lui suffit d’établir la preuve du lien de
causalité entre le travail public ou l’ouvrage public incriminé et le dommage invoqué. Par
contre, l’usager est celui qui use ou qui tire profit d’un ouvrage public ou d’un travail public
et en cas de dommage la responsabilité a pour fondement la faute présumée ou admise. Il
s’agira donc d’un régime de responsabilité pour faute.

Pour la preuve en cas de responsabilité pour dommages de travaux publics, la


jurisprudence burkinabé exige la simple preuve du lien de cause à effet. Ainsi, dans l’arrêt
Oualy Antoinette du 11 février 1977, la chambre administrative avait jugé que dans la mesure
où il était prouvé que les dommages étaient dus à la présence des excavations sur la voie
publique, la responsabilité de la puissance publique devait être engagée.

En ce qui concerne la rupture de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, l’idée
est que les particuliers tirent profit des activités de l’administration et ils doivent donc en
contrepartie, en supporter les inconvénients, mais lorsque les inconvénients dépassent un
certain seuil de gravité pour un particulier, il y a rupture de l’égalité des citoyens devant les
charges publiques. Dès lors l’administration doit réparer au moins en partie le dommage
qu’elle a causé à l’administré. Trois(3) situations peuvent être distinguées qui ne présentent
pas de risques ou de dangers en elles-mêmes mais qui peuvent causer des dommages ouvrant,
dans certains cas, droit à réparation aux victimes :

10
CE 10 juin 1921 commune de Monségur.
11
TC 28 mars 1955 Effimief
8
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publiques. Master II Droit public fondamental UO2, 2014-2015. Enseignant : Pr Paul KIEMDE

 la responsabilité du fait des activités administratives légales

Un acte administratif réglementaire légal peut engager la responsabilité sans faute de


l’administration s’il a pour conséquence de causer un préjudice anormal et spécial au
détriment d’une personne (CE 22 février 1963, commune de Gavernier). Cependant l’acte
administratif doit avoir été pris dans l’intérêt général et doit dans le même temps désavantager
gravement la victime. En outre la jurisprudence exige que le préjudice subi ne fasse pas partie
des risques connus et acceptés par la victime. Mais lorsque l’acte administratif en question est
illégal on se trouve dans une hypothèse de responsabilité pour faute.

Autre cas de responsabilité du fait des activités administratives légales, la responsabilité


du fait de l’inexécution d’une décision de justice. Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat admet que
la responsabilité sans faute de l’Etat puisse être engagée du fait du refus du gouvernement
d’ordonner l’expulsion par la force publique armée de tribus qui occupaient irrégulièrement
en Tunisie les terres du sieur COUITEAS, lequel avait obtenu de la justice un jugement
d’expulsion. Ce refus étant justifié par la crainte de troubles graves à l’ordre public et le
préjudice spécial et anormal du requérant sera réparé sur le fondement d’une responsabilité
sans faute. Mais certaines conditions doivent être remplies. En effet la victime doit être en
possession d’une décision exécutoire nécessitant l’intervention de la force publique, ensuite le
refus de concours de la force publique doit avoir un fondement valable, enfin le refus doit se
prolonger pendant une période anormalement longue. Cette jurisprudence de 1923 eut
l’occasion d’être appliquée par la suite dans d’autres hypothèses ne concernant pas seulement
l’inexécution d’une décision de justice12.

 La responsabilité du fait des lois et des conventions internationales


On admet ici la responsabilité de l'Etat lorsqu'une loi a pour conséquence de causer
spécialement à un administré un dommage grave excédant la charge que doit supporter un
citoyen (CE « SA des produits laitiers La Fleurette  » 14 janvier 1938), ce qui renvoie aux
conditions de la responsabilité sans faute. Cette jurisprudence était autrefois très restrictive:
on voit qu'on a les exigences du préjudice, mais aussi une condition tendant à la volonté du
législateur de ne pas avoir voulu faire supporter ce poids aux individus. Mais cette condition a
été assouplie: si les trois premières conditions sont remplies, « le silence d'une loi sur les
conséquences que peut comporter sa mise en œuvre ne saurait être interprété comme excluant,
par principe, tout droit à réparation des préjudices que son application est susceptible de
provoquer »13.

Ces principes, valables pour les lois, furent étendus aux conventions internationales (CE
« Compagnie générale d'énergie radio électrique » 30 mars 1966): il faudra donc que la

12
CE 3 juin 1938, société cartonnerie saint Charles ; CE 28 octobre 1949, société ateliers cap Janet ; CE 4
octobre 1978 Braut.

13
CE « Coopérative agricole Ax'ion » 2 novembre 2005
9
Travaux de groupe séminaire droit administratif : la responsabilité sans faute des personnes
publiques. Master II Droit public fondamental UO2, 2014-2015. Enseignant : Pr Paul KIEMDE

convention ou la loi n'exclut pas l'indemnisation, et qu'on ait un préjudice particulièrement


grave et spécial.

 La responsabilité du fait des dommages permanents des travaux publics ou


ouvrages publics

Les travaux publics étant exécutés dans l’intérêt général, si les préjudices qui en résultent
présentent un caractère de spécialité et d’anormalité, la responsabilité de l’auteur des travaux
est engagée pour rupture de l’égalité devant les charges publiques. La victime est alors
indemnisée sans avoir à prouver que le dommage a été causé par une faute. Cette hypothèse
de responsabilité sans faute a été reconnue pour la première fois dans l’arrêt Commune de
Vic-Fezensac en 1931. Les dommages permanents de travaux publics ont ensuite donné lieu à
une abondante jurisprudence. Ainsi, le Conseil d’état relevé deux types de dommages pouvant
résulter de la construction d’un ouvrage public : le trouble de jouissance (un voisin ne peut
profiter normalement de sa propriété) et la dépréciation de la valeur de la propriété (la
construction d’un ouvrage bruyant et/ou polluant et/ou inesthétique peut faire chuter la valeur
des propriétés ou des immeubles voisins).

De même, le juge retient le dommage permanent de travaux publics lorsque des travaux
occasionnent une gêne, un trouble dans l’activité des commerçants voisins. Ainsi, un
cordonnier a été indemnisé pour perte substantielle de recette occasionnée pendant près de
deux ans par des travaux de voirie (CE, 6 mars 1970, Ville de Paris)14.

Qu’elle soit engagée pour faute ou sans faute, la responsabilité administrative exige la
réunion de quatre éléments suivants, dégagés par la Chambre administrative de la Cour
suprême dans un arrêt du 25 mars 1977 ; il faut : que le préjudice soit certain ; qu’il existe un
élément considéré comme la source du préjudice ; qu’il existe un lien de causalité et le
préjudice ; que le fait, source du préjudice soit imputable à la puissance publique15.

La responsabilité du fait des lois, les activités des collaborateurs bénévoles de


l’administration, la responsabilité du service public hospitalier, n’ont pas encore été exploré
en droit burkinabé. Et l’on peut se demander s’ils le seront un jour ! Cela est surtout vrai de la
responsabilité du service public hospitalier qui constitue une véritable préoccupation de
l’heure16.

2. La responsabilité sans faute d’origine législative

14
Philippe FOILLARD, Droit administratif, Edition Paradigme, 14é édition 2009.
15
Nia Gustave MILLOGO, Cours de contentieux administratif, école nationale d’administration et de
magistrature (ENAM), Cycle A 2014

16
Salif YONABA, La pratique du contentieux administratif en droit burkinabé : de l’indépendance à nos jours,
Imprimerie les Presses Africaines, 2é édition janvier 2008 p. 273-275
10
Travaux de groupe séminaire droit administratif : la responsabilité sans faute des personnes
publiques. Master II Droit public fondamental UO2, 2014-2015. Enseignant : Pr Paul KIEMDE

Le législateur français est intervenu pour rétablir l'égalité devant les charges publiques.
Nous ne saurons pas énumérer tous les cas où le législateur français intervient pour
réglementer une de responsabilité sans faute ; en voici quelques-uns notamment :

 Le risque professionnel

La notion d'accident de travail on le sait, n'est pas définie clairement. La doctrine et la


jurisprudence française définissent l'accident de travail comme : Un événement soudain,
anormal, une action imprévue d'une force extérieure, et une lésion corporelle entraînant une
incapacité de travail ou la mort. Cela doit se passer pendant que l'agent public se trouve dans
le service ou en dehors du service.

Les ouvriers et employés accomplissent souvent entre leurs domiciles et entreprise, de


longs trajets et utilisent soit les transports publics, soit leurs engins personnels. Ce fait
entraîne un nombre assez considérable d'accidents de circulation particulièrement groupés aux
heures de pointe, le matin et le soir. Avant la loi française du 30 octobre 1946, on refusait en
règle générale de reconnaître le caractère d'accidents du travail aux accidents dont était
victime le salarié lorsqu'il se rendait au lieu de son travail où en revenait. Cette solution était
logique tant qu'on se trouvait dans un système de responsabilité civile. En effet, le patron
n'était responsable et que dans la mesure où le salarié se trouvait sous son autorité. Or,
pendant le trajet entre le lieu du travail et son domicile, le salarié n'est plus sous l'autorité de
l'employeur et l'activité de ce dernier n'est pas à l'origine. Le législateur français ne s'est pas
fondé sur cet argument pour venir au secours des victimes d'accidents de trajet. C'est l'équité
qui a exigé que le législateur intervienne.

 Les dommages causés par les attroupements et rassemblements

Il faut évoquer un régime particulier de responsabilité pour risque établi par la loi : celui
de la réparation des dommages causés par des rassemblements ou attroupements dangereux.
Apres avoir pesé sur les commune, cette responsabilité incombe à l’Etat depuis la loi du 7
janvier 1983 (son contentieux a été transféré à la juridiction administrative par la loi du 9
janvier 1986). Concrètement, il s’agit de faire assumer par la collectivité les dommages causés
par des attroupements ou des rassemblements. La jurisprudence apprécie de façon stricte la
notion d’attroupement17. C’est de sa concrétisation dans une affaire que dépend l’application
de ce régime de responsabilité. Cette responsabilité se caractérise par son champ d’application
particulièrement large18 : peu importe que le dommage ait été causé par les manifestants ou
par les forces de l’ordre19, peu importe que les victimes aient été ou non étrangère à la
manifestation, enfin peu importe la nature du dommage. Le CE estime en effet que la loi
n’énonce « aucune restriction quant à la nature des dommages indemnisables20».
17
La notion de rassemblement en matière de responsabilité de l'Etat du fait des attroupements, disponible sur
www. FallaitPasFaireDuDroit.fr
18
Philippe FOILLARD, Droit administratif, Edition Paradigme, 14é édition 2009.
19
TC, 2 juin 1945, Epoux Cuvillier, Rec. p.276
20
CE, avis 6 avril 1990, Sté Cofiroute et SNCF
11
Travaux de groupe séminaire droit administratif : la responsabilité sans faute des personnes
publiques. Master II Droit public fondamental UO2, 2014-2015. Enseignant : Pr Paul KIEMDE

Les seules restrictions tiennent à la nature des actes commis par les manifestants à leur
lien avec les dommages. La responsabilité de l’Etat ne peut être engagée que si les dommages
sont la conséquence directe et certaine d’actes de violence graves, constitutifs de crimes ou de
délits commis par des rassemblements ou attroupements précisément identifiés.

 Les dommages corporels résultants d'une infraction pénale

L'Etat français indemnise (responsabilité sans faute) certaines personnes victimes de


dommages corporels résultants d'une infraction pénale (la loi en la matière est celle du 3
janvier 1977). Cette loi a comblé une lacune incontestable du système français : celle où la
victime d'une infraction pénale ne peut obtenir réparation, soit parce que l'on ne connaît
l'auteur de l'infraction, soit parce que ce dernier est insolvable. Deux cas sont à distinguer. Il
y a indemnisation intégrale du préjudice lorsque celui-ci consiste en des atteintes à la
personne, causées soit par une infraction ayant entraîné la mort immédiate de la victime ou
une incapacité de travail supérieure à un mois, soit s'il s'agit d'un attentat aux mœurs. Si non
on indemnise les victimes d'un vol, d'une escroquerie ou d'un abus de confiance à la condition
qu'elle se trouve de ce fait dans « une situation matérielle grave ».

 L'indemnisation de personnes ayant subi un préjudice du fait de certaines


procédures pénales

La loi française, en cette matière prévoit la réparation intégrale des préjudices matériel et
moral causés par la détention. L'indemnisation est allouée par le premier président de la cour
d'appel dans le ressort de laquelle a été prononcée la décision de non-lieu, de relaxe ou
d'acquittement. L'appel est possible devant une commission nationale d'indemnisation placée
auprès de la Cour de cassation.

Par ailleurs, ce cadre classique de responsabilité sans faute connait de nouveaux


développements tendant à l’élargissement voire même à la dénaturation de la notion de
responsabilité sans faute.

II. UN ELARGISSEMENT CONSTANT DE LA RESPONSABILITE SANS


FAUTE

Les champs d’application de la responsabilité sans faute se sont considérablement


développés (A). Ainsi, le juge a été à l’origine de nouveau cas de responsabilité sans faute,
qui sont du coup de véritable remise en cause du cadre traditionnel de la notion (B).

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Travaux de groupe séminaire droit administratif : la responsabilité sans faute des personnes
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A. Un nouveau cas de responsabilité sans faute fondée sur la notion de


garde21

C'est une jurisprudence spécifique à la garde d'un mineur, que l'on peut aisément
associer aux activités dangereuses. En effet, on a là un régime de responsabilité pour risque
inspiré de la responsabilité civile du fait d'autrui lorsque le gardien n'est pas une personne
privée mais une personne publique.

1. La jurisprudence GIE Axa courtage 2005 

La jurisprudence GIE Axa courtage est la transposition en droit administratif de la


notion civiliste de garde. Elle vient utilement compléter les principes posés par l’arrêt
Thouzelllier en matière de risque spécial de dommage.

La notion de garde est posée par l’article 1384 du Code civil. Elle signifie que les
personnes, assumant la garde de mineurs, tels que les parents sont responsables des actes
dommageables de ceux-ci. Le 29 mars 1991, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a,
par l’arrêt Blieck, posé un principe général selon lequel les dommages causés par un mineur
placé par le juge des enfants dans un établissement privé engagent la responsabilité de ce
dernier sur la base de la garde. Ces principes valent que le mineur relève du régime de
l’assistance éducative ou de celui de l’enfance délinquante. Cette position du juge judiciaire
s’inspirait directement de la jurisprudence administrative en matière de risque spécial de
dommage. C’est par un mouvement inverse que le Conseil d’Etat a transposé en droit
administratif la notion civiliste de garde.

Avant cet arrêt, les règles régissant ce secteur de la responsabilité administrative


étaient relativement variées. Ainsi, les dommages causés par un mineur placé en danger
relevaient de la faute prouvée, alors que les dommages causés par un mineur délinquant
étaient soumis au régime du risque spécial de dommage. Le 11 février 2005, par un arrêt de
section GIE Axa courtage, le Conseil d’Etat reprend à son compte la notion de garde créée en
droit privé. Ainsi, la personne qui est dotée du pouvoir juridique « d’organiser, diriger et
contrôler la vie du mineur » doit assumer les conséquences dommageables des actes de ce
mineur. Il s’agit d’une responsabilité objective applicable dès lors que la personne assume la
garde du mineur. En d’autres termes, la décision de confier la garde du mineur à une personne
publique transfère à cette dernière la responsabilité de celui-ci. Cette responsabilité n’est
écartée qu’en cas de faute de la victime ou de cas de force majeure. Comme le relevait le
professeur Lachaume, l’objectif de ce nouveau régime est d’assurer la socialisation du risque,
en permettant l’indemnisation des victimes des dommages causés par un mineur dont la garde
relève non pas de ses parents mais de l’Administration. Il y a donc une sorte de transfert de
responsabilité entre cette dernière et les parents. Appliqué à 2005 aux mineurs placés dans le
cadre de mesures d’assistance éducative. Ce régime a, ensuite, été étendu aux dommages
causés par les mineurs délinquants faisant l’objet d’un placement.

21
Claire LANDAIS, Frédéric LENICA, une responsabilité sans faute fondée sur la notion de garde, AJDA 2005
p.663

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On retrouve la même solution mot pour mot étendue aux mineurs délinquants:
responsabilité de l'association qui en a la garde des dommages qu'ils causent à des tiers sans
faute (CE «  MAIF » 1er février 2006) ; mais l'arrêt précise que cela ne fait pas obstacle à ce
que soit recherchée parallèlement la responsabilité de l'Etat à raison du risque créé par la mise
en œuvre d'une des mesures de liberté surveillée prévue par l'ordonnance de 1945. Ce cumul
de responsabilité présente plusieurs inconvénients dans la mesure où, l'Etat étant plus
solvable, c'est la jurisprudence Thouzellier qui sera la plus invoquée; jurisprudence pour
risques exceptionnels qui ne se justifie plus forcément et qui, si on prend en compte le fait que
le gardien du mineur délinquant reçoit une rémunération de l'Etat comprenant le cout des
cotisations d'assurances pour les dommages causés, revient à faire payer l'Etat deux fois.

La jurisprudence GIE Axa courtage a fait l’objet de multiples applications, dont


certaines apportent d’utiles précisions.

2. Les prolongements de la jurisprudence GIE Axa courtage22 

L’arrêt Lauze de 2008 précise sur deux points la jurisprudence de 2005 : d’abord sur la
notion de garde, ensuite sur la nature du préjudice. Un arrêt rendu l’année suivante étend le
champ d’application de ce régime s’agissant des victimes.

 l’arrêt Lauze de 2008

L’arrêt Lauze du 17 décembre 2008 a permis au Conseil d’Etat de préciser la notion de


garde et celle du préjudice réparable.

Dans cette affaire, le jeune Lauze a été agressé par un mineur dont la garde avait été
confiée, sur la base de la législation en matière d’assistance éducative, au foyer d’action
éducative de Nîmes, établissement relevant de l’Etat. La particularité de cette affaire est que
l’agression a eu lieu non dans ce foyer, mais dans le lycée agricole de Rodilhan. La question
posée est donc de savoir si l’établissement assumant la garde de ce mineur est responsable,
même lorsque le dommage a été causé alors que le mineur était sous la responsabilité du lycée
et que le foyer d’action éducative n’en assumait pas la garde matérielle. Pour le ministre de la
justice, en pareille hypothèse, l’Etat ne saurait voir sa responsabilité engagée. Cette position
n’est, cependant, pas celle qui est, conformément aux conclusions du commissaire du
Gouvernement, retenue par le Conseil d’ Etat. En effet, ce dernier adopte une conception
extensive de la garde : ainsi, ce régime de responsabilité s’applique même si le mineur n’était
pas, au moment de la réalisation du dommage, sous la garde effective et matérielle de
l’établissement. En conséquence, la garde n’est forcément effective et matérielle ; elle doit
seulement être théorique, abstraite et juridique. Ce faisant, la Haute juridiction reprend à son
compte la conception civiliste de la garde s’appliquant aux parents : en effet, ces derniers sont
responsables des actes de leurs enfants même si au moment des faits, ils n’en assuraient pas la
surveillance matérielle. La seule possibilité pour l’Etat de se désister d’une partie de sa
responsabilité consisterait à se retourner contre un tiers qui aurait concouru au dommage ou
aurait manqué à ses obligations.
22
Les prolongements de la jurisprudence GIE Axa courtage (CE, 17/12/2008, Mr. Lauze), disponible sur www.
FallaitPasFaireDuDroit.fr

14
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L’autre apport de cet arrêt concerne la notion de préjudice.

Il faut, au préalable, définir les notions d’anormalité et de spécialité. Ainsi, un


préjudice est dit anormal s’il atteint un certain degré d’importance. En d’autres termes, il doit
excéder les simples gênes que les membres de la collectivité doivent supporter sans
compensation. En effet, indemniser tous les préjudices conduirait à une inaction de
l’Administration, puisque chacun de ces agissements cause, à un point de vue ou à un autre,
un dommage. Ainsi, lorsqu’il est confronté à une affaire, le juge détermine quelle est la part
du préjudice qui est imputable aux inconvénients normaux de la vie sociale. Ensuite, pour être
spécial, le préjudice doit n’atteindre que certains membres de la collectivité. Si le dommage
frappe une communauté d’individus, le préjudice n’est pas spécial dans la mesure où tous les
individus sont dans une situation identique par rapport au fait dommageable.
En l’espèce, le ministre de la justice considère que ce régime de responsabilité ne peut
s’appliquer qu’en cas de dommage anormal et spécial. Mais, le Conseil d’Etat précise, par
l’arrêt Lauze, que la responsabilité de l’Etat fondée sur la garde n’est pas soumise à une telle
condition. En effet, comme le relevait le commissaire du Gouvernement, « la reconnaissance
d’un régime de responsabilité sans faute n’implique pas nécessairement l’exigence que le
préjudice indemnisable soit anormal et spécial ». Un arrêt rendu l’année suivant est venu, une
nouvelle fois, compléter la jurisprudence GIE Axa courtage.

 Les précisions de l’arrêt Ministre de la justice c/ Association tutélaire des inadaptés

Cette affaire (CE, 13/11/2009, Ministre de la justice c/ Association tutélaire des inadaptés)
met en cause trois mineurs et un majeur. Les trois mineurs ont été placés en septembre 2005
au foyer d’action éducative de Niort sur la base de l’ordonnance relative à l’enfance
délinquante. Le majeur fait lui l’objet d’une mesure de protection judiciaire « jeune majeur ».
Les premiers ont, ainsi, agressé le jeune majeur. La particularité de cette affaire est donc que
tant les auteurs du dommage que la victime sont usagers du service public de la justice. Or, en
principe, la victime usager d’un service public relève normalement d’un régime de
responsabilité pour faute, dans la mesure où elle tire un bénéfice personnel du service. C’est
en tout cas la position défendu par le ministre de la justice pour justifier l’inapplicabilité de la
jurisprudence GIE Axa courtage. Une nouvelle fois, le Conseil d’Etat adopte une position très
favorable aux victimes.

La Haute juridiction pose le principe selon lequel la jurisprudence GIE Axa courtage est
applicable quelle que soit le statut de la victime : en d’autres termes, le régime de
responsabilité fondé sur la garde s’applique tant aux tiers par rapport au service public qu’aux
usagers. Cette position est confortée par deux arguments. Le premier implique de dire que
lorsque la victime du dommage est elle-même usager de la protection judiciaire de la jeunesse
; elle se trouve donc, tout comme les auteurs de l’agression, dans un état de vulnérabilité.
Imposer, en conséquence, un régime de responsabilité pour faute pourrait, alors, paraitre
choquant. De plus, la Cour de cassation a jugé que le régime basé sur la garde était applicable
à toutes les victimes, que ces dernières soient usagers ou tiers par rapport au service (C. Cass.,
20/01/2000, Topique). C’est cette position que prend le juge administratif, ce qui permet une
unification des régimes applicables devant les deux ordres de juridiction. En d’autres termes,
ce qui compte est le statut de l’auteur de dommage et non celui de la victime. Ainsi, que celle-

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ci soit tiers ou usager par rapport au service, le régime de responsabilité fondé sur la garde
trouve à s’appliquer.

L’extension trop poussée de cette notion a conduit à la remise en cause des cas
traditionnels de responsabilité sans faute.

B. Une remise en cause des cadres traditionnels de responsabilité sans faute


des personnes publiques23

Un processus est en cours ; il va vers l'éparpillement et le chevauchement des


catégories juridiques du droit administratif, et n’épargne pas ce chapitre particulièrement
emblématique qu'est la responsabilité des personnes publiques et plus précisément son régime
jurisprudentiel de droit commun. Ce dernier semblait pourtant reposer depuis quelques
décennies maintenant sur une construction doublement binaire, deux dichotomies apparaissant
comme exhaustives. L'une, de premier rang, oppose la responsabilité pour faute, dont le «
poids » demeure essentiel, à la responsabilité sans faute. L'autre, de second rang, distingue, au
sein de la responsabilité sans faute la responsabilité pour risque et celle pour rupture de
l'égalité devant les charges publiques.
Deux arrêts récents, très remarqués, ont toutefois été interprétés par certains
observateurs comme remettant en cause cet équilibre : l'arrêt GIE Axa Courtage 2005 et
l’arrêt Gardedieu 2007.

3. La remise en cause apparente des cadres traditionnels

À lire certains commentaires, l'arrêt GIE Axa Courtage de 2005 marquerait


l'implosion de la structure dualiste de la responsabilité sans faute en créant une troisième
variante après le risque et la rupture de l'égalité devant les charges publiques, la garde. Quant
à l'arrêt Gardedieu de 2007, faute de s'insérer dans les cadres ordinaires de la responsabilité
administrative, il conduirait à l'avènement d'une nouvelle hypothèse de responsabilité
empruntant au régime de la responsabilité pour faute et à celui de la responsabilité sans faute.

 Un nouveau cas de responsabilité sans faute : la garde d'une personne

L’arrêt GIE Axa Courtage, s'inspirant de la notion civiliste de garde, le Conseil d'État
a admis que la responsabilité de l'État pouvait être engagée même sans faute pour les
dommages causés par le mineur placé. Comme l'arrêt le précise expressément, il s'agit d'une
hypothèse de responsabilité sans faute. Et ce cas de figure ne s'insère guère dans la logique
classique de la responsabilité pour risque. Le commissaire du gouvernement Christophe
DEVYS, dans ses conclusions, soulignait en effet que la solution qu'il prône, et qui semble
avoir été entièrement reprise par la Section, « relève de la responsabilité pour risque ». Mais il
ajoute immédiatement que s'il s'agit « d'une responsabilité pour risque » elle est « d'une nature
différente de celles que vous retenez jusqu'ici » car « il n'y a plus de risque créé, mais

23
Fabrice MELLERAY, les arrêts GIE Axa Courtage et Gardedieu remettent-ils en cause les cadres
traditionnels de la responsabilité des personnes publiques ? Mélanges JEGOUZO 2009, p. 489

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Travaux de groupe séminaire droit administratif : la responsabilité sans faute des personnes
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simplement un risque assumé, inhérent à la mission de garde dont est chargée l'administration
». Est-il toutefois possible de relever d'une même catégorie et d'être d'une nature différente ?
Cela paraît, sauf à diluer ladite catégorie et à lui faire perdre une grande partie de sa valeur.
Mesure-t-on d'ailleurs toutes les conséquences d'une telle évolution ? En effet, « plus qu'à une
extension, elle aboutirait à une dénaturation complète de la théorie du risque en droit
administratif…  »

La garde des personnes constituerait dès lors un sous-ensemble autonome de la


responsabilité sans faute des personnes publiques. Certains lui prêtent même une faculté
d'éviction qui pourrait rapidement conduire à ce que « le droit de la responsabilité
administrative [...] soit progressivement envahi par la garde ». L'arrêt GIE Axa Courtage
semble ainsi modifier le cadre traditionnel, faire évoluer ses frontières internes. L'arrêt
Gardedieu aurait un effet encore plus radical, nombre d'auteurs soutenant qu'il crée une
hypothèse de responsabilité inclassable.

 Un cas de responsabilité apparemment inclassable : la responsabilité du fait des lois


contraires aux engagements internationaux

Selon l’arrêt Gardedieu, la responsabilité de l'État du fait des lois comprend donc
désormais, comme l'énonce le considérant de principe de cette décision, deux branches
complémentaires.

La première constitue clairement une hypothèse de responsabilité sans faute pour


rupture de l'égalité devant les charges publiques et s'inscrit dans la lignée de la jurisprudence
La Fleurette. La seconde est plus « mystérieuse ». Le Conseil d'État ne précise en effet pas à
quel type de responsabilité se rattache le principe qu'il dégage, principe qui prévoit que tout
préjudice directement causé par une loi inconventionnelle est susceptible d'engager la
responsabilité de l'État. Doit-on dès lors considérer que l'Assemblée du contentieux a
entièrement suivi les conclusions de Luc DEREPAS qui lui proposait d'affirmer « un principe
de responsabilité de l'État du fait des lois inconventionnelles sui generis, de nature objective,
qui serait mis en œuvre chaque fois que trois éléments sont rassemblés : la méconnaissance
d'une disposition internationale par une disposition législative, un préjudice, et l'existence d'un
lien direct de causalité entre les deux. Ce régime ne serait ni un régime de responsabilité pour
faute, ni un régime de responsabilité sans faute, il serait fondé sur une cause juridique
distincte de ces deux autres régimes ». Comment doit-on alors combiner l'avènement de cette
nouvelle cause bicéphale de la responsabilité du fait des lois avec l'existence traditionnelle
d'une cause correspondant à la responsabilité sans faute ? Peut-être est-il possible de
considérer qu'elles se superposent en partie et non qu'elles s'excluent. Dès lors, la
jurisprudence La Fleurette appartiendrait à deux causes à la fois.

En toute hypothèse, qu'elle soit sui generis pour certains ou hybride pour d'autres, la
solution de l’arret Gardedieu peut sembler inclassable dans les cadres traditionnels de la
responsabilité des personnes publiques.

1. La remise en cause avérée des cadres traditionnels

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Travaux de groupe séminaire droit administratif : la responsabilité sans faute des personnes
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À rebours des développements qui précèdent, il a été soutenu que tant la responsabilité
du gardien que celle de l'État du fait des lois inconventionnelles peuvent l'une comme l'autre
s'insérer dans les catégories classiques.

 La responsabilité du gardien

Dès lors qu'il existe trois hypothèses classiques de responsabilité administrative, la


négation de l'originalité de la jurisprudence GIE Axa Courtage est logiquement susceptible de
prendre trois formes. On peut soit soutenir qu'elle se rattache à la responsabilité pour risque,
soit considérer qu'il s'agit d'un cas de responsabilité pour faute, soit estimer enfin qu'elle
constitue une nouvelle hypothèse de responsabilité pour rupture de l'égalité devant les charges
publiques. Et ces trois voies ont été empruntées par les commentateurs.

Nombre d'auteurs semblent avoir opté pour la première solution, affirmant que la
solution de l'arrêt de 2005 instaure une nouvelle hypothèse de responsabilité pour risque. Il a
également été soutenu que la faute est le « véritable fondement de la responsabilité du gardien
». Cette affirmation se heurte toutefois à la lettre même de l'arrêt GIE Axa Courtage qui
précise que la responsabilité du gardien est engagée « même sans faute ». Cette solution
repose clairement sur l'assimilation de la garde aux hypothèses classiques de responsabilité
sans faute puisqu'en matière de responsabilité pour faute il existe deux autres cas
d'exonération (le fait du tiers et le cas fortuit). Reste tout de même, élément en faveur de
l'assimilation entre la garde et la responsabilité pour faute, que tout préjudice semble
indemnisable alors qu'en matière de responsabilité pour risque ou pour rupture de l'égalité
devant les charges publiques la victime ne peut en principe être indemnisée que d'un préjudice
anormal et spécial. Et, si l'on suit la célèbre démonstration de Paul Amselek qui considère que
ce qui caractérise la responsabilité sans faute est l'anormalité du dommage, force est de
reconnaître que l'arrêt GIE Axa Courtage ne semble pas s'insérer dans cette logique. Mais il
ne s'inscrit pas davantage dans celle de la responsabilité pour faute caractérisée, toujours selon
Paul Amselek, par l'anormalité du fait générateur.

Ne reste alors que la rupture d'égalité devant les charges publiques. L'auteur, reprenant
la dichotomie forgée par Charles Eisenmann et opposant le fondement immédiat (ou
condition) de la responsabilité à son fondement médiat, affirme que la garde est certes un
fondement immédiat original de la responsabilité sans faute des personnes publiques mais
n'en constitue nullement un fondement autonome dans la mesure où elle peut être, en tant que
fondement médiat, subsumée par le principe d'égalité devant les charges publiques qui est la
clef d'explication de la responsabilité sans faute dans son ensemble. Car il est un peu rapide
de soutenir « que les dommages causés par des mineurs placés auprès d'un organisme public
par une mesure d'assistance éducative sont toujours des dommages anormaux ».
La jurisprudence GIE Axa Courtage semble ainsi avoir un régime juridique hybride
irréductible aux catégories traditionnelles. Sans doute cela s'explique-t-il par les conditions de
sa naissance. Le juge administratif, souhaitant fort légitimement harmoniser sa jurisprudence
avec celle de la Cour de cassation, a été amené à emprunter au droit civil une construction qui
lui était propre. Et ce « corps étranger » n'était que partiellement assimilable par les cadres

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Travaux de groupe séminaire droit administratif : la responsabilité sans faute des personnes
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traditionnels de la responsabilité administrative. En va-t-il de même de la jurisprudence


Gardedieu.

 La responsabilité du fait des lois contraires aux engagements internationaux : une


responsabilité pour faute qui ne dit pas son nom.

La thèse suivant laquelle la solution Gardedieu pourrait être rattachée à la


responsabilité pour risque n'a été que brièvement envisagée par un commentateur. Elle nous
paraît devoir être écartée sauf à faire perdre à la notion de risque toute sa cohérence, même s'il
est vrai que Duguit, en son temps, plaidait pour une responsabilité du fait des lois fondée sur
le risque.
L'extension de la jurisprudence La Fleurette à l'hypothèse d'une loi inconventionnelle,
aurait d'ailleurs été insuffisante au regard du droit communautaire, ce dernier imposant
l'indemnisation de tous les préjudices et non des seuls préjudices anormaux et spéciaux dès
lors que les trois conditions des jurisprudences Francovich et Bonifaci, Brasserie du Pêcheur
et Factortame III sont réunies (violation d'une règle de droit communautaire ayant pour objet
de conférer des droits subjectifs aux particuliers, liens de causalité directs entre cette violation
et le dommage, violation suffisamment caractérisée). De plus, comme l'a d'ailleurs relevé Luc
Derepas dans ses conclusions, comment invoquer le principe d'égalité étant donné que « ce
sont tous les destinataires de la loi qui sont victimes, et non certains d'entre eux ».

Ne reste alors, sauf à plaider en faveur d'une solution sui generis ou à estimer qu'il
s'agit de l'avènement d'une nouvelle branche de la responsabilité sans faute, que la
responsabilité pour faute. Et, même si le Conseil d'État a soigneusement évité le mot « faute
», il semble qu'il s'agit véritablement d'une responsabilité pour faute qui ne dit pas son nom,
mieux encore qui ne veut pas dire son nom. Certes, on peut comprendre les ressorts «
politiques » de cette prudence, ultime vestige de la souveraineté parlementaire et de feu la
séparation des pouvoirs, et ce d'autant plus que le Conseil d'État était libre, du point de vue du
droit européen, de qualifier ou non le comportement du législateur de fautif.
René Chapus a, comme toujours, tout dit en peu de mots lorsqu'il écrit que « depuis le
revirement jurisprudentiel marqué par l'arrêt Nicolo de 1989, le juge peut [...] apprécier une
loi (ou l'absence de loi adéquate) comme incompatible avec les normes du droit international
et, notamment, du droit communautaire européen [...] Or apprécier une loi comme n'étant pas
compatible avec une norme qui lui est supérieure (et qu'elle devrait respecter), c'est en faire
ressortir l'irrégularité. En d'autres termes, c'est reconnaître que le législateur a commis une
faute. C'est ainsi que, dans l'hypothèse ici considérée, la consécration de la responsabilité de
l'État pour faute du législateur est concevable ».

Le régime issu de l'arrêt Gardedieu ressemble de surcroît à s'y méprendre à celui d'une
responsabilité pour faute : le juge doit établir que le législateur a violé une norme supérieure ;
il indemnisera tous les préjudices causés par cette inconventionnalité. Cette responsabilité
n'est pas d'ordre public. Le seul élément original de la responsabilité de l'État pour

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inconventionnalité d'une loi est dès lors qu'elle forme une cause juridique particulière avec la
jurisprudence La Fleurette.

CONCLUSION

La responsabilité sans faute constitue une innovation du juge administratif. Et c’est


également lui qui est à l’origine de l’ébranlement ou même de la dénaturation des cadres
traditionnels de la responsabilité administrative par son rapprochement avec la responsabilité
civile et par la prise en compte des exigences du droit européen. Ceci n'a rien de surprenant.
Comme l'écrit Maryse DEGUERGUE, « l'utilisation des catégories juridiques du droit civil
pour penser le droit de la responsabilité administrative met [...] à mal l'autonomie et la
spécialité des règles évoquées par l'arrêt Blanco ». De même, Dominique POUYAUD
souligne que « les divergences d'interprétation » de l'arrêt Gardedieu « sont symptomatiques
des difficultés rencontrées par le juge lorsqu'il est confronté à la question des rapports entre la
loi et les normes internationales ». On assiste ainsi en fait à une complexification de la matière
de responsabilité sans faute. Mais comme s’interroge Fabrice MELLERAY, existe-t-il des
chapitres du droit administratif qui soient aujourd'hui moins complexes qu'hier ?
En droit burkinabé, la responsabilité sans faute reste une branche résiduelle du contentieux
administratif en témoigne la faiblesse de la jurisprudence consacrée à la matière.

BIBLIOGRAPHIE

LES OUVRAGES

 Gilles DARCY, la responsabilité de l’administration, Dalloz 1996.


 Michel PAILLET, la responsabilité administrative, Dalloz 1996.

20
Travaux de groupe séminaire droit administratif : la responsabilité sans faute des personnes
publiques. Master II Droit public fondamental UO2, 2014-2015. Enseignant : Pr Paul KIEMDE

 M. LONG, P. WEIL, G. BRAIBANT, P. DEVOLVE, B. GENEVOIS, les grands


arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz, 19 édition 2013
 Philippe FOILLARD, Droit administratif, Edition Paradigme, 14é édition 2009.
 Raymond GUINCHARD et Jean VINCENT, Lexique des termes juridiques, Dalloz,
14 édition 2003.
 Salif YONABA, La pratique du contentieux administratif en droit burkinabé : de
l’indépendance à nos jours, Imprimerie les Presses Africaines, 2é édition janvier 2008
p. 273-275
 Serge VILLEY, Droit administratif, Paris, librairie Vuibert, 6é édition, juillet 2007

LES ARTICLES

 Claire LANDAIS, Frédéric LENICA, une responsabilité sans faute fondée sur la
notion de garde, AJDA 2005 p.663
 Claire LANDAIS, Frédéric LENICA, la responsabilité sans faute du gardien public
d’un mineur délinquant, AJDA 2006 p.586
 Denys de BECHILLON, la responsabilité de fait des attroupements et
rassemblements  : conditions, Recueil Dalloz 2002 p. 527
 Fabrice MELLERAY, les arrêts GIE Axa Courtage et Gardedieu remettent-ils en
cause les cadres traditionnels de la responsabilité des personnes publiques ?
Mélanges JEGOUZO 2009, p. 489

MEMOIRE ET COURS

 Benjamin CIRHUZA NYAMAZI, De la responsabilité sans faute de l'administration


en droits comparés français, belge et congolais, Mémoire Licence en droit option
droit privé et judiciaire 2007, Université de Goma (RDC).
 Nia Gustave MILLOGO, Cours de contentieux administratif, école nationale
d’administration et de magistrature (ENAM), Cycle A 2014

SITE INTERNET

 www.dalloz-etudiant.fr
 www.FallaitPasFaireDuDroit.fr
 www.e-monsite.com

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