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Répertoire de droit des sociétés

Abus de biens sociaux


Bernard BOULOC
Professeur émérite de l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)

juillet 2015

Table des matières

Généralités 1 - 13

Chap. 1 - Sociétés concernées 14 - 34


Sect. 1 - Sociétés françaises 15 - 27
Sect. 2 - Sociétés étrangères 28 - 34

Chap. 2 - Conditions d'existence du délit 35 - 136


Sect. 1 - Personnes exposées aux délits 36 - 57
Art. 1 - Personnes nommées 37 - 47
Art. 2 - Dirigeants de fait 48 - 54
Art. 3 - Question des personnes morales 55 - 57
Sect. 2 - Acte d'usage 58 - 74
Art. 1 - Nature du délit 58 - 59
Art. 2 - Notion d'usage 60 - 63
Art. 3 - Objet de l'usage 64 - 74
Sect. 3 - Acte contraire à l'intérêt social 75 - 99
Art. 1 - Notion 76 - 78
Art. 2 - Applications 79 - 95
§ 1 - Compte courant d'associé 81
§ 2 - Rémunération des dirigeants 82 - 87
§ 3 - Dépenses personnelles 88 - 90
§ 4 - Détournement de créances sociales 91
§ 5 - Emplois fictifs 92
§ 6 - Recours à des moyens illicites 93 - 95
Art. 3 - Appréciation de l'acte 96 - 99
Sect. 4 - Fins personnelles 100 - 126
Art. 1 - Intérêt personnel direct 105 - 113
§ 1 - Avantage d'ordre matériel 106 - 108
§ 2 - Avantage d'ordre moral 109 - 113
Art. 2 - Intérêt personnel indirect 114 - 126
§ 1 - Société ayant des dirigeants communs 115 - 117
§ 2 - Groupe de sociétés 118 - 126
Sect. 5 - Mauvaise foi 127 - 136
Art. 1 - Nécessité de l'intention 127 - 131
Art. 2 - Constatation de l'intention 132 - 136

Chap. 3 - Modalités de la répression 137 - 205


Sect. 1 - Choix de la qualification 138 - 144
Sect. 2 - Personnes poursuivables 145 - 150
Art. 1 - Auteurs 145
Art. 2 - Complices 146 - 147
Art. 3 - Receleurs 148 - 150
Sect. 3 - Règles de procédure 151 - 174
Art. 1 - Flagrance 152
Art. 2 - Juridiction compétente 153 - 154
Art. 3 - Particularités procédurales 155 - 156
Art. 4 - Prescription du délit d'abus de biens sociaux 157 - 174
§ 1 - Infraction instantanée 160 - 161
§ 2 - Constatation de l'infraction 162 - 166
§ 3 - Dissimulation 167 - 169
§ 4 - Associé négligent 170 - 174
Sect. 4 - Sanctions pénales 175 - 183
Art. 1 - Peines principales 176 - 179
Art. 2 - Peine accessoire ou complémentaire 180 - 183
Sect. 5 - Sanctions civiles 184 - 205
Art. 1 - Action civile 185 - 201
§ 1 - Détermination de la victime 185 - 195
§ 2 - Dommages-intérêts 196 - 201
Art. 2 - Conséquences civiles ou commerciales d'un abus de biens 202 - 205

Bibliographie

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ACTUALISATION
Bibliographie. - M.-C. SORDINO, Lanceur d'alerte et droit pénal : entre méfiance et protection ?, Rev. sociétés 2017. 198
.

Généralités

1. L'abus des biens sociaux consiste dans le fait, pour les dirigeants de certaines sociétés, d'user des biens de la société, à
titre personnel, contrairement à l'intérêt social. Cette incrimination qui concerne, essentiellement mais non exclusivement
les sociétés anonymes et les sociétés à responsabilité limitée, est apparue avec les décrets-lois du 8 août et du 30 octobre
1935. Elle a été maintenue par la loi du 24 juillet 1966, et elle figure aux articles L. 241-3 et L. 242-6 du code de commerce.
Longtemps restée discrète, cette infraction est apparue au grand jour soit en raison des liens qu'elle présentait avec des
faits de corruption concernant le monde politique, soit en raison de l'importance des détournements et de l'image
emblématique de la société. Du fait d'une très large médiatisation, l'abus de biens sociaux est devenu l'infraction phare du
droit des sociétés et de la vie des affaires. Elle continue de cristalliser les griefs sur la pénalisation de la vie économique et
d'alimenter les craintes des chefs d'entreprise.
2. Insuffisance de l'abus de confiance. -Les raisons de l'apparition de cette incrimination tiennent au fait de l'insuffisance
du droit pénal classique. Cette insuffisance résultait de la définition de l'infraction d'abus de confiance qui ne pouvait porter
que sur des biens mobiliers, et même corporels. Or, une société peut avoir à sa disposition des créances (biens incorporels)
ou des immeubles. En faire usage ou les détourner ne pouvait donner prise au droit pénal. Et même, en ce qui concerne la
remise, on peut avoir des doutes, car personne ne remet des biens mobiliers au dirigeant d'une société (sauf, peut-être,
lors de la constitution). On voit donc que des difficultés pouvaient apparaître, ce d'autant que le contrat de société n'était
pas l'un de ceux retenus par l'ancien article 408 du code pénal. Sans doute, la jurisprudence avait-elle considéré qu'un
dirigeant de société avait reçu un mandat pour diriger la personne morale, mais un tel mandat n'était pas nécessairement
très précis, car lors de l'entrée en fonction d'un nouveau dirigeant, il n'est nullement procédé à une remise des biens et à la
définition d'une mission particulière.
3. Mais c'est aussi quant aux pénalités que l'abus de confiance apparaissait comme une incrimination insuffisante. En effet,
l'abus de confiance n'exposait qu'à un emprisonnement de deux mois à deux ans – alors que l'escroquerie était punissable
de six mois à cinq ans d'emprisonnement – et à l'interdiction des droits civiques, civils ou de famille de l'article 42 de l'ancien
code pénal, l'amende étant toutefois identique. Or, si les peines de l'abus de confiance pouvaient suffire pour des sociétés
de famille ou de taille modeste, elles étaient notablement insuffisantes pour les grandes sociétés, celles pouvant faire appel
public aux épargnants. En outre, depuis le début du XXe siècle, certaines affaires avaient défrayé la chronique et
apparaissaient comme scandaleuses. Tel est le cas des affaires « Oustric » et « Stavisky » dans lesquelles se trouvaient
mêlés des hommes politiques et des hauts fonctionnaires.
4. Origine. -Un sénateur, LESACHÉ, déposa une proposition de loi, le 4 février 1932. Un projet de loi comportant des
dispositions comparables était déposé en janvier 1935. Mais le gouvernement, préoccupé par la crise économique
consécutive à la crise de 1929 des États-Unis, profita de la loi du 8 juin 1935 de pleins pouvoirs en vue « d'assurer la
défense du franc et la lutte contre l'inflation » pour garantir une meilleure protection de l'épargne, favoriser le
développement des sociétés commerciales et faire taire les inquiétudes suscitées par les affaires. Comme l'indique le
rapport précédant les décrets-lois, « la lutte entreprise pour la défense du franc appelle certaines mesures qui apporteront
aux placements faits par l'épargne une plus grande sécurité en même temps qu'elles sanctionnent plus efficacement les
obligations qui s'imposent à tous ceux que les épargnants ont investis de leur confiance pour la gestion et la surveillance de
leurs capitaux ».
5. Le décret-loi du 8 août 1935 a ainsi introduit dans l'article 15 de la loi du 24 juillet 1867 le délit d'abus des biens sociaux
ainsi que les délits d'abus du crédit, des pouvoirs et des voix, qu'il a déclarés punissables des peines de l'escroquerie. Le
même décret-loi rendait applicables ces délits aux sociétés anonymes (L. du 24 juill. 1867, art. 45). Un décret-loi du
30 octobre 1935 introduisait le délit d'abus des biens sociaux dans les sociétés à responsabilité limitée, ainsi que dans les
organismes d'assurances, de capitalisation et d'épargne.
6. Certains auteurs ont, ultérieurement, contesté la voie utilisée pour créer un délit punissable du maximum de la peine
d'emprisonnement prévue en matière correctionnelle à l'époque (CONSTANTIN, Droit pénal des sociétés par actions, 1968,
PUF, p. 42). Mais sous l'empire de la III e République, une telle méthode de légiférer pouvait être admise, étant toutefois fait
observer que tant qu'une ratification n'était pas intervenue, le décret-loi pouvait être traité comme un acte administratif
dont l'illégalité pouvait être soulevée devant le juge pénal.
7. Malgré cette infirmité d'origine, l'abus de biens sociaux ne fit pas l'objet de censure. Il faut dire que peu d'affaires ont
donné lieu à des recours devant la Cour de cassation. Lorsque sous l'impulsion du garde des Sceaux, Jean FOYER, un projet
de loi sur les sociétés commerciales a été élaboré, d'autres questions que l'abus de biens sociaux ont été largement
discutées (société à directoire, prise en compte de la directive à venir sur la constitution des sociétés, l'intéressement des
travailleurs…). Néanmoins, un débat s'est instauré entre pénalistes et commercialistes. Ces derniers souhaitaient moins de
contraintes pénales et un recours aux sanctions civiles, mais les pénalistes estimaient nécessaire le maintien de l'acquis.
Finalement, le législateur regroupa la partie pénale dans un titre II de la loi du 24 juillet 1966. Il conserva les différents
abus créés par les décrets-lois de 1935, sans véritablement en préciser les contours, sauf à ajouter la faveur pour une
autre entreprise, à celle effectuée au profit d'une société. Toutefois, la loi a supprimé le renvoi aux peines de l'escroquerie,
en prévoyant un emprisonnement pouvant aller jusqu'à cinq ans, et une amende dont le maximum était de 40 000 francs (à
l'époque, l'escroquerie comportait une amende de 36 000 F). C'étaient les articles 425, 4 o et 437, 3 o et 4 o de la loi du
24 juillet 1966.
8. La jurisprudence, jusqu'alors peu fournie, est devenue plus abondante, et des questions importantes, comme celles
relatives au droit d'agir, à la prescription et aux actes contraires à l'intérêt social ont été posées et tranchées. Aussi bien
des critiques ont pu être formulées, en raison de l'imprécision de l'incrimination qui permettait une large application de la loi.
Du fait des critiques, le pouvoir politique a envisagé de combattre les excès jurisprudentiels, mais sans déboucher sur une
révision de la matière, eu égard aux importantes affaires en cours, entre 1990 et 2007. Et lors de la codification du droit
commercial, effectuée par l'ordonnance n o 2000-912 du 18 septembre 2000, la commission de codification s'est bien gardée
de changer quoi que ce soit aux différents abus de biens. Il est vrai que son rôle était de « codifier à droit constant ».
9. Il est à noter que les diverses lois de dépénalisation du droit des sociétés du 15 mai 2001, du 1 er avril 2003 et les
ordonnances du 25 mars et 24 juin 2004 n'ont pas porté sur l'abus de biens sociaux.
10. Dispositions actuelles. -Actuellement, l'article L. 241-3 du code de commerce sanctionne de cinq ans d'emprisonnement
et de 375 000 euros d'amende le fait, « pour les gérants » d'une SARL, « de faire de mauvaise foi des biens ou du crédit de
la société un usage qu'ils savent contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société
ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement ». Les mêmes personnes sont exposées aux
mêmes sanctions quand elles font usage de mauvaise foi des pouvoirs qu'elles possèdent ou des voix dont elles disposent.
11. De son côté, l'article L. 242-6 punit également de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende le fait,
pour « le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d'une société anonyme de faire, de mauvaise foi, des
biens ou du crédit de la société, un usage qu'ils savent contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour
favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement ». Ces personnes
sont susceptibles d'encourir les mêmes sanctions quand elles font usage de mauvaise foi des pouvoirs qu'elles possèdent
ou des voix dont elles disposent. Les lois n os 2013-907 du 11 octobre 2013 et 2013-1117 du 6 décembre 2013 ont, la
première, ajouté une peine complémentaire d'interdiction des droits civils, et la seconde, prévu des peines aggravées en
cas d'infraction facilitée ou réalisée par un compte ouvert à l'étranger.
12. Droits étrangers. -Même si un certain nombre de pays européens ont fait l'économie d'une incrimination spécifique ou
autonome, ils n'en punissent pas moins les dirigeants de sociétés. En droit belge, les comportements répréhensibles des
dirigeants abusant des biens sociaux relèvent de l'abus de confiance, punissable de cinq années d'emprisonnement
(C. pén. belge, art. 491). Le droit allemand fait application de l'abus de confiance (C. pén. allemand, art. 266). Le droit italien
retenait le délit d'appropriation indélicate (C. pén. italien, art. 646), mais depuis une réforme du droit pénal des sociétés,
une incrimination de déloyauté patrimoniale a été introduite à l'article 2634 du code civil. Le droit suisse sanctionne la
gestion déloyale (C. pén. suisse, art. 158) qui concerne tous mandataires chargés de gérer les intérêts d'autrui. Quant au
droit espagnol, il sanctionne, par quatre années d'emprisonnement, les administrateurs de fait ou de droit qui, abusant de
leurs pouvoirs, disposent frauduleusement des biens de la société (C. pén. espagnol, art. 295). Le droit luxembourgeois
sanctionne l'abus de biens sociaux (L. du 10 août 1915 modifiée). Le droit anglais, en revanche, ne connaît que quelques
infractions dispersées.
13. On ne peut donc espérer, dans un avenir proche, une harmonisation des législations européennes tant la situation
paraît éclatée et tant le niveau des peines varie de trois à cinq ans. Cela étant, l'étude de l'abus des biens requiert que
soient précisées les sociétés concernées (V. infra, n os 14 s.). Puis, il sera procédé à l'examen des conditions d'existence du
délit (V. infra, n os 35 s.) et aux modalités de la répression (V. infra, n os 137 s.).

Chapitre 1er - Sociétés concernées


14. Il faut préciser les sociétés pour lesquelles l'abus de biens est susceptible d'être retenu (V. infra, n os 15 s.), puis
indiquer la situation des sociétés étrangères (V. infra, n os 28 s.).
Section 1 re - Sociétés françaises

15. SARL et SA. -À s'en tenir aux articles L. 241-3 et L. 242-6 du code de commerce, l'abus des biens sociaux et ses
satellites concerneraient les sociétés à responsabilité limitée (même lorsqu'elles ne comprennent qu'un père et son fils :
Crim. 26 mai 1994, n o 93-84.615, Bull. crim. n o 206 ; Rev. sociétés 1994. 771, note Bouloc ) et les sociétés anonymes.
16. EURL. -Néanmoins, parce que l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) est une forme de SARL, la
jurisprudence a estimé que le gérant d'une EURL pouvait commettre un abus de biens sociaux (Crim. 14 juin 1993, n o 92-
80.763 , Bull. crim. n o 208 ; Bull. Joly 1993. 1140, note Saintourens ; Rev. sociétés 1994. 90, note Bouloc . – Crim.
20 févr. 2002, n o 01-86.329 , Rev. sociétés 2002. 546, note Bouloc ). On peut émettre des doutes quant au bien-fondé
de cette solution, car l'abus de biens tend à protéger les coassociés contre les abus du dirigeant qui leur nuisent. Or, en cas
de société unipersonnelle, l'associé-gérant ne peut, au détriment de ses partenaires, s'octroyer des avantages injustifiés.
Mais, pour la Cour de cassation, l'acte abusif lèse la personne morale.
17. Sociétés par actions. -Par ailleurs, si l'article L. 242-6 concerne les sociétés anonymes avec conseil d'administration,
l'article L. 242-30 du même code déclare le délit applicable aux sociétés anonymes avec directoire et conseil de surveillance.
Les sociétés en commandite par actions sont également dans le champ d'application de l'article L. 242-6 du code de
commerce, du fait du renvoi exprès effectué par l'article L. 243-1 dudit code. Les sociétés européennes relèvent aussi des
abus de biens (C. com., art. L. 244-5).
18. La société par actions simplifiée (SAS) instituée par la loi n o 94-1 du 3 janvier 1994, et qui peut ne comporter qu'un seul
associé (C. com., art. L. 227-1) est également soumise au délit d'abus de biens sociaux (art. L. 244-1. – Pour un point de
vue critique : MÉDINA, Abus de biens sociaux, 2001, coll. Référence, Dalloz, n o 0-29).
19. Société d'exercice libéral. -D'une manière plus générale, le délit peut concerner toutes sociétés ayant pris la forme
d'une société anonyme, d'une société à responsabilité limitée ou d'une SAS. Tel est le cas des sociétés organisées pour
l'exercice d'une activité libérale (société d'expertise comptable, société de commissaires aux comptes, d'architectes) ou
d'une activité réglementée ou dont le titre est protégé (avocats, notaires, médecins, L. n o 90-1258 du 31 déc. 1990,
art. 1 er). Dès lors que la structure choisie est une société anonyme, une SARL ou une commandite par actions, l'abus de
biens sociaux peut trouver à s'appliquer.
20. Société d'économie mixte et nationale. -Il en est de même pour les sociétés d'économie mixte, associant État ou
collectivités territoriales et éventuellement des capitaux privés (Crim. 16 févr. 1971, D. 1971. 294. – Crim. 16 déc. 1975,
D. 1976. IR 28 ; Rev. sociétés 1976. 353, note Guilberteau). La même solution vaut pour les sociétés nationalisées ou
nationales, dont le capital est détenu par l'État ou par des personnes morales de droit public. Le directeur général d'une
société d'économie mixte se rend coupable d'abus de biens sociaux lorsqu'il bénéficie d'avances indues et dispose d'un
compte courant débiteur (Crim. 26 janv. 2011, n o 10-80.894 , Rev. sociétés 2011. 448, note Bouloc ).
21. Liquidateur d'une société commerciale. -En outre, le législateur a cru nécessaire d'instituer un abus de biens sociaux
qui concerne le liquidateur de toute société commerciale faisant usage, contrairement à l'intérêt de celle-ci, des biens ou du
crédit social, à des fins personnelles ou pour favoriser une société dans laquelle il est intéressé (C. com., art. L. 247-8). Il
peut s'agir d'une société déjà soumise à l'abus de biens ou de toute autre société commerciale (société en nom collectif,
société en commandite simple…). L'emprisonnement est de cinq ans, mais l'amende est de 9 000 euros (non mod. par L.
n o 77-1468 du 30 déc. 1977. – Crim. 11 juin 1998, n o 97-80.905 , Rev. sociétés 1999. 156, note Bouloc ). Un délit
similaire est prévu pour le liquidateur d'une société civile de placement immobilier (C. mon. fin., art. L. 231-20, ayant repris
l'art. 33 de la L. n o 70-1300 du 31 déc. 1970, reproduisant l'art. 488 de la L. de 1966, devenu C. com., art. L. 247-8).
22. Société civile exclue. -En revanche, sont en principe exclues du délit les sociétés civiles, dont les dirigeants relèvent de
l'abus de confiance, tout comme d'ailleurs les associations et les syndicats. Néanmoins, le législateur a prévu l'abus de
biens dans le domaine des sociétés coopératives, l'article 26, alinéa 3, de la loi n o 47-1775 du 10 septembre 1947
renvoyant aux peines de l'escroquerie, y compris les peines complémentaires (Crim. 7 mars 1968, D. 1968. 82). On relèvera
que la loi sanctionne le fait de « disposer des biens ou du crédit » et non pas le simple usage. Mais pour la Cour de
cassation, le fait d'avoir effectué des versements pour la libération des actions de certains coopérateurs était un usage
ayant entraîné une diminution de l'actif sans contrepartie (Crim. 28 mai 1979, Bull. crim. n o 186).
23. Société civile de placement immobilier. -Par ailleurs, afin de mettre un terme aux scandales provoqués par les
sociétés civiles de placement immobilier faisant publiquement appel à l'épargne, une loi du 31 décembre 1970 avait
démarqué certaines règles du droit des sociétés anonymes, et en particulier une disposition pénale concernant l'abus de
biens sociaux. Après insertion dans le code monétaire et financier de la loi du 31 décembre 1970, il s'agit de l'article L. 231-
11 sanctionnant de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende, le fait, pour les dirigeants de la société de
gestion d'une société civile de placement immobilier, de faire de mauvaise foi des biens ou du crédit de la société un usage
qu'ils savent contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans
laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement. Il en est de même pour l'usage abusif des pouvoirs ou des voix.
24. Société de construction. -En matière de société de construction, l'article L. 241-6 du code de la construction et de
l'habitation, reprenant une disposition de la loi n o 57-908 du 7 août 1957, incrimine l'abus de biens sociaux. Il est vrai que
le délit concerne les sociétés régies par le décret n o 54-1123 du 10 novembre 1954. Ce dernier ayant été abrogé par les
lois n o 71-579 du 16 juillet 1971 puis n o 72-649 du 11 juillet 1972, il semble cependant que ce délit pourrait demeurer
(Crim. 17 oct. 1973, Bull. crim. n o 365 ; Rev. sociétés 1974. 145, note Bouloc).
25. Société d'assurance. -En matière d'assurance, le décret-loi du 30 octobre 1935 a étendu aux sociétés d'assurance et
de capitalisation les dispositions de l'article 15 de la loi du 24 juillet 1867. La loi du 4 janvier 1994 réformant le droit
applicable aux sociétés d'assurances a maintenu cette disposition (V. C. assur., art. L. 328-3). Une société d'assurance à
forme mutuelle et à objet civil est donc soumise au respect de l'article L. 242-6 du code de commerce.

26. Caisse d'épargne. -Lors de la réforme du réseau des Caisses d'épargne par la loi n o 99-532 du 25 juin 1999, des
caisses locales à forme coopérative ont été mises en place, rassemblées dans des Caisses d'épargne, lesquelles ont à leur
tête la Caisse nationale d'épargne. Après les réformes effectuées par les lois n o 2008-776 du 4 août 2008 et n o 2009-715
du 18 juin 2009, le réseau comporte toujours des sociétés locales qui sont des coopératives (C. mon. fin., art. L. 512-87).
Toutes ces sociétés peuvent donc donner prise à l'abus de biens sociaux.
27. Avant que les établissements publics nationaux comme Charbonnages de France, Électricité de France et Gaz de
France, ne soient transformés en sociétés anonymes, leurs statuts fixés par les lois de nationalisation comportaient un
article consacré aux abus de biens sociaux.
Section 2 - Sociétés étrangères

28. À la différence de l'abus de confiance ou de l'escroquerie qui, figurant dans le code pénal, peuvent concerner toutes
personnes se trouvant sur le territoire national, françaises ou non, les délits d'abus de biens sociaux sont mentionnés dans
les lois concernant les sociétés commerciales, constituées d'après le droit français.
29. Dans un premier temps, la jurisprudence des cours d'appel avait estimé qu'un détournement des fonds sociaux accompli
sur le territoire national pouvait justifier la compétence territoriale du juge d'instruction et partant l'application de la loi
pénale française (Paris, 9 déc. 1992, Gaz. Pal. 1993. 2. 401). Mais la Cour de cassation a considéré que le lieu de
commission de l'abus des biens devait s'entendre du siège où a été arrêtée et s'est traduite en comptabilité la décision de
faire supporter par une société le coût de travaux injustifiés (Crim. 6 févr. 1996, n o 95-84.041 , Bull. crim. n o 60 ; Rev.
sociétés 1997. 125, note Bouloc ; Gaz. Pal. 1996. 1. 218, note Doucet ; Bull. Joly 1996. 409, note Barbièri). Ce faisant, la
Cour de cassation renouait avec une jurisprudence ancienne selon laquelle on ne peut appliquer à chaque forme de société
que les délits prévus par la loi qui la régit (Crim. 9 mai 1879, DP 1879. 1. 315).

30. Aussi bien, par un arrêt du 3 juin 2004 (Crim. 3 juin 2004, n o 03-80.593 , Bull. crim. n o 152 ; D. 2004. 3213, note
Caramalli ; Rev. sociétés 2004. 912, note Bouloc ; Dr. pénal 2004, n o 128, obs. Robert ; Bull. Joly 2004. 1373, note
Menjucq), la chambre criminelle de la Cour de cassation a censuré un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence ayant
condamné pour abus de biens sociaux le gérant d'une société propriétaire d'un hôtel à Antibes, mais ayant son siège à
Jersey, en raison du paiement de loyers personnels par le débit de son compte courant, à partir de comptes bancaires en
France. Elle juge que l'incrimination d'abus de biens sociaux ne peut être étendue à des sociétés que la loi n'a pas prévues,
telle une société de droit étranger, et pour lesquelles seule la qualification d'abus de confiance est susceptible d'être
retenue. Ainsi, seules les sociétés pour lesquelles la loi a prévu l'incrimination d'abus de biens peuvent voir leurs dirigeants
tomber sous le coup de la loi spéciale, la loi générale pouvant évidemment trouver application. Peu importe donc le lieu où a
été prise la décision portant sur l'acte abusif (V. encore Crim. 3 nov. 2005, Dr. sociétés 2006, n o 30, obs. Salomon).
31. Société dépendant d'une société française. -Toutefois, dans l'affaire « Elf », jugée le 31 janvier 2007 (Crim. 31 janv.
2007, n os 02-85.089 et 05-82.671 , Bull. crim. n o 28 ; Rev. sociétés 2007. 379, note Bouloc ; Dr. sociétés 2007,
o
n 83, obs. Salomon ; RSC 2007. 310, note Rebut ), la Cour de cassation a approuvé la cour d'appel de Paris d'avoir
retenu le délit d'abus de biens sociaux dans une société ayant son siège statutaire à l'étranger, en raison du fait qu'une
société française détenait une participation majoritaire dans son capital, que la société gabonaise avait un établissement
immatriculé au registre du commerce, que son président résidait à Paris et que les décisions d'octroyer les avances
frauduleuses avaient été prises dans les locaux de la société mère à la Défense. Malgré ces arguments, la société était tout
autant étrangère que la société de Jersey exploitant un hôtel à Antibes, et dont le gérant résidait sur la Côte d'Azur. On
voit donc que le statut d'une société soumise à un droit étranger n'est pas un rempart suffisant pour éviter l'abus de biens
sociaux.
32. Sociétés étrangères ayant une activité en France. -Si, en principe, une société étrangère ne connaissant pas
d'incrimination d'abus de biens sociaux ne peut relever du droit pénal des sociétés français, il en va différemment quand la
société étrangère exerce principalement son activité en France. Ainsi, par un arrêt du 10 mars 2010 (Crim. 10 mars 2010,
n o 09-82.453 , Rev. sociétés 2011. 114, note Menjucq ), la Cour de cassation a approuvé la cour d'appel de Papeete
d'avoir appliqué la loi française à une société ayant son siège à Hong-Kong. Cette société avait un établissement
secondaire à Papeete et son activité essentielle était localisée en Polynésie (plusieurs comptes bancaires, plusieurs
personnes évaluant les achats, mais deux commerciaux à Hong-Kong). Ainsi, la Cour de cassation a retenu l'application du
droit français. De même, la Cour de cassation a appliqué le droit français à une EURL, Khalifa Airw ays, exerçant son activité
essentielle à Puteaux, où elle avait son principal établissement (Crim. 4 avr. 2012, n o 10-87.448 ). Le 25 juin 2014 (Crim.
25 juin 2014, n o 13-84.445 , Dr. sociétés 2014, n o 135, obs. Salomon ; Rev. sociétés 2015. 50, note Menjucq ), la Cour
de cassation a retenu le délit d'abus de biens sociaux à l'encontre du gérant d'une société de droit espagnol. Pour la cour
d'appel, la société était fictive et exerçait son activité en France (où l'intéressé effectuait une activité irrégulière de
transporteur public routier). Peut-être aurait-il été nécessaire que soit mieux précisée la fiction invoquée par les juges du
fond.
33. En définitive, le dirigeant d'une société régie par une législation étrangère peut se voir reprocher l'un des délits des
articles L. 241-3 ou L. 242-6 du code de commerce, si son activité principale ou essentielle est réalisée en France.
34. Ces précisions faites, il importe, avant d'examiner les modalités de la répression (V. infra, n os 137 s.), de déterminer les
conditions d'existence du délit (V. infra, n os 35 s.).

Chapitre 2 - Conditions d'existence du délit


35. À la différence de très nombreuses infractions qui visent soit celui qui fait ou omet de faire, soit le fait de faire ou
d'omettre (nouvelle formule du code pénal de 1992-1994), les délits d'abus de biens sociaux sont des délits personnalisés
ou attitrés. Par ailleurs, les délits n'existent qu'en cas d'usage contraire à l'intérêt social, et à des fins personnelles, des
biens, du crédit, des pouvoirs ou des voix, usage fait de mauvaise foi. Ce sont ces différentes questions qu'il convient
d'approfondir.
Section 1 re - Personnes exposées aux délits
36. Depuis leur introduction dans la législation, les délits d'abus de biens ne peuvent être imputés qu'à certaines
personnes exerçant une activité déterminée au sein de la société (V. infra, n os 37 s.). La pratique ayant révélé le recours à
des prête-noms, le législateur a étendu les délits aux dirigeants de fait (V. infra, n os 48 s.). Lors de la rédaction du nouveau
code pénal sont apparues comme sujets du droit pénal les personnes morales. À cette époque, les délits de sociétés
n'avaient pas été touchés par cette extension. Mais, la loi n o 2004-204 du 9 mars 2004 ayant généralisé la responsabilité
pénale des personnes morales, se pose la question de savoir si une personne morale pourrait se voir imputer un délit
d'abus de biens sociaux (V. infra, n os 55 s.).
Art. 1 er - Personnes nommées
37. En ce qui concerne les SARL, l'article L. 241-3, 4 o et 5 o du code de commerce désigne les gérants. Il s'agit soit de celui
qui est désigné dans les statuts, soit de la personne qui a été nommée par un acte postérieur, par exemple lors d'une
assemblée générale ou par une consultation écrite des associés.
38. L'article L. 242-6, 3 o et 4 o du code de commerce envisage les président, administrateurs ou directeurs généraux des
sociétés anonymes. Le président est le président du conseil d'administration, et les administrateurs, les membres du conseil
d'administration. Les directeurs généraux sont les directeurs ayant reçu mandat d'assister le président. N'étant pas, le plus
souvent, administrateurs, ils disposent en fait, en raison de leur délégation, de larges pouvoirs d'administration. La
chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré qu'un directeur général adjoint était un directeur général pouvant se
rendre coupable d'un abus de biens sociaux (Crim. 19 juin 1978, Bull. crim. n o 202). Le dirigeant légal ne saurait être
exonéré de responsabilité au motif qu'il est sous l'influence de la société mère (Crim. 31 mai 2012, n o 11-86.234 , Rev.
sociétés 2013. 47, obs. Matsopoulou ; Dr. pénal 2012. 132).
39. Pour les sociétés anonymes à gestion dissociée, ce qui est possible depuis la loi n o 2001-420 du 15 mai 2001, le
président du conseil d'administration et le directeur général peuvent être auteurs d'abus de biens sociaux. Il peut en être
de même pour le directeur général délégué, assimilable au directeur général adjoint.
40. Pour les sociétés anonymes à directoire et conseil de surveillance, l'article L. 242-30 du code de commerce assimile les
membres du directoire et du conseil de surveillance aux président, administrateurs ou directeurs généraux d'une société
anonyme avec conseil d'administration. Malgré cette indication, il faut convenir que seuls les membres du directoire sont
exposés à l'abus de biens sociaux, car les membres du conseil de surveillance ne peuvent pas s'immiscer dans la gestion.
S'ils le faisaient, ils usurperaient des pouvoirs ne leur appartenant pas et pourraient être considérés comme des dirigeants
de fait.
41. En ce qui concerne les sociétés en commandite par actions, sera responsable pénalement le gérant. Pour le cas où celui-
ci serait une personne morale (ce qui est contestable) ses dirigeants pourraient être sanctionnés au titre de l'abus de biens
sociaux, par application de l'article L. 221-3, alinéa 2, du code de commerce précisant que les dirigeants de ladite personne
morale sont soumis aux mêmes obligations et responsabilités civile et pénale que s'ils étaient gérants en leur nom propre. Il
importe peu que la personne morale en question ne soit pas une société ou un groupement pour lequel l'abus de biens
sociaux serait prévu.
42. Dans les sociétés par actions simplifiées, les membres du conseil d'administration ou du directoire sont exposés aux
mêmes responsabilités que les membres des conseils d'administration et du directoire des sociétés anonymes (C. com., art.
L. 227-8). Au demeurant, l'article L. 244-1 du code de commerce précise que les peines applicables aux président et
administrateurs ou directeurs généraux des sociétés anonymes, concernent le président et les dirigeants des sociétés par
actions simplifiées.
43. S'agissant des dirigeants de sociétés soumises à des lois spéciales, il importe de prendre en compte la disposition
légale.
44. Pour les sociétés d'assurance, quelle que soit leur forme (société commerciale ou société d'assurance mutuelle), l'article
L. 328-3 du code des assurances étend l'application de l'article 437 de la loi du 24 juillet 1966 (C. com., art. L. 242-6). Il
s'ensuit que les administrateurs et les directeurs généraux peuvent se voir reprocher le délit.
45. En matière de sociétés coopératives, le législateur a prévu que sont responsables d'abus éventuels les gérants ou les
administrateurs. Si la coopérative comporte un conseil d'administration avec un président, celui-ci est concerné (Crim. 28 mai
1979, Bull. crim. n o 186). La difficulté se présente en ce qui concerne le directeur général qui n'est pas mentionné dans
l'article 26 de la loi n o 47-1775 du 10 septembre 1947. La Cour de cassation, par un arrêt du 17 mars 1977 (Bull. crim.
n o 103), a considéré qu'un directeur général délégataire de tous les pouvoirs était un mandataire social, au sens de la loi.
Mais une dizaine d'années plus tard, le 22 février 1988 (Bull. crim. n o 86), la chambre criminelle a jugé que le directeur d'une
coopérative n'était qu'un simple préposé, et ne pouvait être considéré comme un administrateur ou un dirigeant de fait. Il
est vrai qu'en l'espèce, il n'avait fait qu'exécuter une décision arrêtée par le conseil d'administration, sans avoir fait preuve
d'une initiative particulière (V. toutefois Crim. 25 mars 1965, Bull. crim. n o 89, considérant que le directeur préposé de la
coopérative peut se rendre coupable d'abus de confiance).
46. Pour les sociétés civiles de placement immobilier, l'article L. 321-11 du code monétaire et financier vise les « dirigeants de
la société de gestion ». Ce terme vague et général ne peut concerner que des personnes physiques ; il pourra s'agir du
gérant d'une société en nom collectif, des administrateurs, du président du conseil d'administration ou des membres du
directoire d'une société anonyme.
47. Enfin, il faut retenir le cas des liquidateurs d'une société commerciale. En 1935, les auteurs des décrets-lois n'avaient pas
envisagé cette situation pour laquelle certains auteurs raisonnaient par analogie (VERDIER, Les délits relatifs à la gestion
des sociétés anonymes, in Le droit pénal spécial des sociétés anonymes, 1955, Dalloz, p. 199), tandis que d'autres
respectaient le principe de la légalité criminelle. La Cour de cassation paraissait être favorable à la première thèse (Crim.
11 mars 1971, Bull. crim. n o 86 ; Rev. sociétés 1971. 600, note Bouloc). La loi du 24 juillet 1966 a mis un terme à cette
difficulté. L'article L. 247-8 du code de commerce punit le liquidateur de toute société commerciale (y compris les sociétés en
commandite simple et les sociétés en nom collectif) qui fait usage de biens ou du crédit de la société à des fins
personnelles, l'amende étant toutefois de 9 000 euros (absence de révision, lors de la L. du 30 déc. 1977). En matière de
sociétés coopératives, le liquidateur n'est pas exposé à l'abus des biens, mais il pourrait l'être au titre de l'abus de
confiance.
Art. 2 - Dirigeants de fait
48. Jusqu'à la loi du 24 juillet 1966, les dirigeants de droit étaient seuls concernés par les textes définissant l'abus des
biens sociaux. Il arrivait cependant qu'un animateur se soit immiscé dans la gestion ou que le dirigeant frappé par une
incapacité ait eu recours à un prête-nom. Afin de sanctionner le véritable auteur, la jurisprudence estimait qu'il avait aidé le
dirigeant légal à commettre l'infraction. Celui-ci, il est vrai, avait peut-être été léger ou imprudent, mais pour la
jurisprudence, l'infraction était constituée à son égard, ce qui permettait de punir l'animateur (Crim. 16 janv. 1964, Bull. crim.
n o 16 ; D. 1964. 194 ; JCP 1964. II. 13612, note J. R.). À défaut de pouvoir retenir une complicité, la jurisprudence
considérait que le gérant de fait pouvait, au regard des circonstances de la cause, être condamné pour abus de confiance
(Crim. 6 et 13 oct. 1960, Bull. crim. n os 438 et 451). Pour la Cour de cassation, pouvait être mandataire social celui qui dirige
seul à sa guise, la société, traite personnellement avec les fournisseurs et les clients, oriente son activité et décide de son
sort (Crim. 25 nov. 1969, Bull. crim. n o 314).
49. Désormais, les dispositions relatives aux abus de biens, du crédit, des pouvoirs ou des voix sont applicables à toute
personne qui directement ou par personne interposée aura en fait, exercé la gestion d'une société, sous le couvert ou au
lieu et place de son gérant ou dirigeant légal. Il en est ainsi en matière de SARL (C. com., art. L. 241-9), de sociétés
anonymes (art. L. 246-2 et L. 242-30), ou de sociétés anonymes simplifiées (art. L. 244-4).
50. Ceci étant, est considéré comme dirigeant de fait celui qui exerce en toute souveraineté et indépendance une activité
positive de gestion et de direction (RIVES-LANGE, La notion de dirigeant de fait, au sens de l'article 99 de la loi du 13 juillet
1967, D. 1975. Chron. 41. – V. aussi DEDESSUS-LE-MOUSTIER, La responsabilité du dirigeant de fait, Rev. sociétés 1997.
499 . – TRICOT, Les critères de la gestion de fait, Dr. et patr. 1996, n o 34, p. 25).
51. La qualité de dirigeant de fait semble relever de l'appréciation des juges du fond, quant aux actes accomplis.
Néanmoins, un certain contrôle est exercé par la Cour de cassation, qui vérifie si les motifs retenus pas les juges du fond
sont pertinents et suffisants (Crim. 24 févr. 1992, RJDA 1992, n o 708. – Crim. 1 er déc. 2010, n o 09-86.444. – DELATTRE,
L'inlassable travail de la Cour de cassation, quant à la détermination de la notion de direction de fait, JCP E 2007. 1872).
Cette qualité ne saurait résulter du simple contrôle exercé par un associé en vertu de la loi ou des statuts, ni du fait que
l'associé est majoritaire ou détenteur de la quasi-totalité du capital social (V. cep. Crim. 21 sept. 2011, n o 10-88.716 ,
Rev. sociétés 2012. 246, obs. Bouloc ). Pas davantage ne peut être dirigeant de fait celui qui n'a pas la signature sociale
et a tiré trois chèques sur un des comptes sociaux, alors que le dirigeant de droit exerce sans partage la plénitude de ses
attributions (Crim. 8 mars 2006, n o 04-86.934 ), ou celui qui ne fait que rendre des services à la société (Crim. 21 avr.
1980, D. 1981. 33, note Cosson). Il semble, cependant, que la Cour de cassation s'en tienne le plus souvent aux
constatations des juges du fond et ne vérifie pas si le prétendu gérant de fait se comportait pleinement comme un dirigeant
de droit (Crim. 17 déc. 2014, n o 13-87.968 , Rev. sociétés 2015. 386, note Bouloc ).
ACTUALISATION
51-1. Gérant de droit. Abus de bien sociaux. Usage de faux. Gérant de fait. -Le gérant de droit présent tous les jours
dans l'entreprise, surveillant les chantiers et détenant seul la signature bancaire se rend coupable d'abus de biens
sociaux en émettant sans raison des chèques tirés sur le compte social pour un montant de 484 280,37 €
principalement au profit du gérant de fait. Ce gérant a trouvé un intérêt personnel à ces malversations qui lui ont
permis de garder sa fonction de gérant rémunéré. Le gérant se rend coupable d'usage de faux en transmettant aux
porteurs de parts majoritaires dans le capital social de nombreux relevés bancaires fabriqués, dissimulant les
détournements opérés et la situation financière compromise de la société (Crim. 28 sept. 2016, n o 15-85.049 , Rev.
sociétés 2017. 511, obs. B. Bouloc ).

52. En revanche, peut être considéré comme dirigeant de fait celui qui s'immisce dans la direction de la société, en passant
des commandes, en réglant des factures, en recrutant le personnel et en le surveillant, et en assurant toutes les relations
avec les administrations fiscales ou parafiscales (Crim. 12 oct. 1995, n o 95-80.730 , Bull. crim. n o 305 ; Rev. sociétés 1996.
319, note Bouloc . – Crim. 6 mai 2009, n o 08-86.378 , D. 2010. Pan. 1663, note Mascala . – Crim. 9 févr. 2011, n o 09-
88.454 , Dr. sociétés 2011. 99, obs. Salomon. – V. aussi Crim. 6 oct. 1980, Rev. sociétés 1981. 133. – Crim. 4 mai 1998,
n o 97-82.442, Rev. sociétés 1998. 806, obs. Bouloc ).
ACTUALISATION
52. Dirigeant de fait. Comptable. -L'utilisation des fonds sociaux par le comptable d'une SARL, exerçant en fait des
missions de direction et considéré comme gérant de fait, constitue un abus de biens sociaux, en l'absence de preuve de
leur justification (Crim. 29 juin 2016, n o 15-81.876, Rev. sociétés 2017. 104, note B. Bouloc ).

53. Parfois, les juges du fond prennent en compte une intervention dans la transformation de la société (Crim. 25 janv.
2012, n o 11-80.291 , Rev. sociétés 2012. 318, obs. Bouloc ) ou le recours à un prête-nom (Crim. 27 févr. 2013, n o 12-
81.621 ). C'est aussi le fait de passer ou signer tous actes et pièces et faire le nécessaire pour la bonne marche courante
de l'établissement (Crim. 31 mai 2012, n o 11-86.234 , Rev. sociétés 2013. 47, obs. Matsopoulou ; Dr. pénal 2012. 132,
obs. Robert). La qualité de gérant de fait a aussi été attribuée à la personne qui avait signé le contrat de bail et différents
courriers avec le tampon de la société et qui avait été désignée comme telle par le dirigeant de droit (Crim. 22 janv. 2014,
n o 12-87.105 , Rev. sociétés 2014. 452 ; Dr. sociétés 2014. 72, obs. Salomon).
54. L'abus ainsi commis par celui qui peut être qualifié de dirigeant de fait ne peut pas être imputé au dirigeant légal
n'ayant pas participé à la commission à titre de coauteur ou de complice. Tel est le cas quand le dirigeant de droit a ignoré
la décision prise par l'animateur de fait (Crim. 19 déc. 1973, Bull. crim. n o 480 ; Rev. sociétés 1974. 363). Mais, si le dirigeant
légal a participé à l'action décidée par le dirigeant de fait, il peut voir sa responsabilité pénale engagée (Crim. 12 sept.
2000, n o 99-82.301, Bull. crim. n o 268 ; RSC 2001. 159, note Mayaud ). Certains auteurs estiment que le dirigeant légal
ayant connaissance des agissements délictueux du dirigeant de fait pourrait être complice (V. Abus de biens sociaux [Pén.]).
Mais cette solution est incompatible avec la règle selon laquelle il n'y a pas de complicité par abstention (Crim. 22 sept.
2010, n o 09-87.363 ).
Art. 3 - Question des personnes morales
55. Jusqu'à l'entrée en vigueur du nouveau code pénal, la question de la responsabilité pénale des personnes morales ne
pouvait pas se poser : elles étaient irresponsables. Lors de l'entrée en vigueur, le 1 er mars 1994, du nouveau code, la
question ne se posait pas davantage, car les personnes morales n'étaient punissables que si la loi l'avait prévu. Mais tel
n'était pas le cas pour les délits du droit des sociétés, de sorte que seules les personnes physiques, dirigeants de droit ou
de fait étaient concernées par les différents délits d'abus de biens.
56. La question a rebondi avec la loi n o 2004-204 du 9 mars 2004 qui, en supprimant dans l'article 121-2 du code pénal les
mots « dans les cas prévus par la loi » a généralisé la responsabilité pénale des personnes morales. Sans doute, une
société commerciale, une société civile ou une association peut se voir imputer tout crime ou tout délit accompli pour son
compte par un de ses organes ou représentant. Néanmoins, les délits d'abus de biens requièrent une qualité, celle de
gérant, président, administrateur ou directeur général. Or, la qualité de gérant de SARL, de président ou de directeur
général d'une société anonyme, ou celle de membre d'un directoire ne peut être attribuée qu'à une personne physique
(V. C. com., art. L. 223-18, al. 1 er, L. 225-47, L. 225-53, L. 225-59, al. 3). Peut-être la question pourrait-elle se poser pour
les administrateurs ou pour la gestion des sociétés en commandite par actions. Mais en réalité, dans ces situations, la loi
commerciale exige la désignation d'un représentant permanent qui doit être une personne physique (art. L. 225-20 et
L. 226-1), et celle-ci est responsable civilement et pénalement comme si elle exerçait cette fonction pour son compte propre.
Il suit de là que les personnes morales ne sauraient se voir reprocher un délit d'abus de biens sociaux, en tant qu'auteur.
57. En revanche, la question pourrait se poser de savoir si une personne morale ne pourrait pas se voir reprocher une
complicité. On sait, en effet, qu'une complicité peut être retenue contre une personne n'ayant pas la qualité requise pour
être auteur. Néanmoins, comme l'éventualité se présentera plutôt quand la société sera administrateur, c'est le
représentant permanent qui devra répondre pénalement de l'acte facilité au profit de l'auteur. Tout au plus, pourrait être
envisagée une complicité par instigation, au sein d'un groupe.
Section 2 - Acte d'usage

Art. 1 er - Nature du délit


58. Quel que soit l'objet du délit d'abus de biens, de crédit, des biens, des pouvoirs ou des voix, il est légalement constitué
par un acte d'usage. Comme certains auteurs ont pu l'observer, la loi ne prend pas en compte, comme dans le vol, la perte
d'un droit réel sur une chose ou son appropriation. Mais pour autant, on ne saurait en déduire que les délits d'abus de
biens ne seraient pas des délits contre les biens ; c'est qu'en effet, les rédacteurs du code pénal de 1992-1994 ont classé
dans les infractions contre les biens, non seulement le vol qui emporte perte du droit de propriété, mais aussi les
escroqueries pour lesquelles le préjudice peut consister dans une remise non librement consentie (Crim. 18 nov. 1969,
D. 1970. 437, note Bouloc) et les abus de confiance pour lesquels le détournement ne requiert pas une appropriation de la
chose remise (Crim. 16 févr. et 8 juin 1977, Bull. crim. n os 60 et 207). Or, l'abus de biens sociaux est dérivé de l'abus de
confiance, de sorte qu'il peut entrer dans la classification des atteintes aux biens.
ACTUALISATION
58-1. Nature du délit. Prêt consenti à une société. -Une convention de trésorerie souscrite entre deux sociétés n'est
pas prohibée par l'article L. 225-43 du code de commerce. Le prêt d'argent moyennant un intérêt de 3 % n'est pas
nécessairement préjudiciable à l'intérêt social de la société (Crim. 28 sept. 2016, n o 15-87.232 , Rev. sociétés 2017.
376, note B. Bouloc ).

59. Sans doute, à côté de l'abus des biens, la loi vise l'abus du crédit, l'abus des pouvoirs ou l'abus des voix. Mais la
pratique révèle que l'abus du crédit expose la société à devoir payer une somme qu'elle ne doit pas, et que l'abus des
pouvoirs a toujours été préjudiciable patrimonialement à la société. Un doute pourrait exister pour l'abus des voix. Mais
outre le fait que cette incrimination n'a donné lieu qu'à des applications s'étant achevées par des relaxes (MÉDINA, op. cit.,
n o 1-90), elle paraît inutile depuis que la loi n o 83-1 du 3 janvier 1983 a permis le vote par correspondance et encadré la
pratique des pouvoirs en blanc. Lorsque le dirigeant utiliserait les voix, ce serait pour un acte préjudiciable à la société. Dès
lors, il y aurait pratiquement usage des biens. Bref, qualifier les différents abus comme la sanction d'actes de gestion
contraires à l'intérêt social (V. Abus de biens sociaux [Pén.]) ne permet pas de les rattacher à l'une des grandes
classifications retenues par les auteurs du code pénal. Au demeurant, dès lors que tout acte d'abus doit servir l'intérêt
personnel (direct ou indirect) de l'agent, il est clair que cet acte est par essence préjudiciable à la société. Et si l'on a pu
contester la jurisprudence qui aurait confondu usage et préjudice à propos de l'exécution de contrats de travail fictifs ou
des conséquences d'un contrat-cadre (MAYAUD, Pour une approche cohérente de la prescription de l'abus de biens sociaux,
D. 2004. Chron. 194 ), il reste que, dans les affaires de ce type, la société subit un préjudice patrimonial renouvelé lors de
chaque utilisation.
Art. 2 - Notion d'usage
60. Cette précision faite, la loi envisage l'usage. Ce terme est apparemment large, car il s'entend de toute utilisation, ne
serait-elle pas suivie d'appropriation (Crim. 8 mars 1967, D. 1967. 586, note Dalsace ; RSC 1967. 771, obs. Bouzat). Ainsi, il
a pu être opéré certains contrôles d'usage des biens de la société pouvant ne pas être conformes à l'intérêt social, comme
cela avait été le cas pour le contrôle des véhicules de sociétés sur la Côte d'Azur au mois d'août.
61. Du fait que la loi fait état de l'usage, on en déduit qu'il s'agit d'un délit d'action. Car se servir, c'est employer les biens,
le crédit, les pouvoirs ou les voix qui ont été confiés. Il suit de là que ne pas faire usage, quel que soit le résultat découlant
de cette inaction ne saurait entrer dans le champ pénal, même si cette abstention peut être source de responsabilité civile.
De ce point de vue, on ne peut que regretter que la chambre criminelle ait cru devoir, pour maintenir un arrêt ayant, par
disqualification, retenu un abus de pouvoir à propos d'une non-réclamation à une société du paiement de livraisons, estimer
que le comportement du prévenu constituait un usage des pouvoirs (Crim. 15 mars 1972, Bull. crim. n o 107 ; Rev. sociétés
1973. 357, note Bouloc). Mais qu'il s'agisse d'un abus de biens ou d'un abus de pouvoirs, dans les deux cas, le dirigeant
doit en avoir fait usage, c'est-à-dire avoir accompli un acte positif, sinon toutes abstentions même involontaires vont
constituer des infractions (V. les critiques de VITU, Droit pénal spécial, 1982, Cujas, n o 985). Or, l'article 121-1 du code pénal
est clair : « Il n'y a pas point de crime ou de délit sans intention de le commettre », sauf quand la loi retient une imprudence
ou une négligence. Mais tel n'est pas le cas pour un abus de biens sociaux. D'ailleurs, la chambre criminelle devait modérer
sa position par un arrêt du 19 décembre 1973 (Bull. crim. n o 480 ; Rev. sociétés 1974. 363, note Bouloc) en estimant qu'une
négligence ou un défaut de surveillance n'entrait dans le champ pénal qu'à la condition que les gérants aient connu les
agissements délictueux qu'ils pouvaient empêcher. Elle a même exclu toute responsabilité du dirigeant quand l'abus émane
d'un directeur général (Crim. 7 sept. 2005, n o 05-80.163 , Rev. sociétés 2006. 149 ). Néanmoins, il arrive que la Cour de
cassation valide comme « usage » une simple abstention (Crim. 28 janv. 2004, n o 02-87.585 , Bull. Joly 2004. 678, obs.
Barbièri. – BOULOC, L'abus de biens sociaux par abstention ?, Rev. sociétés 2004. 722 . – REBUT, L'abus de biens sociaux
par abstention, D. 2005. 1290 ).
62. L'usage peut être limité dans le temps, comme cela peut être le cas d'un prêt ou de l'utilisation au titre de l'habitation
d'un bâtiment social (Crim. 10 oct. 1983, n o 83-93.735), comme de l'utilisation d'un compte courant débiteur (Crim. 19 oct.
1978, D. 1979. 153 ; Rev. sociétés 1979. 872, note Bouloc). Mais il peut consister dans une appropriation du bien (Crim.
16 mars 1970, Rev. sociétés 1970. 480). C'est le cas de la prise en charge de dépenses personnelles (amendes prononcées
contre le président, à titre personnel, pour des infractions relevées contre des camions de la société : Crim. 3 févr. 1992,
n o 90-85.431 , Bull. crim. n o 49 ; Rev. sociétés 1992. 535, note Bouloc . – Travaux réalisés dans un immeuble du
président pour assurer sa sécurité : Crim. 13 déc. 2000, n o 99-82.875 , Bull. Joly 2001. 386), ou du paiement de
l'acquisition des titres sur la caisse sociale (Paris, 30 mai 1994, JCP E 1994. I. 392, p. 472, obs. Viandier et Caussain. – Crim.
22 sept. 2004, n o 03-81.282 , Rev. sociétés 2005. 205, obs. Bouloc ).
63. Bien évidemment, quand bien même la loi sanctionne les dirigeants qui font usage des biens sociaux, la répression
n'intervient qu'en cas d'usage abusif, ou plus précisément d'usage contraire à l'intérêt de la société. Car acheter la matière
première, payer ses salariés et les différentes cotisations sociales et fiscales, cela est conforme à l'objet social. Aussi bien,
la Cour de cassation a-t-elle rappelé que le paiement d'une dette sociale n'est pas un usage abusif (Crim. 14 juin 1993,
n o 92-80.763 , Bull. crim. n o 208. – Crim. 22 oct. 2014, n o 13-85.951 , Dr. sociétés 2015. 17, obs. Salomon). N'est pas
davantage abusif le remboursement du montant créditeur d'un compte courant (Crim. 14 nov. 2013, n o 12-83.653 , Rev.
sociétés 2014. 324 ).
Art. 3 - Objet de l'usage
64. Cet acte d'usage doit concerner soit le crédit ou les biens, soit les pouvoirs ou les voix dont dispose le dirigeant.
65. L'usage du crédit. -Le crédit d'une société n'est pas autrement défini. Dans leur ouvrage sur les « Délits et sanctions
dans les sociétés par actions » (1938, Sirey, n os 291 s.), MM. ROUSSELET et PATIN considèrent que le crédit est « celui qui
s'attache à l'établissement en raison de son capital, de la nature de ses affaires, de la bonne marche de l'entreprise ».
Aussi bien, en faire usage, c'est engager la signature sociale, exposer la personne morale à des paiements ou lui faire
courir des risques qui normalement ne lui incombent pas. Si l'on rapproche cette définition de celle donnée par la loi
bancaire (L. n o 84-46 du 24 janv. 1984, art. 3, devenu C. mon. fin., art. L. 313-1), on voit que les opérations de crédit
consistent soit dans des prêts, soit dans des actes accessoires aux prêts, comme les engagements par signature (aval,
cautionnement, garantie) ; il s'agit d'opérations présentant un risque. L'engagement le plus dangereux est certainement le
cautionnement, comme le montre la jurisprudence (Crim. 10 mai 1955, Bull. crim. n o 234. – Crim. 4 déc. 1956, Bull. crim.
n o 799. – Crim. 13 mars 1975, Bull. crim. n o 78). Il pourrait aussi s'agir de la mise en circulation d'effets de commerce devant
être payés à la date d'échéance. En revanche, on ne saurait considérer comme un usage de crédit social le fait, pour le
dirigeant, d'accorder des délais de paiement un peu longs, dès lors que la société dispose d'une trésorerie solide, ou que le
débiteur tarde à s'acquitter de sa dette.
66. L'usage des pouvoirs. -La loi prend aussi en considération l'abus des pouvoirs du dirigeant. Cette notion de pouvoirs
pourrait être entendue de manière large, le pouvoir étant attaché à la puissance ou à l'autorité. Mais la loi envisage les
pouvoirs du gérant, président, administrateur… dont ces personnes disposent en cette qualité. Il convient de se référer aux
pouvoirs attribués par la loi ou par les statuts au dirigeant. Il pourrait donc s'agir de la conclusion d'un accord sur le prix de
vente d'un produit ou sur la renonciation à un marché, en vue de favoriser une autre société dans laquelle il aurait des
intérêts. Sans doute, certains ont voulu soit élargir le mot pouvoir, soit le restreindre, mais la jurisprudence s'en tient le plus
souvent aux pouvoirs légaux ou statutaires, lorsqu'il n'y a pas, par ailleurs, usage des biens sociaux. C'est, par exemple, le
cas du gérant qui fait attribuer à des sociétés lui appartenant, certains travaux moyennant une commission de 3 % (Crim.
23 janv. 1963, Bull. crim. n o 44). C'est aussi le dirigeant social qui s'abstient de réclamer le paiement de livraisons à une
société dans laquelle il est intéressé (Crim. 15 mars 1972, Bull. crim. n o 107 ; Rev. sociétés 1973. 357. – V. aussi Crim.
28 janv. 2004, n o 02-88.094 , Rev. sociétés 2004. 722, note Bouloc ) ou qui fait pression sur le comptable de la société
afin qu'il falsifie certaines délibérations du conseil (Crim. 17 mars 1977, Bull. crim. n o 103). Un gérant d'une banque en
commandite par actions, en incitant certains clients à retirer les fonds déposés pour les lui confier personnellement s'est vu
reprocher l'abus de pouvoirs (Crim. 19 nov. 1979, Bull. crim. n o 325 ; D. 1980. IR 379, note Vasseur ; Bull. Joly 1980. 69).
67. Obtention de décisions collectives. -Le président d'une société, après avoir fait acquérir une société en liquidation des
biens, a décidé une opération de fusion-absorption, avec une date rétroactive, ce qui permettait la prise en compte d'une
dette moins élevée, tandis qu'après cette opération, le président revendait ses titres avec un bénéfice de 209 millions de
francs (Crim. 10 juill. 1995, n o 02-88.094, Bull. crim. n o 253 ; JCP 1996. II. 22572, note Paillusseau ; Rev. sociétés 1996.
312, note Bouloc ; Bull. Joly 1995. 1048, note Couret et Le Cannu). Sans doute, certains auteurs ont contesté la solution
adoptée par la Cour de cassation, car la décision avait été prise par l'assemblée générale, et en absence du président. Mais
l'opération de fusion-absorption avait été organisée par le président ; elle faisait absorber la société holding par la cible, et
surtout elle avait permis au président d'acquérir les actions de la cible sans bourse délier. Nul doute que le président avait
abusé de ses pouvoirs de dirigeant.
68. La question de l'abus de pouvoirs s'est présentée à l'occasion de la détermination de la rémunération du dirigeant
d'une société cotée, cette rémunération pouvant avoir une incidence sur sa future retraite. Le président avait demandé au
comité des rémunérations de fixer sa rémunération de manière variable. Le comité n'avait pas accédé à sa demande, si bien
que le conseil d'administration n'avait pas donné d'avis favorable à la demande du président. Celui-ci, ultérieurement,
modifia la composition du comité des rémunérations, lequel donna un avis favorable, adopté par le conseil d'administration.
Après une plainte, déclarée irrecevable, une enquête était diligentée. Au terme d'une instruction, le président était renvoyé
devant le tribunal correctionnel pour abus de biens sociaux. Le tribunal correctionnel relaxa le président, car il n'y avait pas
de preuve d'un abus de biens, la rémunération du président d'une société anonyme relève du conseil d'administration, et
eu égard à la situation de la société, bien gérée, la rémunération n'apparaissait pas excessive. Sur appel du procureur de la
République, la cour d'appel a considéré que les faits constituaient un abus de pouvoirs du président qui avait remplacé les
membres du comité des rémunérations en vue d'obtenir ce qu'il souhaitait (Versailles, 19 mai 2011, Bull. Joly 2011. 597,
obs. Dondero ; Rev. sociétés 2012. 99, note Le Cannu ). La Cour de cassation a maintenu l'arrêt de Versailles, car le
président avait usé de ses pouvoirs pour satisfaire son intérêt personnel (Crim. 16 mai 2012, n o 11-85.150 , Bull. crim.
n o 127 ; RTD com. 2012. 631, obs. Bouloc ; D. 2012. 1401 ; D. 2012. Pan. 1698 ).
69. Il a aussi été décidé que commettait un abus de pouvoirs le président d'une société qui cédait à une société, dont il
était un associé principal, des immeubles sociaux pour une valeur inférieure à celle figurant au bilan (Crim. 27 juin 2012,
n o 11-86.197 , Rev. sociétés 2013. 172, obs. Bouloc ). En revanche, ne peut être un abus de pouvoirs le choix d'une
société sous-traitante, ayant des dirigeants communs, quand le choix a été déterminé par la nature des travaux à accomplir
(Crim. 16 janv. 1989, Bull. crim. n o 17 ; D. 1989. 495, note Cosson ; Rev. sociétés 1989. 687, note Bouloc. – Et, sur renvoi,
Versailles 11 oct. 1989, Gaz. Pal. 1990. 1. 200, note Marchi).
70. L'abus des voix. -En troisième lieu, la loi fait de l'abus des voix un cas d'usage abusif punissable. Sans doute, une telle
incrimination pouvait être utile à une époque où le vote lors des assemblées avait lieu soit personnellement, soit par un
associé à qui une procuration avait été donnée. S'il s'agissait du dirigeant, déjà majoritaire, il était difficile d'envisager un
abus dans l'usage des voix, à moins que le mandant puisse établir le choix qu'il envisageait. Aussi bien, si le dirigeant
demande aux associés de lui faire confiance, en lui envoyant leurs procurations, tout en leur précisant qu'ils peuvent
assister à l'assemblée ou désigner un mandataire de leur choix, le délit ne saurait être retenu, ce d'autant que la
convention à approuver était bénéfique pour la société (Crim. 27 févr. 1978, Bull. crim. n o 76 ; Rev. sociétés 1978. 496, note
Bouloc).

71. Depuis que la loi n o 83-1 du 3 janvier 1983 a permis le vote par correspondance et a encadré la pratique des pouvoirs
en blanc, le délit d'usage abusif des voix ne présente plus d'utilité. Au demeurant, on pourrait, si une telle situation se
présentait, considérer que le dirigeant commettrait un abus de pouvoirs (en ce sens : JEANDIDIER, Droit pénal des affaires,
6 e éd., 2005, Dalloz, n o 264). Et, si la décision prise portait sur un acte de cautionnement ou l'utilisation d'un bien précis,
l'associé trompé pourrait agir sur la base de l'abus de crédit ou de l'abus de biens, plus facile à établir que l'abus des voix.
72. L'abus de biens sociaux. -Enfin, et c'est l'hypothèse la plus fréquente, la loi sanctionne l'usage abusif des biens
sociaux. Par ce terme, le législateur englobe tous les éléments du patrimoine, qu'il s'agisse de biens mobiliers ou de biens
immobiliers, de biens mobiliers corporels ou de biens mobiliers incorporels. L'incrimination est donc plus large que celle
applicable à l'abus de confiance qui ne peut porter que sur des biens mobiliers. Les biens, le plus souvent, sont les fonds
sociaux, sur lesquels des prélèvements sont opérés au profit du seul dirigeant (Crim. 8 mars 1967, Bull. crim. n o 94), parfois
par l'intermédiaire d'un compte courant débiteur (Crim. 27 janv. 1992, Bull. Joly 1992. 745. – Crim. 19 avr. 2013, n o 12-
82.068). Il peut s'agir du matériel ou des marchandises (Crim. 1 er oct. 1987, Bull. Joly 1987. 851), des meubles (Crim.
30 janv. 1974, Bull. crim. n o 48) ou des immeubles de la société (Crim. 19 oct. 1974, Bull. crim. n o 272). Est également un
bien, une option sur l'achat d'un terrain (Crim. 19 oct. 1978, Bull. crim. n o 282 ; D. 1979. 153). Les biens sont aussi les
sommes dues par des tiers, comme les chèques que le gérant détourne (Crim. 17 févr. 1993, n o 92-83.450 ) ou les
marchandises payées mais livrées au domicile personnel du dirigeant.
73. En revanche, les sommes détenues par une société, mais ne lui appartenant pas ou dont elle ne peut disposer ne
peuvent être des fonds sociaux (Crim. 31 janv. 2007, n os 02-85.089 et 05-82.671 , Bull. crim. n o 28 ; Rev. sociétés
2007. 379, note Bouloc ). Il en est ainsi des sommes destinées à une augmentation de capital, qui n'a pas pu être
réalisée (Crim. 7 mai 1969, Bull. crim. n o 155. – Crim. 9 janv. 1980, Bull. crim. n o 14). De même, les fonds mis à la disposition
de la société, en compte courant par un associé, n'appartiennent pas à la société et leur remboursement n'est pas un abus
de biens (Crim. 14 nov. 2013, n o 12-83.653 , Rev. sociétés 2014. 324, note Bouloc ).
74. Qu'il s'agisse de l'usage des biens, du crédit ou des voix, il n'y a délit que lorsque l'usage est abusif, c'est-à-dire quand
ces biens ou pouvoirs sont utilisés contrairement à l'intérêt social.
Section 3 - Acte contraire à l'intérêt social

75. L'usage des biens sociaux, des pouvoirs ou du crédit d'une société n'est répréhensible que s'il est contraire à l'intérêt
social. Mais si la loi prend en considération l'intérêt social, elle n'en donne pas de définition. Sans doute, certains textes
relatifs aux pouvoirs d'un gérant mentionnent que cette personne peut faire tous actes de gestion dans l'intérêt de la
société. Mais, pour autant, cela n'éclaire pas la notion d'intérêt social.
Art. 1 er - Notion
76. Certains auteurs ont estimé qu'il s'agissait d'un instrument « de police des sociétés, à la disposition des juges, en vue
d'apprécier l'opportunité d'un acte » (SCHAPIRA, L'intérêt social, RTD com. 1971. 970). D'autres ont considéré que ce serait
un « procédé d'équité modératrice à la disposition du juge » (SOUSI, Intérêt du groupe et intérêt social, JCP CI 1975,
n o 11816, p. 10). Mais ces explications ne sont guère satisfaisantes dans la mesure où elles abandonnent au juge le soin
de définir une infraction, qui doit cependant être précise et objective.
ACTUALISATION
76-1.
Acte contraire à l'intérêt social. Paiement approuvé par le comité interministériel du redéploiement industriel
(CIRI). -
Ne justifie pas sa décision la cour d'appel qui n'a pas recherché s'il ne résultait pas des négociations et accords
judiciairement homologués que la dépense devait finalement être prise en charge par la société et qui n'a pas précisé
en quoi une prestation d'accompagnement des repreneurs avait un montant excessif et était contraire à l'intérêt social,
et servait l'intérêt personnel des prévenus (Crim. 25 oct. 2017, n o 16-85.221 , Rev. sociétés 2018. 404, note
B. Bouloc ).

77. Pour une partie de la doctrine, l'intérêt social s'entendrait de l'intérêt des associés pris collectivement. Et comme cet
intérêt s'exprime selon un principe majoritaire, l'intérêt social serait déterminé par la majorité s'exprimant lors des
assemblées générales (SOUSI, L'intérêt social dans le droit français des sociétés commerciales, 1974, thèse, Lyon, p. 337.
– SCHMIDT, Les conflits d'intérêt dans les sociétés anonymes, 1999, Joly, n o 5). Mais cette conception repose sur le postulat
que la société est un contrat (V. C. civ., art. 1833). Toutefois, si lors de sa constitution une société a bien un aspect
contractuel, une fois créée, elle a une vie propre qui se détache des personnes l'ayant constituée. En d'autres termes,
l'intérêt social est propre à la société, indépendamment de l'intérêt des associés majoritaires (PAILLUSSEAU, Le fondement
du droit moderne des sociétés, JCP E 1986, n o 14684).
78. Afin de faciliter l'approche judiciaire de cette notion, une partie de la doctrine propose de prendre en considération
l'objet social (VÉRON, Droit pénal des affaires, 10 e éd., 2013, Dalloz, n o 295). Cet objet peut être défini comme l'ensemble
des activités déterminées par le pacte social que la société peut exercer (CHAPUT, L'objet des sociétés commerciales, 1973,
thèse, Clermont-Ferrand, p. 39). L'objet correspond à l'activité décidée par les associés, et évidemment, il ne concerne pas
des avantages octroyés au dirigeant. Aussi bien, les dons versés à une association pour faire des recherches historiques
sur le nom de famille du dirigeant ne sont pas conformes à l'objet social (Crim. 5 mars 2014, n o 13-80.350 , Rev. sociétés
2014. 588, obs. Bouloc ).
Art. 2 - Applications
79. Ont été considérés comme contraires à l'intérêt social les prélèvements effectués sur la caisse sociale par le dirigeant
(Crim. 8 mars 1967, Bull. crim. n o 94), les prélèvements effectués pour l'achat de ses parts sociales au profit d'une autre
société (Paris, 30 mai 1994, JCP E 1994. I. 392. – Crim. 8 nov. 2006, n o 05-85.990 , Rev. sociétés 2007. 374, obs. Bouloc
) ou les prélèvements au profit de créanciers personnels ou de parents (Crim. 25 mai 1988, n o 87-82.613 . – Crim. 5 mai
1997, n o 96-81.482 , Bull. Joly 1997. 953, obs. Barbièri). Ce sont aussi les dépenses de frais kilométriques ou des
indemnités de déplacement à caractère personnel (Crim. 1 er juin 2005, n o 04-87.146 , Rev. sociétés 2006. 145 , obs.
Bouloc). En revanche, le paiement d'une dette sociale est exclusif de l'abus (Crim. 14 juin 1993, n o 92-80.763 , Bull. crim.
n o 208), comme le remboursement de frais destinés à développer l'activité à l'étranger (Crim. 22 oct. 2014, n o 13-81.743 ,
Dr. sociétés 2015. 17, obs. Salomon).
ACTUALISATION
79-1. Gérance de fait. Illustration. -En l'état des déclarations effectuées, la cour d'appel a, sans insuffisance ni
contradiction, caractérisé la gérance de fait d'un prévenu ne disposant pas de la signature sociale et retenu un abus de
biens sociaux en raison du paiement d'une facture se rapportant aux frais de mariage de ce prévenu. Toutefois, le
condamné ayant payé au liquidateur la créance résultant de la facture litigieuse, la cour d'appel ne pouvait pas
condamner le prévenu à indemniser le liquidateur de la SAS (Crim. 19 mai 2016, n o 15-83.047 , Rev. sociétés 2017.
169, note B. Bouloc ). Commet un abus de biens sociaux le directeur administratif d'une coopérative considéré comme
dirigeant de fait, qui perçoit un salaire dépassant les possibilités financières de la société. Le préjudice résultant d'un
abus de biens sociaux devant être réparé intégralement sans perte ni profit pour aucune des parties ne peut être
supérieur à l'excès de rémunération versée (Crim. 7 déc. 2016, n o 15-86.731 , Rev. sociétés 2017. 167, note
B. Bouloc ). Les fonds sociaux prélevés de manière occulte par le gérant d'une SARL, et dont il n'est pas justifié qu'ils
aient été utilisés dans le seul intérêt de la société, l'ont nécessairement été dans l'intérêt personnel du dirigeant. Le
gérant qui exerce de façon effective la gérance de la société n'a pu que donner des instructions à l'associé ayant
effectué des retraits de fonds sur un compte de la société dont il avait procuration (Crim. 29 juin 2016, n o 15-84.228 ,
Rev. sociétés 2017. 307, note B. Bouloc ). Bénéficie d'une économie réalisée le dirigeant d'une société qui a éludé le
paiement des cotisations sociales et se rend coupable de recel. L'URSSAF est en droit d'obtenir une somme en raison
des frais engagés pour établir la fraude (Crim. 1 er juin 2016, n o 15-81.187 , Rev. sociétés 2017. 311, note B. Bouloc
).
79-2. Évaluation du préjudice. -Si la responsabilité pénale du prévenu est acquise, l'évaluation du préjudice résultant
des faits reprochés reste en discussion. En retenant que le montant du préjudice subi du fait du paiement de salaires
injustifiés a été fixé définitivement par la condamnation pénale du prévenu, la cour d'appel a méconnu le principe de
l'autorité au civil de la chose jugée au pénal, en s'interdisant d'apprécier elle-même le montant du dommage (Crim.
1 er juin 2016, n o 15-80.721 , Rev. sociétés 2017. 240, note B. Bouloc ).
79-3. Détournement. Contrat collectif de retraite. -Un dirigeant qui a aménagé des droits régulièrement souscrits en
vue de restreindre les conditions d'accès au collège des cadres aux fonds collectifs caractérise un intérêt personnel
contraire à l'intérêt social de l'entreprise (Com. 22 mars 2017, n o 15-84.536 , Rev. sociétés 2018. 130, obs. B. Bouloc
).

80. La jurisprudence n'a donc pas pris parti entre les différentes conceptions et n'a pas non plus défini positivement
l'intérêt social. Elle ne prend pas en compte l'intérêt des associés ou des actionnaires. La chambre criminelle a décidé que
c'est aux juges qu'il appartient d'apprécier si l'usage est contraire aux intérêts de la société (Crim. 3 mai 1967, Bull. crim.
n o 148). Aussi bien, elle ne tient pas compte des décisions qui auraient pu être prises par les organes sociaux. Il convient
de recenser les principaux cas retenus par la jurisprudence.

§ 1 er - Compte courant d'associé


81. Parfois, la question se pose à propos des prélèvements effectués par le dirigeant en se prévalant de l'existence d'un
compte courant. On sait que dans certaines sociétés ayant besoin de trésorerie, le dirigeant, plutôt que de recourir à un
prêt bancaire ou à une augmentation de capital, apporte de l'argent en compte courant. Si ce compte courant n'est pas
bloqué pendant un temps déterminé, le dirigeant apporteur est créancier et peut à tout moment reprendre son argent. Ce
faisant, il ne dispose pas des biens sociaux, le compte courant étant un procédé reconnu par la jurisprudence commerciale
(Com. 24 juin 1997, JCP 1997. II. 22966. – URBAIN-PARLEANI, Les comptes courants d'associés, 1986, LGDJ). Mais il arrive
que le dirigeant procède à des prélèvements dépassant le montant de sa créance. En pareil cas, il fait usage des biens de
la société, et se rend coupable d'abus de biens sociaux (Crim. 19 oct. 1978, Bull. crim. n o 282 ; Rev. sociétés 1979. 872,
note Bouloc. – Crim. 25 mai 1992, Bull. Joly 1992. 1214. – Bordeaux, 17 févr. 2004, JCP E 2005, n o 20, p. 818, note Muller.
– Crim. 31 mai 2006, n o 05-86.635 , Rev. sociétés 2007. 121, obs. Bouloc ). Les juges doivent donc rechercher si le
prélèvement excède le solde créditeur (Crim. 8 sept. 2010, n o 09-87.672 . – Crim. 14 nov. 2013, n o 12-83.653 , Rev.
sociétés 2014. 324 ).
§ 2 - Rémunération des dirigeants
82. Rémunération excessive. -Afin de ne pas faire apparaître le prélèvement abusif, des dirigeants s'attribuent des
rémunérations importantes. Si le président s'attribue de son propre chef une rémunération, il ne peut y avoir qu'abus de
biens sociaux (Crim. 26 juin 1978, Bull. crim. n o 212. – Crim. 9 mai 1973, Bull. crim. n o 216 ; Rev. sociétés 1973. 696, note
Bouloc). Le gérant de SARL qui perçoit une commission et une prime non prévues par les statuts ou non autorisées par une
décision des associés est exposé à l'abus des biens sociaux (T. corr. Rouen, 1 er juill. 1977, D. 1978. 142) ; il en est de
même du président qui reçoit une rémunération sans fixation préalable par l'organe social (conseil d'administration ou
assemblée générale des associés : Paris, 27 févr. 1990, Dr. pénal 1990. Comm. 341, obs. Robert) ; ou lorsque, largement
majoritaire, la décision émane de lui (Crim. 19 oct. 1971, D. 1972. 8).
83. Mais lorsqu'elles ont été régulièrement décidées, les rémunérations des dirigeants peuvent constituer un abus de biens
quand elles apparaissent excessives ou quand elles sont dénuées de contrepartie.
84. L'excès dans la rémunération constitue un abus quand ladite rémunération dépasse les possibilités financières de la
société (Crim. 9 mai 1973, Bull. crim. n o 216. – Crim. 13 déc. 1988, Bull. crim. n o 429 ; Rev. sociétés 1989. 257, note Bouloc.
– Crim. 30 sept. 1991, Bull. Joly 1992. 153, note Baraderie). Sans doute, la solution adoptée par la jurisprudence paraît
critiquable, car d'une part, l'abus de biens dépend des fluctuations financières de la société, et d'autre part, il ne peut
appartenir au juge de fixer la rémunération des dirigeants sociaux. Il ne devrait y avoir d'exception que lorsque la
rémunération excessive serait à l'origine ou la cause d'un dépôt de bilan ; il s'agirait d'un détournement d'actif au préjudice
des créanciers sociaux (Crim. 14 févr. 2007, n o 06-86.721 , Rev. sociétés 2007. 885 ).
85. Rémunération sans contrepartie. -Par ailleurs, la jurisprudence estime parfois que la rémunération du dirigeant n'est
pas justifiée, eu égard au travail effectivement accompli par ce dernier. Ainsi, commet un abus de biens le président d'une
société en quasi-sommeil et subsistant pour réaliser son actif immobilier, qui perçoit des rémunérations hors de proportion
avec l'activité déployée, et versées à l'aide d'emprunts assortis de frais financiers élevés (Crim. 6 oct. 1980, Bull. crim.
n o 248 ; Rev. sociétés 1981. 133, note Bouloc. – Crim. 28 nov. 1994, n o 94-80.324, Dr. pénal 1995. Comm. 70, obs. Robert.
– V. aussi Crim. 22 sept. 2004, n o 03-82.266 , Bull. Joly 2005. 45, note Barbièri ; Rev. sociétés 2005. 200 . – Crim.
30 janv. 2013, n o 12-80.170 ).
86. Pour retenir l'abus, le juge pénal pourrait se référer aux critères du juge fiscal, par application de l'article 39-1, 1 o du
code général des impôts selon lequel les rémunérations ne sont admises en déduction des résultats que dans la mesure où
elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives par rapport à l'importance du service rendu. La charge de
travail, la qualification et l'expérience du dirigeant peuvent être utiles pour justifier la légitimité de la rémunération (Crim.
23 mars 1992, Bull. Joly 1992. 933). En revanche, il y aurait délit en l'absence de toute activité (Crim. 28 mars 1996, n o 95-
80.395 , Bull. crim. n o 142 ; Rev. sociétés 1997. 141 , note Bouloc ; il s'agissait de la rémunération versée à un ancien
dirigeant dont on redoutait le pouvoir de nuisance).
87. La question se pose parfois de savoir si une société peut verser une retraite complémentaire à un ancien dirigeant ou à
un ancien fondateur. Si la retraite a pour objet de rémunérer les services antérieurement rendus, il ne peut y avoir abus de
biens sociaux (Crim. 9 nov. 1987, n o 85-16.667 ). Les indemnités de départ, qualifiées de retraites-chapeaux, font l'objet
de critiques. Mais si elles correspondent à un service rendu et ne sont pas excessives par rapport aux bénéfices réalisés,
elles ne sauraient être considérées comme des abus.
§ 3 - Dépenses personnelles
88. Ce sont aussi les différentes dépenses personnelles du dirigeant qui sont des abus de biens quand elles sont
supportées par la société. C'est, par exemple, la mise en circulation d'effets de complaisance étrangers à l'activité sociale,
et dont la société a dû supporter les frais d'agios ne devant pas lui incomber (Crim. 16 mars 1970, Bull. crim. n o 107 ; Rev.
sociétés 1970. 480, note Bouloc. – V. aussi Crim. 10 nov. 1964, Bull. crim. n o 291 ; D. 1965. 43). Ce sont les frais d'avocats
destinés à défendre des administrateurs pour des délits de société (Amiens, 11 juill. 1962, Gaz. Pal. 1963. 1. 438 ; D. 1963.
Somm. 86), la rémunération d'un domestique (Crim. 26 juin 1978, JCP 1978. IV. 273), les frais de voyage privé (Crim. 12 déc.
1983, n o 81-94.688), les travaux de jardinage (Crim. 13 mai 1991, n o 90-84.154 ), l'utilisation d'un château appartenant à
la société comme domicile privé (Crim. 10 oct. 1983, n o 83-93.735) ou l'octroi d'avances indues (Crim. 26 janv. 2011, n o 10-
80.894 , Rev. sociétés 2011. 448 ) ou des retraits en faveur des enfants (Crim. 28 févr. 2014, n o 10-88.678).
ACTUALISATION
88. Factures de complaisance. -Se rend coupable d'abus de biens sociaux le gérant d'une SARL qui règle des factures
de complaisance, sans contrepartie, au profit d'une société qui vire les fonds sur ses comptes personnels. Il en est de
même pour les paiements de frais de location et d'assurance d'un véhicule automobile au profit de la compagne du
gérant comme des frais de voyage et de séjour de celle-ci, sans activité au profit de la société (Crim. 25 oct. 2017,
n o 16-85.981 , Rev. sociétés 2018. 329, note B. Bouloc ).

89. La Cour de cassation a également considéré qu'était délictueux le paiement d'une dette personnelle, ou les amendes
dues pour infractions au code de la route, constatées sur des véhicules de la société (Crim. 3 févr. 1992, n o 90-85.431 ,
Bull. crim. n o 49 ; RSC 1992. 767, note Giudicelli-Delage ; Rev. sociétés 1992. 535, note Bouloc ; Bull. Joly 1992. 745).
90. La chambre criminelle a également estimé abusif le paiement des cotisations de retraite d'un directeur général, de son
impôt sur le revenu et de la pension alimentaire versée à sa mère (Crim. 29 oct. 1998, n o 97-83.016, Rev. sociétés 1999.
180, note Bouloc ). Il en a été de même pour les dépenses liées à la sécurité privée du président d'une société, mises à la
charge de la société, sans aucune contrepartie comptable ou financière (Crim. 13 déc. 2000, Bull. Joly 2001. 386, note
Barbièri).
§ 4 - Détournement de créances sociales
91. Parfois, le dirigeant prive la société de sommes d'argent devant revenir à cette dernière. Tel est le cas du président qui
s'approprie de l'argent en réalisant des ventes sans factures (Crim. 16 mars 1970, Bull. crim. n o 107 ; Rev. sociétés 1970.
480, obs. Bouloc). C'est aussi celui du président qui s'attribue les redevances provenant de la cession des brevets dont les
dépenses de recherche et de mise au point ont été supportées par la société (Crim. 14 nov. 1973, Bull. crim. n o 415 ; Rev.
sociétés 1974. 550, note Bouloc) ou de celui qui s'approprie des sommes provenant de la vente de biens appartenant à la
société (Crim. 28 nov. 1977, Bull. crim. n o 372), voire qui détourne six véhicules et achète un stock de pièces détachées à la
société (Crim. 26 févr. 1998, n o 96-86.505 , Rev. sociétés 1998. 604, note Bouloc ). Cela peut être aussi le cas du
président qui fait payer une dette d'une autre société dans laquelle il a des intérêts, sans contrepartie véritable (Crim.
13 oct. 1986, Bull. Joly 1987. 1029. – Crim. 21 nov. 2012, n o 11-89.016 . – Crim. 8 févr. 1968, Bull. crim. n o 42).
§ 5 - Emplois fictifs
92. L'abus de biens peut aussi consister dans le recrutement de personnes (amies) qui seront payées par la société, mais
sans effectuer de travail pour elle. C'était déjà le cas de l'ancien dirigeant (Crim. 28 mars 1996, n o 95-80.395 , Bull. crim.
n o 142 ; Rev. sociétés 1997. 141, obs. Bouloc ). Depuis lors, d'autres situations sont apparues, comme le salarié
purement fictif jamais rencontré dans l'entreprise (Crim. 27 juin 2001, n o 00-87.414 , Bull. crim. n o 164 ; Bull. Joly 2001.
1117, note Barbièri ; Rev. sociétés 2001. 873, note Bouloc ; Dr. pénal 2001. Comm. 129, obs. Robert. – Crim. 28 mai
2003, n o 02-83.544 , Bull. crim. n o 109 ; Rev. sociétés 2003. 906, note Bouloc ; Dr. pénal 2003. Comm. 100, obs.
Robert ; Bull. Joly 2003. 1147, note Barbièri. – Crim. 13 févr. 2013, n o 12-81.088 . – Crim. 14 janv. 2015, n o 14-80.975 :
avances sur salaires d'une personne non embauchée).
§ 6 - Recours à des moyens illicites
93. La question de savoir si l'utilisation des fonds sociaux en vue de développer l'activité sociale pouvait constituer un abus
de biens sociaux, alors qu'une infraction devait être commise, a donné lieu à des solutions affirmatives mais contestées. À
une époque où les entreprises, pour obtenir des contrats à l'étranger, étaient plus ou moins tenues de verser des
commissions (injustifiées) pouvant être déductibles fiscalement (sous réserve d'une déclaration auprès d'un bureau spécial,
système supprimé en 1999), certains dirigeants ont pensé que verser des fonds à un élu pourrait faciliter l'obtention d'un
marché nécessaire à la survie ou au développement de l'entreprise. De tels agissements auraient dû être poursuivis au titre
de la corruption. Mais cette infraction est pleinement consommée lors du dernier versement, tandis que l'abus de biens
donne lieu à un retard dans le point de départ de la prescription, en cas de dissimulation. Aussi bien, la jurisprudence a
parfois eu recours à l'abus de biens pour réprimer des agissements relevant de la corruption (BOIZETTE, Enquêtes sur la
corruption en France, LPA 28 mars 1996, p. 4). Un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 22 avril 1992
(Crim. 22 avr. 1992, n o 90-85.125 , Bull. crim. n o 169 ; Rev. sociétés 1993. 124, note Bouloc ; D. 1995. 59, note
Matsopoulou ) a approuvé la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion d'avoir condamné les dirigeants d'une SARL pour
abus de biens sociaux alors qu'ils avaient cherché à corrompre le maire d'une commune, également conseiller général. Bien
que les intéressés aient fait valoir qu'ils ne recherchaient aucun avantage matériel personnel, la Cour de cassation a
maintenu la décision de condamnation, car « l'usage des biens d'une société est nécessairement abusif lorsqu'il est fait
dans un but illicite ». La formule a été considérée comme excessive, car tout délit serait de nature à constituer un abus de
biens ! De plus, elle pouvait dénoter une confusion entre l'intérêt social et l'objet social, et elle méconnaissait ouvertement
la disposition légale qui exige la recherche d'un intérêt personnel.
94. Du fait des objections pouvant être faites à cette prise de position catégorique, la Cour de cassation saisie de
questions liées à l'utilisation de « caisses noires » ayant servi partiellement à payer des salariés clandestins admettait que
l'abus ne concernait que les sommes dont l'utilisation au profit de la société n'avait pas été établie (Crim. 11 janv. 1996,
n o 95-81.776 , Bull. crim. n o 21 ; Dr. pénal 1996. Comm. 108, obs. Robert ; Rev. sociétés 1996. 590, note Bouloc ; LPA
n o 41, 3 avr. 1996, p. 23, obs. Ducouloux-Favard. – Crim. 20 juin 1996, n o 95-82.078 , D. 1996. 589, note Bouloc ). Ce
changement était beaucoup plus net dans l'affaire « Noir-Botton », jugée le 6 février 1997 (Crim. 6 févr. 1997, n o 96-80.615
, Bull. crim. n o 48 ; D. 1997. 334, note Renucci ; JCP 1997. II. 22823, note Pralus ; Rev. sociétés 1997. 146, obs. Bouloc
; Bull. Joly 1997. 291, note Barbièri). La chambre criminelle censure l'arrêt de la cour d'appel ayant condamné le dirigeant
d'une entreprise ayant remis une somme d'argent à un intermédiaire pour qu'il intervienne en faveur de sa société auprès
du ministère du Commerce extérieur, en vue de faire minorer la dette de la société envers le Trésor. Nul doute qu'il
s'agissait d'une action favorable à la société. Mais, ce faisant, la Cour de cassation paraissait admettre que l'usage des
fonds sociaux à des fins de corruption ou de trafic d'influence ne constituerait pas un abus de biens sociaux. Même si
moralement, cela pouvait paraître choquant, il n'en restait pas moins que la solution respectait les conditions légales de
l'incrimination de l'abus de biens qui requiert des fins personnelles chez le dirigeant abusif.
95. Dans une composition différente, la chambre criminelle de la Cour de cassation revenait, le 27 octobre 1997 (Crim.
27 oct. 1997, n o 96-83.698 , Bull. crim. n o 352 ; Rev. sociétés 1997. 869, note Bouloc ; D. Affaires 1997. 1429, note
Boizard ; JCP 1998. II. 10017, note Pralus ; Bull. Joly 1998. 11, note Barbièri), à la solution adoptée le 22 avril 1992, en la
motivant différemment. Elle justifie l'abus de biens par le fait que l'utilisation des fonds sociaux, quel que soit l'avantage à
court terme qu'il peut procurer, « expose la personne morale au risque anormal de sanctions pénales ou fiscales contre elle-
même et ses dirigeants et porte atteinte à son crédit et à sa réputation ». Dans l'affaire Elf où également des fonds sociaux
ont été utilisés à des fins de lobbying et de corruption, la Cour de cassation n'a pas repris cette motivation ; elle s'est
contentée d'indiquer que les fonds prélevés de manière occulte ont appauvri la société et « ont nécessairement été utilisés
dans l'intérêt personnel du dirigeant » (Crim. 31 janv. 2007, n os 02-85.089 et 05-82.671 , Bull. crim. n o 28 ; Rev.
sociétés 2007. 379, note Bouloc ). À vrai dire, ces dernières justifications ne sont guère pertinentes. D'une part, verser de
l'argent à un tiers pour qu'il facilite une opération se trouvant en son pouvoir ne répond pas à l'exigence de l'intérêt
personnel que doit poursuivre le dirigeant ; d'autre part, l'abus des biens s'entend d'un usage immédiat et non d'une
exposition à un risque futur et éventuel, expression qui n'a de sens que pour l'usage du crédit, où effectivement, la société
peut être amenée à payer un tiers, en cas de défaillance du dirigeant. Il est à souhaiter que la Cour de cassation fasse une
meilleure lecture des dispositions légales concernant la définition de l'abus de biens sociaux.
ACTUALISATION
95. Recours à des moyens illicites. Facturation. -Caractérise un délit de faux en écriture la cour d'appel qui relève que
des sociétés ont facturé à une collectivité territoriale des prestations informatiques réalisées par une autre société à
qui elles avaient été rétrocédées, l'existence du préjudice résultant de la nature même des factures. En faisant facturer
par des sociétés dont il était le gérant à une collectivité territoriale des prestations informatiques effectuées par une
société tierce, en encaissant les paiements et en reversant les sommes à la société tierce, tout en conservant pour lui
une commission, le dirigeant a commis un usage de biens sociaux contraire à l'intérêt des sociétés en exposant, dans
son intérêt personnel, celles-ci à un risque de poursuites pénales ou fiscales (Crim. 16 déc. 2015, n o 14-86.602 , Rev.
sociétés 2016. 187, note B. Bouloc ).

Art. 3 - Appréciation de l'acte


96. La loi incrimine le dirigeant qui use des biens, du crédit, des voix ou des pouvoirs, contrairement à l'intérêt social. Il suit
de là que c'est au moment de l'usage que la contrariété à l'intérêt de la société doit être établie. On ne saurait tenir compte
des résultats heureux ou fâcheux d'une opération ou d'une décision de gestion pour en déduire sa légitimité ou son illicéité
(LARGUIER et CONTE, Droit pénal des affaires, 11 e éd., 2004, Armand Colin, n o 375. – V. aussi CHAVANNE, Le droit pénal
des sociétés et le droit pénal général, RSC 1963. 683). La crainte d'une telle attitude a été levée par l'important arrêt du
16 janvier 1989 (Bull. crim. n o 17 ; D. 1989. 495, note Cosson ; Rev. sociétés 1989. 687, note Bouloc). La Haute Juridiction
a, en effet, reproché à la cour d'appel de ne pas avoir recherché si, à la date de signature du contrat (en l'espèce, un
marché de sous-traitance), les dirigeants avaient sciemment fait courir à la société un risque anormal. On peut regretter
qu'afin de pouvoir se pencher sur certains contrats, et notamment écarter l'exception de prescription invoquée, la Cour de
cassation ait cru devoir tenir compte du moment du versement de la somme estimée être abusive, au lieu de se placer au
jour de l'établissement du contrat (V. pour un emploi fictif : Crim. 28 mai 2003, n o 02-83.544 , Bull. crim. n o 109 ; Bull. Joly
2003. 1147, obs. Barbièri ; Rev. sociétés 2003. 906, obs. Bouloc ; Dr. et patr., déc. 2003. 101, obs. Poracchia. – Pour des
conventions d'assistance et de management : Crim. 8 oct. 2003, n o 02-81.471 , Bull. crim. n o 184 ; D. 2003. 2695, obs.
Lienhard ; JCP 2004. II. 10028, note Jacopin ; Rev. sociétés 2004. 155, note Bouloc ; Bull. Joly 2004. 54, note Barbièri).
Dès lors qu'il s'agit de l'exécution d'un contrat dont le principe a fait l'objet d'une décision antérieure, c'est au jour de
l'accord de volontés qu'il importe de se placer pour déterminer le caractère contraire à l'intérêt social de ce contrat.
ACTUALISATION
96. Appréciation de l'acte. Cession de titres. -La cession par le gérant d'une SARL de titres d'une autre société sans
accord des autres associés constitue un abus de pouvoirs, et un abus de biens sociaux du fait de l'acquisition des titres
par le gérant à un prix fixé unilatéralement (Crim. 20 mai 2015, n o 13-87.388 , Rev. sociétés 2015. 536, note Bouloc
).

97. Au demeurant, quand bien même il peut appartenir au juge pénal d'apprécier si les justifications invoquées rendent
l'acte suspect, contraire à l'intérêt social, cette possibilité devrait cesser quand les organes sociaux se sont prononcés pour
le décider. En jurisprudence, la question se présente souvent sous la forme d'un quitus donné au dirigeant ou d'un
« assentiment ». Si l'associé abusif est largement majoritaire au sein de la société, la jurisprudence ne tient pas compte de
l'assentiment (Crim. 5 nov. 1963, D. 1964. 52 ; Rev. sociétés 1965. 180. – V. aussi Crim. 19 oct. 1971, Bull. crim. n o 272 ;
D. 1972. IR 8. – Crim. 6 oct. 1980, Bull. crim. n o 248 ; Rev. sociétés 1981. 133, note Bouloc ; ces deux dernières décisions
concernant des rémunérations excessives au profit de gérants fortement majoritaires). La chambre criminelle de la Cour de
cassation devait même affirmer qu'il est de principe que l'assentiment de l'assemblée générale ne saurait à lui seul faire
disparaître le caractère abusif des prélèvements de fonds sociaux, la loi ayant pour objet de protéger non seulement les
intérêts des associés, mais aussi le patrimoine de la société et les intérêts des tiers qui contractent avec elle (Crim. 8 mars
1967, Bull. crim. n o 94. – Crim. 19 mars 1979, Bull. crim. n o 112 ; D. 1979. IR 488. – Crim. 3 oct. 1983, D. 1984. IR 48). Une
telle justification est sans doute excessive, car le délit d'abus de biens n'a pas pour finalité, à la différence des délits de
banqueroute, de protéger les intérêts des tiers (V. d'ailleurs MÉDINA, op. cit., n o 2-77). En revanche, il a bien pour objet
d'assurer l'intégrité du patrimoine social, et de faire respecter la distribution des profits réalisés, au prorata des droits
détenus par chacun.
98. Au demeurant, une fois l'infraction consommée, la restitution du bien ou l'accord de la victime ne fait pas disparaître la
culpabilité, même si cette situation peut inciter le juge à une certaine clémence, ou le procureur à mettre en place l'une des
alternatives à la poursuite. On ne saurait donc critiquer cette solution.
99. En revanche, si l'autorisation d'accomplir l'acte a été donnée par l'organe ayant le pouvoir de le permettre, l'acte ne
saurait être considéré comme contraire à l'intérêt social. Sans doute, pour dénier toute portée à l'autorisation, on fait valoir
que nul ne peut autoriser autrui à commettre une infraction ; on ajoute, parfois, que le consentement de la victime ne fait
pas obstacle à l'exercice de l'action publique et que l'intérêt social concerne aussi les tiers qui traitent avec la société. À la
vérité, ces arguments ne sont nullement déterminants. Le juge, fût-il pénal, ne saurait s'immiscer dans le fonctionnement
d'une entreprise, et décider après-coup de l'intérêt d'une société (BASTIAN, obs. JCP 1955. II. 8973. – LAUNAIS, Les
pouvoirs de l'assemblée générale en matière d'abus de biens et de crédit de la société, Gaz. Pal. 1963. 1. Doctr. 79). À tout
le moins, l'autorisation donnée par l'organe compétent (conseil d'administration, assemblée générale) devrait entraîner une
présomption de conformité à l'intérêt social de l'acte ultérieurement accompli par le dirigeant. Cette présomption pourrait
être combattue par l'accusation en prouvant la collusion frauduleuse entre la majorité et le dirigeant ou la position très
majoritaire de ce dernier (MÉDINA, op. cit., n os 2-70 et 2-76). Dès lors que le dirigeant a obtenu l'accord des associés, dans
le respect des règles légales de fonctionnement des sociétés, sans aucune fraude ou abus, le juge ne saurait
ultérieurement dire que cet acte est répréhensible. La sécurité juridique et le principe de cohérence du droit commandent
cette solution. Bien évidemment, si une opération est rigoureusement interdite par la loi (par exemple, garantie de la
société pour une opération personnelle du dirigeant ; V. C. com., art. L. 225-43. – Montpellier, 7 janv. 1980, Gaz. Pal. 1980.
1. 362), aucune autorisation ne saurait en ce cas rendre licite une opération frappée de nullité. Au demeurant, un tel acte
est effectué dans l'intérêt personnel du dirigeant, si bien qu'il ne peut être conforme à l'intérêt social.
Section 4 - Fins personnelles

100. Les délits d'abus de biens sociaux ne sont légalement constitués qu'en cas d'usage contraire à l'intérêt social et que si
cet usage est accompli à des fins personnelles propres au dirigeant. La proposition initiale de 1932 envisageait les actes
accomplis par les dirigeants « pour leur compte personnel ou pour des fins étrangères à l'objet social ». Le projet de loi du
18 janvier 1935 retenait l'usage étranger à l'objet social. Finalement, les rédacteurs des décrets-lois de 1935 ont retenu
l'usage contraire « à l'intérêt de la société, dans un but personnel ou pour favoriser une autre société dans laquelle ils
étaient intéressés directement ou indirectement ». Certains auteurs ont craint que cette formulation laisse impunis des
actes frauduleux (ROUSSELET et PATIN, Délits et sanctions dans les sociétés par actions, 1938, Sirey, n o 292). Mais cette
crainte n'était certainement pas fondée. La loi du 24 juillet 1966 a légèrement modifié la rédaction de ce membre de phrase.
Désormais, la loi ne prend pas en compte « le but d'intérêt personnel », tandis qu'elle exige que l'usage ait été accompli « à
des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou
indirectement ».
101. Actuellement, la loi incrimine l'usage fait à des fins personnelles, immédiates, ou pour favoriser une société ou
entreprise dans laquelle le dirigeant est intéressé. Mais pour autant, s'agit-il d'un élément qui ajoute à la mauvaise foi, donc
qui fait partie de l'élément moral ou intellectuel de l'infraction, ou bien d'un élément qui a trait à la définition de l'acte
matériel prohibé ? Majoritairement, les auteurs se prononcent dans le sens que les fins personnelles participent de
l'intention dont elles seraient un aspect du dol spécial, ou « causeraient » l'intention qui devrait être dirigée vers l'obtention
d'un résultat précis (V. Abus de biens sociaux [Pén.]. – JEANDIDIER, op. cit., n o 278. – VITU, op. cit., n o 986. – J.-H. ROBERT et
MATSOPOULOU, Droit pénal des affaires, 2004, PUF, n o 295).
102. Mais d'autres sont plus prudents (LARGUIER et CONTE, op. cit., n o 377. – VÉRON, op. cit., n o 209 : « La recherche de
l'intérêt personnel éclaire le mobile du coupable et sert de soutien à l'élément intentionnel »). Peut-être en était-il ainsi au
lendemain des décrets-lois de 1935 qui prenaient en compte « le but personnel » de l'agent. Mais aujourd'hui, la rédaction
des articles L. 241-3 et L. 242-6 du code de commerce fait état de l'usage contraire à l'intérêt social à des fins personnelles.
C'est l'acte d'usage qui doit être accompli à des fins personnelles. En d'autres termes, l'acte doit être contraire à l'intérêt
social et servir l'intérêt personnel du dirigeant (VERDIER, article préc. [supra, n o 47], in Le droit pénal…, p. 211).
103. Au demeurant, à la différence du dol général exigé pour tout crime ou délit (sauf imprudence) et qui implique la
connaissance et la volonté d'obtenir le résultat prohibé (par ex. la mort dans l'homicide volontaire ou dans
l'empoisonnement), le dol spécial est généralement précisé dans la loi par l'indication du dessein de nuire, de porter
atteinte aux droits d'autrui, ou l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire
(BOULOC, Droit pénal général, 24 e éd., 2015, coll. Précis, Dalloz, n o 266. – PRADEL, Droit pénal général, 16 e éd., 2006,
Cujas, n o 507. – LEROY, Droit pénal général, 4 e éd., 2012, LGDJ, n o 401).
104. Mais, en matière d'abus de biens sociaux, le législateur n'exige pas la poursuite d'un dessein particulier ou un mobile
spécifique ; il précise que l'usage doit à la fois être contraire à l'intérêt social et être accompli à des fins personnelles. De ce
fait, l'acte préjudiciable à la société, mais effectué par un dirigeant incompétent, expose ce dernier à une responsabilité
civile, mais ne constitue pas un délit pénal. Ce dernier requiert donc la constatation d'un intérêt personnel, direct ou
indirect.

Art. 1 er - Intérêt personnel direct


105. L'intérêt personnel peut consister dans un avantage d'ordre matériel (V. infra, n os 106 s.) ou dans un avantage
d'ordre moral (V. infra, n os 109 s.).

§ 1 er - Avantage d'ordre matériel


106. Les fins personnelles directes sont certaines quand le dirigeant s'approprie des sommes prélevées sur l'actif social. Ce
sont, par exemple, les rémunérations excessives non autorisées (Crim. 26 juin 1978, Bull. crim. n o 212. – Crim. 6 oct. 1980,
Rev. sociétés 1981. 133, note Bouloc. – Chambéry 10 oct. 2013, RG n o 13/00306, Rev. sociétés 2014. 399, obs. Bouloc )
ou ne correspondant à aucune activité réelle (Crim. 28 mars 1996, n o 95-80.395 , Bull. crim. n o 142 ; Rev. sociétés 1997.
141, note Bouloc . – V. aussi Crim. 14 déc. 2000, n o 00-81.168 , Bull. Joly 2001. 488, note Le Cannu). Ce sont aussi les
appropriations de sommes qui auraient dû revenir à la société (Crim. 14 nov. 1973, Rev. sociétés 1974. 550. – Crim. 28 nov.
1977, Bull. crim. n o 372. – Crim. 26 févr. 1998, n o 96-86.505 , , Rev. sociétés 1998. 604, note Bouloc . – Crim. 14 nov.
2013, n o 12-83.653 ).
107. Il y a également « fins personnelles directes » quand le dirigeant fait payer par la société des dépenses personnelles
de voyage (Crim. 6 nov. 1979, D. 1980. IR 144), des frais de mission et de réception n'ayant aucun caractère social (Crim.
28 nov. 1994, n o 94-80.411 , D. 1995. 506, note Renucci ; Dr. pénal 1995. Comm. 70, obs. J.-H. Robert), des honoraires
d'avocat d'un des dirigeants (Amiens, 11 juill. 1962, Gaz. Pal. 1963. 1. 438), ou des amendes prononcées à titre personnel
contre le dirigeant (Crim. 3 févr. 1992, n o 90-85.431 , Bull. crim. n o 49 ; Dr. pénal 1992. Comm. 209, obs. J.-H. Robert.
– Crim. 6 sept. 2000, Dr. pénal 2000. Comm. 138, obs. J.-H. Robert).
108. En cas de constitution de « caisses noires », les juges et la Cour de cassation ont considéré que les fonds sociaux
prélevés de manière occulte par le dirigeant l'ont « nécessairement été dans son intérêt personnel », s'il n'est pas justifié
de leur utilisation dans le seul intérêt de la société (Crim. 11 janv. 1996, n o 95-81.776 , Bull. crim. n o 21 ; Rev. sociétés
1996. 586, note Bouloc ; Dr. pénal 1996. Comm. 108, obs. J.-H. Robert. – Crim. 20 juin 1996, n o 97-82.44, Bull. crim.
n o 271 ; D. 1996. 589, note Bouloc ; LPA 24 juill. 1996, p. 31, note Ducouloux-Favard ; Bull. Joly 1997. 18, note Barbièri.
– Crim. 14 mai 1998, n o 97-82.442 , D. 1999. Somm. 159, obs. Segonds ; Bull. Joly 1998. 1145, note Barbièri ; Rev.
sociétés 1998. 806, note Bouloc . – Crim. 9 juill. 1998, n o 97-80.511 , D. Affaires 1998. 1645, obs. A. L. ; Bull. Joly 1998.
1257, obs. Barbièri ; Rev. sociétés 1998. 821 . – Crim. 31 oct. 2000, RJDA 2001, n o 172). Sans doute, certains ont
contesté cette solution, car elle méconnaîtrait la présomption d'innocence en contraignant le dirigeant social à prouver une
utilisation conforme à l'intérêt de la société (RENUCCI, note D. 1995. 506 ). Mais, il faut bien convenir qu'une fois établie
l'existence de détournements paraissant être des actes illicites, il incombe à la personne soupçonnée (ou au prévenu) de
démontrer que ces sommes ont été utilisées dans l'intérêt social, et non à des fins personnelles (Crim. 24 sept. 2008,
n o 08-80.872 , Bull. crim n o 196 ; Rev. sociétés 2009. 174, obs. Matsopoulou ; Dr. pénal 2009. 10, obs. J.-H. Robert). La
solution est à rapprocher de celle adoptée par la jurisprudence relativement aux groupes de sociétés. Dès lors qu'il y a un
intérêt de groupe et des prestations équilibrées avec contrepartie, l'acte se trouve légitimé.
ACTUALISATION
108. Acte contraire à l'intérêt social. Avantage matériel. Fonds occultes. -En revendant à un tiers les chutes de
métaux de la société dont il était le dirigeant contre paiement en argent liquide, ce dirigeant agissait contre l'intérêt de
la société, afin d'utiliser à des fins personnelles les revenus occultes qu'il se ménageait des biens de la société (Crim.
4 mai 2016, n o 14-88.237 , Rev. sociétés 2017. 40, note B. Bouloc ).

§ 2 - Avantage d'ordre moral


109. À côté des actes qui sont préjudiciables matériellement à la société, la jurisprudence a estimé que l'intérêt personnel
pouvait consister dans un avantage d'ordre moral. La question a été posée dans un arrêt du 3 mai 1967 (Crim. 3 mai 1967,
Bull. crim. n o 148). En l'espèce, le dirigeant d'une société avait consenti à son frère des ouvertures de crédit pour satisfaire
un esprit de famille inquiet des répercussions que ne manquerait pas d'entraîner sur la réputation de sa famille et sur la
sienne propre, la déconfiture d'un de ses membres. Bref, le sauvetage du frère pouvait permettre le maintien de l'activité de
la société et de la situation de son gérant.
110. Enhardie par cette solution, la jurisprudence devait clairement affirmer, à propos d'un maire qui cherchait à
concurrencer, sur un plan électoral, les constructions financées par la Caisse des dépôts, qu'il n'importe que « les fins que
voulait atteindre le prévenu n'aient pu être purement matérielles, la loi ne distinguant pas selon que les avantages
personnels recherchés sont matériels ou moraux » (Crim. 16 févr. 1971, Bull. crim. n o 53 ; D. 1971. 294 ; Rev. sociétés 1971.
418, note Bouloc ; JCP 1971. II. 16836, note Sousi). La Cour de cassation devait alors considérer que des relations d'amitié
constituaient un intérêt personnel condamnable (Crim. 8 déc. 1971, Bull. crim. n o 346 ; Rev. sociétés 1972. 514, note
Bouloc. – Crim. 19 juin 1978, Bull. crim. n o 202. – Crim. 14 nov. 2007, n o 06-87.378 , Bull. crim. n o 282). Il en est de même
du maintien de bonnes relations commerciales (Crim. 9 mai 1973, Bull. crim. n o 216 ; D. 1974. 271, note Bouloc. – Crim.
15 sept. 1999, n o 98-83.237 , D. 2000. 319, note Médina ; Bull. Joly 2000. 65, note Mascala) ou de relations avec des
personnes influentes (Crim. 9 févr. 1987, Bull. crim. n o 61. – Crim. 27 oct. 1997, n o 96-83.698 , Bull. crim. n o 352 ; Rev.
sociétés 1997. 869, note Bouloc . – Paris 19 mai 1998, Rev. sociétés 1998. 810, note Bouloc ). Ce peut être la
négociation de contrats pour satisfaire le ministre de tutelle (Crim. 8 avr. 2010, n o 09-85.520 , Rev. sociétés 2010. 400,
note Bouloc ).
111. La recherche d'un prestige ou d'une notoriété, fût-elle politique, constitue une fin personnelle (Crim. 20 mars 1997,
n o 96-81.361 , D. Affaires 1997. 837 ; Rev. sociétés 1997. 581, note Bouloc ; Bull. Joly 1997. 855, note Barbièri ;
D. 1999. 28, note Boccara ). Et, pour la Cour de cassation, il y a usage des biens à des fins personnelles, même si cet
usage n'est pas exclusivement personnel (Crim. 14 mai 2003, n o 02-81.217 , Bull. crim. n o 97 ; Bull. Joly 2003. 1043, note
Barbièri ; Rev. sociétés 2003. 910, note Bouloc . – Crim. 25 oct. 2006, n o 05-85.998 , Bull. crim. n o 254 ; Rev. sociétés
2007. 146, note Bouloc ; D. 2006. AJ 2736, obs. Lienhard ). Ce sont, parfois, des faveurs électorales (Crim. 16 févr.
1971, Bull. crim. n o 53. – Crim. 15 sept. 1999, n o 98-83.237 , D. 2000. 319, note Médina ).
112. Du fait de ces prises de position, des auteurs ont considéré que l'intérêt personnel était toujours caractérisé, de sorte
que cet élément constitutif de l'infraction était inutile ou superflu (JEANDIDIER, op. cit., n o 278. – VÉRON, op. cit., n o 211.
– V. aussi BROUILLAUD, Faut-il supprimer la notion d'intérêt personnel dans la définition de l'abus de biens sociaux ?,
D. 2008. Chron. 375 ). Peut-être en était-il ainsi, mais du fait des dérives et du dévoiement dénoncés (l'abus de biens ne
doit pas servir à punir une corruption… : BOULOC, Le dévoiement de l'abus de biens sociaux, RJ com. 1995. 301), la Cour de
cassation paraît avoir réagi. Ainsi, par un arrêt du 1 er mars 2000 (Crim. 1 er mars 2000, n o 98-86.353 , Bull. crim. n o 101 ;
Bull. Joly 2000. 710, note Médina ; Rev. sociétés 2000. 576, note Bouloc ), la Cour de cassation a censuré un arrêt de
condamnation qui n'avait pas recherché si le dirigeant social avait un intérêt personnel direct ou indirect dans le règlement
de fausses factures. La même solution a été rappelée dans une autre décision (Crim. 4 nov. 2004, Dr. sociétés 2005, n o 57,
note Salomon ; JCP E 2005, n o 13, p. 576, note J.-H. Robert). Aussi bien, on a pu évoquer le « retour en grâce de l'intérêt
personnel dans l'abus de biens sociaux » (MATSOPOULOU, obs. D. 2005. Chron. 2075 ). Il est à souhaiter que cette voie
soit poursuivie, et même qu'une intervention législative vienne qualifier les fins personnelles (par exemple patrimoniales,
comme cela avait été suggéré par le sénateur MARINI).
113. En tout cas, les juges ne sauraient se dispenser d'évoquer l'intérêt personnel, sinon leur décision pourrait être
censurée (Crim. 22 oct. 1990, n o 89-85.019 , Rev. sociétés 1991. 125, note Bouloc ). Constater qu'un dirigeant a fait
payer un créancier ne suffit pas à établir un abus, même si la société traverse des difficultés financières. Dès lors que la
dette est exigible, le débiteur doit payer, et en acquittant la dette sociale, il ne poursuit pas une fin personnelle (Crim.
14 juin 1993, n o 92-80.763 , Bull. crim. n o 208 ; Rev. sociétés 1994. 90, note Bouloc ). On ne peut, cependant, que
regretter que la jurisprudence ne se montre pas aussi précise quand il s'agit de l'utilisation des fonds sociaux en vue de
l'obtention de contrats ou de débouchés nouveaux. Sans doute, utiliser les fonds pour corrompre, ce n'est pas admissible,
mais seule l'infraction-fin doit être retenue et non l'infraction-moyen, à laquelle il manque un élément constitutif.
Art. 2 - Intérêt personnel indirect
114. L'intérêt personnel indirect se rencontre quand un même dirigeant favorise une autre société dans laquelle il est
dirigeant (V. infra, n os 115 s.) et surtout dans le cas des groupes de sociétés (V. infra, n os 118 s.).

§ 1 er - Société ayant des dirigeants communs


115. Outre les fins personnelles, l'usage abusif peut être destiné à favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle
le dirigeant est intéressé directement ou indirectement (Crim. 27 juin 2012, n o 11-86.197 , Rev. sociétés 2013. 172, note
Bouloc ). Le terme « entreprise », qui ne figurait pas dans les décrets-lois de 1935, a été retenu par les sénateurs lors de
l'élaboration de la loi du 24 juillet 1966, afin d'étendre le champ d'application du délit aux actes destinés à favoriser une
entreprise qui ne serait pas une société. Certains auteurs ont considéré que ce terme pourrait s'appliquer à un groupement
d'intérêt économique comme à une association, voire à un syndicat (HÉMARD, TERRÉ et MABILAT, Sociétés commerciales,
t. II, 1974, Dalloz, n o 1275). Il semble qu'il faille retenir tout groupement ayant une activité économique de fait.
ACTUALISATION
115-1. Intérêt personnel indirect du dirigeant. Attribution de fonds à une société dont il est également dirigeant. -
Le dirigeant de fait d'une société qui fait attribuer à une autre société dont il est le dirigeant des fonds pour des
prestations fictives de formation du personnel commet un abus de biens sociaux (Crim. 19 mai 2016, n o 14-88.387 ,
Rev. sociétés 2016. 685, note B. Bouloc ).

116. Cela étant, il y aura faveur pour une autre société quand le président d'une société anonyme fait verser à une société
à responsabilité limitée dont il est le gérant, des commissions fictives (Crim. 14 févr. 1974, Bull. crim. n o 68) ou lorsqu'il
participe à la mise en circulation de traites de complaisance pour venir en aide à une société amie (Crim. 8 déc. 1971, Bull.
crim. n o 346 ; Rev. sociétés 1972. 574, note Bouloc). Il en est de même si le dirigeant espère obtenir une situation bien
rémunérée au sein de l'entreprise avantagée (Crim. 19 oct. 1978, Bull. crim. n o 282 ; D. 1979. 153, note J. C.), ou si un
contrat de sous-traitance apparemment avantageux est conclu avec une société également contrôlée par les dirigeants
sociaux (Paris, 24 févr. 1987, Gaz. Pal. 1987. 1. 252, note Marchi. – Arrêt précédent censuré par : Crim. 16 janv. 1989,
D. 1989. 495, note Cosson).
117. La faveur pour une autre société a également été retenue dans le cas de paiements de prestations excessives mises
à la charge de sociétés dirigées par des personnes associées dans la société bénéficiaire (Crim. 25 oct. 2006, n o 05-85.998
, Rev. sociétés 2007. 146, note Bouloc ). Elle a également été retenue en cas d’établissement d'un avenant au bail
commercial majorant le loyer au profit d'une société dont les parts sont détenues par les dirigeants de la première société
(Crim. 5 mars 2014, n o 13-80.350 , Rev. sociétés 2014. 588, note Bouloc ).
§ 2 - Groupe de sociétés
118. La faveur au profit d'une société ayant les mêmes dirigeants que la société victime de l'acte peut se présenter dans le
cas de groupes de sociétés. On sait que la loi du 24 juillet 1966 n'a pas envisagé le groupe de sociétés et n'a consacré que
quelques dispositions aux filiales, aux participations et aux sociétés contrôlées. Aussi bien, le groupe n'a toujours pas
d'existence juridique, même si dans certaines situations, on observe une convergence des objectifs et une centralisation du
pouvoir de décision. De manière générale, la jurisprudence consacre la règle de l'indépendance juridique des sociétés,
encore que parfois, la notion d'intérêt de groupe est prise en considération. Dans cet ordre d'idées, on relèvera que la loi
n o 84-46 du 24 janvier 1984 sur l'activité et le contrôle des établissements de crédit (dite loi bancaire) a permis qu'une
entreprise, quelle que soit sa nature, puisse procéder à des opérations de trésorerie avec des sociétés ayant, avec elle,
directement ou indirectement, des liens de capital conférant à l'une des entreprises liées un pouvoir de contrôle effectif sur
les autres (C. mon. fin., art. L. 511-7, 3 o . – RIVES-LANGE et OHL, La loi du 24 janvier 1984 permet-elle d'effectuer des
opérations de banque sans être établissement de crédit ?, Banque 1985. 439). Une entreprise détenant une participation
capitaliste dans une autre va pouvoir effectuer des opérations de trésorerie, sous réserve de respecter l'objet statutaire.
Ne serait-il pas possible de tenir compte de cette disposition légale afin d'exclure le délit d'abus de biens sociaux en cas
d'opération de trésorerie au sein de sociétés du même groupe ?
119. Avant que n'intervienne la loi bancaire du 24 janvier 1984, des juridictions correctionnelles avaient eu à connaître d'un
tel problème. Ainsi, le tribunal correctionnel de la Seine, par un jugement du 13 décembre 1955 (T. corr. Seine, 13 déc.
1955, D. 1957. 519, note Autesserre), relaxait le président d'une société pour défaut d'intention coupable, car, du fait d'une
pression des banques, il s'était trouvé contraint de garantir une filiale pour sauver de la ruine la société principale ; il n'était
donc pas établi qu'il ait de mauvaise foi servi un intérêt personnel contraire à celui de la société principale dont il était le
dirigeant. Admettre la contrainte, alors qu'il ne s'agissait pas d'une situation pouvant s'apparenter à la force majeure, était
un argument fragile.
120. Admission du fait justificatif du groupe. -Aussi bien, quelques années plus tard, le même tribunal adoptait une autre
motivation en prenant en compte certains paramètres comme l'existence de contrepartie, et la durée limitée de l'aide
financière (T. com. Paris, 26 nov. 1968, Gaz. Pal. 1969. 1. 309 ; RTD com. 1968. 1080, obs. Houin). À nouveau, ces règles se
trouvent évoquées dans le jugement rendu le 16 mai 1974 dans une des affaires intéressant les frères W illiot (JCP E 1975.
II. 11816, note Sousi ; Gaz. Pal. 1974. 2. 886 ; Rev. sociétés 1975. 657 ; D. 1975. 37. – TROCHU, JEANTIN et LANGE, De
quelques applications particulières du droit pénal des sociétés au phénomène des groupes, D. 1975. Chron. 7). Mais ce
n'est que le 4 février 1985 que la chambre criminelle de la Cour de cassation allait admettre ce que l'on a dénommé le fait
justificatif du groupe (Crim. 4 févr. 1985, Bull. crim. n o 54 ; D. 1985. 478, note Ohl ; Rev. sociétés 1985. 688, note Bouloc ;
JCP 1986. II. 20585, note Jeandidier). Elle énonce que, pour échapper aux prévisions des articles 425, 4 o et 437, 3 o de la loi
du 24 juillet 1966, le concours financier apporté par les dirigeants de fait ou de droit d'une société, à une autre entreprise
du même groupe dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement, doit être dicté par un intérêt économique,
social ou financier commun, apprécié au regard d'une politique élaborée pour l'ensemble de ce groupe, et ne doit ni être
démuni de contrepartie, ni rompre l'équilibre entre les engagements respectifs des différentes sociétés concernées, ni
excéder les possibilités financières de celle qui en supporte la charge.
121. Depuis, la chambre criminelle a été amenée à rappeler la teneur de cette décision dans de nombreux autres arrêts
(Crim. 13 févr. 1989, Bull. crim. n o 69 ; Rev. sociétés 1989. 696, note Bouloc. – Crim. 23 avr. 1991, n o 90-81.444 , Rev.
sociétés 1991. 785, note Bouloc ; Bull. Joly 1991. 849, note Couret ; Dr. pénal 1991, n o 327, obs. J.-H. Robert. – Crim.
24 juin 1991, RJDA 1991, n o 726, p. 784. – Crim. 9 déc. 1991, n o 91-80.297 , Rev. sociétés 1992. 358 ; Dr. pénal 1991.
Comm. 101. – Crim. 18 janv. 1993, n o 92-80.153 , Dr. sociétés 1993, n o 101, obs. Le Nabasque. – Crim. 4 sept. 1996,
n o 95-83.718 , Bull. crim. n o 314 ; D. 1996. IR 260 ; Rev. sociétés 1997. 365, note Bouloc ).
ACTUALISATION
121-1. Groupe de sociétés. Déséquilibre résultant de la nouvelle organisation du groupe. -La chambre criminelle de
la Cour de cassation confirme l'arrêt d'appel de relaxe des prévenus des faits d'abus de biens sociaux pour avoir perçu
des commissions au travers d'une société de courtage dans laquelle ils étaient intéressés grâce à l'utilisation du
portefeuille de contrats d'assurance d'une société de gestion de portefeuille, pour avoir transféré sans contrepartie ce
portefeuille et pour avoir fait utiliser par la société de courtage le personnel et les moyens de la société de gestion, en
retenant qu'ils avaient agi dans le cadre de la nouvelle organisation du groupe répartissant les rôles entre la société de
gestion de portefeuille et la société de courtage, de sorte que le déséquilibre entre ces sociétés résultait de cette
organisation et non de la volonté délibérée des prévenus (Crim. 6 avr. 2016, n o 15-80.150 , Rev. sociétés 2016. 539,
note M.-E. Boursier ).
Absence d'équilibre entre les prestations. Pour éluder l'application de l'article L. 241-3, 4 o , du code de commerce, les
versements effectués par un dirigeant d'une société à une autre entreprise du même groupe dans laquelle il est
intéressé directement ou indirectement doivent être dictés par un intérêt économique, social ou financier commun,
apprécié au regard d'une politique élaborée pour l'ensemble de ce groupe, et ne doivent ni être dépourvus de
contrepartie ni rompre l'équilibre entre les engagements respectifs des diverses sociétés concernées, ce qui n'était pas
le cas en l'espèce (Crim. 25 oct. 2017, n o 16-80.238 , Rev. sociétés 2018. 520, note M.-E. Boursier ).

122. Conditions. -Pour que la cause de justification soit admise, il faut tout d'abord que l'on soit en présence d'un groupe,
c'est-à-dire de sociétés ayant entre elles des liens en capital. Aussi bien, dans l'arrêt « Rozenblum » du 4 février 1985, cette
condition n'était pas remplie, la seule présence d'une même personne à la tête de différentes sociétés ne valant pas
groupe. En revanche, il n'est pas nécessaire que les sociétés aient des activités complémentaires ; il suffit qu'il y ait une
politique commune élaborée pour le groupe, caractérisée par des décisions prises en conseil d'administration ou en
assemblée générale. Aussi bien, l'existence d'un bilan consolidé ne vaut pas groupe (Crim. 9 déc. 1991, n o 91-80.297 ,
Rev. sociétés 1992. 358 ) et il en est de même d'une unité économique non structurée (Crim. 2 juill. 1998, n o 97-81.268
, RSC 1999. 333, note Renucci ).
123. Intérêt économique commun. -Le groupe doit, par ailleurs, avoir une politique dictée par un intérêt économique,
social et financier commun. Cet intérêt justifie le concours financier apporté par l'une des sociétés à une autre. L'intérêt du
groupe transcende les intérêts particuliers de chacune des composantes (LE GUNEHEC, Le fait justificatif tiré de la notion de
groupe de sociétés dans le droit pénal français de l'abus de biens sociaux, RID pén. 1987. 117). L'absence de décisions
permettant de caractériser cet intérêt conduira à la non-reconnaissance du groupe et à la condamnation des dirigeants
(Crim. 23 avr. 1991, n o 90-81.444 , Bull. crim. n o 193 ; Rev. sociétés 1991. 785, note Bouloc . – Crim. 16 janv. 2013,
n o 11-88.852 , Rev. sociétés 2013. 710, obs. Boursier . – En cas de sociétés non intégrées dans le groupe au jour de la
transmission des fonds, le dirigeant est tenu d'indemniser la victime en raison d'une faute civile : Crim. 19 mars 2014, n o 12-
83.188 , Rev. sociétés 2014. 741, note Boursier . – V. aussi, pour des mouvements de fonds opérés au gré des
circonstances et sans plan d'ensemble : Crim. 9 déc. 1991, n o 91-80.297 , Bull. crim. n o 467 ; Rev. sociétés 1992. 358 .
– Crim. 23 mai 2002, n o 01-85.746 ).
124. Nécessité d'un équilibre entre les prestations. -Si l'on est en présence d'un groupe, il faut que l'opération soit
équilibrée. Pour la Cour de cassation, l'acte doit comporter une contrepartie ou ne pas rompre l'équilibre entre les
différentes sociétés concernées. La contrepartie peut consister dans un prix payé pour le service rendu ou les marchandises
livrées (par exemple, pour une avance en trésorerie, la rémunération pourra être inférieure de X points par rapport au taux
de base des prêts bancaires). Il va de soi que ce prix ou cette rémunération peut être différent de celui qui serait pratiqué
avec une entreprise extérieure au groupe, sans être totalement inexistant. Bien évidemment, l'opération doit être
équilibrée, et ne pas désavantager une société par rapport à l'autre.
125. Une autre condition est exigée par la jurisprudence : il faut que l'opération n'excède pas les capacités financières de la
société prêteuse (Crim. 3 oct. 2007, n o 06-87.276 . – Crim. 24 sept. 2008, Dr. sociétés 2008. Comm. 258, obs. Salomon).
Cela suppose que, au sein du groupe, une société dispose de trésorerie, tandis qu'une autre en a besoin. La société mère
ne saurait contraindre sa filiale à emprunter au banquier, afin de subvenir à ses propres dépenses ou investissements. Mais
lorsque la société subvient aux besoins de la société mère, afin d'éviter un dépôt de bilan, le fait justificatif a été admis
(Crim. 27 nov. 2013, n o 12-84.804 , Rev. sociétés 2014. 186, note Bouloc ).
126. Sur le plan théorique, on s'est demandé sur quel fondement reposerait l'impunité admise en cas de groupe (BOULOC,
Droit pénal et groupes d'entreprises, Rev. sociétés 1988. 179). Certains ont prétendu qu'il s'agirait de la contrainte, de
l'état de nécessité, tandis que pour d'autres, ce serait l'ordre de la loi. En réalité, la jurisprudence a seulement rappelé que
l'acte accompli au sein d'un groupe conformément aux impulsions des organes de direction ne permettait pas de
caractériser un intérêt personnel direct ou indirect de celui qui effectuait l'action apparemment suspecte. Dès lors, il manque
un élément à l'infraction qui ne peut être légalement constituée, et par voie de conséquence, judiciairement poursuivie.
Section 5 - Mauvaise foi

Art. 1 er - Nécessité de l'intention


127. Quel que soit l'abus reproché, il doit avoir été accompli de « mauvaise foi », le dirigeant devant avoir su que l'usage
était contraire à l'intérêt de la société. L'intention est nécessaire et elle doit être constatée.
128. Du fait de la formulation légale, il ne fait aucun doute que les délits d'abus de biens sont des délits intentionnels.
D'ailleurs, le principe général posé par l'article 121-3 du code pénal est qu'il n'y a « point de crime ou de délit sans intention
de le commettre ». Lors de la codification à « droit constant » du code de commerce, un certain nombre d'infractions ont vu
les mots « sciemment » ou « volontairement » supprimés de leur définition. En revanche, pour les différents abus de biens
sociaux, l'ordonnance a maintenu le terme « mauvaise foi », afin peut-être d'inciter les juges à mieux prendre en compte
cette exigence.
129. De manière abstraite, il faut bien reconnaître qu'une infraction ne prenant pas en compte l'imprudence ne peut être
pleinement constituée que si l'agent a eu conscience de méconnaître la loi et a voulu l'acte (MERLE et VITU, Traité de droit
criminel, t. I, 7 e éd., 2000, Cujas, n o 546). La connaissance de la loi n'a pas à être démontrée, car « nul n'est censé ignorer
la loi », même si, étant donné le nombre de lois comportant une sanction pénale, on peut douter du caractère réaliste de
cet adage. Il est vrai qu'on peut tenter d'établir qu'on a commis une erreur, mais le nouveau code pénal n'a retenu que
l'erreur invincible, que la jurisprudence applique avec parcimonie. De ce fait, le dirigeant aura du mal à prouver sa bonne foi,
la mauvaise foi pouvant être déduite de la matérialité de l'action accomplie.
130. Pour autant, puisque tout délit est nécessairement intentionnel, on ne saurait prendre en compte une négligence ou
une imprudence. Néanmoins, avant que la loi de 1966 ne permette de retenir le délit contre le dirigeant de fait, la
jurisprudence, pour pouvoir punir ce dernier au titre de la complicité, avait besoin d'établir le délit contre le dirigeant de
droit, auteur principal. Ainsi, dans un arrêt du 16 janvier 1964 (Crim. 16 janv. 1964, Bull. crim. n o 16 ; D. 1964. 194 ; JCP
1964. II. 13612, note J. R.), la Cour de cassation a approuvé la cour d'appel de Toulouse d'avoir retenu le délit contre le
dirigeant de droit, au motif qu'il disposait des pouvoirs découlant de la loi et des statuts pour s'opposer aux entreprises
d'un animateur de fait.
131. Mais, quelques années après, la Cour de cassation devait préciser sa position, en affirmant que l'intention frauduleuse
est un élément constitutif de l'infraction, à défaut duquel celle-ci ne serait pas caractérisée (Crim. 19 déc. 1973, Bull. crim.
n o 480 ; Rev. sociétés 1974. 363, note Bouloc). Elle tempérait cependant son propos, en indiquant que la négligence ou le
défaut de surveillance peuvent être retenus contre les dirigeants, à la condition que ceux-ci aient connu les agissements
délictueux qu'ils pouvaient empêcher. Autrement dit, la négligence active pourrait valoir intention.
Art. 2 - Constatation de l'intention
132. Il semble, en tout cas, que les juges ne seraient plus autorisés à déduire l'élément moral du délit, de la matérialité des
faits comme cela avait été admis autrefois (Crim. 16 mars 1970, JCP 1971. II. 16813, note Bouloc). C'est qu'en effet, la Cour
de cassation a censuré des arrêts de condamnation qui n'avaient pas caractérisé l'élément intentionnel de l'abus (Crim.
23 juill. 1985, Rev. sociétés 1986. 106, note Jeandidier. – Crim. 16 févr. 1987, Rev. sociétés 1987. 612, note Bouloc. – Crim.
22 oct. 1990, n o 89-85.019 , Rev. sociétés 1991. 125, note Bouloc . – V. aussi Crim. 20 mars 1997, n o 96-81.361 ,
Rev. sociétés 1997. 581, note Bouloc ). Mais, si les actes reprochés font apparaître la poursuite évidente d'un intérêt
personnel, la Cour de cassation semble se satisfaire de la décision des juges du fond, car la finalité de l'usage induit la
conscience d'accomplir un acte contraire à l'intérêt social et la mauvaise foi (Crim. 5 nov. 1976, Bull. crim. n o 315. – Crim.
19 juin 1978, Bull. crim. n o 202. – Crim. 28 mai 1979, Bull. crim. n o 186. – Crim. 10 juill. 1995, JCP 1995. II. 22572, note
Paillusseau).
133. La connaissance du caractère contraire à l'intérêt social de l'acte accompli peut également suffire à justifier une
décision de condamnation (Crim. 8 févr. 1968, Bull. crim. n o 42. – Crim. 25 nov. 1975, JCP 1976. II. 18476. – Crim. 28 mars
1996, n o 95-80.395 , Bull. crim. n o 142). Il en est de même de la constatation de la seule mauvaise foi du dirigeant, qui
fait présumer sa connaissance du caractère de l'acte contraire à l'intérêt social (Crim. 24 mars 1969, Bull. crim. n o 130.
– Crim. 15 mars 1972, Bull. crim. n o 107. – Crim. 12 juin 1978, Bull. crim. n o 182).
134. Les prélèvements dans la caisse sociale, ou le paiement de dépenses personnelles ne pouvant pas être justifiés
impliquent la mauvaise foi du dirigeant (Crim. 3 févr. 1992, n o 90-85.431 , Bull. crim. n o 49. – Crim. 25 mai 1992, n o 91-
83.541 , Dr. pénal 1992. Comm. 292). Tel est aussi le cas des prélèvements effectués de manière occulte pour constituer
des caisses noires (Crim. 11 janv. 1996, n o 95-81.776 , Bull. crim. n o 21 ; Dr. pénal 1996. Comm. 108, obs. J.-H. Robert.
– Crim. 20 juin 1996, n o 95-82.078 , Bull. crim. n o 271 ; D. 1996. 589, note Bouloc ). En revanche, en cas de
rémunération non autorisée, mais opérée de manière transparente par un dirigeant ayant toujours agi dans l'intérêt de la
société, l'intention n'est pas établie (Chambéry, 10 oct. 2013, RG n o 13/00306, Rev. sociétés 2014. 399, obs. Bouloc ).
135. L'absence de dissimulation des prélèvements, effectués et connus de l'associé unique, ne vaut pas défaut d'intention
(Crim. 2 avr. 2014, n o 13-80.010 , Rev. sociétés 2014. 592, note Bouloc ). Bien évidemment, lorsque l'acte abusif a été
accompli, le fait de rembourser ou de restituer les sommes indûment prélevées ne fait pas disparaître l'infraction ; tout au
plus, cette action volontaire peut inciter le juge à la clémence et fait disparaître le droit à réparation (Crim. 19 mai 1999,
n o 98-80.726 , RSC 1999. 830, obs. Renucci ). De même, l'approbation ultérieure de l'action par les associés n'exclut pas
la mauvaise foi (Crim. 30 sept. 1991, n o 90-83.965 , Rev. sociétés 1992. 356 . – Crim. 22 sept. 2004, n o 03-82.266 ,
Rev. sociétés 2005. 200, note Bouloc ).
136. En définitive, l'élément intentionnel ou moral du délit d'abus des biens sociaux se trouve très souvent établi, car un
dirigeant, même d'une entité telle qu'une SAS ou une EURL, ne doit pas oublier que la personne morale est distincte de la
personne physique de celui qui l'anime, et qu'il ne faut pas opérer de confusion entre les patrimoines.

Chapitre 3 - Modalités de la répression


137. Lorsqu'un dirigeant paraît avoir utilisé les biens ou les pouvoirs attribués à des fins personnelles, le procureur de la
République ou la victime songe naturellement à l'un des délits définis à l'article L. 241-3 ou L. 242-6 du code de commerce.
Néanmoins, malgré l'apparence, la qualification peut être autre. Par ailleurs, il faudra déterminer quelles personnes peuvent
être poursuivies, en outre des dirigeants, aussi que le temps pendant lequel la procédure pourra être envisagée. Il restera
ensuite à fixer les sanctions pénales et civiles applicables en matière d'abus de biens sociaux, aussi que d'autres
conséquences civiles.
ACTUALISATION
137-1. Abus de confiance. Détournement de clientèle. -Constitue un abus de confiance le fait, pour une personne, qui
a été destinataire, en tant que salariée d'une société, d'informations relatives à la clientèle de celle-ci, de les utiliser par
des procédés déloyaux dans le but d'attirer une partie de cette clientèle vers une autre société (Crim. 22 mars 2017,
n o 15-85.929 , Rev. sociétés 2018. 56, note H. Matsopoulou ).

Section 1 re - Choix de la qualification

138. Abus de biens. -Il ne peut y avoir abus des biens, des pouvoirs ou du crédit social que si la société en cause est l'une
de celles pour lesquelles le législateur a prévu cette incrimination (V. supra, n os 14 s.). À défaut, l'utilisation des biens pour
une fin non conforme à celle convenue entre les associés, pourra justifier la qualification d'abus de confiance (V. par ex.
Crim. 1 er févr. 1972, Bull. crim. n o 38 ; Rev. sociétés 1973. 478. – Crim. 27 janv. 1986, GIE, Bull. crim. n o 34 ; Rev. sociétés
1986. 273. – Crim. 13 juin 1983, Bull. crim. n o 177. – Et Crim. 29 avr. 1996, n os 95-85.079 et 95-85.084, Bull. crim. n o 169,
o
pour des sociétés en participation. – Crim. 4 sept. 1996, n 95-83.718 , Bull. Joly 1997. 107, note Rontchevsky, pour une
SCI. – Crim. 10 avr. 2002, n o 01-81.282 , Bull. crim. n o 86, pour une société en nom collectif).
139. Abus de confiance. -L'abus de confiance pourra aussi être retenu quand le fondateur d'une société utilise les fonds
rassemblés à des fins personnelles, avant que la société ne soit immatriculée et ait été dotée de la personnalité morale
(Crim. 24 mai 1982, n o 81-92.382. – Crim. 10 mai 1993, n o 92-82.058 ). Il en est de même quand le gérant d'une SARL ou
le président d'une société anonyme détourne les sommes versées en vue d'une augmentation de capital. En ce cas, en
effet, les sommes versées n'appartiennent pas encore à la société, et il ne peut s'agir d'un abus de biens (Crim. 9 janv.
1980, Bull. crim. n o 14. – Crim. 16 mars 1987, Rev. sociétés 1987. 422, note Bouloc). Un gérant de fait qui détourne, au
préjudice d'un client, l'acompte à valoir sur la facture d'une commande qui ne sera jamais passée commet un abus de
confiance (Crim. 14 nov. 2013, n o 12-83.653 , Rev. sociétés 2014. 324, obs. Bouloc ).
ACTUALISATION
139. Abus de confiance. Société holding. -La restitution, par compensation, des sommes détournées au préjudice
d'une société, qui intervient postérieurement au détournement constitutif du délit d'abus de confiance, n'enlève pas à
l'acte son caractère délictueux. Les juges répressifs peuvent retenir le délit d'abus de confiance s'ils constatent
l'existence de l'élément intentionnel, du fait de la connaissance d'un « montage frauduleux », et l'existence du préjudice
qui peut consister dans le « risque, à tout le moins fiscal ou pénal », qu'un tel montage fait courir à une société. Un
dirigeant social peut être déclaré coupable, cumulativement, de complicité d'abus de confiance et de recel des sommes
provenant de ce même délit, pour avoir signé un contrat d'assistance fictif et perçu les sommes détournées, s'agissant
de faits distincts commis à des dates différentes (Crim. 16 déc. 2015, n o 13-84.592 , Rev. sociétés 2016. 322, note
Matsopoulou ).
139-1. Abus de confiance. Illustration. -Commet un abus de confiance le gérant de fait d'une société qui, ayant reçu
d'un client un chèque destiné à être remis à un organisme de crédit en remboursement d'un prêt, en a détourné le
montant en ne le remettant pas à l'établissement financier. Mais ce dirigeant de fait ne commet pas d'abus de confiance
en faisant signer des bons de commande sans recevoir de fonds. Commet un détournement d'actifs le gérant de fait
d'une société en redressement judiciaire qui déménage du siège de la société deux téléviseurs et fait mettre sur le
compte bancaire d'une autre société des chèques émis par des clients de la première société (Crim. 8 mars 2017, n o 15-
87.457 , Rev. sociétés 2017. 723, note B. Bouloc ).

140. Banqueroute. -La question du choix de la qualification se pose aussi quand l'acte abusif a été commis à un moment où
la société se trouve, au moins virtuellement, en état de cessation des paiements. Abuser des biens à des fins personnelles
ou bien détourner un élément de l'actif, cela paraît comparable. Néanmoins, l'abus de biens protège essentiellement le
patrimoine de la société (et, jusqu'en 2000, également celui des associés), tandis que les délits de banqueroute tendent à
protéger les créanciers sociaux. Par ailleurs, les pénalités ne sont pas rigoureusement identiques, et les personnes pouvant
mettre en œ uvre la procédure pénale ne sont pas les mêmes. On pourrait dès lors estimer que puisqu'il y a plusieurs
valeurs différentes violées, la poursuite cumulative des deux infractions serait possible, en veillant à ce qu'il n'y ait qu'une
seule peine prononcée, dans la limite de la plus haute acception pénale (V. par ex. Crim. 6 janv. 1970, Bull. crim. n o 11.
– Crim. 27 oct. 1997, n o 96-83.698 , Bull. crim. n o 352. – Crim. 21 févr. 2001, n o 00-81.167 , Bull. crim. n o 46. – BOULOC,
op. cit. [supra, n o 103], n o 687). Sans doute, il n'y a qu'une action matérielle unique, mais pour la Cour de cassation, un acte
unique peut constituer plusieurs infractions.
141. S'agissant du détournement de l'actif social, la jurisprudence a considéré qu'il convenait de distinguer selon que la
société était in bonis ou non (MÉDINA, op. cit., n o 8-44. – VÉRON, op. cit., n o 221. – V. Abus de biens sociaux [Pén.]). Pour la
chambre criminelle, en effet, les qualifications d'abus de biens et de banqueroute sont exclusives l'une de l'autre, et seule la
banqueroute doit être retenue quand les faits ont été commis après la date de cessation des paiements. Posée par un
arrêt du 24 avril 1984 (Crim. 24 avr. 1984, Bull. crim. n o 141 ; Gaz. Pal. 1985. 1. 25, note Cosson. – V. aussi Crim. 5 juin
1989, Bull. crim. n o 233. – Crim. 20 juill. 1993, n o 92-84.086 , Bull. crim. n o 250 ; Rev. sociétés 1994. 93, note Bouloc ),
cette distinction avait été relativisée du fait d'un arrêt du 18 juin 1998 (Crim. 18 juin 1998, n o 97-83.996 , Dr. pénal 1998.
Comm. 156 ; Rev. sociétés 1998. 817 ) ayant retenu l'abus de biens sociaux pour des acquisitions faites dans l'intérêt
personnel des dirigeants, après la date de cessation des paiements. Par ailleurs, dès lors que le juge pénal peut retenir
une date de cessation de paiements autre que celle fixée par le juge commercial (ou civil), et qu'il peut prendre en compte
des actes antérieurs à la cessation des paiements mais qui ont été à l'origine de celle-ci (Crim. 5 oct. 1992, n o 91-86.770 ,
Bull. crim. n o 301 ; Bull. Joly 1993. 252, note Bouloc. – Crim. 21 sept. 1994, n o 93-85.544 , JCP E 1995. II. 690, note
Dekeuw er ; Rev. proc. coll. 1996. 133, obs. Devèze. – Crim. 14 févr. 2007, n o 06-86.721 , Dr. pénal 2007. Comm. 73, obs.
J.-H. Robert ; Rev. sociétés 2007. 885, obs. Bouloc . – Crim. 24 mars 2009, n o 08-84.647, Dr. sociétés 2009. 177, obs.
Salomon), la frontière entre les deux qualifications devient floue (SORDINO, Banqueroute et abus de biens sociaux, conflit
de qualifications, in Mélanges Michel Cabrillac, 1999, Litec, p. 698). Toutefois, depuis 1999, la Cour de cassation paraît être
revenue à la distinction classique : avant la cessation des paiements, il y a abus de biens sociaux, tandis qu'après cette
date, il s'agit de banqueroute (Crim. 27 oct. 1999, JCP E 2000. 1045, note J.-H. Robert. – Crim. 30 juin 2004, n o 03-87.427
, RSC 2004. 895, obs. Rebut ; Dr. pénal 2004. Comm. 147, note J.-H. Robert ; Dr. sociétés 2005, n o 18, note Salomon).
Mais assez souvent, les juges retiennent le détournement d'actif quand il y a détournement des règlements des clients
(Crim. 5 oct. 1992, n o 91-86.770 , Bull. crim. n o 301. – Crim. 30 avr. 2014, n o 13-82.425 , Dr. sociétés 2014. 119, obs.
Salomon) ou quand il y a cession d'un élément d'actif pour une somme bien inférieure à sa valeur véritable, à une société
dans laquelle le dirigeant est intéressé (Crim. 20 juill. 1993, préc.).
142. Corruption. -L'utilisation indue des fonds sociaux a, parfois, pour objet des actions de corruption ou de trafic
d'influence. Tel était le cas dans l'affaire « Carpaye » (Crim. 22 avr. 1992, n o 90-85.125 , Bull. crim. n o 169 ; Rev. sociétés
1993. 124, note Bouloc ) ou dans l'affaire « Noir-Botton » (Crim. 6 févr. 1997, n o 96-80.615 , Bull. crim. n o 48 ; D. 1997.
334, note Renucci ). À nouveau, cette situation s'est présentée dans l'arrêt du 27 octobre 1997 (Crim. 27 oct. 1997,
n o 96-83.698 , Bull. crim. n o 352 ; LPA n o 134, 1997. 6, obs. Ducouloux-Favard ; Rev. sociétés 1997. 869, note Bouloc ).
En pareils cas, les juges sont en droit de retenir les différents délits, dès lors que les actes matériels les caractérisant sont
distincts. Mais, le plus souvent, le délit de corruption n'est pas retenu dans les poursuites.
143. Fausses factures. -Afin de justifier comptablement la sortie de fonds, le dirigeant recourt éventuellement à des faux
contrats et à des factures injustifiées. L'utilisation de ces documents donne prise au délit de faux ou d'usage de faux, délits
qui sont en concours réel avec l'abus de biens sociaux (Crim. 23 avr. 1991, n o 90-81.444 , Bull. crim. n o 193 ; Dr. sociétés
1991. 785. – Crim. 15 sept. 1999, D. Affaires 2000. 319, note Médina. – Crim. 13 mars 2013, n o 12-82.041 . – Crim.
17 févr. 2015, n o 13-87.948 ). Le condamné soutient parfois que ce sont les mêmes faits qui sont poursuivis selon
plusieurs qualifications. Mais la Cour de cassation relève que les délits d'usage de faux et d'abus de biens sociaux
protègent des intérêts différents et qu'une seule peine a été prononcée (Crim. 1 er déc. 2010, n o 09-86.644 , Dr. sociétés
2011. 40, obs. Salomon).
144. Blanchiment. -Il arrive que les juges se demandent si, outre l'abus de biens sociaux, un délit de blanchiment ne
pourrait pas être retenu (Crim. 4 avr. 2012, n o 11-82.052 ). Une réponse positive a été donnée par un arrêt du
17 décembre 2014 (Crim. 17 déc. 2014, n o 13-87.968 , Rev. sociétés 2015. 386, note Bouloc ). En l'espèce, une gérante
de fait avait établi des chèques au profit de la gérante légale ; mais, comme elle pouvait savoir que cette dernière se
servirait des sommes pour un achat immobilier, elle a été considérée comme ayant participé à une opération de placement
du produit de l'infraction.
ACTUALISATION
144. Blanchiment. Principe Ne bis in idem. -Il résulte du principe Ne bis in idem que des faits qui procèdent de
manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre
le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes. Pour déclarer
M. E. coupable de blanchiment, une cour d'appel avait relevé qu'il a fait effectuer, par la société Domaine des Broix, des
virements d'un montant total de 2 008 990,17 € au profit de la société Capfin en justifiant ces virements par des
prestations qui étaient en réalité inexistantes. Mais en prononçant ainsi, sans retenir des faits constitutifs de
blanchiment distincts des versements pour lesquels elle a déclaré le prévenu coupable d'abus de biens sociaux, la cour
d'appel a méconnu le principe précité (Com. 7 déc. 2016, n o 15-87.335 , D. 2016. Actu. 2572 ).

Section 2 - Personnes poursuivables

Art. 1 er - Auteurs
145. Comme on l'a précédemment indiqué (V. supra, n os 37 s.) les délits d'abus de biens sociaux sont des délits attitrés. De
ce fait, seules les personnes ayant la qualité de gérant, président du conseil d'administration, administrateur, membre du
directoire ou du conseil de surveillance peuvent en être les auteurs. Il en est de même pour les dirigeants de fait, du moins
quand il s'agit d'une société soumise aux dispositions du code de commerce, pour laquelle une extension a été prévue pour
le dirigeant de fait (V. supra, n os 48 s.).
Art. 2 - Complices
146. À côté de l'auteur, la loi pénale générale envisage le cas du complice qui soit aide, soit incite à la commission de
l'infraction (C. pén., art. 121-7). Or, on peut être complice, même si l'on n'a pas la qualité requise pour être auteur,
l'article 121-6 du code pénal ne faisant référence qu'à la pénalité applicable au complice. Ainsi, un président de directoire a
pu être déclaré complice d'un abus de biens sociaux (Crim. 5 sept. 1988, Rev. sociétés 1989. 76, note Jeandidier. – Crim.
30 avr. 2003, n o 02-85.170 ), ou un administrateur peut être complice du délit commis par le président (Crim. 13 déc.
2000, n o 99-84.855 , Rev. sociétés 2001. 399, note Bouloc ), et le gérant légal peut être complice du délit commis par le
dirigeant de fait (Crim. 14 nov. 2013, n o 12-83.653 , Rev. sociétés 2014. 324, obs. Bouloc ). Le complice peut aussi être
un chef de service (Crim. 13 mars 1975, Bull. crim. n o 78. – Crim. 20 mars 1997, n o 96-81.361 , JCP E 1998. 266, obs.
Renucci), un commissaire aux comptes (Crim. 27 avr. 1971, Bull. crim. n o 122. – Crim. 9 févr. 2005, n o 04-81.776 , Bull.
crim. n o 47 ; Rev. sociétés 2005. 673, note Bouloc ), un expert-comptable (Crim. 19 mai 1999, n o 98-83.587 , Bull. Joly
1999. 959, note Barbièri), un comptable (Crim. 17 févr. 2015, n o 13-87.948 ) ou n'importe quel autre tiers (Crim. 19 juin
1978, Bull. crim. n o 202. – Crim. 19 juin 1997, n o 96-83.274 , Bull. crim. n o 250 ; Bull. Joly 1997. 1047, note Le Cannu).
147. Bien évidemment, l'aide ou l'assistance doit être antérieure à la commission du délit. Aussi, le fait, pour un expert-
comptable, de laisser figurer au bilan des dépenses personnelles du dirigeant ne vaut pas complicité punissable, car il n'y a
aucun acte positif antérieur ou concomitant à la réalisation de l'abus de biens sociaux (Crim. 6 sept. 2000, n o 00-80.989 ,
Dr. pénal 2000. Comm. 138, obs. J.-H. Robert ; D. 2001. 2350, obs. Roujou de Boubée ; RSC 2001. 395, note Renucci ;
Bull. Joly 2001. 17, note Roca). En revanche, l'administrateur provisoire d'une entreprise en difficulté peut se voir reprocher
une complicité s'il laisse en place le président et un comité de direction s'étant rendu coupables de détournement (Crim.
22 sept. 2010, n o 09-87.363 , Dr. sociétés 2010. 237, obs. Salomon ; Dr. pénal 2010. 139, obs. J.-H. Robert).
Art. 3 - Receleurs
148. Les personnes ayant pu aider les dirigeants peuvent se voir reprocher en outre le recel si elles détiennent des biens
provenant de l'abus de biens sociaux (Crim. 6 janv. 1970, Bull. crim. n o 11 ; Rev. sociétés 1971. 25, note Bouloc. – Crim.
25 avr. 1974, Bull. crim. n o 152). Tel est le cas de celui qui profite des largesses obtenues des dirigeants sociaux sous forme
de cadeaux, voyages d'agrément ou avantages divers (Crim. 29 avr. 1996, n o 95-83.274 , Bull. crim. n o 174. – Crim.
6 févr. 1997, n o 96-80.615 , Bull. crim. n o 48 ; JCP 1997. II. 22823, note Pralus ; Rev. sociétés 1997. 146, note Bouloc ).
Ce peut être, aussi, le profit résultant du paiement de factures non causées, pour entretenir de bonnes relations avec une
entreprise susceptible de procurer des marchés importants (Crim. 16 nov. 2005, JCP 2006. II. 10110, note Conte).
149. S'approprier des actions dont la valeur patrimoniale a été améliorée par l'incorporation d'actifs provenant d'abus de
biens sociaux connus de la prévenue a été considéré comme un acte de recel (Crim. 3 mai 1982, Bull. crim. n o 110 ; Rev.
sociétés 1983. 811, note Bouloc. – Crim. 9 févr. 1987, Bull. crim. n o 61). Il en est de même de la réception d'un véhicule
appartenant à une société et mis au nom du tiers (Crim. 20 août 1996, Dr. sociétés 1996. Comm. 218), ou de l'exécution par
un syndic, dans sa résidence, de travaux réglés indûment par la société dirigée par l'auteur principal (Crim. 10 juill. 1995,
n o 94-82.665 , Bull. crim. n o 253 ; Bull. Joly 1995. 1048, note Couret et Le Cannu ; Rev. sociétés 1996. 313, note Bouloc
). Le salarié embauché par une société mais qui n'effectue aucun travail pour ladite société est également receleur des
sommes perçues. Il est à signaler que depuis l'arrêt « Noir-Botton » du 6 février 1997 (Crim. 6 févr. 1997, n o 96-80.615 ,
Bull. crim. n o 48 ; JCP 1997. II 22823 ; Rev. sociétés 1997. 146 ), un recel d'abus de biens sociaux ne peut commencer à
se prescrire tant que le délit dont il procède n'est pas apparu et n'a pas pu être constaté dans des conditions permettant
l'exercice de l'action publique.
150. Requalification et double qualification. -Si les juges constatent que le prévenu n'a pas la qualité d'administrateur ni
de gérant de la société, ils peuvent retenir la qualification de recel au lieu d'abus de biens sociaux, sous réserve de
permettre à l'intéressé de se défendre (Crim. 8 mars 2011, n o 10-81.131, Dr. sociétés 2011. 36, obs. Salomon). La
personne poursuivie pour recel peut aussi être déclarée complice du délit d'abus de biens sociaux (Crim. 6 janv. 1970, Bull.
n o 11 ; Rev. sociétés 1971. 25, note Bouloc. – Crim. 27 févr. 2013, n o 11-87.290 . – Crim. 14 janv. 2015, n o 14-80.975 ).
En revanche, l'auteur du délit d'abus de biens qui en conserve le profit ne peut pas être receleur.
Section 3 - Règles de procédure

151. Avant d'exposer la question délicate de la prescription du délit d'abus de biens sociaux, il convient d'évoquer le
problème de la flagrance et celle de la juridiction compétente pour connaître des abus de biens.

Art. 1 er - Flagrance
152. Comme tout délit, l'abus de biens pourrait justifier la mise en œ uvre d'une procédure de flagrance. Il suffit que les
conditions fixées par l'article 53 du code de procédure pénale soient établies, savoir une infraction qui se commet
actuellement ou qui vient de se commettre. Eu égard au fait que l'abus de biens ou des pouvoirs est effectué de manière
occulte et dans des lieux privés, la flagrance proprement dite n'aura guère lieu d'être en matière d'abus de biens. Il pourrait
cependant y avoir ouverture d'une procédure de flagrance si une personne soupçonnée était soit poursuivie par la clameur
publique, soit trouvée en possession d'objets ou présentant des traces ou indices donnant à penser à une participation au
délit. Néanmoins, il faut en pareil cas une extériorisation d'un acte caractérisant l'abus de biens. Aussi, la Cour de cassation
a jugé que tel n'était pas le cas lorsqu'à l'occasion de perquisitions fiscales, les fonctionnaires notent le placement en
catimini dans des sacs en plastique de notes de restaurant destinées à la comptabilité sociale, le seul fait relevé ne
permettant pas de caractériser un élément constitutif d'un abus de biens sociaux (Crim. 6 févr. 1997, n o 96-84.018 , Bull.
crim. n o 49 ; Rev. sociétés 1997. 380, note Bouloc ). La même solution a été retenue par un arrêt du 7 février 2001 (Crim.
7 févr. 2001, n o 00-86.367 , Bull. crim. n o 40 ; D. 2001. 1800 ), à propos d'une perquisition pour flagrant délit
d'infraction à la législation du travail. À cette occasion, les enquêteurs avaient saisi divers documents relatifs à un bateau
appartenant à la société et détenu par l'intéressé, ainsi que d'autres documents concernant des mouvements de fonds
entre diverses sociétés. Mais la Cour de cassation a relevé que les faits mentionnés ne caractérisaient pas un délit d'abus
de biens répondant à la définition du flagrant délit.
Art. 2 - Juridiction compétente
153. Compétence matérielle. -Les abus de biens, étant des délits, relèvent de la compétence du tribunal correctionnel, et
à l'instruction du juge d'instruction. Néanmoins, depuis la loi n o 75-701 du 6 août 1975, ont été spécialisées des juridictions
en matière économique et financière (et, notamment, des pôles financiers) qui ont compétence pour poursuivre, instruire et
juger les délits prévus par le code de commerce « dans les affaires qui sont ou apparaîtraient d'une grande complexité »
(C. pr. pén., art. 704). Les grandes affaires d'abus de biens sociaux de ces vingt dernières années ont été instruites puis
jugées par ces juridictions spécialisées dont une au moins existe dans chaque ressort de cour d'appel. Depuis la loi
n o 2004-204 du 9 mars 2004, il pourrait d'ailleurs s'agir de la juridiction interrégionale spécialisée, dès lors que l'infraction
aurait été « commise en bande organisée » (C. pr. pén., art. 706-74 et art. 704, al. 3 ; L. du 6 déc. 2013). Mais les parties
ne peuvent contester le recours à ces formations spécialisées quand l'affaire revêt une complexité apparente (Crim. 26 juin
2001, n o 00-86.526 , Bull. crim. n o 159) ; en particulier, la prétendue victime n'est pas autorisée à saisir directement la
juridiction spécialisée (Crim. 12 janv. 2005, n o 04-81.139 , Bull. crim. n o 15).
154. Compétence territoriale. -Du point de vue de la compétence territoriale, le délit relève du juge où se trouve localisée
la société (Crim. 6 févr. 1996, n o 95-84.041 , Bull. crim. n o 60). Si le délit concerne une société ayant son siège à
l'étranger, mais ayant un centre d'exploitation sur le territoire national, serait compétent le juge du lieu où les
détournements ont été réalisés. Cela pourrait être le juge du lieu où est localisé le compte bancaire (Paris, 9 déc. 1992,
Gaz. Pal. 1993. 1. 152, note Marchi. – Affaire Elf : Crim. 31 janv. 2007, n os 02-85.089 et 05-82.671 , Bull. crim. n o 28 ;
Rev. sociétés 2007. 379, obs. Bouloc ).
Art. 3 - Particularités procédurales
155. Citation directe d'un actionnaire. -Une société de droit panaméen, actionnaire d'une société luxembourgeoise, qui
aurait été victime d'un abus de biens sociaux, avait cité directement les présumés dirigeants pour abus de biens sociaux.
Mais du fait de la jurisprudence actuelle, qui n'admet pas l'action civile individuelle d'un associé, elle ne pouvait qu'être
déclarée irrecevable dans son action. C'est ce qui a été décidé par un arrêt du 22 octobre 2014 (Crim. 22 oct. 2014, n o 13-
82.590 , Rev. sociétés 2015. 324, obs. Bouloc ).
156. Nullité des déclarations « auto-incriminantes ». -Lors de leur garde à vue, des dirigeants de société ont été
entendus. Mais il ne leur a pas été notifié le droit à l'assistance d'un avocat et surtout le droit de garder le silence. À défaut
du respect de ces droits, leurs déclarations auto-incriminantes obtenues doivent être annulées (Crim. 10 sept. 2014, n o 13-
82.507 , Rev. sociétés 2015. 327, note Bouloc ).
Art. 4 - Prescription du délit d'abus de biens sociaux
157. Le délit d'abus de biens sociaux est réalisé par « l'usage » du crédit, des biens, des voix ou des pouvoirs par un
dirigeant. Cet acte d'usage, acte en principe positif, va se réaliser en principe en un trait de temps. C'est le paiement indu
d'une facture ou la conclusion d'un contrat comportant des obligations déséquilibrées. Bref, il s'agit d'activités devant être
considérées comme instantanées et non pas comme des activités continues. Aussi bien, la règle de principe devrait être que
le délit commence à se prescrire dès sa commission, comme l'indique l'article 8 du code de procédure pénale, et qu'il cesse
de pouvoir être poursuivi, trois ans après cet instant, à moins qu'il ne soit possible d'invoquer des actes d'instruction ou de
poursuite ayant interrompu le cours de la prescription (V. par ex. pour le cas d'une enquête préliminaire, Crim. 1 er déc.
2004, n o 03-87.883 , Bull. crim. n o 304 ; Rev. sociétés 2005. 444, note Bouloc . – Crim. 15 mars 1972, Bull. crim. n o 107 ;
Rev. sociétés 1973. 357. – Et, pour une décision de mainlevée du contrôle judiciaire : Crim. 27 mars 2013, n o 12-82.946 ).
158. Une simple plainte adressée au procureur de la République n'a pas d'effet interruptif (Crim. 11 juill. 2012, n o 11-
87.583 , Bull. crim. n o 169 ; Rev. sociétés 2012. 653, obs. Bouloc ; Dr. sociétés 2012. Comm. 172, obs. Salomon). Si des
poursuites sont engagées à propos d'un délit, l'acte interruptif produit un effet à l'égard de l'abus de biens sociaux en
raison de la connexité (Crim. 13 déc. 2011, n o 11-87.991 , Dr. sociétés 2012. 33, obs. Salomon. – Crim. 16 mai 2012,
n o 11-83.299 . – Crim. 14 nov. 2013, n o 12-87.008 , Rev. sociétés 2014. 123, note Bouloc ).
159. Débats sur la prescription. -Du fait d'un retard dans le point de départ de la prescription, admis par la Cour de
cassation dès le 7 décembre 1967, des débats ont eu lieu et ont suscité des propositions de lois, et plus récemment une
demande de contrôle de constitutionnalité. Cette demande a donné lieu à quatre arrêts de l'assemblée plénière de la Cour
de cassation du 20 mai 2011 (Cass., ass. plén., 20 mai 2011, n os 11-90.042 , 11-90.033 , 11-90.025 et 11-90.032 ,
Bull. ass. plén. n os 5 à 8 ; D. 2011. 1346, obs. Lienhard ; Rev. sociétés 2011. 512, note Matsopoulou ; Dr. pénal 2011.
95, obs. J.-H. Robert. – CHAGNOLLAUD, Un coup d'État juridique, D. 2011. 1426 . – MATHIEU, La prescription de l'action
publique n'est pas un principe constitutionnel, JCP 2011, n o 24, p. 670). Par ces arrêts, la Cour de cassation a estimé ne
pas devoir transmettre au Conseil constitutionnel l'examen de la prescription de l'abus de biens sociaux. Par ces arrêts, elle
a considéré que la question n'était pas nouvelle et était dépourvue de caractère sérieux. Au demeurant, le point de savoir
si une infraction peut, en fait, devenir imprescriptible ne relève pas du bloc de constitutionnalité. Ainsi, l'abus de biens
sociaux demeure, en principe, une infraction instantanée, mais le point de départ du délai triennal de prescription peut être
retardé au jour de sa constatation, surtout si le délit a été dissimulé.

§ 1 er - Infraction instantanée
160. La Cour de cassation n'hésite pas à rappeler, notamment quand il s'agit de contrats donnant lieu à des versements
successifs, que le délit d'abus de biens sociaux est « une infraction instantanée », consommée lors de chaque usage abusif
des biens de la société (Crim. 28 mai 2003, n o 02-83.544 , Bull. crim. n o 109 ; RSC 2004. 358 obs. Rebut ; Rev. sociétés
2003. 906, note Bouloc ; Dr. pénal 2003. Comm. 100, note J.-H. Robert. – Crim. 8 oct. 2003, n o 02-81.471 , Bull. crim.
n o 184 ; D. 2003. 2695, obs. Lienhard ; Rev. sociétés 2004. 155, note Bouloc ; JCP 2004. II. 10028, note Jacopin ; Bull.
Joly 2004. 54, note Barbièri. – MAYAUD, Pour une approche cohérente de la prescription de l'abus de biens sociaux, D. 2004.
Chron. 194 ).
161. Mais l'abus de biens sociaux est une infraction dérivée de l'abus de confiance. Aussi, quand s'est posée la question de
savoir s'il était possible de fixer le point de départ de la prescription au jour où l'emploi abusif a été constaté, les cours
d'appel ont souvent adopté la solution admise pour l'abus de confiance (Paris, 30 juin 1961, D. 1962. 393, note Touffait et
Herzog ; JCP 1962. II. 12783, note Kahn. – Rennes, 25 juin 1962, Gaz. Pal. 1962. II. 249 ; RSC 1963. 115, obs. Bouzat.
– Bordeaux, 24 mars 1964, JCP 1964. II. 13648, note Larguier. – Comp. Paris, 12 janv. 1965, D. 1965. 687, note Goré).
§ 2 - Constatation de l'infraction
162. La Cour de cassation devait se prononcer par un arrêt du 7 décembre 1967 (Crim. 7 déc. 1967, Bull. crim. n o 321 ;
D. 1968. 617, note J.-M. R.), en approuvant un arrêt de la cour d'appel de Lyon, et en indiquant qu'en matière d'abus de
biens sociaux, « le point de départ de la prescription triennale doit être fixé au jour où ce délit est apparu et a pu être
constaté ». Les juges doivent, dès lors, rechercher à quelle époque ont été commis ou ont pu être constatés les faits
dénoncés, leur appréciation étant souveraine si les motifs la justifiant ne sont pas empreints de contradiction (Crim.
14 mars 1968, Bull. crim. n o 90. – Crim. 14 févr. 1974, Bull. crim. n o 68. – Crim. 25 nov. 1975, Bull. crim. n o 257 ; JCP 1976.
II. 18476, note Delmas-Marty ; Rev. sociétés 1976. 655, note Bouloc). Tout au plus, la Cour de cassation a dû rappeler que
les juges devaient apporter des précisions sur cette date d'apparition, qui ne devait pas être hypothétique (Crim. 13 janv.
1970, Bull. crim. n o 20 ; D. 1970. 345, note J.-M. R. ; Rev. sociétés 1970. 474, note J. H.)
163. Concrètement, le jour où le délit était apparu et avait pu être constaté, était l'arrivée d'un nouveau dirigeant, la
désignation d'un administrateur provisoire, un dépôt de bilan ou une expertise de gestion. Et on pouvait observer que la
position de la jurisprudence ne laissait pas l'institution de la prescription entre les mains de l'associé. Si celui-ci, ayant tous
les éléments en main, attend plus de trois ans, la prescription sera acquise (Crim. 22 janv. 2014, n o 12-87.170 , Rev.
sociétés 2014. 522, obs. Bouloc ). Si, lors d'un contrôle fiscal, les agents du fisc découvrent des abus de biens mais
n'effectuent aucun signalement au procureur, la seule connaissance des faits ne fixe pas le point de départ de la
prescription (Crim. 30 avr. 2014, n o 13-82.912 , Rev. sociétés 2015. 56, obs. Bouloc ).
164. Mais la Cour de cassation a franchi une nouvelle étape avec l'arrêt du 10 août 1981 (Crim. 10 août 1981, Bull. crim.
n o 244 ; Gaz. Pal. 1981. 2. 696, note J. C. ; Rev. sociétés 1983. 368, note Bouloc). Elle décide que le point de départ du
délai de la prescription doit être fixé « au jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant
l'exercice de l'action publique ». Sans doute, les circonstances de l'espèce étaient particulières, puisque les opérations
avaient été portées en comptabilité et avaient donné lieu à un rapport du commissaire aux comptes, mais elles n'étaient
apparues que par le rapport du syndic à la liquidation des biens et que par les investigations de la police judiciaire, du fait
d'une certaine collusion de l’expert-comptable et du commissaire aux comptes avec les dirigeants.
165. La formulation retenue par la Cour de cassation revenait à dire que la prescription ne pouvait pas courir tant que le
ministère public n'était pas informé des faits délictueux. Aussi bien, a-t-elle fait l'objet de critiques (not. V. Abus de biens
sociaux [Pén.]). La Cour de cassation resta, pendant un temps, insensible aux remarques de la doctrine (Crim. 22 mars
1982, Gaz. Pal. 1982. 2. 629, note Cosson. – Crim. 17 nov. 1986, Bull. crim. n o 342. – Crim. 13 févr. 1989, Bull. crim. n o 69 ;
Rev. sociétés 1989. 692, note Bouloc. – Crim. 27 juill. 1993, n o 92-85.223, Dr. pénal 1994. Comm. 89. – Crim. 14 déc. 1995,
n o 95-80.692 , D. Affaires 1996. 495. – V. encore Crim. 8 mars 2006, n o 04-86.648 , Dr. pénal 2006, n o 85, obs. J.-
H. Robert ; Rev. sociétés 2006. 602, note Bouloc ).

166. Néanmoins, à partir d'un arrêt de 5 mai 1997 (Crim. 5 mai 1997, n o 96-81.482 , Bull. crim. n o 159 ; Rev. sociétés
1998. 127, note Bouloc ), elle a nuancé sa position. Elle a décidé que des articles L. 223-23 et L. 225-254 du code de
commerce, il se déduisait que la prescription de l'action publique en matière d'abus de biens sociaux courait, sauf
dissimulation, à compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses sont mises indûment à la
charge de la société. Les associés peuvent donc, lors de la présentation des comptes, voir que des dépenses ont été
imputées à tort à la société puisqu'il n'y a pas de dissimulation. Le principe a été rappelé dans des arrêts du 13 octobre
1999 (Crim. 13 oct. 1999, n os 96-80.774 , 96-83.874 et 98-80.044 , Bull. crim. n o 219 ; Rev. sociétés 2000. 360, note
Bouloc ; Bull. Joly 2000. 182, obs. Barbièri ; Dr. pénal 2000. Comm. 17, obs. J.-H. Robert ; D. 2001. 2351, obs. Roujou de
Boubée . – Crim. 27 juin 2001, n o 00-87.414 , Bull. crim. n o 164 ; Rev. sociétés 2001. 871, note Bouloc ; Bull. Joly
2001. 1117, note Barbièri ; Dr. pénal 2001. Comm. 129, obs. J.-H. Robert ; RSC 2002. 379, obs. Renucci . – Crim. 8 oct.
2003, n o 02-81.471 , Bull. crim. n o 184. – Crim. 30 janv. 2013, n o 12-80.107 , Rev. sociétés 2013. 371, obs.
Matsopoulou . – Crim. 2 avr. 2014, n o 13-80.010 , Rev. sociétés 2014. 592, note Bouloc ).
§ 3 - Dissimulation
167. Il est vrai que la Cour de cassation avait réservé l'hypothèse de la dissimulation (V., pour une approche critique,
SAENKO, La notion de dissimulation en matière d'abus de biens sociaux : évolution ou dérive ?, RTD com. 2005. 671 ).
Aussi bien, elle a été amenée à reconnaître qu'il pouvait y avoir dissimulation en cas de facturation d'honoraires dépourvus
de contrepartie sous l'apparence trompeuse d'une dépense habituelle de l'entreprise (Crim. 23 mai 2002, n o 01-83.983 )
ou de l'établissement de factures non causées (Crim. 16 nov. 2005, n o 05-81.185 , Rev. sociétés 2006. 602 ; JCP 2006.
II. 10110, note Conte). Ce sont aussi les notes de restaurant au nom de personnes n'ayant pas pris part aux repas (Crim.
10 avr. 2002, n o 01-80.090 , Bull. crim. n o 85 ; Bull. Joly 2002. 935, note Scholer ; Rev. sociétés 2002. 549, note Bouloc
; RSC 2002. 827, obs. Rebut ), ou les versements de salaires fictifs (Crim. 4 nov. 2004, n o 03-87.327 , Dr. sociétés
2005, n o 57, note Salomon ; JCP E 2005. 576, note J.-H. Robert. – Crim. 14 nov. 2007, n o 06-87.378 , Bull. crim. n o 282 ;
Rev. sociétés 2008. 159, note Bouloc ), ou les augmentations de salaire déguisées (Crim. 25 oct. 2006, n o 05-86.993 ,
D. 2006. 2790 ; Rev. sociétés 2007. 365 ; Dr. pénal 2006, n o 161), qui sont considérés comme des dissimulations
retardant le point de départ de la prescription du délit. Ce sont aussi les dépenses personnelles déguisées sous des
activités liées à la fonction, découvertes lors d'un contrôle interne (Crim. 5 nov. 2014, n o 13-85.751 , RTD com. 2015. 389,
note Bouloc . – Mais tel n'est pas le cas d'une anomalie de gestion cachée sous l'apparence d'une comptabilité régulière :
Crim. 7 mai 2002, n o 02-80.796 , Bull. crim. n o 106 ; D. 2002. 2336 ; Rev. sociétés 2002. 739 ).
ACTUALISATION
167-1. Prescription. Point de départ. Dissimulation. -En cas de ventes de chutes de métaux ne figurant pas dans la
comptabilité, la prescription pour ces faits dissimulés ne court que du jour où le nouveau dirigeant de la société, seul
susceptible de faire engager l'action publique au nom de cette dernière, a pu avoir connaissance de ces faits (Crim.
4 mai 2016, n o 14-88.237 , Rev. sociétés 2017. 40, note B. Bouloc ).

168. La jurisprudence a parfois tenu compte de situations spéciales, comme par exemple celle découlant de la présence de
deux seuls associés au sein de la société victime, auquel cas, faute de tiers pouvant alerter sur l'irrégularité des opérations,
le point de départ du délai triennal a été fixé au jour de la saisie au domicile du gérant des documents ayant fait apparaître
le délit (Crim. 23 mai 2002, n o 01-83.983 , Bull. Joly 2002. 1048, note Dezeuze ; Rev. sociétés 2002. 746, obs. Bouloc ).
Lorsqu'il s'agit de versements de salaires pour un travail fictif, la Cour de cassation, en se référant à l'usage des biens,
prend en compte la date du versement desdites sommes au titre de salaires (Crim. 28 mai 2003, n o 02-83.544 , Bull. crim.
n o 109 ; Dr. pénal 2003, n o 100, note J.-H. Robert ; Bull. Joly 2003. 1147, note Barbièri ; Rev. sociétés 2003. 906, note
Bo ulo c ) ou de prestations de services (Crim. 8 oct. 2003, n o 02-81.471 , Bull. crim. n o 184 ; D. 2003. 2695, note
Lienhard ; JCP 2004. II. 10028, note Jacopin ; Rev. sociétés 2004. 155, note Bouloc ).
169. L'absence d'enregistrement en comptabilité de certaines dépenses ou leur présentation sous une fausse imputation
caractérise une dissimulation (Crim. 14 mai 2003, n o 02-81.217 , Bull. crim. n o 97 ; Bull. Joly 2003. 1043, note Barbièri ;
Rev. sociétés 2003. 910, note Bouloc . – Crim. 25 oct. 2006, n o 05-85.998 , Bull. crim. n o 254 ; D. 2007. Pan. 1627, obs.
Mascala ; Rev. sociétés 2007. 146, note Bouloc ). Il en est de même lorsque le dirigeant a eu recours à des sociétés
écrans ou à des sociétés off shore (Crim. 31 janv. 2007, n os 02-85.089 et 05-82.671 , Bull. crim. n o 28 ; Rev. sociétés
2007. 379, note Bouloc . – V. aussi Crim. 28 mai 2003, n o 02-85.185 , Bull. crim. n o 108 ; Rev. sociétés 2003. 906 ;
Gaz. Pal. 2004. 2875, note Sordino).
§ 4 - Associé négligent
170. En revanche, on ne saurait admettre un retard dans le point de départ du délai de prescription lorsque les associés
ont pu avoir une parfaite connaissance de la cession pour 1 franc, réalisée au profit de proches du président, de titres d'une
filiale bénéficiaire (Crim. 11 févr. 2003, RJDA 2003, n o 604). Il en est de même du nouveau gérant d'une société qui a été en
mesure de vérifier les comptes sociaux et de s'apercevoir des détournements commis par l'ancien gérant (Crim. 6 sept.
2000, Bull. Joly 2001. 61, note), ou des opérations non dissimulées portant sur l'exercice d'options de souscription d'actions
et de cessions de titres par un ancien dirigeant (Crim. 6 juin 2007, n o 06-86.520 , RSC 2007. 832, obs. Rebut , Rev.
sociétés 2008. 151, obs. Bouloc ). La chambre criminelle de la Cour de cassation a également jugé qu'il n'y avait pas de
dissimulation en cas de cautionnement hypothécaire, dûment publié à la Conservation des hypothèques (Crim. 28 févr.
2007, n o 06-80.200 , Dr. pénal 2007, n o 83, obs. J.-H. Robert ; Rev. sociétés 2007. 887, obs. Bouloc ). En outre,
l'associé négligent ne saurait se prévaloir de la jurisprudence retardant le point de départ de la prescription (Crim. 9 janv.
2008, n o 07-82.436 . – Crim. 10 avr. 2013, n o 12-81.048 ). Tel est le cas si l'opération critiquée a donné lieu à une
décision de l'assemblée générale (Crim. 10 avr. 2013, n o 12-82.351 . – Crim. 22 janv. 2014, n o 12-87.170 , Rev.
sociétés 2014. 522 ).
171. Principes actuels. -En définitive, même si certaines décisions paraissent devoir tenir compte soit du jour où des
enquêteurs ont pu procéder à une « analyse approfondie » des documents comptables (en dépit de contrôles fiscaux
négatifs. – Crim. 4 mai 2006, n o 05-83.849 , Rev. sociétés 2006. 606, note Bouloc ), soit du jour où le procureur en a
été informé, malgré la connaissance qu'avaient les associés des abus (Crim. 8 mars 2006, n o 04-86.648 , Dr. pénal 2006,
n o 85, note J.-H. R. ; Rev. sociétés 2006. 604, note Bouloc ), les principes en matière de point de départ de la prescription
des délits d'abus de biens, sont les suivants (V. aussi de LEIRIS, Le report du point de départ de la prescription, LPA n o 8,
10 janv. 2008, p. 3).
172. Opérations non dissimulées en comptabilité : point de départ. -Si les opérations n'ont pas été dissimulées dans les
documents comptables ou la comptabilité, le délit – qui est instantané –, se prescrit à compter du jour de sa commission, ou
à tout le moins, à compter de la présentation des comptes sociaux aux associés (en vue de leur approbation. – Crim.
30 janv. 2013, n o 12-80.107 , Rev. sociétés 2013. 371, obs. Matsopoulou . – Crim. 22 janv. 2014, n o 12-87.170 , Rev.
sociétés 2014. 522 ). S'il y a des versements successifs (du fait, par exemple, d'un contrat antérieur), la prescription court
à compter de chaque versement abusif et non du jour de la conclusion du contrat ou de la convention à l'origine de ces
versements.
173. Opération dissimulée. -S'il y a dissimulation des opérations ou non-inscription des opérations en comptabilité, la
prescription ne court qu'à compter du jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant
l'exercice de l'action publique. En ce cas, les juges doivent établir, sans insuffisance, la dissimulation effectuée (Crim. 13 oct.
1999, n os 96-80.774 , 96-83.874 et 98-80.044 , Bull. crim. n o 219 ; Dr. pénal 2000. Comm. 12, note Maistre du
Chambon. – Crim. 14 juin 2006 et 28 juin 2006, Dr. pénal 2006. Comm. 126, obs. J.-H. Robert). S'agissant d'une question de
fait, leur appréciation des circonstances est souveraine (Crim. 4 nov. 2004, n o 03-87.327 , Dr. pénal 2004. Comm. 44,
note J.-H. Robert. – Crim. 25 oct. 2006, n o 05-85.998 , Bull. crim. n o 254 ; Dr. pénal 2006. Comm. 161, note J.-H. Robert.
– V. toutefois Crim. 16 nov. 2005, n o 05-81.185 , JCP 2006. II. 10110, note Conte).
174. Perspectives. -Afin de rendre plus lisible cette question de la prescription, la commission COULON de dépénalisation
du droit des affaires a proposé de fixer le point de départ de la prescription au jour de la commission du délit, même en cas
de dissimulation, étant indiqué que le délai de la prescription serait porté à sept ans. Cette proposition a été regrettée tant
par le MEDEF et la chambre de commerce de Paris, qui espéraient la prise en compte d'un délai butoir du double du délai
normal de trois ans, que par certains auteurs pour qui la dissimulation doit être sanctionnée (DUCOULOUX-FAVARD, La
proposition 25 du groupe de travail, Lamy droit pénal des affaires, Actualités H. 2008). Cette proposition n'a pas été
retenue.
Section 4 - Sanctions pénales

175. Lorsque tous les éléments constitutifs d'un des délits d'abus de biens sont réunis, les dirigeants et leurs complices
sont en principe exposés aux peines édictées par les textes qui leur sont applicables. Bien évidemment, les intéressés
tenteront de se prévaloir d'une cause de justification. Mais, en dehors du fait justificatif du groupe, aux conditions exposées
précédemment (V. supra, n os 132 s.), les autres causes de non-imputabilité ou de justification, comme la contrainte, l'erreur
ou l'état de nécessité ne sont pas accueillies par la jurisprudence. Il en est de même pour l'assentiment des associés. Pas
davantage, n'a été prise en compte l'immunité familiale prévue dans le cadre des infractions contre les biens (C. pén.,
art. 311-12). C'est qu'en effet, en matière d'abus de biens se trouve la personne morale dont le patrimoine a été amputé.
De ce fait, quand bien même la société ne comprendrait que le père et son fils, le délit est punissable puisque les droits de
la personne morale ont été méconnus (Crim. 26 mai 1994, n o 93-84.615 , Bull. crim. n o 206 ; Rev. sociétés 1994. 771,
note Bouloc ). N'est pas davantage une cause de justification le fait que le président est sous l'influence de la société
mère (Crim. 31 mai 2012, n o 11-86.234 , Rev. sociétés 2013. 47 ).

Art. 1 er - Peines principales


176. Les peines principales sont déterminées pour les SARL et les sociétés anonymes par les articles L. 241-3 et L. 241-6
du code de commerce. Il s'agit de l'emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 375 000 euros. Le liquidateur de toute
société commerciale qui commet un abus de biens ou du crédit encourt un emprisonnement de cinq ans, mais seulement
une amende de 9 000 euros (C. com., art. L. 247-8).
ACTUALISATION
176-1. Peine d'amende. Motivation. -Ne justifie pas sa décision la cour d'appel qui ne s'explique pas sur la
personnalité du prévenu et sur sa situation personnelle pour prononcer les peines d'amende et d'interdiction de gérer,
et sans faire état des ressources du prévenu pour le condamner à une amende. N'a pas motivé sa décision la cour
d'appel qui ne précise pas à quel titre elle ordonne la confiscation des sommes saisies sur un compte bancaire (Crim,
27 juin 2018, n o 16-87.009, Rev. sociétés 2018. 674, note B. Bouloc ).

177. Circonstance aggravante. -La loi n o 2013-1117 du 6 décembre 2013 a institué une circonstance aggravante quand le
délit d'abus de biens sociaux ou du crédit a été réalisé ou facilité au moyen soit de comptes ouverts ou de contrats
souscrits auprès d'organismes établis à l'étranger, soit de l'interposition de personnes physiques ou morales ou de tout
organisme, fiducie ou institution comparable établis à l'étranger. En ce cas, la peine d'emprisonnement est portée à sept
ans et l'amende à 500 000 euros (C. com., art. L. 241-3, al. 8, et art. L. 242-6, al. 6).
178. Les dirigeants d'une société civile faisant publiquement appel à l'épargne sont exposés à un emprisonnement de cinq
ans et à une amende de 375 000 euros. Il en est de même pour les dirigeants des sociétés d'assurances (C. assur., art.
L. 328-11) et pour les dirigeants des sociétés immobilières de construction (CCH, art. L. 241-6). En revanche, les dirigeants
d'une société coopérative sont exposés aux peines de l'escroquerie (C. pén., art. 313-1, 313-7 et 313-8), c'est-à-dire à un
emprisonnement de cinq ans, à l'amende de 375 000 euros, mais aussi aux peines complémentaires.

179. Amnistie. -Si, jusqu'à la loi d'amnistie n o 2002-1062 du 6 août 2002, les personnes condamnées pour abus de biens
sociaux pouvaient bénéficier de l'amnistie en raison de la peine prononcée, cette loi, dans son article 14, 5 o , a exclu de
l'amnistie les délits d'abus de biens sociaux ainsi que d'autres infractions, comme les délits d'abus de confiance. Pour que la
condamnation disparaisse du casier, il faudra obtenir une réhabilitation, qui emportera effacement des incapacités et
déchéances résultant de la condamnation (C. pén., art. 133-16, al. 1 er).
Art. 2 - Peine accessoire ou complémentaire
180. En outre de ces pénalités, se posait la question de savoir si les peines accessoires, découlant des interdictions
résultant du décret-loi du 8 août 1935 et de la loi du 30 août 1947 étaient ou non applicables. S'agissant du décret-loi du
8 août 1935, une réponse négative avait été donnée, car les peines de l'abus de biens, étant devenues autonomes avec la
loi du 24 juillet 1966, ne pouvaient être assimilées aux peines de l'escroquerie (Crim. 13 déc. 1988, Bull. crim. n o 429 ; Rev.
sociétés 1989. 257, note Bouloc). L'ordonnance n o 2005-428 du 6 mai 2005 a abrogé ces deux dispositions et refondu dans
les articles L. 128-1 à L. 128-6 du code de commerce, les incapacités d'exercer une profession commerciale ou industrielle.
Étaient frappées de plein droit par cette incapacité d'exercer directement ou pour le compte d'autrui, une profession
commerciale ou industrielle ou de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise commerciale ou industrielle ou une
société commerciale, les personnes qui depuis moins de dix ans ont fait l'objet d'une condamnation définitive à au moins
trois mois d'emprisonnement sans sursis pour l'une des infractions du titre Ier du livre III du code pénal (C. pén., art. 311-1
à 314-13) et pour les délits punis des peines prévues pour l'escroquerie et l'abus de confiance. En outre, l'interdiction
frappait ceux qui ont été condamnés toujours à au moins trois mois d'emprisonnement sans sursis pour l'une des infractions
à la législation sur les sociétés commerciales du titre IV du livre II du code de commerce (c'est-à-dire des art. L. 241-1 à
L. 248-1 c. com.). Les condamnations pour abus de biens sociaux étaient concernées (SAINTOURENS, obs., RTD com. 2005.
478 . – BOULOC, RJ com. 2006. 9).
ACTUALISATION
180-1. Mesure conservatoire. Confiscation. Contrat d'assurance-vie. -Le souscripteur d'un contrat d'assurance-vie
conserve une créance sur l'assureur, qui est un bien saisissable à titre de mesure conservatoire, en vertu de l'article
706-141-1 du code de procédure pénale comme pouvant représenter en valeur le produit susceptible de confiscation
des infractions d'abus de confiance et d'escroquerie retenus contre le mis en examen pour ces délits et l'abus de biens
sociaux (Crim. 30 sept. 2015, n o 15-81.744 , Rev. sociétés 2016. 54, note B. Bouloc ).

181. Du fait des critiques formulées contre l'automaticité de la sanction, les sénateurs ont obtenu que la loi de
modernisation de l'économie n o 2008-776 du 4 août 2008 abroge le chapitre VIII du titre II du livre Ier du code de
commerce (art. 70). La loi nouvelle substitue une peine complémentaire d'interdiction d'exercer une activité commerciale ou
de diriger une société, cette peine est soit définitive soit d'une durée de dix ans au plus (C. pén., art. 131-27, al. 2, L. du
4 août 2008, art. 70). Cette peine figure dans toutes les infractions énumérées à l'ancien article L. 128-1 du code de
commerce, et en particulier dans un article L. 249-1 dudit code. Ce dernier vise toutes infractions sur les sociétés du titre IV
du livre II du code de commerce. Tout en étant plus favorable (sanction facultative), la loi nouvelle est aussi plus sévère
puisque l'interdiction peut être définitive !
182. La peine complémentaire d'interdiction d'exercer une activité commerciale ou de diriger une société commerciale ne
peut être prononcée que pour des abus commis après le 5 août 2008 (Crim. 7 nov. 2012, n o 11-88.241 , Dr. sociétés
2013. 73, obs. Salomon. – Crim. 5 nov. 2014, n o 13-85.751 , RTD com. 2015. 389, obs. Bouloc ). Le juge qui prononce
l'interdiction de gérer ne peut interdire de gérer toute personne morale (Crim. 21 sept. 2011, n o 11-84.568 , Dr. sociétés
2012. 89, obs. Salomon). L'interdiction, en cas d'abus de biens, est limitée à l'administration, la gestion ou au contrôle direct
ou indirect d'une entreprise commerciale ou industrielle ou d'une société commerciale (Crim. 17 déc. 2014, n o 13-87.968 ,
Rev. sociétés 2015. 386, note Bouloc ).
ACTUALISATION
182. Peine complémentaire. Interdiction de gérer. -L'interdiction définitive de diriger ou gérer une personne morale
est limitée, en matière d'abus de biens sociaux, à la gestion d'une entreprise commerciale ou industrielle ou d'une
société commerciale (Crim. 4 mai 2016, n o 14-88.237 , Rev. sociétés 2017. 40, note B. Bouloc ).
182-1. Peine complémentaire. Interdiction de gérer. Motivation. -La gravité des faits commis en connaissance de
cause par les prévenus, qui avaient utilisé les biens des sociétés qu'ils dirigeaient pour financer leurs besoins
personnels, justifie le prononcé de la peine complémentaire d'interdiction de gérer, administrer ou contrôler une
entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale. Le moyen, nouveau et mélangé de fait et, comme
tel, irrecevable, en ce qu'il invoque pour la première fois devant la Cour de cassation le caractère disproportionné de
l'atteinte spécifique portée au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale par la mesure d'interdiction
de gérer prononcée par le tribunal correctionnel et confirmée par la cour d'appel, en violation de l'article 8 de la
Convention européenne des droits de l'homme, doit être écarté. (Crim. 20 juin 2017, n o 16-80.982 , Rev. sociétés
2017. 651, note H. Matsopoulou ).

183. La loi n o 2013-907 du 11 octobre 2013 sur la transparence de la vie politique (JO 3 déc.) a inséré dans les articles
L. 241-3 et L. 242-6 du code de commerce un alinéa supplémentaire selon lequel, outre les peines complémentaires de
l'article L. 249-1 du même code, le tribunal peut prononcer aussi l'interdiction des droits civiques, civils et de famille de
l'article 131-26 du code pénal. En revanche, le juge ne saurait condamner à la peine de la publication de la décision, parce
qu'elle n'est pas prévue par la loi (Crim. 25 janv. 2012, n o 11-80.291 , Dr. sociétés 2012. 89, obs. Salomon ; Rev. sociétés
2012. 318, obs. Bouloc ).
Section 5 - Sanctions civiles

184. Comme tout délit touchant directement ou indirectement aux biens et aux pouvoirs, les abus de biens peuvent
occasionner un préjudice dont la victime pourra demander réparation. Précisément, la difficulté consiste à déterminer la
victime qui pourra d'ailleurs engager la procédure par voie de constitution de partie civile, après saisine du procureur par
une plainte simple (C. pr. pén., art. 85, al. 2).

Art. 1 er - Action civile


§ 1 er - Détermination de la victime
185. Pendant un temps, les actions civiles ont été peu nombreuses, car la jurisprudence considérait que le délit d'abus des
biens causait un préjudice à la société, personne distincte des associés. Or, la société ne peut agir que par son
représentant (organe), lequel, le plus souvent, est l'auteur de l'abus. Mais à partir de l'année 1963, la chambre criminelle de
la Cour de cassation a considéré qu'un actionnaire d'une société pouvait, conformément au principe d'ordre général de
l'article 85 du code de procédure pénale, se constituer partie civile à titre personnel, à l'encontre du président de la société
poursuivi pour abus de biens sociaux (Crim. 23 avr. 1964, Bull. crim. n o 127. – Crim. 13 avr. 1967, Bull. crim. n o 119. – Crim.
18 déc. 1968, Bull. crim. n o 351. – Crim. 4 nov. 1969, Bull. crim. n o 281). L'action de l'associé se trouve fondée non pas sur
une faute contractuelle, mais sur des faits constitutifs d'infractions à la loi pénale.
A - Action individuelle
186. Il s'agissait même d'une action individuelle, et non d'une action ut singuli, s'agissant non pas d'une faute contractuelle
commise par les administrateurs dans l'exercice de leur mandat, mais de faits dolosifs constitutifs d'infractions à la loi pénale
(Crim. 10 oct. 1963, Bull. crim. n o 280). Aussi bien, un syndicat de défense d'actionnaires n'était pas recevable à agir (Crim.
4 nov. 1969, Bull. crim. n o 281). Et ceux qui prétendaient être actionnaires devaient apporter la preuve de la propriété
d'actions au moment de la commission des faits (Crim. 10 janv. 1967, Bull. crim. n o 16. – Crim. 17 oct. 1967, Bull. crim.
n o 249. – Contra : Crim. 27 nov. 1978, Bull. crim. n o 329. – Crim. 4 et 5 nov. 1991, n o 90-82.291 et n o 90-82.605 , Bull.
crim. n os 389 et 394). La chambre criminelle de la Cour de cassation devait clairement indiquer, par un arrêt du
25 novembre 1975 (Crim. 25 nov. 1975, Bull. crim. n o 257 ; JCP 1976. II. 18476, note Delmas-Marty ; Rev. sociétés 1976.
655, note Bouloc), que « le délit d'abus des biens sociaux est de nature à causer un préjudice direct, non seulement à la
société elle-même, mais également à ses associés ou actionnaires ». Dans un temps voisin, elle faisait application des
dispositions de la loi commerciale pour admettre qu'un associé puisse exercer devant le juge pénal, une action sociale ut
singuli, en respectant les dispositions de la loi commerciale (Crim. 19 oct. 1978, Bull. crim. n o 282 ; Rev. sociétés 1979. 872,
note Bouloc ; D. 1979. 153, note Cosson. – À défaut, l'action est irrecevable : Crim. 13 sept. 2006, n o 05-85.083 , Bull. Joly
2007. 378).
187. La jurisprudence paraissait ainsi fixée en ce sens qu'en matière d'abus de biens sociaux pouvaient se constituer
parties civiles non seulement la société, mais encore les associés qui pouvaient agir non seulement par la voie de l'action
sociale ut singuli, mais encore au titre d'une action individuelle. Dans ce dernier cas, ce que l'associé pouvait faire valoir,
c'est une distribution moindre de bénéfices, mais aussi la perte de valeur du titre (BOULOC, obs. ss Crim. 6 janv. 1970, Rev.
sociétés 1971. 25).
188. Mais, par plusieurs arrêts de décembre 2000, la chambre criminelle a donné un coup d'arrêt aux actions individuelles
des associés. Le 12 décembre 2000 (Crim. 12 déc. 2000, n o 97-83.470 , Bull. crim. n o 372), elle décide que l'actionnaire
exerçant l'action en responsabilité contre les administrateurs, prévue par l'article L. 225-254 du code de commerce a qualité
pour saisir les juges de demandes au profit de la société et pour exercer au nom de celle-ci les voies de recours.
B - Action sociale ut singuli
189. Mais surtout, le 13 décembre 2000 (Crim. 13 déc. 2000, n o 99-80.387 , Bull. crim. n o 373 ; Rev. sociétés 2001. 394,
note Bouloc ; Dr. pénal 2001. Comm. 47, obs. J.-H. Robert ; Bull. Joly 2001. 497, note Barbièri ; Dr. et patr. oct. 2001, 103,
obs. Poracchia), la Cour de cassation a décidé que « les associés, hors le cas d'exercice de l'action sociale ut singuli, ne
peuvent demander à la juridiction correctionnelle réparation du préjudice résultant de la perte ou de la baisse de valeur de
leurs titres, ou de la perte des gains escomptés ». Elle a ajouté que « la dévalorisation des titres d'une société découlant
des agissements fautifs de ses dirigeants constitue non pas un dommage propre à chaque associé mais un préjudice subi
par la société elle-même ». Aussi bien, par un autre arrêt du 13 décembre 2000 (Crim. 13 déc. 2000, n o 99-84.855 , Bull.
crim. n o 378 ; Dr. pénal 2001. Comm. 47, obs. J.-H. Robert ; Rev. sociétés 2001. 399 ), elle a censuré un arrêt ayant
considéré que l'action civile des actionnaires d'une société anonyme, victime d'un abus de pouvoirs retenu contre les
prévenus, était de nature à causer un préjudice direct tant à la société elle-même qu'à ses actionnaires. Depuis lors, elle a
réédité cette affirmation (Crim. 5 déc. 2001, n o 01-80.065 , Bull. Joly 2002. 492, note Le Nabasque ; RSC 2002. 830, obs.
Re but . – DEZEUZE, La réparation du préjudice devant la juridiction pénale, Rev. sociétés 2003. 261 . – Crim. 11 déc.
2002, n o 01-85.176 , Bull. crim. n o 224 ; Rev. sociétés 2003. 145, note Bouloc ).
190. En conséquence de ce changement d'orientation, la chambre criminelle a déclaré irrecevables les constitutions de
partie civile des associés (Crim. 4 avr. 2001, n o 00-80.406 , D. 2002. 1475, note Scholastique ; Dr. pénal 2001.
Comm. 102, obs. J.-H. Robert. – V. aussi Crim. 12 sept. 2001, Dr. pénal 2002. Comm. 6, obs. J.-H. Robert. – Crim. 8 sept.
2002, n o 02-81.892, Bull. Joly 2003. 63, note Barbièri), quand bien même cet associé serait majoritaire à 99,98 % du capital
de la filiale de la société concernée (Crim. 9 mars 2005, n o 04-81.575 , Rev. sociétés 2005. 886, note Bouloc ). La même
solution a été adoptée pour la collectivité territoriale, actionnaire d'une société d'économie mixte (Crim. 3 déc. 2014, n o 13-
87.224 , Dr. sociétés 2015. 37, obs. Salomon). Et, si l'actionnaire s'est constitué avant 2000 ou a tenté d'intervenir dans
une procédure diligentée par le parquet, les juges du fond doivent déclarer sa constitution irrecevable (Crim. 20 févr. 2008,
n o 07-84.728 , Dr. pénal 2008. Comm. 72, obs. J.-H. Robert).

191. En revanche, l'associé peut se constituer partie civile en exerçant l'action sociale ut singuli (Crim. 2 avr. 2003, n o 02-
82.674 , Dr. pénal 2003. Comm. 98, note J.-H. Robert, Rev. sociétés 2003. 568, note Bouloc . – V. aussi Crim. 4 avr.
2001, n o 00-80.406 , D. 2002. 1475, note Scholastique . – Crim. 16 déc. 2009, n o 08-88.305 , Bull. crim. n o 218 ;
D. 2010. 381 ). La Cour de cassation a même estimé que cette constitution à l'instruction pouvait intervenir sans mise en
cause de la société, en dépit des dispositions de l'article L. 225-252 du code de commerce (Crim. 3 oct. 2007, n o 06-87.849
, Bull. crim. n o 238 ; Dr. pénal 2007. Comm. 155, obs. J.-H. Robert ; Rev. sociétés 2008. 414, obs. critiques Bouloc ).
C - Action sociale ut univ ersi
192. Hors le cas de l'associé exerçant l'action sociale ut singuli, c'est le représentant légal de la société qui pourra exercer
l'action sociale ut universi. Il pourra s'agir du nouveau gérant ou dirigeant de la société abusée. Si la société est en
liquidation, le liquidateur (amiable ou judiciaire) pourra agir en tant qu'il est devenu le représentant de la personne morale
(V., pour un syndic de faillite, Crim. 3 juin 1985, Bull. crim. n o 210 ; Rev. sociétés 1985. 854, note Bouloc. – Crim. 20 oct.
1986, Bull. crim. n o 290. – Crim. 12 oct. 1995, n o 95-80.730 , Bull. crim. n o 305 ; Rev. sociétés 1996. 319, note Bouloc ;
D. Affaires 1996. 50. – Crim. 8 mars 2006, Bull. Joly 2006. 1048, note Scholer. – Pour le liquidateur d'une société dissoute :
Crim. 13 juin 1988, Bull. crim. n o 266 ; Rev. sociétés 1989. 74, note Bouloc. – Pour le liquidateur d'une société en liquidation
judiciaire : Crim. 12 juin 2012, n o 11-87.799 , Dr. sociétés 2012. 217, obs. Salomon. – Crim. 5 déc. 2012, n o 11-85.838 ,
Rev. sociétés 2013. 305, note Bouloc ; Dr. pénal 2013. 60, obs. J.-H. Robert). Le représentant peut être la société
absorbante, en cas de fusion, pour des délits commis au sein de la société absorbée (Crim. 25 mai 1987, Bull. crim. n o 217.
– Crim. 2 avr. 2003, n o 02-82.674 , Bull. crim. n o 83 ; D. 2003. IR 1504 ; Rev. sociétés 2003. 568, note Bouloc ; Bull.
Joly 2003. 929, note Barbièri). C'est aussi la société qui peut agir contre ses anciens dirigeants (Crim. 16 févr. 1999, n o 98-
80.537 , Bull. crim. n o 17 ; Rev. sociétés 1999. 650, note Bouloc ; Bull. Joly 1999. 650, note Ohl ; D. Affaires 1999. 601,
obs. A. L.).
193. L'action individuelle en cas de préjudice distinct. -La Cour de cassation, tout en affirmant que seule la société
pouvait avoir subi un dommage du fait d'un abus de biens, a estimé que des personnes victimes d'un attentat au Pakistan
étaient recevables à agir sur des faits dénoncés d'abus de biens sociaux et de corruption, susceptibles de se rattacher par
un lien d'indivisibilité aux faits d'assassinat (Crim. 4 avr. 2012, n o 11-81.124 , Rev. sociétés 2012. 445, note Matsopoulou
; JCP 2012. II. 23674, note Cutajar). Elle a aussi déclaré recevable dans sa constitution de faute civile le coïndivisaire de
parts sociales (Crim. 4 nov. 2009, n o 09-80.818 ). Mais elle a rappelé qu'un associé ne se prévalant pas d'un préjudice
personnel distinct du préjudice subi par la société était irrecevable dans son action civile (Crim. 5 juin 2013, n o 12-80.387 ,
AJ pénal 2013. 674, obs. Gallois . – Crim. 25 févr. 2014, n o 12-85.693 ). Une société de droit panaméen, actionnaire
d'une société de droit luxembourgeois et prétendant agir au nom de cette dernière, a été déclarée irrecevable dans sa
citation directe (Crim. 22 oct. 2014, n o 13-82.590 , Rev. sociétés 2015. 324, obs. Bouloc ).
D - Créanciers
194. Dès lors que les associés ne sont plus admis à agir, à titre individuel, contre les dirigeants ayant commis des abus de
biens, a fortiori ne peuvent pas agir en raison d'abus de biens, les créanciers, car leur préjudice, à le supposer établi, ne
peut qu'être indirect (Crim. 24 avr. 1971, Bull. crim. n o 117 ; Rev. sociétés 1971. 608, note Bouloc ; JCP 1971. II. 16890.
– Crim. 25 nov. 1975, Bull. crim. n o 257 ; Rev. sociétés 1976. 655, note Bouloc ; JCP 1976. II. 18476, note Delmas-Marty.
– Crim. 9 nov. 1992, n o 92-81.432 , Bull. crim. n o 361 ; Rev. sociétés 1993. 433, note Bouloc . – Crim. 27 juin 1995,
n o 94-84.648 , Rev. sociétés 1995. 746, note Bouloc . – Crim. 8 mars 2006, n o 05-81.153 , Rev. sociétés 2006. 880
). Il en est de même de la caution (Crim. 25 nov. 1975, Bull. crim. n o 257 ; JCP 1976. II. 18476, note Delmas-Marty) ou de
l'État ayant versé des aides à la société (Crim. 28 févr. 2006, n o 05-83.461 , Bull. crim. n o 55 ; Rev. sociétés 2006. 389
).
E - Salariés
195. Un comité d'entreprise (Crim. 7 juin 1983, Bull. crim. n o 172 ; Rev. sociétés 1984. 119, note Bouloc. – Crim. 4 nov.
1988, Bull. crim. n o 373 ; Rev. sociétés 1989. 265. – Crim. 11 déc. 2002, n o 02-82.679 , Bull. Joly 2003. 451, note Scholer)
n'est pas recevable à agir, pas plus qu'un syndicat des salariés de l'entreprise (Crim. 27 nov. 1991, n o 89-86.983 , Bull.
crim. n o 439. – Crim. 11 mai 1999, n o 97-82.169 , Bull. crim. n o 89 ; Bull. Joly 1999. 998, note Barbièri ; RSC 1999. 829,
note Renucci . – Crim. 28 juill. 1999, n o 97-86.238 , Bull. Joly 2000. 63, note Barbièri. – Crim. 27 oct. 1999, n o 98-85.213
, Bull. crim. n o 236 ; Rev. sociétés 2000. 364, note Bouloc . – Crim. 29 nov. 2000, n o 99-80.324 , Bull. crim. n o 359.
– Crim. 7 mars 2000, n o 99-81.011 , Bull. Joly 2000. 720, note Scholer). Les salariés ne peuvent pas invoquer la
diminution du montant de la prime résultant de la réserve de participation (Crim. 28 janv. 2004, n o 03-81.345 , Dr. pénal
2004. Comm. 89, obs. J.-H. Robert ; Bull. Joly 2004. 827, note Auzero ; Dr. société 2004, n o 158, note Salomon) ; et les
anciens salariés ou leur représentant ne peuvent se constituer partie civile même au titre d'un préjudice moral (Crim.
23 mars 2005, n o 04-84.756 , Dr. sociétés 2006, n o 11, note Salomon. – Crim. 23 févr. 2005, Dr. pénal 2005, n o 77, note
J.-H. Robert ; Bull. Joly 2005. 845, note Scholer). Il en est de même du commissaire aux comptes (Crim. 29 nov. 1960, Bull.
crim. n o 553), ou de l'État se prévalant du détournement des aides versées à la société (Crim. 28 févr. 2006, n o 05-83.461
, D. 2006. 2145, note Jacopin ; Rev. sociétés 2006. 389, note Bouloc ).
§ 2 - Dommages-intérêts
196. Avant que l'action individuelle des associés ne soit devenue irrecevable, le préjudice indemnisable consistait dans la
perte de valeur des titres (Crim. 19 oct. 1978, D. 1979. 153, note Cosson) et dans la diminution du montant des dividendes
distribués.
197. Préjudice moral. -Quant au préjudice subi par la société, il peut être d'ordre moral, en cas d'atteinte à la réputation
de la société (Colmar, 4 févr. 1960, JCP 1960. II. 11833), mais aussi et surtout d'ordre matériel. Il correspond généralement
au montant des sommes détournées par les dirigeants, auquel s'ajoutent les intérêts de retard, à compter de l'assignation
(Crim. 25 oct. 2006, n o 05-85.998 , Bull. crim. n o 254 ; D. 2006. AJ 2736, obs. Lienhard ; Rev. sociétés 2007. 146, obs.
Bouloc ; Bull. Joly 2007. 243, note Barbièri).
198. Préjudice matériel. -Les juges peuvent aussi tenir compte du préjudice financier, né de l'impossibilité, pour les
sociétés victimes, de rentabiliser les sommes détournées, l'action civile étant recevable pour tous chefs de dommages
découlant directement des faits objet des poursuites (Crim. 31 janv. 2007, n os 02-85.089 et 05-82.671 , Bull. crim.
n o 28 ; Rev. sociétés 2007. 379, note Bouloc ). Au demeurant, la fixation de l'indemnité compensant le préjudice subi par
la société est « une question de fait échappant au contrôle de la Cour de cassation » (Crim. 26 juill. 1971, Bull. crim.
n o 242). En cas de relaxe, non critiquée, la partie civile peut obtenir une indemnisation sur le fondement d'une « faute
civile » imputable aux dirigeants sociaux (Crim. 19 mars 2014, n o 12-83.188 , Rev. sociétés 2014. 741, note Boursier ,
absence de groupe au moment des faits. – Crim. 3 avr. 2014, n o 13-80.010, Rev. sociétés 2014. 592, obs. Bouloc , pour
une relaxe fondée sur une absence de dissimulation).
ACTUALISATION
198-1.
Sanction civile. Dommages et intérêts. Préjudice résultant de l'engagement contractuel d'un associé. Réparation
(non) -
L'associé principal d'une société anonyme n'est pas recevable à obtenir réparation du préjudice résultant des abus de
biens sociaux commis par le dirigeant, en raison de dettes sociales qu'il avait cautionnées, dès lors que le préjudice
invoqué résulte directement de son seul engagement contractuel (Com. 23 mars 2016, n o 15-81.448 , Rev. sociétés
2016. 688, note B. Bouloc ).
198-2. Rapport d'expertise. Évaluation du préjudice. -La cour d'appel a pu apprécier souverainement, au vu du
rapport d'expertise amiable et des éléments recueillis au cours de l'enquête, le montant du préjudice subi par la société
(Crim. 4 mai 2016, n o 14-88.237 , Rev. sociétés 2017. 40, note B. Bouloc ).
198-3. Sanction civile. Évaluation du préjudice. -Méconnaît les articles 2 et 3 du code de procédure pénale et l'article
1240 (nouveau) du code civil la cour d'appel qui détermine le préjudice résultant d'un abus de biens sociaux d'après
l'intégralité des salaires et du coût d'utilisation d'un véhicule, alors que le travail était en partie réel (Crim. 5 janv. 2017,
n o 15-82.435 , Rev. sociétés 2017. 725, note B. Bouloc ).
198-4. Irrecevabilité. Préjudice direct et personnel. -Après avoir analysé l'ensemble des faits dénoncés par les
parties civiles, et notamment les plaintes émanant de clients victimes de dysfonctionnement des systèmes installés, la
chambre de l'instruction a retenu, à bon droit, qu'ils ne pouvaient avoir causé un préjudice personnel et direct résultant
des délits d'abus de confiance, d'escroquerie et des délits du droit des sociétés (Crim. 18 juill. 2017, n o 16-83.437 ,
Rev. sociétés 2018. 259, note B. Bouloc ).

199. Le montant de l'indemnité due à la société ne saurait être diminué, en raison de la négligence commise par la victime,
car en matière d'infraction intentionnelle contre les biens, aucune disposition n'autorise à tenir compte de cette faute (Crim.
14 juin 2006, BRDA 2006, n o 18, p. 2. – Comp. Crim. 10 mars 2004, n o 02-85.285 , Bull. crim. n o 64. – BOULOC, op. cit.
[supra, n o 103], n o 227 in fine). Pas davantage, les juges ne sont en droit de rejeter l'action sociale au motif que du fait de
la restructuration de la société par apport de fonds propres d'un ancien actionnaire le préjudice résultant de l'abus de biens
avait été réparé, car le refinancement en fonds propres ne peut réparer le préjudice résultant des abus de biens (Crim.
28 janv. 2004, n o 02-87.585 , Bull. crim. n o 18 ; Bull. Joly 2004. 678, note Barbièri ; D. 2004. 1447, note Matsopoulou ;
Rev. sociétés 2004. 405, note Bouloc ; Dr. et patr., juill. 2004. 108, obs. Poracchia).
200. Toutefois, le principe de la réparation intégrale en cas d'infraction intentionnelle contre les biens se trouve remis en
cause, à la suite de la décision rendue en matière d'abus de confiance dans l'affaire « Kerviel » (Crim. 19 mars 2014, n o 12-
87.416 , Bull. crim. n o 86 ; RTD com. 2014. 427 ). Lorsque plusieurs fautes ont concouru à la production du dommage, la
responsabilité de leurs auteurs se trouve engagée dans une mesure dont l'appréciation appartient aux juges du fond.
201. L'administrateur condamné à des dommages-intérêts ne peut compenser cette dette avec sa créance en compte
courant (Crim. 2 avr. 2003, Bull. Joly 2003. 928). Et cette condamnation n'interdirait pas l'ouverture à son encontre d'une
procédure collective (Com. 4 janv. 2005, n o 01-87.876, Dr. sociétés 2005, n o 68, note Legros), ni une action en comblement
de passif devant le tribunal de commerce, les deux actions ayant un objet différent (Crim. 29 oct. 1996, n o 95-84.354 ,
Rev. sociétés 1997. 377, note crit. Bouloc ).
Art. 2 - Conséquences civiles ou commerciales d'un abus de biens
202. Le transfert de fonds ou la cession d'un contrat au profit d'une société que le dirigeant a favorisée peut donner lieu,
devant une juridiction civile ou commerciale, à une action en nullité, puisque l'opération repose sur une cause illicite (Com.
13 déc. 2005, n o 03-18.002 , Rev. sociétés 2006. 382, note Bouloc ).
203. En outre, dans l'hypothèse où interviendrait une procédure collective de redressement ou de liquidation judiciaire, les
dirigeants peuvent, du fait des abus de biens, faire l'objet d'une action en responsabilité pour insuffisance d'actif ainsi que
d'une mesure de faillite personnelle. En cas d'insuffisance d'actif, le dirigeant peut, en cas de faute de gestion, être tenu de
supporter tout ou partie des dettes de la personne morale (C. com., art. L. 651-2). Depuis la loi n o 2005-845 du 26 juillet
2005, le tribunal, au cours d'une procédure de liquidation judiciaire, peut décider de mettre à la charge d'un dirigeant tout
ou partie des dettes, s'il est établi notamment que l'abus des biens ou du crédit (ou le détournement de tout ou partie de
l'actif) a contribué à la cessation des paiements. Il pourrait s'agir de prélèvements importants dans la caisse sociale, de
ventes à prix coûtant à la famille du dirigeant, de véhicules sociaux et du paiement de dettes personnelles (Com. 14 oct.
1997, Bull. Joly 1998. 56), de l'achat, par une société, d'actifs d'une autre société, à seule fin de permettre à celle-ci de
rembourser un prêt cautionné par le dirigeant de la première société (Com. 4 janv. 2000, RJDA 2000, n o 460), ou de la
création de lettres de change non causées tirées sur des personnes non averties, ce qui expose la société à des sanctions
pénales et fiscales (Com. 21 juin 2005, n o 04-12.281 , Bull. civ. IV, n o 135). Pour tenter de différer le prononcé de la
sanction civile, le dirigeant sollicite parfois le sursis à statuer, ce qui est souvent refusé dès lors que les actions n'ont pas la
même finalité (Com. 10 oct. 1995, n o 93-15.553 ). Une condamnation pénale pour abus de biens n'exclut pas une
condamnation au titre d'une insuffisance d'actif (Com. 29 févr. 2000, n o 96-15.827 , Bull. civ. IV, n o 42 ; Bull. Joly 2000.
597, note Saintourens ; D. Affaires 2000. AJ 158, obs. Lienhard). Et une condamnation pour insuffisance d'actif n'empêche
pas l'exercice d'une action civile pour banqueroute et abus de biens sociaux (Crim. 21 nov. 2001, RJDA 2002, n o 3, n o 287).
204. En outre, par renvoi de l'article L. 653-4 du code de commerce, les dirigeants qui auront fait usage des biens ou du
crédit d'une personne morale sont exposés à une mesure de faillite personnelle. Il peut s'agir d'une rémunération excessive
(Com. 9 mai 1995, n o 93-10.345 ), de dépenses personnelles sans rapport avec l'activité de l'entreprise (Com. 19 mai
2003, n o 01-01.454), ou d'un prêt consenti à un ami personnel, ce qui a privé la société de trésorerie (Com. 29 févr. 2000,
n o 96-15.827 , Bull. civ. IV, n o 42). Les juges doivent toutefois constater que la vente d'éléments d'actif au profit de
l'associé majoritaire était contraire à l'intérêt de la personne morale et tendait à des fins personnelles directes ou indirectes
(Com. 3 nov. 1992, n o 90-16.555 , Bull. civ. IV, n o 343).
205. Ainsi, même en l'absence de condamnation pénale, un dirigeant social peut être sanctionné par une faillite personnelle
en raison d'un abus de biens.
Index alphabétique

■ Abstention61

■ Abus de confiance
domaine138 s.
incrimination insuffisante2 s.
infraction contre les biens58
prescription161

■ Abus de crédit
cautionnement71
usage58, 65

■ Abus de pouvoir61, 66, 68, 69

■ Abus de voix70
■ Acte contraire à l'intérêt social75 s.
compte courant d'associé81
dépenses personnelles88 s.
détournement de créances sociales91 s.
moyens illicites93 s.
notion76 s.
rémunération des dirigeants82 s.

■ Acte d'usage58 s.
acte instantanée ou continu157
V. Usage (Acte d')

■ Acte positif61

■ Acte de recel149

■ Actif social
détournement d'141
insuffisance d'203

■ Action
dévalorisation, préjudice de la société189

■ Action civile185 s.
action sociale ut singuli189
action sociale ut universi192
créancier194
individuelle186 s., 155
préjudice196 s., 193
salarié195

■ Administrateur provisoire163

■ Amende62
dette personnelle89, 107

■ Amnistie179

■ Assemblée générale
assentiment de l'acte97

■ Association111

■ Associé
assentiment97, 175
commun117
constitution de partie civile185 s.
négligent170

■ Augmentation de capital73, 139

■ Auteur145

■ Aval65

■ Banqueroute97, 140
action pour insuffisance d'actif203
cumul d'infraction140
date de cessation des paiements141

■ Bateau152

■ Biens sociaux
bien mobilier et immobilier72

■ Blanchiment144, 149

■ Cadeau148
■ Caisse d'épargne26

■ Caisse noire94, 108, 134

■ Cautionnement
abus de bien71
hypothécaire170
usage du crédit65

■ Cession
de titre170
de biens mobiliers69

■ Charbonnage de France26

■ Chef de service
complice147

■ Chèque72

■ Comité d'entreprise195

■ Commandite par actions


gérant41
société concernée17

■ Commissaire aux comptes


complice146
rapport164

■ Commission66, 93, 116

■ Compétence
juridiction spécialisée153
territoriale154

■ Complice146
Administrateur provisoire147
commissaire aux comptes146
expert-comptable147
par abstention53

■ Comptabilité
absence d'enregistrement169
en apparence régulière167
opération dissimulée173
opération non dissimulée172

■ Compte courant d'associé81


intérêt social81
remboursement73
usage du62

■ Conditions d'existence35 s.

■ Consentement de la victime99

■ Contrainte175

■ Coopérative
administrateur et directeur général45
liquidateur, non47
peine principale178
société concernée28

■ Corruption1, 93, 142

■ Créancier
action civile, non194

■ Définition1

■ Délai de paiement65

■ Délit intentionnel127 s.
V. Mauvaise foi

■ Dépénalisation
rapport Coulon174

■ Dépense personnelle88 s.
amende pénale89
cotisation de retraite90
déguisée169
frais88

■ Dépôt de bilan163

■ Détournement
de créance sociale91 s.
salarié fictif92
vente sans facture91
d'actif141
fonds sociaux73, 139

■ Dirigeant
ancien192
commun115 s.
de droit43, 51, 54
faillite personnelle203 s.
de fait48 s., 53
critères51 s.
notion50
fins personnelles68, 100 s.
intérêt personnel du dirigeant95, 99, 105 s., 114 s.
pouvoir, usage abusif66
quitus97
responsabilité pour insuffisance d'actif203
V. Fins personnelles, Intérêt personnel direct, Intérêt personnel indirect

■ Dissimulation167 s.

■ Dividende
diminution196

■ Dol
général103
spécial100 s., 103

■ Dommages intérêts196 s.

■ Effet de complaisance88, 116

■ Électricité et Gaz de France26

■ Élément intentionnel127
constatation132 s.
nécessité127 s.
V. Mauvaise foi

■ Erreur
cause de non imputabilité, non175
invincible129

■ Escroquerie28, 58
■ Escroquerie28, 58
peine principale178
fausse facture143

■ État de nécessité126, 175

■ Expert-comptable
collusion avec les dirigeants164
complice147

■ Expertise de gestion163

■ Faillite personnelle203 s.

■ Fait justificatif du groupe120 s.


capacité financière de la société prêteuse125
conditions122
équilibre entre les prestations124
intérêt économique commun123
reconnaissance120

■ Famille
atteinte à la réputation de la109
immunité109, 175

■ Fausse facture112, 148

■ Fictive
commande139
société32

■ Fins personnelles100 s.
constatation par le juge113
dol spécial100 s., 104
élément intentionnel101
intérêt personnel direct105 s.
V. ce mot
intérêt personnel indirect114 s.
V. ce mot
notion100
patrimoniales112

■ Flagrance(Procédure de)152
infraction fiscale ou à la législation du travail152

■ Fondateur139

■ Frais
d'avocat88, 107
de voyage88, 107

■ Fusion
date rétroactive192
délits commis par l'absorbée66

■ Garantie65

■ Groupe de sociétés
intérêt de groupe108, 118 s.,
intérêt personnel indirect118

■ Groupement d'intérêt économique115

■ Incapacité d'exercice180

■ Instruction
juge spécialisé153
mise en cause de la société168
■ Insuffisance d'actif203

■ Intérêt de groupe108, 118


fait justificatif120 s.

■ Intérêt personnel direct105 s.


avantage
d'ordre moral109 s.
matériel106 s.
famille, atteinte à la réputation109
fausse facture112
prestige ou notoriété111
relation d'amitié110

■ Intérêt personnel indirect114 s.


dirigeant commun115
groupe de société118
notion114

■ Intérêt social75 s.
appréciation de la contrariété à l'intérêt social96 s.
compte courant d'associé81
dépense exceptionnelle88 s.
détournement de créances91 s.
immixtion du juge99
moyens illicites93 s.
notion76
objet social78
présomption de conformité à99
rémunération des dirigeants82 s.
usage80

■ Législation4 s.
code de commerce10
décret-loi du 8 août 19355 s.
droits étrangers12 32, 33
loi du 4 août 2008181
loi du 15 mai 2001 et du 1 er avril 20039
ordonnance du 25 mars et 24 juin 20049
loi du 11 octobre 201311
loi du 6 décembre 201311, 177

■ Liquidateur d'une société commerciale


action sociale ut universi192
personne incriminable21, 47

■ Lobby ing95

■ Marchandise72

■ Mauvaise foi127 s.
constatation132 s.
erreur129
formulation128
intention frauduleuse131
négligence ou imprudence130

■ Moyen illicite93 s.
action favorable à la société94
atteinte au crédit de la société95
but illicite93
intérêt personnel du dirigeant95

■ Négligence61
active130

■ Note de restaurant152, 167

■ Notoriété111

■ Nullité
cause illicite202
déclaration auto incriminante156

■ Opération de crédit
à risque65

■ Opération de trésorerie entre sociétés du groupe118

■ Option de souscription d'action170

■ Ordre de la loi126

■ Ouverture de crédit109

■ Peine
accessoire180 s.
principale176 s.
complémentaire11, 182
droits civiques183
aggravée11

■ Personne morale
reconnaissance des droits de la175
responsabilité pénale55

■ Personne poursuivable145 s.
auteur145
complice146
receleur148

■ Personne punissable36 s.
dirigeant de fait48 s.
nommée37 s.
personnes morale55 s.

■ Pouvoir en blanc59, 71

■ Préjudice
matériel198
moral161

■ Prescription(Point de départ)157, 159


abus de confiance161
associé négligent170 s.
constatation de l'infraction162 s.
dissimulation167 s.
comptabilité173
non dissimulation172
infraction instantanée160 s.
rapport Coulon sur la dépénalisation174

■ Présomption d'innocence108

■ Prêt
acte d'usage61, 65

■ Procédure151 s.
flagrance152
juridiction compétente153
prescription157
■ Procuration70

■ Qualification de l'infraction
abus de confiance138 s.
banqueroute140 s.

■ Rapport Coulon174

■ Receleur148, 150
acte de recel149

■ Redevance91

■ Rémunération des dirigeants82 s.


décision des associés82 s.
décision du conseil d'administration68
déductibilité fiscale86
excessive83, 106
non autorisée134
retraite complémentaire87
sans contrepartie85

■ Répression137 s.
auteur145
complice146
qualification138 s.
receleur148

■ Responsabilité pénale des personnes morales55

■ Retraite complémentaire87

■ Salarié
action civile195
clandestin94
salaire fictif167 s.

■ Sanction civile184 s.
dommages intérêts196
insuffisance d'actif203
victime, détermination185
V. Action civile

■ Sanction pénale175 s.
V. Peine

■ Société anonyme
administrateur38
directeur général38
dirigeant de fait49
gestion dissociée39
membre du conseil de surveillance40
membre du directoire40
président38
société concernée15, 17

■ Société civile
société non concernée22

■ Société civile de placement immobilier


gérant, administrateur de la société de gestion46
peine principale178
société concernée23

■ Société de construction
peine principale176
société concernée24

■ Société d'assurance
administrateur et directeur général44
société concernée25

■ Société écran ou off shore169

■ Société en nom collectif15, 138

■ Société par actions simplifiée


dirigeant et président42
dirigeant de fait49
société concernée18

■ Société en participation138

■ Société à responsabilité limitée


dirigeant de fait49
gérant37
société concernée15

■ Sociétés concernées14 s.
étrangères28 s.
principales32
secondaires32
françaises15 s.

■ Sous-traitance116
choix 69

■ Syndicat111

■ Tiers97 s.

■ Trafic d'influence94

■ Tribunal correctionnel153

■ Usage(Acte d')58 s.
abusif63, 74 s.
des biens sociaux72
contrariété à l'intérêt social75 s.
du crédit65
fin personnelle100 s.
nature du délit58 s.
notion60 s.
objet64 s.
des pouvoirs66
des voix70
V. Intérêt personnel direct, Intérêt personnel indirect

■ Vente sans facture91

■ Vote par correspondance59, 71

■ Voyage148
Actualisation

Bibliographie. - M.-C. SORDINO, Lanceur d'alerte et droit pénal : entre méfiance et protection ?, Rev. sociétés 2017. 198 .
51-1. Gérant de droit. Abus de bien sociaux. Usage de faux. Gérant de fait. -Le gérant de droit présent tous les jours
dans l'entreprise, surveillant les chantiers et détenant seul la signature bancaire se rend coupable d'abus de biens sociaux
en émettant sans raison des chèques tirés sur le compte social pour un montant de 484 280,37 € principalement au profit
du gérant de fait. Ce gérant a trouvé un intérêt personnel à ces malversations qui lui ont permis de garder sa fonction de
gérant rémunéré. Le gérant se rend coupable d'usage de faux en transmettant aux porteurs de parts majoritaires dans le
capital social de nombreux relevés bancaires fabriqués, dissimulant les détournements opérés et la situation financière
compromise de la société (Crim. 28 sept. 2016, n o 15-85.049 , Rev. sociétés 2017. 511, obs. B. Bouloc ).
52. Dirigeant de fait. Comptable. -L'utilisation des fonds sociaux par le comptable d'une SARL, exerçant en fait des
missions de direction et considéré comme gérant de fait, constitue un abus de biens sociaux, en l'absence de preuve de leur
justification (Crim. 29 juin 2016, n o 15-81.876, Rev. sociétés 2017. 104, note B. Bouloc ).
58-1. Nature du délit. Prêt consenti à une société. -Une convention de trésorerie souscrite entre deux sociétés n'est pas
prohibée par l'article L. 225-43 du code de commerce. Le prêt d'argent moyennant un intérêt de 3 % n'est pas
nécessairement préjudiciable à l'intérêt social de la société (Crim. 28 sept. 2016, n o 15-87.232 , Rev. sociétés 2017. 376,
note B. Bouloc ).
76-1.
Acte contraire à l'intérêt social. Paiement approuvé par le comité interministériel du redéploiement industriel (CIRI). -
Ne justifie pas sa décision la cour d'appel qui n'a pas recherché s'il ne résultait pas des négociations et accords
judiciairement homologués que la dépense devait finalement être prise en charge par la société et qui n'a pas précisé en
quoi une prestation d'accompagnement des repreneurs avait un montant excessif et était contraire à l'intérêt social, et
servait l'intérêt personnel des prévenus (Crim. 25 oct. 2017, n o 16-85.221 , Rev. sociétés 2018. 404, note B. Bouloc ).
79-1. Gérance de fait. Illustration. -En l'état des déclarations effectuées, la cour d'appel a, sans insuffisance ni
contradiction, caractérisé la gérance de fait d'un prévenu ne disposant pas de la signature sociale et retenu un abus de
biens sociaux en raison du paiement d'une facture se rapportant aux frais de mariage de ce prévenu. Toutefois, le
condamné ayant payé au liquidateur la créance résultant de la facture litigieuse, la cour d'appel ne pouvait pas condamner
le prévenu à indemniser le liquidateur de la SAS (Crim. 19 mai 2016, n o 15-83.047 , Rev. sociétés 2017. 169, note
B. Bouloc ). Commet un abus de biens sociaux le directeur administratif d'une coopérative considéré comme dirigeant de
fait, qui perçoit un salaire dépassant les possibilités financières de la société. Le préjudice résultant d'un abus de biens
sociaux devant être réparé intégralement sans perte ni profit pour aucune des parties ne peut être supérieur à l'excès de
rémunération versée (Crim. 7 déc. 2016, n o 15-86.731 , Rev. sociétés 2017. 167, note B. Bouloc ). Les fonds sociaux
prélevés de manière occulte par le gérant d'une SARL, et dont il n'est pas justifié qu'ils aient été utilisés dans le seul intérêt
de la société, l'ont nécessairement été dans l'intérêt personnel du dirigeant. Le gérant qui exerce de façon effective la
gérance de la société n'a pu que donner des instructions à l'associé ayant effectué des retraits de fonds sur un compte de
la société dont il avait procuration (Crim. 29 juin 2016, n o 15-84.228 , Rev. sociétés 2017. 307, note B. Bouloc ).
Bénéficie d'une économie réalisée le dirigeant d'une société qui a éludé le paiement des cotisations sociales et se rend
coupable de recel. L'URSSAF est en droit d'obtenir une somme en raison des frais engagés pour établir la fraude (Crim.
1 er juin 2016, n o 15-81.187 , Rev. sociétés 2017. 311, note B. Bouloc ).
79-2. Évaluation du préjudice. -Si la responsabilité pénale du prévenu est acquise, l'évaluation du préjudice résultant des
faits reprochés reste en discussion. En retenant que le montant du préjudice subi du fait du paiement de salaires injustifiés
a été fixé définitivement par la condamnation pénale du prévenu, la cour d'appel a méconnu le principe de l'autorité au civil
de la chose jugée au pénal, en s'interdisant d'apprécier elle-même le montant du dommage (Crim. 1 er juin 2016, n o 15-
80.721 , Rev. sociétés 2017. 240, note B. Bouloc ).
79-3. Détournement. Contrat collectif de retraite. -Un dirigeant qui a aménagé des droits régulièrement souscrits en vue
de restreindre les conditions d'accès au collège des cadres aux fonds collectifs caractérise un intérêt personnel contraire à
l'intérêt social de l'entreprise (Com. 22 mars 2017, n o 15-84.536 , Rev. sociétés 2018. 130, obs. B. Bouloc ).
88. Factures de complaisance. -Se rend coupable d'abus de biens sociaux le gérant d'une SARL qui règle des factures de
complaisance, sans contrepartie, au profit d'une société qui vire les fonds sur ses comptes personnels. Il en est de même
pour les paiements de frais de location et d'assurance d'un véhicule automobile au profit de la compagne du gérant comme
des frais de voyage et de séjour de celle-ci, sans activité au profit de la société (Crim. 25 oct. 2017, n o 16-85.981 , Rev.
sociétés 2018. 329, note B. Bouloc ).
95. Recours à des moyens illicites. Facturation. -Caractérise un délit de faux en écriture la cour d'appel qui relève que des
sociétés ont facturé à une collectivité territoriale des prestations informatiques réalisées par une autre société à qui elles
avaient été rétrocédées, l'existence du préjudice résultant de la nature même des factures. En faisant facturer par des
sociétés dont il était le gérant à une collectivité territoriale des prestations informatiques effectuées par une société tierce,
en encaissant les paiements et en reversant les sommes à la société tierce, tout en conservant pour lui une commission, le
dirigeant a commis un usage de biens sociaux contraire à l'intérêt des sociétés en exposant, dans son intérêt personnel,
celles-ci à un risque de poursuites pénales ou fiscales (Crim. 16 déc. 2015, n o 14-86.602 , Rev. sociétés 2016. 187, note
B. Bouloc ).
96. Appréciation de l'acte. Cession de titres. -La cession par le gérant d'une SARL de titres d'une autre société sans
accord des autres associés constitue un abus de pouvoirs, et un abus de biens sociaux du fait de l'acquisition des titres par
le gérant à un prix fixé unilatéralement (Crim. 20 mai 2015, n o 13-87.388 , Rev. sociétés 2015. 536, note Bouloc ).
108. Acte contraire à l'intérêt social. Avantage matériel. Fonds occultes. -En revendant à un tiers les chutes de métaux
de la société dont il était le dirigeant contre paiement en argent liquide, ce dirigeant agissait contre l'intérêt de la société,
afin d'utiliser à des fins personnelles les revenus occultes qu'il se ménageait des biens de la société (Crim. 4 mai 2016,
n o 14-88.237 , Rev. sociétés 2017. 40, note B. Bouloc ).
115-1. Intérêt personnel indirect du dirigeant. Attribution de fonds à une société dont il est également dirigeant. -Le
dirigeant de fait d'une société qui fait attribuer à une autre société dont il est le dirigeant des fonds pour des prestations
fictives de formation du personnel commet un abus de biens sociaux (Crim. 19 mai 2016, n o 14-88.387 , Rev. sociétés
2016. 685, note B. Bouloc ).
121-1. Groupe de sociétés. Déséquilibre résultant de la nouvelle organisation du groupe. -La chambre criminelle de la
Cour de cassation confirme l'arrêt d'appel de relaxe des prévenus des faits d'abus de biens sociaux pour avoir perçu des
commissions au travers d'une société de courtage dans laquelle ils étaient intéressés grâce à l'utilisation du portefeuille de
contrats d'assurance d'une société de gestion de portefeuille, pour avoir transféré sans contrepartie ce portefeuille et pour
avoir fait utiliser par la société de courtage le personnel et les moyens de la société de gestion, en retenant qu'ils avaient
agi dans le cadre de la nouvelle organisation du groupe répartissant les rôles entre la société de gestion de portefeuille et
la société de courtage, de sorte que le déséquilibre entre ces sociétés résultait de cette organisation et non de la volonté
délibérée des prévenus (Crim. 6 avr. 2016, n o 15-80.150 , Rev. sociétés 2016. 539, note M.-E. Boursier ).
Absence d'équilibre entre les prestations. Pour éluder l'application de l'article L. 241-3, 4 o , du code de commerce, les
versements effectués par un dirigeant d'une société à une autre entreprise du même groupe dans laquelle il est intéressé
directement ou indirectement doivent être dictés par un intérêt économique, social ou financier commun, apprécié au regard
d'une politique élaborée pour l'ensemble de ce groupe, et ne doivent ni être dépourvus de contrepartie ni rompre l'équilibre
entre les engagements respectifs des diverses sociétés concernées, ce qui n'était pas le cas en l'espèce (Crim. 25 oct.
2017, n o 16-80.238 , Rev. sociétés 2018. 520, note M.-E. Boursier ).
137-1. Abus de confiance. Détournement de clientèle. -Constitue un abus de confiance le fait, pour une personne, qui a
été destinataire, en tant que salariée d'une société, d'informations relatives à la clientèle de celle-ci, de les utiliser par des
procédés déloyaux dans le but d'attirer une partie de cette clientèle vers une autre société (Crim. 22 mars 2017, n o 15-
85.929 , Rev. sociétés 2018. 56, note H. Matsopoulou ).
139. Abus de confiance. Société holding. -La restitution, par compensation, des sommes détournées au préjudice d'une
société, qui intervient postérieurement au détournement constitutif du délit d'abus de confiance, n'enlève pas à l'acte son
caractère délictueux. Les juges répressifs peuvent retenir le délit d'abus de confiance s'ils constatent l'existence de
l'élément intentionnel, du fait de la connaissance d'un « montage frauduleux », et l'existence du préjudice qui peut consister
dans le « risque, à tout le moins fiscal ou pénal », qu'un tel montage fait courir à une société. Un dirigeant social peut être
déclaré coupable, cumulativement, de complicité d'abus de confiance et de recel des sommes provenant de ce même délit,
pour avoir signé un contrat d'assistance fictif et perçu les sommes détournées, s'agissant de faits distincts commis à des
dates différentes (Crim. 16 déc. 2015, n o 13-84.592 , Rev. sociétés 2016. 322, note Matsopoulou ).
139-1. Abus de confiance. Illustration. -Commet un abus de confiance le gérant de fait d'une société qui, ayant reçu d'un
client un chèque destiné à être remis à un organisme de crédit en remboursement d'un prêt, en a détourné le montant en
ne le remettant pas à l'établissement financier. Mais ce dirigeant de fait ne commet pas d'abus de confiance en faisant
signer des bons de commande sans recevoir de fonds. Commet un détournement d'actifs le gérant de fait d'une société en
redressement judiciaire qui déménage du siège de la société deux téléviseurs et fait mettre sur le compte bancaire d'une
autre société des chèques émis par des clients de la première société (Crim. 8 mars 2017, n o 15-87.457 , Rev. sociétés
2017. 723, note B. Bouloc ).
144. Blanchiment. Principe Ne bis in idem. -Il résulte du principe Ne bis in idem que des faits qui procèdent de manière
indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même
prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes. Pour déclarer M. E. coupable de
blanchiment, une cour d'appel avait relevé qu'il a fait effectuer, par la société Domaine des Broix, des virements d'un
montant total de 2 008 990,17 € au profit de la société Capfin en justifiant ces virements par des prestations qui étaient en
réalité inexistantes. Mais en prononçant ainsi, sans retenir des faits constitutifs de blanchiment distincts des versements
pour lesquels elle a déclaré le prévenu coupable d'abus de biens sociaux, la cour d'appel a méconnu le principe précité
(Com. 7 déc. 2016, n o 15-87.335 , D. 2016. Actu. 2572 ).
167-1. Prescription. Point de départ. Dissimulation. -En cas de ventes de chutes de métaux ne figurant pas dans la
comptabilité, la prescription pour ces faits dissimulés ne court que du jour où le nouveau dirigeant de la société, seul
susceptible de faire engager l'action publique au nom de cette dernière, a pu avoir connaissance de ces faits (Crim. 4 mai
2016, n o 14-88.237 , Rev. sociétés 2017. 40, note B. Bouloc ).
176-1. Peine d'amende. Motivation. -Ne justifie pas sa décision la cour d'appel qui ne s'explique pas sur la personnalité du
prévenu et sur sa situation personnelle pour prononcer les peines d'amende et d'interdiction de gérer, et sans faire état
des ressources du prévenu pour le condamner à une amende. N'a pas motivé sa décision la cour d'appel qui ne précise pas
à quel titre elle ordonne la confiscation des sommes saisies sur un compte bancaire (Crim, 27 juin 2018, n o 16-87.009, Rev.
sociétés 2018. 674, note B. Bouloc ).
180-1. Mesure conservatoire. Confiscation. Contrat d'assurance-vie. -Le souscripteur d'un contrat d'assurance-vie
conserve une créance sur l'assureur, qui est un bien saisissable à titre de mesure conservatoire, en vertu de l'article 706-
141-1 du code de procédure pénale comme pouvant représenter en valeur le produit susceptible de confiscation des
infractions d'abus de confiance et d'escroquerie retenus contre le mis en examen pour ces délits et l'abus de biens sociaux
(Crim. 30 sept. 2015, n o 15-81.744 , Rev. sociétés 2016. 54, note B. Bouloc ).
182. Peine complémentaire. Interdiction de gérer. -L'interdiction définitive de diriger ou gérer une personne morale est
limitée, en matière d'abus de biens sociaux, à la gestion d'une entreprise commerciale ou industrielle ou d'une société
commerciale (Crim. 4 mai 2016, n o 14-88.237 , Rev. sociétés 2017. 40, note B. Bouloc ).
182-1. Peine complémentaire. Interdiction de gérer. Motivation. -La gravité des faits commis en connaissance de cause
par les prévenus, qui avaient utilisé les biens des sociétés qu'ils dirigeaient pour financer leurs besoins personnels, justifie
le prononcé de la peine complémentaire d'interdiction de gérer, administrer ou contrôler une entreprise commerciale ou
industrielle ou une société commerciale. Le moyen, nouveau et mélangé de fait et, comme tel, irrecevable, en ce qu'il
invoque pour la première fois devant la Cour de cassation le caractère disproportionné de l'atteinte spécifique portée au
droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale par la mesure d'interdiction de gérer prononcée par le tribunal
correctionnel et confirmée par la cour d'appel, en violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme,
doit être écarté. (Crim. 20 juin 2017, n o 16-80.982 , Rev. sociétés 2017. 651, note H. Matsopoulou ).
198-1.
Sanction civile. Dommages et intérêts. Préjudice résultant de l'engagement contractuel d'un associé. Réparation (non)
-
L'associé principal d'une société anonyme n'est pas recevable à obtenir réparation du préjudice résultant des abus de biens
sociaux commis par le dirigeant, en raison de dettes sociales qu'il avait cautionnées, dès lors que le préjudice invoqué
résulte directement de son seul engagement contractuel (Com. 23 mars 2016, n o 15-81.448 , Rev. sociétés 2016. 688,
note B. Bouloc ).
198-2. Rapport d'expertise. Évaluation du préjudice. -La cour d'appel a pu apprécier souverainement, au vu du rapport
d'expertise amiable et des éléments recueillis au cours de l'enquête, le montant du préjudice subi par la société (Crim. 4 mai
2016, n o 14-88.237 , Rev. sociétés 2017. 40, note B. Bouloc ).
198-3. Sanction civile. Évaluation du préjudice. -Méconnaît les articles 2 et 3 du code de procédure pénale et l'article
1240 (nouveau) du code civil la cour d'appel qui détermine le préjudice résultant d'un abus de biens sociaux d'après
l'intégralité des salaires et du coût d'utilisation d'un véhicule, alors que le travail était en partie réel (Crim. 5 janv. 2017,
n o 15-82.435 , Rev. sociétés 2017. 725, note B. Bouloc ).
198-4. Irrecevabilité. Préjudice direct et personnel. -Après avoir analysé l'ensemble des faits dénoncés par les parties
civiles, et notamment les plaintes émanant de clients victimes de dysfonctionnement des systèmes installés, la chambre de
l'instruction a retenu, à bon droit, qu'ils ne pouvaient avoir causé un préjudice personnel et direct résultant des délits
d'abus de confiance, d'escroquerie et des délits du droit des sociétés (Crim. 18 juill. 2017, n o 16-83.437 , Rev. sociétés
2018. 259, note B. Bouloc ).

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