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Répertoire de la responsabilité de la puissance

publique

 Table des matières
 Bibliographie
 Généralités (1 - 12)
 Titre 1 - Champ d'application de la responsabilité contractuelle (13 - 141)
o Chapitre 1 - Exclusion de la responsabilité contractuelle pour les situations
non contractuelles (14 - 100)
 Section 1 - Situations sans contrats (14 - 21)
 Art. 1 - Exemples de rapport non contractuel (16 - 18)
 Art. 2 - Exemples de rapports contractuels (19 - 21)
 Section 2 - Situations liées à la formation du contrat (22 - 37)
 Art. 1 - Rupture fautive des négociations contractuelles (22 - 26)
 Art. 2 - Éviction irrégulière d'un candidat à l'attribution d'un contrat
public (27 - 37)
 Section 3 - Situations où le contrat est nul, « invalide » ou annulé (cas
de responsabilité extracontractuelle entre les parties) (38 - 53)
 Art. 1 - Recours en contestation de validité du contrat (38 - 43)
 Art. 2 - Question de procédure : jurisprudence « Citécable Est » (44 - 46)
 Art. 3 - Actions en responsabilité extra-contractuelle (47 - 53)
 § 1 - Responsabilité quasi contractuelle : enrichissement
sans cause (47 - 48)
 § 2 - Responsabilité quasi délictuelle : la faute de l'administration
(49 - 51)
 § 3 - Dispositions législatives spéciales (52 - 53)
 Section 4 - Situations où le contrat est achevé (54 - 78)
 Art. 1 - Principes généraux (55 - 60)
 Art. 2 - Perpétuation des effets de certaines clauses contractuelles après
l'expiration du contrat (61)
 Art. 3 - Cas particulier des garanties postcontractuelles dans les contrats
publics de fournitures ou de services (62 - 65)
 Art. 4 - Cas particulier des garanties postcontractuelles dans les contrats
publics de travaux (66 - 78)
 § 1 - Réception des travaux (66 - 75)
 A - Extinction des rapports contractuels (66 - 69)
 B - Prolongation des rapports contractuels (70 - 75)
 § 2 - Cas particulier des obligations contractuelles des maîtres
d'œuvre après la réception des ouvrages (76 - 78)
 Section 5 - Situations où le requérant est un tiers par rapport au contrat (79 -
100)
 Art. 1 - Les tiers au contrat ne peuvent se prévaloir des stipulations de ce
contrat pour rechercher la responsabilité contractuelle ou quasi délictuelle
des cocontractants (80 - 88)
 § 1 - Principe (80 - 83)
 § 2 - Exceptions (84 - 88)
 Art. 2 - Les tiers au contrat peuvent rechercher la responsabilité
délictuelle ou quasi délictuelle des cocontractants (89 - 100)
o Chapitre 2 - Primauté de la responsabilité contractuelle en cas de situation contractuelle
(101 - 119)
 Section 1 - Exclusion de toute autre forme de responsabilité (103 - 106)
 Art. 1 - Exclusion des responsabilités extracontractuelles pour faute (103
- 105)
 Art. 2 - Exclusion des responsabilités extracontractuelles sans faute (106)
 Section 2 - Portée du principe de primauté (107 - 119)
 Art. 1 - Conséquences sur le terrain de la compétence juridictionnelle
(107 - 108)
 Art. 2 - Conséquences procédurales (109 - 119)
 § 1 - Irrecevabilité des requêtes mal fondées (110 - 111)
 § 2 - La responsabilité contractuelle n'est pas d'ordre public (112 -
119)
o Chapitre 3 - Clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité contractuelle (120 -
141)
 Section 1 - Questions de légalité (121 - 138)
 Art. 1 - Clauses exonératoires de responsabilité (121 - 128)
 Art. 2 - Clauses limitatives de responsabilité (129 - 138)
 Section 2 - Portée (139 - 141)
 Titre 2 - Conditions d'existence de la responsabilité contractuelle (142 - 320)
o Chapitre 1 - Fait générateur (143 - 276)
 Section 1 - Faute contractuelle (146 - 213)
 Art. 1 - Fautes de l'administration contractante (146 - 193)
 § 1 - Non-exécution, par l'administration, de ses obligations
contractuelles (147 - 152)
 § 2 - Mauvaise exécution, par l'administration, de ses obligations
contractuelles (153 - 157)
 § 3 - Retard, par l'administration, à exécuter ses obligations
contractuelles (158 - 160)
 § 4 - Travaux supplémentaires demandés au cocontractant (161 -
167)
 § 5 - Manquements de l'administration à ses obligations
contractuelles de nature financière (168 - 179)
 A - Modification unilatérale du prix stipulé au contrat
(168)
 B - Retards de paiement (169 - 173)
 C - Non-respect des clauses de variation de prix (174 -
177)
 D - Retard fautif dans la mainlevée des garanties (178 -
179)
 § 6 - Exercice irrégulier, par l'administration, de ses prérogatives
contractuelles (180 - 193)
 A - Exercice irrégulier du pouvoir de sanction, notamment
de résiliation du contrat (180 - 186)
 B - Exercice irrégulier du pouvoir de contrôle
et de direction (187)
 C - Exercice irrégulier du pouvoir de modification
unilatérale (188 - 193)
 Art. 2 - Fautes du cocontractant de l'administration (194 - 208)
 § 1 - Généralités (194 - 200)
 § 2 - Fautes de l'architecte (201 - 202)
 § 3 - Fautes de l'entrepreneur (203)
 § 4 - Portée des clauses pénales (204 - 208)
 Art. 3 - Degré de la faute (209 - 213)
 Section 2 - Faits non fautifs (214 - 276)
 Art. 1 - Exercice régulier, par l'administration contractante, de ses
prérogatives contractuelles de puissance publique (216 - 222)
 § 1 - Exercice régulier du pouvoir de modification unilatérale
dans un but d'intérêt général (217 - 218)
 § 2 - Exercice régulier du pouvoir de résiliation unilatérale
dans un but d'intérêt général (219 - 222)
 Art. 2 - Exercice régulier, par l'administration contractante, de ses
prérogatives extracontractuelles de puissance publique : le fait du prince
(223 - 246)
 § 1 - Conditions préalables à l'existence d'un fait du prince (224 -
230)
 A - L'acte administratif doit être imputable
à l'administration contractante (225 - 227)
 B - L'acte administratif doit être imprévisible au moment
de l'accord des volontés (228 - 230)
 § 2 - Les hypothèses de fait du prince (231 - 246)
 A - Mesures générales qui ne peuvent être prises que
par l'État (231 - 238)
 B - Mesures générales qui peuvent être prises par toutes
les collectivités publiques (239 - 246)
 Art. 3 - Existence d'une situation d'imprévision (247 - 276)
 § 1 - Définitions (248 - 253)
 § 2 - Conditions de l'obligation d'indemnisation à la charge
de l'administration contractante (254 - 276)
 A - Le fait générateur de la responsabilité doit être
extérieur aux deux parties au contrat. (255 - 256)
 B - Le fait générateur de la responsabilité contractuelle
doit avoir été imprévisible pour les deux parties,
en particulier pour le cocontractant. (257 - 263)
 C - Le fait générateur de la responsabilité doit entraîner
un bouleversement de l'économie du contrat. (264 - 270)
 D - Le fait générateur de la responsabilité doit être
temporaire et ne peut rendre l'exécution du contrat
impossible. (271 - 272)
 E - La responsabilité contractuelle est enfin engagée
à condition que le cocontractant poursuive l'exécution
du contrat malgré les difficultés financières qu'il
rencontre. (273 - 276)
o Chapitre 2 - Préjudice (277 - 308)
 Section 1 - Preuve de l'existence d'un préjudice (278 - 283)
 Section 2 - Existence d'un préjudice réparable (284 - 308)
 Art. 1 - Caractères du préjudice réparable (284 - 297)
 § 1 - Le préjudice doit être certain (285 - 290)
 § 2 - Le préjudice doit être spécial en cas de fait du prince (291 -
297)
 Art. 2 - Nature du préjudice réparable (298 - 308)
 § 1 - Préjudice matériel (298 - 299)
 § 2 - Préjudice moral (300 - 308)
 A - Atteinte à la réputation professionnelle et/ou
à l'honorabilité du cocontractant (301 - 302)
 B - Droit moral de l'architecte sur son œuvre (303 - 308)
o Chapitre 3 - Lien de causalité (309 - 320)
 Section 1 - Nécessité du lien de causalité (315 - 318)
 Section 2 - Méthodes de détermination du lien de causalité par le juge
administratif du contrat (319 - 320)
 Titre 3 - Mise en œuvre de la responsabilité contractuelle (321 - 478)
o Chapitre 1 - Débiteur de l'obligation de réparation contractuelle (324 - 412)
 Section 1 - Obligation à la dette (327 - 385)
 Art. 1 - Le contractant, auteur du fait générateur, seul obligé à la dette
(327 - 345)
 § 1 - Principes : théorie de l'imputabilité (327 - 334)
 § 2 - Portée du principe (335 - 345)
 A - Irresponsabilité contractuelle des mandataires
de l'administration contractante (335 - 337)
 B - Irresponsabilité contractuelle des fonctionnaires
chargés de l'exécution du contrat (338 - 340)
 C - Responsabilité contractuelle du cessionnaire
du contrat (341 - 345)
 Art. 2 - Exonération de l'obligation à la dette (346 - 385)
 § 1 - Fait de force majeure (347 - 368)
 A - Extériorité (351 - 354)
 B - Imprévisibilité (355 - 359)
 C - Irrésistibilité (360 - 362)
 D - Fait de force majeure et clauses contractuelles (363 -
368)
 § 2 - Faute de la victime ou fait du cocontractant (369 - 377)
 § 3 - Cas fortuit (378)
 § 4 - Caractère non exonératoire du fait du tiers (379 - 385)
 Section 2 - Contribution à la dette (386 - 412)
 Art. 1 - Situations ordinaires (388 - 391)
 Art. 2 - Situations en l'absence de clauses organisant la contribution
à la dette (392 - 404)
 § 1 - Pluralité de contractants liée à une pluralité de contrats (392
- 399)
 § 2 - Pluralité de contractants dans un même contrat (400 - 404)
 Art. 3 - Situations en présence de clauses de solidarité (405 - 412)
o Chapitre 2 - Réparation du préjudice subi (413 - 478)
 Section 1 - Modalités de fond (414 - 445)
 Art. 1 - Réparation en nature (415 - 426)
 § 1 - Réparation en nature par l'administration cocontractante
(417 - 420)
 § 2 - Réparation en nature par le cocontractant de l'administration
(421 - 426)
 Art. 2 - Réparation en argent (427 - 445)
 § 1 - Principe de la réparation intégrale du préjudice (429 - 434)
 § 2 - TVA (435 - 436)
 § 3 - Intérêts (437 - 445)
 Section 2 - Modalités procédurales (446 - 478)
 Art. 1 - Titulaire de l'action en réparation (447 - 457)
 § 1 - Situation en cas de pluralité de cocontractants (447 - 450)
 § 2 - Situations en cas de succession de contractants (451 - 457)
 Art. 2 - Exercice de l'action en réparation (458 - 478)
 § 1 - Principales règles procédurales (458 - 469)
 § 2 - Stipulations contractuelles organisant une procédure pré-
contentieuse (470 - 478)
 Index alphabétique
 Actualisation (107)

Responsabilité contractuelle 

Philippe TERNEYRE
Professeur à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour
Centre de recherche « Pau Droit public »

mai 2018

Table des matières

Généralités 1 - 12

Tit 1 - Champ d'application de la responsabilité contractuelle 13 - 141

Chap. 1 - Exclusion de la responsabilité contractuelle pour les situations


non contractuelles 14 - 100
Sect. 1 - Situations sans contrats 14 - 21
Art. 1 - Exemples de rapport non contractuel 16 - 18
Art. 2 - Exemples de rapports contractuels 19 - 21
Sect. 2 - Situations liées à la formation du contrat 22 - 37
Art. 1 - Rupture fautive des négociations contractuelles 22 - 26
Art. 2 - Éviction irrégulière d'un candidat à l'attribution d'un contrat public
27 - 37
Sect. 3 - Situations où le contrat est nul, « invalide » ou annulé (cas
de responsabilité extracontractuelle entre les parties) 38 - 53
Art. 1 - Recours en contestation de validité du contrat 38 - 43
Art. 2 - Question de procédure : jurisprudence « Citécable Est » 44 - 46
Art. 3 - Actions en responsabilité extra-contractuelle 47 - 53
§ 1 - Responsabilité quasi contractuelle : enrichissement sans cause 47
- 48
§ 2 - Responsabilité quasi délictuelle : la faute de l'administration 49 -
51
§ 3 - Dispositions législatives spéciales 52 - 53
Sect. 4 - Situations où le contrat est achevé 54 - 78
Art. 1 - Principes généraux 55 - 60
Art. 2 - Perpétuation des effets de certaines clauses contractuelles après
l'expiration du contrat 61
Art. 3 - Cas particulier des garanties postcontractuelles dans les contrats
publics de fournitures ou de services 62 - 65
Art. 4 - Cas particulier des garanties postcontractuelles dans les contrats
publics de travaux 66 - 78
§ 1 - Réception des travaux 66 - 75
§ 2 - Cas particulier des obligations contractuelles des maîtres d'œuvre
après la réception des ouvrages 76 - 78
Sect. 5 - Situations où le requérant est un tiers par rapport au contrat 79 -
100
Art. 1 - Les tiers au contrat ne peuvent se prévaloir des stipulations de ce
contrat pour rechercher la responsabilité contractuelle ou quasi délictuelle
des cocontractants 80 - 88
§ 1 - Principe 80 - 83
§ 2 - Exceptions 84 - 88
Art. 2 - Les tiers au contrat peuvent rechercher la responsabilité
délictuelle ou quasi délictuelle des cocontractants 89 - 100
Chap. 2 - Primauté de la responsabilité contractuelle en cas de situation
contractuelle 101 - 119
Sect. 1 - Exclusion de toute autre forme de responsabilité 103 - 106
Art. 1 - Exclusion des responsabilités extracontractuelles pour faute 103 -
105
Art. 2 - Exclusion des responsabilités extracontractuelles sans faute 106
Sect. 2 - Portée du principe de primauté 107 - 119
Art. 1 - Conséquences sur le terrain de la compétence juridictionnelle 107
- 108
Art. 2 - Conséquences procédurales 109 - 119
§ 1 - Irrecevabilité des requêtes mal fondées 110 - 111
§ 2 - La responsabilité contractuelle n'est pas d'ordre public 112 - 119
Chap. 3 - Clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité contractuelle
120 - 141
Sect. 1 - Questions de légalité 121 - 138
Art. 1 - Clauses exonératoires de responsabilité 121 - 128
Art. 2 - Clauses limitatives de responsabilité 129 - 138
Sect. 2 - Portée 139 - 141

Tit 2 - Conditions d'existence de la responsabilité contractuelle 142 -


320

Chap. 1 - Fait générateur 143 - 276


Sect. 1 - Faute contractuelle 146 - 213
Art. 1 - Fautes de l'administration contractante 146 - 193
§ 1 - Non-exécution, par l'administration, de ses obligations
contractuelles 147 - 152
§ 2 - Mauvaise exécution, par l'administration, de ses obligations
contractuelles 153 - 157
§ 3 - Retard, par l'administration, à exécuter ses obligations
contractuelles 158 - 160
§ 4 - Travaux supplémentaires demandés au cocontractant 161 - 167
§ 5 - Manquements de l'administration à ses obligations contractuelles
de nature financière 168 - 179
§ 6 - Exercice irrégulier, par l'administration, de ses prérogatives
contractuelles 180 - 193
Art. 2 - Fautes du cocontractant de l'administration 194 - 208
§ 1 - Généralités 194 - 200
§ 2 - Fautes de l'architecte 201 - 202
§ 3 - Fautes de l'entrepreneur 203
§ 4 - Portée des clauses pénales 204 - 208
Art. 3 - Degré de la faute 209 - 213
Sect. 2 - Faits non fautifs 214 - 276
Art. 1 - Exercice régulier, par l'administration contractante, de ses
prérogatives contractuelles de puissance publique 216 - 222
§ 1 - Exercice régulier du pouvoir de modification unilatérale
dans un but d'intérêt général 217 - 218
§ 2 - Exercice régulier du pouvoir de résiliation unilatérale dans un but
d'intérêt général 219 - 222
Art. 2 - Exercice régulier, par l'administration contractante, de ses
prérogatives extracontractuelles de puissance publique : le fait du prince
223 - 246
§ 1 - Conditions préalables à l'existence d'un fait du prince 224 - 230
§ 2 - Les hypothèses de fait du prince 231 - 246
Art. 3 - Existence d'une situation d'imprévision 247 - 276
§ 1 - Définitions 248 - 253
§ 2 - Conditions de l'obligation d'indemnisation à la charge
de l'administration contractante 254 - 276
Chap. 2 - Préjudice 277 - 308
Sect. 1 - Preuve de l'existence d'un préjudice 278 - 283
Sect. 2 - Existence d'un préjudice réparable 284 - 308
Art. 1 - Caractères du préjudice réparable 284 - 297
§ 1 - Le préjudice doit être certain 285 - 290
§ 2 - Le préjudice doit être spécial en cas de fait du prince 291 - 297
Art. 2 - Nature du préjudice réparable 298 - 308
§ 1 - Préjudice matériel 298 - 299
§ 2 - Préjudice moral 300 - 308
Chap. 3 - Lien de causalité 309 - 320
Sect. 1 - Nécessité du lien de causalité 315 - 318
Sect. 2 - Méthodes de détermination du lien de causalité par le juge
administratif du contrat 319 - 320

Tit 3 - Mise en œuvre de la responsabilité contractuelle 321 - 478

Chap. 1 - Débiteur de l'obligation de réparation contractuelle 324 - 412


Sect. 1 - Obligation à la dette 327 - 385
Art. 1 - Le contractant, auteur du fait générateur, seul obligé à la dette
327 - 345
§ 1 - Principes : théorie de l'imputabilité 327 - 334
§ 2 - Portée du principe 335 - 345
Art. 2 - Exonération de l'obligation à la dette 346 - 385
§ 1 - Fait de force majeure 347 - 368
§ 2 - Faute de la victime ou fait du cocontractant 369 - 377
§ 3 - Cas fortuit 378
§ 4 - Caractère non exonératoire du fait du tiers 379 - 385
Sect. 2 - Contribution à la dette 386 - 412
Art. 1 - Situations ordinaires 388 - 391
Art. 2 - Situations en l'absence de clauses organisant la contribution
à la dette 392 - 404
§ 1 - Pluralité de contractants liée à une pluralité de contrats 392 - 399
§ 2 - Pluralité de contractants dans un même contrat 400 - 404
Art. 3 - Situations en présence de clauses de solidarité 405 - 412
Chap. 2 - Réparation du préjudice subi 413 - 478
Sect. 1 - Modalités de fond 414 - 445
Art. 1 - Réparation en nature 415 - 426
§ 1 - Réparation en nature par l'administration cocontractante 417 -
420
§ 2 - Réparation en nature par le cocontractant de l'administration 421 -
426
Art. 2 - Réparation en argent 427 - 445
§ 1 - Principe de la réparation intégrale du préjudice 429 - 434
§ 2 - TVA 435 - 436
§ 3 - Intérêts 437 - 445
Sect. 2 - Modalités procédurales 446 - 478
Art. 1 - Titulaire de l'action en réparation 447 - 457
§ 1 - Situation en cas de pluralité de cocontractants 447 - 450
§ 2 - Situations en cas de succession de contractants 451 - 457
Art. 2 - Exercice de l'action en réparation 458 - 478
§ 1 - Principales règles procédurales 458 - 469
§ 2 - Stipulations contractuelles organisant une procédure pré-
contentieuse 470 - 478

Bibliographie

DE LAUBADÈRE, MODERNE et DELVOLVÉ, Traité des contrats administratifs,


e er
2  éd., t. 1 , 1983, p. 748 s. ; t. 2, 1984, p. 497 s., LGDJ. – HOEPFFNER, Droit
des contrats administratifs, 2016, Dalloz. – LLORENS, Contrat d'entreprise et
marché de travaux publics, 1981, LGDJ. – MODERNE, Les quasi-contrats
administratifs, 1995, Sirey. – POUYAUD, La nullité des contrats administratifs,
1991, LGDJ. – OUM OUM, La responsabilité contractuelle en droit administratif,
2014, coll. Bibliothèque de droit public, LGDJ. – RICHER et LICHÈRE, Droit des
e
contrats administratifs, 10  éd., 2016, LGDJ. – TERNEYRE, La responsabilité
contractuelle des personnes publiques en droit administratif, 1989, Economica. –
TERNEYRE, GUEZOU et autres, Droit des marchés publics, 4 tomes, Le Moniteur,
Mise à jour permanente. – UBAUD-BERGERON, Droit des contrats administratifs,
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2  éd., 2017, LexisNexis.
DE LAUBADÈRE, Les éléments d'originalité de la responsabilité contractuelle de
l'administration, Mélanges Mestre, 1956, Sirey, p. 383 s. ; Les sanctions de
l'inexécution des contrats administratifs en droit français, Travaux de l'Association
H. Capitant, t. XVII, 1968, p. 257 s. – DELELIS, L'indemnisation du préjudice
contractuel : une approche comparée des contentieux administratif et judiciaire,
Mélanges M. Guibal, 2006, Montpellier, p. 223. – DELVOLVÉ, La détermination
des responsables dans le contentieux de la construction entre maître de
l'ouvrage, personne publique, et les constructeurs, Droit et ville 1977. 123. –
MODERNE, La détermination du patrimoine responsable dans le contentieux des
dommages de travaux publics, CJEG 1966. Chron. 43 et 67 ; 1967. Chron. 14 ;
La répartition des charges indemnitaires entre maître d'œuvre et entrepreneurs
dans le contentieux des dommages de travaux publics, CJEG 1968. Chron. 77 et
93 ; Les rapports entre responsabilité contractuelle, responsabilité décennale et
responsabilité extracontractuelle à propos des travaux publics de reconstruction,
D. 1971. Chron. 267 ; Recherches sur l'obligation in solidum dans la
jurisprudence administrative, EDCE 1973. 15. – PAILLET, Quelques réflexions sur
les rapports entre responsabilité administrative contractuelle et
extracontractuelle : sur la tyrannie du principe de primauté, Mélanges M. Guibal,
2006, Montpellier, p. 553.
ACTUALISATION
Code de la commande publique. Une ordonnance du 26 novembre 2018
o o
(n  2018-1074) et un décret du 3 décembre 2018 (n  2018-1075) adoptent
respectivement la partie législative et celle réglementaire du nouveau code
de la commande publique. Ce dernier a pour objectif de simplifier et
moderniser le droit de la commande publique en regroupant et en
organisant les règles relatives aux différents contrats de la commande
publique qui s'analysent, au sens du droit de l'Union européenne, comme
des marchés publics et des contrats de concession. Il abroge par suite
o
notamment les ordonnances n  2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux
o
marchés publics et n  2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de
er
concession. Ce nouveau code entre en vigueur le 1  avril 2019, tant pour sa
partie législative que pour sa partie réglementaire.

Crise Covid-19. Afin de faire face aux conséquences économiques,


financières et sociales de la propagation de l'épidémie de Covid-19 et aux
conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation et
notamment pour soutenir les entreprises qui rencontrent des difficultés dans
o
l'exécution des contrats publics, la loi n  2020-290 du 23 mars 2020
d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 a autorisé le
Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure adaptant « les
règles de passation, de délais de paiement, d'exécution et de résiliation,
notamment celles relatives aux pénalités contractuelles, prévues par le code
de la commande publique ainsi que les stipulations des contrats publics
ayant un tel objet ». toutefois, ces mesures ne peuvent être mises en œuvre
que dans la mesure où elles sont nécessaires pour faire face aux
conséquences de la propagation de l'épidémie de Covid-19 et des mesures
o
prises pour limiter cette propagation. En effet, l'ordonnance (n  2020-319 du
25 mars 2020) ne pose pas de présomption de force majeure, laquelle ne
peut être qualifiée qu'au cas par cas. Il appartient aux autorités
contractantes et aux opérateurs économiques de démontrer que les
difficultés qu'ils rencontrent du fait de l'épidémie ne permettent pas de
poursuivre les procédures ou l'exécution des contrats (pour aller plus loin,
o
v. Lettre de la DAJ, n  292, 26 mars 2020,
https://kiosque.bercy.gouv.fr/alyas/archives/035/035_292.pdf).

Généralités

1. Le présent fascicule a pour objet de rendre compte du droit applicable à la


responsabilité contractuelle à laquelle s'exposent les parties à un contrat de droit
public en cas de manquement à leurs engagements contractuels.
2. Même si la responsabilité contractuelle ou, plus précisément, l'obligation de
réparation contractuelle peut être considérée, selon l'approche unitaire de la
responsabilité civile, comme une obligation nouvelle, elle n'en demeure pas moins
toujours conditionnée par une obligation contractuelle préexistante. Sans contrat,
il ne peut y avoir de responsabilité contractuelle ; sans contrat administratif, il ne
peut y avoir de responsabilité contractuelle : le contrat administratif constitue par
conséquent la source exclusive de la responsabilité contractuelle de
l'administration et de son cocontractant. L'analyse de la notion de contrat
administratif, en tant que source de la responsabilité contractuelle, représente
ainsi la première démarche pour cerner le domaine de cette responsabilité en
droit administratif.

3. De manière générale, le contrat administratif est, comme tout contrat, un acte
juridique résultant d'un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes en
vue de déterminer leurs droits et obligations. Lorsqu'on est en présence d'un
authentique contrat, celui-ci est administratif, lorsqu'il répond à des critères à la
fois organiques et matériels ou à une définition législative.

4. Il n'est pas question de rendre compte ici, de manière exhaustive, de


l'ensemble de ces critères. Relevons seulement les principes généraux applicables
pour qu'un contrat soit administratif.

5. Tout d'abord il faut que le contrat soit conclu par une personne morale de droit
public avec une autre personne publique (auquel cas, il y a présomption
« d'administrativité », sauf dans le cas où, eu égard à son objet, il ne fait naître
entre les parties que des rapports de droit privé, T. confl. 21 mars 1983, UAP,
Lebon 537   ; AJDA 1983. 356, concl. Labetoulle) ou une personne de droit
privé.

6. En revanche, les contrats conclus entre personnes privées ne peuvent en


principe être des contrats administratifs ; ils sont normalement des contrats de
droit privé, dont le contentieux relève des juridictions judiciaires, et le régime de
responsabilité, du droit privé. Il en est ainsi même s'ils correspondent aux critères
matériels des contrats administratifs. Il n'en va différemment que si l'une des
personnes privées contractantes agit comme mandataire explicite d'une
collectivité publique (mandat du code civil, mandat de maîtrise d'ouvrage
déléguée, mandat du code de l'urbanisme), ou « transparente » par rapport à
celle-ci eu égard au fait qu'elle en contrôle l'organisation et le fonctionnement et
qu'elle lui procure l'essentiel de ses ressources (CE 21 mars 2007, Commune de
o
Boulogne-Billancourt, req. n  281796  , AJDA 2007. 915, note J.-D. Dreyfus   ;
D. 2007. 1937, note M. Dreifuss  ).

7. En revanche, la jurisprudence du Conseil d'État et du Tribunal des conflits est


revenue sur la notion de « mandat implicite » donnée par une personne publique
à une personne privée et n'admet plus, sauf « conditions particulières »
(rarement réunies), que, dans ce cas, les contrats de la personne privée avec une
autre personne privée soient de droit public, par exemple dans les conventions
d'aménagement (CE 11 mars 2011, Cté d'agglomération du Grand Toulouse, req.
o
n  330722  , Lebon ; AJDA 2011. 534   ; AJCT 2011. 238, obs. O. Didriche  .
o
– T. confl. 11 déc. 2017, Cne de Capbreton, req. n  4103  , Lebon ; AJDA 2018.
267, chron. S. Roussel et C. Nicolas   ; AJDA 2017. 2445   ; RDI 2018. 122,
obs. M. Revert  ), dans les conventions d'exploitation d'ouvrage public (T. confl.
o
16 juin 2014, Sté d'exploitation de la Tour Eiffel, req. n  3944  , Lebon ; AJDA
2014. 1234  ) ou dans les concessions d'autoroutes (T. confl. 9 mars 2015,
me o
M  Rispal, req. n  3984, Lebon ; AJDA 2015. 481   ; AJDA 2015. 1204   ; AJDA
2015. 601, tribune G. Clamour  , chron. J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe   ;
AJCT 2015. 403, obs. J.-D. Dreyfus   ; RFDA 2015. 265, concl. N. Escaut   ;
RFDA 2015. 273, note M. Canedo-Paris   ; RTD com. 2015. 247, chron.
G. Orsoni  ), revenant en l'espèce sur la célèbre jurisprudence « Entreprise
o
Peyrot » (T. confl. 8 juill. 1963, req. n  1804  , Lebon).

8. Ensuite, le contrat conclu par une collectivité publique est administratif si la loi
dispose que la catégorie à laquelle il se rattache est administrative et/ou relève
de la compétence de la juridiction administrative. Ainsi des conventions relatives
à des travaux publics, à l'occupation du domaine public (CGPPP, art. L. 2331-1 
), des baux emphytéotiques conclus par les collectivités territoriales sur leur
domaine en application des articles L. 1311-2 et suivants du code général des
o
collectivités territoriales (CGCT, art. L. 1311-3-4 ), des marchés publics
o
ordinaires ou des marchés de partenariat (Ord. n  2015-899 du 23 juill. 2015,
art. 3) ou des concessions de service ou de travaux auxquelles sont assimilées les
o
délégations de service public (Ord. n  2016-65 du 29 janv. 2016, art. 3).

9. Enfin, s'il n'appartient à aucune de ces catégories, le contrat conclu par une
collectivité publique sera administratif, soit s'il fait participer le cocontractant à
l'exécution du service public (CE 20 avr. 1956, Épx Bertin, Lebon 167) qui,
notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante
dans l'exécution du contrat, implique, dans l'intérêt général, qu'il relève du
« régime exorbitant des contrats administratifs » (T. confl. 13 oct. 2014, Sté Axa
o
France, req. n  3963  , Lebon ; AJDA 2014. 2031   ; AJDA 2014. 2180, chron.
J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe   ; D. 2014. 2115, obs. M.-C. de Montecler   
; AJCT 2015. 48, obs. A.-S. Juilles   ; RFDA 2014. 1068, concl. F. Desportes  ).

10. Il faut cependant signaler une exception relative aux contrats conclus par les
services publics industriels avec leurs usagers : même s'ils constituent une
modalité d'exécution du service public et même s'ils comportent des clauses
exorbitantes du droit commun, ils ne sont pas des contrats administratifs (CE,
sect., 13 oct. 1961, Éts Campanon-Rey, Lebon 567).

11. Les singularités des contrats administratifs ainsi identifiés expliquent, au


moins en partie, la responsabilité contractuelle en droit administratif. Celle-ci est
liée, tout d'abord, comme pour tout contrat, en droit privé comme en droit
administratif, à l'accord de volontés qui unit les parties : elles ont pris des
engagements l'une envers l'autre ; il leur incombe de les respecter ; la
méconnaissance de ces engagements est de nature à entraîner leur
responsabilité. Il n'y a là rien qui soit propre au droit administratif. Il peut être
nécessaire de déterminer ce qu'ont exactement voulu les parties contractantes,
pour apprécier la portée de leurs droits et obligations et, corrélativement, leur
part de responsabilité. Pour ce faire, le juge administratif applique les règles
d'interprétation posées par le code civil (C. civ., art. 1188   : recherche de la
commune intention des parties ; C. civ., art. 1189   : interprétation des clauses
du contrat les unes par rapport aux autres). À cet égard, de la même façon que le
code civil dispose « qu'on ne peut interpréter les clauses claires et précises à
peine de dénaturation » (C. civ., art. 1192  ), le Conseil d'État juge « qu'un
recours en interprétation des stipulations contractuelles n'est recevable que dans
la mesure où il peut être valablement soutenu que ces stipulations sont obscures
ou ambiguës » (CE 8 nov. 2017, Sté Lyonnaise des eaux de France, req.
o
n  396589  , Lebon ; AJDA 2017. 2221  ). Mais, sous réserve de cette
interprétation, le contrat fait la loi des parties et doit être exécuté de bonne foi,
conformément à ce qu'il stipule. La méconnaissance de cette loi est de nature à
engager leur responsabilité.

12.  A priori, parce que les contrats administratifs obligent les parties à exécuter
leurs obligations avec la même force que dans les contrats de droit privé, la
responsabilité contractuelle en droit public est de même nature qu'en droit privé.
Toutefois, parce que, dans un contrat administratif, est présente une personne
publique – qui ne se départit jamais de ses prérogatives exorbitantes – et parce
que ce contrat est toujours peu ou prou relatif au service public, la responsabilité
contractuelle, notamment des personnes publiques, présente un certain degré
d'originalité tant en ce qui concerne son champ d'application, ses conditions
d'existence que sa mise en œuvre.

er
Titre 1 - Champ d'application de la responsabilité contractuelle

13. En l'absence d'un contrat régulièrement formé, en cas de contrat invalide, en


cas de contrat expiré ou avec des tiers au contrat, il ne peut y avoir de
responsabilité contractuelle : seules des hypothèses de responsabilités
extracontractuelles (quasi délictuelles et quasi contractuelles) sont
envisageables ; en présence d'un contrat régulièrement formé et en cours
d'exécution, il ne peut y avoir qu'une responsabilité contractuelle ; en cas de
clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité, la responsabilité
contractuelle peut être mise entre parenthèses.
er
Chapitre 1 - Exclusion de la responsabilité contractuelle
pour les situations non contractuelles

re
Section 1 - Situations sans contrats

14. Si le fait dommageable trouve sa source dans un rapport juridique de droit


public unilatéral, l'action en dommages et intérêts sera extracontractuelle (le plus
souvent, quasi délictuelle). S'il trouve son origine dans l'exécution d'un rapport
juridique authentiquement contractuel entre deux personnes, l'action sera
contractuelle. D'où, à chaque fois et au préalable, la nécessité de vérifier que la
victime est bien unie avec l'auteur du dommage par un contrat, c'est-à-dire un
accord de volontés générateur d'obligations réciproques juridiquement
sanctionnées.

15. À cet égard, du point de vue du juge de cassation, la question de savoir s'il
existe entre des personnes des relations contractuelles relève de l'appréciation
souveraine des juges du fond (CE 28 juin 1999, Min. Équipement c/ SICTOM des
o o
Combrailles, req. n  145849  et n  158026, Lebon T. 892  ).

er
Art. 1 - Exemples de rapport non contractuel

16. L'attribution de la gestion d'un service de transport collectif en Île-de-France


présente un caractère unilatéral qui exclut la qualification de marché public ou de
délégation de service public et, par voie de conséquence, la mise en jeu d'une
éventuelle responsabilité contractuelle d'une des parties intéressées (CE 13 juill.
o
2007, Cne de Rosny-sous-Bois, req. n  299207  , Lebon ; AJDA 2007. 2221   ;
o
BJCP 2007, n  55, p. 444, concl. Boulouis). Ne sont pas non plus d'authentiques
contrats les conventions de mise à disposition des services de l'État prévues par
les articles L. 421-2-6 et R. 490-2 du code de l'urbanisme, qui sont conclues à
titre gratuit et sont de droit lorsque les communes le demandent. Dans ce cas, la
responsabilité de l'État ne peut être engagée, sur un fondement quasi délictuel,
qu'en cas de refus ou de négligence d'exécuter un ordre ou une instruction du
o
maire (CE 27 oct. 2008, Cne de Poilly-les-Gien, req. n  297432  , Lebon ; AJDA
2008. 2097   ; AJDA 2008. 2458, concl. A. Courrèges   ; RDI 2009. 129, obs.
o
P. Soler-Couteaux   ; BJCP 2009, n  62, p. 76, concl. Courrèges).

17. De même, selon une jurisprudence constante, l'usager d'un service public
administratif est toujours, vis-à-vis du service, dans une situation légale et
réglementaire. En conséquence, quand bien même un tel usager signe avec le
service « un contrat de séjour » (dans un établissement médico-social),
l'administration n'engage sa responsabilité envers l'usager que sur un fondement
me o
quasi délictuel en cas d'accident (CE 5 juill. 2017, M  A., req. n  399977  , BJCP
o
2017, n  115, p. 355, concl. G. Pellissier ; AJDA 2017. 2418, note G. Clamour   ;
AJCT 2017. 572, obs. C. Otero   ; AJ Contrat 2017. 440, obs. F. Lepron  ).

18. De même enfin, lorsque l'administration fait des « promesses » à un


administré, y compris dans le cadre de négociations contractuelles, celles-ci ne
créent pas avec ce dernier une relation contractuelle et n'engagent, lorsqu'elles
ne sont pas tenues, que la responsabilité extracontractuelle de la personne
er o o
publique (CE 1  mars 2012, SCI Stemo, req. n  346673  , BJCP 2012, n  82,
p. 162, concl. B. Dacosta ; AJDA 2012. 462  ).

Art. 2 - Exemples de rapports contractuels

19. Les conventions conclues à titre onéreux et en dehors de toute obligation


entre l'État et les collectivités territoriales pour confier aux services déconcentrés
de l'État des travaux d'études, de direction et de surveillance de projets de ces
collectivités sont des contrats de louage d'ouvrage dont l'inexécution ou la
mauvaise exécution est susceptible d'engager la responsabilité de l'État dans les
conditions de droit commun (CE 12 mai 2004, Cne de la Ferté-Milon, req.
o
n  192595  , Lebon 226   ; AJDA 2004. 1378, note J.-D. Dreyfus   ; D. 2004.
1564   ; RFDA 2004. 1183, concl. E. Glaser   ; RFDA 2004. 1188, note F.
Moderne  ).

20. Dans le même sens, les conventions conclues par l'État et des régions pour la
réalisation d'une ligne ferroviaire, prévoyant des engagements financiers de
l'État, ont valeur contractuelle. Si l'État peut les résilier unilatéralement pour
motif d'intérêt général, il doit indemniser les collectivités au titre des préjudices
directs et certains subis (CE 21 déc. 2007, Région du Limousin et autres, req.
o
n  293260  , AJDA 2008. 7   ; AJDA 2008. 481, note J.-D. Dreyfus   ; BJCP
o
2008, n  57, p. 138, concl. Prada-Bordenave).

21. Les contrats d'agglomération conclus par une communauté, l'État, la région


et un département pour la mise en œuvre d'un projet d'agglomération présentent
le caractère de contrats susceptibles de mettre en jeu la responsabilité
contractuelle des contractants (CAA Bordeaux, 16 juill. 2013, Dpt de Tarn-et-
o
Garonne, req. n  12BX01432  , AJDA 2013. 2213, note J.-D. Dreyfus   ; AJCT
2013. 584, obs. M. Houser   ; AJCT 2016. 139, étude J.-D. Dreyfus  ). De
même, les contrats particuliers pris en application des contrats de plan État-
région permettent d'engager la responsabilité contractuelle de l'État (TA
o
Toulouse, 11 juill. 2014, Région Midi-Pyrénées, req. n  100809, Contrats Marchés
o
publ. 2014, n  272).

Section 2 - Situations liées à la formation du contrat

er
Art. 1 - Rupture fautive des négociations contractuelles

22. La rupture unilatérale par la personne publique, pour un motif d'intérêt


général, des négociations préalables à la passation n'est pas de nature à engager
sa responsabilité pour faute. Cette responsabilité peut, toutefois, être mise en
cause lorsque la personne publique, au cours des négociations, a incité son
partenaire à engager des dépenses en lui donnant, à tort, l'assurance qu'un tel
contrat serait signé, sous réserve que ce dernier n'ait pu légitimement ignorer le
risque auquel il s'exposait (CE 9 déc. 2016, Sté Foncière Europe, req.
o o
n  391840  , BJCP 2017, n  111, p. 123, concl. G. Pessissier ; AJDA 2017. 690,
note G. Clamour   ; AJDA 2016. 2407   ; AJCT 2017. 291, obs. M. Yazi-Roman   
; AJ Contrat 2017. 83, obs. F. Lepron   ; RTD com. 2017. 297, obs.
F. Lombard  ).

23. Par exemple, dans l'hypothèse où un avant-projet commandé par un hôpital


impliquait d'importantes études d'ingénierie, les architectes avaient demandé à
l'hôpital qu'une société collabore avec eux en qualité de bureau d'études
techniques. L'hôpital, en ne s'opposant pas à cette demande et ayant même
engagé des pourparlers, en vue de conclure une convention avec la société,
engage sa responsabilité extracontractuelle pour faute « en laissant celle-ci
collaborer à l'établissement de l'avant-projet, tout en s'abstenant de signer
finalement la convention préparée » (CE 13 oct. 1978, Brunerie et Autres, Lebon
er
T. 934. – CE 1  juin 1984, Sté objectif Conseil, Lebon T. 666. – CE 11 oct. 1985,
CGCT, Lebon 282. – CE 23 mai 1986, EPR de Bretagne c/ Sté Ouest audiovisuel,
D. 1986. IR 421, note Terneyre. – CAA Nantes, 7 mai 1991, Cne de Mauves-sur-
o
Loire, req. n  89NT00418  , Lebon T. 691   ; RFDA 1992. 824, obs. J.-C. Hélin 
). De même, l'autorité exécutive commet une illégalité constitutive d'une faute de
service en rompant des pourparlers que l'autorité délibérante l'avait obligée à
conclure (TA Lille, 15 juin 1974, Sté d'Aménagement de Bray-Dunes, Lebon 724).
Compte tenu d'un ensemble d'engagements conclus par le maire d'une commune
et du contexte dans lequel ils sont intervenus, le juge relève l'existence d'une
promesse de conclure un marché de travaux faite au nom de cette commune. Le
non-respect de cette promesse engage la responsabilité de la collectivité
o
(CE 26 sept. 2007, Sté Procédé et Matériel de construction, req. n  247277  ,
o
AJDA 2007. 2279   ; BJCP 2007, n  55, p. 466, concl. Boulouis).
24. Par ailleurs, le fait d'inciter le particulier à entreprendre des travaux sans
s'être assuré, d'une part, du financement de ceux-ci et, d'autre part, des
approbations nécessaires à la validité du contrat, est également constitutif d'une
faute quasi délictuelle de l'autorité administrative. À cet égard, le juge
administratif est compétent pour connaître de l'action en responsabilité d'une
personne publique contre une entreprise ayant présenté une offre dans le cadre
de la procédure de passation d'un marché public mais ayant ensuite refusé de
o
signer le marché (T. confl. 23 mai 2005, Dpt de la Savoie, req. n  3450  , AJDA
o
2005. 1151   ; BJCP 2005, n  43, p. 467, concl. Roul).

25. Toutefois, ces fautes sont le plus souvent atténuées par « l'imprudence » du


requérant à avoir exécuté un contrat qu'il savait irrégulier : « le maire de la
commune de Gourbeyre a, en incitant (…) la société Procédés et matériels de
construction à exposer des dépenses sans qu'un marché régulier ait été
préalablement conclu, commis une faute de nature à engager la responsabilité de
la commune ; que si, par elle-même, la décision de consentir à la même société
le bail du 17 août 1990 ne peut être regardée comme comportant l'engagement
de lui confier les travaux de construction des logements en vue desquels devait
être édifiée sur le terrain donné à bail une usine de fabrication de composants en
béton, le maire a également commis une faute de nature à engager la
responsabilité de la commune en incitant cette société (…) à engager les travaux
de construction de l'usine en cause en l'absence même de permis de construire.
(…) [Cependant], la société (…) a commis, eu égard à sa qualité de professionnel
de la construction, une grave imprudence en exposant des dépenses importantes
(…) ; la commune de Gourbeyre est fondée à demander, pour ce motif, que sa
responsabilité soit limitée à hauteur de 30 % des conséquences dommageables
de ses agissements fautifs » (CE 26 sept. 2007, Sté Procédé et Matériel de
o
construction, req. n  247277  , AJDA 2007. 2279  ).

26. Par ailleurs, alors même que l'administration aurait donné des assurances
que le contrat serait signé, cet « engagement » ne peut créer aucun droit à la
conclusion du contrat. La perte du bénéfice que le partenaire pressenti escomptait
de l'opération ne saurait, dans cette hypothèse, constituer un préjudice
o
indemnisable (CE 9 déc. 2016, Sté Foncière Europe, req. n  391840  , Lebon ;
AJDA 2017. 690, note G. Clamour   ; AJDA 2016. 2407   ; AJCT 2017. 291, obs.
M. Yazi-Roman   ; AJ Contrat 2017. 83, obs. F. Lepron   ; RTD com. 2017. 297,
obs. F. Lombard  ).

Art. 2 - Éviction irrégulière d'un candidat à l'attribution d'un contrat


public
27. Lorsque le candidat à l'attribution d'un marché public, concession d'une ou de
toute autre catégorie de contrat dont la conclusion est subordonnée à
l'observation de mesures de publicité et de mise en concurrence, est
irrégulièrement évincé ou ne peut faire acte de candidature par suite d'une
décision illégale de l'administration, ce candidat est en droit de former, à partir de
la conclusion du contrat et devant le juge du contrat, un recours de pleine
juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses
assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires en réparation des droits lésés
o
(CE, ass., 4 avr. 2014, Dpt Tarn-et-Garonne, req. n  358994  , Lebon, concl. ;
AJDA 2014. 764   ; AJDA 2014. 1035, chron. A. Bretonneau et J. Lessi   ; AJDA
2014. 945, tribune S. Braconnier   ; D. 2014. 1179, obs. M.-C. de Montecler  ,
note M. Gaudemet et A. Dizier   ; RDI 2014. 344, obs. S. Braconnier   ; AJCT
2014. 375, obs. S. Dyens   ; AJCT 2014. 380, interview S. Hul   ; AJCT 2014.
434, pratique O. Didriche   ; AJCT 2015. 32, pratique S. Hul   ; AJCA 2014. 80,
obs. J.-D. Dreyfus   ; RFDA 2014. 425, concl. B. Dacosta   ; RFDA 2014. 438,
note P. Delvolvé   ; RTD com. 2014. 335, obs. G. Orsoni   ; Rev. UE 2015. 370,
o
étude G. Eckert   ; BJCP 2014, n  94, p. 204, concl. B. Dacosta, note Ph. T.).

ACTUALISATION
27. Recours Tarn-et-Garonne. Moyens du concurrent évincé. - Une
erreur commise par l'acheteur public sur le prix de la prestation prévue par
un marché ne constitue pas, par elle-même, un vice du consentement
entraînant l'annulation du contrat (CE 9 nov. 2018, Sté Cerba, req.
o
n  420654  , Lebon ; AJDA 2018. 2215, obs. M.-C. de Montecler  ).

Notion de vice d'une particulière gravité entraînant l'annulation du


contrat. Des vices révélant une volonté de la personne publique de favoriser
un candidat conduisent le juge à annuler un contrat de concession. Le fait
que celui-ci soit arrivé à son terme ne prive pas d'objet la mesure
d'annulation (CE 15 mars 2019, Sté anonyme gardéenne d'économie mixte,
o
req. n  413584  , AJDA 2019. 606, obs. Maupin  ).

Recours gracieux du préfet. Interruption du délai du recours Tarn-et-


Garonne. Un recours gracieux du préfet auprès de l'exécutif d'une collectivité
territoriale mettant en cause la validité d'un contrat interrompt le délai de
deux mois dont le représentant de l'État dispose pour saisir le juge aux
termes de la jurisprudence Tarn-et-Garonne du 4 avr. 2014 (CE 28 juin 2019,
o
Sté Plastic omnium systèmes urbains, req. n  420776  , Lebon ; AJDA 2019.
1371  ).

Publicité de la conclusion d'un contrat. La publication d'un avis


mentionnant la conclusion d'un contrat et les modalités de sa consultation fait
courir le délai de recours de deux mois ouverts aux tiers par la jurisprudence
Tarn-et-Garonne pour contester la validité du contrat, même si cet avis ne
mentionne pas la date de conclusion du contrat (CE 3 juin 2020, Centre
hospitalier d'Avignon, Société hospitalière d'assurances mutuelles, req.
o
n  428845, AJDA 2020. 1146, obs. de Montecler  ).

Application dans le temps de la jurisprudence Tarn-et-Garonne. Le


Conseil d'État précise les conditions d'application de la jurisprudence Tarn-et-
Garonne à un avenant. Si cette jurisprudence ne trouve à s'appliquer qu'à
l'encontre des contrats signés à compter du 4 avril 2014, la haute juridiction
précise toutefois que « dans le cas où est contestée la validité d'un avenant à
un contrat, la détermination du régime de la contestation est fonction de la
date de signature de l'avenant, un avenant signé après le 4 avril 2014 devant
être contesté dans les conditions prévues par [cette] décision […] quand bien
même il modifie un contrat signé antérieurement à cette date » (CE 20 nov.
o
2020, Assoc. Trans'Cub, req. n  428156, Lebon ; AJDA 2020. 2291  ).

28. Ainsi, en vue d'obtenir réparation de ses droits lésés, le concurrent a la


possibilité de présenter devant le juge du contrat des conclusions indemnitaires, à
titre accessoire ou complémentaire à ses conclusions à fin de résiliation ou
d'annulation du contrat. Il peut également engager un recours de pleine
juridiction distinct, tendant exclusivement à une indemnisation du préjudice subi
à raison de l'illégalité de la conclusion du contrat dont il a été évincé. Dans les
deux cas, la présentation de conclusions indemnitaires par le concurrent évincé
n'est pas soumise au délai de deux mois suivant l'accomplissement des mesures
de publicité du contrat, applicable aux seules conclusions tendant à sa résiliation
ou à son annulation (CE 11 mai 2011, Sté Rebillon Schmit Prevot, req.
o o
n  347002  , BJCP 2011, n  76, p. 226, concl. Boulouis).

29. La recevabilité des conclusions indemnitaires, présentées à titre accessoire ou


complémentaire aux conclusions contestant la validité du contrat, est en revanche
soumise, selon les modalités du droit commun, à l'intervention d'une décision
préalable de l'administration de nature à lier le contentieux. Elles doivent
également, à peine d'irrecevabilité, être motivées et chiffrées. Il n'appartient en
effet pas au juge du contrat, saisi d'un tel recours contestant la validité du
contrat, d'accorder au concurrent évincé une indemnité alors même que celui-ci
n'aurait pas formulé de conclusions en ce sens (CE 11 mai 2011, Sté Rebillon,
o
req. n  347002  , préc.).

30. Son action indemnitaire est par ailleurs subordonnée au fait qu'il ait qualité
pour demander une telle indemnité, ce qui n'est pas le cas lorsqu'il n'a pas été
admis à présenter une offre dans le cadre d'un appel d'offres restreint (CE 6 déc.
o o
1995, Dpt de l'Aveyron et Sté J.-C. Decaux, req. n  148964  et n  149403,
Lebon 428  ) ou lorsqu'il n'est pas capable de réaliser la totalité du contrat
o
(CAA Lyon, 27 janv. 2000, M. Rouchy, BJCP 2000, n  11, p. 284). En revanche,
une entreprise qui avait manifesté, lors d'un appel d'offres finalement déclaré
infructueux, son intérêt à obtenir un marché peut demander réparation du
préjudice résultant des irrégularités ayant entaché, selon elle, la procédure de
passation du marché négocié qui a suivi, alors même qu'elle s'est abstenue de
présenter une offre lors de cette seconde consultation afin de protester contre ces
o
irrégularités (CE 12 mars 1999, Entreprise Porte, req. n  171293  , Lebon
T. 889  ). En revanche, l'éventuel préjudice causé à une société en liquidation
par l'interruption des négociations pour l'attribution d'une délégation de service
public (DSP) présente un caractère indirect pour les associés de la société qui ne
justifient dès lors d'aucun intérêt à agir pour demander à être indemnisés en leur
nom propre (CAA Douai, 23 mars 2004, MM. X et Y, Contrats Marchés publ. 2004,
o
n  127).

31. En outre, au cas où une loi valide les illégalités commises par l'administration
dans la conclusion d'un contrat sous réserve « des droits éventuels à
l'indemnisation des tiers », cette loi doit être comprise comme n'excluant pas la
possibilité de mettre en cause la responsabilité de l'administration pour l'illégalité
o
commise (CE 30 juin 1999, Sarfati, req. n  193925  , Lebon 222  ).

32. Enfin, pour déterminer si une entreprise, qui n'a pu utilement se porter


candidate dans les opérations de passation d'un contrat déclarées irrégulières,
dispose d'un droit à être indemnisée, il appartient au juge du fond de vérifier
d'abord si l'entreprise était dépourvue de toute chance de remporter le marché ;
dans l'affirmative l'entreprise n'a droit à aucune indemnité ; dans la négative, elle
a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter
son offre ; dans le cas où l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le
marché, elle a droit à l'indemnisation de l'intégralité du manque à gagner qu'elle
a subi (V. jurisprudence constante, CE 7 juin 2010, Sté des transports Galiero,
o o
req. n  308883  . – CE 27 oct. 2010, Sté Pradeau et Morin, req. n  318023  ).

33. S'agissant de la détermination des chances à obtenir le contrat, la


jurisprudence distingue ainsi plusieurs cas de figure :

– tout d'abord, lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la


réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'irrégularité ayant, selon
lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si
cette irrégularité est établie, de vérifier qu'elle est la cause directe de l'éviction du
candidat et, par suite, qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute en
résultant et le préjudice dont le candidat demande l'indemnisation (CE 10 juill.
o
2013, Compagnie martiniquaise de transports, req. n  362777  , Lebon T. 699 ;
AJDA 2013. 1482  ). Il s'ensuit que, lorsque l'irrégularité ayant affecté la
procédure de passation n'a pas été la cause directe de l'éviction du candidat, il
n'y a pas de lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les
préjudices invoqués par le requérant à raison de son éviction. Sa demande de
réparation des préjudices allégués ne peut alors qu'être rejetée. Ainsi, alors
même que la société n'était pas dépourvue de toute chance de remporter le
marché, l'absence d'encadrement des modalités de présentation des variantes
dans les documents de la consultation, qui méconnaissait l'article 50 du code des
marchés publics, n'a affecté ni la sélection des candidatures, ni le choix de l'offre
économiquement la plus avantageuse, dès lors que les entreprises candidates
er o
n'ont pas présenté de variante (CE 1  févr. 2017, Sté Bancel, req. n  393720,
o
AJDA 2017. 317   ; AJCT 2017. 284, obs. S. Hul   ; BJCP 2017, n  112, p. 173,
concl. O. Henrard) ;

– ensuite, lorsque l'entreprise évincée n'a « jamais été mise en position d'obtenir
o
le marché » (CE 19 avr. 1985, Cne de Vitrolles, Dr. adm. 1985, n  291) ou si
l'éviction est la conséquence d'une irrégularité formelle dans l'attribution du
marché mais que son offre était de toutes les façons irrecevable (insuffisance des
garanties professionnelles ou financières, offre de prix anormalement basse, etc.)
ou irrégulière, le candidat non retenu ne peut prétendre à aucune indemnité
(CE 4 juin 1976, Desforets, Lebon 301. – CE 25 oct. 1978, SA Louis Borghèse,
Lebon T. 870. – CE 13 juin 1979, Sté Olgema, Lebon T. 794. – CE 9 déc. 1987,
Chambre d'agriculture des Deux-Sèvres, Lebon 404. – CE 8 oct. 2014, SIVOM de
o o
Saint-François Longchamp Montgellafrey, req. n  370990  , BJCP 2015, n  98,
p. 49, concl. B. Dacosta) ;

– lorsque l'entreprise évincée n'a « jamais été mise en position d'obtenir le


o
marché » (CE 19 avr. 1985, Cne de Vitrolles, Dr. adm. 1985, n  291) ou si
l'éviction est la conséquence d'une irrégularité formelle dans l'attribution du
marché mais que son offre était de toutes les façons irrecevable (insuffisance des
garanties professionnelles ou financières, offre de prix anormalement basse,
etc.), le candidat non retenu ne peut prétendre à aucune indemnité (CE 4 juin
1976, Desforets, Lebon 301. – CE 25 oct. 1978, SA Louis Borghèse, Lebon
T. 870. – CE 13 juin 1979, Sté Olgema, Lebon T. 794. – CE 9 déc. 1987,
Chambre d'agriculture des Deux-Sèvres, Lebon 404. – CAA Douai, 28 mai 2003,
o
SARL Henri Ciceron, req. n  00DA00273  , Lebon T   ; JCP Adm. 2003,
o
n  2079) ;

– lorsque l'entreprise évincée possédait « une chance sérieuse » d'emporter le


marché (candidat moins disant et présentant toutes garanties, candidat à égalité
de qualités par rapport à l'entreprise retenue, etc.), le candidat non retenu a droit
au remboursement des frais inutilement exposés pour participer au concours et à
une partie du manque à gagner (CE 28 mars 1980, Centre hospitalier de Seclin,
Lebon T. 787 ; Rev. marchés publ. mars 1981, p. 24, concl.
o
Latournerie. – CE 13 oct. 1993, Cne des Mées c/ Sté Someco, req. n  142080  ,
inédit, D. 1994. Somm. 226, obs. Terneyre  ) ;
– lorsque l'entreprise évincée avait « une chance très sérieuse » d'emporter le
marché (candidat retenu puis évincé, seul candidat sérieux et/ou capable), le
candidat non retenu a droit au remboursement de l'intégralité du manque à
gagner et des frais engagés (CE 10 janv. 1986, Sté des travaux du Midi, Lebon
T. 717 ; D. 1986. IR 422, obs. Terneyre. – CE 18 nov. 1988, Min. Intérieur
c/ SARL Les voyages Brounais, Lebon T. 964 ; D. 1989. Somm. 351, obs.
Moderne et Bon, Rev. adm. 1989. 32, note Terneyre. – CE 21 sept. 1992, Cne de
o
Bagnols-sur-Cèze, req. n  111555  , Lebon T. 11105  . – CE 7 nov. 2001, SA
o
Quillery, Contrats Marchés publ. 2002, n  6. – TA Cergy-Pontoise, 20 nov. 2001,
o
Sté Cegelec Paris, BJCP 2002, n  21, p. 158. – CAA Douai, 21 mai 2002, Sté Jean
o
Behotar, req. n  98DA11064, AJDA 2003. 232  . – CAA Nantes, 14 mars 2003,
o
Sté Gallaud, BJCP 2003, n  32, p. 69. – CAA Douai, 28 mai 2003, Entreprise
o
Delattre c/ Cne d'Amiens, Contrats Marchés publ. 2003, n  203. – CAA Bordeaux,
31 juill. 2003, Sté Bourbonnaise de TP, Contrats Marchés publ. 2003,
o o o
n  170. – CE 27 janv. 2006, Cne d'Amiens, req. n  259374  , BJCP 2006, n  45,
p. 97, concl. Boulouis. – CAA Lyon, 4 nov. 2010, Sté Holding Soprema, req.
o
n  08LY01008, AJDA 2011. 182  . – V., dans ces derniers arrêts, le calcul concret
des bases du manque à gagner).

ACTUALISATION
33. Évaluation des préjudices d'un candidat évincé à l'issue d'une
procédure irrégulière. - Dans le cadre d'un litige portant sur l'éviction d'un
candidat d'un contrat public à l'issue d'une procédure irrégulière, le juge
détermine quels préjudices pouvaient être effectivement indemnisés au
regard des pièces du dossier (CE 28 févr. 2020, Sté Régal des Iles, req.
o
n  426162, Lebon ; AJDA 2020. 487, obs. Benoit  ).

Offre régularisable et perte de chance sérieuse d'obtenir le marché.


Lorsque l'offre d'un candidat évincé était irrégulière et alors même que l'offre
de l'attributaire l'était aussi, la circonstance que le pouvoir adjudicateur
aurait été susceptible de faire usage, dans les conditions désormais prévues
par l'article R. 2152-2 du code de la commande publique, de la faculté de
l'autoriser à régulariser son offre n'est pas de nature, par elle-même, à ce
qu'il soit regardé comme n'ayant pas été dépourvu de toute chance de
remporter le contrat (CE 18 déc. 2020, Sté Architecture Studio, req.
o
n  429768, AJDA 2020. 2527, obs. Maupin  ).

34. Dans ce dernier cas de figure, l'indemnisation du manque à gagner inclut


nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de
présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire
du contrat, d'une indemnisation spécifique (CE 18 juin 2003, Groupement
o
d'entreprises solidaires ETPO Guadeloupe, req. n  249630  , Dr. adm. 2003,
o
n  190). Par ailleurs, ce manque à gagner doit être déterminé en prenant en
compte le bénéfice net qu'aurait procuré ce marché à l'entreprise ; l'indemnité
due à ce titre, qui ne constitue pas la contrepartie de la perte d'un élément d'actif
mais est destinée à compenser une perte de recettes commerciales, doit être
regardée comme un profit de l'exercice au cours duquel elle a été allouée et
soumise, à ce titre, à l'impôt sur les sociétés (CE 19 janv. 2015, Sté Spie Est,
o o
req. n  384653  , Lebon ; AJCT 2015. 278, obs. S. Hul   ; BJCP 2015, n  100,
p. 201, concl. G. Pellissier).

ACTUALISATION
34. Évaluation du manque à gagner. Prise en compte de la seule
période d'exécution initiale du marché. - Lorsqu'il est saisi par une
entreprise qui a droit à l'indemnisation de son manque à gagner du fait de
son éviction irrégulière à l'attribution d'un marché, il appartient au juge
d'apprécier dans quelle mesure ce préjudice présente un caractère certain.
Dans le cas où le marché est susceptible de faire l'objet d'une ou de plusieurs
reconductions si le pouvoir adjudicateur ne s'y oppose pas, le manque à
gagner ne revêt un caractère certain qu'en tant qu'il porte sur la période
d'exécution initiale du contrat, et non sur les périodes ultérieures qui ne
peuvent résulter que d'éventuelles reconductions (CE 2 déc. 2019,
Groupement de coopération sanitaire du Nord-Ouest Touraine, req.
o
n  423936, AJDA 2019. 2467, obs. Maupin  ).

35. En revanche, un candidat évincé ne peut prétendre à l'indemnisation de son


manque à gagner si la personne publique a renoncé à conclure le contrat pour un
o
motif d'intérêt général (CE 19 déc. 2012, Simon, req. n  355139  , Lebon ; AJDA
o
2013. 5   ; AJCT 2013. 244, obs. R. Bonnefont   ; BJCP 2013, n  88, p. 198,
concl. B. Dacosta).

36. Le Conseil d'État s'est interrogé sur la question de savoir s'il devait appliquer
à l'indemnisation des préjudices subis par les candidats irrégulièrement évincés
de l'attribution d'un contrat public sa jurisprudence sur l'indemnisation des pertes
de chance de guérison en matière de responsabilité hospitalière évaluée à une
fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance
perdue. Le Conseil d'État a préféré maintenir la solution traditionnelle dans le
o
domaine contractuel (CE 8 févr. 2010, Cne de La Rochelle, req. n  314075  ,
o
AJDA 2010. 240   ; BJCP 2010, n  70, p. 169, concl. Dacosta).

37. La jurisprudence française, qui ne subordonne pas l'indemnisation à la gravité


ou au caractère intentionnel de l'illégalité commise, est donc a priori conforme à
la directive Recours 89/665 qui « doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose
à une réglementation nationale subordonnant le droit d'obtenir des dommages et
intérêts en raison d'une violation du droit des marchés publics par un pouvoir
adjudicateur au caractère fautif de cette violation » (CJUE 30 sept. 2010, Stadt
o
Graz, aff. C-314/09  , AJDA 2010. 1857   ; BJCP 2010, n  76, p. 444).

Section 3 - Situations où le contrat est nul, « invalide » ou annulé (cas


de responsabilité extracontractuelle entre les parties)

er
Art. 1 - Recours en contestation de validité du contrat

38. On a vu ci-dessus que tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être


lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation
ou ses clauses est désormais recevable à former devant le juge du contrat un
recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de
ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles ; ce recours pouvant en
outre être assorti de conclusions indemnitaires (« jurisprudence Tarn-et-
o
Garonne », préc. supra, n  27).

39. Symétriquement, les parties à un contrat administratif peuvent saisir le juge


du contrat, soit par voie d'action directe, soit par voie d'exception dans le cadre
d'un litige relatif à l'exécution du contrat, d'un recours de plein contentieux
contestant la validité du contrat qui les lie (jurisprudence « Béziers I », CE
o
28 déc. 2009, Cne de Béziers, req. n  304802  , Lebon, concl. ; AJDA 2010. 142,
chron. S.-J. LiébeBotteghi   ; D. 2011. 472, obs. S. Amrani-Mekki et B.
Fauvarque-Cosson   ; RDI 2010. 265, obs. R. Noguellou   ; AJCT 2010. 114,
pratique O. Didriche   ; RFDA 2010. 506, concl. E. Glaser   ; RFDA 2010. 519,
note D. Pouyaud   ; RTD com. 2010. 548, obs. G. Orsoni   ; Rev. UE 2015. 370,
étude G. Eckert  ).

ACTUALISATION
39. Recours Béziers I. Durée d'exercice du recours. - L'action en
contestation de la validité du contrat ouverte aux parties par la jurisprudence
o
Béziers I (CE, ass., 28 déc. 2009, Cne de Béziers, req. n  304802  ,
Lebon 509, concl. ; AJDA 2010. 142, chron. S.-J. Liéber et D. Botteghi  )
er
peut être exercée pendant toute la durée de ce contrat (CE 1  juill. 2019,
o
Assoc. pour le musée des îles Saint-Pierre-et-Miquelon, req. n  412243  ,
AJDA 2019. 1369, obs. de Montecler  ).

40. Toutefois, alors que précédemment à cette jurisprudence toute irrégularité


liée à la passation et à l'exécution du contrat était de nature à conduire le juge à
prononcer la nullité du contrat – permettant ainsi à l'une des parties de se délier
de ses engagements souscrits –, la jurisprudence « Béziers I » est venue mettre
un coup d'arrêt à ces déclarations de nullité : désormais, « eu égard à l'exigence
de loyauté des relations contractuelles » qui préside à l'exécution des contrats
administratifs, l'une des parties ne peut plus invoquer « l'invalidité » du contrat
(terme préféré à « nullité ») que si elle démontre le caractère illicite du contenu
du contrat ou l'existence d'un vice d'une particulière gravité relatif notamment
aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement.

41. En conséquence, après la signature du contrat et en cours d'exécution de


celui-ci, les irrégularités (réelles) relatives à la passation du contrat (CE 12 janv.
o
2011, Manoukian, req. n  338551  , Lebon ; AJDA 2011. 71   ; AJDA 2011. 665,
chron. A. Lallet et X. Domino   ; RDI 2011. 270, obs. S. Braconnier   ; AJCT
2011. 129, obs. A. Burel  ), à la transmission du contrat au contrôle de légalité
o
(CE 28 déc. 2009, Cne de Béziers, préc. supra, n  39), à la compétence du
signataire du contrat (CE 31 mai 2010, Cté d'agglomération Vichy Val d’Allier,
o
req. n  329483  , Lebon ; AJDA 2010. 1117   ; AJCT 2016. 139, étude J.-D.
o
Dreyfus  . – CE 8 oct. 2014, Cne d'Entraignes-sur-la-Sorgue, req. n  370588  ,
Lebon ; AJDA 2015. 175, note J. Martin   ; AJDA 2014. 1976   ; AJCT 2015. 41,
obs. J. Marchand  ) ou même au comportement dolosif du cocontractant ayant
commis en amont de la signature du contrat une entente anticoncurrentielle
o
(CE 24 févr. 2016, Dpt de l'Eure, req. n  395194  ), n'affectent pas la validité de
celui-ci. Les litiges entre les parties doivent alors être réglés sur le terrain
contractuel (autrement dit sur le fondement de la responsabilité contractuelle).

ACTUALISATION
41. Responsabilité quasi-délictuelle. Entente. Indemnisation. -
Reconnaissant implicitement la compétence du juge administratif, y compris
dans le cas où la collectivité victime de l'entente a mis en cause non
seulement son contractant mais aussi d'autres sociétés ayant participé à la
manœuvre anticoncurrentielle, la Haute juridiction administrative juge, en
application de la jurisprudence Département de l'Eure (CE 24 févr. 2016, req.
o
n  395194  , Lebon 144 avec les concl. ; AJDA 2016. 407  ), l'action
recevable en dépit de la faculté de la personne publique d'émettre un titre
exécutoire. Pour évaluer l'ampleur du préjudice subi par une personne
publique au titre du surcoût lié à des pratiques anticoncurrentielles, il
convient de se fonder sur la comparaison entre les marchés passés pendant
l'entente et une estimation des prix qui auraient dû être pratiqués sans cette
entente, en prenant notamment en compte la chute des prix postérieure à
son démantèlement ainsi que les facteurs exogènes susceptibles d'avoir eu
une incidence sur celle-ci (CE 27 mars 2020, Sté Signalisation France, req.
o
n  420491, AJDA 2020. 705   ; D. 2020. 764, obs. M.-C. de Montecler  )
Quelques mois après avoir confirmé le droit des départements à être
indemnisés dans l'affaire dite du « cartel des panneaux routiers » (CE
27 mars 2020, Sté Signalisation France, RDI 2020. 382, obs.
I. Hasquenoph  ), le Conseil d'État précise les actions ouvertes aux
départements victimes du dol imputable au cocontractant (CE 10 juill. 2020,
o
req. n  420045, AJDA 2020. 1446, obs. Pastor  )

42. En revanche, si l'objet du contrat est illicite (CE 10 juill. 2013, Cne de Vias,
o
req. n  362304  , Lebon ; AJDA 2013. 1480   ; RDI 2013. 552, obs. P. Soler-
Couteaux  ), si celui-ci n'a pas de cause (CE 15 févr. 2008, Cne La Londe-les-
o
Maures, req. n  279045  , Lebon ; AJDA 2008. 327   ; AJDA 2008. 575, chron.
J. Boucher et B. Bourgeois-Machureau  ), s'il contient une clause illicite de tacite
o
reconduction (CE 17 oct. 2016, Cne de Villeneuve-le-Roi, req. n  398131  ,
Lebon ; AJDA 2017. 231, note G. Clamour   ; AJDA 2016. 1954   ; AJCT 2017.
158, obs. P. Jacquemoire  ) ou si le consentement de l'administration a été vicié,
le juge du contrat prononce ou déclare l'invalidité du contrat (ou de la clause) et
le litige doit être réglé sur un terrain extracontractuel, c'est-à-dire, s'il est
indemnitaire, sur le fondement des responsabilités quasi contractuelles et quasi
délictuelles.

ACTUALISATION
42. Irrégularité d'une clause par son contenu illicite. - La Cour de
cassation évoque la jurisprudence établie Béziers I du Conseil d'État pour
écarter l'application d'une clause de révision des tarifs des droits de place
illégale d'un contrat tenant au caractère illicite du contenu de ces stipulations
re o
(Civ. 1 , 22 mai 2019, n  18-15.536, AJDA 2019. 1135, obs. Maupin  ).

Contrat irrégulier. Possibilité d'une résiliation unilatérale. Le Conseil


d'État précise les conditions dans lesquelles une personne publique peut
résilier unilatéralement un contrat irrégulier et les conditions d'indemnisation
de son cocontractant (CE 10 juill. 2020, Sté Comptoir négoce équipements,
o
req. n  430864, AJDA 2020. 1445, obs. Zaoui  )

43. Enfin, on notera que les parties à un contrat de la commande publique


peuvent aussi voir leur contrat annulé par le juge du référé contractuel.

Art. 2 - Question de procédure : jurisprudence « Citécable Est »

44. Lorsque le juge, saisi d'un litige engagé sur le terrain de la responsabilité


contractuelle, est conduit à constater, le cas échéant d'office, la nullité du contrat,
les cocontractants peuvent poursuivre le litige qui les oppose en invoquant, y
compris pour la première fois en appel, des moyens tirés de l'enrichissement sans
cause que l'application du contrat frappé de nullité ou d'invalidité a apporté à l'un
d'eux, ou de la faute consistant, pour l'un d'eux, à avoir passé un contrat nul,
bien que ces moyens, qui ne sont pas d'ordre public, reposent sur des causes
o
juridiques nouvelles (CE 20 oct. 2000, Sté Citecable Est, req. n  196553  ,
o
Lebon 457   ; BJCP 2001, n  14, p. 54, concl. Savoie). Il reste que ces moyens
doivent être formulés dans le délai d'appel (CAA Paris, 13 févr. 2003, M. Challier
o
c/ Cne de Savigny-sur-Orge, Contrats Marchés publ. 2003, n  149. – CE 9 déc.
o
2011, Cne d'Alès, req. n  342283  ). En revanche, le requérant n'est pas tenu de
saisir l'administration d'une nouvelle demande d'indemnisation (CE 18 sept. 2015,
o
Cne de Bora-Bora, req. n  376973  , Lebon ; AJDA 2015. 1721  ).

45. Cette jurisprudence « Citécable Est » a été étendue aux cas où le juge du


contrat constate l'absence de contrat (CE, sect., 19 juin 2015, SIPB SAS, req.
o
n  369558  , Lebon ; AJDA 2015. 1413, chron. J. Lessi et L. Dutheillet de
Lamothe   ; RDI 2015. 537, obs. N. Foulquier   ; AJCT 2015. 528, obs. J.-
D. Dreyfus   ; Constitutions 2015. 397, chron. J.-F. Giacuzzo  ) ou à celui où le
juge du contrat, saisi par le juge de l'exécution après annulation d'un acte
détachable, prononce la résolution du contrat (CE 19 juill. 2017, Aéroport de
o o
Paris, req. n  401426  , Lebon ; AJDA 2017. 1525   ; BJCP 2017, n  115, p. 407,
concl. O. Henrard).

46. Par ailleurs, s'agissant d'un cocontractant de l'administration ayant demandé


à être indemnisé sur le fondement de la faute de celle-ci ayant causé la nullité du
marché, le moyen tiré de la faute de l'administration à avoir tardé à signer le
marché, s'il se fonde sur une autre faute que celle invoquée en première
instance, ne relève pas d'une cause juridique distincte et peut, ainsi, être invoqué
pour la première fois dans le cadre de l'instance d'appel (CE 29 sept. 2010, Sté
o o
des travaux du Midi, req. n  325524   ; BJCP 2010, n  73, p. 430, concl.
Boulouis).

Art. 3 - Actions en responsabilité extra-contractuelle

er
§ 1 - Responsabilité quasi contractuelle : enrichissement sans cause

47. Dans le dernier état de la jurisprudence (V. not. CE 18 nov. 2011, Cté cnes


o
de Verdun, req. n  342642  , AJDA 2012. 598, note S. Aubert   ; AJCT 2012.
o
210, obs. S. Hul  . – CE 6 oct. 2017, Sté Cegelec Perpignan, req. n  395268  ,
Lebon ; AJDA 2017. 1919   ; AJDA 2017. 2189, chron. S. Roussel et
Ch. Nicolas   ; AJCT 2018. 100, obs. E. Lanzarone et Hamdi Bachtli   ; BJCP
o
2018, n  116, concl. O. Henrard), il est dit que le cocontractant de
l'administration dont le contrat est invalide selon le juge du contrat ou annulé par
le juge du référé contractuel peut prétendre, sur un terrain quasi contractuel, au
remboursement de celles de ses dépenses prévues au contrat qui ont été utiles à
la collectivité envers laquelle il s'était engagé ; les fautes éventuellement
commises par l'intéressé antérieurement à la signature du contrat sont sans
incidence sur son droit à indemnisation au titre de l'enrichissement sans cause de
la collectivité, sauf si le contrat a été obtenu dans des conditions de nature à
vicier le consentement de l'administration, ce qui fait obstacle à l'exercice d'une
telle action.

48. S'agissant de cette indemnité due au titre de l'enrichissement sans cause


o
(V. CE 11 juill. 1991, Cne de la Queue-en-Brie c/ Sté Santerne, req. n  89184  ,
RD publ. 1992. 1527), elle se limite à la fois au coût de revient des prestations (à
l'exclusion de toute marge bénéficiaire) et aux seules dépenses qui ont présenté
un caractère réellement utile pour la collectivité. Il appartient en outre au
cocontractant d'apporter toute justification utile en ce qui concerne la consistance
des prestations dont il se prévaut et leur lien nécessaire avec l'opération
litigieuse.

§ 2 - Responsabilité quasi délictuelle : la faute de l'administration

49. Toujours selon les mêmes arrêts cités au paragraphe précédent, il est décidé
que « dans le cas où le contrat est écarté en raison d'une faute de
l'administration, l'entrepreneur peut en outre, sous réserve du partage de
responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la
réparation du dommage imputable à la faute de l'administration ; qu'à ce titre il
peut demander le paiement des sommes correspondant aux autres dépenses
exposées par lui pour l'exécution du contrat et aux gains dont il a été
effectivement privé du fait de sa non-application, notamment du bénéfice auquel
il pouvait prétendre, si toutefois l'indemnité à laquelle il a droit sur un terrain
quasi contractuel ne lui assure pas déjà une rémunération supérieure à celle que
l'exécution du contrat lui aurait procurée ; que, saisi d'une demande d'indemnité
sur ce fondement, il appartient au juge d'apprécier si le préjudice allégué
présente un caractère certain et s'il existe un lien de causalité direct entre la
faute de l'administration et le préjudice ».

50. S'agissant du contrôle de ce lien de causalité, le juge du référé précontractuel


o
estime, dans l'affaire « Cegelec Perpignan » (préc. supra, n  47), que les
manquements aux règles de publicité et de mise en concurrence commis par le
pouvoir adjudicateur ayant eu une incidence déterminante sur l'attribution du
marché au titulaire, le lien entre la faute de l'administration et le manque à
gagner dont la société entendait obtenir la réparation ne pouvait être regardé
comme direct.

51. Par ailleurs, dans le calcul de la perte de bénéfices, le juge tient compte de la


faute commise par le cocontractant en concluant un contrat dont il ne pouvait
ignorer l'illégalité et procède, le cas échéant, à un partage de responsabilités ou a
une exonération totale de la responsabilité quasi délictuelle (V. par ex. CE 10 avr.
o
2008, Sté J.-C. Decaux, req. n  244950  . – CE 18 nov. 2011, Communauté de
o
communes de Verdun, req. n  342642  . – CE 9 juin 2017, Sté Pointe-à-Pitre
o
Distribution, req. n  399581  ).

§ 3 - Dispositions législatives spéciales

o
52. L'article 89 de l'ordonnance n  2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux
marchés publics dispose que, pour les marchés de partenariat, « en cas
d'annulation, de résolution ou de résiliation du contrat par le juge, faisant suite
au recours d'un tiers, le titulaire du marché de partenariat peut prétendre à
l'indemnisation des dépenses qu'il a engagées conformément au contrat dès lors
qu'elles ont été utiles à l'acheteur. Peuvent figurer parmi ces dépenses, s'il y a
lieu, les frais liés au financement mis en place dans le cadre de l'exécution du
contrat, y compris, le cas échéant, les coûts pour le titulaire afférents aux
instruments de financement et résultant de la fin anticipée du contrat. La prise en
compte des frais liés au financement est subordonnée à la mention, dans les
annexes du marché de partenariat, des principales caractéristiques des
financements à mettre en place pour les besoins de l'exécution du marché.
Lorsqu'une clause du contrat du marché de partenariat fixe les modalités
d'indemnisation du titulaire en cas d'annulation, de résolution ou de résiliation du
contrat par le juge, elle est réputée divisible des autres stipulations du contrat ».
o
53. De façon symétrique, l'article 56 de l'ordonnance n  2016-65 du 29 janvier
2016 relative aux contrats de concession dispose que, « en cas d'annulation, de
résolution ou de résiliation du contrat de concession par le juge, faisant suite au
recours d'un tiers, le concessionnaire peut prétendre à l'indemnisation des
dépenses qu'il a engagées conformément au contrat dès lors qu'elles ont été
utiles à l'autorité concédante, parmi lesquelles figurent, s'il y a lieu, les frais liés
au financement mis en place dans le cadre de l'exécution du contrat y compris, le
cas échéant, les coûts pour le concessionnaire afférents aux instruments de
financement et résultant de la fin anticipée du contrat. Cette prise en compte des
frais liés au financement est subordonnée à la mention, dans les annexes du
contrat de concession, des principales caractéristiques des financements à mettre
en place pour les besoins de l'exécution de la concession. Lorsqu'une clause du
contrat de concession fixe les modalités d'indemnisation du concessionnaire en
cas d'annulation, de résolution ou de résiliation du contrat de concession par le
juge, elle est réputée divisible des autres stipulations du contrat ». Le Conseil
d’État juge que cette disposition ne s’applique que lorsque l’annulation, la
résiliation ou la résolution du contrat résulte d’une décision juridictionnelle
intervenue à compter du 31 janvier 2016, lendemain du jour de la publication de
o
l’ordonnance (CE 9 mars 2018, Sté GSN-DSP, req n  406669  , Lebon ; AJDA
2018. 538  ).

Section 4 - Situations où le contrat est achevé

54. Si la naissance du contrat engendre la responsabilité contractuelle,


l'extinction de l'obligation contractuelle fait, parallèlement, disparaître l'obligation
de réparation contractuelle. Au-delà du point d'achèvement de l'obligation
contractuelle, le cocontractant ne pourra invoquer qu'une responsabilité de nature
extracontractuelle. Certaines stipulations et situations contractuelles montrent
que les choses ne sont pas toujours aussi simples et mécaniques.

er
Art. 1 - Principes généraux

55. Après la fin normale du contrat (par arrivée de son échéance) ou anticipée


(par résiliation unilatérale ou conventionnelle), chacune des parties ne peut
engager la responsabilité contractuelle de l'autre pour des faits se rapportant à
l'exécution du contrat. Ainsi, dès lors que l'État a mis fin au contrat d'étude
conclu avec la SERI en raison de retards d'exécution sans émettre de réserve sur
la qualité des travaux, il ne pouvait ultérieurement rechercher la responsabilité
contractuelle de cette société en invoquant des défauts d'exécution de ces
o
travaux (CAA Nancy, 2 juill. 1998, SA Renault Automation, BJCP 1999, n  2,
p. 212).

56. De même, aux termes de dispositions contractuelles liant un syndicat


intercommunal de distribution d'eau et une entreprise, l'ordre de service de début
des travaux préparatoires à la construction d'un barrage-réservoir, confié par le
syndicat à cette entreprise à la suite d'un appel d'offres, ne devant être donné
qu'après que le syndicat eut acquis la maîtrise des terrains nécessaires, dont
l'acquisition était dans le même temps déclarée d'utilité publique, le syndicat, qui
avait ainsi informé les entreprises concurrentes de ce que les travaux ne
pouvaient être immédiatement entrepris, n'a commis de faute ni en procédant à
cet appel d'offres dès cette date, ni en notifiant postérieurement le marché à
l'entreprise retenue, alors que la déclaration d'utilité publique faisait l'objet d'un
recours en annulation. L'entrepreneur ayant demandé et obtenu la résiliation du
contrat, cette résiliation doit, en l'absence de toute faute de la part du maître de
l'ouvrage et de toute stipulation contraire, être regardée comme pure et simple,
et l'entreprise n'a droit à aucune indemnité au titre du contrat (CE  5 déc. 1986,
Synd. intercommunal de distribution d'eau de la Corniche des Maures,
Lebon 275   ; D. 1987. Somm. 279, obs. Terneyre). Lorsque le maître d'ouvrage
et le maître d'œuvre concluent, après un refus de réception, un deuxième contrat
qu'ils présentent comme distinct du premier, les obligations créées par ce dernier
ne disparaissent pas (CE 8 nov. 2000, Régie immobilière de la Ville de Paris, Dr.
o
adm. 2001, n  40).

57. En revanche, s'il peut être fait la preuve que le cocontractant a commis une
faute pendant l'exécution du contrat, sa responsabilité contractuelle est engagée
même si le dommage survient alors que le contrat a cessé de produire ses effets
o
(CE 11 juill. 2008, OPDHLM du Var et Generali France, req. n  285651  ).

58.  Quid des responsabilités qui peuvent se trouver engagées pour des
prestations effectuées par les parties contractantes après que leur contrat a pris
fin ? Ces responsabilités ne peuvent être qu'extracontractuelles.

59. Il peut s'agir tout d'abord d'une responsabilité quasi contractuelle, comme un
arrêt du 23 février 1983 (Min. Éducation c/ Sté Anonyme SMAC Acieroïd, Lebon
T. 783  ) en donne un exemple : il s'agissait d'une entreprise qui,
postérieurement à l'exécution des travaux faisant l'objet du marché conclu avec
le maître de l'ouvrage, avait été amenée à effectuer des travaux supplémentaires.
Selon l'arrêt, dès lors que ces travaux ont utilement bénéficié au maître de
l'ouvrage, qu'ils ont été exécutés postérieurement à la date à laquelle la réception
définitive, abusivement retardée par l'État, aurait dû être prononcée, et ne
peuvent par suite être regardés comme résultant des obligations nées des clauses
du marché, qui n'avaient plus d'effet après cette date, qu'ils n'avaient pas enfin
pour effet de réparer des désordres engageant la responsabilité décennale de
l'entreprise, cette dernière a droit au remboursement du montant des travaux,
qui correspond à l'enrichissement dont a bénéficié l'État maître d'ouvrage. C'est là
un cas d'application de la théorie de l'enrichissement sans cause. On en trouve
d'autres illustrations dans la poursuite de l'exécution du service par le
concessionnaire du service public dont la concession est arrivée à terme (CE,
ve
sect., 20 mars 1942, Dame VV  Bastit, Lebon 92 : concessionnaire du service de
distribution d'énergie électrique ayant poursuivi l'exécution du service pendant
près de trois mois après la fin de la concession : « toutes les dépenses exposées
er
par la dame Bastit du 1  janvier au 24 mars 1934 doivent être regardées comme
ayant été utiles et comme ayant profité à la commune, laquelle a perçu à son
profit, à partir de la fin de la concession, toutes les recettes de
l'exploitation ». – CE 22 févr. 1967, Sté du gaz de Nogent-l'Artaud et extensions
c/ Cne de Nogent-l'Artaud et autres, Lebon 87).

60. On ne peut exclure ensuite le cas de la responsabilité délictuelle et quasi


délictuelle. Il peut arriver qu'après la fin du contrat et indépendamment de celle-
ci, l'administration commette une faute qui nuit à son ex-cocontractant, ou
inversement. Mais il faut que cette faute se distingue nettement de la fin du
contrat. Si la résiliation du contrat peut donner matière à responsabilité
contractuelle, la rupture des relations contractuelles entre les cocontractants
interdit par exemple de faire supporter à l'entrepreneur les conséquences
onéreuses du marché passé à une date postérieure pour la continuation des
travaux (CE 10 mars 1965, Cne de Chomelix, Lebon 162. – CE 15 oct. 1965, Sté
Entreprise Pérignon c/ Cne du Pecq, Lebon 522).

Art. 2 - Perpétuation des effets de certaines clauses contractuelles après


l'expiration du contrat

61. Certaines clauses de contrats publics sont rédigées de telle façon qu'elles


continuent à produire des effets en dépit de la fin du contrat. Il en est même
certaines qui ne jouent qu'avec l'expiration du contrat. Ainsi, une société, ayant
concédé à une collectivité publique des droits d'usage sur des progiciels avec
l'obligation pour les deux parties, à l'expiration du contrat, de détruire les
originaux et ses reproductions, peut engager la responsabilité contractuelle de
l'administration dès lors que celle-ci continue à utiliser ces progiciels après la fin
o
du contrat (CE 21 nov. 2007, Sté IBM-France, req. n  262908  , BJCP 2008,
o
n  56, p. 17, concl. Boulouis). Il en est ainsi des clauses de pénalités dans une
DSP pour manquement à la production de documents relatifs à l'exécution de la
convention même après sa résiliation (CE 17 déc. 2008, Synd. intercommunal de
o
Superbagnères, req. n  296819  ). Ou bien d'une clause d'un contrat de travaux
qui prévoyait qu'une société était tenue, après la réception des ouvrages d'un
réseau d'assainissement, de supprimer au fur et à mesure tous les anciens
branchements. La société ayant refusé de faire enlever ces branchements, la
commune était fondée à lui réclamer, sur un fondement contractuel, le paiement
des sommes correspondant aux travaux de reprise de branchements qu'elle avait
dû faire exécuter par une autre entreprise (CAA Douai, 23 juin 2010, Cne de
o
Sallarmines, req. n  08DA01485  ).

Art. 3 - Cas particulier des garanties postcontractuelles dans les contrats


publics de fournitures ou de services

62. Ce sont les règles de la responsabilité contractuelle et non celles de la


garantie décennale qui s'appliquent à un prestataire de services titulaire d'un
marché public. C'est ce que juge le Conseil d'État en décidant que, si « l'exécution
de l'obligation du débiteur d'une prestation d'étude prend normalement fin avec
la remise de son rapport et le règlement par l'administration du prix convenu, sa
responsabilité reste cependant engagée, en l'absence de toute disposition ou
stipulation particulière applicable à ce contrat, à raison des erreurs ou des
carences résultant d'un manquement aux diligences normales attendues d'un
professionnel pour la mission qui lui était confiée, sous réserve des cas où, ces
insuffisances étant manifestes, l'administration aurait, en payant la prestation,
nécessairement renoncé à se prévaloir des fautes commises (CE 9 avr. 2010, Cne
o o
de Levallois-Perret, req. n  309662  , BJCP 2010, n  71, p. 250, concl. Boulouis ;
AJDA 2010. 758  ).

63. Dans les marchés de fournitures une personne publique peut former devant
la juridiction administrative une action pour « vices cachés » à l'encontre du
vendeur sur le fondement direct des articles 1641 et suivants du code civil
o
(CE 24 nov. 2008, CHR d'Annecy, req. n  291539  . – CE 7 avr. 2011, Sté
o o
Ajaccio Diesel, req. n  344226   ; BJCP 2011, n  76, p. 205, concl. Dacosta.
o
– CE 27 mars 2017, Sté Sodimat, req. n  395442  ). Le délai de deux ans prévu
pour exercer l'action court à compter du jour de la découverte du vice par
l'acheteur.

64. Dans un marché de transports de marchandises et conformément aux


dispositions d'ordre public de l'article L. 133-3 du code de commerce, lorsque des
livraisons sont effectuées sans que le destinataire n'émette des réserves à la
livraison ou dans un délai de trois jours suivant la livraison des marchandises, le
destinataire des marchandises ne peut plus réclamer des sommes correspondant
au mauvais état des marchandises livrées (TA Melun, 4 sept. 2008, SA ABX
o
Logistics France, req. n  05-5459).

65. Dans un marché public de dépôt, le principe d'insaisissabilité des biens


publics fait obstacle à ce que l'entreprise titulaire du marché invoque les
dispositions de l'article 1948 du code civil et retienne les marchandises
appartenant à son contractant jusqu'au paiement des sommes dues au titre du
contrat (CAA Paris, 14 oct. 2008, Fonds de développement des archipels, req.
o o
n  06PA03339  , BJCP 2009, n  63, p. 112, concl. Marino).

Art. 4 - Cas particulier des garanties postcontractuelles dans les contrats


publics de travaux

er
§ 1 - Réception des travaux

A - Extinction des rapports contractuels


66. Selon des expressions couramment employées, la réception sans réserves
des travaux a « pour effet de mettre fin aux rapports contractuels qui étaient nés
du marché » (CE 4 juill. 1980, SA Forrer et Cie, Lebon 307. – CE 25 juill. 1980,
Ville de Saint-Ouen-L'Aumône, Lebon 342. – CE 20 mai 1994, Cne de Condom,
o
req. n  129405  , Lebon T. 1041  ), ou « les rapports contractuels nés des
marchés passés entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs ont cessé de
produire leurs effets à cette date ». Il en résulte que « le maître de l'ouvrage
n'est plus fondé à se prévaloir des stipulations du marché, ni à invoquer la
responsabilité contractuelle du constructeur » (CE 25 mai 1990, Synd. des
o
communes du plateau du Gâtinais, req. n  83027  , RDI 1990. 362 
. – CE 30 janv. 1995, SARL Epojet-Societa generale immobiliare Sogene, req.
o o
n  94426  et n  94708, RDI 1995. 321, obs. Llorens et Terneyre  ), sauf
l'hypothèse particulière de la responsabilité (contractuelle) des constructeurs pour
fraude ou dol.

67. À cet égard, il appartient au juge de soulever d'office le moyen d'ordre public
selon lequel la responsabilité contractuelle ne peut être invoquée après la
réception définitive des travaux (CE 31 mars 1989, Cne du Chesnay
o
c/ Entreprises Chagraud et autres, req. n  83583  , Lebon T. 788 ; D. 1990.
Somm. 66, obs. Terneyre  . – CAA Paris, 24 avr. 2001, M. Jankovic et autres,
o
BJCP 2001, n  18, p. 448).

68. Après la réception de l'ouvrage, les risques sont transférés au maître de


l'ouvrage. L'entrepreneur n'a pas à supporter la perte résultant de ce que
l'ouvrage a été détruit ou endommagé après son achèvement si la destruction ou
les dommages ne sont pas imputables à son fait (CE 7 nov. 1973, Sté de
constructions métalliques La grande chaudronnerie lorraine, Lebon 621), sauf
stipulations contractuelles expresses du marché mettant à sa charge la garantie
des risques jusqu'à la réception définitive de l'ouvrage (CE 6 mars 1989, Sté
Cochery-Bourdin-Chausse, Lebon T. 787 ; D. 1990. Somm. 65, obs. Terneyre  ).

69.  La règle selon laquelle le maître de l'ouvrage doit supporter les obligations
du propriétaire et de l'utilisateur vaut dès la réception de l'ouvrage, y compris s'il
n'en prend pas possession. La seule exception concerne les frais accessoires
découlant des travaux de reprise imposés aux constructeurs par les réserves
émises par le maître de l'ouvrage lors de cette réception (CE 14 mai 2008, Sté
o o
Cofathec et autres, req. n  276664  , BJCP 2008, n  60, p. 325, concl. Boulouis).

B - Prolongation des rapports contractuels

70. Réception avec réserves. - En cas d'absence de réception, de refus de


réception ou de réception avec réserves, les rapports contractuels entre le maître
de l'ouvrage et le constructeur ne sont pas éteints, et seule la responsabilité
contractuelle de ce dernier peut être mise en jeu (CE 27 janv. 1978, Sté 3M
France et autres, Lebon 35  . – CE 23 nov. 1979, SA Fischer, Lebon T. 798. –
CE 23 janv. 1981, Coudert et autre, Lebon 23. – CE 5 févr. 1982, Dondel et
autres, Lebon 52). Concrètement, les relations contractuelles entre le responsable
du marché et l'entrepreneur se poursuivent non seulement pendant le délai de
garantie, mais encore jusqu'à ce qu'aient été expressément levées les réserves
exprimées lors de la réception. Une cour administrative d'appel commet une
erreur de droit en ne distinguant pas ces deux hypothèses de prolongation des
relations contractuelles (CE 26 janv. 2007, Sté Mas, Entreprise Générale, req.
o o
n  264306  , BJCP 2007, n  52, p. 199, concl. Boulouis).

71. Garantie de parfait achèvement. - Après la réception de l'ouvrage, les


obligations des constructeurs sont prolongées pendant le délai (un an ou six mois,
selon les stipulations du contrat) de la garantie de parfait achèvement. Cette
garantie repose sur le même fondement juridique que la responsabilité
contractuelle. Elle peut donc être invoquée pour la première fois en appel lorsque
le demandeur n'a mis en cause, en première instance, que la responsabilité
contractuelle du constructeur (CE 9 juill. 2010, Cne de Lorry-les-Metz, req.
o o
n  310032  , BJCP 2010, n  72, p. 349, concl. Dacosta).

72. Malgré la réception de l'ouvrage, les stipulations du marché peuvent instituer


une garantie contractuelle de dix ans sur certains des travaux réalisés. Tel est le
sens de l'arrêt « Entreprise Quillery et Cie et autres » (V. CE 28 avr. 1997,
o
Entreprise Quillery et Cie et autres, req. n  148477  , RDI 1997. 438  ,
« Considérant que la cour n'a commis aucune erreur de droit en admettant la
possibilité pour le maître de l'ouvrage d'invoquer les stipulations contractuelles de
l'article V-14 du cahier des prescriptions spéciales instituant une garantie
contractuelle de dix ans pour certains travaux d'étanchéité ; que la cour a
procédé à une appréciation souveraine de la commune intention des parties et
des faits de l'espèce, sans les dénaturer, en estimant que le maître de l'ouvrage,
lorsqu'il a procédé à la réception définitive des travaux, n'a pas entendu renoncer
à la garantie spéciale instituée par les stipulations contractuelles
susmentionnées »).

73. Effets limités à la réalisation de l'ouvrage. - La réception des travaux


prononcée sans réserve ne met fin aux rapports contractuels entre le maître de
l'ouvrage et les constructeurs « qu'en ce qui concerne la réalisation de
l'ouvrage ». En conséquence, la réception ne fait pas obstacle à ce que la
responsabilité contractuelle des constructeurs soit, après la réception, recherchée
à raison des fautes contractuelles que ces derniers ont commises dans l'exécution
d'obligations contractuelles non directement liées à cette réalisation, comme par
exemple la faute, pour un architecte, de signer des situations de travaux ne
correspondant pas aux travaux réellement exécutés, et ayant servi au calcul des
er
acomptes à verser aux entreprises (V. CE 1  oct. 1993, Vergnaud et autre, req.
o
n  60526  , Lebon T. 880 ; D. 1994. Somm. 228, obs. Terneyre  ). De même,
condamné à indemniser une entreprise à raison des irrégularités qui avaient
entaché une procédure d'appel d'offres, un syndicat intercommunal avait appelé
en garantie une société qui l'avait assisté dans cette procédure. Le tribunal
administratif avait déclaré cette demande irrecevable au motif que la réception
sans réserves de l'ouvrage avait mis fin aux relations contractuelles entre le
maître de l'ouvrage et les constructeurs. Cette décision est annulée par la cour
administrative d'appel de Douai dans la mesure où la faute reprochée à
l'entreprise était étrangère à la réalisation de l'ouvrage (CAA Douai, 22 juill.
2003, Synd. intercommunal de lutte contre l'incendie de Douaisis, req.
o
n  01DA00326  , AJDA 2003. 2334  ).

74. Droits et obligations financiers. - Comme le théorise le Conseil d'État


dans l'arrêt de section « CHG de Boulogne-sur-Mer » (CE 6 avr. 2007, req.
o o
n  264490  , BJCP 2007, n  52, p. 215, concl. Boulouis ; AJDA 2007. 1011  ),
« la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter
l'ouvrage avec ou sans réserve et met fin aux rapports contractuels entre le
maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de
l'ouvrage. Si elle interdit au maître de l'ouvrage d'invoquer, après qu'elle a été
prononcée, et sous réserve de la garantie de parfait achèvement, des désordres
apparents causés à l'ouvrage, ou des désordres causés aux tiers, dont il est
réputé avoir renoncé à demander la réparation, elle ne met fin aux obligations
contractuelles des constructeurs que dans cette seule mesure. La réception
demeure ainsi, par elle-même, sans effet sur les droits et obligations financiers
nés de l'exécution du marché, à raison notamment de retards ou de travaux
supplémentaires, dont la détermination intervient définitivement lors de
l'établissement du solde du décompte définitif. Seule l'intervention du décompte
général et définitif du marché a pour conséquence d'interdire au maître de
l'ouvrage toute réclamation à cet égard ».

ACTUALISATION
74. Conséquences de la notification du décompte général. - Si le
maître d'ouvrage notifie le décompte général du marché, le caractère définitif
de ce décompte fait obstacle à ce qu'il puisse obtenir l'indemnisation de son
préjudice éventuel sur le fondement de la responsabilité contractuelle du
constructeur, y compris lorsque ce préjudice résulte de désordres apparus
postérieurement à l'établissement du décompte. Il appartient alors au maître
de l'ouvrage, lorsqu'il lui apparaît que la responsabilité de l'un des
participants à l'opération de construction est susceptible d'être engagée à
raison de fautes commises dans l'exécution du contrat conclu avec celui-ci,
soit de surseoir à l'établissement du décompte jusqu'à ce que sa créance
puisse y être intégrée, soit d'assortir le décompte de réserves (CE 19 nov.
2018, Institut national de recherche en sciences et technologies pour
o
l'environnement et l'agriculture [INRSTEA], req. n  408203  , AJDA 2018.
2274, obs. Maupin  ).

75. Peuvent alors faire l'objet d'une action en responsabilité contractuelle après


la réception de l'ouvrage, les dommages relatifs à divers préjudices financiers
subis par le maître de l'ouvrage à raison de reprise de désordres ayant affecté
l'ouvrage avant la réception (CAA Lyon, 19 avr. 2007, Groupement d'entreprises
o
Fileppi-Biasini-Lefevre et autres, req. n  03LY01540  , Lebon T. 948  ) ou à
raison d'un incendie survenu pendant l'exécution des travaux (CAA Bordeaux,
o
2 sept. 2010, Cie GAN, req. n  08BX00196).

§ 2 - Cas particulier des obligations contractuelles des maîtres d'œuvre


après la réception des ouvrages

76. Dans un marché de travaux publics, le maître d'œuvre est, tout à la fois, un


constructeur et le conseiller du maître de l'ouvrage au moment de la réception de
celui-ci. Si sa responsabilité de constructeur cesse avec la réception de l'ouvrage
o
(CAA Paris, 24 avr. 2001, MM. Jankovic et autres, BJCP 2001, n  18, p. 448), sa
responsabilité de conseiller lors de la réception persiste après cette réception,
même si elle est invoquée à propos de désordres qui auraient pu conduire à
mettre en œuvre sa responsabilité de constructeur. Et cette responsabilité,
expressément qualifiée de contractuelle par le juge (CE 5 mars 1993, Ventura,
o er
req. n  110580  , D. 1994. Somm. 86, obs. Terneyre  . – CE 1  oct. 1993,
o
Vergnaud, req. n  60526  , D. 1994. Somm. 228, obs. Terneyre  ), est fondée
sur les fautes qu'il a commises en n'appelant pas l'attention du maître d'ouvrage
sur les défectuosités de l'ouvrage qui auraient été de nature à faire obstacle à sa
réception sans réserves (CE 7 mars 1980, Monge, Lebon 794).

77. Sur ces bases, le Conseil d'État juge ainsi que l'obligation de conseil par
l'architecte du maître de l'ouvrage au moment de la réception des travaux ne se
limite pas à appeler l'attention de ce dernier sur les seules défectuosités
susceptibles de rendre l'ouvrage impropre à sa destination et d'entrer à ce titre
dans le champ de la garantie décennale, mais porte sur l'ensemble des malfaçons
apparentes faisant obstacle à une réception sans réserve. Un manquement de
l'architecte sur ce dernier point est ainsi susceptible d'engager sa responsabilité
contractuelle à l'égard du maître de l'ouvrage (CE 8 juin 2005, Ville de Caen, req.
o o
n  261478  , Lebon T. 970   ; BJCP 2005, n  42, p. 370, concl. Boulouis).
Lorsqu'il a connaissance de désordres survenus en cours de chantier qui, sans
affecter l'état de l'ouvrage achevé, ont causé des dommages au maître de
l'ouvrage, il appartient au maître d'œuvre chargé d'établir le décompte général du
marché, soit d'inclure dans ce décompte, au passif de l'entreprise responsable de
ces désordres, les sommes correspondant aux conséquences de ces derniers, soit,
s'il n'est pas alors en mesure de chiffrer lesdites conséquences avec certitude,
d'attirer l'attention du maître de l'ouvrage sur la nécessité pour lui, en vue de
sauvegarder ses droits, d'assortir la signature du décompte général de réserves
relatives à ces conséquences. À défaut, il commet une faute de nature à engager
sa responsabilité contractuelle à l'égard du maître de l'ouvrage (CE 6 avr. 2007,
os
CHG de Boulogne-sur-Mer, req. n  264490  et 264491, Lebon 163   ; BJCP
o
2007, n  52, p. 215, concl. Boulouis). En revanche, le devoir de conseil du maître
d'œuvre au moment de la réception ne concerne que l'état de l'ouvrage achevé et
ne s'étend donc pas aux désordres causés à des tiers par l'exécution du marché.
Ainsi, le maître d'œuvre ne commet aucune faute en s'abstenant d'attirer
l'attention du maître de l'ouvrage sur la nécessité pour lui, en vue de sauvegarder
ses droits, d'assortir la réception de réserves relatives aux conséquences de tels
désordres (même arrêt).

ACTUALISATION
77. Action en responsabilité contractuelle contre le maître d'œuvre
après la réception des travaux. Absence. - Le Conseil d'État précise les
conséquences de la réception des travaux sur les rapports contractuels entre
le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre. Indépendamment de la décision du
maître d'ouvrage de réceptionner les prestations de maîtrise d'œuvre prévue
par les stipulations de l'article 32 du cahier des clauses administratives
générales (CCAG) applicables aux marchés de prestations intellectuelles, la
réception de l'ouvrage met fin aux rapports contractuels entre le maître
d'ouvrage et le maître d'œuvre en ce qui concerne les prestations
indissociables de la réalisation de l'ouvrage, au nombre desquelles figurent,
notamment, les missions de conception de cet ouvrage (CE 2 déc. 2019, Sté
o
Guervilly), req. n  423544, AJDA 2019. 2462, obs. Maupin  ).

78. Le caractère apparent ou non des vices en cause lors de la réception est sans
incidence sur le manquement du maître d'œuvre à son obligation de conseil, dès
lors qu'il avait eu connaissance de ces vices en cours de chantier (CE 28 janv.
o
2011, Sté Cabinet d'études Marc Merlin et autres, req. n  330693  , BJCP 2011,
o
n  75, p. 90, concl. Boulouis). La responsabilité contractuelle du maître d'œuvre
pour les désordres survenus après la réception des travaux ne se rattache pas à
une cause juridique distincte de la responsabilité contractuelle à raison des fautes
commises par ce dernier durant les travaux. Elle peut donc être invoquée pour la
première fois en appel lorsque le demandeur n'a mis en cause, en première
instance, que la responsabilité contractuelle pour faute du maître d'œuvre
o o
(CE 9 juill. 2010, Cne de Lorry-lès-Metz, req. n  310032  , BJCP 2010, n  72,
p. 349, concl. Dacosta).

ACTUALISATION
78. Architecte. Obligation d'information d'une nouvelle
réglementation applicable. - La responsabilité des maîtres d'œuvre pour
manquement à leur devoir de conseil peut être engagée, dès lors qu'ils se
sont abstenus d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres
affectant l'ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la
personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou
d'assortir la réception de réserves. Ce devoir de conseil implique que le
maître d'œuvre signale au maître d'ouvrage l'entrée en vigueur, au cours de
l'exécution des travaux, de toute nouvelle réglementation applicable à
l'ouvrage, afin que celui-ci puisse éventuellement ne pas prononcer la
réception et décider des travaux nécessaires à la mise en conformité de
o
l'ouvrage (CE 10 déc. 2020, req. n  432783, AJDA 2020. 2469, obs.
Maupin  ).

Section 5 - Situations où le requérant est un tiers par rapport au contrat

79. Le propre du contrat, en droit administratif comme en droit privé, est de lier
et de ne lier que les parties qui l'ont conclu : ce principe entraîne l'exclusion de la
responsabilité contractuelle des parties vis-à-vis des tiers. Il n'empêche que le
contrat est une donnée par rapport à laquelle les tiers peuvent faire valoir
certains droits : mais ce ne peut être qu'au titre de la responsabilité délictuelle ou
quasi délictuelle.

er
Art. 1 - Les tiers au contrat ne peuvent se prévaloir des stipulations
de ce contrat pour rechercher la responsabilité contractuelle ou quasi
délictuelle des cocontractants

er
§ 1 - Principe

80. Le principe de l'effet relatif des contrats vaut pour les contrats administratifs
comme pour les contrats de droit privé : les dispositions de l'article 1199 du code
civil, selon lesquelles « le contrat ne crée d'obligations qu'entre les parties ; les
tiers ne peuvent ni demander l'exécution du contrat ni se voir contraint de
l'exécuter », sont applicables aux premiers comme aux seconds. Il en résulte que
les tiers au contrat administratif ne peuvent se prévaloir des stipulations de celui-
ci pour engager la responsabilité contractuelle des parties envers eux (en ce sens,
par ex., CE 15 févr. 1961, Goumy, Lebon T. 1092 : un tiers ne peut se prévaloir,
à l'encontre d'une commune, de l'inexécution par l'entrepreneur chargé des
travaux de viabilité, des obligations résultant du contrat passé par ce dernier avec
la commune : les délais d'exécution d'un contrat n'étant stipulés que dans
l'intérêt des parties, la commune n'a commis aucune faute à l'égard d'un tiers
envers lequel elle n'a pris aucun engagement, en négligeant de faire respecter les
délais contractuels par ladite entreprise. – CE 23 juin 1976, Latty et Cne de Vaux-
sur-Mer, Lebon 329 : à propos d'un contrat « qui a seulement pour objet
l'exploitation d'un établissement commercial appartenant à la commune » et qui
ne contient pas de clauses stipulées dans l'intérêt des voisins de l'établissement
en cause n'autorise pas « le Sieur Latty, tiers à ce contrat, à se prévaloir des
obligations qu'il imposait aux parties qui l'ont signé pour dénoncer dans la
carence du maire une faute engageant envers lui la responsabilité quasi
délictuelle de la commune ». – CE 8 déc. 1976, Sté Travaux Hydrauliques et
Entreprises générales, Lebon T. 806 : une société qui a été chargée, par une
administration, de travaux rendus plus onéreux par des opérations de
construction menées préalablement par une autre société, peut, à l'évidence,
obtenir réparation dans le cadre du marché qui la lie à l'administration, mais n'est
pas recevable à invoquer les stipulations du contrat qui lie l'autre société à la
même administration et auquel elle n'était pas partie. – CE 17 févr. 1978, Sté Cie
française d'Entreprise, Lebon 88 : « la société […] qui est un tiers par rapport au
contrat conclu […] ne saurait, en tout état de cause, se prévaloir de la mauvaise
exécution dudit contrat à l'occasion du litige qui l'oppose au CHR ». – CE 5 févr.
1982, Dondel et autres, Lebon 53 : « Le SIVOM n'est pas fondé à exciper de
manquement aux obligations stipulées dans la convention conclue entre l'État,
maître de l'ouvrage et MM…, chargés de la direction générale des travaux, à
laquelle il n'était pas partie, pour soutenir que la responsabilité des architectes
est, à raison de ces fautes, engagée à son égard ». – T. confl. 23 janv. 1989,
me
Préfet de la Loire c/ T. com. Saint-Étienne, D. 1989. 367, concl. M  Flipo : la
responsabilité de l'État vis-à-vis des créanciers d'une entreprise mise en
liquidation des biens, qui a accordé à cette entreprise une aide, ne peut trouver
sa source dans un contrat ou un quasi-contrat, en l'absence de tout lien entre
l'État et lesdits créanciers).

81. Il en va ainsi en particulier pour une personne liée elle-même par contrat
avec une collectivité publique ou une personne privée liée par contrat avec cette
collectivité publique : elle ne peut se prévaloir des clauses du contrat que cette
collectivité a passé avec une troisième personne pour s'exonérer de sa propre
responsabilité. Par exemple, un architecte condamné, sur le fondement de la
garantie contractuelle, à réparer les dommages survenus dès l'achèvement des
travaux dont il avait été chargé par une commune d'établir le projet et de diriger
l'exécution, ne peut invoquer, pour être déchargé en tout ou partie de sa
responsabilité, la circonstance que la faute serait commune à l'entreprise chargée
du gros œuvre et à l'ingénieur-conseil rémunéré par cette entreprise, dès lors que
l'entreprise et l'ingénieur-conseil étaient liés à la commune par un contrat
distinct, indépendant du sien (CE 29 juill. 1983, Bouget, Lebon 349  , sol. impl. –
V., dans le même sens, CE, sect., 30 janv. 1981, SARL Gallego Frères et Cie,
Lebon 43).

82. On sait que l'assemblée plénière de la Cour de cassation a, dans un arrêt du


o
6 octobre 2006 (Cass., ass. plén., 6 oct. 2006, req. n  05-13.255  , Bull. ass.
o
plén. n  9 ; D. 2006. 2825, note G. Viney  ), assimilé les fautes contractuelle et
délictuelle et décidé que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement
de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce
manquement lui a causé un préjudice ».

83. Confrontée à la même question de principe, la section du contentieux du


Conseil d'État a refusé de suivre la position de la Cour de cassation et décidé, à
propos d'un cocontractant d'une personne liée par contrat à une personne
publique, que « les tiers à un contrat administratif, hormis les clauses
réglementaires, ne pouvaient en principe se prévaloir des stipulations de ce
contrat dans le cadre d'une action en responsabilité quasi délictuelle » à
me
l'encontre des parties au contrat administratif (CE 11 juill. 2011, M  Gilles, req.
o o
n  339409  , BJCP 2011, n  78, p. 341, concl. Boulouis ; AJDA 2011. 1949,
chron. X. Domino  . – Confirmé, CE 31 mars 2014, Union syndicale du Charvet,
o
req. n  360904  , Lebon T. 745 ; AJDA 2014. 1725  ).

§ 2 - Exceptions

84. Stipulation pour autrui. - Selon l'article 1205 du code civil, « on peut
stipuler pour autrui ». « Le bénéficiaire (de la stipulation) est investi d'un droit
direct à la prestation contre le promettant dès la stipulation » (C. civ.,
art. 1206  ). La stipulation pour autrui engendre ainsi des relations triangulaires
entre le stipulant, le promettant et le tiers bénéficiaire : le stipulant et le
promettant passent un contrat dont on admet qu'un tiers, non partie à ce contrat,
puisse bénéficier. La stipulation pour autrui fait alors naître une créance au profit
d'un tiers à la différence de la « promesse » pour autrui qui fait naître une dette.
Le tiers, bénéficiaire de la stipulation pour autrui, est donc titulaire de l'action en
responsabilité contractuelle qu'il pourra exercer à la place de l'une des parties à la
convention.

85. La jurisprudence administrative a expressément reçu le concept bien que les


arrêts soient anciens et peu nombreux. À cet égard, on peut citer l'arrêt « Synd.
des employés des Secteurs Électriques de la Seine » (CE 22 juill. 1927, DP 1928.
3. 41, note Waline) qui précise que « le différend ne pouvait être porté devant le
juge du contrat que par ceux qui, étant parties à ce contrat, étaient en mesure
d'exciper d'une méconnaissance de leurs droits contractuels, c'est-à-dire soit par
le concédant, soit par le concessionnaire, soit enfin par les usagers et les agents
au profit desquels les clauses litigieuses ont été insérées dans les conventions ».
De même, l'arrêt « Chemins de Fer de la Camargue » (CE 17 juin 1938,
DP 1940. 3. 5, concl. Lagrange) relève que « l'État se fonde sur les clauses
insérées au profit dans le traité. Ainsi, la créance dont l'État entend se prévaloir
se rattache directement à l'exécution du contrat de concession ». En concluant
sur cette affaire, le commissaire du Gouvernement Lagrange faisait au demeurant
explicitement référence à la notion de stipulation pour autrui : « le litige est relatif
à l'interprétation de clauses d'un contrat auquel, il est vrai, l'État n'est pas
partie ; mais les dispositions contractuelles qu'il invoque, ont le caractère d'une
stipulation pour autrui insérée à son profit dans le cahier des charges ; le juge du
contrat est seul compétent pour se prononcer sur un litige de cette nature ». On
peut enfin citer un arrêt plus récent qui semble faire référence à cette même
notion en précisant que « ces clauses n'ont pas été stipulées dans l'intérêt des
voisins de l'établissement en cause » (CE 23 juin 1976, Latty, Lebon 329. –
V. aussi, CE 22 janv. 1986, Sté Bois Sciés manufacturés, Lebon 12 ; D. 1986.
IR 427, note Terneyre. – CE 20 déc. 1989, Cne de la Bresse, Lebon T. 789.
o
– CAA Marseille, 21 oct. 2011, SDIS de l'Hérault, req. n  09MA00782  , AJDA
2012. 88, chron. M. Lopa Dufrénot  ).

86. Action oblique. - Selon l'article 1341-1 du code civil, « lorsque la carence du


débiteur dans l'exercice de ses droits et actions à caractère patrimonial
compromet les droits de son créancier, celui-ci peut les exercer pour le compte de
son débiteur, à l'exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la
personne ». L'action oblique permet donc au créancier d'agir au nom et pour le
compte du débiteur : le créancier fait ainsi entrer dans le patrimoine du débiteur
un bien ou une valeur appartenant à celui-ci afin de pouvoir exercer ses propres
droits sur lui. Comme dans l'hypothèse précédente, le juge administratif du
contrat a reçu la notion et vise d'ailleurs expressément l'article 1166 du code civil,
aujourd'hui 1341-1 (V., par ex., CE 18 mars 1927, Fauvet,
Lebon 360. – CE 21 juin 1957, Dupuy, Lebon 411. – CE 5 févr. 1982, Dondel et
autres, Lebon 53). Cependant, le juge du contrat examine avec soin si les tiers
remplissent bien la condition de créancier exigée le code civil.

87. C'est ainsi, par exemple, qu'est irrecevable l'action oblique engagée par les
requérants, cautions solidaires entre eux d'un prêt consenti à une société, qui ne
peuvent être regardés comme créanciers, car n'ayant pas acquitté la dette de
cette société (TA Versailles, 29 nov. 1978, Cts Lemoine, Lebon 624). De même,
un SIVOM ayant chargé l'État de construire une piscine, ne peut exercer l'action
oblique contre les architectes cocontractants de l'État dans la mesure où il ne
peut être regardé comme créancier de l'État puisqu'il lui a expressément donné
quitus lors de la rétrocession de l'ouvrage (CE 5 févr. 1982, Dondel et autres,
Lebon 53). Ce dernier arrêt laisse cependant sous-entendre que le SIVOM était
bien créancier de l'État pendant la construction de l'ouvrage et qu'il disposait
donc, le cas échéant, d'une action oblique contre les constructeurs avec lesquels il
n'était pas lié par le contrat. De même encore, une action oblique contre l'État ne
peut être engagée dès lors que le requérant n'établit pas que des engagements
n'auraient pas été exécutés par l'État envers son débiteur (CE 20 oct. 2000,
o o
M. Perreau, req. n  192851  , Lebon 455   ; BJCP 2000, n  17, p. 345, concl.
Mignon). De même, un maître d'ouvrage ne peut exercer une action oblique à
l'encontre des constructeurs au lieu et place du maître d'ouvrage délégué dès lors
que la convention de maîtrise d'ouvrage déléguée réservait à ce dernier la qualité
pour rechercher la responsabilité contractuelle des constructeurs (CE 14 oct.
o
2005, S.A.N. de Saint-Quentin en Yvelines, req. n  256158  ).

88. Assuré. - Par dérogation à l'effet relatif des contrats et dès lors que l'article
L. 124-3 du code des assurances ouvre un droit d'action directe à l'encontre de
l'assureur de la personne responsable d'un dommage, une personne victime d'un
dommage peut demander au juge administratif l'indemnisation de son préjudice
par l'assureur de la personne publique responsable de ce dommage, bien qu'elle
ne soit pas partie au contrat administratif d'assurance conclu par cette personne
o
publique (CE 15 mai 2013, Cté de cnes d'Épinal-Golbey, req. n  357810  , BJCP
o
2013, n  90, p. 372, concl. B. Dacosta ; AJDA 2013. 1026  ).

Art. 2 - Les tiers au contrat peuvent rechercher la responsabilité


délictuelle ou quasi délictuelle des cocontractants

89. S'ils sont étrangers au contrat, les tiers peuvent cependant trouver dans
celui-ci un titre à engager la responsabilité des parties qui l'ont conclu, sur le
terrain délictuel ou quasi délictuel. La conclusion du contrat peut tout d'abord
os
constituer une faute (V. supra, n  146 s.) ; certaines clauses du contrat, sans
être des stipulations pour autrui, peuvent donner aux tiers des droits dont la
violation engage la responsabilité extracontractuelle des parties contractantes ;
enfin, dans certains cas, la situation du cocontractant de l'une des parties à un
premier contrat lui permet de revendiquer auprès de l'autre partie à ce même
contrat le respect d'obligations extracontractuelles.

90. Ainsi, un constructeur lié au maître de l'ouvrage par un marché est-il fondé à


rechercher la responsabilité quasi délictuelle du maître d'œuvre, lui-même lié par
contrat au maître de l'ouvrage (V., par ex., CE 24 juill. 1981, Sté Générale
d'entreprise, Lebon T. 815). À cet égard, dans l'exercice de sa mission de
surveillance, l'architecte ne peut être responsable vis-à-vis de l'entrepreneur que
s'il a commis une faute caractérisée et d'une gravité suffisante. L'architecte ne
peut être responsable vis-à-vis de l'entrepreneur, lorsqu'il omet de fournir à celui-
ci la totalité des concours techniques nécessaires à la mise en œuvre des travaux,
que s'il a commis une faute assimilable par sa gravité à un mauvais vouloir.
L'architecte est responsable vis-à-vis de l'entrepreneur du retard apporté à la
mise à exécution et à la coordination des travaux dont il a la charge en cas de
faute simple (CE 26 mai 1982, Ville de Chamonix et autres, Lebon T. 671).
Inversement, le maître de l'ouvrage peut engager la responsabilité quasi
délictuelle d'un bureau d'études, lié par contrat au maître d'ouvrage délégué,
mais avec lequel il n'a pas de lien contractuel (CAA Nancy, 2 juill. 1998, Cne de
o
Val d'Ajol, BJCP 1999, n  3, p. 247, concl. Vincent). De façon générale, le titulaire
d'un marché de travaux est recevable à présenter, dans le cadre de la même
instance, des conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité
contractuelle de l'administration et des conclusions tendant à l'engagement de la
responsabilité quasi délictuelle des autres participants à la même opération de
construction avec lesquels il n'est lié par aucun contrat de droit privé (CE 5 juill.
o o
2017, Sté Eurovia Champagne-Ardenne, req. n  396430  , BJCP 2017, n  115,
p. 371, concl. G. Pellissier). En revanche, en cas de contrat de droit privé, l'action
est contractuelle mais doit être présentée devant le juge judiciaire (T. confl.
o
4 juill. 2016, Agence Pena et Pena, req. n  4060  , Lebon T. 831 ; AJDA
2016. 2253  ).

91. De même, classiquement, on sait que les usagers d'un ouvrage public ou les
tiers à celui-ci, construit à la suite d'un marché de travaux publics, sont
recevables à former une action en responsabilité extracontractuelle à l'encontre
tant du maître d'ouvrage public que des constructeurs.

92. Clauses réglementaires. - La responsabilité extracontractuelle des parties


contractantes peut être engagée vis-à-vis des tiers du fait de l'inexécution (CE,
sect., 23 févr. 1968, Picard, Lebon 131 ; AJDA 1968. 457, chron. Massot et
Dewost) des clauses qui, bien qu'incluses dans le contrat, ont un effet
réglementaire. Le Conseil d’État définit les clauses réglementaires comme celles
« qui ont, par elles-mêmes, pour objet l'organisation ou le fonctionnement d'un
o
service public » (CE 9 févr. 2018, Val d’Europe Agglomération, req. n  404982  ,
Lebon ; AJDA 2018. 301  ). À ce titre, elles sont à la fois opposables aux tiers et
invocables par eux. Dans certains cas, c'est la convention dans son ensemble qui,
étant prise pour l'application de dispositions législatives ou réglementaires ou
portant sur l'organisation du service public (CE, sect., 18 mars 1977, Chambre de
commerce de La Rochelle et autres, Lebon 153, concl. Massot  ), est considérée
comme ayant un caractère réglementaire. Dans d'autres cas, la convention
comporte des clauses qui sont les unes contractuelles, comme régissant
seulement les relations entre parties contractantes, les autres réglementaires,
comme s'appliquant aux tiers, notamment en ce qu'elles régissent l'organisation
et le fonctionnement du service public (V. sur la question, CE 10 juill. 1996,
Cayzelle, Lebon 274   ; CJEG 1996. 382, note Terneyre. – Ph. TERNEYRE, Les
clauses à effet réglementaire, RFDA 2011. 893  ). Les tiers peuvent mettre en
cause à ce sujet la responsabilité des parties au contrat de deux manières. D'une
part, comme ils pouvaient déjà le faire à propos des stipulations exclusivement
contractuelles, ils peuvent, se prévalant de l'illégalité des clauses réglementaires,
demander réparation du préjudice qui en résulte pour eux. D'autre part, et c'est
là la nouveauté, ils peuvent, en se prévalant de ces clauses, lorsqu'elles sont
légales, demander réparation du préjudice que leur cause leur inexécution. Ainsi,
la jurisprudence admet l'action en responsabilité dirigée par les tiers contre
l'administration contractante pour son abstention fautive dans l'exercice de ses
pouvoirs à l'égard de son cocontractant (CE, sect., 7 nov. 1958, Sté Électricité et
Eaux de Madagascar et territoire de Madagascar c/ Nicola, Lebon 530, concl.
Heumann).

93. Inversement, les clauses d'une concession d'aménagement prévoyant la


remise à la commune d'éléments de voirie réalisés par l'aménageur n'ont pas de
caractère réglementaire. Les tiers ne peuvent donc pas s'en prévaloir dans le
cadre d'une action en responsabilité quasi délictuelle (CE 31 mars 2014, Union
o
syndicale du Charvet – Union syndicale des Villards, req. n  360904  ,
Lebon T. 745 ; AJDA 2014. 1725, note G. Clamour   ; AJCT 2014. 381, obs.
P. Grimaud  ). De même, les stipulations relatives notamment au régime
financier d’une concession autoroutière ou à la réalisation des ouvrages, qu'il
s'agisse de leurs caractéristiques, de leur tracé, ou des modalités de cette
réalisation, sont dépourvues de caractère réglementaire et revêtent un caractère
purement contractuel. Par suite, sont irrecevables des conclusions tendant à
l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger des stipulations
contractuelles portant sur la reconfiguration d'un échangeur autoroutier et
déterminant les conditions de réalisation d'un aménagement complémentaire à
o
cet échangeur (CE 9 févr. 2018, Val d’Europe Agglomération, préc. supra, n  92).

94. Sous-traitants. - Le sous-traitant ne peut prétendre à l'égard du maître


d'ouvrage ni à une action contractuelle, car aucun lien contractuel n'existe entre
l'administration et le sous-traitant (CE 3 nov. 1958, Chambre de commerce de
Calais c/ Sté Française de construction, Lebon 525. – CE 2 févr. 1979, Sté
Entreprise Roul, Lebon T. 797), ni à une « action directe » prévue par le titre III
de la loi du 31 décembre 1975, car les champs d'application des titres II
(paiement direct) et III sont exclusifs l'un de l'autre (CE 17 mars 1982, Sté
Périgourdine d'étanchéité et de construction, Lebon 133  ), ni, en pratique, à une
action quasi contractuelle, car ses conditions de mise en œuvre sont tellement
rigoureuses qu'à ce jour aucun recours sur ce fondement n'a été reçu
(CE 13 janv. 1965, Sté Établissement Raoul Duval, Lebon T. 980. – CE 2 juill.
1982, Sté Basset et Pujol, Lebon T. 738. – CE 9 mars 1984, Havé, Lebon 669   ;
CJEG 1984. 305, concl. Labetoulle).

95. Seul alors le terrain de la responsabilité quasi délictuelle du maître de


l'ouvrage est envisageable pour le sous-traitant depuis que le Conseil d'État l'a
admis dans l'arrêt SA Schmid-Valenciennes (CE 7 nov. 1980, Lebon 416, Contrats
o
Marchés publ. 1981, n  178, p. 41, concl.). Mais ce terrain est semé d'embûches.

96. Tout d'abord, il faut faire la preuve de la faute du maître de l'ouvrage. Certes,


ce dernier est tenu d'exiger du titulaire du marché le respect des dispositions
législatives, réglementaires et contractuelles en matière de sous-traitance.
Notamment, « le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur
le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas fait l'objet des obligations définies à
l'article 3, mettre l'entrepreneur principal en demeure de s'acquitter de ces
obligations » au moyen éventuellement des diverses sanctions contractuelles qui
sont à sa disposition. Dès lors, tout manquement à ces obligations devrait
constituer une faute du maître de l'ouvrage. En réalité, les choses ne sont pas
aussi simples. En effet, si le maître de l'ouvrage peut engager sa responsabilité
s'il est au courant de l'intervention irrégulière d'une société comme sous-traitant,
cette responsabilité ne joue pas si l'administration n'a connaissance de la
participation de la société qu'après l'exécution des travaux (CE 23 oct. 1985, Ville
o
de Créteil, req. n  53696, inédit) ou, a fortiori, après la mise en règlement
judiciaire de l'entreprise principale (CE 13 mai 1983, Sté S.A.G.A.M., Lebon
T. 780). De plus, cette connaissance doit être précise ; si une lettre adressée au
maître de l'ouvrage dans laquelle est mentionnée l'existence du sous-traitant est
o
suffisante (CE 9 mars 1984, Havé, préc. supra, n  94), des rendez-vous de
chantier auxquels le sous-traitant était présent ne sont pas décisifs (CE 6 nov.
1985, Cne de Checy, AJDA 1986. 42). Toutefois, si cette information du maître de
l'ouvrage est nécessaire, il semble, au regard de la jurisprudence, qu'elle ne soit
pas suffisante pour engager la responsabilité de l'administration : il faut, en
outre, soit que cette dernière ait entretenu des relations directes avec le sous-
traitant (CE 7 nov. 1980, SA Schmid-Valenciennes, préc.), soit qu'elle se soit
manifestement abstenue de régulariser une situation qu'elle savait illégale
(CE 9 mars 1984, Havé, préc. – CE 13 juin 1986, OPHLM du Pas-de-Calais,
D. 1986. IR 424, note Terneyre et références citées).

97. Ensuite, au cas où la responsabilité du maître de l'ouvrage est engagée, on


remarque qu'elle est systématiquement atténuée au tiers du préjudice subi par
les fautes qu'ont commises tant l'entreprise principale en ne soumettant pas à
acceptation et/ou agrément le sous-traitant à l'administration, que ce dernier en
négligeant de s'assurer que ces conditions avaient été remplies. Dès lors, en
pratique, le sous-traitant supporte les deux tiers des sommes perdues dans la
mesure où il lui est dans la plupart des cas impossible de récupérer le tiers mis à
la charge de l'entreprise principale, puisque celle-ci est généralement en
règlement judiciaire.

98. Actions récursoires. - En droit des conventions de délégation de service


public où le délégataire exploite un ouvrage public, on sait que la responsabilité
de ce dernier pour les dommages causés aux tiers par l'ouvrage est limitée aux
seules conséquences de l'exploitation de celui-ci alors que les dommages
imputables à l'ouvrage lui-même, c'est-à-dire à son existence et à sa structure,
engagent la seule responsabilité de la collectivité publique délégante (CE 26 nov.
o o
2007, M. Migliore, req. n  279302  , BJCP 2008, n  57, p. 113, concl. Casas).

99. Lorsque le délégataire d'un service public, condamné par le juge judiciaire à


indemniser les usagers à raison de fautes imputables au délégant, recherche la
responsabilité de ce dernier devant le juge administratif, la réparation du
préjudice doit être évaluée par le juge administratif, non sur la base des
condamnations prononcées par le juge judiciaire dans ces litiges où le délégant
n'était pas partie, mais compte tenu des règles afférentes à la responsabilité des
personnes ayant passé un contrat de droit public (CE 5 juin 2009, Cne de
o o
Richardménil, req. n  295837  , BJCP 2009, n  66, p. 389, concl. Dacosta).

100. Faute personnelle de l'agent ou d'un élu. - La victime non fautive d'un


préjudice causé par l'agent d'une administration peut, dès lors que le
comportement de cet agent n'est pas dépourvu de tout lien avec le service,
demander au juge administratif de condamner cette administration à réparer
intégralement ce préjudice, quand bien même aucune faute ne pourrait être
imputée au service et le préjudice serait-il entièrement imputable à la faute
personnelle commise par l'agent, laquelle, par sa gravité, devrait être regardée
comme détachable du service. Cette dernière circonstance permet seulement à
l'administration, ainsi condamnée à assumer les conséquences de cette faute
personnelle, d'engager une action récursoire à l'encontre de son agent. Tel est le
cas de faux certificats établis par un maire à destination d'une banque finançant
l'exécution d'un marché public conclu entre la commune et une entreprise
o o
(CE 2 mars 2007, Sté BFCOI, req. n  283257  , BJCP 2007, n  53, p. 313, concl.
Séners).

Chapitre 2 - Primauté de la responsabilité contractuelle en cas


de situation contractuelle

101. Lorsque les parties sont liées par un contrat, elles ne peuvent rechercher
leurs responsabilités respectives que dans le cadre de ce contrat. Le principe de
l'absorption des responsabilités extracontractuelles par la responsabilité
contractuelle est commun au droit privé et au droit administratif. Lorsque les
parties se sont placées sur un terrain contractuel, la voie extracontractuelle leur
er
est fermée. C'est ce qu'affirme le Conseil d'État dans un arrêt du 1  décembre
1976, Berezowski (Lebon 521   : « le sieur Berezowski, qui est lié à la commune
par un contrat, ne peut exercer à l'encontre de la commune en raison des
troubles dont il demande réparation, d'autre action que celle procédant de ce
contrat »).

102. Il semble que la justification essentielle du principe réside dans la spécificité


du lien contractuel et, notamment, dans sa force obligatoire à l'égard des parties
contractantes. En s'engageant contractuellement, les parties créent entre elles un
réseau de relations juridiques autonomes prédéterminées dans leur existence et
dans leur sanction. Les parties au contrat, si elles bénéficient des avantages de ce
« monde clos », doivent également se soumettre à ses inconvénients. Dès lors,
en cas de litige, les parties ne devront faire référence qu'au contrat et ne
pourront, même si elles y trouvaient leur intérêt réciproque, utiliser des règles
empruntées au monde juridique extracontractuel. Si tel n'était pas le cas,
l'engagement contractuel perdrait alors son unité et surtout sa force à l'égard des
parties ; quel serait l'intérêt juridique et pratique du contrat si, en cas de
difficultés dans l'exécution de celui-ci, les parties pouvaient emprunter au
domaine quasi délictuel, par exemple, des règles que l'intention des parties était
d'exclure ? On est ainsi amené à constater que le principe de primauté n'est
justifié que par une simple règle de bon sens, destinée à maintenir la cohérence
des catégories juridiques (V. PAILLET, Quelques réflexions sur les rapports entre
responsabilité administrative contractuelle et extracontractuelle [sur la
« tyrannie » du principe de primauté], Mélanges Guibal, 2006, PU Montpellier,
p. 553).

re
Section 1 - Exclusion de toute autre forme de responsabilité

er
Art. 1 - Exclusion des responsabilités extracontractuelles pour faute

103. Lorsque des parties sont liées par un contrat, elles ne peuvent invoquer
comme fautes l'une contre l'autre que celles qui se rattachent à l'exécution de
leur contrat ; elles ne peuvent se placer hors du contrat pour rechercher la
responsabilité du cocontractant. La solution est constante en droit privé. Elle ne
l'est pas moins en droit administratif. Le commissaire du gouvernement Corneille
affirmait ainsi dans ses conclusions sur l'arrêt du Conseil d'État du 22 décembre
1922, Lassus (RD publ. 1923. 428) : « Dès l'instant où le plaignant est non un
tiers mais une partie à un contrat passé avec l'auteur du dommage, la faute
contractuelle absorbe la faute délictuelle ».

104. La jurisprudence illustre ce principe. Dans un arrêt du 13 décembre 1972,


Compagnie d'assurances maritimes, aériennes et terrestres « CAMAT » et autres
(Lebon 805  , JCP 1973. II. 462, note Moderne), le Conseil d'État considère
« qu'une convention du 6 septembre 1957 passée entre la Chambre de commerce
et la société Sud-aviation autorise celle-ci à occuper certaines installations à
usage d'ateliers dépendant du domaine public de l'aérodrome ; que cette
convention accorde à cette société moyennant une redevance spéciale, le droit
d'utiliser les pistes permettant d'accéder à ces installations ; [….] que les
conséquences de l'accident litigieux se rattachent à l'exécution de cette
convention, que la responsabilité de la Chambre de commerce envers la société
ne peut donc être appréciée que dans le cadre des obligations contractuelles ».
Dans un autre arrêt, du 7 mai 1982 (Sté du parking de la Concorde, Lebon
T. 669), le Conseil d'État juge encore qu'une société concessionnaire d'un parc de
stationnement souterrain en vertu d'une convention conclue avec la Ville de Paris
ne peut utilement invoquer la responsabilité quasi délictuelle qui découlerait d'une
faute commise par cette collectivité dans l'exercice des pouvoirs de police. De
même, selon un arrêt du 30 mai 1986, ministre des PTT c/ Sté SALEG
(Lebon 153, D. 1986. IR 43, note Terneyre) relatif à la détérioration d'un câble
téléphonique par une entreprise chargée, en vertu d'un marché passé avec
l'administration des postes et télécommunications, de l'exécution de travaux, « la
responsabilité contractuelle ayant un caractère exclusif, le ministre des PTT ne
pouvait, pour obtenir réparation de l'atteinte causée dans de telles conditions au
domaine public, engager à l'encontre de la société la procédure de contravention
de grande voirie » (V. encore, T. confl. 2 juill. 1984, Wagner c/ Cne de
Hombourg, JCP 1985. II. 20425, note J.-Y. P.). Il en va de même lorsque les
parties sont liées par un contrat de location d'HLM (T. confl. 24 mai 2004, Cts
o
Garcia c/ OPHLM de l'Aude, req. n  3399  ) ou par un contrat de travail de droit
me
public (TA Cergy-Pontoise, 6 juill. 2004, M  L., AJDA 2004. 1946, concl. Israël 
).

105. Le principe de primauté joue y compris pour les personnes qui sont
subrogées dans les droits de la victime (V., pour une compagnie d'assurances,
CAA Nancy, 26 sept. 1989, UAP, Lebon 334  ).

Art. 2 - Exclusion des responsabilités extracontractuelles sans faute

106. Les responsabilités extracontractuelles sans faute sont inopérantes dans le


cadre de relations contractuelles. Ainsi, à propos de la responsabilité pour risque,
l'arrêt du Conseil d'État du 5 janvier 1972, Sté Unitchadienne (Lebon 4),
considère qu'« il est constant qu'à la date de l'accident, la société… avait non la
qualité d'un tiers à l'égard de l'État, mais celle de cocontractante de celui-ci ; elle
ne saurait, dès lors, se fonder sur le risque exceptionnel de voisinage pour
soutenir que la responsabilité de l'État se trouve engagée » (V., aussi en matière
de risque pour dommages de travaux publics, CE 16 nov. 19umeron,
o
Lebon 622. – CE 25 nov. 1994, Sté Aticam, req. n  137318  , Lebon 514  ). De
même, à propos de la rupture de l'égalité devant les charges publiques, l'arrêt du
Conseil d'État du 6 janvier 1971, Sté anonyme de gérance des vêtements Abdon
(RD publ. 1973. 276) considère que « la société requérante étant placée vis-à-vis
de l'État dans une situation contractuelle, le moyen tiré de ce que la décision de
suspendre la libération des échanges lui aurait causé un préjudice spécial lui
ouvrant droit à indemnité fondée sur la rupture de légalité devant les charges
publiques est, en tout état de cause, inopérant ». La responsabilité
extracontractuelle sans faute, aussi bien que la responsabilité délictuelle ou quasi
délictuelle, est donc entièrement absorbée par la responsabilité contractuelle. On
s'étonnera, dès lors, de la solution dégagée par la CAA de Lyon selon laquelle, en
dépit du caractère exclusif de la responsabilité contractuelle, le cocontractant de
l'État peut engager la responsabilité sans faute de celui-ci en cas de dommages
causés par des attroupements ou rassemblements armés, sur le fondement des
dispositions du premier alinéa de l'article L. 2216-3 du code général des
collectivités territoriales reprenant les dispositions de l'article 92 de la loi du
7 janvier 1983 (CAA Lyon, 24 juin 2003, Sté APRR c/ Min. Intérieur, AJDA 2003.
2372, obs. Bourrachot  ).

Section 2 - Portée du principe de primauté

er
Art. 1 - Conséquences sur le terrain de la compétence juridictionnelle

107. Lorsque le contrat unissant l'administration à une autre partie est un contrat


de droit privé, son contentieux ne peut être apprécié que par les juridictions
judiciaires, sans que cette compétence puisse être remise en cause par
l'accomplissement d'une faute extracontractuelle par l'administration
contractante. Le principe de primauté joue quelle que soit la nature du contrat
privé ; il pourra s'agir d'un contrat de transport (CE 6 mai 1921, Cie PLM,
Lebon 454. – CE 27 juin 1947, Hôpital-Hospice de Saint-Dizier,
Lebon 285. – CE 20 févr. 1957, Herbin, Lebon 110) ; d'un contrat de vente
(CE 3 juin 1983, SA Denoyer et Faurite et Sté immobilière Grange Morin, Dr.
o
adm. 1983, n  285. – T. confl. 2 juill. 1984, Wagner c/ Cure de Hombourg, JCP
1985. II. 20425, note J.Y. P.) ou de location (T. confl. 5 déc. 1977, SCI Jean
Mermoz, Lebon 671. – Pour une promesse de bail : T. confl. 7 déc. 1970,
Monition et Sté hôtelière de la Bergerie, Lebon T. 968. – Pour un contrat de
location d'HLM : CE 6 oct. 1965, Denis, Lebon 491. – TA Nice, 26 janv. 1979,
M. de Lopez, Lebon 502 ; T. confl. 15 déc. 1980, Jaouen c/ OPHLM de la Ville de
Paris, Lebon 513) ; d'un contrat de travail (CE 20 févr. 1924, Ben Mohamed,
Lebon 193. – CE 20 déc. 1946, Colonie de Madagascar, D. 1947. 464, note
Huet) ; d'un contrat de prêt (CE 16 nov. 1979, Girard, Lebon T. 665) ; d'un
contrat d'assurance (CE 8 déc. 1978, Sté mutuelle d'Assurance du bâtiment et
des Travaux publics, Lebon T. 737) ou enfin d'un marché privé de travaux
(T. confl. 17 janv. 1972, SNCF et Entreprise Solon et Barrault, Lebon 994). Mais,
en pratique, cette règle va surtout avoir pour effet d'écarter la responsabilité
administrative pour dommages de travaux publics, que ce soit dans les contrats
de droit privé ci-dessus mentionnés ou, le plus souvent, lorsque l'usager d'un
service public industriel et commercial est victime d'un tel dommage. Dans cette
dernière hypothèse, l'application, par la jurisprudence, de l'idée d'absorption est
d'autant plus frappante qu'elle tient en échec le caractère attractif du contentieux
des travaux publics.
108. Par ailleurs, lorsque, à propos de la responsabilité extracontractuelle de
l'administration, la loi a donné compétence aux tribunaux judiciaires, cette
solution ne s'applique pas aux litiges d'ordre contractuel opposant les parties à un
contrat administratif. C'est ainsi que la loi du 31 décembre 1957 relative aux
accidents de véhicules ne s'applique pas aux actions en responsabilité
contractuelle administrative, alors même que le dommage résulte d'un accident
causé par un véhicule mis par l'une des parties à la disposition de l'autre (CE,
sect., 11 janv. 1978, Cie Union et le Phénix espagnol, Lebon 6, concl. Genevois   
; D. 1978. IR 219, obs. Delvolvé).

Art. 2 - Conséquences procédurales

109. On peut systématiser la mise en œuvre, par le juge administratif, du


principe de primauté selon les deux propositions suivantes : au cas où la
responsabilité contractuelle est applicable à la solution du litige, le juge fait
effectivement respecter le principe de primauté en écartant ou en rejetant les
moyens fondés sur la responsabilité non contractuelle ; il se refuse, par contre, à
requalifier correctement de telles requêtes pour statuer au fond : la responsabilité
contractuelle n'est pas d'ordre public.

er
§ 1 - Irrecevabilité des requêtes mal fondées

110. Il en va tout d'abord ainsi lorsque le fait dommageable se rattache à


l'exécution d'un contrat de droit privé dans la mesure où les moyens relatifs à la
compétence juridictionnelle sont toujours d'ordre public, une demande en
responsabilité quasi délictuelle de l'administration sera systématiquement rejetée.

111. Il en va de même dans le cadre d'un contentieux exclusivement


administratif. Si le dommage se rattache à l'exécution d'un contrat administratif,
ou bien le demandeur s'est placé à la fois sur le fondement de la responsabilité
contractuelle et sur celui de la responsabilité extracontractuelle de
l'administration, et le juge administratif fera systématiquement respecter le
er
principe de primauté en statuant sur le fondement contractuel (CE 1  déc. 1976,
Berezowski, Lebon 521  ) ; ou bien le demandeur s'est placé exclusivement sur
un terrain extracontractuel, et le juge rejettera systématiquement sa demande
(CE 6 janv. 1971, SA de gérance de vêtements Abson, RD publ. 1973.
276. – CE 5 janv. 1972, Sté Unitchadienne, Lebon 4  . – CE 7 mai 1982, Sté du
Parking de la Concorde, Lebon T. 669).

§ 2 - La responsabilité contractuelle n'est pas d'ordre public


112. Le principe de primauté a-t-il en outre, pour le juge administratif, une
dimension positive ? Le juge peut-il statuer au fond en appliquant les règles de la
responsabilité contractuelle alors même qu'il serait saisi d'une demande en
responsabilité quasi délictuelle ? Il ne le semble pas.

113. La responsabilité contractuelle, en elle-même, comme les autres formes de


responsabilité, n'est pas d'ordre public. Le demandeur ne peut pas, après avoir
invoqué dans sa demande initiale ou devant le tribunal administratif une forme de
responsabilité, invoquer, par la suite, après l'expiration du délai du recours ou
pour la première fois en appel, une autre forme de responsabilité ; les différentes
actions en responsabilité contractuelle, quasi délictuelle, quasi contractuelle et
décennale sont, en effet, fondées sur des causes juridiques distinctes.

114. Il en va tout d'abord ainsi du passage de la responsabilité décennale à la


responsabilité contractuelle. C'est pourquoi, un constructeur est autorisé à
opposer une fin de non-recevoir à l'appel d'une ville fondé sur la responsabilité
contractuelle du constructeur alors qu'elle avait mis en jeu, devant les premiers
juges, sa responsabilité décennale : la ville « présente ainsi une demande, fondée
sur une cause juridique distincte, irrecevable en appel » (CE 30 oct. 1981, Ville de
Niort, RD publ. 1983. 252). De même, le jugement d'un tribunal administratif
fondé sur la garantie contractuelle alors que la demande se fondait exclusivement
sur la garantie décennale est irrégulier dans la mesure où « les premiers juges
ont retenu un moyen qui n'était pas invoqué devant eux et qui n'est pas d'ordre
public » (CE 10 mars 1982, Sté Braud et Fils, RD publ. 1983. 238).

115. Il en va, par ailleurs, de même du passage de la responsabilité contractuelle


à la responsabilité quasi délictuelle. Le requérant ne peut pas, après avoir
invoqué la responsabilité contractuelle avant l'expiration du délai du recours ou
en première instance, invoquer ensuite (après l'expiration du délai de recours ou
pour la première fois en appel) la responsabilité quasi délictuelle pour faute de
service de l'administration (CE 13 nov. 1936, Pichelin et autres,
Lebon 986. – CE 4 nov. 1970, Boyer, Lebon T. 1162. – CE 22 févr. 1980, SA des
Sablières modernes d'Aressy, Lebon 110  ).

116. La solution est enfin identique pour le passage de la responsabilité


contractuelle à la responsabilité quasi contractuelle (CE 22 févr. 1980, SA des
Sablières modernes d'Aressy, préc.).

117. Il reste que, comme on l'a indiqué plus haut, lorsque le juge saisi d'un litige
engagé sur le terrain de la responsabilité contractuelle est conduit à constater, le
cas échéant d'office, la nullité du contrat, les cocontractants peuvent poursuivre
le litige qui les oppose en invoquant, y compris pour la première fois en appel, un
moyen tiré de la faute consistant, pour l'un d'eux, à avoir passé un contrat nul,
bien que ce moyen qui n'est pas d'ordre public, repose sur une cause juridique
o
nouvelle (CE 20 oct. 2000, req. n  196553  , Sté Citecable Est, BJCP 2001,
o
n  14, p. 54, concl. Savoie).

118. De même, la garantie « postcontractuelle » de parfait achèvement repose


sur le même fondement juridique que la responsabilité contractuelle qui la
précède : elle peut donc être invoquée pour la première fois en appel lorsque le
demandeur n'a mis en cause, en première instance, que la responsabilité
contractuelle du constructeur (CE 9 juill. 2010, Cne de Lorry-les-Metz, req.
o o
n  310032  , BJCP 2010, n  72, p. 349, concl. Dacosta).
o
119. Enfin, comme on l'a évoqué plus haut (V. supra, n  54), a un caractère
d'ordre public l'impossibilité d'invoquer la responsabilité contractuelle après la
réception des ouvrages (CE 31 mars 1989, Cne du Chesnay c/ Entreprise
Chagnaud et autres, D. 1990. Somm. 66, obs. Terneyre  ).

Chapitre 3 - Clauses limitatives ou exonératoires


de responsabilité contractuelle

120. Les cocontractants peuvent-ils librement aménager l'exécution de leurs


obligations au travers de clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité ?
Cette question amène à s'interroger sur la licéité de telles clauses et sur leur
portée lorsqu'elles sont licites (V. MODERNE, De l'exonération de responsabilité
des constructeurs en droit public et en droit privé : esquisse d'analyse
o
comparative, BJCP 1999, n  2, p. 126).

re
Section 1 - Questions de légalité

er
Art. 1 - Clauses exonératoires de responsabilité

121.  A priori, les clauses d'exonération totale devraient être considérées comme
illicites, car contraires soit aux principes généraux du droit, soit à l'ordre public
constitutionnel qui censure les lois instituant un régime d'irresponsabilité totale
o
(V. Cons. const. 12 oct. 1982, n  82-144 DC, Rec. Cons. const. 61 : dans cette
décision, le Conseil décide, au nom du respect du principe d'égalité, que sont
inconstitutionnelles les dispositions législatives instituant au profit de catégories
particulières de personnes physiques ou morales des régimes d'irresponsabilité
civile totale).
122. Mais, tant le juge administratif que le juge judiciaire n'ont encore adopté
une solution générale et aussi radicale en droit de la responsabilité contractuelle.
Pour ces derniers, les clauses d'exonération sont en principe licites, mais elles ne
couvrent pas la faute lourde du responsable (V. CE 9 mars 1977, CCI de Douai,
o
Lebon T. 897) ou, a fortiori, sa fraude ou son dol (V. infra, n  213).

123. Il reste que de nombreuses lois spécifiques, d'application immédiate


(CE 18 févr. 1983, Min. Agriculture c/ Cne d'Aumagne, Lebon T. 785), font
obstacle à l'insertion de telles clauses dans les contrats publics.

124. Collectivités locales. - La disposition législative la plus connue est l'article


16 de la loi du 23 décembre 1972, successivement codifié à l'article L. 316-2 du
code des communes puis aux articles L. 2131-10, L. 3132-4 et L. 4142-4 du code
général des collectivités territoriales.

125. Selon ces articles, « sont illégales les décisions et délibérations par


lesquelles les collectivités locales renoncent soit directement, soit par une clause
contractuelle, à exercer toute action en responsabilité à l'égard de toute personne
physique ou morale qu'elles rémunèrent sous quelque forme que ce soit ». Le
Conseil d'État en a déduit un champ d'application très large : « ces dispositions,
qui doivent être entendues comme s'appliquant non seulement aux communes,
mais aussi à leur groupement, valent non seulement pour les responsabilités qui
résultent des principes dont s'inspirent les articles 1792, 1792-1, 1792-2, 1792-3,
1792-4, 1792-5 et 1792-6 du code civil, mais aussi pour la responsabilité
o
contractuelle (CE 28 janv. 1998, Sté Borg Warner, req. n  138650  , Lebon 20   
; CJEG 1998. 269, note Moderne. – V. aussi CE 3 déc. 1986, Ville de Béziers,
Lebon T. 616 ; D. 1987. Somm. 307, obs. Terneyre).

126. En revanche, contrairement à la cour administrative d'appel de Paris qui


avait également déduit de ces dispositions législatives l'illicéité des clauses
limitatives de responsabilité (CAA Paris, 23 avr. 1992, BRGM, req.
o o
n  89PA00697  et n  89PA01291, AJDA 1993. 140  ), le Conseil d'État en fait
une interprétation stricte aux seules clauses d'exonération : « ces dispositions qui
dérogent au principe de la liberté contractuelle, doivent être interprétées
strictement ; ne visant expressément que les clauses par lesquelles une
collectivité locale renonce à exercer une action en responsabilité, elles ne
s'appliquent pas aux clauses qui se bornent à prévoir un aménagement ou une
limitation de la responsabilité du cocontractant ; il n'en irait autrement que dans
le cas de clauses qui, tout en se présentant comme prévoyant seulement un
aménagement ou une limitation de la responsabilité, auraient un contenu et une
portée dont le rapprochement avec les autres éléments pertinents de l'économie
du contrat ferait apparaître qu'elles auraient été conçues pour produire un effet
voisin de celui d'une clause de renonciation, la cour administrative d'appel n'a pas
légalement justifié son arrêt » (CE 28 janv. 1998, Sté Borg Warner,
préc. – CE 28 sept. 2011, Communauté de communes Canton de Sègre, req.
o
n  337692  ).

127. Garantie décennale. - L'article 1792-5 du code civil, tel qu'il résulte de la


o
loi n  78-12 du 4 janvier 1978 (JO 5 janv.), dispose que : « Toute clause d'un
contrat qui a pour objet soit d'exclure ou de limiter la responsabilité prévue aux
articles 1792, 1792-1 et 1792-2 […] est réputée non écrite ». Le Tribunal des
conflits est venu confirmer que la clause d'exonération de la garantie décennale
souscrite par un maître de d'ouvrage privé au profit de l'État était « réputée non
écrite » (T. confl. 2 mai 1988, CAMB c/ État, Lebon T. 890 ; D. 1989. Somm. 17,
obs. Terneyre). Le Tribunal des conflits a réitéré sa jurisprudence CAMB en
décidant que la renonciation d'un maître d'ouvrage à se prévaloir, dans le cadre
d'un contrat de maîtrise d'œuvre, du bénéfice de la garantie décennale devait
être réputée non écrite et, dès lors, ne pouvait constituer une clause exorbitante
o
du droit commun (T. confl. 11 oct. 1993, Préfet de la Moselle, req. n  02870  ,
Lebon 405  ).

128. De cette jurisprudence, il devrait être déduit également par le juge


administratif que toute clause exonératoire de la mise en jeu des garanties post-
contractuelles est réputée non écrite, sauf les clauses limitatives qui restent
licites : par exemple, réduction du délai de la garantie de parfait achèvement
(CE 28 févr. 1986, Entreprise Blondet, D. 1986. IR 427, obs. Terneyre).

Art. 2 - Clauses limitatives de responsabilité

129. Garanties post-contractuelles. - En droit des contrats publics, elles sont


licites. Ainsi, en droit des garanties post-contractuelles, le juge administratif
admet la validité :

– des clauses transférant la responsabilité décennale d'un constructeur


(l'architecte, en général) à un autre (l'entrepreneur) (CE 17 déc. 1954, Sté
Deloffre, Lebon 675. – CE 12 mars 1958, Ville de Rouen, AJDA 1958.
154. – CE 2 déc. 1970, Bernardis, Lebon 729. – CE 16 déc. 1970, Cne de Périers,
Lebon 594. – CE 2 juill. 1971, Entreprise Villemaine, Lebon 508  ) ;

– des clauses réduisant le délai de la garantie (CE 21 janv. 1927, Cie générale


des eaux, Lebon 94. – CE 18 mai 1962, Bernard, AJDA 1963. 32), à condition
qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur le sens de la stipulation et qu'elle traduise la
volonté expresse des parties (CE 23 févr. 1977, Faugeron, Lebon T. 816) ;

– des clauses limitant la garantie décennale à certaines catégories d'ouvrages ou


de malfaçons (CE 6 févr. 1903, Gibert, Lebon 105 : qualité des
matériaux. – CE 19 nov. 1918, Ville d'Orléans, Lebon 831 : une partie
d'ouvrage. – CE 12 mars 1958, Ville de Rouen, AJDA 1958. 154 : « mise en
œuvre » des matériaux) ;

– d'une clause substituant à la garantie décennale une garantie contractuelle de


deux ans sur certaines parties de l'ouvrage (CE 3 mars 1982, Synd.
intercommunal Lyon Saint-Fons Vénissieux et autres, Lebon 97  ).

130. De même, sont licites les clauses favorables aux maîtres d'ouvrage qui
étendent la garantie décennale à toutes les défectuosités pouvant se manifester
durant le délai de garantie (CE 15 déc. 1950, Cie française des conduites d'eau,
Lebon 620. – CE 12 déc. 1954, Sté Deloffre, Lebon 675), ou celles qui allongent
la durée de la garantie (CE 2 déc. 1892, Ville de Denain,
Lebon 861. – CE 21 janv. 1927, Cie générale des eaux c/ Van Zuylen,
Lebon 96. – CE 21 juin 1967, Huot, Lebon T. 857. – CE 29 mars 1968, Entreprise
de travaux publics Pecher et Ligozat, Lebon 219  . – CAA Versailles, 10 mars
o o
2009, M. Dufournet, req. n  07VE1223, BJCP 2009, n  65, p. 347).

131. Dans un arrêt (CE 6 juin 1984, Min. Éducation nationale c/ Monge et autres,


Lebon T. 672), le Conseil d'État a estimé qu'une clause portant à « vingt-cinq
ans » la durée pendant laquelle les constructeurs seraient responsables,
postérieurement à la réception définitive, avait « pour seul objet d'accroître la
durée du délai de la garantie décennale ».

132. Autres hypothèses. - Par ailleurs, aucune disposition législative ou


réglementaire ni aucun principe général du droit n'interdisent à l'État d'accepter
que la responsabilité encourue par son cocontractant en cas d'inexécution de
certaines de ses obligations contractuelles soit plafonnée à un montant fixé par le
os
contrat (CE 23 mars 1992, Martin et autres, req. n  87599   s., Lebon T. 820   
: les requérants ne sont pas fondés à invoquer l'illégalité de l'article 2-2-3 de la
convention qui limite à 250 000 000 F la « garantie financière » constituée par la
société « The Walt Disney Company » pour couvrir la responsabilité encourue par
cette société en cas d'inexécution de ses obligations portant sur la période
antérieure à la constitution de la « société pivot » et au cas de défaut de
constitution de cette dernière société).

133. De même, s'agissant d'une clause du contrat d'exploitation d'une installation


de chauffage central conclu entre un OPHLM et deux sociétés prévoyant que
« l'exploitant prendra à sa charge tous remplacements ou réparations quels qu'ils
soient, en chaufferie ou dans le reste de l'installation quelle qu'en soit la cause,
accidentelle ou de l'usure normale des appareils », le juge décide qu'en vertu de
cette clause, la responsabilité des sociétés d'exploitation se trouve engagée à
raison du préjudice subi par l'Office du fait de la déformation de la cuve à mazout
(résultant du passage d'engins lourds appartenant à une entreprise de travaux
publics), dès lors que celui-ci est survenu après la mise en service de l'installation
(CE 6 mai 1983, Entreprise Barbé et autre, Lebon T. 785).
134. Les stipulations du cahier des charges annexé à la convention de concession
passée entre l'État et la société concessionnaire de l'autoroute A 10, prévoient
que la société concessionnaire devra « se soumettre, sans aucun droit à
indemnité, à toutes les mesures prises par les autorités investies du pouvoir de
police de la circulation, en période de trafic intense en vue de tirer le meilleur
parti par toutes les catégories d'usagers de l'ensemble du réseau routier dont fait
partie l'autoroute concédée ». Ces stipulations font obstacle à l'indemnisation, par
l'État, du préjudice causé au concessionnaire par la réquisition entre le 7 et le
9 janvier 1994 par le préfet de la Vienne, en vue d'accorder le libre passage sur
une section de l'autoroute pour la déviation du trafic rendue nécessaire par la
coupure de la nationale 10 par des eaux de crues (TA Poitiers, 22 mai 1997, SA
o
Cofiroute, req. n  941777  , Lebon T. 935). En revanche, une clause prévoyant
l'indemnisation du cocontractant de l'administration, du fait de la non-
reconduction tacite du contrat, est illégale (CE 17 oct. 2016, Cne de Villeneuve-
o
le-Roi, req. n  398131  , Lebon ; AJDA 2017. 231, note G. Clamour   ; AJDA
2016. 1954   ; AJCT 2017. 158, obs. P. Jacquemoire  ).

135. Résiliation pour motif d'intérêt général. - En cas de résiliation du


contrat par l'administration pour motif d'intérêt général, le cocontractant a droit à
être indemnisé des préjudices subis du fait de cette résiliation. Reste que le
contrat peut déterminer l'étendue et les modalités de cette indemnisation qui ne
doit toutefois jamais avoir pour effet de permettre à l'administration de consentir
une libéralité à son cocontractant.

136. En conséquence, il ne doit pas résulter de la clause contractuelle


d'indemnisation, au détriment de la personne publique, une disproportion
manifeste entre l'indemnisation ainsi fixée et le montant du préjudice résultant,
pour le cocontractant, de dépenses qu'il a exposées et du gain dont il a été privé
du fait de la résiliation (CE 4 mai 2011, CCI Nîmes, Uzès, Bagnols, Le Vigan, req.
o
n  334280  , Lebon ; AJDA 2011. 929   ; RDI 2011. 396, obs. S. Braconnier   ;
RFDA 2012. 455, chron. H. Labayle, F. Sudre, X. Dupré de Boulois et L. Milano   
o
; BJCP 2011, n  77, p. 285, concl. B. Dacosta. – CE 22 juin 2012, CCI de
o o
Montpellier, req. n  348676  , Lebon ; AJDA 2012. 1259   ; BJCP 2012, n  84,
p. 330, concl. B. Dacosta). Pour le cas particulier des modalités d'indemnisation
de la part non amortie des biens de retour dans un contrat de concession, la
clause d'indemnisation doit obéir aux règles spécifiques posées dans l'arrêt « Cne
o
de Douai » (CE 25 oct. 2017, Cne du Croisic, req. n  402921  , Lebon ; AJDA
o
2017. 2104   ; AJCT 2018. 96, obs. J.-D. Dreyfus   ; BJCP 2018, n  116, concl.
G. Pellissier).

137. En revanche, décident les mêmes arrêts, rien ne s'oppose à ce que les
stipulations du contrat prévoient une indemnisation inférieure au montant du
préjudice subi par le cocontractant privé. Un autre arrêt va même jusqu'à décider
que « aucun principe n'interdit qu'un contrat administratif comporte une clause
excluant toute indemnité du contractant en cas de résiliation par la personne
o
publique » (CE 19 déc. 2012, Sté AB Trans, req. n  350341  , AJDA 2013. 722 
). Une telle solution, qui se doit d'être confirmée (V. peut-être « Cne du Croisic »,
o
préc. supra, n  136), est extrêmement critiquable, car insuffisamment protectrice
du droit à l'équilibre financier du contrat administratif.

138. Enfin, il s'avère que, pour les motifs précités, la clause d'indemnisation est
illicite, l'une des parties peut demander au juge même, après la clôture de
l'instruction, la condamnation de la personne publique à l'indemniser du préjudice
qu'elle estime avoir subi du fait de la résiliation par l'administration sur le
fondement des « règles générales applicables, dans le silence du contrat, à
l'indemnisation du cocontractant en cas de résiliation du contrat pour un motif
d'intérêt général ». En revanche, il n'appartient pas au juge de se prononcer
o
d'office sur ce point (CE 3 mars 2017, Sté Leasecom, req. n  392446  , Lebon ;
AJDA 2017. 494   ; AJDA 2017. 1678, note F. Lombard   ; AJCT 2017. 336, obs.
o
S. Hul   ; RTD com. 2017. 297, obs. F. Lombard   ; BJCP 2017, n  113, p. 211,
concl. G. Pellissier).

Section 2 - Portée

139. Faute lourde. - S'agissant des clauses exonératoires ou limitatives de


responsabilité, celles-ci ne s'appliquent pas dans le cas où la partie qu'elles
protègent a commis une faute lourde (CE 24 janv. 1958, Sté Gencel,
Lebon 44. – CE 3 juin 1960, Min. de la Défense nationale c/ Sté nationale des
constructions aéronautiques du Nord, Lebon 391. – CE 20 mars 1968, Ville de
Paris, Lebon T. 1100. – CE 2 juill. 1971, Entreprise Villemaine,
Lebon 508. – CE 29 juin 1973, Min. Équipement c/ Sté parisienne pour l'industrie
électrique, Lebon 456. – TA Bordeaux, 16 juill. 1981, Cne de Fumel, Lebon
T. 811 : grave défaut de surveillance du maître d'œuvre public. – CE 25 nov.
o
1994, Sté Aticam et autres, req. n  137318  , Lebon 514  ).

140. La solution est la même pour l'application des clauses par lesquelles
l'entreprise titulaire d'un marché de travaux publics s'engage à garantir le maître
d'ouvrage des condamnations prononcées contre celui-ci à la suite de dommages
imputables aux travaux qui font l'objet du marché : ces clauses sont tenues en
échec par la faute lourde du maître de l'ouvrage (CE 10 févr. 1961, Ville de
Béziers, Lebon 113. – CE 12 oct. 1973, SEITA, Lebon 565, concl. Gentot 
. – CE 22 juin 1987, Boulon et Sté générale d'entreprises,
Lebon 225. – CE 16 mai 1994, Sté des transports intercontinentaux et Opéra,
o
req. n  118332  , Lebon 241  ).

141. Appréciation du juge. - Le juge administratif n'admet la licéité des clauses


limitatives de la responsabilité décennale qu'à la seule condition qu'elles
traduisent la volonté expresse et claire des parties contractantes. En cas de doute
sur la portée d'une telle clause, le juge ne lui fait pas produire l'effet supposé
(CE 23 févr. 1977, Faugeron et autres, Lebon 896  . – CE 4 mai 1984, Sté
Pomalgaski, Marchés publics, janv.-févr. 1985, p. 61). Par ailleurs, le juge
administratif interprète restrictivement les clauses limitatives en ce sens que
lorsqu'elles visent une partie d'ouvrage ou certains éléments d'équipement, elles
ne sauraient exclure la garantie décennale du constructeur pour les vices de
conception de l'ouvrage (CE 2 déc. 1977, Ville d'Evian, Lebon 484  . – CE 22 juin
1984, SCP Piano et Rogers, Lebon T. 672. – CE 25 févr. 1976, Sté Leiseing et Fils,
Lebon T. 1005). De même, lorsqu'une clause contenue dans le CCAP du marché
dispose que « le délai de garantie sera de douze mois à partir de la réception
après les essais », cette clause doit être comprise, en l'absence de stipulations
expresses, comme ayant entendu viser seulement la garantie de bon
fonctionnement et ne trouve pas à s'appliquer en matière de garantie décennale
o
(CE 8 déc. 1999, Sté Borg Warner, BJCP 2000, n  9, p. 116, concl. Bergeal).

Titre 2 - Conditions d'existence de la responsabilité contractuelle

142. Que ce soit en droit civil ou en droit administratif, la mise en jeu de la


responsabilité contractuelle de l'une des parties à un contrat suppose toujours
que soient réunies trois conditions : qu'il existe un « fait » ou une « faute » de
l'autre partie ; que la victime ait subi un préjudice et qu'il existe un lien de
causalité entre le fait générateur et le préjudice subi.

er
Chapitre 1 - Fait générateur

143. L'originalité et la spécificité de la responsabilité contractuelle, tant en droit


privé qu'en droit public, résident à l'évidence dans l'existence d'un contrat, et la
préexistence de l'obligation contractuelle va naturellement exercer une grande
influence sur la délimitation du fait générateur de la responsabilité contractuelle.

144. Conformément à l'article 1103 du code civil aux termes duquel « les


contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits », l'effet
général et essentiel de tout lien contractuel est bien en effet de créer à la charge
de chacune des parties contractantes l'obligation d'exécuter ses engagements
(principe expressément reçu par la jurisprudence administrative dans le célèbre
arrêt Gaz de Bordeaux : « Considérant qu'en principe le contrat règle d'une façon
définitive, jusqu'à son expiration, les obligations respectives de l'administration et
de son cocontractant », CE 30 mars 1916, Cie générale d'éclairage de Bordeaux,
Lebon 125, concl. Chardenet  ). Dès lors, si l'on considère que la responsabilité
contractuelle est la sanction de la force obligatoire du contrat, le fait générateur
de cette responsabilité sera nécessairement l'inexécution, par l'une des parties
contractantes, d'une ou plusieurs de ses obligations contractuelles.

145. Toutefois, en droit public, la question du fait générateur de la responsabilité


contractuelle présente une originalité évidente. En effet, si la plupart du temps
l'inexécution des obligations contractuelles s'identifie à une faute contractuelle,
elle peut également résulter de l'exercice non fautif, par une personne publique,
des prérogatives de puissance publique qu'elle détient. Les personnes publiques
ne sont pas des parties contractantes identiques aux autres ; elles n'aliènent, en
contractant, aucune de leurs compétences de puissance publique. Or, l'exercice
de ces compétences peut éventuellement affecter les conditions d'exécution du
contrat. Dans ce cas, leur responsabilité contractuelle pourra être engagée en
l'absence de tout comportement fautif.

re
Section 1 - Faute contractuelle

er
Art. 1 - Fautes de l'administration contractante

146. Il n'est pas question ici de dresser une liste exhaustive de tous les
manquements susceptibles d'engager la responsabilité contractuelle de
l'administration ; une telle entreprise serait vouée à l'échec, car cela reviendrait à
analyser toutes les obligations contractuelles de l'administration, tâche impossible
puisqu'il existe autant d'obligations qu'il y a de contrats. La seule démarche
concevable consistera, par conséquent, à réunir, par grandes catégories, les
manquements que l'on rencontre le plus fréquemment dans la jurisprudence
administrative.

er
§ 1 - Non-exécution, par l'administration, de ses obligations
contractuelles

147. Parce que l'administration est tenue de donner suite au contrat qu'elle a


signé, elle engage sa responsabilité contractuelle si elle renonce à l'exécution de
son engagement ou rompt unilatéralement et sans raison ce contrat (CE 25 juill.
1939, Hayem, Lebon 528 : l'administration n'a pu revenir sur une commande
faite. – CE 14 mai 1948, Cne de Beaucaire c/ Zanetta, Lebon 694 : responsabilité
d'une commune pour « inexécution de l'obligation qu'elle avait contractée de
réaliser certains travaux ». – CE 24 mai 1949, Secr. d'État aux Communications,
Lebon 328 : « La commune a renoncé sans raison apparente à l'exécution des
travaux […]. Le préjudice subi engage la responsabilité de la
commune ». – CE 14 oct. 1959, Féd. nationale des industries radioélectriques et
électroniques, Lebon T. 1032 ; RD publ. 1960. 196 : « en rompant
unilatéralement le contrat qui la liait à la fédération requérante, l'administration a
ouvert au profit de cette fédération un droit à réparation ». – CE 18 mars 1970,
Sté Littoral Nord, RD publ. 1973. 281 : arrêt des travaux sans mise en
demeure. – CE 24 févr. 1971, Sté des téléphériques français et Cne de
Guillaumes, Lebon 163  . – CE 29 juin 1990, Sté Études-recherches-ingénierie-
o
construction c/ Centre hospitalier de Moutiers, req. n  68025  , D. 1991.
Somm. 103, obs. Terneyre   : l'hôpital qui délègue à l'État la maîtrise d'ouvrage
d'une opération de construction d'une maison de retraite, est contractuellement
engagé à l'égard du maître d'œuvre désigné par l'État, et résilie donc des
engagements contractuels en décidant de reprendre la maîtrise d'ouvrage et de
choisir un autre maître d'œuvre ; ce manquement à ses obligations contractuelles
est constitutif d'une faute engageant la responsabilité de l'hôpital à l'égard du
maître d'œuvre évincé qui peut prétendre à être indemnisé du coût des études
effectuées entre la date de sa désignation par l'État et celle à laquelle il a été
informé qu'il ne serait pas donné suite à cette désignation. – CAA Marseille,
28 juin 2004, Ville de Nice, AJDA 2004. 2065   : une fois qu'une collectivité
publique a accepté un don ou un legs conditionné, elle engage sa responsabilité si
elle renonce au don ou au legs au motif que les conditions posées sont
irréalisables).

148. La seule dérogation à cette sanction concerne l'offre de concours où


l'administration peut, après avoir accepté l'offre, renoncer à l'exécution des
travaux prévus et cela, sans que sa responsabilité contractuelle soit engagée
er
(CE 1  mai 1936, Garino, Lebon 489).

149. Par ailleurs, si l'administration est tenue d'exécuter le contrat, elle est


également tenue d'exécuter « l'intégralité » des obligations contractuelles qu'elle
a souscrites. À ce titre, elle doit exécuter toutes les obligations prises
individuellement. Elle ne peut se délier d'une partie de ses obligations ou refuser
à son cocontractant l'exercice d'un droit conforme au contrat (V., par ex.,
CE 18 mars 1959, Sieur Peter et ONN, Lebon 189. – CE 30 oct. 1951, Sté Citroën,
Lebon 504 : le cocontractant « a droit à une indemnité pour inaccomplissement
par l'État de certaines de ses obligations contractuelles ». – CAA Nancy, 16 avr.
o
1998, Dpt de la Marne, BJCP 1999, n  4, p. 369, concl. Vincent : responsabilité
contractuelle de l'État envers un département pour ne pas avoir mis à la
disposition de ce dernier les personnels prévus). À cet égard, deux manquements
graves de l'administration contractante doivent être ici signalés : il s'agit, d'une
part, de la « distraction des travaux » qui consiste, pour le maître de l'ouvrage, à
retirer une partie des travaux compris dans le marché pour l'attribuer à un autre
entrepreneur ou pour les exécuter lui-même en régie. Une telle pratique engage
bien évidemment la responsabilité contractuelle du maître de l'ouvrage (CE 6 mai
1931, Sous-secrétaire d'État aux finances c/ Bayon, Lebon 490. – CE 22 déc.
1932, Amouroux, Lebon 1125. – CE 2 mars 1933, Cts Vaccaro,
Lebon 259. – CE 14 déc. 1934, Gouverneur général d'Algérie,
Lebon 1183. – CE 21 avr. 1943, Sté ouvrières des Carrières,
Lebon 415. – CE 28 janv. 1976, Sté des Ateliers Delestrade et Ramser Comte,
Lebon 68  ) ; il s'agit, d'autre part, de l'arrêt brutal et sans mise en demeure des
travaux par l'administration avant que les obligations contractuelles aient été
complètement exécutées par le cocontractant et sans qu'une clause contractuelle
ve
l'y autorise (CE 29 juill. 1953, Entreprise VV  Marcel Duval, RD publ. 1954.
198. – CE 15 avr. 1959, Ville de Puteaux c/ Sieur Schwab, RD publ. 1959. 1066 :
ajournement brutal des travaux à la suite d'une demande de révision des prix
présentée par le cocontractant. – CE 2 mars 1966, Cne de Guillaumes, RD publ.
1966. 995 : suspension sans limitation de délai. – CE 27 janv. 1978, Ville de
Bagneux, RD publ. 1978. 1490).

150. De même, le refus d'autorisations conformes au contrat serait constitutif


d'une faute contractuelle (CE 10 mai 1963, Ville de Nice c/ Sté niçoise des
Ascenseurs du Château, Lebon 292).

151. Enfin, lorsque l'administration (notamment délégante) souscrit au bénéfice


du cocontractant des clauses d'exclusivité de l'activité qui lui est confiée, que ces
clauses sont licites au regard du droit de la concurrence et qu'elles sont expresses
(sinon, elles ne sont pas opposables : CE 25 juill. 2001, Ville de Toulon, req.
o o
n  217307  , Dr. adm. 2001, n  211), la collectivité publique engage sa
responsabilité contractuelle lorsqu'elle octroie à des tiers à la convention
d'exclusivité des autorisations pour assurer la même prestation que celle assurée
par le délégataire dans la zone couverte par la convention (CE 16 déc. 1921,
Sassey, Lebon 1062. – CE 13 janv. 1934, SA pour l'exploitation du frigorifique de
l'abattoir d'Orléans, Lebon 76. – CE 12 févr. 1937, Sté électricité et de gaz de
Basse-Moselle, Lebon 191. – CAA Paris, 4 juin 1992, SA Tahiti Moorea Service,
o
req. n  90PA01067, Lebon 535   ; AJDA 1993. 140  ) ou lorsqu'elle tolère,
encourage ou ne réprime pas l'exploitation de services concurrents non autorisés
(CE 27 févr. 1924, Cne de Morzine, Lebon 226. – CE 7 mai 1937, Sté Samson et
Spitzner, Lebon 480. – CE 23 juill. 1973, Cie nantaise de transports en commun,
o
Dr. adm. 1974, n  322. – CE 28 mars 1979, Cne de Lavaur, RD publ. 1980.
1482. – CE 7 janv. 1976, Ville d'Amiens, Lebon 11).

152. Dans ces hypothèses, le délégataire qui subit un préjudice du fait de la


violation des clauses d'exclusivité dont il bénéficie a alors droit au
remboursement, par l'autorité délégante, à la fois des pertes subies et du
manque à gagner, voire à l'indemnisation de l'atteinte à sa réputation (CAA Lyon,
o
23 sept. 1997, Min. Équipement c/ CCI Nice-Côte d'Azur, req. n  94LY01164  ,
o
Lebon T. 932  . – CAA Bordeaux, 23 juin 1998, Mission, BJCP 1999, n  2,
p. 214).
§ 2 - Mauvaise exécution, par l'administration, de ses obligations
contractuelles

153. Si l'administration contractante est tenue d'exécuter complètement ses


obligations, et toutes ses obligations, elle doit également les exécuter
« correctement ». On aborde ici des problèmes plus délicats à analyser puisqu'il
va s'agir de manquements dont l'appréciation est, par définition, subjective.

154. Tout d'abord, l'administration peut avoir mal préparé le contrat et, ainsi,
manqué à ses obligations ; il peut s'agir, en premier lieu, d'erreurs ou omissions
techniques dans les plans fournis par l'administration ou dans l'estimation du
volume des travaux (CE 23 janv. 1952, Compagno, Lebon 773. – CE 25 oct.
1961, ASR de Blois, Lebon 582 : « Erreur, lors de l'établissement du projet » de
nature à engager la responsabilité de l'administration. – CE 7 févr. 1962, Dame
ve
VV  Sutra, Lebon T. 1020. – CE 16 févr. 1972, OPHLM de la Ville de Nantes,
Lebon 148. – CE 7 déc. 1973, Sieurs Le Couteur et Sloan, Lebon 705 
. – CE 11 févr. 1983, Sté Entreprise Caroni, Lebon 60) ou de mauvaises
informations géologiques données au titulaire du contrat (CE 14 mai 2008,
o
Collectivité territoriale de Corse, req. n  282312  ). Plus grave est le
manquement de la collectivité publique « dans la conception même du projet » ou
dans l'insuffisante précision des obligations à la charge des cocontractants
(CE 29 juin 1951, Secr. d'État à la Défense nationale c/ Sieur Debernardy, RD
publ. 1952. 523 : « Le génie n'a pas, à ce sujet, dans les textes mêmes du
marché donné suffisamment de précision pour donner loyalement à
l'entrepreneur le moyen d'analyser à l'avance la répercussion de ces difficultés
sur le prix de revient du béton spécial mis en place ». – V. aussi CE 24 juin 1953,
Boumier, RD publ. 1954. 197 : « Prévisions erronées » ; et CAA Lyon, 30 déc.
1992, SITCOM des Combrailles, Lebon T. 1108   : dossier technique impropre à
alerter le cocontractant sur les risques présentés par le choix du site d'exécution
du contrat). De même, la mise en œuvre du contrat en un lieu différent de celui
primitivement prévu et ayant pour conséquence de causer au cocontractant un
préjudice, est également générateur de l'allocation de dommages et intérêts à la
charge de l'administration (CE 13 juill. 1965, Sté Nationale de Construction,
Lebon 464).

155. Par ailleurs, en début d'exécution du contrat, il est très souvent fait


obligation à l'administration contractante de remettre au cocontractant les
matériaux nécessaires à l'exécution du contrat ; ces matériaux doivent être
conformes aux prescriptions contractuelles mais, surtout, être adaptés à la
er
réalisation de la prestation demandée au cocontractant (CE 1  avr. 1936, Éts
Hasser, Lebon 433. – CE 8 mars 1961, Sté Air-Couzinet Transoceanic, Lebon 162
[dans cette hypothèse, le cocontractant n'apporte pas la preuve de la mauvaise
qualité du bois fourni]. – CE 13 déc. 1961, Min. TP c/ Sté nationale de
Construction, Lebon 706 : remise de planches trop courtes et de tailles
différentes. – CE 23 nov. 1962, Sté de gérance des vêtements Abdon, RD publ.
1963. 625 : remise de pièces de tissu « comportant de très nombreuses
tares ». – CE 13 juill. 1965, Sté nationale de Construction, Lebon 464 : moellons
« défectueux »). De même, l'administration doit quelquefois remettre à son
cocontractant un ouvrage conforme à sa destination. En effet, si la personne
publique est dans l'obligation contractuelle de livrer un ouvrage, un chantier, un
terrain, cette obligation se divise en deux : une obligation de délivrance et une
obligation de conformité ; l'ouvrage remis doit correspondre aux descriptions du
contrat et surtout être à même de permettre au cocontractant de remplir
correctement ses propres obligations contractuelles. C'est ainsi qu'un arrêt du
9 janvier 1949, « Syndicat du Canal de Mokta-Maklouf » (Lebon 13) reconnaît
« la responsabilité contractuelle de l'Algérie qui n'a pas pu tenir l'engagement
qu'elle avait pris de lui remettre un ouvrage conforme à la destination qu'il devait
avoir » (V. égal. CE 18 mars 1959, Sieur Peter et ONN, Lebon 189 : pour un
contrat d'affermage, les cales de radoub et de tirage devaient être conformes à
leur destination ». – CE 25 juill. 1985, Cne de Gray, Lebon 227  ). On peut
rapprocher de cette hypothèse l'arrêt « Ville d'Amiens » (CE 7 janv. 1976,
Lebon 11), dans lequel la Haute Assemblée a engagé la responsabilité
contractuelle de la ville en relevant que, dans le cadre d'une concession de parc
de stationnement, le nombre de places concédé était inférieur au nombre de
places prévu dans le contrat ; le concessionnaire voyait donc ses droits
contractuels réduits.

156. Toujours pendant l'exécution du contrat, l'administration ne doit pas


commettre elle-même de fautes ou priver le cocontractant de certains de ses
droits contractuels. Ainsi, un « mauvais agencement des travaux » (CE 3 mars
1965, Ville de Chateaudun, RD publ. 1966. 193), une « mauvaise coordination
des travaux » (CE 17 nov. 1967, Sté des Ateliers de Construction Nicou,
Lebon 431  ), une « erreur de piquetage » commise par un agent de
l'administration (CE 29 avr. 1960, Petard, Lebon T. 1051) engagent la
responsabilité contractuelle de cette dernière. Il en va de même si la personne
publique retire un droit contractuel à son cocontractant (CE 20 mai 1955, Sté
d'Entreprises métropolitaines et coloniales, Lebon T. décennales, p. 841 : le
retrait de l'usage normal d'une voie publique pour un entrepreneur constitue un
manquement de l'administration à ses obligations contractuelles. – CE 5 févr.
1958, Dpt des Basses-Pyrénées, Lebon 70 : retrait d'un local. – CE 3 juin 1964,
SA Funiculaires et Téléfériques Azuréens, Lebon 321 ; AJDA 1965. 163, note
Laporte : privation d'ouvrages aménagés pour l'exploitation de la concession).
Enfin, des travaux que l'administration s'engage à effectuer pour le compte d'un
particulier doivent être exécutés dans des conditions satisfaisantes ; s'ils sont
exécutés « dans des conditions défectueuses », l'administration commet une
faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard du particulier (CE 24 avr.
1981, Cne de Lingolsheim, RD publ. 1982. 536) ; par ailleurs, une interruption de
près de dix-huit mois des travaux du fait de l'administration engage la
responsabilité de cette dernière (CE 21 févr. 2000, OPHLM de la Ville de Nice, req.
o
n  187257  , inédit). Enfin, l'inexécution des obligations contractuelles peut
résulter d'une simple « abstention » de l'administration à exécuter ses
obligations ; si tel est le cas, elle manque naturellement à ses obligations
contractuelles (V., par ex., CE 15 févr. 1984, Secr. d'État aux PTT et TDF,
Lebon 68  ). Dans l'affaire « Ville d'Amiens » précitée, la ville, concédante d'un
parc de stationnement, s'était abstenue d'une part, de transmettre les procès-
verbaux d'infraction au procureur de la République comme elle devait
contractuellement le faire, et d'autre part, de rappeler par voie de presse les
modalités de fonctionnement du parking (sur cette affaire, V. TA d'Amiens,
10 juill. 1973, Sté Parco-Amiens, Lebon 779. – 7 janv. 1976, Ville d'Amiens,
o
Lebon 11. – 6 mai 1977, Ville d'Amiens, Dr. adm. 1977, n  177).

157. Dans le cadre de l'exécution de marchés publics de travaux à forfait qui


nécessite que l'administration maître de l'ouvrage coordonne les différents
intervenants, le Conseil d'État juge que « les difficultés rencontrées dans
l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de
l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces
difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet
de bouleverser l'économie du contrat, soit qu'elles sont imputables à une faute de
la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de
contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la
conception même du marché ou dans sa mise en œuvre, en particulier dans le
cas, où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics »
o
(CE 12 nov. 2015, Sté Tonin, req. n  384716  , Lebon ; AJDA 2015. 2176  .
o
– CE 5 juin 2013, Région Haute-Normandie, req. n  352917  , Lebon ; AJDA
2013. 1196   ; AJDA 2013. 2095, note J.-E. Martin-Lavigne   ; RDI 2013. 588,
o
obs. A. Galland   ; AJCT 2013. 524, obs. R. Bonnefont   ; BJCP 2013, n  91,
p. 409, concl. B. Dacosta).

§ 3 - Retard, par l'administration, à exécuter ses obligations


contractuelles

158. Comme son partenaire, l'administration est tenue de respecter les délais


d'exécution du contrat. Ceux-ci sont généralement prévus par le contrat lui-
même mais, en l'absence de stipulations expresses, la jurisprudence décide qu'il
existe une « durée normale d'exécution » du contrat (CE 7 févr. 1951, Ville de
Paris, Lebon 76) ou bien que, dans le silence du contrat sur le délai de mise à
disposition d'un ouvrage au cocontractant par l'administration, ce dernier peut se
prévaloir d'une mise à disposition « dans un délai raisonnable » (CE 4 juill. 2014,
o
Sté Orme, req. n  371633  , Lebon ; AJDA 2014. 1417  ). Cependant, « une
partie à un contrat ne peut être considérée comme étant en retard dans
l'exécution des obligations qui en découlent qu'à compter de la mise en demeure
qui lui est faite de les exécuter » (CE 5 nov. 1959, Cne de Bollene, RD publ.
1960. 713. – Pour une espèce où le cocontractant n'avait pas respecté ces
conditions de forme, V. CE 5 juill. 1972, SA de Construction et de TP, Lebon 516).

159. Les formes que peuvent prendre les retards fautifs de l'administration


contractante sont très diverses et le Conseil d'État utilise, à cet égard, diverses
expressions pour les qualifier : « retard », « carence », « lenteurs »… De fait,
certaines décisions condamnent l'administration pour un comportement général
manifestant « une lenteur à poursuivre l'exécution d'un projet » (CE 20 déc.
1961, Sieur Jacquet, Lebon 723. – CE 7 déc. 1973, Sieurs Le Couteur et Sloan,
Lebon 705  ) ou pour « le retard apporté par la personne publique à l'exécution
de ses propres engagements » (CE 19 févr. 1975, Min. d'État chargé de la
Défense nationale c/ Sté Entreprise Campenon-Bernard, Lebon 143  ). Toutefois,
la plupart du temps, l'administration est condamnée pour des retards très précis.

160. C'est ainsi que l'administration peut engager sa responsabilité contractuelle


en s'abstenant de « délivrer des ordres de services » (CE 16 juin 1954, Sté des
Établissements Hugues, Lebon 355) ou des décisions « conditionnant la suite des
o
travaux » (CE 12 mai 1982, Sté de TP et Bâtiments Theg, req. n  23340  ,
inédit). De même, elle engage sa responsabilité en fournissant, de façon tardive,
des éléments indispensables à la réalisation du contrat comme des plans, des
dessins ou des renseignements (CE 9 avr. 1954, Sté d'Études générales optiques
et radiophoniques, Lebon 226. – CE 16 juin 1954, Sté des Ets Hugues et Cie,
Lebon 355. – CE 29 janv. 1958, Sté « L'Urbaine-Travaux », Lebon 49. – Ou
comme des « bons de déblocage » ou « bons matières », CE 5 mars 1958, Sté
« Entreprise Lavaud-Foliard », Lebon 146. – CE 15 juill. 1958, Sieur Guillet,
Lebon 451. – CE 3 mai 1961, Sté « Entreprise Thomas Kotland », Lebon 290). Par
ailleurs, le retard dans la délivrance de l'ordre de commencer les travaux
(CE 31 oct. 1962, Sté « Les Constructions de l'Ouest », Lebon 583. – CE 19 janv.
1972, OPHLM de Romainville, RD publ. 1973. 289. – CE 5 juill. 1972, SA de
Constructions et de TP, Lebon 516), dans la remise des terrains (ou locaux)
nécessaires à l'exécution du contrat (CE 16 févr. 1962, Secr. d'État aux PTT
c/ Sté des Grands Travaux de l'Est, RD publ. 1962. 1024. – CE 17 juin 1977, Sté
générale de travaux du Bâtiment et Entreprise Gastagnetti, RD publ. 1978.
1486. – CE 28 mai 2001, Territoire des îles Wallis et Futuna, Contrats Marchés
o
publ. 2001, n  140 : retard à livrer à l'entreprise contractuelle la plate-forme sur
laquelle cette dernière devait réaliser les travaux), dans la remise d'ouvrages,
matériels ou chantiers nécessaires à la réalisation des obligations contractuelles
(CE 17 nov. 1967, Sté des Ateliers de Construction Nicou et Cie, Lebon 431 
. – CE 20 juill. 1971, ORTF, Lebon 565. – CE 12 juill. 1978, Synd. Intercommunal
de Modane-les-Fourneaux, Lebon T. 870. – CE 11 juill. 1979, Cie métropolitaine
des Asphaltes, Lebon T. 797, « inaction » de l'administration à procéder à
l'exécution de certains travaux préalables nécessaires au respect de certaines
normes techniques. – CE 23 janv. 1981, Cne d'Aunay-sur-Odon et autres,
Lebon 25  ), ou dans le prononcé de la réception des travaux (CE 23 févr. 1983,
Min. Éducation c/ Sté SMAC Aciéroid, Lebon T. 783) ouvre, au profit du
requérant, un droit à indemnité. Enfin, l'administration contractante est
responsable du retard à passer d'autres contrats conditionnant l'exécution du
contrat en cause, que ce soit en retardant la désignation d'autres adjudicataires
de travaux (CE 28 janv. 1976, Sté des Ateliers Delestrade et Ramser Comte
réunis et autres, Lebon 68  ), ou en retardant la passation de contrats avec
d'autres corps d'État (CE 5 nov. 1958, OPHLM du Département de la Seine,
Lebon 524. – CE 3 mai 1961, Sté Entreprise Thomas Kotland,
Lebon 290. – CE 19 avr. 1968, Sté nationale de Construction et OPHLM, Ville de
Paris, RD publ. 1969. 363).

§ 4 - Travaux supplémentaires demandés au cocontractant

161.  En premier lieu, pour que les travaux supplémentaires soient rémunérés en
sus du prix du marché, encore faut-il qu'il s'agisse bien de travaux…
supplémentaires, c'est-à-dire de prestations non prévues dans les stipulations
contractuelles. À cet égard, si la tâche du juge n'est pas toujours techniquement
aisée, ce dernier refuse tout droit à indemnité à l'entrepreneur qui ne s'est pas
suffisamment « assuré, avant de signer le marché, de l'étendue des obligations
qu'il devait assumer »… et des aléas qu'il pouvait rencontrer (CE 18 mars 1981,
Entreprise Bazzani, RD publ. 1981. 1730. – CE 30 nov. 1982, SCOP
o
« L'Hirondelle », Contrats Marchés publ. 1984, n  205, p. 18. – CE 23 sept. 1983,
Les électriciens de France Jules Verger Delporte, Contrats Marchés publ. 1984,
o
n  205, p. 19. – CE 7 juin 1985, M. Paul Lepage, RD publ. 1985. 1703).

162.  En deuxième lieu, comme la plupart des cahiers des charges disposent que
l'entrepreneur « doit proposer en temps utile les adjonctions et modifications qu'il
y a lieu d'apporter » aux travaux, les prestations supplémentaires peuvent alors
faire l'objet d'un accord entre celui-ci et le maître de l'ouvrage sous forme le plus
souvent, mais non exclusivement, d'un avenant modificatif. Dans ce cas, la
rémunération de l'entrepreneur ne posera pas de problème et sera calculée soit
d'un commun accord, soit sur la base des prix du marché initial.

163.  En troisième lieu, les travaux supplémentaires peuvent être imposés au


cocontractant par l'administration au moyen d'un ordre de service auquel « il doit
se conformer strictement ». Sous réserve que l'existence de l'ordre de service ne
soit pas contestée, cette hypothèse recouvre deux séries de situation.

164. Si l'ordre de service qui prescrit les travaux supplémentaires est régulier en
la forme, la rémunération de l'entrepreneur se fera tantôt sur une base
contractuelle, tantôt sur une base indemnitaire. Elle se fera sur une base
contractuelle lorsqu'il est fait correctement application de clauses contractuelles
permettant, par exemple, « un changement dans l'importance des diverses
natures d' « ouvrages » (CCAG travaux, art. 17) ou « une augmentation dans la
masse des travaux » (CCAG travaux, art. 15), puisque ces clauses prévoient une
compensation financière au profit de l'entrepreneur. Elle pourra se faire sur une
base indemnitaire (responsabilité contractuelle de l'administration) lorsque le
maître de l'ouvrage dépasse le cadre de ces clauses en imposant à l'entrepreneur
des modifications qui ont pour effet de bouleverser l'économie générale du projet
ou de porter atteinte à la substance du marché telle qu'elle avait été initialement
envisagée par les parties.

165. Le problème est un peu différent ensuite lorsque les travaux


supplémentaires résultent d'un ordre de service irrégulier en la forme, c'est-à-
dire, le plus souvent, verbal au lieu d'être écrit comme l'exigent les cahiers des
charges, ou non signé ou contresigné par le maître de l'ouvrage lorsque l'ordre
émane de l'architecte. Dans ce cas, l'entrepreneur peut prétendre être indemnisé
« sur la base des prix prévus au marché » si les travaux se sont « révélés
indispensables à l'exécution de l'ouvrage suivant les règles de l'art » (V. par ex.
CE 3 oct. 1979, Sté Entrasudo, AJDA 1980. 434. – CE 16 déc. 1981, SA des Éts
Jédelé, RD publ. 1983. 235. – CE 15 févr. 1984, Cne d'Alsting, RD publ. 1985.
224) ; mais il peut également – et c'est là l'originalité de cette hypothèse au
regard de celle qui va suivre – prétendre être indemnisé sur un fondement
extracontractuel : sur une base quasi contractuelle, si les travaux
supplémentaires ont été « utiles » au maître de l'ouvrage ; le cocontractant a
droit alors au remboursement des dépenses utiles, déduction faite du bénéfice et
de ses propres fautes (CAA Douai, 18 déc. 2003, Sté Colas c/ Cne d'Abbeville,
o
Contrats Marchés publ. 2004, n  67) ; sur une base quasi délictuelle par ailleurs
pour le préjudice que lui a causé l'administration en lui commandant des travaux
par un procédé irrégulier : une telle responsabilité sera toutefois
systématiquement atténuée par la faute de l'entrepreneur qui ne pouvait pas
ignorer les règles de passation et d'exécution du marché (V. CE 5 nov. 1980,
SARL Parachini, RD publ. 1981. 524. – CE 19 mars 1982, Conjonde, Lebon
T. 671. – CE 27 juill. 1984, SEEE, RD publ. 1985. 223).

166. Enfin, en quatrième lieu, les prestations supplémentaires peuvent être


exécutées spontanément par l'entrepreneur ou, ce qui revient au même, sur la
base d'un ordre de service de l'administration dont l'existence n'est pas prouvée.
Dans cette hypothèse, dont les contours ont été fixés par l'arrêt « Commune de
Canari » (CE 17 oct. 1975, Lebon 516), les droits indemnitaires de l'entrepreneur
sont beaucoup plus réduits. Si les travaux se révèlent « indispensables à la
réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art », le constructeur pourra
prétendre à leur rémunération sur la base des prix du marché et sans qu'il soit
besoin de rechercher si ces travaux supplémentaires ont ou non, par leur
importance, bouleversé l'économie du marché et ce malgré le caractère forfaitaire
de la rémunération prévue au contrat (CE 26 mai 1982, Ville de Chamonix
c/ Faillibert, RD publ. 1983. 1420. – CE 4 nov. 1988, Administration générale de
l'Assistance publique à Paris c/ Entreprise Bertrand, Dr. adm. 1989,
o
n  637. – CE 28 juill. 1989, Ville de Menton c/ M. Ivaldi et autres, RD publ. 1991.
291 ; l'indemnisation ne sera que partielle s'il est établi que le constructeur aurait
dû prendre certaines mesures qui auraient évité d'avoir à les
accomplir. – CE 19 avr. 1991, Sté Construction, restauration, bâtiments
o
industriels, Dr. adm. 1991, n  341. – CE 11 mars 2009, SAS Dominique
o o
Housieaux, req. n  296067  . – CE 29 sept. 2010, Sté Babel, req. n  319481  ,
o
BJCP 2010, n  73, p. 405, concl. Boulouis. – CE 24 nov. 2010, Cne de Lyon, req.
o o
n  325195  , BJCP 2011, n  74, p. 12, concl. Boulouis). En revanche, les travaux
qui ne sont pas indispensables à l'édification de l'ouvrage – et alors même qu'ils
seraient utiles à l'administration – ne sont pas susceptibles d'indemnisation
(jurisprudence constante, V., par ex., CE 2 juill. 1982, Sté Routière Colas,
Lebon 261. – CE 26 sept. 1986, Ville de Tignes c/ Sté anonyme Pegaz et Pugeat
Sud-Est travaux constructions, D. 1987. Somm. 280, obs. Terneyre).

167. On constate ainsi qu'il peut exister – certes, au prix d'un artifice juridique –,
au cours de l'exécution du contrat, une certaine coexistence d'une responsabilité
contractuelle et de responsabilités extracontractuelles, et ce, sans que le principe
de primauté joue. Il y a là, incontestablement, une solution très originale par
rapport au droit privé d'une part, et au principe de primauté d'autre part, mais
conforme à la souplesse déjà constatée du contentieux contractuel, élaboré par le
juge administratif.

§ 5 - Manquements de l'administration à ses obligations contractuelles


de nature financière

A - Modification unilatérale du prix stipulé au contrat

168. La première obligation qui pèse sur l'administration (tout aussi bien que sur
le cocontractant) est celle de respecter le principe de l'irrévocabilité du prix. Le
prix stipulé dans le contrat ne peut être modifié – généralement à la baisse – par
l'administration contractante ; il ne pourrait l'être que par accord entre les parties
contractantes ou pour motif d'intérêt général. Ce principe a été réaffirmé à
plusieurs reprises par le Conseil d'État (CE 20 mars 1946, Michelin,
Lebon 89. – CE 9 mars 1951, Didonna, Lebon 149 : « Les prix sont immuables et
lient les parties ». – CE 10 juill. 1954, Sté Heulin et Cie,
Lebon 462. – CAA Nantes, 11 juin 1992, Min. de la Culture, Lebon 537   :
décision tendant à réduire le montant d'une subvention contractuelle sans qu'il
soit possible de se prévaloir de la réduction du montant des crédits alloués par la
loi de finances). À cet égard, l'arrêt « Société Heulin » précité doit être
spécialement mentionné puisqu'il y est affirmé « que le requérant est fondé à
soutenir que la suppression de la majoration de prix a constitué à son égard une
modification injustifiée des clauses contractuelles fixant sa rémunération ». De
même, « une fois signées, les clauses automatiques (de révision de prix) forment
la loi des parties et doivent s'appliquer à la lettre » (CE 16 mai 1941, Cne de
Vizille, Lebon 93). Ainsi, toute atteinte unilatérale aux clauses contractuelles
touchant à la rémunération du cocontractant constitue un fait générateur de la
responsabilité de l'administration (si le caractère définitif des prix stipulés dans un
contrat s'oppose, à toute modification ultérieure, ce principe ne saurait recevoir
application dans le cas exceptionnel où il s'agit d'une erreur purement matérielle,
ou en cas de fraude ou dol, et d'une nature telle qu'il est impossible à la partie de
s'en prévaloir de bonne foi. V. CE 3 juill. 1963, Sté Entreprise Edmond Patry,
Lebon 417). Par ailleurs, si le caractère définitif des prix stipulés à un marché
s'oppose à toute modification ultérieure de ces prix par l'une des parties, ce
principe ne fait pas obstacle à ce que l'une des parties obtienne, en cas de
résiliation du contrat pour un motif autre que la faute du cocontractant de
l'administration, le paiement des travaux qu'elle a réellement exécutés
o
(CE 29 sept. 2000, Sté Dezellus Métal Industrie, req. n  186916  , Lebon 382).

B - Retards de paiement

169. Les retards de règlement par rapport aux délais prévus dans le contrat
constituent des fautes engageant la responsabilité contractuelle de
l'administration. Toutefois, l'évolution du droit écrit des contrats administratifs fait
qu'aujourd'hui, un retard « simple » de paiement déclenche l'application
automatique d'un mécanisme soit contractuel, soit légal et réglementaire.
o
170. D'une part, en effet, le décret n  2013-269 du 29 mars 2013 dispose que
« le dépassement du délai de paiement (45 ou 50 jours) ouvre de plein droit et
sans autre formalité, pour le titulaire du marché ou le sous-traitant, le bénéfice
d'intérêts moratoires, à compter du jour suivant l'expiration du délai ». D'autre
o
part, la directive communautaire n  2000/35 du Parlement et du Conseil du
o
29 juin 2000 (JOCE, n  L 200, 8 août) concernant la lutte contre le retard de
paiement dans les transactions commerciales (applicable aux contrats
administratifs) précise que les États membres doivent introduire dans leur droit
interne des dispositions visant soit à ce que des intérêts soient exigibles le jour
suivant la fin du « délai de paiement » fixé dans le contrat, soit, si cette date
n'est pas fixée dans le contrat, à ce que des intérêts soient automatiquement
exigibles trente jours après la date de réception, par le débiteur, de la facture.
Toutefois, pour certaines catégories de contrats à définir par la législation
nationale, la directive du 29 juin 2000 permet aux États de fixer le délai
d'exigibilité des intérêts à un maximum de soixante jours s'ils empêchent les
parties au contrat de dépasser ce délai ou s'ils fixent un taux d'intérêt obligatoire
dépassant sensiblement le taux légal.
171. Dès lors, depuis 2002 en France, tous les titulaires de contrats
administratifs à objet économique doivent pouvoir invoquer ce mécanisme leur
permettant de bénéficier d'intérêts moratoires en cas de retard de paiement de
l'administration.

172. Pour les autres, s'applique toujours l'article 1231-6 du code civil selon lequel
le débiteur en retard est redevable d'intérêts au taux légal à compter d'une
sommation de payer adressée par le créancier et sans que celui-ci ait à
démontrer une perte (V. CE 23 juill. 1974, Min. Éducation nationale, Lebon 458).

173. Par ailleurs, pour tous les titulaires de contrats publics, s'applique le dernier
alinéa de l'article 1231-6, selon lequel « le créancier auquel son débiteur en
retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut
obtenir des dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires de la
créance ». Et de fait, il est admis que la personne publique peut être de
« mauvaise foi », encore que la jurisprudence utilise plutôt les termes « mauvais
vouloir » (V. CE 22 déc. 1976, Sté Établissements Jean Bernard, Lebon T. 1001 :
le refus systématique de vérifier les mémoires présentés par l'entrepreneur
constitue une faute assimilable par sa gravité à un mauvais vouloir. – CE 27 mai
1983, Cne de La Queue-en-Brie, Lebon T. 783 : retards dus à des négligences
graves dans la gestion du budget communal et au mauvais vouloir de la
commune. – CAA Nancy, 19 déc. 1989, SA Mursol Revet Sol, Lebon T. 784  ).

C - Non-respect des clauses de variation de prix

174. Dans la concession de service public, lorsqu'il existe une clause de révision


des tarifs et lorsque les conditions d'application de cette clause sont réunies, le
refus opposé par l'autorité concédante de faire jouer cette clause entraîne sa
responsabilité contractuelle à raison de sa « faute contractuelle » ou de son
« refus injustifié ». C'est ainsi, par exemple, que dans l'arrêt « Ville de Toulon »,
en date du 10 avril 1935, le refus « injustifié » de la ville, alors « que la société
avait droit à une révision des tarifs […] engage de ce fait la responsabilité de la
ville » (RD publ. 1935. 783). De même, dans l'arrêt « Ville de Bergerac », la
Haute Assemblée reconnaît-elle « que c'est à tort que la ville s'est refusée à
procéder à la révision de ce dernier tarif, et qu'en raison de la responsabilité
contractuelle lui incombant de ce chef, la société est fondée à lui demander une
indemnité correspondant à la perte de recettes due à l'application tardive du tarif
dont il s'agit » (CE 6 déc. 1935, S. 1936. 3. 65). Enfin, on peut citer l'arrêt
« Commune de Donville-les-Bains », dans lequel le Conseil d'État relève que,
même si le concessionnaire avait manqué à ses obligations contractuelles, la
commune ne pouvait s'opposer à la formule contractuelle de révision des prix
(CE 5 juill. 1967, Lebon 297. – CE 8 juin 1962, Sté Électrique et Eaux de
Madagascar, Lebon T. 1023. – CE 31 oct. 1980, Min. Équipement c/ Sté du Port
de Pêche de Lorient, Lebon 397).
175. Dans les marchés publics, où les prix sont considérés, en principe, comme
fermes et, par exception, actualisables si le marché le prévoit, le Conseil d'État
fait systématiquement référence à « la commune intention des parties » pour
savoir si la clause de variation des prix était applicable. Le refus opposé par
l'administration n'est pas qualifié de fautif ou non fautif ; le juge du contrat
reconnaît seulement que le cocontractant « avait droit » à l'application de la
clause de révision des prix (CE 13 nov. 1968, Entreprise Panel et Jacquet,
Lebon 569  . – CE 10 mai 1974, Cne de San-Gavino-di-Fiumorbo,
Lebon 280. – CE 17 mars 1976, Vuillemin, Lebon 164. – CE 28 mai 1982, SA
SOPREMA, Lebon T. 665) ou n'y avait pas droit (CE 3 janv. 1958, Sté
Bonnetterie-Sainte-Foy, Lebon 5. – CE 2 juill. 1958, Sieur Yaffin, Lebon 408).

176. Il reste que si la loi suspend l'application des clauses de variation de prix
pour des raisons de politique économique, l'administration contractante « ne
commet aucune faute en refusant de faire application de la formule de révision »
(CE 16 janv. 1959, Ville du Touquet-Paris-Plage, Lebon T. 901. – CE 13 nov.
1964, SA Lantrua et Olivier, Lebon 549. – CE 21 mai 1969, Entreprise Marc
Varnier, Lebon 261  ). Il y a là une limite très importante à la mise en jeu de la
responsabilité contractuelle dans un domaine très « sensible » pour les
cocontractants de l'administration.

177. Remarquons, toutefois, que si dans cette hypothèse, le refus de faire jouer


la clause de révision de prix ne constitue pas un manquement fautif de
l'administration contractante à ses obligations contractuelles, le cocontractant
lésé par le blocage des prix n'est pas complètement désarmé. D'une part, si cette
mesure émane de l'autorité contractante, il pourra, sous certaines conditions plus
restrictives, mettre en jeu sa responsabilité contractuelle sans faute dans le cadre
o
de la théorie du fait du prince (V. infra, n  223) ; la responsabilité contractuelle
sans faute de l'administration se substitue alors à la responsabilité pour faute.
D'autre part, si la mesure n'émane pas de l'autorité cocontractante, le
cocontractant pourra toujours faire jouer la théorie de l'imprévision (CE 15 juill.
1949, Ville d'Elbœuf, S. 1950. 3. 61, note Mestre. – CE 16 janv. 1959, Ville du
Touquet-Paris-Plage, préc.).

D - Retard fautif dans la mainlevée des garanties

178. Dans de nombreux contrats publics existent des garanties financières


imposées au cocontractant pour s'assurer de la bonne exécution du contrat. Ces
garanties sont normalement restituées à la suite d'une « mainlevée » délivrée par
l'administration contractante à la fin du contrat (expiration du délai de garantie,
réception définitive, décompte définitif).

179. L'administration engage sa responsabilité contractuelle en tardant à donner


mainlevée du cautionnement, lorsque le décompte est devenu définitif et, lorsque
l'administration n'a aucune raison (prévue par le contrat) de ne pas le faire :
« considérant que la commune était tenue, dès la réception définitive, de
restituer à l'entrepreneur, le montant du cautionnement déposé par lui ; que,
faute d'avoir procédé à cette restitution, elle est responsable du préjudice subi de
ce fait (indemnisation des frais de caution exposés jusqu'à la date de
restitution) » (CE 5 mars 1958, Sté Entreprise Lavaud-Foliard, Lebon 146. –
V. égal. CE 5 mai 1961, Min. de la Construction c/ Sté Entreprise Guillerai,
Lebon 303). À cet égard, un arrêt est tout à fait explicite sur le sujet ; après avoir
remarqué, dans un premier temps, que la personne publique contractante n'avait
pas usé de sa faculté de suspendre la mainlevée de la caution, le Conseil d'État
relève que, si le requérant « fait valoir que le maintien des cautions, au-delà des
dates auxquelles elles eussent dû être libérées, lui a fait supporter des charges
d'exploitation supplémentaires, en raison des emprunts qu'il aurait contractés
pour le montant des sommes non libérées, il n'est pas établi que le préjudice dont
il demande réparation, en admettant même qu'il puisse être tenu pour certain,
soit la conséquence directe de la faute pour laquelle la responsabilité
contractuelle de la ville est engagée » (CE 26 mai 1982, Ville de Chamonix, Lebon
T. 672. – V. aussi, CE 6 févr. 1981, Sté Lorang, Lebon T. 815. – CE 4 mars 1981,
CHR de Limoges, Lebon 119  . – CE 24 juill. 1981, Sté générale d'Entreprise,
Lebon T. 815. – CE 27 mai 1983, Cne de La Queue-en-Brie, Lebon T. 783).

§ 6 - Exercice irrégulier, par l'administration, de ses prérogatives


contractuelles

A - Exercice irrégulier du pouvoir de sanction, notamment de résiliation


du contrat

1° - Sanctions irrégulières en la forme

180. Comme en droit de la responsabilité extracontractuelle, les solutions sont ici


originales : une sanction irrégulière en la forme peut engager la responsabilité
contractuelle de l'administration, sauf lorsque les manquements du cocontractant
ayant motivé la sanction « présentent un caractère de gravité tel, que même s'il
avait été mis en demeure, le cocontractant se serait trouvé dans l'impossibilité de
faire face à ses obligations ».

181. De fait, d'assez nombreux arrêts reconnaissent que l'absence de formalités


« ouvre au requérant le droit d'obtenir la réparation du préjudice spécial que lui a
causé » la sanction (LAURENT, concl. sous CE 9 janv. 1957, Daval, AJDA 1957.
9). C'est ainsi que l'arrêt « Daval » précité précise « que la mise en régie n'a été
précédée d'aucune mise en demeure […]. Que, dès lors, la mesure critiquée est
intervenue sur une procédure irrégulière ; que, par suite, le sieur Daval est fondé
à demander que la commune de Granville soit condamnée à lui payer une
indemnité en réparation du préjudice qu'il a subi de ce fait ». De même, l'arrêt
« Cne de Donville-les-Bains c/ Sté générale technique » (CE 5 juill. 1967,
Lebon 297) a une véritable valeur pédagogique et mérite, à ce titre, d'être
mentionné. Dans cette affaire, en effet, le juge du contrat résume les principes
qui guident sa jurisprudence en la matière ; dans un premier temps, le Conseil
d'État relève « qu'aucune clause du traité de concession ne dispensait la
commune, en cas d'inexécution par le concessionnaire d'un de ses engagements,
de mettre celui-ci en demeure de s'y conformer avant que ne soient prises les
sanctions que pouvaient entraîner les manquements qui lui étaient reprochés ».
Or, en second lieu, la personne publique n'apporte pas la preuve qu'elle a, avant
de saisir le juge (puisqu'il s'agissait d'une concession), adressé au cocontractant
« une mise en demeure lui enjoignant de remplir ses obligations contractuelles,
sous peine de sanctions ». Dès lors, « l'éviction de la société ayant été irrégulière,
celle-ci a droit à la réparation de tout le préjudice qu'elle a subi de ce chef »
(pour une reconnaissance explicite de la responsabilité contractuelle de
l'administration, V. aussi : CE 13 nov. 1964, Sieur Rey, Lebon 551. – CE 28 avr.
1976, Chambre des métiers de la Haute-Saône, Lebon T. 996). Par ailleurs, en
matière de délai, la Haute Assemblée relève que la résiliation d'un contrat ne peut
être prononcée, sauf urgence, dans un délai inférieur au délai contractuel après la
mise en demeure : « l'irrégularité, ainsi commise, a été de nature à engager, vis-
à-vis de l'entrepreneur, la responsabilité de l'Office public » (CE 12 mai 1982,
o
M. Moreau c/ OPHLM de la Creuse, req. n  22467, inédit. – En l'espèce, la
résiliation avait été prononcée trois jours après la mise en demeure, au lieu des
dix jours prévus. – V. aussi : CE 13 oct. 1982, M. Quettier, Lebon T. 617). Enfin,
et surtout, une résiliation serait irrégulière, en la forme, si elle était « prononcée
pour un motif différent de l'injonction incluse dans la mise en demeure »
(CE 18 févr. 1983, Sté française du tunnel routier de Fréjus et autres, Lebon
T. 781).

182. Toutefois, le non-respect des formalités, en matière de sanction


contractuelle, n'engage pas systématiquement la responsabilité contractuelle de
l'administration. Tel est tout d'abord le cas lorsque cette irrégularité est
« négligeable » ; malgré une irrégularité de détail, le cocontractant a été informé
de la sanction prochaine et a donc été en mesure de présenter sa défense
(CE 31 oct. 1962, Sté Les Constructions de l'Ouest, Lebon 583 : notification sans
lettre recommandée. – CE 8 déc. 1978, Bergerioux, Lebon 500).

183. Beaucoup plus importante, car d'une portée pratique très grande, est la
non-responsabilité contractuelle de l'administration lorsque les manquements du
cocontractant à ses obligations sont si graves, qu'en toute hypothèse, la sanction
est justifiée au fond, malgré une irrégularité formelle. Ainsi, à propos de l'absence
d'une mise en demeure, le Conseil d'État reconnaît-il que « de graves difficultés
financières […] compromettant la réalisation des travaux […] justifiaient la mise
en régie […] ; qu'eu égard au caractère justifié au fond de la mise en régie, la
société ne saurait prétendre à l'allocation d'une indemnité » (CE 5 janv. 1973,
OPHLM de la Ville de Paris, Lebon 13). Il en est de même lorsque « des
irrégularités graves » peuvent être retenues à la charge des fournisseurs et que
« des retards de livraison très importants leur sont imputables » (CE 9 nov. 1932,
Sté Weil-Haeringer, Lebon 942). Les solutions sont les mêmes à propos de
l'absence ou en raison du caractère irrégulier des procédures consultatives
préalables ; c'est ainsi que, dans l'arrêt de section « Sté Coopérative agricole de
production-La Prospérité fermière », le juge reconnaît que l'irrégularité formelle
aurait pu, le cas échéant, ouvrir droit à indemnité « mais, qu'en l'espèce,
l'administration était fondée, eu égard à la méconnaissance par la société de ses
obligations contractuelles, à prononcer » la sanction qualifiée de « justifiée »
(CE 10 mai 1963, Lebon 289 ; RD publ. 1963. 585, concl. Braibant). De même
enfin, le titulaire d'un marché de travaux publics mis en régie de façon irrégulière
« n'est pas fondé, eu égard à la gravité des manquements dont il s'est rendu
coupable, à demander une indemnité pour le préjudice subi, du fait de la mesure
dont il s'agit » (CE 7 oct. 1960, SAMEC, RD publ. 1961. 405. – V., égal.,
CE 26 avr. 1978, SARL Sodilab, RD publ. 1978. 1490).

184. Il reste que, lorsque la sanction a pour objet d'en faire supporter les
conséquences onéreuses au cocontractant (mise en régie, déchéance du
concessionnaire, résiliation « aux frais et risques »), la jurisprudence décide que
« le non-respect des formalités a toujours pour effet d'exonérer le cocontractant
des conséquences de la sanction et, ceci, quelle que soit la gravité des
manquements qui peuvent lui être, par ailleurs, reprochés » (pour une
jurisprudence constante, V. CE 10 mars 1967, Sté Technical c/ OPHLM de la
Seine, Lebon 104 : résiliation aux risques et périls : « que la mesure […] était
irrégulière ; que, par suite, la requérante ne saurait être tenue de supporter les
conséquences onéreuses qui en seraient résultées ». – CE 5 janv. 1973, OPHLM
Ville de Paris, Lebon 13. – TA Paris, 17 juin 1981, Joubert, Lebon T. 812. – TA
Paris, 8 nov. 1985, Entreprise Ozilou, Lebon 317. – CAA Lyon, 27 juin 1989,
Centre hospitalier de la Fontonne, Lebon T. 784. – CE 26 mai 1999, SARL Bonnet
o
TP, req. n  145230  , Lebon T. 883  . – TA Dijon, 3 mai 2007, SA Roggiani, req.
o o
n  0502448, BJCP 2007, n  53, p. 303, concl. Bataillard. – CE 30 janv. 2008,
o
OPAC de la Ville de Clermont-Ferrand, req. n  278770  . – CE 15 nov. 2012, Sté
o
Travaux Guil-Durance, req. n  349840  , Lebon ; AJDA 2012. 2194   ; RDI
2013. 215, obs. R. Noguellou   ; AJCT 2013. 200, obs. S. Hul  , le cocontractant
est déchargé des surcoûts résultant de la résiliation).

2° - Sanctions injustifiées au fond

185. Les résiliations-sanctions injustifiées, notamment parce qu'excessives ou


« disproportionnées » par rapport à la faute commise par le cocontractant,
engagent la responsabilité contractuelle de l'administration (CE 8 janv. 1958,
Crouzat, Lebon 14. – CE 11 déc. 1963, Sieur Fuardo, Lebon 613. – CE 24 janv.
1975, Clerc-Renaud, Lebon 55  . – CE 18 févr. 1983, Sté française du Tunnel
routier de Fréjus et autre, Lebon T. 781. – CE 15 nov. 2012, Sté Axima Concept,
o
req. n  356832  , Lebon ; AJDA 2012. 2196  . – CE 20 févr. 2013, Min. de la
o o
Défense, req. n  362051  . – CE 10 févr. 2016, Sté Signacité, req. n  387769  ).

186. De même, une résiliation-sanction engage la responsabilité contractuelle de


l'administration si elle trouve, pour une part importante, son origine dans le souci
de l'administration de conclure une nouvelle convention « avec un autre
contractant » (CE 3 mars 1978, Hôpital intercommunal de Fréjus-Saint-Raphaël,
RD publ. 1978. 1489). Selon la Haute Assemblée, le cocontractant doit établir que
« la sanction a été prononcée pour des motifs étrangers à une correcte exécution
du contrat » (CE 18 févr. 1983, Sté française du Tunnel Routier du Fréjus et
autres, préc.).

B - Exercice irrégulier du pouvoir de contrôle et de direction

187. Dans un arrêt « ministre de l'Équipement c/ Entreprise Zublin-Perrière »


(CE 4 juill. 1980, Lebon T. 787 ; RD publ. 1981. 526), la Haute Assemblée pose
les limites à l'exercice d'un tel droit de contrôle. Si le comportement du chef de
chantier « a pu, à juste titre, appeler diverses observations de la part de
l'administration, les anomalies ou insuffisances constatées n'ont pas excédé, par
leur nombre ou leur gravité, celles qui sont de nature à être rencontrées dans
l'exécution d'un chantier de l'importance de celui de l'espèce et ne permettent
pas de conclure à une incapacité du chef de chantier ». Dès lors, la décision de
remplacement n'était pas fondée et ouvre droit au remboursement des dépenses
occasionnées par cette mesure. Inversement, le pouvoir de direction sur le
chantier peut, naturellement, être régulier ; ainsi, « en faisant procéder, après
mise en demeure, à l'enlèvement du matériel abandonné sur le chantier par
l'Entreprise Bongiovanni, l'administration n'a fait qu'user – correctement – des
pouvoirs qu'elle tient de l'article 23 du CCAG […]. M. Bongiovanni ne peut
prétendre à aucune indemnité de ce chef » (CE 19 juin 1981, Paul Bongiovanni,
RD publ. 1982. 533). De même, un ordre de service n'est pas qualifié « d'abusif »
alors qu'il était nécessaire pour que les travaux soient réalisés dans les meilleures
conditions de « stabilité » et de « solidité » (CE 5 mai 1971, Sté Entreprise
A. Dodin, Lebon 329  ).

C - Exercice irrégulier du pouvoir de modification unilatérale

188. Si l'administration contractante a exercé régulièrement son pouvoir de


modification dans les limites reconnues par les stipulations contractuelles, elle
n'engagera pas sa responsabilité contractuelle. En revanche, si elle outrepasse
ses droits contractuels, elle engagera sa responsabilité contractuelle au cas, bien
entendu, où le cocontractant aurait subi un préjudice.

189. Deux arrêts permettent de mieux comprendre ce schéma relativement


simple. Dans un premier arrêt (CE 10 déc. 1982, M. Loiselot, Lebon T. 669) où le
requérant demandait à être indemnisé du « préjudice subi par lui du fait de la
modification unilatérale du contrat de transport scolaire qui le liait à un syndicat
de commune », le Conseil d'État a relevé que, si les clauses du contrat
« autorisaient le syndicat intercommunal à résilier l'ensemble du contrat sans
indemnité sous réserve de la condition de préavis qu'elles prévoient […], elles ne
permettent pas la non-reconduction sans indemnité du contrat », pour une partie
du contrat seulement. Dès lors, si l'administration veut poursuivre le contrat tout
en modifiant substantiellement ces conditions d'exécution, elle peut certes le
faire, mais elle engage alors sa responsabilité contractuelle (en l'espèce, le
préjudice n'était pas établi).

190. De même, dans le cadre d'une concession entre l'État et la Ville de Saint-
Malo, concernant l'établissement et l'exploitation d'un port de plaisance, le préfet
« avait unilatéralement modifié les limites de la concession (réduction du domaine
de la concession) ». Or, pour indemniser la ville, le préfet voulait faire application
d'une clause de la concession relative à la suppression partielle ou totale des
installations ; parallèlement, la ville voulait se voir appliquer une autre clause,
plus favorable, relative au retrait de la concession. Pour la Haute Assemblée, la
modification des limites de la concession ne recouvrait ni le champ d'application
de la clause invoquée par le préfet, ni celui de la clause invoquée par la ville ;
mais, et c'est là l'intérêt fondamental de l'affaire, au-delà de l'interprétation
contradictoire des clauses du contrat, la décision unilatérale modificatrice a eu
des conséquences onéreuses pour la ville (dépenses inutiles d'aménagement,
diminution des recettes d'exploitation) ; « dès lors, le préjudice éprouvé par la
ville de Saint-Malo et imputable à cette décision doit, même en l'absence de toute
stipulation expresse du cahier des charges applicables au cas de l'espèce, être
réparé par l'État » (CE 27 oct. 1978, Ville de Saint-Malo, Lebon 401   ; D. 1979.
366, note Joly).

191. Dans le domaine des marchés de travaux publics, l'administration


contractante ne peut imposer à l'entrepreneur, en vertu des stipulations
précitées, l'exécution d'un ouvrage nouveau, c'est-à-dire complètement étranger,
par son objet, aux prévisions des parties.

192. Ainsi, dans un arrêt « Sté des Établissements Marius Series » (CE, sect.,
25 juin 1971, Lebon 482   ; AJDA 1973. 97, note J. M. G.), où un contrat
prévoyait que « des modifications pouvaient être apportées aux travaux par les
maîtres de l'ouvrage », le Conseil d'État relève que « les modifications prescrites
en l'espèce n'ont pas été telles qu'il s'agissait d'un ouvrage nouveau, étranger à
l'objet des marchés initiaux ». De même, dans une autre affaire (CE 17 févr.
1978, Sté « Cie française d'Entreprise », Lebon 88), la Haute Assemblée a décidé
que si le maître de l'ouvrage pouvait imposer à son cocontractant la construction
« d'ouvrages non prévus au contrat » – sous réserve du paiement des travaux
effectués en sus du forfait prévu au marché –, ces changements ne pouvaient
« impliquer aucune modification essentielle aux conditions du marché ».

193. Enfin, si les clauses relatives à la diminution dans la masse des travaux


permettent à l'administration de modifier la consistance des ouvrages et d'en
changer les dispositions sans ouvrir droit à indemnité au profit du cocontractant,
elles ne l'autorisent pas à restreindre « l'objet même du marché » (V., par ex.,
CE 3 mai 1968, Min. d'État chargé des affaires culturelles c/ Sté des Grands
travaux de l'Est, Lebon 282. – CE 20 janv. 1978, Centre hospitalier de Lisieux,
Lebon T. 872. – CE 14 mars 1980, SA Cie industrielle de travaux électriques et
mécaniques [CITREM], Lebon T. 790 : dans cet arrêt, constituent une atteinte à
l'objet du marché les hypothèses où l'administration supprime la construction
d'un ouvrage dans le cas où l'entrepreneur est tenu de construire plusieurs
ouvrages ou lorsqu'elle supprime un des ouvrages sur lequel l'entrepreneur devait
faire les mêmes travaux) ou ne doivent pas conduire « à un bouleversement de
l'économie du marché » (CE 11 févr. 1983, Sté Entreprise Caroni, Lebon 59).

Art. 2 - Fautes du cocontractant de l'administration

er
§ 1 - Généralités

194. Selon un standard récemment réaffirmé, « le cocontractant lié à une


personne publique par un contrat administratif est tenu d'en assurer l'exécution,
sauf en cas de force majeure, et ne peut notamment pas se prévaloir des
manquements ou défaillances de l'administration pour se soustraire à ses propres
obligations contractuelles ou prendre l'initiative de résilier unilatéralement le
o
contrat » (CE 8 oct. 2014, Sté GrenKle location, req. n  370644  , Lebon ; AJDA
2015. 396, note F. Melleray   ; AJDA 2014. 1975   ; D. 2015. 145, note
S. Pugeault   ; RDI 2015. 183, obs. N. Foulquier   ; AJCT 2015. 38, obs.
O. Didriche   ; AJCA 2014. 327, obs. J.-D. Dreyfus   ; RFDA 2015. 47, note
C. Pros-Phalippon  ).

195. Par ailleurs, les fautes du cocontractant de l'administration sont appréciées


avec d'autant plus de rigueur qu'il contribue au service public. Comme le disait le
commissaire du gouvernement Tardieu dans ses conclusions sur l'arrêt du Conseil
d'État du 29 janvier 1909, Compagnie des messageries maritimes (Lebon 120),
« étant donné que les entrepreneurs, fournisseurs ou concessionnaires de service
public sont chargés d'une mission qui présente un intérêt général, les tribunaux
administratifs ont le droit, précisément à raison de l'intérêt général qui est en jeu,
de se montrer plus sévères dans l'appréciation de la conduite de l'entrepreneur et
d'exiger de lui plus d'efforts pour assurer l'exécution de son contrat que les
tribunaux judiciaires n'en exigeraient d'un entrepreneur privé ».

196. Ensuite, pour définir les obligations des professionnels, le juge ne se réfère


pas aux seules stipulations des contrats, mais tient également compte des règles
de l'art et des devoirs professionnels.

197. Enfin, les aptitudes particulières du cocontractant peuvent entraîner une


altération ou un accroissement de ses obligations. Il est tenu compte, par
exemple, du degré de spécialisation (CE 7 avr. 1967, Entreprise Bouhana, AJDA
1967. 683. – CE, sect., 11 févr. 1971, OPHLM du Calvados, AJDA 1972. 245), de
l'importance de l'entreprise (CE 9 janv. 1957, Établissement Chaumeil, AJDA
1957. 119, concl. Laurent), de l'étendue de ses ressources (CE 6 févr. 1924, Sté
d'éclairage par le gaz de Longwy, Lebon 133 : la société concessionnaire est
exclusivement locale et de capital modeste). Mais, cette appréciation in concreto
a nécessairement des limites : le cocontractant ne saurait se prévaloir de ses
propres insuffisances ; l'entrepreneur doit, par exemple, prévoir les dépenses
nécessaires pour faire face à ses obligations et ne peut s'excuser de son absence
de ressources (CE 14 mars 1928, Gagnieux, Rec. 356).

198. Parmi les fautes les plus courantes se rapportant à des obligations générales
du cocontractant, on peut citer les manquements à l'obligation d'exécution
personnelle du contrat (V. par ex. CE 5 janv. 1951, Cne de Lesparrou, Lebon 3),
les retards dans l'exécution du contrat (V. par ex. CE 3 mai 1961, Sté Entreprise
Thomas Kotland et OPHLM du département de la Seine, Lebon 290), la non-
constitution d'une caution bancaire (CE 14 mai 2008, Épx A. c/ Ville d'Annecy,
o
req. n  284362  ), ou plus simplement l'inexécution pure et simple de tout ou
partie des prestations faisant l'objet du contrat (CE 8 août 2008, Sté la Cie
o
fermière de l'établissement thermal de Vichy, req. n  292380  ).

199. À cet égard, commet une faute et engage sa responsabilité envers un


syndicat intercommunal la société qui, avant la conclusion du contrat, résilie
l'engagement, pris à la suite d'un appel d'offres, d'assurer le service de
ramassage des ordures ménagères organisé par le syndicat, et dépose une
nouvelle soumission à un prix plus élevé (CE 9 déc. 1988, Synd. intercommunal
pour le ramassage d'ordures ménagères de Château-Salins et sa région c/ Sté
« Service complet antipollution », Lebon T. 893 ; D. 1989. Somm. 219, obs.
Terneyre).

200. Autre comportement fautif du cocontractant de nature à engager sa


responsabilité contractuelle – et non pas sa responsabilité quasi délictuelle pour
o
dol (CE 24 févr. 2016, Dpt de l'Eure, req. n  395194  , Lebon, concl. ; AJDA
2016. 407  ) –, ses pratiques anticoncurrentielles (ententes) avec d'autres
candidats ayant renchéri le prix du contrat finalement conclu (TA Caen, 6 avr.
o o
2017, Dpt de l'Orne, req. n  1500227, BJCP 2017, n  114, p. 332), action en
responsabilité contractuelle relevant de la compétence de la juridiction
o
administrative (T. confl. 16 nov. 2015, Région Ile-de-France, req. n  4035,
Lebon 512 ; AJDA 2016. 786, note G. Eveillard   ; AJDA 2015. 2292   ; AJDA
2015. 2401, tribune S. Braconnier   ; AJCT 2016. 102, obs. J.-D. Dreyfus et F.
o
Mokhtar   ; BJCP 2016, n  105, p. 155).

§ 2 - Fautes de l'architecte

201. À l'architecte sont souvent reprochées des fautes dans l'établissement des
devis ou la conception de tout ou partie de l'édifice (V. par ex. CE 31 oct. 1947,
Gutton c/ OPHLM du département de Seine-et-Oise, Lebon 396. – CE 16 oct.
1968, Plazzi et Traversa, Lebon 492. – CE 29 janv. 1969, Bienvenu,
Lebon 45. – CE 28 oct. 1970, Auffret et Min. Éducation nationale c/ Sté Le Breton
et autres, Lebon 621 ; AJDA 1970. 702, note Montmerle. – CE 20 déc. 1972,
Maillard et Ducamp, Lebon 821 ; D. 1973. 588, note Bréchon-Moulènes), dans
er
l'étude des sols (CE 1  juill. 1970, Cne de Sainteny, Lebon 451. – CE 12 déc.
1973, Stym-Popper, Lebon T. 1037), dans la direction, le contrôle et la
surveillance des travaux (V. par ex. CE 14 juin 1963, OPHLM de la Loire,
Lebon 931 ; AJDA 1963. 642, note Besnard. – CE 3 mars 1982, Synd.
intercommunal Lyon Saint-Fons Vénissieux et autre, Lebon 97), ou dans les
renseignements et les conseils qu'ils devaient donner au maître de l'ouvrage
(CE 18 mai 1962, Bernard, Lebon T. 891 ; AJDA 1963. 32, note Morin. – CE,
sect., 7 avr. 1967, Entreprise Bouhana, Cne de Barentin, Robinne et Payenne-
er
vile, JCP 1967. II. 15103, note Liet-Veaux. – CE 1  juill. 1970, Cne de Sainteny,
préc.), notamment au moment de la réception de l'ouvrage (CE 20 oct. 1976,
Ville du Havre, Lebon T. 4084) ou de la vérification des décomptes des
er o
entreprises (CE 1  oct. 1993, MM. Vergnaud et Gaillard, req. n  60526  ,
D. 1994. Somm. 228, note Terneyre  ).

202. À cet égard, « la mission de l'architecte ne se limite pas à l'indication, lors
de l'établissement des pièces des marchés à passer entre le maître de l'ouvrage
et les entrepreneurs, des résultats à atteindre ; […] il lui appartient également
soit d'indiquer avec une précision suffisante les modalités d'exécution que
l'entrepreneur doit observer, soit, le cas échéant, de vérifier et de contrôler les
plans et projets établis par l'entrepreneur » (CE 27 nov. 1974, Talbourdeau,
Lebon 595  ).

§ 3 - Fautes de l'entrepreneur


203. Les fautes de l'entrepreneur consistent essentiellement dans la
méconnaissance des règles de l'art, celle des stipulations du marché relatives aux
conditions des travaux, aux matériaux utilisés (V. parmi une jurisprudence
abondante : CE 19 févr. 1966, Entreprise de travaux publics Larbanet, JCP
1966. II. 14594, note Liet-Veaux. – CE 21 juill. 1970, Lachaud et Aubineau,
Lebon 510. – CE 10 mars 1971, Assoc. syndicale de drainage d'Herminat-les-
lle
Vaux, Lebon 204. – CE 14 déc. 1973, Moachon et D  Crozat,
Lebon 727. – CE 27 févr. 1974, Cne de Gonaux, Lebon 153. – CE 26 nov. 1975,
Sté d'Études travaux préfabrication, Lebon 600. – CE 22 févr. 1980, Rieux,
Lebon 109) ; a fortiori dans le refus d'exécuter un ordre de service (CE 26 juill.
1978, Régie autonome des transports parisiens, Lebon 343) ; de même, les
imprudences des ouvriers de l'entrepreneur engagent sa propre responsabilité
(CE 8 déc. 1978, Peramato, Lebon T. 876. – CE 9 nov. 1984, Ferrieux,
Lebon 360). Il reste qu'un entrepreneur condamné vis-à-vis du maître de
l'ouvrage à réparer les manquements à ses obligations contractuelles a droit au
paiement du solde du marché alors même qu'il n'y a pas eu réception des travaux
o o
(CE 21 févr. 2000, Sté Uni-Marbres, req. n  186448  , BJCP 2000, n  10, p. 191,
concl. Bergeal).

§ 4 - Portée des clauses pénales

204. Les clauses pénales contractuelles établissent les conditions et le montant


des pénalités pécuniaires sanctionnant tel ou tel manquement d'un constructeur à
ses obligations contractuelles. Elles remplissent donc une fonction conventionnelle
de substitution à la responsabilité ordinaire à condition d'avoir été prévues par le
marché. En ce sens, il faut que le retard soit mesurable et, de ce fait, que la date
de référence pour constater le retard soit déterminée. À défaut, les pénalités ne
peuvent être infligées (CE 17 mars 1999, Synd. intercommunal eau et
o
assainissement de Pointe-à-Pitre-Abymes, req. n  165595  , Dr. adm. 1999,
o
n  129). Les marchés publics sont les terrains d'élection privilégiés des clauses
pénales, aux fins de protéger le maître d'ouvrage particulièrement contre les
retards. Leur intérêt est d'ouvrir droit aux indemnités prévues par le seul fait que
le manquement contractuel est objectivement constaté, indépendamment du
préjudice réel que ce manquement a pu causer, et quand bien même il n'y aurait
pas eu de préjudice (CE 3 déc. 1920, Fromassol, Lebon 1036. – CE 4 juin 1976,
Sté toulousaine immobilière, Lebon 303  ). Les maîtres d'œuvre sont soumis à ce
régime de pénalités de retard, et, s'ils ont la possibilité d'appeler en garantie les
entreprises chargées des travaux, ils ne sont pas fondés à invoquer la faute de
celles-ci pour échapper aux obligations contractuelles qui sont les leurs à l'égard
du maître d'ouvrage, notamment pour un retard d'exécution de leur mission de
réception et de décompte des travaux (CE 28 mai 2001, Ferrando et Sté OTH
o
Sud-Ouest, req. n  205264  , inédit).
205. La personne publique qui demande le paiement des pénalités ne peut
réclamer la réparation du même préjudice, en invoquant la responsabilité
contractuelle du constructeur (CE 3 mai 1944, Rousteau, Lebon 129). Les
pénalités ont, en effet, un rôle de forfaitisation du préjudice, correspondant à un
chiffre par jour de retard (1/3000 du montant du marché selon l'article 20.1 du
CCAG-Travaux), et le montant alloué ne peut varier selon l'importance réelle du
préjudice subi (CE 21 nov. 1934, Dupont, Lebon 1085). L'administration a
cependant la possibilité soit de renoncer à leur application, soit d'en diminuer le
montant. Elle peut aussi renoncer à leur application et se contenter de réclamer
l'indemnisation du préjudice réellement subi.

206. Il est toujours loisible aux parties de s'accorder, même sans formaliser cet
accord par un avenant, pour déroger aux stipulations du contrat initial, y compris
en ce qui concerne les pénalités de retard. Ainsi, une cour administrative d'appel
ne commet pas d'erreur de droit en jugeant, par une appréciation souveraine
exempte de dénaturation, qu'en ayant accordé à son cocontractant des reports
successifs de délais, une commune devait être réputée avoir renoncé à lui infliger
des pénalités de retard (CE 17 mars 2010, Cne d'Issy-les-Moulineaux, req.
o
n  308676  ).

207. La responsabilité contractuelle de droit commun réapparaît lorsque le


préjudice allégué n'est pas couvert par la clause pénale (CE 28 janv. 1976, Sté
des ateliers Delestrade, Ramser, Comte réunis et autres, Lebon 68  ).

208. On notera enfin que le juge administratif accepte désormais d'appliquer en


la matière l'alinéa 5 de l'article 1231-5 du code civil qui prévoit que « le juge
peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue, si elle est
manifestement excessive ou dérisoire » (CE 29 déc. 2008, OPHLM de Puteaux,
o o
req. n  296930  , BJCP 2009, n  63, p. 123, concl. Dacosta : « il est loisible au
juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, de modérer ou d'augmenter
les pénalités de retard résultant du contrat, par application des principes dont
s'inspire l'article 1152 du code civil, si ces pénalités atteignent un montant
manifestement excessif ou dérisoire eu égard au montant du marché ».
o
– CE 12 juill. 2017, Sté GBR IDF, req. n  392707, Lebon, concl. ; AJDA 2018.
116, note R. Souche   ; AJDA 2017. 1527   ; AJCT 2017. 573, obs. S. Hul   ; AJ
contrat 2017. 441, obs. C.-E. Bucher   ; RTD com. 2017. 861, obs. F. Lombard   
: « 4. Considérant que les pénalités de retard prévues par les clauses d'un
marché public ont pour objet de réparer forfaitairement le préjudice qu'est
susceptible de causer au pouvoir adjudicateur le non-respect, par le titulaire du
marché, des délais d'exécution contractuellement prévus ; qu'elles sont
applicables au seul motif qu'un retard dans l'exécution du marché est constaté et
alors même que le pouvoir adjudicateur n'aurait subi aucun préjudice ou que le
montant des pénalités mises à la charge du titulaire du marché qui résulte de leur
application serait supérieur au préjudice subi ; 5. Considérant que si, lorsqu'il est
saisi d'un litige entre les parties à un marché public, le juge du contrat doit, en
principe, appliquer les clauses relatives aux pénalités dont sont convenues les
parties en signant le contrat, il peut, à titre exceptionnel, saisi de conclusions en
ce sens par une partie, modérer ou augmenter les pénalités de retard résultant
du contrat si elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu
égard au montant du marché et compte tenu de l'ampleur du retard constaté
dans l'exécution des prestations ; 6. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit
au point 4 que lorsque le titulaire du marché saisit le juge de conclusions tendant
à ce qu'il modère les pénalités mises à sa charge, il ne saurait utilement soutenir
que le pouvoir adjudicateur n'a subi aucun préjudice ou que le préjudice qu'il a
subi est inférieur au montant des pénalités mises à sa charge ; qu'il lui appartient
de fournir aux juges tous éléments, relatifs notamment aux pratiques observées
pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché
en litige, de nature à établir dans quelle mesure ces pénalités présentent selon lui
un caractère manifestement excessif ; qu'au vu de l'argumentation des parties, il
incombe au juge soit de rejeter les conclusions dont il est saisi en faisant
application des clauses du contrat relatives aux pénalités, soit de rectifier le
montant des pénalités mises à la charge du titulaire du marché dans la seule
mesure qu'impose la correction de leur caractère manifestement excessif »).

Art. 3 - Degré de la faute

209. Toute faute est-elle de nature à engager la responsabilité du contractant qui


l'a commise ou faut-il une faute d'une certaine importance ? Le principe est que
toute faute, tout « manquement » est de nature à engager la responsabilité du
contractant : une faute simple suffit. Ce n'est que dans certaines hypothèses
particulières qu'une faute lourde est nécessaire. On peut en donner plusieurs
exemples.

210. Le premier exemple est celui des fautes de surveillance et de contrôle


commises par l'administration à l'égard de son propre cocontractant. Celui-ci ne
peut normalement se plaindre d'avoir été mal surveillé et contrôlé lorsque lui-
même a mal exécuté les prestations qui lui ont été confiées : il est le premier
fautif, et le premier responsable. Mais si le défaut de surveillance et de contrôle
de l'administration atteint un degré faisant apparaître une faute lourde, celle-ci
engage la responsabilité de l'administration (CE 21 nov. 1980, Delair, Lebon
T. 793. – CE 23 janv. 1981, Coudert et autre, Lebon 23. – 20 janv. 1982, Jugla,
Lebon T. 673. – Un arrêt du 22 févr. 1980, Rieux, Lebon 109, parle de « faute
caractérisée dans les obligations [de surveillance] incombant au maître de
l'ouvrage ». – CE 31 oct. 1986, Sté anonyme Assurances générales de France,
Lebon T. 701 ; D. 1987. Somm. 307, obs. Terneyre ; LPA 6 févr. 1987, p. 19,
concl. Lasserre : les autorités militaires, agissant comme maître de l'ouvrage,
dans la conception et la direction des travaux confiés à une société sur la base
d'un marché d'entretien portant sur la réfection de conduits de cheminée, ont
commis des fautes lourdes en ne communiquant pas à l'entreprise les plans des
conduits à aménager et en n'assurant aucune coordination entre les deux
tranches de travaux exécutées à quelques mois d'intervalle).

ACTUALISATION
210. Défaut de surveillance du maître d'œuvre. Faute simple. - La
responsabilité du maître d'œuvre au titre du défaut de surveillance est
engagée sur le terrain de la faute simple (CE 19 nov. 2018, Sté Travaux du
o
Midi Var, req. n  413017  , AJDA 2018. 2275  ).

211. Le second exemple concerne les relations entre l'architecte et


l'entrepreneur. L'architecte doit surveiller l'entrepreneur. L'entrepreneur dont la
responsabilité est recherchée par le maître d'ouvrage aura évidemment tendance
à imputer le manquement à l'architecte ; pour éviter cette « remontée »
systématique, il a été décidé que c'est seulement quand la faute de surveillance
est grave que la responsabilité de l'architecte est engagée solidairement ; si la
faute ne présente pas un caractère de gravité, l'architecte n'est responsable qu'à
titre subsidiaire (CE 16 oct. 1968, Palazzi et Traversa, Lebon 492  . – CE 8 juin
1973, Maréchal, Lebon 414). Cette solution est à rapprocher de celle qui a été
retenue quand l'entrepreneur agit contre l'architecte, bien qu'il s'agisse alors
d'une action en responsabilité extracontractuelle. En ce cas, la faute de
surveillance ne peut être invoquée utilement par l'entrepreneur que si elle est
grave (CE 21 oct. 1966, Benne, AJDA 1967. 11, concl. Baudouin).

212. Un troisième cas est celui des fautes commises par l'administration dans
l'adoption de certaines mesures consécutivement aux fautes de son
cocontractant. Il s'agit des marchés de substitution qu'elle conclut avec un
nouveau fournisseur pour pallier la carence du titulaire d'un premier marché ;
seule une faute lourde de l'administration dans la passation des marchés de
substitution peut engager sa responsabilité vis-à-vis de son premier cocontractant
(CE 27 mars 1957, Carsalade, Lebon 216. – CE, sect., 5 nov. 1982, Sté Propetrol,
Lebon 381   ; AJDA 1983. 259, concl. Labetoulle. – CE 29 mai 1981, Roussey,
Lebon 813  ).

213. Enfin, on peut rattacher à la faute lourde la fraude et le dol qui sont de


nature à engager la responsabilité des constructeurs après l'achèvement des
travaux qui leur ont été confiés. Normalement, les garanties, notamment
décennale et biennale, que la loi fait peser sur eux, ne peuvent être exactement
rattachées à la responsabilité contractuelle. Les limites que comportent ces
garanties post-contractuelles se trouvent écartées lorsque les constructeurs ont
en cours de contrat commis une fraude ou un dol (CE, sect., 24 mai 1974, Sté
Paul Millet et Cie, Lebon 310, concl. Vught  . – CE 23 juin 1978, Cts Michel,
Lebon 277 ; AJDA 1979. 42, note Moderne. – CE 3 avr. 1991, Sté SMAC Acieroïd,
o
req. n  84626, Lebon 118  . – CE 26 nov. 2007, Sté Les Travaux du Midi, req.
o o
n  266423  , BJCP 2008, n  56, p. 24, concl. Casas). Il s'agit bien de
responsabilité contractuelle puisque la fraude ou le dol ont été commis dans
l'exécution du contrat ; il s'agit bien aussi d'une exigence d'un degré
particulièrement élevé de faute pour que cette responsabilité soit engagée. À cet
égard, on notera que la constatation de l'existence ou non d'une intention
dolosive dans le comportement professionnel d'une personne relève de
l'appréciation souveraine des juges du fond. Par ailleurs, en reconnaissant à des
faits le caractère d'une faute assimilable, par sa nature ou sa gravité, à une
fraude ou à un dol, la cour administrative se livre à une qualification juridique
soumise au contrôle du juge de cassation (CE 12 mars 1999, Cne de Lansargues,
o
req. n  170103  , Lebon 63  ).

Section 2 - Faits non fautifs

214. Une des originalités de la théorie de la responsabilité contractuelle en droit


administratif réside dans la coexistence d'une responsabilité pour faute et d'une
responsabilité sans faute. Cette possibilité pour l'administration d'engager sa
responsabilité contractuelle en dehors de toute faute contractuelle est, en fait, la
conséquence, sinon la contrepartie, des pouvoirs exorbitants inhérents à sa
nature de puissance publique et aux fonctions qu'elle remplit, dont elle ne saurait
se dépouiller en contractant et dont la mise en œuvre peut affecter le contrat
administratif.

215. Le Conseil a reconnu formellement l'existence d'une telle forme de


responsabilité contractuelle tout en estimant qu'elle ne procédait pas de la même
« cause juridique » que la responsabilité contractuelle pour faute : « la
responsabilité contractuelle sans faute de la collectivité publique cocontractante
au titre de l'imprévision, tout comme sa responsabilité sans faute au titre de
l'adoption d'un acte unilatéral, procèdent de causes juridiques distinctes de la
responsabilité contractuelle pour faute et ne sont pas d'ordre public ». Des
conclusions nouvelles présentées sur l'un ou l'autre de ces terrains en appel sont,
o
par suite, irrecevables (CE 11 juill. 2014, MM. Burnet, req. n  359980  , Lebon
T. 750 ; AJDA 2014. 2342  ).

er
Art. 1 - Exercice régulier, par l'administration contractante, de ses
prérogatives contractuelles de puissance publique

216. Parce que les clauses contractuelles ne peuvent prévoir tous les cas de
figure possibles et parce que l'administration, gardienne de l'intérêt général et de
la continuité des services publics, ne peut accepter l'exécution de contrats
contraires à ses objectifs, les collectivités publiques contractantes sont investies
soit sur la base du contrat, soit en dehors de toute clause contractuelle, de
prérogatives contractuelles de puissance publique destinées à modifier ou à
résilier les contrats administratifs dont l'exécution serait contraire à l'intérêt
général. L'exercice régulier de telles prérogatives, dans la mesure où il va porter
atteinte à la force obligatoire du contrat, est alors susceptible d'engager la
responsabilité contractuelle sans faute de l'administration.

er
§ 1 - Exercice régulier du pouvoir de modification unilatérale
dans un but d'intérêt général

217. Le Conseil d'État a eu l'occasion de rappeler que les auteurs d'un décret,
disposant que « l'autorité organisatrice peut, au cours d'un contrat, apporter
unilatéralement des modifications à la consistance des services et à leurs
modalités d'exploitation (…) », s'étaient bornés à faire application des « règles
générales applicables aux contrats administratifs » (CE 2 févr. 1983, Union des
Transports publics, urbains et régionaux, Lebon 33 ; RFDA 1984. 45 note
Llorens ; RD publ. 1984. 212, note Auby). Selon une autre formulation, le Conseil
d'État indique que, « en vertu des règles générales applicables aux contrats
administratifs, la personne publique peut apporter unilatéralement dans l'intérêt
général des modifications à ses contrats (y compris les clauses financières) » ;
l'autorité organisatrice des transports peut ainsi, en cours de contrat, apporter
unilatéralement des modifications à la consistance des services et à leurs
modalités d'exploitation, le cocontractant, tenu de respecter ses obligations
contractuelles ainsi modifiées, ayant droit au maintien de l'équilibre financier de
son contrat (CE 27 oct. 2010, Synd. intercommunal des transports publics
o o
Cannes, Le Cannet, Mandelieu La Napoule, req. n  318617  , BJCP 2010, n  73,
p. 417, concl. Dacosta).

218. Si l'exercice régulier, par l'administration, du pouvoir de modification prévu


au contrat trouve en général – mais pas toujours – sa contrepartie contractuelle
dans une indemnisation du cocontractant selon les modalités elles-mêmes
prévues par le contrat, il n'engage pas, à proprement parler, une responsabilité
contractuelle de l'administration, car la force obligatoire du contrat ne subit, dans
ce cas, aucune atteinte. À l'inverse, l'exercice irrégulier du pouvoir de
modification, c'est-à-dire l'exercice du pouvoir de modification en contrariété avec
les conditions prévues par le contrat, ou en dehors de toute stipulation
contractuelle et sans qu'il réponde à des motifs d'intérêt général, engagera la
responsabilité contractuelle pour faute de l'administration, car il constituera alors
une atteinte injustifiée à la force obligatoire du contrat. Mais il faut considérer que
l'exercice régulier, par l'administration, du pouvoir de modification, en dehors de
toute clause contractuelle, est également susceptible d'engager sa responsabilité
contractuelle, sans faute, car il y aura aussi dans cette hypothèse atteinte à la
force obligatoire du contrat, bien que cette atteinte soit « légitime » (V. pour une
o
telle indemnisation, CE 22 févr. 2008, Sté NTA, req. n  274669).

§ 2 - Exercice régulier du pouvoir de résiliation unilatérale dans un but


d'intérêt général

219. La faculté pour l'administration de résilier à tout moment pour des motifs
d'intérêt général les contrats qu'elle a passés n'est pas discutable. Elle est
reconnue par la jurisprudence administrative comme une « règle applicable aux
contrats administratifs » (CE 2 mai 1958, Distillerie de Magnac-Laval, Lebon 246)
et ce, même si le contrat ne l'a pas prévu (CE 2 févr. 1987, Sté France 5,
Lebon 28 : « il appartient à l'autorité concédante, en vertu des règles générales
applicables aux contrats administratifs et sous réserve des droits d'indemnisation
du concessionnaire, de mettre fin avant son terme à un contrat de concession dès
lors qu'il existe des motifs d'intérêt général justifiant, à la date à laquelle elle
prend sa décision, que l'exploitation du service concédé doit être abandonnée ou
établie sur des bases nouvelles ; qu'elle peut user de cette faculté alors même
qu'aucune disposition législative ou réglementaire, non plus qu'aucune stipulation
contractuelle, n'en ont organisé l'exercice ») et ce, même si le contrat est conclu
entre deux personnes publiques (CE 24 nov. 2008, Synd. mixte des eaux et de
o
l'assainissement de la région du Pic Saint Loup, req. n  290540  , BJCP 2009,
o
n  63, p. 151, concl. Dacosta. – CE 4 juin 2014, Cne d'Aubigny-les-Pothées, req.
o
n  368895  , Lebon ; AJDA 2014. 1183   ; AJCT 2016. 139, étude J.-D.
Dreyfus   ; RTD com. 2014. 568, obs. G. Orsoni  . – CE 27 févr. 2015, Cne de
o
Béziers, req. n  357028  , Lebon, concl. ; AJDA 2015. 423   ; AJDA 2015. 1482,
note P. Bourdon   ; D. 2015. 630, obs. J.-M. Pastor   ; AJCT 2015. 268, obs.
S. Dyens   ; AJCT 2016. 139, étude J.-D. Dreyfus  ).

220. Par-delà le débat sur la nature des motifs pouvant justifier une telle
résiliation – somme toute assez largement entendue –, il ne fait aucun doute que
cette résiliation constitue un fait de nature à engager la responsabilité
contractuelle de l'administration. Ainsi, peut-on relever certaines motivations qui
démontrent bien l'existence d'une authentique obligation de réparation :
« considérant que la circonstance que la résiliation aurait été prononcée pour un
motif d'intérêt général ne fait pas obstacle à ce que les consorts Cazautets
reçoivent une indemnité pour manque à gagner » (CE 8 déc. 1967, Ets Cazautets,
RD publ. 1968. 942).

221. Mais c'est la suite contentieuse de l'affaire « Distillerie de Magnac-Laval »


qui affirme, de façon plus nette, ce droit à l'indemnité ; dans plusieurs arrêts
(CE 15 juill. 1959, Sté des Alcools du Vexin et Min. des Finances c/ Sté
« Distilleries de la Croix Rouge », Lebon 451 ; RD publ. 1960. 325, note
Waline. – CE 2 nov. 1960, Sté « Les Distilleries de la Saône et de Beaune-La
Rolande réunies », RD publ. 1961. 407. – CE 25 janv. 1963, Sté des Alcools du
Vexin, Lebon 50) et selon une formulation identique, le Conseil d'État précise que
rien ne fait obstacle à ce que le requérant « obtienne réparation du préjudice qu'a
pu lui causer la suppression unilatérale d'une partie de ses droits contractuels
[…]. Que le contrat ayant pris fin par l'effet d'une mesure générale, sans
qu'aucune faute ne puisse être reprochée au fournisseur, celui-ci a droit à la
réparation de l'intégralité du dommage qu'a pu lui causer la réduction de son
activité, y compris les bénéfices… ».

222. Ces solutions sont régulièrement confirmées, quelle que soit la catégorie de


contrat public. Ainsi, l'occupant régulier du domaine public évincé en l'absence de
faute avant le terme de son contrat a droit, à défaut de clause contraire du
contrat, à obtenir réparation du préjudice direct et certain résultant de cette
o
éviction (CE 31 juill. 2009, Sté Jonathan Loisirs, req. n  316534  , BJCP 2009,
o
n  67, p. 482, concl. Boulouis). De même, en vertu des règles générales
applicables aux contrats administratifs, l'autorité concédante peut toujours, pour
un motif d'intérêt général, résilier un contrat de concession, sous réserve des
droits à indemnité du concessionnaire. L'étendue et les modalités de cette
indemnisation peuvent être déterminées par les stipulations du contrat, sous
réserve qu'il n'en résulte pas, au détriment d'une personne publique lorsque
celle-ci est délégataire, une disproportion manifeste entre l'indemnité ainsi fixée
et le montant du préjudice résultant, pour le concessionnaire, des dépenses qu'il
a exposées et du gain dont il a été privé. Ce principe, découlant de l'interdiction
faite aux personnes publiques de consentir des libéralités, ne s'appliquant pas aux
personnes privées, rien ne s'oppose en revanche à ce que ces stipulations
prévoient une indemnisation inférieure au montant du préjudice subi par le
cocontractant privé de l'administration (CE 4 mai 2011, CCI de Nîmes, Uzès,
o
Bagnols, BJCP 2011, n  77, p. 285, concl. Dacosta). De même encore, la
responsabilité contractuelle de l'État peut être engagée pour renonciation à
moderniser une ligne ferroviaire en collaboration avec des collectivités
o
territoriales (CE 21 déc. 2007, Région Limousin et autres, req. n  293260  , BJCP
o
2008, n  57, p. 138, concl. Prada-Bordenave) ou à un contrat de plan
interrégional (CAA Nantes, 30 déc. 2005, Établissement public Loire, req.
o o
n  04NT00123, BJCP 2006, n  46, p. 210). Mais encore faut-il que la renonciation
de l'administration à poursuivre le contrat pour un motif d'intérêt général
s'applique à un contrat ayant prévu une durée et des engagements précis. Si tel
n'est pas le cas, la « résiliation » de la convention n'engage pas la responsabilité
contractuelle de la personne publique (CAA Paris, 31 juill. 2015, Sté Foretec et
o o
autres, req. n  14PA03547, BJCP 2016, n  106, p. 234).

ACTUALISATION
222. Écotaxe. Résiliation unilatérale. Absence de motif d'intérêt
général. - La résiliation du contrat de partenariat liant l'État à la société
Écomouv'dans le cadre de la mise en œuvre de l'écotaxe n'était justifiée par
aucun motif d'intérêt général. Si, en vertu des règles générales applicables
aux contrats administratifs, la personne publique contractante peut toujours,
pour un motif d'intérêt général, résilier unilatéralement un contrat, le défaut
d'un tel motif est de nature à faire naître une faute pouvant engager sa
responsabilité. Pour estimer que la résiliation n'était pas justifiée par un motif
d'intérêt général, le tribunal relève que « si un vice entachant la régularité
juridique du contrat de partenariat pouvait fonder légalement la décision de
le résilier, l'État ne précise ni […] les règles ou principes de valeur
constitutionnelle qui auraient été méconnus ni la nature et l'origine des
o
critiques qu'il formule » (TA Cergy-Pontoise, 18 juill. 2018, req. n  1507487,
AJDA 2018. 1523, obs. Maupin  ).

Art. 2 - Exercice régulier, par l'administration contractante, de ses


prérogatives extracontractuelles de puissance publique : le fait du prince

223. Lorsqu'une personne publique contracte avec des particuliers, voire même


avec une autre personne publique, elle n'aliène pas, de ce fait, ses compétences ;
après avoir contracté, l'administration continue à émettre une multitude de
normes juridiques qui peuvent, éventuellement, affecter les conditions
d'exécution de ses propres contrats. Dans une telle hypothèse, l'administration
cocontractante doit-elle être tenue pour responsable, et plus particulièrement,
contractuellement responsable, dans la mesure où les obligations contractuelles
vont se trouver inexécutées de son fait ? Cette question, dont l'ampleur est
largement conditionnée par l'unité de la personnalité juridique de l'État (un
contrat passé par le ministère de l'Agriculture est supposé également passé par le
ministre de l'Économie), pose, en réalité, dans le droit administratif des contrats,
le problème de la théorie du fait du prince.

er
§ 1 - Conditions préalables à l'existence d'un fait du prince

224. Pour qu'un acte administratif soit constitutif d'un fait du prince, deux
conditions préalables doivent être réunies : premièrement, l'acte doit être
imputable à l'administration contractante ; deuxièmement, il doit être
imprévisible au moment de l'accord de volonté des parties contractantes.
A - L'acte administratif doit être imputable à l'administration
contractante

225. La première condition pour qu'un fait dommageable soit constitutif d'un fait
du prince implique qu'il soit imputable à la personne publique cocontractante ;
dès lors, il ne saurait y avoir, par exemple, fait du prince pour un acte de
puissance publique émanant de l'État et affectant les conditions d'exécution des
contrats des collectivités locales. L'exigence de cette condition est très stricte,
bien qu'il n'en ait pas toujours été ainsi dans la jurisprudence.

226. Les problèmes les plus délicats se posent, comme dans le domaine de la


responsabilité extracontractuelle, à propos de la théorie du dédoublement
fonctionnel ; il convient, en effet, de prêter la plus extrême attention à la qualité
en vertu de laquelle agit l'auteur du fait dommageable. À ce propos, on doit citer
ici l'affaire « Compagnie du Chemin de Fer de Bayonne à Biarritz » (CE 20 oct.
1971, Lebon 624), dans laquelle le Conseil d'État a jugé que les mesures
préfectorales, qui avaient imposé à un concessionnaire de voie ferrée d'assurer le
transport gratuit des troupes d'occupation, « n'ont pas été prises par le préfet,
agissant au nom du département, mais ont été prescrites par ledit préfet à la
demande des autorités d'occupation ; qu'ainsi, la diminution des recettes, dont
fait état la société requérante, est indépendante du fait de l'autorité concédante
partie au contrat » (Sur un problème de dédoublement fonctionnel en matière de
responsabilité contractuelle, V. aussi, CE 3 juin 1964, SA des Funiculaires et
Téléphériques Azuréens, Lebon 321. – CE 29 déc. 1997, Sté civile des Néo
o o
Polders, req. n  146753  , Dr. adm. 1998 n  109 : réglementation d'urbanisme
imputable à l'État). De même, si le fait préjudiciable est imputable à un État tiers,
le cocontractant de l'État français, qui exécute son contrat de droit public français
sur le sol de cet État tiers, ne saurait invoquer la théorie du fait du prince
(CE 26 oct. 1973, Sieur Lavigne, RD publ. 1974. 1167 : dans ce cas, le
cocontractant dispose de très peu de recours puisqu'il ne pourrait même pas
invoquer l'inaction des services diplomatiques, considérée, en l'espèce, comme un
acte de gouvernement).

227. On soulignera, toutefois, que l'application de cette condition préalable ne


laisse pas complètement démuni le cocontractant d'une personne publique ayant
subi un préjudice du fait d'une mesure imputable à une autre personne publique ;
celui-ci pourra toujours « présenter une demande d'indemnité, basée sur
l'existence d'un fait imprévisible ayant provoqué un déficit d'exploitation de
nature à entraîner un bouleversement de l'économie du contrat » (affaire
o
Bayonne-Biarritz, préc. supra, n  226. – V. aussi CE 5 nov. 1982, Sté Propétrol,
Lebon 381). Cette action recouvre, on l'aura reconnue, la théorie de l'imprévision,
qui ne constitue pas, comme on le verra à propos du « lien d'imputabilité » et
justement en raison de cette absence d'imputabilité du fait dommageable à
l'administration contractante, une hypothèse de mise en jeu de sa responsabilité
contractuelle.

B - L'acte administratif doit être imprévisible au moment de l'accord


des volontés

228. Le fait du prince, dont se plaint le cocontractant, doit avoir été imprévisible
au moment de la conclusion du contrat. De façon logique et équitable, en effet,
on considère que si le fait du prince pouvait normalement avoir été prévu au
moment de la conclusion du contrat, il est à présumer que le cocontractant
l'aurait pris en considération, notamment pour l'établissement du prix. À ce
propos, la jurisprudence est également certaine : « Au mois d'octobre 1919, le
requérant ne pouvait pas ignorer les conditions économiques telles que la hausse
du coût de la main-d'œuvre et celle du prix des charbons, qui ont obligé les
pouvoirs publics à autoriser un nouveau relèvement des prix de chemin de fer »
(CE 14 mai 1926, Pouillard, Lebon 498. – V. égal. CE 19 nov. 1926, Cie générale
transatlantique, Lebon 891. – CE 25 févr. 1949, Ville de Melun,
Lebon 94. – CE 7 mai 1982, Sté Sogeparc-Paris, Lebon T. 669).

229. L'application de cette condition conduit parfois à des solutions très sévères


pour le cocontractant ; par exemple, si depuis l'acte administratif constitutif de
fait du prince, est intervenu un avenant au contrat, le cocontractant ne peut
prétendre au bénéfice de la théorie (CE 15 déc. 1922, Ville de Rennes,
Lebon 945). Beaucoup plus rigoureuse encore est l'hypothèse où le requérant
ignorait, de bonne foi, l'intervention du fait du prince ; ainsi, une société
contractante de l'État n'a droit à aucune indemnité pour le retard entraîné par la
mise en chômage de la Moselle, prescrite par arrêté ministériel paru au Journal
officiel le 4 avril ; cette publication étant insuffisante et la soumission, déposée
par la société, étant devenue définitive le 7 avril, et bien que l'administration n'ait
pas annoncé dans le dossier d'adjudication cette opération, « la requérante,
même si elle ignorait que cette opération allait avoir lieu, ne pouvait utilement
soutenir que les difficultés, qu'elle aurait rencontrées de ce fait, ont présenté un
caractère imprévisible » (CE 13 déc. 1961, Min. des Travaux publics c/ Sté
nationale de Construction, Lebon 706).

230. De même, l'arrêté du 7 mars 1975 fixant les modalités d'application du


contrôle des prix des péages d'autoroutes et les mesures prises pour son
application n'est pas de nature à ouvrir droit à indemnisation au profit du
concessionnaire sur le fondement de la théorie du fait du prince, dès lors, d'une
part, qu'aucune atteinte n'a été portée à l'objet même du contrat de concession,
celui-ci ayant pour objet non pas la liberté tarifaire mais la construction et
l'exploitation d'autoroutes, d'autre part, que ces mesures étaient envisageables à
la date de signature du contrat, en raison de l'absence de toute disposition
législative exceptant les péages d'autoroutes du champ d'application de
l'ordonnance du 30 juin 1945 et qu'au surplus, l'application effective des mesures
en cause était connue lors de la signature d'un avenant au contrat de concession
o
(CAA Paris, 23 juill. 1991, Sté Cofiroute, req. n  89PA01566  , Lebon T. 1043  ).

§ 2 - Les hypothèses de fait du prince

A - Mesures générales qui ne peuvent être prises que par l'État

231. Actes législatifs. - Une loi, au sens strict, peut-elle engager la


responsabilité contractuelle de l'État ? L'État contractant peut-il voir, au cours de
l'exécution du contrat, sa responsabilité engagée, en raison d'une loi votée par le
Parlement ? On sait, depuis l'arrêt La Fleurette (CE 14 janv. 1938, Lebon 25), que
la responsabilité extracontractuelle de l'État peut être engagée, en raison de
l'exercice de la fonction législative, à condition d'une part que le préjudice causé
soit spécial et d'une gravité suffisante, et d'autre part que la loi n'ait pas entendu
exclure, expressément ou implicitement, la réparation.

232. En matière contractuelle, le cocontractant de l'État pourra toujours


prétendre à une indemnité du fait du dommage causé par un acte législatif si
cette loi a prévu elle-même cette indemnisation (CE 11 juill. 1919, Chemins de
Fer du Midi, S. 1921. 3. 1, note Hauriou). Inversement, la théorie du fait du
prince ne pourrait pas jouer si la loi ainsi que ses travaux parlementaires ont
entendu exclure tout dédommagement du préjudice pouvant en résulter. Dès
lors, le cocontractant de l'État, bien qu'ayant subi un préjudice direct et spécial du
fait de cette loi, devrait en supporter les conséquences financières (CE 22 nov.
1957, Cie de Navigation Fraissinet, Lebon 635. – Pour une hypothèse de refus
implicite de la part du législateur, V. CE 7 déc. 1894, Cie algérienne, Lebon 660 ;
S. 1896. 3. 89, concl. Arrivière). Mais, qu'en est-il lorsque la loi n'a rien prévu ?

233. À cet égard, on peut citer l'arrêt du Conseil d'État du 28 avril 1939,
« Compagnie des Chemins de Fer de l'Ouest » (RD publ. 1940. 58, concl. Josse,
note Jeze), pour sa valeur d'exemple.

234. Dans cette affaire, l'annuité d'une convention de rachat était directement


affectée par un décret-loi de 1935, instituant un prélèvement de 10 % sur toutes
les dépenses publiques. À cette occasion, le commissaire du Gouvernement Josse
prononça des conclusions qui ont, à la fois, une valeur pédagogique et de
principe : « le fait que l'indemnité [de rachat] est due en vertu d'un contrat ne
suffit pas pour faire obstacle au prélèvement, le décret du 16 juillet 1935 portant,
par lui-même, atteinte au contrat. Mais la Compagnie peut être fondée, sur le
terrain contractuel, à réclamer alors à l'État une indemnité équivalente à la
réduction résultant du prélèvement de 10 %. C'est la question de l'intervention de
l'État législateur dans un contrat passé avec l'État qui se pose alors et l'indemnité
ne peut être déniée que si le texte, ayant valeur législative, en exclut lui-même la
possibilité ». De fait, cette argumentation fut suivie par la Haute Assemblée qui
affirma que « l'annuité de rachat ne pourrait être réduite à une somme inférieure
au montant desdites charges, par l'effet du décret du 16 juillet 1935, sans que
l'État fût tenu de verser, à la compagnie, une indemnité compensatrice, en vertu
de ses obligations contractuelles ».

235. Dès lors, on peut dire aujourd'hui qu'une loi peut engager la responsabilité
contractuelle de l'État si cette loi affecte une donnée dont on peut considérer
qu'elle a été essentielle, déterminante dans la conclusion du contrat, une donnée
dont la prise en considération a décidé le cocontractant à conclure le contrat ou
modifié un élément essentiel du contrat. Toutefois, il convient, dès à présent, de
souligner que cette condition propre à l'acte législatif devra se cumuler avec celle
relative à la spécialité du préjudice dont on verra qu'elle constitue une condition
particulière du préjudice dans le cas de la responsabilité contractuelle sans faute
de l'administration.

236. De fait, spécialité du préjudice et « donnée déterminante dans la conclusion


du contrat » sont deux notions qui ne se recoupent pas. En effet, une mesure
législative peut parfaitement atteindre un élément essentiel du contrat, une
donnée en considération de laquelle le cocontractant s'est engagé, sans pour
autant lui causer un préjudice spécial ; si un ensemble, très important, de
commerçants, industriels ou entrepreneurs contractants peut être atteint
directement par une loi ou un règlement, ils ne pourront prétendre à être
indemnisés, sur le fondement de la théorie du fait du prince, que si le préjudice
qu'ils ont subi est spécial à « certains » commerçants, industriels ou
o
entrepreneurs (V. infra, n  291). Dès lors, si le principe de la responsabilité
contractuelle de l'État, du fait d'une mesure législative, est admis, l'effectivité de
sa mise en œuvre sera réduite, compte tenu de ces conditions très restrictives.

237. Conventions internationales. - La signature d'une convention


internationale par l'État est-elle de nature à engager sa responsabilité envers l'un
de ses cocontractants ? Un arrêt du Conseil d'État admet que la SNCF a pu
demander, sur la base du contrat la liant à l'État, une indemnité en réparation du
préjudice que lui causait l'application d'un accord international signé par la France
(CE 22 déc. 1961, SNCF, Lebon 738, concl. Combarnous). Aux termes de cet
arrêt, « l'application desdites dispositions et la responsabilité contractuelle de
l'État qu'elles définissent ne sauraient être écartées, lorsque des obligations de
cette nature se trouvent être mises à la charge de la société par les stipulations
de conventions internationales… ».

238. À cet égard, on remarquera que c'est en se basant sur les solutions de cette
affaire que le commissaire du Gouvernement BERNARD demandait en concluant
dans l'affaire « Compagnie Radio-électrique » (CE, ass., 30 mars 1966,
Lebon 257  ), son extension au domaine de la responsabilité extracontractuelle.
Selon M. BERNARD, en effet, « il résulte de cet arrêt « SNCF », qu'en matière
contractuelle, la théorie de l'irresponsabilité de l'État, du fait des conventions
internationales, est abandonnée et que des conventions internationales […] ont
été soumises au même régime de responsabilité que les lois. Certes, il s'agissait
dans cette affaire, de responsabilité contractuelle, mais on ne voit vraiment pas
pourquoi les conventions internationales seraient soumises au même régime que
les lois, dans le domaine de la responsabilité contractuelle, et à un régime
différent, dans le domaine de la responsabilité extracontractuelle » ; on sait,
depuis, que son argumentation a été suivie.

B - Mesures générales qui peuvent être prises par toutes les collectivités


publiques

239. Mesures de police administrative. - L'exercice – ou l'abstention – du


pouvoir de police administrative, appartenant à l'administration contractante,
peut-il engager sa responsabilité contractuelle ? Bien que la jurisprudence soit
peu abondante, nous pensons que la réponse à cette question est affirmative.

240. Ainsi, par exemple, lorsqu'une commune adjuge une coupe de bois à une
entreprise, et que peu de temps après, de façon irréversible, elle interdit, en
vertu de ses pouvoirs de police administrative, la circulation de véhicules de plus
de 3, 5 tonnes sur une voie communale que les camions de l'entreprise
adjudicataire devaient nécessairement emprunter, les conditions d'exécution du
contrat vont, par conséquent, se trouver affectées du fait de l'exercice régulier,
par la collectivité publique, de ses pouvoirs de police administrative (TA Pau,
o
25 avr. 1978, Sté des Établissements Lombardi c/ Cne de Borce, req. n  2458,
inédit). De même, lorsque le maire exerce ses pouvoirs de police pour mieux
organiser un marché communal géré par un tiers en vertu d'une convention
o
conclue avec la commune (CE 2 déc. 2009, EURL Mandon, req. n  301279  ).

241. Mais c'est surtout en matière de carence des autorités de police


administrative que la responsabilité contractuelle sans faute de l'administration
peut être engagée. C'est ainsi, par exemple, que dans le cadre d'une concession
de stationnement, passée entre la Ville de Paris et une société privée de parking,
l'insuffisance des mesures de police, destinées à réprimer le stationnement
irrégulier à proximité de la concession, pourrait ouvrir un droit à indemnité à
condition qu'elle ait modifié « un élément essentiel du contrat ». En revanche, si
cette insuffisance a eu une simple « incidence » sur la fréquentation du parc
souterrain, elle ne pourra engager la responsabilité contractuelle de la ville
(CE 7 mai 1982, Sté du Parking de la Place de la Concorde, RD publ. 1983.
237. – CE 7 mai 1982, Sté Sogeparc-Paris, Lebon T. 669, sol. impl.).
242. Le rapprochement de ces deux arrêts permet, par ailleurs, de préciser
quelles sont les conditions d'application de cette responsabilité. La mesure de
police doit avoir – positivement ou négativement – « modifié un élément essentiel
du contrat », et non pas avoir eu une simple « incidence » sur les conditions
d'exécution du contrat, sans pouvoir être considérée comme un fait du prince et
ouvrir droit, ainsi, à une indemnité au profit du cocontractant lésé. On constatera
simplement que si ces conditions sont sensiblement différentes par rapport aux
deux hypothèses précédentes, elles participent de la même inspiration, à savoir
que le fait du prince doit avoir modifié l'état des choses en fonction desquelles le
contrat a été passé ; alors que toute « faute » suffit à engager la responsabilité
contractuelle de l'administration, le fait du prince doit présenter un certain degré
de gravité (et de spécialité) à l'égard de l'exécution du contrat.

243. Mesures de police économique. - Par-delà des exemples anciens en


matières fiscale et de contrôle de prix, rien n'empêche, en théorie, le
cocontractant de l'administration de mettre en jeu la responsabilité de cette
dernière pour les mesures interventionnistes qu'elle a pu prendre et ayant des
conséquences sur les conditions d'exécution du contrat.

244. Ainsi, la théorie du fait du prince peut jouer, en matière de suppression de


l'aide à l'exportation, quand celle-ci constitue la condition de l'acceptation du
marché par l'entrepreneur (CE 7 oct. 1970, Lavigne, Lebon T. 1097) et aurait pu
jouer au bénéfice des sociétés concessionnaires d'autoroutes, à qui la liberté
tarifaire avait été consentie pour dix années, et dont l'État avait bloqué le
montant des péages sur le fondement de l'ordonnance du 30 juin 1945
(CE 13 mai 1977, Cie Financière et Industrielle des Autoroutes, Lebon 219 ;
D. 1978. 130, note Delvolvé. – CE 9 févr. 1979, Sté des Autoroutes Rhône-Alpes,
o
Dr. adm. 1979, n  82).

245. Toutefois, ici aussi, le cocontractant doit établir soit le bouleversement de


l'économie du contrat, soit la modification de l'état des choses en fonction
desquelles le contrat a été passé.

246. Mesures particulières. - Il s'agit là de décisions individuelles licites (ou


d'opérations matérielles) prises par l'administration contractante en vertu de ses
compétences extracontractuelles et affectant les conditions d'exécution du
contrat. À leur égard, il est très difficile d'établir une typologie précise, puisqu'il
existe presque autant de catégories qu'il existe de mesures particulières.
Toutefois, on peut considérer que la plupart de ces mesures particulières sont
prises, soit en vertu du pouvoir de police, soit en vertu du pouvoir d'organisation
des services publics qui appartient à toutes les collectivités publiques. De fait,
l'hypothèse la plus célèbre n'est autre que l'affaire des « Tramways de Marseille »
(CE 21 mars 1910, Lebon 216, concl. Blum), dans laquelle le préfet des Bouches-
du-Rhône, sur le fondement de ses pouvoirs légaux (art. 33 du règlement
d'administration publique du 6 août 1881) d'organisation du service, avait modifié
les obligations du concessionnaire des tramways de Marseille. De même, des
sociétés minières, concessionnaires de l'État, ont-elles pu invoquer le droit à être
indemnisées du préjudice causé par les arrêtés préfectoraux, pris en application
de la loi du 27 juin 1880, visant à interdire les travaux souterrains à proximité
d'une ligne de chemin de fer (CE 27 juill. 1906, Cie PLM, Lebon 702, concl.
Teissier. – CE 12 juill. 1929, Chemins de Fer de l'État, Lebon 721. – CE 2 mars
1932, Sté Mines de Joudreville, Lebon 246). V. aussi la décision du Premier
ministre concernant l'implantation d'un « Synchrotron » à Strasbourg en
méconnaissance d'un contrat de plan État-Région Alsace (CE 8 janv. 1988, Min.
chargé du Plan c/ CU de Strasbourg, Rev. adm. 1988. 141, note Terneyre).

Art. 3 - Existence d'une situation d'imprévision

247. Comme on l'a relevé plus haut, même en l'absence de faute contractuelle de


l'administration, l'exécution d'un contrat administratif est susceptible de fonder
un droit à indemnité du cocontractant pour « imprévision », dernière catégorie de
responsabilité contractuelle sans faute (CE 11 juill. 2014, M. Burnet, req.
o
n  359980  , AJDA 2014. 2342  ).

er
§ 1 - Définitions

248. Schématiquement, la théorie de l'imprévision est née avec un « grand


arrêt » du Conseil d'État – l'arrêt « Compagnie générale d'éclairage de
Bordeaux » (CE 30 mars 1916, Lebon 125) – rendu à propos de difficultés liées à
l'exécution d'une concession d'éclairage public pendant la Première Guerre
mondiale où le prix de la tonne de charbon nécessaire à la production de gaz était
passé de 35 F en janvier 1915 à 117 F en mars 1916 (soit de l'ordre de 334 %
d'augmentation).

249. En principe, dit la Haute assemblée dans cet arrêt (et ce principe est
toujours valable aujourd'hui), « un contrat de concession règle d'une façon
définitive, jusqu'à son expiration, les obligations respectives du concessionnaire
et du concédant ; le concessionnaire est tenu d'exécuter le service prévu dans les
conditions précisées au traité (…) et la variation du prix des matières premières
en raison des circonstances économiques constitue un aléa du marché (…),
chaque partie étant réputée avoir tenu compte de cet aléa dans les calculs et
prévisions qu'elle a fait avant de s'engager ».

250. Toutefois, par exception à ce principe, poursuit le Conseil d'État, lorsque,


par suite de circonstances « imprévisibles » (les hausses « prévisibles » du
charbon étaient comprises au moment de la signature du contrat entre 23 et
28 F), l'économie du contrat se trouve « absolument bouleversée », le titulaire de
la convention a droit, de la part de l'administration, à une « indemnité » afin que
soit préservée la « continuité du service public ».

251. Il s'agit là, contrairement à ce qui est parfois avancé par une partie de la
doctrine qui n'y voit pas un mécanisme de responsabilité (V. L. RICHER et
e o
F. LICHÈRE, Droit des contrats administratifs, 10  éd., 2016, LGDJ, n  535), d'une
théorie permettant d'engager la responsabilité contractuelle de l'administration
dont le Conseil d'État vient de décider qu'elle présentait, aux côtés de la théorie
du « fait du Prince », les caractères d'une responsabilité contractuelle sans faute
o
(V. CE 28 juill. 2011, MM. Burnet, req. n  332256   : « même en l'absence de
faute contractuelle de la commune, la convention conclue entre celle-ci et MM.
Burnet était susceptible de fonder un droit à indemnité de ces derniers pour
imprévision ou pour acte unilatéral non fautif de la personne publique
cocontractante ». – V. aussi en ce sens : E. FELMY, concl. sur CAA Marseille,
o
24 févr. 2014, Sté casino de Lamalou-les-Bains, req. n  12MA00109  , JCP Adm.,
o
n  43, 27 oct. 2014, 2296), sans que celle-ci soit toutefois d'ordre public
o
(CE 11 juill. 2014, MM. Burnet, req. n  359980  , Lebon T. 741 ; AJDA 2014.
2342  ) à la différence de la responsabilité extracontractuelle sans faute
(CE 29 nov. 1974, Époux G., Lebon 599).

252. Par ailleurs, confirmant l'idée qu'une situation d'imprévision fait peser sur
l'administration contractante, même sans clause contractuelle à cet effet, une
obligation contractuelle d'indemnisation du cocontractant, il est jugé à plusieurs
reprises par le Conseil d'État que le cocontractant d'une personne publique peut
demander à cette dernière une indemnité d'imprévision à tout moment de la vie
du contrat : en cours d'exécution de celui-ci, une fois que le contrat a pris
normalement fin (CE 12 mars 1976, Dpt des Hautes-Pyrénées c/ Sté Sofilia,
Lebon 155) et même lorsque le contrat est résilié, infirmant la thèse selon
laquelle l'indemnité d'imprévision ne serait due que si le contrat est mené jusqu'à
o
son terme normal (CE 10 févr. 2010, Sté Prest’Action, req. n  301116  , Lebon ;
AJDA 2010. 293   ; RDI 2010. 265, obs. R. Noguellou  ).

253. Enfin, le cocontractant peut demander une indemnité au titre de


l'imprévision, quelles que soient les clauses stipulées, en particulier lorsque des
modifications imprévisibles des circonstances économiques entourant l'exécution
du contrat empêchent une clause de variation de prix de jouer dans des
conditions normales et entraînent, par suite, un bouleversement de l'équilibre
économique du contrat (CE 19 févr. 1992, SA Dragages et TP et autres, req.
o
n  47265  , Lebon T. 1109 ; D. 1992. Somm. 411, obs. Ph. Terneyre  ).

ACTUALISATION
253-1. Conditions de versement d'une indemnité d'imprévision. - Une
société n'est pas fondée à solliciter le versement d'une indemnité
d'imprévision lorsque les circonstances imprévisibles ne sont pas
principalement à l'origine du déficit d'exploitation (CE 21 oct. 2019, Sté
o
Alliance, req. n  419155, Lebon ; AJDA 2019. 2087, obs. Maupin  ).

§ 2 - Conditions de l'obligation d'indemnisation à la charge


de l'administration contractante

254. Pour obtenir de la part de l'administration contractante une indemnité en


cours d'exécution d'un contrat administratif, le cocontractant doit faire la preuve
qu'une série de conditions sont cumulativement réunies.

A - Le fait générateur de la responsabilité doit être extérieur aux deux


parties au contrat.

255. Tel est toujours le cas, pour des contrats publics unissant, comme ici, une
collectivité publique à une entreprise privée : des guerres, des crises
économiques mondiales (celle de 1928, celle de 2008, V. CAA Marseille, 24 févr.
o
2014, Sté Casino de Lamalou-les-Bains, préc. supra, n  251), des hausses
brutales des prix des matières premières (V. M. FRANC, concl. sur CE 29 avr.
1981, M. Bernard c/ Ville de Nouméa, CJEG 1982. 9), des changements brutaux
de législation, des hausses de salaires et des charges (CE 29 mai 1991, EPA de la
o
ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines, req. n  92551  , Lebon T. 1048 ;
D. 1991. Somm. 376, obs. Ph. Terneyre  ), de phénomènes naturels.

256. En revanche, si le fait imprévisible est imputable à l'administration


contractante, il ne permet pas de constituer une situation « d'imprévision » mais
il peut néanmoins engager la responsabilité contractuelle sans faute de cette
dernière pour « fait du Prince » (qualifié d'acte unilatéral non fautif de la
personne publique contractante dans l'affaire précitée « MM. Burnet »).

B - Le fait générateur de la responsabilité contractuelle doit avoir été


imprévisible pour les deux parties, en particulier pour le cocontractant.

o
257. Dans l'arrêt fondateur précité du « Gaz de Bordeaux » (V. supra, n  144), le
Conseil d'État avait estimé que les titulaires de contrats administratifs devaient
assumer les aléas normaux de la vie économique pouvant avoir des répercussions
sur le cours de l'exécution du contrat. En conséquence, pour que puisse jouer la
théorie de l'imprévision, les faits générateurs du bouleversement de l'économie
du contrat doivent alors déjouer toutes les prévisions qu'avaient et qu'auraient
raisonnablement pu faire les parties lors de la conclusion du contrat. Et, comme
le relève le commissaire du gouvernement M. FRANC devant la Haute assemblée,
« votre jurisprudence est sur ce point assez rigoureuse et vous recherchez si, au
moment de la conclusion du contrat, il n'y avait pas des signes avant-coureurs de
la crise » ou si « l'aléa était imprévisible pour un entrepreneur averti » (concl. sur
CE 29 avr. 1981, Bernard, CJEG 1982. 9).

258. C'est la raison pour laquelle la théorie de l'imprévision ne joue pas, par


exemple :

– lorsque, à l'époque à laquelle a été conclu le marché, la variation des prix était
prévisible (CE 10 févr. 1943, Aurran, Lebon 36), ce qui est désormais
systématiquement le cas des variations des prix pétroliers dont il faut postuler
qu'ils sont volatils (TA Nice, 20 oct. 2006, Sté Eurovia Méditerranée, AJDA 2007.
424, concl. F. Dieu  . – CAA Marseille, 3 avr. 2008, Sté Braga Vesigne, req.
o
n  06MA01355. – CAA Nancy, 27 janv. 2011, Sté Eurovia Champagne, req.
o
n  10NC00154).

– lorsque la hausse générale du prix des matériaux et des salaires, due


notamment à l'abaissement de la durée légale du travail et de la diminution du
pouvoir d'achat de la monnaie, s'était déjà manifestée de façon sensible entre la
date de la passation et la date de l'approbation du marché (CE 27 déc. 1947, Min.
des Armées, c/ Sté Force et Lumière, Lebon 643).

259. À cet égard, s'agissant des « lois Aubry » de 1997-1998 sur la réduction du
temps de travail, celles-ci étaient « prévisibles », dans leur principe et leurs
conséquences, pour un marché conclu le 23 décembre 1998 (CAA Lyon, 27 déc.
o
2007, Sté La Rayonnante, req. n  04LY00758  ). Il en est également ainsi
lorsque, à la date de conclusion d'une concession de remonte-pente, la
désaffectation du public pour le secteur où se trouvait cette remontée mécanique
était prévisible (CE 23 janv. 1959, Cne d'Huez, Lebon 67), et lorsqu'un marché
publicitaire est conclu en mars 1999 entre la Ville de Dieppe et un prestataire et
que son exécution est affectée par l'arrêt de la liaison maritime avec l'Angleterre
à la même époque, mais prévisible par tous (CE 10 févr. 2010, Sté Prest’Action,
o
préc. supra, n  252).

260. En revanche, pour les marchés publics passés autour de la période


correspondant à l'augmentation brutale des prix du pétrole (janvier/mars 1974)
consécutive à la guerre du Kippour en octobre 1973, ceux des marchés passés en
mai 1974 n'ont pu prétendre à bénéficier de la théorie de l'imprévision alors que,
pour ceux conclus en octobre/novembre 1973, concomitamment voire
postérieurement à cette guerre, la hausse des prix du pétrole a été considérée
o
comme imprévisible (CE 29 avr. 1981, M. Bernard, préc. supra, n  257).

261. De même, pour un marché souscrit en septembre 1973, mais seulement


notifié en janvier 1975, le contrat a été bouleversé par une forte augmentation
des salaires et des autres charges pesant sur l'entreprise qui n'était pas prévisible
au moment de la signature du marché (CE 29 mai 1991, EPA de Saint-Quentin-
o
en-Yvelines, req. n  92551  , Lebon ; D. 1991. 376, obs. P. Terneyre   ; RDI
1991. 334, obs. F. Llorens et P. Terneyre  ).

262. De même encore, pour les parties à une concession de casino conclue en
2004, « la crise économique survenue en 2008 était imprévisible lors de la
conclusion du contrat et était extérieure aux parties » (CAA Marseille, 24 févr.
o
2014, Sté casino de Lamalou-les-Bains, préc. supra, n  251). En revanche, dans
cette dernière affaire, n'étaient pas imprévisibles pour un acteur économique
raisonnablement attentif à son environnement professionnel (un casinotier) le
développement des jeux en ligne et l'accroissement du contrôle du blanchiment.

263. En outre, et surtout, une indemnité d'imprévision peut quand même être
accordée pour un événement par lui-même prévisible, voire même déjà existant
au moment de la signature du contrat, si les conséquences financières de cet
événement étaient, elles, imprévisibles : ainsi, par exemple, de la taxation des
prix du gaz – prévisibles – mais dont les conséquences financières ont dépassé ce
qui était prévisible (CE 22 févr. 1963, Ville d'Avignon, Lebon 115) ; de même
pour un camping situé à Chamonix sur une zone à risque connu, mais dont les
conséquences de cette localisation se sont aggravées au fur et à mesure de
l'évolution de la réglementation applicable aux zones inondables (V. l'affaire préc.
o
« MM. Burnet », supra, n  251).

C - Le fait générateur de la responsabilité doit entraîner


un bouleversement de l'économie du contrat.

264. Comme l'a décidé le Conseil d'État en 1916 sans jamais revenir sur sa
jurisprudence, le cocontractant de l'administration doit toujours envisager un
certain aléa dans l'exécution du contrat. Ce n'est que lorsque cet aléa est dépassé
que la situation d'imprévision peut jouer. Pour reprendre une fois encore les
o
termes de l'arrêt « Gaz de Bordeaux » (préc. supra, n  144), il faut que les
circonstances imprévues entraînent des majorations du prix de revient « déjouant
tous les calculs », dépassant « certainement les limites extrêmes des majorations
ayant pu être envisagées par les parties lors de la passation du contrat ». L'état
d'imprévision n'est, de la sorte, admis que si « l'économie du contrat se trouve
absolument bouleversée ».
265. S'agissant des seuils à partir desquels le juge administratif estime que le
montant total d'un contrat public est bouleversé sur toute sa durée, on ne peut ici
faire état que de jurisprudences particulières qui, juxtaposées, révèlent
cependant certaines tendances de la part du juge.

266. Il en est ainsi « pour une hausse prétendument imprévisible des salaires qui
aurait entraîné le bouleversement de l'économie de chacun des marchés, en
admettant que l'existence de clause de variation des prix n'ait pas été de nature à
permettre de couvrir l'intégralité des hausses de salaires, l'économie des marchés
litigieux ne peut être regardée comme ayant été modifiée dans une proportion
suffisante, alors surtout que l'entreprise intéressée n'allègue aucune absence de
bénéfices au titre des années antérieures » (TA Rennes, 11 avr. 1973,
Établissements Marius Series, Lebon 780).

267. De même, l'augmentation de diverses charges sociales spécifiques à la


Martinique représentant une charge supplémentaire de l'ordre de 2 % du montant
définitif d'un marché ne « saurait être regardée comme ayant entraîné un
bouleversement de l'équilibre financier du marché qui, seul, aurait pu ouvrir droit
à indemnité au profit de l'entreprise » (CE 2 juill. 1982, Sté routière Colas,
Lebon 261).

268. Il en est encore de l'entreprise qui « affirme avoir dû supporter des charges
extracontractuelles imprévisibles résultant d'une part de l'intervention de la loi du
16 juillet 1976 ramenant de 48 heures à 44 heures la durée hebdomadaire du
travail dans le secteur du bâtiment et d'autre part de la sècheresse de l'été
1976 ; qu'elle évalue les incidences économiques de ces événements
respectivement à 537 622 F et 101 787 F ; que cette charge supplémentaire ne
représente que 3 % environ du montant définitif du marché et ne saurait dès lors
être regardée comme ayant entraîné un bouleversement de l'équilibre financier
du marché qui, seul, aurait pu ouvrir droit à indemnité au profit de la société »
(CE 30 nov. 1990, Sté Coignet entreprise, Lebon T. 875).

269. En revanche, dans les cas où le Conseil d'État reconnaît l'existence d'une
situation d'imprévision, il ne fait – hélas pour la doctrine et les praticiens – que
constater le bouleversement de l'économie générale du contrat sans indiquer le
niveau de celui-ci au regard du montant initial du marché (V. par ex. : CE 5 févr.
1947, Cne de Villeparisis, Lebon 643. – CE 29 mai 1991, EPA de Saint-Quentin-
o
en-Yvelines, préc. supra, n  261).

270. Par ailleurs et enfin, lorsqu'il s'agit d'évaluer si un avenant à un contrat de


la commande publique est de nature à « bouleverser » l'équilibre économique
initial du contrat, la jurisprudence administrative estime, en droit des délégations
de service public, que le « seuil » de bouleversement est atteint lorsque cet
équilibre (dont l'assiette est au demeurant difficile à déterminer) est modifié à
hauteur de 20 % et plus.
D - Le fait générateur de la responsabilité doit être temporaire et ne peut
rendre l'exécution du contrat impossible.

271. En vertu d'une jurisprudence constante, récemment confirmée, l'événement


imprévu ne doit pas faire obstacle à l'exécution du contrat. Dans ce cas, il serait
alors irrésistible et constituerait un cas de force majeure exonérant le
cocontractant de l'obligation d'exécuter ses obligations (CE 9 janv. 1909, Cie des
messageries maritimes, Lebon 111).

272. Comme le juge de façon plus moderne le Conseil d'État, « au cas où des
circonstances imprévisibles ont pour effet de bouleverser le contrat et où les
conditions économiques nouvelles ont créé une situation définitive qui ne permet
plus au concessionnaire d'équilibrer ses dépenses avec les ressources dont il
dispose, la situation nouvelle ainsi créée constitue bien un cas de force majeure
et autorise à ce titre le concessionnaire, comme d'ailleurs le concédant, à défaut
d'un accord amiable sur une orientation nouvelle à donner à l'exploitation, à
demander au juge la résiliation de la concession avec indemnité s'il y a lieu »
o
(CE 14 juin 2000, Cne de Staffelfelden, req. n  184722  , Lebon ; D. 2000.
196  , et les obs. ; RDI 2000. 565, obs. F. Llorens  ).

E - La responsabilité contractuelle est enfin engagée à condition que


le cocontractant poursuive l'exécution du contrat malgré les difficultés
financières qu'il rencontre.

273. Selon une présentation traditionnelle des choses, dans la mesure où


l'imprévision n'est pas un cas de force majeure, le cocontractant ne peut s'en
prévaloir pour interrompre ses prestations. S'il le fait, il commet une faute
justifiant des sanctions et il se prive du bénéfice de la théorie de l'imprévision
(CE 5 nov. 1982, Sté Propetrol, Lebon 381).

274. Il reste que cette présentation des choses est aujourd'hui, d'un point de vue
juridique et même de bon sens, largement inexacte. D'une part, comme on l'a
relevé, le Conseil d'État considère depuis peu que la résiliation du contrat ne fait
pas obstacle au versement d'une indemnité d'imprévision pour la période
antérieure à cette mesure (CE 10 févr. 2010, Sté Prest’Action, préc. supra,
o
n  252).

275. D'autre part, comme le Conseil d'État considère l'imprévision comme un cas


de responsabilité contractuelle sans faute (CE 28 juill. 2011, MM. Burnet, préc.
o
supra, n  251), cela signifie que, lorsqu'une telle situation est constituée, celle-ci
crée instantanément, dans le patrimoine de la collectivité publique contractante,
une dette contractuelle envers le cocontractant qu'il lui appartient de verser le
plus rapidement possible pour, justement, permettre au cocontractant de
poursuivre l'exécution du contrat.

276. Bref, tout cela pour dire que cette dernière condition ne doit pas être
comprise comme obligeant le cocontractant à se ruiner pour assurer coûte que
coûte l'exécution du contrat en cas de situation économique imprévisible et
comme autorisant l'administration contractante à ne pas faire de meilleurs efforts
pour rapidement aider son cocontractant à surmonter cette situation.

Chapitre 2 - Préjudice

277. En droit public, qu'il s'agisse de la responsabilité pour faute ou de la


responsabilité sans faute de l'administration contractante, l'existence d'un
préjudice est une condition aussi fondamentale et aussi nécessaire à la mise en
jeu de sa responsabilité contractuelle que le fait générateur et le lien de causalité.
Il ne saurait donc y avoir de responsabilité contractuelle de l'une des parties si
l'autre n'établit pas l'existence d'un préjudice en relation avec le fait générateur ;
mais, pour que la responsabilité contractuelle puisse être mise en jeu, il ne suffit
pas de prouver qu'un préjudice a effectivement été subi ; il faut encore que ce
préjudice soit réparable. À cet égard, l'existence d'un tel préjudice est
conditionnée par la réunion de caractères variables selon le fait générateur ; elle
est influencée, en outre, par la nature du préjudice.

re
Section 1 - Preuve de l'existence d'un préjudice

278. Une partie au contrat ne peut prétendre que l'autre partie est débitrice à
son égard d'une obligation de réparation, si elle ne fait pas la preuve qu'elle a
effectivement subi un dommage. Cette règle est valable quelle que soit la partie
au contrat et quel que soit le fait dommageable qui peut en être la cause ; elle
implique, en outre, lorsque le préjudice subi recouvre une série de préjudices
distincts, que la preuve de chacun de ces préjudices soit faite séparément.

279. La preuve de l'existence d'un préjudice doit être rapportée quelle que soit la
partie cocontractante. Il ne peut être mis à la charge du cocontractant de
l'administration une obligation de réparation que si cette dernière fait la preuve
qu'elle a personnellement subi un préjudice du fait de la faute contractuelle de
son cocontractant. Cette exigence est très stricte et motive le rejet de la
demande de l'administration (V. par ex., parmi une abondante jurisprudence :
CE 26 avr. 1950, Sté Électrique de Madagascar, Lebon 235. – CE 8 avr. 1959,
SITAU de la Ville de Nice, Lebon 216. – CE 19 avr. 1961, Synd. intercommunal
d'Électrification de la région d'Olargues, Lebon 248. – CE 12 déc. 1973, Cts Stym-
Popper, Lebon T. 1039. – CE 19 mars 1982, Sté nationale de construction, Lebon
T. 677). On peut rappeler, à cet égard, que le concédant du service public ne
peut prétendre engager la responsabilité contractuelle du concessionnaire si, en
réalité, le préjudice a été causé aux usagers de la concession (CE 30 avr. 1948,
Ville de Nantes c/ Borelli, Lebon 188 : « La ville ne justifie pas d'un préjudice
distinct de celui qui a été individuellement subi par les usagers, lequel ne pouvait
donner lieu à réparation au profit de la collectivité »).

280. S'agissant de la mise en jeu de la responsabilité contractuelle de


l'administration par son cocontractant privé, cette exigence est tout aussi
valable : quel que soit le fait générateur, ce dernier doit prouver la réalité du
préjudice qu'il estime avoir subi, pour pouvoir engager la responsabilité de la
collectivité publique. En effet, même si cette dernière a commis une faute
contractuelle, sa responsabilité contractuelle ne sera pas automatiquement
engagée : il faut que le manquement ait été dommageable et que le
cocontractant en rapporte la preuve. La jurisprudence administrative rappelle
systématiquement ce principe fondamental quand la question se pose, c'est-à-
dire quand le préjudice n'est pas établi ; dans de nombreuses hypothèses, en
effet, la réalité du préjudice est tellement évidente que le juge du contrat se
contente de viser dans sa décision les « conséquences dommageables » (V. par
ex. CE 18 mars 1959, Sieur Peter et ONN, Lebon 189) du fait générateur,
préalablement déterminé, ou de condamner l'administration à la « réparation de
l'intégralité du préjudice » subi (CE 16 déc. 1964, Cne de Mions, RD publ. 1966.
202), sans autre précision. L'absence de toute référence à la preuve de la réalité
du préjudice ne signifie cependant en aucun cas que le demandeur ait pu
théoriquement se dispenser de la faire ; mais pratiquement, elle n'est pas
nécessaire puisque l'existence du préjudice tombe sous le sens.

281. En revanche, lorsque le juge rejette l'action en responsabilité, il précise,


expressément, que le cocontractant n'a pas fait la preuve de l'existence du
préjudice, ce qui démontre a contrario la nécessité de cette preuve et ce, quelle
que soit la nature du générateur.

282. C'est ainsi que le Conseil d'État relève « qu'en admettant que


l'administration ait commis une faute en ne procédant pas, en temps utile, à une
révision efficace des prix du marché, la société requérante ne justifie pas du
préjudice qu'elle allègue avoir subi de ce chef » (CE 7 déc. 1934, Sté Varoise,
Lebon 1164). De même, la société requérante n'a pas établi devant le tribunal
administratif et n'établit pas davantage devant le Conseil d'État « que les faits
incriminés aient entraîné pour elle un préjudice de nature à lui ouvrir droit à
indemnité » (CE 3 mai 1961, Sté Entreprise Thomas Kotland et OPHLM du
Département de la Seine, Lebon 290) ; ou enfin, la Haute Assemblée remarque
que le cocontractant « ne fournit aucune justification du manque à gagner et du
préjudice commercial qu'il prétend avoir supporté du fait de son éviction »
o
(CE 12 mai 1982, M. Moreau c/ OPHLM de la Creuse, préc. supra, n  181).
283. La rigueur de cette règle se manifeste, également, lorsque le cocontractant
prétend bénéficier d'un cumul d'indemnités ; il doit alors établir l'existence de
préjudices distincts. C'est ainsi qu'il a été décidé que le requérant qui « ne fait
état d'aucun préjudice imputable à un fait de la ville et distinct de ceux dont
l'indemnisation a été ordonnée », ne peut prétendre à « des dommages et
intérêts distincts des intérêts moratoires des sommes qui lui sont dues »
(CE 8 avr. 1959, SITAU, Ville de Nice, Lebon 216. – V. égal. TA Nice, 28 mai
1958, Sieur Cazautets, Lebon 732).

Section 2 - Existence d'un préjudice réparable

er
Art. 1 - Caractères du préjudice réparable

284. Dans le droit administratif de la responsabilité contractuelle, le préjudice,


pour être réparable, doit présenter un caractère certain, auquel doit s'ajouter,
s'agissant de l'hypothèse de fait du prince, un caractère spécial.

er
§ 1 - Le préjudice doit être certain

285. Comme en droit privé et en droit administratif de la responsabilité


extracontractuelle, le préjudice contractuel doit être certain pour pouvoir être
indemnisable. Bien sûr, le caractère certain d'un préjudice ne signifie pas
systématiquement qu'il soit « actuel », c'est-à-dire présentement réalisé ; un
préjudice « futur » peut ouvrir droit à réparation, à condition que sa réalisation
soit certaine. Seul le préjudice purement « éventuel » ou « hypothétique », c'est-
à-dire dont on n'est pas sûr qu'il se réalisera ultérieurement, ne sera pas réparé.
Il reste encore à préciser ce que recouvre exactement, pour le juge du contrat,
cette notion de « certitude ».

286. Tout d'abord, il est bien évident qu'un préjudice n'est certain que dans la
mesure où le fait générateur a pu, matériellement, causer un préjudice ; c'est
pourquoi, si le titulaire d'un contrat comportant occupation du domaine public
(exploitation d'une piscine privée) invoque la responsabilité contractuelle d'une
commune, en raison d'une de ses délibérations créant une piscine municipale,
celui-ci « ne saurait prétendre avoir subi un préjudice du fait de l'intervention de
cette délibération […] qui n'a reçu aucun commencement d'exécution » (CE 6 avr.
1979, Sté « La Plage de la Forêt », Lebon T. 882 ; AJDA 1979. 29).

287. Mais, dans l'hypothèse où le fait de l'administration est véritablement


intervenu, la certitude du préjudice est très strictement exigée de la part du juge
administratif du contrat. À cet égard, les motifs de ses décisions sont – comme à
l'accoutumée – peu explicites et il est alors difficile d'apprécier la différence entre
l'hypothétique et le certain.

288. C'est ainsi, par exemple, que le fait, pour un entrepreneur, de « laisser


ouvert pendant plus d'une année un chantier où ses ouvriers ne travaillaient que
par intermittence » à la suite « du retard mis par l'administration à donner l'ordre
de commencer les travaux et des modifications incessantes apportées à leur
exécution » a constitué « un préjudice certain » (CE 6 juill. 1956, Min. du
Commerce et de l'industrie, RD publ. 1956. 1380).

289. En revanche, un architecte municipal, révoqué irrégulièrement, et


demandant à être indemnisé des bénéfices que lui « auraient » procurés des
travaux d'agrandissement d'un hôpital qui lui « auraient » été confiés sans sa
révocation, ne peut être indemnisé de ce préjudice éventuel (CE 20 févr. 1942,
Sieur Vrignaud, Lebon 59. – V. aussi, CE 2 juin 1982, Ville de Dormans,
Lebon 197).

290. Deux affaires, sensiblement identiques, illustrent l'imprécision des critères


de la certitude. Dans une première affaire, où un Office public d'HLM demandait à
être indemnisé du retard de l'entrepreneur dans l'exécution des travaux, le
Conseil d'État décide que « le préjudice (perte de loyers) résultant, pour l'office,
de la privation pendant cinq mois et demi des bénéfices escomptés de la location
des appartements à construire, présente un caractère purement éventuel »
(CE 5 nov. 1969, OPHLM, Seine-et-Oise c/ Entreprise P. Werner, Lebon 474). Or,
dans une deuxième affaire, où le requérant privé se plaignait du retard dans la
construction de son hôtel, le juge a relevé « qu'il résulte de l'instruction que le
préjudice commercial, subi par les Consorts Monnot, du fait de la perte de
bénéfices (imputable à ce retard) présente, dans les circonstances de l'espèce, le
caractère d'un préjudice certain » (CE 9 févr. 1977, Min. Équipement c/ Cts
Monnot, RD publ. 1977. 1344).

§ 2 - Le préjudice doit être spécial en cas de fait du prince

291. Compte tenu de la définition du fait du prince – mesure générale ou


particulière prise par l'administration contractante dans le cadre de ses
prérogatives extracontractuelles – le cocontractant se retrouve placé dans la
même situation juridique que l'ensemble des personnes auxquelles s'adresse
cette mesure générale ou particulière. Une loi, un règlement de police, une
opération de travaux publics notamment constituent une « charge publique »
applicable à l'ensemble des citoyens, quelle que soit leur situation juridique
particulière.
292. C'est pourquoi, dans la mesure également où la notion de fait du prince
n'est que la transposition contractuelle de la notion de rupture de l'égalité devant
les charges publiques, le dommage contractuel imputable à un fait du prince doit
réunir les conditions de spécialité et d'anormalité requises dans le domaine
extracontractuel. La rupture de l'égalité sera alors fonction de la spécialité et de
l'anormalité du préjudice subi par le cocontractant et causé par le fait du prince.

293. De fait, la plupart des décisions du Conseil d'État, concernant les mesures
générales prises par l'administration contractante dans le cadre de ses pouvoirs
extracontractuels, dénient au cocontractant tout droit à indemnité en soulignant
que ces mesures « lui ont fait supporter des charges supplémentaires dans les
mêmes conditions que tous les autres commerçants, industriels ou
entrepreneurs ».

294. C'est ainsi, par exemple, que dans l'arrêt « Compagnie des Tramways
Électriques de Limoges » (CE 23 janv. 1952, Lebon 52), le Conseil d'État précise
que des mesures de délestage électrique ont fait subir au cocontractant « les
mêmes effets dans les mêmes conditions que les autres industriels et usagers de
la région et qu'ainsi le préjudice qu'il a subi ne lui est pas spécial ». De même,
dans l'affaire « secrétaire d'État aux Forces Armées » (CE 26 mars 1954,
Lebon 52), l'obligation légale de verser des cotisations sociales à un fonds de
péréquation a fait supporter « une charge supplémentaire de ce chef qui n'était
pas spéciale à l'entreprise ». Ou enfin, si un retard de paiement peut bien être la
cause d'un préjudice commercial, « il ne résulte pas de l'instruction que la
dépréciation monétaire, enregistrée durant la période pendant laquelle la
commune s'est abstenue de payer son entrepreneur, ait causé à celui-ci un
préjudice spécial et distinct de celui subi par la généralité des détenteurs de
e
créances d'argent » (CE 30 nov. 1965, [2  esp.], Cne de Bure-Les-Templiers
c/ Sieur Blanchard, Lebon 578).

295. Les cocontractants de l'administration ne peuvent ainsi prétendre – du seul


fait de leur situation de cocontractant – se trouver dans une situation « spéciale »
au regard des mesures générales ou même particulières prises par
l'administration dans le cadre de ses compétences de police ou d'organisation des
services publics. La justification d'une telle jurisprudence est, du reste, facile à
comprendre : « l'octroi d'une indemnité à ceux qui se trouvent en rapport
contractuel avec l'administration, à l'exclusion des autres, équivaudrait à leur
reconnaître une situation privilégiée qui les affranchirait des charges communes
et créerait une différence de traitement entre eux et les autres industriels. Le
Conseil d'État n'a pas voulu admettre cette conséquence ».

296. Toutefois, lorsque le cocontractant est seul affecté par le fait du prince, le


préjudice subi est alors considéré comme spécial et donc indemnisable. Ainsi,
dans l'arrêt « Compagnie générale des Îles Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam »
(CE 22 oct. 1937, Lebon 839), le titulaire d'une concession de pêche avait vu ses
droits limités par un décret postérieur à la conclusion de l'accord créant un parc
national visant à protéger certaines espèces. Il y avait là une illustration topique
de la théorie du fait du prince dont le juge du contrat a tiré les conséquences :
« le décret […] a limité l'étendue des droits qui avaient été concédés à la
compagnie […] ; ladite compagnie est fondée à soutenir que cette limitation lui a
porté préjudice et a engagé la responsabilité contractuelle de l'État ».

297. On le voit, les solutions en matière de spécialité du préjudice contractuel


sont extrêmement sévères et relativisent ainsi la portée pratique de la
responsabilité contractuelle sans faute de l'administration pour fait du prince.

Art. 2 - Nature du préjudice réparable

er
§ 1 - Préjudice matériel

298. En ce qui concerne la responsabilité contractuelle de personnes privées,


l'administration contractante est, par exemple, souvent indemnisée des troubles
de jouissance qu'elle a pu subir à l'occasion des marchés de travaux publics
(CE 24 juin 1970, Hummel et Libergé, Lebon 435. – CE 6 nov. 1970, Morin,
Lebon 653. – CE 2 déc. 1970, Bernardi, Lebon 729. – CE 16 oct. 1974, Ville de
Guérter c/ Sté Bourillon, Lebon T. 1060. – CE 15 oct. 1980, Delfante et Roux,
Lebon T. 795).

299. Pour ce qui est du préjudice subi par le cocontractant, la Haute Assemblée


relève indifféremment toutes sortes de préjudices, qui sont des préjudices
matériels, mais sans utiliser cette qualification ; il peut s'agir d'un préjudice
commercial (CE 9 févr. 1977, Min. Équipement c/ Cts Monnot, RD publ. 1977.
1344 : la perte de bénéfices imputable au retard dans la construction d'un hôtel,
constitue un préjudice commercial. – V., aussi, CE 15 févr. 1984, Secr. d'État aux
PTT, Lebon 68  , D. 1984. 622, note Brousolle), d'un préjudice professionnel (TA
Marseille, 16 mars 1966, Sieur Sage, Lebon 727  ), d'une perte d'industrie
(CE 31 mars 1954, Entreprise Macquart et Cie, Lebon 198), ou bien encore d'un
préjudice d'exploitation (dans le cadre d'un contrat d'affermage de « cales de
radoub », le fait, pour l'administration, de ne pas remettre au cocontractant des
ouvrages conformes à leur destination lui cause « un préjudice d'exploitation »
dont elle lui doit réparation : CE 18 mars 1959, Sieur Peter et ONN, Lebon 189).
Il peut également s’agir du manque à gagner. Mais, « lorsque le juge est saisi
d'une demande d'indemnisation du manque à gagner résultant de la résiliation
unilatérale d'un marché public pour motif d'intérêt général, il lui appartient, pour
apprécier l'existence d'un préjudice et en évaluer le montant, de tenir compte du
bénéfice que le requérant a, le cas échéant, tiré de la réalisation, en qualité de
titulaire ou de sous-traitant d'un nouveau marché passé par le pouvoir
adjudicateur, de tout ou partie des prestations qui lui avaient été confiées par le
o
marché résilié » (CE 26 mars 2018, Sté Balineau, req n  401060  , Lebon ; AJDA
2018. 658  ).

ACTUALISATION
299. Marché à bons de commande. Indemnisation en cas de
résiliation irrégulière. Détermination du montant. - Si le titulaire d'un
marché résilié irrégulièrement peut prétendre à être indemnisé de la perte du
bénéfice netdont il a été privé, il lui appartient d'établir la réalité de ce
préjudice. Dans le cas d'un marché à bons de commande dont les documents
contractuels prévoient un minimum en valeur ou en quantité, le manque à
gagner ne revêt un caractère certain qu'en ce qu'il porte sur ce minimum
o
garanti (CE 10 oct. 2018, Sté du docteur Jacques Franc, req. n  410501  ,
AJDA 2018. 1989, obs. Maupin  ).

§ 2 - Préjudice moral

300. La plupart des préjudices moraux qui sont, en pratique, effectivement


réparés dans le contentieux de la responsabilité contractuelle concernent les
atteintes à la partie sociale du patrimoine moral.

A - Atteinte à la réputation professionnelle et/ou à l'honorabilité


du cocontractant

301. Ce préjudice moral indemnisable ne présente pas en apparence de difficulté


quant à sa détermination. Par exemple, dans l'affaire « Exposition Internationale
de Paris » (CE 26 juill. 1947, Lebon 350), le Conseil d'État a accordé une
indemnité en raison du préjudice subi par les requérants « du fait de l'élaboration
de leurs projets, de la dépossession dont ils ont été l'objet et des conséquences
dommageables que cette dépossession a entraînées en ce qui concerne leur
réputation professionnelle ». De même, dans l'affaire « Hôpital-Hospice de
Chauny » (CE 21 déc. 1960, Lebon 724), le requérant a été indemnisé pour
« l'atteinte à la réputation » subie du fait de la rupture abusive de son contrat
(pour des requêtes rejetées, qui tendaient à l'allocation d'une indemnité pour
« atteinte à la notoriété et à la réputation de la société requérante »,
V. CE 27 févr. 1981, SA des Établissements J. Campuzan, RD publ. 1981. 1737 ;
ou pour « atteinte à la réputation » : 20 oct. 1982, M. Duffourg, D. 1983. 112,
note Julien-Laferrière). Toutefois, dans une décision « Consorts Cazautets »
(CE 8 déc. 1967, RD publ. 1968. 942), la Haute Assemblée a refusé aux
requérants une indemnité en réparation du préjudice moral qu'ils prétendaient
avoir subi du fait d'une mesure de résiliation dans l'intérêt général (contrat
d'exploitation d'un cirque-théâtre municipal) en soulignant « qu'il n'est pas établi
que la décision de la ville de Limoges d'exploiter le nouveau théâtre en régie
aurait porté atteinte à la réputation professionnelle ou à l'honorabilité des
consorts Cazautets ».

302. En revanche, est de nature à porter atteinte à la réputation professionnelle


des maîtres d'œuvre la résiliation illégale du marché passé pour la construction
d'un lycée technique, eu égard au type de leur mission, qui s'étendait de la
rédaction d'un avant-projet détaillé à la réception des ouvrages exécutés, au fait
qu'un nouveau maître d'œuvre ait été chargé de présenter un autre projet de
réalisation du lycée et à celui que la presse locale ait relaté les circonstances de la
résiliation de ce marché, lesquelles ont été également évoquées au cours des
débats parlementaires (CAA Paris, 25 mars 1993, Min. Éducation nationale
o
c/ Soler, req. n  90PA00839  , Lebon T. 875  ). De même, un montant de
2 500 € a été attribué pour préjudice moral à un architecte dont le projet est
présenté de façon tronquée au conseil municipal (TA Nice, 24 nov. 2006, Cabinet
o
Maxime Repaux, architecte et associés c/ Cne de Vidauban, req. n  0304181).

B - Droit moral de l'architecte sur son œuvre

303. Il s'agit là d'un préjudice moral subi par une catégorie particulière de
cocontractants de l'administration ; mais, ici aussi, l'atteinte à ce droit doit
dépasser un certain seuil pour que le préjudice, qui en résulte, soit considéré
comme réparable.

304. En matière contractuelle, deux arrêts servaient de base à la réparation de


ce préjudice moral et particulier. Dans un arrêt « Hôpital-Hospice de Chauny »
(CE 21 déc. 1960, Lebon 724), le juge du contrat relève que le requérant
n'apportait pas la preuve que des « modifications, apportées contre son gré, avec
l'autorisation de la commission administrative, aux murs extérieurs des
soubassements du parvis » d'une chapelle de l'hôpital n'avaient pas porté atteinte
« au droit moral dont l'architecte dispose sur son œuvre » d'une façon telle
qu'elles puissent lui ouvrir droit à réparation. On constate donc, dès à présent,
dans cette affaire que le requérant doit prouver que les modifications apportées
par l'administration contractante à son œuvre doivent dépasser un certain seuil
pour pouvoir ouvrir droit à réparation.

305. Mais, c'est l'arrêt « Marcuccini » (CE 5 janv. 1977, Lebon 3  ) qui constitue


l'arrêt de principe en la matière. Dans cette affaire, en effet, le Conseil d'État
énonce, tout d'abord, qu'en vertu de l'article 6 de la loi du 11 mars 1957 sur la
propriété littéraire et artistique, l'architecte jouit, en droit administratif comme en
droit privé, « du droit qu'a l'auteur d'une œuvre architecturale de voir respecter
son œuvre ». Dès lors, « des adjonctions » faites à l'œuvre de l'architecte et ce,
« malgré ses protestations » sont constitutives d'une atteinte à ce droit et lui
causent, ainsi, un préjudice moral dont il est fondé à demander réparation.

306. Mais l'intérêt de l'arrêt réside, surtout, dans la description de ces atteintes :


l'administration avait, en effet, « fait ajouter au portique de l'ensemble
d'habitations (primitives) […], des constructions à usage de bureaux qui en
dégradaient l'aspect extérieur ». Ainsi, en comparant les deux arrêts « Chauny »
et « Marcuccini », on peut dire que le juge du contrat admet la réparation de
l'atteinte au droit moral de l'architecte sur son œuvre lorsqu'elle dépasse un seuil
que l'on pourrait qualifier « d'esthétique ». Si l'administration contractante peut
modifier les soubassements extérieurs de l'œuvre, apparemment peu visibles, elle
ne peut en modifier « la perspective architecturale » sans le consentement de
l'architecte.

307. C'est ainsi que le Conseil d'État juge que « si en raison de la vocation d'un
orgue installé dans un édifice destiné à accueillir des manifestations d'ordre
culturel ou artistique, le professionnel qui, en se conformant aux indications nées
d'un marché public, a opéré la restructuration complète d'un tel instrument ne
peut prétendre imposer au maître de l'ouvrage une intangibilité absolue de son
œuvre ou de l'édifice qui l'accueille, ce dernier ne peut toutefois porter atteinte au
droit de l'auteur de l'œuvre en apportant des modifications à l'ouvrage que dans
la seule mesure où elles sont rendues strictement indispensables par des
impératifs esthétiques, techniques ou de sécurité publique, légitimés par les
nécessités du service public et notamment la destination de l'instrument ou de
l'édifice ou son adaptation à des besoins nouveaux » (CE 14 juin 1999, Conseil de
o
fabrique de la Cathédrale de Strasbourg, BJCP 1999, n  7, p. 583, concl.
Combrexelle. – V. aussi CAA Nantes, 27 déc. 2002, Ville de Cholet, AJDA 2004.
2114   : les modifications apportées, en exécution d'une décision administrative,
à une œuvre architecturale peuvent constituer une atteinte au droit moral sur
leur œuvre, conféré à ses auteurs de cette œuvre par le code de la propriété
intellectuelle. Cette atteinte est de nature à ouvrir, à ces auteurs, droit à une
indemnité, lorsque les modifications excèdent celles qui sont rendues strictement
indispensables, notamment, par les nécessités du service public. – CE 11 sept.
o o
2006, Agopyan, req. n  265174  , BJCP 2006, n  49, p. 432, concl. Casas : un
architecte a un droit moral sur son œuvre. L'ouvrage n'est pas pour autant
intangible, mais le maître de l'ouvrage ne peut y apporter que des modifications
rendues strictement indispensables par des impératifs esthétiques, techniques ou
de sécurité publique légitimés par les nécessités du service public. En l'absence
de justification du caractère indispensable des modifications apportées au stade
de football de Nantes par le maître de l'ouvrage, l'architecte a droit à être
indemnisé du préjudice subi du fait de l'atteinte portée à son droit moral sur son
œuvre).
308. Sur le fond, ces solutions sont toujours pertinentes mais elles relèvent
désormais de la compétence de la juridiction judiciaire. En effet, depuis que
l'article L. 331-1 du code de la propriété intellectuelle (tel qu'il résulte de l'article
o
196 de la loi n  2011-525 du 17 mai 2011) a confié aux juridictions judiciaires
« les actions civiles et les demandes relatives à la propriété littéraire et
artistique », le Tribunal des conflits juge que « la recherche de la responsabilité
contractuelle des personnes morales de droit public en matière de propriété
littéraire et artistique relève de la compétence des juridictions de l'ordre
o
judiciaire » (T. confl. 7 juill. 2014, M. Minisini, req. n  3955  , Lebon ; AJDA
2014. 1463   ; AJDA 2014. 2364, note J.-M. Pontier   ; RDI 2015. 180, obs.
N. Foulquier   ; RTD com. 2014. 611, obs. F. Pollaud-Dulian  ), exceptée lorsque
la demande tend à l'exécution de travaux en réparation de ce préjudice moral, si
l'immeuble a le caractère d'un ouvrage public (T. confl. 5 sept. 2016, Assoc.
o
Philarmonie de Paris, req. n  4069  , Lebon ; AJDA 2016. 1662   ; AJCT 2017.
108, obs. P. Noual   ; RTD com. 2016. 747, obs. F. Pollaud-Dulian  ).

Chapitre 3 - Lien de causalité

309. Pour que naisse une obligation de réparation à la charge de l'administration,


il ne suffit pas que le requérant établisse l'existence d'un fait générateur de la
responsabilité contractuelle et d'un préjudice réparable. Il faut encore, comme
dans tous les systèmes de responsabilités, qu'il établisse un lien de cause à effet
entre le fait générateur et le dommage réparable.

310. Par ailleurs, et surtout, la notion de causalité doit être bien précisée, car elle
recouvre en droit administratif une double notion inhérente à la théorie de
l'imputabilité. À cet égard, certaines analyses privatistes permettent de mieux
comprendre les données du problème.

311. En effet, pour pouvoir prétendre à une créance de réparation sur


l'administration contractante, le cocontractant doit établir l'existence de deux
rapports de causalité entre les différents éléments que réunit une obligation de
réparation. D'une part, il doit prouver que le préjudice qu'il a subi est la
conséquence certaine et directe du fait générateur ; il doit exister entre ces deux
éléments un « lien de causalité bien établi et non douteux ». Mais, d'autre part, le
requérant doit également démontrer que le fait dommageable est imputable à
l'administration contractante et non à des personnes ou à des faits étrangers au
contrat ; on doit pouvoir mettre au compte de la collectivité publique contractante
le manquement ou l'intervention non fautive dommageable. Dès lors, on voit bien
apparaître ces deux liens : le lien de causalité entre le dommage réparable et le
fait dommageable, puis, le lien d'imputabilité entre le fait dommageable et la
personne responsable.
312. Se pose, alors, un nouveau problème fondamental qui est celui des causes
exonératoires. Selon une présentation traditionnelle, ces dernières sont réputées
rompre le lien de causalité au sens strict ; selon une présentation plus complexe,
elles affectent le lien de causalité entre l'activité du défendeur et l'inexécution de
l'obligation. Et, de fait, nous pensons que les causes exonératoires concernent
non pas le lien de causalité entre le dommage et le fait générateur, mais le lien
d'imputabilité entre ce fait et la personne responsable. Si le cocontractant a pu
faire la preuve de l'imputabilité du retard de paiement à l'administration
contractante, cette dernière va s'en défendre, en invoquant la faute de la victime,
le fait du tiers, la force majeure et même, parfois, en excipant d'une clause
préalable de non-responsabilité. Dans cette hypothèse, l'administration ne
conteste pas que le retard de paiement soit la « cause » du préjudice ; elle
prétend seulement que le retard est imputable au cocontractant, à un tiers, à un
cas de force majeure ou même, lorsque ce retard est bien imputable à
l'administration, qu'il est « couvert » par une clause d'irresponsabilité. C'est
pourquoi, nous pensons que les causes et les clauses exonératoires doivent être
étudiées dans le cadre du lien d'imputabilité.

313. Mais il est bien clair que « l'existence » de la responsabilité contractuelle


des personnes publiques en droit administratif n'est établie que dans la mesure
où le cocontractant aura prouvé, outre un préjudice réparable, que le fait
dommageable est bien la cause directe de ce préjudice et qu'il peut être imputé à
l'administration contractante. Faute de cette imputabilité, le cocontractant est
certes titulaire d'une créance de réparation, mais cette créance n'est pas à la
charge de l'administration contractante.

314. Toutefois, dans la mesure où la question de l'imputabilité déborde


largement le domaine des conditions d'existence de la responsabilité contractuelle
pour empiéter sur celui des conditions de mise en œuvre de cette responsabilité –
et notamment la détermination des personnes responsables – on se bornera ici à
étudier le lien de causalité au sens strict en soulignant, d'une part, son absolue
nécessité quant à l'existence de la responsabilité contractuelle et, d'autre part,
l'incertitude des méthodes de détermination du juge.

re
Section 1 - Nécessité du lien de causalité

315. En matière contractuelle, l'existence d'un lien de cause à effet entre le fait
dommageable et le préjudice subi par le cocontractant est une condition
également nécessaire à la mise en jeu de la responsabilité contractuelle des
collectivités publiques. En l'absence d'un tel lien, le juge du contrat n'examinera
même pas l'existence ou l'inexistence d'un lien d'imputabilité. Le Conseil d'État a,
maintes fois, rappelé cette condition, en mêlant d'ailleurs étroitement causalité et
imputabilité.
316. C'est ainsi, par exemple, que la Haute Assemblée relève, dans l'arrêt
« Société des Établissements Hugues et Cie » (CE 16 juin 1954, Lebon 355), que
« tous ces faits (imputables à l'administration contractante) ont “causé” à
l'entrepreneur un préjudice ». De même, en matière de résiliation, la
responsabilité de l'administration ne saurait être engagée que s'il existe bien un
lien de cause à effet entre l'interruption du contrat et le préjudice subi. Dans un
arrêt « Société Les Avions de Leseurre » (CE 23 juill. 1952, RD publ. 1953. 194),
le Conseil d'État dénie, ainsi, tout droit à indemnité au titulaire d'un marché de
fournitures de matériel aérien pour un préjudice qui « est imputable soit au
bombardement, soit à des pillages en cours de transport […]. L'indemnité de
résiliation ne saurait être affectée par ces événements qui ne sont pas la
conséquence directe et nécessaire de l'arrêt du marché » (le requérant ne
pouvant alors prétendre à être indemnisé du préjudice subi au titre de la
législation sur les dommages de guerre. – V. aussi CAA Lyon, 23 sept. 1997, Min.
o
Équipement c/ CCI de Nice, req. n  94LY01164  , Lebon T. 932   : dès lors que
l'État n'était pas en situation de refuser nécessairement des demandes
d'autorisation qui auraient été présentées par les sociétés privées concurrentes,
cette carence ne peut cependant pas être regardée comme directement à l'origine
du préjudice d'exploitation allégué par le concessionnaire, qui peut seulement
prétendre à obtenir réparation du préjudice né des pertes de redevances
o
auxquelles il avait droit. – CE 13 juin 2012, Sté Fouchard, req. n  343788  , « la
société titulaire d'un marché public a droit à l'indemnisation intégrale des
préjudices subis du fait de retards dans l'exécution du marché imputables au
maître de l'ouvrage ou à ses autres cocontractants et distincts de l'allongement
de la durée du chantier lié à la réalisation de travaux supplémentaires, dès lors
que ce préjudice apparaît certain et présente avec ces retards un lien de causalité
directe »).

317. Enfin, comme pour le préjudice, c'est au requérant de faire la preuve du lien


de causalité entre le dommage et le fait générateur. Cette exigence est souvent
rappelée par le Conseil d'État, notamment à propos des rapports entre faute
contractuelle de l'administration et défaillance du cocontractant : « Le Sieur
Vuillemin (…) n'apporte pas la preuve de l'existence d'un lien de cause à effet
entre ces retards et le dépôt de bilan (…) ; le préjudice, causé au requérant, par
sa mise en état de règlement judiciaire ne lui ouvre pas droit à indemnité »
(CE 17 mars 1976, Vuillemin, Lebon 165  . – V. aussi CE 15 oct. 1965, Sté
Entreprise Pérignon, Lebon 522).

318. Mais le requérant doit, en outre, apporter la preuve que le préjudice subi a


été causé dans sa totalité par le fait dommageable ; si tel n'est pas le cas, il ne
pourrait prétendre qu'à une indemnisation partielle. Il n'y a pas, dans cette
hypothèse, intervention d'une cause étrangère, mais bien la nécessité d'établir la
réalité du lien de cause à effet entre le fait dommageable et l'ensemble du
préjudice évoqué. C'est ainsi, par exemple, que le tribunal administratif de Paris
souligne « que le Sieur Reynes n'établit pas que le dommage qu'il a subi soit,
pour sa totalité, imputable à ces retards » (TA Paris, 30 août 1957, Sieur Reynes,
Lebon 779).

Section 2 - Méthodes de détermination du lien de causalité par le juge


administratif du contrat

319. Dans le domaine contractuel, l'appréciation du lien de causalité par le juge


du contrat est dominée par un empirisme total ; chaque recherche du lien de
cause à effet entre un fait générateur et un préjudice est un cas d'espèce que le
juge administratif traite en fonction de considérations purement factuelles qui
vont lui permettre de fonder son intime conviction. Il est, dès lors, illusoire de
vouloir rattacher a priori ses méthodes de détermination aux approches
théoriques connues en droit civil que sont « l'équivalence des conditions », la
« cause la plus proche » et la « cause adéquate ». On peut, d'ailleurs, donner un
exemple de cet empirisme en faisant état d'une jurisprudence où le juge du
contrat manifeste beaucoup de réticences à admettre qu'un fait de
l'administration puisse être la conséquence des « difficultés financières » du
cocontractant, voire même de sa faillite.

320. C'est ainsi que dans une affaire où le requérant soutenait que des retards
de paiement (du dixième du prix du marché, seulement) lui avaient causé de
graves difficultés financières, le juge du contrat relève « qu'il ne résulte pas des
pièces du dossier que ces difficultés aient eu pour cause le retard apporté à lui
verser le solde du marché […] alors même que la société reconnaît qu'elle a été
titulaire [pendant cette période de retard] d'autres marchés » (CE 5 mai 1961,
Min. de la Construction c/ Sté Cuillerai, Lebon 303). En revanche, lorsqu'un
« ensemble de circonstances » laisse penser que ces difficultés financières sont
vraiment dues à des comportements fautifs de l'administration, le juge
administratif reconnaît l'existence d'un lien de causalité entre ces fautes et les
difficultés de trésorerie. C'est ainsi que dans l'affaire « ministre de la Défense
c/ Laboratoires R. Derveaux » (CE 20 févr. 1976, RD publ. 1976. 1538), le
Conseil d'État, après avoir relevé que l'administration avait manqué à nombre de
ses obligations contractuelles de nature financière, et sefondant sur les
conclusions unanimes des trois experts désignés par le tribunal administratif,
impute « la crise de trésorerie, subie par la Société Derveaux, au comportement
des services de l'aéronautique militaire à son égard ».

Titre 3 - Mise en œuvre de la responsabilité contractuelle

321. Le fait d'être potentiellement titulaire d'une créance de réparation


n'implique pas que l'on soit en mesure d'en bénéficier effectivement. À cet égard,
et selon une démarche au demeurant tout à fait classique pour tous les systèmes
de responsabilité, la mise en œuvre de l'obligation de réparation, par le
cocontractant lésé, s'effectue en deux temps, qui, sans être nécessairement
successifs, se doivent d'être bien distingués.

322. En premier lieu, le créancier devra déterminer « le débiteur de l'obligation


de réparation ».

323. En second lieu, le demandeur devra déterminer avec précision quels sont les
différents éléments permettant « la réparation du préjudice subi ».

er
Chapitre 1 - Débiteur de l'obligation de réparation
contractuelle

324. Pour le créancier du droit à indemnité, il importe, avant tout, de savoir


contre qui doit être dirigée son action ; répondre à une telle question, c'est
déterminer le débiteur de l'obligation de réparation. En droit administratif, il
convient, dès à présent, de préciser que cette détermination est, d'un point de
vue contentieux, fondamentale ; en effet, toute erreur d'aiguillage n'est pas
corrigible en appel, en raison de la théorie des demandes nouvelles qu'applique,
avec rigueur, le juge administratif de la responsabilité extracontractuelle comme
celui de la responsabilité contractuelle (pour un exemple de rejet de conclusions
présentées pour la première fois en appel en matière de responsabilité
me
contractuelle, V. CE 5 oct. 1979, Secr. d'État aux Universités c/ M  Regnier,
Lebon T. 754  ), et toute erreur sur la détermination de la personne responsable
constitue un moyen d'ordre public.

325. En matière contractuelle, la recherche du débiteur de l'obligation de


réparation présente une incontestable originalité – et simplicité – par rapport aux
systèmes de responsabilité extracontractuelle ; compte tenu de l'effet relatif des
contrats, l'obligé à la dette ne pourra être qu'une partie au contrat. Dès lors, le
cocontractant victime d'un dommage du fait de l'administration contractante ne
pourra mettre en jeu que la responsabilité contractuelle de cette dernière.
Corrélativement, le tiers au contrat ne pourra voir sa responsabilité contractuelle
engagée par le cocontractant de l'administration, et celle-ci ne pourra s'exonérer
de sa responsabilité contractuelle en invoquant un fait du tiers. Mais cela ne veut
pas dire que le tiers au contrat ne pourra pas « contribuer » à la dette de
l'administration. Diverses techniques juridiques permettent, en effet, en matière
contractuelle, de répartir la charge définitive du dommage.

326. Par ailleurs, en droit administratif des obligations, le problème se pose d'une


manière quelque peu différente selon que l'on recherche la responsabilité du
cocontractant privé ou de l'administration contractante. Dans la première des
hypothèses, en effet, l'administration demanderesse étant souvent, soit liée
contractuellement à plusieurs cocontractants, eux-mêmes liés par des clauses de
solidarité, soit liée, pour une même prestation, par un contrat unique avec
chacune des personnes chargées de cette prestation, la détermination du
cocontractant privé responsable fait apparaître des techniques juridiques bien
connues comme celle de la « solidarité parfaite » ou celle de « l'obligation in
solidum ». En revanche, si la recherche de la responsabilité de l'administration
contractante pose des problèmes parfois sensiblement identiques, elle pose le
plus souvent des problèmes très spécifiques qu'il conviendra de privilégier ici.

re
Section 1 - Obligation à la dette

er
Art. 1 - Le contractant, auteur du fait générateur, seul obligé à la dette

er
§ 1 - Principes : théorie de l'imputabilité

327. Pour le contractant victime d'un préjudice à l'occasion de l'exécution du


contrat, la détermination du débiteur de l'obligation de réparation est, en
apparence, très simple : il ne peut s'agir que de l'autre partie contractante.
Toutefois, cette identification n'est pas toujours si évidente : elle est, en effet,
conditionnée par la preuve de l'imputabilité du fait dommageable à l'autre
contractant.

328. De fait, pour pouvoir mettre en œuvre la responsabilité contractuelle de la


personne avec laquelle il a contracté, le requérant doit prouver que le fait
générateur du dommage qu'il a subi est bien la conséquence d'une de ses
activités. Si le fait générateur est imputable à une autre personne, cette dernière
ne pourra voir sa responsabilité contractuelle engagée. En réalité, on le voit,
l'imputabilité du fait dommageable est tout autant une condition d'existence de la
responsabilité contractuelle qu'une condition de sa mise en œuvre. Toutefois,
dans la mesure où la question de l'imputabilité déborde largement le domaine des
conditions d'existence de la responsabilité contractuelle, il nous a semblé
préférable de réunir l'ensemble des problèmes soulevés par la détermination des
personnes responsables, quitte à souligner, effectivement, que l'obligation de
réparation n'est à la charge de l'administration ou du cocontractant qu'autant que
le fait dommageable leur est imputable.

329. Dans la plupart des cas, cette imputabilité est « évidente » et n'est relevée
que de façon implicite par le juge du contrat qui l'assimile d'ailleurs alors au lien
de causalité. Mais il arrive parfois à la Haute Assemblée, généralement lorsque le
lien d'imputabilité n'est pas établi, de rappeler de la façon la plus nette cette
condition : l'administration n'est tenue d'indemniser son cocontractant des
conséquences dommageables d'un retard de paiement ou d'un dépassement des
délais d'exécution que si ces retards lui sont imputables (CE 5 juin 1957, Sté
Georges et Cie, Lebon 382. – CE 4 juill. 1957, Sté Niortaise de Constructions
Mécaniques, Lebon 443. – CE 11 juill. 1960, Sté Les Fils de Braneyre, Lebon
T. 1051. – CE 3 mai 1961, Sté Ets Thomas Kotland, Lebon 290) et l'on ne saurait
imputer à l'administration contractante l'échec des pourparlers ultérieurs, prévus
par le contrat, lorsque cette dernière est intervenue dans le sens des intérêts du
cocontractant (CE 18 mars 1959, Sieur Peter et ONN, Lebon 189). De même, le
retard dans l'exécution de travaux confiés à une société étant imputable, d'une
part, à des faits du maître de l'ouvrage, d'autre part, à une erreur des architectes
ainsi qu'aux retards apportés par d'autres entreprises cocontractantes dans
l'exécution des ouvrages dont elles avaient la charge, il n'y a pas de
responsabilité de la société à l'égard du maître de l'ouvrage à raison de ce retard
(CE 28 janv. 1976, Sté des ateliers Delestrade Ramser Comte réunis, Lebon 68 
).

330. Il reste que la théorie de l'imputabilité du fait dommageable à


l'administration contractante pose des problèmes tout à fait spécifiques, inconnus
dans la détermination des personnes privées contractuellement responsables, et
dont on rendra compte ici très sommairement.

331. a) Tout d'abord, l'imputabilité du fait dommageable à l'administration


contractante soulève des problèmes de personnalité juridique. Lorsque le
contractant passe un contrat avec un « service de l'administration », il est bien
évident que le contrat n'est pas juridiquement passé avec ce service, mais avec la
collectivité publique dotée de la personnalité juridique dont il dépend. Il ne
pourrait en être autrement que si ce service était lui-même doté de la
personnalité juridique.

332. Mais le fait de passer un contrat avec un organisme doté de la personnalité


juridique n'implique pas, nécessairement, pour le Conseil d'État, que sa
responsabilité contractuelle soit engagée. Il arrive en effet au juge du contrat de
procéder à des « requalifications juridiques ». Cette démarche concerne,
essentiellement, les associations soumises à la loi de 1901, qui agissent au nom
d'une collectivité publique. C'est ainsi, par exemple, que la Haute Assemblée,
dans un arrêt « Ville de Puteaux » (CE 12 juill. 1955, RD publ. 1956. 413), a
déclaré une commune contractuellement responsable, au lieu et place d'une
colonie de vacances, du défaut partiel de règlement d'un marché de fournitures ;
en effet, dans cette affaire, le cocontractant « était fondé à penser que les
dirigeants de la colonie agissaient bien au nom et pour le compte de la ville  »
puisque, d'une part, les premières commandes étaient passées sur un carnet à
souches à l'en-tête de la mairie et, d'autre part, le siège de la colonie était
installé dans des locaux appartenant à la ville et au surplus aménagés à cette
fin ; dès lors, la ville ne pouvait arguer, pour s'exonérer, ni de la responsabilité
morale de la colonie (association 1901), ni du fait que la colonie était sans qualité
pour engager la commune puisque ces agissements ont été connus par la Ville de
Puteaux et tolérés par elle ; « sa responsabilité se trouve engagée par la faute
qu'elle a ainsi commise […] dès lors qu'il est établi que le fournisseur n'a traité
qu'en raison de la confusion sur la personne de son débiteur ».

333. b) Ensuite, la théorie de l'imputabilité du fait dommageable à


l'administration contractante est dominée par le principe de l'unité de la
personnalité juridique de l'État. L'État ne peut, en effet, se dégager de sa
responsabilité contractuelle en soutenant que le contrat a été passé par tel
ministère et que le fait dommageable est imputable à tel autre ; le demandeur a
contracté avec l'État sans distinction dans la nature du service. C'est ce que le
tribunal administratif de Paris a jugé dans l'arrêt « SNCF » (3 janv. 1977,
Lebon 549  ) : « Considérant que si le ministre des PTT soutient que
l'intervention incriminée n'est pas le fait de l'autorité concédante, à savoir le
ministre des Transports, cosignataire de la convention, cette prétention se heurte
à la règle de l'unité juridique de l'État, personne morale obligée par les effets de
l'acte de concession et susceptible, en conséquence, de voir sa responsabilité
contractuelle engagée ».

334. c) Enfin, si le fait dommageable ne doit pas être imputable à une personne
publique autre que la collectivité contractante, il ne doit pas, bien entendu, non
plus être imputable à une autorité étrangère (non française) ; si, au cours de
l'exécution d'un contrat administratif entre une personne publique française et un
cocontractant français, ce dernier subit un dommage du fait d'une autorité
étrangère, la responsabilité contractuelle de l'administration française ne saurait
être engagée.

§ 2 - Portée du principe

A - Irresponsabilité contractuelle des mandataires de l'administration


contractante

335. Lorsqu'en apparence, un contrat est passé entre un mandataire de


l'administration et une autre personne, cette dernière devra-t-elle rechercher la
responsabilité contractuelle du mandataire ou la responsabilité de l'administration
mandante ? Conformément à la théorie classique du mandat, les mandataires de
l'administration sont contractuellement irresponsables du fait de l'exécution des
contrats qu'ils ont passés pour le compte de l'administration ; seule
l'administration mandante est considérée comme contractante et donc, comme
seule obligée à la dette.
336. C'est ainsi, par exemple, que lorsque dans un marché de travaux publics, le
maître de l'ouvrage et l'entrepreneur entendent donner mandat aux architectes
pour approuver, au nom du maître de l'ouvrage, les projets de fondations établis
par l'entrepreneur dans certaines hypothèses, le maître de l'ouvrage est tenu de
payer à l'entrepreneur le montant des travaux supplémentaires exécutés pour ces
fondations et qui avaient reçu l'approbation des architectes, mandataires de
l'administration (CE 25 juin 1975, Ville de Joigny, Lebon 389).

337. Mais il va évidemment de soi que si le mandataire a causé un dommage soit


au mandant, soit au cocontractant de ce dernier au cours de l'exécution de son
contrat de mandat, celui-ci pourra voir sa responsabilité contractuelle engagée
par le mandant soit directement, soit au moment de la contribution à la dette.

B - Irresponsabilité contractuelle des fonctionnaires chargés


de l'exécution du contrat

338. En droit privé, le débiteur est responsable des faits des personnes qui
participent à l'exécution de ses obligations contractuelles. Il existe ainsi un
principe général de responsabilité contractuelle du fait d'autrui : les représentés
sont contractuellement responsables du dommage causé par leurs représentants
dans l'exécution de l'obligation contractuelle du représenté.

339. En droit public, comme l'administration contractante est seule obligée à la


dette, l'agent public chargé d'exécuter matériellement le contrat ne peut jamais
voir sa responsabilité contractuelle engagée. Le requérant a contracté avec
l'administration et non avec l'agent public qui est un tiers au contrat.

340. C'est pourquoi, par exemple, la vengeance personnelle du fonctionnaire


chargé de l'exécution du contrat à l'égard du titulaire du contrat et ayant pour
conséquence un manquement aux obligations contractuelles, entraîne toujours la
responsabilité contractuelle de l'administration dont relève ce fonctionnaire
(CE 12 juill. 1955, Bizet, Lebon 415). La notion de faute personnelle est-elle
pourtant à exclure totalement du domaine de la responsabilité contractuelle ? Il
ne le semble pas, même si sa portée pratique pour le cocontractant est nulle mais
potentiellement très intéressante pour l'administration contractante.

C - Responsabilité contractuelle du cessionnaire du contrat

341. Il est dérogé aux règles qui précèdent lorsque le cocontractant de


l'administration a régulièrement cédé son contrat à une autre partie. La cession,
dès lors qu'elle a été acceptée par l'administration contractante, introduit des
relations contractuelles directes entre elle et le cessionnaire : celui-ci devient
désormais son cocontractant. C'est lui qui, lorsque la responsabilité contractuelle
du cocontractant de l'administration est engagée, devient titulaire de l'obligation
de réparer. Cette solution s'impose évidemment pour les faits postérieurs à la
cession. Vaut-elle pour ceux qui lui sont antérieurs ? On pourrait répondre par la
négative en considérant que le cessionnaire n'est pour rien dans leur réalisation,
et qu'il incombe au cédant de continuer à en assumer la responsabilité. Le Conseil
d'État a adopté une solution contraire dans un arrêt du 30 mai 1980, Frery
(Lebon 256  ), relatif à une concession pour l'exploitation de laquelle le
concessionnaire initial avait été autorisé à se substituer à une société : « en
raison de la subrogation de la société… dans tous les droits et obligations du
titulaire initial de la concession, la ville… qui avait expressément consenti à cette
subrogation n'était plus en droit de poursuivre contre M. Frery, après la date du
er
1  août 1973, l'exécution des clauses du contrat de concession pour la période
antérieure à cette date au cours de laquelle l'intéressé avait assuré,
personnellement, l'exploitation de la piscine concédée ». La solution est fondée
sur les termes et l'étendue de la cession.

342. Celle-ci peut comporter d'autres aménagements. Elle peut stipuler que, pour
les circonstances antérieures à la cession, le cédant reste titulaire de l'obligation
de réparer (aussi bien que du droit à réparation). Elle peut également prévoir que
le cédant reste, après la cession, garant de l'exécution du contrat par le
cessionnaire, et continue donc à assumer la responsabilité pouvant découler de la
mauvaise exécution du contrat (CE 24 juin 1927, Ville de Castelnaudary,
er
S. 1927. 3. 90. – 1  mars 1940, Sté ouvrière d'entreprise de maçonnerie et
parties similaires, Lebon 86). En revanche, le cessionnaire du titulaire d'un
marché public faisant l'objet d'une procédure judiciaire qui, en vertu du jugement
prononçant la cession, ne reprend que l'actif à l'exclusion de tout élément du
passif ne peut être tenu de réparer sur le terrain de la responsabilité contractuelle
les désordres imputables à son auteur (CAA Paris, 27 sept. 2001, Centre
o
hospitalier Paul Guiraud, Contrats Marchés publ. 2002, n  12).

343. Inversement, en cas d'inexécution, par une commune, de ses obligations


contractuelles en matière d'assainissement, la responsabilité du district, auquel la
commune a transféré ses attributions dans cette matière, est engagée à l'égard
du cocontractant de cette dernière, dès lors que la requête introductive d'instance
est postérieure au transfert d'attributions (CAA Nancy, 6 mars 1990, Sté
o
coopérative d'HLM La Maison familiale lorraine, req. n  89NC00027  , Lebon
T. 863  ).

344. En cas de cession judiciaire de l'entreprise titulaire d'un marché public, le


cessionnaire ne peut être tenu par les obligations du cédant antérieures à la
reprise lorsque le plan de cession ne porte que sur les actifs de la personne
cédée. Dans un tel cas, le cédant reste tenu des obligations contractuelles
afférentes à sa propre gestion (CE 29 sept. 2010, Cne de Molsheim, req.
o o
n  332567  , BJCP 2010, n  73, p. 396, concl. Boulouis).

345. En cas de dissolution d'un établissement public local, en l'occurrence un


syndicat mixte, il n'y a pas de succession de plein droit de la collectivité reprenant
la compétence d'un syndicat mixte dissous dans les obligations nées des contrats
parvenus à leur terme avant la dissolution du syndicat. C'est à l'arrêté préfectoral
de dissolution de prévoir ce qu'il advient. À défaut, le bénéficiaire de ces
obligations peut en demander l'exécution aux membres du syndicat dissous,
solidairement, ou à l'un de ses membres seulement (CE 4 mai 2011, Sté Oxygène
o o
Action, req. n  338411  , BJCP 2011, n  78, p. 336, concl. Dacosta).

Art. 2 - Exonération de l'obligation à la dette

346. En droit public, l'administration ou le cocontractant auquel il est reproché un


manquement à ses obligations contractuelles va essayer de justifier ce
manquement, cause du dommage, en prouvant soit qu'il est imputable à un fait
de force majeure, soit qu'il est totalement ou partiellement imputable à la faute
du demandeur ; en toute hypothèse, le fait du tiers ne sera jamais exonératoire
de l'obligation à la dette.

er
§ 1 - Fait de force majeure

347. La force majeure est exonératoire dans tous les systèmes de responsabilité,
civile et administrative, pour faute et sans faute. Spécialement, elle rompt le lien
de causalité entre la faute commise par l'un des cocontractants et le préjudice
subi par l'autre, de la même manière qu'elle excuse celui des cocontractants
qu'elle a empêché d'exécuter ses obligations contractuelles. Elle peut donc aussi
bien retirer à l'inexécution du contrat son caractère fautif, qu'au préjudice qui en
est résulté, son caractère direct. Selon le nouvel article 1231-1 du code civil, le
débiteur de l'obligation de réparation contractuelle n'est relevé de cette obligation
que s'il « justifie que l'exécution (du contrat) a été empêchée par la force
majeure ».

348. Il faut observer ici que, dans les contrats administratifs, la force majeure
peut avoir d'autres effets, notamment celui d'entraîner la résiliation du contrat,
spécialement en liaison avec la théorie de l'imprévision. Ainsi, au cas où des
circonstances imprévisibles ont eu pour effet de bouleverser le contrat et que les
conditions économiques nouvelles ont en outre créé une situation définitive qui ne
permet plus au concessionnaire d'équilibrer ses dépenses avec les ressources
dont il dispose, la situation nouvelle ainsi créée constitue un cas de force majeure
et autorise à ce titre le concessionnaire, comme d'ailleurs le concédant, à défaut
d'un accord amiable sur une orientation nouvelle à donner à l'exploitation, à
demander au juge la résiliation de la concession, avec indemnité s'il y a lieu, et
en tenant compte tant des stipulations du contrat que de toutes les circonstances
o
de l'affaire (CE 14 juin 2000, Cne de Staffelfelden, BJCP 2000, n  13, p. 434,
concl. Bergeal).

349. Mais, au titre de la responsabilité contractuelle, la force majeure ne doit


être envisagée que comme une cause d'exonération de responsabilité. La solution
est constante : dès lors que « le préjudice allégué […] est imputable à une
circonstance de force majeure », le cocontractant « n'est pas fondé à soutenir
que la responsabilité contractuelle de [l'autre partie] serait engagée envers lui »
(CE 29 janv. 1958, Bonabeau, Lebon 50).

350. Encore faut-il que les conditions de la force majeure soient cumulativement


remplies. Elles sont, classiquement, au nombre de trois : l'extériorité,
l'imprévisibilité, l'irrésistibilité. L'article 1218 (nouveau) du code civil dispose
« qu'il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant
au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la
conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures
appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur ».

A - Extériorité

351. Pour qu'il y ait force majeure, il faut tout d'abord que l'événement dont se
prévaut le cocontractant pour s'exonérer de sa responsabilité lui soit extérieur,
qu'il soit indépendant de sa volonté et de son activité. Cette condition est
particulièrement en cause à propos des relations entre le cocontractant et
d'autres personnes, notamment ses employés, ses fournisseurs et sous-traitants.
Ces différentes personnes, en raison des liens qui les unissent au cocontractant,
ne sont pas exactement des tiers pour celui-ci ; il peut agir sur elles ; son propre
comportement peut avoir déterminé le leur. Dès lors, la force majeure, faute
d'extériorité par rapport au cocontractant, peut ne pas se trouver accomplie.

352. La difficulté apparaît notamment à propos de la grève des employés du


cocontractant. Le Conseil d'État a jugé à ce sujet (CE 29 janv. 1909, Cie des
re
messageries maritimes c/ État [1  esp.], Lebon 120   ; DP 1910. 3. 89, concl.
Tardieu) « que les grèves partielles ou générales, qui peuvent se produire au
cours d'une entreprise, n'ont pas nécessairement, au point de vue de l'exécution
du contrat qui lie l'entrepreneur au maître de l'ouvrage, le caractère
d'événements de force majeure ; qu'il y a lieu, dans chaque espèce, par l'examen
des faits de la cause, de rechercher si la grève a eu pour origine une faute grave
de l'entrepreneur, si elle pouvait être évitée ou arrêtée par lui, et si elle a
constitué pour lui un obstacle insurmontable à l'accomplissement de sa mission ».
Lorsqu'une grève a eu à l'égard [du cocontractant de l'administration] le
caractère d'un événement indépendant de sa volonté, qu'elle était impuissante à
empêcher, elle constitue un cas de force majeure (même arrêt : dans le même
sens, CE 2 déc. 1936, Sté des ateliers et chantiers de la Loire, Lebon 152. –
CE10 déc. 1938, Sté Entreprise coopérative française et Ville de Paris,
Lebon 930). En revanche, lorsque le cocontractant a commis des agissements qui
ont provoqué la grève ou l'ont prolongée, la force majeure n'est pas retenue (CE,
sect., 5 mars 1943, Ville de Nîmes c/ Sté fermière des tramways de Nîmes,
Lebon 58. – 23 juin 1944, Ville de Toulon, Lebon 180 ; RD publ. 1945. 101, concl.
Odent, note Jèze).

353. Pour ce qui est des cocontractants du cocontractant (fournisseurs, sous-


traitants), la jurisprudence n'admet pas en général que leur comportement soit
suffisamment extérieur pour constituer un cas de force majeure (CE 23 janv.
1935, Mathieu, Lebon 92. – CE 28 avr. 1937, Moncieut, Lebon 449). Il est vrai
que, dans le refus d'admettre la force majeure, joue aussi l'absence
d'imprévisibilité ou d'irrésistibilité.

354. Lorsque le contrat est conclu avec l'État et que le fait de force majeure est
imputable à un changement de législation ou de réglementation
gouvernementale, la condition d'extériorité n'est pas remplie (CAA Paris, 25 mai
1993, Sté Renoveco, Lebon T. 874  ).

B - Imprévisibilité

355. L'imprévisibilité est la deuxième condition de la force majeure (PONTIER,


L'imprévisibilité, RD publ. 1986. 5). Il faut que l'événement invoqué par un
cocontractant pour se dégager de sa responsabilité n'ait pu entrer dans ses
prévisions, ou, plus précisément, « qu'il n'ait pu raisonnablement être envisagé
par le cocontractant au moment où il a traité » (CE 17 déc. 1926, Sté des
chantiers industriels et maritimes de l'Adour, Lebon 1124). Si l'événement était
prévisible, la force majeure ne peut être invoquée (V. en ce sens, not. CE 24 avr.
1959, Secr. d'État aux Forces armées c/ Ets Forestier, Lebon 267 : « Considérant
qu'à la date à laquelle a été conclu le marché…, les établissements… devaient
faire entrer dans leurs prévisions les difficultés d'approvisionnement en matières
premières qui résultaient, à l'époque, du conflit de Corée en cours depuis juin
1950, difficultés dont l'importance et le caractère exacts pouvaient alors être
aisément vérifiés ; par suite, le long délai constaté dans la fourniture aux
établissements… des tôles nécessaires à l'exécution des coffres-forts ne
constituait pas un cas de force majeure qui puisse être invoqué dans les rapports
entre l'entrepreneur et l'État ». – CE 13 juill. 1968, Sté des Éts Serfati, RD publ.
1969. 128, note M. Waline : « la circonstance que les événements d'Algérie
auraient perturbé l'activité de la société requérante ne saurait en tout état de
cause constituer un cas de force majeure de nature à exonérer ladite société du
respect de ses obligations contractuelles, alors que ces événements ne pouvaient
être regardés comme imprévisibles à la date de passation du contrat… »).

356. S'agissant des phénomènes naturels, le juge tient compte de différents


paramètres spatiaux et temporels comme la saison, la situation géographique et
climatique de la région en cause, la fréquence du phénomène à cet endroit, etc.
On comprend alors pourquoi, sur ces bases, deux phénomènes objectivement
identiques peuvent constituer tantôt un cas de force majeure, tantôt un
événement « normal » à l'endroit en question.

357. Ainsi, le vent est-il en France très rarement considéré comme un


événement de force majeure (CE 4 févr. 1910, Jaubert, Lebon 95. – CE 18 déc.
1959, Épx Blanc, Lebon 699. – CE 30 avr. 1964, Serfati, Lebon 272. – CE 28 oct.
1970, Auffret, Lebon 621. – TA Bordeaux, 28 déc. 1973, CU de Bordeaux,
Lebon 839), de même que les avalanches en montagne (CE 14 mars 1986, Cne
de Val d'Isère, JCP 1986. II. 20670, concl. Lasserre, note Moderne ; AJDA 1986.
300, chron. Azibert et Fornacciari ; D. 1986. IR 463, obs. Moderne et Bon) ou la
neige en hiver (CE 15 mai 1953, Cne de Nogent-sur-Marne,
Lebon 235. – CE 3 mai 1967, Port autonome du Havre, Lebon 181  ). En
revanche, il arrive que la foudre puisse constituer un cas de force majeure (TA
Clermont-Ferrand, 12 avr. 1984, Roussin, Lebon T. 768. – Contra : CE 28 févr.
1973, Cne de Lagos, Lebon 180  ), de même que des mouvements de terrain
(CE 19 mai 1965, Dame Lenfant, Lebon 290. – TA Saint-Denis de la Réunion,
13 avr. 1983, Cts Grimaud, Lebon T. 896. – Contra : CE 30 mars 1984, OPHLM
de Paris c/ Mikol, RD publ. 1985. 225. – V. aussi CE 11 déc. 1991, SARL SONEXA,
o
req. n  81588  , Lebon 430   ; D. 1992. Somm. 191, obs. Terneyre   : il résulte
de l'instruction et notamment des rapports d'expertise, que le 16 oct. 1979, la
mer s'est brusquement abaissée de plus de deux mètres dans le port de Nice, en
même temps que s'effondraient la digue et les soubassements de cette digue en
cours de réalisation dans le nouveau port de Nice. Un raz de marée s'est ensuite
produit, provoquant des vagues d'une amplitude de 7 mètres qui ont détruit un
important matériel. Ce phénomène est imputable, non à des circonstances
d'origine inconnue qui auraient affecté le terrain d'assiette des travaux entrepris
dans le port, mais à un important effondrement du sol sous-marin qui a eu lieu au
large de la côte. Dans ces conditions, le phénomène susdécrit est constitutif, non,
comme le soutient la chambre de commerce et d'industrie d'un cas fortuit, mais
d'un cas de force majeure).

358. S'agissant des pluies et des crues et inondations qui en sont la


conséquence, on peut dire schématiquement que, pour que de tels phénomènes
soient considérés comme des cas de force majeure par le juge, il faut qu'ils soient
« exceptionnels » quant à leur durée et leur intensité et qu'ils n'aient pas été
observés dans la région depuis au moins « cent ans » (CE 26 juin 1963, Calkus,
Lebon 401. – CE 19 févr. 1975, Min. Défense nationale c/ Campenon-Bernard,
Lebon 143. – CE 23 janv. 1981, Ville de Vierzon, Lebon 28. – CE 27 avr. 1984,
Cie générale des Eaux, Lebon T. 768. – CE 14 févr. 1986, Synd.
interdépartemental d'assainissement de l'agglomération parisienne, Dr. adm.
o
1986, n  181. – TA Lyon, 11 févr. 1987, Macif et Fonsomacif, CJEG 1987. 648,
note Hétier) ; en revanche, si de telles constatations ne peuvent être faites, alors
les pluies et les inondations ne sont pas exonératoires (CE 4 avr. 1962, Min. des
TP c/ Sté Chais d'Armagnac, Lebon 245 : crue constatée soixante-dix ans plus
tôt. – CE 22 févr. 1967, Ville de Royan, Lebon T. 951 : vingt-quatre ans plus
tôt. – CE 6 nov. 1968, Cne de Licq-Atherey, Lebon 546 : eu égard aux conditions
météo « propres à la région ». – CE 18 janv. 1984, Sté provençale d'équipement,
RD publ. 1985. 225 : un an plus tôt).

359. Cependant, avec l'arrêt Société GTM, le Conseil d'État vient tempérer ces
solutions très sévères : il y est dit en effet que l'inondation en question « est
exclusivement imputable à la conjonction exceptionnelle d'une pluviosité d'une
extrême intensité, d'une crue importante de la Garonne et d'une marée
particulièrement forte, conjonction qui doit être assimilée à un cas de force
majeure ». En d'autres termes, pris en eux-mêmes, chacun de ces phénomènes
n'était pas imprévisible mais, « conjugués », ils devaient être assimilés à un cas
de force majeur puisqu'au demeurant – même si le juge ne le dit pas – la
probabilité de survenance d'un tel concours de circonstances est d'ordre
centenaire (CE 27 mars 1987, D. 1987. Somm. 434, obs. Terneyre. – V. aussi
o
CE 15 nov. 2017, Sté Swisslife Assurances de biens et autres, req. n  403367  ,
Lebon ; AJDA 2017. 2278  , « conjonction exceptionnelle de phénomènes de
grande intensité », à propos de pluies dans le sud-est de la France en décembre
2003).

C - Irrésistibilité

360. Reste la condition d'irrésistibilité. Il faut que l'événement invoqué mette le


cocontractant dans « l'impossibilité absolue d'exécuter le contrat » (CE 7 juin
1939, Pichol, Lebon 379. – CE 24 avr. 1968, Cie de navigation Denis Frères et
autres, Lebon 257  . – CE 18 juin 1982, Sté Sud-Pacifique Navigation, Lebon
T. 667. – CE, sect., 5 nov. 1982, Sté Propetrol, Lebon 381 ; AJDA 1983. 259,
concl. Labetoulle ; D. 1983. 245, note Dubois. – CE 18 nov. 2009, M. Prieur, req.
o
n  305337  ), qu'il constitue pour le cocontractant « un obstacle insurmontable à
l'accomplissement de ses obligations » (CE 29 janv. 1909, Cie des messageries
o
maritimes, préc. supra, n  352). Le caractère absolu de l'irrésistibilité laisse place
à une certaine relativité si l'on considère qu'elle s'apprécie in concreto, compte
tenu des moyens dont dispose le cocontractant : ainsi, telle circonstance, qui
n'est pas irrésistible pour une grande entreprise, l'est pour une petite (CE 6 févr.
1924, Sté d'éclairage par le gaz de Longny c/ Ville de Longny, Lebon 133). Mais
aussi l'appréciation de l'irrésistibilité doit tenir compte de l'importance de la
mission confiée au cocontractant : comme l'a dit Tardieu dans ses conclusions sur
l'arrêt précité du 29 janvier 1909, Compagnie des messageries maritimes, « les
entrepreneurs, fournisseurs ou concessionnaires de services publics, étant
chargés d'une mission d'intérêt général, les tribunaux administratifs ont le droit, à
raison précisément de cet intérêt général qui est en jeu, de se montrer plus
sévères dans l'appréciation de la conduite de l'entrepreneur et d'exiger de lui plus
d'efforts pour assurer l'exécution de son contrat que les tribunaux judiciaires n'en
exigeraient d'un entrepreneur privé ».

361. L'absence d'irrésistibilité explique que la grève ne soit pas admise comme


force majeure lorsque l'entreprise a pu disposer de personnel lui permettant de
pallier la défaillance de ceux qui se sont mis en grève (CE 29 janv. 1909, Cie des
e
messageries maritimes [2  esp.]), ou à se fournir ailleurs (CE 3 févr. 1926, Pascal
Valluit et Cie, Lebon 118), ou n'a pas pris les mesures permettant de mettre un
terme à la grève (CE, sect., 5 mars 1943, Ville de Nîmes c/ Sté fermière des
o
tramways de Nîmes, préc. supra, n  352). Autant que l'absence d'extériorité, c'est
l'absence d'irrésistibilité qui empêche de voir dans la défaillance des fournisseurs
ou sous-traitants un cas de force majeure. De son côté, l'administration ne peut
jamais se prévaloir de l'absence de crédits disponibles pour s'exonérer de ses
obligations financières (CE 26 juill. 1947, Bongert c/ OPHLM de Seine-et-Oise,
Lebon 351. – CE 15 avr. 1959, Ville de Puteaux c/ Schwab,
Lebon 236. – CE 8 nov. 1963, Cne de Castelmoron-sur-Lot, Lebon 544).

362. En revanche, les destructions et autres difficultés de fait de guerre mettant


le cocontractant dans « l'impossibilité matérielle d'assurer le fonctionnement du
service » sont des cas de force majeure (CE 5 janv. 1924, Cie du gaz à la Ferté-
Milon, Lebon 18. – CE 11 avr. 1924, Persant, Lebon 387. – CE 30 juin 1932, Cne
de Ganges, Lebon 647. – CE 9 nov. 1955, Sté des transports routiers Aviat et Cie,
Lebon 530. – CE 2 mars 1956, Hoang Vang Ngo, Lebon T. 703 ; Rec. Penant
1956. 1. 301, concl. Long, note de Soto. – CE 29 janv. 1958, Bonabeau,
Lebon 50. – CE 24 avr. 1968, Cie de navigation Denis Frères et autres,
Lebon 257). On a vu aussi que la grève, lorsqu'elle est insurmontable, est
reconnue comme force majeure.

D - Fait de force majeure et clauses contractuelles

363. L'originalité fondamentale de la théorie de la force majeure en droit


administratif des contrats réside dans le fait que dans de très nombreux contrats,
certaines stipulations contractuelles réservent un droit à indemnité au bénéfice du
cocontractant en cas de force majeure. Par exemple, l'article 18.3 du CCAG,
applicable aux marchés publics de travaux, prévoit « qu'en cas de pertes, avaries
ou dommages, provoqués sur ses chantiers par un phénomène naturel qui n'était
pas normalement prévisible, ou en cas de force majeure, l'entrepreneur peut être
indemnisé pour le préjudice subi… ».
364. Tout d'abord, pour recevoir application, ces clauses doivent avoir été
expressément prévues par l'accord de volontés. C'est pourquoi, en cas de contrat
verbal, et en l'absence de toute référence aux articles des cahiers des charges, le
cocontractant ne saurait invoquer ces stipulations, et la force majeure est alors
exonératoire de toute obligation de réparation (CE 16 janv. 1959, Min. TP
c/ Bono, Lebon T. 1035).

365. Par ailleurs, ces clauses exigent le plus souvent des conditions de forme que
le cocontractant doit strictement respecter ; faute d'avoir réclamé dans les délais
prévus, le cocontractant ne peut se prévaloir de la force majeure (CE 17 nov.
1920, Rigaud, Lebon 967. – CE 22 juill. 1931, Min. de la Guerre,
Lebon 811. – CE 10 déc. 1938, Sté Entreprise Coop française,
Lebon 930. – CE 29 juill. 1943, Sté des Ateliers de Wagons de Brignond,
Lebon 220. – CE 3 nov. 1950, Min. de la Guerre, Lebon 530. – CE 12 juill. 1969,
Sté Schwenck Frères, Lebon 405  ). Il ne pourrait en être autrement qu'en cas
d'irrégularités excusables, car minimes (TA Dijon, 17 juill. 1967, Entreprise Frot
et Plisson, Lebon 602), et surtout lorsque l'administration a connu, dès qu'ils se
sont produits, les événements de force majeure et a prescrit diverses mesures
pour y faire face ; dans ces conditions, cela « n'autorise pas l'administration à
refuser de prendre à sa charge les conséquences onéreuses de mesures qu'elle a
été amenée à prescrire » en raison du fait que « l'entrepreneur n'aurait pas jugé
utile de faire constater l'existence du cas de force majeure dans les formes
définies au cahier des charges » (CE 29 avr. 1959, Min. des Forces Armées c/ Sté
Robinet et Fils, Lebon T. 1036).

366. En troisième lieu, il semble que, dans certaines affaires, le juge administratif
du contrat soit moins exigeant dans la réunion des éléments constitutifs de la
force majeure dans le seul but de faire bénéficier le cocontractant d'un droit à
indemnité. C'est ainsi, par exemple, que dans une affaire où des pluies
présentaient le caractère d'un événement de force majeure « en raison de leur
abondance et de leur durée exceptionnelle » (huit mois) et ouvraient ainsi droit à
indemnité au profit du requérant, le Conseil d'État a, compte tenu des
circonstances de l'affaire, manifestement privilégié la condition d'imprévisibilité et
minoré celle d'irrésistibilité (CE 19 févr. 1975, Min. d'État chargé de la Défense
nationale, Lebon 143  ) ; de plus, cette attitude « bienveillante » est confirmée
dans cette même affaire, lorsque la Haute Assemblée, pour faire jouer la clause
d'indemnité, est allée jusqu'à reconnaître « qu'une erreur de conception de
l'administration, rendant inévitables les désordres, était assimilable à la force
majeure ».

367. Toutefois, lorsque les clauses du contrat garantissent le cocontractant


contre les conséquences dommageables d'interruption de son exécution
imputable à un cas de force majeure, celles-ci ne s'appliquent plus lorsque ces
circonstances « rendent l'exécution du contrat définitivement impossible ». C'est
ainsi, par exemple, que lorsqu'une clause contractuelle prévoit que la subvention
allouée mensuellement par l'administration ne peut être réduite « pour les
voyages prévus au marché que la société serait dans l'impossibilité d'effectuer à
la suite d'un cas de force majeure », cette clause « ne vise que le cas où un ou
plusieurs services n'auraient pu, à titre exceptionnel, être exécutés, et non pas
celui de l'arrêt total et définitif du service mettant fin à l'exécution du contrat [en
raison de la guerre] » (CE 2 mars 1956, Hoang Van Ngoc, Lebon T. 703. –
CE 24 avr. 1968, Cie de Navigation Denis Frères, Lebon 257).

368. Il faut, dès lors, considérer que ces clauses ont pour objet essentiel
d'assurer la continuité du service public exécuté par le cocontractant en lui
attribuant une indemnité compensatrice lorsque cette continuité est affectée par
un cas de force majeure, mais qu'elles ne sauraient jouer en toutes
circonstances, notamment lorsque la force majeure rend toute exécution
définitivement impossible (pour un exemple d'application de cette clause,
o o
V. CE 11 déc. 1991, SARL Sonexa, req. n  81588  , préc. supra, n  357 : en
l'espèce, la société avait droit, en application du cahier des clauses
administratives générales, à la réparation des pertes de matériel directement
provoquées par la force majeure. Elle a eu droit en conséquence au paiement de
la valeur non amortie, appréciée à la date du sinistre, du matériel perdu. En
revanche, elle ne pouvait prétendre à l'indemnisation du manque à gagner, qui
est imputable à la résiliation du contrat, ni, faute de justifications permettant
d'apprécier le bien-fondé de sa demande, au paiement de sommes que l'une des
sociétés représentées a dû régler à l'union pour le recouvrement de la sécurité
sociale et des allocations familiales. Elle n'aurait pu non plus prétendre en ce qui
la concerne, ainsi d'ailleurs que les sous-traitants, à l'indemnisation des pertes,
qui ne sont pas directement imputables au sinistre, engendrées par les
immobilisations de matériel et de personnel provoquées par la désorganisation du
chantier. Il en est de même des frais d'études du marché).

§ 2 - Faute de la victime ou fait du cocontractant

369. Lorsqu'on parle ici du fait du cocontractant au titre de la responsabilité


contractuelle, il s'agit du fait du cocontractant victime d'un préjudice qu'il impute
à l'autre partie et dont celle-ci se prévaut comme cause d'exonération. Il ne s'agit
pas du fait du cocontractant envisagé lui-même comme cause de responsabilité et
encore moins du fait du cocontractant envisagé comme une cause d'inexécution
des obligations contractuelles.

370. Le fait d'un cocontractant n'est, au sens strict, une cause d'exonération de
la responsabilité de l'autre que lorsqu'il apparaît comme ayant lui-même
contribué à la réalisation du préjudice dont se plaint le cocontractant qui l'a
accompli. Même si un premier contractant a commis une faute vis-à-vis du
second, le rôle qu'a joué celui-ci dans la réalisation de son propre préjudice rompt
le lien de causalité nécessaire pour que la responsabilité du premier soit engagée.
371. Le fait du cocontractant est, le plus souvent, fautif, qu'il émane du
contractant de l'administration ou de l'administration contractante. Au premier, il
est reproché d'avoir, par ses propres manquements, contribué à la réalisation du
dommage. Ainsi, avant la conclusion du contrat, il n'a pas accompli les diligences
qui lui auraient permis d'éviter certains inconvénients (V. par ex. CE 11 juill.
1960, OPHLM de la Seine c/ Sté entreprise Labalette, RD publ. 1961.
403. – CE 19 mars 1969, Cne de La Colle-sur-Loup, RD publ. 1969.
1148. – CE 8 nov. 1972, SARL Tubes et Tuyaux de Toulouse-Auterive, RD publ.
1974. 1173. – CE 11 févr. 1983, Sté Entreprise Caroni, Lebon 60). Au cours de
l'exécution du contrat, négativement, il n'a pas pris les précautions nécessaires
pour empêcher certains dégâts ou, positivement, il a adopté des mesures qui en
ont provoqué d'autres (parmi de nombreux exemples, V. CE 24 juin 1953,
Boumier, RD publ. 1954. 197. – CE 31 mars 1954, Entreprise Macquart et Cie,
Lebon 198 ; AJDA 1955. 226, note J. A. – CE 15 avr. 1959, Ville de Puteaux
c/ Schwab, Lebon 236. – CE 25 oct. 1961, ASR de Blois, Lebon 582. – CE 20 déc.
1961, Jacquet, Lebon 722. – CE 16 févr. 1962, Secr. d'État aux PTT, RD publ.
1962. 1024. – CE 13 mars 1963, Sté Deromedi, Lebon 160. – CE 24 janv. 1975,
Clerc-Renaud, Lebon 55. – CE 4 juill. 1975, Sté générale technique, Lebon
T. 1132. – CE 20 févr. 1976, Min. Défense c/ Laboratoires R. Derveaux,
Lebon 110. – CE 11 févr. 1983, Sté Entreprise Caromi, Lebon 60. – CE 8 nov.
1985, Entreprise Ozilou, Lebon 317 : résiliation du contrat prononcée par
l'administration irrégulièrement en la forme, mais justifiée quant au fond par les
fautes du cocontractant).

372. L'administration, de son côté, a pu commettre des fautes telles que le choix


malheureux de l'emplacement où devait être construit un ouvrage (CE, sect.,
7 avr. 1967, Entreprise Bouhana, Cne de Barentin, Robine et Payenneville,
Lebon 149   ; AJDA 1967. 683, note Caston, JCP 1967. II. 15103, note Liet-
Veaux), l'erreur dans les renseignements fournis au cocontractant (CE 4 déc.
1930, Thouvenin c/ Cne de Saint-Étienne-de-Rouvray, Lebon 1028), les retards
dans la fourniture des documents nécessaires au cocontractant (CE 2 juill. 1982,
Sté métallique de Monbard, Lebon 770), ou dans la mise à sa disposition des
terrains sur lesquels le contrat doit être exécuté (CE 9 avr. 1927, Sté Viven et
Carde, Lebon 485. – CE 29 janv. 1936, Lesieux, Lebon 140. – CE 26 avr. 1939,
Sté des ateliers et chantiers de Bretagne, Lebon 268), un défaut de coordination
(CE 16 oct. 1968, OPHLM du Département de la Seine, AJDA 1969. 119, note
Caston), l'acceptation d'un procédé qui s'est révélé mauvais (CE 18 mars 1983,
o
Ville de Grand-Quevilly, Dr. adm. 1983, n  154), le retard à agréer le sous-
traitant de l'entrepreneur (CE 22 juin 1984, Sté des grands travaux de Marseille
et Sté civile immobilière Piano et Rogers, Lebon T. 670), sa carence à exercer son
pouvoir de contrôle et de sanction (CAA Paris, 31 déc. 2003, Sté Start
o
Informatique c/ Cne de Palaiseau, Contrats Marchés publ. 2004, n  68) ou la
mauvaise utilisation de la pelouse d'un stade (CE 19 avr. 2017, Montpellier
o
Méditerranée Métropole, req. n  397126  , AJCT 2017. 461, obs. O. Didriche  ).
373. Mais le fait non fautif de l'administration peut également exonérer son
cocontractant de sa responsabilité. C'est une des originalités de la responsabilité
contractuelle en droit administratif. Elle est logique puisque l'administration
cocontractante peut voir sa responsabilité engagée sans faute de sa part
os
(V. supra, n  214 s.) ; ses agissements non fautifs doivent pouvoir également
être de nature à dégager son cocontractant de la responsabilité qui résulterait de
ses propres fautes, envisagées en elles-mêmes. C'est ce que confirme la
jurisprudence. Par exemple, les conditions dans lesquelles l'administration a
exercé son pouvoir de direction et de contrôle dans l'exécution du contrat
excusent le retard pris par le cocontractant dans cette exécution (CE 18 juill.
1936, Sté parachutes d'aviation et d'aérostation système Jean Ors, Lebon 808. –
CE 21 oct. 1936, Sté des Ets métallurgiques de La Plaine Saint-Denis, Lebon
T. 1395).
o
374. Comme la force majeure (V. supra, n  347), le fait du cocontractant peut
aussi bien retirer à l'inexécution du contrat son caractère fautif, qu'au préjudice
qui en est résulté, son caractère direct. Dans le premier cas, c'est le titre
conditionnant la responsabilité de l'une des parties qui fait défaut ; dans le
second cas, c'est le lien de causalité entre la faute et le préjudice qui disparaît.
Quelle que soit l'analyse dont il peut ainsi faire l'objet, le fait du cocontractant
efface en totalité ou en partie la responsabilité de l'autre.

375. D'ailleurs, ce n'est que lorsqu'il fait disparaître entièrement cette


responsabilité qu'on peut considérer que le fait du cocontractant retire à
l'inexécution par l'autre partie de ses propres obligations un caractère fautif.
L'hypothèse peut se rencontrer, mais elle est assez rare en jurisprudence (V. par
ex. CE 12 juin 1981, Sté anonyme Étude et procédé d'assainissement Purator, RD
publ. 1982. 535 : « Considérant que la société reproche à la commune de Pont-
Aven de ne pas lui avoir communiqué, lors de la passation du marché, le rapport
du laboratoire régional de l'équipement de Saint-Brieuc qui indiquait notamment
que “la vase de l'estuaire de l'Aven a des propriétés mécaniques très médiocres
qui la rendent impropre à supporter tout ouvrage” ; qu'il n'est pas contesté que le
document “Emplacement et coupes de sondages” contenant les résultats des
sondages ayant permis au laboratoire d'établir son rapport a été remis en temps
utile à la société EPAP ; que, de l'avis même de l'expert “n'importe quel
technicien, même peu averti” pouvait tirer de ce document les mêmes
conclusions que le laboratoire de Saint-Brieuc ; que dès lors, la société
requérante n'est pas fondée à soutenir que la commune aurait commis une faute
en ne lui communiquant pas avant le marché le rapport de ce laboratoire »). Il
n'en reste pas moins qu'on trouve aussi des cas où, sans retirer au fait de l'autre
partie son caractère fautif, le fait du cocontractant empêche de le considérer
comme source du préjudice allégué (CE 17 juill. 1935, Gouvernement général de
l'Indochine et protectorat de l'Annam c/ Cie générale de Dalat, Lebon 813 : « En
ce qui concerne les retards dans la remise des plans et dessins : considérant que
si certains plans ou dessins ont été remis à l'entrepreneur à des dates
postérieures à celles auxquelles il eût dû en être en possession pour pouvoir
mener à bien les travaux dans les délais prévus, il résulte de l'instruction que la
compagnie… a conduit avec une extrême lenteur l'exécution de ses travaux, qui
n'ont jamais été arrêtés par l'absence de remise de plans en temps utile ; qu'ainsi
l'entrepreneur n'a subi aucun préjudice du fait des retards allégués »).

376. Le plus souvent, le fait du cocontractant n'est qu'une cause d'exonération


partielle de la responsabilité de celui qui a commis une faute contractuelle. Il ne
peut plus alors être considéré comme disqualifiant celle-ci : il n'apparaît que
comme une cause d'interruption du lien de causalité entre la faute contractuelle
d'une partie et le préjudice qui en est résulté pour l'autre.

377. Il n'est pas possible de trouver une clef rigoureuse et unique qui permette
de déterminer de manière générale dans quelle proportion le fait du cocontractant
atténue la responsabilité de celui dont la faute est invoquée. La répartition peut
se faire par moitié (V. par ex. CE 31 mars 1954, Entreprise Macquart et Cie,
Lebon 198. – CE 13 mars 1963, Sté Deromedi, Lebon 160. – CE 8 nov. 1963, Cne
de Castelmoron-sur-Lot, Lebon 544. – CE 20 févr. 1976, Min. Défense
c/ Laboratoires R. Derveaux, Lebon 110). Elle peut comporter aussi des
proportions très différentes : 1/3-2/3 (CE 20 déc. 1961, Jacquet, Lebon 722) ;
2/5-3/5 (CE 19 janv. 1972, OPHLM de Romainville, RD publ. 1973. 289) ; 1/10-
9/10 (CE 16 juin 1954, Sté des Ets Hughes et Cie et Secr. d'État aux Forces
o
armées, Lebon 355. – CE 6 mai 1977, Ville d'Amiens, Dr. adm. 1977, n  177).
Tout est question d'espèce : c'est au juge qu'il revient de faire « une exacte
appréciation » ou « une juste appréciation » de la part de responsabilité encourue
par les deux parties, selon les formules qu'il emploie couramment.

§ 3 - Cas fortuit

378. Le cas fortuit, c'est-à-dire le fait accidentel dont la cause est inconnue, ne
permet pas d'engager la responsabilité contractuelle du débiteur dès lors que la
cause de sa faute n'est pas administrée (V. CE 14 mai 1990, CGEE, req.
os
n  80614 et 80840, D. 1991. Somm. 105, obs. Terneyre  . – TA Nice, 8 janv.
o o
2008, CCI Nice-Côte d'Azur, req. n  0403324, BJCP 2008, n  57, p. 99, concl.
Dieu).

§ 4 - Caractère non exonératoire du fait du tiers

379. De manière générale, le fait du tiers n'est pas une cause d'exonération dans
la responsabilité contractuelle. Le Conseil d'État a eu l'occasion de rappeler ce
principe dans un arrêt « Commune de Gagnac-sur-Cère » (CE 27 mai 1988,
D. 1988. 465, note Terneyre : en l'état d'une convention conclue entre une
commune et le Fonds forestier national qui prévoit que lorsque des dommages
sont causés aux peuplements forestiers effectués par la commune grâce à un prêt
consenti par le Fonds, avant que la commune ait intégralement remboursé sa
dette, le Fonds est fondé à exiger le montant de la fraction restant due de sa
créance, la circonstance que la commune ne serait pas l'auteur des dommages ne
fait pas obstacle à ce que le Fonds lui réclame, en sa qualité de cocontractant, la
e
fraction de la créance qu'il détient sur elle) ou dans l’arrêt « M Muriel Amauger »
o
(CE 24 nov. 2010, req. n  328189  , Lebon ; AJDA 2010. 2289   ; BJCP 2011,
o
n  74, p. 18, concl. N. Boulouis, dans le cadre de l'exécution d'un marché public
industriel).

380. Le tiers au contrat conclu avec une personne publique peut ainsi lui-même
être lié à cette personne publique par un autre contrat.

381. Il importe peu que la personne publique contractante ait passé, pour la
réalisation de la même activité, plusieurs contrats avec des cocontractants
différents, qui ne sont pas eux-mêmes liés contractuellement :
fondamentalement, ils restent tiers par rapport aux contrats qu'a passés leur
administration contractante avec d'autres personnes. Le fait de ces autres
personnes n'est pas exonératoire ni de leur propre faute, ni de celle de
l'administration. Ainsi, en particulier, un constructeur ne peut se prévaloir des
fautes d'un autre constructeur dès lors que sa propre faute a contribué à la
réalisation du dommage (V. en ce sens, not. CE 27 févr. 1974, Cne de Gouaux,
Lebon 153   : « le constructeur dont la responsabilité est recherchée… n'est
fondé à se prévaloir vis-à-vis du maître de l'ouvrage de l'imputabilité à un autre
constructeur, cocontractant du maître de l'ouvrage, de tout ou partie des
désordres litigieux et à demander en conséquence que sa responsabilité soit
écartée ou limitée, que dans la mesure où ces désordres ou cette partie des
désordres ne lui sont pas également imputables ». – V. aussi CE 10 juill. 1974,
Descottes-Genon, Lebon 423. – CE 2 juill. 1975, Cie d'assurances la Protectrice,
Lebon 402). Notamment, l'entrepreneur ne saurait se dégager de sa propre
responsabilité en invoquant la faute de l'architecte (V. par ex. CE 8 mars 1961,
Sté les Charpentiers de Paris et Hillion, Lebon 169. – CE 25 mai 1966, Sté
anonyme de constructions industrielles publiques et privées, Lebon 364), ni
l'architecte se dégager de la sienne en invoquant les fautes de l'entrepreneur
(V. par ex. CE 10 nov. 1967, Sauvan et Mutuelle des architectes français,
Lebon 424). À l'inverse, l'administration ne peut se retrancher derrière les fautes
d'une entreprise pour chercher à s'exonérer des retards qui lui sont imputables
(CE 17 nov. 1967, Sté des ateliers de construction Nicou et Cie, Lebon 429   ;
AJDA 1968. 309, concl. Dutheillet de Lamothe ; RD publ. 1968. 401, note
Waline. – Dans le même sens, CE 30 nov. 1938, Roudier,
Lebon 900. – CE 29 juill. 1943, Villemain, Lebon 219. – CE 25 févr. 1949, Ville de
Melun, Lebon 94).
382. Les mêmes solutions sont reprises lorsque c'est le cocontractant de
l'administration lui-même qui passe un contrat avec une autre personne pour
l'exécution de son contrat. Le cocontractant du cocontractant de l'administration
est un tiers à la fois par rapport à celle-ci et au contrat qu'elle a conclu ; il n'est
pas un tiers par rapport au cocontractant de l'administration puisqu'il est lié à lui
par contrat. L'exemple classique de cette hypothèse est celui des sous-traitants
des entrepreneurs ou fournisseurs de l'administration auxquels ces entrepreneurs
ou fournisseurs confient l'exécution d'une partie de leur marché. Il peut
également s'agir de cocontractants qui ne sont même pas des sous-traitants : les
entrepreneurs et fournisseurs peuvent passer des sous-commandes ou
commandes secondaires auprès de fabricants de matériaux ou de marchandises
nécessaires à l'exécution de leur marché ; il s'agit de contrats d'achat dont les
exécutants n'ont pas la qualité de sous-traitants. Ils sont, si l'on peut dire, encore
plus tiers par rapport à l'administration qui a conclu le marché initial avec
l'entrepreneur ou le fournisseur, car ils ne sont pas chargés de l'exécution de ce
marché.

383. C'est bien pourquoi, la faute des cocontractants du cocontractant de


l'administration ne saurait exonérer celui-ci de sa propre responsabilité, quelle
que soit la situation de ses cocontractants. S'il s'agit de ses fournisseurs, auprès
desquels il a passé commande de marchandises nécessaires à l'exécution de son
contrat, il ne peut invoquer leurs propres manquements (CE 22 déc. 1920, Haase
c/ Min. Guerre, Lebon 1091. – CE 23 janv. 1935, Mathieu, Lebon 92. – CE 28 avr.
1937, Monciut, Lebon 449. – CE 21 juin 1944, Sté industrielle de la Haute-Saône,
Lebon 178. – CE 17 févr. 1954, Min. Travaux publics, RD publ. 1954.
o
835. – CE 21 févr. 2003, Entreprise Jean Lefebvre, req. n  220524  , Contrats
o
Marchés publ. 2003, n  100 : la responsabilité d'une entreprise est pleinement
engagée envers le maître de l'ouvrage à raison de ses manquements contractuels
imputables à l'utilisation de matériaux défectueux fournis par un tiers et dont le
choix ne lui était pas imposé). S'il s'agit de sous-traitants, les particularités
évoquées plus haut ne sont pas de nature à changer la solution : leurs fautes ne
sont pas de nature à exonérer l'entrepreneur ou le fournisseur titulaire du marché
de sa propre responsabilité (V. en ce sens, par ex., CE 28 juill. 1951, Sté la
Callendrite et OPHLM de Seine-et-Oise, Lebon 465. – CE 27 janv. 1954, Éts
Boudet, AJDA 1954. 151. – CE, sect., 24 mai 1974, Sté Paul Millet et Cie,
Lebon 310, concl. Vught ; JCP 1975. II. 17907, note Liet-Veaux ; CJEG 1975.
123, note Le Galcher-Baron. – CE 29 janv. 1969, Bienvenu, Lebon 45. –
CE 21 juill. 1970, Lachaud et Aubineau, Lebon 510).

384. Cependant, le fait du tiers peut dégager le cocontractant de sa


responsabilité non pas en tant qu'il rompt le lien de causalité entre sa faute et le
dommage, mais en tant qu'il fait apparaître que le cocontractant n'a pas lui-
même commis de faute, la faute ayant été réalisée par une autre personne. Ainsi
un constructeur lié par contrat à l'administration est dégagé de toute
responsabilité lorsque le préjudice qu'elle a subi résulte de la faute d'un autre
constructeur auquel elle a eu recours (V. par ex. CE 28 oct. 1970, Auffret et Min.
Éducation nationale c/ Sté Breton et autres, Lebon 621   : vice de conception
qu'on ne peut reprocher qu'à l'architecte et non à l'entrepreneur. – CE 22 déc.
1967, Office municipal d'HLM de Nice, Lebon T. 858 ; JCP 1968. II. 15616, note
Soinne : vice dans la conception des projets de fondation que l'on ne peut
reprocher qu'au cabinet chargé de l'étude des sols et non à
l'entrepreneur. – CE 28 janv. 1976, Sté des ateliers Delestrade et Ramser Comte
réunis et autres, Lebon 68 : retards ayant pour origine une erreur des architectes
sur la nature du sol et retards d'exécution imputables à des entrepreneurs autres
e
que celui dont la responsabilité était recherchée. – CE 24 nov. 2010, M  Muriel
o o
Amauger, req. n  328189  , BJCP 2011, n  74, p. 18, concl. Boulouis : la garantie
technique du prestataire dans un marché public industriel est engagée nonobstant
la faute du maître d'œuvre).

385. Dans de telles hypothèses, le fait des tiers n'est pas une cause
d'exonération de la responsabilité du cocontractant : plus radicalement, il révèle
que ce cocontractant n'a pas lui-même commis de faute et que le préjudice dont
se plaint l'autre partie n'est pas résulté du comportement reproché au
cocontractant (V. CE 29 juill. 1983, Bouget, Lebon 349   ; CJEG 1984. 11, concl.
Labetoulle).

Section 2 - Contribution à la dette

386. En cas de pluralité d'auteurs du dommage, le juge administratif peut


prononcer, en matière de responsabilité contractuelle, la condamnation solidaire
de ceux-ci qui résulte soit des règles traditionnelles de l'obligation in solidum, soit
des règles contractuelles organisant une solidarité entre les cocontractants.

387. Lorsque, à la suite d'une condamnation solidaire, un des coresponsables a


payé le tout, il peut se retourner contre les autres. Si la solidarité a été instaurée
en l'absence de contrat et si l'on se trouve en matière de travaux publics, le juge
administratif est compétent. En revanche, s'il existe un contrat entre co-obligés,
ce contrat est de droit privé puisqu'il est conclu entre personnes privées et, en
conséquence, les actions récursoires relèvent de la compétence judiciaire, le juge
judiciaire se trouvant ainsi compétent en matière de travaux publics
(V. TERNEYRE, Contentieux de l'exécution des marchés de travaux publics et
répartition des compétences juridictionnelles, Mélanges Chapus, 1992,
Montchrestien, p. 599. – de BÉCHILLON et TERNEYRE, V.  Contrats administratifs
[Contentieux des] [Cont. adm.] ).

er
Art. 1 - Situations ordinaires
388. De façon générale, le litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics
et opposant des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence
de la juridiction administrative, quel que soit le fondement juridique de l'action
engagée, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé
o
(T. confl. 2 juin 2008, Souscripteurs des Lloyds de Londres, n  3621  ,
o
Lebon 555  . – T. confl. 28 mars 2011, Cne de la Clusaz, n  3773  ), en
particulier les constructeurs avec leurs sous-traitants (T. confl. 16 nov. 2015,
o
Métropole européenne de Lille, req. n  4029, Lebon 755 ; AJDA 2015. 2237   ;
AJCT 2016. 223, obs. S. Hul  ).

389. Par ailleurs, revenant sur la jurisprudence « Cne de Voreppe » (CE 30 juin


o
2009, req. n  163435, Lebon ; RDI 1999. 642, obs. F. Llorens  ), le Conseil
d'État juge que « s'il appartient, en principe, au maître d'ouvrage qui entend
obtenir la réparation des conséquences dommageables d'un vice imputable à la
conception ou à l'exécution d'un ouvrage de diriger son action contre le ou les
constructeurs avec lesquels il a conclu un contrat de louage d'ouvrage ; qu'il lui
est toutefois loisible, dans le cas où la responsabilité du ou des cocontractants ne
pourrait pas être utilement recherchée, de mettre en cause, sur le terrain quasi
délictuel, la responsabilité des participants à une opération de construction avec
lesquels il n'a pas conclu de contrat de louage d'ouvrage, mais qui sont
intervenus sur le fondement d'un contrat conclu avec l'un des constructeurs ; il
peut, à ce titre, invoquer, notamment, la violation des règles de l'art ou la
méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires, il ne saurait,
toutefois, se prévaloir de fautes résultant de la seule inexécution, par les
personnes intéressées, de leurs propres obligations contractuelles » (CE 7 déc.
o
2015, Cne de Bihorel, req. n  380419  , Lebon 425 ; AJDA 2015. 2351   ; RDI
2016. 93, obs. H. de Gaudemar   ; AJCT 2016. 265, obs. S. Hul  ). Sont ici
visés, notamment, les sous-traitants des constructeurs, liés par contrat au maître
d'ouvrage.

390. Enfin, la circonstance que les décomptes définitifs ne sont pas intervenus


ou, au contraire, qu'ils ont été établis entre le maître de l'ouvrage et les différents
intervenants à une opération de travaux ne s'oppose pas à ce que la
responsabilité de chacun de ces intervenants soit recherchée par le maître
d'ouvrage dans un litige l'opposant à un des entrepreneurs. Une solution
identique s'impose alors même que l'ouvrage a été réceptionné (CE 15 nov. 2012,
o o
Cne de Dijon, req. n  349107  , Lebon ; AJDA 2012. 2192   ; BJCP, n  86, p. 36,
concl. B. Dacosta).

391. Concrètement, le maître d'ouvrage peut alors se retourner contre les sous-


traitants de ses constructeurs (CE 27 janv. 2017, Sté Baudin Châteauneuf
o
Dervaux, req. n  397311  , Lebon ; AJDA 2017. 205   ; AJDA 2017. 1500, note
o
P. Bourdon   ; BJCP 2017, n  112, p. 164, concl. G. Pellissier) ou contre leurs
o
fabricants (CE 4 avr. 2016, Sté Unibétion, req. n  394196  , Lebon T. 831 ; AJDA
2016. 696   ; RDI 2016. 481, obs. H. de Gaudemar  . – T. confl. 11 avr. 2016,
o
Centre hospitalier de Chambéry, req. n  4044  , Lebon ; AJDA 2016. 752  ),
voire même à l'encontre de son maître d'ouvrage délégué avec lequel il a signé
o
un contrat de mandat (CE 26 sept. 2016, Sté Dumez IDF, req. n  390515  ,
Lebon ; AJDA 2016. 1780   ; RDI 2017. 534, obs. A. Galland   ; BJCP 2017,
o
n  110, p. 25, concl. G. Pellissier).

ACTUALISATION
391. Action en paiement direct d'un sous-traitant contre le
mandataire du maître d'ouvrage. - Le Conseil d'État précise à quelles
conditions le juge saisi d'une action en paiement direct d'un sous-traitant
accepté peut mettre à la charge du mandataire du maître d'ouvrage le
paiement des sommes dues. Il peut le faire « si et dans la mesure où il
résulte de l'instruction devant lui que ce versement est au nombre des
missions qui incombent au mandataire en vertu du contrat qu'il a conclu avec
le maître d'ouvrage ». De plus, « il en va de même lorsque le sous-traitant
demande, en application des dispositions précitées de l'article R. 541-1 du
code de justice administrative, une provision » (CE 18 sept. 2019, Sté
o
communale de Saint-Martin dite Semsamar, req. n  425716, Lebon ; AJDA
2019. 1838, obs. Maupin  ).

Art. 2 - Situations en l'absence de clauses organisant la contribution


à la dette

er
§ 1 - Pluralité de contractants liée à une pluralité de contrats

392.  Quid lorsque, en dépit de la pluralité de contrats et de contractants,


l'exécution des contrats a interféré avec celle des autres ? Les fautes des
cocontractants se sont additionnées. Dans ce cas, chacun des cocontractants
reste un tiers par rapport à l'autre ; mais chacun est lié contractuellement à la
même personne publique pour la réalisation du même ouvrage ; et chacun a
contribué au même dommage que subit l'administration à cette occasion. Chacun
doit en répondre aussi. Est-il tenu de réparer la totalité du préjudice ou une partie
seulement ? Trois circonstances peuvent se présenter.

393. Dans la première, les cocontractants, alors même qu'ils sont liés à


l'administration par des contrats distincts et chargés de tâches distinctes, ont
commis chacun la même faute : la faute leur est commune, elle est
« indivisible », indissociable. Ainsi en est-il d'une erreur de conception commise
par deux architectes (CE 13 juill. 1968, OPHLM de Saint-Quentin, Lebon 462  ),
de « certaines dispositions concertées entre l'architecte et l'entrepreneur et qui
sont également contraires aux dispositions des devis et aux règles de l'art »
(CE 6 févr. 1891, Nédelec c/ Cne de Plougasnou, Lebon 91). Dans ce cas,
l'administration peut poursuivre soit chacun de ses cocontractants, soit tous ses
cocontractants en même temps. Chacun d'entre eux est responsable pour le
tout ; ils peuvent être condamnés ensemble, solidairement, au titre d'une
obligation in solidum (V. MODERNE, Recherches sur l'obligation in solidum dans la
jurisprudence administrative, EDCE 1973. 15). Si l'un des cocontractants a été
seul condamné à réparer le préjudice subi par l'administration, il peut se
retourner contre les autres cocontractants, dont la responsabilité a été ou aurait
pu être également recherchée, pour que la dette soit répartie entre eux :
éventuellement, ils peuvent, dans la mesure où leur faute est commune, être
condamnés solidairement envers lui aussi (CE 13 juin 1984, Daurel et autres,
Lebon 216  ).

394. Une deuxième circonstance se réalise lorsque chacun des contractants de


l'administration a commis sa propre faute, distincte de celles que les autres ont
commises, mais que toutes ces fautes, en se combinant, ont également contribué
à la réalisation du dommage. Ce sont des fautes qui, pour être multiples, sont
« communes » (CE 27 mai 1966, Serpuy, Lebon 369. – CE 16 oct. 1968, Palazzi
et Traversa, Lebon 492. – CE 26 nov. 1969, Artigala, Lebon 538. – CE 30 avr.
1964, Serfati, Lebon 272). Il s'agit de « fautes respectives et concomitantes,
ayant contribué à engendrer un seul et même dommage ».

395. Elles sont intervenues « au même titre et aussi gravement » (CE 9 nov.


1966, Leduc et Moreaux, Lebon 603  ) ; elles « ont concouru à la réalisation de
la totalité du dommage » (CE 17 janv. 1973, Sté anonyme Entreprise Saudemont
et Roggeman, Lebon 43  ).

396. Ainsi peuvent se combiner les fautes de l'architecte dans la conception de


l'ouvrage, l'étude du sol, l'établissement du projet, la direction et la surveillance
des travaux (V. par ex. CE 6 mai 1960, Vincent et Sté Entrepose, Lebon 299. –
CE 30 avr. 1964, Serfati, Lebon 272) ; celles des ingénieurs-conseils ou bureaux
d'études, à propos de certaines tâches analogues qui leur ont été confiées
(CE 4 juill. 1975, Saz, Lebon T. 1140) ; et enfin celles des entrepreneurs qui ont
mal exécuté les travaux.

397. Tous ces cocontractants, à raison de la communauté de leurs fautes dans la


réalisation du dommage, sont également tenus de le réparer. Chacun est tenu
pour le tout, et ne peut se prévaloir des fautes des autres pour échapper à sa
responsabilité (CE 29 juill. 1983, Bouget, Lebon 349  ). Tous peuvent être
condamnés conjointement et solidairement vis-à-vis du maître de l'ouvrage (en
ce sens, tous les arrêts qui viennent d'être cités et CE 8 nov. 1968, Cie
d'assurances générales contre l'incendie et les explosions, Lebon 558). Il s'agit,
comme dans l'hypothèse précédente, d'une responsabilité in solidum. Il revient
seulement ensuite aux cocontractants condamnés à indemniser l'administration,
d'exercer entre eux les appels en garantie ou les actions récursoires permettant
d'assurer la répartition de la dette (CE 15 déc. 1971, Commoy, Lebon 773).

398. Reste une troisième circonstance, où les contractants de l'administration ont


également commis des fautes distinctes mais, si ces fautes ont contribué à la
réalisation d'un même dommage, elles ne sont plus « communes », car elles
n'ont pas participé avec la même intensité à sa réalisation. Plus précisément,
l'une consiste à ne pas avoir empêché l'autre. Tel est le cas lorsque l'architecte a
manqué à son devoir de surveillance et, par cette faute, n'a pas empêché
l'entrepreneur de mal exécuter les travaux. À elle seule, la faute de l'entrepreneur
a causé le dommage. Mais si l'architecte n'avait pas commis la sienne,
l'entrepreneur n'aurait pas manqué à ses obligations. Le Conseil d'État n'établit
pas ici une responsabilité conjointe et solidaire de deux contractants, ni ne
permet de condamner indifféremment l'un ou l'autre pour le tout. Normalement,
c'est sur l'entrepreneur que pèse à titre principal l'obligation de réparer et il ne
peut se prévaloir de la faute de l'architecte.

399. L'architecte n'est responsable qu'« à titre subsidiaire, dans le cas où les


entrepreneurs se seraient révélés totalement ou partiellement incapables
d'assurer eux-mêmes la charge des réparations » (CE 8 mars 1961, Sté Les
Charpentiers de Paris et Hillion, Lebon 169. – CE 8 juin 1973, Maréchal et
Barberon Sté industrielle des résines organiques greffées, Lebon 413).
L'architecte n'est donc plus ici que le garant de l'entrepreneur ; il n'est tenu d'une
obligation de réparer que si l'entrepreneur ne peut exécuter la sienne. Ce n'est
que dans l'hypothèse où le défaut de surveillance de l'architecte constitue une
faute particulièrement grave qu'elle engage sa responsabilité solidairement avec
celle de l'entrepreneur, parce qu'il s'agit alors de fautes « communes ». Mais,
sous cette réserve, la faute de surveillance n'engage la responsabilité de son
auteur qu'à titre subsidiaire. En outre, cette responsabilité subsidiaire disparaît si
celui qui a été déclaré responsable à titre principal est finalement dégagé de sa
responsabilité (CE 9 nov. 1983, Sté provençale d'entreprises et de constructions,
Lebon T. 787).

§ 2 - Pluralité de contractants dans un même contrat

400. La seconde variante de contractants multiples tient à ce que, dans un seul


et même contrat, on trouve plusieurs parties : une personne publique est liée à
plusieurs personnes privées ; ou une personne privée est liée à plusieurs
personnes publiques ; ou encore plusieurs personnes publiques sont liées entre
elles. Une illustration fréquente se trouve dans les marchés passés par une
personne publique avec des entrepreneurs ou fournisseurs groupés. Ils
aménagent souvent la représentation de ces derniers par la désignation d'un
mandataire commun (V. à ce sujet les CCAG applicables respectivement aux
marchés de travaux, art. 2.3, aux marchés de prestations intellectuelles, art. 3.1,
aux marchés industriels, art. 3.1).

401. La pluralité de contractants n'entraîne pas nécessairement la pluralité de


titulaires de l'obligation de réparer le préjudice subi par l'une des parties. Le
contrat peut avoir exactement identifié les tâches de chacun : c'est en fonction du
rôle de chacun que doit être identifié celui qui, dans l'exercice de son rôle, a
causé un dommage à autrui. Il en est ainsi notamment dans les marchés dont les
titulaires, pour être groupés, sont seulement conjoints : chacun d'eux n'est
engagé que pour la partie du marché dont l'exécution lui a été confiée ; c'est de
l'inexécution de cette partie que chacun doit répondre et non d'une autre. Si la
faute d'un entrepreneur ou d'un fournisseur est la seule cause du préjudice de
l'administration cocontractante, les autres n'ont pas à le réparer, ni à garantir
l'administration contre l'éventuelle défaillance du responsable.

402. Dans ce cas, les entreprises ayant formé un groupement solidaire pour


l'exécution du marché dont elles sont titulaires sont réputées se représenter
mutuellement dans toutes les instances relatives aux obligations attachées à
l'exécution de ce marché. Il en résulte que la requête par laquelle l'un des
membres du groupement solidaire demande l'annulation du jugement ayant
condamné ses membres, sur le fondement de leur responsabilité contractuelle, à
indemniser leur cocontractant, doit en principe être regardée comme présentée
au nom et pour le compte des membres du groupement solidaire, ou bien en son
o
nom propre (CE 24 nov. 2008, Dulongcourty et Andrieux, req. n  289778  ,
Lebon T. 816  . – CE 31 mai 2010, Sté Bureau de conception et de coordination
o
du bâtiment, req. n  323948  ).

403. Par ailleurs, un constructeur, membre d'un groupement solidaire


d'entreprises, ne peut échapper à sa responsabilité solidaire, au motif qu'il n'a
pas réellement participé aux travaux ayant causé un préjudice au maître de
l'ouvrage, que si une convention à laquelle le maître de l'ouvrage est partie fixe la
part qui lui revient dans l'exécution des travaux (CE 29 sept. 2010, Région
o o
Aquitaine, req. n  332068  , BJCP 2010, n  73, p. 401, concl. Boulouis).

404. Cette recherche des responsabilités se fait toujours devant le juge


administratif. Comme le décide en effet le Tribunal des conflits, « lorsque le juge
administratif est saisi d'un litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics
opposant le maître d'ouvrage à des constructeurs qui ont constitué un
groupement pour exécuter le marché, il est compétent pour connaître des actions
en garantie engagées par les constructeurs les uns envers les autres si le marché
indique la répartition des prestations entre les membres du groupement. Si tel
n'est pas le cas, le juge administratif est également compétent pour connaître des
actions en garantie entre les constructeurs, quand bien même la répartition des
prestations résulterait d'un contrat de droit privé conclu entre eux, hormis le cas
où la validité ou l'interprétation de ce contrat soulèverait une difficulté sérieuse »
o
(T. confl. 9 févr. 2015, Sté Ace European Group, req. n  3983, Lebon 498 ; AJDA
2015. 310   ; AJDA 2015. 1549, note G. Clamour   ; RDI 2015. 186, obs.
B. Delaunay  ).

Art. 3 - Situations en présence de clauses de solidarité

405. Les clauses de solidarité sont des clauses par lesquelles les cocontractants,
se déclarant solidaires, s'engagent à assurer non seulement les obligations qui
sont mises à la charge de chacun d'eux, mais encore celles des autres ;
conséquemment, lorsque l'un des contractants solidaires a manqué à ses
obligations, les autres doivent réparer le préjudice qui en résulte pour la partie
cotractante à l'égard de laquelle avait été souscrite cette obligation.

406. De telles clauses sont fréquentes dans les marchés publics : ainsi le CCAG
applicable aux marchés de travaux prévoit, à l'article 2.31, que « les
entrepreneurs groupés sont solidaires lorsque chacun d'eux est engagé pour la
totalité du marché et doit pallier une éventuelle défaillance de ses partenaires » ;
même lorsque les entrepreneurs sont seulement conjoints, « l'un d'entre eux,
désigné dans l'acte d'engagement comme mandataire, est solidaire de chacun des
autres dans les obligations contractuelles de celui-ci à l'égard du maître de
l'ouvrage ».

407. La solidarité ainsi convenue peut être de deux types : il peut s'agir d'une
solidarité parfaite ou seulement d'une obligation in solidum.

408. La solidarité parfaite correspond, en droit administratif comme en droit


privé, aux caractéristiques définies par les articles 1200 à 1216 du code civil.
Pour l'essentiel, elle « permet au créancier de poursuivre indifféremment l'un ou
l'autre de ses codébiteurs solidaires pour la totalité de l'obligation » (BOYON et
NAUWELAERS, note sous CE, sect., 9 janv. 1976, Sté Caillol et Cie, Sté Chagnaud
et Cie et Sté Les travaux du midi, AJDA 1976. 83). Chacun des débiteurs peut se
voir réclamer le paiement intégral de la créance ; le paiement effectué par l'un
d'eux libère tous les autres. En outre, la solidarité parfaite entraîne des effets
secondaires, notamment en ce qui concerne la procédure : la mise en demeure,
la sommation, les poursuites, les jugements relatifs à l'un des codébiteurs
solidaires valent pour tous les autres (V. MODERNE, Les limites de la
représentation mutuelle des codébiteurs solidaires en droit administratif, CJEG
1983. Chron. 309).

409. Le contrat peut limiter la solidarité des parties à une obligation in solidum,
qui a les mêmes caractéristiques que l'obligation in solidum pouvant, même en
l'absence de stipulation contractuelle, lier les contractants à raison de leurs fautes
indissociables ou communes. Il permet encore au créancier de poursuivre chacun
des codébiteurs pour le tout et le paiement effectué par l'un d'eux libère les
autres vis-à-vis du créancier. Mais les effets secondaires de la solidarité parfaite
ne se produisent pas.

410. C'est pourquoi il convient de déterminer si la clause de solidarité figurant au


contrat établit une solidarité parfaite ou seulement une obligation in solidum. Le
principe est que la solidarité parfaite ne se présume pas : pour s'imposer, elle
doit être expressément stipulée au contrat (CE 12 févr. 1915, Driout, Lebon 23. –
CE 25 juin 1971, Sté des Ets Marius Sériès et autres, Lebon 482 ; AJDA 1973. 97,
note J. M. G. – CE, sect., 9 janv. 1976, Sté Caillol et autres, Lebon 19). Selon les
termes de la clause de solidarité, celle-ci apparaîtra parfaite ou non.

411. Mais, dans tous les cas, quel que soit le degré de perfection de la clause,
chacun des cocontractants auxquels elle s'applique est tenu d'assurer la
réparation du préjudice subi par celui au profit duquel elle a été stipulée
(CE 29 juill. 1983, Bouget, Lebon 349  . – CE 15 juin 1983, Sté Entreprise
Solétanche, Lebon 258  ). C'est seulement au cas où la clause ne couvrirait pas
la totalité des prestations qui font l'objet du contrat, qu'elle ne pourrait leur être
opposée pour des préjudices échappant à son champ d'application (CE 25 juill.
1980, Ville de Saint-Ouen-l'Aumône, Lebon 342  ).

412. Lorsqu'en vertu d'une clause de solidarité, l'un des cocontractants répare la


totalité du préjudice subi par l'autre, il lui appartient de se retourner vers ceux de
ses cocontractants qui ont contribué à la réalisation de ce préjudice, soit par un
appel en garantie, soit par une action récursoire. S'agissant de relations qui sont
déterminées par le même contrat que celui qui a donné lieu à l'indemnisation du
premier contractant, l'action du débiteur contre les autres contractants est encore
une action contractuelle : c'est leur responsabilité contractuelle qui est en cause.
Vis-à-vis du débiteur initialement condamné, les titulaires de l'obligation de
réparer seront déterminés comme s'il n'y avait pas eu de clause de solidarité. La
responsabilité de chacun sera engagée envers lui en fonction du rôle que chacun
a eu dans la réalisation du préjudice : on retrouve le droit commun de
l'identification des titulaires de l'obligation de réparer.

Chapitre 2 - Réparation du préjudice subi

413. Lorsqu'un contractant a le droit d'obtenir d'une ou plusieurs parties au


contrat réparation du préjudice subi, il reste à déterminer comment cette
réparation doit être assurée. Cette question se dédouble : l'une porte sur le fond,
l'autre, sur la procédure.

re
Section 1 - Modalités de fond
414. Il n'est pas exclu que la réparation puisse être effectuée en nature, mais ce
ne peut être que dans certaines hypothèses. Le plus souvent, la réparation est
effectuée en argent, ce qui soulève nombre de questions à propos de la fixation
de la somme due au contractant qui a droit à une indemnité.

er
Art. 1 - Réparation en nature

415. La réparation en nature consiste à remettre les choses en l'état où elles


auraient dû se trouver si le contrat avait été exécuté conformément aux
stipulations convenues. Notamment, si l'un des cocontractants aurait dû exécuter
une prestation positive, il devra, pour réparer le préjudice que l'inexécution a
entraîné pour l'autre partie, assurer effectivement cette prestation. La réparation
en nature apparaît ainsi comme la stricte exécution du contrat. Mais elle ne se
limite pas nécessairement aux prestations prévues par le contrat. Le préjudice
résultant de l'inexécution des prestations contractuelles peut dépasser ces seules
prestations. La réparation en nature peut donc devoir comporter aussi des
réalisations plus importantes que celles qu'impliquait le contrat. Par exemple, si
un entrepreneur a mal construit un ouvrage, il pourra être amené, pour le refaire,
à effectuer des travaux dépassant ceux auxquels il était initialement tenu ;
notamment, ildevra défaire ce qu'il a mal fait pour pouvoir le refaire
correctement, ou ajouter des travaux confortatifs. La réparation en nature ne se
limite donc pas nécessairement à la seule exécution des prestations définies par
le contrat : elle doit couvrir tout le préjudice résultant de la méconnaissance du
contrat et comporter toutes les réalisations correspondantes.

416. Elle se heurte à des difficultés particulières lorsqu'elle est à la charge de


l'administration contractante ; elle est plus facile pour ses cocontractants.

er
§ 1 - Réparation en nature par l'administration cocontractante

417. Rien n'interdit à l'administration de réparer spontanément en nature le


préjudice qu'elle a causé à ses cocontractants. Dès lors que sa responsabilité est
engagée, elle est obligée de réparer le préjudice : tenue d'une dette
contractuelle, elle peut s'en acquitter en accomplissant elle-même les prestations
qui permettent de l'éteindre.

418. L'obstacle à la réparation en nature n'apparaît que dans le cadre d'une


instance contentieuse, lorsque le cocontractant a engagé contre l'administration
une action en responsabilité contractuelle devant le juge administratif. Celui-ci,
ne pouvant faire acte d'administrateur, ne peut condamner l'administration à une
obligation de faire.
419. Il existe, en matière de responsabilité, un aménagement par l'adoption
d'une condamnation alternative, le juge condamnant l'administration au
versement d'une indemnité, à moins qu'elle ne préfère procéder à une réparation
en nature (« si mieux n'aime l'administration exécuter son obligation »). Cette
solution est utilisable aussi bien dans le cadre de la responsabilité contractuelle
que dans celui de la responsabilité extracontractuelle (CE 23 nov. 1906,
Bichambis, S. 1907. 3. 65, note Hauriou. – CE, sect., 7 févr. 1930, Bontoux et
Assoc. syndicale du Canal de Saint-Tropez, Lebon 153. – CE 18 janv. 1933,
Maggi, Lebon 74. – CE 9 févr. 1940, Monier, Lebon 54. – CE, sect., 9 janv. 1948,
Synd. du canal de Mokta-Matlouf, Lebon 13. – CE 9 févr. 1955, Arteil,
Lebon 75. – CE 20 janv. 1956, Ville de Royan c/ Dame Oger,
Lebon 26. – CE 17 nov. 1961, Cne de Matemale, Lebon T. 1150. – CE 19 oct.
1966, Cne de Clermont, Lebon 551. – CE 21 janv. 1976, Cne de Margon, Lebon
T. 1166). Ainsi, pour éviter de payer l'indemnité à laquelle elle est condamnée,
l'administration peut procéder à la réparation en nature dont le juge lui laisse la
possibilité.

420. Si le juge n'a pas prononcé de condamnation alternative, se contentant


d'une condamnation au paiement d'une somme d'argent, l'administration peut-
elle, de sa seule initiative, substituer à la réparation en argent une réparation en
nature ? Il faut considérer à ce sujet que le jugement ou l'arrêt de condamnation,
investi de l'autorité de la chose jugée, est devenu exécutoire. L'administration est
donc tenue de réparer le préjudice en argent, et ne peut d'elle-même imposer, à
la place, une réparation en nature. Mais rien ne l'empêche de proposer cette
solution au cocontractant au profit duquel la condamnation a été prononcée : si
celui-ci accepte, la réparation en nature pourra être substituée à la réparation en
argent. Il reste que, comme le juge ne peut prescrire que les mesures rendues
strictement nécessaires pour l'exécution du jugement et favorables à la partie qui
le saisit, celle-ci ne peut demander au juge qu'il soit pris acte qu'au lieu de payer
une somme à laquelle un article du jugement la condamne, elle est prête à
o
exécuter des travaux (TA Grenoble, 26 déc. 2000, Sté Chanut, BJCP 2001, n  18,
p. 426, concl. Jayet).

§ 2 - Réparation en nature par le cocontractant de l'administration

421. Comme l'administration, son cocontractant peut spontanément réparer en


nature le préjudice qu'il lui a causé. Les pouvoirs de direction et de contrôle dont
dispose l'administration peuvent éventuellement être utilisés pour ordonner au
cocontractant ce type de réparation ; spécialement, dans les marchés de travaux,
les ordres de service peuvent prescrire à l'entrepreneur toutes mesures destinées
à assurer la parfaite exécution de l'ouvrage et donc, éventuellement, à remédier
aux défauts constatés en cours d'exécution par l'administration.
422. Lorsque la responsabilité du cocontractant de l'administration est mise en
cause devant le juge administratif, celui-ci n'est plus limité par l'interdiction
d'adresser des injonctions à l'administration puisqu'il s'agit ici seulement de son
cocontractant. On pourrait bien objecter que condamner celui-ci à une réparation
en nature, c'est encore « faire acte d'administrateur », si une telle mesure ne
peut être prise par le juge à l'égard de l'administration, pourquoi pourrait-elle
l'être à l'égard du cocontractant ? En elle-même, la nature de la mesure ne
change pas selon qu'elle concerne l'un ou l'autre.

423. Quoi qu'il en soit, la solution est acquise en jurisprudence. Le juge


administratif se reconnaît le pouvoir de condamner le cocontractant à réparer en
nature le préjudice causé à l'administration. Dans un arrêt du 12 juin 1981, Sté
o
Étude et Procédé d'assainissement Purator (Dr. adm. 1981, n  238), le Conseil
d'État considère ainsi « qu'il entre dans les pouvoirs des juridictions
administratives, lorsqu'elles sont saisies de conclusions tendant à l'exécution des
travaux nécessaires pour réparer la perte totale ou partielle résultant des vices de
construction d'un ouvrage, de condamner les entrepreneurs à l'exécution de cette
obligation de faire ». La formule a une portée générale.

424. La condamnation du cocontractant à une réparation en nature peut être


prononcée alternativement avec une condamnation à une réparation en argent,
dans les mêmes conditions que la condamnation de l'administration.

425. Il reste que, dans certains cas, la condamnation du cocontractant à une


réparation en nature n'est pas possible, non pas en raison des limites du pouvoir
du juge, mais de celles de la compétence du cocontractant lui-même. Les règles
professionnelles auxquelles il est assujetti peuvent lui interdire certaines activités.
Corrélativement, lorsque sa responsabilité contractuelle est engagée, il ne peut
être condamné à exercer une telle activité. Il en est ainsi des architectes, qui ne
peuvent jouer qu'un rôle de conception et de direction des travaux, mais ne
peuvent remplir celui d'exécution des travaux. Ils peuvent être condamnés à
refaire les plans d'un ouvrage qu'ils ont mal conçu ou à diriger de nouveau
l'exécution des travaux. En revanche, les architectes ne peuvent l'être à réaliser
ces travaux (CE 10 mai 1985, Ville de Metz, Lebon T. 739  ).

426. Cette impossibilité se répercute sur les solutions applicables au cas où


l'architecte est responsable solidairement avec l'entrepreneur. Si chacun est
responsable distinctement de ses propres fautes, chacun peut être condamné à
une réparation en nature des préjudices qu'il a personnellement causés. Mais si, à
raison du caractère indissociable ou commun de leurs fautes, ils sont
responsables solidairement, ils ne peuvent ni l'un ni l'autre être condamnés à une
réparation en nature, car l'architecte serait amené à effectuer des opérations qu'il
ve
ne peut déontologiquement réaliser (CE 16 juin 1965, Cabet et Dame V  Méjean
c/ Ville d'Hirson, Lebon 362. – CE 9 nov. 1979, Besnard, Lebon T. 799). Le
Conseil d'État considère expressément, dans un arrêt du 10 juin 1983, Office
public d'aménagement et de construction de l'Oise (Lebon 254), que « la
responsabilité des architectes en raison des malfaçons dans les travaux ne peut
trouver sa sanction […] dans l'obligation d'exécuter eux-mêmes les réparations et
que, par suite, dans le cas où […] le juge est saisi de conclusions tendant à la
condamnation conjointe et solidaire d'un architecte et d'un entrepreneur à une
telle obligation et que les conditions de la solidarité sont remplies, ce juge ne
peut que condamner conjointement et solidairement les intéressés à une
réparation en argent… » (V., dans le même sens, CE 29 sept. 1982, Bertholon et
autre, Lebon T. 676). Si l'arrêt se rapportait en l'espèce, à la garantie décennale
fondée sur les principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil,
son considérant vaut aussi bien pour la responsabilité contractuelle des
constructeurs. Il vaut, plus généralement, pour la responsabilité contractuelle :
un cocontractant de l'administration ne peut, même à travers une responsabilité
solidaire, être tenu d'une réparation en nature concernant une activité qui lui est
interdite. Il ne peut, dans une telle hypothèse, être tenu que d'une obligation de
réparation en argent.

Art. 2 - Réparation en argent

427. La réparation en argent est constituée, c'est une évidence, par l'attribution
d'une somme d'argent – les dommages-intérêts – à la victime du préjudice. La
question essentielle de la réparation en argent est celle de la détermination du
montant de l'indemnité ainsi allouée à la victime. En l'absence de stipulations
particulières dans le contrat à ce sujet, il faut appliquer les règles de droit
commun. Mais les parties peuvent avoir convenu du montant des sommes qui
seraient dues au cocontractant.

428. Les solutions du droit commun sont marquées par la recherche d'une


indemnité couvrant exactement le montant du préjudice subi. Cette proposition
doit être immédiatement nuancée. Si le préjudice subi doit être exactement
évalué, le cocontractant n'a pas toujours droit à une somme correspondant à la
totalité de ce préjudice. On sait que la responsabilité d'un contractant peut être
atténuée ou écartée par la force majeure ou par la faute de son cocontractant : si
elle est totalement exclue, le préjudice, même s'il existe réellement, ne donnera
lieu à aucune indemnité ; en cas d'exonération seulement partielle, le titulaire de
l'obligation de réparer ne devra couvrir que la part du préjudice imputable à son
comportement. Si le montant de l'indemnité est lié au montant du préjudice,
l'indemnité due est liée également à la part de responsabilité du titulaire de
l'obligation de réparer : si sa responsabilité est totale, soit isolément soit
solidairement, il devra verser une indemnité couvrant tout le préjudice ; si sa
responsabilité est partielle, il ne devra couvrir qu'une part du préjudice, celle qui
correspond à sa part de responsabilité. Dans les développements qui vont suivre,
cette observation devra être présente à l'esprit.
er
§ 1 - Principe de la réparation intégrale du préjudice

429. L'indemnité allouée à la victime doit couvrir le préjudice dans tous ses


éléments. S'il s'agit d'un préjudice moral, comme l'éventualité n'en doit pas être
exclue dans la responsabilité contractuelle, il ne faut pas cacher la part
d'approximation que comporte son évaluation. Le propre du préjudice moral est
de se situer dans un ordre qui n'est pas quantifiable. C'est ce qui avait longtemps
conduit la jurisprudence à en refuser la réparation. Si elle l'admet désormais, la
fixation de l'indemnité comporte inévitablement un certain arbitraire. En cas de
litige, le juge cherche à donner à la victime une compensation équitable.

430. L'étendue des réparations incombant à une personne privée liée par un


marché public à une personne publique du fait d'un dommage dont la
responsabilité lui est imputée ne dépend pas de l'évaluation faite par l'autorité
judiciaire dans un litige auquel cette personne privée n'était pas partie, mais doit
être déterminée par le juge administratif compte tenu des règles afférentes à la
responsabilité des personnes ayant passé un contrat de droit public (CE 29 déc.
2006, Communauté de communes du canton de Saint-Jean-d'Angely, req.
o
n  264720  ).

431. Pour le préjudice matériel, le calcul du préjudice et donc de l'indemnité peut


être beaucoup plus exact. Il doit porter sur le damnum emergens (le préjudice qui
résulte immédiatement des comportements litigieux) et le lucrum cessans
(correspondant au bénéfice que le contractant pouvait légitimement escompter).
Ce double aspect du préjudice matériel apparaît aussi bien dans la responsabilité
pour faute que dans la responsabilité sans faute (CE 6 mai 1931, Sous-secr.
d'État aux Finances c/ Bayon, Lebon 490. – CE 2 mars 1933, Cts Vaccaro,
Lebon 259. – CE, sect., 14 déc. 1934, Gouverneur général de l'Algérie
c/ Angelotti, Lebon 1183. – CE 19 janv. 1938, Ville de Nantes,
Lebon 57. – CE 26 juill. 1947, Bongert c/ OPHLM de Seine-et-Oise,
Lebon 351. – CE 2 mars 1951, Ville de Poissy, Lebon T. 774. – CE 23 mai 1951,
Bongert, Lebon 283. – CE 6 mai 1955, Sté Chabal et Cie,
Lebon 244. – CE 18 mars 1959, Peter et Office national de la navigation,
Lebon 189. – CE 11 juill. 1962, mêmes requérants, Lebon 468. – CE 11 févr.
1983, Sté d'études, de constructions et de travaux, Lebon T. 787. – CE 28 sept.
1984, Centre de soins et d'hygiène mentale Ulysse Trelat, Lebon 673).

432. On peut observer que la dualité des aspects du préjudice (damnum


emergens, lucrum cessans) est particulièrement soulignée par la jurisprudence
dans le cadre de la responsabilité contractuelle sans faute. Lorsque
l'administration prend une mesure qui modifie les conditions d'exécution du
contrat, elle doit couvrir son cocontractant à la fois des dépenses que cette
mesure entraîne (CE 3 mai 1907, Min. Guerre c/ Guillot, Lebon 414. – CE 8 févr.
1922, Carraresi c/ Min. Guerre, Lebon 119. – CE 28 juill. 1926, Min. Travaux
publics, Lebon 812. – CE, sect., 27 oct. 1978, Ville de Saint-Malo, Lebon 401 ;
D. 1979. 366, note Joly) et de la perte du « bénéfice légitime » que la poursuite
de l'exécution du contrat dans ses conditions initiales devait normalement
produire (CE 30 juin 1859, Bernard, Lebon 459. – CE 19 janv. 1938, Ville de
Nantes, Lebon 57. – CE 26 janv. 1938, Barré, Lebon 89. – CE 27 oct. 1978, Ville
de Saint-Malo, préc.). Il en est a fortiori ainsi lorsque le fait du prince va jusqu'à
la résiliation du contrat avant son terme : ici encore, le damnum emergens et le
lucrum cessans doivent être indemnisés (CE 7 août 1874, Hotchkiss et Coolidge,
Lebon 824. – CE, sect., 15 juill. 1959, Sté des alcools du Vexin, Lebon 451 ; RD
publ. 1960. 325, note Waline. – Du même jour, Min. Finances c/ Sté Distillerie de
la Croix-Rouge, Lebon 452. – CE 23 mai 1962, Min. Finances et affaires
économiques c/ Sté financière d'exploitations industrielles, Lebon 342. – CE,
sect., 25 janv. 1963, Sté des alcools du Vexin, Lebon 50. – CE, sect., 22 janv.
1965, Sté des Éts Michel Aubrun, Lebon 56. – CE 22 mars 1968, Min. Armées
c/ Épx Felizianni, Lebon T. 1004. – CE 5 mars 1969, Sté nouvelle d'entreprise de
bâtiment et de travaux publics, Lebon 133. – CE 29 juin 1983, Sté commerciale
de représentation et de combustibles, Lebon T. 783).

433. Toutefois, il arrive que le lucrum cessans (la perte de bénéfices ultérieurs)


ne donne pas matière à indemnisation. Cela tient aux « circonstances de
l'espèce » (CE 30 oct. 1951, Sté Citroën, Lebon 507), spécialement, en cas de
résiliation anticipée, aux circonstances de guerre ou de fin de guerre dans
lesquelles elle est intervenue (CE 9 janv. 1925, Sté des Chantiers et ateliers de
Saint-Nazaire c/ Min. Marine, Lebon 28. – CE 8 juill. 1925, Sté des ateliers et
Chantiers de la Loire et autre, Lebon 656. – CE 5 mai 1926, Min. Marine,
Lebon 454. – CE 23 mars 1927, Min. Guerre c/ George, Lebon 383. – CE 22 févr.
1930, Min. Guerre c/ Labadie, Lebon 91. – CE 18 mai 1949, Sté des travaux et
constructions, Lebon 228. – CE 23 janv. 1952, Secr. d'État aux Forces armées
c/ Chambouvet, Lebon 50). La réserve des circonstances dans lesquelles la
mesure dommageable a été prise permet au Conseil d'État d'écarter
l'indemnisation de la perte des bénéfices dans les cas où elle aurait quelque chose
d'anormal, voire de scandaleux. L'explication n'est pas très juridique. Elle permet
en pratique d'éviter des abus. Pour le damnum emergens, des précisions doivent
être apportées à propos de certains types de préjudices, particulièrement du
préjudice causé à un bien. Il ne faut pas tenir compte seulement de la moins-
value qu'il a subie mais des travaux de réfection qui sont nécessaires
(CE 10 mars 1971, Assoc. syndicale de drainage d'Hermival-les-Vaux,
Lebon 204), et des troubles de jouissance dont il a fait l'objet (CE 24 juin 1970,
Hummel et Libergé, Lebon 435  . – CE 2 déc. 1970, Bernardis, Lebon 729 
. – CE 16 oct. 1974, Ville de Guéret c/ Sté Bourillon, Lebon T. 1060. – CE, sect.,
5 nov. 1982, Ville de Dole, Lebon 375, concl. Labetoulle  ), tous ces préjudices
doivent être retenus dans le calcul de l'indemnité.
434. En revanche, l'état de vétusté de l'immeuble peut être pris en considération
comme amoindrissant le montant du préjudice et celui de l'indemnité
(CE 11 mars 1970, OPHLM du Calvados, Lebon T. 1107. – CE 22 mars 1974, Sté
d'entreprise du Sud-Ouest, Lebon 208. – CE 5 févr. 1982, Simon, Lebon 55) ;
l'appréciation de l'état de vétusté de l'immeuble doit se faire, non pas à la date
du jugement, mais à celle de l'apparition des désordres (CE, sect., 5 nov. 1982,
Ville de Dole, préc.) ; pour un ouvrage n'ayant jamais pu être utilisé normalement
après sa construction défectueuse par les cocontractants, l'abattement pour
vétusté est injustifié (CE 9 nov. 1983, Sté Entreprise Boidin, Lebon T. 787). La
plus-value que l'immeuble a pu recevoir du fait de travaux de réfection
consécutifs à la mise en jeu de la responsabilité du cocontractant doit venir en
déduction de l'indemnité qu'il peut devoir encore (CE 20 févr. 1976, Talbourdeau,
Lebon 111  ).

§ 2 - TVA

435. Des problèmes fiscaux doivent parfois être réglés pour l'évaluation de


l'indemnité. Notamment, il faut déterminer dans quelle mesure celle-ci doit
englober les impôts qui ont pu peser sur la victime à l'occasion du préjudice
qu'elle a subi. La question se pose essentiellement pour la TVA : la jurisprudence
la règle en considérant que la TVA doit normalement être intégrée dans le
préjudice et donc l'indemnité compensatrice puisque la victime doit la subir ; il
faut « que l'indemnité allouée comprenne tous les éléments du prix des travaux,
y compris le montant de la taxe à la valeur ajoutée » (CE 25 avr. 1980, Min.
Éducation nationale c/ Gonnot et autres, Lebon 198  . – V. aussi CE 20 févr.
1976, Talbourdeau, Lebon 111. – CE, sect., 29 janv. 1982, Sté anonyme des
Docks lorrains, Lebon 44 : « le montant du préjudice dont la victime est fondée à
demander réparation correspond aux frais qu'elle doit engager pour la réfection
des immeubles endommagés. – Ces frais qui couvrent le coût des travaux
comprennent, en règle générale, la taxe sur la valeur ajoutée, élément
indissociable de ce coût, lorsque ladite taxe grève les travaux » : CE 22 mars
1985, SECOMETAL, Lebon T. 690).

436. La jurisprudence n'apporte à cette solution que deux tempéraments. Le


premier concerne les possibilités de récupération de la TVA dont peut bénéficier la
victime : « le montant de l'indemnisation doit, lorsque la victime relève d'un
régime fiscal qui lui permet normalement de déduire tout ou partie de cette taxe
de celle qu'elle a perçue à raison de ses propres opérations, être diminué du
montant de la taxe ainsi déductible ou remboursable ; en ce cas, il appartient à la
victime, à laquelle incombe la charge d'apporter tous les éléments de nature à
déterminer avec exactitude le montant de son préjudice, d'établir, le cas échéant,
à la date d'évaluation de ce préjudice, qu'elle n'est pas susceptible de déduire ou
de se faire rembourser ladite taxe » (CE 29 janv. 1982, Sté anonyme des Docks
lorrains, préc.) et ce, y compris lorsque la victime est une personne publique qui
peut récupérer la TVA pour certaines de ses activités (CE 19 avr. 1991, SARL
o
Cartigny, req. n  109322  , Lebon ; D. 1991. 380, obs. P. Terneyre   ; RDI
1991. 339, obs. F. Llorens et P. Terneyre   ; RFDA 1991. 957, concl. G. Le
Chatelier  . – CE 5 juill. 2017, Communauté d'agglomération de Valence, req.
o
n  400571  ). En second lieu, selon l'arrêt du 28 janvier 1976, Sté des ateliers
Delestrade et Ramser Comte réunis et autres (Lebon 68  ), « la taxe à la valeur
ajoutée incluse dans la somme [due] n'a pas à être réévaluée à la date du
paiement de l'indemnité […] il n'y a pas lieu., de majorer ces sommes pour tenir
compte du taux de la taxe à la valeur ajoutée en vigueur à la date du règlement…
de l'indemnité… due ».

§ 3 - Intérêts

437. À l'indemnité principale doivent s'ajouter les intérêts moratoires, destinés à


couvrir le préjudice résultant du retard du débiteur à verser à l'autre partie les
sommes qu'il lui doit. La question des intérêts moratoires n'est pas propre à la
responsabilité contractuelle : elle se pose aussi bien pour les préjudices dont la
réparation est due en vertu des règles de la responsabilité extracontractuelle. Et,
dans le cadre d'un contrat, elle concerne les sommes qui sont dues à un
cocontractant indépendamment de la responsabilité, et notamment le prix par
lequel il est rémunéré de ses prestations.

438. Les intérêts moratoires sont régis en droit administratif comme en droit


privé par l'article 1231-6 du code civil, auquel le Conseil d'État fait expressément
référence. Selon cet article, « les dommages et intérêts dus à raison du retard
dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au
taux légal, à compter de la mise en demeure. Ces dommages et intérêts sont dus
sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte. Le créancier auquel
son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de
ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l'intérêt
moratoire ». Ces dispositions permettent de préciser le régime des intérêts
moratoires et, particulièrement, la procédure de leur réclamation, la date à partir
de laquelle ils commencent à courir, leur mode de calcul.

439. Ils ne sont dus que si leur créancier les réclame expressément par une
sommation de payer. Celle-ci peut prendre plusieurs formes. Elle peut être
constituée par une simple mise en demeure (CE 16 févr. 1917, Cie des chargeurs
réunis c/ État, Lebon 168. – CE, sect., 8 juin 1973, Dijon et Min. Anciens
combattants, Lebon 409), par une assignation en justice, aussi bien d'ailleurs
devant une juridiction compétente (CE 21 mai 1931, Malatrez, Lebon 560. –
CE 30 mars 1938, Sinapi, Lebon 331. – CE 11 févr. 1970, Bortuzzo et Martin
Bellet, Lebon 107) que devant une juridiction incompétente (CE 26 juill. 1918,
Épx Lemonnier, Lebon 761  . – CE 9 juill. 1969, Assoc. syndicale de
reconstruction de Bordeaux c/ de Lascoups, Lebon T. 885).

440. Si la sommation de payer est ainsi nécessaire pour que les intérêts
moratoires soient dus, à partir de quelle date commencent-ils à courir ? Il faut
distinguer selon que la sommation de payer est faite par une mise en demeure ou
par une demande en justice. Dans le premier cas, ils courent du jour de la mise
en demeure ou, plus exactement, du jour où le débiteur en a eu connaissance.
Dans le second cas, la jurisprudence a adopté successivement des solutions
différentes (AUBIN, concl. sur CE, sect., 28 nov. 1975, Ville de Douai,
Lebon 604  . – MODERNE, note sous CE 23 juill. 1974, Min. Éducation nationale
c/ Union des travaux et d'entreprises, JCP 1975. II. 18122). Elle a d'abord admis
que les intérêts moratoires couraient à partir de la demande en justice (CE 3 déc.
1958, Min. Industrie et commerce c/ Sté Entreprise Lajoinie, Lebon T. 950). Puis
le Conseil d'État a considéré qu'ils ne couraient que du jour où l'évaluation du
préjudice principal, auquel doivent s'ajouter les intérêts moratoires, pouvait être
effectuée (CE 21 juill. 1970, Rinaudo, Lebon T. 1207). Désormais, par son arrêt
précité du 28 novembre 1975, Ville de Douai, le Conseil d'État est revenu à une
solution plus générale : les intérêts courent de la demande introductive
d'instance ; si, à cette date, le demandeur n'avait encore droit à aucune somme
principale, les intérêts partiront du jour où sa créance principale sera née
(CE 29 janv. 1971, Cie d'entreprises électriques mécaniques de travaux publics,
Lebon T. 1110).

441. Le taux des intérêts moratoires est le taux légal. Selon l'article L. 313-3 du
code monétaire et financier, il est majoré de cinq points à l'expiration d'un délai
de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire,
fût-ce par provision (CE 26 mai 1982, Ville de Chamonix-Mont-Blanc et autres,
Lebon T. 672), c'est-à-dire à compter de la notification de la décision à la partie
o
débitrice (CE 18 mai 2011, Sté Seg Fayart, req. n  344394). Toutefois, parce que
l'article L. 313-3 précité précise que « le juge de l'exécution peut, à la demande
du débiteur ou du créancier, et en considération de la situation du débiteur,
exonérer celui-ci de cette majoration ou en réduire le montant », le Conseil
d'État, ayant constaté que « l'emprunt requis pour payer le solde des sommes
dues pèsera lourdement et pour de longues années sur les finances de la
commune, qui a moins de 1 200 habitants », accorde à la commune la réduction
d'un tiers de la majoration de cinq points du taux d'intérêt légal (CE 16 déc.
o
2009, Cne de Saint-Paul-en-Pareds, req. n  309774  , AJDA 2009. 2435  ).

442. Les intérêts sont dus sur la totalité de la somme principale à laquelle le


créancier a droit. Notamment, le montant de la TVA n'étant pas dissociable de
l'indemnité au paiement de laquelle une société a été condamnée, cette dernière
a été condamnée à bon droit à payer les intérêts sur la totalité de l'indemnité, y
compris la TVA (CE 12 mai 1982, Sté des autoroutes Paris-Rhin-Rhône,
Lebon 175).
443. Normalement, les intérêts moratoires suffisent à couvrir le retard du
débiteur à payer les sommes dont il est redevable et les conséquences qu'il
entraîne. Par exemple, si le cocontractant victime de la faute de l'autre partie a
dû contracter un emprunt pour financer les travaux nécessaires à en réparer les
conséquences dommageables, le préjudice subi est couvert par le versement des
intérêts afférents à l'indemnité principale allouée par le juge (CE 18 mars 1983,
Ville de Grand-Quevilly, Lebon T. 787  ).

444. Mais outre les intérêts moratoires, des intérêts compensatoires peuvent être
dus pour couvrir le préjudice, indépendamment du retard à payer la dette, causé
par la mauvaise foi du débiteur. Ici encore, la solution est établie par le dernier
alinéa de l'article 1153 du code civil. Il ne s'agit plus d'intérêts au sens strict – qui
ne se rapportent qu'au produit du principal – mais de dommages-intérêts
destinés à réparer un préjudice qui présente tous les caractères nécessaires pour
ouvrir droit à réparation et qui résulte d'une faute grave du cocontractant : cette
condition est réalisée par un mauvais vouloir systématique (V. CE 14 avr. 1948,
Barbe, Lebon 159. – CE 9 nov. 1949, Marquis c/ Ville de Nanterre, Lebon 467. –
CE, ass., 28 juill. 1951, Delville, Lebon 465. – CE 5 juin 1957, Simon, AJDA 1957.
373. – Du même jour, Sté Georges et Cie, Lebon 382. – CE 4 juill. 1957, Sté
niortaise de constructions mécaniques, Lebon 443. – CE 8 mars 1961, Sté
Entreprise générale de bâtiment et de travaux publics Cassigneul,
Lebon 160. – CE 19 déc. 1962, Sté anonyme d'ameublement métallique
corrézien, Lebon T. 1026. – CE 22 mai 1968, Sté nouvelle des entreprises
électriques Coopelec, Lebon 326. – CE 30 janv. 1974, Sté Di Placido et Cie, Lebon
T. 1053. – CE 26 nov. 1975, Sté Entreprise Py, Lebon T. 1136. – CE 17 nov.
o
2008, Entreprise Aubelec et autre, req. n  294215  ). Les dommages-intérêts
compensatoires sont eux-mêmes susceptibles de donner lieu à des intérêts
moratoires et à la capitalisation de ceux-ci.

445. La capitalisation des intérêts est, comme les intérêts eux-mêmes, réglée par
le code civil, dont l'article 1343-2 dispose : « Les intérêts échus, dus au moins
pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une
décision de justice le précise ». Cette dernière condition est constamment
appliquée (V. par ex. CE 14 déc. 1917, Dedeyn, Lebon 831. – CE 20 nov. 1930,
Pellerin, Lebon 959. – CE 30 oct. 1951, Sté Citroën, Lebon 507. – CE 23 janv.
1952, Secr. d'État aux Forces armées c/ Chambouvet, Lebon 50. – CE, sect.,
28 nov. 1975, Ville de Douai, préc. – CE 30 avr. 1982, Min. Éducation nationale
c/ Sté Dumez, Lebon 164). La capitalisation doit normalement faire l'objet d'une
demande en justice (CE 26 janv. 1900, Ville de Castelsarrasin, Lebon 63),
présentée à l'expiration de l'année pour laquelle la capitalisation est due
(CE 14 déc. 1917, Dedeyn, préc.), à moins que le contrat n'en ait disposé
autrement. Elle ne peut être accordée à partir d'une date autre que celle de la
demande en justice (CE, sect., 6 mai 1983, Sté d'exploitation des Ets Roger
Revellin, Lebon 180, concl. Roux  ). Le Conseil d'État se rallie à la position de la
o o
Cour de cassation (Com. 23 janv. 1990, n  88-15.506  , Bull. civ. IV, n  19) à
propos de l'hypothèse dans laquelle le paiement du principal est intervenu avant
que l'entreprise créancière ne demande la capitalisation des intérêts. Il admet
que, malgré le paiement du principal et l'interruption corrélative du cours des
intérêts, la demande de capitalisation doit être faite sur le fondement de l'article
o
1154 du code civil (CE 4 mai 2007, Sté Sapibat Guyane, req. n  264009  , AJDA
o
2007. 1231   ; Dr. adm. 2007, n  115, obs. Menemenis).

Section 2 - Modalités procédurales

446. Lorsque l'un des cocontractants a le droit d'obtenir de l'autre une réparation


du préjudice subi, il convient de déterminer comment, concrètement, il peut faire
valoir ce droit. Quelle procédure doit-il engager ?

er
Art. 1 - Titulaire de l'action en réparation

er
§ 1 - Situation en cas de pluralité de cocontractants

447. Le contrat peut avoir été conclu non pas seulement entre deux, mais entre
plusieurs parties. Lorsque le fait de l'une d'elles (faute, si c'est une partie privée,
faute mais aussi mesure non fautive, s'il s'agit d'une partie publique) est de
nature à engager sa responsabilité, quel est ou quels sont ceux des
cocontractants qui peuvent demander réparation ? La réponse se trouve dans la
considération du préjudice subi par chacun d'eux. Seuls peuvent avoir droit à
réparation ceux d'entre eux qui ont subi un préjudice répondant, dans sa na et
ses caractères, aux conditions de la responsabilité contractuelle. Ainsi, ce n'est
pas parce que l'une des parties a commis une faute dans l'exécution du contrat
que toutes les autres parties au contrat ont droit à réparation.

448. La seule difficulté qui peut se poser à ce sujet concerne la solidarité entre
certaines des parties au contrat. Généralement, la solidarité n'est envisagée qu'au
titre des obligations qui pèsent sur les parties : elle détermine en particulier les
titulaires de l'obligation de réparer. Ne peut-elle, à l'inverse, porter sur les
titulaires du droit à réparation ?

449. La situation peut se présenter notamment lorsque deux collectivités


publiques ont également la qualité de maître de l'ouvrage dont elles ont demandé
la réalisation à des constructeurs, comme le montre l'arrêt de section du 21 mai
1976, Durand et Frick (Lebon 272  ) : le Conseil d'État y considère « qu'aux
termes de la convention passée le 30 octobre 1961 entre l'État et la ville de la
Roche-sur-Yon pour la construction d'une cité technique comprenant un lycée
technique municipal et un collège d'enseignement technique, l'État et la ville
avaient l'un et l'autre la qualité de maître de l'ouvrage et procédaient
conjointement, en cette qualité, aux formalités d'adjudication et d'appel d'offres
et à la passation des marchés » ; il en déduit « que, dans ces conditions, l'État
avait, en tant que maître de l'ouvrage et sans avoir besoin d'un mandat de la
ville, qualité pour mettre en jeu la responsabilité contractuelle des
constructeurs ». Il résulte de cet arrêt que lorsque deux parties sont, par rapport
au contrat, exactement dans la même situation, elles peuvent indifféremment
l'une ou l'autre, mettre en œuvre la responsabilité contractuelle des autres
cocontractants : elles sont également titulaires du droit à réparation. On peut
parler à ce sujet de solidarité active.

450. Cette solidarité a tous les aspects de la solidarité parfaite, par analogie avec
celle qui peut peser sur les débiteurs. Chacun des titulaires du droit à réparation
peut rechercher la responsabilité contractuelle du ou des cocontractants
débiteurs, mettre en œuvre la procédure permettant d'obtenir réparation et
recevoir cette réparation pour l'intégralité du préjudice subi. Mais, s'agissant d'un
préjudice commun aux deux créanciers solidaires, il ne peut donner lieu à une
double réparation : celle-ci n'est due qu'une seule fois. Si le débiteur a indemnisé
intégralement l'un des deux cocontractants qui a recherché sa responsabilité
contractuelle, il a éteint sa dette. L'autre cocontractant ne peut engager contre lui
une nouvelle action en responsabilité contractuelle pour obtenir lui-même
réparation. S'il veut obtenir une part de la réparation qu'a assurée le débiteur, il
doit se tourner vers le cocontractant au profit duquel le débiteur s'est acquitté de
sa dette. On trouve à ce sujet la même solution, mais inversée, que celle qui
prévaut entre codébiteurs solidaires : lorsque le créancier a obtenu de l'un d'eux
réparation, il ne peut plus demander réparation aux autres, mais le débiteur
condamné peut se retourner vers ses codébiteurs ; de la même manière, lorsque
le débiteur a indemnisé l'un des créanciers solidaires, les autres créanciers
solidaires ne peuvent plus s'adresser à ce débiteur ; ils peuvent seulement se
retourner vers le créancier qui a obtenu réparation.

§ 2 - Situations en cas de succession de contractants

451. Le contrat peut avoir été conclu à l'origine par deux ou plusieurs parties,
auxquelles, en cours de contrat, voire à la fin du contrat, ont été substituées
d'autres personnes. Qui, des parties originaires ou de leurs successeurs, peut
obtenir réparation ? Il faut distinguer selon que la partie à laquelle il a été
succédé est l'administration contractante ou son cocontractant.

452. L'administration contractante peut se voir substituer une autre personne à


différents titres. Dans certains cas, c'est la loi qui, réalisant un transfert de
compétences, attribue à une personne publique les activités exercées
précédemment par une autre et corrélativement, lui transmet les biens, droits et
obligations s'y rapportant, en particulier, les contrats concernant cette activité
passent à la personne publique à laquelle elle a été transférée. On en a eu un
exemple lors de la création des communautés urbaines ; elles reçoivent des
attributions relevant précédemment des communes. De la même manière que
pour la responsabilité extracontractuelle (CE 4 févr. 1976, Communauté urbaine
de Lille, Lebon 82  ), la communauté urbaine est entièrement substituée aux
communes en matière de responsabilité contractuelle : seule la communauté
urbaine peut rechercher la responsabilité des cocontractants des communes dont
elle a reçu les attributions. La même solution doit être reprise à propos des
transferts de compétence réalisés, au titre de la décentralisation, à partir du
transfert de compétences, c'est la collectivité bénéficiaire du transfert qui est
titulaire du droit à réparation se rapportant aux contrats passés antérieurement à
propos des compétences transférées. En sens inverse, en cas de dissolution d'un
établissement public local et de retour des compétences aux collectivités
territoriales adhérentes de cet EPCI, c'est l'arrêté préfectoral de dissolution qui
organise la répartition des droits et obligations. À défaut, le bénéficiaire des
obligations de l'EPCI dissous peut en demander l'exécution aux membres de
l'ancien EPCI, solidairement ou à l'un de ses membres seulement (CE 4 mai 2011,
o o
Sté Oxygène Action, req. n  338411  , BJCP 2011, n  78, p. 336, concl.
Dacosta).

453. On trouve une autre illustration d'une succession d'une personne à la


personne publique contractante avec le cas des associations syndicales de
reconstruction, faisant réaliser par des constructeurs des immeubles qui sont
destinés à être remis ultérieurement à des propriétaires privés. Comme l'a jugé le
Conseil d'État, « le litige concernant le règlement du marché passé avec
l'entrepreneur et le litige relatif à la responsabilité des architectes à raison
d'erreurs commises dans l'établissement des pièces du marché, litiges qui se
rattachent tous deux à l'exécution ou à la réception même des travaux et qui ont
leur origine dans des faits antérieurs à la réception définitive ne pouvaient être
portés devant le juge du contrat que par l'association syndicale en sa qualité de
maître de l'ouvrage » (CE 15 mars 1963, Assoc. syndicale de reconstruction de la
Canche, Lebon 170 ; RD publ. 1964. 165, note Waline. – Dans le même sens,
CE 18 déc. 1963, Martel, Lebon 638. – CE, sect., 13 mars 1970, Sté Littoral-Nord
et Ducrocq, Lebon 186). « Postérieurement à la réception définitive des travaux,
les membres de l'association syndicale de reconstruction ont la qualité de maîtres
de l'ouvrage » et sont donc en droit d'exercer les actions qui s'attachent à cette
qualité contre les constructeurs (CE 5 nov. 1965, Travaglini, Lebon 584). Il est
vrai que, s'agissant d'actions postérieures à la réception, elles portent, non sur la
responsabilité contractuelle, mais sur les garanties résultant des principes dont
s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil : la succession des propriétaires
à l'association syndicale n'est pas exactement une succession au contrat ni au
droit à la réparation du préjudice contractuel. Il n'en reste pas moins qu'elle
comporte succession aux droits qu'a fait naître le contrat, et que le contentieux
de ces droits continue à relever de la compétence du juge administratif (T. confl.
ve
12 juin 1961, Dame V  Lannoy c/ Lambert et Sté d'entreprises Morineau,
Lebon 870 ; JCP 1961. II. 12225, concl. Lindon. – CE 8 févr. 1965, Macé
c/ Totereau et autres, JCP 1965. II. 14096. – V., dans le même sens, CE 22 janv.
1986, Sté bois scié manufacturé [BSM], Lebon 12), la garantie stipulée dans un
marché passé par l'État pour la fourniture de locaux préfabriqués à des
collectivités locales, qui en deviennent propriétaires, ne peut être invoquée que
par ces collectivités.

454. L'administration peut également, dans le contrat qui la lie avec son


cocontractant, attribuer à ce dernier la faculté d'engager les actions en
responsabilité contractuelle à l'encontre des constructeurs de l'ouvrage public mis
à la disposition du cocontractant pendant toute la durée du contrat. Ainsi en va-t-
il très fréquemment dans les contrats de concession où l'ouvrage appartient à la
collectivité publique, mais où c'est le concessionnaire/fermier qui est en droit de
former les actions en responsabilité contractuelle et décennale contre les
constructeurs de l'ouvrage (V. CE 7 oct. 2016, Sté Lyonnaise des eaux France,
o o
req. n  392351  , AJDA 2017. 22   ; BJCP 2017, n  110, p. 72).

455. Le cocontractant de l'administration peut, de son côté, être lui-même


substitué, en totalité ou en partie, par une autre personne. Dans le premier cas, il
s'agit d'une cession de son contrat ; dans le second, d'une sous-traitance. Dans
les deux cas, cette substitution n'est régulière que si elle est autorisée par
l'administration contractante (DE LAUBADÈRE, MODERNE et DELVOLVÉ, Traité
os
des contrats administratifs, t. 2, 1984, LGDJ, n  807 s.). Si elle n'est pas
autorisée, elle constitue elle-même une faute qui est de nature à engager la
responsabilité du cocontractant « initial » envers l'administration. Le
« successeur » non autorisé ne peut faire valoir envers celle-ci aucun droit et, en
particulier, ne peut prétendre avoir droit à réparation du préjudice qu'elle pourrait
lui avoir causé dans le cadre de la responsabilité contractuelle (c'est seulement
dans le cadre de la responsabilité quasi délictuelle que le cessionnaire ou sous-
traitant non autorisé pourrait faire valoir un droit à indemnité, en particulier si
l'administration l'a laissé participer à l'exécution du contrat, au lieu de s'y
opposer, CE 7 nov. 1980, Sté anonyme Schmid-Valenciennes, Lebon 416   ;
o
Marchés publics 1981, n  178, p. 41, concl. Labetoulle ; D. 1981. IR 115, obs.
Delvolvé). Ce n'est donc que dans les cas de cession ou de sous-traité autorisés,
qu'on peut examiner si le bénéficiaire du « sous-contrat » peut être le titulaire du
droit à réparation qu'ouvrirait la responsabilité contractuelle. Les deux cas doivent
être distingués.

456. En cas de cession du contrat, le cessionnaire est normalement substitué


entièrement au cédant. C'est lui qui devient le cocontractant de l'administration.
C'est donc lui qui, au cas où la responsabilité de celle-ci serait engagée, devient
titulaire du droit à réparation, de la même manière que, comme on le verra, il le
devient aussi de l'obligation de réparer. Le cédant, lui, ne peut plus demander
réparation, même pour des faits et préjudices antérieurs à la cession (CE 30 mai
1980, Frery, Lebon 256).

457. Il reste que, dans le cas d'un marché conclu entre l'État français et une
société privée ayant pour objet la construction de vedettes destinées à être
cédées à un État étranger, en l'absence de clause dans le contrat stipulant que
les droits à garantie de l'État français seraient transférés à l'État étranger avec la
cession des bâtiments, l'État français a qualité pour mettre en jeu la
responsabilité contractuelle du constructeur à raison d'une avarie survenue à une
vedette après sa recette définitive, alors même que cette recette a eu pour effet
de transférer la propriété du bâtiment à l'État étranger (CAA Bordeaux, 2 juin
o o
1997, SARL Guy Couach Plascoa, req. n  94BX00333  et n  94BX00334, Lebon
T. 937  . – V. aussi CE 9 juill. 1965, Sté « Les Pêcheries de Keroman »,
Lebon 418  ).

Art. 2 - Exercice de l'action en réparation

er
§ 1 - Principales règles procédurales

458. Celles-ci ont été, en matière de responsabilité contractuelle, profondément


o
modifiées par le décret n  2016-1480 du 2 novembre 2016, dit « décret JADE »
(V. F. POULET, AJDA 2017. 279  ).

459. Règles de compétence. - Elles visent les litiges précontractuel,


contractuel et quasi contractuel (CJA, art. R. 312-11  ). S'il peut y être dérogé
par la volonté des parties (CJA, art R. 312-2), le tribunal compétent pour juger
d'une action en responsabilité contractuelle « est celui dans lequel se trouve le
lieu prévu pour l'exécution du contrat » (CJA, art. R. 312-11  ). Si l'exécution
s'étend au-delà du ressort d'un seul tribunal administratif ou si le lieu de cette
exécution n'est pas désigné dans le contrat, le tribunal administratif désormais
compétent est celui dans le ressort duquel l'autorité publique compétente pour
signer le contrat (ou la première des autorités publiques dénommées dans le
contrat) a son siège, et non plus dans le ressort duquel elle a signé le contrat
(CJA, art. R. 312-11  ).

460. Avocat. - La dispense d'avocat est supprimée en matière de travaux publics


(CJA, art. R. 431-3  ). L'obligation de recourir à un avocat vaut pour tous les
« litiges nés de l'exécution d'un contrat » (CJA, art. R. 431-2  ).
461. Décision administrative préalable. - Aujourd'hui, même en matière de
travaux publics, le juge administratif ne peut être saisi d'une requête tendant au
paiement d'une somme d'argent sur le fondement d'une action en responsabilité
contractuelle ou extracontractuelle « qu'après l'intervention de la décision prise
par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle » (CJA,
art. R. 421-1  ).

462. Délais. - En vertu de la nouvelle rédaction des articles R. 421-1 et suivants


du code de justice administrative, la juridiction ne peut être saisie que par voie de
recours formée contre une décision et ce, dans les deux mois à partir de la
notification ou de la publication de la décision attaquée.

463. Rapporté au domaine des marchés et contrats publics, cela signifie que,


dans le silence du contrat, le titulaire du contrat ne peut former devant le juge
administratif une action en dommages et intérêts à l'encontre de l'administration
que si, au préalable, celui-ci a demandé à l'administration contractante le
paiement des sommes auxquelles il croit avoir droit et qui ne lui ont pas été
réglées par cette dernière. Faute d'une telle demande indemnitaire préalable, sa
requête contentieuse sera irrecevable. D'où la règle selon laquelle (CJA,
art. R. 421-1  , al. 1) « la juridiction administrative ne peut être saisie que par
voie de recours formé contre une décision » (administrative), par exemple celle
qui répond ou ne répond pas à la demande indemnitaire préalable.

464. À partir de là, de deux choses l'une en termes de délais et ce, y compris
désormais en matière de travaux publics :

– ou bien l'administration a explicitement répondu à la demande préalable du


requérant, et alors la requête doit être formée « dans les deux mois à partir de la
notification ou de la publication de la décision attaquée » (CJA, art. R. 421-1  ,
al. 1). Mais, dans ce cas, ce délai ne lui est opposable « qu'à condition d'avoir été
mentionné, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision »
(CJA, art. R. 421-5  ) ;

– ou bien l'administration a gardé le silence sur la demande préalable à objet


financier – ce qui vaut décision implicite de rejet (CRPA, art. L. 231-4  ) –, et
alors le requérant, même en matière de travaux publics, « dispose, pour former
un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née la
décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu'une décision explicite de rejet
intervient avant l'expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de
recours » (CJA, art. R. 421-2  ).

465. Prescriptions. - Les créances que les personnes publiques doivent en cas


de responsabilité contractuelle se prescrivent au bout de quatre ans selon les
o
mécanismes de la loi n  68-1250 du 31 décembre 1968.
466. Le délai de prescription de dix ans à compter de la manifestation du
dommage prévu par l'article 2270-1 du code civil pour les actions en
responsabilité civile extracontractuelle s'applique aux actions en garantie
exercées par un constructeur contre un autre. Le délai de prescription ne pouvant
courir avant que la responsabilité de l'intéressé ait été recherchée par le maître
d'ouvrage, la manifestation du dommage au sens de ces dispositions correspond
à la date à laquelle le constructeur a reçu communication de la demande
présentée par le maître d'ouvrage devant le tribunal administratif. Une demande
en référé-expertise introduite par le maître d'ouvrage sur le fondement de l'article
R. 532-1 du code de justice administrative ne peut être regardée comme
constituant, à elle seule, une recherche de responsabilité des constructeurs par le
maître d'ouvrage (CE 10 févr. 2017, Sté Campenon Bernard Côte d'Azur et Sté
o
Fayat Bâtiment, req. n  391722  , Lebon ; AJDA 2017. 325  ).

467. Le délai de prescription applicable à une créance détenue par un créancier


personne publique à l'égard d'une personne privée n'est pas modifié par la
substitution d'une personne publique à cette dernière : le délai de prescription
quinquennale découlant de l'article 2224 du code civil y est donc applicable
o
(CAA Paris, 12 juin 2017, SNCF Mobilités, req. n  15PA01310  , AJDA 2017.
1557, chron. J. Sorin  ).

ACTUALISATION
467. Prescription de l'action en réparation des pratiques
anticoncurrentielles. - Jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008,
les actions fondées sur la responsabilité quasi délictuelle des auteurs de
pratiques anticoncurrentielles se prescrivaient par dix ans à compter de la
manifestation du dommage. Après l'entrée en vigueur de cette loi, la
prescription de ces conclusions est régie par les dispositions de l'article 2224
du code civil. S'appliquent, depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance du
9 mars 2017, les dispositions de l'article L. 482-1 du code de commerce. Le
délai de dix ans applicable avant 2008 est donc passé à cinq ans, aux termes
des deux derniers textes cités (CE 22 nov. 2019, SNCF Mobilités, req.
o
n  418645, Lebon ; AJDA 2019. 2410, obs. de Montecler  ).

Responsabilité civile extra-contractuelle. Point de départ du délai de


prescription. Le point de départ du délai de prescription en matière de
responsabilité civile extra-contractuelle est la date à laquelle la victime a une
connaissance suffisamment certaine de l'étendue du dommage, quand bien
même, vient de préciser le Conseil d'État, le responsable de celui-ci ne serait
à cette date pas encore déterminé (CE 20 nov. 2020, Sté Suez Eau France,
o
req. n  427250, Lebon ; AJDA 2020. 2294  ).
468. Appel. – Cassation. - Si les demandes indemnitaires de moins de 10 000 €
sont insusceptibles d'appel, cette règle ne vaut pas « en matière de contrat de la
commande publique » (CJA, art. R. 811-1  ).

469. Titres exécutoires émis par les personnes publiques. - En principe,


une collectivité publique est irrecevable à demander au juge administratif de
prononcer une mesure qu'elle a le pouvoir de prendre. En particulier, les
collectivités territoriales, qui peuvent émettre des titres exécutoires à l'encontre
de leurs débiteurs, ne peuvent saisir directement le juge administratif d'une
demande tendant au recouvrement de leur créance (CE 30 mai 1913, Préfet de
l'Eure, Lebon 583). Toutefois, lorsque la créance trouve son origine dans un
contrat, la faculté d'émettre un titre exécutoire dont dispose une personne
publique ne fait pas obstacle à ce que celle-ci saisisse le juge administratif d'une
demande tendant à son recouvrement, notamment dans le cadre d'un référé-
provision engagé sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice
o
administrative (CE 26 févr. 2016, Dpt de l'Eure, req. n  395194, Lebon 44,
concl. ; AJDA 2016. 407  ). Mais, lorsque la personne publique a décidé
d'émettre un titre exécutoire en vue de recouvrer les sommes en litige, elle ne
o
peut plus saisir le juge (CE 15 déc. 2017, Ryanair, req. n  408550  , Lebon ;
AJDA 2017. 2500  ).

ACTUALISATION
469. Titre exécutoire et action en responsabilité extra-contractuelle.
Cumul. - Pour recouvrer une créance née d'un contrat, une personne
publique peut soit émettre un titre exécutoire, soit saisir le juge administratif,
sans pouvoir cumuler les deux actions. Mais, même si elle a émis un titre
exécutoire, elle peut aussi saisir le juge d'une demande en responsabilité
extra-contractuelle (CE 10 juill. 2020, Cne de La Remaudière, req.
o
n  429522, AJDA 2020. 1449, obs. Pastor  ).

Provision accordée par le juge des référés. Titre exécutoire. La


provision accordée par le juge des référés constitue un titre exécutoire mais
un titre émis aux mêmes fins par l'ordonnateur de la collectivité n'a, lui,
aucune portée juridique (CE 22 juill. 2020, Sté Immobilière Massimi, req.
o
n  426210, Lebon ; AJDA 2020. 1513, obs. Pastor  )

§ 2 - Stipulations contractuelles organisant une procédure pré-


contentieuse

470. Les parties aux marchés publics de travaux sont très fréquemment liées par
des stipulations contractuelles qui, notamment mais pas exclusivement, par
renvoi aux différents cahiers des clauses administratives générales (CCAG)
prédéterminés par arrêtés ministériels (pour le CCAG-Travaux V. Arr. du 8 sept.
2009, modifié par Arr. du 3 mars 2014), organisent entre les parties au marché
une procédure de règlement des différends qui déroge à celle précitée de droit
commun du code de justice administrative, en particulier en obligeant le
cocontractant à former, auprès de l'administration contractante, une réclamation
« administrative » préalable (alors même que l'on se trouvait, avant le décret
o
JADE [préc. supra, n  458], dans le domaine des travaux publics) et en prévoyant
des délais spéciaux de recours au juge selon les circonstances.

471. Quand bien même ces stipulations trouvent leur source dans des modèles
rédigés par arrêtés ministériels, il a toujours été admis que, dès lors que les
parties s'y réfèrent, cette référence leur confère une portée intégralement
o
contractuelle (V. CE 31 juill. 1996, Canac, req. n  124065  , Lebon 333 ;
D. 1997. Somm. 293, obs. Ph. Terneyre   ; RDI 1996. 562, obs. F. Llorens et P.
Terneyre   ; RDI 2002. 229, obs. M. Brisac  . – CE 29 déc. 2008, M. Bondroit,
o
req. n  296948  , Lebon T. 816). Par voie de conséquence, quand ces arrêtés
ministériels sont modifiés, les modifications ne s'appliquent pas aux stipulations
des marchés en cours d'exécution qui y font référence. En revanche, toujours en
raison de cette nature contractuelle des CCAG, quand ils sont intégrés dans des
marchés publics, les parties à ces marchés peuvent décider d'y déroger en cours
d'exécution du contrat (CE 25 mars 2002, Sté GTM International, req.
o
n  187885  , Lebon 113 ; RDI 2002. 226, obs. J.-D. Dreyfus  ), l'administration
pouvant même y déroger unilatéralement lorsqu'elle entend renoncer à l'un de
ses droits ou délais qui y est souscrit et que le cocontractant ne s'y oppose pas
o
(CE 16 déc. 2009, Sté DG Entreprise, req. n  305567  ).

472. Par ailleurs, le code de justice administrative tel qu'il résulte du décret JADE
de 2016 n'empêche toujours pas les parties à un marché public de travaux d'y
déroger et ce, pour deux raisons.

473. Premièrement, avant ce décret, il n'a jamais été contesté que les parties à
un contrat public de travaux pouvaient librement, malgré les dispositions alors en
vigueur de l'article R. 421-1 du code de justice administrative qui ne soumettaient
les litiges relatifs aux travaux publics à aucun délai et à aucune décision préalable
de l'administration, organiser un mode particulier de règlement des litiges avec
obligation de réclamation préalable à l'administration avant toute requête
contentieuse. Symétriquement, le juge n'a jamais autorisé une partie à de tels
contrats à ne pas appliquer ces obligations contractuelles de règlement des
litiges, dérogatoires au code de justice administrative, en invoquant le caractère
d'ordre public des dispositions de ce code. Tout au contraire, la jurisprudence est
très claire sur le respect dû par les parties contractantes à ces stipulations, en
particulier lorsqu'elles dérogent aux délais contentieux de droit commun (V. par
ex. CE 13 juill. 1963, Schneider, Lebon 463. – CE 17 févr. 1978, Sté Entreprise
o
Rhodanienne de constructions générales, req. n  1522).

474. Secondement, la question a été très explicitement et très clairement


tranchée par le Conseil d'État dans un arrêt mentionné au Lebon (V. CE 29 déc.
o
2008, M. Bondroit, préc. supra, n  471). De fait, à un requérant qui invoquait,
afin d'échapper aux effets de forclusion des stipulations du contrat qu'il avait
signé, les dispositions précitées de l'article R. 421-5 du code de justice
administrative selon lesquelles les délais de recours contre les décisions
administratives ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi
que les voies de recours, dans la notification de la décision, le Conseil d'État
répond, dans l'arrêt précité « M. Bondroit », que ces dispositions (réglementaires)
ne sont pas applicables au rejet par le maître de l'ouvrage de la réclamation
préalable formée par les entrepreneurs à l'encontre du décompte général, dès
lors qu'existent au sein du CCAG des règles particulières de saisine du juge du
contrat.

475. Il résulte donc de cet arrêt que, si elles le souhaitent, les parties à un
contrat public de travaux peuvent toujours aujourd'hui librement organiser des
« règles particulières de saisine du juge administratif du contrat », dérogatoires à
celles de droit commun qui figurent dans la partie réglementaire du code de
justice administrative en matière, par exemple, de procédures préalables à la
saisine du juge, de délais ou d'opposabilité des délais. Et, si tel est le cas, les
dispositions réglementaires du code de justice administrative sont inapplicables
au litige et le moyen tiré de leur méconnaissance, soulevé par l'une des parties
au contrat, est inopérant. De la nature contractuelle – mais impérative – des
stipulations qui organisent, dans les contrats administratifs, le règlement des
litiges entre les parties (ces stipulations n'ont, en effet, pas d'effet à l'égard des
tiers et ne concernent que les litiges dont la nature est précisée dans le contrat),
il en résulte deux conséquences contentieuses.

476. D'une part, la procédure qu'elles instituent n'est pas d'ordre public, ce qui
signifie que le juge saisi n'a pas le pouvoir de relever d'office leur
o
méconnaissance (CE 8 déc. 1995, Sté Sogéa, req. n  138873  , Lebon 434 ; RDI
1996. 207, obs. F. Llorens et P. Terneyre  . – CE 29 sept. 2000, Sté Dezellus
o
Industrie, req. n  186916  , Lebon 381 ; RDI 2001. 64, obs. P. Soler-Couteaux 
). En conséquence, le juge ne déclare irrecevable le recours dont il est saisi en
méconnaissance de la clause contractuelle de règlement des différends que si la
partie intéressée invoque expressément cette irrégularité. Toutefois,
conformément à un autre principe jurisprudentiel, la partie qui a la qualité de
défendeurs en première instance a toujours la possibilité d'invoquer cette
méconnaissance pour la première fois en appel (CE 15 oct. 1976, Sté Nord-
Travaux, Lebon 423. – CE 11 oct. 1989, Sté de protection des murs et pignons,
Lebon T. 866 ; D. 1990. Somm. 249, obs. Ph. Terneyre  ).
477. D'autre part, l'existence même d'un recours « administratif » prévu au
contrat « fait obstacle à ce qu'une des parties saisisse directement le juge
administratif, y compris le juge statuant en référé ». Si, avant l'intervention du
décret JADE, il était admis que ce dernier puisse être saisi « dès lors qu'une des
parties a engagé la procédure de recours préalable, sans attendre que celle-ci soit
parvenue à son terme » (CE 16 déc. 2009, Sté Architecture Groupe 6, req.
o
n  326220  , Lebon 134, concl. N. Boulouis ; AJDA 2009. 2432   ; RDI 2010.
156, obs. R. Noguellou  ), cette jurisprudence n'a plus lieu d'être depuis que ce
décret fait obligation qu'une décision de rejet soit née avant que puisse être
introduit un recours tendant au paiement d'une somme d'argent. En tout état de
cause, une demande d'expertise adressée au juge du référé ne suspend pas les
délais contractuels que les parties doivent respecter pour régler à l'amiable leur
o
litige avant de saisir le juge (CE 18 sept. 2015, Sté Avena BTP, req. n  384523  ,
AJDA 2015. 2418  ).

478. En conséquence, si le contrat fait par exemple référence au CCAG-Travaux


et, notamment, à son article 50, cela signifie :

– que les différends entre le titulaire du marché et le maître d'œuvre et/ou le


pouvoir adjudicateur doivent faire l'objet, de la part du titulaire, d'un mémoire de
réclamation au contenu très précis et documenté, adressé au représentant du
pouvoir adjudicateur et, en copie, au maître d'œuvre ;

– que le représentant du pouvoir adjudicateur, après avis du maître d'œuvre,


dispose d'un délai de quarante-cinq jours pour répondre à ce mémoire (à compter
de la date de réception du mémoire) ;

– que, à compter de l'expiration de ce délai si le pouvoir adjudicateur n'a pas


répondu à la réclamation (inertie valant rejet de la demande préalable) ou à
compter de la décision défavorable explicite de l'administration, le titulaire peut
saisir le tribunal administratif compétent. Dans ce cas et pour les réclamations
« ordinaires » – et c'est là que c'est nouveau –, le requérant ne dispose alors, à
compter des dates précitées, que d'un délai de deux mois (délai de droit commun
de l'article R. 421-1 du CJA, y compris en matière de travaux publics) pour saisir
le juge. En revanche, pour les marchés de travaux en cours d'exécution pour
lesquels le décret JADE n'est pas d'application immédiate, le titulaire n'est soumis
à aucun délai particulier. En toute hypothèse, le requérant ne peut porter devant
la juridiction que les chefs et motifs énoncés dans le mémoire de réclamation.
Toutefois, pour le cas particulier des réclamations relatives au décompte général
du marché, le requérant dispose, toujours à compter des dates précitées, d'un
délai de six mois pour saisir le juge (art. 50.3.2 du CCAG-Travaux). Passés ces
délais de deux mois ou six mois, le titulaire est forclos à saisir le juge (sauf pour
les réclamations étrangères au décompte général et relatives à l'exécution de
er
contrats de travaux publics conclus antérieurement au 1  janvier 2017, date
d'entrée en vigueur du décret JADE, pour lesquelles aucun délai n'est prescrit), et
l'ensemble de ces observations vaut pour tous les contrats de travaux organisant
une procédure particulière de règlement des litiges, y compris par référence à des
CCAG propres à certains acheteurs publics (SNCF, RATP…). Inversement, si le
contrat de travaux ne contient aucune stipulation particulière relative aux
procédures de règlement des litiges (ce qui est désormais très rare), ce sont les
dispositions nouvelles du code de justice administrative qui s'appliquent pour les
er
contrats signés après le 1  janvier 2017 et celles, anciennes, pour les contrats
conclus avant cette date et en cours d'exécution (à savoir, pas de délai pour les
requêtes en matière de travaux publics et pas d'obligation de réclamation
préalable). Comme on le voit, dès lors qu'à la suite d'un « mémoire de
réclamation » formé par le titulaire du contrat de travaux publics, l'administration
contractante répond explicitement ou implicitement (en ne notifiant aucune
réponse explicite) à celui-ci, le constructeur ne dispose plus que de deux mois
pour contester cette décision administrative devant le juge ; faute de quoi, il est
forclos à former une telle requête contentieuse, sans qu'il puisse être envisagé de
réitérer plus tard les mêmes réclamations, les décisions administratives
confirmatives de décisions antérieures étant, elles-aussi, insusceptibles de
recours.

Index alphabétique

■Abstention 156, 239



fautive 92

■Acte de gouvernement 226

■Acte législatif 232, 235

■Action directe 94

■Action oblique 86 s.

■Action récursoire 98 s., 387, 397, 412

■Affermage 9, 155, 299

■Agissements non fautifs 373

■Agrément du sous-traitant 97

■Annuité de rachat 234

■Appel en garantie 412

■Appel d'offres 56, 73, 199, 449



infructueux 30

restreint 30

■Approbation (du contrat) 24, 258

■Architecte

droit moral 303 s.

fautes de l' 201 s.

préjudice moral 302

■Associations syndicales de reconstruction 453

■Atteinte à la réputation 301 s.

■Attroupements ou rassemblements armés 106

■Autorité étrangère 334

■Avalanches 357

■Avenant modificatif 162

■Baux emphytéotiques 8

■Bonne foi 11, 168, 229

■Bouleversement de l’économie du contrat 193, 227, 245, 253, 257, 264 s.

■Cahier des clauses administratives générales 368, 370



procédure précontentieuse 470 s.

■Capitalisation des intérêts 445

■Cas fortuit 378

■Cause juridique nouvelle 117

■Causes exonératoires 312

■Causes juridiques

distinctes 113

nouvelles 44, 117

■Caution bancaire 198

■Cession 341 s., 455 s.



judiciaire 344

■Chance sérieuse 33

■Chance très sérieuse 33

■Clause d’exclusivité 151 s.

■Clause d’exonération 121 s.



garantie décennale (de la) 127

■Clause limitant la garantie décennale 129

■Clause limitative de responsabilité 129 s.

■Clause limitative de la responsabilité décennale 141

■Clause réglementaire 92

■Clause de solidarité 326, 402 s., 410, 412

■Clause substituant à la garantie décennale une garantie contractuelle 130

■Clause transférant la responsabilité décennale 129

■Clause de variation de prix 174 s.

■Communautés urbaines 452

■Compétences de police 295

■Concession 59, 190, 222, 230, 348

■Concession de service public 174

■Condamnation alternative 419 s.

■Contrat administratif 2 s., 12, 38 s., 80, 83, 88, 108, 111, 137, 194, 214, 247,
254, 334

■Contrat de concession 53, 85, 136, 219, 222, 230, 249, 341
■Contrat de louage d’ouvrage 14

■Convention de délégation de service public 16, 30, 98

■Convention internationale 237

■Convention de mise à disposition (des services de l’État) 16

■Créanciers solidaires 450

■Crues 134, 358 s.

■ Damnum emergens 431 s.

■Déchéance du concessionnaire 184

■Décisions individuelles licites 246

■Décompte définitif 74, 178

■Décompte général 74, 77

■Dédoublement fonctionnel 226

■Défaut de surveillance 139, 210, 399

■Demandes nouvelles 324

■Dépenses utiles 165

■Difficultés de trésorerie 320

■Distraction des travaux 149

■Dol 66, 122, 168, 200, 213

■Domaine public

occupant régulier 222

■Dommage de travaux publics 107

■Dommages-intérêts 427, 438, 444

■Droit de contrôle 187

■Droit moral de l'architecte


V. Architecte

■Effet relatif des contrats 80, 325


■Élément d’équipement 141

■Éléments dissociables 435

■Enrichissement sans cause 44, 47 s.

■Erreurs 62, 154, 453

■Éviction irrégulière 27 s.

■Exécution personnelle du contrat 198

■Extériorité 351 s.
V. Force majeure

■Faillite 319

■Fait générateur 143 s., 255 s., 309 s., 328

■Fait du prince 223 s., 291 s., 432

■Fait du tiers 312, 325, 379 s.

■Faute délictuelle 103

■Faute de l'entrepreneur 165, 398

■Faute lourde 122, 145 s., 209 s.

■Faute personnelle 100, 340

■Faute simple 90, 209

■Fautes de l'architecte
V. Architecte

■Fautes contractuelles 73

■Fautes distinctes 398

■Fautes indissociables 409

■Fautes de surveillance et de contrôle 210

■Force majeure 271 s., 312, 347 s., 363 s., 374, 428

■Foudre 357

■Fournisseurs 183, 195, 212, 221, 332, 351, 353, 360, 382 s., 400 s.
■Fraude 66, 122, 168, 213

■Garantie de bon fonctionnement 141

■Garantie contractuelle 72, 81, 114, 129

■Garantie décennale 127 s., 141, 426


V. Responsabilité décennale

■Garantie de parfait achèvement 71, 74, 128

■Garantie des vices cachés 63

■Grève 352, 361 s.

■Groupement solidaire 402 s.

■Guerre 255, 260, 316, 362, 367, 433

■Honorabilité du cocontractant 301 s.

■Imprévisibilité 355 s., 366


V. Force majeure

■Imprévision 177, 215, 227, 247 s., 257 s., 348

■Imprudence 25, 203

■Imputabilité 310 s., 315, 327 s.

■Inondations 358 s.

■Intention dolosive 213

■Intérêts compensatoires 444

■Intérêts moratoires 170 s., 283, 437 s.

■Intérêts au taux légal 172, 438

■Irrésistibilité 360 s.
V. Force majeure

■Irrévocabilité du prix 168

■Libéralités

interdiction aux personnes publiques de consentir des 135, 222
■Lien de causalité 49 s., 309 s.

■Loi du 31 décembre 1957 108

■ Lucrum cessans 431 s.

■Mainlevée du cautionnement 179

■Mainlevée des garanties 178 s.

■Maître d’œuvre 56, 76 s., 90, 147, 302, 384, 478

■Mandataire

explicite 6

implicite 7

■Marché de partenariat 8, 52

■Marché de travaux publics 76, 91, 140, 183, 336, 388, 404

■Marchés publics 8, 33, 37, 175, 204, 260, 406, 471



travaux (de) 157, 363, 470

■Marchés de substitution 212

■Mauvaise exécution 19, 80, 153 s., 342

■Mauvaise foi 173, 438, 444

■Mesures de police administrative 239 s.

■Mesures de police économique 243 s.

■Mise en demeure 147, 149, 158, 181, 183, 187, 408, 438 s.

■Mise en régie 181, 183 s.

■Modification unilatérale

exercice irrégulier du pouvoir de 188 s.

exercice régulier du pouvoir de 217 s.

prix stipulé au contrat (du) 168
■Mouvements de terrain 357

■Moyen d’ordre public 44, 67, 114, 117, 119, 324

■Neige 357

■Non-exécution (par l’administration) 147 s.

■Non-respect des formalités 182, 184

■Nullité du contrat 40, 44, 117

■Objet du contrat 42, 198, 411

■Obligation de conformité 155

■Obligation de conseil 77 s.

■Obligation de délivrance 155

■Obligation in solidum 326, 386, 393, 407, 409 s.


V. Responsabilité in solidum

■Œuvre architecturale 305, 307

■Offre de concours 148

■Omissions techniques 154

■Ordre de service 56, 163 s., 187, 203

■Organisation des services publics 246, 295

■Pénalités 61, 204 s.



pécuniaires 204

retard (de) 204, 206, 208

■Personnalité juridique 331 s.



unité de la 223, 333

■Perte de bénéfices 51, 290, 299, 433

■Phénomènes naturels 255, 356

■Pluies 358 s., 366


■Police administrative 239 s.

■Pouvoirs de direction et de contrôle 421

■Préjudice certain 288, 290

■Préjudice commercial 282, 290, 294, 299

■Préjudice matériel 298 s., 431

■Préjudice moral 300 s., 429

■Préjudice professionnel 299

■Préjudice spécial 106, 181, 236, 294

■Prérogatives de puissance publique 145

■Prescription quadriennale 465 s.

■Réception

définitive 59, 67 s., 72, 131, 178 s., 453

réserves (avec) 70

■Réclamation préalable 473 s., 478

■Recours en contestation de validité 38 s.

■Refus de réception 56, 70

■Règles de passation 165

■Remboursement

frais (des) 32 s.

■Réparation

argent (en) 420, 424, 426 s.

nature (en) 415 s.

■Représentation 400

■Réputation professionnelle 301 s.


■Résiliation 180 s.

illégale 180 s., 302

intérêt général (dans l') 301

■Résiliation « aux frais et risques » 184

■Résiliation unilatérale 219 s.

■Résiliation-sanction 186

■Responsabilité décennale 59, 114, 129, 141


V. Garantie décennale

■Responsabilité extracontractuelle

pour faute 23

sans faute 106, 251

■Responsabilité in solidum 397


V. Obligation in solidum

■Responsabilité quasi délictuelle 49 s.

■Responsabilité pour risque 106

■Responsabilité solidaire 403, 426

■Retard 158 s.

fautifs 159

paiement (de) 169 s., 320

■Révision de prix 168, 177

■Sanction contractuelle 182

■Signature

avenant (d'un) 230

contrat (de) 41, 47, 230, 250, 263

convention internationale (d'une) 237

décompte général (du) 77

■Solidarité active 449

■Solidarité parfaite 326, 407 s., 450

■Sous-traitance 96, 455

■Sous-traitant 94 s., 170, 299, 351, 353, 361, 368, 372, 382 s., 388 s., 455

■Spécialité du préjudice
V. Préjudice spécial

■Stipulation pour autrui 84 s.

■Sujétions imprévues 157

■Tacite reconduction

clause illicite 42

■Taux légal 170, 172, 438, 441

■Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) 435 s.

■Titre exécutoire 469

■Transmission au contrôle de légalité 41

■Travaux publics 7, 28, 107, 133, 291, 387

■Travaux de réfection 433 s.

■Travaux supplémentaires 59, 74, 161 s., 316, 336

■Troubles de jouissance 298, 433

■Urbanisme (Réglementation d’) 226

■Usager d’un service public industriel et commercial 107

■Usagers d’un ouvrage public 91

■Vent 357

■Vétusté 434
■Vice caché 63
V. Garantie des vices cachés

■Vice de conception 384

■Vice du consentement 42, 47


Actualisation

Code de la commande publique. Une ordonnance du 26 novembre 2018


o o
(n  2018-1074) et un décret du 3 décembre 2018 (n  2018-1075) adoptent
respectivement la partie législative et celle réglementaire du nouveau code de la
commande publique. Ce dernier a pour objectif de simplifier et moderniser le
droit de la commande publique en regroupant et en organisant les règles
relatives aux différents contrats de la commande publique qui s'analysent, au
sens du droit de l'Union européenne, comme des marchés publics et des contrats
o
de concession. Il abroge par suite notamment les ordonnances n  2015-899 du
o
23 juillet 2015 relative aux marchés publics et n  2016-65 du 29 janvier 2016
relative aux contrats de concession. Ce nouveau code entre en vigueur le
er
1  avril 2019, tant pour sa partie législative que pour sa partie réglementaire.

Crise Covid-19. Afin de faire face aux conséquences économiques, financières


et sociales de la propagation de l'épidémie de Covid-19 et aux conséquences des
mesures prises pour limiter cette propagation et notamment pour soutenir les
entreprises qui rencontrent des difficultés dans l'exécution des contrats publics,
o
la loi n  2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de
Covid-19 a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure
adaptant « les règles de passation, de délais de paiement, d'exécution et de
résiliation, notamment celles relatives aux pénalités contractuelles, prévues par
le code de la commande publique ainsi que les stipulations des contrats publics
ayant un tel objet ». toutefois, ces mesures ne peuvent être mises en œuvre que
dans la mesure où elles sont nécessaires pour faire face aux conséquences de la
propagation de l'épidémie de Covid-19 et des mesures prises pour limiter cette
o
propagation. En effet, l'ordonnance (n  2020-319 du 25 mars 2020) ne pose pas
de présomption de force majeure, laquelle ne peut être qualifiée qu'au cas par
cas. Il appartient aux autorités contractantes et aux opérateurs économiques de
démontrer que les difficultés qu'ils rencontrent du fait de l'épidémie ne
permettent pas de poursuivre les procédures ou l'exécution des contrats (pour
o
aller plus loin, v. Lettre de la DAJ, n  292, 26 mars 2020,
https://kiosque.bercy.gouv.fr/alyas/archives/035/035_292.pdf).

27. Recours Tarn-et-Garonne. Moyens du concurrent évincé. - Une erreur


commise par l'acheteur public sur le prix de la prestation prévue par un marché
ne constitue pas, par elle-même, un vice du consentement entraînant l'annulation
o
du contrat (CE 9 nov. 2018, Sté Cerba, req. n  420654  , Lebon ; AJDA 2018.
2215, obs. M.-C. de Montecler  ).

Notion de vice d'une particulière gravité entraînant l'annulation du


contrat. Des vices révélant une volonté de la personne publique de favoriser un
candidat conduisent le juge à annuler un contrat de concession. Le fait que celui-
ci soit arrivé à son terme ne prive pas d'objet la mesure d'annulation (CE 15 mars
o
2019, Sté anonyme gardéenne d'économie mixte, req. n  413584  , AJDA 2019.
606, obs. Maupin  ).

Recours gracieux du préfet. Interruption du délai du recours Tarn-et-


Garonne. Un recours gracieux du préfet auprès de l'exécutif d'une collectivité
territoriale mettant en cause la validité d'un contrat interrompt le délai de deux
mois dont le représentant de l'État dispose pour saisir le juge aux termes de la
jurisprudence Tarn-et-Garonne du 4 avr. 2014 (CE 28 juin 2019, Sté Plastic
o
omnium systèmes urbains, req. n  420776  , Lebon ; AJDA 2019. 1371  ).

Publicité de la conclusion d'un contrat. La publication d'un avis mentionnant


la conclusion d'un contrat et les modalités de sa consultation fait courir le délai de
recours de deux mois ouverts aux tiers par la jurisprudence Tarn-et-Garonne pour
contester la validité du contrat, même si cet avis ne mentionne pas la date de
conclusion du contrat (CE 3 juin 2020, Centre hospitalier d'Avignon, Société
o
hospitalière d'assurances mutuelles, req. n  428845, AJDA 2020. 1146, obs. de
Montecler  ).

Application dans le temps de la jurisprudence Tarn-et-Garonne. Le Conseil


d'État précise les conditions d'application de la jurisprudence Tarn-et-Garonne à
un avenant. Si cette jurisprudence ne trouve à s'appliquer qu'à l'encontre des
contrats signés à compter du 4 avril 2014, la haute juridiction précise toutefois
que « dans le cas où est contestée la validité d'un avenant à un contrat, la
détermination du régime de la contestation est fonction de la date de signature
de l'avenant, un avenant signé après le 4 avril 2014 devant être contesté dans les
conditions prévues par [cette] décision […] quand bien même il modifie un
contrat signé antérieurement à cette date » (CE 20 nov. 2020, Assoc. Trans'Cub,
o
req. n  428156, Lebon ; AJDA 2020. 2291  ).

33. Évaluation des préjudices d'un candidat évincé à l'issue d'une


procédure irrégulière. - Dans le cadre d'un litige portant sur l'éviction d'un
candidat d'un contrat public à l'issue d'une procédure irrégulière, le juge
détermine quels préjudices pouvaient être effectivement indemnisés au regard
o
des pièces du dossier (CE 28 févr. 2020, Sté Régal des Iles, req. n  426162,
Lebon ; AJDA 2020. 487, obs. Benoit  ).

Offre régularisable et perte de chance sérieuse d'obtenir le marché.


Lorsque l'offre d'un candidat évincé était irrégulière et alors même que l'offre de
l'attributaire l'était aussi, la circonstance que le pouvoir adjudicateur aurait été
susceptible de faire usage, dans les conditions désormais prévues par l'article
R. 2152-2 du code de la commande publique, de la faculté de l'autoriser à
régulariser son offre n'est pas de nature, par elle-même, à ce qu'il soit regardé
comme n'ayant pas été dépourvu de toute chance de remporter le contrat (CE
o
18 déc. 2020, Sté Architecture Studio, req. n  429768, AJDA 2020. 2527, obs.
Maupin  ).

34. Évaluation du manque à gagner. Prise en compte de la seule période


d'exécution initiale du marché. - Lorsqu'il est saisi par une entreprise qui a
droit à l'indemnisation de son manque à gagner du fait de son éviction irrégulière
à l'attribution d'un marché, il appartient au juge d'apprécier dans quelle mesure
ce préjudice présente un caractère certain. Dans le cas où le marché est
susceptible de faire l'objet d'une ou de plusieurs reconductions si le pouvoir
adjudicateur ne s'y oppose pas, le manque à gagner ne revêt un caractère certain
qu'en tant qu'il porte sur la période d'exécution initiale du contrat, et non sur les
périodes ultérieures qui ne peuvent résulter que d'éventuelles reconductions (CE
2 déc. 2019, Groupement de coopération sanitaire du Nord-Ouest Touraine, req.
o
n  423936, AJDA 2019. 2467, obs. Maupin  ).

39. Recours Béziers I. Durée d'exercice du recours. - L'action en


contestation de la validité du contrat ouverte aux parties par la jurisprudence
o
Béziers I (CE, ass., 28 déc. 2009, Cne de Béziers, req. n  304802  , Lebon 509,
concl. ; AJDA 2010. 142, chron. S.-J. Liéber et D. Botteghi  ) peut être exercée
er
pendant toute la durée de ce contrat (CE 1  juill. 2019, Assoc. pour le musée des
o
îles Saint-Pierre-et-Miquelon, req. n  412243  , AJDA 2019. 1369, obs. de
Montecler  ).
41. Responsabilité quasi-délictuelle. Entente. Indemnisation. -
Reconnaissant implicitement la compétence du juge administratif, y compris dans
le cas où la collectivité victime de l'entente a mis en cause non seulement son
contractant mais aussi d'autres sociétés ayant participé à la manœuvre
anticoncurrentielle, la Haute juridiction administrative juge, en application de la
o
jurisprudence Département de l'Eure (CE 24 févr. 2016, req. n  395194  , Lebon
144 avec les concl. ; AJDA 2016. 407  ), l'action recevable en dépit de la faculté
de la personne publique d'émettre un titre exécutoire. Pour évaluer l'ampleur du
préjudice subi par une personne publique au titre du surcoût lié à des pratiques
anticoncurrentielles, il convient de se fonder sur la comparaison entre les
marchés passés pendant l'entente et une estimation des prix qui auraient dû être
pratiqués sans cette entente, en prenant notamment en compte la chute des prix
postérieure à son démantèlement ainsi que les facteurs exogènes susceptibles
d'avoir eu une incidence sur celle-ci (CE 27 mars 2020, Sté Signalisation France,
o
req. n  420491, AJDA 2020. 705   ; D. 2020. 764, obs. M.-C. de Montecler  )

Quelques mois après avoir confirmé le droit des départements à être indemnisés
dans l'affaire dite du « cartel des panneaux routiers » (CE 27 mars 2020, Sté
Signalisation France, RDI 2020. 382, obs. I. Hasquenoph  ), le Conseil d'État
précise les actions ouvertes aux départements victimes du dol imputable au
o
cocontractant (CE 10 juill. 2020, req. n  420045, AJDA 2020. 1446, obs. Pastor 
)

42. Irrégularité d'une clause par son contenu illicite. - La Cour de cassation


évoque la jurisprudence établie Béziers I du Conseil d'État pour écarter
l'application d'une clause de révision des tarifs des droits de place illégale d'un
re
contrat tenant au caractère illicite du contenu de ces stipulations (Civ. 1 , 22 mai
o
2019, n  18-15.536, AJDA 2019. 1135, obs. Maupin  ).

Contrat irrégulier. Possibilité d'une résiliation unilatérale. Le Conseil d'État


précise les conditions dans lesquelles une personne publique peut résilier
unilatéralement un contrat irrégulier et les conditions d'indemnisation de son
cocontractant (CE 10 juill. 2020, Sté Comptoir négoce équipements, req.
o
n  430864, AJDA 2020. 1445, obs. Zaoui  )

74. Conséquences de la notification du décompte général. - Si le maître


d'ouvrage notifie le décompte général du marché, le caractère définitif de ce
décompte fait obstacle à ce qu'il puisse obtenir l'indemnisation de son préjudice
éventuel sur le fondement de la responsabilité contractuelle du constructeur, y
compris lorsque ce préjudice résulte de désordres apparus postérieurement à
l'établissement du décompte. Il appartient alors au maître de l'ouvrage, lorsqu'il
lui apparaît que la responsabilité de l'un des participants à l'opération de
construction est susceptible d'être engagée à raison de fautes commises dans
l'exécution du contrat conclu avec celui-ci, soit de surseoir à l'établissement du
décompte jusqu'à ce que sa créance puisse y être intégrée, soit d'assortir le
décompte de réserves (CE 19 nov. 2018, Institut national de recherche en
sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture [INRSTEA], req.
o
n  408203  , AJDA 2018. 2274, obs. Maupin  ).

77. Action en responsabilité contractuelle contre le maître d'œuvre après


la réception des travaux. Absence. - Le Conseil d'État précise les
conséquences de la réception des travaux sur les rapports contractuels entre le
maître d'ouvrage et le maître d'œuvre. Indépendamment de la décision du maître
d'ouvrage de réceptionner les prestations de maîtrise d'œuvre prévue par les
stipulations de l'article 32 du cahier des clauses administratives générales (CCAG)
applicables aux marchés de prestations intellectuelles, la réception de l'ouvrage
met fin aux rapports contractuels entre le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre
en ce qui concerne les prestations indissociables de la réalisation de l'ouvrage, au
nombre desquelles figurent, notamment, les missions de conception de cet
o
ouvrage (CE 2 déc. 2019, Sté Guervilly), req. n  423544, AJDA 2019. 2462, obs.
Maupin  ).

78. Architecte. Obligation d'information d'une nouvelle réglementation


applicable. - La responsabilité des maîtres d'œuvre pour manquement à leur
devoir de conseil peut être engagée, dès lors qu'ils se sont abstenus d'appeler
l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont ils
pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à
même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves. Ce
devoir de conseil implique que le maître d'œuvre signale au maître d'ouvrage
l'entrée en vigueur, au cours de l'exécution des travaux, de toute nouvelle
réglementation applicable à l'ouvrage, afin que celui-ci puisse éventuellement ne
pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à la mise en
o
conformité de l'ouvrage (CE 10 déc. 2020, req. n  432783, AJDA 2020. 2469,
obs. Maupin  ).

107. Compétence administrative : dommage causé par un ouvrage public.


- Après avoir relevé que SNCF réseau avait la « qualité d'établissement public
national à caractère industriel et commercial » et la voie ferrée et ses
dépendances le caractère d'ouvrages publics, la juridiction judiciaire a seule
compétence pour connaître des dommages causés à l'usager d'un service public
industriel et commercial à l'occasion de la fourniture de la prestation due par le
re o
service à son égard (Civ. 1 , 14 nov. 2019, n  18-21.664, AJDA 2020. 711   ;
D. 2019. 2250  )

210. Défaut de surveillance du maître d'œuvre. Faute simple. - La


responsabilité du maître d'œuvre au titre du défaut de surveillance est engagée
sur le terrain de la faute simple (CE 19 nov. 2018, Sté Travaux du Midi Var, req.
o
n  413017  , AJDA 2018. 2275  ).
222. Écotaxe. Résiliation unilatérale. Absence de motif d'intérêt général.
- La résiliation du contrat de partenariat liant l'État à la société Écomouv'dans le
cadre de la mise en œuvre de l'écotaxe n'était justifiée par aucun motif d'intérêt
général. Si, en vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs,
la personne publique contractante peut toujours, pour un motif d'intérêt général,
résilier unilatéralement un contrat, le défaut d'un tel motif est de nature à faire
naître une faute pouvant engager sa responsabilité. Pour estimer que la résiliation
n'était pas justifiée par un motif d'intérêt général, le tribunal relève que « si un
vice entachant la régularité juridique du contrat de partenariat pouvait fonder
légalement la décision de le résilier, l'État ne précise ni […] les règles ou principes
de valeur constitutionnelle qui auraient été méconnus ni la nature et l'origine des
o
critiques qu'il formule » (TA Cergy-Pontoise, 18 juill. 2018, req. n  1507487,
AJDA 2018. 1523, obs. Maupin  ).

253-1. Conditions de versement d'une indemnité d'imprévision. - Une


société n'est pas fondée à solliciter le versement d'une indemnité d'imprévision
lorsque les circonstances imprévisibles ne sont pas principalement à l'origine du
o
déficit d'exploitation (CE 21 oct. 2019, Sté Alliance, req. n  419155, Lebon ; AJDA
2019. 2087, obs. Maupin  ).

299. Marché à bons de commande. Indemnisation en cas de résiliation


irrégulière. Détermination du montant. - Si le titulaire d'un marché résilié
irrégulièrement peut prétendre à être indemnisé de la perte du bénéfice netdont il
a été privé, il lui appartient d'établir la réalité de ce préjudice. Dans le cas d'un
marché à bons de commande dont les documents contractuels prévoient un
minimum en valeur ou en quantité, le manque à gagner ne revêt un caractère
certain qu'en ce qu'il porte sur ce minimum garanti (CE 10 oct. 2018, Sté du
o
docteur Jacques Franc, req. n  410501  , AJDA 2018. 1989, obs. Maupin  ).

391. Action en paiement direct d'un sous-traitant contre le mandataire


du maître d'ouvrage. - Le Conseil d'État précise à quelles conditions le juge
saisi d'une action en paiement direct d'un sous-traitant accepté peut mettre à la
charge du mandataire du maître d'ouvrage le paiement des sommes dues. Il peut
le faire « si et dans la mesure où il résulte de l'instruction devant lui que ce
versement est au nombre des missions qui incombent au mandataire en vertu du
contrat qu'il a conclu avec le maître d'ouvrage ». De plus, « il en va de même
lorsque le sous-traitant demande, en application des dispositions précitées de
l'article R. 541-1 du code de justice administrative, une provision » (CE 18 sept.
o
2019, Sté communale de Saint-Martin dite Semsamar, req. n  425716, Lebon ;
AJDA 2019. 1838, obs. Maupin  ).

467. Prescription de l'action en réparation des pratiques


anticoncurrentielles. - Jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, les
actions fondées sur la responsabilité quasi délictuelle des auteurs de pratiques
anticoncurrentielles se prescrivaient par dix ans à compter de la manifestation du
dommage. Après l'entrée en vigueur de cette loi, la prescription de ces
conclusions est régie par les dispositions de l'article 2224 du code civil.
S'appliquent, depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 9 mars 2017, les
dispositions de l'article L. 482-1 du code de commerce. Le délai de dix ans
applicable avant 2008 est donc passé à cinq ans, aux termes des deux derniers
o
textes cités (CE 22 nov. 2019, SNCF Mobilités, req. n  418645, Lebon ; AJDA
2019. 2410, obs. de Montecler  ).

Responsabilité civile extra-contractuelle. Point de départ du délai de


prescription. Le point de départ du délai de prescription en matière de
responsabilité civile extra-contractuelle est la date à laquelle la victime a une
connaissance suffisamment certaine de l'étendue du dommage, quand bien
même, vient de préciser le Conseil d'État, le responsable de celui-ci ne serait à
cette date pas encore déterminé (CE 20 nov. 2020, Sté Suez Eau France, req.
o
n  427250, Lebon ; AJDA 2020. 2294  ).

469. Titre exécutoire et action en responsabilité extra-contractuelle.


Cumul. - Pour recouvrer une créance née d'un contrat, une personne publique
peut soit émettre un titre exécutoire, soit saisir le juge administratif, sans pouvoir
cumuler les deux actions. Mais, même si elle a émis un titre exécutoire, elle peut
aussi saisir le juge d'une demande en responsabilité extra-contractuelle (CE
o
10 juill. 2020, Cne de La Remaudière, req. n  429522, AJDA 2020. 1449, obs.
Pastor  ).

Provision accordée par le juge des référés. Titre exécutoire. La provision


accordée par le juge des référés constitue un titre exécutoire mais un titre émis
aux mêmes fins par l'ordonnateur de la collectivité n'a, lui, aucune portée
o
juridique (CE 22 juill. 2020, Sté Immobilière Massimi, req. n  426210, Lebon ;
AJDA 2020. 1513, obs. Pastor  )

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