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12
Michel Balivet
%
gorgia* press
2011
Gorgias Press IXC, 954 River Road, Piscataway, NJ, 08854, USA
www.gorgiaspress.com
Copyright© 2011 by Gorgias Press IXC
Originally published in 1995
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mechanical, photocopying, recording, scanning or otherwise without the
prior written permission of Gorgias Press LLC.
2011 ^ 4k
%
ISBN 978-1-61143-807-9
Reprinted from the 1995 Istanbul edition.
SYSTÈME DE TRANSCRIPTION VI
AVANT-PROPOS 1
CHAPITRE PREMIER
AUX ORIGINES ANATOLIENNES DU MOUVEMENT DE
BEDREDDÎN : SOUFISME ET UNIVERSALISME DANS LE
SULTANAT SELDJOUKIDE D'ASIE-MINEURE AU XIII e SIÈCLE 5
CHAPITRE D E U X I È M E
VIE ET MORT DU CHEIKH BEDREDDÎN DE SAMAVNA
(760 H./1358-59-819 H./1416) ; SOUFISME ET UNIVERSALISME
DANS LE SULTANAT OTTOMAN MÉDIÉVAL 35
CHAPITRE TROISIÈME
LA POSTÉRITÉ SPIRITUELLE ET LA DIFFUSION DES IDÉES DU
("HF.1KH BF.DRFDDÎN EN MONDF OTTOMAN
CONCLUSION
BEDREDDIN ET SON RÔLE : UN BILAN TRÈS PROVISOIRE POUR
UNE INFLUENCE MAJEURE 113
GLOSSAIRE 115
CHRONOLOGIE 121
BIBLIOGRAPHIE 125
INDEX 145
LISTE DES CARTES ET DOCUMENTS PHOTOGRAPHIQUES ET
ICONOGRAPHIQUES 152
VI
SYSTÈME DE TRANSCRIPTION
Pour les ouvrages grecs modernes, noms de lieux etc..., nous simplifions
au maximum les transcriptions, selon l'usage et la prononciation modernes, ne
tenant pas systématiquement compte des "esprits rudes", ni de la prononciation
"érasmienne" du êta (usage érasmien n=è ; grec moderne n=i), ni de la graphie
archaïsante de certains noms géographiques (Véria et non "Berrhoia").
Avant-Propos
Albanie, début du XVIIIe siècle : "Les Albanais qui vivent entre chrétiens et
musulmans, et qui ne sont pas versés en controverse, se déclarent absolument
incapables de juger quelle est la meilleure religion ; mais pour être certains de
ne pas rejeter entièrement la vérité, avec une très grande prudence, ils
observent les deux et vont à la mosquée le vendredi et à l'église le dimanche ;
ils disent pour leur défense qu'au jour du Jugement dernier, ils sont assuré» de
trouver protection auprès du vrai prophète, mais qu'ils ne sont pas capables de
déterminer en ce monde ce qu'il en est." (Lady Montagu)
Non seulement les Turcs ottomans furent dans leur première expansion
une puissance territoriale essentiellement européenne—rouméliote pour reprendre
le langage administratif ottoman qui distingua toujours soigneusement la partie
européenne de l'État des sultans turcs de sa partie micrasiatique, l'Anatolie—,
mais ils puisèrent une partie de leurs soldats et de leurs fonctionnaires dans les
populations balkaniques, selon le procédé du devchirme ou levée périodique
d'enfants chrétiens, destinés à devenir troupes d'élite (les fameux Janissaires) et
grands commis de l'État pour les plus talentueux d'entre eux.
Cet État musulman d'Europe qui, ayant son siège à Constantinople, prise
en 1453, se considérait sous certains rapports comme le successeur légitime de
l'empire des "Césars" romano-byzantins, n'utilisa pas toujours, comme on le
croit généralement, la force brutale pour étendre l'islam. La transplantation de
populations anatoliennes en Roumélie ou le recrutement de jeunes villageois
balkaniques sont, certes, les procédés les plus connus et les plus décriés que
pratiquèrent les sultans, mais ces méthodes sont loin d'expliquer le succès de
longue durée de l'islam sur de larges régions balkaniques, Thrace, Bulgarie
danubienne, Macédoine, Kossovo, Albanie, Bosnie.
Plus que par la contrainte, c'est par la persuasion, par des raccourcis
doctrinaux audacieux et par un syncrétisme cultuel actif que les derviches agirent
sur des populations balkaniques, souvent prêtes à composer avec des nouveaux-
venus qui se disaient capables de leur assurer une paix civile et une entente
confessionnelle durables, choses qui faisaient souvent cruellement défaut dans les
Balkans antérieurement à l'arrivée des Turcs.
L'islam turc tel qu'il apparaît au XIe siècle aux frontières orientales de,
Byzance, apporté par les premiers conquérants seldjoukides ou dani§mendides de
l'Anatolie, s'est principalement développé en pays chrétien monophysite
(arméno-jacobite) puis byzantino-orthodoxe, en Asie-Mineure dans un premier
temps (fin XI e -milieu XIV e siècle), dans les Balkans gréco-slaves ensuite (fin
XI V e - X X e siècle). C'est donc un islam qui fit avec le christianisme,
principalement sous ses formes byzantine et arménienne, une expérience de
cohabitation de très longue durée (plus de huit siècles). Au moment même où
s'étiolait lentement avant de disparaître brutalement sous le coup des Rois
Catholiques ce qu'on pourrait appeler "l'islam occidental" espagnol d'al-Andalûs,
un autre islam occidental, balkanique celui-là, apparaissait et se fortifiait
rapidement d'une façon si durable qu'il est encore de nos jours la religion de la
majorité des Albanais, d'un peu moins de la moitié des Bosniaques et
d'importantes minorités en Bulgarie, en Grèce, en Macédoine, en Serbie et au
Monténégro.
L'islam turc des Seldjoukides (XI e -XlII e siècle) et des Ottomans (XIV e -
début XX e ) fut donc, de par son champ d'expansion géographique et humain, en
continuelle confrontation avec les chrétiens et le christianisme. Cette imbrication
spatiale marqua fortement l'expérience de ceux qui imprimèrent à l'islam
anatolien et balkanique une coloration si particulière faite de relative souplesse
doctrinale et de syncrétisme culturel. Cela était dû au milieu cosmopolite de
4 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
Il sera donc souvent question ici des relations entretenues par les soufis
turcs avec les chrétiens. Ces contacts furent en effet essentiels pour eux car
l'Anatolie des XII e -XIII e siècles comme les Balkans ottomans restaient
majoritairement chrétiens et c'est par rapport à cette majorité que les mystiques
turcs durent se situer. Ce n'est ainsi pas un hasard si le Persan du Khorassan,
Mevlânâ Djelâleddîn (né dans l'Afghanistan actuel) est connu sur le nom de
"Rûmî" (le "Romain", c'est-à-dire, "l'homme du pays byzantin"), ni si Bedreddîn
est appelé par ses disciples et amis le "Mansûr Hallâj du Pays de Rûm" (par
référence au grand martyr de Bagdad du X e siècle), car l'un comme l'autre
considéraient qu'ils avaient une mission spécifique envers les populations du
"Pays des Byzantins" (la "Romanie" des croisés, le Diyâr-i Rûm des conquérants
musulmans médiévaux, la Roumélie/Rûm-Eli des Ottomans, toutes traductions
du terme gréco-byzantin de Funavià).
Par moment allant à la mosquée, mon cœur s'y prosterne et fait des prières ; par
moment allant à l'église, il s'y fait prêtre, lisant la Bible (Yunus Emre. XIIIe
siècle)
disciples et son inspiratrice en poésie, sa "Béatrice", est dite par le cheikh "fille
de Rûm".
1 - IBN ARABÎ EN R Û M O l ! L U N I V E R S A L 1 S M E EN A R A B E
' S u r la tradition syncrétiste des Turcs, Mélikoff «Recherche sur les composantes du syncrétisme
Bektachi-Alévi», S.T.M.A.B.C. "Toutes les religions sont comme les cinq doigts de la même
main", Mongka à Guillaume de Rubrouck cit. par Grousset-Steppes, 342. "Les Tartares n'ont
souci de savoir que Dieu est adoré dans leur territoire. Si seulement tous sont fidèles au seigneur
Khan et paient le tribut fixé, (...) de votre âme vous pouvez faire ce qu'il vous plaît", Marco Polo,
éd. Moule et Pelliot, I, 70. Entre Jésus et Mohammed, un émir de Ramazan au XV e siècle ne veut
pas choisir, Brocquière, 90 ; et les Tartares reprochent au Christ d'être "un seigneur orgueilleux
parce qu'il ne veut point aller avec les autres dieux", Marco Polo, loc. cit.
SOUFISME ET UNIVERSALISME 7
1198, puis à Konya en 1221, dans un pays turc qui, par Attar et Ahmed Yesevî,
contemporains de Ibn Arabî, devait accorder une place d e choix dans sa tradition
mystique au martyr de Bagdad 2 . Le caractère nettement isawî de l'expérience
intérieure d'Ibn Arabî, son esprit ouvert qui n'hésite pas à entrer en contact direct
avec des systèmes d e pensée et des lettrés non-musulmans, sont autant d'affinités
avec un pays de R û m peuplé au XIII e siècle de quatre-cinquièmes de non-
musulmans, et où se côtoient, dans une large tolérance des Turcs de diverses
confessions, musulmane, bouddhiste, chamaniste 3 .
^Sur les maîtres andalous d'Ibn Arabî, Les Soufis d'Andalousie, éd. R.W. Austin. Abu Madyan et
Ibn Arabî, Addas, Ibn Arabî, 115-116, 128-129, 142-144. Hallâj et Ibn Arabî, Massignon-
Passion, I, 83 ; II, 13, 414 sqq.
3
Ibn Arabî, isawî, Chodkiewicz-Sceau, 98-100. Ibn Arabî et Platon, Addas, 134-135 ; ses
contacts avec des lettrés juifs, ibid., 138-139 ; sa prétendue traduction d'un traité de yoga ibid.,
139. Peu de musulmans en Rûm au XIIIe siècle, Rubrouck, 240, 244. Chamanisme et bouddhisme
en Anatolie, Koprülü, Influence du chamanisme turco-mongol sur les ordres mystiques
musulmans, Istanbul, 1929, et Mélikoff, S.T.M.A.B.C., 389-390 : sur le terme tat désignant un
ouighour bouddhiste.
4
Addas, 250, 110-111.
5
Ibid., 267-268.
6
Ibid„ 269-270.
8 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
L'Anatolie fut donc une étape majeure d'Ibn Arabî, et l'école de pensée
qu'il y implanta, se développa par la suite, avec succès, dans les milieux
ottomans, où elle fut représentée dans les plus anciennes medrese d'Izmk, de
Bursa ou d'Edirne, par des gens comme Dâvûd de Kayseri, Mollâ Fenârî,
Bedreddîn de Samavna, et plus tard, Bosnevî, Misrî etc. .. L'un des tout premiers
actes officiels de Selîm Ier lors de la prise de Damas, fut de faire rechercher et
restaurer le tiirbe d'Ibn Arabî. La croyance courait à l'époque ottomane qu'Ibn
Arabî avait prédit l'avènement de la dynastie d'Osmân (ainsi d'ailleurs que sa
chute) et la prise de Constantinople. De telles prédictions attribuées au cheikh al-
akbar étaient si ancrées dans la sensibilité populaire turque, que, aussi tard qu'au
XIX e siècle, Abdiil-Hamîd II fit brûler le texte contenant les prédictions d'Ibn
Arabî supposées défaitistes. La position éminente occupée par Ibn Arabî à la cour
de Konya, où il se considérait comme le "père de Kaykâûs", et l'influence exercée
par le grand soufi sur ses contemporains et les générations futures d'Asie-
Mineure, laissent penser que ses prises de position eurent, en beaucoup de
domaines, politique comme religieux, une certaine valeur normative pour la suite
de l'histoire de la région".
7
271-274.
8
275-276. Cf. aussi, Fîhî mâ jihi de Rûmî, éd. Meyerovitch, 164-165.
®'Tandis qu'en Perse, c'était l'école illuminative (ishrâq) de Suhrawaidî Maqtûl qui prédominait, en
Turquie ce fut l'école moniste d'Ibn Arabî", Massignon-Pasjion, II, 272. Sur les nombreux
commentateurs turcs d'Ibn Arabî, O. Yahia, Histoire et classification de l'œuvre d'Ibn Arabî,
passim. Sur Bosnevî (Busnawî), idem, 463. Sur Misiî, Dtvâni Çerhî, éd. M. Bilginer, 256, et El..
SOUFISME ET UNI V E R S A L I S M E 9
Cela rend intéressante l'analyse des positions d'Ibn Arabî envers les
chrétiens, nombreux et probablement encore majoritaires dans le sultanat
seldjoukide du XIIIe siècle.
«Niyâzî» Sur Kayserî et Fenârî, El. "Fenârî-Zâde" Sur Bcdreddîn, infra. La restauration du liirbe
d'Ibn Arabî par Selîm Ier, Sadeddîn, TacU't-Tevarih, IV, 341-342. Le traité divinatoire d'Ibn Arabî
sur l'empire ottoman s'intitule al-Shajara al-nu'mâniyya ft al-dawla al-'Othmâniyya, O. Yahia.
4.56, et Millt Kuttiphane Yazmalar Katalogu, I, 90. Ibn Arabî et la prise de Constantinople,
Massignon, O.U., I, 137. Abdiil-Haimd II et Ibn Arabî, Asin Palacios, L'Islam christianisé. 89,
m. 30. Ibn Arabî, "Père" (wâtid) de Kaykâûs, Addas, 277.
10
Lettre d lbn Arabî à Kaykâûs en 1212/609 : "Parmi les atteintes portées à l'islam et aux
musulmans, d'autant que ces derniers sont peu nombreux [en Rflm], il y a la sonnerie des cloches,
les démonstrations d'incroyance, la prédominance d'un enseignement polythéiste dans ton pays
en le relâchement des contraintes imposées aux peuples protégés (dhimmî)", Soufis d'Andalousie,
38. Cf. Zengî et les conditions qu'il impose à Kiliç Arslan II pour le rétablissement de la paix
entre eux (568/1172-73) : "Vous renouvellerez votre profession de foi entre les mains de mon
envoyé, car mon idée est que vous n'êtes pas un vrai croyant (...) car vous qui possédez une
portion si considérable des pays où l'on professe l'islam, vous vivez en paix avec vos voisins les
Grecs", Ibn al-Athîr, R.H.C., Hist. or., II, 291. Cf. aussi Kinnamos : "Le calife était irrité contre
Kiliç Arslan parce qu'il était lié d'amitié depuis si longtemps avec les Byzantins", 186. Sur la
remise de Jérusalem à Frédéric II, Addas, 323. Discussion d'Ibn Arabî avec des chrétiens, Ibn
Arabî-Aioîrre de la Puissance : "Un jour, l'un des adversaires d'Ibn Arabî tomba malade. Le shaykh
alla lui rendre visite. II frappa à la porte et pria l'épouse du malade d'annoncer qu'il désirait
présenter ses respects. La femme alla porter le message et s'en revint pour dire au shaykh que son
mari ne souhaitait pas le voir. Le shaykh n'avait rien à faire dans cette maison, l'informa-t-elle.
Le lieu qui lui convenait était l'église. Le Shaykh remercia la femme et déclara que puisqu'un
10 ISLAM M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
homme bon comme son époux ne l'enverrait certainement pas dans un mauvais lieu, il se
conformerait à cette suggestion. Aussi, après avoir prié pour la santé et le bien-être du malade, le
shaykh s'en ful-il pour l'église. Lorsqu'il arriva, il ôta ses chaussures, entra, avec une humble
courtoisie et se dirigea lentement et sans bruit vers un coin où il s'assit. Le prêtre était en train de
faire un sermon qu'Ibn Arabî écouta avec la plus extrême attention. À la fin, le shaykh se leva et
émit courtoisement une objection". Une discussion s'ensuit au cours de laquelle,
miraculeusement, l'icône du Christ suspendue dans l'église se met à parler pour confirmer les dires
du soufi, 20-23.
" L e s attaques contre Ibn Arabî, Chodkiewicz-5ceaii, 32. Les saints qui invoquent Jésus ou Moïse
en mourant, ibid., 103. Ibn Arabî et la Trinité, Asin Palacios, 204 ; Ibn Arabî et l'iconodoulie,
Chodkiewicz, 97.
SOUFISME ET UN1VERSALISME 11
iy
Le passage des Futûhât est cilé par Asin Palacios, 204 ; celui du Tarjumân, par ibid., 203 ; cf.
aussi l'éd. du Tarjumân par Nicholson, 67.
""Le chrétien Al-Jarrâh dit : Un certain nombre des compagnons du sheikh Sadr-ud-Dîn ont bu
avec moi et m'ont dit : Jésus est Dieu, ainsi que vous l'affirmez. Nous admettons que c'est la
vérité ; mais nous le dissimulons et le nions afín de préserver la communauté", Rûmî, Fîhi-mâ-
fîhi, 164. "Ce sont là paroles d'ivrognes enivrés du vin de Satan", rétorque Rfimî, loc. cit., ; sur
d'autres penseurs musulmans qui reconnaissent la divinité du Christ (Ahmad b. Hâ'it, mort vers
1440, et Fadl al-Hadathî), Grunebaum, Variorum, VII, 41-42. Sur les tendances spéculative et
poétique du soufisme représentées respectivement par Ibn Arabî et Rûmî, W. Chittick, «The Last
Will and Testament of Ibn AraWs Foremost Disciple and Some Notes of its Author», Sophia
Perennis, IV, 1 (1978), 44.
12 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
' ^Aflâkî-Dervi'cAe.f tourneurs, I, 190. Sur l'énorme bibliographie concernant Rûmî. les deux
volumes de M. ûnder, Mevlânâ Bibliyografyasi.
'-'Rencontre entre Rûmî et Ibn Arabî, selon le Risâla-i Sipahsalâr, trad. turque Milhat Baharî ;
Ûlken, La pensée de l'islam, 305. Premier rêve hallâjien d'Ibn Arabî à Cordoue vers 594/1198 ;
deuxième rêve hallâjien à Konya vers 618/1221 ; idem pour Rûmî à Konya vers 64S/1247,
Massignon-Pajjion, I, 83. Rflmî et Ibn Arabî ont subi l'influence de Tirmidhî, Fîhi-mâ-fihi (Livre
du Dedans), 13, et Addas, 105. La silsile de Rûmî remonte à Ahmed Ghazâlî, Gôlpinarh,
Mevlânâ'dan sonra Mevtevilik, 201. Les liens entre Ahmed Ghazâlî et Ibn Arabî passent par
Awhad al-Dîn Kirmânî, i qui Ibn Arabî confia l'éducation de Sadreddîn, Addas, 271-273. Sadreddîn
et Rfimi, Afliki, I, 76-77, 94, 127, 143, 172 etc...
16
AbÛ Saîd, éd. Manawwar, 36-38, 64-66, 247-248, 93-94, 238, 241, 288.
SOUFISME ET U N I V E R S A L I S M E 13
17
Aflâkî, I, 108, 262, 263.
14 ISLAM M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N A R M É E
On voit dans cette anecdote que les non-musulmans semblaient admis comme
spectateurs au* cérémonies mystiques, ce qui montre, dès l'origine du
mouvement, l'absence de discrimination religieuse des mevlevî. De tels
spectacles ne pouvaient manquer, en bien des cas, d'influencer favorablement
l'assistance, musulmane ou non 18 .
C'est d'ailleurs dans un esprit prosélyte que Mevlânâ, aux dires d'Eflâkî,
institua la danse mystique (semâ) :
.. .une foule considérable qui criait après un individu, et dans cette foule il
y avait quelques jeunes gens qui couraient en poussant des exclamations :
on châtie quelqu'un pour le compte de Dieu, que notre Maître intercède
pour lui, car c'est un tout jeune Grec. Qu'a-t-il fait ? dit le Maître On lui
répondit : il a tué quelqu'un. On lui applique la peine du talion. Il s'avança
aussitôt ; les bourreaux et les hommes de police le saluèrent et se tinrent à
distance. II revêtit alors le coupable de son manteau béni. Le préfet de
police fit un rapport au sultan qui répondit : Notre Maître est le juge ; car,
s'il intervenait pour toute une ville, cela lui serait possible ; tout lui est
dévoué, si Grec que soit le meurtrier. Cependant les compagnons le
conduisirent au collège pour qu'il prononçât l'acte de Foi et devînt
Musulman, en même temps, on pratiqua sur lui la circoncision ; on
commença un grand concert. Quel est ton nom ? demanda le Maître ;
Thiryanos, répondit le jeune homme. Dorénavant, dit Djelâl-ed-dîn, on
t'appellera 'Alâ-ed-din Thiryanos.
18
Ibid„ 247, 289.
19
Ibid„ 190.
SOUFISME E T U NI V E R S A LI S M E 15
20
Ibid.„ 244-247.
16 ISLAM M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
que tu tombes amoureux d'une peinture sans âme et sans idées ?" À la
suite de cela, Ayn al-Daula se convertit.
Nous avons ici une illustration de la fonction de directeur spirituel assumée par
Mevlânâ au profit des non-musulmans. Ceux-ci finissent par adopter
officiellement la religion de leur Maître, sans que cette conséquence soit une règle
absolue, comme semble l'indiquer le cas de Kalo-Yani qui, d'après son nom,
paraît être resté chrétien21.
Les savants compagnons ont raconté qu'un jour le Maître était assis dans
son collège béni. Tout-à-coup, il entra un groupe de moines chrétiens et
de rabbins juifs qui s'inclinèrent avec une sincérité parfaite, et
l'interrogèrent sur le secret des ordres et des interdictions institués par le
Coran pour la communauté mahométane, afin de comprendre le motif des
décisions rendues. Le Maître répondit (en arabe) : "Dieu a imposé comme
devoir à ses serviteurs la Foi comme purification du polythéisme, la prière
comme une délivrance de l'orgueil, la dîme aumônière comme un moyen
d'obtenir le pain quotidien, le jeûne pour éprouver la sincérité des
créatures, le pèlerinage comme un renforcement de la religion, la guerre
sainte comme une gloire de l'islamisme, l'ordre de faire le bien comme un
avantage pour le peuple, l'interdiction de faire le mal comme une
invitation pour les sots, l'observation des règles de parenté comme un
moyen d'accroître la population, la peine du talion comme un moyen
d'arrêter l'effusion du sang, les pénalités comme un moyen de respecter les
choses interdites, l'interdiction de boire du vin comme un moyen
d'augmenter la force de la raison, celle du vol comme un moyen pour
obliger à l'honnêteté, la désapprobation de l'adultère comme un moyen de
conserver les généalogies, celle du sodomisme comme celui de multiplier
la descendance, le renoncement aux plaisirs comme un honneur pour la
sincérité, la salutation comme un procédé pour échapper aux effrois, la
sécurité comme une règle pour la communauté, l'obéissance comme une
manière d'honorer la primauté." Lorsqu'il eut expliqué en détail, comme il
convenait, ces pensées, ses interlocuteurs coupèrent tous ensemble leurs
cordelières et crurent ; placés dans la filière des vrais croyants musulmans,
ils firent montre de bonne volonté et devinrent les disciples sincères du
Maître. On rapporte que depuis l'apparition du Maître jusqu'au jour de sa
21
lbid„ II, 2-3, 69-70.
SOUFISME E T U N I V E R S A LI S M E 17
22
Ibid., 9, 111-112.
Ibid., I, 65. Cf. une anecdote "symétrique" où ce sont deux derviches bektâfi qui sont
miraculeusement immobilisés sur leur siège par un thaumaturge grec de Cappadoce, M. Balivet,
«The Long-Lived Relations Between Christians and Moslems in Central Anatolia», B.Z. 16
(1990), 315.
18 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
utilisées par les ordres mystiques pour convertir les populations indigènes, et sur
les motivations de celles-ci qui, en changeant de religion, n'avaient pas
l'impression de modifier beaucoup leurs conditions de vie précédentes.
24
I b i d „ 184, 107.
SOUFISME ET U N I V E R S A L I S M E 19
Mevlâna est présenté comme étant en contact étroit avec un autre moine
des environs de Constantinople. Il lui recommande un de ses disciples qui doit
séjourner à Byzance pour affaires :
D'après les deux récits qui précèdent, Mevlânâ semble entretenir des
contacts spirituels étroits avec des moines assez influents pour recommander un
25
Ibid., 184.
26
Ibid., 105-106.
20 ISLAM M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N A R M É E
Il y avait dans le couvent de Platon un sage moine très érudit et très âgé.
Toutes les fois que les compagnons se rendaient en promenade dans ce
monastère, il les servait de toute manière et manifestait sa confiance ; il
aimait beaucoup le tchélébi Arif. Les compagnons l'interrogèrent un jour
sur le motif de cette confiance et sur l'opinion qu'il avait du Maître, ainsi
que sur la manière dont il l'avait connu. "Vous-autres, dit-il, que
connaissez-vous de lui ? Moi, j'ai vu chez lui des miracles innombrables
et des choses étonnantes sans limites ; je suis devenu son serviteur
sincère. J'ai lu, dans l'Evangile, les biographies des prophètes passés, j'ai
constaté la même chose dans sa personne bénie, et j'ai cru en sa vérité.
Une fois, le Maître s'était rendu dans ce couvent et avait fait une retraite de
près de quarante jours. Quand il en sortit, je le pris par le pan de sa robe et
lui dis : "Dieu le Très Haut a dit, dans le Coran glorieux : Il n'y en a
SOUFISME E T U NI V E R S A LI S M E 21
point parmi vous qui n'y entreront pas [dans l'Enfer] ; ce sera, pour ton
Seigneur, un décret décidé." "Du moment que tous entreront dans les feux
de l'Enfer, où sera la préférence accordée à l'islamisme sur notre religion ?"-
Le Maître ne dit rien ; au bout d'un instant, il fît signe pour indiquer qu'il
se rendait du côté de la ville ; moi, tout doucement, je partis sur ses
traces ; tout à coup, à l'entrée de la ville, il entra dans un four de
boulanger qu'on avait allumé ; le Maître saisit mon vêtement de fine soie
noire, le mit au milieu de son feredje, le jeta dans le foyer et s'assit en
observation quelque temps dans un coin. Je vis sortir une fumée intense,
et personne ne pouvait parler. Ensuite le Maître dit : "Regarde." Je vis que
le boulanger avait sorti le feredje béni du Maître, et l'en avait revêtu ; il
était tout propre et nettoyé, tandis que mon vêtement de soie était tout
brûlé et réduit à néant. "C'est ainsi que nous y entrerons, dit-il, tandis que
vous, c'est ainsi que vous y entrerez." Immédiatement, je m'inclinai et
devins son disciple 27 .
Les funérailles de Mevlânâ, telles que nous les rapporte Eflâkî, offrent le
spectacle d'une société déjà très engagée dans la voie du syncrétisme ; chaque
groupe constitutif de la société seldjoukide, avec son originalité propre, entend
27
I b i d „ 261 ; II, 67-68.
^L'hypothèse que "le monastère de Platon" des sources musulmanes (Aflâkî-Huait, I, 261, II, 67,
358) correspond au couvent de Saint-Chariton, près de Konya est de Hasluck-C/iriiiiamty, li,
373-374. Il reste cependant la possibilité d'un établissement religieux dédié à Saint Platon, saint
très populaire en Anatolie centrale (martyr galate du Ul e -IV e siècle, fêté le 18 novembre cher les
Grecs, et le 22 juillet chez les Latins, Vie des Saints et des Bienheureux, vol. VII, Juillet).
22 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
célébrer la mémoire d'un homme dont tous se prétendent les disciples. Dans ce
texte, la vénération partagée par chacun semble l'emporter sur les différences
confessionnelles, donnant l'impression d'une véritable communauté anatolienne :
Après qu'on eut apporté dehors le corps sur le brancard, la totalité des
grands et du peuple se découvrit la tête ; les femmes, les hommes, les
enfants, étaient présents ; il s'éleva un tel tumulte qu'il ressemblait à celui
de la grande Résurrection. Tous pleuraient, et la plupart des hommes
marchaient, poussant des cris, déchirant leurs vêtements, le corps dénudé.
Les membres des différentes communautés et nations étaient présents,
Chrétiens, Juifs, Grecs, Arabes, Turcs, etc... ; ils marchaient devant,
chacun tenant haut ses Livres (sacrés). Conformément à leurs coutumes,
ils lisaient des versets des Psaumes, du Pentateuque, de l'Évangile, et
poussaient des gémissements de funérailles. Les musulmans ne pouvaient
pas les repousser à coup ae bâton et de plat de sabre ; cette réunion ne
pouvait être enrayée. Il se leva un tumulte immense, dont la nouvelle
parvint au Grand Sultan et au Perwane, son ministre ; on fit venir les
chefs des moines et des prêtres, et on leur demanda quel rapport cet
événement pouvait avoir avec eux, puisque ce souverain de la religion
était le directeur et l'imam obéi des musulmans. Ils répondirent : En le
voyant nous avons compris la vraie nature de Jésus, de Moïse et de tous
les prophètes ; nous avons trouvé en lui la même conduite que celle des
prophètes parfaits, telle que nous l'avons lue dans nos livres ; si vous
autres, musulmans, vous dites que notre Maître est le Mahomet de son
époque, nous le reconnaissons de même pour le Moïse et le Jésus de notre
temps ; de même que vous êtes ses amis sincères, nous aussi nous
sommes mille fois plus ses serviteurs et ses disciples ; c'est ainsi qu'il a
dit : "Soixante-douze sectes entendront de nous leurs propres mystères ;
nous sommes comme une flûte qui, dans un seul mode, s'accorde avec
deux cents religions " "Notre Maître est le soleil des vérités qui a brillé
sur les mortels et leur a accordé ses faveurs ; tout le monde aime le soleil,
qui illumine les demeures de tous". Un autre prêtre grec dit : "Notre
Maître, c'est comme le pain qui est indispensable à tout le monde ; a-t-on
jamais vu un affamé s'enfuir loin du pain ? Et vous, savez-vous qui il
était ?" Tous les grands se turent et n'articulèrent pas une parole 29 .
^Aflâkî, h, 96-97. Mêmes réactions des non-musulmans au moment des funérailles du petit-fils
de Rûmî, Ârif Çelebî, II, 410.
SOUFISME ET U N I V E R S A LI S M E 23
Bien que les chemins soient divers, le but est unique. Ne voyez-vous pas
qu'il y a de nombreux chemins qui mènent à la Ka'ba ? Pour certains, la
route vient de Rûm, pour d'autres de Syrie, pour d'autres encore de Perse,
de Chine, pour certains par mer d'Inde ou du Yémen. Ainsi, si vous
considérez les routes, la variété est grande et la divergence infinie. Mais
quand vous regardez le but, ils sont en accord et un... Une fois qu'ils
arrivent à la Ka'ba, ils réalisent que cette dispute, cette guerre, cette
diversité à propos des routes —celui-ci disant à celui-là : "Tu es dans
l'erreur, tu es un Infidèle", et l'autre répondant de la même façon—
concernaient les routes seulement et que leur but était un 30 .
30
Art>erry, Discourses ofRûmt, 108-109.
3
' A f l â k i , II, 291, 429 ; Schiltberger, éd. Tetter, 40.
24 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
Une autre personnalité devait aussi tenir une place de choix dans
l'élaboration d'une mystique amoureuse anatolienne, de forme poétique, de
résonnance universaliste, celle de Yunus Emre, qui acquit une audience d'autant
plus grande qu'il écrivit dans la langue la plus familière aux musulmans d'Asie-
Mineure, le turc.
Le mouvement issu d'Haci Bektâç eut en effet une audience très étendue
car il toucha un éventail social très large et consacra, en particulier, une partie de
ses activités au contact avec les non-musulmans.
32
C. Huait, Konia, 214-215.
S O U F I S M E ET U N I V E R S A LI S M E 25
sont très mêlées de légendes. On y décèle cependant un fond historique, utile pour
qui veut comprendre la fermentation socio-religieuse de l'Anatolie turcomane au
Moyen-Âge. Il est significatif qu'Haci Bekt⧠soit mis en rapport avec tous les
grands mouvements religieux, mystiques, et sociaux de son temps, bien que ces
relations soient difficiles à préciser, voire chronologiquement peu probables.
Dans l'Anatolie turcomane du XIIIe siècle, Haci Bekt⧠est souvent mis en
relations étroites avec le mouvement socio-religieux des bâbâi, bien qu'il soit
difficile de définir les liens exacts qui les unissent. D'après §ikpa§azâde et Elvan
Çelebi, Bekt⧠faisait partie de l'entourage de Bâbâ tlyâs, et, par la suite, les
milieux issus des deux hommes furent très proches, ce qui montre, dès l'origine,
- Sur Bektâç et ses disciples, outre le VilâyetNâme, éd. GSIpinarli, et éd. Gross, et J. K. Birge,
Bektashi Order of Dervishes, voir l'ensemble des travaux d'I. Mélikoff, et notamment, Turcica 20
(1988), S.T.M.A.B.D. (1982), Mémorial 0. L. Barkan (1980), U.T.F.K.B. (1976), T.D.E.D.
(1973), R.E.I. (1966), J.A. (1962). Nous y renvoyons pour la bibliographie sur le sujet. Cf.
aussi, A.Y. Ocak, Bektaji Menakibnâmelerinde islam ôncesi Inanç Motifleri, et Turk Halk
Inançlannda ve Edebiyahnda Evliya Menkabeleri ; et aussi, «Bektachiyya», REI, LX (1992). Sur
la datation aléatoire du séjour anatolien de Bektaç, Gôlpmarh-Vildyet, XIX-XX, Mélikoff,
Turcica, 12, Birge, 40-51. Les métamorphoses de Bektâj, Mélikoff-Turcica, 14-15. Sur certaines
mœurs d'origine chamanique, voir aussi P. Boratav, «Vestiges oguz dans la tradition bekta$i», A.
XXIV ¡.O.K., 382-385. Les analogies avec Bouddha, Vryonis-Decline, 369 nt. 44. Ahmed Yesevî
et Bektâj, Mélikoff, Turcica, 12-17. Haydar et sa femme chrétienne, Haslack-Christianity. II,
403.
26 ISLAM M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N A R M É E
l'impact du mouvement bektâfî sur les milieux ruraux et tribaux parmi lesquels
ils garderont une grande audience. C'est, par exemple, un descendant de Bekt⧠qui
dirige la révolte turcomane de 1526-27 34 . L'influence des disciples de Bekt⧠sur
les couches rurales et nomades d'Anatolie n'exclut cependant pas une large
audience citadine. Le Vilâyetnâme prétend que Ahi Evren, patron des artisans et
commerçants anatoliens et de la Futiiwet turque, fut l'ami intime de Bektâ§. Ahi
Evren aurait écrit : "Celui dont je suis le Cheikh a aussi pour Cheikh Haci
Bektâ}". Par ailleurs l'influence de ce dernier semble, d'après Eflâkî, concurrencer
dans les villes celle de Rûmî. Le fait, d'autre part, que Bektâ; était considéré
comme le chef des gâzî, explique la légende anachronique selon laquelle le saint
aurait été le fondateur des Janissaires au milieu du XIVe siècle. Les Janissaires, on
le sait, s'intitulent "Fils d'Haci Bektâ§" (Haci Bektâ} ogullari) et leurs chefs
"Agha des Bektâfî" (agayân-i hektâfîyân)35.
À travers les récits le concernant, Haci Bektâ; apparaît comme une sorte
de héros éponyme sous le nom duquel se regroupèrent les éléments les plus
divers. Rassemblement très fluide autour d'une personnalité prestigieuse, ceux qui
se réclamèrent légitimement ou non du mystique purent s'appeler suivant les
époques et l'étendue des groupes considérés : alevi, kizilbaf, tahtaçi, etc., sans
qu'aucun de ces noms soit jamais synonyme de bektâfî au sens strict, appellation
qui n'est légitimement applicable qu'à la confrérie créée par Balim Sultan au XVIe
siècle, qui tenta de normaliser, pour ainsi dire, une filiation jusque là anarchique,
en une organisation fortement structurée. De plus, les disciples d'Haci Bektâ;, par
une tendance syncrétiste qui consistait à revendiquer tous les mystiques
musulmans réputés, qu'ils fussent ou non contemporains de leur maître,
contribuèrent à donner au nom de bektâfî une acception spirituelle très vaste
C'est dire qu'une appellation dans ce domaine n'est jamais exclusive d'une autre.
Elles peuvent parfois se rejoindre sans jamais s'identifier tout à fait. Qui s'occupe
du courant de pensée issu de Bektâ; est ainsi amené à parler de phénomènes aussi
variés que le chîisme turc ou les histoires populaires (fikra). Outre le rôle de la
confrérie historique, c'est donc toute une mentalité universaliste et une
perspective syncrétiste, très généralisée en monde turc, qu'il s'agit d'examiner
sous le nom générique d'esprit bektâfî36.
^Ocak-Baba Resul, 132 sqq. Cahen, «Baba Ishaq, Baba Ilyas, Hadji Bektash et quelques autres»,
Turcica 1 (1969), 61-64. La révolte turcomane d'un descendant de Bektâ;, Kalenderoglu, sous
Soliman le Magnifique, cf. Peçevi Tarihi, éd. Baykal, I, 92 : "Kalender, Haci Bektâ;-i Velî'nin
torunlarindandir".
3 5 A h i Evren et Bektâ;, Vilâyetnâme-Gölpinarli, 50-54 ; E. Kogan, «Haci Bektâ; Velî et le
après 1826», Turcica 15 (1983), 155-178. Les flkra bektâsî, M. Eloglu-O. Tansel, Beklagi
Dedikleri.
28 ISLAM M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N A R M É E
I. Mélikoff «Un ordre de derviches colonisateurs : les Bektachis», Mémorial Û. L Barkan, 149
sqq. Le Bey de Germiyan, Vilâyelnâme-Gôiptnarh, 43. Bektâ; à Sinassos, ibid., 23-24. Majorité
chrétienne à Sinassos, R.M. Dawkins, Modem Greek in Asia-Minor, 27. Pèlerinage chrétien au
turbe de Bektâ$, Cuinet, Turquie d'Asie, I, 341.
IO
"Vilâyetnâme, 56 : «MUsiilman Keçi$».
SOUFISME ET U NI V E R S A LI S M E 29
Ce qui nous intéresse avant tout ici dans la personnalité du grand poète
turc, c'est qu'il résume en lui tous les courants mystico-poétiques de son temps.
Au-delà de sa stricte appartenance formelle à tel ou tel courant, difficile à établir
historiquement, le fait que bektâ§î, mevlevî et l'ensemble du peuple turc
d'Anatolie se reconnurent en lui, montre que l'humble barde typifie, dès le haut
Moyen-Âge, un état d'esprit, une attitude devant la vie, une dimension mystique
et une ouverture spirituelle, emblématiques pour l'homme d'Anatolie. Si, dans
-5Q
Bektâs et le moine de l'ile du Frengistan, ibid., 66-67. L'architecte du liirbe, ibid., 91. Haydar,
supra, nt. 33. Karaca Ahmed, Hasluck-CAmriani'ry, II, 404. San Ismâil à Tavas, Vilâyel., 82-83.
Rasûl Bâbâ, ibid., 88-89. Lieux de culte islamo-chrétiens, mélanges des rites, contacts
intercommunautaires divers dfis à l'influence bektâfi, cf. l'ensemble de l'ouvrage de Hasluck-
Christianity. La profession de foi universaliste citée est de l'Albanais Naïm Bey de Frasheri,
ibid., II, 561.
30 ISLAM MYSTIQUE ET R É V O L U T I O N ARMÉE
^ L e s reproches de l'amant (a}ik) à Dieu pour sa rigueur envers sa créature, sont par exemple, un
des thèmes communs à Attar et à Yunus: "Comment dois-je me comporter avec toi, moi qui par toi
ne connais que douleur", Attar, Elahi Nameh, 230 ; "Qu'est-ce que je t'ai fait, ô Sultan. Me suis-je
créé moi-même ? C'est toi qui m'a créé. Pourquoi m'avoir rempli de défauts, ô Clément ?" Yunus
Emre, Risâlal al-Nushiyya ve Dîvân, éd. Gôlpinarli, 150. Le supraconfessionnalisme dibn al-
Fâridh et celui de Yunus : "Si la niche d'une mosquée est illuminée par le Coran, toutefois l'autel
d'une église qui porte l'Évangile n'est pas vide de sens, et les Livres de la Torah révélés à Moïse
pour son peuple ne sont pas vains, eux par qui les Rabbis conversent chaque soir avec Dieu", Ibn
al-Fâridh, La grande Taiyya, 56 ; Yunus affirme ne pas hésiter à prier dans les églises, Risâlât-
Gôlpinarli, 156 : pour lui Torah, Évangile et Coran sont contenus dans l'homme, ibid., 170.
L'influence de MevlSnS et d'Ahmed Yesevî, Yunus Emre, Le Livre de l'Amour Sublime, éd. Halbout
du Tanney et Seghers, 11-13. Connu dis le XVe siècle en Europe, par le Traciatus de Georges de
Hongrie (Bombaci, Littérature turque, 240), Yunus Emre a donné lieu à une abondante littérature,
cf. Yunus Emre Bibliyografiyasi, Kitap-Makale, Ankara 1988.
SOUFISME ET U N I V E R S A L I S M E 31
selon Yunus, possède la capacité de pratiquer n'importe quel culte à travers lequel
le vrai dévôt reconnaît toujours le culte unique envers le Créateur : "celui qui ne
peut considérer avec faveur les soixante-douze communautés, est rebelle à la
Vérité". Tel un Protée mystique, le derviche se joue des formes comme des
opinions extérieures :
' v i n et musique, /fodtât-Gôlpmarli, 64 ; Cabaret, Le Divan, trad. Régnier, 51 ; cf. aussi, Birge-
Bektûshi, 91, et Ibn al-Fâridh, Al Khamriya, l'Eloge du Vin, éd. Dermenghem. Le vin de l'Amour
divin, Yunus Emre, Poèmes, éd. Saraç et Gôlpinarli, 25. "Pour peser nos péchés tu mets une
balance. Tu as donc l'intention de me jeter au feu. La balance n'est nécessaire qu'à l'épicier, au
commerçant, au droguiste, au boutiquier", ftisd/dr-Golpinarli, 150 ; cf. Kaygusuz Abdal, poète
probablement bektâ}! qui écrit au XV e siècle : "Serais-tu épicier, à quoi te sert ta balance ?", La
Montagne d'en face. Poèmes des derviches analoliens, trad. G. Dino, 59. "Pour nous, l'Amour est
notre imam", Divan, Régnier, 55 ; cf. "Amour est ma religion", Ibn Arabî, supra nt. 12. "Parfois à
la mosquée, parfois à l'église", /foâtôf-Gôlpinarli, 156 ; et aussi Rûmî : "Quelquefois je m'habille
de noir et je porte un bâton de moine, quelquefois je porte un turban", Burguière, Mantran,
«Quelques vers grecs du XIII e siècle en caractères arabes», Byzantion 22 (1952), 79. "Nous
n'avons dent...", Poèmes, éd. Saraç 52. "...Les soixante-douze communautés...", cit. par Birge,
271. "...je deviens Franc", cit. par Bombaci, Littérature turque, 233. "Notre nation est tout à fait à
part..." Divan-Régnier, 57.
* 2 Même le Saint-Synode de Constantinople, pourtant expert en doctrine, ne semble pas savoir si
le sultan Izzeddîn KayKâÛs II réfugié à Constantinople, est chrétien ou musulman : ce dernier, en
effet, ayant participé aux processions et même reçu la communion, on chercha à établir s'il était
vraiment chrétien, mais malgré une enquête minutieuse, les juges hésitaient à se prononcer : "Que
le sultan fQt chrétien ou non, ils tenaient la chose pour douteuse", Pachymère, éd. Failler,
349/2-5.
32 ISLAM M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N A R M É E
Arabî et les dogmes chrétiens, supra nt. II. Sur la divinité du Christ supra ni 13 Les
Anatoliens et la musique selon Rûmî, supra nt. 19. Les "Choreutes", Runciman-Mumi/ici.tmi, 26,
et Marrou, Antiquité tardive, 173. Sur les danses liturgiques du clergé éthiopien, J. Leroy,
l'Éthiopie, 21-23 Un voyageur polonais rencontra en 1905 en Sibérie un Russe qui
"...appartenait à une secte dont les adeptes étaient connus dans l'Église Orthodoxe sous le nom de
tourneurs et qui étaient venus autrefois de Byzance en Russie.." ; cet homme tout en répétant la
prière de Jésus, tournait à grande vitesse en décrivant "...des cercles qui se resserraient de plus en
plus". À l'intention du voyageur, l'homme commenta ainsi la danse qu'il accomplissait : "C'est
ainsi qu'il faut prier. Alors vous entendrez vos prières tomber au pied du Créateur comme le
bruissement de fleurs parfumées... Dans l'agitation de la vie bruyante, parmi les profanes, il est
impossible de prier de cette manière. C'est pourquoi nous fuyons les hommes et nous nous
cachons dans des maisons solitaires pour prier", F. Ossendowski, cit. par M. VSlsan, E T.
(1969), n° 411, 26-30. Sur le ney des mevlevî, cf. Vitray-Meyerovitch, Mystique et Poésie, 88-
89 ; Le Mesnevî commence par l'évocation du ney : "Écoute le ney raconter une histoire...", trad.
Vitray-Meyerovitch et Mortazavi, 53. La "flûte du Saint Esprit" est par exemple le surnom de
Jacques de Saroug (452-521), cf. F. Jourdan, La Tradition des Sept Dormants, 58. Dès l'Antiquité,
les Anatoliens, selon Clément d'Alexandrie, Stromates, I, 104-105, avaient une solide réputation
de musiciens et d'instrumentistes : "Les Capadociens inventèrent l'instrument de musique dit
nabla(ei)pov ràu vàfiKav KaXovuevov)... La syrinx traversière est l'invention du Phrygien
Satyros, cependant qu'Agnis, Phrygien aussi, a inventé la trichorde. L'idée de pincer les cordes
serait due encore à Olympos le Phrygien ; ainsi qu'à Marsyas, du même pays que les précédents,
les modes phrygien, mixophrygien et mixolydien... Les Phrygiens trouvèrent la flûte (¿pvyes
aiXou ¿irevdtioav)". Le thème des "enfants dans la fournaise", largement développé dans le
cycle liturgique byzantin (Litourgicon, 17 décembre, 691-692), est également utilisé par Rûmî,
Mathnawî, éd. Vitray-Meyerovitch, 100.
SOUFISME ET U NI V E R S A LI S M E 33
Si les karamât, de l'aveu des spécialistes, ont quelque parenté avec les
Xapíofiara, des méthodes musulmanes et chrétiennes aussi spécifiques que les
prières jaculatoires, le dhîkr des soufis et la "monologie" des hésychastes,
accusent des convergences frappantes dans leurs formulations mystiques, leur
lexique technique et leur méthodologie45.
C'est sur cette toile de fond mystique mise en place dès le XIIIe siècle et
élargie au XIVe siècle sous l'impulsion des disciples d'Ibn Arabî, de Rûmî, de
Bekt⧠ou des bâbâi turcomans, qu'il faut placer le mouvement largement
supraconfessionnel qui se réclama de la personnalité du cheikh Bedreddîn de
Samavna, au début du XVe siècle46.
Bedreddîn et les moines de Chio : "Si nous sommes séparés par la religion,
qu'est-ce que cela peut faire ? Nous avons un seul Dieu et nous sommes tous les
serviteurs de Dieu." (Vie du Cheikh Bedreddîn par son petit-fils, XVe siècle)
Cela ne vaut certainement pas pour Bedreddîn de Samavna qui ne peut être
étudié et compris dans toute sa complexité que dans son contexte historique
36 ISLAM M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N A R M É E
spécifique. Le rôle politique est, chez lui, beaucoup plus aisément cernable que la
doctrine et l'influence mystique strictes, mal compréhensibles en l'absence d'une
étude systématique de son œuvre qui est quasiment inconnue. Sur la quarantaine
d'ouvrages qu'il aurait écrits, on n'a guère étudié que le Vâridât qui, pour le moins
que l'on puisse dire, ne présente pas une originalité doctrinale flagrante. En
attendant que son œuvre, essentiellement en arabe, soit dépouillée, le personnage
appartient surtout à l'histoire politique et doit être approché par une analyse serrée
de son époque et des événements qu'il a subis ou provoqués. De plus, la révolte
de Bedreddîn, parce qu'elle a préoccupé, dans la Turquie moderne, de nombreux
écrivains, historiens ou non, peut apparaître, parfois un peu rapidement, comme
un phénomène unique en son genre dans l'histoire islamique et turque1.
C'est d'abord, bien entendu, l'héritage islamique qui doit être étudié. Mais
cet héritage possède plusieurs facettes chez Bedreddîn : celui-ci est en premier lieu
un authentique âlim qui, dès sa jeunesse, entreprend une formation
pluridisciplinaire avec une spécialisation dans le fiqh qui fait de lui un juriste
apprécié. Homme de science et musulman orthodoxe, Bedreddîn va faire, à un
certain moment de sa vie, l'expérience de l'illumination mystique grâce à la
rencontre d'un maître spirituel qui va bouleverser son existence et faire de lui un
derviche, selon un schéma biographique fréquent dans les vies de saints. Sa
filiation est, à partir de là, à chercher dans le soufisme classique, de type Ghazâlî
' L e Mesnevî, "Coran en langue persane", éd. Meyerovitch, 18. La bibliographie sur Bedreddîn
est indiquée infra nt. 6 à 10.
VIE ET MORT DU CHEIKH BEDREDDÎN 37
si l'on veut, où l'expérience intérieure du mystique reste en gros dans des normes
doctrinales tolérées.
"Un bon exposé du contexte politico-religieux anatolien dans lequel se place le mouvement de
Bedreddîn est celui d'A.Y. Ocak «Quelques remarques sur le rôle des derviches kalenderis dans les
mouvements populaires et les activités anarchiques aux XV e et XVI e siècles dans l'empire
ottoman», O.A. 3 (1982), 69-80. Si le cas de Bedreddîn est largement analysé par des études
d'ensemble écrites par des auteurs turcs comme par ex. 1. H. Uzunçar$ili, Osmanli Tarihi, I, 190-
193, ou H. Z. Ùlken, La pensée de l'islam, 273-286, il est, par contre, totalement absent dans des
œuvres islamologiques générales pourtant aussi solidement documentées que Laoust, Les
schismes dans l'islam, ou Corbin, Histoire de la philosophie islamique. Même Massignon qui
consacre de longues analyses au Hallâjisme turc, Passion, II, 13, 33-37, 240-288, ne fait que deux
allusions très brèves à celui que l'on appelait pourtant le "Mansûr de Ram", II, 414 nt. 3 et 449.
Malgré le regain d'intérêt actuel pour Ibn Arabî et son école, cf. J. J. Morris, «Ibn Arabî and his
Interpreters» J.A.O.S. 106, 3 (1986) et 107, 1 (1987), Bedreddîn qui se réclame ouvertement du
soufî espagnol, n'a pas bénéficié de mention particulière dans les études récentes sur le
mouvement akbarien.
38 ISLAM M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
primus inter pares. Le cheikh semble, en outre, avoir hérité de certaines pratiques
syncrétistes du milieu seldjoukide dont il serait issu. On pense par exemple, au
comportement de Îzzeddîn Kay-KâÛs II3.
Bedreddîn est donc à la fois rûmî au sens anatolien du XIIIe siècle, c'est-à-
dire issu du Diyâr-i Rûm, et rûmî au sens balkanique des XIVe-XVe siècles, c'est-
à-dire originaire de Rûm-ili, et il est même fils de rûmî, c'est-à-dire fils de
chrétienne orthodoxe, comme beaucoup à l'époque ottomane contemporaine et
ultérieure. D'où l'insistance de son biographe tout au long du Menâkibnâme, à
appeler le cheikh de Samavna, "le Hallâj de Rûm", "la Lumière de Rûm" (Pertev-
i Rûm), "le Bistâmî de Rûm", comme pour bien montrer que la mission de
Bedreddîn était fortement ancrée géographiquement et humainement. Cette
insistance à attacher fortement telle ou telle importante personnalité au territoire
en cours de conquête politique et religieuse, se retrouve aussi à propos d'Haci
Bayram, appelé fréquemment Sheyh-i Rûm, ou à propos de ces Abdalân-i Rûm
évoqués par A§ikpa§azâdei
3
Sur l'origine seldjoukide de Bedreddîn, infra nt. 11. Sur Izzeddîn Kay-Kâûs, supra ni. 42.
^Chrétiennes dans l'entourage de Bedreddîn, infra nt. 14.
"¡Infra chapitre III nt. 31. Bayram, Seyhil'r-Rûm, cf. Bayramoglu, 37. Abdalân-i Rûm,
Â$ikpasazâde, 237-238.
V I E ET M O R T DU C H E I K H BEDREDDÎN 39
sources non-musulmanes que l'on peut utiliser, enregistrent des faits souvent mal
évalués ou isolés de leur contexte turco-islamique. Quant aux sources
musulmanes, à côté des témoignages passionnels dont nous venons de parler,
leur inventaire est loin d'être fait. On n'a pas encore, par exemple, utilisé
systématiquement pour ce qui concerne le monde ottoman, le matériel d'appoint
substantiel que représentent les chroniques mameloukes ni, paradoxalement, les
œuvres arabes de Bedreddîn où l'on trouverait très probablement d'utiles
renseignements. Les quelques sondages que nous avons pu faire concernant
l'identité du cheikh Hiiseyin Ahlâtî, maître de Bedreddîn, en sont une preuve6.
Il est donc clair que le rôle de l'historien consiste à faire la part des
passions et à se contenter de mettre à profit le seul matériel historiographique à
notre disposition, pour faire avancer la connaissance encore lacunaire, par certains
aspects, de la vie et de l'œuvre de Bedreddîn. L'exploitation des sources a été
menée dès les années 1920-1930, par des savants comme F. Babinger et S.
Yaltkaya, et plus récemment par F. I. Kissling et A. Gôlpinarli, auquels on peut
ajouter les noms de E. Werner, S. Vryonis, H. Inalcik, Irène Beldiceanu et N.
Filipovié qui se sont intéressés à divers titres au cheikh de Samavna. Une
nouvelle lecture du Menûkibnâme mérite cependant d'être menée car beaucoup de
remarques et de développements importants restent à faire sur ce texte au contenu
historique très riche10.
' N o u s renvoyons en particulier au tris célèbre $eyh Bedrettin Destam de Nazim Hikmet, éd.
Tamer, cf. N. Gtireel, }eyh Bedreddîn destam tizerine. La bibliographie turque contemporaine sur
Bedreddîn est tris importante. Nous signalerons à titre indicatif dans la bibliographie, un certain
nombre d'ouvrages, outre ceux auxquels nous nous référons spécifiquement dans le présent
chapitre.
1
°F. Babinger, «Schejch Bedr ed-Dîn, der Sohn des Richters von Simâw», Der Islam 11 ( 1921 ) et
17 (1928) ; idem, «Beiträge zur Frühgeschichte der Türkenherrschaft», Südost. Arbeilen (1944)
34. S. Yaltkaya, Simavna Kadisi Oglu $eyh Bedr ed-Dîn ; id., «Simavne kadisi o j l u $eyh
Bedreddine dair bir kitab», T. Mec. (1926-33), 3. H.J. Kissling, «Das MenSqybname Scheich
Bedr ed-Dîn's», Z.D.M.G., C (1950), ci-après Kissling. E. Werner, «Häresie, Klassenkampf und
religiöse Toleranz in einer islamisch-christlieben Kontaktzone» Z.F.G., 12 (1964). Vryonis-
Decline, 141, 229, 358, 359, 370, 387. lnalcik-Orroman Empire, 18, 173, 190-193. I.
Beldiceanu, «La conquête d'AndrinopIe par les Turcs : la pénétration turque en Thrace et la, valeur
des chroniques ottomanes», T.M., I (1965), 439-466 ; du même auteur, Recherches sur les actes
des règnes des sultans Osman, Orkhan et Murad 1er, 46, 119, 165, 205-206, 213. N. Filipovié,
Princ Musa i sejh Bedreddîn.
V I E ET M O R T DU C H E I K H BEDREDDÎN 41
apparenté aux premiers gâzî de Roumélie, Haci îlbeyi et Ece, et leur compagnon
d'armes11.
Elles ont d'abord lieu à Edirne, après la conquête de la ville. Si son père
l'initie au Coran, c'est un juriste (faqîh), Mollâ Yûsuf, qui est son premier maître
dans une science qui deviendra la spécialité de Bedreddîn. Mais à la mort de son
maître il n'a pas d'autre professeur capable de lui faire poursuivre ses études dans
la toute récente capitale européenne des Turcs, ce qui montre la pauvreté en
érudits musulmans de la nouvelle conquête. Le jeune homme doit donc se rendre
à Bursa, centre culturel très actif richement doté par les premiers souverains
1l
mnk, 7-11 ; Kissling 134 nt. 5, 135 nt. 6, 136 ni. 1 et 2 ; Oraç bey, 24-27.
I2
m/i*. 6 ; Kissling 134-135 et nt. 1.
l3
mnk, 12-13 ; Kissling 136-137, 140.
l4
mai, toc cit : "kendilçUn alikodi Bân'in kizm, verdi adini Melek Kaazi'l-Kuzât, togdi MahmM
nâm ogil melek-sifât, yidi yiiz altmi;da togmi;di tamâm...". Samavna est le village
d' 'Apiiàflowov en territoire grec, sur l'Aida, i 25 km d'Edinie, cf. Carte de la Thrace grecque,
1/250.000, éd. Rekos, Athènes/Thessalonique.
42 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
ottomans, qui y multiplient les fondations comme la medrese Kaplica créée par
M u r i d 1 e r et où séjourne notre étudiant. Dans une ville où l'influence d'Ibn Arabî
ne manquait pas d e s'exercer, nous l'avons vu, par l'intermédiaire de muderris
aussi prestigieux que Mollâ Çemseddîn Fenârî, en poste à la medrese Manastir
dès 770/1368-69 et descendant d'un disciple de Sadreddîn de Konya, Bedreddîn dut
connaître et approfondir le système du grand soufi espagnol dont il se réclamera
explicitement par la suite 1 5 .
' ^Sur la conquête d'Edirne, I. Beldiceanu, T.M., 1 (1965) ; E. Zachariadou, «The Conquest of
Adrianople by the Turks», Sludi Veneziani 12 (1970) ; H. lnalcik, «The Conquest of Edirne»
Archivum Ottomanicum 3 (1971). Bedreddîn & la medrese Kaplica, mnk, 15 ; sur ce monument, sur
Manastir medresesi, Bilge, Ilk osmanli medreseleri, 83-90, 94-99. Cf. aussi, E.I., «Fenârî-zâde».
l6
Bedreddîn auprès de Feyzullâh, lui-même disciple de Fazlullâh : "Konya'da mevlâna Fazlullâh'in
talebelerinden FeyzullSh'dan bazi ulvî ve ilm-il nahv-i (ilm-i hurûf) dört ay kadar tahsil tizre oldu",
dans la traduction turque de Mecdi, Tercäme-i ¡ekâ'ik nu'mâniyye, cit. par Kurdakul, Bedreddîn, 45.
Il y est explicitement fait mention de ilm-i hurûf. Sur Fadl AlISh al-Astarâbâdî. cf. «Hurûfiyya»,
E l. ; H. Ritter, «Die Anfinge der Hurtfisekte», Oriens, 7 (1964), 1-54 ; et Textes Hurufi, éd. Huart.
Mehmed II et ses liens avec les Hurûfi, Babinger-Mahomet, 50 sqq. Sur Fahreddin le Persan, mnk,
123 ; Çekâ'ik, éd. Furat, 59-61 ; Babinger, 50 sqq, 181, 327, 580, 589 ; Kissling, 172 nt. 5, 173
nt. 1.
VIE ET M O R T DU C H E I K H BEDREDDÎN 43
C) Le séjour égyptien
suggère l'existence d'une école de médecine importante dans l'émirat d'Aydin, que
Haci Pacha fort de son expérience égyptienne aurait prise en main17.
'^De Konya à l'Égypte, mnk, 25-29. Sur la vie intellectuelle en Égypte à l'époque de Bedreddîn,
Petry, The Civilian Elite of Cairo, et L. Fernandes, «Mamluk Politics and Education», A.I., 23
(1987). Sur Mub&rakshâh al-Mantiqî, Kissling, 146 nt. 1. Sur Akmaleddîn al-Bayburtî, Ibn
Taghrî Birdî, Al-Nujûm al-Zâhira, trad. Popper, I, 6, 12, SO. Sur Shaykhhuniya, ibid., I, 6, 12 ;
Petry, 71, 152-153, 337. Sur Haci Pacha, £./., «Hâdjdjî Pasha», et Ûnver, T.T.T.A., 4, 14 <1939),
et id. «Hekim Konyali Haci Pa$a, Hayati ve Eserleri», I.O.T.T.E., 47 (1953). Djurdjânî, E.I. Sur
Ahmedî, P. Fodor «Ahmedfs Dâsitân as a Source of Early Ottoman History», Ada Orientalia
Academiae Scientiarum Hung., 38 (1984). Sur Fenârî, £./. Sur Haci Pacha, Ahmedi et Fenârî,
condisciples en Égypte, Tajkôpruzade, éd. Furat, 28-29. Les besoins ottomans de cadres formés
en Égypte et la politique de Bajazet Ier à ce sujet, mnk, 54. Abramios en Égypte, D. Pingree,
D.O.P., (1971), 199-200. La carrière d'Haci Pacha à ShaykhQniyya, à l'hôpital de Mansûriyâ du
Caire puis en Aydineli, Onver, I.O.T.T.E., 85-87. Le médecin Michel Doukas à Éphèse, Doukas.
Bonn, 23. Cf. aussi le médecin juif de Mehmed Aydinoglu, Ibn Battflta, II, 305.
"lobby rûmî" au Caire, Taghrî Birdî, Nujûm, I, 6, 10, 20 ; II, 1 ; Petry, 68-72 ; W. J. Fischel,
«Ascensus Barcoch, a latin biography of the mamlûk sultan Barqûq of Egypt, written by B. de
Mignanelli in 1416», Arabica 6 (1959), 62, 172 ; Barkûk protecteur des savants : "Berkok talib-i
ilm içtin olurdi muîn", mnk 29. Dawla al-Atrâk pour désigner l'Égypte mamelouke, cf. par ex., Ibn
Ilyâs, Badâ'i al-Zuhûr, I, 99, 257.
"al-Aynî, cf. £./. et Petry, 70. Hanéfisme des Mamelouks, Fernandes, 89, 92-98 : des madrasa
comme Shaykhûnya propagent le hanéfisme et sont un marche-pied pour accéder aux plus hautes
charges de l'État mamelouk.
VIE ET MORT DU CHEIKH BEDREDDÎN 45
•°mnk, 45-46. Sur l'histoire de Shaykhûnya, Petry, 152, 153, 337. Akmaleddîn à Shaykhûnya,
Taghrî Birdî, I, 6, 12. Positions en vue des anciens élèves de Shaykhûnya, Femandes, 96. Ibn
Arab al-Bureâwf, Petry, 71.
- ' S u r la date de l'arrivée de Bedreddîn en Égypte, mnk 29 et Kissling 145 nt. 6. Sur Ibn Khaldûn
en Égypte, Le voyage d'occident et d'orient, 274. Bedreddîn chez Akmaleddîn, mnk, 33-34 ; ce
dernier meurt en 786/1384, Taghrî Birdî, I, 12, 50.
46 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
C'est à la cour que Bedreddîn va faire une rencontre déterminante pour son
orientation future : il fait la connaissance de Hüseyin Ahlâtî qui va devenir son
initiateur dans la voie mystique. Pour honorer les deux hommes, Barkûk leur
offre deux esclaves abyssines qui joueront un rôle important dans la vie du cheikh
de Samavna, l'une, Djâzibe, devenant la mère de son fils îsmâil, père de l'auteur
du Menâkibnâme, l'autre, Maria, tenant à l'égard de Bedreddîn la place d'une égérie
spirituelle. Très intelligente, elle avait tiré grand profit des enseignements du
cheikh Ahlâti. Elle eut un entretien nocturne avec Bedreddîn, à propos de la
mystique. À ses côtés, Bedreddîn se faisait l'effet d'être "l'épine de la rose" ("Ani
gül gordi vü kendüni diken") 23 .
22
L a réputation précoce de Bedreddîn au Caire, mnk, 29, à la Mecque, 32. Sur Shîrîn, Taghrî Birdf,
II, 1, 108 ; Fischel «Ascensus...», 166.
23
L a rencontre avec Ahlâti et Maria, mnk, 41-44.
24
Ibid., 44-46. Abû Saîd, se débarrassant de ses livres, éd. Monawwar, 59-61. Ahmad al-Hawârî
(mort en 844/45-230) jeta tous ses livres de théologie à la mer. Classicisme et déclin... (F.
Meier), 238.
V I E ET M O R T DU C H E I K H BEDREDDÎN 47
La mission de §ahne Mûsâ est l'occasion d'une longue digression sur les
aventures du serviteur d'tsrâîl, qui a pour avantage de nous donner un sûr repère
chronologique, ce qui est trop rare dans le Menâkibnâme. Mûsâ, allant d'Edirne
au Caire, tombe en plein siège de Damas par Tamerlan (fin 1400). Enrôlé de
force par les mamelouks, il va, selon la Geste, se couvrir de gloire. L'armée
égyptienne du Sultan Faradj est finalement défaite le 25 décembre 1400. Dans la
débâcle. Mûsâ malgré une héroïque résistance, est fait prisonnier Tamerlan.
impressionné par son courage, le fait soigner et essaie d'obtenir des
renseignements sur Bajazet contre qui il prépare sa campagne. Il lui accorde la
liberté d'aller au Caire et ". §ahne attendit que la paix soit signée pour partir",
c'est-à-dire après la prise de la citadelle de Damas survenue le 25 février 1401.
Mûsâ dut partir à peu près au même moment qu'Ibn Khaldûn qui raconte s'être
embarqué, le 27 février 1401, sur un bâteau ottoman, portant un ambassadeur
égyptien de retour de chez Bajazet. Çahne Mûsâ arrive donc en Egypte au début
mars 1401 où il retrouve Bedreddîn sous le froc de derviche et refusant de revenir
en Roumélie. Il rentre donc à Edirne. Le cadi Isrâîl, bien que peiné de la décision
de son fils, demande cependant à Dieu de faire de Bedreddîn "le Bistâmî de son
temps" 26 .
25
mnk 47-48. La medrese de Bajazet, ibid., 54, et Bilge, Ilk medreseleri. 111.
26
L e s aventures de Çahne Mûsâ, mnk, 49-56. Sur le siège de Damas par Tamerlan, Ibn Arabshah,
trad. Sanders, 133 sqq, et Hookham, Tamburlaine, 222 sqq. La générosité de Tamerlan
impressionné par le courage de Çahne Mûsâ, rappelle une anecdote analogue lors de la prise
d'Alep par le Conquérant, ibid., 226. Ibn Khaldûn et la date de son départ de Damas, Le voyage
d'occident, 240-243. Bedreddîn, "Bistâmî de son temps" (Bâyezîd-i vakt), mnk, 56. Selon A n a û -
Huart, II, 423, à l'époque du Çelebi Amir Abid, troisième successeur de Rûmî "...avait apparu dans
la ville de Qonya un ascète que l'on appelait le Cheïkh-Pacha. Ce pauvre individu, plongé dans la
mer de l'hypocrisie, ...s'imaginait être l'Abou-Yézîd Bastâmî de son époque".
48 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
27
I b i d „ 41-43 ; 65-82 ; Kissling 155-158 ; ibid., 149 nt. 1.
VIE ET MORT DU CHEIKH BEDREDDÎN 49
Selon les trois rubriques qui lui sont consacrées, Hiiseyin Ahlâtî naquit en
720/1320-21. Il serait venu "de son pays" (Darénde ou Ahlat ?), "à pied" (est-ce
un derviche errant kalender ou torlak dont l'Asie-Mineure abonde, à cette
époque ?) pour séjourner à Alep et à Damas. À Alep, il aurait habité une zâwiya
dans la banlieue de Bâbalâ. Il y aurait eu beaucoup de succès "...à cause de sa
grande force d'âme" et parce qu'il "...était habile dans un certain nombre d'arts",
dont la médecine, l'alchimie et l'art du lapis lazuli qui leur est lié. Son talent dans
le travail du lapis lui fit donner le surnom de Lâzuwardi29.
C'est en tant que médecin réputé que Barkûk entendit parler de lui. Le
sultan le convoqua en Egypte pour soigner son fils. II le combla d'honneurs,
l'installa dans une résidence et lui alloua des émoluments que Hiiseyin refusa. Il
était riche et tenait grand train, tout en menant une vie retirée Ses ressources
étaient d'origine mystérieuse, semblant en partie venir du travail du lapis. Les
trois sources s'accordent pour dire que le personnage s'entourait de mystère et que
l'opinion publique était divisée sur sa réputation : certains le considéraient
comme un saint, d'autres comme un médecin habile. On le consultait sur les
hadîth. Pour toutes ces raisons, il attirait beaucoup de monde et son influence
était grande jusque chez les émirs, quoiqu'il fût très sévère dans ses relations.
Certains disaient même qu'il était le Mahdî30.
90
Je remercie ici de leur aide précieuse mes collègues J. C. Garcin et D Gril. Les rubriques sur
Ahlâtî sont chez Ibn Hadjar al-Askalânî, al-durar al-Kâmina, éd. M. S. Jâd al-Hakh, I, n° 82 p. 33
et II, n° 1620, p. 160, et chez Ibn Taghrî Birdhi, al-Manhat al-Sâfhi, microfilm, Institut des
manuscrits arabes (Ligue Arabe, Le Caire), série Târih, n° 1271, F° 32-33 ; la rubrique de Tahrhî
Birdî commence ainsi : "al-Husayn al Ahlâtî, le Sharîf hasanide —Le très illustre qâdî Badr al-Dîn
Mahmûd al-Aynî le hanefïte a dit de lui : ..." ; cf. E l,, «al-Ayni», «Abû'l-Mahâsin Ibn Taghrî
Birdî», et «Ibn Hadjar al-Askâlânî». La rubrique n° 1620 d'Ibn Hadjar a été utilisée par Yaltkaya,
Bedreddin, 12. La rubrique rr 82 est consacrée à un Ibrahim b. Abdallah al-Ahiâtî al-Sharîf al-
Darendî, mais semble être un doublet de la rubrique n° 1620, avec quelques renseignements
originaux.
29
S u r le symbolisme mystique du lapis lazuli, Corbin, Islam iranien, II, 147, 148, 313 ; III, 168,
204, 208. II y a des canières de lapis en Anatolie médiévale, Cahen-Pré-otl., 118. L'un de ses
noms est "pierre d'Arménie" (Littré). Sur les propriétés magiques, curatives etc... du lapis, cf.
Ahmad b. Y usai al-Tîfâshî (m. 651 H./I253-54), Kitab Azhâr al-Afkâr fî jawâhir al-Ahjâr,
(communication D. Gril).
30
Certains de ses compagnons disaient qu'il était le Mahdi attendu à la fin des temps (va kâna
yadda'î ba'du ashâbihi 'annahu-I-mahdiyyu-l-muntazar fi âhirt-z-zamân)", Taghrî Birdî, loc. cit.
50 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
C'est donc un personnage à l'orthodoxie plus que douteuse qui nous est
présenté par les sources mameloukes, ce qui, bien entendu, ne transparaît pas
dans le Menâkibnâme où Hiiseyin Ahlâtî apparaît c o m m e un cheikh
irréprochable, l'impeccabilité de sa réputation étant là pour confirmer celle de
Bedreddîn que la Geste veut justifier aux yeux du sultan ottoman. Les seuls
points de concordance entre les sources arabes et le texte turc sont les
connaissances médicales d'Ahlâtî, la direction spirituelle assurée par lui envers
ses disciples, sa richesse et la protection que lui assure Barkûk. Indirectement, le
Menâkibnâme confirme les sources égyptiennes sur le point capital des liens
d'Ahlâtî avec les milieux chî'ites, en évoquant le voyage que Hiiseyin propose à
Bedreddîn en Azerbaydjan. Il semble clair en effet qu'il envoie celui-ci comme lia 7
"...pour diriger des disciples à Tabrîz". Le voyage de Bedreddîn est raconté en
détail dans le Menâkibnâme32
3
'Divergence sur la date de la mort d'Ahlâtî entre les sources arabes et la source turque : dans le
mnk, le cheikh Hiiseyin serait mort vers 807/808-1404/1405, selon Kissling, 175. La curieuse
précision de Taghif Birdî : on trouva à sa mort dans ses affaires "...une coupe d'or, du vin dans des
bouteilles, une ceinture de moine et l'Évangile des chrétiens (jâm dahab wa hamr fi qcmân wa
zunnar ar-ruhban wa-l-injil aladî biaydi-n-nasâra)", loc. cit.
32
Y aurait-il un rapport entre notre cheikh d'Ahlât et "Zadeh al-Ahlâtî, l'un des principaux
cheikhs et cent fakirs de ceux qui sont privés de raison", rencontré par Ibn Battfita à Izmir, II,
310 ? Bedreddîn envoyé comme dâX Kissling, 153 nt. 3, et TaçkSprilzade-Furat, 50-51. Sur le
voyage en Azerbaydjan, mnk, 57-65.
VIE ET MORT DU CHEIKH BEDREDDÎN 51
J
- T i m u r en Anatolie égéenne et son départ, Zachariadou-7>o<fe, 81-85 ; Alexandrescu-Dersca,
Campagne, 80-90. Décès de Muhammad Sultan, WookHma-TamburUtine, 274-75. Timur à .Erzurum,
Clavijo, éd. Le Strange, 138. Une cérémonie en l'honneur de Muhammad Sultan a lieu à Avnik à
lest d'Erzurum, Hookham, 275-76. Bedreddîn dans le convoi funéraire de Tabriz à Sultaniyye
mnk, 57-58. Plutôt que "dans une plaine près de Tabriz", comme le dit Kissling, 154, la plaine où
Tamerlan établit son camp (Kondi bir sahrâ içinde, mnk 58), est le Karabagh où se rend le
conquérant, venant directement d'Avnik, après la campagne de Géorgie, qu'il a dirigée
personnellement, à l'automne 1403, Hookham, 277. On peut ainsi reconstituer les déplacements
de Bedreddîn : Le cheikh qui attendait à Tabriz la fin de la campagne de Timur, se joint au convoi
de Muhammad Sultan, lors du passage de ce dernier à Tabriz. Il le suit jusqu'à Sultaniyye, puis
revient à Tabriz, avant d'aller joindre Timur dans ses quartiers d'hiver du Karabagh. Bedreddîn et
les soldats ottomans de l'armée de Timur, mnk 58-59.
34
Timur et Hoca Alî, Kissling 153, nt. 4. Fazlullâh en Azerbaydjan, £./., "Hurûfiyya". Bedreddîn,
Hurûfî, Séfévides, infra chap. III nt. 32 à 34.
35
Rubrouck, 237 ; Clavijo, 154 ; Schiltberger, 56-57.
52 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
3
®Sur Djazarî, cf. E.I. et TajkopriJzâde, trad. Rescher, 19 sqq. Les entretiens avec Timur, mnk, 59-
62.
37
m«it, 64.
3
®Sur Nimatullâh Walî Kermâni, Corbin, Philosophie islamique, 425 ; N. Pouijavady et P L.
Wilson, Kings of Love. L'anecdote sur le coton qui n'est pas consumé par les braises, rapportée
par Abd al-Razzâq Kermânî (Kisâlah, éd. Aubin, 37-38 ; et Jâmi-i Mufidi. éd. id., 156-158), se
retrouve également à propos d'une "compétition thaumaturgique" entre Geyikli Baba et Abdâl
Mûsâ, cf. Ta$köprüzäde, ¡¡akâyik, éd. Rescher, 6. Abd al-Razzâq Kermânî précise que Nimatullâh
et Ahlâtî avaient le même cheikh, en Égypte, Sayyid Muhammad Âfiâbî ; il est question chez Hadj
Khalfa, éd. Fluegel, III, 262, d'un cheikh anatolien nommé Afitàbi Merzifunî, sans date. Sur les
liens d'Ahlatî avec les Chî'ites, cf. l'accusation de rafidisme, supra nt. 31. Sur les Persans
d'Égypte et leur influence, Taghrî Birdî, Nujûm, I, 6 ; Petry, 66-67 ; Barkflk favorise les Persans
hanéfites, L. Fernandes, A.l. 23 (1987), 89, 92 sqq. L'invasion de Timur est fatale aux Persans
d'Égypte qui, dès 1400, ne peuvent résider au Caire, ibid., 95.
VIE ET MORT DU CHEIKH BEDREDDÎN 53
la mort de ce dernier. Ce choix ne se fait pas. sans opposition et une partie des
derviches s'oppose au nouveau cheikh. Pour eux, "...Bedreddîn était comme une
épine dans l'œil et chacun se sentait plus digne que lui de la succession d'Ahlâtî".
Bedreddîn propose de se démettre ; on admet alors qu'il est supérieur à tous, mais
on recourt alors à l'argument usuel dans de tels cas, à savoir que le nouveau
cheikh est trop jeune pour un tel poste. Finalement, au bout de six mois, il se
décide à quitter l'Égypte, suivi de peu par dix-sept de ses partisans qui le
rejoignent à Jérusalem 39 .
Il y eut probablement dans ce départ précipité que l'on peut situer en 1404-
05, d'autres éléments dont ne parle pas le Menâkibnâme. Le début du XVe siècle
est, en Égypte, une période de troubles politiques, et l'ancien élève de Bedreddîn,
le sultan Faradj, en lutte avec son frère, doit fuir l'Égypte pour la Syrie le 20
septembre 1405. La situation économique de l'Égypte, d'autre part, est
catastrophique. Le monastère de Shaykhûnîya, par exemple, est en proie à une
grave famine qui handicape son fonctionnement. Cet ensemble de raisons
précipite probablement le départ de Bedreddîn, mais si l'on en croit la Geste, il
semble surtout que le cheikh désormais a le désir de transmettre son expérience
dans son pays d'origine : "...Il décida de rentrer en Rûm pour y répandre
l'enseignement de l'Union à Dieu". Sans s'attarder à Jérusalem ni à Damas, il
parvient en Syrie du nord et c'est à Alep qu'il expérimente les premiers succès de
masse de son enseignement et l'influence qu'il peut avoir sur les Turcs. Il
convient de s'arrêter quelques instants sur Alep. et la place de cette ville et de sa
région, charnière entre Syrie et pays de Rûm, dans le bouillonnement mystique
contemporain 40
Alep
Il paraît naturel que le principal disciple du cheikh Ahlâtî fût connu dans
une ville où son maître avait exercé en premier lieu son influehce. Le
Menâkibnâme spécifie que le cheikh est accueilli par un millier de Turcomans, ce
qui montre l'influence d'Ahlâtî et des siens en monde nomade. On verra plus loin
le rôle joué par les Torlak. Cela révèle aussi une certaine coloration bâbâi chez
-5Q
"mnk, 73. Sur la mort d'Ahlâtî, à la suite d'une fièvre qui se déclare un vendredi pendant la prière à
la mosquée d'Ibn Tulûn, ibid., 80-82 ; Bedreddîn récite des vers de Yunus Emre au chevet du
mourant, ibid., 82. Sur les difficultés de succession et le départ d'Égypte, ibid., 83-84.
40
S u r la fuite de Faradj en Syrie, E.Ì. sous rubrique. La situation économique de l'Égypte au début
du XV e siècle, famines etc..., Petry, 328, 337. Sur les brèves étapes du cheikh à Jérusalem et à
Damas, mnk, 84-85.
54 ISLAM MYSTIQUE ET RÉVOLUTION ARMÉE
Bedreddîn, tant il est vrai que le type du lettré et du soufi orthodoxe, peut se
mêler, à cette époque, chez un même personnage, au type du derviche populaire à
forte audience dans les masses. Les Turcomans d'Alep, probablement anciens
disciples d'Ahlâtî, veulent à toute force garder Bedreddîn auprès d'eux et lui bâtir
un couvent, mais, insiste Hâfiz Halîl, ".. .le but de Bedreddîn était Rûm".
- Karaman et Germiyan
41
Ahlltf & Alep, Ibn Hadjar, n° 82. Les Turcomans d'Alep et BedreddTn, (Tiirkmdn-i Haleb bin ki}i
varidi), mnk 83. Nesfmi et Bedreddin, infra, chap. Ill, nt. 33. NimatullSh et Alep, Pouijavady et
Wilson, Kings of Lave, 13. Bistimi d'Antioche, GSipauait-Bedreddin, 10. Djuneyd le sifivide et
les Bedreddini, Ajikpasazfide, 250. Suhrawardf & Alep, Uamt-Schismes, 230-231. Sur les Nusairi,
Massignon, O.M., I, 640 sqq. Alevi et Bekldfi, Birge-Btklashi, 211-212.
VIE ET MORT DU CHEIKH BEDREDDÎN 55
doute laissé des relations. Il s'y installe dans une maison mise à sa disposition
par ses disciples et enseigne dans une medrese locale.
Sur la Karamanie au début du XVe, £./.. «Kârâman-Oghullari» ; Beldiceanu-Oeux villes, 42. Sur
l'attitude anti-soufi du Bey de Karaman, mnk, 86. Sur le cheikh Nûre Sûfi, ancêtre des
Karamanides, Çikâiî. Karaman Ogullan Tarihi. éd. Koman, 16, où Nûre Sûfi est présenté comme un
disciple de Baba flyâs. Kâdî Ahmed de Nigde, cit. par Ocàk-Baba Resul, 42. Brocquière, 90. Le
Karamanide devenant disciple de Bedreddîn, mnk, 87.
43
Sur Hamîd al-Kayserî, ibid., loc. cit. ; cf. aussi Ta$kôpruzâde, trad. Rescher, 29-32 ;
Bayramoglu-Wuci Bayram, 19-22 : Haci Bayram est le disciple d'Hamîd à Aksaray pendant 10 ans.
Hamîd avait des relations étroites avec les Séfévides, Kissling, 160 ni. 1. Ak$emseddîn et
Bedreddînîyya, infra, chap. III, nt. 4.
^ S u r l e s Germiyan. E.I., «Germiyân Ogullan», et Empire Ottoman, éd. Mantran, 17, 42-43, 46-
47, 53, 56-57. Cf. aussi Varlik, Germiyan-Ogullan Tarihi, 71 sqq. Yakûb II et Bedreddîn, mnk,
87-88. Retour d'Égypte, Ahmedî avait écrit pour Soliman Châh, émir de Germiyan, mort en 1387,
et séjourné longuement à la cour de Germiyan avant de passer au service des Ottomans, Bombaci-
Littérature turque, 250-251.
56 ISLAM MYSTIQUE ET RÉVOLUTION ARMÉE
B) L'étape égéerme
Sur l'Aydineli après la bataille d'Ankara, EL, «Aydinoghlu» ; H. Akin, Aydin Ogullart, 64 sqq ;
Zachariadou-jTrade, 76 sqq ; Foss-Ephesus, 141 sqq. Voyage de Bedreddîn d'Edime à Aydin, mnk,
95. Haci Pacha, à la cour d'Aydin, supra nt. 17. Has Miirid. Oruç bey, dans Kurdakul-fledreiMn. 39.
Le fils de Bedreddîn et Bôrkliice à Nizâr, mnk, 143. Babinger^D/e Vita, 108, lit. v l r Naiâr ,
Golpinarli, mnk, 143 lit le manuscrit du mnk, fol. 121, y I / * , Nizâr. En ce qui concerne la
localisation de l'endroit, on peut, sous toute réserve, évoquer le site de l'antique cité de Nysa ad
Maeandrum, appelée jusqu'à nos jours par les habitants de là zone, Eski Hisar. On pourrait
supposer, pour désigner un village occupant les ruines antiques, |a survivance au XV e siècle de la
dénomination ancienne Nysa, combinée au mot turc Hisâr, selon une contraction Nysa-Hisâr->
Nizâr dont on a des exemples : Néo-Kaisareia-t Nig-Hisâr-> Niksâr, cf. Hammer, Hist. Emp. Oit.,
11, 126, ou Koloneia-t Kol-Hisâr-t Koilisari, Vryonis-Dec/ine, 449 nt. 14 ; l'adoucissement du
sigma grec en ze turc (Ni-S-âr-t Ni-Z-âr), est, par ailleurs, fréquent : Aino-S-> Eno-Z
(AÎvos-> ), S-myme-» lZ-mir, (S^ijwrç-* J t f i } ) etc. ..Carte du site dans «Nysa and
Maeandrum». éd. W. Diest, J.K.D.A.I. (1913). Bibliographie sur Nysa dans Lemcrlc-Aydin, 28
nt. 1.
46
S u r Ciineyd, infra, nt. 109 à 112. Il est appelé "tzmiroglu" par les chroniqueurs ottomans, par
exemple Â$ikpa;azâde, 157, 165, 166. Le ralliement de Ciineyd et de ses hommes à Bedreddîn,
mnk, 89.
58 ISLAM M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
Les gens de l'île s'adressent à leur gouverneur (beg) pour que l'on invite le
cheikh à venir prêcher sur les "mystères du Messie" (sirr-i Mesîh) :
Le passage concernant Bedreddîn à Chio est dans le mnk, 80/1352-93/1417 Au vers 1379, il y
a un jeu de mots intéressant sur l'expression baj iistiine par cette formule, l'auteur du mnk décrit à
la fois l'imposition des mains appliquée par Bedreddîn sur la tête des moines, ambassadeurs de
Chio. et l'accord du Cheikh à la requête des dits-moines
Kaldurub elin kodi ba§'ustime,
Bunlara geliib didi ba; ûstiine.
Sur les études d'astronomie faites par Bedreddîn, mnk 20.
48
S u r le "HÛ" (Huwiyya) nom divin cher aux soufis, cf. par exemple, Ibn Arabi, Futihât, éd.
Chodkiewicz, 319, 326, 329, 408... Sur l'état de safâ, que Rûmî rapproche de sûfî, cf. Vitray-
Meyerovitch, Mystique ei poésie, 136-144.
49
Enoz/Ainos, à l'embouchure de la Maritza, relevait à l'époque comme Chio des Génois. En
1397, Nicolo Gattilusio est seigneur d'Ainos, Setton-Papacy, I, 361. Le mot utilisé dans la Gèste
pour désigner ceux qui, à Chio, se convertirent à l'islam sous l'influencé de Bedreddîn, dont
plusieurs clercs, est sâlàn qui signifie à la fois "habitant" et "calme" : ce terme emplôyé ici, dans
un contexte de contacts entres mystiques, ne désignerait-il pas à mots couverts, ceux qui ont
atteint le "calme" intérieur, les "hésychastes", et particulièrement ceux d'entre les interlocuteurs
monastiques de Bedreddîn qui devinrent ses disciples (et aussi les discipiés de Borkluce) ; le
distique 1410, p. 92 pourrait ainsi avoir un double sens : "Parmi les habitant» de l'île", ou "Parmi
les moines de l'île" (Adada sâkin olanlarda), "cinq personnes devinrent musulmanes". L'hyppthèse
est quelque peu hardie. Elle n'est cependant pas impossible si l'on prend en compte, d'une part, le
goût pour un certain langage "codé" qui caractérise le genre des menâkibnâme ; d'autre part, la
connaissance probable que Bedreddîn et ses disciples devaient avoir de l'hésychasme, mouvement
dominant de la mystique byzantine contemporaine, du fait, si on en croit les sources, des
relations suivies entre moines et Bedreddînt, et du fait aussi de l'ascendance maternelle chrétienne
du cheikh de Samavna.
texte, mnk, 80-93, est à rapprocher du passage de Doucas qui raconte la mission ì Chio des
envoyés de BOrkltlce Mustafâ, infra nt. 79.
60 ISLAM M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
^ ' Bektâ$ chez un moine d'une île du "Frenkistan", supra chap. I nt. 39. Saltuk et les moines,
Saltuk-nâme, 6-8. Emir Sultan et le moine du Ke;i§ Dag, Senâî, Menakib-i Emir Sultan, 60-63.
Baba llyâs et le fils de moine, Elvan Çelebi, Menâkibu'l-Kudsiyye, 23. Mahmûd Pacha dans un
monastère, Mahmûd Pa$a Velî, Menâkibnâme, éd. Banoglu, 9-14.
52
Argenti, The Occupation of Chios. 170, 390. Livre des Faits, éd. Buchon, 614-616.
VIE ET MORT DU CHEIKH BEDREDDÎN 61
«
Mauvaises relations ottomans-occidentaux, Zachariadou, «Sept traités inédits entre Venise et
les émirats d'Aydin et de Menteje», Studi Preottomani e Ouomani (1976), 237 ; même auteur-
Trade, 81. Ambassades de Tamerlan à Péra, Balard, Romanic génoise, 101, nt. 351.
Rétablissement des relations entre Altologo/Ayasoluk/Ephèse et l'Archipel, Zachariadou-Trade,
85. Turcs réfugiés dans les îles franques, "Tbiriet-Assemblées, II, 95.
62 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
Un point du récit turc peut aussi laisser sceptique : les contacts directs
pendant dix jours entre un derviche et la population locale, ainsi que la
manifestation publique des idées et des pratiques du mystique musulman devant
un auditoire chrétien : Georges de Hongrie qui a vécu en pays turc entre 1436 et
1458, raconte la présence, dans la même île de Chio, de derviches hurûfi qui se
livraient en public à de curieuses manifestations de piété, entrant dans les églises,
s'aspergeant d'eau bénite et proclamant à qui voulait l'entendre qu'islam et
christianisme se valaient. La présence de Hurûfî dans une île où Bedreddîn et ses
disciples avaient prêché quelques années auparavant, est d'ailleurs un autre
élément à verser au dossier de la communauté d'idées, de pratiques et de milieu
d'action, entre bedreddînî et hurûfî. Le laxisme des autorités, permettant que se
déroule une cérémonie musulmane au vu et au su de tous, n'est lui-même pas
plus incroyable que les chants et danses turcs organisés aux portes du palais
impérial byzantin et à l'entrée même des églises, avec l'accord du basileus, une
cinquantaine d'années auparavant 55 .
5
^ L a tradition gâzî chez les Aydinoglu, Mélikoff-Dej/dn, passim. Mathieu d'Ephèse et les
Aydmoglu, Vryonis-Décliné, 346-348. Moines de St Jean de Patmos, ambassadeurs de Menteje,
lorga, R.O.L. (1896) 240. Buondelmonti, éd. Legrand, 223. Moine ambassadeur de Murâd 11.
lnalcik, Tetkikler, 8.
55
Georges de Hongrie, Tractatus, chap. 20. La cérémonie musulmane dans le palais byzantin,
Grégoras, Bonn, III, 194-203.
VIE ET M O R T DU C H E I K H BEDREDDÎN 63
turque qui mouille sur la côte de Palatia et de Théologo. Il s'agit d'un de ces
nombreux marins, grecs ou italiens, passés au service des Turcs 5 6 .
C) Vers l'Europe
Après ce séjour, court mais décisif pour l'implantation des ses partisans en
Ionie et pour ses contacts avec les chrétiens, Bedreddîn se décide à gagner sa
Thrace natale. Mais les bey d'Anatolie se battant entre eux, la route de la mer est
coupée par la flotte de Saruhan, et le cheikh doit, pour regagner Edirne,
emprunter la voie de l'intérieur et faire un long détour par Kiitahya et Domaniç
jusqu'à Bursa. La guerre dont parle ici la Geste, est probablement celle qui
oppose, en 808/1405, Mehmed Çelebi à la coalition formée par son frère et rival
tsâ et les émirs d'izmir. d'Aydin de Mente§e et de Saruhan 57
Pendant ce périple, les contacts pris par le cheikh avec les populations
locales furent certainement très fructueux, si l'on en juge par le fait que, outre
Bôrkliice, Bedreddîn recruta un autre important lieutenant dans la région, le torlak
Kemal qui devait opérer, au moment de la révolte, autour de Manisa. L'itinéraire
suivi par Bedreddîn ne fut pas imposé par les seuls troubles politiques qui
agitaient l'Asie-Mineure occidentale ; il doit correspondre aussi à un désir de
prêcher parmi les populations turcomanes des yayla (pâturages d'été) de cette zone
montagneuse qui s'étend de la montagne de Domaniç jusqu'au Ke§i§ Dag, où dès
le XIV e siècle les Turcomans menaient pâturer leurs troupeaux. Les émirs
ottomans aimaient à y passer la saison chaude : c'est dans un des ces yayla de la
proximité de Bursa, par exemple, que résidait Orhan, selon un témoin grec du
5
''Trafic entre Ainos et Chio, Dennis, «Three Reports from Crete on the Situation in Romania»,
Variorum, XVII, 255-259. À Palatia et à Théologo, la flotte turque est sous le commandement d'un
certain "...Cressy qui erat christianus de Chio et modo est renegatus et effectus Turchus", ibid.,
248.
57
S u r la coalition de 1405/808 contre Mehmed Çelebî, cf. Dani$mend-Â>ono/o;i.ii, I, 152 ;
Ne§rî, II, 449-450 ; Imber-Ottoman Empire, 64-65.
64 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
milieu du XIVe siècle, Grégoire Palamas. Les idées du cheikh furent apparemment
toujours bien reçues parmi les populations turques un peu isolées des massifs
montagneux : Bedreddîn sera accueilli avec enthousiasme dans le Kuru Dag en
Thrace, avant son arrivée à Edirne, de même que Bôrkliice recrutera ses plus
chauds partisan dans la montagne de Karaburun en face d'tzmir et que des
bedreddînî seront signalés dans le Yayla Dag d'Antioche58.
5
®Sur les Yayla d'Anatolie nord-occidentale, Kissling, 162 nt. 5. Palamas dans les yayla où réside
Orhan, Lettre, 146 : "[ce lieu] jouit d'un climat très fiais même en été ; c'est pourquoi [Orhan] y
passait l'été" ; cf. aussi la description d'ibn Battûta : "Mohammed, fils d'Aydîn, se trouvait alors
sur une montagne voisine où il passait l'été, à cause de l'extrême chaleur. Cette montagne était
froide, et il avait coutume d'y passer le temps des chaleurs", II, 298. Sur le Kuru Dag,
(prolongement occidental de Ganos), mnk 92. Sur le Yayla Dag d'Antioche, Â$ikpa§azSde, 250.
59
Siirme, mnk, 94 ; DSgalar ou Duvicalar, Kissling, 168, et mnk, 111.
60
Fityân, ahí, cf. El. «Akhî», «Akhî», «Futuwwa». Cf. aussi Ibn Battûta, II, 260. Sur les Torlak,
F. Kôprillû, «Abdal», T.H.E.A (1935), 23-38 ; E. Rossi, «Torlak», T.D.A.Y. (1955), 9-10.
VIE ET MORT DU CHEIKH BEDREDDÎN 65
Torlak, Kalender, Babai, Ocak, «Quelques remarques sur le rôle des derviches Kalenderis...», O.A.
3 (1982), 69-73, Descriptions européennes des Torlak, Spandugino, Petit traicté, 219, 222, 224-
228 ; Nicolas de Nicolay, 194-197 ; Postel, De la République des Turcs, 107 sqq ; Domenico
Magri, Viaggio, 32.
6
'Bedreddîn et les Torlak, mnk, 93-94. Candémir parle d'un "...Kalenderoglu qui, sous, Mehmed
1er, réduisit presque l'empire ottoman à sa dernière extrémité", éd. Dutu, 145.
62
mnk, 94-96.
66 ISLAM M Y S T I Q U E ET RÉVOLUTION ARMÉE
A) Bedreddîn et Mûsâ
63
S e l o n Filipovid, Princ Musa, 381-391, Bedreddîn sut utiliser ses fonctions officielles pour
élargir son influence et, sous couvert de la légitimité de son protecteur ottoman, il prépara la
future révolte. Après la mort de Mûsâ "...il utilisa les forces populaires qu'avait mobilisées Mfisâ,
pour réaliser son propre programme religieux et socio-politique, beaucoup plus radical que celui
de son protecteur défunt", ibid., 392. Sur l'importance de la fonction de "juge des armées", créée,
chez les Ottomans par Murâd I er en 1363/764, £./., «Kâdî Askar». Sur les cas d'intervention du
mystique dans la société selon le Vâridât, infia, chapitre III nt. 22, et Vâridât, éd. C, Yener, 67,
105. La période du Kadiaskerlik de Bedreddîn est dans le mnk, 97-101.
64
S u r le régime zélote, basé sur l'expropriation des grands propriétaires civils et religieux,
Ostrogorsky, État Byzantin, 537-541. Curieusement, Philothée considère les idées zélotes
comme d'origine barbare, Vie de Sabas, éd. Papadopoulos-Kerameus, A.I.S. 5 (1888), 194 : "cela
ne vient pas de votre peuple mais des barbares venus de loin et des îles alentour". Révolte de
vilains en Crète, infra, nt. 90. Les révoltes crétoises du XIV e siècle, Thiriet, Sénat, I, 31-32 ;
idem, Assemblées, I, 261-262, II. 33. Révolte à Chypre en 1424, Léonce Makharias, éd. Miller,
390-392.
6
^ L e mnk évoque les contacts de Bedreddîn avec les populations de la zone bulgaro-danubienne à
l'époque de son Kadiaskerlik, 111
VIE ET MORT DU CHEIKH BEDREDDÎN 67
66
S u r les descendants des partisans du sultan lzzeddîn Kay-Kâûs II établis dans les Balkans, £./..
«Gagaouz» ; Witteck, «La descendance de la dynastie Seldjouk en Macédoine», E.O., 33 (1934) ;
id., «Yazijioghlu Alt on the Christian Turks of the Dobruja», B.S.O.A.S.. 14 (1952) ;
Zachariadou «Les descendants chrétiens d'Izzeddîn Kay-Kâûs II à Véria» (en grec), Mdkedonika, 6
(1964-65). Mircéa l'Ancien, le Mirçi du mnk, 110, est un allié de Mûsâ pendant la guerre civile
entre épigones ottomans, Ajikpajazâde, 146 ; Oruç, 67 ; Nejrî, 477 ; Mûsâ épouse la fille de
Mircéa, Ne$rî, II, 477. Ce dernier soutient Duzme Mustafâ, Krekrié-Duvrovnik, 266 :
"Mustafa. venit cum aliquibus vlachis voivode Mirce usque in regnum Bulgarie". En 1409,
Mircéa est accusé par les Hongrois de s'être "uni d'amitié avec les Turcs pour commencer une
guerre contre les chrétiens", lorga, Histoire des Roumains, 387. Cûneyd à Achridôs près de
Samavna et d'Edime : sur Achridôs-Morrha (AxpiSàs), cf. C. Asdracha, La Région des Rhodopes,
10, 150-154. Sur Cûneyd, infra, nt. 109 sqq. Pour la chronologie, Kissling, 175-176. Sur
Mihaloglu Mehmed Beg, beylerbey de MÛsS, Ne$rî, II, 489, et A$ikpa$azâde, 147. Un autre
membre de la famille passe du service de Mûsâ à celui de Mehmed I e ', ibid., 148. Les Mihalogullan
qui avaient leur siège dans le nord de la Bulgarie, étaient, sous Sélirii I er , présentés comme Bektâçî
et amis des Kizilba$, I. Beldiceanu, «Le règne de Sélim I er », Turcica 6 (1975), 41 et nt. 34.
67
M û s â selon le mnk, 97. Mûsâ, fanatique, Doucas, Bonn, 91 ; Wittek, R.E.I., 12 (1938), 22.
68 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
Bedreddîn, fils d'un gâzî rouméliote très populaire à Edirne, dont la famille
était, selon Oruç Bey, liée depuis Osmân aux Mihaloglu, juriste célèbre de plus,
ne pouvait qu'attirer l'attention du nouveau maître de Roumélie 68 .
Durant son mandat de kâdtasker entre 1411 et 1413, Bedreddîn, selon les
chroniqueurs ottomans, s'adjoint comme intendant (kethiidâ), un personnage
appelé Bôrkluce Mustafâ. Profitant de la position en vue que tient Bedreddîn à la
La politique des Çandarli sera mal jugée par les chroniqueurs ottomans de la fin du XVe, lmber,
O.A., 5 (1986), 73-74. La fermeté de Mehmed Ier contre le courant Bedreddfnien contraste avec le
laxisme du régime de Mûsâ à l'égard des gens aussi peu orthodoxes que Bôrkliice, par exemple,
occupant une fonction de KethUdâ à Edirne, infra nt. 71. Mûsâ et les Gâzt des marches du Danube,
Doucas, 88 ; Mûsâ et Isfendiyâr, ibid., loc cit. Certains beys rouméliotes cependant le trahiront à
cause de sa politique de confiscation des biens, lmber, O.A., 79 et id. Ottoman Empire, 69-73. Les
liens anciens entre la famille de Bedreddîn et les Mihaloglu, Oruç, 26.
69
L'époque du Kadtaskerlik de Bedreddîn à Edirne, rtmk, 96-100. Sur le régionalisme rouméliote,
Yérasimos-Fondation, 207-209 ; Doukas, 109-110.
70
Les partisans de Ciineyd & Tire, ibid., 97, ville où avait prêché Bedreddîn, mnk, 88. Ciineyd et
ses rapports divers avec les fils de Bajazet, infra, nt. 156-157.
VIE ET MORT DU CHEIKH BEDREDDÎN 69
B) L'exil
7
' l d r î s , dans Kurdakul-Bedreddîn, 42, mnk, 143 : lsmâîl meurt en »10, à Nizâr, où il habite avec
sa famille.
72
L a disgrâce de Bedreddîn à Iznik, mnk. 101-102 ; Kissling, 165-166. Rédaction du Teshîl,
Dindai-Wâridât, 33.
70 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
• Les sources...
Côté ottoman, nous reproduisons deux des plus anciennes sources, les
autres ne faisant que reprendre ia plupart du temps, les mêmes informations, tout
en ajoutant quelques précisions originales que nous signalerons.
73
mnk, 102-103. ldrîs-Kurdakul, 42.
^ S u r les dates de rédaction du Behceiatievârih, éd. Atsiz, 40 et Imber-Ottoman Empire, 2.
VIE ET MORT DU CHEIKH BEDREDDÎN 71
tua ceux qui, bien que reconnaissant qu'il ne faut adorer que Dieu, niaient
que M u h a m m a d fût l'Envoyé de Dieu. Ceux qui reconnaissaient
Muhammad comme Envoyé de Dieu ne furent pas exécutés mais remis en
liberté" 75 .
Les récits d'Oruç bey (vers 1500) et de Ne§rî (mort avant 1520) soni
pratiquement les mêmes, avec cependant quelques précisions supplémentaires :
Alors que Bedreddîn était kâdtasker, il avait un intendant (kethuda) qui était
son propre disciple. Allant à Karaburun, il y devint cheikh, provoqua des
troubles et par son hypocrisie, gagna à sa cause les gens d'Aydin. Il se
considérait comme un prophète, ce qu'à Dieu ne plaise !... Entre Bôrkliice
et le cheikh Bedreddîn, il y avait union complète... (le récit de la
campagne de Karaburun est identique à celui d'A§ikpa§azâde). Bâyezîd
Pacha vint ensuite à Manisa accompagné de Sultan Murâd. Apparut
ensuite de ce côté-là, un nommé Dorlak Hû Kemal. Lui aussi rassembla
beaucoup de disciples et de partisans. Ils étaient plus de 2.000. Eux
également perpétrèrent de graves désordres et se conduisirent comme des
hypocrites et des athées. Ils corrompirent la province d'Aydin et ses
environs. Des soldats envoyés contre eux les arrêtèrent et les pendirent.
Pour Ne§rî, c'est "...la plupart des gens du vilâyet d'Aydin qui se rallièrent (à
Bôrkliice). Il invita le peuple à rejoindre sa secte de hors-la-loi (ibâhat mezhebi)".
Le révolté de Manisa, quant à lui, est désigné par Ne§rî comme "...un torlak
75
BcAcef«7.-Atsiz, 60 : l'allusion au pays de Nushirevan au Khorassan renvoie aux contacts
iraniens de Bedreddîn et de son maître AhlStî, supra, nt. 34, 38 sqq.
76
Dale du Tevârih-i Âl-i Osman, O. Bayrak, Osmanli Tarihi Yazarlan, 54-55. Le passage sur
Bôrkliice est dans l'éd. Atsiz, 153.
72 ISLAM M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
Même son de cloche chez tdrîs Bitlîsî, dans son H as ht bihisht, écrit en
persan sur l'ordre de Bajazet II et terminé en 1513 :
Mustafâ et Torlak Kemal se sont révoltés sur ordre de Bedreddîn pour convertir le
peuple. Tous les disciples du cheikh sont qualifiés par Idrîs du terme très
caractéristique de dâ'î, désignant à la fois un missionnaire et un agitateur
politique 78 .
En ces jours-là. surgit d'entre les Turcs, un paysan ignorant, dans les
parages de la montagne qui se trouve à l'entrée du golfe d'Ionie, en face de
Chios, et qu'on appelle communément Stylarion. Cet homme prêchait
aux Turcs la pauvreté et leur enjoignait de mettre, excepté les femmes,
tout en commun : la nourriture, les vêtements, les troupeaux et les terres :
Moi, disait-il, je me sers de ta maison comme si elle était mienne, et toi,
de la mienne comme si elle était à toi, à l'exception des femmes. Abusant
les paysans par cette doctrine, il pratiqua une amitié trompeuse envers les
chrétiens : si un Turc, soutenait-il, dit que les chrétiens sont des impies,
c'est lui-même qui fait preuve d'impiété. Et tous ceux qui suivaient sa
manière de penser, quand ils rencontraient un chrétien, l'accueillaient avec
amitié et l'honoraient comme un envoyé de Dieu.
77
Dates des ouvrages d'Oniç et de Ne$n, Imber-Ottoman Empire, 2-3. Les extraits sont tirés de
Oniç, éd. Atsiz, 74-76 ; et de Nejrî, éd. Unat et KOymen, II, 545-547.
78
Date du hasht bihisht, Bayrak-Osmanh Yazarlari, 115. Le texte est dans Kuràakul-Bedreddîn,
42. Pour le terme dât, voir par exemple Laoast-Schismes, 32.
VIE ET MORT DU CHEIKH BEDREDDÎN 73
rasé et les pieds sans sandales enveloppés d'un mauvais morceau de drap,
pour saluer l'ermite et lui déclarer : je suis ton compagnon d'ascèse et ce
Dieu que tu adores, moi aussi je me prosterne devant lui et je suis avec toi
pendant la nuit, lorsque, sans bruit, je traverse la mer à pied. Ainsi le vrai
moine, trompé par le faux, commença à rapporter sur ce dernier des choses
étranges : vaquant dans l'île de Samos, déclarait-il, lui aussi devint mon
compagnon d'ascèse, et maintenant, jour après jour, il fait la traversée et
converse avec moi. Et il ajoutait devant moi-même qui consignais ses
dires, d'autres faits extraordinaires.
Là, ils firent subir au faux moine de grands supplices et constatèrent qu'il
restait imperturbable et ferme dans ses élucubrations. Alors, ils le
crucifièrent, le juchèrent sur un chameau, les mains écartées et clouées sur
des planches, et le promenèrent à travers la ville. Les disciples qui ne
voulaient pas renier l'enseignement de leur maître, furent égorgés sous ses
yeux. Ils ne disaient rien d'autre que «Dede Sultan eri§», c'est-à-dire
«viens, Seigneur Père» et recevaient la mort joyeusement.
Jusqu'à présent, la croyance est restée chez beaucoup de ses disciples qu'il
n'est pas mort mais qu'il vit toujours : Après ces événements, j'eus un
74 ISLAM M Y S T I Q U E ET RÉVOLUTION ARMÉE
entretien avec l'ascète dont j'ai déjà parlé. Comme je l'interrogeais sur les
croyances concernant Mustafa, il me dit que celui-ci n'était pas mort mais
qu'il était passé dans l'île de Samos et qu'il y vivait comme auparavant.
Quant à moi, je ne crois ni n'admets en aucune manière les illusions de
cet ermite.
Autre point d'accord des sources : Bôrkliice est décrit comme un paysan
qui a beaucoup de succès en milieu rural et dont les partisans sont eux-mêmes des
paysans (dypobcovs) et des pauvres gens ( a j a k l a r , ôaovs iv dKvrincxjvuri
CtSvras). Leur révolte apparaît comme une jacquerie en même temps qu'une
insurrection religieuse (fetne-ye-molk-o-dîn, dit ldrîs). C'est de plus un illettré,
câhil pour les auteurs ottomans, lôtéTqs pour le Byzantin, vivant contraste avec
son cheikh toujours présenté comme un âlim réputé. Cette ignorance est
d'ailleurs bizarre pour quelqu'un ayant occupé la fonction en vue de kethiida d'un
haut fonctionnaire sultanien. Le mouvement insurrectionnel que Bôrkliice anime,
recrute essentiellement chez les mystiques les plus exaltés et les plus
marginaux ; ceux que Doukas appelle monochitônès ou "caloyers turcs"
représentent bien les torlak et autres "misérables soufis" ( b e d b a h t sufiler) des
chroniqueurs ottomans, catégorie de religieux qui forme le noyau dur de la révolte
et est systématiquement pourchassée et exterminée après la défaite par des
7
Sur Doukas, Ostrogorsky, Empire Byzantin, 491. Le texte est dans Bonn, 111-115. Le
supplice infligé à Bflrkliice, crucifixion et exposition sur un chameau est plusieurs fois attesté,
Massignon-Z'tmion, II, 165 ; Ibn Khaldûn, Le voyage d'occident et d'orient, 199 ; Postel,
République des Turcs, 125.
VIE ET MORT DU CHEIKH BEDREDDÎN 75
vainqueurs qui semblent englober dans leurs mesures de rétorsion tous les
derviches sans distinction80.
Tous nos textes sont évidemment d'accord pour présenter les idées en
question comme pernicieuses et leurs propagateurs comme de faux prophètes, de
80
Afo*, Nejif, 545 ; fukarâyi, Ibn Arabshah-Kurdakul, 32.
81
Sur la campagne anatolienne de Mehmed 1er en 1415, cf. Itvbet-Ottoman Empire, 78-79 : l'ordre
des opérations pose problème comme, d'une manière générale, l'enchaînement chronologique du
règne de Mehmed I". Kemâl n'est pas cité par Doukas, mais ce dernier dit que la répression
ottomane s'étendit à la Lydie, région où opérait le dit Kémâl. L'origine juive de Kemâl n'est
affirmée que par Lûtfi Pacha, dans Gôlpinarli-Bedreddîn, XXIV, qui l'appelle Torlak Yahûdî Kemâl,
les autres chroniqueurs le nommant Torlak Hû Kemâl ( ¿) ) par exemple Nejit, II,
544/15. L'interjection très courante de Yâ-Hi a pu interférer (i moins que ce ne soit la
conjonction Yâhût, «ou») et par le truchement de la forme Torlak Yâhû Kemâl, conduire au nom
très probablement erroné de Lûtfi, Torlak Yahûdî Kemâl. Sur les SiSman, cf. V. Laurent, R.E.B., 13
(1955), et I. Dujcev, R.E.B., 19 (1961) : le métropolite Joseph, futur patriarche de
Constantinople, de la famille royale de Bulgarie, fut évêque d'Ephèse de 1393 à 1416. Son demi-
frère, passé à l'islam le prince Alexandre "fut nanti d'un important gouvernement en Anatolie",
Laurent, 133 et nt. 6. Ce dernier auteur pense que ce fut grâce à l'intervention du prince que
l'évêque eut son siège. Vu les dates de nomination de Joseph (1393) et d'Alexandre (1415), il se
pourrait que ce soit le contraire, si du moins "le fils de SiSman" de Doukas, est bien Alexandre, le
fils du Tsar Jean SiSman III (1371-1393).
76 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
i2
Zandaqa, Massignon-ftusion, I, 429-433 ; Suhrawardî et la Shahâda, ibid., II, 434.
D'autres témoignages entre derviches et chrétiens dans Ocak-Baba Resul. 69, 82 nt. 8, 127.
84
S u r la chronologie, Kissling, 175-176.
V I E ET M O R T DU C H E I K H BEDREDDlN 77
A Samos, se sont enfuis les Turcs qui habitent le littoral des terres de
Palatia et d'Alto-Luogo. Ils s'y trouvent au nombre de huit à dix villages,
avec sept bateaux qu'ils ont tirés à terre. Lesquels Turcs nous sachant à
Chio, nous envoyèrent dire (...) qu'ayant confiance en nous, ils voulaient
nous obéir en tout et faire cause commune avec nous (...) Ils disaient
encore qu'ils voulaient envoyer une ambassade à Candie pour habiter et
occuper Samos pour le compte de Venise dont ils étaient prêts à hisser la
bannière. Le frère Domenego de Alemania est allé à Samos avec deux
galères pour s'arranger avec ces gens qui refusaient absolument de
s'entendre avec Timur®5.
Un autre lien, mentionné par Doukas, entre Mustafâ et Samos, est celui
exprimé par le mythe de la survie du mystique dans l'île ".. .où, selon l'ermite de
Tourloti, il habite à nouveau comme jadis" Peut-être peut-on, sous toutes
réserves, voir dans cette croyance des disciples de. Bôrkliice, une survie secrète des
idées du derviche dans l'île ou ailleurs, à la manière du mode de transmission
secret qui sera celui des idées ou des ouvrages de Bedreddîn, parmi les cercles très
fermés qui se réclameront de lui après sa mort 87 .
ai
Clavijo : "...e fucron otro dia par de una ysla grande ques Illamada Xamo, y es poblada de
Turcos", Historia del gran Tamerlan, Fo 6 V. Buondelmonli, éd. Legrand, 227. Rapport de Pietro
Zeno, Iorga, R.O.L. (1896), 267-268. Sur Domenico de Alemania, Smon-Papacy, 364 ; Lutrell,
«Aldobrando Baroncelli», O.C.P. 36 (1970), 281 et nt. 3. Le personnage est bien connu et au fait
des affaires turques : en 1394, il sert d'intermédiaire entre Antonio Giustiniani et le Suba§i
d'izmir, Balard-flomame génoise, 324. Après la bataille de Nicopolis (septembre 1396), il
intervient dans le rachat des prisonniers occidentaux, remettant au sultan une partie de la somme
exigée par les Turcs (".. .pour mectre en gaige à Baizat pour le premier paiement de la raenson"),
Swon-Papacy, 364. Tamerlan est à Ephèse pendant l'hiver 1402-1403, Zachariadou-7><ufe, 84 ;
Dennis, Variorum, XVII, 258.
86
S u r les razzias dans l'île de Samos et le repli sur Chio des habitants, cf. Marco Boschini,
L'Archipelago, 72 : "Di quest'isola (Samos) furono padroni li Signiori Giustiniani Genovesi, che
non potendola diffendere da Corsari, si risolssero d'abbandonarla, e passarsene a Sio all'hora
posseduta pur de Genovesi". St Elie de Samos, métochion de Néa Moni de Chio, Argenti, The
Religious Minorities of Chios, 68, nt. 2.
87
S u r la survie secrète des disciples et des idées bedreddîniens, remarquer le parallélisme des
témoignages de Nèjrî pour Bedreddîn et de Doucas pour Bôrkliice, Nejiî H, 547, et Doucas-flo/m,
114/21 ; cf. aussi la croyance supraconfessionnelle de ce Grec de Chio, Michel Massinos, qui,
bien que devenu musulman, estimait que "...chacun se sauve dans sa foi", Bennassar, Les
Chrétiens d'Allah, 437. La profession de foi du moine chrétien de Doucas concernant les
prouesses miraculeuses de son maître derviche rappelle celle du moine, disciple de Baba llyâs, qui
78 ISLAM M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
Le milieu social décrit par ce document, est le même que celui où opère
Mustafâ : il s'agit de paysans, de "vilains", dypoÍKOt chez Doukas, homeni de
villissima condilio ici. Ces gens prêchent la révolte en milieu rural comme
Borkliice. Ils enseignent une idée "extrêmement dangereuse pour l'autorité de la
Seigneurie", selon laquelle les vilains sont libres, ce qui est effectivement
générateur de graves troubles sociaux. Borkliice lui-aussi prône indirectement la
liberté des serfs et des paysans pauvres en proposant une radicale répartition des
biens entre tous. Des deux côtés donc, revendications sociales et foncières d'un
milieu paysan qui est prêt à obtenir ce qu'il réclame par la force si nécessaire. Ce
sont des prédicateurs itinérants, comme le sont sur le continent les derviches de
Borkliice, qui répandent ces idées d'un bout à l'autre de la Crète.
raconte "l'ascension" céleste de son maître sur un cheval gris, Elvan Çelebi, Menâkibu'l-
Kudsiyye, 58-59. Pour expliquer le mode de vie et les activités de Borkliice à Samos, Doucas
utilise des verbes comme aùXiCofiai, "vivre en plein air", "camper" ; et oxokifa qui veut dire à la
fois "être inoccupé", "entretenir des relations amicales avec quelqu'un" et "tenir école", "faire des
cours et des conférences", Doucas 113/4 et 115/4.
Qfi
Les Crétois de Chio, Balard-TMïe, I, 237, 241, 268. Le document vénitien de septembre 1415,
Thiriet-SAia/, II, 139.
VIE ET MORT DU CHEIKH BEDREDDÎN 79
Bedreddîn (le passage à Samos et à Chio est facile, en particulier depuis Enia,
comptoir génois sur le continent). Or, si l'on examine la question d'un peu près,
on constate que les échanges de populations sont fréquents, non seulement entre
la Crète et les îles génoises mais avec l'Anatolie continentale également : il y
beaucoup de Turcs en Crète, beaucoup trop au goût des autorités vénitiennes ; un
document de 1363 dit qu'on introduit un trop grand nombre d'esclaves turcs dans
l'île ; des Crétois viennent acheter des esclaves turcs à Chio, directement ou par
l'intermédiaire de leurs compatriotes installés en nombre dans la grande île
génoise où l'on vend des captifs en provenance de Phocée ou d'ailleurs. Samos
aussi est un marché aux esclaves réputé. Les prisonniers turcs de Crète ont
souvent le désir de se fixer à demeure dans l'île : un document de 1418 l'atteste et
précise que ces Turcs ont réussi à faire venir leurs femmes d'Anatolie. Une partie
des Turcs qui ont fui à Samos devant Tamerlan en 1403, se déclarent prêts à venir
s'installer de leur plein gré dans les possessions de la Sérénissime. Ces Turcs
résidents finissent par bien connaître la Crète ce qui peut devenir un danger pour
Venise, d'autant plus, qu'à côté des captifs, figurent des mercenaires turcs armés,
comme ceux engagés contre la révolte crétoise de 1365. On peut donc sans
invraisemblance supposer que ces Turcs, présents en Crète à divers titres,
pouvaient sans difficulté propager des idées sur la propriété et le statut des
paysans dont le caractère radicalement réformiste avait quelque chance de trouver
un écho favorable dans les couches les plus défavorisées de la population, sans
parler de possibles disciples chrétiens aussi zélés que l'ermite de Tourloti qui
n'hésitait pas à développer abondamment ses convictions même devant un
auditeur aussi sceptique que Doukas89. En analysant ce que l'on peut reconstituer
du système idéologique de Bedreddîn, il ne faut jamais perdre de vue que les idées
"collectivistes" qu'on lui attribue, sont, en fait, imputées au seul Bôrkliice, et
uniquement dans le texte de Doukas (sans préjuger de découvertes ultérieures dans
les œuvres inédites du cheikh de Samavna). Les sources ottomanes, pourtant
riches en termes d'hérésiologie, ne parlent jamais, comme certains auteurs turcs
modernes, d'iftirakçilik (collectivisme), à propos du cheikh et de son principal
disciple, ni d'aucune notion semblable. L'idée de partager les biens entre tous,
attribuée à Bôrkliice par Doukas n'est cependant pas, sans remonter jusqu'aux
qarmates, totalement inconnue, en mondes musulman et byzantin, si l'on songe,
dans un autre contexte, aux théories, signalées par Pachymère, du moine Nil et de
Jean Tarchianotès, ou à celles de Gémiste Pléthon sur le sujet. Quant au caractère
"christianisant" ou isâwî de Bôrkliice, il est marqué non seulement par les
miracles "christiques" qu'il accomplit (la marche sur les eaux à rapprocher de la
tempête apaisée par Bedreddîn), non seulement par sa mort sur une croix (à
Sur Enia ou Ania, cf. Raiard-Romanie, 165, 591, 850, 859. Esclaves turcs en Crète, Thiriet-
Sénat, 1, 106. Esclaves turcs achetés à Chio par des Crétois, Balard-rA£se, I, 267-268. Samos
marché aux esclaves, Zachariadou-Trode, 81 m. 357. Turcs fixés en Crète rejoints par leurs
familles, Thiriet-i/naf, II, 164. Les prisonniers turcs de Crète connaissaient bien V'ite, ibid.,
161. Réfugiés turcs de Samos qui, en 1403, envoient une ambassade k Candie, "...per habitar et
tegnir quella ysola ad honor et comando de la Signoria vostra et levar la insegna de la Signoria
vostra", Iorga, R.O.L. (1896), 267.
80 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
W/ftiratfihK cf. Kurdakul-Bedreddîn, 134 sqq. Qarmates et collectivisation des terres, C. Yener-
Vâridâl. 37 ; cf. aussi Pir Sultan Abdal : "Pîr Sultan Abdal sait qu'en ce monde-ci nul ne peut
déclarer : ceci est à moi". N. Arzik, Anthologie..., 55. Pléthon, Jean Tarchaniotès, Masai-
Pléthon. 94 nt. 1. Sur Nil, Pachymère, éd. Failier, 288. Marche sur les eaux des saints isâwî,
Chodkiewicz-Sceau, 101. La marche sur les eau* accomplie par Borkliice, Doucas, 113/1, est à
rapprocher de celle du populaire San Saltuk, qui va visiter l'higoumène de St Naum en traversant à
pied le lac d'Ochrid, Hasluck-CAnjiiami>, II, 583. Garâib nesneler, Ne^ri, H, 547. Les termes
utilisés dans les textes ottomans et dans Doucas pour désigner le mouvement de BôrkIUce, sont
très proches : les "apôtres" (diroonMot) de Doucas sont les dât d'idiîs de Bitlis-Kuidakul, 42 ; le
mot répara est à rapprocher de ce qui est un genre littéraire ottoman, les Acayip ou
récits merveilleux, Yétesimos-Fondaiion, 99. La phrase conservée en turc dans Doucas (Dede
Sultan erig) a-t-elle un rapport avec la formule araméenne Marana tha, "Seigneur viens", de 1 Cor
16, 22 ?
V I E ET M O R T DU C H E I K H BEDREDDÎN 81
qu'une analogie d'itinéraire. Avant la reprise en jnain de l'État par Mehmed Ier,
pendant une quinzaine d'années les voies de l'opposition à la réunification
ottomane passeront par Sinope et la Valachie. À l'époque où il luttait contre son
frère Soliman, Mûsâ s'était réfugié à Sinope d'où il était passé en Valachie,
Mircéa lui ayant donné pleine liberté de mouvement dans ses domaines pour
préparer la campagne finale contre Soliman (1409). Depuis Sinope aussi
s'organise la révolte de Diizme Mustafâ en 1415, d'où le prétendant passe en
Valachie. Doukas précise que les partisans de Mûsâ sont les Turcs du Danube.
C'est également dans cette région que Dttzme et Ciineyd recrutent leurs troupes
qui leur permettent de piller la Bulgarie avec l'aide de Mircéa91.
91
MÛsâ et Diizme à Sinope et en Valachie, Hisl. de l'emp. oit., éd. Mantran, 60-61, 63-64. Mûsâ
et les Turcs du Danube, Doucas, 88. Diizme et Mircéa en Bulgarie, Krekrit-Duàrovnik, 266.
92
Sur Isfendiyâr, Y. Yiicel, Çoban-Ogullan, Candar-Ogullari, 83 sqq. Bedreddîn chez Isfendiyâr,
ibid., 94. Ibn Arabsh&h et Bedreddîn, Dinàai-Wâridât, 34-3S. Bedreddîn et le fils d'isfendiyâr,
mnk, ¡03. Transmission spirituelle par l'eau, le souffle, le sang..., Cuinet, Turquie d'Asie. I, 342 ;
cf. aussi C. Bardakçi, Alevilik, passim ; et même, transmission par un bol de soupe ! Belîg,
Gûldeste, 16-17.
93
mn/t, 104-105.
82 ISLAM MYSTIQUE ET RÉVOLUTION ARMÉE
Menâkibnâme lorsque, plus tard, il fut devenu disciple de Bedreddîn, le bateau est
pris par des chrétiens. Ici se place le récit de la carrière ultérieure du capitaine.
Prisonnier, il voit le cheikh en rêve qui le console et lui annonce sa libération
prochaine. Suit la description d'un phénomène de transmission de pensée qui met
à nouveau des prêtres chrétiens en contact avec Bedreddîn. Ces prêtres voient en
rêve le cheikh qui est accompagné de Jésus, et obtiennent par un prône en chaire,
la libération du captif qui est expédié, comme par hasard, dans trois régions
particulièrement perméables aux idées du cheikh : à Chio, tout d'abord, à îzmir
ensuite, le fief de Ciineyd, où il rencontre Hafiz Halîl, à Serrés enfin, lieu de
l'exécution du cheikh, devenu un centre sacré pour ses disciples. C'est dans cette
dernière ville que l'ancien capitaine se fait derviche sous la direction des deux
oncles d'Hâfiz Halîl. Ce passage qui paraît une digression est, en fait,
extrêmement riche en localisations ; il nous fournit à mi-mots la liste des grands
centres bedreddîniens à l'époque où Hâfiz Halîl écrit le Menâkibnâme, sous le
règne de Mehmed II94.
94
mnk, 107-109.
95
L'ancien partisan de Mûsâ est Azap Bey qui avait été emir âlem à la cour d'Edirne, Kissling, 168
nt. l.etOruç, 68, 72, 79 Mircéa et Bedreddîn, Sadeddîn, II, 111 ; Solakzâde, I, 183 ; mnk, 110.
V I E ET M O R T DU C H E I K H BEDREDDÎN 83
dispersent. D'une manière voulue ou non par l'auteur, le récit des derniers jours
du cheikh avant sa capture, fait bien entendu penser au Christ marchant vers
Jérusalem et au triomphe des Rameaux ; son prototype musulman est Hallâj, lui
que la Geste nomme le "Mansflr de Rûm" (Mansûr-i Rûm)96. Dans ces territoires
du bas-Danube et de la Bulgarie où les anciens partisans de Mûsâ se mêlent aux
gagaouz chrétiens de Dobrudja, aux descendants d'izzeddîn Kaykâûs, ancêtre
présumé de Bedreddîn, signalés à Silistre, Varna, comme ils le sont aussi à
Edirne et à Serrés, le cheikh est d'autant mieux reçu qu'il a laissé un excellent
souvenir dans la région depuis le temps où il était juge de l'armée. Cette
précision de la Geste confirme l'action militante de Bedreddîn dans les Balkans
entre 1411 et 1413, où il avait su gagner de chauds partisans, dans une zone qui
devait rester un centre bedreddînien encore actif au XVIIe siècle. Le biographe du
soufi parle en particulier d'un village de bedreddinî appelé Dûgalar 97 .
Hurûc-i Ibn-i Kadi Simavne, par exemple Ne§ri, H, 543. Bedreddîn en Bulgarie, mnk, 110-111.
Mansûr de Rûm, ibid, 82.
97
Sur les Gagaouz, EJ. ; sur les descendants d'izzeddîn Kay-K&Ûs, les articles déjà cités de Wkiet
et de Zachariadou, supra nt. 66. Sur le village de Dugalar pris d'Eski Zagra, Kissling, 168 nt. 7.
^L'entourage de Mehmed I er selon le mnk, 112. Sur Bâyezîd Pacha et Fahreddîn le Persan, infra
nt. 107.
84 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
mufsid. mnk, 111/1705. Les dates de la révolte de Bedreddîn selon les sources ottomanes :
820/1417-18 pour lbn Arabshâh-Kurdakul, 33, et Oruç Bey, 77 ; 822 ou 823, soit 1419-20 ou
1420-21, pour la majorité des autres sources, par exemple Nejrî, II, S37-S43 ; Sadeddîn, II, 179.
Miineccimba$i, 1, 189-190 ; Dani$mend-KronWo/ïj/, 179. La révolte de Diizme sous Murâd II,
ibid., 184-187. Apparition de Diizme en Bulgarie selon un document ragusain du 12 octobre
1416, Kickiit-Dubrovnik, 266. Mort de Bedreddîn, "un vendredi 27 du mois de ¡¡evval", ce qui
correspond au 18 décembre 1416, mnk, 133 ; Kissling, 174 et nt. 1.
,00
En
juin 1415, Mustafâ est dans la région de Trébizonde, Krekrié, 264 ; fin août de la même
année, il est signalé en Valachie, Gelcich et Thalloczy, Diplomatarium, 251 ; en octobre, il pille
la Bulgarie, avec l'aide des Valaques et de Ciineyd, Krekrié, 266. Chalcocondyle, éd. Darko, 1,
190,191.
V I E ET M O R T DU C H E I K H BEDREDDÎN 85
Toujours dans son désir de présenter son aïeul comme une victime des
circonstances et non comme le chef d'une insurrection armée ce qui est la version
officielle de la chronographie ottomane, Hâfiz Halîl décrit l'ultime phase de la
carrière de Bedreddîn comme une immolation quasi-volontaire du cheikh, sans que
la violence intervienne à aucun moment. Mehmed Ier envoie secrètement son
kapictbaft, avec 200 hommes déguisés, pour s'emparer de Bedreddîn. Celui-ci, à
leur arrivée, est en train de prier. En bon astrologue, il déchiffre dans le ciel son
destin fatal. Les personnes qui l'entourent s'étonnent de voir son visage ruisseler
de sueur ; il leur répond que son heure est venue et qu'elle doit s'accomplir.
Mehmed Ier en Macédoine, Doucas, Bonn, 117-121. Pacte entre Manuel 11 et Diizme, Dolger-
Regesten, 101-102. Manuel II a suscité volontairement l'imposteur Diizme, Doucas, Bonn, 146.
Sur un autre MustafS qui apparaît à Thessalonique entre 1423 et 1429 et se prétend fils de Bajazet,
cf. Sym<?i)n-Balfour, 146 nt. 130, 181 nt. 199, 187 nt. 213, 182-187. Sur une mosquée et un
quartier du nom de Diizme MustafS i Salonique au XVIe, Dimitriadis, Tonoypafla, 281.
102
mflJt 116 : SolakzSde, I, 184. Quelques années plus tard on fêtait & Thessalonique, le mercredi
de la mi-Carême, par une cérémonie particulière, la délivrance de la ville à la suite d'une récente
attaque turque, qui peut bien avoir été celle de Mehmed Ier en 1416, Janin-Grands Centres, 369.
scénario combine les éléments fournis par Doucas, 117-121 ; mnk, 116 ; et Sphrantzés,
Bonn, 109 qui dit que Diizme était assiégé dans Thessalonique "par l'émir son frère", à l'automne
1416, ce qui est confirmé par une nouvelle parvenue à Raguse en décembre 1416, selon laquelle
"...le sultan est occupé dans le voisinage de Thessalonique à assiéger son frère qui était
[auparavant] en Valachie", Krékrié, 266.
86 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
Alors, surgit de toute part la troupe venue pour l'appréhender. Le cheikh salue
très poliment les arrivants et leur demande qui ils sont. On lui répond qu'il est en
état d'arrestation ; certains commencent à le tourmenter, d'autres réalisant son
innocence regrettent de devoir le conduire au sultan. On se met cependant en route
pour Serrés. Pendant le trajet, le cheikh s'effondre sept fois. Il est finalement
incarcéré en attendant d'être jugé.
® Arrestation, marche sur Serrés et emprisonnement, mnk. 113-116 ; les griefs, 117-118 ;
revendication du sultanat selon Â;ikpa;azâde, 1S3 : "Çimden geril padigahlik beniimdur" ; et
selon Idrîs-Kurdakul, 43. On lui reproche aussi d'être de connivence avec les Turcomans de
Kazova près d'Amasya, région bien connue pour sa turbulence depuis la révolte des Bâb&i. D'après
le mnk, 117, un nommé Ayiloglu y a soulevé les tribus au moment de l'affaire Bedreddîn, ce qui le
fait soupçonner d'£tre un complice du cheikh de Samavna. Sur Kazova, MéUkoff-Dâni}mend, 149-
151 ; Ibn Bîbî, éd. Gençosman, 263, 298, 299.
VIE ET MORT DU CHEIKH BEDREDDÎN 87
biographe du cheikh établissant, dans des termes voilés (procédé qui lui est
familier), un lien mystique entre le martyr hurûfî et le cheikh de Samavna 105 .
"•^La confrontation entre Mehmed Ier et Bedreddîn, m/ifc 119-120. Sur l'image du soleil qui pâlit
à son coucher, cf. Nesîmî, éd. Arasly, 15 ; et Rûmî, Roubâ'yât, 43.
'°6"Acem'den yenile gelmi$ bir dânigmend varidi, Mevlânâ Haydar derlerdi", Nejrî, II, 547 ; sur
ce personnage, TaçkSprûzâde-Rescher, 33. La harangue des ulemâ, selon tdiis KwáskuX-Bedreddin,
43. Bedreddîn signe lui-même sa condamnation, selon Â$ikpa$azâde, 154. Selon Imber, O.A. 5
(1986) 78-79, le fait de n'avoir pas confisqué les biens de Bedreddîn signifierait que les autorités
ottomanes traitèrent lecheikh comme un rebelle politique et non un hétérodoxe. Voir cependant
les interrogations de Ajikpajazâde qui se demande si le condamné mourut croyant ou athée •.
"ImSn ile mi gitdi ve y£ imSnsuz mi gitdi ? Allah biliir ancak", 154.
Sur Bâyezîd Pacha, l'homme de confiance de Mehmed 1er, Imber, Ottoman Empire, 66, 72, 73,
78, 79, 85, 86, 91-93, 99. Il avait sauvé le jeune Mehmed après la bataille d'Ankara "...le portant
88 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
L'influence spirituelle du cheikh, elle, est loin d'être éradiquée par la mort
du soufî et Ne§rî qui écrit à la fin du XV e siècle, conclut son chapitre sur
Bedreddîn par une remarque sur la postérité spirituelle du martyr, remarque qui est
comme un écho fidèle de ce que disait le moine crétois à Doukas à propos de la
survie de Bôrkliice et de ses idées : "Il y a, aujourd'hui encore, dans la région de
Serrés, des disciples de Bedreddîn. On rapporte sur eux des choses bizarres que
l'on ne peut dire". Dans son texte, Doukas emploie le mot dXXÔKora qui
correspond très précisément au terme turc garaîb utilisé par Ne$rî. Mais au-delà de
la survivance idéologique de Bedreddîn, dont nous allons reparler, le sultan, en
exécutant le cheikh, n'en avait pas fini pour autant avec l'opposition armée des
milieux proches de Bedreddîn. Ceux-ci continuèrent à s'agiter dangereusement
pendant une dizaine d'années sous la direction énergique de chefs anti-ottomans
comme Diizme Mustafâ et surtout Cùneyd, l'ancien maître d'îzmir 108 .
sur ses épaules pendant plusieurs jours", selon Doucas, 126. "Mehmed lui donna la conduite de
l'État. Bâyezîd eut toute l'autorité entre ses mains et fut chargé du soin de toutes les affaires, de la
paix comme de la guerre pendant le court règne de Mehmed. Quand ce prince fut malade, il le fit
venir pour lui confier ses dernières volontés", ibid., loc. cit. Il plaça au mieux les membres de sa
famille ; son frère Hamza épouse la veuve de Mûsâ Çelebî, Cronaca dei Tocco, 367. Bâyezîd est
décrit comme un fidèle serviteur des Ottomans et un musulman convaincu, dans le discours que lui
prête Doucas, 130. Il semble représenter le parti des convertis, zélés au politique comme au
religieux, et donc peu favorables aux hétérodoxes et à tout ce qui s'oppose à la réunification
ottomane. Sa brutale répression en Ionie et son opposition farouche à Bedreddîn, sont un bon
exemple du rôle des Kapikullan dans la réunification ottomane. Sur Fahreddîn al-Acemî,
Ta§kttpriizfide, Rescher, 33-34. Bâyezîd et Fahreddîn dans le mnk, 123-124, où Bedreddîn les
maudit, ce qui entraînera selon la Geste, la mort rapide de la plupart des ennemis du cheikh.
Apparition de Muhammad et d'Abti Hanîfa, ibid., 131-132. Exécution de Bedreddîn, ibid., 133-
134, et apparition post mortem au sultan, ce qui déclenche maladie et mort de ce dernier, ibid.,
134-137 ; cf. M. Balivet, «Un épisode méconnu de la campagne de Mehmed I e r en Macédoine :
l'apparition de Serrés», Turcica 18 (1986). Exécution de certains disciples, Idrîs-Kurdakul, 44.
108
Ne$rî, II, 457 ; Doucas, 1)4/21 ; dXXÔKora, ibid., 113/3.
VIE ET MORT DU CHEIKH BEDREDDÎN 89
le début de leur carrière, liens spirituels qui peuvent expliquer les synchronismes
et les champs d'action communs aux deux hommes, autrement que comme de
simples hasards.
Lui qui avait été surveillé de près par Soliman, semble ne pas être inquiété
par le gouvernement de Mûsâ dans lequel Bedreddîn, nouveau kâdtasker, et son
kethuda Borkliice, ont des positions en vue. Ciineyd ne recommence à avoir
maille à partie avec les Ottomans que lors de la reconquête de l'Ionie par Mehmed
Çelebi après la chute de Mûsâ et l'exil de Bedreddîn. Éloigné à nouveau par le
sultan, de l'Ionie où il est remplacé par le Bulgare Sisman, il est envoyé sur le
Danube comme gouverneur de Nicopolis et c'est justement à partir de cette région
danubienne que vont être lancées aussi bien l'insurrection de Duzme Mustafa que
celle de Bedreddîn. Ciineyd, lié étroitement aux deux chefs ne pouvait que
favoriser leur action. Le texte de Doukas établit d'ailleurs une suggestive relation
de cause à effet entre la présence de Ciineyd dans la région et le soulèvement de
Duzme : apprenant les agissements de Diizme en Valachie, Mehmed 1er dépèche
deux de ses serviteurs pour exécuter Ciineyd, lequel, sentant le danger, avait fui
en territoire valaque deux jours auparavant. Cette réaction montre que le
souverain considérait, sans aucun doute possible, le gouverneur de Nicopolis
comme responsable des troubles dans la zone danubienne. Si le gouverneur de
Nicopolis était partie prenante dans les menées de Diizme depuis la Valachie
voisine, il y a de fortes chances qu'il le fut aussi dans la révolte de Bedreddîn qui
se propagea à partir de la ville danubienne de Silistre, en aval de Nicopolis. Autre
relation de cause à effet possible : le soulèvement du Karaburun n'intervient
qu'après le départ de Ciineyd, contre son successeur, le gouverneur ottoman
' ^ Premiers contacts entre Ciineyd et Bedreddîn, mnfc 88 ; le voyage de 1406-07, ibid., 95 ;
Ciineyd dépossédé par Soliman, Doukas, 83-87 ; conduit par ce demiei à Lampsaque, ibid.. 89,
probablement en 1408, lmber-Ottoman Empire, 66 (qui confond Achridôs de Bulgarie avec
Ochrid/Achrida de Macédoine) ; sur Axfudäs, Asdracha, Rhodopes, 1248-154 ; fuite de Thrace et
reconquête d'Éphèse par Ciineyd, Doucas, 96-97, en 1410-1411, Imber, op. cit., 66.
90 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
110
C a m p a p e de Mehmed I " contre Ciineyd, Doucas, 103-109, en 1415, Imber, op. cit., 78.
Ciineyd doit suivre le sultan en Thrace, Doucas, 109 ; il est nommé gouverneur de Nicopolis,
111 ; sa fuite en Valachie, 117 ; liens entre Ciineyd et les habitants de l'Ionie, 175-176. La
propagande de Bfirkliice dans la région permit le ralliement "de la plupart des habitants de la
province d'Aydin", Nejrî, II, 545.
VIE ET M O R T DU C H E I K H BEDREDDÎN 91
Mehmed I er n'a pas de droit sur la Thrace, Doucas, 149 ; accueil enthousiaste des habitants
d'Andrinople envers Dilzme, ibid., 151-152. Les partisans de Diizme à Vardai Yenicesi, à Serrés,
Ne$rî, II, 557. Accueil de Ciineyd à Izmir, Doucas, 175. Les montagnards de Karaburun, amis de
Ciineyd, ibid., loc. cit. Particularisme de l'Aydineli, depuis le temps des Beylik jusqu'à l'époque
républicaine (Menderes etc...) en passant par les Derebey ; sur ces derniers, Mantran-Wisi Emp.
Oit., 252, 258, 259. Cf. aussi les traditions belliqueuses des montagnards Zeybek : selon Texier,
alliés des Karaosmanoglu d'Aydin, opérant entre Smyme et Éphèse, complices des gens de Samos
pour rançonner la région. Leur chef en 1831 est originaire d'un village près d'Ipsili (forteresse
ionienne en face de Samos, dernier refuge de Ciineyd en 1425, Doucas, 192). C'est un mystique qui
a des visions nocturnes et qui rassemble plus de 10.000 Zeybek dans une révolte contre les
autorités de la région. Il y a des derviches dans les rangs des Zeybek, Ch. Texier, Description de
l'Asie-Mineure, II, 8, 29, 276, et E.I., «Zeibek».
11 ?
" • ' L i e n s tribaux entre Ciineyd et les montagnards du Karaburun, Doucas, Bonn 175. Mort de
Ciineyd et massacre de sa famille, ibid., 195-1%. Ciineyd et Dilzme eurent probablement des liens
personnels avec Théologos Korax, originaire de la voisine Philadelphie/Ala$ehir, et agent des
Turcs à Byzance si l'on en croit Doucas, 123. Le Klaudiotès du voyage de Mazaris aux Enfers,
Joumey lo Hades, 45, 112, pourrait, selon Zachariadou-Trade, 84, nt. 365, avoir quelque rapport
avec Ciineyd.
Chapitre Troisième
Bedreddîn raconte sa vision d'Ibn Arabî : "En 810 (1407), un jeudi vers le
matin, je vis Ibn Arabî. U me dit : 'j'ai voulu expulser Satan vers un autre
monde et j'y ai réussi. Il n'en est resté en ce monde que peu de choses'. Je
compris par la suite ce qu'il avait voulu dire et je l'expliquai à quelques uns de
mes amis : Satan, c'est l'éloignement de Dieu. Le cheikh Ibn Arabî. lui.
représente la proximité de Dieu." (Vâridât)
Les réunions secrètes des disciples de Bedreddîn au XVIe siècle vues par un
détracteur : "Avec du vin et des instruments de musique, ils se réunissent tous,
hommes et femmes, frères et sœurs, vieux et jeunes. Le cheikh imposteur qui
les dirige les admoneste en disant" Ce qu'on appelle paradis est ce monde. La
vie après la mort, les docteurs de la loi sont de simples paraboles. Qui connaît
l'homme connaît Dieu • l'homme est Dieu !" (Bâlî Efendi)
contrairement aux autres récits mensongers, son témoignage à lui est direct et
exact. Il a interrogé les témoins qui ont connu Bedreddîn, comme le capitaine du
bateau de Sinope dont il a été question. Il a vécu avec les principaux
protagonistes de la révolte, Bôrkliice en particulier1.
'Hâfiz Halîl, disciple et seul biographe autorisé de Bedreddîn, mnk, 75-76. Halîl avec Bôrkliice,
ibid., 142-143.
^Mollâ Husrev, ibid., 144 ; sur ce personnage, £./.. et Babinger-Mahomei, 581 sqq.
Emprisonnement d'Halîl et fuite de l'assassin du ulak dans l'île de Karn ou Qarin, mnk, 145,
Kissling, 117. Ce dernier auteur n'identifie pas cet endroit : peut-être s'agit-il du lieu-dit Karine
près de l'embouchure du Méandre, Kiepert, carte Smyme.
^¡¡âh'un kizkarinda}!, mnk, 145 ; on ne sait pas l'identité de la sœur du sultan Murâd H. Les oncles
de Halîl, Ahmed, Kissling 117 nt. 6, et MustafS. mnk, 147.
POSTÉRITÉ SPIRITUELLE 95
®Prise de Constantinople (feth-i Koslantin), mnk, 156 ; d'Edirne à Serrés, ibid., 157.
POSTÉRITÉ SPIRITUELLE 97
7
Les souvenirs de Bedreddîn à Serrés, Ayvetdi-Osmanh mimârî eserleri, IV, 276, 282 ;
Papageorgiou, B.Z, 3 (1894), 294. La rapide islamisation de Senès, Vryonis, B.K.M., XVI, 297.
Ibn Arabî et Serrés, O. Yahya-Histoire et Classification, I, 244. Al-Sirozî, Ûiken-Pensée de
l'islam, 259. Commentaire des Fusûs par Bedreddîn, Dindar- Wâridàd, 43. Yürük de Saruhan, El.,
«Serrés». Zâwiya avant 1388, Beldiceanu, Recherches, 244 ; atelier monétaire, ibid., 246 ; la plus
ancienne émission monétaire est de 816/1413-14, ibid., 183, nt. 7. Sur St Jean Prodrome et les
Turcs Zachariadou-Varionim, XV ; Athonites à Serrés, Actes de l'Athos, Lavra, IV, 187.
® Halîl à Samavna, Kissling, 121 nt. 4, et mnk, 158-159. Le patrimoine de Gazi lsraîl sous
Bajazet II, Beldicéanu, Turcica 6 (1975), 45.
9
Zdwiya de Bedreddîn à Edirne, ibid., 40. L'esprit anti-impérial à Edime, Y érasimos-Fondalion,
206-209.
,0
Balim Sultan de Dimétoka, Bitge-Bektashi, 56 ; Seyyid Gâzî Tekkesi, Beldiceanu-ZtecAircA«,
210.
98 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
- La Takiye
' -'Le mnk est un unicum. Sur la transmission secrète de certaines œuvres de Bedreddîn, cf.
Kissling, 125. Le Nûr al-Qulûb, précise la Geste, a été caché pour être réservé aux amis et disciples
du cheikh, mnk, 110-111. Persécutions des disciples du cheikh, Kissling, 165, et tdrîs-Kurdakul,
44. Famille du cheikh, protégée par plusieurs personnalités, supra, nt. 2 et 3. Mehmed I er et
Herevî, Ajikpa^azâde. IS4. Les Kadirî de Serrés, possesseurs du mnk, Kissling, 125.
I4
Sur la Takiye (taqîyà), pratiquée par les Bektàji par exemple, cf. Birge, 14, 78, 145, 270. Cf.
aussi Laoust-ScAiime, 39, 45, 46, 66, 109, 137, 411. Sur la cinquantaine d'ouvrages écrits par
100 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
Les deux premières fetvâ requièrent la peine de mort contre les bedreddînî
qui se sont livrés aux pratiques et opinions suivantes : avoir bu du vin en
compagnie de femmes et d'enfants ; avoir fait du tiirbe de Serrés leur ka'ba ; avoir
déclaré que la lecture et l'écriture sont des choses absurdes, et que, pour eux, c'est
leur ventre qui leur tenait lieu de science : avoir insulté des croyants orthodoxes ;
avoir enfin échangé entre eux leurs femmes. Tous ces reproches sont
traditionnellement faits en islam à rencontre des groupes doctrinalement
marginaux et minoritaires : la consommation de vin, nous l'avons vu, était
reprochée au propre maître de Bedreddîn, Hiiseyin Ahlâtî, comme elle l'est
constamment aux bektâji. La vénération excessive du tombeau des fondateurs de
sectes, est fréquente, chez les Hurûfî par exemple ainsi que la minimisation
mystique du pèlerinage extérieur à la Ka'ba au profit du pèlérinage intérieur du
retour à Dieu. Le rejet de la connaissance livresque et de la transmission écrite,
considérées comme théoriques à l'avantage de l'expérience vécue et "incarnée", est
aisément discernable dans l'expression déformée et populaire concernant "le ventre
que l'on préfère aux livres". Quant au partage des femmes, c'est une accusation
trop fréquente contre les groupes clandestins, appelés en turc "extincteurs de
bougies" (mumsôndii) par allusion aux orgies nocturnes où ces pratiques étaient
censées se dérouler, pour que l'on puisse y insister ici. On en accuse aussi bien
les yezîdîque les bektâfî ou les dônme15.
Bedreddîn, EL, «Badr al-Dîn b. Kâdî Samâwnâ» ; les trois fetvâ contre les Bedreddînî, Kissling,
127 nt. 2.
' -"Evliyâ Celebî parle du tiirbe de Bedreddîn à Serrés comme d'un ziyaretgâh, ibid., 127 nt. 3. Le
vin chez les Beklâfî : "Bois du vin plutôt que de l'eau de Zemzem. Boire du vin en vérité est très
méritoire. Attache-toi au Tavernier", Edip Harabi, poète Beklâfî, cit. par Birge, 90-91. Le
pèlerinage au lieu d'exécution de Fadl Allâh remplace pour les Hurûfî celui de la Mecque, El..
«Hurûfiyya». Le pèlerinage intérieur : "Il ne suffit pas de partir en pèlerinage sur les routes de la
Ka'ba. La vraie Ka'ba est sur ton seuil ; tu le sais, en toi tu la portes", Yunus Emre, Le Livre de
l'Amour. 54. Rejet de la connaissance livresque, mnk, 44-46 ; AbÛ Saîd, éd. Monawwar, 59-61.
L'accusation de mumsôndii, infra nt. 17, et Kissling, 131 nt. 1 : contre Beklâfî et Yezîdi ;
accusations similaires contre les disciples de Carpocrate à Samos. Chez les Dônme, la fête de
l'agneau (Kuzu bayrami) aurait donné lieu à cette sorte de pratiques. Galante, Juifs de Turquie, VIII,
217. Sur les problèmes du mumsôndii, il faut signaler les riches matériaux rassemblés par I.
Mélikoff en Bulgarie, au cours de ses enquêtes au Deliorman.
POSTÉRITÉ SPIRITUELLE 101
'^Kissling 127 nt. 2. Le pire d'Ebû Su'Ûd commentateur du Vâridât, Gôiçnaiii-Bedreddîn, 42.
102 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
monde". Le sultan doit prendre de toute urgence des mesures énergiques. Il est
intéressant de noter que le texte ci-dessus, fut copié soixante ans après la mort de
Bâlî Effendi ; ce qui prouve qu'il était toujours d'actualité au début du XVII e
siècle 1 7 .
B) Le Vâridât
Bâlî Effendi, Chodkiewicz-Sceau, 66, 170 ; O. Yahya, Hist, el Classi/., I, 248 ; Tajkôpriizâde-
Rescher, 332. Le texte de Bâlî Effendi est publié par A. Tietze, «Sheykh Bâlî Effendi's Report on
the Followers of Sheykh Bedreddîn». O.A. 7 (1978), 115-122.
1 il
' " L e s documents de 1571, Uzunçarçili, «Kibris Fethi ile Lepant Muharebesi sirasinda...», T.
Mec.. 3 (1935), 263-264. Le rapport de Mahmûd Hiidayî, Kissling, 127 nt. 2. Sur la tribu Amuca,
V. Salci, «Trakyada Turk Kabileleri», Turk Amaci 2 (1943), 311-315 ; cf. aussi T. Zarcone,
Anatolia Moderna IV, 3-11. Le proverbe sur Bedreddîn, Kissling, loc. cit.
POSTÉRITÉ SPIRITUELLE 103
Nous allons tenter de dégager néanmoins les quelques traits qui peuvent
intéresser notre propos. Dès l'abord, il est clair que certaines affirmations de
l'auteur, sont en contradiction avec les positions orthodoxes ce qui explique dans
une certaine mesure, la méfiance des ulemâ à l'égard du Vâridât : alors que le
Coran affirme contre ceux qui disent : "Nous avons tué le Messie, Jésus fils de
Marie, l'Apôtre d'Allah", "qu'ils ne l'ont ni tué ni crucifié mais que son sosie a
été substitué à leurs yeux", Bedreddîn rejette l'idée que le corps de Jésus
composé d'éléments ne serait pas mort, ce qui est impensable". Dans le même
passage, Bedreddîn en profite pour mettre en cause la résurrection des corps qui
"...telle que le vulgaire la conçoit, est presque indéfendable". De même pour le
Paradis, l'Enfer, les Anges, toutes ces croyances "...ont d'autres significations
que ce qui est incrusté dans la pensée des ignorants"20.
Ces réserves sont faites au nom du principe évoqué dès le début du traité,
principe selon lequel seuls les soufis comprennent réellement la signification des
réalités exprimées par les textes révélés, car "...les réalités de l'au-delà ne sont
pas telles que le prétendent les ignorants, elles sont du monde de l'impératif
divin, du mystère et de la royauté et non pas du monde visible comme le suppose
le vulgaire" 2 1 . Cette primauté de la vision intérieure, optique bâtinî, selon
laquelle, seuls les "Amis de Dieu" comprenne le sens des choses, a deux
conséquences possibles sur le comportement du soufi : soit il cache sa
connaissance aux hommes ordinaires de peur d'être tué ; soit il considère qu'il a,
vis-à-vis, de la masse des croyants, une responsabilité spirituelle qui lui permet
d'intervenir directement en cas de déviation de la part des dirigeants de la
communauté musulmane. Dans le premier cas, "...dès que la voie du Tasawwuf
est achevée, commence l'hypocrisie ; dès que le vrai mystique a connaissance de
ce qu'aucun œil n'a vu de ce qu'aucune oreille n'a entendu ainsi que de ce qui n'est
jamais venu à la pensée d'aucun homme, il fait paraître aux gens ce qui est à leur
portée mais il enferme dans son cœur une chose telle que si les gens le
découvraient, ils le tueraient. Dans ces conditions, comment pourrait-il ne pas
être hypocrite !" On pense ici à l'accusation d'hypocrisie (muraî) lancée par les
historiens ottomans contre Bedreddîn et Bôrkliice ; on pense aussi à la iakiye des
chî'ites, mais il s'agit avant tout de la "discipline de l'Arcane" que tout vrai
mutasawwif, continue le Vâridât, se doit de respecter en ne déchirant pas ".. .les
voiles qui couvrent les mystères interdits de Dieu le Très-Haut". Mais, dans
certains cas extrêmes, le mystique peut sortir de son devoir de réserve pour le
bien de la communauté ".. .si l'objectif des chefs de la communauté n'est pas la
Vérité, c'est une excuse suffisante pour s'éloigner de cette sorte de communauté,
sauf si on se propose d'en remettre les membres dans le droit chemin" Ce genre
de prise de position, fréquente en soi dans le soufisme, prend, bien entendu, une
résonnance particulière si on la met en rapport avec la révolte politique menée au
nom de Bedreddîn contre les sultans ottomans 2 2
Une des rares indications que nous fournit le Vâridât sur l'atmosphère
socio-religieuse contemporaine, concerne l'effervescence eschatologique qui
agitait les foules à la fin du XIVe et au début du XVe siècles, et qui dut contribuer
au succès de Bedreddîn, même s'il prétend n'attacher quant à lui, aucune valeur à
cette sorte de supputations : beaucoup, de tout temps, ont cru que la venue du
Dajjâl (Antéchrist) et la fin du monde étaient prévisibles : "...une partie de ces
gens en ont prévu la réalisation en 800 (1397). Une autre partie d'entre eux a fixé
l'apparition du Mahdî entre 700 et 800. Pourtant, huit cents ans se sont écoulés
depuis l'époque du Prophète — q u e le salut soit sur lui— sans qu'aucune
apparition n'ait eu lieu. Tout cela vient de l'imagination du vulgaire. Bien des
21
Ibid„ 61, Wâridâl, 62.
"L'hypocrisie, ibid., 89 ; les mystères interdits de Dieu (mahârim), ibid., loc. cit. ; "ce qu'aucun
œil n'a vu...", L. de Prémate, ST. 70 (1989). La remise de la société dans le droit chemin, ibid.,
68-69, Yener, 67.
POSTÉRITÉ SPIRITUELLE 105
années s'écouleront encore sur cette superstition et rien n'arrivera de ce qu'ils ont
prétendu". On voit que, contrairement aux affirmations des chroniqueurs
ottomans, Bedreddîn non seulement ne se considère pas comme le Mahdt, mais il
a une position très réservée à l'égard des croyances eschatologiques populaires
qu'il dénonce plus qu'il n'encourage23.
^ L e s positions de Bedreddîn sur le Mahdî, Wâridât, 109, Yener 105. Les annonces
eschatologiques signalées par le Vâridâl, sont à rapprocher d'une "Lettre du Grand Maître des
Hospitaliers de Rhodes" qui prévoyait la naissance de l'Antéchrist pour 1385, 1387, 1396 ou
1400 (800/1397 dans le Vâridât), cf. R. E. Lemer, «Refreshment of the Saints : the Time after
Antichrist...», Tradilio, 32 (1976), 139.
^Bedreddîn et le concert spirituel (semâ), Wâridât, 80-81. Le premier geste de rattachement à la
voie soufie qu'accomplit Bedreddîn au Caire, fut de participer à une semblable cérémonie, mnk,
44.
^Bedreddîn ressuscite les morts selon les gens de Chio, supra, chapitre II nt. 47 ; la résurrection
du papillon, Yener, 119-120 ; Dindar, thèse, 127 nt. 1. Créer la vie par le souffle, domaine de Rûh
Allah (Jésus), Ibn Arabî, L'Alchimie du bonheur parfait, 67 ; Saints Isawî qui ont pouvoir de
ressusciter, Chodkiewicz-Sceau, 104 ; Un nakfbendt du XVe siècle, isawî qui a le don "de vivifier
les cœurs", ibid., 104.
106 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
Dans des passages comme ceux du Vâridât évoqués ci-dessus comme dans
le récit de la vie de Bedreddîn que nous avons analysé plus haut, la place du
cheikh de Samavna se situe dans une chaîne mystique bien connue qui le rattache
à la plupart des grands mystiques du soufisme ancien : il vient d'être question de
Bistâmî et d'Ibn Arabî : on sait le rôle de ce dernier dans le développement de
soufisme turc largement imprégné des idées du Cheikh al-Akbar, qu'il exposa lui-
même à Konya et qu'il transmit par ses disciples anatoliens, Sadreddin de Konya
en tête, et par toute une chaîne de commentateurs et de disciples ottomans, les
premiers grands miiderris ottomans. Dâvûd de Kayseri et Fenârî, les bayramî
Akçemseddîn et Yazicioglu, Siileyman Çelebi, l'auteur des populaires Mevliit qui
doivent probablement beaucoup au soufi espagnol, Sîwâsî, Bâlî Efendi, Bosnawî,
etc 28 .
26
Sur la Itlihâdîyya, Liousl-Schisme. 246, 248, 258, 273-275, 282-283 ; Mdas-lbn Arabî. 293-
295, 303, 311, 313. Le hadith qudsi, Wâridât, 65, 68, très souvent évoqué chez les Beklâfi :
"J'étais un trésor", Kiintukenz ; cf. par exemple, le poème cité par Birge, 110, : "Les Beklâ^î sont
la preuve du Kimtuktnz (Ktintukenzin huccetii buhranidir Bekta$iler)".
27
Ibn Arabi apparaît à Bedreddîn. Yener 124. Importance de la communication onirique chez les
disciples d'Ibn Arabî, Chodkiewicz-Sceau, 178. Le thème anatolien du rêve selon Massignon,
O.M., II, 110 nt. 1.
2
®Sur Ibn Arabî et ses disciples turcs, supra chapitre I nt. 6 à 9. Ak$emseddîn rédige en 856/1452
un traité pour défendre Ibn Arabî, Yahya, Hist, et Classif., I, 118. Yazicioglu Mehmed compose
un commentaire des Fusûs al-Hikam, Gibb, Ottoman Poetry, 406. Mawlid et Ibn Arabî,
Chodkiewicz-Sceai/, 19, 21, 25, 87 ; Siileyman Çelebî, les mevlid et Ibn Arabî, Siileyman Çelebî,
POSTÉRITÉ SPIRITUELLE 107
Bedreddîn est aussi à intégrer dans une lignée de mystiques qui considèrent
le pays de Rûm, qui est à la fois une terre de mission et un appendice de l'Asie-
Centrale tomme un champ d'action privilégié pour la diffusion de leurs idées. On
s'en souvient, Mevlânâ, selon Eflâkî, concevait ainsi sa présence en Rûm :
éd. F. K. Timurtas, IV, V. Shihâb al-Dîn al-Sîwasî, mort en 1454, disciple d'Ibn Arabî, Yahya,
op. cit, 406. Bâlî Effendi, supra ni. 17. Al-Bosnawi, Yahya, II, 463.
29
Ahmed Ghazâlî et Abû Madyan al-Maghrebî dans la silsile de Bedreddîn, Gôlpuiaih-Bedreddin,
117 ; Abû Madyan et Ibn Arabî, Addas/ftn Arabî, 107-108, 115-116, 128-129 etc... Ahmed
Ghâzâlî et R&mî, Afiêkî-Derviches tourneurs, I, 200, II, 432. "Entre le licite et l'illicite...",
Massignon-Passion, III, 238 nt. S. La citation de Rûmî sur Hallâj, ibid., II, 280. Disciple
hallajien d'Ahmed Ghâzâlî. ibid, II, 177.
30
Hallâj en pays turc, ibid., II, 240-288, et O.M., II, 114 : en Égypte, i Alep. Nesîmî
"réincarnation de Hallâj", id., Passion, I, 85. À la cour d'isfendiyâr, O.M., II, 55. À la cour de
Germiyan, Ahmedî écrit un Dâsilâne Mansûr sur Hallâj, ibid., 53, 110-113. Bektâjî et Hallâj,
Passion, I, 232-234, II, 77. L'influence de Hallâj sur l'ensemble des derviches turcs, O.M., II, 104
sqq. Bedreddîn. "Mansûr de Rfim", mnk, 82.
108 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
Va, nous t'envoyons au pays de Rûm, nous te donnons Soluca Kara Ôyiïk
pour lieu de résidence, nous te nommons chef des Abdal de Rûm. Dans le
pays de Rûm, nombreux sont les hommes de bien, les extatiques et les
illuminés.
Bedreddîn, d'ascendance mevlevî par son grand-père, et dont les disciples furent
probablement en symbiose étroite avec les bektâfî, est de plus issu du pays de
Rûm auquel le lient fortement ses attaches culturelles et familiales. Il considère
tout au long du Menâkibnâme, nous l'avons vu, que sa mission est destinée
avant tout au pays de Rûm. Son petit-fils se plaît à l'accumulation d e
qualificatifs liant Bedreddîn à son pays : il est "la lune de Rûm", "la lumière de
Rûm", "le Mansûr de Rum", "le Bistâmîde Rûm" etc... 3 1
les dât hurûfî. Du vivant même de Bedreddîn, Alî al-A'lâ, le principal disciple de
Fazlallâh, prêche depuis Kars, jusqu'à Kirçehir et même en Roumélie ".. .au-delà
d'Istanbul et de l'autre côté de la mer", précise-t-il lui-même dans son
Korsînâme. De même, Refît qui écrit vers 1409, est selon ce qu'il dit de lui-
même, envoyé par Nesîmî pour prêcher parmi le peuple de Rûm. §ikpa$azâde
signale des bedreddînî dans la région d'Antioche dont est originaire Bistâmî al-
Hurûfî qui, selon Gôlpinarh, est à mettre en étroites relations avec Bedreddîn. En
milieu bayramî que fréquenta, nous l'avons vu, la famille de Bedreddîn, certains
comme le célèbre médecin et poète §eyhî eurent des relations étroites avec
Nesîmî. La personnalité même de Nesîmî —Turc oriental comme Hûseyin
Ahlâtî, et séjournant comme lui à Alep—ainsi que ses idées, comportent de
nettes analogies avec Bedreddîn : Nesîmî comme Bedreddîn, est mis en relation
avec Hallâj dont il est, pour certains, par son martyr sur le gibet, la
réincarnation. C'est aussi sur un gibet que meurt Bedreddîn. Les sources
d'inspiration de Nesîmî et de Bedreddîn sont souvent les mêmes. Le caractère
isawî, très marqué chez Bedreddîn est affirmé également pour Nesîmî, par
exemple par Spandoni et Menavino qui le croient chrétien. Ses relations avec les
chrétiens semblent privilégiées et son souvenir se perpétue tardivement dans la
communauté arménienne d'Alep. La doctrine hurûfî que représente Nesîmî, est
d'ailleurs de caractère nettement isawî, le Ilm al-hurûf étant, selon Ibn Arabî, une
science isawî et les hurûfî se réfèrent à l'occasion aux écritures et dogmes
chrétiens : Fazlallâh connaît l'évangile de Saint Jean, un disciple de Alî al-Al'â
cite aussi les évangiles. Selon un auteur ottoman tardif, les hurûfî accepteraient
le dogme de la Trinité. Ils spéculent également sur le thème de la "deuxième
naissance", citant des Dits de Jésus à ce sujet. Comme les bedreddînî et Huseyin
Ahlâtî, ils sont accusés de consommer du vin 33
33
Hurûfî jusqu'au XVII e siècle selon Gibb, Ottoman Poetry, 386. Persécutions contre Hurûfî en
Égypte où un familier du sultan Ashraf Barsbây fut contraint à rétractation ; chez les Ottomans
(exécution du poète Temennaï), Massignon-O.M., II, 114. Massacres i'Hurûfî en Bulgarie en
1576, tnalcik, Ottoman Empire, 193. Hurûfî à Edime, Taskopriizâde-Rescher, 34 ; à Chio, G. de
Hongrie, Tractatus, 20. En Égypte, le sultan QSnsûh Ghawrî vénérait Nesîmî, Massignon, art.
cit., 118. Le poète hurûfî Temennaï, exécuté sous Bajazet H, est de Kayséri, Gibb, op. cit., 383-
385. Bedreddîn a étudié le ilm-i Hurûf avec un professeur de Konya, peut-être disciple de Fazlallâh
al-Astarâbâdî, supra chapitre II nt. 16. Alî al-A'lâ en Anatolie et en Roumélie, Encyclopaedia
Iranica, «Alî al-A'lâ», et H. Ritter, «Die Anfänge der Hurûfîsekte», Oriens 7 (1954), 51 : "tS zi-
Istanbfil bi-gzast û zi-âb". Refit, Gibb op. cit., 300 ; sur Çeyhî, cf. A. Nihat, ¡¡eyhî, Divamm
tetkik ; Nesîmî, réincarnation d'Hallâj, Massignon, O.M., II, 55, Suc le martyr de Nesîmî i Alep,
cf. la discussion sur la chronologie, K. Burill, The Quatrains of Nesîmî, 27 sqq. Voir aussi, K.
Kiirkçiioglu, Seyyid Nesîmî, I-XXXII. Spandoni sur Nesîmî, supra nt. 32. Menavino, Bombaci,
Littérature turque, 182. Nesîmî et les Arméniens d'Alep, Burill, op. cit., 36. Nesîmî apparenté à
un prêtre arménien (comme Bedreddîn), Massignon-O.Af, II, 118. Nesîmî, isawî : "J'étais un
compagnon de Jésus", Burill, 202-203. Ilm al-Hurûf, science isawî, Chodkiewicz-fcrau, 103.
Fazlallâh et les évangiles, bitge-Bektashi, 153, et £./., «Fadl Allâh». Le neveu et disciple de Alî
al-A'lâ cite dans son Estewân-nâma, des passages du Nouveau Testament, Burill, 37. Les Hurûfî et
la Trinité, ibid., 36. Un dit de Jésus dans une oeuvre hurûfî : "Celui qui ne naît pas deux fois,
n'accède pas au Royaume des Cieux", cf. Jean 3,3, cit. par Birge, 97. Sur le thème de ta
palingénisie, voir par exemple H. C. Puech, En quête de la gnose, I, 118 ; cf. aussi Irénée de Lyon,
Contre Us Hérésies, 517, 571-572. Le vin chez les Hurûfî, Burill, 102-103 et 205-206 : "Je suis
le vin, le bol et le buveur".
110 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
Bedreddîn est enfin au confluent des trois grandes tarikat ottomanes. Nous
avons parlé de ses accointances mevlevî et des liens attestés entre ses descendants
et les bayramî/melâmî centrés sur la ville de Gôyniik et sur la personnalité de
Ak§emseddîn. Une partie des bayrâmî semble avoir préservé une tradition anti-
ottomane et un caractère idéologique de type sacrificiel et isawî qui sont très
proches des positions bedreddîniennes : la personnalité d'tsmâîl Ma§ûkî, exécuté
sous Soliman le Magnifique, illustre bien ce courant ainsi que plus tard le
mouvement issu du cheikh Hamza de Bosnie-15.
34"Runi Elinden Simavna Kadisi-Ogli nice cem' oldi... Ciineydttn yetmi; kadar adamin helâk
etdiler. Yigirmi be;i Simavna Kadisi-Ogli adamlanndan idi", Â$ikpa$azâde, 250.
Bayramt anti-ottomans, Yérasimos-Fondaiion. 60. Sur Ismâîl Ma;ûkî, Evliya Çelebî, éd.
Zillîoglu, I, 316 ; Bayramoglu, I, 78 ; M. H. Bayn, Istanbul Folkloru, 155-156 ; lnaJcik-O/foman
Empire, 192 ; Ocak, OA, 10 (1990), 49-S8. Hamza de Bosnie exécuté en 1561, Bayramoglu, 78 ;
Inalcik, op. cit., 192.
POSTÉRITÉ SPIRITUELLE 111
Sur les révoltes anti-ottomanes du début du XVI e siècle, Hisl. Emp. Ott., éd. Mantran, 149 ; cf.
aussi Ocak, O.A. 3 (1982) 73-74. Sur Balîm Sultan, Birge, 56. Seyyid Gâzî tekkesi, Beldiceanu-
Recherches, 210 nt. 59. Seyyid Gâzî serait Haci Ilbeyi, ibid., nt. 58. Bektâ$îet Hurûfl, Birge, 149
sqq. Bektâfi, anâ'l-Haqq et thème du gibet (dare Mansûr), Massignon, O.M., II, 93-139. La takye,
les Hadîth qudsî (men arafa nefsehu fäkal arafa rabbahu et kiintukenz) chez les Bektâfi, Birge, 14,
150, 109. Invocations Bektâfi à Rûmî, Ibn Arabî, Suhrawardî, ibid., 198. Yunus Emre "annexé"
par les Bektâfi, ibid., 53-55 ; commenté par NiySzî Misrï, ibid., 107-109 ; récité par Bedreddîn au
chevet d'Ahlâtî, mnk, 82. Ktztlbaf et Bektâfi, Birge, 64 nt. 4. réunions mixtes, ibid., 85, 138,
161, 175-201 etc... Rapports avec les chrétiens, Hasluck-CVijiiamfy, passim ; Syncrétisme,
ibid., et Ocak, "XIII-XV. yUzyillarda Anadolu'da Tfirk-Hiristiyan Dinî Etkile;imler ve Aya Yorgi
(Saint Georges) Ktiltü", Belleten 155 (1991), 661-673. Sur les Karamat isawî, supra chapitre II nt.
90.
Conclusion
Lâzuward = lapis-lazuli
Mahalle = quartier d'une ville
Mahdisme = ensemble de doctrines et de mouvements politiques basés sur
l'apparition de "l'Imâm caché", annonciateur de la fin des temps
Mâh-i Rûm = "la lune de Rûm", surnom de Bedreddîn (Badr al-Dîn, "la pleine
lune de la religion")
Mahone = société par actions qui exploite les ressources et contrôle
l'administration des possessions génoises de mer Egée
Malâmatîyya, Melami = "les gens du blâme", derviches s'attirant la réprobation
publique par leur non-respect des règles religieuses et sociales
Mansûr-i Rûm = cf Hallâj de Rûm
Mantiq = la Logique
Mawlid / Mevltit = poèmes sur la nativité de Mohammad
Medrese / madrasa = établissement d'enseignement juridico-religieux
Menâkibâme = récit des hauts faits, des exploits d'un personnage célèbre
Messaliens ou Euchites - "ceux qui prient", membres d'un mouvement ascétique
chrétiens condamné au concile d'Ephèse en 431
Mesnevî/ Mathnawî = nom d'une oeuvre majeure de Djelâleddîn Rûmî
Mevlânâ = "notre Maître"
Mevlevî ou "derviches tourneurs" = confrérie issue de Mevlânâ Djelâleddîn Rûmî
Monophysites = chrétiens qui ne reconnaissent qu'une seule nature au Christ,
doctrine condamnée par le concile de Chalcédoine en 4SI
Monochitônès = "ceux qui sont vêtus d'une simple tunique", surnom des
partisans de Bôrkliice Mustafa
Miiderris = directeur de medrese
Münkir = athée
Mitrai = hypocrite
Miirîd = disciple
Miirfîd = maître spirituel
Mumsôndii = littéralement "la bougie a été éteinte", allusion aux cérémonies
secrètes de certains groupes (Bektâ§î, Alevî etc...) qui étaient censés se
livrer au libertinage après avoir plongé dans l'obscurité leur lieu de
réunion.
Muhtesib = inspecteur des marchés
Mutasawwif = soufi
Namaz - prière
Ney = la flûte des Mevlevî jouée par le neyci ou neyzen
Papaz/Papas = prêtre
Pauliciens = dualistes professant une doctrine faite de manichéisme et de
christianisme
Pertev-i Rûm = "la lumière de Rûm", surnom de Bedreddîn
Proskinèse = prosternation
Qarmatì = cf. Carmates
Râfidî = membre d'une secte chiite
GLOSSAIRE 119
Rahip = moine
Romanie = l'Empire byzantin
Roumélie = les Balkans ottomans
Rûh al-Qudus = l'Esprit Saint
Râm = l'Anatolie, l'Empire ottoman
Rûnû = Turc ottoman, Anatolien, Byzantin, Grec
Safâ = pureté, clarté
Saint-Synode = assemblée épiscopale du patriarcat de Constantinople
Sapctlar = les ouvriers des mines d'alun
Saruhan = émirat turcoman de la région de Manisa
Séfévides / Safavides = dynastie qui régna sur l'Iran de 1502 à 1736
Semâ / Samâ = la cérémonie des Mevlevî, accompagnée de musique et de danse
Silsile = la "chaîne" spirituelle qui, dans le soufisme lie maîtres et disciples
Sirr-i Mesih = le secret du Messie
Soufl = mystique musulman
Stylarioi = surnom des partisans de Bôrkliice Mustafâ, retranchés dans la région
de Stylarion-Karaburun
Subap = responsable d'une circonscription administrative ottomane
Shahâda = la profession de foi musulmane
Shâfi'isme = une des quatre écoles juridiques sunnites
Sharî'a = loi coranique
$eyh-iil Islâm = le plus haut dignitaire de l'islam ottoman
Tafsîr = commentaire, explication du Coran
Tahtaci = groupe alevî d'Anatolie
Takîye / Taqtya - loi du secret, discipline de l'arcane
Tamerlan = Tîmûr-Lenk (Tîmûr le boiteux), conquérant turc d'Asie centrale.
vainqueur de Bajazet 1er en 1402
Tarîkat/Tarîqa = confrérie de derviches
Tasawwuf= la mystique musulmane, le soufisme
Tekke = couvent de derviches
Tevidhun Nûri = la lumière de l'Unité
Tîmûr = cf. Tamerlan
Torlak = derviche hétérodoxe, souvent hostile au pouvoir ottoman
Triballes = dans les sources byzantines, les Slaves de Serbie et de Macédoine
Turbe = tombeau, mausolée
Ulemâ - docteurs de la Loi coranique, savants
Ulak = courrier, messager
Ustâd = maître
Vilâyet = province, sainteté
Vilâyetnâme = vie de saint
Wahdat al-Wujûd = l'unicité de l'être
Yayla = campement d'été, alpage
Yezîdî = secte d'origine discutée, répandue en Syrie et en Irak
Yildinm = "la foudre", surnom de Bajazet 1er
120 ISLAM M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
Yiiriïk = nomade
Zâwiya/zâviye = cellule, couvent de derviche
Zélotes = mouvement socio-politique qui gouverna Thessalonique de 1342 à
1350
Zikr = cf. dhikr
Zindîq = celui qui est accusé de zandaqa, terme qui recouvre toute opposition à la
Loi révélée et à l'Etat (dualisme, schisme, athéisme, libre-pensée etc...)
CHRONOLOGIE
nota : les abréviations utilisées dans les notes figurent ci-dessous en caractères
italiques précédant les ouvrages et revues concernés. Certaines éditions datées
selon le calendrier musulman sont suivies de la lettre H. (Hégire)
I- D I C T I O N N A I R E S , ENCYCLOPÉDIES,
BIBLIOGRAPHIES, OUVRAGES CHRONOLOGIQUES,
CATALOGUES, CARTOGRAPHIE, GUIDES,
MANUELS
Idrîs de Bitlis, Hasht Bihisht : §ukrii, M., Osmanli Devletinin Kurulusu, Bitlisli
Idris'in "He§t Bihi§t" adii eserine gore tenkidî ara§tirma, Ankara, 1934 ; et
Gôlpinarli-Bedreddîn, Biblio. IV.
Irénée de Lyon, Contre les Hérésies, éd. Rouseau, A., Paris, 1984.
Jean Chrysostome, Homélies sur Saint Paul, éd. Jourjon, M. et Soler, P., Paris,
1980.
Kandemir, cf. Cantémir.
Kastamonulu Lâtifî, Tezkire, Istanbul, 1314 H.
Kâtib Çelebi, cf. Hadj Khalfa.
Kemâlpaçazâde, cf. Ibn Kemâl.
Kinnamos (Jean), Chronique, trad. Rosenblum, J., Paris, 1972.
Lâtifî, cf. Kastamonulu.
Lûtfi Pacha, Tevârîh-i Al-i Osmân, cf Gôlpinarli-Bedreddîn, Biblio. IV.
Magri (Domenico), Breve racconto del viaggio al Monte Libano, Viterbe, 1664.
Mahmûd Kashgarî, cf. Biblio. I.
Mahmûd Pacha Velî, Menakipname : Banoglu, N.A., Mahmut Pa§a, Hayati ve
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Mazaris, Journey to Hades, éd University of New-York at Buffalo, Arethusa
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Mecdi, cf Biblio. I.
Mevlâna, cf. Rûmî.
Misrî, cf. Niyâzi.
mnk. cf supra Hâfiz Halîl-mnk.
Muneccimba§i (Admed Dede), Tarih, Sahaif-iil-Ahbar fi Vekayi-ul-A'sâr, éd.
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Nesîmî, Seyyid Nesîmî Dîvâmn'dan seçmeler, éd. Kiirkçuoglu, K.E., Ankara,
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Nesîmî, cf. Biblio. IV : Arasly, Burill.
Ne$rî (Mehmed), Kitâb-i Cihan-Numâ, Ne§rî Tarihi, 2 vol. éd. Unat, F.R. et
Kôymen, M.A., Ankara, 1949, 1957.
Nicolay (Nicolas de), Dans l'empire de Soliman le Magnifique, éd. Gomez-
Géraud, M.C. et Yérasimos, S., Paris, 1989.
Nimatullâh, cf. Aubin, et PourjavadyAVilson Biblio. IV.
Niyâzî Misrî, Dîvâni Çehrî, éd. Bilginer, M.S., Istanbul, 1982.
Oruç Bey Tarihi, éd. Atsiz, Istanbul, 1972.
Pachymère-Bonn, cf Biblio. II, Bonn.
Pachymère-Failler = Georges Pachymérès, Relations historiques, éd. Failler, A.
et Laurent, V., CFHB, XXIV, 2 vol. parus, Paris, 1984.
132 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
La totalité des articles utilisés figurent en notes. Ceux qui ont été le plus
fréquemment consultés, sont également cités ci-dessous, ainsi que les recueils
d'articles (collection Variorum, etc...) les plus importants pour le thème
abordé ici. Sont aussi indiqués un certain nombre d'ouvrages qui, sans être
toujours nommément signalés dans les notes, ont globalement servi à
l'élaboration de la présente étude. Cette dernière précision est également
valable pour les parties, I, II et III de cette bibliographie.
Huart, C., Konia, la ville des derviches tourneurs, souvenirs d'un voyage en Asie
Mineure, Paris, 1897.
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138 I S L A M M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
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Revue Historique du Sud-Est Européen.
Revue de l'Orient.
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RHR = Revue d'Histoire des Religions.
ROC = Revue de l'Orient Chrétien.
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Runciman-Manichéisme = Le Manichéisme médiéval, l'hérésie dualiste dans le
christianisme, Paris, 1972.
SAD = Selçuklu Arastirmalan Dergisi.
140 ISLAM M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
A;ikpa§azâde : 25, 38, 54, 70, 86, Bayram Veli (Haei) : 35, 38, 55, 94,
87, 95, 109, 110 95
Astarâbâd : 42 Bedbaht sufiler : 74
Attar : 7, 30 Bedreddîn de Samavna : passim
Avnik : 51 Bedreddînî: 18,96,111
Ayasoluk / Altologo / Ephèse : 43, Bedreddînîyya : 42,94,97,108
76 Bedriiddîn mahallesi : %
Aydin : 43, 61, 63, 65, 68, 70, 71, Behcetiittevâiîh : 70
74,90 Bektach / Bekt⧠(Haci) : 1, 2, 4, 5,
Aydineli : 56, 64, 69, 90 24, 33, 35, 59, 60, 81, 97, 108,
Aydinoglu : 43, 56, 61 110
Ayîn : 59 Bektachi / Bektâ§î : 3, 6, 17, 18, 37,
Ayn al-Daula : 15 54,68,96-98, 100, 102, 111
Ayiloglu : 86 Bey / Beg : 27
Ayyoubides : 33 Beylik : 55
Azap Bey : 82 Bid'a : 8
Azerbaïdjan : 37, 48, 50, 51, 52, Bistâmî (Abdunrahman) : 54,109
110 Bistâmi (Abû Yâzid) : 105, 106
Bistâmî de Rûm (Bedreddîn) : 38,
Bâbâ : 64, 65 47, 108
Bâbâ Ilyas : 25, 26, 60, 77 Bitlis : 52
Bâbâ Ishâq : 26 Bolayir : 65
Bâbâ Rasûl : 26, 64 Bosnawî / Bosnevî : 8, 106
Bâbalâ. 49 Bouddhistes : 6, 7
Bâbâi : 25, 33, 53, 64, 86 Boucicaut : 60
Bagdad : 4, 7, 37, 107 Bôrliice Mustafâ : 34. 56. 63. 64.
Bahâdur al-Rûmî : 44 68, 70, 71, 76, 89, 90, 94. 95,
Bajazet I er / Beyâzîd I er / Bâyezîd Ier : 103, 104, 108, 111
47, 50, 54, 61, 75. 84, 95 Bryela / Urla : 91
Bajazet II : 72,95, 97 Bulgares - Bulgarie : 2, 3, 64, 68,
Bâlî Efendi : 92, 101, 102, 106 75, 81, 83, 95-98, 102, 114
Balim Sultan : 26, 97, 98, 110, 111 Buondelmonti : 76
Balkans : 1, 2, 4, 29, 44, 83 Burdjî : 44
Balkh : 11 Bursa / Brousse : 8, 41, 45, 47, 54,
Bân : 41 63-65, 94, 95
Barkûk : 44, 45, 48, 49, 50 Bithynie : 73
Baf iistiine : 59
Bâtinî : 104 Câhil : 74
Bâyezîd Pacha (Grand vizir de Le Caire : 43, 44, 47, 51, 55, 69,
Mehmed I e r ) : 67, 70, 71, 73, 105
83, 87 Caloyer : 74
Bâyezîd-i Vakt : 47 Candaroglu : 81
Bayramî : 6, 109, 110 Candie : 61, 62, 76, 78
Bayramîyya : 94, 95 Cappadoce : 1, 17, 27
144 ISLAM M Y S T I Q U E ET R É V O L U T I O N ARMÉE
3. V u e d'Edirne/Andrinople.
B e d r e d d î n et sa famille s'y installèrent dès la conquête.
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21. Le Bedesten de Serrés (état actuel).
L'exécution de Bedreddîn sur la place du marché de Serrés eut lieu le vendredi
18 décembre 1416.
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174 ISLAM MYSTIQUE ET R É V O L U T I O N ARMÉE
CARTES 175
BEDREDDIN ET LA VALLÉE DE LA
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