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MYTHE
ET ÉPOPÉE
I
L ’ id éo lo o ie dus t r o is fo n c t io n s
DANS LES ÉPOPÉES
DES PEUPLES INDO-EUROPÉENS
II
T y p e s é p io d e s indo -e u r o p é e n s :
UN DÉ nos, UN SORCIER, UN ROI
III
H is t o ir e s r o m a in e s
P r é fa c e d e J o ë l H . GRISWARD
i) U A II T O
(iALUMARD
MYTHE
ET ÉPOPÉE I
TROISIÈME PARTIE
m o i s F A M IL L E S
CHAPITRE PREMIER
Les Nartes
Le Caucase du Nord.
1. Pour les Slaves, v. L . Niederle, Manuel de l ’antiquiti slave, II, 1926, p. 146,
160, 1 6 1 ; pour les Scandinaves, Mythes et dieux des Germains, 1939, p. 3, 5-6; « La
Rfgspula et la structure sociale indo-européenne », Revue de l ’Histoire des Religions,
C L IV , 1958. p. 1-9 (notamment p. 3, 4-5).
2. E xôXotoi est sans variante ; on peut penser que - t o i est ici pour - to u , suffire du
pluriel; cf. oss. sqcel défini (Pasnjatniki... I [v. ci-dessous, p. 504, n. 1, 1 ,J p. 86, n. 1) :
« un homme qui tient la tête plus droite qu’il n’est ordinaire et qui a une démarche
vive et rapide », v. ci-dessous Sqel-Beson, p. 5 12 , 520.
Trois familles 447 475
1. Le premier homme et le premier roi dans l’histoire légendaire des Iraniens, I, 19 18,
p. 137-138.
2. • La préhistoire indo-iranienne des castes », Journal Asiatique, C C X V I, 1930,
p. 114-124-
476 448 Mythe et Épopée I
1. Bundahiin, 32, 5, le» troi* fil» de Zoroastre sont respectivement : chef des prêtres;
agriculteur et chef de l'enclos souterrain de Y am ; guerrier et chef des armées de
Palôtanu.
2. Article cité ci-dessu», p. 448, n. 1, p. 534-537. Je transcris le résumé que j ’ai
fait dans l'article cité ci-deasus, p. 444, n. 2, p. 189.
3. Voir la réponse à cette objection ci-dessous, p. 452, 2°.
Trois familles 451 479
1. Mai» le» Ënarées «ont juatement de» membre» de» familles royales, Hérodote,
IV 67; cf. mon article « Le» Énsréea scythiques et la grossesse du Narte Xæmyc »,
Latomus, V, 1946, p. 249-255.
2. L a difficulté est que le» Scythe» (3a<uAf|iot (« le» plu» nombreux », Hérodote,
IV 20) semblent se réclamer d ’un de» troi» fil» de Kolaxaïs (celui dont le royaume
était < le plus grand » et où étaient conservés les talismans fonctionnel», Hérodote
IV 7), tandis que les napoXdrai descendent de Kolaxaïs lui-méme : il n'y a pas
superposition. De plus il n'est pss du tout sûr que ïlaoaXisou soit l’équivalent scy
thique de PomXfiKH : l'arestique Paratdta ne signifie pas » roi ». Le mot vient d’être
identifié comme nom d’homme dans les transcriptions élamites de noms perses
(Paradada, Pardadda), E. Benveniste, Titres et noms propres en iranien ancien, 1966,
p. 90.
452 Mythe et Epopée I
L'épopée narte.
»ur le» N .-E. »), 1964 (en tchétchène, textes recueilli» depui» le retour d ’exil, 1958;
rédacteur, Serajin C. El'murzaev).
Deux colloque» de * nartologie » ont déjà eu lieu, le premier en Ossétie, à Ordjo-
nikidré, en octobre 1956, le aecond en Abkhazie, à Sukhum, en novembre 1963;
de» représentants de tou» le» peuple» du Caucaie du Nord qui connaiaient le» Nartes
y participaient, ainsi que des folkloristes de Moscou, des historiens de la littérature,
de» sociologues, Lea principales communication» du premier colloque ont été
publiées en 1957 dan» un recueil, Nartskij tpot. Le» acte* du second n’ont pas encore
paru.
On »e reportera, pour le» légende» ossète», au livre de V. I. Abaev, NarUktj epos
(Iuvestija Severo-Osetinskogo Nau/no-Istledovatsl1nego Instituta, Dzseujyqsu) 1945.
t. A peu pré* tout ce qui avait paru avant 1930 est analysé dans mon livre Légendes
sur Us Nartts, Bibliothèque dt l'Institut Français de Léningrad, X I (Paris, Institut
d’Etudes Slave», 9, rue Michelet, Paris 6*), 1930 [cité ici : LAf.]; la liste de» publi
cation» est aux p. 16-18.
a. V. ci-dessus, p. 434, n. 1 d.
484 45 ^ Mythe et Épopée I
1. L ’étymologie e»t trie discutée; V . I. Abaev voit dans nar le nom mongol du
soleil.
2. V . plus de détail dans les Introductions A mes deux livres cités p. 454, n. 1
et p. 4 j j , n. 1.
CHAPITRE II
i. C ’e»t notamment l’état de la société narte à travers tou* le* N K . [v. ci-dessus,
p. 454, n. i o ]. N art est collectif (gén. Narty) ; le singulatif est Nærton.
a. Ainsi N K ., 221-224 ■ = L H ., p. 202-203.
3. N K ., p. 197 = L H ., p. 184 : Fmr Nart.
4. « A propos de quelques représentations folkloriques des Otsètes », Festgabe }ür
HtrmanLommtl, i960, p. 42-44.
486 45 ^ M ythe et Épopée I
dans l’autre monde ou sur la terre, une famille des « saints Élie »,
Uacillatœ (Uacilla étant le génie d e T orage »),~üne des Safatœ
~(Safa étant le génie du foyer), une des Tutyrtæ, « les Théodores »
(Tutyr, un des nombreux saints ap p elé Théodore, étant le
patron des loups). Comme on le voit, toutes ces familles mythi
ques portent, au pluriel, le nom de leur chef permanent. Les
familles nartes, qui ne prétendent être qu’humaines, portent
celui de leur premier ancêtre, vivant ou non. Si Alæg n’est
guère mentionné, les Axsærtægkatæ descendent d’Æxsærtæg,
héros d’une pathétique aventure, et les Boratæ d’un Boræ sans
beaucoup d’histoires.
Les trois familles ont chacune un avantage propre, qui la
caractérise. La définition théorique a été enregistrée par le folklo
riste D. A. Tuganov 1 :
Boriatæ adtæncæ fonsæj xæzdug, Alægatæ adtæncæ zundæj
tuxgin, Æxsærtægkatæ adtæncæ bæhatær sema qaruægin lægtaej.
Les Boratæ.
1. Je généralise ta notation thura*, qui paraît la meilleure, bien que Batradz soit
plus fréquent : V. I. Abaev, hlnrilin-ttimologiietkij slovar 1 Ottttruhogo jazyha, I,
1958, s. t . • Batraz >, p. 240-241.
2. N K ., p. 193-194 = L H ., p. 18 1.
3. N K ., p. 195 = L H ., p. 182.
4. N K ., p. 346 (n’est pas traduit dans LH .).
5. N K ., p. 194 = L H ., p. 18 1-18 2 .
6. N K ., p. 195-196 = L H ., p. 182-183.
488 4^o Mythe et Épopée I
Les Æxsærtægkatæ.
Les Alægatæ.
i. N K ., p. 256 = L H ., p. 219.
a. C'eat le tribulum et la tribulatio.
Trois familles 463
On se rappelle comment Quintc-Curce glose la coupe-talisman
des anciens Scythes : patera cum iisdem [c.-à-d. amicis] uinum
d iis libamus. Pour lui, ou plutôt pour les informateurs de qui
vient l’anecdote, c’est en cela que se résumait la « première
fonction », par opposition à l’abondance agricole et au combat.
En cela culmine encore aujourd’hui l’activité religieuse des
Ossètes, car les festins de ce type sont les actes principaux de la
religion publique et privée : le mot qui chez eux désigne le
banquet, kuvd, dérive du verbe kuvyn « prier ». L a reunion
commence toujours par la prière et par l’offrande au Génie
(ou au saint) dont c’est le jour, prière et offrande faites par le
plus ancien de l’assistance; ce n’est qu’après que la première
coupe et le premier morceau (appelés, de la même racine, kuvæg-
gag) ont été présentés par le plus ancien au plus jeune que tout
se passe joyeusement, pantagruéliquement, entre les célébrants.
Les énormes beuveries des héros irlandais, aux fêtes saisonnières,
témoignent de la même évolution des rituels, sinon des croyances.
Les Alægatæ n’interviennent dans aucun conflit et ne sont
jamais mentionnés parmi les participants aux expéditions. Dans
l’état actuel des récits, on ne sait d’où ils tirent les provisions
nécessaires aux fêtes L En tout cas, ils les ont, non pas pour eux-
mêmes, mais pour assurer leur service public 2. Car c’est bien
de cela qu’il s’agit, non de simples beuveries comme on en fait,
avec plus ou moins d’invités, dans toute famille. La société narte
entière se réunit chez eux, a le droit de se réunir chez eux, et
pas toujours sur leur initiative : il arrive, en cas d’urgence, que
ce soit Satana, la maîtresse de maison des Æxsærtægkatæ, qui
dise aux Nartes alarmés par l’approche d’un héros étranger 3 :
« Dépêchez-vous d'aller dans la grande maison des Alægatæ,
disposez-vous sur sept rangs autour du grand vase et com
mencez à boire. Soslan sera le président. »
Les fêtes qu’ils administrent, ils ne les président pas. Les
Nartes s’asseyent en général le long de trois ou quatre tables
dont chacune est présidée par un héros de l’assistance 4, le
service étant fait par un autre héros qui n’appartient pas davan
tage à la famille des Alægatæ.
i. Parfois les conteurs se posent la question et font la réponse la plus simple :
■ Comme les Alægatæ étaient une famille riche, les Nartes s’assemblaient chez eux »
(y mxdug xxdtaræ adttej Almgatæ, xteygæ, 'ma N art uonæmx æmburd adtxncx),
Abaev, Iron adxmy tfœldystad, I (v. ci-dessus, p. 454, n. 1 a).
z. Jantem ir Sanaev, « Osetinskija narodnyja skazanija : nartovskija skazanija «,
Sbornik Svtdtnij o Kavhaxtkix Gortax, I, 1870, II, p. 5.
3. N K ., p. 341 (n'a pas été traduit dans L H .) : « Allez vite chez les Alægatæ pour un
kuvd et asseyez-vous sur sept rangs... »
4. Sept rangs dans le texte cité k la note précédente; trois rangs : N K ., p. 98-99
= LH ., p. 95-96 (présidents : llryzm æ g, Xæmyc, Syrdon); quatre rangs : L N .,
n" 250, p. 96 (présidents : Uryzmæg, Xæmyc, Sosryko, Cylæzsærton).
492 464 Mythe et Épopée I
1. V. ci-deuus, p. 454, n. 1 h.
2. NEON., p. 185-188.
496 468 Mythe et Épopée I
1. Une partie dea dialectes, en tcherkesse oriental aussi bien qu’occidental, pro
nonce h1 k1' g 1 comme i 1 i 1’ / 1.
2. Vert 59-60 :
wineifm e ya-piaSe ’aye p ’°eui xcmtn,
(uïrtté1'm e ya-phate àarft p ’°ew !
3. Ou, naturellement (v. avant-dernière note) A ltpxer, Al(l)aphar...
Trois familles 47.3 501
1. Koubé Chaban, op. cil. (p. 471, n. 3). p. 10 ; cf. la « maison de Satana » dans
N K., p. 286 = L H ., p. 253.
2. L . Lopatinskij, « Kabardinskije teksty », Sbornik Materialov... (V. ci-dessus,
p. 469, n. 1), X II, 189 1, I, 2, p. 25 (résumé L N ., n“ 23, p. 86); cf. N K E ., p. 163, 169.
3. Koubé Chaban, op. cil. (p. 471, n. 3), p. 16 :
N a rtiix tr ttne-/-k'’aJem qepsaXex,
p !'» A lef't mix°»m-be </>l'ye'0ate.
Je traduis (m. à m. : • rr qui ne sera pas, ne peut être ») par « invraisem
blance »; le sens ordinaire est « inconvenance ».
I
502 474 Mythe et Épopée 1
Puis c’est chez Aleg1 que les Nartes s’assemblent non seulement
pour les beuveries des fêtes, mais pour les délibérations d’intérêt
public. Témoin cette tradition, notée également par Koubé Cha
ban, à propos des cérémonies de commémoration des morts.
En dehors des h a d e-° 3s (« bouchée pour cadavre ») réguliers
qui se faisaient chaque hiver et ne posaient pas de problèmes,
les Tcherkesses pratiquaient parfois une forme extraordinaire.
Alors,
Quand il s’agissait pour les Nartes de faire un bede'°3s-
qesey, l’assemblée (le yare), se réunissait d’abord chez Aleg' et y
délibérait : (Aleg* ade&\ S'szefestsy W3nas°e f'afsfHsy) conve
nait-il ou non de faire le hede’°3s-qesey? Comment le faire, et
avec quelle viande ? Etc.
Le /are est l’assemblée souveraine : à la fois parlement et
tribunal. La légende veut qu’il y ait eu autrefois chez Aleg1
des èxxX-nqiAÇoucai, des assemblées de femmes. U n récit
biedoy° que M . A. M . Gadagatl1 m’a communiqué des archivesi.
dait trois fois (p. 33V C ’est chez eux enfin que le vieil Uryzmek
fut attiré pour la « liquidation du vieillard » (p. 39).
Malgré le maintien des particularités de ces deux familles,
l’élimination des Boratæ fait qu’elles ne forment plus structure :
pas plus que les Tcherkesses, les Tatars n’ont retenu, n’ont
compris la vénérable tradition dont ils n’ont emprunté que des
morceaux dépareillés.
1. PrM julenija... (v. ci-dessus, p. 454, n. 1 e), p. 15. Outre les travaux fonda
mentaux de S . D. Inal-ipa, sur l’épopée narte des Abkhaz, notamment • Ob Abxazakix
nartskix skazanijax t.T ru d y Abxaxskogo Instituta, X X III, 1949, p. 86-108, et Abxaxy*,
1965, p. 595-604, v. S. X . Salakaja, Abxaxskij narodnyj gtroileskij epot, 1966, p. 37-108.
2. PrM julenija..., p. 52.
3. Ibid., p. 187-188 .
4. « Iz ieienskix akazanij », Sbornik Svedtnij... (v. ci-dessus p. 463, n. 2), IV II,
P- ï - 3-
5. L N ., p. 5-6.
Trois familles 479 507
t. P. 478-479.
2. Cf. N K ., p. 371-373 = L H ., p. 259-261 (« La fin des Nartes •).
Trois familles 481 509
1. Cax Axriev, « InguSi », Sbumik Svedenij... {v. ci-dessus, p. 463, n. 2), V III,
1875, I, 2, p. 38-40.
510 4^2 Mythe et Epopée I
. / wV., p. 72-73, résumé tir (' a\ Axrit v, art. cil. à la note précédente, p. 35- 36.
512 4»4 Mythe et Epopée I
divisions de la société narte. Mais, pas plu6 dans un cas que dans
l’autre, la tripartition n’a été maintenue.
1. Il faudrait nuancer d ’après les provinces, mais ce serait sans profit pour notre
sujet : dans Nartskij epos, Actes du premier colloque de nartologie, 1957 (v. ci-dessus
p. 454, n. r, avant-dernier alinéa), v. le rapport de M » * U . B. Dalgat sur les légendes
narres au Daghestan (y compris les Koumyks), p. 155 -17 4 .
2. En 1966 et en 1967, à Istanbul, mon ami Georges Charachidzé a commencé i
noter, de la bouche d ’un vieil émigré avar du Caucase, des récits gardant S plusieurs
Nartes, sous des noms nouveaux (Napir et buday; lm aé1), des aventures connues en
Ossétie et en Circassie (le duel de Sawsaraq°e et de T o tre l1 ; la vengeance du petit
Ai'em ez). 11 s'efforce d’en préciser la source, qui paraît être kabarde.
CHAPITRE III
1. Moins que dans les trois gémissements de l’introduction, il y a encore ici un peu
de confusion, par pléthore : ainsi, dans l’énoncé de 1a première condition, xærzmr-
dautær « plus modeste, de meilleures manières > charge inutilement qsebatyrdær « plus
brave », qui seul introduit et la réponse de Xæmyc et l’épreuve de Batraz correspon
dante. De même l’énoncé de la seconde condition contient l’inutile référence à la
charge, au « fardeau d ’homme », læjy uary, à supporter jusqu’au bout avec honneur
et ordre, kad æmæ radæj.
Trois familles 49'1
La valeur fonctionnelle tic chacune des épreuves, avec ce
qui la précède et ce qui la suit, est aisée à définir. La première
se passe de commentaires : embuscade, bravoure, combats,
tout, jusqu’à la ruse même du jeune Horace 1, y relève de la
« deuxième fonction ». L ’épreuve suivante concerne ce qui,
comme il a été rappelé plus haut, prolonge dans l’épopée
comme dans la pratique les antiques cérémonies religieuses,
ces banquets-beuveries désignés encore du nom de kuvd,
« prière ». La troisième concerne non l’agriculture ni la produc
tion comme la charrue obtenue par Kolaxaïs, mais un autre
aspect de la « troisième fonction », la volupté, la sexualité, la
femme en tant que moyen et maîtresse de plaisir12.
Ainsi, ce récit conservé par les derniers descendants des
« Iraniens d’Europe » paraît bien prolonger, sinon la tradition
même attestée par Hérodote, du moins une variante toute
voisine, qui expliquait elle aussi comment un héros éminent
était entré en possession de trois « trésors ». rattachés chacun
àJ ’une des trois fonctions indo-iraniennes.
Il faut ajouter qu’il y a, entre la justification de la conduite
de première fonction (modération aux festins des fêtes) et les
deux autres (courage intelligent, indulgence pour les femmes),
d’importantes différences structurales. Dans les derniers cas,
le jeune homme, lorsqu’ il sc trouve devant un spectacle curieux
(son chien espaçant les chiens qui le poursuivent; la conversation
de la mère et de la fille) réfléchit et, tout seul, en déduit la règle
qui gouvernera dorénavant son comportement; dans le premier
cas au contraire, devant la besace insatiable, il réfléchit mais ne
comprend pas et doit recevoir la leçon des vieillards, « de ceux
qui ont beaucoup vu et beaucoup appris ». De plus, dans les
deux derniers cas, le spectacle est curieux, mais conforme aux
lois de la nature : le chien sc conduit en animal intelligent, mais
en animal; la mère et la fille se conduisent en femmes lascives,
mais en femmes. Au contraire, la besace est un objet merveilleux,
qui ne se comporte pas comme une besace ordinaire et qui,
donnant son enseignement par la violation des lois de l’expé
rience, ne peut avoir été placée là que par la volonté de Dieu.
Ces deux traits propres à la justification et au comportement
1 . C e t t e r u s e s e r e t r o u v e d a n s u n a u t r e é p i s o d e d e la c a r r i è r e d e B a t r a z , v . c i - d e s s u s ,
p. 4 6 2 ; e t a u s s i d a n s p lu s ie u r s r é c its t c h e r k e s s e s é t r a n g e r s a u c y c le d e s N a r t e 3 , q u i
m ’o n t été c o m m u n iq u é s d e M a y k o p .
2 . A s s e z n o m b r e u x s o n t le s r é c it s t r ifo n c t io n n e ls q u i o n t d e u x t y p e s d e v a r ia n t e s ,
l ’ u n m e t t a n t e n é v i d e n c e l ’ a s p e c t « a m o u r , v o l u p t é , e t c . », l ’ a u t r e l ’ a s p e c t « r i c h e s s e ,
a b o n d a n c e , c u p i d i t é , e t c . * d e la t r o i s i è m e f o n c t i o n . V . p a r e x e m p l e Tarpeia, 1 9 4 7 »
p. 2 7 9 - 2 8 7 ( c i - d e s s u s , p . 267 e t n . 1 ) ; Heur et malheur du guerrier, 1 9 6 9 , p . 9 3 ; e t c i -
d e s s o u s p . 5 6 0 e t n . 1 . B a t r a z e s t le p l u s t y p i q u e d e s Æ x s æ r t æ g k a t æ : s u r l ’ i n d i f f é
ren ce à l’ a d u lt è r e d a n s c e r t a in e s s o c ié t é s o u c la s s e s m ilit a ir e s , v . le s b o n n e s r é f le x io n s
d e R o b e r t F l a c e l i è r e , L'Amour ett Grèce, i 9 6 0 , p . 1 1 3 - 1 1 4 ( P l u t a r q u e , Lycurgue , 1 5 ,
1 1 - 1 5 ; e t c .) .
520 492 Mythe et Épopée I
Variantes tcherkesses.
Qu’est devenue cette légende chez les peuples qui ont emprunté
aux Ossètes l’épopée narte ? Elle pouvait partout survivre, alors
même que la tradition des trois familles disparaissait : les
trois épreuves formaient chacune un petit apologue pittoresque
et, réunies ou non, pouvaient se conserver, même si la valeur
fonctionnelle en était estompée. Cependant, jusqu’à présent,
on n’a signalé de variantes que chez les Tcherkesses occidentaux
lettre à porter dans un autre pays. Voici quel était leur plan :
à eon retour, ils voulaient mettre cinquante cavaliers en embus
cade pour le surprendre; ils voulaient voir comment il se
tirerait d’affaire. Ils firent ainsi. Quand les cinquante cavaliers
se précipitèrent sur le jeune homme, il fit demi-tour et s’enfuit.
Ils le poursuivirent. A un moment, il se retourna et vit que la
ligne de ses poursuivants s’allongeait. Quand il n’eut plus à
ses trousses que cinq cavaliers, il se retourna, leur fit face et
les renversa, eux et leurs montures, avec le poitrail de son cheval.
Il fonça alors sur les autres qui, ayant vu ce qu’il avait fait,
tournèrent bride et s’enfuirent. Le jeune homme arriva au
village derrière eux sans qu’ils l’inquiétassent.
Quand il remit à l’assemblée des anciens la réponse à la
lettre qu’il avait portée, ils lui dirent : « Nous t’aurions bien
fait prince de ce pays, mais tu es un lâche : quand tu as surpris
ton jeune voisin auprès de ta femme, tu es ressorti sans rien dire.
Si tu étais un homme, tu l’aurais tué. — Je vais donc vous dire
pourquoi j ’ai agi ainsi. J ’aimais beaucoup ma femme, et aussi
mon jeune voisin, et j ’avais grande confiance en eux. Us m’ont
trahi. Mais, si je les avais tués cette nuit-là, ce n’eût pas été un
acte de bravoure. De plus, j ’aurais dû m’exiler pour n’être pas
tué à mon tour sans profit pour ce pays. J ’ai pensé qu’il valait
mieux répudier ma femme et l’abandonner à son remords. »
En l’écoutant, les vieillards comprirent qu’il avait raison.
« Soit, dirent-ils, mais ensuite, comment as-tu pu échapper
aux cinquante cavaliers qui t’avaient coupé le chemin? — Je
vais vous l’expliquer, répondit-il. Un jour j ’étais à la chasse
dans la forêt. Mon chien s’éloigna et, poursuivant des bêtes
sauvages, monta sur un plateau où je pus l’observer. Je vis tout
un groupe de grands chiens de berger se précipiter sur lui
pour le déchirer. Aussitôt il fit demi-tour et s’en revint vers
moi. Us se lancèrent à sa poursuite, mais leur file ne tarda pas
à s’allonger. Brusquement, mon chien se retourna, se jeta sur
le premier et l’étrangla; ce que voyant, les autres s’enfuirent,
et mon chien me rejoignit sain et sauf. J ’ai appliqué cette
tactique pour échapper aux cinquante cavaliers. »
Les anciens furent dans l’étonnement. « Vous avez vu ? dit le
vieux prince. Aucun autre que ce jeune homme n’eût été capable
de faire ce qu’il a fait. U est le plus apte à devenir votre prince. »
Les anciens acquiescèrent et le firent prince. U les gouverna,
et même leurs voisins, jusqu’à sa mort.
On voit dans quel sens ont été faits les changements. L ’histoire
n’est plus narte, les héros sont anonymes. L ’épreuve du banquet
de fête a été éliminée et l’ordre des deux épreuves restantes
interverti. L e cadre original du récit — l’attribution de trois
trésors — a été remplacé par un cadre fréquent dans les contes,
la désignation d’un nouveau prince. Enfin, dans l’épreuve
concernant la femme, on note deux altérations considérables :
Trois familles 499
d’une part, la motivation de la conduite du jeune homme n’est
plus l’indulgence envers le sexe faible, mais le souci de se con
server pour servir son pays et le sentiment qu’un châtiment
moral durable sera plus sévère qu’une mise à mort immédiate;
d’autre part, la femme a un rôle noble; elle refuse d’abord de se
prêter à une mise en scène « indigne » de son mari, puis elle
n’accepte que « pour être utile au pays ».
Une seconde variante, notée dans la tribu des Hatayq°eye,
constitue le numéro 44 des cent récits tcherkcsses occidentaux
dont la dactylographie m’a été communiquée. Elle est intitulée
Comment Saws9raq0e attribua les trois coupes. En voici la tra
duction :
Les anciens Nartes prétendaient à la bravoure et ils avaient
une grande confiance les uns dans les autres.
Une fois Saws3i3q°e décida de servir un festin aux trois
familles des Nartes, les YanamaqOe, les CantamaqQe, les
XamaS'aq^. Il prépara tout ce qu’il fallait et fit annoncer :
— Eh, Vanam3q°e, mes frères !
ch, vaillants Cantam3q°e !
eh, terribles Xama§,3q0e !
Vivez à l’abri des soucis 1
Amenez l’aveugle par la main,
apportez les boiteux sur votre dos,
venez chez moi comme hôtes,
venez tous ensemble 1
Les bons et les mauvais, les boiteux, les aveugles et les
manchots, tous les Nartes s’assemblèrent jusqu’au dernier.
Ils mangèrent, ils burent, firent circuler les nouvelles, racontèrent
beaucoup de choses glorieuses. YVerzemej', en ce lieu, était très
éloquent. Dans les toasts, longuement, les vieillards venus
au festin souhaitèrent que Sawsar3q°e et sa famille soient
heureux, que leur vaillance ne cesse de s’accroître et que les
jeunes Nartes leur témoignent du respect. Ils estimèrent néces
saire que Sawsar3q°e prononce un toast à son tour et lui don
nèrent la parole. Alors Sawsaraq°e mit la main à sa poche, en
tira trois cornes (bà-gy-f') extrêmement belles. Il fit remplir
de vin (sanëyYn première :
— Celui qui a un fils héroïque, dont il n’y a pas à rougir,
sachant entrer et sortir, que celui-là se lève et le dise !
Regardant l’assistance, Werzemej1 se leva :
— J ’ai un tel fils, clit-ïlj îl est allé et il se trouve actuel
lement là d’où l’on ne revient pas !
— Que Dieu le ramène heureusement ! dit Sawsaraq°e. Je
te donne cette corne, bois le contenu et prends le contenant !
C ’est ainsi que fut attribuée la première corne de Sawsar3q°e.
Il prit la seconde, qui n’était ni plus ni moins belle que la
première, et la remplit de vin.
528 500 Mythe et Épopée I
1. V . ci-dcasous, p. 540-54 «.
CHAPITRE IV
du ciel sans rien apprendre sur son sort. A la fin, ils allèrent
trouver une sorcière qui leur dit : « Attachez une corde au cou
de la chienne de Sÿroon et suivez-la; elle vous le trouvera. »
Ils attachèrent une corde au cou delà chienne et la suivirent.
La chienne affamée courait de-ci de-là; à la fin, elle entra
dans la forge de Kurdalægon et commença à gratter à l’endroit
où s’asseyait Ajsana. Incrédules, les Æxsærtægkatæ creusèrent
pourtant et trouvèrent le cadavre. Ils l’enterrèrent et annon
cèrent leur vengeance aux Boratæ.
Des conciliateurs s’interposèrent et prièrent les Æxsær
tægkatæ d’accepter un accommodement. Plus que tous, leur
propre soeur Uadæxez, qui était mariée chez les Boratæ,
intervint. Quand les Æxsærtægkatæ comprirent que c’était
le désir général et qu’on ne les laisserait pas tranquilles jusqu’à
ce qu’ils acceptassent la réconciliation, ils partirent au galop
pour se rendre chez Kænti Sær Xuændon, en ayant soin de
fouetter leurs chevaux quand ils passèrent devant les Boratæ.
Lorsque Uadæxez apprit cela, elle les maudit :
— Dieu des Dieux, mon dieu 1 Où qu’aille un homme
des Æxsærtægkatæ, fais que, pendant toute une année, on ne
leur témoigne pas plus de considération qu’à un chien 1 que
leur parole n’ait pas de poids (sæ dzurdi kadæ kud me ua) ;
que leur épée coupante ne coupe plus (sæ kærdagæ kard kud
næ bal kærda) ; que leur fusil bon tireur ne frappe plus le but
(se ’xsagæ topp kud næ bal jesa) ; aue leur cheval coureur ne
coure plus (sæ ujagæ bæx kud næ bal uaja)! Telle est la bonne
route que je leur souhaite !
Les Æxsærtægkatæ arrivèrent chez Kænti Sær Xuændon, et
il ne leur prêta aucune attention. Ils restèrent dans le pavillon
des hôtes presque un an sans qu’il vînt les saluer. Et naturel
lement, pendant cette année, il y eut des fêtes funéraires,
des jeux de mâts, des courses. En leur qualité d’hôtes, c’était
toujours aux Æxsærtægkatæ de commencer. Us essayèrent
de parler. Ils engagèrent leurs chevaux dans les courses, ils
tirèrent sur les mâts, ils manièrent leurs épées : tout cela sans
succès.
Quand les jours de l’année furent écoulés, ils engagèrent dans
une course le cheval héroïque d’Uryzmæg. Cette fois, il fit ce
qu’ Uryzmæg attendait de lui. Il pourchassa ses concurrents,
arracha à l’un une oreille, à un autre la queue, à un troisième
la crinière à mesure qu’il les rejoignait, et il arriva en tête,
un jour avant le moment prévu. Les gens s’étonnèrent : « Jus
qu’à présent ce cheval n’avait rien gagné et voici qu’il est
tellement en tête 1 Son cavalier n’aurait-il pas fait de mal aux
autres chevaux? » Uryzmæg leur dit : « Il est parti un jour
après le début de la course, — et vous comprendrez le reste
quand les autres chevaux arriveront ! » En effet ils comprirent,
quand les autres chevaux arrivèrent, l’un sans oreille, l’autre
sans queue...
Dans ces mêmes fêtes funéraires, au moment d’immoler
irais familles 507 535
Variantes.
40 L ’armée magique.
Dans toutes les variantes, l’ældar, dès qu’il a compris quels1
tribut que les Nartes leur devaient. Effrayés, les deux Nartes
rentrèrent en hâte et demandèrent conseil à Satana, qui leur
dit : « T’ai confié mon gamin à Don Bettyr, le Maître des eaux,
pour qu’il l’élève; s’il ne nous tire pas d’affaire, nul autre ne
le pourra. » Elle s’en fut donc reprendre l’enfant, nommé
JA Asana, fils d’Uryzmæg. Asana marcha contre les trois fils d’Azn,
les tua et revint avec leurs dépouilles. Mais alors il devint le
persécuteur des Boratæ, ne leur permettant pas de vivre tran
quilles. Si l’un d’eux avait un bœuf gras, il l’égorgeait; s’ils
avaient un cheval bien nourri, il montait dessus...
1 . Zend Avesta, I I , p . 2 7 , n . 5 3 .
2 . « L e s c l a s s e s s o c i a l e s < lan a la t r a d i t i o n a v e s t i q u e », Journal Asiatique, C C X X I,
19 3 2 , p . 1 1 9 - 1 2 0 .
554 526 Mythe et Épopée I
t. Emmanuel Coaquin, Contes populares de Lorraine, 1887, II, p. 86, dans les notes
au n° 42, « Les trois frites >.
2. V. ci-dessous, p. 597-601.
Trois familles 543 571
La fausse fiancée.
« Making o f History. »
V . ci-d csBus, p. 4 78 -4 8 0 .
CHAPITRE V
1. N K ., p. 3 4 .3 s = L it ., p. 44-45.
580 552 Mythe et Épopée 1
1. V . p. e x ., c i-d e s so u s , p. 57 2 .
2 . N K ., p . 4 0 = L H ., p . 4 9 .
Trois familles 553 581
1 . N K ., p . 2 5 - 2 8 ■ » LH ., p . 39 -4 2 .
2. N o te r eu p a is a g e cette an n exio n d u zond, de l ’ in te llig e n ce , a u p rin c ip a l dea
Æ x u e rt c g k a tæ : cl. c i- d e n u a , p . 4 9 3, n . 1 .
3. S o r te d ’ h y d ro m e l trèa fo rt, boiaaon h é ro ïq u e , ao u ven t m en tio n n ée d ana lea
légendea nartea.
584 S56 Mythe et Épopée I
2° Mariage de Satana.
— Tu m’as déshonoré, Satana 1 dit Uryzmæg. Comment
pourrons-nous vivre désormais au milieu des Nartes? Quel
visage leur ferons-nous ?
— Le blâme des gens est l’affaire de deux jours, il n’y aura
pas beaucoup de honte (adæmy fidis — dyuuæ bony, biræ
xudinag næu). Je le dirai ie moyen de la faire oublier. Monte
à l’envers sur un âne, ton dos vers sa tête, et, dans cet équipage,
passe trois fois à (ravers la grand-place. Observe bien ies gens
qui y seront et viens inc dire ce qu’ils auront fait (xærægyl
sbad fæstærdæm irrnæ j'yl sertx zdæxiy akæn Nyxasy astæuty.
Nyxasy adæmmæ hæs, æmæ âi kud kæna, uj-iu myn radzur).
Uryzmæg enfourcha un âne à l’envers et passa au milieu des
Nartes. Ceux-ci, les grands comme les petits, les vieux comme
les jeunes furent secoués d’un tel rire qu’ils ne pouvaient se
tenir debout.
Il passa une deuxième fois. Certains rirent encore, les autres
ne rirent plus. Beaucoup ne le regardèrent même pas, beaucoup
aussi s’affligèrent de voir leur guide, leur modèle, Uryzmæg,
frappé de déraison.
Il passa encore une fois. Personne ne rit plus. « Ce n’est
certainement pas sans motif, dirent-ils, qu’il monte son âne à
l’envers; il y a quelque bonne idée là-dessous... »
Quand Uryzmæg revint chez lui, Satana lui demanda :
— Comment se sont-ils comportés?
— Quand je suis passé la première fois, ils ont été secoués
d’un tel rire qu’ils ne pouvaient se tenir debout. La seconde fois,
certains riaient encore, d’autres ne riaient plus, et beaucoup
s’affligeaient de me voir, moi, leur guide, frappé de déraison.
La troisième fois, plus personne ne riait : « Il n’est pas fou,
disaient-ils, ce n’est pas pour rien qu’il monte son âne à l’envers,
il a sûrement son idée... »
— Eh bien, il en sera de même pour notre affaire, dit Satana.
Ils riront d’abord, puis personne n’y pensera plus.
Quand les gens apprirent qu’Uryzmæg vivait avec sa sœur
Satana, ils commencèrent par se moquer d’eux, puis, en effet,
personne n’y pensa plus. Et Satana et Uryzmæg purent continuer
à vivre comme mari et femme.
3° Élimination de la fille des Boratæ.
(Je me borne ici à résumer un texte très gaulois.)
Satana se donne volontairement les stigmates de vieillesse
et presse son mari, Uryzmæg, de prendre une seconde femme.
Après quelque résistance il cède et épouse une fille de la famille
des Boratæ. Mais, le soir des noces, les invités partis, Satana
reprend sa figure jeune et séduisante et Uryzmæg ne regarde
même pas la nouvelle venue.
Les Nartes ont vent de la chose et l’on en parle beaucoup
586 558 Mythe et Épopée I
Variantes ossètes.
Interprétation.
1 . V . ci-dessus, p. 4 9 1, n. 2.
Trois familles 56 i 58 1)
i. V. ci-dcssus, io j-10 8 .
590 5^2 Mythe et Épopée I
t. V . ci-dessus, p, 12 0 -12 3 .
Trois familles 563 591
Xna§', dont il nous est dit seulement qu’il n’est plus bon à grand-
chose au moment où commence le cycle des Nartes : quand les
Quatre-vingt-dix-neuf voient les premiers exploits du Centième,
Sasroq°a — qui en effet n’est pas né deXnoë', ni d’ailleurs deSata-
ney g°al'e, mais de la pierre fécondée par la semence d’un ber
ger trop vivement ému par la beauté de Sataney — , ils sont pris
de soupçon et disent à leur mère (Prikljuienija..., p. 46) :
Où es-tu, notre mère ?
Qui est devant nous ? Dis, nous ne pouvons comprendre,
il n’y a pas d’erreur, et il est facile de s’en convaincre :
quelque chose de Narte est en lui, en lui une partie de toi.
Mais notre père est un vieillard décrépit, faible et presque
[aveugle,
il passe tout son temps à se chauffer près du poêle :
Ce garçon ne peut être sorti de lui.
Nous le savons, il ne convient pas de parler ainsi à sa mère,
mais que la famille des Nartes ne connaisse pas la honte !
Pardonne, mais parle : qui est-il ? de quelle race ?
De qui est fils ce garçon, — non pas ce garçon : ce prodige ?
Peut-être cette présentation irrespectueuse du père est-elle
un écho des critiques, des railleries qui sont parfois adressées au
Xæmyc ossète, justement en opposition avec un fils héroïque
(Batraz, non Soslan-Sosryko) et dont Xæmyc lui-même, dans
la légende des « Trois trésors des ancêtres », paraît admettre le
bien-fondé 1 ; Xæmyc a pourtant plus de relief et montre, en
d’autres occasions, une véritable valeur.
Mais surtout, un personnage de première grandeur a complè
tement disparu : le frère de Xæmyc, le frère et mari de Satana,
Uryzmæg, dont le cycle ossète est considérable. En bref, au lieu
du tableau généalogique ossète,
Dzerassæ
r
Xæ m yc Uryzmæg + Satan 1 le berger
( + la pierre)
i . V . ci-dessus, p. 487 et n. 1 .
Trois familles 5^5
? ?
Un écho arménien.
i. C o m m e c e t e x t e d i a l e c t a l r i s q u e d ’ ê t r e p e r d u d a n s le Baik'ar, j e le r e p r o d u is , à
l 'u s a g e d e s a r m é n i s a n t s :
M ig mart bntec ssac : ■ »m k'ior d-arnim ! » Key-keyov t’ap'an vrtn : « Xayig, idbis
bêan l'-eyni... mani' mi idbis bêan i'-eyn i... » J a r l'-e y a v, bntec xsac : » D-arnim I t
Keyagan asae : * K 'iu meyk", k’ iu v in ! »
Tiôris sirapanti baravk'er ioyovec. cmet ». M êg asdinpar cium iger. Baravk'er ascin :
« Pi, k'iu ixner Idxi, na cium ttari. » Ëd x-or izner Idxec, cium ga-var». Yarjin ôr key-
keyov t'apa’ n t'amaia. Mêgël ôr baravk'er »scin : « Yasônt il d»-varis, yireh' ôr dx-varis. »
M ègil ôr il varec, heyagan k'iF igin t'amaia. M êgël 6m il varec, il »sgi mart F-igin
t'amaia.
Baravk'er fscin : « tiôr g-arnitî ai. Irek' ôr k'iu pampasank'ut'in d-ënin, yidev irtK
avur il l'-xn xusi. >
En » g-asin k'rterfn : « X ohtlpri mah» gifrd, aëëp s i rôx a », « k'ivor var axpôr bsagecùt,
aifp [ = darôrinagut'iwn] irek' ôr disan. »
z. M es amis kurdes ne connaissent pas le dicton qui termine le récit. Il est vrai
que ce sont quelques cireurs de bottes et quelques chauffeurs d ’ Istanbul.
C H A P I T R E VI
Conclusions et questions
x. V. déjà une orientation dans la troisième partie de Loki, 1948, p. 227-246 (édition
allemande, considérablement modifiée sur ce point, 1959, p. 184-200), dans Les
Dieux des Germains, 1959, chap. 111 (« Le drame du monde »), P* 102-104, et dans
« Balderiana minora », Indo-lranica ( Mélanges G . Morgenstieme) , 1964, 3 (« L a résur
rection manquée de Baldr et les pleurs de toutes choses »), p. 70-72.
2. Je reproduis ici un alioéa de l'article de L a Table Ronde cité ci-de9sus, p. 441,
n. x.
600 S72 M ythe et Épopée I
Après ses enfances, Batraz ne vit pas sur la terre, mais dans
le ciel. Il ne paraît guère auprès des siens que pour ses exploits,
et la « descente » de ce héros d’acier est chaque fois une claire
image de la foudre :
Un jour « Mukara, fils de la Force » réclame aux Nartes un
tribut de jeunes filles 3. Au milieu du désespoir général, Satana
envoie un vautour avertir Batraz :
A cet instant, Batraz était assis dans le ciel. Le vautour vola
jusqu’à lui. Dès qu’il eut entendu le message, Batraz se précipita
et tomba sur la colline des Nartes avec une telle violence qu’il
s’enfonça dans la terre jusqu’à l’aine. Il se dégagea et, d’un
bond, fut devant Satana.
Et, dans ce qui suit, sa voix, « le tonnerre de son cri », n’est
pas son arme la moins puissante : elle suffit à faire évanouir les
alliés de Mukara 4.
Une autre fois, le fils du Géant Borgne s’est mêlé deux jours
de suite aux danseurs nartes et leur a fait mille avanies 5 :
A ce moment, le fils de Xaemyc, Batraz, était assis en haut
d’une montagne, la tête posée sur un glacier pour refroidir son
acier. De cet observatoire, il vit ce qui se passait sur la plaine...
« Voici la seconde fois, se dit-il, que le fils du Géant Borgne se
moque de nos jeunes gens. Allons, il faut que j ’essaie ma force
sur lui ! » Il arracha la moitié du glacier, la posa sur sa tête pour
qu’elle ne devînt pas trop brûlante et s’abattit comme un