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Le chaman altaïque d'après les voyageurs
européens des XVIIe et XVIIIe siècles
Par Jean-Paul Roux
Sommaire :
Introduction 2. Le tambour
I. Les fonctions fondamentales 3. Le mimétisme animal
1. La guérison magique 4. Destin du chaman
2. Le voyage au ciel IV. Le. rôle de prêtre
3. La divination chamanique 1. Le sacrificateur
II. Les autres pouvoirs 2. Les offrandes
III: La description du chaman 3. Les consécrations
1. Le vêtement 4. L'orant
Introduction
1 J.-P. Roux, Le nom du chaman dans les textes turco-mongols, Anthropos 53.
1958, pp. 133-142; Eléments chamaniques dans les textes pré-mongols, Anthropos 53.
1958, pp.441-456; Le chaman gengiskhanide, Anthropos 54. 1959, pp. 401-432.
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Le chaman altaïque d'après les voyageurs européens des XVIIe et XVIIIe siècles 439
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440 Jean-Paul Roux Anthropos «β. ΐ9βι
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Le chaman altaïque d'après les voyageurs européens des XVIle et XVIIIe siècles 441
une audace inouïe 1β. Pourtant, parmi les très nombreux récits il n'en est
que peu qui apportent des documents sur le chamanisme : beaucoup d'explo-
rateurs, maintenant comme il le sera plus tard, s'en sont tenus au bouddhisme
ou à l'islam. Au XVIIIe, avec les Gmelin et les Pallas, notre science s'enrichira
considérablement et nos voyageurs seront les véritables précurseurs des Hue,
des Bergmann qui seront foison au XIXe.
L'optique des voyageurs modernes n'est plus du tout celle des aventu-
riers du Moyen Age. Il n'est pas question ici de définir les différences (ce qui
nous ferait largement sortir de notre sujet), mais de souligner qu'il peut
être difficile de savoir si le visage nouveau que nous trouvons au chaman
provient d'une évolution de sa personnalité ou, au contraire, d'une façon
toute nouvelle de le décrire. Ainsi, on nous peint alors soigneusement les
costumes qui laissaient indifférents jadis. Tandis que les divers faits religieux
s'amenuisent, le chamanisme apparaît mieux. Dans les descriptions d'ensemble
le chaman, peut-être parce que ses démonstrations sont très spectaculaires,
prend la première place. Par exemple Kracheninnikov, dans son examen du
Kamtchatka, consacre trois chapitres à la vie religieuse dont un tout entier
au chaman (ch. XII) 17.
Le rôle politique de celui-ci semble avoir complètement disparu après
avoir tenu longtemps la vedette. C'est cette constatation qui autorise Heissig
à dire qu'au XIIIe le chaman se recrutait dans l'aristocratie, mais qu'alors
(XVIIe), il sort indistinctement de toutes les classes 18. Isbrand avait dit, ce
qui n'est pas fort différent malgré les apparences, que tous les anciens habitants
de la Sibérie étaient idolâtres lö. On doit relever une remarque de Gmelin
qui prouve peut-être un début d'incrédulité dans le public chamaniste : les
Tatars de la zone Ob-Iénisséi avouent à notre auteur que les « prophéties et
les cures (du kam) ne sont pas toujours des plus certaines » 20.
16 II n'est rien resté de relatif au chamanisme dans les quelques notes que Ton
a conservé du journal de route de Benoît de Goes. Cf. P. N. Trigault, Histoire de
l'expédition chrétienne en la Chine... Paris 1618.
17 S. Kracheninnikov, Opisanie zemli kamtchatki. 2 vol. Saint-Pétersbourg 1819.
Le vol. III de Chappe d'AuTEROCHE, Voyage en Sibérie fait en 1761, Paris 1768, contient
une version française du récit de Kracheninnikov. Les deux autres chapitres sont,
Tun, le XI, consacré aux croyances religieuses, l'autre, le XIII, aux fêtes et cérémonies.
18 W. Heissig, A Mongolian Source to the Lamaist Suppression of Shamanism
in the 17th Century. Anthropós 48. 1953, pp. 511-512. Sauf erreur, je crois que la première
description de la « quête des pouvoirs » est dans N. Chtchukin, Pojezdka ν Jakutsk,
Saint-Pétersbourg 1844, p. 277 : « celui dont le destin est de devenir chaman se comporte
dès son âge le plus tendre comme un faible d'esprit ; il erre dans les forêts, se précipite
dans l'eau ou dans le feu, saisit une arme pour se tuer. A ces manifestations, les parents
reconnaissent que l'enfant sera chaman ».
19 Le voyage de Brand (Isbrand) qui eut lieu à la fin du XVIIe siècle fit beaucoup
de bruit. Il a été publié plusieurs fois en diverses langues : A. Brand, Beschreibung
der chinesischen Reisen. Hamburg 1698 ; Ides, « Relation du voyage de M. Evert Is-
brand », etc. (trad, de l'ouv. de Brand, Amsterdam 1699) que nous citons ici en référence
sous le titre « Relation ». On utilise dans certains travaux A. Brand, Beschreibung seiner
grossen chinesischen Reise anno 1692 (sic, en fait : 1692-93-94), Lybeck 1734.
20 J. G. Gmelin, Reise durch Sibirien von dem Jahr 1733 bis 1743, 4 vol. Göt-
tingen 1752.
Anthropoe 56. 1961 29
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442 Jean-Paul Roux Anthropos 56. i96i
Le rôle sacerdotal, sur lequel nous nous étions sans cesse interrogé et
qui sera généralement refusé au chaman contemporain par les ethnologues 21,
au cours des deux siècles qui nous occupent ici et dans les documents que
nous utilisons, n'a jamais été et ne sera sans doute jamais aussi important.
1. La guérison magique
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Le chaman altaïque d'après les voyageurs européens des XVIIe et XVIIIe siècles 443
Ceci confirme, si besoin en était, que le sacrifice du cheval est bien la cérémonie
centrale du « chamanisme ». Chez les Tchouvaches, « les sorciers et les sorcières »
sont considérés, ont une grande autorité et sévissent dans chaque village
quand Gmelin, au début du deuxième tiers du XVIIIe siècle, les visite.
Dès qu'un Tchouvache se sent malade ou même légèrement incommodé, il
court à son iumasse et celui-ci désigne la victime que le patient doit offrir 2e.
Gmelin est très précis sur ce point. Il consacre un long paragraphe à montrer
que dans la perspective indigène le sacrifice et la prière sont Tun et l'autre
conçus comme les moyens les plus efficaces pour recouvrer la santé. Nous
paraissons loin de la cure chamanique classique par la transe. Nous ne devons
pourtant pas nous étonner outre mesure et croire à une innovation. Il est bon
de se souvenir qu'au moment de la mort de Tului (Touloui), Γ« Histoire Secrète
des Mongols » relate que le peuple désire donner « à titre de substitut »...
« n'importe quelle autre chose » pour sauver Oegoedei malade : finalement,
le substitut sera Tului lui-même 27. Il s'agit bien d'un sacrifice. De même, on
essaie de sauver Argoun de la mort en répandant de nombreuses aumônes 28.
Cela ne veut pas dire que le chaman n'intervienne pas d'une autre façon, ni
même que Gmelin l'a ignoré. Il a bien observé, en tous cas, que chez les
Tatars de Kousnetsk (Ob-Iénisséi), la guérison s'effectuait par la vertu du
tambour magique 29.
A propos des Yakoutes, le récit de Gmelin ne se contente plus d'être
descriptif, il est aussi explicatif, et l'explication qu'il donne est belle et bonne.
« Presque tous les Sibériens croient que lorsqu'un homme est malade, le diable
lui a enlevé l'âme et que lorsqu'elle n'est pas promptement rendue, le corps
meurt » 30. Auparavant, il avait appris d'un vieil homme « ressemblant fort à un
kam ou chaman» que «le diable était l'auteur de tout mal et, par conséquent,
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Le chaman altaïque d'après les voyageurs européens des XVIIe et XVIIIe siècles 445
Dès le début du XIXe siècle, les explorateurs nous citeront des cas
précis de guérison magique qui nous manquent les deux siècles précédents.
Bergmann qui, par la date de son voyage, peut encore prendre place ici
(1802-1803) dira par exemple : « quelques jours avant la mort de Tchutchei,
des médecins avaient employé des moyens magiques pour sa guérison » 39.
2. Le voyage au ciel
Nous avons vu, dans les articles précédents, combien il était difficile
d'isoler le voyage chamanique dans les zones cosmiques; nous n'en avions,
au reste, trouvé que peu d'exemples. Il est donc normal que les voyageurs
des XVIIe et XVIIIe siècles soient pratiquement muets sur ce phénomène.
A vrai dire si nous ignorions que la quête de l'âme est accompagnée par le
voyage cosmique, nous n'en trouverions point de trace ici. Mais on sait comment
il faut interpréter des récits tels que celui-ci : α ils craignent que le diable,
quand ils meurent, ne saisisse leur âme et pour les empêcher, le kam bat son
tambour magique » 40. En battant son tambour, il voyage en esprit. Peut-
être cependant faut-il mentionner que l'âme des chamans défunts est appelée
à l'aide par les chamans vivants lors de leurs actions. Georgi, au XVIIIe,
et Chtchukin, au XIXe, nous le disent très nettement 41.
3. La divination chamanique
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446 Jean-Paul Roux Anthropos 56. i96i
intrépide » tt. Le même auteur a bien remarqué la transe chez les Toungouses
où le « chaman tombe à la renverse comme s'il avait perdu l'esprit » 44.
Corneille Le Brun, au début du XVIIIe, est moins détaillé : « Siaman
ou Koedisnick signifie prêtre ou plutôt magicien »... « Cet homme peut leur
prédire tout le bien et tout le mal qui peut leur arriver, s'ils seront heureux
à la chasse, si les personnes malades réchapperont ou mourront de leur maladie
et plusieurs autres choses pareilles ». Quelques mots suffisent à préciser le
mode de divination : « les plaques de fer qu'ils portent sur leurs habits »...
« les bruits effroyables » 45.
La plus belle description contemporaine est sans doute celle de Banyow-
ski : Le chaman
commença par faire sortir toutes les femmes de la yourte ; après quoi il se mit nu comme
la main et se lava le corps avec son urine. Ensuite, il endossa un habit long (...) 4e. Dans
cet équipage, il se plaça au centre de la yourte, tourna une fois sur lui-même en criant
kutti, kuttni, kutuchta et, tirant une bouteille de sa poche de cuir, but une partie de
la liqueur qu'elle contenait. Alors il se jeta par terre où il resta immobile dix à quinze
minutes ; au bout de ce temps, il se mit à hurler et à crier et bientôt après se leva et
frappa sur son tambour de toute sa force et sans interruption à l'exception de quelques
intervalles ménagés à dessein pour donner plus d'efficacité à ses hurlements. Ses mouve-
ments étaient si violents qu'il criait de toute sa force et qu'enfin sa bouche, ses yeux
et tous ses membres se convulsaient d'une manière hideuse. Après avoir passé une heure
à faire toutes les contorsions imaginables, le chaman s'assit par terre et commençant
à prophétiser d'une voix faible et rauque me dit ce qui suit47... A ces mots, il tomba
dans un profond assoupissement 48.
Bien entendu, cette description n'est pas fort différente de celles, nom-
breuses, que nous connaissons, et si je l'ai donnée c'est en raison de sa date 49.
Gmelin a pu discerner quelques-uns des divers modes de divination,
mais sans que nous puissions encore résoudre si tous relevaient du chaman.
Cela ne fait pas de doute chez les Tatars de l'Ob et de l'Iénisséi qui prédisent
l'avenir grâce à leurs tambours 50. De même chez les Bratski où une vieille
femme devenue paralysée ne peut plus « sauter » et par conséquent découvrir
les voleurs 51. Peut-être doit-on mettre en rapport la divination par l'arc
que Gmelin rencontre chez les Yakoutes, sans en donner d'explication, avec
la divination antique par les flèches. A mes yeux, c'est douteux δ2.
La scapulomantie demeure très répandue dans l'Asie centrale à cette
époque. Chez les Kazakh-Kirghiz que Pallas visite en 1769, notre voyageur
43 Ides, p. 63.
44 Ides, p. 72.
45 Voyage de Corneille Le Brun par la Moscovie en Perse et aux Indes orientales.
2 vol. Amsterdam 1718, p. 13.
46 Pour la description de l'habit cf. plus loin.
47 Ici, le chaman prédit la destinée de l'auteur.
48 Voyage et mémoires du comte de Banyowski, pp. 233-234.
49 On ne la trouve d'ailleurs pas dans le « classique » Harva ni, à ma connaissance,
dans les études générales consacrées aux séances chamaniques.
50 Gmelin, I, p. 276.
51 Gmelin, II, p. 137.
52 Gmelin, IV, p.134.
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Le chaman altaïque d'après les voyageurs européens des XVIIe et XVIIIe siècles 447
distingue cinq classes de magiciens, dont la deuxième, qu'il nomme les jaou-
rountschi, est spécialisée dans la lecture de l'avenir sur les omoplates de brebis.
« II est indispensable, dit-il, que cet os ait été dépouillé avec un couteau et
que personne n'y ait porté les dents, sans quoi il n'aurait pas de vertu».
Pallas raconte ensuite diverses anecdotes à ce sujet 53.
Chez les Kalmouks, la prédiction de l'avenir par l'inspection des fissures
produites par le feu sur les omoplates se nomme dallatullik, et ceux qui la
pratiquent sont connus sous le nom de dalladschi. Ce sont des gens qui, sans
exercer la profession de sorcier ni appartenir à la classe du clergé ont acquis,
par une longue pratique, une grande habileté dans cet art. Il existe d'ailleurs
un écrit mongol intitulé Dalla qui enseigne les règles d'après lesquelles il faut
interpréter les différentes fissures qui se produisent sur une omoplate exposée
au feu 54. Il y a là, je crois, la réponse à la question que nous nous sommes
longtemps posée sur les rapports entre le spécialiste de la scapulomantie et
le chaman. Nous avions vu qu'au XIVe siècle, dans l'armée de Tamerlan,
les dallaci étaient « des devins et des magiciens de toute espèce ». Cent ans
plus tôt, Rashid-ed-din nous avait dit qu'ils étaient des chamans. Une
conclusion provisoire pourrait être que, depuis les origines jusqu'à l'époque
mongole, le kam avait comme attribution le déchiffrement des fissures sur les
os calcinés et que, peu à peu, cette technique a été employée par d'autres
personnages.
Il importe encore de remarquer dans le récit de Pallas qu'une distinc-
tion est établie entre le dalladschi, le sorcier et le prêtre. Auquel devrons-nous
donner le nom de chaman ? J'incline à croire que ce serait au second. Pallas
attribue, en effet, nous venons de le voir, la scapulomantie chez les Kazakh-
Kirghiz à la « deuxième classe de magiciens ». Il aurait donc tendance à classer
les actes magiques suivant les personnages spécialisés qui les font et à consi-
dérer à part le spécialiste des questions « spirituelles ». Mais ce n'est là qu'une
hypothèse. On ne peut oublier d'autre part que Bergmann, un peu plus tard
(1802), retrouvera le même usage chez les Kalmouks, mais qu'il l'attribuera
à des médecins, qui s'en servent pour discerner la cause de la maladie 55. Il
y a là deux affirmations quelque peu contradictoires, difficiles à concilier, si
l'on ne veut admettre que Bergmann a visité des tribus plus conservatrices.
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448 Jean-Paul Roux Anthropos 66. i96i
la technique de la pierre à pluie, très ancienne, et qui tient une place consi-
dérable dans les coutumes mongoles retrouvées par Heissig au XVIIe siècle 57.
Pallas la connaît également. Pour lui, la pierre à pluie est un caillou que
Ton trouve parfois à terre et parfois dans l'estomac des animaux (bézoard).
Elle est utilisée par les lamas, mais aussi par les laïcs. Baber, au XVIe, en
faisait usage. Dans un combat entre Euzbegs et KizilBash, il fut convenu
que « quelques-uns parmi les Euzbegs se posteraient à proximité du camp
ennemi et ne permettraient pas aux Kizil Bash de sortir des lignes ; que
lorsque le soleil entrerait dans le signe du scorpion, on donnerait ordre aux
magiciens d'opérer avec une pierre yada ce qui réduirait les KizilBash à
l'impuissance et permettrait leur capture » 58.
Au début du XIXe Timkowski (1820-1821) écrira une intéressante
description du bézoard qu'il nommera correctement yada tash. Quoique ce
texte nous conduise un peu en delà de notre date limite, nous pensons qu'il
est utile de le citer :
Yada tash, ou bézoar est dur comme le sel gemme ; il varie par la grosseur et la
couleur ; il y en a de jaunes, de rouges, de blancs, de verts, de bruns. On le trouve dans
l'estomac des vaches et des chevaux, dans la tête des cochons, le meilleur dans leur
estomac. Quand les Turkestaniens veulent obtenir de la pluie, ils attachent le bézoar
à une perche de saule qu'ils posent dans de l'eau pure, ce qui amène infailliblement ce
qu'ils demandent. Quand ils désirent du vent, ils mettent le bézoar dans un petit sac
qu'ils attachent à la queue d'un cheval ; quand ils veulent un temps frais, ils l'attachent
à leur ceinture. Ils ont pour ces différentes circonstances, des conjurations ou prières
particulières qui, selon leurs opinions superstitieuses, manquent rarement de succès.
57 Heissig, p. 23.
58 Pavet de Courteille, II, p. 361 ; Ilminski, p. 450.
59 G. Timkowski, Voyage à Peking à travers la Mongolie en 1820 et 1821, publié
par M. Klaproth, 2 vol. Paris 1827, I, p. 412-413.
60 Heisssig, trad., p. 522, texte, p. 520.
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Le chaman altaïque d'après les voyageurs européens des XVIIe et XVIIIe siècles 449
La seule mention d'un pouvoir politique encore détenu par les chamans
se trouve dans la chronique éditée et traduite par Heissig et se situe à la
veille de la conversion au bouddhisme 62. Par contre, et c'est cela qui, comme
je l'ai déjà dit, est tout à fait nouveau, nos informateurs donnent de nombreuses
descriptions du chaman, de son habillement, de ses outils, de son destin.
1. Le vêtement
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450 Jean-Paul Roux Anthropos 56. i96i
de longues chevelures ondulées mises par les femmes chamanes sur leur costume
pendent jusqu'à terre et représentent des serpents 69. Gmelin, chez les Bou-
riates dOudinsk70, trouve des robes et des bonnets en pointe couverts de
griffes d'aigles et de hiboux 71. Pour cet auteur, l'habillement chamanique
est « effroyable ». Isbrand analyse, sur la robe couverte de ferrailles, « toutes
sortes de figures d'animaux, d'oiseaux, de corbeaux, de poissons, de hiboux ».
De même sur le bonnet. Il confirme Witsen, en disant très exactement comme
lui que le chaman « a les mains couvertes de deux grandes pattes d'ours faites
defer»72.
Ces morceaux de fer qui s'amassent sur le vêtement chamanique ne
sont pas zoomorphes. Isbrand, après avoir découvert les animaux que nous
avons dit, distingue « des haches, des scies, des sabres, des couteaux » 73.
Corneille le Brun s'effraie du bruit que fait leur cliquetis 74. Chacun est
d'ailleurs d'accord pour souligner le tapage inharmonieux 75. Plusieurs insis-
tent sur le poids très considérable de cet harnachement 76. Georgi a fait la
très intéressante remarque que, le long des manches, les morceaux de fer
prenaient la forme de lamelles allongées 77. Il a été établi depuis que ces lamelles
ressemblaient et voulaient ressembler aux os humains 78.
2. Le tambour
69 Pallas, Reise, III, p. 182. Là encore une comparaison avec les vieilles pierres
des steppes où des personnages cornus sont surmontés d'une longue chevelure ondulée
(cf. H. Appelgren-Kivalo, Alt-altaische Kunstdenkmäler, Helsinski 1931, Abb. 144, 157,
164, etc. ou H. N. Orkun, Eski Turk yazitlari 4. vol. Istanbul 1936-1941, III, pp. 11-13).
70 Gmelin note le nom du chaman bounate : bo.
71 Gmelin, I, pp.397-398.
72 Ides, p. 72.
73 Idem.
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Le chaman altaïque d'après les voyageurs européens des XVIIe et XVIIIe siècles 451
Tordre de s'en servir. Et il ajoute : le diable ne fait cet honneur qu'à ceux
avec lesquels il veut avoir les plus intimes relations 81.
Par contre, quand le tambour est employé, là où il existe encore, il
est très bien décrit. Les voyageurs qui ont compris l'importance rituelle de
cet instrument cherchent à nous en donner une image aussi complète que
possible. La plus longue description, que nous ne citerons pas ici par souci
de brièveté, est celle de Gmelin. Disons seulement que cet auteur a noté
comme significatif la garniture de peau et les pendeloques de fer qui décorent
l'instrument 82. Georgi, de son côté, nous apprend que l'on peint sur le tambour
du chaman toungouse des images de serpents, d'oiseaux et d'autres animaux,
tandis que sur la poignée des images « d'esprit » sont accrochées 83. Je me
propose de faire ultérieurement une étude comparative des dessins des tambours
chamaniques modernes et des gravures rupestres de l'antiquité. Les points
communs ne manquent pas ; on l'a déjà signalé 84. Quant à la baguette, ici,
elle est couverte de peaux de lièvres 85 ; à Kousnetz, de peau de zibelines 8e ;
à Oudinsk, de peaux d'écureuils 87 ; chez les Mongols de l'est, de peaux de
rats 88. Pour l'histoire religieuse, il est particulièrement intéressant de relever
dans Gmelin, qui est décidément une source inépuisable de renseignements,
la valeur sacrée du tambour. Un compagnon de voyage de notre auteur,
Müller, « voulut avoir le tambour magique de ces Tartares... Le Kam sembla
fort affligé de cette proposition... et dit à ses compatriotes que si l'on emportait
son tambour, ils seraient tous perdus » 89. Le tambour est donc une puissance
par lui-même bien qu'il soit étroitement lié au chaman qui le manipule,
puisqu'il est enterré avec lui *°, ainsi d'ailleurs, que tous ses autres instru-
ments 91.
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3. Le mimétisme animal
4. Destin du chaman
Nous avons dit qu'à l'époque dont nous nous occupons ici, le chamanisme
rencontre une puissante hostilité. Gmelin avoue que dans les régions soumises
à l'influence chrétienne, les pratiques chamanistes entrent dans la clandes-
tinité : ainsi chez les Tatars de Krasnoyarsk 9δ. Pourtant le chaman demeure
redoutable et on le craint. La chronique mongole intitulée Onggot qara saki-
gusun teilke sudur biâig orusiba 9e le montre : « parce qu'ils étaient des soldats
et avaient le cœur ferme... ils prirent ces filles chamanes comme épouses » 97.
On sait bien que la manipulation et l'approche du sacré ne vont pas sans
danger. C'est peut-être cette inquiétude qui motive en partie l'ensevelissement
du tambour et des appareils chamaniques dont nous avons parlé plus haut.
C'est peut-être aussi elle qui incite à la destruction des huttes des medecine-
men après leur mort. Gmelin, voulant voir le kam des Tatars de l'Ob, apprend
qu'il est décédé. Il demande à visiter sa hutte. On lui dit qu'on l'a détruite
et on lui en montre les ruines 98. On n'apprend pas, par nos informateurs, ce
que devient l'âme de celui dont on a détruit ainsi l'habitation. Une chronique
bouriate nous apprend cependant qu'elle se transforme en ongon, causant
la maladie et la mort des êtres humains99. Cette chronique confirme donc
Gmelin qui pense que pendant leur vie et après leur mort, 10° les chamans
peuvent faire toutes sortes de maux aux vivants avec le secours de leurs
esprits 101. Ils viennent en particulier visiter les vivants pendant leur sommeil102.
92 Cf. les planches cTAppelgren-Kivalo dans « Alt-altaische Kunstdenkmäler »,
en particulier pl. 66, le grand rocher gravé de Suljek, où un homme couvert d'une peau
de bête tient un bâton, où des individus marchent à quatre pattes, etc.
98 Gmelin, II, p. 493.
9* Gmelin, I, p. 283.
95 Gmelin, I, p. 382.
96 « Livre de l'histoire de l'Onggot, le noir esprit titulaire ».
97 Heissig, p. 497.
98 Gmelin, I, p. 279.
¥" Heissig, p. 509.
100 C'est moi qui souligne.
101 L'explication est vague. S'agit-il de l'esprit du chaman décédé ou des esprits
qui servaient le chaman pendant sa vie ? Gmelin a l'air de penser à la deuxième solution
mais sans doute n'a-t-il pas bien compris.
102 Gmelin, II, p. 184.
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Le chaman altaïque d'après les voyageurs européens des XVIIe et XVIIIe siècles 453
1. Le sacrificateur
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454 Jean-Paul Roux Anthropos se. i96i
113 Pallas, Voyage, IV, p. 83. Assez longue description du sacrifice, pp. 83-84.
En particulier : « les devins ordonnent tout ce qui est nécessaire pour les sacrifices ».
114 La couleur est d'ailleurs rituellement prévue. Pallas nous dit «gris de fer
ou isabelle ». Nous connaissons depuis longtemps « le cheval blanc ». Techniquement,
cela ne veut rien dire puisque les cavaliers se refusent à nommer « blanc » un cheval.
Le nom isik que nous avons ici peut être une erreur. Uiduq, tel que nous le connaissons
bien dès Kashgari (Divanii Lugat-it Turk, Besim Atalay, I, p. 65, Ankara 1939 où le
mot est idhuk), est un animal consacré et, en général, non immolé. On doit pourtant
dire que, dans les « Sammlungen », Pallas revient sur cette question et affirme que
chez les Kalmouks un « bélier blanc à tête jaune nommé tengeri tokho (= bélier divin
ou bélier céleste), devenu vieux, « était immolé et mangé » (Sammlungen, II, pp. 344-
346). W. Radlov (Aus Sibirien, I, p. 378) donnera plus tard une description qui est
presque identique. Il est évident que le sacrifice d'un animal le donne à une divinité
et a ainsi un effet similaire à la consécration de l'animal « mis de côté ». Georgi nous
apprend d'ailleurs que la consécration peut être à termes, pour un ou plusieurs mois,
chez les Toungouses (I, p. 284).
115 Pallas, Voyage, IV, pp. 511-512. Bien entendu, le chaman beltir « bénit »
réellement Vongon. La restriction de Pallas est celle d'un incroyant.
116 Gmelin, I, p. 275.
117 Gmelïn, II, p. 508.
118 Gmelin, II, p. 89. Ce sacrifice, suivi d'un repas communiel et de l'exposition
de la peau sur une perche, a été offert pour la guérison d'un malade.
119 Gmelin, III, p. 23.
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Le chaman altaïque d'après les voyageurs européens des XVIIe et XVIIIe siècles 455
2. Les offrandes
120 C'est peut-être une des raisons pour laquelle le culte de Gengis-Khan s'est
tellement développé chez les Mongols.
"ι Gmelin, II, 358-360.
122 Ecrites au pinceau sur un rodier naturel dans une vallée d'un affluent de
l'Orkhon, en Mongolie septentrionale. D'époque Ouigour. L. Bazin, qui les a étudiées,
les date du milieu du VIIIe s.
i23 Inscription de Hoytu Tamir Vil, cf. H. N. Orkun, Eski Turk yazitlan,
Istanbul 1939, II, p. 112.
i24 Inscription de Hoytu Tamir V, p. III.
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456 Jean-Paul Roux Anthropos δβ. ΐ96ΐ
le chaman en jette un peu en l'air et boit le reste avec les assistants » 125.
Gmelin, à qui Ton doit ce texte, donne ailleurs une description similaire pour
les offrandes au soleil, à la lune, aux quatre points cardinaux et à « tous les
endroits remarquables des environs » (ruisseaux, montagnes) des Tatars de
Krasnoyarsk 12e. Ici, le « sorcier ayant murmuré des paroles mystérieuses jeta
en l'air beaucoup de lait et recommanda expressément et à haute voix aux
démons d'être favorables à son peuple ». Chez les Yakoutes, c'est aussi le
chaman qui opère en « jetant en l'air du lait fermenté » 127. Le Rituel des
Tatars mandchous de son côté affirme que le « chaman a sous lui des ministres
inférieurs qui l'aident dans ses fonctions. Ceux-ci se divisent en deux catégories
principales, les ministres des encensements et ceux des oblations » 128
3. Les consécrations
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Le chaman altaïque d'après les voyageurs européens des XVIIe et XVIIIe siècles 457
4. L'orant
religieuses altaïques », note surtout ce qui n'est pas altaïque, je veux dire ce qui est
manifestement emprunt récent, pense comme moi : « eine solche Auffassung kann nicht
sehr alter Herkunft sein » (Die religiösen Vorstellungen, p. 277).
ia* Georgi, I, p. 284.
ι»« Georgi, I, pp. 278-279. C'est un des passages les plus intéressants de CtEORGI.
Assez long, il décrit les idoles, leur emplacement et signale, entre autres, que les unes
sont nues, tandis que d'autres portent un costume de chaman.
!3β Pallas, Voyages, III, p. 434. Nous sommes ici chez les Tatars de Katschinski
(= Tatars de Krasnoiarsk) .
is? Harlez, p. 64.
is» Harlez, pp. 31-32.
13» Gmelin, I, p. 44.
"° Gmelin, I, p. 275.
i*i Idem.
i« Pallas, Voyage, IV, p. 100.
Anthropoe 56. 1961 3°
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458 Jean-Paul Roux Anthropos 56. ΐ9βι
devons leur donner le sens que nous donnons habituellement à ce terme. Les
déclamations funèbres que nous connaissons dès les inscriptions paléo-turques
de riénisséi, les incantations magiques peuvent-elles être confondues avec
les oraisons ? Les formules pour rappeler l'âme partie peuvent avoir été
comprises à tort comme des prières. Le rituel de la prière dans l'Asie centrale
« chamanique » est mal connu et a toujours semblé inconsistant.
Il reste encore à dire que, selon Müller, quand les Tschuktschis « veulent
s'obliger par serments, ils donnent pour garant le soleil ou leurs prêtres » 143.
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