Vous êtes sur la page 1sur 35

Comptes rendus des séances

de l'Académie des Inscriptions


et Belles-Lettres

Les nomades installés dans la Bactriane (IIe s. av. J.-C.–Ier s.


ap. J.-C.) : nouvelles découvertes
Monsieur Henri-Paul Francfort

Citer ce document / Cite this document :

Francfort Henri-Paul. Les nomades installés dans la Bactriane (IIe s. av. J.-C.–Ier s. ap. J.-C.) : nouvelles découvertes.
In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 157e année, N. 4, 2013. pp. 1543-
1576;

doi : https://doi.org/10.3406/crai.2013.95134

https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_2013_num_157_4_95134

Fichier pdf généré le 02/09/2019


COMMUNICATION

LES NOMADES INSTALLÉS DANS LA BACTRIANE


(IIe S. AV. J.-C.–Ier S. AP. J.-C.) : NOUVELLES DÉCOUVERTES,
PAR M. HENRI-PAUL FRANCFORT,
CORRESPONDANT FRANÇAIS DE L’ACADÉMIE

Les nomades présentés dans cette communication, dont l’initia-


tive est due à M. Paul Bernard, sont ceux qui, venus des steppes et des
montagnes de l’Asie, ont envahi la Bactriane et le Nord-Ouest de l’Inde.
Mettant fin au pouvoir des Gréco-Bactriens puis à celui des Indo-
Grecs dans ces régions, ils y fondèrent des principautés et des royaumes
qui furent ensuite rassemblés au sein de l’empire kouchan (carte).
Les grandes lignes de l’histoire et de la chronologie sont connues :
vers 145, surgit une première vague formée d’un groupe de tribus
que nous appellerons Saka, des Scythes orientaux. Elle fut suivie,
aux alentours de 130, par une seconde vague, celle des Yuezhi,
parfois identifiés à des Tokhariens, qui venaient de très loin au nord-
est, chassés par les Xiongnu, par simplification des Huns1.

1. De très nombreuses études ont été consacrées à ces questions, nous pouvons en mentionner
certaines. Sur les sources historiques, notamment chinoises : E. G. Pulleyblank, « The Wu-sun and
the Sakas and the Yüeh-chih migration », Bulletin!of!the!School!of!Oriental!and!African!Studies!
XXXIII, 1970 ; F. Thierry, « Yuezhi et Kouchans. Pièges et dangers des sources chinoises », dans
Afghanistan,! ancien! carrefour! entre! l’Est! et! l’Ouest, O. Bopearachchi et M.-F. Boussac éd.,
(Indicopleustoi, Archaeologies of the Indian Ocean, vol. 3), Turnhout, Brépols, 2005, p. 421-
539 ; C. G. R. Benjamin, The! Yuezhi, Silk Road Studies, Turnhout, Brepols, 2007 ; J. E. Hill,
Through!the!Jade!Gate!to!Rome  :!A!Study!of!the!Silk!Routes!during!the!Later!Han!Dynasty,!1st!to!
2nd!Centuries!CE, Charleston, South Carolina, BookSurge, 2009. Sur l’archéologie : K. Abdullaev,
« Nomad Migration in Central Asia », dans After!Alexander.!Central!Asia!before!Islam, J. Cribb et
G. Herrmann éd., Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 73-98 ; Id., « Nomadism in Central
Asia. The Archaeological Evidence (2nd-1st Centuries B. C.) », dans In!the!Land!of!the!Gryphons.!
Papers! on! Central! Asian! archaeology! in! antiquity, A. Invernizzi éd., Florence, Casa Editrice Le
Lettere, 1995, p. 151-61 ; P. Bernard, « Les nomades conquérants de l’empire gréco-bactrien.
Réflexions sur leur identité ethnique et culturelle », Comptes!Rendus!des!Séances!de!l’Académie!des!
Inscriptions!et!Belles!Lettres 1987, fascicule IV (novembre-décembre), p. 758-68 ; H.-P. Francfort,
« Tillya Tépa (Afghanistan) la sépulture d’un roi anonyme de la Bactriane du Ier siècle P.C. », Topoi!
17, 1, 2011, p. 277-347 ; F. Grenet, « Nouvelles données sur la localisation des cinq yabghus!
des Yuezhi. L’arrière-plan politique de l’itinéraire des marchands de Maès Titianos », Journal!
Asiatique! 294, 2, 2006, p. 325-41 ; B. Lyonnet, « Les nomades et la chute du royaume gréco-
bactrien : quelques nouveaux indices en provenance de l’Asie centrale orientale. Vers l’identification
des Tokhares-Yueh-Chi ? », dans Histoire!et!cultes!de!l’Asie!centrale!préislamique.!Sources!écrites!
et!documents!archéologiques, P. Bernard et F. Grenet éd., Paris, CNRS, 1991, p. 153-63 ; C. Rapin,
« Nomads and the Shaping of Central Asia : from the Early Iron Age to the Kushan Period », dans
After!Alexander.!Central!Asia!before!Islam, J. Cribb et G. Herrmann éd., Oxford, Oxford University

97867.indb 1543 3/04/15 11:05


1544 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

97867.indb 1544 3/04/15 11:05


LES NOMADES INSTALLÉS DANS LA BACTRIANE 1545

CARTE – D’après P. Bernard, «De l’Euphrate à la Chine avec la caravane de Maès


Titianos (ca 100 ap. J.-C.) », Comptes!Rendus!des!Séances!de!l’Académie!des!
Inscriptions! et! Belles! Lettres 2005, fascicule III (juillet-octobre), p. 929-69.
Carte F. Ory, aimablement transmise par P. Bernard et F. Ory.

97867.indb 1545 3/04/15 11:05


1546 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

Dans la Bactriane conquise, à la différence des régions du sud de


l’Hindou-Kouch, où les noms de rois indo-scythes et indo-parthes se
lisent sur des monnaies et des inscriptions, presque rien ne nous est
connu de ces dynastes jusqu’au début de notre ère environ, parce
qu’ils n’ont principalement frappé que des imitations des monnaies
de souverains gréco-bactriens (comme Euthydème, Eucratide ou
Hélioclès, p. ex.), ou contremarqué des monnaies antérieures2 (fig. 1).

Press, 2007, p. 29-72 ; Cl. Rapin, M. Kh. Isamiddinov, M. Khasanov, « La tombe d’une princesse
nomade à Koktepe près de Samarkand », Comptes!rendus!des!Séances!de!l’Académie!des!Inscriptions!
et!Belles!Lettres, 2001, fascicule I (janvier-mars), p. 35-92. Pour un point de vue plus historique et
anthropologique, avec bibliographie antérieure et sources chinoises : X. Liu, « Migration and
Settlement of the Yuezhi-Kushan : Interaction and Interdependence of Nomadic and Sedentary
Societies », Journal!of!World!History!12, 2, 2001, p. 261-292.
2. Outre les catalogues comme ceux de M. Mitchiner, Indo-Greek!and!Indo-Scythian!Coinage,
9 vol., Londres, Hawkins Publications, 1975-1977, ou de R. C. Senior, Indo-Scythian! Coins! and!
History, Vol. 1-3, Lancaster, Pennsylvanie, USA, Londres, Classical Numismatic Group, 2001, Id.,
Indo-Scythian!Coins!and!History, Vol. 4, Lancaster, Pennsylvanie, USA, Londres, Classical Numis-
matic Group, 2006, on pourra se reporter, par exemple, aux travaux suivants : O. Bopearachchi,
« Graeco-Bactrian Issues of later Indo-Greek Kings », The!Numismatic!Chronicle 1990, p. 79-104 ;
Id., « Monnaies indo-grecques surfrappées », Revue!numismatique!6e série, 31, 1989, p. 49-79 ; Id.,
« Nasten, un prince Iranien inconnu entre Grecs et Kouchans », Comptes!rendus!des!Séances!de!
l’Académie!des!Inscriptions!et!Belles-Lettres, 2001, fascicule II (juillet-octobre), 1993, p. 609-11 ;
Id., « Les premiers souverains kouchans : chronologie et iconographie monétaire », Journal! des!
Savants!janvier-juin 2008, p. 1-55 ; Id., « Some observations on the chronology of the Kushans »,
Res!Orientales!XVII, 2007, p. 41-52 ; Id., « Recent coin hoard evidence on pre-Kushana chrono-
logy », Coins,!Art!and!Chronology,!Essays!on!the!Pre-Islamic!History!of!the!Indo-Iranian!Border-
lands, 1999, p. 99-147 ; Id., « Chronologie et généalogie des premiers rois kouchans : nouvelles
données », Comptes! rendus! des! Séances! de! l’Académie! des! Inscriptions! et! Belles-Lettres, 2006,
fascicule III (juillet-octobre), p. 1433-47 ; Id., « L’apport des surfrappes à la reconstruction de
l’histoire des Indo-Grecs », Revue! Numismatique 2008, p. 245-68 ; P. Callieri, « The Sakas in
Afghanistan : Evidence from the Glyptics », dans Central’naja!Azija.!Istochniki!istorija!kul’tura,
E. V. Antonova et T. K. Mkrtychev éd., Moscou, Vostochnaja Literatura RAN, 2005, p. 359-64 ;
J. Cribb, « Money as Marker of Cultural Continuity and Change in Central Asia », dans After!
Alexander.! Central! Asia! before! Islam, J. Cribb et G. Herrmann éd., Oxford, Oxford University
Press, 2007, p. 333-76 ; A. N. Gorin, « Podrazhanie obolam Evkratida s Gorodishcha Kampyrtepa »,
Rossijskaja! Arkheologija 2, 2013, p. 87-91 ; D. W. Mac Dowall, « Numismatic Evidence for a
Chronological Framework for Pre-Kaniskan Art, from Khalchayan to Gandhāra », dans On! the!
Cusp!of!an!Era.!Art!in!the!Pre-Kusana!World, D. M. Srinivasan éd., Brill’s Inner Asian Library,
Leyde, Boston, Brill, 2007, p. 95-117 ; E. V. Rtveladze, « Coins of the Yuezhi Rulers of Northern
Bactria », Silk!Road!Art!and!Archaeology!3, 1993-94, p. 81-96 ; Id., « Parthia and Bactria », dans
In!the!Land!of!the!Gryphons.!Papers!on!Central!Asian!archaeology!in!antiquity, A. Invernizzi éd.,
Florence, Casa Editrice le Lettere, 1995, p. 181-90 ; Id., « Découvertes en numismatique et épigra-
phie gréco-bactriennes à Kampyr-Tepe (Bactriane du Nord) », Revue! numismatique! 150, 1995,
p. 20-24 ; Id., « Monetary Circulation in Ancient Tokharistan », dans After!Alexander.!Central!Asia!
before! Islam, J. Cribb et G. Herrmann éd., Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 389-98 ;
N. M. Smirnova, « O rannykh podrazhanijakh monetam Evkratida », dans Central’naja! Azija.!
Istochniki!istorija!kul’tura, E. V. Antonova et T. K. Mkrtychev éd., Moscou, Vostochnaja Literatura
RAN, 2005, p. 664-80 ; E. V. Zejmal, « Politicheskaja istorija drevnej Transoksiany po numizma-
ticheskim dannym », dans Kul’tura!Vostoka.!Drevnost’!i!rannee!srednevekov’e, Gosudarstvennyj
ordena Lenina Ermitazh, Otdel Vostoka éd., Léningrad, Aurora, 1978, p. 192-214 ; Id., Drevnie!
monety!Tadzhikistana, Dushanbe, 1983. Un essai de vue générale est donné par B. I. A. Staviskij,
La! Bactriane! sous! les! kushans  :! problèmes! d’histoire! et! de! culture, Librairie d’Amérique et
d’Orient, édition revue et augmentée, Paris, J. Maisonneuve, 1986, p. 129-139 et p. 255-259 ; pour
le S.-E. du Tadjikistan : D. Dovudi, Denezhnoe!obrashchenie!drevnego!i!srednevekogo!Khatlona!

97867.indb 1546 3/04/15 11:05


LES NOMADES INSTALLÉS DANS LA BACTRIANE 1547

FIG. 1. – Monnaie en bronze Saka ou Yuezhi de Bactriane, imitation des frappes


d’Hélioclès. Photographie remise aimablement par O. Bopearachchi.

La Bactriane semblerait être devenue rurale, demeurant dans un état de


quasi-anarchie pendant plus d’un siècle3. En effet, ce n’est guère
qu’avec les belles émissions d’Héraos, dans la première moitié du
Ier siècle, que nous pouvons envisager la progressive mise en place
d’une nouvelle grande dynastie, celle des Kouchans. Héraos se qualifie
déjà de « kouchan » (du nom de sa tribu) et se proclame modestement
« turannos », esquivant ainsi toute titulature proprement royale4. Son
successeur, Kujula Kadphisès (30-80 de n. è.), rassembla les Yuezhi
sous l’égide des Kouchans, étendant son territoire sur la Bactriane et
les deux rives de l’Oxus. Fondateur de l’empire kouchan, il mena des
guerres de conquête dans l’Hindou-Kouch, et plus loin encore dans le

(V!v.! do! n.! e.! -! nach.! XX! v.! n.! e.), Dushambe, Akademija nauk Respubliki Tadzhikistan. Institut
istorii, arkheologii i etnografii im. A. Donisha, 2006, p. 37-67.
V. A. Gaibov, (« Drakhmi Fraata IV s nadchekankoj (opyt’ istoricheskoj interpretacii) »,
Vestnik!Drevnej!Istorii, 2013), place les monnaies de Phraate IV contremarquées (trouvées notam-
ment à Tillya-Tépa et à Takht-i Sangin) entre 26 et 30 ap. J.-C. et les attribue aux nomades sédenta-
risés en Bactriane.
3. La relation de Zhang Qian, envoyé de la cour des Han qui est passé en Bactriane en 130 av.
J.-C. tend à conforter cette impression en parlant de « petits chefs ». Sur ce texte, voir : F. Thierry,
op.!cit.!(n. 1), p. 421-539.
4. E. A. Davidovich, « The first hoard of tetradrachmas of the Kusana “Heraios” », dans From!
Hecataeus!to!Al-Huwarizmi.!Bactrian,!Pahlavi,!Sogdian,!Sanskrit,!Syriac,!Arabic,!Chinese,!Greek!
and!Latin!Sources!for!the!History!of!Pre-Islamic!Central!Asia, J. Harmatta éd., Budapest, Akadémiai
Kiado, 1984, p. 147-77.
M. Weiskopf, « Heraos Holding the Tyranny », Ancient!West!and!East!11, 2012, p. 105-21 ;
F. Widemann, Les!successeurs!d’Alexandre!en!Asie!centrale!et!leur!héritage!culturel.!Essai, Paris,
Riveneuve éditions, 2009 ; E. V. Zejmal, Drevnie!monety!Tadzhikistana, Dushanbe, 1983. La tenta-
tive de J. Cribb pour l’identifier à Kujula Kadphisès n’a pas reçu l’assentiment général.

97867.indb 1547 3/04/15 11:05


1548 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

Gandhāra et la vallée de l’Indus, chez les Indo-Parthes et les Parthes,


et il mourut octogénaire5.
Notre propos est de présenter ici quelques découvertes très
récentes, faites dans le monde des steppes, de productions artistiques
de cette période qui jettent de nouvelles lumières sur les relations de
la Bactriane avec l’univers des nomades, ainsi qu’avec le nord-ouest
de l’Inde, quand commence l’art gréco-bouddhique. En outre, ces
œuvres soulèvent des questions sur les relations de la Bactriane avec
ses voisins occidentaux, les Parthes, et même avec les Romains. La
culture artistique éclectique de ces nomades installés en Bactriane a
fait jadis l’objet d’une pénétrante analyse par D. Schlumberger6, que
nous pouvons compléter aujourd’hui pour y distinguer les compo-
santes suivantes :
– Tout d’abord la persistance de l’urbanisation – de véritables
villes à côté de nécropoles de nomades – montre la coexis-
tence des modes de vie agricole urbain et pastoral mobile, qui
échangent mutuellement des traits culturels et des formes
artistiques ;
– Par conséquent, la tradition survivante des arts de l’ancien
Orient et celle de l’art hellénistique gréco-bactrien, renforcée
par un apport gréco-romain plus ou moins direct, reçoit un
afflux d’art nouveau venu des steppes ;
– L’on reconnaît ainsi aujourd’hui une relation importante et
directe avec le domaine des nomades, jusqu’à la Mongolie des
Xiongnu, que mettent en lumière d’autres trouvailles nouvelles,
surgies des steppes de l’Oural à l’Altaï, mais aussi de la
Bactriane, de Tillya-Tépa (Afghanistan) et de Khalchayan
(Ouzbékistan), ou encore de Shanpula (Xinjiang, RPC) et de
Noin-Ula (Mongolie) ;
– Enfin, une certaine communauté de culture s’affirme avec les
populations installées dans les vallées au sud de l’Hindou-
Kouch, notamment dans le Swāt, des Indo-Grecs, des Indo-
Scythes, des Indo-Parthes, ainsi que dans le Gandhāra.
Si nous portons d’abord notre attention sur la persistance de
l’urbanisation, à côté du nomadisme, nous pouvons esquisser un
tableau qui ne contredit pas celui que brossa en 128-127 av. J.-C.
l’envoyé de l’empereur Han Wudi, Zhang Qian, qui observait des

5. Voir supra, n. 2 et 4, ainsi que le toujours utile J. M. Rosenfield, The! dynastic! art! of! the!
Kushans, Berkeley, Los Angeles, University of California Press, 1967.
6. D. Schlumberger, « Les descendants non-méditerranéens de l’art grec. I », Syria!37, 1, 1960,
p. 131-66 ; Id., II, Syria!37, 3, 1960, p. 253-318.

97867.indb 1548 3/04/15 11:05


LES NOMADES INSTALLÉS DANS LA BACTRIANE 1549

villes fortifiées et des marchés dans une Bactriane très peuplée de


sédentaires7. Sur le terrain, nous pouvons relever un certain nombre
d’établissements pré-kouchans.
La grande cité gréco-bactrienne d’Aï Khanoum fut abandonnée
par les Grecs vers 145 av. J.-C., après la fin du règne d’Eucratide. La
période post-gréco-bactrienne (pré-kouchane ou Saka-Yuezhi) s’y
manifeste par des pillages considérables, certes, mais aussi par la
continuation d’une occupation, au temple principal et ailleurs, ainsi
que par la présence, dans divers monuments, d’installations et de
matériel d’origine « nomade »8. Ainsi, parmi d’autres indices, trois
nouveaux types de vases apparaissent9 ; quelques tombes pour les
nouvelles populations ont été creusées sur les remparts de la cita-
delle10 ; une boucle de ceinture en bronze, à têtes de rapaces affrontés,
trouvée dans la couche d’occupation post-grecque d’une maison du
quartier sud proche de la Kokcha11, est parfaitement identique à celle
d’une tombe de nomade à Ksirov, près de Dangara dans le sud du
Tadjikistan12, et d’autres très proches dans le monde des steppes13.

7. Voir supra, n. 3.
8. Un état de la question vient d’être récemment donné par P. Bernard, H.-P. Francfort,
G. Lécuyot, B. Lyonnet et L. Martinez-Sève dans les chapitres de G. Lécuyot et!alii, Fouilles!d’Aï!
Khanoum!IX.!L’habitat, Mémoires de la DAFA, Paris, De Boccard, 2013.
9. B. Lyonnet, « Les nomades et la chute du royaume gréco-batrien : quelques nouveaux
indices en provenance de l’Asie centrale orientale. Vers l’identification des Tokhares-Yueh-Chi ? »,
dans Histoire! et! cultes! de! l’Asie! centrale! préislamique.! Sources! écrites! et! documents! archéolo-
giques, P. Bernard et F. Grenet éd., Paris, CNRS, 1991, p. 153-63 ; Id., Prospections! archéolo-
giques!en!Bactriane!orientale!(1974-1978).!Volume!2.!Céramique!et!peuplement!du!chalcolithique!
à!la!conquête!arabe, Mémoires de la Mission Archéologique Française en Asie Centrale, Vol. VIII,
Paris, E. R. C., 1997 ; Id., « Les Grecs, les Nomades et l’indépendance de la Sogdiane, d’après
l’occupation comparée d’Aï Khanoum et de Marakanda au cours des derniers siècles avant notre
ère », Bulletin!of!the!Asia!Institute!12, 1998, p. 141-59.
10. P. Leriche, Fouilles!d’Aï!Khanoum!V.!Les!remparts!et!les!monuments!associés, Mémoires
de la Mission Archéologique Française en Asie Centrale, Vol. XXIX, Paris, Diffusion de Boccard,
1986, fig. 150-161 ; un poignard en fer caractéristique des populations de cette époque y a été égale-
ment trouvé.
11. Publié dans O. Guillaume, A. Rougeulle, Fouille!d’Aï!Khanoum!VII.!Les!petits!objets.!Dessins!
de!A.!Rougeulle!et!G.!Samoun, Mém. D.A.F.A., Vol. XXXI, Paris, De Boccard, 1987, pl. 18, 1.
12. Fouille de Ksirov, voir E. P. Denisov, « Issledovanija mogil’nikov na r. Ksirov (Sargazon)
v Dangarinskom raione v 1980 g. », Arkheologicheskie!Raboty!v!Tadzhikistane!XX, 1980, p. 138-47,
fig. 3.2, p. 145 ; à la fin des années 1970 des boucles d’oreille de Ksirov ont pu être rapprochées de
bijoux semblables de même époque trouvés à Asqalan près de Kunduz (Afghanistan) : E. Denisov,
F. Grenet, « Boucles d’oreilles en or à images de coqs découvertes en Bactriane », Studia!Iranica!
10, 2, 1981, p. 307-14 ; une autre tombe du même site a livré une paire d’anneaux en bronze compa-
rables à ceux de Tillya-Tépa. Il est à noter que J.-C. Gardin a supposé l’abandon dans la plaine
d’Askalan de l’agriculture irriguée, qui prospérait depuis l’âge du bronze et à l’époque perse, de
l’arrivée des Yuzhi à nos jours (J.-C. Gardin, Prospections!archéologiques!en!Bactriane!orientale!
(1974-1978).! Volume! 3.! Description! des! sites! et! notes! de! synthèse, Mémoires de la Mission
Archéologique Française en Asie Centrale, Vol. IX, Paris, E. R. C., 1998, p. 84-85). Les recherches
actuelles de G. Lindström à Torbulaq (Ksirov) tendent à montrer aussi un schéma d’abandon du site
à la même époque.
13. En Europe : dans la région de Rostov, V. Schiltz éd., L’or!des!amazones, Paris, Findakly, 2001,
n° 202, p. 183 ; kourgane sarmate n° 19 de Novokuman, K. F. Smirnov, Pamjatniki!skifo-sarmatskoj!

97867.indb 1549 3/04/15 11:05


1550 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

Des niveaux de ces périodes sont bien attestés sur les sites de
Bactres, Dilbardjin-Tépa14, Emchi-Tépa15 en Bactriane afghane et
sur celui de Dal’verzin-Tépa dans la vallée du Surkhan-Darya
(Ouzbékistan)16. À Takht-i Sangin (Tadjikistan), au confluent du
Pandj et du Vaskhsh, le temple de la ville, dédié à la divinité de
l’Oxus, n’a pas été abandonné au départ des Grecs ; on y a par
exemple récemment fouillé des couches des périodes d’Hélioclès et
de ses successeurs Saka-Yuezhi, sans que le culte fût interrompu :
on y fondait même encore des vasques en bronze inscrites en grec17.

kul’tury, M.I.A., Vol. 115, Moscou, Nauka, 1962, fig. 14, 8, p. 241 ; à Semipalatinsk (fragmentaire)
F. Kh. Arslanova, « Sluchajnaja nakhodka bronzovykh veshchej v semipalatinskom Priirtysh’e »,
Kratkie!Soobshchenie!Instituta!Arkheologii 167, 1981, p. 54-58, fig. 3 ; dans l’art des Xiongnu et
dit sino-steppique, des formes proches ont été découvertes à Derestuy et l’une apparaît dans la
collection C. T. Loo. Enfin, une boucle proche par sa forme, mais dont les têtes de rapace sont
remplacées par des protomés de lion cornu a été découverte dans la nécropole de Tulkhar, kourgane
VII, 3, de la même époque : A. M. Mandel’shtam, Kochevniki!na!puti!v!Indiju, Trudy Tadjikskoj
Arkheologicheskoj Ekspedicii Instituta Arkheologii AN SSSR i Instituta Istorii im. A. Donish AN
Tadzhikskoj SSR, Vol. 5, Moscou, Nauka, 1966, pl. XLV, 7, p. 207. Des plaques de ceinture ajou-
rées à motifs animaliers, découvertes dans les tombes de cette époque en Bactriane, ouvrent aussi
sur de vastes horizons du côté des steppes asiatiques, des Xiongnu : U. Brosseder, « Belt Plaques
as an Indicator of East-West Relations in the Eurasian Steppe », dans Xiongnu! Archaeology.!
Multidisciplinary!Perspectives!of!the!First!Steppe!Empire!in!Inner!Asia, U. Brosseder et B. K. Miller
éd., Bonn Contributions to Asian Archaeology, Bonn, Vor- und Frühgeschichtliche Archäologie
Rheinische Friedrich-Wilhelms-Universität Bonn, 2011, p. 349-424.
14. Ce sont les trouvailles monétaires, plus que la stratigraphie et l’architecture, qui attestent
d’une occupation de cette période : B. I. Vajnberg, I. T. Kruglikova, « Monetnye nakhodki iz
raskopok Dil’berdzhina », dans Drevnjaja!Baktrija!1, I. T. Kruglikova éd., Vol. 1, Materialy Sovetsko-
Afganskoj Arkheologicheskoj Ekspedicii, Moscou, Nauka, 1976, p. 172-82 ; Id., « Monetnye
nakhodki iz raskopok Dil’berdzhina », dans Drevnjaja! Baktrija! 3, I. T. Kruglikova éd., Vol. 3,
Materialy Sovetsko-Afganskoj Arkheologicheskoj Ekspedicii, Moscou, Nauka, 1984, p. 125-35.
Cependant, il n’est pas impossible que le temple aux Dioscures de Dilberdjin, attribué par les fouil-
leurs à l’époque gréco-bactrienne, date en fait, pour l’état aux peintures, de l’époque Saka-Yuezhi.
15. Cet intéressant site circulaire, qui se trouve près de Tillya-Tépa, n’a fait l’objet que de
sondages, mais l’époque qui nous intéresse y est incontestablement représentée : I. T. Krouglikova,
Ch. Moustamindy, « Résultats préliminaires des travaux de l’expédition archéologique afghano-
soviétique en 1969 », Afghanistan!XXIII, 1, Spring 1349 (1970), 1970, p. 84-97 ; I. T. Kruglikova,
V. Sarianidi, « La Bactriane ancienne dans l’optique de nouvelles recherches archéologiques »,
Kushan!Culture!and!History, 1971.
16. G. A. Pugachenkova, E. V. Rtveladze, B. A. Turgunov, Dal’verzintepe! kushanskij! gorod!
na!juge!Uzbekistana, Tashkent, FAN, 1978, p. 39-49 et (poterie pré-kouchane), p. 146-150.
17. Une nouvelle tranche de travaux de coopération archéologique franco-tadjike entre l’Institut
d’Histoire, d’Archéologie et d’Ethnologie de l’Académie des Sciences du Tadjikistan et la Mission
Archéologique Française en Asie Centrale (UMR 7041, ArScAn) vient de débuter à l’automne 2014
sur ce site, avec le soutien de la Commission pour les recherches archéologiques à l’étranger du
ministère des Affaires étrangères et du développement international. Pour les trouvailles post-gréco-
bactriennes, qui sont discutées, voir : N. Boroffka, J. Mei, « Technologietransfer in Mittelasien-
chinesische, griechische und skytho-sakische Interaktion in der Gusstechnik », dans Zwischen!Ost!
und! West.! Neue! Forschungen! zum! antiken! Zentralasien.! Wissenschaftliches! Kolloquium! 30.9-
2.10.2009!in!Mannheim, G. Lindström!et!alii éd., Vol. 14, Archäologie in Iran und Turan, Darmstadt,
Verlag Philipp von Zabern, 2013, p. 143-70 ; A. Drujinina, « Gussform mit griechischer Inschrift
aus dem Oxos-Tempel », Archäologische!Mitteilungen!aus!Iran!und!Turan!40, 2008, p. 121-36 ;
Id., « Wohnen im hellenistischen Baktrien – Wohnhäuser in der Stadt Oxeiane (Tacht-i Sangin) »,
dans Alexander! der! Grosse! und! die! Öffnung! der! Welt.! Asiens! Kulturen! im! Wandel, S. Hansen,
A. Wieczorek et M. Tellenbach éd., Regensburg, Verlag Schnell & Steiner GmbH, 2009, p. 177-81 ;

97867.indb 1550 3/04/15 11:05


LES NOMADES INSTALLÉS DANS LA BACTRIANE 1551

Non loin de là, dans la vallée du Surkhan-Darya (Ouzbékistan) à


Khalchayan, un monument dynastique est érigé, dans lequel de
célèbres hauts-reliefs en argile crue commémorent, comme l’a bien
montré P. Bernard, la victoire des archers montés Yuezhi sur la
lourde cavalerie des cataphractaires Saka18. Ce décor, nous y revien-
drons, est aussi en rapport avec ceux des tentures trouvées dans les
fouilles de Shanpula (Xinjiang, Chine) et de Noin-Ula (Mongolie),
qui sont datées du Ier siècle.
Au nord de l’Amou Darya, tant en Ouzbékistan qu’au Tadjikistan,
les nécropoles de nomades sont nombreuses et des tombes y ont été
fouillées par centaines. Elles manifestent une transition culturelle
qui cumule des poteries de formes post-grecques, l’obole à Charon,
des armes et des éléments de parure steppiques (comme la longue
épée et le poignard court en fer, des plaques de ceinture ou des
boucles d’oreille en forme de virgule incrustées, répandues jusqu’au
Kazakhstan), ainsi que des bijoux d’inspiration grecque (comme des
pendentifs d’oreille en forme d’amphore flanquée de dauphins)19.

A. P. Druzhinina, T. U. Khudzhageldiyev, H. Inagaki, « The results of the archaeological excava-


tions at Takht-i Sangin in 2008 », Bulletin!of!the!Miho!Museum!11, 2011, p. 13-30 ; A. Ivantchik,
« Neue griechische Inschriften aus Tacht-i Sangin und das Problem der Entstehung der baktrischen
Schriftlichkeit », dans Zwischen! Ost! und! West.! Neue! Forschungen! zum! antiken! Zentralasien.!
Wissenschaftliches! Kolloquium! 30.9-2.10.2009! in! Mannheim, G. Lindström! et! alii éd., Vol. 14,
Archäologie in Iran und Turan, Darmstadt, Verlag Philipp von Zabern, 2013, p. 125-42 ;
G. Rougemont, Inscriptions!grecques!d’Iran!et!d’Asie!centrale, Corpus Inscriptionum Iranicorum,
N. Sims-Williams, London, School of Oriental and African Studies, 2012.
18. P. Bernard, « Les nomades conquérants de l’empire gréco-bactrien. Réflexions sur leur iden-
tité ethnique et culturelle », Comptes!Rendus!des!Séances!de!l’Académie!des!Inscriptions!et!Belles-
Lettres, 1987, fascicule IV (novembre-décembre), p. 758-68 ; P. Bernard, K. A. Abdullaev, « Nomady
na granice Baktrii (k voprosu etnicheskoj i kul’turnoj identifikacii) », Rossijskaja! Arkheologija! 1,
1997, p. 68-86 ; voir aussi sur ces sculptures : G. A. Pugachenkova, Khalchajan, Tashkent, FAN,
1966 ; Id., Skulptura!Khalchajana, Moscou, Iskusstvo, 1971 ; Id. « Eshche o khalchajanskoj skulp-
ture », dans Central’naja! Azija.! Novye! pamjatniki! pis’mennosti! i! isskustva.! Sbornik! statej,
B. B. Piotrovskij et G. Bongard-Levin éd., Moscou, Nauka. Glavnaja redakcija vostochnoj literatury,
1987, p. 253-67 ; F. Grenet, « The Nomadic Element in the Kushan Empire (1st-3rd Century AD) »,
Journal! of! Central! Eurasian! Studies! 3, 2012, p. 1-22 ; M. Mode, « Die Skulpturenfriese von
Chalchajan. Neue Rekonstruktionsversuche zur Kunst der frühen Kuschan in Baktrien », dans
Zwischen!Ost!und!West.!Neue!Forschungen!zum!antiken!Zentralasien.!Wissenschaftliches!Kolloquium!
30.9-2.10.2009! in! Mannheim, G. Lindström! et! alii éd., Vol. 14, Archäologie in Iran und Turan,
Darmstadt, Verlag Philipp von Zabern, 2013, p. 205-20.
19. Sur ces fouilles voir : A. M. Mandel’shtam, Kochevniki!na!puti!v!Indiju, Trudy Tadjikskoj
Arkheologicheskoj Ekspedicii Instituta Arkheologii AN SSSR i Instituta Istorii im. A. Donish AN
Tadzhikskoj SSR, Vol. 5, Moscou, Nauka, 1966 ainsi que toutes les fouilles de plus de six cents
kourganes effectuées ensuite par E. Denisov, B. Litvinskij, A. Mandel’shtam, I. Medvedskaja,
A. Sedov, T. Zejmal dans les vallée du Kafirnigan, de Bishkent, du Vakhsh et dans la région de
Dangara, et publiées dans les fascicules suivants des Arkheologicheskie!Raboty!v!Tadzhikistane  : VI
(1958), IX (1961), X (1970), XIII (1973), XIV (1974), XV (1975), XVI (1976), XVII (1977), XVIII
(1978), XIX (1979), XX (1980), XXI (1981), XXIV (1984) ; d’autres documents, sur la nécropole
contemporaine de Tup-Khona, dans B. A. Litvinskij, A. V. Sedov, Kul’ty! i! ritualy! kushanskoj!
Baktrii, Moscou, Nauka, 1984 ; un panorama commode est donné par K. Abdullaev, 2007, op.!cit.!
(n. 1), p. 73-98 ; pour la Sogdiane, la tombe nomade de Koktépa et les travaux antérieurs sur notre

97867.indb 1551 3/04/15 11:05


1552 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

En Bactriane afghane, près de la ville de Shibergan, la riche


sépulture de Tillya-Tépa, où ont été inhumés simultanément un
homme et six femmes, témoigne par le matériel découvert de la
continuité de traditions grecques et d’artisanat d’art urbain d’ori-
gine hellénistique. Son occupant principal, probablement l’un des
« petits rois » du Ier siècle (de la dynastie de Pulagès), expose
l’identité culturelle multiple de son groupe, dans un monde où il
voisine avec les puissants Parthes (dont il utilise des monnaies
surfrappées), avec les Indo-parthes (il porte le collier à anneaux de
l’Indo-Parthe Gondopharès), et avec la tribu des Kouchans d’Héraos
(usage de monnaies de ce dernier : une obole) ; il préserve néan-
moins encore la tradition gréco-bactrienne en s’affichant avec un
camée au profil casqué et avec des monnaies reproduisant un ancien
type monétaire d’Eucratide20.
Pourtant, son personnage steppique s’affirme aussi, tout comme
chez les lointains Xiongnu, d’abord dans la configuration générale
de la sépulture, où une tombe centrale principale est entourée de
plusieurs inhumations secondaires, ensuite avec le dépôt d’une tête
et de métapodes de cheval dans la fosse funéraire, et enfin, de
manière allusive, par l’image sur un bijou d’un char à parasol
construit sur le modèle des chars chinois Han (véhicules dont des
restes ont été découverts dans presque toutes les tombes à terrasse
Xiongnu)21. Enfin, à côté de décors complexes de parures vestimen-
taires provenant du monde des steppes, des fourreaux de poignard
quadrilobés et leur ornementation nous ouvrent, comme V. Schiltz
l’a montré, de vastes horizons qui s’étendent de la Syrie à l’Altaï22.

période dans cette région, voir Cl. Rapin, M. Kh. Isamiddinov, M. Khasanov, « La tombe d’une
princesse nomade à Koktepe près de Samarkand », Comptes!rendus!des!Séances!de!l’Académie!des!
Inscriptions!et!Belles-Lettres!2001, fascicule I (janvier-mars), p. 35-92 ; Cl. Rapin, « Nomads and
the Shaping of Central Asia : from the Early Iron Age to the Kushan Period », dans After!Alexander.!
Central!Asia!before!Islam, J. Cribb et G. Herrmann éd., Oxford, Oxford University Press, 2007,
p. 29-72. Les déformations artificielles des crânes de ces populations sont très minoritaires à cette
époque, d’après les études statistiques des anthropologues soviétiques.
20. V. I. Sarianidi, Khram! i! nekropol’! Tilljatepe, Moscou, Nauka, 1989 ; Id., L’or! de! la!
Bactriane.!Fouilles!de!la!nécropole!de!Tillia-tepe!en!Afghanistan!septentrional, Léningrad, Aurora,
1985 ; V. I. Sarianidi, G. A. Koshelenko, « Monety Tilljatepa », dans Drevnjaja! Indija.! Istoriko-
kul’turnye! svjazy, G. M. Bongard-Levin éd., Moscou, 1982, p. 307-18 ; H.-P. Francfort, op.! cit.!
(n. 1), p. 277-347.
21. Une synthèse récente fait le point : U. Brosseder, « Xiongnu terrace tombs and their inter-
pretation as elite burials », dans Current!Archaeological!Research!in!Mongolia.!Papers!from!the!
First!International!Conference!on!«  Archaeological!research!in!Mongolia  »!held!in!Ulaanbaatar,!
August!19th-23rd, 2007, J. Bemmann!et!alii éd., Vol. 4, Bonn Contributions to Asian Archaeology,
Bonn, Vor- und Frühgeschichtliche Archäologie Rheinische Friedrich-Wilhelms-Universität Bonn,
2009, p. 247-80.
22. V. Schiltz, « Les Sarmates entre Rome et la Chine. Nouvelles perspectives », Comptes!
rendus!des!Séances!de!l’Académie!des!Inscriptions!et!Belles-Lettres, 2002, fascicule IV (novembre-
décembre), p. 845-87 ; voir aussi : H.-P. Francfort, op.!cit.!(n. 1), p. 295-296.

97867.indb 1552 3/04/15 11:05


LES NOMADES INSTALLÉS DANS LA BACTRIANE 1553

En somme, l’ébranlement produit par les migrations Saka-Yuezhi


en Bactriane n’a pas ruiné toute la vie sédentaire, agricole et urbaine,
ni le monde des arts, tant mobiliers que monumentaux, même si
beaucoup de choses ont changé et si la région s’est plus que jamais
ouverte aux arts des steppes. Ainsi, pour tenter de mieux comprendre
l’apport nouveau du monde steppique en Bactriane, je m’appuierai
sur l’exemple de l’art équestre, avec des images de la chasse à cheval
et en donnant un aperçu d’une pièce de harnachement nouvelle
à l’époque, la martingale.
La scène de chasse au sanglier d’une belle boucle de ceinture
ajourée en or provenant de Farkhar au Tadjikistan, sur la rive droite
du Pandj en face d’Aï Khanoum23, reste hellénisée par son schéma
de composition et par son style, son cadre orné d’oves, par la manière
de composer la chasse à la lance, bien connue dans l’art grec et déjà
achéménide. Mais le costume du cavalier est steppique, les orne-
ments de sa selle et le protomé de la bête noire, qui était incrusté
dans un beau style d’art animalier, indiquent son milieu culturel qui
est bel et bien Saka-Yuezhi (fig. 2).
Chez ceux-ci, la grande chasse montée des archers nomades, avec
une représentation dynamique du mouvement et une faune réaliste
(léopard, lièvre et mouflon), apparaît en Bactriane à Takht-i Sangin
sur une plaque de ceinture en os, dès le Ier siècle24. Le galop volant,
la pose des archers (la « flèche du Parthe »), leur physionomie, leur
costume, le détail des armes et des ornements du harnachement sont
caractéristiques du monde des steppes (fig. 3). Ils rappellent ceux
d’une autre plaque, découverte à Orlat près de Samarcande, sur
laquelle trois chasseurs forcent et tirent des mouflons et des onagres,
tandis que les pompons qui ornent leurs selles volent au vent de la
course (fig. 4)25.

23. Tout près de Farkhar, les archéologues soviétiques ont fouillé jadis une sorte de villa
gréco-bactrienne et d’époque Saka-Yuezhi, où ont été trouvés des éléments architecturaux hellénis-
tiques ainsi qu’un atelier de production de figurines de terre cuite post-grec : B. A. Litvinskij,
Kh. Ju. Mukhitdinov, « Antichnoe gorodishche Saksanokhur (Juzhnij Tadzhikistan) », Sovetskaja!
Arkheologija 2, 1969, p. 160-177 ; Kh. Ju. Mukhitdinov, « Goncharnij kvartal gorodishcha
Saksonokhur », Izvestija! Akademii! Nauk! Tadzhikskoj! SSR! Serija! Obshchestvennykh! Nauk! 53, 3,
1968, p. 28.
24. B. A. Litvinsky, « The Bactrian Ivory Plate with a Hunting Scene from the Temple of the
Oxus », Silk!Road!Art!and!Archaeology!7, 2001, p. 137-66. B. Litvinskij attribuait cette plaque à
une époque beaucoup plus récente, au IIIe siècle.
25. J. Ilyasov, D. Rusanov, « A Study on the Bone Plates from Orlat », Silk! Road! Art! and!
Archaeology! 5, 1997/98, p. 107-59 ; J. Ilyasov, « Covered tail and “flying” tassels », Iranica!
Antiqua!XXVIII, 2003, p. 259-325. Ces auteurs proposent une date tardive, pourtant le contexte de la
découverte ainsi que les autres trouvailles de la tombe ne laissent guère de doute, il s’agit bien des
environs du Ier siècle ap. J.-C. : G. A. Pugachenkova, Drevnosti!Miankalja.!Iz!rabot!Uzbekistanskoj!
iskusstvovedcheskoj!ekspedicii, Tashkent, Fan, 1989, p. 126-129 (kourgane n°2), p. 148-152, fig. 72 :

97867.indb 1553 3/04/15 11:05


1554 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

FIG. 2. – Plaque de ceinture en or, cavalier chassant le sanglier. Musée archéolo-


gique de Douchambé ; provenant de Saksanokhur, Tadjikistan. D’après Kunst!
Mittelasiens!in!der!Zeit!von!Alexander!dem!Grossen!bis!zum!Islam, catalogue de
l’exposition Oxus, 2000 Jahre Kunst am Oxus-Fluss in Mittelasien, neue Funde
aus der Sowjetrepublik Tadshikistan, Zurich, Museum Rietberg, 1989, n° 25
©DR.

FIG. 3. – Plaque de ceinture en ivoire gravée d’une scène de chasse. Musée archéo-
logique de Douchambé ; provenant de Takht-i Sangin, Tadjikistan. D’après
B. A. Litvinsky, « The Bactrian Ivory Plate with a Hunting Scene from the
Temple of the Oxus », Silk!Road!Art!and!Archaeology!VII, 2001, p. 137-66.

97867.indb 1554 3/04/15 11:05


LES NOMADES INSTALLÉS DANS LA BACTRIANE 1555

FIG. 4. – Plaque de ceinture en os gravée d’une scène de chasse. Orlat, Ouzbékistan.


D’après J. Ilyasov, D. Rusanov, « A Study on the Bone Plates from Orlat »,
Silk!Road!Art!and!Archaeology!5, 1997/98, p. 107-59.

L’art équestre de cette époque ne se limite cependant pas à la


prépondérance des cavaliers et à leur image en style steppique. Les
Saka et les Yuezhi ont, semble-t-il, inventé une courroie de harna-
chement originale, la martingale, qui empêche le cheval d’encenser
ou de porter au vent en attachant la muserolle à la sangle (martin-
gale!fixe)26. La limitation ainsi obtenue des mouvements de la tête
poterie caractéristique, longue épée en fer, chiens enterrés à l’entrée de la tombe, etc. M. Carter,
(« Indo-Scythian Regalia : the Numismatic Evidence », dans South! Asian! Archaeology! 2001.!
Volume!II.! Historical! Archaeology! and! Art! History, C. Jarrige et V. Lefèvre éd., Paris, Éditions
Recherche sur les Civilisations, 2005, p. 427-35) a bien vu que l’étendard des cavaliers de la plaque
à la bataille d’Orlat est analogue à ceux des rois des monnaies indo-scythes, mais aussi qu’il est
semblable à ceux découverts jadis dans les fouilles de Noin-Ula. La relation steppique des plaques
de chasse de Takht-i Sangin et d’Orlat est encore accentuée par l’analyse d’une gravure sur os
d’époque proche trouvée à Kalaly-Gyr-2 en Chorasmie : Dzh. Il’jasov, « Ob izobrazhenii na
rogovom predmete s gorodishcha Kalaly-Gyr 2 », Rossijskaja!Arkheologija 2, 2013, p. 96-104.
26. Le Trésor!de!la!Langue!Française signale la première apparition du terme dans notre langue
en 1611. À ne pas confondre avec les doubles rênes ni avec les pesants pompons connus depuis les
Assyriens, et plus tard, mais qui ne sont pas des martingales ; Littré indique : « … courroie simple
ou bifurquée, qui, attachée par un bout aux sangles et par l’autre au-dessous de la muserole, empêche
un cheval qui porte au vent de battre à la main. Fausse martingale, courroie qu’on attache au milieu
du poitrail. » Ici, nous dénommerons « fausse martingale » le passage des rênes sous le poitrail,

97867.indb 1555 3/04/15 11:05


1556 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

d’une monture était fort utile pour faciliter les gestes de lanciers ou
d’archers lancés au galop, à la guerre ou à la chasse27. La martingale
a été ainsi signalée par O. Bopearachchi sur les monnaies indo-
scythes d’Azès II (25-10 av. J.-C.), cuirassé, équipé de son étui à arc
et de son étendard28 (fig. 5). Mais l’on trouve aussi, sur les tétra-
drachmes d’Héraos, de très beaux exemples d’une martingale! à!
anneaux, qui relie la sangle aux rênes, par un système de passe-
brides original et très élaboré que l’image montre nettement (fig. 6)29.
Au Gandhāra, d’authentiques martingales sont sculptées sur les
harnachements de chevaux de reliefs bouddhiques indo-scythes de
Saidu-Sharif-I et de Panr-I dans le Swāt datés du Ier siècle (fig. 7)30.
Un tour d’horizon rapide montre que l’usage de la martingale s’est
répandu jusqu’à Palmyre, sous l’influence des peuples cavaliers
iranophones, comme H. Seyrig l’avait bien vu sur la stèle de l’archer
Taimarsô31, ainsi qu’à Doura où elle est tracée sur des graffiti32.
Mieux encore, attestant l’origine steppique de l’accessoire, une
martingale est discrètement mais nettement figurée sur les magni-
fiques plaques en or ajourées et incrustées de chasse au sanglier de
la collection sibérienne de l’Ermitage33, dont le mouvement est tout
aussi dynamique que ceux de Takht-i Sangin et d’Orlat. La martin-
gale ne peut pas être confondue avec les rênes, parfaitement visibles

courroie du harnachement dont la position permet de freiner ou même de bloquer les rênes qui
seraient autrement entraînées par tout mouvement vers le haut de la tête du cheval : voir
H.-P. Francfort, op.!cit.! (n. 1), p. 310-316, fig. 29, 30 (monnaies indo-scythes), 31 (monnaie
d’Héraos) ; 36, 38 (à Palmyre), 39 (dans le Gandhāra).
27. Approche de l’histoire de la martingale en Asie centrale esquissée dans H.-P. Francfort,
op.!cit.!(n. 1), p. 309-316.
28. O. Bopearachchi, C. Sachs, « Armures et armes des Indo-Scythes d’après leurs émissions
monétaires et les données archéologiques », Topoi!11, 1, 2001, p. 321-55. Voir cet enrênement sur
une monnaie d’Azès II (ca. 30 av. J.-C. – 20 ap. J.-C.) : O. Bopearachchi, C. Landes et C. Sachs éd.,
De!l’Indus!à!l’Oxus.!Archéologie!de!l’Asie!Centrale.!Catalogue!de!l’exposition, Lattes, Association
IMAGO-musée de Lattes, 2003, n° 223.
29. Ibid., n°168, p. 173 ; E. A. Davidovich, op.!cit.!(n. 4), fig. 1.
30. D. Faccenna, Il!fregio!figurato!dello!stupa!principale!nell’area!sacra!buddhista!di!Saidu!
Sharif! 1! (Swāt,! Pakistan), IsMEO Reports and memoirs, Rome, 2001, pl. 37 et à Panr-I, ibid.,
pl. 129.
31. H. Seyrig, « Sur quelques sculptures palmyréniennes (Antiquités syriennes, 26) », Syria!18,
1937, p. 52-53, pl. III, 4 : cavaliers palmyréniens, archer galopant, « le harnachement est augmenté
d’une pièce qui descend obliquement de la phalère attachée au poitrail et que l’on distingue mieux
sur le relief suivant » ; goryte à droite en arrière de la selle, pl. III, 3 : « Taimarsô fils de Zabdibôl,
archer », stèle funéraire, goryte : « de la phalère du poitrail partent deux pièces : l’une semble
rejoindre la sangle, l’autre le mors » : il s’agit d’une martingale.
32. B. Goldman, « Pictorial Graffiti of Dura-Europos », Parthica.! Incontri! di! Culture! nel!
Mondo!Antico!1, 1999, p. 19-105, B. 1b ; F.2. D’autres paraissent plus difficilement reconnaissables
à Hatra ou sur un relief parthe de Tang-i Sarvak.
33. V. Schiltz, Les!Scythes!et!les!nomades!des!steppes.!8e!siècle!avant!J.-C.!-!1er!siècle!après!J.-C.,
L’univers des formes, Paris, Gallimard, 1994, fig. 78, p. 242-243.

97867.indb 1556 3/04/15 11:05


LES NOMADES INSTALLÉS DANS LA BACTRIANE 1557

FIG. 5. – Monnaie d’Azès II (quart de statère en or) monté sur un cheval portant
une martingale. D’après O. Bopearachchi, « Indo-Grecs, Indo-Scythes, Indo-
Parthes », dans O. Bopearachchi, C. Landes et C. Sachs éd., De!l’Indus!à!l’Oxus.!
Archéologie! de! l’Asie! Centrale.! Catalogue! de! l’exposition, Lattes, Association
IMAGO - musée de Lattes, 2003, fig. 125a, p. 162.

FIG. 6. – Monnaie d’Héraos (tétradrachme en argent) monté sur un cheval portant


une martingale. Musée archéologique de Douchambé ; provenant de la vallée du
Vakhsh. D’après E. A. Davidovich, « The first hoard of tetradrachmas of the
Kusana “Heraios” », dans From!Hecataeus!to!Al-Huwarizmi.!Bactrian,!Pahlavi,!
Sogdian,! Sanskrit,! Syriac,! Arabic,! Chinese,! Greek! and! Latin! Sources! for! the!
History! of! Pre-Islamic! Central! Asia, J. Harmatta éd., Budapest, Akadémiai
Kiado, 1984, p. 147-77, fig. 1 ©DR.

97867.indb 1557 3/04/15 11:05


1558 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

a b
FIG. 7 a. – Relief gandharien de Saidu Sharif I (Swat). Cavaliers montés sur des
chevaux portant la martingale. D’après D. Faccenna, « The Artistic Center of
Butkara I and Saidu Sharif in the Pre-Kusana Period », dans On!the!Cusp!of!an!
Era.! Art! in! the! Pre-Kusana! World, D. M. Srinivasan éd., Brill’s Inner Asian
Library, Leyde, Boston, Brill, 2007, p. 165-99, fig. 7.27 ©DR.
FIG. 7 b. – Relief gandharien de Panr I (Swat). Cavaliers montés sur des chevaux
portant la martingale. D’après D. Faccenna, Il!fregio!figurato!dello!stupa!princi-
pale!nell’area!sacra!buddhista!di!Saidu!Sharif!1!(Swat,!Pakistan), Reports and
memoirs, Rome, IsMEO, 2001, pl. 129 ©DR.

FIG. 8. – Plaque en or ajouré de la collection sibérienne de Pierre Ier, Musée de


l’Ermitage, Saint-Pétersbourg. Chasse au sanglier, le cheval porte une martin-
gale. Photographie Vl. Térébénine, cliché remis aimablement par Mme V. Schiltz
membre de l’Académie ©DR.

97867.indb 1558 3/04/15 11:05


LES NOMADES INSTALLÉS DANS LA BACTRIANE 1559

sur l’encolure de la monture qui est harnachée et parée à la manière


Xiongnu (fig. 8)34. Ces plaques sont généralement datées du IVe siècle
av. J.-C., mais la ressemblance avec la Bactriane du Ier siècle est
frappante, tant dans le schéma général cavalier/animal, que dans le
détail des formes et des realia, si bien que l’on peut légitimement
s’interroger sur leur ancienneté.
La martingale, vraie comme fausse, s’observe fréquemment par
la suite en Asie, sur des représentations de cavaliers Tang35, Mongols
ou Moghols, mais apparemment jamais en Europe avant le XVIIe siècle,
quand par exemple Rembrandt copie une miniature moghole repré-
sentant Shâh Jâhan (1592-1666) à cheval, un faucon sur le poing
gauche, sans omettre de dessiner la martingale36. Au XIXe siècle, elle
se répand en Europe et, pour n’en mentionner que deux, la monture
de Napoléon à la bataille d’Austerlitz en est munie sur le tableau du
baron Gérard conservé au château de Versailles, tout comme celle
de Louis-Philippe représenté avec ses fils à la grille de Versailles,
sur le tableau de Vernet du musée Condé de Chantilly. Quelle meil-
leure reconnaissance de la suprématie de l’art équestre d’origine
steppique et quels étranges échos entre des images de monarques en
représentation ? La martingale, d’Héraos à Louis-Philippe, semble
bien attachée à une affirmation ostentatoire de la souveraineté et du
pouvoir37.
Mais les steppes nous ont réservé d’autres belles surprises sur l’art
bactrien de l’époque Saka-Yuezhi. Ainsi, dans le cadre d’une Mission
Archéologique Mongolo-Russe, Madame Natalia Polos’mak, de
l’Institut d’Archéologie et d’Ethnologie de l’Académie des Sciences
de Russie de Novosibirsk, a fouillé dans les années 2006-2009 deux
grands kourganes en Mongolie, sur le site de Noin-Ula qui avait déjà

34. Les ornements Xiongnu de la têtière, de la selle, de l’encolure et de la croupe sont bien
connus par de nombreuses plaques ornées en bronze. Voir par exemple J. F. So, E. C. Bunker,
Traders!and!Raiders!on!China’s!Northern!Frontier, Seattle and Londres, Arthur M. Sackler Gallery,
Smithsonian Institution in association with the University of Washington Press, 1995, pl. I, 1.
35. S. Whitfield éd., La! route! de! la! soie.! Un! voyage! à! travers! la! vie! et! la! mort, Bruxelles,
Europalia-China, 2009 : p. 69, n° 37 (VIIIe siècle), sur un miroir à scène de chasse à cheval du musée
Guimet.
36. Collection du Musée du Louvre, plume et encre brune (21,9 × 19,2 cm), visible par exemple
sur : <http://www.latribunedelart.com/spip.php?page=docbig&id_document=2170>, cliché ©RMN/
Franck Raux ; Gustave Moreau lui aussi copia une miniature moghole, du XVIIIe siècle, et il repro-
duisit la martingale.
37. On pourrait imaginer que la conquête de l’Inde moghole par les Européens aurait permis de
découvrir cet accessoire, que l’Europe de l’Antiquité, du Moyen-Âge et de l’époque moderne n’a
pas connu, autant que l’on puisse en juger.

97867.indb 1559 3/04/15 11:05


1560 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

livré jadis tant de pièces exceptionnelles38. Ces nouveaux kourganes


(n° 20 et n° 31) sont des sépultures princières, de forme classique
pour ce genre de tombe inspirée par l’architecture funéraire chinoise,
dans lesquelles avaient été déposés notamment un char, des pièces de
harnachement, des soies brodées représentant des héros ainsi que des
laques chinois Han. Ils sont tout deux datés du Ier siècle. Des textiles
brodés y ont été découverts roulés dans les chambres funéraires,
partiellement conservés par l’humidité du sol, puis soigneusement
restaurés39.
Représentant des personnages reconnaissables comme des
Saka-Yuezhi, ils paraissent avoir été manufacturés en Bactriane au
Ier siècle40. Nous présentons ici certains de ces tissus, de façon très
sommaire car leur étude est toujours en cours, à Novosibirsk et à
Ulanbaatar, et l’on ne dispose que des photographies de publications
préliminaires et de certains clichés aimablement communiqués par
les fouilleurs ou par des collègues de Mongolie, que je remercie ici
vivement.
Sur la première tenture (kourgane n° 20 : 270 × 153 cm) dont le
fond est rouge uni et la bordure compte trois registres séparés par
des bandeaux, figure une scène dans laquelle un homme assis boit
face à au moins quatre protagonistes, tous debout (fig. 9). Il est vêtu

38. Travaux de Kozlov et publications de Trever et de Rudenko : P. Yetts, « Discoveries


of the Kozlóv Expedition », The! Burlington! Magazine! for! Connoisseurs! 48, 277 (Apr. 1926),
1926, p. 168-69 ; C. Trever, Excavations! in! Northern! Mongolia! (1924-1925), Léningrad, 1932 ;
S. I. Rudenko, Die!Kultur!der!Hsiung-Nu!und!die!Hügelgräber!von!Noin-Ula, Bonn, Rudolf Habelt
Verlag, 1969.
39. Mme Polos’mak publiera prochainement deux importants articles sur ces exceptionnelles
trouvailles, écrits et traduits spécialement en français pour la revue Arts!Asiatiques. Voir, en atten-
dant : N. V. Polos’mak, « Istorija, vyshitaja sherst’ju », Nauka!iz!pervykh!ruk!38, 2, 2011, p. 112-33
(kourgane n°20) ; Ead., « “My vypili Somu, my stali bessmertnymi…” », Nauka!iz!pervykh!ruk!33,
3, 2010, p. 50-59 (kourgane n°31) ; N. V. Polos’mak, E. S. Bogdanov, D. Ceveendorzh, Dvadcatij!
noin-ulinskij! kurgan, Novosibirsk, Infolio éditions, 2011 ; N. V. Polosmak! et! alii, « The Burial
Construction of Noin Ula Mound 20, Mongolia », Archaeology,! Ethnology! &! Anthropology! of!
Eurasia!34, 2, 2008, p. 77-87 ; N. V. Polos’mak!et!alii, « The Han Chariot from Noin Ula Mound
20 (Mongolia) », Archaeology! Ethnology! &! Anthropology! of! Eurasia! 36, 4, 2008, p. 63-69 ;
A. N. Chistyakova, « Lacquer cups of the Western Han Dynasty (Noin Ula, Mong olia) : an analysis
of inscriptions », Archaeology,! Ethnology! and! Anthropology! of! Eurasia! 39, 4, 2011, p. 83-89 ;
S. Miniaev, J. Elikhina, « On the Chronology of the Noyon uul Barrows », The!Silk!Road 7, 2009,
p. 9-30 ; M. Pirazzoli-t’Serstevens, « Chinese Lacquerware from Noyon uul : Some Problems
of Manufacturing and Distribution », The!Silk!Road!7, 2009, p. 31-41 ; S. A. Yatsenko, « Yuezhi
on Bactrian Embroidery from Textiles Found at Noyon uul, Mongolia », The! Silk! Road! 10,
2012, p. 39-48 ; N. V. Polos’mak, « Embroideries on Garments from Kurgan 20 of the Noin-Ula
Burial Ground », Anabasis.! Studia! Classica! et! Orientalia! 3, 2012, p. 267-88 ; N. V. Polos’mak,
E. S. Bogdanov, D. Tseveendorj, « The Suzukteh Mound 22, Mongolia : The Burial Rite »,
Archaeology,!Ethnology!and!Anthropology!of!Eurasia!41, 4, 2013, p. 102-18.
40. Il n’est pas absolument exclu que ces broderies puissent provenir de la région gandhārienne,
mais cela semble moins probable qu’une origine bactrienne qu’indiquent bien des détails ainsi que
les costumes Yuezhi des protagonistes : S. A. Yatsenko, op.!cit.!(n. 39).

97867.indb 1560 3/04/15 11:05


LES NOMADES INSTALLÉS DANS LA BACTRIANE 1561

FIG. 9. – Tapisserie bactrienne trouvée à Noin-Ula (Mongolie). Scène de filtrage du


vin et personnage assis buvant. Musée d’Ulanbaatar. D’après N.-O. Erdene-
Ochir, « Khunnugiin shirdeg, torgo, nekhmel edlel / Felt rugs, silks and embroi-
deries of the Xiongnu », dans Khunnugiin!öv:!Nuugdelchdiin!ankhny!tör!–!Khunnu!
gurnii!soël!/!Treasures!of!the!Xiongnu.!Culture!of!Xiongnu,!the!first!Nomadic!
Empire!in!Mongolia, National Museum of Mongolia, Institute of Archaeology,
Mongolian Academy of Sciences, Eregzen, Ulanbaatar, 2011, p. 252–253 ; voir
aussi : S. A. Yatsenko, « Yuezhi on Bactrian Embroidery from Textiles Found
at Noyon uul, Mongolia », The!Silk!Road!10, 2012, fig. 5, p. 44 ; <www.silkroad-
foundation.org/newsletter/vol10/> ; <http://kolizej.at.ua/forum/26-327-1> ©DR.

d’un pantalon serré par des jarretières au-dessus du genou et glissé


dans des bottines, et d’une veste à galon orné, ceinturée et croisée
sur sa poitrine. Il porte à gauche sa longue épée attachée à un
baudrier, un poignard est passé sous sa veste. Il élève de ses mains
vers sa bouche une coupe hémisphérique. Un plissé de vêtement ou
de serviette oblique apparaît devant lui, mais le haut de sa tête a
malheureusement disparu et quelques incohérences apparaissent
dans le remontage. Face à lui, un personnage fort endommagé (seuls
les pieds et une main subsistent) verse un liquide rouge dans un filtre
en vannerie suspendu à un trépied ; ce liquide, du vin assurément,
s’écoule dans un cratère posé au sol. Deux autres objets sont asso-
ciés au trépied, une couronne apparemment végétale et une hampe
surmontée d’un félin assis sur un support mouluré, probablement le
lion d’une enseigne. Il s’agit d’une scène de filtrage du vin par un

97867.indb 1561 3/04/15 11:05


1562 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

saccos (σάκκος) et de boisson à la mode gréco-romaine41. Il est


possible que, sur cette broderie, le signum (σημεῖον) à la panthère
ou au lion auquel est suspendue la couronne symbolise Dionysos ou
un équivalent centrasiatique, ou même encore évoque le Bouddha42.
La coupe comme le cratère sont de formes bien attestées dans
le monde gréco-bactrien et hellénistique récent43. Le personnage
qui lève la coupe est princier, comme l’indiquent sa position assise
dominante, associée à la couronne du banqueteur et à l’enseigne,

41. Le processus de fabrication du vin est bien connu dans le monde gréco-romain et dans
l’Orient hellénisé. Les grappes cueillies sont pressées dans une cuve, comme le montrent des reliefs
gandhāriens (voir infra). La fermentation n’est pas montrée dans l’art, naturellement, mais l’étape
suivante, le filtrage apparaît sur les reliefs gandhāriens et à Noin-Ula sur notre tenture. Le vin est
passé dans le colum ou σάκκος (ou ὑλιστήρ), un filtre conique ou ovoïde en textile ou en vannerie,
comme sur les monuments qui nous concernent, suspendu à un trépied (mais le colum peut désigner
aussi une passoire en bronze ou en argent à poignée horizontale, fréquent en archéologie à cette
époque dans notre domaine). Puis le vin filtré est mêlé à de l’eau dans un cratère. Ensuite, à l’aide
d’un cyathus (κύαθος), une louche, le vin coupé d’eau est versé par un échanson dans un gobelet ou
une coupe pour un buveur ou pour une libation. Le cyathus de bronze est aussi un objet fréquent dans
les fouilles et il est représenté sur des palettes du Gandhāra (voir infra). Les Grecs buvaient en
général du vin mêlé d’eau et ils considéraient que boire le vin pur était une coutume barbare,
répandue chez les Scythes (Hdt. VI, 80 par exemple). Par conséquent, nos rois indo-scythes des
palettes du Gandhāra et le souverain Yuezhi de la broderie de Noin-Ula observent vraiment la
pratique grecque de préparation et de consommation du vin.
Dans le monde gréco-romain, les couronnes étaient de simples accessoires des banquets, comme
on le voit sur d’autres palettes. Mais des couronnes composées de fleurs naturelles et de végétaux
par exemple pouvaient être consacrées à une divinité (pour Dionysos : vigne, pampres, raisin) et
dans ce but accrochées à la statue ou au symbole du dieu durant les cérémonies du culte, ou comme
signe de victoire en remerciement au dieu.
42. Je ne connais pas de parallèle pour une enseigne de cette sorte ; un rapprochement pertinent
peut être fait avec les colonnes surmontées d’une statue de lion érigées par Asoka en Inde et par les
colonnes analogues qui encadrent, par quatre, des stupas, réels (comme à Saidu Sharif I dans le
Swāt) ou votifs : D. Faccenna, « Lo stupa a colonne dell’area sacra buddhistica di Saidu Sharif I
(Swāt, Pakistan) » dans Orient!und!Okzident!im!Spiegel!der!Kunst.!Festschrift!Heinrich!Gerhard!
Franz!zum!70.!Geburtstag, G. Brucher, W. T. Müller, H. Schweigert et B. Wagner éd., Graz-Austria,
Akademische Druck- u. Verlagsanstalt, 1986, p. 55-80 ; D. Faccenna, P. Callieri, A. Filigenzi, « At
the Origin of Gandhara Art. The Contribution of the IsIAO Italian Archaeological Mission in the
Swāt Valley Pakistan », Ancient!Civilizations!9, 3-4, 2003, fig. 21, p. 311 ; F. Tissot, Gandhāra,
Paris, Libr. d’Amérique et d’Orient, 1985, fig. 46, 47. L’on peut reconnaître un lion dans ce félin
(voir les lions très minces et comme sans crinière de Mathura et en général les images et statues de
lion kouchan) et par conséquent établir un lien avec le bouddhisme : colonnes asokéennes et posté-
rieures, mais aussi le lion sur un médaillon en or de Tillya-Tépa (V. I. Sarianidi, op.!cit. [n. 20, 1985],
n°25, p. 250 ; ill. 131, p. 188-189). Finalement nous pouvons supposer simplement que ce σημεῖον
symbolise le roi lui-même, mais si nous regardons l’iconographie monétaire de cette époque, nous
constatons qu’il n’y a pas de possibilité de nous référer à un roi défini. Dans tous les cas il n’est pas
possible de reconnaître dans le félin de ce signum le dragon des enseignes plus tardives des Parthes
de l’Asie centrale ou des Romains.
43. J.-C. Gardin, « Les céramiques », dans Fouilles!d’Aï!Khanoum!I!(Campagnes!1965,!1966,!
1967,! 1968), P. Bernard éd., Vol. XXI, Mém. D.A.F.A., Paris, Klincksieck, 1973, p. 121-198,
p. 145-146, fig. 19-20, p. 146 ; et n. 83 : Samarie, Sultantepe, Doura-Europos ; p. 147, n. 85 à
Bégram et à Taxila plus tard ; à Takht-i Sangin : A. Drujinina! et! alii, « Excavations of Takht-i
Sangin City, Territory of Oxus Temple, in 2006 », Bulletin!of!the!Miho!Museum!9, 2009, p. 56-84,
fig. 24, 7 ; voir aussi B. Lyonnet, « Questions on the Date of the Hellenistic Pottery from Central
Asia (Aï Khanoum, Marakanda and Koktepe) », Ancient!Civilizations!from!Scythia!to!Siberia!18,
2012, p. 143-79, fig. 6, n° 8 et 9.

97867.indb 1562 3/04/15 11:05


LES NOMADES INSTALLÉS DANS LA BACTRIANE 1563

FIG. 10. – Palette du Gandhara (Swat). Scène de filtrage du vin et de boisson. Coll.
partic. Avec l’aimable autorisation de M. et Mme Hirose. Photographie remise
aimablement par J. Pons, I. Kurita.

ainsi que son siège lui-même, sur lequel nous allons revenir.
Curieusement, une palette du Gandhāra en schiste vert censée
provenir du Swāt représente la même scène, mais cette fois dans
un style indo-scythe et en pleine frontalité (fig. 10)44. Le filtrage y
est bien reconnaissable à gauche, un échanson tient un kyathos, un
assistant présente la coupe au souverain debout ; à la droite du
spectateur, sous un porte-éventail, un officier assis en tailleur garde
son épée45. Les détails des galons perlés du costume et les jarre-
tières serrées au-dessus du genou accentuent encore la parenté avec

44. J’exprime mes remerciements à J. Pons et I. Kurita pour avoir attiré mon attention sur cet
objet, ainsi qu’à M. et Mme Hirose pour m’autoriser à en publier une photographie.
45. Une palette proche par son thème et même son style, conservée au Naprstek Museum de
Prague, représente un prince indo-scythe assis sur un coussin et buvant tandis qu’un échanson muni
d’un kyathos lui tend une coupe ; à sa gauche, un personnage debout tient un long objet pointu que
je n’avais pas su identifier à l’époque (« un bâton ou un sceptre »), mais qui pourrait parfaitement
être la longue épée du prince, car on pourrait reconnaître un pommeau à son extrémité supérieure :
H.-P. Francfort, Les!palettes!du!Gandhāra, Mém. D.A.F.A., Vol. XXIII, Paris, diffusion de Boccard,
1979, n° 46-47, p. 43-44, pl. XXIII bas.

97867.indb 1563 3/04/15 11:05


1564 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

la tenture de Noin-Ula46. Ces compositions de filtrage et de boisson


se retrouvent plus tard sur des reliefs gréco-bouddhiques du
Gandhāra47 et même sur des pièces d’argenterie sassanides d’Iran48.
Le siège pliant du prince Yuezhi de notre tenture est identique à
celui, en fer, trouvé par Sir J. Marshall à Taxila (à Sirkap la ville
indo-scythe et indo-parthe) dans une pièce proche du bâtiment
appelé « palais »49 ; un autre, toujours en fer, a été découvert dans
la fosse funéraire de la tombe du roi de Tillya-Tépa50. Enfin, un
siège semblable est représenté au revers de monnaies de Kujula
Kadphisès où ce monarque trône, coiffé d’un haut bonnet et armé
de son épée51 (fig. 11). Au droit de ces monnaies, le buste repré-
senté de profil confirme, comme tous les commentateurs l’ont vu,
que ces émissions sont des imitations inspirées par le monnayage
d’Auguste au premier empereur kouchan. À Noin-Ula, ce siège est
recouvert d’un coussin décoré de losanges et à pompons aux angles,
analogue en tout point aux tapis de selle sanglés sur le dos du lion
des plaques de Dionysos et Ariane en or incrusté de Tillya Tépa
(tombe n° 6) et sur l’échine du fauve qui sert de monture à l’Artémis
des médaillons de la ceinture de la tombe n°452 ; on retrouve une
telle forme de chabraque sur des zébus couchés sculptés sur des

46. Il s’agit d’un élément de costume spécifique et rare, probablement en relation à l’origine
avec le cœur de l’Asie ainsi que le montrent de telles jarretières, en or, découvertes dans le kourgane
d’Arzhan-2 en Touva, bien daté des environs de 600 av. J.-C. (K. V. Chugunov, H. Parzinger,
A. Nagler, Der!skythenzeitliche!Fürstenkurgan!Arzan!2!in!Tuva, Archäologie in Eurasien Band 26,
Steppenvölker Eurasiens Band 3, Mayence, Verlag Philipp von Zabern, 2010, fig. 225, p. 212
reconstitution).
47. M. L. Carter, « Dionysiac Festivals and Gandhāran Imagery », Res! Orientales! IV, 1992,
p. 51-60 ; H. Falk, « Making Wine in Gandhara under Buddhist Monastic Supervision », Bulletin!
of!the!Asia!Institute!23, 2009 [2013], p. 65-78.
48. Comme l’a bien vu Mme Polosmak (N. V. Polos’mak, op.!cit. [n. 39, 2011], p. 112-33) en
opérant le rapprochement avec un vase du Musée de l’Ermitage : K. V. Trever, V. G. Lukonin,
Sasanidskoe! serebro.! Sobranie! Gosudarstvennogo! Ermitazha, Moscou, Iskusstvo, 1987, n°16,
fig. 33 ; voir aussi P. O. Harper, The!Royal!Hunter.!Art!of!the!Sasanian!Empire, New York, The
Asia Society in Association with John Weatherhill, Inc., 1978, n° 25.
49. Sir J. Marshall, Taxila,!an!illustrated!account!of!archaeological!excavations!carried!under!
the!orders!of!the!government!of!India!between!the!years!1913!and!1934,!in!three!volumes, 3 vol.,
Cambridge, 1951 : pl. 170, s n°54, vol. II, n°54, p. 544 h 26 in, Sirkap, bloc I près du « palais » ; au
Swāt, de tels sièges semblent bien avoir été sculptés sur des reliefs d’une frise de Saidu Sharif,
comme trônes de personnages importants coiffés de hauts bonnets « scythes », et dont les pieds
reposent sur des tabourets, dans des scènes de cour : A. Filigenzi, « Narrative Art in Gandhara »,
Ancient!Civilizations!From!Scythia!to!Siberia 9, 3-4, 2003, fig. 50-52, p. 370-371.
50. Publié par V. I. Sarianidi, 1989, op.!cit.!(n. 20), p. 84-86 ; fig. 30, 1.
51. J. Cribb, op.! cit.! (n. 2), p. 353, n°80 ; J. M. Rosenfield, op.! cit. (n. 5), p. 13-14, type II,
pl. n°4, 5 ; fig. 1, p. 14. Cet auteur a exposé (p. 13) de pertinentes remarques sur le portrait royal à
Rome et chez les Kouchans. On ne voit guère qui d’autre que Kujula Kadphisès pourrait être repré-
senté sur ces monnaies émises, rappelons-le à titre d’exemple, après celles des Indo-Scythes qui
avaient délaissé le portrait monétaire en faveur de l’effigie du roi cavalier, mais aussi après celles
d’Héraos qui associait son portrait au droit et son image en cavalier au revers.
52. V. I. Sarianidi, op.!cit.!(n. 20, 1985), ill. 77-79 (tombe 6) ; ill. 88-89 (tombe 4).

97867.indb 1564 3/04/15 11:05


LES NOMADES INSTALLÉS DANS LA BACTRIANE 1565

FIG. 11. – Drachme en bronze de Kujula Kadphisès à l’imitation du monnayage


d’Auguste. Berlin, Münzkabinett SMB PK. D’après M. Alram, « Münzprägung
in Baktrien und Sogdien – von der graeco-baktrischen Königen bis zu den
Kuschan », dans S. Hansen, A. Wieczorek et M. Tellenbach éd., Alexander!
der!Grosse!und!die!Öffnung!der!Welt.!Asiens!Kulturen!im!Wandel, Regensburg,
Verlag Schnell & Steiner GmbH, 2009, n°8, p. 188 ©DR.

chapiteaux de pilastre de stupa (?) du Tépé Zargaran à Bactres53,


mais!elle ressemble surtout à un véritable tapis de!selle découvert
dans une tombe contemporaine de Shanpula au Xinjiang54. Ces
tapis de selle à losanges et pompons aux angles signalent apparem-
ment une mode fort répandue, car ils sont également représentés sur
les chameaux montés d’un relief de Palmyre au début du IIe siècle55.

53. P. Bernard, R. Besenval, Ph. Marquis, « Du “mirage bactrien” aux réalités archéolo-
giques : nouvelles fouilles de la Délégation Archéologique Française en Afghanistan (DAFA) à
Bactres (2004-2005) », Comptes! Rendus! des! Séances! de! l’Académie! des! Inscriptions! et! Belles-
Lettres 2006, fascicule II (avril-juin), p. 1175-1248, fig. 22 ; R. Besenval, Ph. Marquis, « Le rêve
accompli d’Alfred Foucher à Bactres. Premiers résultats des campagnes menées depuis 2004 par la
Délégation archéologique française en Afghanistan et la Mission archéologique française en
Bactriane d’Afghanistan en collaboration avec l’Institut afghan d’Archéologie », dans Bouddhismes!
d’Asie.!Monuments!et!Littératures.!Journée!d’étude!en!hommage!à!Alfred!Foucher!(1868-1952)!
réunie!le!vendredi!14!décembre!2007!à!l’Académie!des!Inscriptions!et!Belles-Lettres!(Palais!de!
l’Institut! de! France), P.-S. Filliozat et J. Leclant éd., Paris, AIBL-Diffusion de Boccard, 2009,
p. 211-42, fig. 10, p. 223 ; un autre apparaît sur un chapiteau de Kara-Tépé près de Termez :
B. Stawiski, op.! cit.! (n. 66), fig. 124 polychrome et fig. 125 ; Id. et B. Ja. Staviskij, Buddijskij!
pamjatniki!Kara-Tepe!v!starom!Termeze, Moscou, Nauka, 1982, fig. 12, p. 41, daté par l’auteur des
IIe-IVe s. ap. J.-C.
54. Xinjiang Uygur Autonomous Region Museum, Xinjiang Institute of Archaeology, Sampula!
in!Xinjiang!of!China.!Revelation!and!Study!of!Ancient!Khotan!Civilization, Urumqi, Xinjiang People’s
Publishing House, 2001, fig. 14, p. 66 ; une date bien trop ancienne (IIIe - début IIe s. av. J.-C.) est
donnée à cette tapisserie, sans arguments solides, par M. Wagner!et!alii, « The ornamental trousers
from Sampula (Xinjiang, China) : their origins and biography », Antiquity!83, 2009, p. 1065-75.
55. Moi,! Zénobie! Reine! de! Palmyre, catalogue de l’exposition, Paris, (18 septembre –
16 décembre 2001), J. Charles-Gaffiot, H. Lavagne et J.-M. Hofman éd., Paris, Skira, 2001, fig. 200,
p. 292.

97867.indb 1565 3/04/15 11:05


1566 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

L’activité caravanière et les échanges au long cours en Asie, au Ier et


au début du IIe siècle, sont connus de longue date, mais des décou-
vertes récentes et de nouvelles études de textiles mettent directe-
ment en relation Palmyre et la Chine56.
La deuxième tapisserie (kourgane n° 31:192 × 100 cm) déroule
une cérémonie à six participants masculins très animés s’avançant
en procession vers le personnage principal qui leur fait face et dont
ils sont séparés par un autel sur lequel brûle un feu (fig. 12). Tous
marchent, vêtus du costume des cavaliers, pantalon et veste ou caftan
ceinturé ; ils sont armés de lance, d’épée, de poignard ou d’arc.
Sur d’autres fragments, lacuneux, six hommes défilent tandis que sur
d’autres, quatre guerriers sont engagés dans une scène de bataille
à pied. La bordure est à trois registres séparés par des bandeaux ;
des plantes et des papillons se détachent sur le rouge du fond. Cette
composition d’hommes armés en marche, sans remonter aux pompes
de l’art persépolitain qui pourraient en être les modèles premiers,
peut être comparée à celle des peintures de Kazakli-Yatkan en
Chorasmie (IIe s. av. J.-C.)57, ou encore à des reliefs à scènes de
sacrifice parthes ou palmyréniens, mais dans lesquels les partici-
pants sont immobiles et présentés en pleine frontalité58. Ici, nous
retiendrons quelques motifs pour orienter le fil de nos réflexions sur
les échanges transcontinentaux à très longue distance.
La scène principale, à droite, confronte deux personnages mascu-
lins engagés dans une action rituelle, de part et d’autre d’un autel à
cornes, à base et entablement moulurés à deux degrés, sur lequel
brûle un feu59. Le personnage de droite, le plus important, vers qui

56. A. Schmidt-Colinet, A. Stauffer, ibidem,! p. 107-110 ; A. Schmidt-Colinet, Palmyra  :!


Kulturbegegnung!im!Grenzbereich, Vol. 27, Verlag Philipp von Zabern, 1995 ; A. Schmidt-Colinet,
A. Stauffer, Kh. Asʻad, avec des contributions de H. Böhmer, L. von Falkenhausen, R. Karadag
et A. Rinuy, Die! Textilien! aus! Palmyra.! Neue! und! alte! Funde, Damaszener Forschungen vol. 8,
Verlag Philipp von Zabern, Mayence, 2000. Les trouvailles et les travaux en cours de la Mission
Archéologique Franco-Chinoise de la Keriya par C. Debaine-Francfort, D. Cardon et S. Desrosiers
feront également, sous peu, progresser ces questions.
57. F. Kidd!et!alii, « Ancient Chorasmian Mural Art », Bulletin!of!the!Asia!Institute!18, 2004
[2008], p. 69-95.
58. La composition de ces reliefs est analogue : un seul personnage est placé d’un côté de
l’autel tandis que tous les autres s’alignent de l’autre côté : D. Schlumberger, L’orient! hellénisé,
L’art dans le monde, Paris, Albin Michel, 1969, fig. 62 ; H. E. Mathiesen, Sculpture!in!the!Parthian!
empire.! A! study! in! chronology, Aarhus, Aarhus University Press, 1992 : un relief de Shimbar,
p. 125-130 et surtout fig. 7.
59. S’agit-il d’un feu zoroastrien ? L’hypothèse est tentante. Cette forme d’autel est connue en
Asie centrale à l’époque kouchane quand le Zoroastrisme dominait. Plus tôt, leurs images figurent
sur plusieurs palettes du Gandhāra, mais sans qu’aucun élément ne permette alors de les rattacher au
culte zoroastrien ; une gravure rupestre du Haut Indus a été comparée par K. Jettmar à des autels du
feu du VIe siècle, comme il en existe sur les monnaies depuis les Kouchans : K. Jettmar, « Iranian
motives and symbols as petroglyphs in the Indus valley », Rivista!degli!Studi!Orientali!LX, I-IV,

97867.indb 1566 3/04/15 11:05


LES NOMADES INSTALLÉS DANS LA BACTRIANE 1567

FIG. 12. – Tapisserie de procession de Noin-Ula kourgane n°20. Musée national,


Ulanbaatar, République de Mongolie. N.-O. Erdene-Ochir, « Khunnugiin
shirdeg, torgo, nekhmel edlel / Felt rugs, silks and embroideries of the Xiongnu »,
dans Khunnugiin!öv:!Nuugdelchdiin!ankhny!tör!–!Khunnu!gurnii!soël!/!Treasures!
of! the! Xiongnu.! Culture! of! Xiongnu,! the! first! Nomadic! Empire! in! Mongolia,
National Museum of Mongolia, Institute of Archaeology, Mongolian Academy
of Sciences, Eregzen, Ulanbaatar, 2011, p. 257–258 ; voir aussi : S. A. Yatsenko,
« Yuezhi on Bactrian Embroidery from Textiles Found at Noyon uul,
Mongolia », The!Silk!Road!10, 2012, fig. 2, p. 40 ; <www.silkroadfoundation.
org/newsletter/vol10/> ©DR.

converge l’action, est vêtu d’une longue veste en forme de redingote


et d’un pantalon à galons, il porte son étui à arc au côté gauche, à la
mode des Scythes orientaux ; il est moustachu et sa chevelure est
attachée par un ruban ou un diadème. L’homme qui lui fait face à
gauche est vêtu d’un caftan ceinturé à la taille et d’un pantalon serré
aux chevilles, on aperçoit la poignée de son épée derrière son dos ;
la tête légèrement inclinée, lui aussi est moustachu et il porte un
diadème aux rubans flottants. Il semble donner ou recevoir un objet
à pied, au rebord orné d’un rang d’ovicules, lors d’une cérémonie
rituelle60. La suite de la procession ne peut pas être entièrement
détaillée ici, nous n’en donnons que quelques éléments.

1988, p. 150-51, fig. 2 ; K. Jettmar, V. Thewalt, Zwischen! Gandhāra! und! den! Seidenstrassen.!
Felsbilder! am! Karakorum! Highway.! Entdeckungen! deutsch-pakistanischer! Expeditionen! 1979-
1984, Mayence, Philipp von Zabern, 1985, p. 23. La question est complexe, car l’utilisation du feu
dans des cérémonies cultuelles n’indique pas nécessairement qu’il s’agisse du culte zoroastrien,
comme l’ont montré de longues discussions à propos des pyrées et des autels à flamme figurant,
parfois même dans des scènes de recueillement, sur des reliefs gréco-bouddhiques (voir note
suivante) ; la prudence s’impose donc.
60. Une première observation de clichés préliminaires nous avait donné à croire qu’il s’agissait
d’une coupe que le personnage de droite pouvait remplir. F. Grenet, op.!cit.!(n. 1), suggère une coupe
zoroastrienne (« âfrînâgân ») ou un brûloir ; il a bien voulu m’indiquer, et je l’en remercie,
les brûloirs en terre cuite, de forme plutôt tarabiscotée, découverts dans des contextes funéraires

97867.indb 1567 3/04/15 11:05


1568 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

Le troisième personnage de la procession est un guerrier cuirassé


démonté qui marche à gauche d’un cheval sellé et bridé, mené à la
longe par l’homme qui le précède ; il porte une armure à lamelles,
tient sa lance de la main gauche et esquisse un salut de la droite
portée à son front. Il pourrait s’agir d’un Saka, les plaques gravées
d’Orlat et les monnaies indo-scythes nous le rappellent61, tout comme
les reliefs de Khalchayan qui représentent les pesants lanciers cata-
phractaires Saka vaincus par les traits des véloces archers Yuezhi62 ;
par ailleurs, un autre des textiles nouvellement découverts à Noin-Ula
nous dépeint aussi un soldat cuirassé mort63. Le cheval est de couleur
beige (pour une robe isabelle ?), son harnachement, selle, courroie
et phalères ainsi que sa queue nouée indiquent le monde des Saka-
Yuezhi, des Scythes orientaux.
Le cinquième personnage de la procession, en costume Yuezhi à
galons ornés, son poignard à fourreau quadrilobé attaché à la cuisse,
est un conducteur d’éléphant, reconnaissable au pic à crochet à long
manche! (ὄγκος,! aṅkuśa) qu’il tient de la main droite ; il nous
rappelle que les rois gréco-bactriens ont possédé des éléphants64, et
nous apprend par conséquent que les Yuezhi aussi.

zoroastriens kouchans à Kampyr-Tépa : E. V. Rtveladze, « Les édifices funéraires de la Bactriane


septentrionale et leur rapport au Zoroastrisme », dans Cultes! et! monuments! religieux! dans! l’Asie!
centrale!préislamique, F. Grenet éd., Paris, CNRS, 1987, p. 36, n. 9 et fig. 15, p. 40. Nous pouvons
en ajouter d’autres, de forme plus simple et d’où s’élève une flamme, portés par des personnages sur
des reliefs gréco-bouddhiques du Gandhāra, dans un contexte religieux bouddhiste donc, par
exemple : F. Tissot, op.!cit.!(n. 42), fig. 44 ; fig. 256 « porteur de flambeau » ; des pyrées portatifs,
de forme proche de celle des brûloirs ci-dessus, sont sculptés sur certains reliefs au pied du
Bouddha : Ibid., fig. 131 ; fig. 289, avec moine en prière. Mais dans notre cas, l’objet porté pourrait
aussi être un récipient utilisé dans un rituel de libation sur un pyrée, comme on en connaît par
exemple à Palmyre : H. Seyrig, « Bas-reliefs monumentaux du temple de Bêl à Palmyre », Syria
15, 1934, p. 156-159 et pl. XVIII.
61. Monnaies indo-scythes d’Azès I et II, d’Azilisès (supra, n. 28), mais aussi guerriers cuirassés
des plaques de bataille d’Orlat (supra, n. 25). La plaque de ceinture en ivoire gravé de Tilla Bulak
(Ouzbékistan), datée du Ier s. av. J.-C. au Ier s. ap. J.-C., porte une scène de bataille entre des archers
montés dans laquelle l’un des protagonistes est coiffé d’un casque comme celui d’Eucratide, tandis
qu’un adversaire porte un bonnet peut-être scythe : M. Gruber, J. Ya. Il’yasov, K. Kaniuth, « A
Decorated Ivory Belt from Tilla Bulak, Southern Uzbekistan », Ancient!Civilizations!from!Scythia!to!
Siberia!18, 2012, p. 339-75.
62. Cataphractaires Saka défaits par les archers Yuezhi des reliefs en argile du monument
dynastique de Khalchayan : voir supra n. 18.
63. Le personnage cuirassé de ce fragment de broderie est représenté comme crucifié, figuré
mort comme l’un des vaincus des reliefs de Khalchayan. La tapisserie de Noin-Ula pourrait donc
peut-être aussi évoquer ces épisodes qui ont vu la suprématie des Yuezhi être imposée par la force
des armes aux Saka qui les avaient précédés en Bactriane. Les scènes de bataille représentées sur
d’autres fragments de ces nouveaux textiles mettent aux prises des guerriers dont l’aspect physique,
l’armement, le costume et la coiffure sont divers, mais des recherches complémentaires sur les
pièces originales et de bons documents sont indispensables avant de pouvoir préciser. Il ne semble
pas en tout cas que des Xiongnu soient représentés sur ces tentures qui concernent avant tout les
Yuezhi, leurs batailles et leurs clans princiers.
64. Par exemple, après Alexandre, les représentations monétaires hellénistiques, séleucides,
gréco-bactriennes et indo-grecques ne sont pas dépourvues d’images d’éléphants, comme le portrait

97867.indb 1568 3/04/15 11:05


LES NOMADES INSTALLÉS DANS LA BACTRIANE 1569

La scène dans son ensemble ne peut être interprétée que très provi-
soirement : le personnage de droite, s’il n’est pas un simple officiant
(mais il ne possède aucun attribut sacerdotal), pourrait être de rang
royal, de même que celui qui lui fait face. Les autres hommes pour-
raient être des officiers, des parents ou des alliés d’un roi Yuezhi,
dans une cérémonie (de libation ?) cultuelle, peut-être de légitima-
tion (investiture ?). La scène, qui se déroule dans un extérieur indiqué
par les fleurs et les papillons, évoque aussi immédiatement un rituel
printanier qui rassemblerait des « grands du royaume », comme le
Naurouz, le Nouvel An iranien, ou comme une sorte d’ost au « champ
de mai ». Il convient peut-être aussi d’envisager le cheval dans la
procession comme un animal sacré ou sacrificiel, dans une perspec-
tive indienne ou iranienne au sens large65.
Ces tentures représentent des Yuezhi, nous l’avons rappelé, dans
un style pictural qui s’inspire incontestablement de l’art gréco-romain.
C’est pourquoi il convient encore de les rapprocher non seulement

de Démétrios I de Bactriane, coiffé des exuviae!elephantis ; une célèbre phalère gréco-bactrienne


de l’Ermitage en argent doré représente un éléphant de guerre, conduit par son cornac à l’aide d’un
pic à crochet, qui transporte un personnage dont la coiffure évoque le roi gréco-bactrien Eucratide
(bonne reproduction dans S. Hansen, A. Wieczorek et M. Tellenbach éd., Alexander!der!Grosse!und!
die!Öffnung!der!Welt.!Asiens!Kulturen!im!Wandel, Regensburg, Verlag Schnell & Steiner GmbH,
2009, n°77, p. 272) ; pour Pôros, voir P. Goukowsky, « Le roi Pôros, son éléphant et quelques
autres », Bulletin!de!Correspondance!Hellénique!96, 1972, p. 473-502 ; les textes antiques évoquent
les éléphants de Séleucos I et d’Antiochos I, ceux d’Euthydème (puis d’Antiochos III). L’ὄγκος
figure également à l’époque qui nous intéresse, sur des plaques en ivoire gravé de Bégram :
J. Hackin! et! alii, Nouvelles! recherches! archéologiques! à! Begram! (1939-1940), Mém. D.A.F.A.,
Vol. XI, Paris, 1954, fig. 101, 108, 113, 116. On a découvert de tels pics à crochet, à manche court,
en fer et en bronze en Bactriane, à Aï Khanoum précisément : H.-P. Francfort, Fouilles! d’Aï!
Khanoum! III.! Le! sanctuaire! du! temple! à! niches! indentées! 2.! Les! trouvailles, Mém. D.A.F.A.,
Vol. XXVII, 1984, pl. 25, n°6 ; pl. XXXI, n°6 ; p. 68 ; un autre est mentionné par O. Bopearachchi,
« Recent Archaeological Discoveries from Afghanistan and Pakistan », Bulletin! of! the! Miho!
Museum! 5, 2005, p. 19. D’autres en fer proviennent de Taxila (Sirkap) : Sir J. Marshall, op.! cit.!
(n. 49), III, n°101 et 102 ; pl. 170, u ; v.
65. La question est vaste et complexe et nous ne saurions la traiter ici faute de compétence. On
connait le cheval sans cavalier de Mithra en Iran, et l’on sait que des étalons blancs, généralement
liés au soleil, étaient sacrifiés par les anciens Iraniens, pour qui les sources sont peu loquaces, tandis
que les Indiens des âges védiques pratiquaient des processions d’installation du feu, des parades
royales, des courses et le fameux sacrifice royal du cheval, l’aśvamedha, avec des chevaux de trait :
Ph. Swennen, D’Indra! à! Tishtrya.! Portrait! et! évolution! du! cheval! sacré! dans! les! mythes! indo-
iraniens!anciens, Institut de Civilisation Indienne, Vol. 71, Paris, De Boccard, 2004, p. 128-227.
Rien apparemment dans les images de notre tenture ne correspond exactement aux prescriptions des
textes rituels, mais, compte-tenu de la distance chronologique, nous ne pouvons écarter complète-
ment ici l’hypothèse de l’image d’une parade des grands de l’armée, au printemps, en présence
d’une personne royale, réservant un rôle au cheval et comportant un usage du feu. Toutefois, on doit
prendre aussi en compte ici la composante nomade steppique des Yuezhi, dont les rites et les
croyances ne nous sont guère connus avant l’époque kouchane (voir F. Grenet, op.!cit. [n. 18] sur la
divinité au cheval Muzhwan, par exemple ; M. Boyce, F. Grenet, A! History! of! Zoroastrianism.!
Volume!III.!Zoroastrianism!under!Macedonian!and!Roman!rule, Leyde, New York, Copenhague,
Cologne, E. J. Brill, 1991) ; G. Pugachenkova a de son côté remarqué une relation entre les figurines
de chevaux et certains pyrées ou thymiateria : G. A. Pugachenkova, « The Terra-Cotta Horses
of Bactria-Tokharistan : Semantics and Image », Bulletin! of! the! Asia! Institute! 3, 1989, p. 15-19.
De futures recherches pourront peut-être permettre de préciser.

97867.indb 1569 3/04/15 11:05


1570 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

FIG. 13 a et b. – tapisserie de Shanpula (district de Hetian – Khotan) transformée en


houseaux, avant restauration. Musée d’Urumqi, Région Autonome Ouigoure du
Xinjiang, R. P. de Chine. D’après Xinjiang Uygur Autonomous Region Museum,
Xinjiang Institute of Archaeology, Sampula! in! Xinjiang! of! China.! Revelation!
and!Study!of!Ancient!Khotan!Civilization, Urumqi, Xinjiang People’s Publishing
House, 2001, fig. 360, 1-4 ©DR.

des textiles jadis découverts à Noin-Ula, qui représentent des cava-


liers ou des personnages non identifiés66, mais aussi des fragments
de tenture trouvés à Shanpula (Xinjiang), à la polychromie admirable-
ment préservée, qui avaient été découpés et cousus confectionner
des houseaux67. Restaurées et réassemblées, ces pièces ont permis
de reconstituer un lancier Yuezhi, semblable à ceux des reliefs de
Khalchayan, la tête ceinte d’un bandeau, vêtu d’un costume brodé,
poignard à la ceinture ; au registre supérieur de la composition
apparaît un centaure qui embouche une trompette dans un champ
ornemental floral (fig. 13 a et b)68. À Noin-Ula comme souvent
ailleurs, les bordures et les encadrements peuvent permettre de
progresser dans l’enquête sur l’origine, la date, la fonction et le sens
de ces œuvres.

66. Voir supra, n. 38 ; pour de bonnes reproductions : B. Stawiski, Kunst!der!Kuschan, Leipzig,


1979.
67. Voir supra, n. 54.
68. Rapprochements et commentaires proposés dans H.-P. Francfort, op.!cit. (n. 1), p. 317-325.
M. M. Rhie, Early!Buddhist!art!of!China!and!Central!Asia.!Volume!one!Later!Han,!Three!Kingdoms!
and! Western! Chin! in! China! and! Bactria! to! Shan-shan! in! Central! Asia, Vol. 1, Leyde, Boston,
Cologne, Brill, 1999, fig. 4.14, publie un rare relief aux centaures jouant de la trompette, mais de
piètre qualité et mal daté.

97867.indb 1570 3/04/15 11:05


LES NOMADES INSTALLÉS DANS LA BACTRIANE 1571

FIG. 14. – détail des frises des bordures de tapisseries du kourgane n°6 de Noin-Ula.
D’après B. Stawiski, Kunst!der!Kuschan, Leipzig, 1979, fig. 59 ©DR.

Sur une d’elles des compositions qui bordent les panneaux de


Noin-Ula apparaît un monstre marin, ketos! ou! makara, dans un
rendu semblable à ceux de palettes du Gandhāra contemporaines69.
Quant au lion ailé cornu et patte levée de l’une des bordures des
tapisseries anciennement trouvées (kourganes n°6 et 25, fig. 14), où
il figure en compagnie d’une alternance d’Érotes combattants émer-
geant de calices floraux, d’oiseaux, de palmettes, de fleurons et de

69. Parallèle bien remarqué par Mme Polos’mak (op.!cit.![n. 39]). Sur ces figures mythologiques,
voir maintenant, avec la bibliographie antérieure, J. Pons, « From Gandhāran trays to Gandhāran
Buddhist art : the persistence of Hellenistic motifs from the second century BC and beyond », dans
From!Pella!to!Gandhāra.!Hybridation!and!Identity!in!the!Art!and!Architecture!of!the!Hellenistic!
East, A. Kouremenos, S. Chandrasekaran et R. Rossi éd., BAR International Series, Oxford,
Archaeopress, 2011, p. 155-59 ; l’ascendance hellénistique est bien notée, mais l’on peut se
demander si les monstres de reliefs un peu plus récents, comme ceux de l’Ara!Pacis!Augustae, ou
ceux de la cuirasse de la statue de Néron de Bologne ne sont pas aussi à prendre en compte, en plus
de l’autel dit de Cn. Dom. Ahenobarbus, qui est plus ancien.

97867.indb 1571 3/04/15 11:05


1572 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

rinceaux, un relief du temple d’Apollon à Didymes et d’autres


de Pergame, par exemple, fournissent de bons parallèles70. Un autre
rapprochement, important, mais moins connu, mérite d’être fait avec
le décor de la corniche de l’entablement du stupa n°14 de Butkara-I
au Swāt, daté du premier quart du Ier siècle, que D. Faccenna décri-
vait ainsi : « …le détail de la figuration du cavet orné comprend
une série de protomés de lion, alternant avec des motifs de feuilles
d’acanthe, de lys stylisés, de garuda et d’aigles, de putti ailés sur des
fleurs de lotus tenant des épées, d’oiseaux et d’autres objets71… »
L’analogie avec les bandeaux de Noin-Ula est patente, avec des
séquences de motifs iconographiques qui ne persisteront pas comme
tels plus tard dans le Gandhāra. La correspondance n’est cepen-
dant pas parfaite, car les sources d’inspiration des compositions de
Noin-Ula semblent avoir été plus picturales qu’architecturales ou
même provenir d’autres éléments d’entablements, sinon d’ensembles
plus monumentaux. Pouvons-nous dès lors tenter aussi de rappro-
cher ces décors bactriens de certains programmes ornementaux de la
Rome des Julio-Claudiens, des stucs de la villa Farnésine comme
cela a été proposé jadis72, mais aussi de peintures de la Domus
Transitoria, de la Domus Aurea, de celles de Pompéi et d’Hercu-
lanum et d’autres ? Non seulement les motifs végétaux, animaux et
anthropomorphiques, composites ou non, sont abondants et simi-
laires, mais les compositions d’ensemble, avec leur juxtaposition
des registres des bordures encadrant les champs centraux, sont aussi
à considérer. La recherche, au-delà de généralités, n’en est encore
qu’à ses débuts sur le rôle exact de la Rome du début de l’empire
dans la genèse de cet art et dans celle des sources du Gandhāra.
Une certaine incertitude demeure pourtant, pouvons-nous indiquer
dès maintenant, quant au rôle possible de l’Orient hellénisé dans

70. F. Rumscheid, Untersuchungen! zur! kleinasiatischen! Bauornamentik! des! Hellenismus.!


Katalog,!Abbildungsnachweis,!Register,!Tafeln!und!Beilagen, Mayence, Verlag Philipp von Zabern,
1994 : Didymes, pl. 26, 6 ; 27, 1-7 ; 28, 4, 7, 8 ; Pergame, pl. 139, 1 pour un rinceau à protomé
« stilistisch!wohl!nachhellenistisch » ; pl. 140, 5-6 pour le deuxième quart du Ier siècle. Ce ne sont
là que quelques indications pour une recherche qui reste encore largement à conduire.
71. D. Faccenna, Butkara! I! (Swāt,! Pakistan),! 1956-1962, IsMEO Centro Studi e Scavi
Archeologici in Asia ; Reports and Memoirs, Vol. III.1-5.2, Rome, 1980-1981, p. 241-249. Sur
cette phase pré-kouchane de l’art du Gandhāra, voir les importantes contributions de D. M. Srinivasan,
P. Callieri, D. Faccenna dans On!the!Cusp!of!an!Era.!Art!in!the!Pre-Kusana!World, D. M. Srinivasan
éd., Brill’s Inner Asian Library, Leyde, Boston, Brill, 2007.
72. H. Schaefer, « Hellenistic Textiles in Northern Mongolia », American!Journal!of!Archaeo-
logy!47, 3, 1943, p. 266-77. Les « Arimaspes combattant des griffons » et les putti ailés végétalisés
des encadrements des panneaux des stucs sont, dans un style élégant, de bons équivalents de ceux
de Noin-Ula. Voir aussi : I. Bragantini, M. de Vos, Muzeo!Nazionale!Romano.!Le!Pitture,!II,!1.!Le!
decorazione!della!villa!romana!della!Farnesina,!Rome, De Luca Editore, 1982, Tav. 121, 126.

97867.indb 1572 3/04/15 11:05


LES NOMADES INSTALLÉS DANS LA BACTRIANE 1573

l’origine et la transmission des thèmes et des motifs, comme le montre


le soffite sculpté d’un rinceau à protomé d’une poutre du péristyle
du temple de Bel à Palmyre, terminé en 3273.
Pour terminer, nous proposons de revenir à Khalchayan pour
mettre en parallèle son décor avec celui des nouvelles tentures de
Noin-Ula. Les deux ensembles associent des scènes d’action, de
combat de Yuezhi avec d’autres peuples (malaisés à identifier à
Noin-Ula), et des scènes de présentation royale, plus picturales à
Noin-Ula. Mais dans les deux cas, ils sont l’expression d’un art
aulique Yuezhi. Pouvons-nous tenter d’être plus précis dans la
formulation d’hypothèses ?
Sur la deuxième tenture (kourgane n° 31), le personnage qui
conduit la procession et fait face au souverain (ou officiant) semble
plus âgé que lui. Avec sa chevelure remontée, son menton prononcé,
sa coiffure relevée serrée dans un diadème dont les rubans sont

73. Des vues perspicaces sur le rinceau animé dans H. Seyrig, « Antiquités de la nécropole
d’Emèse », Syria 29, 1952, p. 204-250 ; 30, 1953, p. 12-14, Antiquités!Syriennes!V, 1958, p. 16-24 ;
voir aussi J. M. C. Toynbee, J. B. Ward Perkins, « Peopled Scrolls : A Hellenistic Motif in Imperial
Art », Papers!of!the!British!School!at!Rome!18, 1950, p. 34, commentent ainsi ce soffite : « the!
east-Roman!vine-scroll!of!the!Imperial!age,!some!of!the!outstanding!examples!of!which!are!listed!in!
the!preceding!paragraph,!is!derived!in!its!turn!from!earlier,!local!models,!of!a!decidedly!native,!
non-!classical!character,!is!one!of!the!most!significant!results!of!the!French!excavations!within!the!
precinct! of! the! temple! of! Bel! at! Palmyra.! Found! re-used! in! the! footings! of! a! wall,! which! was!
subsequently!demolished!at!the!beginning!of!the!Flavian!period,!were!a!number!of!soft!limestone!
blocks.!These!blocks,!which!can!hardly!be!later!than!the!end!of!the!first!century!B.C.,!are!carved!in!
relief!with!a!variety!of!decorative!designs,!prominent!among!which!are!vine-scrolls!formed!by!a!
single!stem!looped!alternately!to!right!and!to!left,!with!single!vine-leaves!and!bunches!of!grapes!set!
schematically!within!the!loops.!The!character!of!the!relief!and!the!unusual!mouldings!plainly!imitate!
wood-carving,!while!the!rigorously!geometric!composition,!the!two-dimensional,!black-and-white!
effect!of!some!of!the!scrolls,!and!the!curious!triangular!feature!from!which!many!of!them!spring!are!
all!without!parallel!in!contemporary,!western,!Graeco-Roman!art.!M.!Seyrig’s!suggestion!that!they!
are!derived!from!a!source!still!further!to!the!east,!probably!from!Iran,!with!which!Palmyra!was!
linked!by!trade,!carries!conviction.!These!scrolls!are!without!figures.!A!few!decades!later!the!same!
scrolls!are!found,!this!time!incorporating!birds!pecking!at!the!grapes!and!a!male!bust,!in!the!carved!
ornament!of!the!superstructure!of!the!peristyle!of!the!temple!of!Bel.!The!architectural!context!and!
the! strictly! classical! character! of! the! accompanying! mouldings! confirm! that! the! introduction! of!
figures!must!be!attributed,!like!the!peopled!acanthus-scroll!from!the!same!building!(p.!32),!to!the!
impact!of!classical!models!on!this!native,!eastern!tradition. » Rome ou l’Orient hellénisé au tour-
nant et au début de l’ère chrétienne ? Il est parfois bien difficile de répondre aujourd’hui encore,
malgré de grands progrès. Le rinceau animé au Gandhāra a fait aussi l’objet jadis de certaines études
qui seraient à reprendre aujourd’hui, à la lumière des découvertes du Swāt et de l’Asie centrale, mais
aussi de la Syrie et de la Mésopotamie ; voir par exemple un point de la question assez général
publié récemment : A. Invernizzi, « Remarks on the intercultural encounters in the Hellenized
Orient », Parthica! 14, 2012, p. 89-108. Il serait nécessaire d’entreprendre une étude détaillée et
précise de l’ensemble de ces motifs ornementaux et de leur organisation, de leur origine aussi,
comme l’a fait naguère P. Bernard pour les pilastres de Tépé Zargaran à Bactres, après Schlumberger
jadis pour ceux de Surkh Kotal (P. Bernard, J.-F. Jarrige, R. Besenval, « Carnet de route en images
d’un voyage sur les sites archéologiques de la Bactriane afghane (mai 2002) », Comptes!Rendus!des!
Séances!de!l’Académie!des!Inscriptions!et!Belles!Lettres 2002, fascicule IV (novembre-décembre),
p. 1393-1403).

97867.indb 1573 3/04/15 11:05


1574 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

laissés flottants et son arcade sourcilière proéminente, il est difficile


de ne pas remarquer sa ressemblance avec les effigies d’Héraos
gravées au droit de ses tétradrachmes (fig. 15 a)74. Sur la première
tenture (kourgane n° 20), à laquelle nous revenons ici, le roi assis
buvant possède les mêmes attributs que Kujula Kadphisès, succes-
seur (fils ou neveu) d’Héraos, sur des monnaies où il imite Auguste
siégeant sur une sella! curulis, mais avec son épée (fig. 9 et 11)75.
Rien n’empêche de proposer de le reconnaître comme étant Kujula
Kadphisès lui-même. Ces propositions d’identification sont des
pistes que des recherches et des découvertes futures pourront, ou
non, confirmer. Qui, dès lors, serait debout face à la procession
conduite par celui qui a été dessiné et brodé comme un « Héraos » ?
Nous l’ignorons, mais l’hypothèse dynastique kouchane, ou d’une
imitation, ne peut pas être ignorée. Nos broderies seraient une forme
plus picturale, gréco-romaine et plus mobile de la même histoire de
fondation et de légitimation du clan Kouchan des Yuezhi que celle
que content les frises de Khalchayan. Là, des identifications des
mêmes personnages princiers ont été proposées, qu’il n’est pas
possible de discuter ici, mais parmi lesquels figurent Héraos et ses
successeurs, selon divers commentateurs (fig. 15 b). Mais comment
ces tentures Yuezhi ont-elles pu parvenir en Mongolie ?
L’analyse génétique effectuée sur quelques restes de dents du
kourgane n°20 indiquerait une femme de 25-30 ans, possédant des
caractères de populations répandues de la Caspienne au Gandhāra ;
les auteurs évoquent à son sujet une Indienne, une Gandhārienne de
haut statut qui serait venue du Sud du Xinjiang, puis qui aurait brodé
sur place ces textiles et confectionné des tapisseries à la manière
parthe76. Cependant la possibilité même d’une manufacture aulique
de tapisseries Yuezhi loin dans la steppe, au cœur de l’empire
Xiongnu, paraît très problématique. Une fabrication en Bactriane est
très probable, comme cela avait déjà été proposé pour les anciennes
découvertes. Les textes chinois et les trouvailles des tombes prin-
cières Xiongnu le suggèrent déjà, en montrant que ces cours prati-
quaient des échanges de cadeaux, d’otages et de princesses77. Ces
broderies princières bactriennes auraient ainsi pu aboutir à Noin-Ula
comme des présents (matrimoniaux, diplomatiques – ou même

74. Pour de beaux portraits sur ces tétradrachmes : E. A. Davidovich, op.!cit. (n. 4), p. 147-177 ;
pour le rapprochement effectué entre le portrait des monnaies et l’un de ceux de la sculpture de
Khalchayan : G. A. Pugachenkova, Skulptura!Khalchajana, Moscou, Iskusstvo, 1971.
75. Voir supra.
76. N. V. Polos’mak, « Kurgan dlja lunolikoj », Nauka!iz!pervykh!ruk, 2009, 4, p. 123-126.
77. F. Thierry, op.!cit. (n. 1).

97867.indb 1574 3/04/15 11:05


LES NOMADES INSTALLÉS DANS LA BACTRIANE 1575

a b

FIG. 15 a. – monnaie d’Héraos (tétradrachme en argent), droit. D’après


O. Bopearachchi, C. Landes et C. Sachs éd., De!l’Indus!à!l’Oxus.!Archéologie!
de! l’Asie! Centrale.! Catalogue! de! l’exposition, Lattes, Association IMAGO -
musée de Lattes, 2003, fig. n°148a (notice de C. Sachs).
FIG. 15 b. – sculpture en argile représentant un prince Yuezhi généralement iden-
tifié à Héraos. Musée de l’Institut d’Histoire de l’Art de Tachkent (Ouzbékistan).
D’après G. A. Pugachenkova, Skulptura!Khalchajana, Moscou, Iskusstvo, 1971,
fig. 63 ©DR.

comme butin ? –) provenant des Yuezhi de la Bactriane, à l’époque


de Kujula Kadphisès ou peu après78. D’un autre côté, tout comme les
Han (Wudi), en dépêchant Zhang Qian, avaient cherché une alliance
de revers avec les Yuezhi de Bactriane contre les Xiongnu, les
Romains, qui intriguaient lors des successions chez les Parthes avec
qui ils eurent de nombreux conflits, ont fort bien pu chercher aussi à
s’allier avec les Yuezhi79. Dans cette perspective, l’imitation des
monnaies d’Auguste par Kujula Kadphisès ne doit rien au hasard,
elle est politique. Les routes de ces échanges commerciaux et poli-
tiques étaient ouvertes et actives : celle du sud, maritime, du Periplus!
Mari! Erythraei, ou terrestre, des Parthikoi! Stathmoi, ou celle du
nord, de Maes Titianos80, et souvenons-nous aussi des trouvailles

78. Sans être une preuve, la cohérence est bonne pour dater de l’époque de Kujula Kadphisès la
confection des tentures. Par ailleurs, comme ces tentures proviennent jusqu’ici de trois kourganes
différents de shanyu, une répartition de butin n’est pas plus exclue qu’un partage de cadeaux :
victoire sur les Yuezhi ou réception d’épouse(s) ne sont que des possibilités historiques que l’état
des vestiges des tombes ne permet pas de valider ni d’infirmer actuellement.
79. Voir H.-P. Francfort, op.!cit.!(n. 1), n. 200, p. 324.
80. P. Bernard, « De l’Euphrate à la Chine avec la caravane de Maès Titianos (c. 100 ap.
n. è.) », Comptes!Rendus!des!Séances!de!l’Académie!des!Inscriptions!et!Belles-Lettres, 2005, fasci-
cule III (juillet-octobre), p. 929-969.

97867.indb 1575 3/04/15 11:05


1576 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

du « trésor » de Bégram81. L’expansion du bouddhisme a pu aussi


jouer un rôle dans l’intensification des échanges, lorsque les soie-
ries, les laques et les miroirs Han croisaient en Asie centrale les
monnaies et pièces d’orfèvrerie ou de toreutique romaines, les
amulettes égyptiennes, les verres syriens et les textiles palmyré-
niens82. Les études en cours, de la part de spécialistes plus compé-
tents que moi, ne manqueront pas d’accroître nos connaissances sur
ces nomades installés en Bactriane. En selle ou démontés, ils n’ont
pas tardé à faire leurs les bagages culturels de leurs prédécesseurs
grecs, qu’ils ont enrichi de leurs relations nouvelles avec la Rome du
début de l’empire, avec le Gandhāra, ainsi que des inépuisables
ressources du monde des steppes83.
*
* *
MM. Paul BERNARD et Henri LAVAGNE, Mme Véronique SCHILTZ
et M. Frantz Grenet, correspondant français de l’Académie, prennent
la parole après cette communication.

81. Les laques chinois de Bégram, tout comme ceux de Noin-Ula, et d’autres sites, permettent
de mieux préciser les dates de ces échanges : M. Pirazzoli-t’Serstevens, op.!cit!(n. 39) ; Id., « Les
laques chinois de Begram. Un réexamen de leur identification et de leur datation », Topoi!11, 1,
2001, p. 473-84. A. N. Chistyakova, op.!cit. (n. 39) date des coupelles de Noin-Ula de 9 et 2 av. J.-C.
82. Vus de l’Asie centrale, ces échanges ont été envisagés par bien des auteurs et notamment
B. Ja. Staviskij, « Central Asian Mesopotamia and the Roman World. Evidence of Contacts », dans
In!the!Land!of!the!Gryphons.!Papers!on!Central!Asian!archaeology!in!antiquity, A. Invernizzi éd.,
Florence, Casa Editrice le Lettere, 1995, p. 191-202 ; E. V. Rtveladze, Velikij! Indijskij! Put’.! Iz!
istorii!vazhnejshikh!torgovykh!dorog!Evrazii, Saint-Pétersbourg, Nestor-Istirija, 2012.
83. Je remercie ici G. André, D. Tcheremissine, P. Bernard, O. Bopearachchi, C. Debaine-
Francfort, F. Grenet, N. Polos’mak, J. Pons, A. Rouveret, V. Schiltz, sans qui cette étude eût été
plus imparfaite. Les manques et les défauts sont miens.

97867.indb 1576 3/04/15 11:05

Vous aimerez peut-être aussi