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LES HERMAPHRODITES DANS L'ART

Un curieux exemple de conformation féminine chez un jeune hystérique


du service de M. le professeur Charcot, nous a conduit à faire quelques re-
cherches sur la représentation du type de l'hermaphrodite dans l'art an-
tique. Et nous avons trouvé, entre les oeuvres des anciens statuaires et le
sujet que nous avions sous les yeux, des analogies frappantes que nous
avons cru intéressant de mettre en lumière.
On connaît la légende grecque où l'art antique a puisé le type de l'her-
maphrodite. Fils de Mercure et de Vénus, Hermaphrodite était doué d'une
merveilleuse beauté. A 15 ans, il quitta le Mont-Ida où il avait été élevé
par les Naïades et se rendit en Carie. Arrivé près d'Halicarmasse il s'arrêta
pour se baigner dans une fontaine à laquelle présidait la nymphe Salmacis.
Cette dernière éprise de la beauté du jeune homme, chercha, mais en vain
à lui faire partager son amour. C'est alors qu'elle l'enlaça étroitement et
demanda aux dieux d'unir d'une façon indissoluble et pour toujours leurs
deux corps. Son voeu fut exaucé.
Pour transporter dans le marbre ou le bronze ce mythe symbolisant la
fusion des deux sexes en un seul être, les artistes de l'Antiquité ont dû
chercher une formule plastique, et ils ont adopté la suivante : Sur un corps
jeune présentant les caractères féminins plus ou moins accentués, ils ont
mis les organes génitaux du mâle. Cette forme, est-elle exclusivement le
produit de leur imagination, ou bien l'ont-ils rencontrée dans la nature et
copiée plus ou moins servilement? L'exemple que nous avons en ce mo-
ment sous les yeux pourrait donner quelque vraisemblance à la seconde
hypothèse. Il n'y a pas lieu , toutefois de s'y arrêter plus que de raison, et
le simple rapprochement que nous faisons ici ne saurait être considéré
comme une preuve péremptoire. L'androgyne est représenté dans les atti-
tudes les plus variées : tantôt il est étendu mollement dans un état de demi
sommeil voluptueux, tantôt il est debout avec des attributs divers.
Sans avoir la prétention de rappeler ici tout ce que l'art antique a pro-
duit sur ce sujet, nous allons passer en revue quelques-unes des statues
d'hermaphrodite les plus connues et les plus remarquables, dans l'inten-
tion d'en dégager le type morphologique adopté.
Le musée des Antiques au Louvre possède deux statues d'hermaphrodites
couchés provenant de la villa Borghèse. L'une d'elles est considérée comme
un chef-d'oeuvre de la statuaire grecque et l'on est fondé à croire que ces
386 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
deux hermaphrodites sont une imitation du célèbre hermaphrodite en
bronze de Polyclès fils de Timarcilide, artiste grec des premiers temps cle
la période gréco-romaine et qu'il ne faut pas confondre avec le grand Po-
lyclète de Sicyone. D'ailleurs les statues du Louvre ne seraient pas les
seules' répétitions de l'aeuvre de Polyclès. Les musées étrangers possèdent
un certain nombre d'hermaphrodites couchés fort semblables. Le plus re-
marquable est sans contredit celui, du Musée. des Offices à Florence : mais
il en existe aussi à Londres (British VIusenm); Bome, (galerie Borghèse),.
et au musée d'Athènes. Nous avons fait reproduire ici' sur' une même
planche l'hermaphrodite de Florence et celui de la galerie Borghèse à Rome
(l'1. XLIV et XLV). Toutes ces statues qui sont évidemment copiées' sur'
un même modèle représentent une jeune femme étendue sur une draperie,
un coussin ou une peau de fauve, dans le décubitus latéral droit, la jambe '
gauche demi fléchie, la tête appuyée sur le bras relevé et tournée la face
en arrière ; les yeux sont clos. Le corps tout entier offre le modèle achevé
des formes féminines dans'toute leur jeunesse et' leur grâce. Mais l'artiste
y a ajouté les. signes delà virilité sous la forme d'organes génitaux dont-
le pénis est" en état de demi-érection. ' .' , '

Parmi les hermaphrodites qui sont représentés debout, il en est deux


que possède le musée du Louvre et qui méritent également une mention.
L'un d'eux est soustrait aux regards du public à cause de l'indécence de
sa posture, qui nous empêche également d'en donner ici l'image. Il est
vêtu d'une longue tunique dont il relève toute la partie antérieure jusqu'au
dessus du pubis pour montrer le signe de la virilité. Le pénis est en érec-
tion complète ; et tonte' l'altitude du corps, les jambes légèrement fléchies,
le bassin porté en avant; là tête penchée, etc., concourent à mettre en lu-
mière cette inconvenante 'exhibition. On, ne saurait nier la valeur artisti-
que de cette statue, les cuisses surtout sont d'un très beau modelé et d'une
forme' essentiellement féminine.
Le second hermaphrodite debout du Louvre, est catalogué sous le nom.
d'Apollon, n° 82 du catalogue. Il présente en effet les apparences effémi-
nées sous lesquelles le Dieu des arts est souvent figuré. Mais le caractère'
de la fêté,' l'agencement de la coiffure, suivant la remarque que nous en a
faite M.'Chartes Ravaisson-Mollien, la proéminence des seins, le dévelop-'
7 l 1, ,
pement des hanches suffisent pour. rattacher cette statue au typé des her-'
maphrodites. Hanche à droite, le fils de-Mercure et de Vénus a les jambes
recouvertes .d'une, draperie, dont une extrémité remonte par derrière jus-'
que sur l'épaulé gauche.' La' main droite s'appuie sur' la hanche, pendant'
que la gauche levée devait tenir un attribut. Mais un des plus remarqua-
bles parmi les hermaphrodites debout, c'est sans contredit celui du Musée
de Berlin. Entièrement nu, la tôle seule recouverte d'une courte draperie,
Nouvelle Iconographie DE la Salpétr[ £ rk 1 T. V. PL. XLIII

Phototype négatif A. LONDE PHOTOCOLLOGRAPHIr.


Chêne &. LONGUET

Hermaphrodite DU MUSÉE DE BERLIN

. J3ATAILLE & Cle


Éditeurs
NOUVELLE Iconographie DE la Salpètrière T. V. PL. XLIV

HERMAPHRODITE (GA!.E¡¡IE B3RGHÈSE, ROME)

T. V. PL. XLV

PHOTOTYPENLCATIT A LONDE FHOTOCOLLOORAPCHENE


H 3. LONQUI?1'

Hermaphrodite (musée DES offices, FLORRNCE)

1. Bataille
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LES HERMAPHRODITES DANS L'ART 387

il tient de la main droite élevée un tronçon de lance pendant que l'autre


bras est abaissé. Derrière lui, à sa gauche, est un vase à parfum que re-
couvre son vêtement. Je possède un bon moulage du torse de cette statue
(voy. Pl. LIII) ; ce qui m'a permis de l'étudier de près. Or il offre un
type morphologique des plus remarquables, qui est une sorte d'hybride,
d'état intermédiaire fort habilement conçu et exécuté entre les formes de
la femme et celles de l'homme. Les organes génitaux sont mutilés.
On peut encore citer : un hermaphrodite en bronze de Florence qui se
rapproche assez du précédent ; trois autres à Rome dont un à la collection
Chablais, un autre à villa Pamphili et le troisième à la-villa Albani ; un
groupe en marbre, à Florence, représentant Hermaphrodite assis le haut
du corps nu, le reste couvert d'une draperie, lutiné par un Pan ; deux
hermaphrodites à Londres, l'un dans la collection Hope, l'autre au musée
britannique, etc., etc. J'ai, en outre, relevé, parmi les peintures de Pom-
pée, une fresque représentant la toilette d'un hermaphrodite qui se dis-
tingue par son aspect féminin et la largeur exagérée de ses hanches.
En résumé, nous pouvons au point de vue morphologique classer ces
divers hermaphrodites en deux catégories distinctes, l'une dans laquelle
les formes féminines sont parfaitement développées comme dans les her-
maphrodites couchés, l'autre qui présente des formes féminines atténuées,
sorte de parti pris intermédiaire entre l'homme et la femme et dont le
type se trouve réalisé dans la statue du musée de Berlin.
En dehors de ce type de l'androgyne spécialement consacré à la pro-
miscuité des formes mâles et femelles, l'antiquité a très souvent doté de
formes efféminées plusieurs personnages mâles de son Panthéon, en parti-
culier Bacchus, Apollon et l'Amour. Nombre de statues de Bacchus ont ab-
solument la tête, le bassin et les cuisses d'une femme ; un bas-relief du mu-
sée national de Naples en est un exemple frappant. On le représente même
parfois avec des habits de femme, comme en témoigne une statue du Vati-
can. Il en est de même de quelques représentations d'Apollon, dont une sta-
tuette en bronze trouvée à Pompéi, actuellement au musée de Naples, est
un joli spécimen. Pour ce qui est de l'Amour, si l'on veut bien examiner
la très belle collection des figurines en terre cuite trouvées à Myrina et
exposées au musée du Louvre, on sera frappé du nombre de statuettes re-
présentant Eros adolescent et offrant une conformation féminine fort accen-
tuée du bassin, des hanches et des membres inférieurs.
Examinons maintenant notre malade et nous verrons qu'il se rattache
au type de l'hermaphrodite antique, non pas par sa parfaite similitude de
ses formes avec celles de la femme, mais par la présence chez un homme
de caractères féminins nettement accusés.
Des cas analogues ont été décrits sous le nom d'infantilisme ou mieux de
féminisme (Lorrain, Brouardel). Ne pourrait-on pas les classer dans une
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catégorie particulière d'hermaphrodisme, dans laquelle ce que l'on appelle
les caractères sexuels secondaires, d'ordinaire laissés de côtés, seraient ap-
pelés à entrer en ligne de compte et que, par suite du rapprochement que
nous établissons ici, on pourrait désigner sous le nom d'hermaphrodisme
antique?
Notre malade (Pl. XLVI, XLVII, XLVIII) présente des organes gé-
nitaux mâles complets, mais atrophiés. Le pénis est peu volumineux
et les testicules sont de la grosseur d'une noisette. Il n'existe aucune
malformation, et, de par les organes génitaux, notre sujet appartient
évidemment au sexe mâle. Mais d'un autre côté nous relevons dans
l'habitus général nombre de caractères nettement accentués que le sexe
féminin réclame. C'est ainsi que bien qu'âgé de 27 ans, il est absolu-
ment imberbe. La surface de tout le corps est glabre sauf au pubis
qui est garni de quelques poils. Le thorax est assez développé, les
épaules sont relativement larges, et la taille est peu dessinée. Les seins,
surtout le droit, sans être très volumineux sont manifestement dévelop-
pés. Mais c'est surtout au bassin et aux cuisses que se trouvent les carac-
tères féminins les plus marqués. Les fesses sont volumineuses et arron-
dies. Le sillon de la hanche est presque effacé en arrière, où la fossette
lombaire latérale et inférieure se détache seule comme chez la femme, à la
région sacrée. Les hanches sont larges et le tissu cellulaire abondant donne
aux cuisses, épaisses à leur racine, un aspect fuselé et arrondi. Les mem-
bres inférieurs dans leur entier sont d'un beau modèle simple et ferme.
J'ai déjà dit que les organes génitaux étaient atrophiés. Leurs fonctions
sont réduites à néant. Notre sujet présente le type de la frigidité la plus
complète et, par là, diffère des hermaphrodites antiques dont beaucoup
sont représentés en état d'activité génitale.
Au point de vue mental, c'est un déséquilibré. Peu instruit, il a quel-
que prétention et fait des vers. Dans une lettre de lui, nous avons relevé
un fait curieux : il met souvent au féminin les adjectifs ou participes qui
se rapportent à lui,' bien qu'il n'y ait jamais eu aucune méprise, ni aucun
doute sur la réalité de son sexe.
D'autre part, son cas, au point de vue pathologique, est des plus intéres-
sants. Il présente des attaques de sommeil d'une forme spéciale et nons ne
saurions mieux faire, à ce sujet, que de renvoyer à l'intéressant mémoire
de M. Parmentier (1), interne du service où l'observation de notre malade
a été publiée avec tous les développements qu'elle comportait.
PAUL Richer,
Chef du Laboratoire de la Clinique des maladies
du système nerveux.
(1) Parmentier, De la forme narcoléptique de l'attaque du sommeil hystérique, Arche-
ves gén. de méd., nov. et déc. 1891.
OLtELLI:ICO1OGRAP111C
DEla SALPLTRIIRE T. V PL. OLtI
\1

négatif A. LONDE
PHOTOTYPE PhotocollographieL SAUVE.

CONFORMATION FÉMININE DU CORPS


COÏNCIDANT AVEC DES ORGANES GÉNITAUX MALES

(HERMAPHRODISME ANTIQUE)

, VUE ANTERIEURE

LOUIS Bataille & C'E


EDITEURS
OU\'HLE IcONOGRAI'IIIL DL LA 5UPL TRIER1 . T. V PI . \W 11.

Phototype NFGATIF
A. LONDE PIIOTOCOLLUGNAI'I11F
L SAUVE.

CONFORMATION FÉMININE DU CORPS


COÏNCIDANT AVEC DES ORGANES GÉNITAUX MALES

(HERMAPHRODISME ANTIQUE)

VUE POSTÉRIEURE

LOUIS Bataille & CE


ÉDITEURS
OL\ELLEICONOGRAPIfIEInELASA1PETRIFRt. T. V PL.7vL\III.

Phototype NtGA7IFA. LONDE Photocoliographii L SAUVE.

CONFORMATION FÉMININE DU CORPS


COÏNCIDANT AVEC DES ORGANES GÉNITAUX MALES

(HERMAPHRODISME ANTIQUE)

VUE latérale

LOUIS BATAILLE & CI"


ÉDITEURS

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