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Ktèma : civilisations de l'Orient,

de la Grèce et de Rome
antiques

Réalisme et mode de représentation dans l'art du portrait


hellénistique : le cas de Délos
François Queyrel

Citer ce document / Cite this document :

Queyrel François. Réalisme et mode de représentation dans l'art du portrait hellénistique : le cas de Délos. In: Ktèma :
civilisations de l'Orient, de la Grèce et de Rome antiques, N°34, 2009. pp. 243-255;

doi : https://doi.org/10.3406/ktema.2009.1747

https://www.persee.fr/doc/ktema_0221-5896_2009_num_34_1_1747

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Résumé
Cette étude de différents genres de portraits sculptés retrouvés en contexte à Délos, qui datent
entre les années 130 et les années 70 av. J-C., dégage les éléments d’une sémantique des
formules iconographiques. Dans l’espace public de l’Agora des Italiens, le modèle du portrait de
l’évergète qu’est Ofellius est Alexandre et l’officier romain, en cuirasse, se fait représenter par une
statue équestre isolée, où le cheval est au pas, sans rapport immédiat avec une statue de Galate
(le «Gaulois blessé de Délos» ). Vers 100, la formule de la statue cuirassée en pied se retrouve
aussi bien pour représenter un officier romain qu’un général de Mithridate VI, même si le contexte
de l’exposition change : à l’extrémité d’un portique pour Billienus, dans une chapelle pour les
généraux de Mithridate. Dans l’espace privé de la Maison de Kléopatra et Dioscouridès, le couple
des propriétaires s’inspire des modes de représentation de l’espace public pour faire ériger ses
statues dans la perspective de l’entrée et d’un côté du péristyle en reproduisant les statues
honorifiques drapées des citoyens évergètes. Les propriétaires de la Maison des sceaux
choisissent, eux, de commander des bustes qui reprennent la formule héroïsante héritée
d’Alexandre. Les lieux d’exposition sont soigneusement choisis pour instaurer un dialogue entre la
statue et le spectateur en traduisant visuellement le statut du personnage représenté.

Zusammenfassung
Die vorliegende Studie behandelt verschiedene Arten von plastischen Porträts, die auf Delos
gefunden wurden und zwischen 130 und den siebziger Jahren v. Chr. entstanden sind, und
arbeitet dabei verschiedene Elemente einer Semantik der ikonographischen Formeln heraus. Im
öffentlichen Raum der „Agora des Italiens“ bildet Alexander das Vorbild für das Porträt eines
Stifters wie Ofellius, während sich ein römischer Offizier, ohne unmittelbaren Bezug auf eine
Galaterstatue (wie etwa der „verwundete Gallier von Delos“), als gepanzerter Reiter auf einem
Pferd im Schrittgang darstellen ließ. Gegen 100 v. Chr. findet sich die Formel der ruhig stehenden
Panzerstatue sowohl bei der Darstellung eines römischen Offiziers, als auch bei einem General
Mithridates’ VI. wieder, obwohl sich der Aufstellungskontext geändert hat : Billienus stand am
Ende einer Portikus, während für die Generäle des Mithridates eine Kapelle errichtet wurde. Im
privaten Bereich des Hauses von Kleopatra und Dioskurides orientiert sich das Besitzerpaar an
der repräsentativen Mode des öffentlichen Raumes und lässt seine Statuen in der Blickachse des
Eingangs und einer Seite des Peristyls errichten, wobei die gewandeten Ehrenstatuen der
wohltätigen Bürger als Vorbilder dienen. Die Besitzer der Maison des sceaux bestellten ihrerseits
Büsten, welche die heroisierende Formel der von Alexander übernommenen Tradition
weiterführen. Die Aufstellungsorte sind jeweils sorgfältig gewählt und sollen einen Dialog zwischen
der Staue und dem Betrachter herzustellen, indem sie den Status der dargestellten Person visuell
unterstützen.
Réalisme et mode de représentation
dans l’art du portrait hellénistique : le cas de Délos

Résumé.– Cette étude de différents genres de portraits sculptés retrouvés en contexte à Délos, qui datent entre
les années 130 et les années 70 av. J-C., dégage les éléments d’une sémantique des formules iconographiques.
Dans l’espace public de l’Agora des Italiens, le modèle du portrait de l’évergète qu’est Ofellius est Alexandre
et l’officier romain, en cuirasse, se fait représenter par une statue équestre isolée, où le cheval est au pas, sans
rapport immédiat avec une statue de Galate (le « Gaulois blessé de Délos »). Vers 100, la formule de la statue
cuirassée en pied se retrouve aussi bien pour représenter un officier romain qu’un général de Mithridate VI,
même si le contexte de l’exposition change : à l’extrémité d’un portique pour Billienus, dans une chapelle
pour les généraux de Mithridate. Dans l’espace privé de la Maison de Kléopatra et Dioscouridès, le couple
des propriétaires s’inspire des modes de représentation de l’espace public pour faire ériger ses statues dans la
perspective de l’entrée et d’un côté du péristyle en reproduisant les statues honorifiques drapées des citoyens
évergètes. Les propriétaires de la Maison des sceaux choisissent, eux, de commander des bustes qui reprennent
la formule héroïsante héritée d’Alexandre. Les lieux d’exposition sont soigneusement choisis pour instaurer un
dialogue entre la statue et le spectateur en traduisant visuellement le statut du personnage représenté.
Resumee.– Die vorliegende Studie behandelt verschiedene Arten von plastischen Porträts, die auf Delos
gefunden wurden und zwischen 130 und den siebziger Jahren v. Chr. entstanden sind, und arbeitet dabei
verschiedene Elemente einer Semantik der ikonographischen Formeln heraus. Im öffentlichen Raum der
„Agora des Italiens“ bildet Alexander das Vorbild für das Porträt eines Stifters wie Ofellius, während sich ein
römischer Offizier, ohne unmittelbaren Bezug auf eine Galaterstatue (wie etwa der „verwundete Gallier von
Delos“), als gepanzerter Reiter auf einem Pferd im Schrittgang darstellen ließ. Gegen 100 v. Chr. findet sich
die Formel der ruhig stehenden Panzerstatue sowohl bei der Darstellung eines römischen Offiziers, als auch
bei einem General Mithridates’ VI. wieder, obwohl sich der Aufstellungskontext geändert hat: Billienus stand
am Ende einer Portikus, während für die Generäle des Mithridates eine Kapelle errichtet wurde. Im privaten
Bereich des Hauses von Kleopatra und Dioskurides orientiert sich das Besitzerpaar an der repräsentativen
Mode des öffentlichen Raumes und lässt seine Statuen in der Blickachse des Eingangs und einer Seite des
Peristyls errichten, wobei die gewandeten Ehrenstatuen der wohltätigen Bürger als Vorbilder dienen. Die
Besitzer der Maison des sceaux bestellten ihrerseits Büsten, welche die heroisierende Formel der von Alexander
übernommenen Tradition weiterführen. Die Aufstellungsorte sind jeweils sorgfältig gewählt und sollen einen
Dialog zwischen der Staue und dem Betrachter herzustellen, indem sie den Status der dargestellten Person
visuell unterstützen.

La notion de réalisme est employée spontanément pour caractériser des portraits antiques
anonymes dont la ressemblance avec le modèle paraît grande, mais il faut d’emblée souligner que
cette ressemblance est de nos jours invérifiable, les modèles ayant depuis longtemps disparu. Il n’y a
donc rien de plus subjectif que d’appliquer la notion de réalisme en ce sens de fidélité au modèle pour

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caractériser des portraits antiques sculptés1. Mais on parle aussi de réalisme en un sens plus général
pour définir un courant de l’art hellénistique que l’on qualifie volontiers de « réalisme hellénistique ».
La notion même de réalisme a aussi des sens différents suivant l’époque et le contexte culturel où elle
est employée. En Allemagne, le Realismus n’a pas le même sens que le réalisme français2. Les dérivés
du réalisme sont le naturalisme et le vérisme, mais ces notions ont elles aussi des acceptions variées
suivant les genres littéraires ou artistiques et suivant les pays. Le naturalisme évoquera en France les
romans de Zola plutôt qu’un courant des arts plastiques ; le vérisme pourra caractériser des opéras
italiens. Parlera-t-on alors de portraits réalistes, ou naturalistes, ou véristes pour définir un courant
de l’iconographie hellénistique ? Ces appréciations sont éminemment subjectives et elles supposent
qu’un autre courant serait défini comme idéaliste, ou symboliste. Le « réalisme hellénistique » doit
donc, pour le moins, être mis entre guillemets et toujours précisément défini. Il me semble plus
important de cerner le mode de représentation choisi pour représenter une réalité disparue, celle du
personnage portraituré.

Fig. 1 : Maquette de Délos, Musée de Délos. L’Agora des Italiens est située entre le sanctuaire d’Apollon et le lac sacré
(cl. F. Queyrel).

Dans cette perspective, je me limiterai ici à traiter de quelques portraits sculptés conservés à
Délos, en insistant sur des œuvres datables avec une certaine précision. La plastique en bronze a
presque complètement disparu dans l’île sainte ; pour les têtes, elle n’est plus représentée à Délos que
par le portrait découvert dans la Vieille Palestre3. Cet état de la documentation est habituel, mais il

(1) O. Jaeggi, Die antiken Porträts, Antike Repräsentation – Moderne Projektion, Berlin, 2008, p. 27-31 en particulier
(« Das griechische Porträt zwischen ‘ideal’ und ‘realistisch’ »).
(2) Voir J. Le Rider, L’Allemagne au temps du réalisme. De l’espoir au désenchantement (1848-1890), Bibliothèque
Histoire, Paris, 2008.
(3) Athènes, Musée national, MN 14612. F. Queyrel, dans J. Marcadé (dir.), Sculptures déliennes (Sites et monuments
XVII), Paris, 1996, n° 100, p. 220-221, fig.

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faut souligner qu’une étude des bases inscrites qui supportaient des effigies en bronze apporterait
des compléments importants et même une nouvelle vue sur les lieux d’exposition privilégiés.
L’Agora des Italiens, le monument le plus étendu de l’île, une grande place quadrilatère
entourée de portiques située au nord du sanctuaire d’Apollon, qui couvre plus de 5000 m2, a livré
un certain nombre de portraits exposés dans des niches et des exèdres aménagées à partir des années
120 av. J.‑C. sur le pourtour du bâtiment (fig. 1)4. La décoration sculptée n’est pas d’une seule venue,
mais elle s’est enrichie progressivement, entre la construction de l’Agora et son abandon à la suite de
l’incursion des pirates alliés de Mithridate VI, en 69 av. J.-C.

I. Représentation d’un negotiator en nouvel Alexandre

Un premier portrait, dont il reste le corps (la tête, l’avant-bras droit et la jambe droite ont
disparu) présente l’intérêt d’avoir été trouvé in situ, dans une niche du côté ouest (niche n° 18), tout
près de la grande exèdre aménagée sur ce côté de l’Agora (fig. 2)5.
La statue était lors de la découverte encore attachée à sa base par un goujon en fer visible à
l’arrière du pied gauche et cette base porte deux inscriptions : le nom du personnage honoré,
C. Ofellius Ferus, et la signature des sculpteurs, Dionysios et Timarchidès, fils de Polyclès. Nous
sommes en présence d’un cas de figure privilégié, puisque la statue en marbre, même mutilée, a été
trouvée in situ avec sa dédicace et la signature de ses sculpteurs inscrite sur sa base. Cette statue est
de format colossal (H conservée 2,28 m). On remarque que la base, avec ses deux avancées, occupe
toute la largeur de la niche, qui porte sur le seuil les crapaudines et les trous de fixation de volets et
d’une grille de protection (fig. 3). Avant d’en venir à l’étude de la formule iconographique choisie,
nous allons recenser les éléments qui peuvent donner des indices pour dater l’œuvre sculptée.
Le nom du personnage représenté n’est pas très répandu. La famille des Ofellii est originaire de
Campanie et on connaît un Ofellius à Éphèse à l’époque d’Auguste. Le statut du personnage n’est
pas non plus assuré. Était-il forcément de citoyenneté romaine ? il faudrait pour cela que la statue
soit postérieure à 89, date à laquelle les Italiens ont accédé à la citoyenneté romaine. Ce n’est pas le
cas.
J’ai supposé, après d’autres, qu’Ofellius était un negotiator, un homme d’affaires établi à Délos,
qui a fait don du portique ouest de l’Agora, de même que le banquier Philostrate d’Ascalon fit don
du portique nord de la même Agora6. Roland Etienne a cependant fait observer que le choix du
type iconographique étonne pour un simple particulier ; il propose de reconnaître en Ofellius un
magistrat romain qui se serait illustré dans la province d’Asie7. Cependant l’inscription gravée sur
la base ne mentionne pas de titre officiel, ce qui serait attendu en l’occurrence. Reste la mention
de la δικαιοσύνη dans l’inscription : cette qualité n’est pas non plus attachée exclusivement à la
fonction de magistrat romain. Il paraît donc opportun d’étudier le mode de représentation adopté
pour décrypter les codes de représentation mis en œuvre dans la statue : sont-ils compatibles avec

(4) F. Queyrel, « Les modes de représentation dans l’Agora des Italiens », dans C. C. Mattusch, A. A. Donohue, A. Brauer
(éd.), Proceedings of the XVIth International Congress of Classical Archaeology, Boston, August 23-26, 2003, Londres, 2006,
p. 436-439.
(5) Délos, Musée, A 4340. F. Queyrel, « C. Ofellius Ferus », BCH 115, 1991, p. 389-464.
(6) Voir J. Andreau, « Les commerçants, l’élite et la politique romaine à la fin de la République (IIIe- Ir siècles av. J.-C.) »,
dans C. Zaccagnini (éd.), Mercanti e politica nel mondo antico, Saggi di storia antica 21, Rome, 2003, p. 223-225.
(7) R. Étienne, « C. Ofellius Ferus : marchand ou magistrat ? », dans S. Follet (éd.), L’hellénisme d’époque romaine :
nouveaux documents, nouvelles approches (Ir s. a. C.-IIIe s. p. C.), Actes du colloque international à la mémoire de Louis Robert,
Paris, 7-8 juillet 2000 (De l’archéologie à l’histoire), Paris, 2004, p. 215-223, fig. 18-26.

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l’interprétation habituelle, qui voit en Ofellius un negotiator, donateur du portique ouest de l’Agora
des Italiens où sa statue a été érigée ? ou bien soulignent-ils le statut officiel d’un magistrat romain ?
La tête manque. Le corps est en revanche suffisamment bien conservé pour que nous puissions
déterminer précisément le schéma adopté. Seul un grand manteau frangé, orné d’une polychromie
en grande partie disparue, retombe sur l’épaule gauche et s’enroule autour de l’avant-bras gauche ;
sinon Ofellius est nu, retenant dans la main gauche abaissée un objet disparu, l’avant-bras droit
levé.
La main droite disparue avec l’avant-bras droit pouvait faire un geste sans tenir d’objet ou bien
serrer la haste d’une lance. On ne peut retenir l’une des deux interprétations possibles que si l’on
détermine ce que tenait la main gauche.
Il reste la section oblongue de l’objet qui était pressé par la main gauche contre le haut de la
cuisse (fig. 4-5). La forme de l’arrachement permet d’écarter la restitution d’un caducée, qui a connu
une certaine faveur8. Le mouvement des doigts suggère en fait la solution : le pouce, l’auriculaire
et l’annulaire étaient presque fermés sur l’objet, tandis que le majeur et l’index étaient posés sur
lui. Ce mouvement correspond exactement à celui de la statue d’Ulysse dans le groupe d’Ulysse
et de Diomède dont un exemplaire a été retrouvé à Sperlonga9. Ulysse tient par la garde une épée
dans son fourreau ; on restituera sur la statue d’Ofellius le même objet avec la garde sculptée dans
le marbre et le fourreau dissimulé sous le manteau, dont l’extrémité, la bouterolle, était rapportée
sur une face de joint qui subsiste à l’arrière10. L’épée n’était donc pas dégainée, brandie à l’extérieur
dans le prolongement du bras, comme on l’a dernièrement soutenu11 : la tranche effilée de la lame
aurait dans cette hypothèse blessé les doigts, comme on le voit sur un dessin où l’épée est restituée
dans cette position12.
Puisque Ofellius retenait de la main gauche une épée dans son fourreau, on devra restituer
une lance dans la main droite. Ainsi les interprétations qui voyaient dans le geste du bras droit un
geste d’orateur ou même de marchand qui procéderait à l’adjudication d’esclaves se révèlent sans
fondement.
Quelle conséquence tirer de ce mode de représentation où des attributs militaire et même
guerriers sont affichés ? Ofellius porte en effet le grand manteau du général ; il est armé de la lance
et de l’épée. Même si ces attributs sont en fait ceux d’Alexandre, tout serait simple au premier
abord si le personnage représenté était un général ou un proconsul : la nudité serait dans ce cas
destinée à héroïser le personnage et ses armes suffiraient à suggérer sa qualité d’officier supérieur
de la République romaine. Mais cette formule iconographique peut-elle être adoptée par un simple
particulier, même richissime ? Dans ce cas, le mode de représentation choisi ne peut signifier qu’il
occupait un poste de commandement dans l’armée romaine. Il faut expliquer autrement ce choix.
On pourrait voir en première analyse dans cette effigie l’exemple d’une de ces statues que les
Romains disaient achilléennes, d’après un passage célèbre de Pline l’Ancien, comme l’estime Roland
Étienne13 : « C’étaient des effigies en toge que l’on dédiait dans l’ancien temps. On prit goût aussi aux

(8) A. Stewart, Greek Sculpture. An Exploration, New Haven & Londres, 1990, p. 228, pl. 839 ; voir les remarques de
R. Étienne, loc. cit., p. 218, sur les raisons qui ont fait adopter la reconstitution d’un « Hermès-orateur ».
(9) B. Andreae, Odysseus. Mythos und Erinnerung, catalogue d’exposition, Munich, Haus der Kunst, 1 octobre 1999-9
janvier 2000, Munich, 1999, fig. p. 76
(10) F. Queyrel, dans J. Marcadé (dir.), Sculptures déliennes, 1996, n° 85, p. 190-191, fig.
(11) J. Marcadé, « De cape et d’épée, à propos de l’effigie délienne de C. Ofellius Ferus », Ktèma 25, 2000, p. 47-54 ;
R. Étienne, dans S. Follet (éd.), L’hellénisme d’époque romaine, 2004, p. 218.
(12) R. Étienne, loc. cit., fig. 25.
(13) Voir R. Étienne, loc. cit., p. 221-223. Pline l’ancien, Histoire naturelle 34,18 : Togatae effigies antiquitus ita dicabantur.
Placuere et nudae tenentes hastam ab epheborum e gymnasiis exemplaribus, quas Achillas uocant. Graeca res nihil uelare, at
contra Romana ac militaris thoraces addere.

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figures nues tenant une lance sur le modèle de celles qui représentent les éphèbes dans les gymnases :
on les appelle Achilléennes. C’est une coutume grecque que de ne rien voiler, au contraire c’est un
usage romain et militaire de mettre une cuirasse. » Cependant la statue d’Ofellius ne reproduit
pas exactement le type statuaire que Pline laisse entrevoir : elle ne tenait pas seulement la lance,
mais aussi l’épée dans son fourreau et un grand manteau enveloppait son côté gauche ; le sujet
représenté n’est pas non plus un éphèbe. Il ne me paraît donc pas possible de reconnaître dans le
schéma iconographique d’Ofellius une effigie « achilléenne » au sens que donne Pline à cet adjectif
et le rapport établi avec ce passage ne s’impose pas ; Pline rappelle en fait ici l’attitude des Romains
devant la nudité : la verecundia des anciens Romains qui étaient scandalisés, comme le dit Ennius,
par le fait de nudare inter ciues corpora14, leur a fait rejeter la nudité des éphèbes dans les gymnases,
dont la mode a ensuite fait apprécier les statues.
En revanche, grand manteau de commandement, lance et épée sont les attributs des effigies
d’Alexandre le Grand et de ses successeurs : ce schéma iconographique est courant dans l’iconographie
royale hellénistique.
La datation de la statue d’Ofellius peut permettre de voir si un simple particulier pouvait se parer
de ces attributs royaux, qui ne sont pas non plus attendus pour un officier romain.
Les sculpteurs d’Ofellius appartiennent à la famille de Polyclès, une famille d’artistes athéniens qui
a été notamment active à Rome au IIe siècle av. J.-C., comme l’attestent de nombreux témoignages.
La chronologie des sculpteurs d’Ofellius ne fait cependant pas l’objet d’un consensus. Plusieurs
possibilités se présentent pour reconstituer leur arbre généalogique. Christian Habicht a défendu
une reconstitution ancienne, proposée par Kirchner dans sa Prosopographia Attica en 1901, qui me
semble être la plus vraisemblable : les sculpteurs de la statue délienne sont des cousins germains15.
Mais cette reconstitution n’est pas adoptée par tous les spécialistes ; ainsi Giorgos Despinis préfère
une autre possibilité16. Il existe deux sculpteurs Timarchidès fils de deux Polyclès de la même
famille ; en revanche Dionysios fils de Timarchidès est unique ; quel que soit l’arbre généalogique
retenu, il est fils de Timarchidès I. En dehors de la signature délienne, un seul autre témoignage,
de Pline l’ancien (Histoire naturelle 36, 35), pourrait permettre de lui attribuer deux statues divines
à Rome, qui ont été sculptées avec un Polyclès de la même famille : une Junon et un Jupiter dans
les temples de Junon Regina et de Jupiter du portique d’Octavie. F. Coarelli a proposé d’attribuer
aux fils de Timarchidès I, Polyclès et Dionysios, une tête acrolithe qui provient selon lui du temple
de Junon dans le portique d’Octavie, où elle aurait été dédiée vers 146-140, mais il est aussi bien
possible qu’il s’agisse du reste de la statue cultuelle de Junon que Timarchidès I avait sculptée en
179 pour le même temple17. Retenons en tout cas que les auteurs de la statue d’Ofellius sont actifs à
Rome dans les années 140.
L’architecture de l’Agora des Italiens fournit un élément de datation pour la statue. La niche où
était exposée l’effigie d’Ofellius prend appui sur l’exèdre centrale du portique ouest, à un emplacement
privilégié, comme c’est naturel pour honorer l’évergète qui a offert le portique. On peut supposer
à juste titre qu’elle a été commandée et mise en place à l’achèvement de ce portique. Elle est de
peu postérieure à la première phase des travaux, qui comporte un mur plein percé seulement de

(14) Cité par Cicéron, Tusculanes, IV 70. Sur la nudité, voir dernièrement Chr. H. Hallett, The Roman Nude. Heroic
Portrait Statuary 200 BC-AD 300, Oxford, New York, 2005.
(15) Chr. Habicht, « Eine Liste von Hieropoioi aus dem Jahre des Archons Andreas », MDAI(A) 97, 1982, p. 180, 183-
184.
(16) G. Despinis, « Studien zur hellenistischen Plastik I. Zwei Künstlerfamilien aus Athen », MDAI(A) 110, 1995, p. 349-369.
(17) F. Coarelli, « Polycles », StudMisc 15, 1970, p. 84-85, pl. XX 2-4, repris dans F. Coarelli, Revixit ars. Arte e ideologia
a Roma, dai modelli ellenistici alla tradizione repubblicana, Rome, 1996, p. 269, 272-273, 271, fig. 111-113, qui attribue cette
tête aux fils de Timarchidès sans y reconnaître l’effigie cultuelle de Junon Regina.

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cette grande exèdre. Mais de quand date la construction du portique ? Un élément de datation ante
quem est fourni par la construction de la niche au fond de cette exèdre, destinée à abriter la statue
de C. Cluvius, proconsul d’Asie en 103 peut-être, mais cette date est incertaine18. Le portique lui-
même est-il antérieur de quelques années et a-t-il été construit vers 110, comme on l’estime souvent,
depuis les études de J. Hatzfeld en 1912 et de E. Lapalus en 1939 ? Est-il d’une vingtaine d’années
antérieur, construit vers 120, comme je l’avais avancé à la suite de F. Coarelli ? Entre les deux dates
possibles, 110 ou 120, il est difficile de trancher.
Résumons les renseignements qui doivent servir de base à l’étude : la statue représente un Italien
de Campanie, dont on ne sait s’il était citoyen romain ; il s’agit d’un grand évergète représenté dans
la partie du bâtiment dont il a financé la construction et où l’effigie commémore ce bienfait ; les
sculpteurs d’une famille célèbre ont reçu commande de la statue dans les années 120-110.
La dédicace insiste sur le rôle d’évergète d’Ofellius. C’est donc le registre iconographique des
évergètes qui se présente pour le choix du mode de représentation. A-t-on quelque idée de ce type
de représentation ?
Des textes nous permettent de connaître, pour la basse époque hellénistique la diversité des
modes de représentation des évergètes. Ainsi en est-il de Diodoros Pasparos à Pergame, dont les
honneurs sont détaillés dans onze passages d’inscriptions. Celui-ci reçoit à Pergame à la fois statues
de culte et statues honorifiques, dans les années 70 av. J.-C., comme l’a démontré C. P. Jones19.
Héritier des honneurs décernés à des rois, Diodoros se voit décerner à Pergame deux eikones
à cheval, parmi d’autres honneurs : une statue est en bronze doré, sur une colonne, l’autre est en
bronze, sur une base. On peut présenter sous forme d’un tableau les neuf statues que reçut Diodoros,
d’après les textes conservés.

Diodoros Pasparos : tableau des statues


Inscription Date Vote Nature
IGR IV 292, l. 24, 26-27 80-70 cité eikôn 1 “d’or”, sur une colonne de marbre
IGR IV 292, l. 24, 26-27 80-70 cité eikôn 2 “d’or” à cheval, sur une colonne de marbre
eikôn 3 en bronze, colossale, couronnée par le
IGR IV 292, l. 24-25, 27 80-70 cité
Peuple, sur une base en marbre
IGR IV 292, l. 25, 27 80-70 cité eikôn 4 en bronze à cheval, sur une base en marbre
agalma I en marbre, dans le temple du Diodoreion,
IGR IV 292, l. 24-28, 40-41 80-70 cité
dans le quartier de Philétaireia
Alt. Pergamon II 256, l. 6-8 69 cité eikôn 5, localisation inconnue
Alt. Pergamon II 256, l. 6-8 69 cité agalma II, localisation inconnue
agalma II, base trouvée dans la partie Sud-Est du
MDAI(A) 32 (1907), p. 313, n° 36 69 cité
gymnase des néoi
agalma III en marbre, cuirassé, dans une exédra en
IGR IV 293, a, I, l. 41-45 ; II, l. 65 cité
marbre du gymnase des néoi
IGR IV 294, l. 32-33 cité agalma III, localisation inconnue dans ce texte
agalma IV, dans l’exédra du gymnase où est
IGR IV 294, l. 36 après 69 néoi
l’agalma de Philétairos

(18) R. Étienne, Ténos et les Cyclades du milieu du IVe siècle av. J.-C. au milieu du IIIe siècle ap. J.-C., II (BEFAR 263),
Paris, 1990, p. 263, n° 38.
(19) C. P. Jones, « Diodoros Pasparos and the Nikephoria of Pergamon », Chiron 4, 1974, p. 183-205 ; voir aussi Id.,
« Diodoros Pasparos Revisited », Chiron 30, 2000, p. 1-14. Voir F. Queyrel, Les portraits des Attalides. Fonction et représentation
(BEFAR 308), Paris, 2003, p. 39-40.

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réalisme et mode de représentation dans l’art du portrait hellénistique 249

L’eikôn n° 3 en bronze, colossale, figure l’évergète couronné par le Peuple. Un tel groupe n’est
pas unique à la fin de l’époque hellénistique pour honorer un grand évergète. On assiste alors à une
récupération des modèles iconographiques inventés pour les rois au profit de simples particuliers,
de notables qui occupent dans leur cité une place éminente.
Il en va de même dans le cas de la statue d’Ofellius : le mode de représentation choisi me paraît
témoigner de l’importance du modèle iconographique royal, hérité d’Alexandre, pour représenter
un évergète. Les attributs militaires sont à prendre au second degré, pour ainsi dire. Ils ne signifient
pas que le personnage représenté est un officier, mais qu’il a pour modèle un héros guerrier.
Alexandre résume ces qualités : le conquérant macédonien est à la fois le héros et le général par
excellence. Le mode de représentation affiche donc l’intégration d’Ofellius dans le monde des
évergètes qui dominent dans les cités à la fin de l’époque hellénistique. Ce choix s’explique à Délos
par l’appartenance à l’assemblée composite de l’île des hommes d’affaires fixés à Délos durant le
dernier quart du IIe siècle20.

II. Statue équestre sans groupe de victoire

Le second exemple que je vais invoquer dans le même ensemble monumental de l’Agora des
Italiens est destiné à mettre en garde contre une vision a priori de l’iconographie. On a longtemps
cru que l’Agora des Italiens était ornée de groupes où un officier romain à cheval triomphait d’un
ennemi celte tombé à terre.
La reconstitution d’un tel groupe a été proposée pour la statue du Gaulois blessé de Délos, dont
le fragment principal a été découvert, en 1882, dans une niche du côté nord de l’Agora (niche n° 41,
voisine à l’est de l’exèdre) (fig. 6)21. On a cependant, à tort, souvent admis que la niche du Gaulois
blessé était en fait la niche tout juste contiguë (n° 39), parce que le local où avait eu lieu la découverte
(n° 41) ne renferme « aucun vestige d’une base ni de sa fondation22. On peut en fait supposer que
les fouilleurs se sont acharnés à creuser profondément cette petite surface pour tenter de retrouver
d’autres fragments de la statue ; ils auraient ainsi supprimé les restes d’une base, attendue au fond de
cette niche. Le bras gauche a été identifié en 190623 et rajusté au torse après son transfert à Athènes
en 1950 ; la tête a été placée sur le torse par Jean Marcadé en 1973.
La statue du Gaulois blessé était-elle entièrement dorée, comme le Diadumène trouvé dans
la Maison du Diadumène, dont l’épiderme strié avait reçu l’application de feuilles d’or (fig. 7)24 ?
Contrairement à ce qu’on a récemment affirmé25, le Gaulois de Délos n’a pas, me semble-t-il, reçu
l’application de feuilles d’or sur ses chairs nues, qui sont lisses et polies sur la face antérieure : les
parcelles d’or, repérées et photographiées notamment sur des concrétions sur la joue gauche lors

(20) Voir G. Reger, « Aspects of the role of merchants in the political life of the Hellenistic world », dans C. Zaccagnini
(éd.), Mercanti e politica nel mondo antico (Saggi di storia antica 21), Rome, 2003, p. 193-195, qui adopte le point de vue de
P. Roussel, Délos colonie athénienne (BEFAR 111), rééd., Paris, 1987, p. 56-71.
(21) Athènes, Musée National, MN 247. J. Marcadé, F. Queyrel, « Le Gaulois blessé de Délos reconsidéré », Monuments
Piot 82, 2003, p. 5-97.
(22) G. Leroux, « Le guerrier de Délos », BCH 34, 1910, p. 482.
(23) G. Leroux, loc. cit., p. 490-492, fig. 4.
(24) Athènes, Musée national, inv. MN 1826. Ph. Jockey, dans J. Marcadé (éd.), Sculptures déliennes, 1996, n° 31,
p. 82-83, fig. ; B. Bourgeois, Ph. Jockey, « La dorure des marbres grecs. Nouvelle enquête sur la sculpture hellénistique de
Délos », Journal des Savants 2005, p. 253-316, en particulier p. 278 et fig. 12, p. 279 ; Id., « D’or et de marbre : les sculptures
hellénistiques dorées de Délos », BCH 128-129, 2004-2005, p. 332-339.
(25) B. Bourgeois et Ph. Jockey, Journal des Savants 2005, p. 278 et fig. 13, p. 279, et BCH 2004-2005, p. 340-342,
fig. 7-8a‑d ; voir Ph. Bruneau, J. Ducat, Guide de Délos4 (Sites et monuments 4), Athènes, 2005, p. 104, n. 14.

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250 françois queyrel

d’un examen au vidéo-microscope, sont en fait tombées de parties dorées comme le casque avec
son couvre-joue et ses cornes ou d’éléments rapportés éventuellement en bronze doré comme le
fourreau ou le bouclier26. La terre s’est amalgamée à des parcelles d’or tombées de ces parties qui
étaient en marbre ou en métal dorés.
On a souvent supposé que ce guerrier barbare blessé, qui tente de résister, formait un groupe
avec un vainqueur à cheval. Le rapprochement avec une base inscrite, trouvée entre les niches 39 et
41, a paru justifier cette reconstitution, repoussée pourtant dès 1910 par G. Leroux27. Elle porte une
dédicace en grec et en latin, avec la signature des artistes :
--]την οἱ ἐν Ἀλεξανδρείαι
.
--]οι ἀρετῆς καὶ εὐεργησίας
et
- -]um · Alexandrei · Italicei ·|quei fuere
- -]is · beneficique · ergo |
Ἀγασίας Μηνοφίλου|
Ἐφέσιος ἐποίει |
Mommsen a proposé de restituer [Mari]um : dans ce cas, le vainqueur serait le célèbre Marius qui
arrêta, en 102, les Teutons à Aquae Sextiae et, en 101, les Cimbres à Vercellae28. Tout naturellement
on a cru que le barbare galate se replaçait sur cette base, dominé par Marius à cheval, et l’ensemble
du groupe serait l’œuvre du sculpteur Agasias d’Éphèse
Dernier élément avancé par les défenseurs d’un tel groupe de victoire : des fragments de statue
équestre ont été trouvés à proximité, comme le montre la reconstitution que l’on peut faire en
juxtaposant ces fragments sur une image du cavalier de Milo, conservé au musée national d’Athènes
(fig. 8). En voici la liste :
– un fragment (A 5229) qui conserve le genou d’un cavalier, avec le bas de la cuisse gauche, a été
trouvé à proximité du torse du Galate en 1882 ;
– un « fragment de torse drapé » a été trouvé en 1882 dans la niche 3929. J. Marcadé y a reconnu un
fragment de croupe de cheval en partie couverte par un pan du manteau du cavalier et le tapis de
selle (A 5589), photographié six ans après sa découverte sur la base signée d’Agasias ;
– un fragment d’une cuisse postérieure droite de cheval, visible à gauche sur cette photographie de
la base (A 5588), est dessiné dans un carnet de Th. Homolle en 1885 avec l’indication « Cheval du
guerrier ». Une indication manuscrite d’Homolle, peu explicite, peut suggérer que ce fragment
viendrait d’un autre point de l’Agora des Italiens. Il aurait, dans ce cas, été transporté à proximité
de la niche 41, ce qui explique qu’il figure sur la base d’Agasias sur un cliché pris en 1888, à côté
du fragment précédent ;
– un fragment de poitrail de cheval (A 6621), qui se raccorde à un autre, a été trouvé dans le Lac
Sacré en même temps que le bras gauche du Gaulois blessé ;
– je mentionne enfin simplement deux gros fragments raccordés de flanc de cheval (A 5590 a-b) :
l’un des fragments vient de la zone de découverte du Gaulois blessé, l’autre du Lac Sacré, qui
s’étend au nord. De la même zone vient aussi un fragment de poitrail de cheval.

(26) J. Marcadé, F. Queyrel, Monuments Piot 82, 2003, p. 29, fig. 14 ; p. 67-68 et n. 236.
(27) G. Leroux, BCH 34, 1910, p. 480-486.
(28) CIL III Suppl I 7241.
(29) S. Reinach, carnet de fouille.

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réalisme et mode de représentation dans l’art du portrait hellénistique 251

– dernier élément du puzzle : on aurait retrouvé la tête de « Marius », si on lit le carnet du fouilleur
Salomon Reinach, qui mentionne « Dans le voisinage, tête romaine ». F. Coarelli a cru pouvoir
identifier cette tête avec un portrait délien publié par C. Michalowski avec une erreur sur la date
de la découverte (« 1882 »), alors qu’en fait, ce portrait a été trouvé en 1886 près de la statue de
Billienus, à l’extrémité Est du portique d’Antigone30. La tête romaine découverte par S. Reinach
ne peut donc être retrouvée.
Peut-on conclure que les restes de statue équestre associés à la statue du Gaulois blessé viennent
d’une statue équestre qui l’aurait dominé ?
En fait, un tel groupe est impossible à admettre, car les fragments d’effigie équestre appartiennent
à une effigie qui se présentait au pas de parade ; le cheval n’était pas cabré. D’autre part, la base inscrite
au nom de Marius (?), dont la cuvette d’encastrement est très régulière, ne peut recevoir la plinthe
gondolée du Gaulois de Délos. On doit donc admettre qu’une statue équestre, qui passait calmement,
était présentée dans une niche voisine de celle du Gaulois ; les deux statues n’appartenaient pas à un
même groupe. La vision que l’on en avait n’était sans doute pas très éloignée de celle que le visiteur
a maintenant au Musée national archéologique d’Athènes du Gaulois blessé et du cavalier de Milo,
présentés à proximité l’un de l’autre (fig. 9).
Cette conclusion négative est riche d’enseignements pour la représentation d’un général de la
République, qu’il s’agisse de Marius ou d’un de ses contemporains. Vers 100 av. J.-C., le mode de
représentation choisi pour la statue équestre est le plus classique et répandu qui soit : une effigie
calme qui se présente cuirassée sur sa monture31. Et ce n’est pas seulement « Marius » qui était ainsi
représenté. J’ai rassemblé sur la reconstitution des fragments, de même échelle, qui proviennent de
différentes effigies équestres de l’Agora des Italiens (fig. 8) : ils appartiennent tous au même type
calme et témoignent du succès de cette formule iconographique.
Y a-t-il une originalité dans la présentation de ces statues équestres de l’Agora des Italiens ? Les
statues équestres en bronze étaient nombreuses dans l’espace public et elles pouvaient adopter le
même mode de présentation calme ou bien représenter le cheval cabré ; à Délos même, un bas-relief
en marbre32 ou une crétule de la Maison des Sceaux qui figure Dolabella33 en offrent des images
réduites. Je mentionne aussi, parmi de nombreux exemples, la base de la statue équestre du stratège
Épigénès en avant de l’extrémité sud du Portique Sud. En revanche, la présentation d’une statue
équestre en marbre dans un espace fermé est peut-être une innovation, qui se rencontrerait pour la
première fois dans l’Agora des Italiens.

III. Statues cuirassées en pied

Il reste sur l’Agora des Italiens quelques fragments de statues cuirassées en pied. Mais, à Délos,
l’un des exemples les mieux conservés de ce mode de représentation est fourni par la statue de
C. Billienus, préteur pro consule en 107, élevée vers 100 par Midas, fils de Zénon, d’Héraclée, d’après

(30) F. Coarelli, « L’‘Agora des Italiens’ a Delo : il mercato degli schiavi ? », dans F. Coarelli, D. Musti, H. Solin (éd.),
Delo e l’Italia, Opuscula Instituti Romani Finlandiae, 2, 1982, p. 129, n. 43 ; Id., « Su alcuni proconsuli d’Asia tra la fine del II e
gli inizi del I secolo a. C. e sulla politica di Mario in Oriente », dans Epigrafia ed ordine senatorio, I, Rome, 1982, p. 444, n. 52 ;
voir F. Queyrel, Monuments Piot 82, 2003, p. 80, n. 294-296.
(31) J. Bergemann, Römische Reiterstatuen. Ehrendenkmäler im öffentlichen Bereich (Beiträge zur Erschließung
hellenistischer und kaiserzeitlicher Skulptur und Architektur 11), Mayence, 1990, p. 4.
(32) Délos, Musée, A 1955. J. Marcadé, Au musée de Délos. Étude sur la sculpture hellénistique en ronde bosse découverte
dans l’île (BEFAR 215), Paris, 1969, p. 375, n. 4, pl. III.
(33) M.-F. Boussac, « Sceaux déliens », RA, 1988, p. 317, 319, fig. 17 a-b.

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252 françois queyrel

la dédicace inscrite sur la base (fig. 10)34. Le piédestal a été placé dans la perspective de la colonnade,
contre la face interne du mur est du portique d’Antigone, au nord du sanctuaire d’Apollon. La
statue, plus grande que nature, haute de 2,07 m de l’épaule gauche à la base, est la plus ancienne
statue cuirassée identifiée. Elle a été restaurée, sans doute après le sac de Délos par les troupes de
Mithridate en 88, suivi de la damnatio memoriae des effigies de magistrats romains35.
Le dédicant de la statue de Billienus est un riche étranger ami des Romains, Midas, fils de Zénon,
d’Héraclée, qui a offert un banc de marbre dans la loge des Cluvii, à l’Agora des Italiens ; il a aussi,
en 107/6, fait construire une exèdre monumentale dans le sanctuaire de la Déesse syrienne, « pour le
peuple des Athéniens et le peuple des Romains »36.
La statue, exposée aux intempéries, est mal conservée et mal restaurée (le torse cuirassé est trop
en avancée sur la partie des jambes), mais on peut détailler sa cuirasse, de type hellénistique, avec
sa double rangée de lambrequins sous le corselet rigide, et son grand manteau. Le bras gauche était
abaissé le long du corps ; la main pouvait tenir l’épée dans son fourreau, comme on l’a vu pour
Ofellius. Le bras droit était levé et tenait peut-être une lance. À l’arrière du pied droit, le support est
sculpté en forme d’éperon de navire.
La présentation d’une effigie debout à l’extrémité d’un portique trouve un parallèle dans l’Agora
des Italiens, où la niche 25, qui abritait la statue du consul Q. Pompeius Rufus, collègue de Sylla en
88, conserve des restes de son pavement en éclats de marbre dont la disposition ne convient que
pour une statue debout.
Il reste de cette statue, qui était l’œuvre d’Agasias d’Éphèse d’après les restes d’une signature
trouvée à proximité, un bras droit qui tenait la lance (fig. 11)37 et une main gauche qui serre la
garde de l’épée avec un mouvement des doigts analogue à celui de la main gauche d’Ofellius38 : la
garde de l’épée est calée entre le pouce replié et l’index et le majeur, disparus, qui étaient recourbés
de part et d’autre du pommeau ; l’auriculaire et l’annulaire pressent le départ du fourreau, qui se
prolongeait en un élément rapporté, peut-être en métal. Sur la statue de Q. Pompeius Rufus le
fourreau descendait en oblique vers l’arrière ; il n’était pas calé entre l’avant-bras gauche et le côté
comme c’est le cas pour Ofellius.
Le choix de la cuirasse de type hellénistique que porte Billienus témoigne d’une mode qui perdure
dans les Cyclades jusqu’à la période julio-claudienne, comme l’atteste le groupe julio-claudien de
Tinos39 ou la statue découverte dans le sanctuaire d’Iria à Naxos, qui est l’œuvre du même atelier et
ne représente pas Marc-Antoine, mais plutôt un empereur julio-claudien, peut-être Caligula40. Le
modèle se trouve là encore dans l’iconographie d’Alexandre et des rois hellénistiques : Attale III est
ainsi honoré d’une statue cultuelle en cuirasse dans le temple d’Asclépios à Pergame, d’après une
inscription retrouvée près d’Élaia41 : le roi devient synnaos d’Asclépios en étant représenté à côté de
lui en cuirasse, le pied sur des dépouilles enlevées aux ennemis ; cette statue était haute de 5 coudées.

(34) Délos, in situ. F. Queyrel, dans J. Marcadé (éd.), Sculptures déliennes, 1996, n° 88, p. 196-197, fig.
(35) Sur cet épisode, voir F. Queyrel, Monuments Piot 2003, p. 94.
(36) ID 2253 ; voir E. Will, Le Sanctuaire de la Déesse syrienne (EAD 35), Paris, 1985, p. 48-59, en particulier fig. 38-39
et 41 (dessins de l’architrave inscrite ID 2254).
(37) Délos, Musée, A 5210 + sans n°. J. Marcadé, F. Queyrel, Monuments Piot 82, 2003, p. 47-48, fig. 45.
(38) Délos, Musée, A 5242. J. Marcadé, F. Queyrel, loc. cit., p. 47, fig. 43-44 ; R. Étienne, dans S. Follet (éd.), L’hellénisme
d’époque romaine, p. 218, n. 13 ; p. 446, fig. 24.
(39) Tinos, Musée de Chôra. F. Queyrel, « Les sculptures », dans R. Etienne, J.-P. Braun, Ténos, I, Le sanctuaire de
Poséidon et d’Amphitrite (BEFAR 263), Paris, 1986, p. 287-295, pl. 140-150 ; M. Cadario, La corazza di Alessandro, Loricati
di tipo ellenistico dal IV secolo a. C. al II d. C. (Il filarete, Collana di testi e studi = Pubblicazioni della Facoltà di Lettere e
Filosofia 218), Milan, 2004, p. 295-304, pl. XXXVI 1-4.
(40) F. Queyrel, RA 2001, p. 391 ; M. Cadario, op. cit., p. 304-308, pl. XXXVIII 1-6.
(41) OGIS 332. Voir F. Queyrel, Les portraits des Attalides 2003, p. 37-39.

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réalisme et mode de représentation dans l’art du portrait hellénistique 253

Si l’on adopte la coudée attique, on obtient une hauteur de 2,20m pour la statue d’Attale III érigée
dans le temple d’Asclépios (0,444m x 5 = 2,22m), ou 2,60m environ en coudées de Philétairos.
Ces statues debout en cuirasse n’étaient donc pas uniquement exposées à l’abri de portiques,
comme à l’Agora des Italiens ; un autre exemple contemporain est fourni à Délos par les deux statues
cuirassées qui proviennent vraisemblablement du Monument de Mithridate, dédié en 102/1 dans
le Samothrakeion, où elles représentaient des officiers de Mithridate VI42. Quelques détails de la
cuirasse portée par Billienus ne se retrouvent pas sur les statues du Samothrakeion, dont le corselet
est presque rectiligne ; les officiers de Mithridate ne sont pas non plus chaussés des chaussures
romaines, les calcei, mais ils portent des sandales avec des lanières croisées, les krepides grecques.
On constate que la représentation en cuirasse n’est pas spécifiquement romaine dans les années 100,
mais que les officiers romains adoptent la formule en l’adaptant avec quelques modifications.

IV. Passage de l’espace public à l’espace privé

La basse époque hellénistique est marquée par la domination de grands évergètes citoyens. Ce
phénomène, bien étudié par Philippe Gauthier, a une conséquence immédiate dans l’ordre des
valeurs43. On assiste à une privatisation des valeurs publiques, avec l’exposition dans le cadre de la
maison privée de statues qui ornent habituellement l’espace public. Il en va ainsi pour le couple de
Kléopatra et Dioscouridès, dont les portraits étaient présentés dans une niche, sur une base visible
depuis l’entrée de leur maison dans le quartier du Théâtre (fig. 12-13)44. La perspective explique
l’emplacement choisi pour les statues, à un angle du péristyle45. Ce faisant, Kléopatra et Diocouridès
reprennent une « recette » éprouvée, car leurs statues s’inscrivent dans la perspective d’un portique
raccourci, avec les trois colonnes du péristyle, comme on l’a vu, à une autre échelle, pour les effigies
de Billienus et de Q. Pompeius Rufus dans l’Agora des Italiens.
Les deux statues sont datées grâce à la mention dans l’inscription de l’archonte Timarchos,
de l’année 138/7 (ID 1987), qui se rapporte à la consécration de deux trépieds par Dioscouridès :
la dédicace est donc postérieure à cette date et doit remonter aux années 135. Cette année-là,
Dioscouridès dédie deux trépieds d’argent dans le sanctuaire d’Apollon et il achète avec son épouse
Kléopatra la maison voisine de la leur, ce qui leur permet d’aménager un péristyle où sont érigées
leurs statues. La dédicace des trépieds par Dioscouridès a offert l’occasion à son épouse Kléopatra de
lui ériger une statue dans sa maison, à laquelle elle adjoint la sienne. On voit ici comment procède
« l’émulation agonistique » qui permet de comprendre la signification du portrait honorifique à
l’époque hellénistique.
La statue a alors une fonction commémorative ; elle manifeste le souvenir d’un acte d’évergésie
que l’inscription correspondante rappelle avec plus ou moins de détails. On pourrait dire qu’elle
est la manifestation visuelle qui donne tout son crédit au texte inscrit. La statue fait le lien entre le
monde de la cité, bénéficiaire de l’acte d’évergésie, et l’évergète lui-même.
Le deuxième point important dans ce contexte a trait au choix du mode de représentation.
La fonction commémorative de la statue informe aussi le présent, celui du public auquel elle est

(42) Délos, Musée, A 4242 et A 4173. F. Queyrel, dans J. Marcadé (dir.), Sculptures déliennes, 1996, n° 89, p. 198-199,
fig.
(43) Voir Ph. Gauthier, Les cités grecques et leurs bienfaiteurs (IVe-Ier siècle avant J.-C.). Contribution à l’histoire des
institutions (BCH Suppl XII), Paris, 1985.
(44) Délos, Musée, A 7763 et A 7799. F. Queyrel, dans J. Marcadé (dir.), Sculptures déliennes, 1996, n° 94, p. 208-209,
fig.
(45) M. Kreeb, Horos 3, 1985, p. 41-61.

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254 françois queyrel

destinée. La statue prend ainsi valeur de modèle puisque le personnage représenté est à l’origine
d’un bienfait, la fondation d’un gymnase par exemple, dont bénéficient les spectateurs de l’image.
La représentation a donc la même signification que la formule hortative qui, dans les décrets, appelle
l’émulation des générations à venir. On s’attend en général à ce que la formule iconographique
choisie pour représenter l’évergète fasse de lui un modèle.
Transposons cette idéologie dans l’espace de la maison : elle ne peut être efficiente que dans la
partie la plus publique de la maison, le péristyle. Ici, les portraits des propriétaires sont associés à la
construction même du péristyle, comme l’est la statue d’Ofellius dans le portique ouest de l’Agora
des Italiens. L’inscription est le calque d’une dédicace de l’espace public : elle est datée par l’archonte
éponyme et mentionne les bienfaits du personnage honoré.
Ces portraits étaient présentés dans une niche fermée par des volets, comme dans l’Agora des
Italiens. Martin Kreeb s’est demandé si ce mode de présentation n’assimile pas les statues à des
statues cultuelles (agalmata). Il n’en n’est rien : les statues d’Italiens ou de Romains de l’Agora,
abritées dans des niches munies pour certaines de volets, ne faisaient pas l’objet d’un culte.
Le modèle reproduit est en fait celui de l’évergète honoré dans le bâtiment qu’il offre, en général
au peuple. Mais ici l’évergète s’est offert le bâtiment à lui-même et à son épouse en aménageant
sa maison. Aussi, pour entamer le dialogue indispensable dans tout acte d’évergésie, est-ce son
épouse Kléopatra qui dédie la statue de l’évergète et, pour ce faire, elle mentionne une dédicace de
trépied dans le sanctuaire. L’image a donc un double statut : elle renvoie à l’évergésie reconnue dans
l’espace public et la relie à la reconnaissance privée. La représentation de Kléopatra est elle aussi
ambiguë. Dans l’espace public, le bénéficiaire de l’acte d’évergésie peut être le peuple, le dèmos : dans
ce cas, on peut voir la statue du bienfaiteur couronnée par le Dèmos personnifié. Ici un tel groupe
n’est pas représenté, mais la présence de l’épouse à côté de Dioscouridès reprend le modèle des
groupes familiaux : l’auteur de la dédicace, Kléopatra, est représenté à côté du personnage honoré,
Dioscouridès, parce que celui-ci est figuré en tant que propriétaire et époux.
Pour le reste, la formule iconographique retenue est attendue : Kléopatra est vêtue du chiton et
d’un voile diaphane qui enveloppe ses formes. Elle porte des vêtements qui sont ceux de la statue de
la déesse Rome, œuvre des années 110 signée de l’Athénien Ménandros46. Le choix de ce vêtement
indique bien le statut de notable de Kléopatra et son adoption pour la Dea Roma suggère une
assimilation de la déesse avec le modèle le plus prestigieux pour un portrait féminin. Dioscouridès,
lui, porte sur la tunique une chlamyde qui ressemble à la toga exigua, comme l’a noté Jean Marcadé :
« si cette statue avait été découverte en Italie, on n’hésiterait probablement pas à parler d’un togatus
cum tunica »47. Cependant le vêtement de Dioscouridès n’a pas la découpe arrondie en bas qui
caractérise la toge. Il convient plutôt d’expliquer, comme le fait Jean Marcadé, cette ressemblance
avec la toge par le fait que la toge romaine, à ses débuts, était proche du vêtement grec et a été
influencée par lui. Le vêtement que porte Discouridès lui donne, comme pour son épouse Kléopatra,
le statut d’un notable : on en conclura que la différence est alors minime avec l’habillement des
Romains, de même que la Dea Roma porte le même vêtement que Kléopatra ou qu’un officier
comme Billienus n’a pas un armement fondamentalement différent de celui des généraux grecs
contemporains. On pourrait, pour résumer cette communauté de mode de représentation, parler
alors d’une koinè athéno-romaine, où les différences qui distinguent Grecs et Romains sont minimes
dans l’habillement et la présentation.
Pour en rester à des exemples datables, on remarque que les propriétaires peuvent aussi se faire
représenter en bustes : c’est le mode de représentation adopté pour les deux bustes de la Maison

(46) Délos, in situ. Ph. Jockey, dans J. Marcadé (dir.), Sculptures déliennes, 1996, n° 29, p. 78-79, fig.
(47) J. Marcadé, Au musée de Délos, 1969, p. 325.

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réalisme et mode de représentation dans l’art du portrait hellénistique 255

des sceaux, dans le quartier résidentiel de Skardhana (fig. 14-15)48. La datation est donnée par les
circonstances de la trouvaille : la maison a été incendiée en 69, date qui constitue le terminus ante
quem pour l’exécution des deux sculptures. Les bustes étaient exposés à l’étage et, même s’ils sont
très restaurés, ils présentent le choix d’une formule iconographique que nous avons étudiée dans le
cas de la statue d’Ofellius. Le métier de banquier qui est vraisemblablement celui des propriétaires
de la Maison des Sceaux les rapproche d’Ofellius. Ces bustes datent-ils des années 80 ? ou de 70 ?
Ils témoignent en tout cas sous une forme abrégée du succès de la formule héroïsante pour la
représentation de simples particuliers : le buste nu porte seulement une retombée de manteau sur
l’épaule gauche. Le portrait dit réaliste se combine ici avec cette formule que l’on serait tenté de
qualifier d’idéale, comme pour la statue du Pseudo-Athlète qui, retrouvée dans la cour de la Maison
du Diadumène offre, en pied, un choix comparable, mais, dans ce cas, on ne sait où si elle était
destinée à être exposée dans cette grande maison49.
Pour conclure, revenons sur les œuvres assez précisément datées ici examinées. Elles ont été
sculptées dans la période de plus grand développement de Délos, qui est depuis 166 une colonie
athénienne. Ces portraits datent des années 135 à 70. Pendant cette soixantaine d’années, les formules
iconographiques paraissent constantes, toutes destinées à exalter le personnage représenté : à la
manière d’un Alexandre héroïsé (Ofellius, bustes de la Maison des Sceaux) ou avec les attributs du
commandement militaire (statues cuirassées en pied, comme Billienus et les officiers de Mithridate ;
statues cuirassées à cheval, comme le pseudo-Marius de l’Agora des Italiens) ou encore en notables
athéniens proches des Romains (Dioscouridès et Kléopatra). La seule évolution que l’on pourrait
constater, mais peut-être est-elle due au hasard des trouvailles, est l’introduction dans la sphère
des habitations de la formule héroïsante à la mode d’Alexandre qui, dans la Maison des Sceaux, est
choisie de préférence à la formule « civique » attestée dans la Maison de Cléopâtre. On pourrait en
tirer une conséquence : l’héroïsation de l’évergète, acceptée au début de la période dans la sphère
publique, est adoptée pour l’héroïsation du propriétaire dans le cadre privé. En tout cas, l’adoption
de ce mode de représentation par un simple particulier a dû se faire en deux étapes : d’abord par le
biais de la représentation du grand évergète au service d’une communauté, puis par le biais du statut
du propriétaire au service de ses intérêts.

François queyrel*
Directeur d'études
Ecole pratique des Hautes Etudes – Paris

(48) Délos, Musée, A 7258 et A 7259. F. Queyrel, dans J. Marcadé (dir.), Sculptures déliennes, 1996, n° 99, p. 218-219, fig.
Sur la maison, voir la publication de G. Siebert, L’Îlot des Bijoux. L’Îlot des Bronzes. La Maison. des Sceaux, 1. Topographie
et Architecture (EAD 38), Paris, 2001.
(49) Athènes, Musée national, MN 1828. F. Queyrel, dans J. Marcadé (dir.), Sculptures déliennes, 1996, n° 86, p. 192‑193,
fig.
(*) Cette étude a bénéficié du soutien de mon équipe de recherche Histara (EA 4115 de l’EPHE). Le manuscrit a été
achevé au début de l'année 2008 ; la bibliographie parue ensuite n'a pas pu être prise en considération.

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