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Jusqu'à quel point se recoupaient image et réalité dans l'iconographie hellénistique ?

Author(s): Jacques Vincent


Source: Revue Historique, T. 296, Fasc. 1 (599) (JUILLET-SEPTEMBRE 1996), pp. 13-28
Published by: Presses Universitaires de France
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Jusqu'à quel pointse recoupaient
imageet réalité
dans l 'iconographiehellénistique?

A l'heureoù se désagrègel'empiremacédonienet se scellele des-


tin de l'hellénisme,l'expansion continueet irréversible de celui-ci
met alors l'artistegrec en rapportsde plus en plus étroitsavec
nombrede peuples soumispar Alexandrele Grandet lui faitdécou-
vrir,avec un Orientau visageenvoûtantet multiple,« l'intérêtesthé-
tiquede l'étranger» :
Bien faitspour aiguisersa curiosité,« ces dieux nouveaux dont
s'enrichitson panthéon,les souverainsd'Egypteet de Syrie,étaient
d'une espèce particulière : ceux-là,on les voyaitsurterre,on connais-
saitleurstraits,et on devaitles distinguerles uns des autres»*.
Non que, le cas échéant,la nécessitéde les distinguerne pût se
concilieravec la flatterie
artistiquepour rappelerdans l'iconographie
des ancienscompagnonsd'armes d'Alexandrele typelégendairede
ce dernieret suggérerleur ressemblanceavec lui. Par l'inflexiondu
col surl'épaule,l'enfoncement prononcédes yeuxsous l'arcade sour-
cilièrepour les voilerd'une ombre« humide» et par l'agitationde la
chevelure.A l'imitationdes portraits du conquérantde l'Asie.
Mais sur la vie profondedu visage et les variationsimposées à
celui-cipar les mouvements de l'âme autantque surla ressemblance
extérieurecentrerason attentionle grecen activitédans les courshel-
lénistiques.Tant en Egyptequ'au sein de l'Orientsémitiqueet indo-
européen s'affirmera sa maîtrisedans l'art non seulementde serrer
les traitsdes grandsqu'il approcheet de parfaireleur ressemblance

1. GeorgesContenauet VictorChapot,L'Artantique,
Paris,1930,p. 289.

Revuehistorique,
ccxcvi/i

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maisencored'y démêler« les pliscorrespondant aux diversesdisposi-


tionsdu caractèreet de l'humeur», de percerdans le sujetphysique
l'êtreintérieur, de sonderles habitudesmorales.De surprendresous
le voile de la natureles impulsionsdu subconscientet le tumulte
silencieuxdes passionsde l'âme.
A l'inversed'un Alexandredivinisépar sa légende,ses successeurs
défilenten une longue suited'effigiesfaisantrevivreavec un impres-
sionnantreliefleursvisagestéméraires, dominateurs, inquiétants,pas-
sionnésou veules.Rondes-bossesou médailles,elles nous disenten
quelle mesurele destinexceptionnelde ces hommesa marquéleurs
traits,quels stigmates y ont inscritsleur vie aventureuse, les passions,
sanglantesqui déchirèrent
les discordes,les rivalités leursiècle.Toute
la frénésiepugnacequi étreignait l'âme humaineen leur tempsjette
plus d'une fois son refletdans leur iconographie.De cettehumanité
fiévreuse,étrange, fascinante qui s'offraità son œil scrutateur,le
praticienhellénistique nous livrera une imagesanscomplaisance,sou-
ventbrutale,osera même dévoilerparfoisles taresindiscrèteset ter-
ribles2.Rançoninexorabledes conquêtesde l'art.D'un artappréhen-
dantla réalitéhumainesans la farder.
Du portraiten Egypteune véritépresque agressiveprendposses-
sion au troisièmesiècle précédantl'Ere chrétienne.Sous Ptolémêe I
Soter,ancien lieutenant d'Alexandre, l'ancêtre de la dynastieLagide.
Si curieuxpour son typeingratet accidenté,son mentonen galoche
sous le nez osseux et recourbéd'oiseau de proie planté entredeux
yeux globuleuxet inquisiteurs, que surmonteun frontprotubérant
rapetissépar la fuitedu crâne aplati,tel que le restitueun marbrede
la Glyptothèque Ny-Carlsberg Copenhague.Un Ptolémêeà la fron-
de
tièrede la caricature,aux dessousinquiétantset passablementrebu-
tants3.Et que ne ménagentpas davantageses tailleursde coins4.
Le relaie sur le trôned'Alexandrieune descendanceguère plus
flattée.
Ptolémêe que nous montreguettépar l'embonpoint,
II Philadelphe,
sous un éclairagedébonnaireet prosaïque,un bustedu Musée natio-
nal de Naples.Où ne trouvent plus qu'un écho affaiblil'énergieet la
fermetéexigéespar l'exercicedu pouvoiret le métierdes armes5.
Traitédans une optique moinscomplaisanteencore,Ptolémêe III
Evergète, auquel renvoie une tête d'Alexandrie.Efféminé,floride,

2.JeanBabelon,Le portrait dansl'Antiquité d'aprèslesmonnaies, Paris,1943,p. 78 s.


3. KlausFittschen, GriechischePorträts,Darmstadt, 1988,p. 25, 230 et 278,pl. 87, fig.2 et 3.
4. Id., op.àt, p. 107,pl. 86, fig.1 et pl. 87, fig.1.
Beitragezur stilgeschichte
5. E. Pfuhl, monographische Kunst,Jahrb.des Deutsch.
der Hellenistischen
Arch.Institute,
1930, p. 29.

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dansl'iconographie
Imageetréalité hellénistique 15

levantun mentonvelléitaireenvahi par la mauvaisegraissetandis


qu'erre le regardlanguideet absent6.
Puis, lorsque décline la puissance Lagide, des princes qui
« renouentavec les traditionsde l'ancienne Egypteen adoptantdes
emblèmessymbolisant le double caractèrede la royautéptolémaïque,
à la foishelléniqueet indigène»7.Sans qu'emportentla convictionles
désignationsintervenues.Pas plus le nom de Ptolémée IV Philopator8
que celui de PtoléméeVI Philométor9.
En Syrieouvrela fileroyaleSéleucusI Nikator, qui revitdans un
bronzedu Musée de Naples,rendu parfoisà un disciplede Lysippe,
qui s'étaitacquis de la notoriétéen s'adonnantau por-
Aristodémos10,
traitet en partageantavec son maîtrel'honneurd'avoirfaitla statue
de l'ancien capitained'Alexandre.Bien que, du typede ce dernier,
fassentsouvenirla directiongénéralede la tête,légèrementpenchée
sur l'épaule, l'enchâssementprononcé des yeux sous l'arcade sur-
plombanteet l'agencementsur le frontde la cheveluredont les
mèchess'infléchissent en toutsens,la physionomie royalerendun vif
son individuel.Non seulementparce qu'elle accuse les premièresfai-
blessesde l'âge, celui-cila marquantsans ménagementde ses stig-
matesau bas desjoues et du menton.Mais surtoutparce qu'y domine
une extraordinaire expressiond'ardeuret d'audace belliqueuse.Une
expressionconfinantà la cruauté.Sous les sourcilsfroncéspar le pli
de l'irritationle regardinquisiteursemble étinceler,animantd'une
lueurredoutablele masque osseuxet puissamment charpenté,cepen-
dant que le maxillaireproéminentdonne une impressiond'énergie
indomptable.Tous les traitss'unissantpour éveillerla sensationde la
volontésurtenduejusqu'à rompred'un détenteurde puissancequi
n'a pas luttépour sa conquête mais à qui elle a été impartienaturel-
lementpar le destin11.
Tandis que Séleucus réalise le véritabletype de l'homme de
guerrepossédé par une volontéinvincible,s'en éloigne en revanche
l'imageque, de son petit-fils
Antiochus II Théos,
nous proposeun autre
bustedu Musée de Naples. Non que ne rende compted'une descen-
dance certainel'aspect physiquegénéral.En particulierla sailliedu
mentonet la manièredontla têteestplantéesurle cou. Mais du per-

6. E. Pfuhl,op.dt.,p. 33 s.
7. Gustave Blum, Bulletinde correspondance
hellénique,1915, p. 17 s. et 23 s.
8. GiselaM. A. Richter, ThePortraitsoftheGreeks, Londres,1965,tomeIII, p. 264,fig.1829et
1830.
9. AchilleAdriani,Ptolemaios VIPhilometor,
in K. Fittschen, op. at., p. 267 s., pl. 144,fig.1 à 3
et pl. 145,fig.1 et 2.
1U.JacquesVincent,Un artistede cour au tempsd Alexandrele Grand,in Revuehistorique,
Paris,1992,tomeCCLXXXVII/1,n° 581 de janvier-mars, p. 9.
II. K. fittschen, op.at.,p. 2b, lUb,Toi)et 255,pl. 84, tig.3 et 4 et pl. 85, fig.1 et 2.

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sonnage se dégage, en contrasteavec celle laissée par le fondateur


de la puissanceséleucide,l'impressiond'un caractèreplutôtnoncha-
lant,à la volontémoins énergiqueet plus facilementinfluençable,
enclinà se laissersurprendrepar les événementsou les contretemps
de la destinée12.
Dominateurredevientle type individuellorsque le sculpteur
reproduitla figureà' Antiochus III le Grand.Grave,tendue,fiévreuse.
Travailléepar le souci.Où luisentdeux yeuxaigus,investigateurs. Qui
semblentdévisageret fouillerle spectateurcommes'ils cherchaientà
pénétreret lireau fondde l'âme. Eclairantd'une flammeinquiétante
et tourmentéela faceglabreet tiréeoù l'âge dessinedéjà des sillons.
Tandis que sur les fineslèvrescloses se joue un léger traitamer et
sceptique.Tout en portanten lui la marque de la passioncontenue
agitantson âme, le personnagelaisse cependantl'impressiond'une
naturedouée d'un grand empiresur elle-même,d'une volontéopi-
niâtreque n'abat aucun échec,que ne peut entamerni vaincrenulle
forceextérieure.Mais ce qui lui prête un caractèrepar-dessustout
inoubliable,c'est l'expressionde vivecontention,d'intenseconcen-
trationd'espritqui règne dans sa physionomie.Celle d'une indivi-
dualitépuissantechez qui l'extraordinaire tensionde l'énergieet des
forcesintérieuressecrètesest régléepar une intelligencesupérieure
qui contrôle,réprimeet neutraliseleur déchaînement.Tel pourrait
avoirété le grandAntiochus.Un portraitprojetantune imageglaciale
du personnagehistorique13.
Avecun quatrième,Antiochus VIDionysos,les traitss'éclairent.Des
traits
jeunes, en
construits force,mobiles,pleinsde vivacité.Où saille
le maxillaire,large et carré,annonçantune déterminationque ne
rebuteaucun obstacle,l'hommede combatprêtà tenirtêteà la for-
tune contraire.S'ouvrantsous un frontvaste qui se renfledans la
région des sourcils,deux yeux flambantd'animation,au regard
direct,sur lequel paraissentbattreles paupières.Un visageoù passe
un soufflevirilet robuste.Alliantà l'énergie et l'audace la belle
humeuret l'heureuseinsoucianced'une natureremplied'allantjuvé-
nile. Un portraitd'une vigoureusefranchise.Parlantet vrai. Sans
qu'entraînela certitudele nom placé sous lui14.
A son profild'oiseau carnassier,que corrigentla « glorieusejeu-
nesse» rayonnantdes traits,leur typeadouci et comme teintéde
féminité et le regardlangoureux,veloutéet caressantque jette le per-

Oreá,Florence,1941,p. 112,n° 57, pl. XXI.


12. L. Laurenzi,Ritratti
op.cit.,III, p. 270 s.,fig.1878et 1879.
13. G. M. A. Richter,
14.AlanJ.B. Wace,HellenicRoyalPortraits, inJournalofHellenic 1905,XXV,p. 97 s.,
Studies,
pl. IX, fig.I.

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Imageetréalité
dansl'iconographie
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sonnage,se reconnaît,dans un marbredu Musée nationald'Athènes,


Antiochus VIII Grypos,un des derniersSéleucides.Bien que l'interpré-
tationne fassepas l'unanimité15.
Alorsque la sculpturede cour en Syrieinclineà un réalismetem-
péré plus ou moinspar l'influencedu typealexandrin,au niveaudu
portrait vraiet sansfardse haussecellefdu royaumede Pergame.
S'en détachentquelques pièces maîtresses.
D'abord le bustedu fondateurde la dynastiepergaménienne, l'eu-
nuque Philétaire, dont la face épaisse,commune,pétriede rudesseet
d'orgueil,les petitsyeuxscrutateurs, à la flammerienmoinsque ras-
surante,la lippe dédaigneuse,la lourde mâchoireet l'encoluremas-
siveet courteréalisentun typede potentatorientalplus proched'un
herculede foireque d'un chefd'Etat.L'intransigeance et l'obstination
brutalesfaitesroi16.Et qu'aviventsurson numéraireson extraordinaire
grossièreté de traitset leurlaideursanspardon17. Un typeinoubliable.
Aveclequel le réalismes'emparedu portraitpoury régneren maître.
Et puis un guerrieranonyme,donné parfoiscomme AttaleI de
Pergame,à qui sa têteredresséesur le col athlétique,ses traitscreu-
sés, ravagéspar une existenceaventureuse,sa mâchoire carrée et
combative,la ride profondecourantde chaque narineaux commis-
suresdes lèvresminces,le nez à robustecourbure,qu'encadrent,sous
un frontlourd aux reliefstourmentés,deux yeux protégéspar de
fortsbourreletssourciliers, le regardrelevéet chargéde défi,brillant
d'une lueur dangereuse, composent une physionomiepresque
sinistrequi rappelleplus ou moinscelle de ces hors-la-loi américains
dontl'écrana populariséla redoutableimage18.
Ensuite,dans un registre plus adouci,une têtedu Musée Ottoman
pour laquelle fut égalementavancé le nom du premierAttale.Un
Attalenon plus à facede soudardmaistenduet passionné,réfractant
dans ses traitsune ardeur contenue,dans l'œil duquel brûle une
flammefiévreusependantque se plisse dans un mouvementvolon-
tairele bas du visage19.
Et enfin,à Copenhague,jurantavec les précédents,un autreAtta-
lide, troisièmedu nom,AttalePhilometor (?), dont les formesreplètes,
le mentonmatelasséde graisse,la bouche petiteà l'inflexionfémi-
nine et la mineveule et placide parlentde vie facileet agréable,de
confortet de bonne chère20.

15.L. Laurenzi,op.al, p. 131 s., n° 100,pl. XL.


1b.K. Httschen, op.at.,p. 114,2b2 et 278,pl. 127,hg. 4 et 5 et pl. 128,lie. 1 et 2.
17.Id., op.dt.,pl. 127,fig.1 à 3.
18.A.J.B. Wace,op.cit.,p. 89, pl. ix,fig.2.
iy. L. Laurenzi,op.at.,p. izu, n /ó,pl. xxviii.
20. G. M. A. Richter,op.cit.,III, p. 274,fig.1918et 1919.

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Cependant qu'en Orient prévautdans l'iconographiedes Dia-


doques un réalismesansconcession,entrecelui-ciet le couranttradi-
tionnelgrecoscillela productionde l'Occidenthellénistique.
Où çà et là, dans une successiond'anonymestransformés par
l'imaginationartistiquedans le sens héroïque et apollinien,se relè-
ventpourtantquelques typesà la résonanceverace.
Tel celui de Pyrrhus.
Un Pyrrhussous le harnaisde combat,le casque à paragnathides
« ceint d'une couronne de rameaux de chêne, qui est reconnue
comme la parure distinctivespéciale à Pyrrhus », telle qu'elle se
trouvereproduitesurle numéraireémisà Syracusepar le princeépi-
rote.Vrillantle spectateurd'un regardinexorable,de mauvaispré-
sage, un regardque « nuance de souci » le mouvementdes sourcils
« tirésversla racine du nez »21.Dans l'inflexionde la bouche, de la
rigueuret du dédain. Manifestant dans sa personneune duretéréso-
lue, une inflexibilité sans défaillanceet une confianceinébranlable
en lui-même,mais laissantpoindre aussi de l'irritabilité et comme
à
une violencenaturelleprête exploser que et seule refrène une par-
faitedominationde soi. Ainsise présente, dans le busteque conserve
le Musée nationalde Naples,l'ambitieuxcondottierequi se targuait
de sa descendanced'Achille22.
Avantque la romanisation de l'artgrec ne donne au registreico-
nographiqueroyal de nouvelles sonorités,de la variétéexceptionnelle
de celui-ciporterontencore témoignagequelques ouvrages,ano-
nymesou toujoursen discussion,résolumentaxés surla vie.
Le busted'un anonymedu Vaticanauquel la courburede son nez
et le pli imperceptiblement ironique de ses lèvrescloses communi-
quent un accent d'énergie mêlée de bonhomie moqueuse, de har-
diessetempéréepar la finesseet la prudence23.
A Copenhague,un impressionnant typede soudard barbu,pro-
gnathe,lippu et moustachu, au large facièstrouéde deux yeuxoù luit
une flammedure,sombre,résolue,qui s'enfoncentsous un frontbas
et plissé au-dessusduquel pousse « une chevelurecourte,épaisse,
remontante », tandisque surle col « formidablement épais,court,se
redressela facedu dominateur»24.
Et aussi le Demetrios I Soter(?) du Musée des Thermesappuyésur
sa lance à l'imitationde l'Alexandre de Lysippe,gonfléde dédain et de
superbe,le regarddésagréable,la moue mécontente,respiranttoutà

1893, p. 38b s.
et d'histoire,
21. WolfgangHelbig, Mélangesd'archéologie
op.cit.,III, p. 258,fig.1762et 1763.
22. G. M. A. Richter,
23. AntoineHekler,Portraits antiques,Pans, 1913,pl. 124b.
de Danemark,1913, n° 5, pl. 404 s.
24. Frederik Poulsen, Bulletinde l'Académiedes scienceset lettres

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la foisl'ennui, la susceptibilité et une forceénergique et nerveuse


pousséejusqu'à la brutalité25.
Sans oublier le prodigieux Euthydème de Bactrianedu Musée
Torlonia26.
Vieux soldatblanchisous le harnaisque ses gros traitstaillésen
rudesse,sa laideurcommuneet paysannecribléede griffes et de plis-
sures,son nez légèrementincurvéet affaissé,turgescent du bout,ses
lèvressoudées l'une à l'autre, comme ferméessur quelque secret
jalousementgardé,sa mâchoireravaléepar la chutedu tissuadipeux
et flétri,et son regardsoupçonneuxfiltrant entredes paupièresmar-
quées de pattes-d'oie,ses dessous retorset bourrusde vieux forban
débonnaire,font,sous son chapeau rond à largesbords « ressembler
d'avanceà quelque Flamandde Van Eyck»27.Un portraitoù ruisselle
la vie et triomphesans partagele réalismehellénistique.Et dont on
gardela mémoire.
Tandis que la postéritéd'Alexandrele Grand n'est pas ménagée
par un artgrec affranchi par l'observationdirectede se propension
séculaireà l'idéalisation,en revanchedans l'abondante production
de portraits que suscitele regainde faveurdontjouissentles lettresau
seinde la sociétéhellénistiquese relèveune soumissionplus étroiteà
la tradition.
Non pointpar l'idéalisationdu sujetet l'atténuationdes accidents
du type individuel.Plutôt par une tendance à fondre les traits
typiquessociaux et les traitsde nature.En suggérantou faisantres-
sortirdans le portraitd'un homme de lettresla classe sociale à
laquelle il appartient.Dans l'individule type.Son typesocial. Moins
dans les œuvresfaitesd'après natureque dans les imagesrétrospec-
tivesdontpeuple édificeset lieuxpublicsla statuomaniedes citéshel-
lénistiques.Et commetellesissuesd'un jeu de fantaisieartistiqueou
dérivéesde prototypes marquéspar l'influenced'une époque où l'art
grec ne cherchait pas encore à attraperla ressemblance.
A fortiori quand sculpteur« ne possédaitaucun renseignement
le
iconographiquesur celui qu'il lui fallaitreprésenter ». Et qu'il en
étaitalors « réduità créerson modèle ». D'où une productioninva-
riablementdépourvuede « toutevaleurdocumentairehistorique».
Donnant« seulementl'impression, le caractèreet commela synthèse
du portraitde l'écrivainou du poète »28.
Ainside ceux, attestésou non par des inscriptions, d'Hésiode(?)29

25. G. M. A. Richter, oto.cit.,Ill, p. 271 s., fig.1886et 1889.


26. Id., op.cit.,III, p. 278,fig.1970et 1971.
27. CharlesPicard.La scuWture antiaue.Paris.1926.tomeII. d. 306.
28.A. Hekler,op.ät.,p. xxi.
¿.XJ.1U., UJJ.Cit., pl. i.£,L.

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20 JacquesVincent

et de Démocrite (?)30.De Périandre-réservéet pensif81. De Bias- pessi-


-
misteet préoccupé32.De Sophocle spiritualisepar sa légende, puis
buriné par les injuresdu temps33. D'Euripide- chagrin,renfrogné,
boudeur,dépouillé de tout rayonnement spirituel.Sombre et tour-
mentéà l'imagede son œuvre34.
Sans oublierdeux disparusmythiquesdont cultivele souvenirla
ferveurlittéraire athénienne.
Homère, que ses traitsémaciéset son regardéteintrevêtentd'une
noblesseet d'une mélancolietoutascétiques,celle d'un apôtrepour
qui n'existeque la vie intérieure, détournédes agitationsterrestres et
réfugiédans la contemplation et le rêve,transcendépar la plus haute
spiritualité35.
au légendairemasque de silène,à la laideurnaturelleavi-
Socrate,
vée par le vérismehellénistique,que la fantaisiedu sculpteurtrans-
formeen un vieillardirritéet véhément,en proie à l'émoi le plus
intense,commesecoué par une tempêteintérieure,sans rappelerla
bonhomiesourianteaffichéepar le philosophedans les portraits exé-
cutésde son vivant36.
Tandisqu'au visagede son discipleAntisthène le praticienhellénis-
tique se plaît à imprimerun caractère mordant et batailleuret une
en
vivacitécaustique parfaite concordance avec la figurespirituelle
du philosophe aux réparties acerbes et piquantesqu'a loué Xéno-
phor dans Le banquef1 .
Un frontampleet élevéoù rayonnel'intelligence. Sous les sourcils
arqués et remontants deux yeux fendus en amande,des yeuxpleins
d'impertinence, pétillantd'esprit et de bonne humeur,qui se promè-
nentsurle monde avec malice.Une ride ironiquecourantde chaque
narineaux commissures des lèvres.Sous la moustacheune bouche qui
sembleprête à lancer quelque sarcasme.Ajoutantà l'animationde
l'ensemble,une chevelureagitée aux longuesmèchesindisciplinées,
réfractairesau peigne. Un Antisthènedont tous les traitsse conju-
guentpour mettre en lumièrela personnalitéprofondeet, du fonda-
teurde la secteCynique,pour rappelerd'une manièreparlante« les

30.A. Hekler,op.dt.,pl. 94b.


31. Id., op.cit.,p. xvil,pl. 78.
32. E. Pfuhl,Die Anfängeder griechischen in K. Fittschen,
Bildniskunst, op.cit.,p. 230,pl. 55,
fig.1 et 2.
33. K. Fittschen, op.cit.,p. 19,26, 158,166,194,226,245,264 et 265,pl. 36 à 38, fig.1 et 2 et
pl. 136 et 137,fig.1 et 2.
34. Id., op.cit.,p. 166,246,250,263 et 275,pl. 118 et 119,tig.1 et 2.
35. Id., op.dt.,p. 3, 5 et 26, pl. 140,fig.1 et 2.
36.JacquesVincent,Le typehistoriquede Socratedans l'artgrec,in L'information historique,
Paris.1975.fase.3 de mai-iuin, n. 107 s.
37. K. Fittschen, op.dt, p. 23, pl. 132,fig. 1 et 2.

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qualitéset les défauts,une haute intelligenceet une volontééner-


gique,maisausside la grossièreté et un orgueilintraitable
»38.
Deux traitsde caractèreinséparablesde la légendede son disciple
Diogene sansque les réfléchissentles effigies
conservéessous son nom.
Ni un bustedu Musée du Capitoleoù, dans un visagefripé,fané,
vétusté,aux yeux éteints,à demi voilés par les paupièresdécollées,
sous un frontlabouréet dégarnipar les ans, avec des tempesévidées
et sèches,le génie artistiquefaitprévaloirune humanitédouce, paci-
fique,vénérable,un accentd'humilitéet de résignationen contraste
absolu avec la rudesse et la vulgaritéagressivetraditionnellement
associéesà la personnalitédu cynique.Un Diogene assagi illuminé
par le rayonde la vie intérieure.Non pas un sarcastiquecontempteur
des préjugéssociaux39.
Ni un marbrede la VillaAlbanidans lequel le sculpteura misson
artà traduirele renoncementet la résignationphilosophiquesaussi
bien dans l'expressionmélancolique et le mouvementde la tête,
enfoncéeentreles épaules et inclinéesur la poitrine,que dans l'in-
flexiondu dos voûtéet la caractéristique généraledu corpscassé par
l'âge. Suggérantpar là l'idée d'un Diogene écrasépar le poids des ans
autantque par son propredénuement.Et si misérable,si pitoyable,
en mêmetempsque si humble,si effacé,si éloignéde ce qui caracté-
risaitson maîtreAntisthène, un airmordantet une ardeurpassionnée,
que tout de même notre imaginationaime assez à retrouveren lui
« l'hommequi appliqua dans la vie courantela théoried'Antisthène
suivantlaquelle l'absence de toutbesoin est le bien suprême»40.Un
Diogene sansvaleurhistoriquevraie.Mais inoubliable41.
Apparentéespar une étroiteaffinitéde traitsà un petitbusteen
bronzedu Musée de Naples assortid'une inscription42, deux figures
de la GlyptothèqueNy-Carlsberg de Copenhague43et du Musée du
Vatican44 nous restituent-elles,avec les signesdistinctifs
de la classe
sociale du sujet45,les lignes maîtressesd'une statue originale en
bronzeérigéeà la mémoirede Démosthène, plus de quaranteans après
sa disparition,par un artistehellénistique,Polyeucte, en activitéau
débutdu troisièmesiècle avantnotreère ?

38. WolfgangHelbig, Fuehrerdurchdie Antikensammlungen


Roms.
39. A. Hekler,op.ät, pl. 144 s.
40. W.Helbig,op.dt.,n° 796.
41. G. M. A. Richter, op.dt.,II, p. 181 s.,fig.1057.
42.AdolfMichaelis,Die Bildnissedes Demosthenes, in K. Fittschen,
op.cit.,p. 78 s.
43. Paul Hartwig,Zur Statue des Demosthenes,in K. Fittschen,op. cit.,p. 141s., pl. 115,
fig.1 et 2.
44. Id., op.dt.,inK. Fittschen, op.dt.,pl. 114,fig.1.
45.JacquesVincent,Quand les grandesvoixathéniennesinspiraient les artistesgrecs,in Revue
Paris,1992,tomeCCLXXXVIII/2,n° 584 d'octobre-décembre,
historique, p. 281 s.

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22 JacquesVincent

Un physiquesans aura. Un corps maigre,presque frêlesous le


manteauroulé dont un pan retombesans rechercheostentatoire sur
la poitrineà demi nue. Une têtesèche burinéepar les ans. Des traits
assombrispar la souffrance. Un air soucieux et préoccupé répandu
sur eux. Un regardfuyant,maussade et orageux sous les sourcils
hérisséset le frontcreuséde ridessur toutesa largeur.Une bouche
tiréeet, dans certainesreproductionsen buste,presque de travers,
« une bouche grande et maladroitequi explique les obstaclesque
l'orateureut à vaincrepar suitede la malheureuseconstruction de
cet organe»4G.Un Démosthènedonnantl'impressionde se concen-
treravantd'affronter son auditoireet manifestant dans sa personne
non pas l'aisance dégagée et la tranquilleconfianced'un tribunsûr
de son pouvoirsur les foules mais la sourde passion,la nervosité
inquièteet la tensionmaladived'un hommephysiquement et mora-
lementéprouvépar les heures d'une existencede combat toujours
recommencé: avec ses qualités d'intelligenceet de ténacité,mais
aussiavec les défautsde celles-ci,un certainentêtementrageuret un
mécontentement chagrinet grognon,tel se présenterait, au soirde sa
vie,prématurément flétri et «
vieilli, l'homme austère,opiniâtre,inca-
pable de défaillance, le travailleur persévérant,acharné,dédaigneux
des frivolitésde l'existence,le patrioteincorruptible, dévoué,ombra-
geux et étroit» qui fut l'âme de la résistanceathénienne faceau péril
macédonien.L'irréductible ennemide toutepolitiquede compromis,
d'abaissementet d'abandon que perdraientles erreurssignalantle
crépusculed'une carrièrepour laquelle la nature l'avait physique-
mentsi peu préparéavantque ne les sanctionnâtson refusd'y sur-
vivredans la défaite.
Sans nécessairementajouter une connotationhistoriqueà des
œuvresdotéesd'un étatcivilplus ou moinsplausible,la manièredont
est disposé ou se meutle corps représentedans la statuaire-portrait
hellénistiqueun élémentplus d'une foisindicatifdu caractère47.
Ainsidans un marbredu Palais Spada où, par la façond'asseoiret
de courberle corpsen faisantappuyerla têtesurune main dans un
mouvementaussi naturel que familier,l'artisteréussità évoquer
l'imaged'un Aristippe48 abîmé dans la méditationet partagéentreles
penséesles plus contradictoires. Cependantque son scrupuleréaliste
ne nous laisse ignoreraucune des altérationsproduitesdans la phy-
sionomiepar le travaildu cerveauet l'irrésolution. Ni les sillonsqui
barrent le front.Ni le froncement préoccupé des sourcils.Ni la cris-

46. FrederikPoulsen,Revuearchéologique, Paris,1917,tomeII, p. 331 s.


47. A. Hekler,op.dt.,p. xxil.
op.cit.,II, p. 175 s.,fig.1018.
48. G. M. A. Richter,

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pation des joues. Faisantd'un homme en proie à l'incertitudeune


personnification en quelque sortede la perplexitéet de l'indécision
humaines.Et commeune préfigure antiquedu « Penseur» de Rodin.
Ainsiencore dans deux figuresassisesdu Musée du Vaticanfor-
mantcontrastepar leur dispositionrespective.
L'une - anonyme- caractérisant un personnagequ'habite une
forcetranquilleet sûre d'elle-mêmeunie en lui au sentimentde sa
valeur.Par le portdégagé et plein d'aisance autantque par le mouve-
mentnatureldu brasappuyésurl'accoudoirdu siège49.
L'autre,sous le nom du comique Posidippe, renvoyant à un Posi-
dippe affaléet tassé sur lui-même,qui incline et rentredans les
épaules une tête où se peint la consternationchagrine.A un Posi-
dippe sans flammerien moinsqu'enclin à accepterles difficultés de
la vie avec humouret philosophie.Et produisantune impressionde
petitesse« en contradiction absolue avec l'image que nous nous for-
monsdu poète d'après ses œuvres»50.
« L'Artgreca surtoutabordé et traité,sous des formesdiverses,le
problèmephysionomiquequi résultedu contrasteentrela mobilité
de la vie spirituelleet la constancedes qualitésde nature,soit dans
des têtesoù l'humeurmalicieuseet joviale est enveloppéedans un
masque de laideursauvage,ce qui constituele typedu Silène » - le
typesocratique- « soitdans celles- qui ne remontent pas avantla fin
du IVesiècle - dont l'expressionde misanthropiehautaineet de tris-
tessesouverainerévèlela puissancevraimenttragiqued'espritssupé-
rieursbrisésdans les combatsde la vie »51.Et dont le pessimisme
désespéréprendparfoisune résonancepathétique.
On s'arrêteraplus particulièrement devantune impressionnante
têteanonymedu Musée du Capitole,parfoisprésentéesous le nom
du penseur présocratiqueHeraclite(?), qui nous montrecomment
l'arthellénistiquedans le traitement des visageshistoriquescompre-
naitl'expressiondes grandesémotionsde l'âme et pouvait« transfor-
merl'individutoutentieren un caractère». L'homme lève une face
empreintede gravitétragique,celle d'une naturemeurtriepar l'ad-
versitéet le malheurdans les yeuxde qui se lisentune tristesseet une
lassitudeinfinies,tandisque la bouche se contractedans une moue
d'amertume.Alors que ses traitstourmentésmettentdans une
lumièrepoignantele drame intérieurqui l'étreint,le personnage
pourtantgardeun caractèrealtieret dominateur52.

49.A. Hekler,op.cit.,pl. 110b.


50. W.Amelung,Beschreibung derSkulpturen
desVatican,
p. 496.
51.A. Hekler.oto.át. d. xii s.
52. Id.,op.ät.,pl. 34.

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Uni à ce portrait par une parentéprononcéeet baptiséparfois


aussiHeraclite (?), un autrebustede la mêmecollection dégageune
impression de puissance nonmoinsextraordinaire. Maistandisque le
premier nousfaitconnaître une natureviolemment éprouvéemora-
lement,en proieà une douloureusetragédieintérieure, celui-ciau
contraire caractérise un êtreaniméd'une volontéinflexible, fana-
tiqueet impitoyable. Dontle mentonlargeet proéminent dénonce
l'obstination. Qui rouledes yeuxfuribonds où mettent une lueur
cruelleet terrible les sourcils
brutalement tirésversla racinedu nez
par un froncement d'exaspération. Et qui sembleruminer les plus
noirsdesseins.Un hommeapparemment ferméà toutsentiment de
mercietde pardon.Etdontl'expression seraitpresqueférocesil'exa-
gération mêmede sonréalisme ne donnaità penserqu'en la voulant
tellel'artisten'a obéià quelquepenchant naturel versla satire53.
Entretantde créations parlantes inspirées parl'engouement de la
sociétéhellénistique est-il
pourles lettres, toujours possible de distin-
guer celles qui procèdentde l'observation directede celles que
génèrela seuleinventivité rétrospective ?
A tout le moinsy travaillela rechercheiconographique en
s'attachant à pallierleurfréquent anonymat par des recoupements
appropriés.
Nonsanslaissersubsister biendes pointsd'interrogation.
Par exempledevanttel marbrede la VillaAlbani.Où, dans un
beau visagesévèreet méditatif sousun crânedénudé,a parfoisété
recherché le souvenir d'Hippocrate54.
Ou aussi,dansla mêmecollection, devantle bustedità'Aratos.
Auquel son regard lourd de mélancolie,ses orbitescreuses,son
déclinphysique soulignépar mouvement
le de la têterentrant dans
les épauleset parla courbure du dos,surtout le nez grandet osseux
et la longuebarbeboucléeépanduesurla poitrine, confèrent une
de
apparence prophètebiblique tout en éveillant l'idée de quelque
stoïcientoutentiertenduversla poursuite passionnéede la vérité55.
Ou encoredevanttelletêtedu Muséede Naples.Si vivante, si
fouilléeet,avecsesyeuxsombreset soucieuxsousun frontcouturé
de rides,si parfaitement représentative d'un vieuxsavantexclusive-
mentrequisparl'étudeetla méditation. Maisn'ayant d'Archimède que
le nom56.
Un nomencore,celuide Zenon,misautrefois sousune statuedu
Muséedu Capitoleoù éclateavec force le réalisme. Aussibiendansla
53. A. Hekler,op.cit.,pl. 35.
54. Id., op.ät, pl. 96b.
55. G. M. A. Richter, op.cit.,II, p. 239 s.,fig.1655.
56. G. M. A. Richter, op.ät.,II, p. 245.

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présentation extérieuredu personnage,toutede rudesse,dans sa cor-


pulence robuste et trapue,la raideurmarquée de son maintien,sa
mise négligée, que dans la physionomiecommune annonçant la
duretéet l'entêtement.En même tempsqu'un espritobservateuret
en éveilà qui rienn'échappe : sous les sourcilsépais et irréguliers les
petitsyeux fureteurs et goguenards semblent voyagerpartout tandis
que la crinièredrue et hirsuteajoute à l'impressionde grossièreté
générale.Peut-êtrequelque sectateurcynique,si l'on retientle nom
de Ménippemis en avantpar une opinion,manifestant dans sa per-
sonne son appartenancephilosophique57.
De même, dans un hermèsdu Musée du Louvre,un anonyme
dontaccentuel'air rébarbatif une pilositéabondanteen révolte58.
Anonyme aussi mais criante de vérité,une tête en bronze du
Musée d'Athènes,d'une laideurrugueuseet distinguée,avec un front
couvertde ridesqu'ombragentdes mèchesde cheveux,sous lequel,
séparés par un nez mince d'élégante longueur,brillentdeux yeux
dontle poids des ans n'a pas éteintla flammeintellectuelle59.
En revancheont été reconnuesdans des bustesquelques figures
de proue de la philosophieet des lettreshellénistiques.
Théophraste,que son typephysique,visage bien en chair,lèvres
épaisses,mentonramassé,et son regardteintéd'astucepaysannepré-
sententsous un jour insouciantet épanoui sans témoignerde l'intel-
lectualitéet de la vie studieusede l'hommede science60.
Camèade,en qui au contrairerévèlentune pensée toujoursactive
et alerteson ample frontstriéde rides et ses lèvreséloquentesqui
semblentprêtesà s'ouvrirpour converser61.
Zenonde Kition,chargéd'humanitéaustère,âpre,le regardempli
de tristesse,trahissantpar sa maigreuret son expressiontendue et
presquedouloureusel'intensitéde l'effortcérébralet la santédébile.
Mais dévoilantaussi,à côté d'admirablesqualitésmoralesun aspect
moinsnoble de son caractère,une humeuret une susceptibilité cha-
grines.Un Zenon moinsstoïcienpeut-être que ne le veutsa légende62.
Et le grandMénandre dont le typesongeuret la mélancoliesous-
jacente laissenttransparaître l'extrêmevivacitéd'espritsans pourtant
nous satisfairetoutà fait: sous des dehorscontemplatifs et détachés,
ceux que lui prêtentses portraits les plus achevés,est-cebien là l'écri-
vainaux satiresincisives, le cruelironistedontla verveagressivea bro-

57. Id.,op.dt.,II, fie.1074.


58.A. Hekler,op.cit.,p. 103.
59. K. Fittschen, op.cit.,p. 19 et 26, pl. 130,fig.1 et 2.
60. Id., op.dt.,pl. 122,fig.1 et 2 et pl. 123,fig.1 à 3.
61. Id., op.dt.,p. 22, 38 et 193,pl. 135,fig.1 à 3.
62. Id.,op.dt.,p. 25 et 251,pl. 126,fig.1 et 2.

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cardéles travers et les ridiculesde son temps? Au lieu du sarcasmeet


de la dérision,la physionomieréfléchirait plutôtla dualitédu sujet.
Une physionomie où semblentfrémirles ondes d'une profondeinté-
riorité,affleurant dans le regard tout à la fois sensible,lucide et
dépassionné,le regardque pouvaitportersur le monde ce témoin
sans illusionde la déraison des hommesque futle promoteurde
la « Comédie nouvelle» : « Ménandre représentel'éternelle folie
humaine non point par la grimacequi se reflètecomme dans un
miroir,mais par le sourire résigné d'un esprit supérieur»63.Un
Ménandreà facettes.Que fontmiroiterdeux bustesdu Seminario
Patriarcalede Venediget du GettyMuseumde Malibu en particulier.
Pour Avistóteen revanche,tantle buste de Vienne que celui du
Musée Capitolin font revivreavec une merveilleusepuissance le
savantet l'hommed'esprit.Légèrementépaissipar l'âge maisde des-
sin extrêmement fin,un peu tiréavec une ride profondele coupant
des narinesaux commissuresdes lèvres,le visagerayonned'intelli-
gence et de vivacité.Sous les cheveuxdésordonnéssaille,puissantet
large,un fronttoutpalpitantde penséeset d'antagonismes, surplom-
bantdeux yeuxvifspétillantd'espritet de malice,tandisque semble
sur le point de s'ouvrirpour décocher quelque sailliepiquante « la
bouche grande,mobileet moqueuse,ne se taisantapparemmentqu'à
regretet qui futsans doute capable de prononcerles propos mor-
dantsque Platondut essuyer.Une vraiebouche de professeur, alerte,
prêteà la dispute,raisonneuse,la bouche qui convientau maîtrede
la dialectique». Cependantque sous elle « le mentonproéminenttra-
hitl'obstination,et qu'au-dessusde ces traitshumainss'élève majes-
tueusementla puissantecoupole,siègedu cerveauqui semblevouloir
jaillirdu crane tropétroit»64.
Dans le portraitd'Epicure65 resplendissent les plus hautes et les
plus pures qualités intellectuelleset morales. Un visage allongé et
émaciépar la contentionet les mauxdu corps.Des ridesprofondeset
sinueuseschargeantle frontde pensée. Sous les sourcilsonduleuxet
sensiblesdeux yeuxcreuxscrutateurs, brillantd'humanitéet de com-
préhension et animant toutela physionomie d'une flammeintérieure
puissante. Une apparence générale débile unie à une extrêmedis-
tinctionde traits.Un Epicurepour qui rien n'existeque la vie et les
joies austèresde l'esprit.Incarnantvéritablement l'humanitépen-
sante.Et aux antipodesde l'hommeexclusivement attachéaux biens

63. FranzStudniczka, Das BildnisMenanders,in K. Fittschen, op.dt.,p. 185 s., pl. 90 a 105.
64. Id.,Das Bildnisdes Aristoteles, op.at, p. 147 s., pl. 78,tig.1 et 2 et pl. /y,
in K. Fittschen,
fig.1 et 2.
65. A. Hekler,op.cit.,p. 20,tig.11 et pl. 101a.

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fragileset passagersde la terresi longtempsimaginéà traversune


légendeabsurde.Un ascèteet non un « professeur de volupté». Sur-
toutdans une têtedu Musée de Berlinoù jettentleur refletles souf-
francesphysiquesauxquellesétaiten proie le philosophe.« Mais ce
qui donne à ses portraitsleur caractèrele plus marquant,c'est
l'expressionde résignationqui domine dans la physionomie.Elle
concorde parfaitement avec la philosophied'Epicure: pour lui le
bien suprêmen'étaitpas, comme pour son prédécesseurAristippe,
le plaisirpositifdu moment: c'était l'absence de la douleur et de
la passion»66.
De deux épicuriensparticulièrement représentatifs de la doctrine
du maître,Métrodore et Hermarchos, plusieursbustes nous conserventle
souvenirsans toutefois,lorsqu'on les compare à ceux d'Epicure,
éveillerla mêmeimpressionde grandeuret de puissance: « alorsque
les traitsd'Epicure,ceux du maître,sontparticuliers et inoubliables,
les deux disciplesn'ontpas des visagessi caractéristiques qu'on ne les
ait parfoisconfondus.Mais outreles petitesdifférences de traits,les
têtes des deux philosophesdiffèrentpar leur caractère.Celle de
Métrodoreest douce, rêveuse,empreintede calme »67.Tandis que
« celle d'Hermarchos,par la conformation du front,des yeux,de la
bouche, a quelque chose d'irrité,qui s'accorde bien avec les témoi-
gnages.Car la grossièretéde l'homme dans la polémique,l'énergie
de ses expressionsmontraientun tempéramenteffréné»68.Encore
que les yeuxinquietset la mine contriteque lui prêteun marbredu
Vaticansoientplutôtd'un hommequi énumèreavec complaisanceles
motifsqu'il a de se plaindre69.
Les portraitsde Chrysippe inondentd'une vivelumièrela figure
spirituellede l'inflexibleet ardentidéologue qui s'efforçade pro-
mouvoirla réformedes mœursathéniennes.
Non seulementsa statuedu Musée du Louvre,parfoisadjugée au
sculpteurEubulides, connu pour l'avoirportraituré. Où, assis,la main
tendue,les traitstirés,ravinéspar les assautsdu temps,le regardsans
chaleuret sans aménité,le philosophesembleabîmé dans une médi-
tationaustèreet morose.
Mais encore ses nombreuxbustes.Qui fontadmirablementres-
sortir,dans un masque fatiguéoù s'inscrivent les plis durableslente-
mentburinéspar le labeur cérébralet les austérités,l'énergie fon-
cière,la rigiditéde caractère,l'intransigeance,la ténacitédistinctives

66. W.Helbig,op.cit.,n° 295.


67. F. Poulsen, Bulletinde correspondance
hellénique,1924, p. 379 s.
68. Id., ibid.
69. G. M. A. Richter,
op.ät.,II, p. 203 s., fig.1268et 1270.

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d'un stoïcienaux principeset à la vie exemptsde toutefaiblesse.Et


que, dans un marbredu Musée de Florence,aviventle pli coupantle
frontà la racinedu nez, le froncement des sourcilstirésverselle, les
lèvresserréesdans un pli volontairesoulignantde duretéle visageusé
par les ans et le travailincessantde la pensée, des lèvresque devait
rarementvisiterle sourire,celles qui siéentau doctrinaireintraitable
qui luttapassionnémentpour le triomphede l'idéal stoïcienet ne
reculadevantaucune exagérationde celui-ci70.
Et voici, sous le nom fantaisistede Sénèque,un portrait
mémorable71.
Celui d'un poète,reconnaissable, bien que de son identitédébat-
tenttoujoursles savants,à la couronnede lierreceignantla têtedans
une réplique en marbredu bronze originalexposé au Musée de
Naples.Un poète dontles forcessontruinéespar l'âge. De qui le type
émacié,la face mangéede rides,la mine défaite,l'extérieurnégligé,
longscheveuxdépeignés,barbe mal rasée,fontsoupçonnerla condi-
tionchancelanteet le délabrementphysique.Et dontn'a trouvégrâce
devantle ciseau du sculpteuraucune flétrissure. Aucun des stigmates
qu'ont imprimés sur ses traitsles ans, les épreuveset la souffrance.
Aucun des ravagesproduitsdans la physionomiepar la fuitedu
temps,le travaildes passionset les oragesou les déchirements de la
vie. Les griffeslacérantle front.Les poches sous les yeux.Le regard
qui sembleimplorer.La bouche entrouverte et commehaletante.Le
pli douloureux labourant et tirant le visage chaque côté des lèvres.
de
L'apparence générale souffreteuse et malpropre.Un portraitd'une
cruautésans précédentdans la sculpturegrecque.En lequel culmine
l'expressionla plus accompliedu réalismehellénistique.Une figuresi
extraordinaire de véritéhumainequ'elle n'a cessé d'intriguer les éru-
ditsqui se penchèrentsurelle. Au point,en attisantleurcuriosité,de
nourrirle flotdes hypothèsesaussibrillantesqu'éphémèresqu'au fil
du temps firentdéferlersur elle ceux de ses commentateursqui
s'évertuèrent à en violerl'anonymat.Sans autrerésultatpour ce mys-
térieuxchef-d'œuvre d'observationdirecteque la perpétuationpar
habituded'un étatcivil« romain» de fantaisieauquel ne paraîtpas
avoirété découvertà ce jour un substitut plus convaincant.

JacquesVincent.

70. K. Fittschen, op.cit.,p. 26 et 159,pl. 134,fig.1 à 3.


71. Id., op.cit.,p. 7, 25, 26 et 113,pl. 138,fig.1 et pl. 139,fig.1 et 2.

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