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L'Antiquité Classique

ENTRE HERMÈS ET ZOROASTRE: OBSERVATIONS SUR LA DATATION TRADITIONNELLE DU


LAPIDAIRE ORPHIQUE
Author(s): Jacques Schamp
Source: L'Antiquité Classique, T. 50, Fasc. 1/2 (1981), pp. 721-732
Published by: L'Antiquité Classique
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/41651920
Accessed: 29-11-2020 15:28 UTC

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ENTRE HERMÈS ET ZOROASTRE
OBSERVATIONS SUR LA DATATION TRADITIONNELLE
DU LAPIDAIRE ORPHIQUE

À la mémoire de René Henry

Déterminer l'époque où a été écrite une œuvre anonyme est toujours


une entreprise singulièrement délicate. Le long poème didactique Sur
les pierres attribué, depuis Tzetzès au moins, à l'Orphée de la légende 1
n'échappe pas à la règle. Toutes les tentatives de datation reposent sur
quatre vers, dont voici la traduction 2 :

Il deviendra d'emblée aux yeux de tous désagréable et odieux cet homme


pour lequel les peuples forgeront le nom de «mage». On le verra dès lors,
gisant dans la poussière, tête tranchée au glaive - quelle mort déplo-
rable! - le héros divin allongé sur le sol.

C'est au grand philologue Tyrwhitt 3 que remonte l'idée ingénieuse


d'utiliser ce passage à des fins chronologiques. On ne peut mieux faire
ici que de donner la substance de son argumentation : «Dès lors, me
semble-t-il, il est très vraisemblable que notre auteur vécut à l'époque
où la magie était punie de décapitation, comme un crime capital. Je ne

1 Pour des raisons que je ne peux développer ici, Tzetzès est le premier à
mentionner sous ce nom le poème qu'il cite d'abondance : voir, par exemple, pour les
w. 1-3 =Scholies à Lycophron, 219 Scheer ; 366-387 = Scholies à l'Exégèse de
l ' Iliade , pp. 1 47- 1 48 Hermann. Pour une liste complète, on se référera à 1 edition que je
prépare, sous la direction de M. R. Halleux, pour la Collection des Universités de
France.
2 Lithica , 71-74 :
^ - • ó S' àpyaXèoç xai ànexOfiç aùrixa nàecv,
d) X£V ETZLJVVßiriV XcLOÍ TEÚ^CJOL fiáyOLO.
Kai p' ó ßtv èv xovíyoiv ún' ãopc xparòç à^epOeiç
XeuyaXéíiJ davárco 8loç (ptjç èxrer ávucTai.
3 Tyrwhitt, flepí XíOojv. De lapidibus ..., Londres, 1781, reproduit dans G. Her-
mann, Orphica ..., Leipzig, 1805, p. lvi.

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trouve pas que ce crime ait été


Constance. C'est alors en effet,
c'est-à-dire en l'an 357 de Constance, que parut l'édit Sur la
décapitation des mages. Mais, sous le nom de 'magie', on condamnait
l'haruspicine, les vaticinations et tous les arts appelés mathématiques
[se. l'astrologie], mais aussi cette théurgie mystique que mirent en
œuvre, principalement dans la pratique du culte, les philosophes qui se
plongèrent à partir de Plotin dans cette lie de la sagesse platonicienne.»
Ces lignes requièrent quelques précisions.
Il est vrai que la loi du 25 janvier 357, promulguée sous le règne de
Constance II 4, prescrivait le supplice capital à rencontre «des
Chaldéens, mages et autres que le peuple appelle malfaiteurs , en raison
de leurs crimes». Comme on le voit, la teneur du texte ne trahit pas la
volonté d'exercer une répression inspirée par l'intolérance des chrétiens
à l'égard des païens de tous bords. Depuis longtemps d'ailleurs, les
historiens ont montré que la passion religieuse ne fut pour rien dans les
mesures atroces qui ensanglantèrent les débuts du règne de Valens 5.
Pourtant, les arguments de Tyrwhitt ont été fréquemment repris par
la suite. Hopfner voit dans les vers que j'ai cités une allusion à
l'exécution du philosophe néo-platonicien Maxime d'Éphèse en ...
364 6, Wirbelauer, à celle d'Hilarios en ... 357 7 .
Durant l'hiver 371-372, les membres d'un conventicule d'Antioche
s'étaient réunis autour d'un trépied à qui ils avaient demandé les secrets
de l'avenir. L'ustensile avait rendu dans l'ordre les lettres &EO , soit les
initiales du consultant Théodore, un secrétaire de l'empereur Valens.
La coïncidence des signes fut interprétée comme un présage annonçant
le destin du jeune fonctionnaire, auquel on prêta l'ambition de
supplanter le chef de l'État, et elle lui coûta la vie 8. Dans la répression
qui suivit, maints philosophes furent exécutés, parmi lesquels le néo-

4 Codex Theodosianus , I, 9, 16, 4 Mommsen.


5 A. PiGANiOL, L 'empire chrétien , Paris, 1947, pp. 160-161 ; E. Stein, Histoire du
Bas-Empire , I [s.l. (Bruges), 1959], pp. 176-177.
6 Th. Hopfner, art. Aidixà, dans R . -E. , XIII, 1 (1926), col. 766, 1. 10 ; W. WielLDč
lithicorum carmine , Cologne, 1868 {Programm der Rheinischen Ritter- Akademie zu
Bedburg ), pp. 3-4] sen tient aux arguments de Tyrwhitt.
7 K. W. Wirbelauer, Antike Lapidarien , diss. Berlin, Würzburg, 1937, p. 7, n. 1.
8 Telle est la substance du récit de Zosime, Histoire nouvelle , IV, 13, 3-4. La
tradition n'est pas unanime sur le type de divination utilisé : voir aussi Ammien
Marcellin, XXIX, 1, 29-32. D'après Zonaras, XIII, 13, t. Ill, p. 223, 1. 32 - p. 224,
1. 1 6 Dindorf, il s'agirait d'alectoromancie.

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ENTRE HERMÈS ET ZOROASTRE 723

platonicien Maxime, ancien précepteur et favori de Julien l'Ap


Hilarios de Phrygie, Simonide, Patrice de Lydie et Andron
Carie. Toutefois, on se gardera ďoublier qu'au moment où
connaissance des menées de ces intellectuels subversifs, le pouv
remettait à peine des convulsions entraînées par la révolte
lusurpateur Procope, matée définitivement le 1er août 366 10. O
l'époque, certains des amis de Julien qui avaient dû au m
sympathiser mentalement avec la sécession, avaient subi les fou
impériales. Ainsi, Maxime avait connu la question et dû pay
lourde amende 11 ; le grand rhéteur Libanios lui-même av
inquiété à plusieurs reprises 12 . En fait, ces mesures cruelles ne
nullement à écraser les adeptes de l'ancienne religion en tant que
mais à briser dans l'œuf toute tentative de pronunciamiento.
Toutefois, même si l'on peut passer à Tyrwhitt, Hopfner, Wir
et autres spécialistes cette erreur dans l'interprétation des faits
faut de beaucoup que les suggestions du premier soient vr
convaincantes. À cet égard, on a eu tort de considérer s
sonnements comme décisifs. Ainsi, dans un article par ailleurs fo
ressant, A. Herzog affirme que les vers incriminés des Lithica
tituent «ein fast wörtliches Zitat des vom Augustus Constantiu
gleich im Namen des Caesar Julianus erlassenen Gesetzes v
Januar 357» 13. C'était là outrepasser nettement la pensée de Ty

9 Zosime, IV, 15, 1. Maxime avait été convoqué à Antioche pour les be
l'enquête, puis ramené dans sa ville ďÉphése, où il fut exécuté. Voir Eunape
sophistes , VII, 6, 3-7 et Fr. Paschoud, dans son édition de Zosime, II, 2 [P
(C.U.F.)l p. 361 (n. 132 à IV, 15, 3). Je ne vois pas comment A. Piganiol (o./.
pu conclure que Maxime avait subi la strangulation : Eunape, Histoire
Müller = Souda, 0 279, s.v. Qfjoroç et Ammien, XXIX, 1, 42, parlent tous
décapitation.
10 Sur cette rébellion, voir A. Piganiol, o.l., p. ISS et fc. ^tein, o.l., pp. i />i /0.
11 A. Piganiol, /./. ; Fr. Paschoud, o.l., p. 333 (n. 108 à IV, 2, 1); ce fut au
proconsul Cléarque qu'il dut sa réhabilitation.
12 Libanios, 1 {Autobiographie ), 158-162 : par ce même Festus, qui finit par obtenir
plus tard la tête de Maxime (voir Eunape, fr. 39 cité supra , n. 9). H. Funke 'Majestäts-
und Magieprozesse bei Ammianus Marcellus , dans Jahrbuch für Antike und
Christentum , 10 (1967), pp. 169-170] ne trouve pour cette vague de procès que des
motifs juridiques et politiques. Pour avoir une idée de l'esprit du temps, on lire P. Petit
dans l'édition par P.P. et J. Martin de Libanios, Autobiographie, Paris, 1979 ( CUF. ),
pp. XII- XIII.
13 R. Herzog, Zwei griechische Gedichte des 4. Jahrhunderts aus St. Maximin in
Trier , dans Trierer Zeitschrift, 12 (1937), p. 126.

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qui a multiplié lui-même les ex


dicam demonstrato) scriptorem
amplement justifiées, comme
l'intelligence du vieux savant b
En effet, si Ion veut tirer par
gique, il faut montrer au préal
sens que dans la loi de 357 et qu
ces personnes ne se sont produi
deux points qui vont nous occu
Le premier ne nous retiendr
vocable magus revêtit, depuis T
de «mauvais magicien» 15 . Déjà
Nigidius Figulus, un partisan bi
néo-pythagorisme, fut condam
même qu'un de ses coréligion
a.C. 17 . D'ailleurs, les légistes ro
mêmes chefs d'accusation adepte
de la magie 18. Telle est bien en
des Lithica : ce nom de «mage» est une imputation calomnieuse. Le
poète joue sur le sens péjoratif que les autorités donnaient à ce vocable.
On sait que l'Empire connut une prodigieuse diffusion de littérature
attribuée aux mages, Hystaspe, Ostanès, Zoroastre et Damigéron 19 . Le
succès de cette littérature occultiste, où s'exprimait souvent la résistance
intellectuelle des nationalismes opprimés20, inquiéta le pouvoir, au
point qu'il interdit sous peine de mort la lecture de beaucoup de ces
écrits. C'est ce qui arriva, par exemple, aux Oracles ď Hystaspe 21 . Or,

14 Tyrwhitt, o./., p. LVI.


15 Th. Mommsen, Le droit pénal romain , trad. J. Duquesne, II (Paris, 1907), p. 357.
16 Sur l'activité politique de Figulus, voir Adriana della Casa, Nigidio Figulo ,
Rome, 1962, pp. 22-36.
17 S. Jérôme, Chronique , respectivement 01. 183, 4 et 188, 3. Voir H. Janne,
Magiciens et religions nouvelles dans l'ordre romain , dans Latomus , 1 (1937), p. 44.
18 H. Janne, o./., p. 45.
19 A.-J. Festugière, La révélation d'Hermès Trismégiste , I: L'astrologie et les
sciences occultes , 2e éd., Paris, 1950, p. 42.
20 A ce propos, on lira le beau livre de S. K. Eddy, The King is dead. Studies on the
Near Eastern Resistance to Hellenism 334-31 B.C., Lincoln, University of Nebraska
Press, 1961.
21 Justin, Apologie , I, 20, p. 62 et 44, p. 124 Otto. Les fragments sont publiés dans
J. Bi dez - Fr. Cumont, Les mages hellénisés , II (Paris, 1937), pp. 361-376.

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ENTRE HERMÈS ET ZOROASTRE

précisément, le ps. -Orphée relève de ce genre de littérature : plusieurs


des pierres dont il révèle les propriétés lui sont connues grâce à des
mages assyriens22. En tant que promoteur d'une religion nouvelle,
celle d'Hermès, dont il revendique le patronage, quelles que soient les
réalités qui se cachent sous ce théonyme23, il avait toute raison de
craindre la réaction des autorités. On ne voit donc aucune raison
impérative d'identifier ce mage avec le philosophe Maxime, ni Hilarios
de Phrygie ni aucun personnage de la fin du ive siècle de notre ère.
À vrai dire, les accrochages entre praticiens de l'occultisme et
pouvoirs publics remontent fort haut dans le temps. Dans sa cité
imaginaire, Platon préconisait déjà l'incarcération pour ceux qui
tenteraient d'ensorceler les dieux 24 . En l'espèce, c'était bien de magie
que traitait le philosophe25. Selon L. Moulinier, de telles mesures
mettaient surtout en cause les sectateurs d'Orphée 26. Toutefois, bien
que l'on puisse citer plusieurs cas de mise à mort de sorciers 27 , le droit
grec ignorait la Sixr] ¡nayeíag. La documentation que nous offre Rome
est plus riche et plus explicite. Sous l'Empire à coup sûr, mais déjà sans
doute sous la République, on assimilait aux empoisonneurs et punissait
de ce chef ceux qui se livraient à la magie ou aux pratiques d'enchante-
ment28. Reste à savoir sous quelles formes ont été administrés les

22 Lithica , 693-697 (la pierre liparée ), sans compter sans doute la neuride (748), la
prase verte (757) et la pierre de grêle (758). J ai consacré à cette question un article :
Apollon prophète par la pierre , paru dans RBPhH , 59 (1981), pp. 29-49.
23 Lithica , 54-60. Une fois qu'il fut devenu grand pontife à la mort de Lèpide,
Auguste fit aussitôt brûler tous les livres de prophétie grecs et latins, hormis les Livres
sibyllins (Suétone, Auguste, 31, 1).
24 Platon, Lois , X, 909b-c.
25 Pour une définition de la magie, par opposition a la theurgie, on lira P. Hadot,
Bilan et perspectives , dans H. Lewy, Chaldean Oracles and Theurgy , 2e éd., Paris,
1 978, p. 7 1 9. Voir aussi M. Dalsgaard Larsen, dans Entretiens de la Fondation Hardt ,
21 (De Jamblique à Proclos ), Vandœuvres-Genève, 1974, p. 99.
26 L. Moulinier, Orphée et l'orphisme à lepoque classique , Paris, 1955, pp. 70-72.
27 S. Eitrem, La magie comme motif littéraire , dans Symbolae Osloenses , 2 M 1 94 1 ),
p. 56.
28 Ce fut le cas, par exemple, de la devineresse Ninos : Démosthène, 19 C Sur
l'Ambassade ), 28 1 et la scholie ad /. ; 39 ( Contre Boeotos ), 2 ; 40 ( Contre Boeoetos II), 9.
Theôris de Lemnos avait subi la peine de mort au titre d'empoisonneuse : 25 ( Contre
Aristogiton ), 79-80. Les pratiques comportaient en outre, semble-t-il, des incantations,
des sortilèges et de prétendus remèdes contre l'épilepsie. L'orateur avait intenté le
procès en son propre nom (Plutarque, Démosthène , 14, 6). D'après Harpocration, s.v.
Qeojpiç, qui tient le renseignement de Philochore, elle aurait été exécutée pour
«impiété». Voir la note de R. Flacelière dans son édition de Plutarque, Vies , XII,
Démosthène -Cicéron, Paris, 1976 ( C.U.F. ), p. 137 (n. à 14, 6).

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châtiments aux diverses époque


plus reculés, les peines attestée
liberté, voire, dans les cas de r
cependant prétendre que l'on ne
la fin du ive siècle de notre ère. Sous Tibère, des sénatus-consultes
prescrivirent l'expulsion d'Italie des astrologues et des mages 30 . On prit
des mesures plus sévères à l'égard de deux d'entre eux : l'un, L.
Pituanius, fut précipité du haut de la roche Tarpéienne, l'autre, P.
Marcius, conduit à l'extérieur par la porte Esquiline, fut exécuté avec
solennité «à la manière antique» ".Ce second cas prête à hésitations :
selon Émilienne Massonneau, P. Marcius aurait été crucifié, puis
flagellé, mais elle écrit ailleurs que le more prisco du passage pourrait
désigner le supplice par la hache ou le crucifiement 32 . Plus tard, une
disposition de Julius Paulus, jurisconsulte sous Caracalla, est plus
formelle : la déportation ou la décapitation punissait les coupables selon
leur rang 33 .
Enfin, un dernier argument ex silentio ne manque pas de poids dans
un cas de l'espèce : si le mage du v. 72 des Lithica était Maxime
d'Éphèse ou un des philosophes impliqués dans la même affaire, on
s'explique mal le mutisme du texte sur les théories du néo-platonisme
mystique ou les pratiques thaumaturgiques où excellait le maître de
Julien 34 .

29 Th. Mommsen, O.I., III (Paris, 1907), p. 192.


30 Th. Mommsen, o./., p. 193, où l'on trouvera les références aux textes anciens.
31 Tacite, Annales, II, 23, 4.
32 Émilienne Massonneau, Le crime de magie et le droit romain , Paris, 1933,
respectivement pp. 173-176 et 76.
33 J. Paulus, V, 21, 2 Mommsen : «ceux qui introduisent des sectes nouvelles ou,
sciemment, des pratiques religieuses inconnues, d'où résulteraient des troubles pour
l'esprit des hommes, seront déportés, s'ils sont notables, punis de décapitation, s'il sont
simples citoyens.» D'après Émilienne Massonneau, o./., p. 192, cet arrêt avait été
rendu public probablement entre 1 'oratio de 206 et la mort de Caracalla en 217. Sur la
distinction entre honestiores et humiliores , on lira, par exemple, Eug. Albertini,
L Empire romain , 4e éd., Paris, 1970, p. 222. On trouvera dans Ém. Massonneau, o.I.,
pp. 194-195 et Th. Mommsen, o.I., II, p. 361, d'autres textes et références. À l'époque
des Antonins, un texte d'ULPiEN, Coll., XV, II, 1, § 3, cité par Ém. Massonneau, o.I.,
p. 187, n. 7, stipulait déjà : Nam qui de principiis salute (sc. consultant), capite puniti
sunt vel qua alia poena graviore adfecti sunt.
34 C'est précisément Th. Hopfner, o.I., col. 766, qui souligne 1 absence dans le
poème de toute notation fleurant peu ou prou le néo-platonisme, mais sans
s'apercevoir des difficultés qu'elle soulève pour sa thèse. Sur l'action de Maxime, on
lira J. Bidez, La vie de l'empereur Julien, Paris, 1930, pp. 71-72 et 79-81.

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ENTRE HERMÈS ET ZOROASTRE 727

En se fondant sur le même passage, le hollandais Ruhnk


pouvoir situer le poème au temps de Domitien 35 . Sous le
empereur, les philosophes poursuivis avaient été les u
d'Italie, les autres mis à mort 36 . À quoi il ajoutait un argu
moins spécieux : on ne peut aisément croire qu'un poèm
aussi saine ait été rédigé à l'époque de Valens et de Valenti
Qu'à la suite de Tyrwhitt, on le situe au Bas-Empire ou, avec
Ruhnken, sous le Néron chauve, on commet la même erreur de
méthode qui consiste à isoler quatre vers d'un contexte mal compris.
J'avoue n'être pas encore en mesure de déterminer autrement que par
une série d'approximations quand furent composés les Lithica. Je
voudrais seulement montrer que, pour dater ce texte, on ne peut utiliser
les w. 71-74.

Il suffira de relire attentivement le contexte où ils s'insèrent. Le poète


vient de montrer au lecteur la prodigieuse richesse de la caverne
d'Hermès 38 :

à faire aux hommes cette annonce, cest le dieu sauveur des peuples, le
meurtrier ď Argos qui ma incité et, sur son ordre, du fond de mon âme,
je fais vibrer un chant aussi doux que le miel. Mais les humains n'ont ni
le souci ni lenvie de se montrer sages : bien pis, ils sempressent de te
priver des honneurs, ô science vénérable 39 .

Puis, il décrit les conséquences funestes de cette impiété :


1 . À la vertu, mère des dieux, ils ne prêtent qu'une oreille distraite et,
tournant les talons, ils senfuient devant elle ; quant au travail salutaire,
le travail, ce garant du salut dans la vie, ils en ont grande horreur.
2. Le bonheur tout puissant ne vient plus visiter leur demeure ;
personne ne sait plus avec les dieux avoir aucun commerce.

35 Ruhken, Censura poematis orphici ..., dans Opuscula , II, 2e éd., Leyde, 1823,
D. 644 (compte rendu de l'édition de Tyrwhitt).
36 Dion Cassius, LXVII, 13, 1-3.
37 Ruhken, /./. ; ces réflexions sont reproduites par G. Bernhardy, Grundrisse der
griechischen Litteratur , 3e éd., II, 1 (Halle, 1877), pp. 421-423.
38 Lithica , 22-53. Cet inventaire constitue d'ailleurs une sorte de table des matières
relevant les propriétés étudiées aux w. 172-761. Ce qui suit est la traduction des
w. 58-81.
39 Je lis le v. 62 sous la forme : ïpepoç, altpa 8é, n peoßa, SarifjLoaúvrj, <a'> àiiouoiv,
qu'ABEL a récrit, de façon nettement moins conservatrice : ïpepoç, afya 8è nptaßa, a'
àkLTpoaùvaLç áriouoLv.

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728 J. SCHAMP

3. De leurs villes et champs, ils o


excellente en infligeant un outrag
4. Cest bel et bien la perte du tr
jadis.
5. Il deviendra d'emblée aux yeux de tous désagréable et odieux cet
homme pour lequel les peuples forgeront le nom de «mage». On le verra
dès lors gisant dans la poussière, tête tranchée au glaive - quelle mort
déplorable! - ce héros divin, allongé sur le sol.
6. Quant aux hommes, pareils à des fauves pour l'ignorance et
l'inculture, ils ne pourront, sans l'appoint de l'intelligence d'un dieu,
compter sur un prodige secourable pour échapper au mal meurtrier des
mortels, ni gagner la connaissance d'un œuvre merveilleuse capable
d'exciter une admiration singulière.
Mais le nuage sombre qui enveloppe leur cœur leur barre l'accès au
pré fleuri de la vertu aux multiples couronnes. Pour moi, je me fais fort
d'offrir à ceux qui m'écoutent un bien de loin plus précieux que l'or
opulent.

Il est aisé de dresser le plan de ce morceau :

1. Prédication ďun nouvelle religion (w. 57-60) ;


2. malheurs qui guettent les hommes en raison de leur impiété
(w. 61-80);
3. bénéfices que Ton tirera du message nouveau (w. 82-86).

C est là une structure bien connue, que Ion retrouve dans des textes
fort étrangers les uns aux autres, par exemple un passage de YAscIépius
hermétique40 ou un fragment en sogdien issu de renseignement de
Manès 41 . Le rythme ternaire est aussi celui qui gouverne certaines des

40 A. D. Nock et A.-J. Festugière, dans leur édition du Corpus hermeticum , II


[Paris, 1946 (C.U.F.)], 24-26, pp. 326-331, que Ion peut analyser comme suit: 1.
L'Égypte est le temple du monde : 24, p. 326, 11. 15-20 ; 2. les malheurs à venir : 24,
p. 326, 11. 21-26 - p. 330, 1. 1 ; 3. action du dieu restauré : 26, p. 330, 1. 1 - p. 331, 1. 14.
41 Publié et traduit par W. B. Henning, The Murder of the Magi , dans Journal of the
Royal Asiatic Society , 3-4 (1944), pp. 137-142. Le savant orientaliste (p. 139, n. 1)
l'analyse comme suit : «La première partie du texte est une adresse imaginaire à des
pécheurs lors de leur arrivée en enfer (11. 1-15). Elle était insérée dans un sermon sur le
péché et les pécheurs, prononcé, peut-on supposer, devant une assemblée d'auditeurs.
La section principale (11. 1 6-45) concluant le sermon donne une liste des plus grands
pécheurs de l'histoire. Avec la ligne 46 commence un nouveau chapitre.» On pourra
juger de la teneur du passage final mutilé par cette phrase que j'en extrais : «S'il vous
plaît, écoutez, et je vous expliquerai, à vous les auditeurs pleins de foi, qui
<acceptez> mes < enseignements >» (W. B. Henning, o./., p. 142).

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ENTRE HERMÈS ET ZOROASTRE 729

prophéties que S. Jean de Patmos adressa au peuple chrétien


chacun reconnaît ici le schéma traditionnel des apocalypses.
Celle de ÏAsclépius offre d'ailleurs avec les Lithica des anal
rédaction qu'il est intéressant de souligner :

1. Il viendra un temps où il semblera vain aux Égyptiens


gardé pieusement la divinité et de lui avoir rendu un culte atte
supra n° 1 ;
2. Quittant la terre pour regagner le ciel, la divinité abandonnera
TÉgypte, et cette terre où les pratiques religieuses élurent domicile, à
présent dans le veuvage de ses dieux, sera privée de leur présence 44 =
supra n°2 ;
3. Car la divinité regagne le ciel ; abandonnés, les hommes mourront
tous et, de la sorte, TÉgypte, vouée au veuvage, sera abandonnée par
Dieu et l'homme 45 ^ supra n° 3 ;
4. Ce Tout qui est un bien, le meilleur que Ion pût voir dans le passé,
le présent et l'avenir, sera un danger et un fardeau pour l'homme 46 ~
supra n° 4 ;
5. Et, croyez-moi, on établira qu'il risque sa tête, celui qui s'adonne à
la religion de l'esprit 47 ~ supra n° 5 ;
6. Seuls demeurent les anges malfaisants qui, se mêlant à l'humanité,
poussent ces malheureux, en leur faisant violence, à tous les forfaits
inspirés par l'audace, guerres, rapines, tromperies et tout ce qui est
contraire à la nature de l'âme48 ^ supra n°6.

Cependant, on chercherait en vain dans les Lithica des allusions à


TÉgypte, que ces concordances avec ÏAsclépius hermétique pourraient
laisser supposer. Il n'y a pas lieu de s en étonner. On sait depuis
longtemps que le nom d'Hermès a surtout la valeur dune référence
littéraire et, pour le poème, on ne peut guère que souscrire aux
remarques du Père Festugière 49 : «... en vérité, l'Hermétisme est Tune

42 Bible de Jérusalem, III (Nouveau Testament ), Paris, 1965, p. cclxi.


43 Asclépius , 24, dans A. D. Nock et A.-J. Festugière, Corpus hermeticum , II
[Paris, 1946 (C.U.F.)], p. 327, 11. 1-3.
44 Ibid., 11. 4-7.
45 Ibid. , p. 328, 11. 1-3.
46 Ibid., 25, p. 328, 11. 17-19.
47 Ibid., 11. 9-11. La postériorité impliquée dans la forme teùÇuxjl répond au futur
constituetur.
48 Ibid., 11. 14-18.
49 A.-J. Festugière, La révélation..., I, p. 85.

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730 J. SCHAMP

des formes qu'a prise la pié


rationalisme, elle s'est abandon
un Égyptien, Thoth-Hermès,
ďun peu de couleur locale? M
plus d'importance que les ib
péiennes...».
Quant aux vers 7 1 -74 du pse
qu'ils constituent un lieu comm
telles prophéties étaient mo
sibyllins :

Et lorsque ... des gouttes tomberont du ciel, comme de la rouille, on


connaîtra alors la colère du dieu siégeant au ciel, parce qu'ils anéan-
tissent le peuple des gens pieux,

un passage qui pourrait relever de la littérature hébraïque 50 . Dans le


domaine chrétien, on relira un verset de S. Jean 51 :

parce que tes marchands étaient les grands de la terre et que, dans tes
maléfices, tous les peuples se sont mis à errer et que, chez toi, on a trouvé
le sang des prophètes et des saints et de tous ceux quon a égorgés sur la
terre.

Dans le document manichéen cité plus haut, le prophète s'exprime


ainsi 52 : «... et de même, le roi Naksintar (Alexandre), qui commit le
meurtre des mages et Kûyûne, le fils d'Ahriman, qui (se. Kùyùne)
saccage la religion des Mages». La référence à Alexandre doit trahir
l'emploi d'une source remontant à l'époque hellénistique53. Que le

50 Oracles Sibyllins , IV, 134-136. B. Altaner [Précis de patrologie (adaptation H.


Chirat), Mulhouse-Paris-Tournai, 1961, p. 135] date ce livre de la première moitié de
l'an 80 de notre ère. Pour l'essentiel, les livres I-V remonteraient à des Juifs hellénisés
ayant vécu du ne siècle a.C. au icr p.C. Des notations analogues figurent dans XI, 1 9-24
(voir le (páoyava du v. 24), qui semble d'origine juive (B. Altaner, /./.) et daterait de
1 epoque d'Auguste ou de Tibère.
51 Jean, Apocalypse , 18, 23-24 ; voir aussi 16, 6 ; 17, 6 et Matthieu , 23, 37. Du
reste, ce sont là des thèmes traditionnels dans l'apocalypse chrétienne : Bible de
Jérusalem , III, /./.
52 W. B. Henning, o./., p. 141.
53 W. B. Henning, o./., p. 136 ; S. K. Eddy, o./., p. 69. L'expression «meurtre des
mages» repose peut-être sur un fait bien attesté. Le prince macédonien avait fait pendre
le perse Orxinès, accusé d'avoir pillé la tombe de Cyrus. Durant le procès, les mages
chargés de garder la sépulture avaient été mis à la question, mais l'interrogatoire ne
permit jamais d'identifier le vrai coupable (S. K. Eddy, o./., p. 72).

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ENTRE HERMÈS ET ZOROASTRE 731

thème de la persécution religieuse ait servi la propagande d


hostiles au pouvoir en place est au moins vraisemblable. La
de ces courants subversifs est d ailleurs bien connue : ainsi, une
prédiction visant malignement le gouvernement des Séleucides s est
glissée dans les Oracles sibyllins 54 . D ailleurs, l'existence d'une pythie
babylonienne n est pas une tradition mythique 55 et Ton a pu, sur la
base de textes grecs et latins 56 , tenter la reconstitution de l'Apocalypse
iranienne. Faut-il ajouter que le thème de la persécution religieuse n est
pas étranger non plus à ce texte :
Ce (roi impie), dans la démence et le délire d'une colère implacable,
prendra la tête dune armée et fera le blocus de la montagne où les justes
se seront réfugiés : lorsqu'ils se verront assiégés, ils imploreront à grands
cris l'assistance du dieu : il les exaucera et leur enverra un libérateur 57 .

À vrai dire, on a soutenu que la petite apocalypse de Y Asclepius


hermétique a été enrichie «d'allusions aux persécutions chrétiennes
contre le paganisme, allusions qui ont dû être insérées dans le texte
entre Lactance et S. Augustin» 58 . À ce compte évidemment, les w. 71-
74 du Lapidaire orphique sont justiciables des mêmes soupçons. De tels
doutes me paraissent trahir l'esprit critique excessif de leurs auteurs.
Tout au plus peut-on supposer que les passages des Lithica et du Corpus

54 Oracles Sibyllins , III, 381-387 et S. K. Eddy, o./., p. 125. Ce livre de prophéties


serait l'œuvre d'un Juif qui, vers 140 a.C., compila des oracles grecs et orientaux à des
fins de propagande contre les Grecs en général et l'empire des Séleucides en particulier.
55 Scholies T à Platon, Phèdre , 244 B ; Pausanias, X, 12, 9.
56 Bidez-Cumont, o./., cité supra , n. 21, et J. Duchesne-Guillemin, La religion de
l'Iran ancien , Paris, 1962, pp. 344-349.
57 Ps. -Hystaspe, Oracles, fr. 15b, II, p. 371 Bidez-Cumont = Lactance, Institutions
divines, Epitomé , 66 (71), 10, p. 758, 10 Brandt. Le rapprochement est d'autant moins
incongru que la double révélation qui forme le tissu des Lithica a bien une montagne
pour cadre : w. 104, 157 et 773-774. Voir aussi le fr. 18, p. 375 Bidez-Cumont Si je le
lis bien, le fr. 14a, p. 369 Bidez-Cumont ( = Lactance, Institutions divines , VII, 16, 4,
p. 638, 11. 4-5 Brandt) va dans le même sens : «Même parmi les adorateurs de dieu, les
deux tiers périront, et le tiers qui aura été mis à l'épreuve subsistera.»
58 A. D. Nock, dans A.D.N. et A.-J. Festugière, Corpus hermeticum , II (Paris,
1946), p. 288 : «soit au temps de Constance, soit entre 384 et 391 . Je n'ai pu voir S. C.
Neil - A. D. Nock, Two Notes on the Asclepius, dans Journal of Theological Studies , 26
(1925), pp. 173-176. J. Bernays I Apuleius' Dialog Asclepius , dans Gesammelte
Abhandlungen , I (Berlin, 1885), pp. 337-339] plaide pour l'époque de Théodose, mais
avec des arguments peu convaincants. On se rappellera la remarque du Père A.-J.
Festugière (La révélation ..., IV: Le dieu cosmique , Paris, 1949, p. 23) : «Cette
apocalypse (...) ne fait pas allusion à des faits déterminés.»

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732 J. SCHAMP

hermétique fustigent l'attitude


religions nouvelles, mais il es
chronologiques. D'ailleurs, la réc
apocalyptique restreint forteme
croit pouvoir en tirer.
On ne voit pas enfin pourquoi
refusé le droit de puiser dans u
groupe de thèmes susceptibles d
révélation. Du reste, il s'est m
soigneusement tout détail manif
de précision aurait donné à son
Les premiers vers du poème s
Maïa, Apollon, l'Olympe, Athén
tour à tour dans une ouverture
Hélios et Zeus59. Dans un cad
w. 71-74 n'étaient même pas s
plus anciens réformateurs rel
décapitation? C'est bien avec d
tranchèrent la tête à Orphée #0
fourni le sujet de cette étude n'off
s'estompent dès qu'on examine a
une œuvre traversée de courants
à l'honneur du poète d'avoir mo

Rue de Bleurmont 28,


Jacques Scha
B-4920 Embourg.

" Respectivement, Lithica , 2, 8, 9, 10


60 Phanoclès, fr. 1, 7-10 Powell = S
Guthrie ( Orphée et la religion grecque
dans ce texte l'héritier d'une tradition
etc., dans Kern. A. -M. Gesner, dans s
les w. 71-74 des Lithica comme une in

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