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Résumé
La variété de phtiriase dont mourut Sylla ne relève pas de la médecine, mais s'inscrit dans un courant où l'infestation par les
poux est liée à l'idée de châtiment divin. L'Antiquité jouait sur les mots φθείρ / φθείρειν sur base de la métaphore du corps-
vêtement. Il y eut progressivement un rapprochement avec la tradition parallèle de la scolécose, qui part, elle aussi, d'un lusus
etymologicus. La fable du laboureur, décochée par Sylla à ses adversaires, fut retournée contre lui. C'est l'origine du récit atroce
conservé dans Plutarque.
Schamp Jacques. La mort en fleurs. Considérations sur la maladie « pédiculaire » de Sylla. In: L'antiquité classique, Tome 60,
1991. pp. 139-170;
doi : https://doi.org/10.3406/antiq.1991.2310
https://www.persee.fr/doc/antiq_0770-2817_1991_num_60_1_2310
* Une ébauche de cet article a été présentée le 27 octobre 1989 lors d'une
conférence donnée à l'Université de Fribourg (Suisse). A Madame Margarethe
Billerbeck, professeur ordinaire à la même Université, nous devons de précieuses
indications bibliographiques. La dette que nous avons contractée vis-à-vis du Dr M.
Grmek, Directeur d'Études à l'École Pratique des Hautes Études à Paris, est plus
lourde encore. Il a eu la bonté de relire une esquisse de ces pages et de proposer
des améliorations. Que tous deux puissent lire ici l'expression de notre gratitude.
1 Molière, Tartuffe, acte I, scène 5.
2 Aristophane, Nuées, 144-147.
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Dans la huitième année de son règne, Hunéric eut, toutes ses entrailles
répandues au dehors, la misérable fin de son père Anus.
La locution «toutes ses entrailles répandues au dehors» rappelle un
passage célèbre des Actes des Apôtres 8 :
Cet homme est tombé la tête la première et a éclaté par le milieu,
et toutes ses entrailles se sont répandues.
3 Julien, 7 (Misopôgôn), 3 p. 158 Lacombrade.
4 J. R. Busvine, Insects, Hygiene and History, Londres, 1976, p. 99. Becket
portait ce jour-là une extraordinaire accumulation de vêtements : une sorte de
grossier maillot de corps taillé dans du pelage, garni de laine à l'extérieur ; une
chemise ; la robe à capuchon des Bénédictins ; une pelisse de laine recouverte d'une
autre pièce analogue ; une casaque formée de laine d'agneau ; un surplis blanc et
enfin un manteau brun.
5 L. Duchesne, Histoire ancienne de l'Église, III (Paris, 1910), p. 643.
6 Procope, Guerre contre les Vandales, I, 8, 5 (I, p. 346 Haury).
7 Victor de Tunnana, Chronique, 479, dans M. G. H., Chr. Min., II (Th.
Mommsen), Berlin, 1861, p. 189-190 : Hugnerius (...) octavo regni sui anno
interioribus cunctis effusis ut Arrius pater eius misère vitamfinivit.
8 Actes, 1, 18 : Ούτος μεν ουν (...) και πρηνής γενόμενος ελάκησεν μέσος, και
έξεχυθη πάντα τα σπλάγχνα αυτοΰ.
LA MORT EN FLEURS 141
Mais, après un si grand crime, saisi par le démon qui s'était longtemps
repu du sang des saints, Hunéric se déchirait de ses propres dents :
telle fut la torture dans laquelle il finit une existence indigne dans
une mort méritée.
Peinture du remords sans doute mais aussi écho grossi du châtiment
qui, beaucoup plus tôt, avait ravagé Sylla. Trois variantes pour la
mort d 'Hunéric, autant de signes renvoyant à des thèmes classiques,
usés jusqu'à la corde. Porteuses de valences identiques, ce sont là
des vignettes interchangeables.
Morts de Sylla Les Anciens ont mis longtemps à
cevoir que la mort de Sylla offrait un
thème propice à l'édification morale.
On ne sera pas étonné de lire sous la plume de Valère Maxime 13 :
12 Grégoire de Tours, Histoire des Francs, II, 3, dans M. G. H., s.r.m. (Rendt-
Krusch), Hanovre, 1884, p. 66 : Honoricus vero post tantum facinus arreptus a
daemone, qui diu de sanctorum sanguine pastus fuerat, propriis se morsibus
laniabat, in quo cruciatu vitam indignam iusta morte finivit.
13 Valère-Maxime, IX, 3, 8 : Quid Sulla ? Dum huic vitio obtempérât, nonne
multo alieno sanguine profuso ad ultimum et suum erogavit ? Puteolis enim ardens
indignatione, quod Granius princeps eius coloniae pecuniam a decurionibus ad
refectionem Capitolii promissam cunctanter daret, animi concitatione nimia atque
immoderato vocis ímpetu convulso pectore spiritum cruore ac minis mixtum
evomuit (...). Igitur in dubio est Sullane prior an iracundia Sullae sit extincta.
LA MORT EN FLEURS 143
La veille (de sa mort), lorsqu'il eut appris que loin de rendre au fisc
la somme qu'il devait, le premier magistrat Granius attendait sa mort,
Sylla convoqua le quidam dans sa chambre, disposa ses serviteurs
autour de lui et le fit étrangler : à force de cris et d'efforts convulsifs,
il creva son abcès et rejeta quantité de sang. Par suite, ses forces
l'abandonnèrent et, après une mauvaise nuit, il mourut.
Les faits se déroulèrent-ils de la sorte ? Malgré sa retraite volontaire,
Sylla continua à se comporter en maître 16 dans la région de Cumes,
où il avait choisi de s'établir. Les deux versions précédentes ne
concordent guère avec le récit d'Appien d'Alexandrie, qui, pour cette
période, disposait de sources réputées excellentes 17. En tout cas, le
ton y est sensiblement moins dramatique :
(Sylla) traversa le pays pour gagner des domaines personnels à Cumes,
en Italie et là, dans la solitude, il s'adonnait aux activités de la mer
Les poux sortent des chairs. Il se produit, quand ils sont sur le point
de sortir, des espèces de petits boutons, qui ne renferment point de
pus ; si on les perce, il en sort des poux. Chez certains hommes, c'est
là une maladie qui survient lorsque l'humidité est en abondance dans
le corps. On a même vu des gens périr de la sorte, comme le poète
Alemán, dit-on, et Phérécyde de Syros.
Plus tard, les listes se multiplièrent en s'enrichissant. Helladios d'An-
tinoé en Egypte, un auteur de Patria du IVe siècle, en offre à trois
έκκλύζων το σώμα και άπορρυπτόμενος- ην δ' οοδεν όφελος- εκράτει γαρ ή μεταβολή
τω τάχει, και περιεγένετο παντός καθαρμού το πλήθος.
23 Celse, Médecine, VI, 6, 15.
24 Aristote, Histoire des animaux, V, 31, 556 b 28-557 a 4 : Οι δε φθείρες εκ
των σαρκών. Γίνονται δ' ό'ταν μέλλωσιν, οίον 'ίονθοι μικροί, ουκ έχοντες πύον τούτους
αν τις κεντήση, εξέρχονται φθείρες. Ένίοις δε τοΰτο συμβαίνει των ανθρώπων νόσημα,
ό'ταν υγρασία πολλή εν τω σώματι ή· και διεφθάρησάν τίνες ήδη τούτον τον τρόπον,
ώσπερ 'Αλκμάνα τε φασι τον ποιητήν και Φερεκύδην τον Σύριον.
LA MORT EN FLEURS 147
25 Helladios, dans Photios, Bibliothèque, cod. 279, VIII, p. 179, 11. 1-9, 11. 1-
9 Henry ; Plutarque, Sylla, 36, 5-6.
26 Soucieux de faire ressortir la génération spontanée comme obstacle épisté-
mologique, M. S. Byl (Recherches sur les grands traités biologiques d'Aristote :
sources écrites et préjugés, Bruxelles, 1980, pp. 271-272) n'examine que les premières
lignes (558 b 28-30) de notre passage. Apparemment, il n'est pas en mesure de
se prononcer sur les sources d'Aristote.
27 Galien, À Pison. Livre sur l'art des thériaques, 18 (XIV, p. 290 Kühn).
28 Dioscoride, V, 105 (III, p. 75 Wellmann) : arsenic rouge avec huile ; I, 37
(I, p. 39 W.) : raifort ; IV, 152 (II, p. 297 W.) : delphinium staphisagria accompagné
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d'huile et d'arsenic rouge. Pour les médecins qui ont pillé l'œuvre de Galien, voir
Oribase, Synopsis pour Eustathe, VIII, 27 (C.M.G. VI, 3 p. 259 Raeder) ; Livres
à Eunape, IV, 7, 11 (C.M.G., VI, 3 p. 443, 11. 15-21 Raeder) ; Paul d'Égine, III,
3, 8 (C.M.G. IX, 1 p. 137 Heiberg) ; Aetios d'Amida, VI, 67 (C.M.G., VIII, 2
pp. 215-216 Olivieri).
29 Galien, De la composition des médicaments, I, 7 (XII, p. 462 Kühn) : Φθειρών
γένεσις εν τη κεφαλή συμβαίνει τισιν αθρόως. Πάμπολλων έξ υγρών δηλονότι θερμον
μεν, ου μην εις τοσούτον ήκόντων θερμότητι εις δσον ήκουσιν οι δριμεις ϊχώρες, ώστε
δήλόν εστίν εν τω βάθει του δέρματος γίγνεσθαι, την διάθεσιν της φθειριάσεως, ένθα
και γεννασθαι τα ζώα ταΰτα δυνατόν εστίν (...).
30 Galien, ibid. (XII, p. 463, 11. 3-4 Kühn). Sur le médecin pneumatique Criton,
on lira Fr. Kudlien, art. Kriton 3, dans Der kleine Pauly, III (1975), col. 351.
31 A. Manuila, L. Manuila, M. Nicole et H. Lambert, Dictionnaire français
de médecine et de biologie, III (Paris, 1972), p. 307, s. vv. Phtiriase et Phthirius
inguinalis ; Y. J. Golvan, Éléments de parasitologie générale, 2e éd., Paris, 1974,
p. 497.
32 Y. J. Golvan, o.l, p. 496. I. C. Beavis {Insects and Other Invertebrates in
Classical Antiquity, University of Exeter, 1988, p. 12) donne une classification plus
précise. D'une part, chez Pediculus humanus, il distingue P. humanus capitis et
P. humanus humanus qui, vivant au contact de la peau, se trouve fréquemment
dans les vêtements, et, d'autre part, il introduit Phthirius pubis.
LA MORT EN FLEURS 149
Que Pythagore avait appris que son chef Phérécyde, s'étant trouvé
à Délos, y était malade et était à la dernière extrémité. D'Italie, il
fit la traversée en direction de Délos. Là, il passa un temps suffisamment
long à traiter le vieil homme en lui administrant des soins de toute
sorte, de façon à le sauver des griffes de la maladie. Mais, quand
l'âge et le gravité de la maladie eurent triomphé des forces de
Phérécyde, il le porta à son ultime demeure, lui rendit les derniers
devoirs, comme un fils pour son père, et prit à nouveau le chemin
de l'Italie.
Tout autre est le récit qui se lit dans diverses historiettes 46 :
πατερά πάλιν έπανήλθεν εις την Ίταλίαν. L'extrait proviendrait du traité d'Aristoxène
Sur Pythagore et ses disciples : A. Delatte, La vie de Pythagore de Diogène Laerce,
Bruxelles, 1922, p. 150.
46 Aristote, fr. 611, 32 p. 378, 11. 5-8 Rose : Φερεκύδης ό Σύριος ύπό φθειρών
καταβρωθεις έν Σάμφ έτελεύτησεν, ό'τε και ελθόντι Πυθαγόρα τον δάκτυλον δια της
οπής έδειξε περιεψιλωμένον.
47 Phérécyde, 7 Α 1 D.-K. 6 = Diogène Laërce, I, 118 : Οι δε φθεψιάσαντα
τον β'ιον τελευτήσαν δτε και Πυθαγόρου παραγενομένου και πυνθανομένον πώς
διακέοιτο, διαβαλόντα της θύρας τόν δάκτυλον ειπείν «χροΐ δήλα». Και τούντεΰθεν
παρά τοις φιλολόγοις ή λέξις επι τών χειρόνων τάττεται, οι <5' έπί τών βέλτιστων
χρώμενοι διαμαρτάνουσιν.
48 Α. Delatte, o.L, p. 150.
LA MORT EN FLEURS 153
Et52
l'a cru jusqu'ici. Depuis la découverte par Lobel en 1957 d'un commentaire sur
papyrus, nous savons qu'Alcman avait écrit un poème cosmogonique dans lequel
il attribuait un rôle primordial à Thétis. Voir M. Détienne - J.-P. Vernant, Les
ruses de l'intelligence. La métis des Grecs, Paris, 1974, pp. 136-140. Ils n'hésitent
pas à rapprocher de Phérécyde le poète des Parthénées. Une tradition sacerdotale
hostile aurait-elle prêté à tous deux un crime de lèse-divinité ?
54 Marc-Aurèle, III, 3, 5 : Δημόκριτον δε οι φθείρες, Σωκράτην δε άλλοι φθείρες
άπέκτειναν.
55 Α. Ι. Trannoy, Marc-Aurèle. Pensées, Paris, 1925, p. 20, η. 1.
56 Diogène Laërce, III, 40 : Μυρωνιανος δ' εν όμο'ιοις φησί Φίλωνα παροιμίας
μνημονενειν περί των Πλάτωνος φθειρών, ώς οΰτως αύτοΰ τελευτήσαντος. Peut-être
l'activité de Myronianos doit-elle être située au ne s. aCn. Voir Alice Swift Riginos,
Platónica. The Anecdotes concerning the Life and Writings of Plato, Leyde, 1976,
p. 196 (n° 146).
57 Nous analysons ici un fragment du Sophiste, 227 b 4-6. On lira avec intérêt
la notice d'Alice Swift Riginos, /./.
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Callisthène mourut, selon les uns, pendu sur ordre d'Alexandre, selon
les autres, les pieds dans les fers et malade, mais, selon Charès, gardé
enchaîné après son arrestation pendant sept mois pour être jugé devant
le conseil en présence d'Aristote, il mourut pendant ces journées où
Alexandre fut blessé dans l'Inde, d'un excès d'obésité et dévoré de
poux.
Ainsi, les gens tout à fait crédibles pour leur récit, bien qu'ils eussent
été à l'époque les compagnons d'Alexandre, n'ont même pas, sur le
déroulement d'événements bien connus et qui ne leur avaient point
échappé, consigné des données concordantes. Nombreux sont en
général les récits sur ces mêmes événements qu'ont laissés divers
historiens sous des formes variables.
Ptolémée refusait d'innocenter Alexandre ; Charès cherchait au
contraire à soulager sa mémoire de la responsabilité d'une exécution.
Aristoboulos adopta une voie moyenne 65, que suivit la tradition
ultérieure, non sans broder à coups de détails révélant une imagination
morbide : l'historien enfermé dans une cage de verre, dévoré de poux
et partant délaissé de tous, puis jeté en pâture à un lion 66, amputé
des quatre membres, oreilles, nez et lèvres coupés puis promené avec
un chien dans une cage 67. Callisthène au jardin des supplices !
Pourtant, il y a loin du cas de Sylla à celui de Callisthène dont
il faut se résigner à ignorer la fin exacte. Quoi qu'il en fût, la version
Avant que le sénat eût statué sur son sort, un des préteurs urbains
le fit jeter dans la prison d'Albe avec ses enfants. La prison, c'est une
profonde fosse souterraine qui a tout au plus les dimensions d'une
pièce à neuf lits ; elle est toute ténèbres et puanteur du fait des hommes
jetés dans ce lieu et condamnés à des crimes capitaux ; la plupart
d'entre eux à cette époque s'y trouvaient enfermés ; avec pareille foule
parquée dans un tel boyau, le physique de ces infortunés tournait à
la sauvagerie et, comme les reliefs de nourriture et autres déjections
arrivaient pêle-mêle au même endroit, il arrivait que se répandait une
odeur si pestilentielle qu'aucune des personnes qui s'approchaient ne
la pouvait supporter aisément.
68 Diodore de Sicile, XXXI, dans Photios, Bibliothèque, cod. 244, VI, p. 140,
11. 31-2 Henry : Πρ\ν γαρ ή τήν σύγκλητον υπέρ αύτοΰ διαλαβείν ο χρή παθείν, τών
κατά πάλιν στρατηγών εϊς ενέβαλεν αύτον εις τον εν "Αλβαις κάρκαρον μετά τών
τέκνων. "Εστί δε ό κάρκαρος όρυγμα κατάγειον βαθύ, το μεν μέγεθος έχον οίκου μάλιστα
πως έννεακλίνου, σκότου δε πλήρες και δυσοσμίας δια το πλήθος τών παραδεδομένων
εις τούτον τον τόπον ανδρών, τών έπ"ι θανατικόϊς έγκλήμασι καταδικαζομένων, ών
εν έκε'ινοις τόϊς χρόνοις οι πλε'ιους ενταύθα καθείργνυντο' εν οΰτω γαρ στενωπω
συγκεκλεισμένων πολλών ανδρών άπεθηριοΰτο τα τών ατυχών σώματα, τών τε προς
τροφήν και τήν αλλην πασαν χρείαν ανηκόντων πάντων εν ταυτω πεφυρμένων τοσαυτην
προσπίπτειν δυσωδίαν συνέβαινεν, ώστε μηδένα τών προσιόντων ραδίως δΰνασθαι
καρτερήσαι.
69 Sur la révolte d'Eunous, voir, par exemple, [G. Bloch-]J. Carcopio, o.L,
pp. 178-179 ; H. G. Gundel, art. Eunous, dans Der kleine Pauly, II (1979), col. 429.
70 Diodore de Sicile, XXXIV = Photios, ibid., VI, p. 153, 1. 39-p. 154, 1. 5 :
Ό δε τερατίας Ευνους και βασιλεύς, καταφυγών δια δειλίαν εν τισι κοιλάσι, έξειλκόσθη
αμα τεττάρων, μαγείρου και αρτοποιού και του τρίβοντος αυτόν εν τω λουτρώ και
LA MORT EN FLEURS 1 59
Quant au charlatan et roi Eunous, qui s'était, par lâcheté, réfugié dans
des cavernes, il en fut tiré en même temps que quatre compagnons,
un cuisinier, un boulanger, celui qui le massait au bain et, en quatrième,
le bouffon qui officiait au cours des banquets. Mis en prison, lorsque
son corps se fut décomposé en une pullulation de poux, il eut, à
Morgantine, une fin appropriée à sa friponnerie.
Diodore et Plutarque s'accordent sur les circonstances de la mort
d'Eunous, mais divergent sur la localisation. Reste que les oscillations
de la tradition s'expliquent à la lumière des nécessités politiques.
S'agit-il de faire ressortir la basse extraction de l'individu ?
un coin relativement retiré de Sicile, fournissait une cellule
toute prête. Eunous avait-il mis en balance la puissance romaine ?
Le mal le terrassait dans un cachot de la capitale. Ainsi périssent
les ennemis du nom sacré de Rome. Les vicissitudes de leur histoire
ont réuni Callisthène et Eunous pour une fin commune dans une
prison peu salubre.
8. P. Mucius Qu'en fut-il du jurisconsulte Mucius,
que R. Flacelière 71, après bien d'autres,
identifie avec P. Mucius Scaevola, un de ceux qui rédigèrent la loi
agraire de Tib. Gracchus, consul en 133 aCn, l'année où fut assassiné
le premier des Gracques ? La pauvreté du renseignement, en fait
la seule enumeration de Plutarque, n'autorise pas la moindre
τετάρτου του παρά πότους ειωθότος ψυχαγωγε'ιν αυτόν. Και παραδοθείς εις φυλακήν,
και του σώματος αότοϋ διαλυθέντος εις φθειρών πλήθος, ο'ικείως της περί αυτόν
ραδιουργίας κατέστρεψε τον β'ιον εν τή Μοργαντίνη. Sur Morgantine, cité sise au
centre de la Sicile, proche de l'actuelle Serra Orlando, voir Kl. Meister, art.
Morgantina, dans Der kleine Pauly, III (1979), coll. 1427-1428.
71 R. Flacelière, Plutarque. Vies, t. VI, Paris, 1971, p. 348 (n. complémentaire
à Sylla, 36, 5, p. 283) et XI, Paris, 1976, p. 160 (n. complémentaire à la p. 104).
72 IG1, IV, 1, 122, § 28 : Κανάτας, Θηβαίος ô τους φθείρας- ούτος π[λή]θός τι
πάμπολυ φθε[ιρ]ών εν τω σώματι [έ]χων άφικόμενος επεκά[θευ]δε και όρη δψιν.
Έδόκει αυτόν νιν ό θεός έγδύσας και γυμνον καταστάσας ορθόν σάρ[ω]ι τινι τους
φθείρας από του σώματος άποκαθαίρειν άμέρας δε γ[ε]νομένας εκ του άβατου υγιής
εξήλθε. Document déjà signalé par O. Keller {Die antike Tierwelt, II, Leipzig,
p. 397).
160 J. SCHAMP
Ils ont une fin plus pénible que leur vie ; en effet, à mesure qu'approche
la vieillesse naissent dans leur corps des espèces de poux ailés, à la
forme semblable à des ricins, mais un peu plus petits que les vers
apparaissant chez les chiens ; s'attaquant d'abord à la poitrine et au
ventre, ils se répandent sans discontinuer sur tout le visage et sur la
peau. Au premier stade, ces hommes ressentent la même irritation
que les galeux ; plus tard, avec force douleurs, ils se grattent ; ensuite,
quand le mal atteint son paroxysme, au cours de la croissance des
bestioles et lorsque suintent des sérosités claires, intolérables sont les
piqûres qu'ont à endurer les malheureux.
Plus prudent, D. Woelk citait, sans se prononcer, un rapport de
la société de géographie publié en 1946 75 : il s'agirait d'une maladie
infectieuse, dont l'origine est un ver du cobaye agissant par
d'eau impropre à la consommation. Le Dr Grmek 76 veut
bien nous préciser que Woelk fait mention de la dracunculose, une
maladie provoquée par le dragonneau ou filaire de Médine. Toutefois,
les symptômes énumérés par Agatharchide s'accordent mal avec ce
que l'on connaît de la maladie par ailleurs (poux ailés, siège initial
au tronc, et non aux membres inférieurs, etc.), en sorte que, même
si le noyau du récit d 'Agatharchide n'est certainement pas mythique,
tout diagnostic rétrospectif est impossible. Quant au diagnostic
ancien de phtiriase, on ne peut certes le rattacher à une entité noso-
logique actuelle. La dénomination de «phtiriase» recouvre
plusieurs parasitoses, parmi lesquelles la myiase (infestation
de la chair nécrotisée par les larves des mouches banales) et une
mille trous.» Το δε του βίου τέλος ου μόνον παράδοξον εχουσιν, άλλα και πάντων
άκληρότατον. "Οταν γαρ πλησιάζη το γήρας, εμφύονται τόϊς σώμασι πτερωτοί φθείρες
ου μόνον διάφοροι τοις ειδεσιν, άλλα και ταΐς Ίδέαις άγριοι και παντελώς ειδεχθείς.
Άρξάμενον δε το κακόν από της γαστρός και τοΰ θώρακος επινέμεται πάντα τον ογκον
εν όλίγω χρόνω. Ό δε πάσχων το μεν πρώτον ώς υπό ψώρας τινός ερεθιζόμενος
μετρίως όδαξασθαι φιλοτιμείται, μεμιγμένον έχοντος τοΰ πάθους άλγηδόσι την χαράν
μετά δε ταΰτα άει μάλλον των εγγενομένων θηρίων εις την έπψάνειαν εκπιπτόντων
συνεκχέϊται πλήθος Ίχώρος λεπτοΰ, την δριμύτητα παντελώς έχοντος άνυπομόνητον.
Διόπερ ó συνεχόμενος τω πάθει βιαιότερον άμύττει τόϊς δνυξι, στεναγμούς μεγάλους
προϊέμενος. Κατά δε τας των χειρών εξελκώσεις τοσοΰτο πλήθος εκπίπτει των ερπετών
ώστε μηδέν άνύειν τους άπολέγοντας, ώς αν άλλων επ' άλλοις εκφαινομένων καθάπερ
εκ τίνος αγγείου πολλαχώς κατατετρημένου.
75 D. Woelk, Agatharchides von Knidos. Über das Rote Meer. Übersetzung
und Kommentar, Diss., Bamberg, 1962, p. 156.
76 Lettre personnelle du 12 octobre 1989. Nous tenons à remercier l'éminent
historien de la médecine pour son inestimable contribution.
162 J. SCHAMP
Car c'est bien lui que les enfants tuant des poux jouèrent en disant :
«Tout ce que nous avons vu et pris, cela, nous le laissons ; tout ce
que nous n'avons ni vu ni pris, cela, nous l'emportons».
Plongé dans la méditation de l'énigme, Homère heurta une pierre
et se fendit le crâne. Le passage donne à entendre que l'agent
les poux, n'accomplissent leur action que de façon médiate.
Est-il opération plus paisible pourtant que Fépouillage ? Il révèle
une intimité confiante, comme dans la scène que surprit Homère ;
c'était là une des privautés qu'accordait Phalanthos, le futur fondateur
de Tárente, à son épouse 79. Selon J. G. Frazer, c'est un des services
que les sauvages se rendent couramment les uns aux autres et, dans
les contes, nombreuses sont les princesses qui, bien avant les
de poux de Rimbaud, font bénéficier de leurs doigts agiles 80
la tête des rois et des ogres. Pour n'est besoin d'aller chercher aussi
loin. Dans la Haute-Ariège du début du xine siècle, à Montaillou 81,
le curé «Pierre Clergue se faisait épouiller par ses maîtresses, telles
Béatrice de Planissoles et Raymonde Guilliou ; l'opération se déroule
au lit, ou bien au coin du feu, ou à la fenêtre, ou sur l'établi d'un
cordonnier». Pratiques toutes semblables entre époux, vers 1887,
dans un village de Brie, à Jutigny, d'après En rade de K.-J. Huys-
mans. Qu'il s'agisse de ceux de la chevelure ou du corps et des
vêtements, les poux sont un inconvénient propre à un mode de vie
où l'hygiène est négligée. L'infestation peut même faire l'objet d'une
interprétation favorable. Comme le dit un personnage de Huysmans
à propos des aoûtats : «Puisque c'est bon pour le sang, que ça
purge. (...) On les tue comme le ver, en buvant du rhum (...)». Ce
qui est significatif, c'est la récurrence du rapprochement ver/ pou.
La présence trahit l'idée de mort, encore, pour le second, n'est-ce
qu'à la faveur d'un jeu de mots ou d'un calembour et d'une
métaphore : le corps est un vêtement.
Curieusement, on retrouve des jeux de mots analogues dans la
relation la plus ancienne d'un cas de scolécose, celui de Phérétima.
Rappelons les faits. Quand son fils Arcésilaos III fut expulsé de
Cyrène, la reine, veuve de Battos III, courut à Salamine de Chypre
réclamer des soldats. Au lieu de quoi on lui fit cadeau d'un fuseau
d'or. La cité reprise par son fils, ce fut elle qui, détentrice d'un siège
au conseil, géra les affaires de l'État. Après l'assassinat d'Arcésilaos,
elle ameuta Aryandès, le satrape d' Egypte 82. L'entrée à Barcé fut,
avec un raffinement spécial, accompagnée d'un bain de sang 83 :
Quant aux plus coupables des Barcéens, lorsqu'ils eurent été livrés
de la main des Perses, elle les fit empaler en rond sur les murailles ;
à leurs épouses, elle fit couper les seins, dont on fit aussi un complément
d'ornementation pour la muraille.
La sinistre double couronne offerte en défi au ciel et à la terre par
Phérétima traduisait sa volonté d'anéantir Barcé. L'outrecuidance
était par trop manifeste, dont le châtiment n'allait point tarder 84 :
Tous ceux qui placent des contrariétés dans les principes vont jusqu'à
constituer l'âme à partir de qualités contraires ; mais ceux qui optent
pour l'un des contraires, comme chaud ou froid ou quelque autre
qualité semblable, posent aussi semblablement que l'âme est l'un
d'entre eux. C'est pourquoi aussi ils se laissent conduire par les mots :
les uns nomment le chaud (âme) parce que c'est de la sorte aussi que
84 Hérodote, IV, 205 : Où μεν ουδέ ή Φερετίμη ευ την ζόην κατέπλεξε. Ώς γαρ
δη τάχιστα εκ της Λιβύης τεισαμένη τους Βαρκαίους άπενόστησε ες την Αϊγοπτον,
απέθανε κακώς' ζώουσα γαρ εύλέων έξέζεσε, ώς apa άνθρώποισι αϊ λίην Ίσχυραι
τιμωρίαι προς θεών επίψθονοι γίνονται. Voir aussi Fr. Chamoux, Cyrène sous la
monarchie des Battiades, Paris, 1953, pp. 152 et 159. En somme, c'est le thème,
très grec, du «rien de trop». Polyen {Stratagèmes, VIII, 47) se contente de brosser
à grands traits ce que Fr. Chamoux (o./., pp. 144-159 : ch. VI) appelle «la monarchie
tyrannique». Dans ses Histoires libyennes, Ménéclès (270 F 55 Jacoby = Anonyme,
Des femmes, 10 p. 216 Westermann) mentionne simplement le décès de Phérétima,
sans aucune circonstance notable.
85 Hérodote, I, 34-43.
86 Au/., III, 48.
87 Aristote, De l'âme, I, 2, 405 b 23-29 : "Οσοι δ' έναντιώσεις ποιοΰσιν εν ταΊς
άρχαΐς, και την ψυχήν εκ των εναντίων συνιστασιν οι δε θάτερον των εναντίων, οίον
θερμον ή ψυχρον ή τι τοιούτον άλλο, και την ψυχήν ομοίως εν τι τούτων τιθέασιν.
Διό και τοις όνόμασιν άκολουθονσιν οι μεν το θερμον λέγοντες, δτι δια τοΰτο και
το ζην ώνόμασται, οι δε το ψυχρόν, δια την άναπνοήν και την κατάψυξιν καλεισθαι
ψυχήν.
LA MORT EN FLEURS 1 65
Non certes, lui non plus ne fut pas bien aise en passant de vie à trépas :
il s'enfla d'hydropisie et de sa chair vivante naquirent des vers.
Plus tard, à la suite de Jason de Cyrène et de son récit des tortures
d'Antiochos IV Épiphane 93, en 164 aCn, ces aimables bestioles
le terrain aux σκώληκες ou lombrics94. Ainsi pour Hérode I
le Grand, mort en 4 aCn 95, — Palladlos allait reprendre le passage
pour dépeindre la mort des persécuteurs de Jean Chrysostome,
particulièrement celle de l'impératrice Eudoxie %. — Judas Ischa-
97 Papias, fr. III dans Routh, Reliquiae sacrae, I (Oxford, 1846), p. ix (livre
IV) avec Théophylacte d'Ochrid, dans ibid., pp. 25-26 et PG, CXXV, col. 860
B-D.
98 Flavius Josephe, Antiquités Judaïques, XIX, 343-346, 350 ; Actes, 12, 23.
99 Flavius Josephe, Contre Apion, II, 141-143.
100 Lucien, Alexandre le faux prophète, 59 (IV, p. 250 Harmon). «Affection
cancéreuse» diagnostiquait Fr. Cumont [Alexandre d'Abonotichos. Un épisode de
l'histoire du paganisme au if siècle de notre ère, dans Mémoires couronnés par
l'Académie Royale de Belgique, 40 (1887), p. 19]. Voir L. Robert, dans Comptes
rendus de l'Académie des Inscriptions (1978), p. 289 : «Lucien (...) s'amuse avec
humour à donner au prophète et hiérophante, créateur d'un oracle florissant plein
de miracles, la fin d'un impie selon les conceptions traditionnelles».
101 Voir supra, p. 141. À vrai dire, les manuscrits de Tertullien ne s'accordent
point sur le nom du personnage. Voir Fr. Oehler, Quinti Septimii Florentis
Tertulliani quae supersunt omnia, I (Leipzig, 1853), p. 544. Dans la Prosopographia
Imperii Romani I-II-III, Pars II (Berlin-Leipzig, 1936), p. 206, il est répertorié sous
le nom de Claudius Hieronymianus.
102 Lactance, De la mort des persécuteurs, 33, 1-11, pp. 115-117 Moreau ;
Eusèbe, Histoire ecclésiastique, VIII, 16, 4-5. Il serait mort à la suite d'une blessure,
d'après Zosime, II, 11.
103 J.-B. Lenain de Tillemont, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique
des six premiers siècles, VII (Paris, 1700), pp. 396-400 : Philostorge, VII, 10,
p. 97, 11.8-14 Bidez-Winkelmann ; Sozomène, V, 8, 2, p. 213 Bidez-Hansen ;
Thédoret, Histoire ecclésiastique, III, 13, 1, p.. 189, 11. 14-17 Parmentier ; Jean
Chrysostome, Sur S. Babylas dans PG, L, col. 559 (CPG, n° 4348) ; Sur les
louanges de S. Paul Apôtre, hom. 4 dans PG, L, col. 489 (CPG, n° 4344) ; À
Matthieu, hom. 4, 1 dans PG, LV, col. 285 (CPG n° 4413) ; Passions des SS.
Bonose et Maximilien, 4-5 et Passion de S. Théodore dans Th. Ruinart, Acta
primorum martyrum sincera et selecta, 2e éd., Amsterdam, 1713, respectivement
pp. 595-596 et 591-592.
104 Pausanias, I, 20, 7 : Σύλλα δε ύστερον ένέπεσεν ή νόσος, fj και τον Σύριον
Φερεκύδην άλώναι πυνθάνομαι. Σύλλα δε εστί μεν και τα ες τους πολλούς 'Αθηναίων
LA MORT EN FLEURS 169
plus tard (se. après la prise d'Athènes, le 1er mars 86 aCn), Sylla
succomba à la maladie à laquelle avait été aussi condamné le Syrien
Phérécyde, m'apprend-on. Sylla eut en effet à l'endroit des Athéniens
des comportements plus féroces que la norme pour un homme de
Rome ; mais telle ne fut pas, je crois, la cause de son malheur : ce
fut plutôt le courroux d'Hikésios (se. le Suppliant) parce que du
sanctuaire où il avait trouvé refuge Sylla avait arraché Aristion pour
le tuer.
Sacrilège et monstrueusement cruel à l'occasion, Sylla savait
décocher des traits d'une verve infernale, que ses ennemis
ne manquèrent pas de lui retourner. Par exemple, passé en 83 aCn
dans les rangs des troupes syllaniennes, Q. Lucretius Ofelia, promu
bientôt à un haut rang, avait mené le blocus et la prise de Préneste
puis, faraud de sa bonne fortune, il avait osé briguer le consulat
pour 81. La sanction — l'assassinat par un centurion 105 — et la
justification suivirent aussitôt 106 :