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L'antiquité classique

La mort en fleurs. Considérations sur la maladie « pédiculaire » de


Sylla
Jacques Schamp

Résumé
La variété de phtiriase dont mourut Sylla ne relève pas de la médecine, mais s'inscrit dans un courant où l'infestation par les
poux est liée à l'idée de châtiment divin. L'Antiquité jouait sur les mots φθείρ / φθείρειν sur base de la métaphore du corps-
vêtement. Il y eut progressivement un rapprochement avec la tradition parallèle de la scolécose, qui part, elle aussi, d'un lusus
etymologicus. La fable du laboureur, décochée par Sylla à ses adversaires, fut retournée contre lui. C'est l'origine du récit atroce
conservé dans Plutarque.

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Schamp Jacques. La mort en fleurs. Considérations sur la maladie « pédiculaire » de Sylla. In: L'antiquité classique, Tome 60,
1991. pp. 139-170;

doi : https://doi.org/10.3406/antiq.1991.2310

https://www.persee.fr/doc/antiq_0770-2817_1991_num_60_1_2310

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LA MORT EN FLEURS *

CONSIDÉRATIONS SUR LA MALADIE «PÉDICULAIRE» DE SYLLA

Car, de même qu'il me surpassait d'une


distance infinie en toute autre suffisance
et vertu, aussi faisait-il au devoir de
l'amitié.
Pour Marcel Piérart.

Quand Orgon dit de Tartuffe :


Un rien presque suffit pour le scandaliser
Jusque-là qu'il se vint l'autre jour accuser
D'avoir pris une puce en faisant sa prière,
Et de l'avoir tuée avec trop de colère
nul spectateur n'eut lieu de s'en montrer surpris l. Par son
vis-à-vis de la vermine, l'hypocrite «homme de Dieu»
qu'était Tartuffe prenait place dans une tradition séculaire de la
sainteté qui prescrivait l'indifférence à l'endroit des soins d'hygiène.
Chacun a en mémoire l'entrée de Strepsiade dans l'école de Socrate.
Le premier problème posé touchait les performances athlétiques
d'une puce que le nouveau venu avait vu sauter des sourcils de Ché-
réphon sur la tête de son maître 2. Beaucoup plus tard, imitant la
négligence des Cyniques qu'il fustigeait par ailleurs, Julien l'Apostat
évoqua plaisamment les poux parcourant sa barbe comme le gibier

* Une ébauche de cet article a été présentée le 27 octobre 1989 lors d'une
conférence donnée à l'Université de Fribourg (Suisse). A Madame Margarethe
Billerbeck, professeur ordinaire à la même Université, nous devons de précieuses
indications bibliographiques. La dette que nous avons contractée vis-à-vis du Dr M.
Grmek, Directeur d'Études à l'École Pratique des Hautes Études à Paris, est plus
lourde encore. Il a eu la bonté de relire une esquisse de ces pages et de proposer
des améliorations. Que tous deux puissent lire ici l'expression de notre gratitude.
1 Molière, Tartuffe, acte I, scène 5.
2 Aristophane, Nuées, 144-147.
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fait son hallier natal 3. Lorsqu'il fut assassiné à l'instigation de Henry


II en 1170, saint Thomas Becket portait sept ou huit tuniques
dans lesquelles se cachait tout un zoo de bestioles 4. Vermine
et humanité vivaient donc dans une symbiose presque amicale.
cependant, un autre versant de la tradition lie-t-il le pou à
l'idée de châtiment ? Tel est le curieux problème dont nous voudrions
traiter ici.
Le cas d'Hunéric En 439, l'Empire de Valentinien III
avait dû céder l'Afrique au Vandale
Geiséric, gagné à l'arianisme. Un gros demi-siècle de persécutions
s'ouvrait, avec de trop rares interruptions, pour l'Église locale. Le
fils et successeur de Geiséric, Hunéric (477-484) poussa l'odieux assez
loin pour mériter le prix de sa cruauté, le 23 décembre 484, une
année durant laquelle, comme le rappelait Mgr L. Duchesne 5, «l'été
avait été d'une exceptionnelle sécheresse (et) la famine (avait sévi)
à l'automne». Procope de Césarée se contente de signaler une mort
par maladie, après huit ans de règne 6. Arien, Hunéric devait, en
bonne logique littéraire, recevoir la punition propre à l'hérésie, au
moins d'après Victor de Tunnana, un chroniqueur espagnol du vie
siècle 7 :

Dans la huitième année de son règne, Hunéric eut, toutes ses entrailles
répandues au dehors, la misérable fin de son père Anus.
La locution «toutes ses entrailles répandues au dehors» rappelle un
passage célèbre des Actes des Apôtres 8 :
Cet homme est tombé la tête la première et a éclaté par le milieu,
et toutes ses entrailles se sont répandues.
3 Julien, 7 (Misopôgôn), 3 p. 158 Lacombrade.
4 J. R. Busvine, Insects, Hygiene and History, Londres, 1976, p. 99. Becket
portait ce jour-là une extraordinaire accumulation de vêtements : une sorte de
grossier maillot de corps taillé dans du pelage, garni de laine à l'extérieur ; une
chemise ; la robe à capuchon des Bénédictins ; une pelisse de laine recouverte d'une
autre pièce analogue ; une casaque formée de laine d'agneau ; un surplis blanc et
enfin un manteau brun.
5 L. Duchesne, Histoire ancienne de l'Église, III (Paris, 1910), p. 643.
6 Procope, Guerre contre les Vandales, I, 8, 5 (I, p. 346 Haury).
7 Victor de Tunnana, Chronique, 479, dans M. G. H., Chr. Min., II (Th.
Mommsen), Berlin, 1861, p. 189-190 : Hugnerius (...) octavo regni sui anno
interioribus cunctis effusis ut Arrius pater eius misère vitamfinivit.
8 Actes, 1, 18 : Ούτος μεν ουν (...) και πρηνής γενόμενος ελάκησεν μέσος, και
έξεχυθη πάντα τα σπλάγχνα αυτοΰ.
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La péricope narrant la fin de Judas Ischariote est utilisée dans tous


les récits de la mort d'Anus à partir de la fin du IVe siècle, excepté
dans celui de Gélase de Césarée 9. C'est là un thème traditionnel
pour lequel on aurait tort de chercher une explication médicale.
Tout autre est l'accent emprunté par Victor de Vitta, vers 486,
ou plutôt de celui qui a joint une note à la fin de son Histoire
de la persécution des Vandales 10 :

Hunéric, le pire des scélérats, détint le pouvoir absolu sur le royaume


pendant sept ans et dix mois, trouvant la mort pour prix de ses services.
Car, dans la pourriture (de la gangrène) et dans un gros bouillonnement
de vers, c'étaient, non pas le corps, mais les parties de son corps qui
paraissaient avoir été enterrées.
Dans une lettre ouverte écrite en 212, lors de la persécution ordonnée
par le proconsul d'Afrique, YAd Scapulam, Tertullien décrit ainsi
la mort d'un autre de ces «justiciers» u :

En Cappadoce, Claudius Lucius Herminianus, qui se sentait bafoué


par le fait que sa femme était passée à cette secte, avait traité les
chrétiens avec cruauté et, seul dans son prétoire, ravagé par le fléau,
il avait produit un gros bouillonnement de vers se repaissant (de sa
chair).

9 Sur cette question, on lira Alice Leroy-Molinghen, La mort d'Arius, dans


Byzantion, 38 (1968), pp. 105-111 et J. Schamp, Gélase ou Rufin : un fait nouveau.
Sur des fragments oubliés de Gélase de Césarée (CPG, n° 3521), dans ibid., 57
(1987), pp. 360-390.
ίο Victor de Vitta, Histoire de la persécution dans la province d'Afrique, 71
dans M. G. H., a.a., II, 1 (C. Halm), Berlin, 1879, p. 58 : Tenuit sceleratissimus
Huniricus dominationem regni annis septem mensibus decem, meritorum suorum
mortem consummans. Nam putrefactus et ebulliens vermibus non corpus sed partes
corporis eius videntur esse sepultae. Sur l'interpolation finale, voir L. Duchesne,
o.l, p. 644.
11 Tertullien, A Scapula, 3, 4 p. 1129, 11. 21-24 E. Dekkers : Claudius Lucius
Herminianus in Cappadocia, cum indigne ferens uxorem suam ad hanc sectam
transisse, Christianos crudeliter tractasset, solusque in praetorio suo vastatus peste,
convivís vermibus ebulisset (...). Autant que nous sachions, le rapprochement est
original. Pour la situation de la lettre dans l'œuvre de Tertullien, voir J.-Cl.
Fredouille, Tertullien et la conversion de la culture antique, Paris, 1972, p. 488
(chronologie des œuvres de Tertullien) ; P. Mattei, Tertullien. Le mariage unique
(De monogamia), Paris, 1988, SC n° 343, p. 20. Le témoignage de l'Africain est
le seul que nous possédions sur l'action de Cl. Lucius Herminianus.
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L'auteur de la note à Victor a manifestement utilisé Tertullien, lequel


s'inscrit dans une tradition séculaire qui remonte, on le verra, à
Hérodote et à son évocation de la mort de la reine Phérétima.
Une troisième version se présente sous la plume de Grégoire de
Tours 12 :

Mais, après un si grand crime, saisi par le démon qui s'était longtemps
repu du sang des saints, Hunéric se déchirait de ses propres dents :
telle fut la torture dans laquelle il finit une existence indigne dans
une mort méritée.
Peinture du remords sans doute mais aussi écho grossi du châtiment
qui, beaucoup plus tôt, avait ravagé Sylla. Trois variantes pour la
mort d 'Hunéric, autant de signes renvoyant à des thèmes classiques,
usés jusqu'à la corde. Porteuses de valences identiques, ce sont là
des vignettes interchangeables.
Morts de Sylla Les Anciens ont mis longtemps à
cevoir que la mort de Sylla offrait un
thème propice à l'édification morale.
On ne sera pas étonné de lire sous la plume de Valère Maxime 13 :

Que dire de Sylla ? En obéissant à ce défaut (qu'est la colère) n'a-


t-il point, après avoir répandu à flots le sang d'autrui jusqu'à son
dernier jour, payé aussi du sien ? En effet, à Pouzzoles, brûlant
d'indignation parce que le chef de cette colonie, Granius, mettait peu
d'empressement à verser la somme promise par les décurions pour
la restauration du Capitole, suite à une excitation trop forte et à des
éclats forcenés de la voix, il ressentit un spasme à la poitrine et rendit
le souffle en vomissant pêle-mêle sang et menaces (...). Aussi se
demande-t-on si le premier à s'éteindre fut Sylla ou la colère de Sylla.

12 Grégoire de Tours, Histoire des Francs, II, 3, dans M. G. H., s.r.m. (Rendt-
Krusch), Hanovre, 1884, p. 66 : Honoricus vero post tantum facinus arreptus a
daemone, qui diu de sanctorum sanguine pastus fuerat, propriis se morsibus
laniabat, in quo cruciatu vitam indignam iusta morte finivit.
13 Valère-Maxime, IX, 3, 8 : Quid Sulla ? Dum huic vitio obtempérât, nonne
multo alieno sanguine profuso ad ultimum et suum erogavit ? Puteolis enim ardens
indignatione, quod Granius princeps eius coloniae pecuniam a decurionibus ad
refectionem Capitolii promissam cunctanter daret, animi concitatione nimia atque
immoderato vocis ímpetu convulso pectore spiritum cruore ac minis mixtum
evomuit (...). Igitur in dubio est Sullane prior an iracundia Sullae sit extincta.
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La précision de la description n'est ici qu'apparente. «On peut


écrit Jérôme Carcopino 14, «entre le dénouement d'une phtisie
fiévreuse, d'un oedème ou d'une apoplexie pulmonaires». En fait,
rien n'oblige à créditer l'écrivain romain d'un quelconque regard
médical. Du texte ressort que le sang appelle le sang, irrésistiblement :
la narration ne sert qu'à illustrer le principe.
Dans la présentation de Plutarque règne aussi la même idée de
réciprocité — d'une mort l'autre 15 :

La veille (de sa mort), lorsqu'il eut appris que loin de rendre au fisc
la somme qu'il devait, le premier magistrat Granius attendait sa mort,
Sylla convoqua le quidam dans sa chambre, disposa ses serviteurs
autour de lui et le fit étrangler : à force de cris et d'efforts convulsifs,
il creva son abcès et rejeta quantité de sang. Par suite, ses forces
l'abandonnèrent et, après une mauvaise nuit, il mourut.
Les faits se déroulèrent-ils de la sorte ? Malgré sa retraite volontaire,
Sylla continua à se comporter en maître 16 dans la région de Cumes,
où il avait choisi de s'établir. Les deux versions précédentes ne
concordent guère avec le récit d'Appien d'Alexandrie, qui, pour cette
période, disposait de sources réputées excellentes 17. En tout cas, le
ton y est sensiblement moins dramatique :
(Sylla) traversa le pays pour gagner des domaines personnels à Cumes,
en Italie et là, dans la solitude, il s'adonnait aux activités de la mer

14 J. Carcopino, Sylla ou la monarchie manquee, 11e édition, Paris, 1947, p. 221


n. 1.
15 Plutarque, Sylla, 37, 5-6 : Προ μιας ¿' ημέρας πυθόμενος τον άρχοντα Γράνιον
ώς οφειλών δημόσιον χρέος ουκ άποδίδωσιν, αλλ' αναμένει την αυτοϋ τελευτήν,
μετεπέμψατο τον άνθρωπον εις το δωμάτιον, και περιστήσας τους ύπηρέτας έκέ^σε
πνίγειν, τη δε κραυγή και τω σπαραγμώ το απόστημα ρήξας πλήθος αίματος έξέβαλεν.
Έκ δε τούτου της δυνάμεως έπιλιπούσης, διαγαγών την νύκτα μοχθηρώς απέθανε (...).
16 [G. Bloch-] J. Carcopino, Histoire romaine. II La république romaine de
133 à 44 avant J.-C. I Des Gracques à Sulla, Paris, 1935, pp. 487-488.
17 Appien, I, 488-489 ; 492, pp. 286 et 288-289 Gabba : Διήλθε γαρ ες χωρία
ϊδια ες Κύμην τής 'Ιταλίας και ενταύθα ¿π' ερημιάς θαλασσή τε και κυνηγεσίοις έχρήτο,
ού φυλασσόμενος άρα τον κατά άστυ ιδιώτην βίον ούδ' ασθενής ών αύθις ες δ τι
όρμήσειεν ώ δυνατή μεν ετι ή ηλικία και το σώμα εΰρωστον (...). Σύλλας ¿' εν τοις
άγροις ενύπνιον εδοξεν ίδεϊν, δτι αυτόν ó δαίμων ήδη καλοίη· και ό μεν αύτίκα μεθ'
ήμεραν τοις φίλοις το δναρ εξειπών διαθήκας συνέγραψεν επειγόμενος και αυτής ημέρας
συνετελει · σφραγισαμένφ <5' αύτας περί εσπέραν πυρετός εμπίπτει και νυκτός έτε^τησεν,
εξήκοντα μεν ετη βιώσας, ευτυχέστατος δ' ανδρών ες τε το τέλος αυτό και ες τάλλα
πάντα, ώσπερ και ώνομάζετο, γενέσθαι δοκών, ει δη τις εύτυχίαν ήγειτο τυχειν όσων
αν έθέλη.
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et de la chasse, sans garder pour lui l'existence d'un particulier de


la ville et sans faiblesse non plus dans aucune de ses entreprises. Il
était encore dans la force de son âge et son corps avait une belle
vigueur (...). À la campagne, Sylla crut avoir vu en songe qu'une
divinité l'appelait désormais ; et dès le matin, après avoir expliqué le
rêve à ses amis, il se mit en hâte à rédiger son testament et il l'acheva
le jour même ; il y avait apposé le sceau quand, vers le soir, il eut
un accès de fièvre et mourut la nuit, à l'âge de soixante ans, le plus
fortuné d'entre les hommes jusqu'à la dernière seconde et à tous les
points de vue : c'est, conformément aussi au nom qu'on lui donnait,
ce qu'il paraît avoir été, si l'on tient pour la fortune le fait d'avoir
obtenu tout ce que l'on peut souhaiter.
On sait qu'à l'époque de Néron, le bonheur de Sylla, un thème de
propagande que le dictateur avait orchestré lui-même avec beaucoup
de maestria, était présenté comme un véritable scandale 18 :

Sylla avait perdu un fils, et l'événement ne put ni briser en lui la


malignité ni le courage extrêmement fougueux dont il fit preuve devant
l'ennemi ou ses concitoyens ni donner l'impression qu'il avait à tort
usé du surnom pris après la perte de son fils ; il ne craignait ni la
haine des hommes dont les maux formaient la matière de ses excessives
réussites ni la jalousie des dieux, dont le grief était précisément celui-
là : l'insolent bonheur de Sylla.
On reconnaît en filigrane un thème propre à la tragédie, celui de
Yhybris. Aussi la Némesis paraît-elle avoir frappé, au moins chez
Pline l'Ancien et chez Plutarque, l'audacieux 19 qui osa incarner sa
chance dans la personne de la déesse Vénus 20 :

Allons ! la fin de sa vie ne fut-elle pas plus cruelle que le malheur


dont furent frappés tous ceux qu'il proscrivit, quand son corps se
dévorait lui-même et se créait ses propres supplices.

18 Sénèque, Consolation à Marcia, 12, 6 R. Waltz : L. Sylla fllium amisit, nec


ea res out malitiam ejus et acerrimam virtutem in hostes civesque contudit, out
effecit ut cognomen Mud usurpasse falso videretur, quod amisso filio assumpsit,
nec odia hominum veritus, quorum malo Mae minis secundae res constabant, nec
invidiam deorum, quorum Mud crimen erat, Sylla tamfelix.
19 Le rapprochement est déjà suggéré dans J. Carcopino (Sylla ..., p. 113). On
lira aussi les pp. 108-113 qui sont très éclairantes.
20 Pline L'Ancien, VII, 138 : Age ! Non exitus vitae eius omnium proscriptorum
ab Mo calamitate fuit erodente se ipso corpore et supplicia sibi gignente.
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Pline ne s'explique pas sur la nature du mal dont fut atteint


l'ancien dictateur. L'éclairage vient d'un autre secteur de Y Histoire
naturelle 21 :

La maladie pédiculaire, (dont) périt le dictateur Sylla et dans laquelle


le sang même de l'homme fait naître des animaux qui vont dévorer
le corps, on la combat au moyen de suc de raisin sauvage ou d'ellébore
accompagné d'huile dont on oint les corps ; quant au raisin sauvage,
cuit dans le vinaigre, il débarrasse aussi les vêtements de cette
incommodité.
Mais la seule description de grand style provient de Plutarque 22 :

21 XXVI, 138 : Phthiriasi, <.qud> Sulla dictator consumptus est nascunturque


in sanguine ipso hominis animalia exesura corpus, resistitur uvae taminiae suco
aut veratri cum oleo perunctis corporibus : taminia quidem in aceto decocta etiam
vestes eo taedio libérât. On trouve une autre pratique médicale chez Q. Serenus
{Livre de médecine, 5, 64-70 Fr. Vollmer) : «II convient donc assez souvent d'enlever
(l'agent) mordant avec de la moutarde ou, avec du natron et du sel mélangés et
délayés dans un liquide acide pour unifier les ingrédients, de mouiller le corps,
ou de l'enduire avec des larmes de lierre ou du suc de cèdre ; bien plus même,
les pellicules se traitent à l'aide d'un mélange de vinaigres. L'eau de mer fera tomber
de la tête les lentes incommodes et tout ce que protège une forêt de cheveux drus».
Saepius ergo decet mordax haurire sinapi, / vel nitro ac sale permixtis acidoque
liquore / laxatis, ut sint simul alia, tangere corpus, / aut lacrimis hederae aut suco
perducere cedri ; / quin etiam fúrfur mixto medicatur aceto. / Unda maris lendes
capitis deducet iniquos / et quicquid crebri défendit silva capilli. — La taminia
uva est le fruit d'une plante appelée tamnus (tamnus communis Linné) : Alfr.
Ernout - Dr A. Pépin, Pline l'Ancien. Histoire naturelle. Livre XXVI, Paris, 1957,
p. 1 16, n. 2 (n. complémentaire à la p. 84). Sur l'ellébore varaire ou vératre (veratrum
album L.), voir R. Halleux, Les alchimistes grecs, I, Paris, 1981, p. 212 (lexique).
Il s'agit de l'ellébore blanc. Le natron est un décapant : R. Halleux, o.L, p. 181
(suite de la n. complémentaire à la p. 102). Le sel avait comme propriété de chasser
les vers du corps : Galien, A Pison. Livre sur l'art des thériaques, 18 (XIV, p. 190
Kühn). Quant à la «larme du lierre», elle est un «suc gommeux-résineux qui coule
du tronc des vieux lierres dans les pays chauds, appelé «gomme de lierre», que
l'on faisait, au xixe s. encore, venir d'Orient, en grumeaux luisants et rougeâtres,
pour l'employer comme excitant, détersif et emménagogue» : J. André, Pline
l'Ancien. Histoire naturelle, Livre XXIV, Paris, 1972, p. 121 (n. complémentaire
à la p. 52). Pour le bois de cèdre, regardé comme éternel, il produisait une résine
dont on tirait de l'huile. Celui-ci était utilisé comme préservatif contre les vers
et la pourriture : Alfr. Jacob, art. Ligna, dans Ch. Daremberg, Edm. Saglio-
Edm. Pottier, Dictionnaire des Antiquités, III, 2 (1904), p. 1244 b.
22 Plutarque, Sylla, 36, 3-4 : "Οθεν και την νόσον άΐΐ αιτίας, έλαφρας άρξαμένην
εξέθρεψε, και πολύν χρόνον ήγνόει περί τα σπλάγχνα γεγονώς εμπυος, υφ' ης και
την σάρκα διαφθαρεισαν εις φθείρας μετέβαλε πασαν, ώστε πολλών δι' ημέρας άμα
και νυκτός άφαιροόντων μηδέν είναι μέρος τοΰ επιγενομένου το άποκρινόμενον, άλλα
πασαν εσθητα και λουτρόν και άπόνιμμα και σιτίον άναπίμπλασθαι τοΰ ρεύματος εκείνου
και της φθοράς' τοσούτον έζήνθει. Α ιό πολλάκις της ημέρας ε'ις ΰδωρ ενέβαινεν
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C'est pourquoi il ne réussit qu'à entretenir sa maladie dont les débuts


avaient une cause bénigne et, pendant longtemps, il était resté dans
l'ignorance du fait qu'il développait autour des intestins une tumeur
purulente qui finit par détruire sa chair en la transformant entièrement
en poux. Aussi, bien que plusieurs personnes passassent nuit et jour
à le frotter, la partie raclée n'était rien auprès de ce qui venait en
renfort : tout son vêtement, la baignoire, l'eau et jusqu'à la nourriture
étaient envahis par ce flux, par la destruction : une belle floraison !
C'est pourquoi plusieurs fois par jour il entrait dans l'eau pour se
laver et se nettoyer le corps à fond : peine perdue. La corruption le
gagnait de vitesse et la prolifération venait à bout de tout abstergent.
Nous avons évoqué précédemment les remèdes préconisés par Pline
l'Ancien ; ce sont les mêmes que l'on utilisait au temps de Celse,
sous Tibère 23, cinquante ans plus tôt. Apparemment, les proches
de Sylla avaient eux aussi multiplié les tentatives : en vain. L'efficacité
des produits était sujette à d'étranges éclipses.

La maladie «pédiculaire» Très vite, la littérature antique offrit des


Un thème récurrent enumerations de personnages atteints
de la maladie pédiculaire. La plus
a pour auteur un écrivain que l'on tient pour le premier
organisateur de la philosophie grecque, à savoir Aristote 24 :

Les poux sortent des chairs. Il se produit, quand ils sont sur le point
de sortir, des espèces de petits boutons, qui ne renferment point de
pus ; si on les perce, il en sort des poux. Chez certains hommes, c'est
là une maladie qui survient lorsque l'humidité est en abondance dans
le corps. On a même vu des gens périr de la sorte, comme le poète
Alemán, dit-on, et Phérécyde de Syros.
Plus tard, les listes se multiplièrent en s'enrichissant. Helladios d'An-
tinoé en Egypte, un auteur de Patria du IVe siècle, en offre à trois

έκκλύζων το σώμα και άπορρυπτόμενος- ην δ' οοδεν όφελος- εκράτει γαρ ή μεταβολή
τω τάχει, και περιεγένετο παντός καθαρμού το πλήθος.
23 Celse, Médecine, VI, 6, 15.
24 Aristote, Histoire des animaux, V, 31, 556 b 28-557 a 4 : Οι δε φθείρες εκ
των σαρκών. Γίνονται δ' ό'ταν μέλλωσιν, οίον 'ίονθοι μικροί, ουκ έχοντες πύον τούτους
αν τις κεντήση, εξέρχονται φθείρες. Ένίοις δε τοΰτο συμβαίνει των ανθρώπων νόσημα,
ό'ταν υγρασία πολλή εν τω σώματι ή· και διεφθάρησάν τίνες ήδη τούτον τον τρόπον,
ώσπερ 'Αλκμάνα τε φασι τον ποιητήν και Φερεκύδην τον Σύριον.
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éléments, Acaste, Phérécyde et Sylla. La plus complète est celle que


donne Plutarque, après sa fantastique description. Outre les trois
personnages déjà cités, il mentionne le poète Alemán, Callisthène
d'Olynthe, le jurisconsulte Mucius et Eunous, le meneur d'une des
guerres civiles en Sicile 25. Nous reviendrons sur ces personnages dans
un instant.
Les trois textes prêtent à une série d'observations qui ne sont point
dépourvues de portée. D'abord, la tumeur purulente qui déclencha
la puUulation des poux chez Sylla n'a aucun répondant chez Alistóte.
D'autre part, le Stagirite n'engageait point sa responsabilité
dans l'affaire. Il doit les noms d'Alcman et de Phérécyde à
des sources dont il ne précise pas la nature 26. Par ailleurs, sa phrase
joue sur les étymons poux (φθείρες) et détruire (φθείρω) d'une
manière qu'il est impossible de rendre en français. Le même lusus
etymologicus marque la description de Plutarque, dont les traits ne
doivent rien à Alistóte. C'est ici le langage qui fournit les principes
étiologiques : ils n'ont rien à voir avec la science. Le rapprochement
φθείρΙ φθείρω, admis par les linguistes contemporains, était connu
de Galien 27. On verra bientôt que le savant de Pergame n'en tire
pas du tout les mêmes conclusions qu'Aristote ni surtout que
Plutarque. Enfin, les deux listes de Plutarque et d'Helladios offrent
la même succession, sans qu'il soit possible de prouver que le second
tienne de l'autre les éléments de la sienne, qu'il donne pour un choix :
telle est l'évolution normale que subit ce type de documents en
franchissant les siècles.
La phtiriase Comme on pouvait le supposer, Dio-
scoride, Galien et tous les médecins qui
ont tiré de son œuvre recettes, extraits ou résumés ont, à l'exemple
de Pline et de Celse, une médecine appropriée à proposer 28. La

25 Helladios, dans Photios, Bibliothèque, cod. 279, VIII, p. 179, 11. 1-9, 11. 1-
9 Henry ; Plutarque, Sylla, 36, 5-6.
26 Soucieux de faire ressortir la génération spontanée comme obstacle épisté-
mologique, M. S. Byl (Recherches sur les grands traités biologiques d'Aristote :
sources écrites et préjugés, Bruxelles, 1980, pp. 271-272) n'examine que les premières
lignes (558 b 28-30) de notre passage. Apparemment, il n'est pas en mesure de
se prononcer sur les sources d'Aristote.
27 Galien, À Pison. Livre sur l'art des thériaques, 18 (XIV, p. 290 Kühn).
28 Dioscoride, V, 105 (III, p. 75 Wellmann) : arsenic rouge avec huile ; I, 37
(I, p. 39 W.) : raifort ; IV, 152 (II, p. 297 W.) : delphinium staphisagria accompagné
148 J. SCHAMP

description de Galien rappelle fortement celle d 'Alistóte 29 :

La naissance des poux sur la tête chez certains survient en masse.


Elle a pour origine une très grande quantité d'humeurs humides,
chaudes certes mais n'atteignant pas le même degré de chaleur que
les sérosités piquantes. Aussi est-ce évidemment la profondeur du
derme qui produit le terrain approprié à la phtiriase : c'est là aussi
que peuvent naître ces animaux (...).
Que la maladie ait été relativement bénigne, c'est la conclusion que
l'on peut tirer de l'emploi d'une source au titre significatif, le traité
Sur les cosmétiques du médecin pneumatique Criton, vers 100 pCn 30.
L'absence de tout accent dramatique et de toute référence historique
prouve que la maladie désignée ici sous le nom de phtiriase n'avait
rien d'exceptionnel et qu'alors comme aujourd'hui elle se traitait le
plus facilement du monde. De nos jours, les médecins distinguent
phtiriase 31 et pédiculose 32. L'une est provoquée par le phthirius
inguinalis, plus connu sous le nom vulgaire de «morpion», l'autre
par le pediculus humanus capitis. Dioscoride, Galien et consorts
paraissent bien avoir appelé phtiriase notre pédiculose moderne. Au
temps de Sylla aussi bien que sous les Antonins, le logis du citoyen

d'huile et d'arsenic rouge. Pour les médecins qui ont pillé l'œuvre de Galien, voir
Oribase, Synopsis pour Eustathe, VIII, 27 (C.M.G. VI, 3 p. 259 Raeder) ; Livres
à Eunape, IV, 7, 11 (C.M.G., VI, 3 p. 443, 11. 15-21 Raeder) ; Paul d'Égine, III,
3, 8 (C.M.G. IX, 1 p. 137 Heiberg) ; Aetios d'Amida, VI, 67 (C.M.G., VIII, 2
pp. 215-216 Olivieri).
29 Galien, De la composition des médicaments, I, 7 (XII, p. 462 Kühn) : Φθειρών
γένεσις εν τη κεφαλή συμβαίνει τισιν αθρόως. Πάμπολλων έξ υγρών δηλονότι θερμον
μεν, ου μην εις τοσούτον ήκόντων θερμότητι εις δσον ήκουσιν οι δριμεις ϊχώρες, ώστε
δήλόν εστίν εν τω βάθει του δέρματος γίγνεσθαι, την διάθεσιν της φθειριάσεως, ένθα
και γεννασθαι τα ζώα ταΰτα δυνατόν εστίν (...).
30 Galien, ibid. (XII, p. 463, 11. 3-4 Kühn). Sur le médecin pneumatique Criton,
on lira Fr. Kudlien, art. Kriton 3, dans Der kleine Pauly, III (1975), col. 351.
31 A. Manuila, L. Manuila, M. Nicole et H. Lambert, Dictionnaire français
de médecine et de biologie, III (Paris, 1972), p. 307, s. vv. Phtiriase et Phthirius
inguinalis ; Y. J. Golvan, Éléments de parasitologie générale, 2e éd., Paris, 1974,
p. 497.
32 Y. J. Golvan, o.l, p. 496. I. C. Beavis {Insects and Other Invertebrates in
Classical Antiquity, University of Exeter, 1988, p. 12) donne une classification plus
précise. D'une part, chez Pediculus humanus, il distingue P. humanus capitis et
P. humanus humanus qui, vivant au contact de la peau, se trouve fréquemment
dans les vêtements, et, d'autre part, il introduit Phthirius pubis.
LA MORT EN FLEURS 149

modeste ou du pauvre affranchi n'était sans doute fréquemment


qu'un galetas malpropre et grouillant de vermine 33.

Mystères et contradictions Aussi la maladie de Sylla demeura-t-elle


un mystère à propos duquel se divisa
la critique. Nous avons déjà évoqué le diagnostic de Jérôme Car-
copino. D'autres opineront dans des sens différents : hémorragie
foudroyante consécutive à une phtisie (P. Grobe) 34 ; coup de sang
(Mommsen 35, qui rejette la phtiriase comme inexistante) ; ulcère
intestinal (Gossen) 36 ; cachexis généralisée avec abcès et eschares
(Dr Carré) 37 ; syphilis (T. F. Carney) 38 ; gale et accident hépatique
(Heaveney-Madden) 39. Peut-on, sans nuance, écrire, comme le faisait
Carcopino ^ : «La maladie pédiculaire est une de celles que nos
médecins ne rencontrent jamais dans leurs hôpitaux, et dans
l'Antiquité, où l'on pourrait compter ses victimes sur les doigts, elle
n'a jamais atteint que les hommes qui, par leur action, leurs ouvrages
ou leurs doctrines, avaient suscité l'envie ou la rancune de leurs
contemporains» ? Les incertitudes touchant le vocabulaire doivent

33 A. Carré (Dr), L'hygiène et la santé dans la Rome antique, Bordeaux, 1933,


p. 136.
34 P. Grobe, dans W. Drumann, Geschichte Roms in seinem Übergange von
der republikanischen zur monarchischen Verfassung, II, 2e éd. (P. Grobe), Leipzig,
p. 562.
35 Th. Mommsen, Histoire romaine, I (trad. Ch. Alexandre, édition de Cl.
Nicolet), 1985, coll. «Bouquins», p. 980.
36 Gossen [H.], art. Laus (2), dans R.-K, XII, 1 (1924), col. 1033.
37 A. Carré (Dr), o.l, p. 138.
38 T. F. Carney, The Death of Sulla, dans Acta Classica. Proc. of the Cl.
Association of South Africa, 4 (1961), p. 64 sqq., que nous citons d'après H.
Volkmann, art. Sulla 1, dans Der kleine Pauly, V (1975), col. 420. «L'identification
de ce cas de Phthiriasis avec la syphilis repose sur une argumentation qui est
médicalement inacceptable» : M. D. Grmek (Dr), Les maladies à l'aube de la
civilisation occidentale, Paris, 1983, p. 201.
39 Arth. Keaveney - J. A. Madden, Phthiriasis and Its Victims, dans Symbolae
Osloenses, 57 (1980), p. 94. Il faut ajouter que, selon les entomologistes, le
responsable de la maladie serait Sarcoptes scabiei Linné. Normalement, ce minuscule
arachnide ne se présente pas en grand nombre, mais il en existe une variété, dont
la présence produit, à la surface de l'aire affectée, de grosses croûtes où apparaissent
des mites à profusion. Pour l'explication, l'inconvénient est que ces mites sont à
ce point petites qu'on peut les considérer comme microscopiques. Partant, comment
a-t-on pu les confondre avec le pou normal? Pour ceci, voir I. C. Beavis, o.l,
p. 108.
40 J. Carcopino, Sylla..., p. 216.
150 J. SCHAMP

nous mettre en garde. Un grand historien de la médecine, le Dr M.


Grmek écrivait récemment 41 : «La maladie en général et même toutes
les maladies en particulier sont des concepts qui ne découlent pas
comme tels immédiatement de notre expérience. Ce sont des modèles
explicatifs de la réalité et non pas des éléments constitutifs de celle-
ci. En bref, les maladies n'existent vraiment que dans le monde des
idées. Elles interprètent une réalité empirique complexe et supposent
donc une certaine philosophie médicale, un système de références
pathologiques». La phrase tire la leçon des difficultés que présente
la lecture des livres médicaux antiques. A fortiori, ces remarques
critiques valent-elles lorsqu'il s'agit non plus de médecins mais, par
exemple, d'historiens chez lesquels la description peut être gauchie
par d'autres préoccupations, littéraires, mais aussi satiriques,
ou religieuses.
Il importe de rappeler que la Vie de Plutarque est le seul document
antique à nous offrir une peinture détaillée d'un décès par phtiriase.
Encore, pour son incohérence, l'ensemble de son témoignage prête-
t-il le flanc à la critique. Après la liste citée précédemment, la
biographe continue de la sorte 42 :

Pour Sylla, non seulement il prédit sa propre mort mais, en un certain


sens, il laissa même un écrit sur elle. En effet, il acheva d'écrire le
vingt-deuxième livre de ses Mémoires deux jours avant sa fin ; et il
y déclare que, d'après une prédiction des Chaldéens, il devait, au terme
d'une belle vie, décéder au faîte du bonheur. Il dit aussi que son fils,
mort peu avant Métella, s'était, lors d'une apparition qu'il avait eue
pendant son sommeil, présenté vêtu d'un méchant habit et avait prié
son père de laisser là les soucis et, venant en sa compagnie auprès
de Métella sa mère, de vivre avec elle dans la tranquillité et loin des
affaires. Cependant, il ne cessa point de s'occuper des affaires de l'État.

41 M. D. Grmek (Dr), o.L, p. 12.


42 Plutarque, Sylla, 37, 1-4 : Ό δε Σύλλας oô μόνον προέγνω την εαυτού τελευτήν,
αλλά τρόπον τινά και γέγραφε περί αυτής. Το γαρ εικοστον και δεύτερον των
'Υπομνημάτων προ δνοΐν ήμερων ή έτελεύτα γράφων επαύσατο· και φησι τους
Χαλδαίους αύτω προειπείν ώς δέοι βεβιωκότα καλώς αύτον εν ακμή των ευτυχημάτων
καταστρέφαι. Λέγει δε και τον υ'ιόν αυτού, τεθνηκότα μικρόν έμπροσθεν τής Μετέλλης,
φανήναι κατά τους ύπνους εν εσθήτι φαύλη παρεστώτα και δεόμενον του πατρός
παύσασθαι των φροντίδων, ιόντα δε συν αύτω παρά την μητέρα Μετέλλαν εν ησυχία
και άπραγμόνως ζήν μετ' αυτής. Ού μην επαύσατο γε του πράττειν τα δημόσια.
LA MORT EN FLEURS 151

L'épisode de la prédication et du rêve, dont il existe des variantes,


constitue le fr. 21 des Mémoires de Sylla 43. En revanche, on ne
cherchera évidemment pas là l'origine des faits de la dernière journée
au cours de laquelle Sylla serait mort soit d'apoplexie soit de la
maladie pédiculaire. Pour la première tradition, on a vu quel parti
en avait tiré, soixante-quinze ans plus tôt environ, Valère Maxime.
La coïncidence est inquiétante, d'autant plus qu'Appien ne rapporte
rien de semblable. Il paraît bien que, dans ces étranges chapitres,
Plutarque a juxtaposé trois traditions peu compatibles, l'une syl-
lanienne et les deux autres franchement hostiles à l'ancien dictateur.

Autres malades Pour les autres personnages victimes de


1. Phérécyde la maladie pédiculaire (on ne parlera
pas d'une épidémie), la littérature
disponible n'autorise à préciser ni la nature ni, a fortiori, la
cause de la maladie. Les articles et documents relatifs à l'Argonaute
Acaste n'évoquent même pas le mal dont il fut frappé. Peut-être,
cependant, le cas de Phérécyde autorise-t-il à soulever un coin du
voile. Au sage de Syros, comme chacun sait, certains ont prêté
l'invention de la prose ; pour ses doctrines, il suffira de rappeler
qu'il admettait la métempsycose et l'immortalité de l'âme **. La
tradition a multiplié les récits de sa mort ; seuls nous retiendront
ici ceux qui mettent en cause la prétendue phtiriase.
Parmi les témoins qui lui attribuent une mort par maladie, force
est pourtant de convenir que l'unanimité ne règne pas. Pythagoricien,
Aristoxène de Tárente offre une version des faits ne laissant aucune
place à la maladie pédiculaire 45 :

43 H. Peter, Historicorum Romanorum reliquiae, I [Stuttgart, 1967 (1914)1],


p. 204.
44 On lira, par exemple, Th. Gomperz, Les penseurs de la Grèce, I, 3e éd.,
Paris (trad. Aug. Reymond), 1928, pp. 117-120 ; W. Jäger, A la naissance de la
théologie. Essai sur les présocratiques, Paris, 1966, pp. 74-79 ; J.-P. Vernant, Mythe
et pensée chez les Grecs. Études de psychologie historique, Paris, 1965, p. 69 ; Les
origines de la pensée grecque, 2e éd., Paris, 1969, pp. 111-112 ; Clémence Ramnoux,
La nuit et les enfants de la nuit, Paris, 1986, pp. 192-195.
45 Phérécyde, 7 A 4 D.-K. 6 = Diodore de Sicile, X, 3, 4 : "Οτι Πυθαγόρας
πυθόμενος Φερεκύδην τον επιστάτην αυτοΰ γεγενημένον εν Δήλω νοσην και τελέως
εσχάτως εχειν, επ^σεν εκ της 'Ιταλίας εις τήν Δήλον. Έκέί δε χρόνον Ίκανόν τον
άνδρα γηροτροφήσας πασαν είσηνέγκατο σπουδήν, ώστε τον πρεσβύτην εκ της νόσου
διασώσαι. Κατισχυθέντος δε του Φερεκύδου δια το γήρας και δια τα μέγεθος της νόσου,
περιέστειλεν αυτόν κηδεμονικώς, και δια των νομιζομένων άξιώσας ώσανεί τις υιός
152 J. SCHAMP

Que Pythagore avait appris que son chef Phérécyde, s'étant trouvé
à Délos, y était malade et était à la dernière extrémité. D'Italie, il
fit la traversée en direction de Délos. Là, il passa un temps suffisamment
long à traiter le vieil homme en lui administrant des soins de toute
sorte, de façon à le sauver des griffes de la maladie. Mais, quand
l'âge et le gravité de la maladie eurent triomphé des forces de
Phérécyde, il le porta à son ultime demeure, lui rendit les derniers
devoirs, comme un fils pour son père, et prit à nouveau le chemin
de l'Italie.
Tout autre est le récit qui se lit dans diverses historiettes 46 :

Dévoré de poux, Phérécyde de Syros périt à Samos lorsqu'à Pythagore


qui était venu lui aussi il montra à travers l'ouverture (de la porte)
son doigt complètement décharné.
Mais 47

d'autres (disent) que (Phérécyde) mourut de la maladie pédiculaire ;


lorsque Pythagore se fut rendu auprès de lui et s'enquit de son état,
il dit, en passant le doigt par l'ouverture de la porte : «Ma peau
l'indique.» Et désormais, chez les érudits, la locution est employée
pour les cas fort graves ; ceux qui l'emploient à propos de ceux qui
vont fort bien sont dans l'erreur.
On le voit, les deux derniers récits tournent autour d'un mot ou
d'un geste qu'ils montent en épingle. Pour le reste, ils se distinguent
seulement par leur système chronologique : chronologie haute pour
l'un (Pythagore n'avait pas encore quitté définitivement Samos),
basse pour l'autre (il revenait de Crotone, le siège de son école) 48.
Trancher ces problèmes délicats n'est pas l'objectif de notre étude.
Il importe de signaler une variante intéressante. Elle prouve que,

πατερά πάλιν έπανήλθεν εις την Ίταλίαν. L'extrait proviendrait du traité d'Aristoxène
Sur Pythagore et ses disciples : A. Delatte, La vie de Pythagore de Diogène Laerce,
Bruxelles, 1922, p. 150.
46 Aristote, fr. 611, 32 p. 378, 11. 5-8 Rose : Φερεκύδης ό Σύριος ύπό φθειρών
καταβρωθεις έν Σάμφ έτελεύτησεν, ό'τε και ελθόντι Πυθαγόρα τον δάκτυλον δια της
οπής έδειξε περιεψιλωμένον.
47 Phérécyde, 7 Α 1 D.-K. 6 = Diogène Laërce, I, 118 : Οι δε φθεψιάσαντα
τον β'ιον τελευτήσαν δτε και Πυθαγόρου παραγενομένου και πυνθανομένον πώς
διακέοιτο, διαβαλόντα της θύρας τόν δάκτυλον ειπείν «χροΐ δήλα». Και τούντεΰθεν
παρά τοις φιλολόγοις ή λέξις επι τών χειρόνων τάττεται, οι <5' έπί τών βέλτιστων
χρώμενοι διαμαρτάνουσιν.
48 Α. Delatte, o.L, p. 150.
LA MORT EN FLEURS 153

dans l'Antiquité, on confondait aisément phtiriase et helminthiase.


C'est là un trait que l'on retrouve par la suite, y compris dans les
travaux d'érudition modernes, comme, par exemple, l'article de
Gossen dans la Real-Encyclopädie 49. Apulée écrivait en effet 50 :

En outre, il y eut aussi Pherécyde, originaire de lile de Syros, qui


fut aussi le premier, après avoir rejeté la chaîne du vers, à écrire avec
des mots coulants, une diction déliée et un style libre ; ce fut lui aussi
que Pythagore vénéra comme son maître et lorsque, sous l'effet du
pourrissement produit par une maladie abominable, il se fut décomposé
en pustules grouillant de vermine {serpentium), Pythagore l'enterra
religieusement.
Les seuls passages pour lesquels nous ayons une description de
symptômes sont dus à la plume d'Élien. L'origine de la maladie
s'explique comme chez Alistóte. Le polygraphe propose pour le mal
une explication d'inspiration religieuse. Relisons les textes 51 :

Que le maître de Pythagore, Pherécyde, lorsqu'il eut succombé à la


maladie, se mit à transpirer d'une sueur chaude et gluante, bientôt
maligne, puis il souffrit de la maladie pédiculaire. Après désagrégation
des chairs, la consomption se joignit aux poux, et ce fut de la sorte
qu'il passa de vie à trépas.

49 Gossen [H.], o.l, coll. 1033-1034.


50 Apulée, Florides, 15, 19 : Quin etiam Pherecydes Syro ex ínsula oriundus,
qui primum versuum nexu repudíalo conscribere ausus est passis verbis, soluto
locutu, libera oratione, eum quoque Pythagoras magistrum coluit et infandi morbi
putredine in serpentium scabiem solutum religiose humavit.
51 Élien, Histoires variées, V, 2 : "Οτι Φερεκύδης ό Πυθαγόρου διδάσκαλος
έμπεσών εις την άρρωστίαν πρώτον μεν Ίδρου ιδρώτα θερμον ιξώδη, ύστερον δε
θηριώδη, μετά δε εφθειρίασε. Και διαλυομένων των σαρκών ές τους φθείρας έπεγένετο
τήξις, και οΰτω τον βίον μετήλλαξεν. On retrouve le même symptôme chez le médecin
Q. Serenus {o.l, 5, 59-61) où le cas de Pherécyde est à nouveau lié à celui de
Sylla : «Mais qui ne redouterait le destin du tragédien Pherécyde, qui, ruisselant
de sueur, se mit à produire des animaux affreux : dans une mort hideuse, ils
emportèrent le malheureux.» Sed quis non paveat Pherecydis fata tragoedi, / qui
nimio sudore fluens animalia taetra / eduxit, turpi miserum quae morte tulerunt.
— Plutarque rapproche à deux reprises la «phtiriase» de Pherécyde et l'hydropisie
d'Heraclite diphèse : Sur les notions communes, 11 (Moralia, 1064 A) ; Que l'on
ne peut même pas vivre, 5 {M., 1089 F). Ces témoignages sur Heraclite sont recoupés
par 22 A 1 D.-K.6 = Diogène Laërce, IX, 3. Du premier, on peut lire une
traduction dans É. Bréhier, Les Stoïciens, Paris, 1962, Pléiade, p. 144. Les textes
de Plutarque n'ont pas trouvé place dans le recueil de Diels.
154 J. SCHAMP

Et52

Phérécyde connut la fin la plus douloureuse du monde : tout son corps


était rongé de poux ; parce qu'il offrait un aspect repoussant,
se dérobait à la société de ses habitués. Lorsque quelqu'un
venait s'enquérir de son état, par l'ouverture de la porte, il introduisait
un doigt qui avait perdu sa chair et il ajoutait que tel était aussi l'aspect
de tout son corps. Au dire des gens de Délos, c'était le dieu en courroux
qui l'avait rendu de la sorte. Siégeant à Délos au milieu de ses disciples,
entre autres nombreux traits de sa sagesse que l'on cite, il leur dit,
par exemple, qu'il n'avait offert de sacrifices à aucun des dieux et
que, malgré tout, il avait, non moins que ceux qui sacrifient par
hécatombes entières, mené une vie ne laissant, pour l'agrément, rien
à désirer et dépourvue de chagrin.
Le thème de la vengeance divine remonte à Hérodote au moins et
a traversé la tragédie. Nous ne tarderons à le retrouver à propos
de Sylla.

2. Alemán Le poète se rendit-il, comme Phérécyde,


coupable d'un outrage majeur à la
? Aristote et Plutarque sont en tout cas les seuls à rappeler
sa lamentable fin 53.

52 Élien, O.I., IV, 28 : Φερεκύδης ô Σύριος τον βίον άλγεινότατα ανθρώπων


κατέστρεψε, του παντός αύτω σώματος οπό φθειρών άναλωθέντος- και γενομένης αύτω
αισχρός της όψεως την εκ τών συνήθων έζέκλινε συνουσίαν. 'Οπότε δέ τις προσελθών
επυνθάνετο ό'πως διάγοι, δια της οπής τής κατά την θύραν διε'ιρας τον δάκτυλον ψιλον
γεγονότα τής σαρκός επέλεγεν ούτω διακέίσθαι και το παν αύτοΰ σώμα. Αέγουσι δε
Δηλίων παίδες τον θεόν τόν εν Αήλφ μηνίσαντα αύτω τοϋτο ποιήσαι. Καθήμενον γαρ
εν Αήλφ μετά τών μαθητών άλλα τε πολλά φασι περ\ τής έαυτοΰ σοφίας ειπείν και
δη και τοϋτο μηδενι τών θεών θΰσαι, και όμως ούδεν ήττον ήδέως βεβιωκέναι και
αλύπως, ού μείον τών εκατομβας καταθυόντων.
53 Le problème est sans doute plus complexe qu'il n'y paraît. Cl. Cálame
{Alemán. Fragmenta edidit veterum testimonia collegit Ci. G, Rome, 1983, p. xxi)
se contente de signaler le tombeau qu'avaient élevé les Lacédémoniens en l'honneur
du poète, auprès du sanctuaire des héros les plus vénérés de la cité. D'après certains
philologues, il y aurait lieu de corriger le témoignage d'Antigone de Caryste
(Mirabilia, 88, p. 23, 1.9 sqq. Keller = Τ 16, p. 11 Caíame), où il faudrait lire
le nom, non pas du poète, mais du philosophe-médecin pythagoricien Alcméon
de Crotone. Le passage des Mirabilia est presque une copie servile du texte d'Aristote
(T 15 p. 10 Caíame) que nous avons reproduit plus haut (voir supra, p. 146 et
n. 24). Esprit fort lui aussi, Alemán n'aurait, dans ce cas, fait qu'imiter Phérécyde.
Mais alors pourquoi ne pas corriger aussi Aristote ? Même si l'explication définitive
nous échappe encore, mieux vaut en rester à la lettre des manuscrits. Il se pourrait
bien d'ailleurs que la personnalité d'Alcman fût beaucoup moins simple qu'on ne
LA MORT EN FLEURS 1 55

3. Démocrite et Socrate D'autre part, selon Marc-Aurèle 54,


pour Démocrite, ce furent les poux, pour Socrate d'autres poux (agents
destructeurs) qui le tuèrent.
Le jeu de mots est patent. Aussi bien 55, «toute cette phrase est
interpolée. On a du reste confondu Démocrite avec Phérécyde».
4. Platon Le cas d'autres intellectuels n'offre pas
non plus un moyen d'élucidation. Si l'on en croit les Semblables
de Myronianos (ne s. a.Cn) 56,
Philon mentionne des proverbes sur les poux de Platon : ce serait
de la sorte qu'il aurait fini.

La calomnie est ici à l'œuvre évidemment, à moins que ce ne soit


la causticité ou la seconde au service de la première. Dans le Sophiste,
Platon s'était posé la question suivante : en matière de chasse, les
ruses qu'ourdit le stratège sont-elles plus méritoires que celles du
chasseur de poux ? Aux yeux du dialecticien, ce n'est certes pas vrai :
seule importe la méthode qui recourt à la technique de la division 57.
Le maître de l'Académie aurait fini lui-même par succomber aux
poux (les puissances destructrices, autant la mort que sa propre
dialectique) qui n'épargnent personne. Que nous sachions, le vocable
φθεψιστική (τέχνη) art du tueur de poux ne figure que dans le
Sophiste (227 b 5).

l'a cru jusqu'ici. Depuis la découverte par Lobel en 1957 d'un commentaire sur
papyrus, nous savons qu'Alcman avait écrit un poème cosmogonique dans lequel
il attribuait un rôle primordial à Thétis. Voir M. Détienne - J.-P. Vernant, Les
ruses de l'intelligence. La métis des Grecs, Paris, 1974, pp. 136-140. Ils n'hésitent
pas à rapprocher de Phérécyde le poète des Parthénées. Une tradition sacerdotale
hostile aurait-elle prêté à tous deux un crime de lèse-divinité ?
54 Marc-Aurèle, III, 3, 5 : Δημόκριτον δε οι φθείρες, Σωκράτην δε άλλοι φθείρες
άπέκτειναν.
55 Α. Ι. Trannoy, Marc-Aurèle. Pensées, Paris, 1925, p. 20, η. 1.
56 Diogène Laërce, III, 40 : Μυρωνιανος δ' εν όμο'ιοις φησί Φίλωνα παροιμίας
μνημονενειν περί των Πλάτωνος φθειρών, ώς οΰτως αύτοΰ τελευτήσαντος. Peut-être
l'activité de Myronianos doit-elle être située au ne s. aCn. Voir Alice Swift Riginos,
Platónica. The Anecdotes concerning the Life and Writings of Plato, Leyde, 1976,
p. 196 (n° 146).
57 Nous analysons ici un fragment du Sophiste, 227 b 4-6. On lira avec intérêt
la notice d'Alice Swift Riginos, /./.
156 J. SCHAMP

5. Speusippe La fin de Speusippe, le neveu de Platon


et son successeur à l'Académie, n'est
pas, semble-t-il, sans quelque analogie avec celle de Phérécyde 58 :
Plutarque dit dans ses Vies de Lysandre et de Sylla qu'il fourmillait
de poux. Son corps s'était aussi liquéfié, comme le dit Timothée dans
son Sur les Vies.
Le corps de Speusippe s'était apparemment réduit à la charpente
osseuse, exactement comme celui de Phérécyde.

6. Callisthène Neveu d'Aristote, compagnon et


riographe d'Alexandre, Callisthène
à la suite de la répression qui suivit l'affaire de la proscynèse 59.
Le refus de se prêter à un rite blessant pour la sensibilité d'un homme
cultivé qui voulait exalter pour l'Orient le type même du souverain
hellénique constituait à coup sûr un attentat à la majesté du
Aussi la propagande et la légende se mirent-elles très tôt à
travestir les données historiques au point de les rendre illisibles. La
version la plus ancienne se lit chez Plutarque ω :

Callisthène mourut, selon les uns, pendu sur ordre d'Alexandre, selon
les autres, les pieds dans les fers et malade, mais, selon Charès, gardé
enchaîné après son arrestation pendant sept mois pour être jugé devant
le conseil en présence d'Aristote, il mourut pendant ces journées où
Alexandre fut blessé dans l'Inde, d'un excès d'obésité et dévoré de
poux.

58 Diogène Laërce, IV, 4 : Πλούταρχος δε φησιν εν τω Λυσάνδρου βίω και Σύλλα


φθειρσιν έκζέσαι αυτόν. ΤΗν δε και το σώμα διακεχυμενος, ως φησι Τιμόθεος εν τω
περί βίων = L. Taran, Speusippos of Athens. A Critical Study with a Collection
of the Related Texts and Commentary, Leyde, 1981, p. 114, 11. 31-33 (T 1). Il faut
souligner le jeu de mots φθείρ, φθείρω / ζέω ζω (ζην). Pour une figure analogue,
voir infra, p. 165 (η. 88). Sur Timothée d'Athènes, voir R. Laqueur, art. Timotheos
15, dans R.-K, XVI (1937), coll. 1338-1339. La référence de Diogène est erronée.
On chercherait en vain le passage dans l'œuvre conservée de Plutarque. Il n'a pas
été relevé non plus dans les fragments par R. Flacelière {Plutarque. Vies, t. XV,
Paris, 1979, pp. 207-218).
59 Sur ce point, on lira en dernier lieu P. Pédech, Historiens compagnons
d'Alexandre, Paris, 1984, pp. 17-18.
60 Plutarque, Alexandre, 55, 9 : Άποθανειν <5' αύτον μεν υπ' 'Αλεξάνδρου
κρεμασθέντα λέγουσιν, οι δ' εν πέδαις δεδεμένον και νοσήσαντα, Χάρης δε μετά την
σύλληψιν επτά μήνας φυλάττεσθαι δεδεμένον, ώς εν τω συνεδρίφ κριθείη παρόντος
'Αριστοτέλους, εν αις <5' ήμεραις 'Αλέξανδρος έτρώθη περί την Ίνδ'ιαν, άποθανέϊν
ύπέρπαχυν γενόμενον και φθειριάσαντα.
LA MORT EN FLEURS 157

Trois sources, autant de versions divergentes, dont les auteurs sont


identifiés depuis longtemps, respectivement Ptolémée Sôter (la
pendaison) 61, Aristoboulos de Cassandreia (les fers) 62 et Charès de
Mytilène 63, cité nommément. Entre leurs affirmations, il était
de démêler la part de vérité, au temps d'Amen déjà, qui
écrivait M :

Ainsi, les gens tout à fait crédibles pour leur récit, bien qu'ils eussent
été à l'époque les compagnons d'Alexandre, n'ont même pas, sur le
déroulement d'événements bien connus et qui ne leur avaient point
échappé, consigné des données concordantes. Nombreux sont en
général les récits sur ces mêmes événements qu'ont laissés divers
historiens sous des formes variables.
Ptolémée refusait d'innocenter Alexandre ; Charès cherchait au
contraire à soulager sa mémoire de la responsabilité d'une exécution.
Aristoboulos adopta une voie moyenne 65, que suivit la tradition
ultérieure, non sans broder à coups de détails révélant une imagination
morbide : l'historien enfermé dans une cage de verre, dévoré de poux
et partant délaissé de tous, puis jeté en pâture à un lion 66, amputé
des quatre membres, oreilles, nez et lèvres coupés puis promené avec
un chien dans une cage 67. Callisthène au jardin des supplices !
Pourtant, il y a loin du cas de Sylla à celui de Callisthène dont
il faut se résigner à ignorer la fin exacte. Quoi qu'il en fût, la version

61 Ptolémée, 138 F 17 Jacoby. Cf. Arrien, Anabase, IX, 14, 3.


62 Aristoboulos, 139 F 33.
63 Charès, 125 F 15.
64 Arrien, Anabase, IV, 14, 3-4 : Οντως ουδέ oí πάνυ πιστοί ες την άφήγησιν
και ξυγγενόμενοι εν τω τότε Άλεξάνδρω όπερ των γνωρίμων τε και ού λαθόντων
σφας δπως διεπράχθη ξύμφωνα ανέγραψαν. Πολλά δε και άλλα όπερ τούτων αυτών
άλλοι άλλως άφηγήσαντο.
65 F. Jacoby, art. Kallisthenes (2), dans R.-K, Χ, 2 (1919), col. 1683. Pour une
présentation plus nuancée de l'attitude de Ptolémée, voir P. Pédech, o.L, pp. 310-
312, en particulier p. 312 : «D'après Ptolémée, il fut torturé et pendu. (...) Ptolémée,
homme de gouvernement, n'avait pas d'autre préoccupation que de montrer le
d'un coupable.» Pour Aristobule, voir pp. 358-360, surtout p. 358 : «II a fait
Callisthène encore plus coupable et complètement innocenté Alexandre de sa mort.»
66 Callisthène, 124 Τ 6 = Diogène Laërce, V, 4, 5. Cf. Scholies ΒφΩ à
Lucien, Dialogues des morts, 14 (p. 258, 11. 3-6 Rabe) ; Tatien, Discours aux païens,
2 (p. 10 Otto) : Callisthène promené en cage comme un ours ou une panthère.
67 Justin, XV, 3. Les Péripatéticiens conçurent une vive rancune du tragique
destin infligé à Callisthène, à telles enseignes qu'ils dénigrèrent systématiquement
celui qui avait prononcé l'arrêt. Voir P. Pédech, o.L, p. 349.
158 J. SCHAMP

de Charès ne pouvait choquer ses lecteurs, pour peu qu'ils connussent


la situation des prisonniers en général. En la matière, les
parvenus jusqu'à nous sont rares, il est vrai, mais il y
a toute chance que l'historien ne bénéficia pas d'un régime carcéral
plus favorable que Persée, le dernier roi de Macédoine (178-168)
un siècle et demi plus tard 68 :

Avant que le sénat eût statué sur son sort, un des préteurs urbains
le fit jeter dans la prison d'Albe avec ses enfants. La prison, c'est une
profonde fosse souterraine qui a tout au plus les dimensions d'une
pièce à neuf lits ; elle est toute ténèbres et puanteur du fait des hommes
jetés dans ce lieu et condamnés à des crimes capitaux ; la plupart
d'entre eux à cette époque s'y trouvaient enfermés ; avec pareille foule
parquée dans un tel boyau, le physique de ces infortunés tournait à
la sauvagerie et, comme les reliefs de nourriture et autres déjections
arrivaient pêle-mêle au même endroit, il arrivait que se répandait une
odeur si pestilentielle qu'aucune des personnes qui s'approchaient ne
la pouvait supporter aisément.

Pour le pauvre Callisthène, il se pourrait que de déplorables


d'hygiène aient provoqué une pullulation de vermine,
de poux. La dégradation physiologique a dû faire le reste.
7. Eunous L'ancien esclave d'Apamée, Eunous, le
meneur de la guerre servile en Sicile 69
(136/135-132 aCn) connut une mésaventure analogue, lorsque le
consul P. Rupilius se fut emparé de la cité d'Enna 70 :

68 Diodore de Sicile, XXXI, dans Photios, Bibliothèque, cod. 244, VI, p. 140,
11. 31-2 Henry : Πρ\ν γαρ ή τήν σύγκλητον υπέρ αύτοΰ διαλαβείν ο χρή παθείν, τών
κατά πάλιν στρατηγών εϊς ενέβαλεν αύτον εις τον εν "Αλβαις κάρκαρον μετά τών
τέκνων. "Εστί δε ό κάρκαρος όρυγμα κατάγειον βαθύ, το μεν μέγεθος έχον οίκου μάλιστα
πως έννεακλίνου, σκότου δε πλήρες και δυσοσμίας δια το πλήθος τών παραδεδομένων
εις τούτον τον τόπον ανδρών, τών έπ"ι θανατικόϊς έγκλήμασι καταδικαζομένων, ών
εν έκε'ινοις τόϊς χρόνοις οι πλε'ιους ενταύθα καθείργνυντο' εν οΰτω γαρ στενωπω
συγκεκλεισμένων πολλών ανδρών άπεθηριοΰτο τα τών ατυχών σώματα, τών τε προς
τροφήν και τήν αλλην πασαν χρείαν ανηκόντων πάντων εν ταυτω πεφυρμένων τοσαυτην
προσπίπτειν δυσωδίαν συνέβαινεν, ώστε μηδένα τών προσιόντων ραδίως δΰνασθαι
καρτερήσαι.
69 Sur la révolte d'Eunous, voir, par exemple, [G. Bloch-]J. Carcopio, o.L,
pp. 178-179 ; H. G. Gundel, art. Eunous, dans Der kleine Pauly, II (1979), col. 429.
70 Diodore de Sicile, XXXIV = Photios, ibid., VI, p. 153, 1. 39-p. 154, 1. 5 :
Ό δε τερατίας Ευνους και βασιλεύς, καταφυγών δια δειλίαν εν τισι κοιλάσι, έξειλκόσθη
αμα τεττάρων, μαγείρου και αρτοποιού και του τρίβοντος αυτόν εν τω λουτρώ και
LA MORT EN FLEURS 1 59

Quant au charlatan et roi Eunous, qui s'était, par lâcheté, réfugié dans
des cavernes, il en fut tiré en même temps que quatre compagnons,
un cuisinier, un boulanger, celui qui le massait au bain et, en quatrième,
le bouffon qui officiait au cours des banquets. Mis en prison, lorsque
son corps se fut décomposé en une pullulation de poux, il eut, à
Morgantine, une fin appropriée à sa friponnerie.
Diodore et Plutarque s'accordent sur les circonstances de la mort
d'Eunous, mais divergent sur la localisation. Reste que les oscillations
de la tradition s'expliquent à la lumière des nécessités politiques.
S'agit-il de faire ressortir la basse extraction de l'individu ?
un coin relativement retiré de Sicile, fournissait une cellule
toute prête. Eunous avait-il mis en balance la puissance romaine ?
Le mal le terrassait dans un cachot de la capitale. Ainsi périssent
les ennemis du nom sacré de Rome. Les vicissitudes de leur histoire
ont réuni Callisthène et Eunous pour une fin commune dans une
prison peu salubre.
8. P. Mucius Qu'en fut-il du jurisconsulte Mucius,
que R. Flacelière 71, après bien d'autres,
identifie avec P. Mucius Scaevola, un de ceux qui rédigèrent la loi
agraire de Tib. Gracchus, consul en 133 aCn, l'année où fut assassiné
le premier des Gracques ? La pauvreté du renseignement, en fait
la seule enumeration de Plutarque, n'autorise pas la moindre

9. Cleinatas Enfin, les stèles d'Épidaure font état


d'un «miracle» dont bénéficia un certain
Cleinatas de Thèbes 72 :

τετάρτου του παρά πότους ειωθότος ψυχαγωγε'ιν αυτόν. Και παραδοθείς εις φυλακήν,
και του σώματος αότοϋ διαλυθέντος εις φθειρών πλήθος, ο'ικείως της περί αυτόν
ραδιουργίας κατέστρεψε τον β'ιον εν τή Μοργαντίνη. Sur Morgantine, cité sise au
centre de la Sicile, proche de l'actuelle Serra Orlando, voir Kl. Meister, art.
Morgantina, dans Der kleine Pauly, III (1979), coll. 1427-1428.
71 R. Flacelière, Plutarque. Vies, t. VI, Paris, 1971, p. 348 (n. complémentaire
à Sylla, 36, 5, p. 283) et XI, Paris, 1976, p. 160 (n. complémentaire à la p. 104).
72 IG1, IV, 1, 122, § 28 : Κανάτας, Θηβαίος ô τους φθείρας- ούτος π[λή]θός τι
πάμπολυ φθε[ιρ]ών εν τω σώματι [έ]χων άφικόμενος επεκά[θευ]δε και όρη δψιν.
Έδόκει αυτόν νιν ό θεός έγδύσας και γυμνον καταστάσας ορθόν σάρ[ω]ι τινι τους
φθείρας από του σώματος άποκαθαίρειν άμέρας δε γ[ε]νομένας εκ του άβατου υγιής
εξήλθε. Document déjà signalé par O. Keller {Die antike Tierwelt, II, Leipzig,
p. 397).
160 J. SCHAMP

Cleinatas de Thèbes, l'homme qui a des poux : ayant sur le corps


une énorme quantité de poux, il fit l'incubation à son arrivée et eut
une vision. Il lui semblait qu'après l'avoir déshabillé et mis debout
tout nu, le dieu avec une brosse lui nettoyait le corps de ses poux ;
le jour venu, (Cleinatas) sortit du saint des saints en bonne santé.
Guérison ou leçon d'hygiène corporelle ou vestimentaire ? Toujours
est-il que l'accident de santé, si l'on peut dire, qui affecta Cleinatas
ne paraît pas avoir été de nature à mettre sérieusement ses jours
en danger.
Les mangeurs Voici peu, Mme Bibiane Bommelaer 73
de sauterelles croyait découvrir un nouveau cas de
phtiriase dans la maladie qui atteignait
les «mangeurs de sauterelles» d'Ethiopie. Agatharchide, que nous
connaissons notamment grâce aux fragments transmis par Photios,
en a laissé une vive description 74 :

73 Bibiane Bommelaer, Diodore de Sicile. Bibliothèque historique. Livre III,


Paris, 1989, p. 38, n. 1 : «Cette maladie est connue sous le nom de phtiriasis (ou
phtiriase) ; c'est elle qui emporta Sylla (...).»
74 Agatharchide, dans Photios, o.L, cod. 250, VII, p. 169, 11. 4-15 : Τελευτώσι
δε τοΰ ζην άθλιώτερον αμα γαρ τω πλησιάζειν το γήρας έγγίνεται το'ις σώμασιν αυτών
πτερωτά γένη φθειρών, όμοια μεν τω τυπω το~ις κρότωσι, βραχεί δε ελάττω τών εν
το~ις κυσι φαινομένων, αρχόμενα μεν από τοΰ στήθους και της κοιλίας, έπινεμόμενα
δε συντόμως μετά τοΰ παντός προσώπου την επιφάνειαν. Οι τα μεν πρώτα τόίς ψώρας
ήρεθισμένοις ομοίως διάκεινται, ύστερον δ' έπιπόνως εαυτούς σπαράττουσιν είτα τοΰ
πάθους εις άκμήν έλκομένου, και μετά τής τών θηρίων εκφύσεως και λεπτών
άναχεομένων ιχώρων, άκαρτερήτους ύφίστασθαι τους αθλίους τας δριμύτητας συμβαίνει.
Les rapports entre Agatharchide-Diodore et Agatharchide-Photios demeureront
sans doute toujours malaisés à définir. Voir, sur ce point, l'étude de Bibiane
Bommelaer (o.L, pp. xxi-xxvi). Ici, la comparaison des textes fait apparaître la
supériorité de Photios sur Diodore, qui offre une version sensiblement plus horri-
fique (III, 29, pp. 37-38 Bommelaer) : «La fin de leur existence est non seulement
incroyable, mais aussi la plus déshéritée du monde. En effet, lorsque approche
la vieillesse naissent dans leur corps des poux ailés qui ont non seulement des
formes diverses, mais aussi un aspect hideux et tout à fait rebutant. Commençant
par le ventre et par la poitrine, le mal envahit toute la masse du corps en peu
de temps. Au premier stade, comme si elle était irritée par une sorte de gale, la
victime ne ressent qu'un désir modéré de se gratter, car la maladie provoque un
mélange de plaisir et de douleur : par la suite, quand les bestioles qui n'ont cessé
de proliférer font irruption sur la peau, s'écoule en même temps en abondance
une sérosité claire dont la piqûre cuisante est tout à fait insupportable. C'est
pourquoi qui est en proie à la maladie se déchire à coups d'ongles avec une violence
accrue en poussant de grands gémissements. Sous les ulcères produits par les doigts
se répandent les vers en telle quantité qu'il ne sert à rien de les ôter, car il en
apparaîtrait d'autres après les premiers, comme au sortir d'un récipient percé de
LA MORT EN FLEURS 161

Ils ont une fin plus pénible que leur vie ; en effet, à mesure qu'approche
la vieillesse naissent dans leur corps des espèces de poux ailés, à la
forme semblable à des ricins, mais un peu plus petits que les vers
apparaissant chez les chiens ; s'attaquant d'abord à la poitrine et au
ventre, ils se répandent sans discontinuer sur tout le visage et sur la
peau. Au premier stade, ces hommes ressentent la même irritation
que les galeux ; plus tard, avec force douleurs, ils se grattent ; ensuite,
quand le mal atteint son paroxysme, au cours de la croissance des
bestioles et lorsque suintent des sérosités claires, intolérables sont les
piqûres qu'ont à endurer les malheureux.
Plus prudent, D. Woelk citait, sans se prononcer, un rapport de
la société de géographie publié en 1946 75 : il s'agirait d'une maladie
infectieuse, dont l'origine est un ver du cobaye agissant par
d'eau impropre à la consommation. Le Dr Grmek 76 veut
bien nous préciser que Woelk fait mention de la dracunculose, une
maladie provoquée par le dragonneau ou filaire de Médine. Toutefois,
les symptômes énumérés par Agatharchide s'accordent mal avec ce
que l'on connaît de la maladie par ailleurs (poux ailés, siège initial
au tronc, et non aux membres inférieurs, etc.), en sorte que, même
si le noyau du récit d 'Agatharchide n'est certainement pas mythique,
tout diagnostic rétrospectif est impossible. Quant au diagnostic
ancien de phtiriase, on ne peut certes le rattacher à une entité noso-
logique actuelle. La dénomination de «phtiriase» recouvre
plusieurs parasitoses, parmi lesquelles la myiase (infestation
de la chair nécrotisée par les larves des mouches banales) et une

mille trous.» Το δε του βίου τέλος ου μόνον παράδοξον εχουσιν, άλλα και πάντων
άκληρότατον. "Οταν γαρ πλησιάζη το γήρας, εμφύονται τόϊς σώμασι πτερωτοί φθείρες
ου μόνον διάφοροι τοις ειδεσιν, άλλα και ταΐς Ίδέαις άγριοι και παντελώς ειδεχθείς.
Άρξάμενον δε το κακόν από της γαστρός και τοΰ θώρακος επινέμεται πάντα τον ογκον
εν όλίγω χρόνω. Ό δε πάσχων το μεν πρώτον ώς υπό ψώρας τινός ερεθιζόμενος
μετρίως όδαξασθαι φιλοτιμείται, μεμιγμένον έχοντος τοΰ πάθους άλγηδόσι την χαράν
μετά δε ταΰτα άει μάλλον των εγγενομένων θηρίων εις την έπψάνειαν εκπιπτόντων
συνεκχέϊται πλήθος Ίχώρος λεπτοΰ, την δριμύτητα παντελώς έχοντος άνυπομόνητον.
Διόπερ ó συνεχόμενος τω πάθει βιαιότερον άμύττει τόϊς δνυξι, στεναγμούς μεγάλους
προϊέμενος. Κατά δε τας των χειρών εξελκώσεις τοσοΰτο πλήθος εκπίπτει των ερπετών
ώστε μηδέν άνύειν τους άπολέγοντας, ώς αν άλλων επ' άλλοις εκφαινομένων καθάπερ
εκ τίνος αγγείου πολλαχώς κατατετρημένου.
75 D. Woelk, Agatharchides von Knidos. Über das Rote Meer. Übersetzung
und Kommentar, Diss., Bamberg, 1962, p. 156.
76 Lettre personnelle du 12 octobre 1989. Nous tenons à remercier l'éminent
historien de la médecine pour son inestimable contribution.
162 J. SCHAMP

variété exotique ou même disparue d'infestation par des acariens


parasitant des animaux transmissibles à l'homme dans certaines
conditions. Au sens strict, il ne pourrait donc s'être agi de poux,
qui jamais ne s'insinuent sous la peau ; d'autre part, les anciens
connaissaient bien les poux en tant que parasites externes ; aussi
est-il difficile d'admettre qu'ils se soient trompés sur toute la ligne.
Pour la plupart des personnages évoqués précédemment, il est
douteux qu'ils aient vécu dans des conditions d'hygiène propres à
susciter une parasitose sévère. Ce qui frappe dans la catastrophe
de Sylla, c'est que le miasma, non content d'infecter le malade gagne
aussi tout ce qu'il touche, eau, nourriture, baignoire. Rien de ceci
dans Agatharchide. La phtiriase se comporte comme un λοιμός 77.

Brève histoire On vient de voir combien les Anciens


d'un jeu de mots étaient restés sensibles aux
ques sous-jacentes aux mots. Le vocable
«pou», par exemple, revêt chez Marc-Aurèle son sens obvie, mais
aussi celui d'«agent destructeur». La trace la plus ancienne que nous
ayons pu découvrir du lusus etymologicus est dans un fragment
d'Heraclite d'Éphèse qui fait allusion à la mort d'Homère 78 :

Car c'est bien lui que les enfants tuant des poux jouèrent en disant :
«Tout ce que nous avons vu et pris, cela, nous le laissons ; tout ce
que nous n'avons ni vu ni pris, cela, nous l'emportons».
Plongé dans la méditation de l'énigme, Homère heurta une pierre
et se fendit le crâne. Le passage donne à entendre que l'agent
les poux, n'accomplissent leur action que de façon médiate.
Est-il opération plus paisible pourtant que Fépouillage ? Il révèle
une intimité confiante, comme dans la scène que surprit Homère ;
c'était là une des privautés qu'accordait Phalanthos, le futur fondateur
de Tárente, à son épouse 79. Selon J. G. Frazer, c'est un des services

77 Pour le sens du mot, voir M. Delcourt, Stérilités mystérieuses et naissances


maléfiques dans l'Antiquité classique, Liège-Paris, 1938, pp. 14-16.
78 Heraclite d'Éphèse, 22 Β 56 D.-K.6 = Hippolyte, Réfutation de toutes
les hérésies, IX, 9, 6, p. 242 Wendland : 'Εκείνον τε γαρ παίδες φθείρας κατακτείνοντες
ίζηπάτησαν εϊπόντες' «"Οσα εϊδομεν και έλάβομεν, ταΰτα άπολείπομεν, δσα δε οϋτε
είδομεν συτ' έλάβομεν, ταύτα φέρομεν.»
79 Pausanias, Χ, 10, 7. Le texte est signalé par Liliane Bodson (ΙΕΡΑ ΖΩΙΑ.
Contribution à l'étude de l'animal dans la religion grecque ancienne, Bruxelles,
1978, p. 9, n. 4). Le pou ne joue pratiquement aucun rôle dans cette étude.
LA MORT EN FLEURS 163

que les sauvages se rendent couramment les uns aux autres et, dans
les contes, nombreuses sont les princesses qui, bien avant les
de poux de Rimbaud, font bénéficier de leurs doigts agiles 80
la tête des rois et des ogres. Pour n'est besoin d'aller chercher aussi
loin. Dans la Haute-Ariège du début du xine siècle, à Montaillou 81,
le curé «Pierre Clergue se faisait épouiller par ses maîtresses, telles
Béatrice de Planissoles et Raymonde Guilliou ; l'opération se déroule
au lit, ou bien au coin du feu, ou à la fenêtre, ou sur l'établi d'un
cordonnier». Pratiques toutes semblables entre époux, vers 1887,
dans un village de Brie, à Jutigny, d'après En rade de K.-J. Huys-
mans. Qu'il s'agisse de ceux de la chevelure ou du corps et des
vêtements, les poux sont un inconvénient propre à un mode de vie
où l'hygiène est négligée. L'infestation peut même faire l'objet d'une
interprétation favorable. Comme le dit un personnage de Huysmans
à propos des aoûtats : «Puisque c'est bon pour le sang, que ça
purge. (...) On les tue comme le ver, en buvant du rhum (...)». Ce
qui est significatif, c'est la récurrence du rapprochement ver/ pou.
La présence trahit l'idée de mort, encore, pour le second, n'est-ce
qu'à la faveur d'un jeu de mots ou d'un calembour et d'une
métaphore : le corps est un vêtement.
Curieusement, on retrouve des jeux de mots analogues dans la
relation la plus ancienne d'un cas de scolécose, celui de Phérétima.
Rappelons les faits. Quand son fils Arcésilaos III fut expulsé de
Cyrène, la reine, veuve de Battos III, courut à Salamine de Chypre
réclamer des soldats. Au lieu de quoi on lui fit cadeau d'un fuseau
d'or. La cité reprise par son fils, ce fut elle qui, détentrice d'un siège
au conseil, géra les affaires de l'État. Après l'assassinat d'Arcésilaos,
elle ameuta Aryandès, le satrape d' Egypte 82. L'entrée à Barcé fut,
avec un raffinement spécial, accompagnée d'un bain de sang 83 :

80 J. G. Frazer, Pausanias' Description of Greece, V (Londres, 1913), pp. 269-


270. Les scènes d'épouillage sont fréquentes dans les mythes amérindiens : M 598
a (L'époux de l'astre) ; M 606 a (La libération des saumons) ; M 654 (Aventures
de Torche-cul et de Pipi-au-lit). Voir Cl. Lévi-Strauss, Mythologiques, III :
L'homme nu (Paris, 1971), p. 209 ; pp. 233 et 292.
81 Emm. Le Roy Ladurie, Montaillou, village occitan de 1294 à 1324, Paris,
1975, p. 204.
82 H. Volkmann, art. Pheretima, dans Der kleine Pauly, III (1979), col. 730.
83 Hérodote, IV, 202 : Τους μεν νυν ώτιωτάτους των Βαρκαίων ή Φερετίμη, έπείτε
οι εκ των Περσέων παρεδόθησαν, άνεσκολόπισε κύκλω του τείχεος, των δε σφι
γυναικών τους μαζους άποταμοΰσα περιέστιξε και τούτοισι τα τείχος.
164 J. SCHAMP

Quant aux plus coupables des Barcéens, lorsqu'ils eurent été livrés
de la main des Perses, elle les fit empaler en rond sur les murailles ;
à leurs épouses, elle fit couper les seins, dont on fit aussi un complément
d'ornementation pour la muraille.
La sinistre double couronne offerte en défi au ciel et à la terre par
Phérétima traduisait sa volonté d'anéantir Barcé. L'outrecuidance
était par trop manifeste, dont le châtiment n'allait point tarder 84 :

Phérétima, de son côté, ne termina pas bien non plus la trame de


sa vie. Dès qu'après avoir fait payer les Barcéens elle fut de Libye
retournée en Egypte, elle eut une vilaine mort : toute vive, elle se mit
à fourmiller de vers tant, on le voit, le vengeance exercée avec une
excessive vigueur attire sur les hommes la haine des dieux.
La scolécose châtiment divin ! Le thème de la punition divine est
courant chez Hérodote. Qu'il suffise d'évoquer Crésus 85 et Cam-
byse 86 par exemple. Il est facile aussi de signaler le jeu étymologique
vive ζώονσα/ fourmilla έξέζεσε intraduisible en français, mais qui
a trouvé des justifications philosophiques. Alistóte écrivait 87 :

Tous ceux qui placent des contrariétés dans les principes vont jusqu'à
constituer l'âme à partir de qualités contraires ; mais ceux qui optent
pour l'un des contraires, comme chaud ou froid ou quelque autre
qualité semblable, posent aussi semblablement que l'âme est l'un
d'entre eux. C'est pourquoi aussi ils se laissent conduire par les mots :
les uns nomment le chaud (âme) parce que c'est de la sorte aussi que

84 Hérodote, IV, 205 : Où μεν ουδέ ή Φερετίμη ευ την ζόην κατέπλεξε. Ώς γαρ
δη τάχιστα εκ της Λιβύης τεισαμένη τους Βαρκαίους άπενόστησε ες την Αϊγοπτον,
απέθανε κακώς' ζώουσα γαρ εύλέων έξέζεσε, ώς apa άνθρώποισι αϊ λίην Ίσχυραι
τιμωρίαι προς θεών επίψθονοι γίνονται. Voir aussi Fr. Chamoux, Cyrène sous la
monarchie des Battiades, Paris, 1953, pp. 152 et 159. En somme, c'est le thème,
très grec, du «rien de trop». Polyen {Stratagèmes, VIII, 47) se contente de brosser
à grands traits ce que Fr. Chamoux (o./., pp. 144-159 : ch. VI) appelle «la monarchie
tyrannique». Dans ses Histoires libyennes, Ménéclès (270 F 55 Jacoby = Anonyme,
Des femmes, 10 p. 216 Westermann) mentionne simplement le décès de Phérétima,
sans aucune circonstance notable.
85 Hérodote, I, 34-43.
86 Au/., III, 48.
87 Aristote, De l'âme, I, 2, 405 b 23-29 : "Οσοι δ' έναντιώσεις ποιοΰσιν εν ταΊς
άρχαΐς, και την ψυχήν εκ των εναντίων συνιστασιν οι δε θάτερον των εναντίων, οίον
θερμον ή ψυχρον ή τι τοιούτον άλλο, και την ψυχήν ομοίως εν τι τούτων τιθέασιν.
Διό και τοις όνόμασιν άκολουθονσιν οι μεν το θερμον λέγοντες, δτι δια τοΰτο και
το ζην ώνόμασται, οι δε το ψυχρόν, δια την άναπνοήν και την κατάψυξιν καλεισθαι
ψυχήν.
LA MORT EN FLEURS 1 65

la vie (το ζην) a reçu sa dénomination, les autres (nomment âme) le


froid parce qu'elle est ainsi nommée du fait de la respiration et du
refroidissement.
Comme l'a rappelé E. Barbotin 88, on peut donc poser les équations
étymologiques suivantes : ζην vivre = ψυχή âme
ζέω bouillir ψυχρός froid
La mort atroce du tyran allait par la suite devenir un thème
Dans la littérature païenne, la plus épouvantable description
que nous connaissions concerne Satyros d'Héraclée, qui régna de
353/352 à 346/345 aCn 89:
Satyros vivait toujours et était accablé par la vieillesse lorsqu'il remit
le pouvoir entre les mains de Timothée, le plus âgé des enfants de
son frère et, après un temps qui ne fut pas long, il fut pris d'un mal
incurable et extrêmement pénible : c'était en effet un chancre qui, en
se développant entre la verge et les testicules, le rongeait au cours
de sa progression vers l'intérieur du corps en provoquant des douleurs
aiguës ; des plaies largement béantes qu'il provoquait dans sa chair
coulaient des liquides séreux qui exhalaient une odeur pénible et
nauséabonde au point que ni la domesticité ni les médecins ne
cacher la puanteur infecte et intolérable de la putréfaction. En
outre, des souffrances persistantes et vives lui torturaient tout le corps
et faisaient de lui la proie d'insomnies et de convulsions jusqu'au
moment où, gagnant les viscères mêmes, le mal en le rongeant lui
trancha le cours de la vie. À sa mort, ce personnage lui aussi, comme

88 É. Barbotin, dans A. Jannone-É. B., Aristote. De l'âme, Paris, 1966, p. 99


(note complémentaire à la p. 11).
89 Memnon d'Héraclée, dans Photios, Bibliothèque, cod. 224, IV, p. 50, 1. 29-
p. 51, 1. 5 : Ούτος ετι ζών και γήρα βαρυνόμενος Τιμοθέφ τω πρεσβυτέρω των παίδων
του αδελφού εγχειρίζει την αρχήν, και μετά χρόνον ου πολύν άνιάτω πάθει και
χαλεπωτάτω συσχεθείς, — καρκίνωμα γαρ μεταξύ βουβώνός τε και όσχέου ύποφυεν
την νομήν προς τα ένδον επεδίδου πικρότερον, εξ ου Ίχώρες άναστομωθείσης της
σαρκός έξέρρεον βαρύ και δύσοιστον πνεύουσαι, ώς μηκέτι μήτε το υπηρετούμενον
μήτε τους ιατρούς το της σηπεδόνος στέγειν δυσώδες και άνυπόστατον. Και συνεχείς
δε όδύναι και δριμεΐαι όλον το σώμα κατέτεινον, ύφ' ών άγρυπνίαις τε σπασμοΊς
εξεδίδοτο, εως προκόψασα μέχρις αυτών των σπλάγχνων του πάθους ή νομή του
βίου άπέρρηξεν. Έδίδου μεν και ούτος, ώσπερ και Κλέαρχος, τελευτών το~ις όρώσιν
έννοέίν δίκας άπαιτεισθαι ών ώμώς τε και παρανόμως τους πολίτας διέθεσαν πολλάκις
γαρ αυτόν φασιν εν τη νόσω τον θάνατον επελθέίν αύτω κατευχόμενον μη τυχείν, άλλα
συχναις ήμεραις τη πικρά και βαρεία καταδαπανώμενον νόσω οΰτως άποτίσαι το χρεών,
ετη μεν βιώσαντα πέντε και εξήκοντα, ών ή τυραννίς είχε ζ\ II reste que le personnage
est mal connu. Il n'existe point de monnayage au nom de Satyros : H. Berve,
Die Tyrannis bei den Griechen, Munich, 1967, 1, p. 319 et II, p. 681.
FONCTIONNEMENT DU SYSTÈME
Pédiculose Maladie pédiculaire Scolécose
Acaste (?)
Alemán (?)
Phérécyde (sacrilège) -Phérétima (
11 (349//348aCn)
Platon Speusippe
M (340/339 aCn)
Callisthène (327 aCn)
Cassandre (
( Fable du laboureur) (σκώ
Antiochos I
(164 aCn)
Eunous (132 aCn)
Mucius (?) • tau plus tard en 1 15 aCn)
Cleinatas
Sylla (mars 78 aCn)
Hérode I le
Judas Ischar
Agrippa I le
Apion d'Ale
Alexandre d
1. Lucius_
Galère (3Î1
Julien oncle
ïudoxie (404 pCn)
HUNERIC (23 décembre 484)
φθείρω
φθείρ
LA MORT EN FLEURS 167

Cléarque, donnait à penser à ceux qui le voyaient qu'il payait le


châtiment pour la conduite cruelle et illégale qu'il avait eue à l'endroit
de ses concitoyens : souvent en effet, au cours de sa maladie, il avait
prié, sans la trouver, la mort de venir à lui mais, de nombreux jours
durant, il avait été consumé par la maladie cruelle et pénible et il
apura ainsi sa dette, après avoir vécu soixante-cinq ans, dont sept
de tyrannie.
Par la suite, les imitations d'Hérodote, y compris le jeu de mots,
allaient faire florès. Le cas de Speusippe annonce déjà la collusion
des deux légendes. Des listes modernes circulent depuis longtemps 90.
Pour Cassandre, mort vers 298/297 aCn, les anciens affîdés de la
reine Olympias, probablement responsables de la fable 91, paraissent
avoir suivi de près le Père de l'histoire. Les ευλαί ou vers de la
mouche sont les mêmes qui firent succomber Phérétima 92 :

Non certes, lui non plus ne fut pas bien aise en passant de vie à trépas :
il s'enfla d'hydropisie et de sa chair vivante naquirent des vers.
Plus tard, à la suite de Jason de Cyrène et de son récit des tortures
d'Antiochos IV Épiphane 93, en 164 aCn, ces aimables bestioles
le terrain aux σκώληκες ou lombrics94. Ainsi pour Hérode I
le Grand, mort en 4 aCn 95, — Palladlos allait reprendre le passage
pour dépeindre la mort des persécuteurs de Jean Chrysostome,
particulièrement celle de l'impératrice Eudoxie %. — Judas Ischa-

90 A. Bouché-Leclercq, Histoire des Séleucides (323-64 avant J.-C), Paris,


1913, pp. 302-303 ; Gossen [H.], ol, coll. 1032-1033.
91 H. Berve, Das Alexanderreich aus prosopographischer Grundlage, II :
Prosopographie (Munich, 1926), p. 202.
92 Pausanias, IX, 1,2: Oô μην ουδέ αυτός χαίρων τον βίον κατέστρεψεν επλησθη
γαρ ύδέρφ και άπ' αότοΰ ζώντι έγένοντο ευλαί.
93 2 Maccabees, 9, 5-10. Dans maints textes chrétiens ou para-chrétiens, les
écrivains furent peut-être victimes de «tics» de traduction. L'hébreu «tola' at» de
Deutéronome, 29, 39 qui désigne Lobesia botrana est rendu par σκώληξ dans la
Septante (I. C. Beavis, o.L, p. 133).
94 II n'y a pas lieu de juger surprenant le changement de vocabulaire. Les
lexicographes et étymologistes anciens ont fréquemment rappelé l'équivalenœ entre
les deux mots : Apollonios le Sophiste, s.v., εολάς (Berlin, 1833, p. 78 Bekker) ;
Hésychios, s.v. (II, p. 228 Latte) ; Souda, Ε 3559, s.v. ευλαί ; Zona ras, s.v. (I,
p. 908, Leipzig, 1808) ; Etymologicum Magnum, 392, 47.
95 Flavius Josephe, Guerre des Juifs, II, 656 ; Antiquités Judaïques, XVII,
168-169.
96 Palladios, Dialogue, 17, pp. 332-334, 11. 30-53 Malingrey. Nous préparons
un article sur la question.
168 J. SCHAMP

note, chez Papias de Hiérapolis puis chez Théophylacte d'Ochrid


au xie s. 97, Agrippa le Grand 98, Apion d'Alexandrie ", Alexandre
d'Abonotique 10°, Cl. Lucius Herminianus 101 et l'empereur Galère 102.
Se fondant notamment sur s. Jean Chrysostome {Sur saint Babylas),
Philostorge, Sozomène et Théodoret, le janséniste Lenain de Til-
lemont 103 a fait revivre en une page inspirée la fin de Julien, l'oncle
de l'Apostat, et de plusieurs hauts fonctionnaires coupables de
et de sacrilèges.

Conclusions Sylla avait sa place dans cette galerie


de récits hauts en couleurs. Selon Pau-
sanias 104,

97 Papias, fr. III dans Routh, Reliquiae sacrae, I (Oxford, 1846), p. ix (livre
IV) avec Théophylacte d'Ochrid, dans ibid., pp. 25-26 et PG, CXXV, col. 860
B-D.
98 Flavius Josephe, Antiquités Judaïques, XIX, 343-346, 350 ; Actes, 12, 23.
99 Flavius Josephe, Contre Apion, II, 141-143.
100 Lucien, Alexandre le faux prophète, 59 (IV, p. 250 Harmon). «Affection
cancéreuse» diagnostiquait Fr. Cumont [Alexandre d'Abonotichos. Un épisode de
l'histoire du paganisme au if siècle de notre ère, dans Mémoires couronnés par
l'Académie Royale de Belgique, 40 (1887), p. 19]. Voir L. Robert, dans Comptes
rendus de l'Académie des Inscriptions (1978), p. 289 : «Lucien (...) s'amuse avec
humour à donner au prophète et hiérophante, créateur d'un oracle florissant plein
de miracles, la fin d'un impie selon les conceptions traditionnelles».
101 Voir supra, p. 141. À vrai dire, les manuscrits de Tertullien ne s'accordent
point sur le nom du personnage. Voir Fr. Oehler, Quinti Septimii Florentis
Tertulliani quae supersunt omnia, I (Leipzig, 1853), p. 544. Dans la Prosopographia
Imperii Romani I-II-III, Pars II (Berlin-Leipzig, 1936), p. 206, il est répertorié sous
le nom de Claudius Hieronymianus.
102 Lactance, De la mort des persécuteurs, 33, 1-11, pp. 115-117 Moreau ;
Eusèbe, Histoire ecclésiastique, VIII, 16, 4-5. Il serait mort à la suite d'une blessure,
d'après Zosime, II, 11.
103 J.-B. Lenain de Tillemont, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique
des six premiers siècles, VII (Paris, 1700), pp. 396-400 : Philostorge, VII, 10,
p. 97, 11.8-14 Bidez-Winkelmann ; Sozomène, V, 8, 2, p. 213 Bidez-Hansen ;
Thédoret, Histoire ecclésiastique, III, 13, 1, p.. 189, 11. 14-17 Parmentier ; Jean
Chrysostome, Sur S. Babylas dans PG, L, col. 559 (CPG, n° 4348) ; Sur les
louanges de S. Paul Apôtre, hom. 4 dans PG, L, col. 489 (CPG, n° 4344) ; À
Matthieu, hom. 4, 1 dans PG, LV, col. 285 (CPG n° 4413) ; Passions des SS.
Bonose et Maximilien, 4-5 et Passion de S. Théodore dans Th. Ruinart, Acta
primorum martyrum sincera et selecta, 2e éd., Amsterdam, 1713, respectivement
pp. 595-596 et 591-592.
104 Pausanias, I, 20, 7 : Σύλλα δε ύστερον ένέπεσεν ή νόσος, fj και τον Σύριον
Φερεκύδην άλώναι πυνθάνομαι. Σύλλα δε εστί μεν και τα ες τους πολλούς 'Αθηναίων
LA MORT EN FLEURS 169

plus tard (se. après la prise d'Athènes, le 1er mars 86 aCn), Sylla
succomba à la maladie à laquelle avait été aussi condamné le Syrien
Phérécyde, m'apprend-on. Sylla eut en effet à l'endroit des Athéniens
des comportements plus féroces que la norme pour un homme de
Rome ; mais telle ne fut pas, je crois, la cause de son malheur : ce
fut plutôt le courroux d'Hikésios (se. le Suppliant) parce que du
sanctuaire où il avait trouvé refuge Sylla avait arraché Aristion pour
le tuer.
Sacrilège et monstrueusement cruel à l'occasion, Sylla savait
décocher des traits d'une verve infernale, que ses ennemis
ne manquèrent pas de lui retourner. Par exemple, passé en 83 aCn
dans les rangs des troupes syllaniennes, Q. Lucretius Ofelia, promu
bientôt à un haut rang, avait mené le blocus et la prise de Préneste
puis, faraud de sa bonne fortune, il avait osé briguer le consulat
pour 81. La sanction — l'assassinat par un centurion 105 — et la
justification suivirent aussitôt 106 :

«Sachez, Messieurs, apprenez de ma bouche que c'est moi qui ai fait


tuer Lucretius, qui m'avait désobéi.» Et il ajouta un apologue : «Des
poux mordaient un agriculteur occupé avec sa charrue ; deux fois»,
dit-il, «il laissa la charrue pour épouiller son maillot. Mordu à nouveau,
pour n'être pas interrompu davantage, il brûla son maillot. Moi aussi,
à ceux qui ont subi la défaite à deux reprises, je conseille de ne pas
réclamer le feu pour la troisième.»
Le ressentiment à l'endroit de Sylla avait, comme pour Phérécyde,
des racines multiples dans les sanctuaires helléniques que n'avaient
pas épargnés ses campagnes. Écoutons encore Pausanias 107 :

άγριώτερα ή ώς άνδρα εικός ην έργάσασθαι 'Ρωμάιον άλλα γαρ ού ταΰτα δη αϊτϊαν


γενέσθαι οι δοκώ της συμφοράς, Ίκεσίου δε μήνιμα, δτι καταφυγόντα ες τα της 'Αθηνάς
ιερόν άπέκτεινεν άποσπάσας Άριστίωνα.
105 J. Carcopino, Sylla ..., pp. 129-130 ; pp. 131-132 ; [G. Bloch-]J. Carcopino,
Histoire romaine ..., p. 447 ; pp. 477-478.
106 Appien, I, 472, p. 277 Gabba : «"Ιστέ μεν, ώ άνδρες, και παρ' εμοϋ δε ακούσατε,
δτι ΛοΌκρήτιον εγώ κατέκανον άπειθοΰντά μοι.» Και λόγον είπε- «Φθείρες γεωργόν
άροτριώντα ύπεδακνον ô δε δις μεν», εφη, «το αροτρον μεθεις τον χιτωνίσκον εκάθηρεν
ώς δ' αύθις εδάκνετο, 'ίνα μη πολλάκις άργοίη, τον χιτωνίσκον εκαυσεν. Κάγώ τόϊς
δις ήττημένοις παραινώ τρίτου πυρός μη δεηθήναι.»
107 Pausanias, IX, 33, 6-7 : Προσεξειργάσατο δε και εν Άλαλκομεναΐς, της 'Αθηνάς
το άγαλμα αυτό συλήσας. Τούτον μεν τοιαύτα ες τε 'Ελληνίδας πόλεις και θεούς τους
'Ελλήνων εκμανέντα έπέλαβεν άχαριστοτάτη νόσος πασών φθειρών γαρ ήνθησεν, ή
τε πρότερον ευτυχία δοκοΰσα ές τοιούτο περιήλθεν αύτώ τέλος. Το δε ιερόν το εν
ταΐς Άλαλκομεναίς ήμελήθη το άπό τοΰδε άτε ήρημωμένον της θεοΰ.
170 J. SCHAMP

Mais ses forfaits, il les paracheva encore à Alalkomenai, en ravissant


l'image même d'Athéna. Telles furent les dégradations démentes que
subirent de son fait cités helléniques et dieux des Hellènes, lorsqu'il
fut frappé par la plus hideuse des maladies : il émit une floraison de
poux. Telle fut la fin sur laquelle s'acheva la boucle de ce qui passait
pour être précédemment sa chance. Le sanctuaire d 'Alalkomenai est
négligé depuis lors parce que déserté par la divinité.
Dans le lieu commun dont nous avons essayé de démonter le
mécanisme, les Anciens ont été les victimes de leur faconde et de
leur goût pour l'imitation. En outre, le langage y a été affecté par
ses propres virtualités. La mort en fleurs, c'est-à-dire à la suite d'une
efflorescence d'agents destructeurs : telle fut, d'après une version
hostile, la fin du trop heureux dictateur. Pareil à un pauvre maillot
de paysan dévoré de vermine, le corps du tyran, comme l'avait bien
vu Jérôme Carcopino 108, subit le sort dont il avait menacé ses
Poux ou vers sous diverses variétés ; autant de signes
la mort avec un réalisme de plus en plus cru. Le texte de
Pausanias cité en dernier lieu joue sur les contraires exactement
comme les tables d'opposition chères à la pensée grecque la plus
archaïque 109. La prolifération maligne symbolise l'inversion des
règles de la nature. Après tout, le sacrilège n'est autre que la
et le renversement des usages religieux prévalant dans les
sociétés humaines.

Rue de Bleurmont 28, Jacques Schamp.


B-4053 Embourg.

108 J. Carcopino, Sylla ..., p. 216.


109 Au ne siècle de notre ère, vers ou poux étaient ressentis comme
Voir Souda, Ε 3559, s.v. ευλαί : Phérétima, la reine de Cyrène, paya le
châtiment pour ses actes : toute vive, elle se mit à fourmiller de vers (vers de la
mouche), c'est-à-dire de lombrics, comme le dit Babrios dans ses Mythiques. Ή
δε Φερετίμα, ή Κυρήνης, άνθ"1 ών έδρασε δ'ικας έδωκε' ζώσα γαρ έξέζεσεν ενλέων,
ο εστί σκωλήκων, ώς φησι Βάβριος εν Μυθικόϊς. Et Α 3674, s.v. άπώνατο : «Élien :
non, certes, il n'en avait tiré aucun profit ; au contraire, il se mit à fourmiller,
tout vif, de méchantes bestioles ; pour les uns, de vers ; d'après les déclarations
d'autres, non de vers, mais bien de poux». Αιλιανός- ου μην άπώνητο ουδέν, άλλα
έξέζεσε ζών κακοΊς θηρίοις οι μεν εύλαΐς, οι δε ό'τι ου ταύταις, φθειρσί γε μην. Le
fragment d'Élien, sans nom d'auteur, figure encore, à partir de έξέζεσε ζών, dans
Ε 3559, immédiatement après l'extrait des Mythiques et est introduit par les mots
και αύθις. Nous ne savons pas quel personnage était visé.

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