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Revue des Études Anciennes

Chronique des études anciennes


Pierre Boyancé, Pierre Courcelle

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Boyancé Pierre, Courcelle Pierre. Chronique des études anciennes. In: Revue des Études Anciennes. Tome 46, 1944, n°1-2.
pp. 203-207;

https://www.persee.fr/doc/rea_0035-2004_1944_num_46_1_3284

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loi

CHRONIQUE DES ÉTUDES ANCIENNES

saluer
Paulavec
Cbllomp.
respect—la C'est
mémoire
dansdeune
PaulFrance
Collomp.
libérée
Chacun,
que dans
nous lepouvons
monde
entier, a connu les circonstances émouvantes de sa mort : elles infligent
aux bourreaux de cet homme doux et paisible une honte ineffaçable.
Paul Collomp n'aura pas vécu ce qui est pour nous maintenant la
certitude d'un proche avenir : le .retour à Strasbourg de cette Université à
laquelle il appartenait, pour laquelle il a été frappé. Il aura contribué
par le sang du martyr à l'unir plus encore, s'il est possible, à la
communauté française. Helléniste et papyrologue, il avait consacré sa thèse de
doctorat à des Recherches sur la chancellerie et la diplomatie des Lagides
(Paris, 1925). liest l'auteur de petits livres appréciés sur la Papyrologie
et surla Critique des textes (Paris, 1927 et 1931). Au dire de ceux qui l'ont,
approché, il était, par son caractère, d'un scrupule et d'un dévouement
admirables. En lui, notre Revue perd un collaborateur fidèle qui, depuis
1931, presque chaque année, lui avait donné articles ou comptes-rendus
relatifs à la papyrologie.
Dans la forêt avec Virgile. — P. d'Hérouville, dans une série de notes
charmantes, après avoir Gélébré l'épopée du grain et les vergers, continue
le commentaire des chants I et II des Géorgiques par la forêt et par la
vigne. Deux appendices traitent des conifères et de la météorologie
L'auteur ratifie les conclusions d'Éd. Galletier : la science de Virgile est
du meilleur aloi ; et ses erreurs, quand il y en a, sont celles de l'antiquité
tout. entière. Je lui poserai une question : les castaneae molles sont-elles
des châtaignes bouillies ou de douces châtaignes? Il me semble qu'il
préfère le second sens, mais je n'en suis pas absolument sûr.
Dans les jardins de Mécène. — M. Grimal a consacré dans la quatrième
partie de son livre des pages tour à tour suggestives ou délicates à la
sensibilité romaine, dans ses rapports avec l'art des jardins. Il n'a .pas
cité quelques vers de la première élégie à Mécène, où l'auteur anonyme
a évoqué les fameux Horti Maecenatiani1.. Je me permets de les lui
signaler, pour le jour où il nous donnera une nouvelle édition de son
travail : plutôt que de se consacrer à la guerre et à ses triomphes-, Mécène
maluit unibrosam quercum lymphasque cadentes

1. Us semblent être restés inconnus des ouvrages de topographie romaine, et c'est ce qui
explique, je pense, le silence de M. Grimai.
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paucaque pomosi iugera eulta soli.


Pieridas Phoebumque colens in mollibus hortis
sederai argutas garrulus inter aues (vers 33-36).
Il est amusant de voir les immenses jardins réduits par la poésie à « un
petit nombre d'arpents » ; c'est qu'il faut suggérer ce thème de la
simplicité rurale, si cher au cœur des Romains. Il est curieux de relever que
l'on trouvait des vergers, des arbres fruitiers (pomosi soli) à côté des
chênes ombreux, et l'on n'aura pas manqué de noter au passage les
chutefe d'eau dans les cascades artificielles ou plus probablement dans
les fontaines. Mais le poète lie tout naturellement aux jardins
voluptueux, aux mollihus hortis, le goût de Mécène pour les lettres, ou mieux
nous rappelle que Mécène lui aussi était poète ; son babillage qui se mêle
au chant des oiseaux évoque discrètement cette manière raffinée et
précieuse qui était la sienne et pour laquelle Sénèque l'a jugé si sévèrement.
Les vers gracieux de l'anonyme ne méritent-ils pas d'illustrer les jolies
pages consacrées par M. Grimai aux amis de Mécène, à Properce,
Virgile, Horace? Il en est peu qui se rapportent aussi directement à son
sujet.
Le Maroc antique. — En attendant le compte-rendu de William Ses-
ton, je dois signaler d'un mot l'ouvrage que M. Carcopino a donné sur
le Maroc antique (Paris, Gallimard, 1943). On y trouve recueillis dans
la seconde moitié, sous le titre Le Maroc romain, quatre mémoires déjà
publiés, et bien connus des savants (sur Volubilis capitale de Juba, sur
la mort de Ptolémée roi de Maurétanie, sur la base de Chella et, enfin,
sur la fin du Maroc antique). Us sont précédés de deux parties inédites :
Esquisse d'une histoire ancienne du Maroc et Le Maroc punique, qui
justifient pleinement le titre général que notre mastre a donné à son livre.
Qu'il nous soit permis de dire qu'on n'y retrouve pas seulement
l'historien pour lequel Georges Radet avait tant d'affectueuse admiration,
mais le bon Français qui s'y montre conscient de la mission impériale de
notre patrie.
Trois dévots païens. — Le P. Festugière a traduit pour le public lettré
quelques pages de « trois dévots païens », « trois païens mystiques » eût
dit Louis Ménard : Firmicus Maternus, Porphyre, Salluste le philosophe.
Du premier, ce sont quelques chapitres de sa Mathesis, ceux où ls traité
d'astrologie s'épanouit en prières et en méditations. De Porphyre, c'est
la Lettre à Marcella, adressée à la dame, que le philosophe sur le soir de
sa vie avait épousée alors qu'elle-même elle était veuve et chargée de
nombreux enfants ; il dut la quitter bientôt pour les besoins de son
enseignement ou plutôt de son apostolat et il lui laissa» en partant cette
espèce de bréviaire de sa sagesse. De Salluste le philosophe, c'est V Écrit
sur les dieux, petit abrégé de paganisme épuré et symbolique. Le soin
même, le luxe discret de la présentation (3 vol. in-12. 35, 45, 51 p. ;
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Paris [1943], La Colombe) semblent dire la sympathie avec laquelle le


savant dominicain les a jugés dans de brèves et élégantes notices. Fir-
micus qui devait se convertir au Christ, Porphyre le polémiste
antichrétien, Salluste, tous trois s'inspirent d'un spiritualisme, où le P. Festu-
gière, passant par-dessus les oppositions, salue le goût des choses de
l'âme, l'ascétisme, le détachement du corps et de ses passions. Il insiste
aussi sur l'héritage hellénique, sur les idées communes d'une longue
histoire, -plus que sur les singularités d'un homme ou d'un temps. Ses
traductions m'ont paru très fidèles et très distinguées1. Souhaitons à ces
trois dévots païens, auxquels ne fait pas défaut le Nihil obstat, les
lecteurs attentifs que leur mérite cette généreuse sollicitude.
Pierre BOYANCÉ.

Sur les dernières paroles de saint Augustin. — En 430, Augustin, sur


le point de mourir dans Hippone assiégée par les Vandales, se consolait,
nous dit son biographe Possidius, en répétant ia parole d'un philosophe :
« Et se inter mala cuiusdam sapientis sententia consolabatur dicentis :
Non erit magnus magnum pu tans, quod cadunt ligna et lapides et mo-
riuntur mortales » (Vita. Aug., c. XXVIII, P. L, t. XXXII, 58).
Ce philosophe est Plotin, comme l'ont montré M. Theiler (Porphyries
und Augustin, p. 2). puis le P. Henry (Plotin et l'Occident, p. 137-139).
Mais le parallèle avec le texte des Ennéades est plus étendu qu'ils ne l'ont
dit : Δια τι γαρ τας μεν ευτυχίας, ήλικαιοΰν αν ώσιν, où μεγάλα ηγείται,, οίον
βασιλείας και πόλεων και εθνών αρχάς, ούδε οΐκίσεις και κτίσεις πόλεων ούο" ει
υπ' αυτού γίγνοιντο, εκπτώσεις δε άρχων και πόλεως αυτού κατασκαφήν
ήγήσεταί τι eTvai μέγα; Ει Se δή και κακόν μέγα ή όλως κακόν, γέλοιρς αν
ε?η του δόγματος και ουκ αν ετι σπουδαίος ei'·/) ξύλα και λίθους και νή Δία
θανάτους θνητών μέγα ηγούμενος (Εηη., Ι, 4, 7, 22-24, éd. Bréhier, t. I,
p. 77, περί ευδαιμονίας).
La page entière du traité du Boniteur roule sur ce thème d'origine
stoïcienne (cf. Epictète. I, 28, 14-18, éd. Schenkl, p. 88, 25). Les coups
du sort n'importent pas plus au vrai sage, dit Plotin, que les biens de
fortune, car il préfère la mort plutôt que de vivre lié à un corps. Même la
chute de sa cité n'est à ses yeux qu'une ruine matérielle d'objets en
pierre et en bois. Et Plotin poursuit : qu'importe d'çtre immolé, enterré
sans épitaphe, emmené comme otage ou de perdre ses proches à la
guerre !
Est-il vrai, comme dit Possidius, que cette page était familière à saint

1. Est-ce que dans la Lettre à Marcella, 1 6ήραν δόξης και επαίνων, est bien rendu
par « désir d'avoir bon renom et flatteuse réputation »? N'est-ce pas plutôt « recherche » de%
l'un et de l'autre? 17 L'antithèse entre les deux façons d'être έυάρεστος est mal
dégagée. 35 En traduisant « il faut employer chacun de ses membres pour l'usage (auquel) la
nature l'a préparé; la nature n'en rencontre point d'autre », on paraît rapporter « point
d'autre » à « usage » ; il me semble qu'aXXou se rapporte plutôt dans le texte grec à « chacun
de ses membres ». Je n'aime pas « rendre culte » pour « rendre un culte ».
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Augustin, au point qu'il en citât fréquemment un passage? Le P. Henry


(p. 138, n. 2) estimé que, dans son ensemble, la parole attribuée à
Augustin est vraiment de lui. Mais il n'en apporte aucune preuve. Or, dès 410,
Augustin, sans nommer Plotin, appliquait le même passage à la chute
de Rome, prise et pillée par les Wisigoths d'Alaric. Le retour des mêmes
mots : cadunt ligna et lapides, nous l'assure.
La chute de Rome est grave, disait-il dans la Cité de Dieu, non en elle-
même (car ce n'est que la chute d'un monceau de bois et de pierres),
mais comme indice de la perversion actuelle des Romains, qui a appelé
sur eux ce châtiment de la colère divine : « Romam quippe partam uete-
rum auctamque laboribus foediorem stantem fecerant quam ruentem,
quandoquidem in ruina eius lapides et ligna, in istorum autem uit^i
omnia non murorum, sed morum munimenta atque ornamenta cecide-
runt » (II, 2, ed. Dombart, p. 55, 16). Qu'ils se ressaisissent, qu'ils
cessent de blasphémer le Dieu véritable, ajoute-t-il dans un Sermon
contemporain, et Rome survivra à la ruine de ses édifices et de ses
remparts, qui ne sont que pierre et que bois périssables. « Roma enim quid
est. nisi Romani? Non enim de lapidibus et lignis agitur, de excelsis
insulis et amplissimi^ moenibus. Hoc sic erat faetum, ut esset aliquando
ruiturum. Homo, cum aedificaret, posuit lapidem super lapidem ; et
homo, cum destrueret, expulit lapidem a lapide. Homo illud fecit, homo
illud destruxit. Iniuria fit Romae, quia dicitur : Caditi Non Romae, sed
forte artifici eius... » {Sermo LXXL 9, P. L., t. XXXVIII, 505.) Bon
pour des païens, précise-t-il dans un autre Sermon, de gémir sur la
perte, dans la catastrophe, des vieilles statues de dieux tutélaires, en
pierre ou en bois, et d'attribuer à cette perte les malheurs de Rome;
c'est prendre i'effet pour la cause : « ... Falsum est quod dicunt de
Christo nostro, quod ipse Romam perdiderit, quod dii lapidei Romani
tuebantur et lignei... Si Romam seruare potuerunt, quare ipsi ante
perierunt?... Quomodo ergo custodient tecta uestra, qui non potuerunt
custodire simulacra sua? » (.Sermo CV, 9, P. L., t. XXXVIII, 624; cf.
Sermo CCXCVI, 6, 7, P. L.> t. XXXVIII, 1356 : « daemoniis et lignis et
lapidibus ».)
Ainsi, la page de Plotin hantait Augustin en 410 comme en 430 ; mais
il donne au vieux thème stoïcien une valeur chrétienne : au mépris du
sage païen en butte aux coups de la Fortune, font place chez le sage
chrétien la résignation et la componction. Le témoignage de Possidius est
véridique ; il prouve qu'Augustin lie se contente pas de rajeunir un lieu
commun philosophique et, bien à l'abri sur l'autre rive de la
Méditerranée, de tirer des malheurs de Rome une leçon morale à l'usage des
sinistrés ; vingt ans plus tard, quand sa ville episcopale va succomber à son
tour, Augustin, face aux Vandales, se console à la même pensée : peu
importe que tombe Hippone, elle n'est que pierre et que bois.
Belle fermeté, et qui nous serait très nécessaire, à l'heure où tant de
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monuments historiques, et des villes entières, viennent de périr sous les


coups de la guerre.
Pierre COURGELLE.

Les études latines. — Le petit livre de M. Cousin, Les études faines


(Collection Le livre de V étudiant), Paris, Boivin, [1944] ; 1 vol. petit
in-12, 133 p., est conçu, dans un, esprit pratique, comme une initiation
de l'étudiant qui arrive dans nos Facultés. Une brève introduction traite
de la notion de culture chez les Romains ; elle doit beaucoup à
l'appendice que M. Marrou a consacré à la question dans son Saint Augustin et
la fin de la culture antique, et il eût convenu de le dire. Des conseils
judicieux, désireux de sortir des banalités ordinaires, guideront l'élève dans
les exercices scolaires, versions, thèmes, devoirs de grammaire. Sur la
traduction, l'auteur suit de près la doctrine de M. Marouzeau ; il en tire
un parti également heureux en proposant au candidat au certificat de
grammaire et philologie le plan d'une étude de stylistique. J'aime moins
le dernier chapitre, qui est une bibliographie pratique : elle est trop
détaillée ou trop sommaire selon le point de vue ; elle est trop
exclusivement historique, si bien que l'on a la, surprise de voir presque négligés
Virgile et Horace.
Pierre BOYANCÉ.

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