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L'antiquité classique

L'homme sans visage. Pour une lecture politique du Charmide


Jacques Schamp

Résumé
Jacques SCHAMP, L'homme sans visage. Pour une lecture politique du Charmide. - À côté du mot ἡσυχία, le grec a aussi
ἡσυχιότης attesté en trois dont deux de Platon et de Lysias, respectivement à propos de Charmide et d'Évandros, l'un des
Trente. Proposé comme définition de la modération, le second terme doit s'entendre par opposition avec la πολυπραγμοσύνη
propre aux démocrates. Comme le montre le choix de la date fictive du Charmide, du décor et des protagonistes, en sur ordre
de Critias, de s'enrôler parmi les disciples de Socrate, le jeune «l'homme sans visage» à qui manque un «supplément d'âme», a
déjà intériorisé toutes les valeurs du parti qu'il embrassera en 404.

Citer ce document / Cite this document :

Schamp Jacques. L'homme sans visage. Pour une lecture politique du Charmide. In: L'antiquité classique, Tome 69, 2000. pp.
103-116;

doi : https://doi.org/10.3406/antiq.2000.2424

https://www.persee.fr/doc/antiq_0770-2817_2000_num_69_1_2424

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L'homme sans visage
Pour une lecture politique du Charmide*

À Jules Labarbe
avec gratitude

Le propre des grandes œuvres est de prêter à l'emploi de multiples grilles de


lecture. C'est là un fait dont je me suis avisé, voici longtemps, à propos d'un mot
fort rare, attesté dans le Charmide de Platon. Dès l'indo-européen, on a formé à partir
des adjectifs des noms de qualité féminins à l'aide d'un suffixe en -tat. En grec, ce
dernier a été remplacé par des homologues, notamment en -ότης1. Ainsi constitué, le
substantif2 «exprime particulièrement la qualité en soi, considérée de la manière la
plus abstraite». Toutefois, la langue est à ce point riche que les substantifs se sont
disputé les adjectifs. Les noms en -ότης existent chez Homère, qui a, par exemple,
κακότης3, φιλότης4 ou άνδρότης5, alors que la langue classique a préféré κακία,
φιλία ou ανδρεία. Des considérations de métrique ont à l'occasion dicté les choix. Il
est souvent difficile de montrer pourquoi, à côté d'o^Oeia, ενάργεια, ηλικία,
ελευθερία notamment, le vocabulaire a enregistré άληθότης (Philon6), έναργότης
(Pollux7), ήλικιότης8 ou encore έλευθεριότης9. Dans certains cas pourtant, le motif
se décèle aisément. Platon met dans la bouche de Socrate un δικαιότης, qui supplante
l'habituel δικαιοσύνη. Au fil de la discussion, le philosophe en arrive à demander à

Une version orale du présent article a été donnée le 24 janvier 1998 au cours des
Metageitnia à l'Université de Fribourg. Mon texte était complètement rédigé quand j'ai pu
prendre connaissance de la belle étude de Marie-France Hazebroucq (La folie humaine et
ses remèdes. Platon Charmide ou de la modération, Paris, Vrin, 1997).
1 Un linguiste, E. PETERSEN {Studies in Greek Noun-Formation, dans CPh, 17 (1922),
p. 44] a réuni 658 exemples d'adjectifs en -της, dont 492 présentent la finale en -ότης (voir
les tables p. 77-85). Voir P. Chantraine, La formation des noms en grec ancien, n. tirage,
Paris, 1979 [1933], p. 293. J'ai pu lire l'article d'E. Petersen grâce à l'obligeance de feu
mon excellent ami M. O. Ballériaux.
2 P. Chantraine, o.l. (n. 1), p. 295. Le livre de X. Mignot [Recherches sur le
suffixe -της, -τητος (-τάς, -τ&τος) des origines à la fin du IVe s. avant J.-C, Paris, 1972,
p. 90 et 122] renvoie à celui de P. Chantraine, mais n'ajoute rien à mon propos.
3 Les occurrences sont nombreuses. J'en ai compté une bonne vingtaine dans Ylliade
et Y Odyssée.
4 Occurrences si nombreuses qu'il est inutile de les compter.
5 Hom., Π 857; X 363; Ω 6. On notera cependant que certains éditeurs, P. Mazon par
exemple, impriment αδρότητα, à la suite de certains manuscrits. La graphie άνδροτήτα est
déjà chez Platon, et c'est elle qu'il faut préférer. L'autre est le fruit d'un artifice de métricien
(J. Labarbe, L'Homère de Platon, Liège, 1949, p. 178).
6 Allégorie des lois, III, 120; 122; 124; 127.
7 IV, 97.
8 Évangile de Thomas, A 14 (p. 152 Tischendorf).
9 Platon, Rép., III, 402c 3; Théét., 144d 3; Aristt., Éthi. Nie. III, 4, 1119b 22;
Plut., Pompée, 73, 11.
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son interlocuteur Protagoras si l'on peut dire de la piété qu'elle n'a point part à la
justice. Ainsi par son truchement sont-ce deux personnages distincts qui s'expriment
chacun dans son lexique propre10 :

Moi, de mon côté, je dirais aussi, à titre personnel, que la justice (δικαιοσύνη) est
pieuse et que la piété est sainte; et en ton nom aussi, si tu m'y autorisais, je ferais
une réponse identique, à savoir ou bien que la justice (δικαιότης) est identique à la
piété ou (...)·

Quand il s'agit du sophiste, Socrate fait cliqueter les mots. C'est ce qui nous
vaut le néologisme δικαιότης11. Une étude systématique des doublets de l'espèce, qui
n'est pas de mon propos, conduirait à des conclusions intéressantes. Il y a gros à
parier cependant que les options en matière de terminologie ne sont pas toutes aussi
innocentes que dans l'échange entre Protagoras et Socrate.

Le mot ήσυχιότης

À mon sens, c'est le cas pour le couple ήσυχιότης / ησυχία dans le Charmide.
Le premier ne figure guère que chez Platon, Lysias et Clément d'Alexandrie. On
pouvait s'y attendre. Quand il emploie le substantif pour décrire l'attitude du
gnostique, Clément ne laisse plus rien deviner des connotations qu'il prenait dans les
dernières décennies du Ve s. ou les premières du IVe s.12 :

10 Protag., 331b 1-5 : Έγώ μεν γαρ αυτός υπέρ γε έμαυτού φαίην αν καί την
δικαιοσύνην οσιον είναι και την όσιότητα δίκαιον · καί υπέρ σοΰ δε, ει με έωης, ταύτα αν
ταΰτα άποκρινοίμην, δτι ήτοι ταύτόν γέ έστιν δικαιότης όσιότητι.
1 1 II surgit à nouveau dans le Gorgias, 508a 2, où il est mis dans la bouche de savants.
Il répond à κοσμιότης, mis pour l'assonance, écrit Éd. DES Places (Platon. XIV. Lexique, I,
Paris, 1964, s.u. δικαιότης, p. 141). Xénophon {Atiabase, II, 6, 26) l'emploie dans le
portrait, au vitriol, qu'il fait du Thessalien Ménon, un élève de Gorgias (voir, sur ce dernier
point, Platon, Ménon, 70a-b). Dans la Cyropédie (VIII, 8, 13), le vocable désigne un
enseignement de la justice dispensé à des enfants de la cour de Perse. En revanche, je ne
vois pas ce qui motive l'emploi d'un mot de haut style, si ce n'est le fait qu'il est question
de la «droiture» de Chiron [Art de la chasse, 1,1; «droiture» est la traduction de l'éditeur
(voir Éd. Delebecque, Xénophon, L'art de la chasse, Paris, 1970, p. 50)]. On le voit, les
nuances commencent déjà à se confondre chez les écrivains moins maîtres de leur plume. Le
fragment de Cercidas (?), qui paraît bien avoir conservé le mot (fr. 17, col. 2, 1. 32 p. 214
Powell) est trop mal conservé pour autoriser un examen circonspect. Les harmoniques ne
sont plus du tout perceptibles à partir de Philon {De la providence, fr. 2, 36) ou de Plotin
[IV, 7 (2), 8], et il est inutile de continuer l'histoire des emplois du mot.
12 Strom., VU, 3, 18, 2 p. 14 Stählin : σώζων τε αύ την φρόνησιν σωφρονεΐ έν
ήσυχιότητι της ψυχής, παραδεκτικός των έπαγγελλομένων (καλών) ώς οικείων κατά την
άποστροφήν των αισχρών ώς αλλότριων, γενόμενος κόσμιος και ΰπερκόσμιος έν κόσμω και
τάξει (πάντα) πράσσων και ουδέν ούδαμή πλημμελών, πλούτων μεν ώς δτι μάλιστα έν τω
μηδενός έπιθυμείν, ατε όλιγοδεής ών καί έν περιουσία παντός άγαθοΰ δια την γνώσιν
τάγαθοΰ. Le maniérisme de Clément (voir, par exemple, le lusus etymologicus du début)
rend le passage malaisé à traduire. La présence de ήσυχιότης n'est indiquée, à ma
connaissance, par aucun dictionnaire. Elle n'est pas davantage exploitée dans les études sur
le Charmide que j'ai pu consulter. Elle ne l'est pas non plus chez Marie-France Hazebroucq
(o.l. [n. *], p. 37, n. 2), qui se contente d'écrire : «mot rare, au suffixe marquant une
certaine affectation, et dont on ne trouve qu'une seule autre occurrence, chez Lysias, XXVI,
LECTURE POLITIQUE DU CHARMIDE 105

Préservant au contraire sa sapience, (le gnostique) est sage dans le «tranquillisme»


de son âme : il accepte comme siennes les beautés annoncées, en se détournant des
gestes honteux en tant qu'ils sont étrangers; devenu ordonné, voire surordonné, il
fait tout dans l'ordre et à la file et ne commet pas la moindre fausse note; il est
surtout très riche du fait de ne rien désirer, parce que, dépourvu de besoin, il jouit de
l'abondance de tout bien en raison de sa connaissance du vrai bien.

Sous la définition affleure néanmoins en écho la définition de la modération


(σωφροσύνη) comme l'entendait le jeune Charmide13 :

À la fin cependant, il dit que, selon lui, la modération consistait à avoir en tout une
attitude ordonnée et tranquille, aussi bien dans son pas sur la route et la
qu'en général dans tout son comportement. À mon sens, en un mot, dit-il, c'est
sur une forme de tranquillisme que tu m'interroges.

Malgré la préciosité du mot utilisé, la conception reflète les préjugés de son


milieu, comme le souligne Socrate14 :

As-tu raison, dis-je, pour autant? Il est vrai, Charmide, que l'on dit des gens
tranquilles qu'ils ont la modération. Voyons donc si l'on y est fondé.

Il a moins de peine encore à faire justice de la seconde. Cette fois, il a invité


son interlocuteur à faire état de ce que produisait en lui la σωφροσύνη. La réponse
exprime l'être profond de Charmide, mais ne constitue en aucun cas un apport positif
à la discussion15 :

Eh bien, dit-il, il me semble que la modération fait rougir et donne à l'homme le


rouge au front, et que la modération est précisément ce qu'est la pudeur.

4». La traduction, «tranquillisme», que j'en donne, est empruntée à P. Demont {La cité
grecque archaïque et classique et l'idéal de tranquillité, Paris, 1990, p. 311). Elle me paraît
d'autant plus heureuse qu'elle fait écho à la πολυπραγμοσύνη «l'activisme» propre aux
milieux attachés à la démocratie. Naturellement, de tels jeux de miroir sémantiques ne se
laissent plus percevoir chez Clément d'Alexandrie. C'est pourquoi j'ai mis le mot entre
guillemets dans la traduction. Mon ancien Assistant, le Dr Thomas Schmidt, a bien voulu
me fournir la référence nécessaire en recourant au TLG (version D). Puisse-t-il lire ici
l'expression de ma gratitude. Bien qu'elle adopte à juste titre l'ingénieuse traduction de
P. Demont, Madame Hazebroucq ne paraît pas avoir perçu avec assez d'intensité l'intérêt du
passage de Lysias, qu'elle cite plus loin (p. 178 avec la n. 1), en l'analysant avec un peu
plus d'attention. Naturellement, le passage de Clément d'Alexandrie n'est même pas
mentionné.
13 Charm., 59b 2-6 : "Επειτα μέντοι είπεν οτι oí δοκοί σωφροσύνη είναι το κοσμίως
πάντα πράττειν και ήσυχη, εν τε τοις όδοίς βαδίζειν και διαλέγεσθαι, και τα άλλα πάντα
ωσαύτως ποιείν. Καί μοι δοκεΐ, εφη, συλλήβδην ήσυχιότης τις είναι δ έρωτας. On croit déceler
l'écho d'un passage de Théognis (I, 220) : Κύρνε, μέσην δ' ερχευ την όδόν, ώσπερ εγώ. À la
fin du ive s., le mot σωφροσύνη revêtait un sens nettement marqué sur le plan politique :
«aristocratique et pro-spartiate, voire antidémocratique et anti-athénienne» (Marie-France
Hazebroucq, o.l. [n. *],p. 177).
14 159b 7-9 : ?Ap' ούν, ήν δ' εγώ, εύ λέγεις ; Φασί γέ τοι, ω Χαρμίδη, τους ήσυχίους
σώφρονας είναι · ϊδωμεν δη ει τι λέγουσιν.
1 5 160e 2-4 : Δοκεΐ τοίνυν μοι, εφη, αίσχύνεσθαι ποιείν ή σωφροσύνη και αΐσχυντηλόν
τον ανθρωπον, και είναι όπερ αίδώς ή σωφροσύνη.
106 J. SCHAMP

La troisième n'est guère plus intéressante, car elle émane d'autrui16 :

À l'instant, je viens de me rappeler une définition que j'ai déjà entendue dans la
bouche de quelqu'un : «la modération consiste pour chacun à gérer ses propres
affaires.»

C'est là un axiome qu'eussent pu reprendre à leur compte les thuriféraires de


certain libéralisme triomphant. Après quelques jeux de mimiques, le texte fera ressortir
que ce quelqu'un n'est autre que Critias. Le passage du témoin de Charmide à Critias
qu'il imite presque sans vergogne est gros d'harmoniques assez menaçantes pour que
l'on s'inquiète. Ce dernier n'hésite pas, d'ailleurs, à gourmander peu après son trop
bénévole disciple17 :

Mais, me sembla-t-il, (Critias) se fâcha contre lui (se. Charmide), à la façon d'un
poète contre un acteur qui a mal récité ses poèmes; aussi le regarda-t-il les yeux dans
les yeux en lui disant : «Ainsi donc, Charmide, tu crois que, parce que toi, tu ne sais
pas ce qu'entendait celui qui a dit que la modération consiste à gérer ses propres
affaires, lui ne le savait pas non plus.»

En somme, même maladroit, Charmide n'est que la voix de son maître Critias.
Dans le dialogue, ce sera désormais à l'autre de relever le gant. À la fin, on le verra, la
quête en vue de la modération aura échoué.

L'inquiétant Évandros

Le vocabulaire force à établir un rapprochement entre Charmide et un


personnage de Lysias nommé Évandros, qui subit une dokimasie pour avoir été tiré au
sort en qualité d'archonte suppléant. Le discours doit avoir été prononcé au milieu de
l'année 38218. En bonne logique, le logographe s'en prend au passé de notre
homme19 :

Qu'en est- il du tranquillisme (ήσυχιότης) de cet individu ? On ne doit pas à présent


chercher à savoir s'il a la modération, quand il ne lui est pas licite de mal se
conduire; au contraire, il faut examiner l'époque où, alors que le choix s'offrait à lui,
il avait opté pour un régime criminel.

16 161b 4-5 : "Αρτι γαρ άνεμνήσθην ο ήδη του ήκουσα λέγοντος, δτι σωφροσύνη εϊη το
τα έαυτοΰ πράττειν.
17 162d 1-6 : ó δ' ουκ ήνέσχετο, αλλά μοι εδοξεν όργισθήναι αύτφ ώσπερ ποιητής
υποκριτή κακώς διατιθέντι τα έαυτοΰ ποιήματα ■ ώστ' έμβλέψας αύτφ είπεν · οΰτως οΐει, ώ
Χαρμίδη, ει συ μή οΐσθα ο τί ποτ' ένόει δς έφη σωφροσύνην είναι το τα έαυτοΰ πράττειν, ουδέ
δη εκείνον είδέναι ;
18 L. Gernet-M. Bizos, Lysias. Discours II (XVI-XXXV et fragments), Paris, 1962
[1926], p. 128.
19 Lysias, 26 (Au sujet de l'examen d'Évandros ), 5 : προς δε την ήσυχιότητα τήν
τούτου,
άλλ' εκείνον
οτι ού τον
νυν χρόνον
δει αυτόν
σκοπείν,
έξετάζειν
έν ειφ σώφρων
εξόν όποτέρως
εστίν, öY
έβούλετο
αυτόν ούκ
ζηνέξεστιν
ε'ίλετοάσελγαίνειν,
παρανόμως
πολιτευθηναι.
LECTURE POLITIQUE DU CHARMIDE 107

L'allusion vise évidemment le milieu des Trente. Évandros a milité dans les
rangs du parti oligarchique, même s'il ne fut pas au nombre des ténors et si la portion
de discours conservée n'offre que de rares données sur le rôle qu'il y joua. On peut
supposer au moins qu'il n'en était pas sorti les mains très nettes20 :

Cet homme n'a même pas les mains nettes, ceux qui le connaissent en ont témoigné
(... on le trouvera) aussi en qualité de juge dans des procès pour meurtre, alors qu'il
eût dû être jugé lui-même par l'Aréopage; et en outre, on le verra, couronne en tête,
en charge du sort des épiclères et des orphelins, dont parfois il avait lui-même causé
le deuil.

Mais, ce qui est plus étonnant, c'est que tranquillisme (ήσυχιότης) et


modération (sous la forme de l'adjectif σώφρων) figurent dans la même phrase.
Malicieusement, le logographe prête à son adversaire un langage à la frappe
caractéristique21 :

et qu'il est un homme d'ordre, et qu'on ne le voit point faire ce que d'autres se
permettent (dans la cité), mais qu'il ne consent qu'à gérer ses propres affaires.

Les idées d'ordre et de modération réapparaissent aussi conjointement dans la


première définition de Charmide; «gérer ses propres affaires» (τα έαυτοΰ πράττειν)
n'est autre que la troisième, celle que Critias lui a glissée dans le tuyau de l'oreille.
Est-ce à dire que le vivier où grouillaient Évandros et ses consorts aurait débattu des
mêmes thèmes que Charmide avec ses amis ? Dans ce cas, on pourrait supposer que
les différents groupes avaient un inspirateur commun, Critias. À moins que l'on ne
doive suggérer une alternative. Les rencontres, à si courte distance, invitent à se
demander si Lysias n'avait pas lu le dialogue, ou Platon le discours de Lysias. Dans ce
cas, on aurait des indices particulièrement précieux sur l'époque de rédaction du
dialogue22. En outre, les analogies offrent de nouvelles clefs d'interprétation pour le
Charmide.

20 Id., 8 et 12 : (...) öv ουδέ καθαρόν είναι τας χείρας οι ειδότες μεμαρτυρήκασι (...)
και φόνου δίκας δικάζοντα, öv έδει αυτόν ΰπό της έν Άρείφ πάγφ βουλής κρίνεσθαι ; Και
προς τούτοις ΐδωσιν έστεφανωμένον, και έπικλήρων και ορφανών κύριον γεγενημένον, ων
ένίοις αυτός ούτος της όρφανίας αίτιος γεγένηται.
21 Id., 3 : Και ετι αυτός κόσμιος έστι και ούχ όράται ποιών α έτεροι ενταύθα τολμώσιν,
άλλα τα έαυτοΰ πράττειν άξιοι.
22 II ne saurait être question d'aborder ici les problèmes relatifs à la chronologie des
dialogues. Pour le Charmide, on a soutenu que le premier livre des Mémorables de
Xénophon, écrit en 392 ou 391, lui serait de peu postérieur. Mais on a défendu l'hypothèse
contraire. Voir Marie-France Hazebrouck, o.l. (n. *) p. 86, n. 1. À mon sens, ce type de
spéculations est assez hasardeux, car l'œuvre est composée de pièces rapportées. Un
excellent spécialiste de Xénophon, Éd. Delebecque {Essai sur la vie de Xénophon, Paris,
1957, p. 221) situe durant la période de Scillonte, vers 381, la rédaction des livres I et II.
108 J. SCHAMP

Des idéaux aristocratiques

L'origine des idéaux du personnage a été élucidée depuis longtemps. On se


contentera ici de rappeler brièvement les données23. Dans le mythe des races
hésiodique24,
contents, tranquilles, les hommes de la race d'or se partageaient les produits (de la
terre) au milieu de biens sans nombre.

À la fin de 470, Pindare25 rappelle qu'il revient au roi, Hiéron de Syracuse,


avec son fils, le prince héritier, d'amener le peuple à la tranquillité, gage d'harmonie.
En 446, dans la plus récente des épinicies conservées, 'Ησυχία est personnifiée
comme fille de la Justice. On ne sait s'il s'agissait d'une pure fiction poétique ou si
Tranquillité bénéficiait d'un culte à Égine, dans la patrie du vainqueur, le lutteur
Aristoménès26. Mais, peu après la bataille de Potidée, les Corinthiens blâmèrent
l'attentisme, rigoureusement isolé, des Spartiates, face à l'activisme des Athéniens27.
Avec un sens très vif des oppositions, ils décrivent alors le comportement de ceux-
ci28 :

Pour eux, il n'est point de fête plus belle que d'accomplir leur devoir, et le malheur
est au moins autant la tranquillité dans l'inaction qu'une situation embarrassée
chargée de peines.

Le discours des Corinthiens est sensiblement contemporain du moment où le


dialogue est censé s'être tenu. En proposant Γήσυχιότης comme définition de la
modération, Charmide se met ouvertement dans le camp des adulateurs de Sparte et des
admirateurs de son régime politique. En rattachant Γαίδώς à la σωφροσύνη, le beau
jeune homme s'évertue à établir une continuité entre une notion caractéristique de la
«shame-culture» propre à l'époque archaïque et un idéal strictement personnel qui
émerge à la fin du Ve s., celui du «contrôle rationnel des passions»29. D'une définition

23 Voir B. Witte, Die Wissenschaft vom Guten und Bösen. Interpretationen zu


Piatons "Charmides", Berlin, 1970, p. 27-29.
24 HÉS., Trav., 118-119 : οι δ' έθελημοι / ήσυχοι εργ' ένέμοντο σύν έσθλοΐσιν
πολέεσσιν.
25 Pyth., 1, 70 : τράποι σύμφωνον ές ήσυχίαν. Pour la date, voir A. Puech, Pindare II
Pythiques, Paris, 19553, p. 21.
26 Pyth., 8, 1-2 : Φιλόφρον Ησυχία, Δίκας / ώ μεγιστόπολι θύγατερ. La date a été
contestée, mais c'est celle que donnent les scholiastes (A. PuECH, o.L, p. 117, voir Inscr.
BEQ p. 206 Drachmann).
27 Thuc, I, 69, 4 : Ησυχάζετε γαρ μόνοι Ελλήνων, ώ Λακεδαιμόνιοι, ου xfj δυνάμει
τινά, άλλα τη μελλήσει αμυνόμενοι (...). Pour une analyse du discours des Corinthiens, on
lira les pages de P. Demont (o.L [n. 12], p. 206-210).
28 I, 70, 8 : (...) και μήτε έορτήν αλλο τι ήγείσθαι ή το τα δέοντα πράξαι ξυμφοράν τε
ούχ ήσσον ήσυχίαν άπράγμονα ή άσχολίαν έπίπονον.
29 Sur l'évolution de 1'αίδώς, voir Β. Witte, o.l. (n. 23), p. 32-33. Éd. des Places (La
religion grecque. Dieux cultes, rites et sentiments religieux dans la Grèce antique, Paris,
1969, p. 365) la définit comme «le sentiment collectif de l'honneur et les obligations qui
en résultent pour le groupe». La citation est tirée du livre tout récent de Françoise Frazier
(Histoire et morale dans les Vies parallèles de Plutarque, Paris, 1996, p. 192, voir aussi
LECTURE POLITIQUE DU CHARMIDE 109

à l'autre, sa performance philosophique ne s'est pas améliorée, il s'en faut; ce ne sera


pas davantage le cas quand il reproduira une indication de Critias.

Le cadre du dialogue

Je viens de rappeler les analogies idéologiques entre la première définition du


Charmide et le plaidoyer des Corinthiens chez Thucydide. De tels rapprochements
eussent dû inciter à prêter plus d'attention au cadre du dialogue. Sur le plan technique,
on peut ajouter d'autres considérations. Les premières lignes montrent Socrate qui
vient tout juste de rentrer de la bataille de Potidée. Il n'est qu'un seul dialogue où
l'ambiance soit à ce point au drame, le Théétète. Dans le prologue, Euclide vient de
croiser Théétète que l'on ramenait, moribond, d'un camp près de Corinthe. De concert,
Euclide et le malade évoquèrent le souvenir de Socrate que le second avait rencontré à
Athènes; bien plus tard, Euclide, à son tour, recueillit de la bouche de Socrate le récit
des entretiens qu'avaient eus les deux hommes, flanqués du géomètre Théodore.
Euclide en fit un livre, dont un esclave donna lecture. On le voit, la mise en scène est
d'une rare complexité. Euclide fait une déclaration, qui vaut un manifeste littéraire et
une autocritique30 :

Mais j'ai mis le récit par écrit de la manière suivante. Loin d'être un rapport pour
moi, comme l'était celui de Socrate, il n'offre que les discussions qu'il disait avoir
eues avec eux. Il parlait autant avec le géomètre Théodore qu'avec Théétète. Pour
éviter dès lors les embarras que produisaient dans le récit les interruptions
narratives dues à Socrate quand il parle, par exemple, «et moi, j'affirmai» ou «et
moi, je dis» ou, au contraire, à ses interlocuteurs, avec des «il approuva» ou «il
n'était point d'accord», voilà pourquoi je l'ai mis par écrit comme s'il discutait
directement avec eux, en ôtant les appendices de ce genre.

Platon adresse un adieu à un des procédés qui avaient été les siens. Pas si
souvent, à vrai dire, mais dans trois uvres seulement31, le Charmide, le Lysis et la
République. Certes, les raisons qu'il avance ont trait à son art. On peut pourtant se
demander si elles n'en cachent point d'autres. Par la narration directe, peut-on
Socrate et, sous le masque, Platon en personne affichaient leurs préoccupations
intimes. On voit bien pourquoi à propos de la République, l'utopie d'un État reposant
sur une parfaite justice. Mais qu'en est-il du Charmide, une uvrette de jeunesse ? On
se rappellera tout de même l'impact énorme du problème posé dans celui-ci32. N'est-ce

n. 52). On lit une définition assez voisine dans le corpus platonicien (Définitions, 411e) :
S?f??s??? · µet???t?? t?? ????? pe?? t?? ?? a?t?) ?at? f?s?? ?????µ??a? ep???µ?a? te ?a?
?d????.
30 Théét., 143b 5 - c 6 : ???a?a d? d? ??t?s? t?? ?????, ??? ?µ?? S????t?
d?????µe???, ?? d???e?t?, ???a d?a?e??µe??? ??? ef? d?a?e????a?. "?f? d? t? te ?e?µ?t??
Te?d??f ?a? tf Tea?t?t?. "??a ??? ?? t? ??af? µ? pa?????e? p???µata ai µeta?? t?? ?????
d????se?? pe?? a?t?? te ?p?te ?e??? ? S????t??, ???? «?a? ??? ef??» ? «?a? ??? e?p??» ? a?
pe?? t?? ?p??????µ???? ?t? «s???f?» ? «??? ?µ????e?», t??t?? ??e?a ?? a?t?? a?t???
d?a?e??µe??? ???a?a, ??e??? ta t??a?ta.
31 On peut faire l'impasse sur deux dialogues, au moins suspects d'inauthenticite,
YAxiochos et Les rivaux. Voir Marie-France Hazebrouck, o.L (n. *), p. 75 n. 2.
32 La question revient ailleurs sur le tapis par la suite. Voir Éd. des Places, o.L
(n. 11), II, Paris, 1964, s.u. s?f??s???, p. 494. Sans doute pourrrait-on aussi s'étendre en
110 J. SCHAMP

pas d'ailleurs, plus spécialement, la technique du Charmide qu'entendait dénoncer


l'écrivain ? Les similitudes entre le Charmide et le Théétète ont été dûment
soulignées33 : «L'introduction du Théétète (...) ne saurait mieux se comparer qu'à
celle du Charmide.»
Dans le cas de ce dernier, l'émotion devait guider la plume de Platon. Rien de
plus normal, comme on va le voir.
Ce matin-là, le beau Charmide était sorti de son lit indisposé, l'esprit engourdi.
Le malaise ne s'était pas déclaré le jour même, à s'en rapporter au dialogue mettant en
présence Socrate et Critias34 :

Mon garçon, dit (Critias), appelle Charmide en lui disant que je veux le mettre en
présence d'un médecin, à propos du malaise dont il me disait voici peu qu'il souffrait
(...). Tout à l'heure justement, il m'a dit qu'il avait la tête quelque peu lourde depuis
son lever ce matin.

Le médecin pressenti, c'était évidemment Socrate. Cette fois encore, on notera


la présence d'une métaphore d'origine médicale : le maître de jeu est guérisseur, avant
de devenir «sage-femme» dans le Théétète ou, si l'on peut écrire, «sage-homme». La
fabulation platonicienne l'amène à officier dans des conditions assez particulières, au
lendemain de la bataille de Potidée :

J'étais revenu la veille au soir, déclare-t-il35, du camp devant Potidée et, comme
j'étais parti depuis longtemps, ce fut avec bonheur que je me rendis à mes
occupations habituelles.

Entre le retour de Socrate et la bataille même, assez de temps s'était écoulé


pour que des nouvelles imprécises parvinssent dans la capitale, au moins d'après
Chéréphon, un des acteurs secondaires du dialogue36 :

Mais, d'après les nouvelles arrivées ici (...), la bataille a été tout à fait chaude et
beaucoup de nos connaissances y ont péri.

Les variations des sources posent, depuis longtemps, problème aux


D'après le Banquet, Socrate aurait fait en compagnie d'Alcibiade une campagne
d'été à Potidée37, suivie d'une campagne d'hiver38 : autant d'événements qu'il faut

longs commentaires sur le Lysis, dont le sujet n'est pas d'intérêt secondaire, car la
discussion roule sur l'amitié. Or, là aussi, l'entretien se termine de façon houleuse, par
l'intrusion abrupte des pédagogues de Ménexène et de Lysis, des esclaves à demi-barbares
(?p?ßa?ßa?????te? 222a 7) comparés à des da?µ??e? (223a 2).
33 Aug. Dies, Platon. VIII. 2e partie. Théétète, Paris, 1967 [1926], p. 123.
34 Platon, Charm., 155b : ?a?, ef?, ???e? ?a?µ?d??, e?p?? ?t? ß????µa? a?t?? ?at??
s?st?sa? pe?? t?? as?e?e?a? ?? p???? p??? µe ??e?e? dt? ?s?e??? (...) "??a???? t?? ef?
ßa???es?a? t? t?? ?efa??? e??e? ???st?µe???.
35 153a 1-3 : ????? µ?? t? p??te?a?a esp??a? ?? ??te?da?a? ?p? t?? st?at?p?d??,
???? d? d?a ?????? ?f??µ???? asµ???? ?a ?p? t?? ?????e?? d?at??ß??.
36 153b 7-9 : ?a? µ?? ???e?ta? ?e de??? (...) ? te µ??? p??? ?s???? ?e?????a? ?a? ??
a?t? p?????? t?? ?????µ?? te????a?.
37 Banquet, 220c 3 - d 5.
38 220a 6-b 9.
LECTURE POLITIQUE DU CHARMIDE 111

situer durant les années 432-43 1 . On ne sait si Alcibiade et Socrate avaient fait partie
du premier contingent parti au printemps avec Callistratos39 ou du second expédié en
été sous les ordres de Callias40. L'affrontement décisif, au cours duquel tombèrent
Callias et cent cinquante hommes41, pourrait avoir eu lieu à l'automne de 432. Or,
selon Isocrate42, Alcibiade s'était rendu en Thrace plus tard seulement, avec un renfort
conduit par Phormion et, pour ses hauts faits, il avait reçu une couronne et une
complète. Dans ce cas, rendu à ses foyers quelques jours après la bataille, Socrate
n'aurait jamais pu faire campagne en même temps qu'Alcibiade43. Isocrate, d'autre
part, n'avait aucun intérêt à rappeler le nom de Socrate dans son discours et il se
qu'à distance il eût interverti l'ordre des expéditions athéniennes. Dans le
Charmide, il n'est pas question d'Alcibiade qui ne prend aucune part à l'action. On ne
peut donc taxer Platon d'inconséquence ni lui reprocher de n'avoir pas voulu faire
uvre d'historien. Dans le Banquet, l'intention d'Alcibiade était manifestement de
faire l'éloge de Socrate.
Aussi bien, le moment où Platon situe le Charmide revêt une valeur
emblématique44. On l'a constaté bien avant moi, le prologue est parsemé d'indications
qui devaient être significatives pour le lecteur antique, au moins contemporain de
l'auteur.

En particulier, dit Socrate le narrateur45, ce fut à la palestre de Tauréas, juste en face


du sanctuaire de Basile, que j'allai.

Le sanctuaire en cause est bien connu : il se trouvait au Sud de l'Acropole,


près des murs de la cité, entre les tours de Dionè et d'Itonè46. Quant à la divinité

39 Thuc, I, 57, 6; 59, 1-2.


40 Thuc, I, 61, 1. Pour les dates, voir G. Glotz-R. Cohen, Histoire grecque. II : La
Grèce au vesiècle, Paris, 1938, p. 618; J. Hatzfeld, Alcibiade. Étude sur l'histoire
d'Athènes à la fin du Ve siècle, Paris, 1940, p. 63. D'autres systèmes chronologiques sont
possibles. Comme le fait observer Jacqueline de Romilly [Thucydide. La guerre du
Péloponnèse. Livre I, Paris, 1953, p. 106 (note complémentaire à 125, 2, p. 82)], Potidée
payait encore son tribut à Athènes en mars 432.
41 Thuc, I, 63, 3.
42 16 (Sur l'attelage), 29. Sur l'expédition de Phormion, voir Thuc, I, 64, 2.
43 Le problème a été bien posé par J. Hatzfeld, o.L (n. 40), p. 63-64.
44 On ne peut assez regretter que, comme l'écrivait voici longtemps L. Parmentier
[La chronologie des dialogues de Platon, dans BAB, 5 (1913), p. 152], «on n'accorde
généralement qu'un intérêt assez médiocre au milieu où se passe (la) scène, à la personnalité
des interlocuteurs, à l'époque et aux circonstances où ils nous sont présentés». Je ne
connais, outre celle de B. Witte, que de rares études récentes accordant quelque attention à
l'étude du cadre, celle de Sylvie Solère-Queval [Lecture du Charmide, dans RPhA, 1 1
(1993), p. 3-7 et 55-61] et celle Marie-France Hazebroucq (n. *). Menée d'un point de vue
exclusivement philosophique, celle de Mme S. Solère-Queval est beaucoup plus optimiste
que la mienne.
45 Charm., 153a 3-4 : ?a? d? ?a? e?? t?? ?a????? pa?a?st?a? t?? ?ata?t???? t?? t??
?as???? ?e??? e?s?????.
46 W. Judeich, Topographie von Athen, Munich, 193 12 (Handbuch de W. Otto III 2,
2), p. 387-388. Sur le sanctuaire de Basile, on lira encore une excellente étude d'H.A.
Shapiro [The Attic Deity Basile, dans ZPE, 63 (1986), p. 134-136] et une brève notice
d'Emily Kearns [The Heroes of Attica, dans BICS, Suppl. 57 (1989), p. 151]. Le nom
112 J. SCHAMP

présidant à sa destinée, elle n'était autre que Persephone, et elle y était révérée
avec son époux Hadès, c'est-à-dire Neleus, le «Sans pitié»47. Certes, dans
maints dialogues de sa jeunesse, Platon a élu pour cadre tel lieu ou telle palestre où
les adolescents affectionnaient de se réunir : Lycée48, palestre indéterminée49 ou
proche de la source Panopé au Nord de la ville50. Nulle part ailleurs toutefois que
dans le Charmide la topographie ne se charge d'autant de symboles menaçants : après
avoir effleuré la mort sur le champ de bataille, Socrate est revenu hanter des parages
voisins d'un lieu où l'on rend un culte aux forces infernales. L'ancien combattant
avait-il éprouvé avant tout le besoin d'effacer sur lui les souillures de la guerre ?
Toujours est-il que, d'après ses propres dires51,

Et, lorsqu'ils me virent entrant contre toute attente, de loin aussitôt ils se mirent à
l'envi à m'adresser des saluts.

Il est intéressant de souligner que le plus ardent d'entre eux fut Chéréphon, un
indéfectible ami de Socrate52 :

Mais Chéréphon, parce qu'il avait la tête un peu folle, sortit d'un bond du groupe, se
mit à courir vers moi et me prit par la main (...).

Mort avant 399, c'était lui qui avait reçu de Delphes l'oracle consacrant Socrate
comme le plus sage des hommes. Ardent démocrate (?µ?? t? p???e? eta????), il avait
accompagné Thrasybule dans son exil et à son retour53. Le geste de Chéréphon qui, à

évoque naturellement l'idée de «souveraineté». D'introduction récente à la fin du Ve s., le


culte traduit le renouveau d'intérêt pour l'abstraction personnalisée. On a des exemples
analogues à la même époque, comme ceux d'Eunomia ou d'Hygieia, ou, dans le registre de la
généalogie attique et du mythe, celui de la naissance d'Érichtonios. Emily Kearns (/./.)
souligne la liaison avec les dieux souterrains.
47 B. Witte, o.L (n. 23), p. 40 avec la n. 5. L'identification avait déjà été faite par
H. Usener à la fin du siècle dernier.
48 Euthyd., 27 la.
49 Laches, 178a. Les personnages viennent d'assister à un spectacle qui consistait en
un combat en armes.
50 Lysis, 203a 3 et 204a 2. Bien attestée en tant que Néréide [Hom., S 45; HÉS.,
Théog., 250; Apollod., I, 11; Virg., Géorg., I, 437; En., V, 240 et 825; voir aussi H. VON
Geisau, art. Panope 1, dans Der kleine Pauly, A (1975), col. 464], Panopè ne joue aucun
rôle marquant ni dans la religion ni dans la mythologie. L'écueil de ce type d'approche est
la surinterprétation. C'est une faute que n'évite pas toujours Sylvie Solère-Queval (o.L
[n. 44], p. 6) qui fait de Critias, fils de Callaischros, l'enfant d'un certain «beau-laid». Du
même coup, le nom du père annonce l'évolution qui sera celle du fils au long du dialogue.
L'étymologie du nom n'a que faire ici. Il n'y a aucune raison de mettre en doute le nom du
père de notre Critias, qui figure encore dans le Protagoras (316a 5). Voir aussi le brillant
article du regretté J. Labarbe [Quel Critias dans le Timée et le Critias de Platon?, dans
Sacris Erudiri,3l (1989-1990), p. 240-241].
51 Charm., 153a 6-7 : ?a? µe ?? e?d?? e?s???ta ?? ap??sd???t??, e???? p?????e?
?sp????t? ????? ?????e?.
52 153b 2-3 : ?a??ef?? d?, ate ?a? µa????? ??, ??ap?d?sa? ?? µ?s?? ?'?e? p??? µe, ?a?
µ?? ?aß?µe??? t?? ?e???? (...).
53 Apologie, 20e 8 - 21a 9. Voir déjà W. Groen van Prinsterer, Prosopographia
platónica, Leyde, 1823 [Amsterdam, 1975], p. 205. Le personnage avait essuyé les
LECTURE POLITIQUE DU CHARMIDE 113

la différence de Critias ou d'autres, n'avait pu maîtriser la chaleur de son amitié,


traduit une vérité psychologique, mais aussi le soulagement d'un Athénien loyaliste.
Socrate, en définitive, s'était vaillamment battu pour le salut de la cité et de son
régime démocratique. Vu à la lumière de l'avenir, le jeu de scène qui suit ne devait pas
manquer d'un certain piquant aux yeux du lecteur athénien de la première moitié du IVe
siècle54 :

Et, en même temps, me conduisant auprès de Critias fils de Callaischros, il me fait


asseoir.

Déclinée au complet, l'identité du nouveau personnage ne pouvait échapper.


Socrate était mis en présence de deux hommes que leur évolution respective allait
profondément séparer.

Un adolescent sans visage

Au même Chéréphon revint l'honneur de présenter l'éponyme du dialogue55 :

Et, m 'interpellant : Que te semble, dit (Chéréphon), de ce petit jeune homme ?


N'a-t-il point beau visage ? - Surnaturellement beau, dis-je. - Pourtant, dit-il, s'il
consentait à se dévêtir, il te paraîtrait être sans visage (ap??s?p??), tant son corps
a une beauté accomplie.

L'idée est évidemment que la perfection physique de Charmide va jusqu'à


éclipser celle de son visage. Ainsi, Chéréphon traduit, sous une forme paradoxale et
ambiguë, l'idéal de la paideia aristocratique auquel adhérait le groupe où il s'était
introduit. À propos de l'adjectif ap??s?p??, H.-I. Marrou56 écrivait : «Quel mot
étrange pour nous, habitués que nous sommes à guetter sur les traits le reflet mobile
de l'âme, mais qui trouve un commentaire dans ces figures impassibles d'athlètes
(...).» Plus surprenant encore que ne le supposait Marrou. En effet, le mot a
une acception péjorative; il est traduit57 très correctement par «without a face,
i.e. without beauty of face» ou, avec moins de nuances, «sans visage d'où laid,
horrible». Certes, l'antonyme e?p??s?p?? ne s'appliquait point au modeste
futur démocrate, auquel les brocards n'ont point manqué. Dans Aristophane58,
Philippide n'a que mépris pour

railleries d'Aristophane dans les Nuées en 423 (104; 144-145) et dans les Oiseaux en 414,
où il est surnommé «la chauve-souris» (1296 et 1564).
54 Charm., 153c 5-6 : ?a? ?µa µe ?a???e? ???? pa?? ???t?a? t?? ?a??a?s????.
55 154d 1-4 : ?a? ? ?a??ef?? ?a??sa? µe · ?? s?? fa??eta? ? ?ea??s???, ef?, ?
S???ate? ; ??? e?p??s?p?? ; - ?pe?f???, ?? d' ???. - ??t?? µ??t??, ef?, e? ?????? ?p?d??a?,
d??e? s?? ap??s?p?? e??a? · ??t?? t? e?d?? p???a??? ?st??. Platon vient d'écrire que tous le
contemplaient comme une statue p??te? ?spe? ??a?µa ??e??t? a?t??.
56 Histoire de l'éducation dans l'Antiquité, Paris, 19656, p. 85 où il cite comme
exemple le Discobole de Myron.
5 ' Respectivement L.S.J., s.u. et A. Bailly, s.u. Il faut ajouter que, dans une uvre où
les beaux jeunes gens ne font point seulement de fugaces apparitions, l'adjectif est un
hapax. La donnée n'est pas soulignée par les commentateurs.
5 8 Nuées, 1 02- 104 : ???? a?a???a?, / t??? ??????ta?, t??? a??p?d?t??? ???e??, / ?? ?
?a??da?µ?? S????t?? ?a? ?a??ef??.
114 J. SCHAMP

ces hâbleurs, ces faces blêmes, ces va-nu-pieds, dont le misérable Socrate et
Chéréphon.

Ce dernier paraît avoir eu, en outre, le sourcil touffu59. Voilà certes une
physionomie vigoureuse en net contraste avec celle de Charmide et, précisément, les
remous intérieurs s'imprimaient sur le visage de l'intéressé, où l'âme devait se lire à
livre ouvert. Aussi Socrate décela-t-il immédiatement le ver qui risquait de gâter le
trop beau fruit qu'était Charmide60 :

Par Héraclès (...), quelle invincibilité vous donnez au gaillard, si vient se joindre en
lui un seul et unique petit supplément !(...) s'il a reçu une âme belle.

Chacun pense au supplément d'âme que réclamait Bergson. Avec de tels


partenaires la suite était inévitable.
À la fin de la trajectoire, Socrate doit avouer un échec. Sans doute est-ce une
particularité de l'ensemble des dialogues dans lesquels s'inscrit le Charmide. La
conclusion qu'en tire le meneur de jeu rend toutefois un son particulièrement grave61 :

Il reste que dans mon cas l'irritation n'est point trop grave. Mais c'est pour toi, dis-
je, Charmide, qu'elle est tout à fait vive : avec une telle beauté et, de surcroît, une
parfaite sagesse de l'âme, tu ne tireras aucun profit de cette modération ni aucun
avantage de sa présence dans ta vie. Mais je m'irrite bien davantage encore à cause
de l'incantation que j'ai apprise du Thrace : elle qui est dépourvue de la moindre
valeur pratique, j'ai mis tant de zèle à l'apprendre.

Il accuse durement le coup. Le moins que l'on puisse affirmer, c'est que
Socrate n'engage point Charmide à s'engager dans la vie politique.
La vérification est-elle possible ? Dans le restant de Yopus platonicien,
Charmide fait encore de furtives apparitions62. On peut tout juste en déduire qu'après
avoir suivi l'enseignement de Protagoras - à vrai dire, l'emploi d'un néologisme
comme ?s????t?? était déjà révélateur -, il s'attacha désormais à la personne de
Socrate, mais les textes platoniciens n'autorisent pas à inférer le temps qu'il passa à

59 Nuées, 146 avec L. Coulon-H. Van Daele, Aristophane. T.I. Les Acharniens - Les
Cavaliers - Les Nuées, Paris, 1923, p. 170, n. 1. D'après J. Tzetzès (Scholies à
Aristophane. IV, p. 418 Positano-Holwerda-Koster), ces traits lui avaient valu le surnom de
chauve-souris et de pelure de buis (respectivement ???te??? et p??????). Chéréphon paraît
avoir été une des cibles favorites des lazzi -.flatteur de Callias (Eupolis, fr. 165 Edmonds);
voleur (Aristoph., fr. 291 Kock = 295 K-A); sycophante (fr. 539 Kock = 552 K-A) ou fils
de nuit (fr. 573 Kock = 584 K-A).
60 Charm., 154d- 155e 1 : ?????e?? (...) ?? ?µa??? ???ete t?? ??d?a, e? et? a?t? e? d?
µ???? t?????e? p??s?? sµ????? t? (...) e? t?? ????? (...) t?????e? e? pef????.
6 ' 175d 5- e 5 : t? µ?? ??? ?µ?? ?a? ?tt?? a?a?a?t?- ?p?? d? s??, ?? d' ???, ? ?a?µ?d?,
p??? a?a?a?t?, e? s? t????t?? ?? t?? ?d?a? ?a? p??? t??t? t?? ????? s?f????stat??, µ?d??
???s? ?p? ta?t?? t?? s?f??s???? µ?d? t? s' ?fe??se? ?? t? ß?? pa???sa, et? d? µ?????
a?a?a?t? ?p?? t?? ep?d?? ?? pa?? t?? T?a??? eµa???, e? µ?de??? a???? p???µat?? ??sa?
a?t?? µet? p????? sp??d?? ?µ???a???.
62 Protag., 315a 1, où il figure parmi les auditeurs de Protagoras déambulant dans le
vestibule de Callias. À la date fictive du dialogue, en 416, Alcibiade le cite parmi ceux qui
fréquentaient Socrate avec assiduité (Banquet, 222b 1).
LECTURE POLITIQUE DU CHARMIDE 115

son côté. L'autre source d'information réside dans les ouvrages d'un autre Socratique,
Xénophon. Charmide était au nombre des convives qu'avait invités Callias, durant
l'été de 422, pour fêter la victoire au pancrace du jeune Autolycos63. Il s'y montre fier
d'être pauvre64. Position paradoxale sur laquelle il se justifiera plus loin65. Dans les
Mémorables, Socrate essaie de convaincre son disciple de s'intéresser à la chose
publique. Les ultimes remarques qu'il lui fait ne sont pas exemptes d'ambiguïté. On
peut y lire en filigrane un écho déformé de ce que l'on découvre dans le Charmide 66 :

Pour la plupart, ceux qui ont pris à cur d'inspecter les affaires des autres ne se
tournent pas vers l'examen d'eux-mêmes. Ne va donc pas t'abandonner à ce
penchant, mais de toutes tes forces tends ton attention vers toi-même. Et ne néglige
point les affaires de la cité, s'il se peut que grâce à toi la situation s'améliore.

Incapable de déceler ses propres facultés, Charmide mérite à coup sûr le


reproche de ne pas se connaître lui-même. Pourtant, c'est le même Socrate qui, chez
Xénophon, recommande à Charmide de dévoiler ses talents dans l'administration de la
cité. On se gardera donc d'aligner sans discernement les données touchant Charmide
sur une ligne continue, comme font les spécialistes de la prosopographie67, qui
exercent un autre métier. Le personnage de Xénophon n'a rien de commun avec celui
de Platon.

A l'ombre de la mort

Néanmoins, Critias exhorte fortement son disciple à persévérer. Sans doute


l'ironie court-elle sous les phrases qui terminent le dialogue. Y affleure le regret de
Socrate d'avoir dû compter sur de tels partisans68 :

63 F. Ollier, Xénophon. Banquet-Apologie de Socrate, Paris, 1981, p. 8 (voir, dans


l'uvre, 1, 3).
64 On peut se demander si l'appauvrissement ne résulte pas de la désinvolture qu'il
montrait dans la gestion de son patrimoine. Les dialogues suspects ou apocryphes le
montrent uniquement préoccupé d'activités sportives. Dans le Théagès (128d-e), il est sur
le point de se rendre à Némée pour l'entraînement; au début de YAxiochos (364 a), il
s'exerce à la course sur les bords de l'Ilissos. Dédain d'aristocrate hautain vis-à-vis des
contingences matérielles?
65 XÉN., Banquet, A, 29-33.
66 III, 7, 9 : ?? ??? p????? ??µ???te? ?p? t? s??pe?? t? t?? ????? p???µata ??
t??p??ta? ?p? t? ea?t??? ??et??e??. ?? ??? ?p???a??µe? t??t??, ???a d?ate???? µ?????
p??? t? sa?t? p??s??e??. ?a? µ? ?µ??e? t?? t?? p??e??, e? t? d??at?? ?st? d?a s? ß??t???
?'?e??. On trouvera une excellente étude du chapitre dans le livre d'A. Delatte (Le troisième
livre des souvenirs socratiques de Xénophon. Étude critique, Liège-Paris, 1933, p. 86-91).
Comme le suggère A. Delatte (o.L, p. 90), l'observation de Socrate, s??pe?? t? t??
????? ne suggère pas comme antithèse t? ea?t?? p??tte??, mais ea?t?? ??et??e??.
67 Voir, par exemple, W. Groen Van Prinsterer, o.L (n. 53), p. 213-214.
68 176b 5- d 5 : ??e? ???', ef?, ? ???t?a?, ? ?a?µ?d?, (??) d?a? t??t? ?'µ???' ?sta?
t??t? te?µ????? dt? s?f???e??, ?? ?p?de?? pa????? S????te? ?a? µ? ?p??e?p? t??t?? µ?te
µ??a µ?te sµ?????.
?? ????????s??t??, ef?, ?a? µ? ?p??e???µ???? · de??? ??? ?? p??????, e? µ? pe????µ??
s?? t? ?p?t??p? ?a? µ? p?????? a ?e?e?e??.
'???? µ? ?, ef?, ?e?e?? ????e.
116 J. SCHAMP

(Critias) À mes yeux, l'indice de ta modération sera que tu te prêtes à l'incantation


de Socrate et que tu ne le quittes ni peu ni prou. - Je l'accompagnerai donc, dit
(Charmide), et je ne le quitterai point; ce serait bien risqué pour moi de ne point
t'obéir, à toi qui es mon tuteur, et de ne point faire ce que tu ordonnes. - Tel est
bien, dit (Cr.), l'ordre que je te donnes. - Je le ferai donc, dit (C), en commençant
dès ce jour. - Messieurs, dis-je, que méditez-vous tous les deux ? - Rien, dit (C),
c'est tout médité. - Vas-tu dès lors me faire violence, dis-je, et ne me donneras-tu
point le temps d'instruire l'affaire ? - Oui, comme celui qui risque de subir la
violence, puisque c'est Critias que voici qui donne l'injonction. À toi à présent de
décider que faire. - Mais il ne reste, dis-je, point place pour la prise de décision.
Quand tu prends un projet en mains en y mettant ta violence, aucun homme n'est en
état de te tenir tête. - Dès lors, dit-il, ne tiens point tête toi non plus. - Aussi, dis-
je, ne m'aviserai-je point de tenir tête.

Certes, la discussion s'est terminée apparemment dans un assaut de


courtoisie69. Pourtant, ces dernières lignes font résonner une note inquiétante, qui se
répercute avec insistance. Dans le corpus platonicien, les rappels de l'idée de violence
sont fréquents70. Pourtant, ici, de telles harmoniques n'avaient que faire. La violence y
est enfin donnée comme induite par Critias. Les jeux de plume de Platon annoncent
post eventum la catastrophe qu'Athènes essuya en 404. Mutatis mutandis, on peut
imaginer une conversation tenue au Café de Flore à Paris dans les années précédant
immédiatement le dernier conflit mondial. Après avoir serré dans ses bras Robert
Desnos, André Malraux, la manche grise encore de poussière espagnole, s'est installé
devant un litron à la table de Robert Brasillach et de Pierre Drieu La Rochelle. Très tôt
les propos ont roulé sur le régime politique le meilleur pour l'Europe.

Université de Fribourg Jacques SCHAMP


Sciences de l'Antiquité
16, rue Pierre-Aeby
CH-1700 Fribourg

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69 J'avais écrit ces lignes bien avant de lire la belle étude de Sylvie Solère-Queval
(o.L [n. 44], p. 59-61). Pour elle (p. 60), comme pour moi, «le doux et timide adolescent
disparaît dans ce final et Charmide le tyran le remplace». J'ai modifié la ponctuation de
l'article.
70 Les contextes sont extrêmement divers. On ne s'étonnera pas de la trouver dans le
Politique, là où il question de la tyrannie (276d-e; 296d), dans le Banquet (254a-d), dans le
mythe de l'attelage ailé, dans la République (I, 365c-d; III, 399a-c; VII, 536e), le Timée
(61a; 63b-d), à propos notamment de l'action du feu, dans les Lois (IX, 864c - 865d; 875c-
d), dans la législation au sujet du meurtre. J'ai retenu ici, après une recherche sur le TLG
version D, les passages significatifs où la racine ß?a- revient au moins trois fois dans
l'espace de trois paragraphes de l'édition d'Estienne.

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