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Université Paris Descartes

Sciences du Langage
S2L1 HIGL
P.Bourmeau

Platon, le Cratyle,386-385 av JC

Platon, Athènes, ( 428-348 av JC), était élève de Socrate. Il fonde l'Académie


en 387 av Jc, où il enseigne. Il rédige à cette période de nombreux dialogues
traitant de sa conception de la science et de la dialectique (dont le Cratyle,
Théétète, le Sophiste…), de nombreux portraits idéalisés de Socrate( le
Banquet, Phédon…), il y a aussi d’autres dialogues ayant été rédigés avant et
pendant la fondation de l’Académie, après la mort de Socrate (Apologie de
Socrate, la République, pour ne reprendre que les plus célèbres). La doctrine de
Platon fut pendant un moment considérée comme proche du stoïcisme,
dogmatique, puis à partir du
I er siècle on l’identifia du coté des sceptiques. C’est bien plus tard au XIXe que
l’on observa ses écrits comme ceux d’un rationaliste, difficultés rendues par la
forme même des dialogues, pour la transmission des idées de Platon, et du
contexte intellectuel des études portées sur les textes. Nous voyons que sur la
question de savoir à quel courant philosophique Platon appartenait-il
concernant ses questions linguistiques ne revêt ici pas de caractère primordial.
Comme l’énonçait le livre de Jeanne Hersch « l’Etonnement philosophique »
nous nous questionnerons plus sur quel fut l’étonnement et la réflexion de
Platon sur la langue.

Quelles étaient néanmoins les deux positions qui vivaient sous les colonnes
d’Athènes ? Le texte traite de la langue, l'approche est philosophique, mais les
deux thèses avancées dans le dialogue ont un écho qui nous est familier en
linguistique. Dans le Cratyle, on se questionne sur « la justesse des mots », ou
le rapport entre le mot et l’objet qui est essentiel dans la philosophie grecque.
Y est reflétée la querelle qui opposait à l'époque les naturalistes aux
conventionnalistes. Pour les uns, les mots avaient une origine naturelle
(physei), et nécessaire. Pour les autres l'usage des mots et leurs origines était
purement conventionnel. Au travers de ce débat tendant entre la réflexion
ontologique (thèse naturaliste), où l'expression et l'étymologie représentent la
réalité, et une réflexion plus « pratique » : un accord ou une convention passée
entre les hommes ( syndikè), on y parlera d’usage. Cratyle illustre le propos
naturaliste, en face de lui, Hermogène le propos conventionnaliste.

Analyse

Nous mettons de coté toutes les remarques qui relèvent de la position de


Socrate face au discours sophiste, de même qu’une trop grande explication de
la pratique dialectique du dialogue.

383a-384a
I. Hermogène énonce à Socrate la thèse de Cratyle : les choses et les noms
ont un lien naturel, ce des noms qui ont été attribués par les hommes, les
noms ont une essence liée aux choses, celle ci est la même dans la langue
grecque et dans les langues barbares*.

II. Hermogène contre la thèse de Cratyle : le nom est un accord et une


convention entre les hommes. Mais plus précisément, sur la justesse du nom :
qu’entendent-ils par là ? Le nom qui signifie une idée*, entendons ici, par les
mots « place », « juste », « substitué » que les mots relèvent de l’usage.
Deuxième extrait de la partie II : le nom est émis par l’homme « appeler »
« assigné » : l’exemple des Etats, y entendre langue, qui nomment les choses
selon les mots de leur langues, et que de langue à langue les mots pour un
même objet diffèrent.

385c-386a
IV.
D’un coté les mots sont liés par essence à leur objet, par un lien de nature et
de l’autre le mot est fruit de l’usage. Socrate questionne Hermogène en
reprenant un caractère de sa thèse, non sans l’étirer un peu : l’usage
« l’homme est la mesure de toute chose »*, et demande à Hermogène
si, malgré le changement que provoque l’usage, le mot possède dans son
essence quelque chose de permanent, d’immuable. * Socrate cite Protagoras,
philosophe présocratique qui enseigna une pensée proche de Démocrite
( Ecole Ionienne) (550-480 av JC), dans la réflexion sur le changement et
l’immuable, que ce sont posé les école ionienne et l’école éléate ( par
Parménide, contemporain d’Héraclite), à la question qu’est ce qui est immuable
au travers du changement, Héraclite répondait : le changement lui même. Ces
deux écoles sont restées pendant bien longtemps les modèles à qui ont se
référait concernant les questions essentielles (questions d’essence), ce jusqu’à
Spinoza « éléate » et Hegel « ionien ». Socrate fait appel à Protagoras pour
confronter les deux thèses naturalistes et conventionnalistes : là où le
changement est essence et là où le mot est fruit du changement. Ou bien
demande t-il à Hermogène, croit-il que les mots sont quand ils sont perçus
« apparaissent » à lui même ou à un autre, de manière différente, là il
s’attaque à ce que disait un peu plus haut Hermogène, les mots sont une
convention et un accord, parce que si ils « apparaissent » différemment selon
celui qui les emploi, comment peut-il y avoir convention ?

407d-408c
part XXIII
La signification du nom Hermès. Socrate énonce que Hermès est proche du
mot discours en grec (éïréïn, l’usage du discours), il l’oppose à émèsato
( inventer) et tisse de façon ironique ( mais non comprise de ses
interlocuteurs), un lien entre le nom d’Hermès et les verbes to éïréïn et to
émèsato, combinant les qualités d’Hermès, connu pour être un personnage de
la mythologie, messager des Dieux et interprète (avec toutes les qualités qui
relèvent de la politique, « se rattachant au pouvoir du discours ») il dit que
celui ci crée par le Dieu aurait bien du se nommer Eirémès et non Hermès
comme les hommes l’ont nommé.
Deuxième note : le parallèle avec le nom Iris, de la mythologie égyptienne, fait
par une curieuse ressemblance « phonétique » « iris »/ « eirein », un emprunt ?

413 e-414c
part XXVIII
Socrate observe les noms actuels et explique à Hermogène que ceux ci ont été
crée pour le la beauté du discours, écrasant les noms primitifs, les modifiants
de manière totalement arbitraire « tordus dans tous les sens », de la même
manière, que les hommes sont passés sur les mots primitifs, ceux si ont été
modifiés par le temps. Par modification, il entend observer la prononciation (ou
la graphie ?) des mots. Cependant, à l’appui des notes du texte, on observe
que les exemples cités par Socrate sont faux (sphinx et catoptron), mais ce qui
n’enlève rien à la pertinence de son observation sur l’évolution des mots de la
langue grecque. Cependant, cela va plus loin : si on a la permission (de qui ?)
de modifier les mots de cette manière, à l’absurde on peut donc tout bien
désigner un objet avec le nom que l’on souhaite. Socrate utilise le mot
« ajuster ».
425c – 426b

part XXXVI
Socrate cherche a établir la justesse des mots primitifs : « lettres et syllabes
relèvent des choses en les imitant », il établit que c’est une nécessité car sinon
nous n’avons comme explication que l’origine divine. Mais il explore une autre
piste, celle des origines barbares des mots, des peuples qui vivaient sur leur
actuel territoire avant eux, et de ceux qui vivent à coté d’eux. Mais le problème
est qu’il leur est impossible de justifier, de prouver l’origine des mots, et que
par conséquent la piste de l’imitation est la plus probable et la plus
directement vérifiable ( les Dieux sont inaccessibles tout comme l’antiquité des
mots barbares).
Socrate ébranle la thèse naturaliste. Elle n’est pas vérifiable, elle n’est que la
plus probable.
Mais il va plus loin et attaque la deuxième thèse, celle des conventionnalistes :
on ne peut pas non plus établir la justesse des noms dérivés, y entendre ceux
dont ils font l’usage, du moins par leurs origines, puisque qu’on ne sait rien de
l’origine des noms primitifs. Le débat serait il inapproprié alors ? Le
questionnement serait-il situé à un mauvais niveau ? Celui de l’origine ?
XXXVII
Le ridicule : il y a des législateurs qui font des observations non pertinentes sur
les sons de la langue grecque, puis qui catégorisent les sons et créer des
imitations d’imitations où la langue est tissée de façon arbitraire. La justesse
des noms, Socrate ramène le débat à un autre niveau : nous ne pouvons établir
la justesse des mots car nous n’en avons que des imitations qui ont été
perçues par l’homme et légiférée par la suite. Ou bien c’est que la nature est
trop parfaite pour être saisie par l’homme et nommée, où c’est que les Dieux
ne dévoileront pas leur secret, si tentés qu’ils existent, où bien c’est que la
langue n’a qu’à être outils et travaillée comme tel et améliorée avec le temps
par les grammairiens.

Conclusion :

Au travers de ce texte on voit bien deux propositions grecques à la question


« qu’est ce qui fait d’un nom ce qu’il est ? » : d’un coté les naturalistes qui
tirent le nom de la nature, où nom et chose entretiennent un lien naturel, par
essence. A l’opposé les conventionnalistes expliquent que le nom est créé par
l’homme par l’usage et l’habitude et qu’il est modifié par celui-ci en fonction de
ses besoins. C’est le mot par la convention. D’emblée on voit que les deux
débat ne sont pas au même niveau, on peut difficilement ici affronter et
expliquer ces deux thèses, c’est ce que fera Socrate, il déroulera les points
particuliers que sous entendent chaque thèses avant de les ramener au même
niveau : celui de l’ignorance que l’on a de la justesse des mots, car celle ci
étant invérifiable ( trop loin dans le temps pour les noms primitifs, trop haut
dans le ciel pour les origines divines), c’est alors la thèse naturaliste qui
semble la plus acceptable, l’admettre juste car de même invérifiable.

Le texte soulève la langue pour l’usage, la critiquant même dans cette fonction
à quelques reprises, mais en même temps il découvre timidement des
observations sur la création des mots grecques et leurs évolutions.

Documents complémentaires :
1.Le tableau des observations des modifications des noms par Socrate
(Myrtille)

Extrait de Dictionnaire de Linguistique de G.Mounin, PUF, Paris, 1974


Bibliographie

Le Cratyle, Platon, GF Flammarion, trad et notes par Emile Chambry


Histoire de la linguistique, G. Mounin, Paris, 1967, Quadrige, PUF
Histoire de la philosophie, E. Bréhier, T.1, Paris,1931, Quadrige, PUF

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